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HISTOIRE DE L'ALCHIMIE ========= XIVme SIECLE NICOLAS FLAMEL ; SA VIE ; SES FONDATIONS ; SES ŒUVRES Suivi DE LA REIMPRESSION DU LIVRE DES FIGURES HIEROGLYPHIQUES ET DE LA LETTRE DE DOM PERNETY A L'ABBE VILLAIN PAR ALBERT POISSON

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  • HISTOIRE DE L'ALCHIMIE

    =========

    XIVme SIECLE

    NICOLAS FLAMEL ; SA VIE ; SES FONDATIONS ; SES UVRES

    Suivi

    DE LA REIMPRESSION DU LIVRE DES FIGURES HIEROGLYPHIQUES

    ET DE LA LETTRE DE DOM PERNETY A L'ABBE VILLAIN

    PAR

    ALBERT POISSON

  • PREFACE

    Lorsque aprs plusieurs annes de recherches laborieuses, nous tions enfin parvenu retrouver la clef de l'Alchimie, pouvoir expliquer les obscurs traits des Lulle et des Bacon, jeter quelque lumire sur cette science aujourd'hui discrdite parce que mal comprise, l'ide se prsenta de suite notre esprit d'exposer l'Alchimie, ses principes, son histoire, en une srie cyclique d'ouvrages, traitant chacun de la philosophie hermtique selon quelqu'un de ses diffrents aspects. Un premier volume: Cinq traits d'alchimie, simple traduction, avait t lanc pour ainsi dire comme essai, le rsultat obtenu nous a engag continuer la srie commence. Les cinq traits, traductions de quelques ouvrages de Roger Bacon, Arnauld de Villeneuve, Albert-le-Grand, Raymond Lulle et Paracelse, ne s'adressaient qu'aux initis, capables de lire avec intrt un trait d'alchimie dans le texte; pas de notes ni de commentaires qui pussent clairer le profane, mais un glossaire de quelques pages, memento plutt que dictionnaire. Ensuite parut le second volume: Thories et Symboles des alchimistes. C'tait une exposition mthodique des thories hermtiques, depuis les Grecs jusqu' nos jours, une explication raisonne les Symboles alchimiques dont on trouve l'origine en Egypte, et qui prirent une grande extension lorsque l'alchimie s'acheminait vers son apoge, c'est--dire vers la fin du quinzime sicle.

  • De ces deux ouvrages, l'un est l'nigme propose aux chercheurs, aux occultistes, le second en est la solution. En attendant les autres traits sur la thorie alchimique, ce dernier volume suffisait pour donner l'intelligence de la plupart des hermtiques du moyen-ge et des temps modernes. D'autre part il nous a paru inutile de publier les divers traits de l'encyclopdie alchimique dans leur ordre absolu, nous avons prfr suivre les hasards de nos tudes. Dans l'histoire de l'Alchimie, deux philosophes nous ont paru mriter les honneurs d'une monographie, ce sont Paracelse et Nicolas Flamel, le premier cause de l'importance de son uvre, le second cause du grand nombre de dtails que nous avons sur sa vie. Enfin ce sont, avec peut-tre Albert-le-Grand, les plus connus de tous les alchimistes. Et pour ne parler que de Nicolas Flamel, sa clbrit est tellement grande en France, qu'il n'y a peut-tre pas un intellectuel qui ne connaisse sa lgende. Sa maison, qui existait encore en notre sicle, a occup plus d'une fois les archologues; les romantiques, amoureux du moyen-ge, se sont plus d'une fois servi du nom de Flamel; mais tout ceci n'est rien en comparaison de la renomme de l'illustre adepte aux sicles passs et surtout aux XVIIe et XVIIIe sicles. Sa maison et ses diverses fondations taient alors des buts de plerinage alchimique.

    Aucun disciple d'Herms, franais ou tranger, ne serait pass par Paris sans aller visiter la maison de la rue des Ecrivains et les deux arcades, couvertes de symboles, du cimetire des Innocents. C'est un fait, que Flamel fut aprs sa mort, considr surtout en France comme un des plus grands matres de

  • l'alchimie; ses ouvrages furent plus tard fort recherchs, surtout ceux qui n'existaient qu' l'tat de manuscrit; les copies en furent multiplies surtout aux XVIIe et XVIIIe sicles, preuve clatante de la vogue dont Flamel jouissait auprs des hermtistes. Bien plus, cet adepte n'est-il pas le type du vritable alchimiste, travaillant sans cesse, jamais lass, jamais rebut, partageant son temps entre la prire, l'tude et le laboratoire, ne dsirant la science que pour elle-mme, puis parvenu au but, employant la richesse acquise en de bonnes uvres, continuant pour lui-mme vivre sobrement. Quel autre alchimiste pouvait nous offrir une vie aussi bien remplie. D'autres, Sethon, Kelley, Bacon, nous offrent une existence plus mouvemente, plus dramatique, mais moins riche en documents psychologiques. Enfin ce n'taient pas l les seules raisons qui nous ont dtermin crire la monographie de Flamel; tandis que les notices biographiques ont t multiplies pour Albert-le-Grand, Paracelse, Van Helmont, Raymond Lulle, Arnauld de Villeneuve, on n'avait sur Flamel que l'histoire de l'abb Villain, riche en documents, mais mauvaise en ce sens qu'elle est terriblement partiale et que l'auteur s'efforce de dmontrer une thse prconue: Flamel n'a jamais t alchimiste. Pour nous, au contraire, il s'est occup d'alchimie; mais nous ne prtendons pas imposer notre opinion, nous donnerons nos raisons, et le lecteur jugera en dernier ressort. Tout fait si minime qu'il soit sera pes et discut avec la plus grande impartialit; nous aurons combattre plusieurs objections, soit de l'abb Villain soit d'crivains postrieurs, nous le ferons en traitant autant que possible au propre point de vue de l'adversaire.

  • Qu'il nous soit enfin permis de rpondre une objection qui pourrait se prsenter: A quoi bon passer son temps des tudes inutiles? Et d'abord nous rpondrons qu'il n'y a pas d'tudes inutiles, d'un livre si mauvais qu'il soit, disait Lucien, il y a toujours quelque profit tirer. De mme une tude quelconque profite toujours et d'autre part nous ne voyons pas en quoi l'tude de l'alchimie est inutile. MM. Berthelot et Ruelle ont produit des travaux intressants sur les origines de l'alchimie, et on les tonnerait peut-tre en leur apprenant qu'ils ont perdu leur temps en des recherches inutiles. Quant ceux qui pontifient: L'alchimie? stupide! produit des sicles d'ignorance, relguer avec les autres vieilleries intitules: Sciences occultes! A ceux-l nous conseillerons de se tenir un peu au courant du mouvement scientifique actuel. Aux autres nous avions rpondu par deux noms Berthelot et Ruelle, ceux-l nous en opposerons une brillante pliade, Crookes, Aksakoff, Richet, Papus, de Rochas, Barlet, nous en passons, la liste en serait trop longue. A ceux-l qui nous servent de vieilles objections et qui croient avoir ananti quelqu'un en l'accusant d'occultisme, nous dirons: l'occulte n'existe pas, le miracle est impossible, mais ce qui existe, c'est notre ignorance actuelle de certaines lois, de certaines forces, ignorance qui nous laisse muets devant nombre de faits; tout phnomne est digne d'tude, tout fait historique bien avr est digne de foi, reste si nous ne pouvons l'expliquer, d'tudier pour lui trouver une solution, et si notre science est force de laisser plus d'un fait sans explication, le doute seul nous est permis et non la ngation. Il est presque banal de rpondre encore que ce

  • qui nous tonne semblera naturel nos successeurs, que le phonographe eut stupfi Pascal ou l'abb Nollet, alors que son fonctionnement nous parat trs simple et que sa thorie nous est familire. La banalit facile de cette rponse ne dmontre-t-elle pas que, ceux-l font des objections vieillottes, auxquels il faut opposer pareilles raisons. Qu'il nous soit permis de remercier notre public spcial et les savants de leur accueil favorable. Nous serons trop heureux si l'alchimie mieux comprise intresse les chercheurs, et surtout si le prjug s'vanouit, qui faisait regarder les alchimistes comme des inutiles ou comme de brillants charlatans. Il n'est pas trop tt pour rendre justice ces obscurs et tenaces laborieux auxquels on doit la Chimie, la plus belle, la plus noble de toutes les Sciences. Enfin nous remercions au nom de tous nos lecteurs, notre ami, M. Taite, d'avoir, l'aide des documents que nous lui avons fournis, reconstitu la vritable physionomie de l'illustre alchimiste.

    A. POISSON.

  • HISTOIRE ET LEGENDE

    DE NICOLAS FLAMEL

    ET DE PERNELLE

    PREMIERE PARTIE

    CHAPITRE PREMIER

    Naissance de Flamel Pontoise. Ses parents. Il vient s'tablir Paris. Son mariage avec Pernelle. Condition de Flamel. La petite cole. La corporation des Ecrivains se transporte aux environs de l'Eglise Saint-Jacques. Vie prive des deux poux. Iconographie de Flamel.

    Les Historiens de l'alchimie ne sont d'accord ni sur le lieu, ni sur la date de la naissance de Flamel; il ne nous reste aucun document permettant de fixer la chose, on en est rduit conjecturer dix annes prs pour sa naissance: Cependant, dit M. Figuier, en rapprochant quelques dates plus faciles runir, on trouverait sans doute que l'poque de sa naissance ne doit pas s'loigner beaucoup de l'anne 1330. Nous donnons simplement cette date comme une approximation.

  • Quant sa ville natale, Moreri, ainsi que La Croix du Maine, donnent Pontoise, d'autres Paris, l'abb Villain lui ne se prononce pas. Or, Flamel habita toute sa vie Paris, et comme de son temps on ne voyageait gure, comme d'autre part son industrie d'crivain ne ncessitait aucune espce de dplacement, nous sommes en droit de penser, si nous voyons Flamel avoir affaire dans une ville autre que Paris, qu'il avait des parents en ce lieu, qu'il y tait demeur dans son enfance et que peut-tre il y tait n. Paris tant mis part, nous ne voyons que trois villes o Flamel ait eu affaire en sa vie: Compostelle, Boulogne et Pontoise. Pour Compostelle nous avons son propre tmoignage, il y a t en plerinage implorer pour ses travaux l'assistance de Saint-Jacques. Boulogne les Menuls, tait clbre par son glise, sorte de succursale du sanctuaire vnr de Boulogne-sur-Mer, mais c'est plutt Pernelle, l'pouse de Flamel, qui y eut affaire, et Flamel, tant trs pieux, a dot cette glise par dvotion, simplement en souvenir de sa femme. Reste Pontoise; d'aprs l'abb Villain, vers 1432, signification fut faite un bourgeois de cette ville au sujet de la succession de Flamel, donc ce dernier avait des parents Pontoise; d'autre part en son testament Flamel laisse un legs l'glise Notre-Dame de Pontoise, situe dans un des faubourgs de cette ville; or, cette glise ne prsente rien de particulier, elle ne possde pas de reliques clbres qui la dsignent d'une faon spciale l'attention des fidles. Flamel avait donc des raisons particulires de la doter et quelle plus plausible, sinon que ce fut sa paroisse natale? D'autre part, nous avons cart Paris pour une raison ngative. En effet, si Flamel tait n Paris, les crivains qui se sont occups de lui (en

  • particulier l'abb Villain) et qui ont compuls les archives de Saint-Jacques-la-Boucherie, paroisse de Flamel, n'auraient pas manqu de nous donner copie de son acte de baptme, puisque cette poque les actes de naissance, ce mariage et de dcs se faisaient l'glise paroissiale o ils taient conservs, ils ne l'ont pas fait, donc Flamel n'est pas n Paris. Enfin quand on est plac entre plusieurs hypothses on doit choisir celle qui prsente le plus de preuves, pour toutes ces raisons nous admettons que Flamel est natif de Pontoise. Si le doute a longtemps plan sur la ville natale de Flamel, il nous serait encore plus difficile de donner des dtails prcis sur son enfance et sa jeunesse, ce n'est gure qu' partir de son mariage avec Pernelle que les tmoignages abondent. Cependant nous pouvons affirmer que ses parents jouissaient tout au plus d'une modique aisance, ainsi qu'il nous l'apprend lui-mme. Encore, dis-je, que je n'aie appris qu'un peu de latin pour le peu de moyens de mes parents, qui nanmoins taient par mes envieux mmes, estims gens de bien (Le livre des figures). Flamel savait donc le latin, il en donne lui-mme d'autres preuves, dans le mme ouvrage on lit propos du manuscrit d'Abraham Juif: Tant y a que je ne les savais pas lire, et que je sais bien qu'elles n'taient point notes ni lettres Latines ou Gauloises. Car nous y entendons un peu (Le livre des figures). Mais Flamel est bien modeste, car un peu plus loin il se reprsente causant en latin avec matres Canches(1). 1. Depuis, nous avons enfin mis la main sur un tmoignage affirmatif des plus prcieux, car il mane de Flamel

    lui-mme. En effet, dans le Psautier chimique (voir chapitre VIII) dont Pernety nous a conserv des fragments, Flamel se qualifie lui-mme de ruril de Pontoise , c'est--dire natif. Dsormais la question nous parat tranche.

  • Quant la famille de Flamel, nous n'avons gure de renseignements sur elle, tout au plus savons-nous qu'il existait de son temps un autre crivain de ce nom, Flamel le jeune, de son prnom Jean, mais ce n'tait certainement pas son frre, car Flamel l'aurait mentionn dans son testament, soit pour un legs, soit pour des messes. C'est Guillebert de Metz qui nous parle de ce Jean Flamel, l'endroit o il cite les crivains du temps pass: Gobert le souverain crivain qui composa l'art d'crire et de tailler plumes, et ses disciples qui par leur bien crire furent retenus des princes, comme le jeune Flamel, du duc de Berry; Sicart, du roi d'Angleterre; Guillemin, du grand ministre de Rodes; Crespy, du duc d'Orlans; Perrin, de l'Empereur Sigemundus de Rome . Plus loin il cite Nicolas Flamel: Item Flamel l'an, crivain qui faisait tant d'aumnes et d'hospitalits et fit plusieurs maisons o gens de mtier demeuraient en bas et du loyer qu'ils payaient, taient soutenus pauvres laboureurs en haut. Il est probable que Flamel passa ses premires annes Pontoise, sa ville natale, puis qu'il vint Paris, o il entra en apprentissage chez un crivain libraire (peut-tre Gobert) pour y apprendre l'art de mouler de belles lettres gothiques et d'enluminer les manuscrits; ds qu'il sut bien son mtier, il travailla pour son compte et put s'tablir libraire jur Paris. Il est croire qu' cette poque ses parents taient morts, et que c'est avec leur modeste hritage qu'il acheta la charge de libraire jur. Quoiqu'il en soit, il vivait peu prs de son mtier, quand il fut amen faire un mariage, qui le mit de suite l'aise. Son caractre gal, sa pit, son ardeur au travail l'avaient fait

  • remarquer d'une nomme Pernelle; cette belle et honnte dame dj veuve de deux maris, Raoul Lethas et Jehan Hanigues, supportait avec difficult la solitude et les tristesses du veuvage (1); amene par quelqu'acte copier, entrer en relations avec Flamel, elle lui laissa entendre qu'elle prendrait volontiers mari; quoiqu'elle ft plus ge que lui, Flamel n'hsita pas et le mariage eut lieu environ l'anne 1355. De nombreux avantages en rsultaient pour lui; n'ayant plus se soucier de son intrieur il pouvait se rserver tout son travail, la dot de Pernelle lui permettait d'tendre le cercle de ses oprations, enfin il trouvait en Pernelle une compagne fidle, pleine de bonnes qualits et dont le dvouement ne lui fit jamais dfaut. Aussi pendant quelques annes Flamel fut-il prosaquement heureux. Son mtier d'crivain tel qu'on le comprenait alors, lui rapportait suffisamment pour vivre mme quand il ne se ft pas adonn la confection des manuscrits de grand prix comme son confrre Jean Flamel, mme s'il se ft content de faire les manuscrits courants et les copies d'actes. Nicolas Flamel achetait de plus des manuscrits pour les recopier ou les revendre, il correspondait donc l'imprimeur, l'diteur et au libraire de nos jours. Enfin il tenait chez lui une sorte d'cole lmentaire, appele petite cole ou cole franaise; c'tait l'enseignement primaire du temps; on y apprenait lire, crire, compter, ainsi que les premiers lments de la grammaire franaise. 1. Pernelle avait une soeur nomme Isabelle, marie en secondes noces Jehan Perrier, tavernier. Elle n'avait pas eu d'enfants de ce mariage, mais elle en possdait trois du premier lit: Guillaume, Oudin et Collin. Son mari avait nom Guillaume Lucas.

  • Des gens de la cour, de nobles seigneurs envoyaient leurs enfants chez Flamel et souvent eux-mmes y venaient apprendre signer leur nom. Flamel avait d'abord une choppe au charnier des Innocents, mais il tait tabli depuis peu de temps, lorsque la corporation des Ecrivains (1) se transporta en masse aux alentours de l'Eglise Saint-Jacques. C'tait la coutume que chaque corporation se confint dans un quartier, dans une rue; Guillebert de Metz, en dnombrant les rues de Paris, indique en mme temps les corps de mtiers qui les habitaient. Ainsi autour de l'Eglise Saint-Jacques nous voyons la rue de Marivaus o demeurent les cloutiers et vendeurs de fil , les rues de la vieille Monnaie, la Haumerie, o l'on fait armures. La rue qui longeait l'Eglise Saint-Jacques n'avait pas de nom, elle prit celui de la corporation qui venait de s'y tablir, car auparavant on l'appelait simplement: Rue de l'Eglise Saint-Jacques. Flamel suivit ses confrres, il acheta une choppe adosse aux murs de l'Eglise, et d'autre part un terrain, au coin de la rue de Marivaus et de la rue des Ecrivains, sur lequel il fit lever une maison. Son choppe, au dire de Sauval, avait deux pieds et demi de long sur deux pieds de large, ce qui semble fort troit, mais il faut savoir que l'choppe servait uniquement exposer les manuscrits, les spcimens du savoir-faire de l'crivain. C'tait encore dans cette choppe que l'crivain se tenait habituellement, c'est l qu'il attendait les clients et dbattait les prix d'achat ou de vente. 1. Le nom de quelques-uns d'entre eux nous est parvenu: Ansel Chardon, crivain et marguillier de Saint-Jacques, Jean Harengier, qui avait sa maison en face celle de Flamel, l'autre coin de la rue de Marivaus, etc.

  • Quant aux lves et aux ouvriers de Flamel, ils taient sa aison de la rue des Ecrivains. Cette maison tait l'enseigne de la fleur de Lys. Flamel y tenait l'cole franaise; dans une pice spare ses calligraphes et apprentis se livraient la confection des psautiers et des livres d'heures, qui formaient alors le fonds de la librairie. Un ou deux calligraphes et quelques apprentis pour les menues besognes suffisaient largement Flamel pour faire face aux demandes de sa clientle. Le nom d'un seul des ouvriers de Flamel nous est parvenu, c'tait un clerc nomm Maugin, qui servait en mme temps de valet Pernelle, cette dernire ne l'a pas oubli dans son testament.

    Flamel et sa femme vivaient retirs, menant une vie trs simple, vtus d'toffes communes, mangeant dans de la vaisselle de terre des mets grossiers, remplissant avec assiduit leurs devoirs de chrtiens. Jamais, mme au moment de leur plus grande prosprit ils ne se dpartirent de cette simplicit; ceci ne concorde gure avec les affirmations de l'abb Villain qui nous reprsente les deux poux comme trs vaniteux! Deux servantes, Marguerite la Quesnel et sa fille Colette aidaient Pernelle dans le mnage, cela n'tait pas trop de deux domestiques car, en outre des deux poux, il y avait les ouvriers nourrir. D'aprs les sculpteurs dont les reproductions nous sont parvenues, Flamel tait d'une taille un peu au-dessus de la moyenne, le corps est robuste, les mains fines, la tte plutt petite, le front haut et dcouvert indique l'intelligence, les yeux

  • grands et enfoncs dans leurs orbites, le nez droit, signe de volont et de persvrance, le menton est rond, la bouche avenante, plus propre au sourire qu'au rire, un peu d'amertume se dcle dans deux plis partant des ailes du nez et encadrant la bouche. L'ensemble rvle la bont et la finesse. Tel est du moins le portrait que l'on peut tracer de Flamel, d'aprs la gravure que l'on trouve en tte de l'histoire critique de l'abb Villain et qui tait elle-mme une reproduction de la statue de Flamel qui dcorait le portail de Sainte Genevive des Ardents. Cependant il doit exister d'autres portraits de Flamel, gravs ou peints, si nous en croyons les deux passages suivants: Du temps de Borel, on voyait son portrait peint (celui de Flamel) chez M. des Ardres, mdecin, reprsent en plerin. Son bonnet tait de trois couleurs, noir, blanc, rouge (Dictionnaire de Moreri). Et: Il existe un portrait de Nicolas Flamel, alchimiste, grav en Allemagne et copi depuis par Montcornet... M. Brunet de Presles possde une srie de gouaches in-folio, peintes vers la fin du rgne de Louis XIV, on y remarque divers portraits de Flamel et une reproduction de ses hiroglyphes (Article Flamel, par V. de Viriville, dans le Dictionnaire biographique d'Hoeffer). Quant Pernelle, reprsente dans les figures du charnier des Innocents, elle tait un peu plus petite que son mari, assez lance, elle avait des traits fins et rguliers, le visage ovale. Tels taient ces deux poux, dont les vertus devaient tre rcompenses par la dcouverte du prestigieux secret des Philosophes.

  • CHAPITRE II

    Songe de Flamel. Achat du livre d'Abraham Juif. Description de ce livre. Flamel commence s'occuper d'alchimie. Les conseils de matre Anseaulme. Flamel se dcide faire le plerinage de Saint Jacques de Compostelle.

    Flamel vivait fort tranquillement, partageant galement son temps pour la prosprit de ses affaires et pour le salut de son me, lorsqu'une nuit il eut une vision. Un ange lui apparut dans un nimbe clatant, il tenait la main un manuscrit dont la couverture prsentait des caractres tranges: Flamel, dit-il, regarde bien ce livre, tu n'y comprends rien, ni toi, ni beaucoup d'autres, mais tu y verras un jour ce que nul n'y saurait voir. Flamel tendait la main quand il disparut. Flamel ne songeait plus la vision qui l'avait tant frapp, quand un jour de l'anne 1357 il acheta d'un inconnu en qute d'argent, un vieux manuscrit orn de figures bizarres, il le paya deux florins (1). Celui qui m'avait vendu ce livre ne savait pas ce qu'il valait, aussi peu que moi quand je l'achetai. Je crois qu'il avait t drob aux misrables Juifs, ou trouv quelque part cach dans l'ancien lieu de leur demeure . L'ayant examin, il reconnut le livre de sa vision. C tait un manuscrit dor, fort vieux et beaucoup large, il n'tait point en papier ou parchemin comme sont les autres, mais seulement il 1. Les citations qui suivent sont tires du Livre des figures hiroglyphiques.

  • tait fait de dlies corces (comme il me semblait) de tendres arbrisseaux.

    Sa couverture tait de cuivre bien dli, toute grave de lettres ou figures tranges, et quant moi, je crois qu'elles pouvaient bien tre des caractres grecs ou d'autre semblable langue ancienne. Tant y a que je ne les savais pas lire et que je sais bien qu'elles n'taient point notes ni lettres latines ou gauloises, car nous y entendons un peu. Quant au dedans ses feuilles d'corce taient graves et d'une trs grande industrie, crites avec une pointe de fer, en belles et trs nettes lettres latines colores.

    Ce livre n'avait point de titre, du moins Flamel n'en parle pas, mais; Au premier des feuillets, il y avait crit en lettres grosses capitales dores, Abraham le Juif, prince, prtre, lvite, astrologue et philosophe, la gent des Juifs, par l'ire de Dieu disperse aux Gaules, salut D. I. Aprs cela il tait rempli de grandes excrations et maldictions avec ce mot Maranatha, qui tait souvent rpt contre une personne qui jetterait les yeux sur icelui, s'il n'tait sacrificateur ou scribe. Ce livre tait l'uvre du rabbi Abraham, cabaliste sur lequel nous avons peu de dtails. A part cet ouvrage sur l'alchimie (connu vulgairement sous le nom de Livre d'Abraham Juif et dont le nom rel serait: Asch Mezareh selon Eliphas Levi), il nous reste de lui un autre ouvrage intitul: La sagesse divine par Abraham le Juif, ddi son fils Lamech. L'original semble perdu, mais il en existe une copie

  • manuscrite du XVIIIe sicle dans la magnifique bibliothque de M. Stanislas de Guata. Flamel n'osait passer outre devant les terribles imprcations de la premire page, il tait surtout intimid par le mot de Maranatha, qui signifie: anathme, maldiction universelle. Cependant c'tait assez l'habitude des alchimistes de placer ainsi l'anathme sur le seuil de leur uvre pour arrter les profanes. Roger Bacon n'crit-il pas dans sa Premire Lettre Jean de Paris: Maudit soit celui qui possderait la fois ces trois secrets (1) . Cependant Flamel rflchit qu'il tait scribe ou crivain et que par consquent il lui tait permis de passer outre, ce qu'il fit. Dans ce livre au second feuillet, il consolait sa nation, la conseillant de fuir les vices et surtout l'idoltrie, attendant le Messie venir avec douce patience, lequel vaincrait tous les rois de la terre et rgnerait avec sa gent en gloire ternellement. Devant ces promesses, fleurant l'hrsie, Flamel n'a pas d'indignation, il ajoute simplement: Sans doute, savoir t un homme fort savant. Mais ce n'tait l que l'introduction du livre d'Abraham Juif, le reste de l'ouvrage, traitant d'alchimie, tait divis en sept chapitres; comprenant vingt-et-un feuillets (soit quarante-deux pages); il y avait en outre sept figures, quatre rparties dans le texte et trois en dehors, chacune la fin d'un septnaire; c'est--dire, aprs les pages 7, 14 et 21, elles n'taient pas comptes dans la pagination. Mais laissons la parole Flamel. Au troisime feuillet et en tous les autres suivants crits, pour aider sa captive nation payer les 1. Les trois secrets dont il s'agit sont: l'uvre, la mixtion et la proportion.

  • tributs aux empereurs romains et pour faire autre chose que je ne dirai pas (1), il leur enseignait la transmutation mtallique en paroles communes, peignait les vaisseaux au ct et avertissait des couleurs et de tout le reste, sauf du premier agent dont il n'en disait mot, mais bien (comme il disait au quatrime et cinquime feuillets entiers), il le peignait et figurait par trs grand artifice. Car encore qu'il fut bien intelligiblement figur et peint, toutefois aucun ne l'et su comprendre sans tre fort avanc en leur cabale traditive et sans avoir tudi les livres. L'ouvrage contenait sept figures hiroglyphiques, une la fin de chaque septnaire et quatre rparties dans la seconde partie de l'ouvrage. Flamel les dcrit soigneusement. Au premier septnaire, dit-il, il y avait peint une Verge et des Serpents s'engloutissant, au second septime une Croix o un serpent tait crucifi, au dernier septime, taient peints des dserts, au milieu desquels coulaient plusieurs belles fontaines, dont sortaient plusieurs serpents qui couraient par ci et par l. Quant aux autres figures il en parle ainsi: Donc le quatrime et cinquime feuillet tait sans criture, tout rempli de belles figures enlumines, ou comme cela (2), car cet ouvrage tait fort exquis. Premirement,il peignait un jeune homme avec des ailes aux talons, ayant une Verge caduce en main, entortille de deux serpents, de laquelle il frappait une salade (3) qui lui couvrait la tte. 1. Peut-tre la reconstruction du Temple de Jrusalem; en tout cas remarquons ici combien Flamel se montre

    tolrant pour son poque en respectant le secret des Juifs. 2. Ces mots n'ont aucun sens pour nous, mais dans le manuscrit du Livre des figures hiroglyphiques, Flamel avait reproduit les figures d'Abraham Juif. 3. Casque.

  • Il semblait mon petit avis le Dieu Mercure des paens; contre icelui venait courant et volant ailes ouvertes un grand vieillard, lequel sur sa tte avait une horloge attach, et en ses mains une faux comme la mort, de laquelle terrible et furieux, il voulait trancher les pieds Mercure. A l'autre face du feuillet quatrime, il peignait une belle fleur en la sommit d'une montagne trs haute, que l'aquilon branlait fort rudement, elle avait le pied bleu, les fleurs blanches et rouges, les feuilles reluisantes comme l'or fin, l'entour de laquelle les Dragons et Griffons Aquiloniens faisaient leur nid et demeurance. Au cinquime feuillet y avait un beau rosier fleuri au milieu d'un beau jardin, chelant contre un chne creux, au pied desquels bouillonnait une fontaine d'eau trs blanche, qui s'allait prcipiter dans les abmes, passant nanmoins premirement, entre les mains d'infinis peuples qui fouillaient en terre, la cherchant, mais parce qu'ils taient aveugles, nul ne la connaissait fors quelqu'un, considrant le poids. Au dernier revers du cinquime, il y avait un Roi avec un grand coutelas, qui faisait tuer en sa prsence par des soldats, grande multitude de petits enfants, les mres desquels pleuraient aux pieds des impitoyables gendarmes, le sang desquels petits enfants, tait puis aprs recueilli par d'autres soldats, et mis dans un grand vaisseau, dans lequel le Soleil et la Lune du ciel venaient se baigner. Nous reviendrons plus loin sur ces figures d'Abraham Juif, nous en donnerons une description plus complte et nous les expliquerons mthodiquement. Flamel ayant dcrit tout au long les figures de son prcieux manuscrit, se dfend d'en livrer le texte au public: Je ne reprsenterai point, dit-il, ce qui tait crit

  • en beau et trs intelligible latin en tous les autres feuillets crits, car Dieu me punirait, d'autant que je commettrais plus de mchancet que celui (comme on dit) qui disait que tous les hommes du monde n'eussent qu'une tte et qu'il la peut couper d'un seul coup. Flamel comprit de suite l'immense valeur du manuscrit que la Providence avait fait tomber entre ses mains, et il rendit tout d'abord grces Dieu. Le livre d'Abraham Juif enseignait la manire de faire de l'or; malheureusement le premier agent n'tait pas dsign, et si plusieurs oprations taient dcrites fort clairement, quelques autres, notamment la prparation de la matire premire, les degrs du feu, les proportions taient simplement indiques par les sept hiroglyphes. Flamel malgr tout se mit rflchir, relire son trsor, le commenter, mais en vain, l'obscurit l'enveloppait de toute part. Il promenait partout un front soucieux, son humeur devenait fantasque, mais quoiqu'il fit pour celer son souci, Pernelle s'en aperut ds les premiers jours, discrte elle n'en dit d'abord rien, enfin n'y pouvant plus tenir, par tendresse ou par curiosit, elle interrogea son mari. Flamel rsista, puis le secret lui pesant, il se soulagea par la confidence, il apprit tout Pernelle, l'achat du manuscrit, son contenu, les trsors promis celui qui le comprendrait: Je ne pus jamais tenir ma langue que je ne lui dise tout, et lui montrasse ce beau livre, duquel mme instant qu'elle l'et vu, elle en ft autant amoureuse que moi-mme, prenant un extrme plaisir de contempler ces belles couvertures, gravures, images et portraits, auxquelles figures elle entendait aussi peu que moi. Toutefois ce m'tait une grande consolation d'en parler avec elle et de m'entretenir, qu'est-ce qu'il

  • faudrait faire pour avoir l'interprtation d'icelles. Flamel tait absolument novice en alchimie, il avait certainement auparavant vu quelques manuscrits hermtiques, mais il n'avait jamais eu la curiosit de les parcourir. Et voici que tout d'un coup il se prend d'une belle passion pour l'alchimie. Son amour des beaux livres y est certainement pour quelque chose, le manuscrit d'Abraham Juif l'a conquis ds l'abord par sa richesse, sa vnrable antiquit, ses dlicates enluminures, un livre aussi riche ne peut contenir que de bonnes choses. Et puis n'est-il pas crit de la main d'un Juif: au moyen-ge, le Juif est en dehors de la socit, il est mme souvent hors de la loi, et cependant ce paria rgne d'une manire occulte, il se fait petit dans la rue o sa livre le dsigne aux injures de la populace, il s'humilie mme devant le seigneur qui vient lui emprunter, il souffre tout, car il a l'intuition que lui aussi sera tt ou tard le premier, grce aux deux puissants leviers d'Isral: la tnacit et l'argent. Le Juif excr est cependant redout, le peuple l'accuse d'tre familier avec Satan, tous les sacrilges commis dont les auteurs ne peuvent tre retrouvs, tous les crimes sont mis au dossier du Juif. Aussi une sorte de terreur superstitieuse s'attache lui. Le chrtien ira de prfrence acheter chez le Juif, sachant d'avance qu'il sera vol, c'est l'attirance de la mouche par l'araigne; les papes et les rois ont leur service des mdecins ou des astrologues juifs, il leur semble que la science d'un juif doit tre suprieure justement cause de son origine illicite. Le livre d'Abraham Juif parut donc Flamel cause mme de sa provenance beaucoup plus prcieux qu'un trait d'Herms ou de Geber. Au reste, il tait rempli de caractres hbraques et de

  • chiffres dont on ne pouvait comprendre le sens qu'en tant vers dans la Kabbale, un livre plus facile comprendre aurait t peut-tre ddaign, celui-ci irrita la curiosit de Flamel qui se promit de dchiffrer tous ces arcanes, et il tint sa promesse! Nous n'avons pas fait entrer en ligne l'appt des richesses, c'est que Flamel n'a jamais dsir l'or pour lui-mme, peu lui importait d'tre riche ou pauvre, il donna tout aux pauvres et aux glises, et quand il mourut il n'tait gure plus riche qu'avant d'avoir opr la transmutation, du reste il ne fit cette opration que trois fois dans sa vie! Est-ce l le caractre d'un homme avide d'or? Si nous insistons tant sur ce point, c'est que ds prsent il faut bien comprendre que Flamel n'tudia l'alchimie que par curiosit, par amour de la science et non dans un but de lucre, ce qu'il voit la fin de ses travaux, c'est de pouvoir enfin lire couramment son mystrieux livre d'Abraham Juif, de pouvoir dchiffrer les hiroglyphes dont le sens lui chappe, il n'a qu'un dsir, parfaire le grand uvre, et contempler les merveilles de la pierre des philosophes! Voil les seules raisons qui poussent Flamel, les obstacles, les dceptions ne feront que l'irriter sans le dcourager. La rsistance soutient les forts, car seuls ils sont capables de puiser de nouvelles forces dans la lutte. Flamel tait donc songeant nuit et jour son manuscrit, mais nous avons vu qu'il tait absolument novice en la science d'Herms, et circonstance aggravante, le livre d`Abraham est l'un des plus obscurs et des plus symboliques de toute la bibliographie alchimique. Flamel ne pouvait entreprendre seul l'tude de l'hermtisme, il lui fallait un matre pour le diriger. Il s'aboucha donc avec

  • quelques-uns des nombreux alchimistes de Paris. Mais quel titre leur demander des renseignements, fallait-il avouer qu'il s'occupait d'alchimie? Non, cela et fait tort son commerce et sa considration, puis quelque souffleur n'aurait pas manqu de s'insinuer dans sa confiance, puis de venir s'installer chez lui. Flamel aimait la tranquillit et il ne tenait pas du tout alors passer pour alchimiste, le mtier tait assez dangereux et le malheureux qui attirait l'attention sur lui avait le choix entre: travailler pour le Roi dans une tour bien garde, ou aller bnir les passants avec les pieds du haut d'un gibet dor, en cas de refus. Pour rsoudre cette difficult, Flamel fit copier sous ses yeux par un habile enlumineur les sept figures et il les montrait ceux de ses clients et connaissances qu'il savait avoir fait quelqu'tude de l'alchimie. Il leur demandait simplement ce que ces figures pouvaient bien signifier; ceux, dont la discrtion lui tait assure, il avouait que c'taient des hiroglyphes alchimiques tirs d'un manuscrit sur la pierre philosophale. Mais laissons Flamel raconter lui-mme ses tribulations: Enfin je fis peindre le plus au naturel que je peux, dans mon logis, toutes ces figures et portraits du quatrime et cinquime feuillet, que je montrai Paris plusieurs grands clercs qui n'y entendirent jamais plus que moi. Je les avertissais mme que cela avait t trouv dans un livre qui enseignait la pierre philosophale, mais la plupart d'iceux se moqurent de moi, et de la bnite pierre, fors un appel Matre Anseaulme, qui tait licenci en mdecine, lequel tudiait fort en cette science. Icelui avait grande envie de voir mon livre et n'y et chose qu'il ne fit pour le voir, mais toujours je l'assurai que je

  • ne l'avais point, bien lui fis-je une grande description de sa mthode . Pour comprendre l'empressement de matre Anseaulme, il faut savoir qu' cette poque l'alchimie commenait s'tendre. Raymond Lulle tait mort dans les premires annes du XIVe sicle, mais Jean de Meung, Cremer, Richard l'anglais, Odomar, Jean de Rupescissa, Ortholain avaient suivi ses traces, l'alchimie gagnait peu peu, pas de famille o il n'y et un hermtiste. La science commenait se rpandre hors des monastres o elle avait t d'abord peu prs exclusivement renferme. L'cole alchimique occidentale commence se constituer avec Roger Bacon et Albert le Grand, Raymond Lulle et Arnauld de Villeneuve. Ce sont eux qui rpandent dans l'occident barbare toute la science antique recueillie et accrue par les Arabes; l'alchimie fait partie de ces connaissances, ainsi qu'Hoeffer l'avait dmontr (Thse reprise par M. Berthelot). L'alchimie pntrait donc peu peu les diverses couches de la socit; mais les manuscrits taient rares encore, ils cotaient fort cher, on se les prtait comme de prcieux trsors; les auteurs eux-mmes taient peu nombreux, quelques arabes: Geber, Avicenne, Kalid, Morien, quelques grco-gyptiens, Herms, Synsius, Dmocrite, plus les uvres des premiers matres occidentaux, tels taient les manuscrits que l'on tudiait le plus communment. Aussi quand un alchimiste entendait parler d'un nouveau manuscrit encore inconnu, faisait-il tout son possible pour le possder ou tout au moins le copier, le lire! Peut-tre enfin la matire serait-elle dsigne dans ce manuscrit, peut-tre serait-ce l le manuscrit introuvable o le grand uvre est dcrit sans

  • mystres? C'tait l certainement la pense de matre Anseaulme, mais devant les dngations systmatiques de Flamel, il se rsigna lui expliquer les figures d'Abraham sans plus chercher voir l'original, voici cette explication de souffleur, que Flamel nous a conserve. Il disait que le premier portrait reprsentait le temps qui dvorait tout ce qu'il fallait l'espace de six ans selon les six feuillets crits, pour parfaire la pierre, soutenait qu'alors il fallait tourner l'horloge et ne cuire plus. Et quand je lui disais que cela n'tait peint que pour dmontrer et enseigner le premier agent (comme tait dit dans le livre), il rpondait que cette coction de six ans tait comme un second agent. Que vritablement le premier agent y tait peint, qui tait l'eau blanche et pesante, qui sans doute tait le vif-argent, que l'on ne pouvait fixer ni icelui couper les pieds, c'est--dire ter sa volatilit, que par cette longue dcoction dans un sang trs pur de jeunes enfants, que dans icelui, ce vif-argent se conjoignant avec l'or et l'argent se convertissait premirement avec eux en une herbe semblable celle qui tait peinte, puis aprs par corruption en serpents, lesquels tant aprs entirement asschs et cuits par le feu, se rduiraient en poudre d'or qui serait la pierre. Si les autres explications de matre Anseaulme taient de cette force, Flamel non seulement n'en savait pas plus qu'avant, mais encore il s'engageait dans un labyrinthe sans issue; matre Anseaulme n'tait en somme qu'un vulgaire souffleur, il prenait la lettre les paraboles des philosophes et s'il travaillait de la mme faon, ses uvres devaient avoir deux termes: l'imbcillit et le sacrilge. On trouvera plus loin l'explication des figures d'Abraham selon les principes exposs dans notre prcdent ouvrage: Thories et

  • Symboles des alchimistes, et l'on verra combien elles diffrent de celle de matre Anseaulme, le mdecin alchimiste! Flamel ayant bien mdit le livre d'Abraham Juif, crut devoir nanmoins passer la pratique; il travaillait en secret et nul autre que Pernelle ne sut jamais qu'il s'occupait d'alchimie; il avait fini par ne plus demander de conseils, inutiles toujours, nuisibles souvent; mais pour travailler selon sa propre inspiration, il n'en faisait pas pour cela de meilleur ouvrage. Les jours se succdaient, les mois suivaient les mois, les annes s'ajoutaient aux annes, et pas le moindre succs ne venait l'encourager; il n'en persvrait pas moins, ne quittant l'athanor que pour aller l'Eglise Saint-Jacques, il partageait son temps entre la prire et la mditation des anciens philosophes, car Flamel s'tait mont une bibliothque hermtique et il possdait plusieurs manuscrits. Il existe la Bibliothque nationale un manuscrit cot 19.978, supplment franais, fonds Saint-Germain-des-Prs, qui porte la fin le nom de Flamel, c'est le Livre des lavres, copi de la propre main de l'crivain, nous en reparlerons; de plus nous trouvons ceci dans le Dictionnaire de Moreri. Il existe un manuscrit de chimie d'Almasatus au roi de Carmasan, qui porte le titre de proprit de Nicolas Flamel. Ainsi donc Flamel, malgr toutes les petites raisons de l'abb Villain, s'occupait d'alchimie et srieusement mme. Nanmoins malgr tous les conseils des clercs en hermtique, malgr ses propres travaux, malgr les lumires qu'il pouvait tirer de ses manuscrits ou mme cause de tout cela, il ne faisait rien qui vaille, les avis tonnants de matre Anseaulme y taient bien pour quelque chose, aussi nous dit-il: Cela fut cause que durant

  • le long espace de vingt-et-un ans je fis mille brouilleries, non toutefois avec le sang, ce qui est mchant et vilain. Car je trouvais dans mon livre que les Philosophes appelaient sang, l'esprit minral qui est dans les mtaux, principalement dans le Soleil, la Lune et Mercure, l'assemblage desquels je tendais toujours, aussi ces interprtations pour la plupart taient plus subtiles que vritables. Ne voyant donc jamais en mon opration les signes ou temps crit dans mon livre, j'tais toujours recommencer. Flamel n'a pas une parole amre pour ceux dont les pernicieux conseils lui ont fait dpenser tant de temps et tant d'argent, il n'a pas un regret pour les annes coules, pas un seul instant de dfaillance. Cependant comme il en tait peu prs au mme point qu'en commenant, il rflchit qu'il ferait bien de voyager, il connaissait dj quelques souffleurs Paris, mais aucun n'tait assez avanc pour lui tre utile. Au reste il lui fallait trouver non seulement un philosophe, mais encore un kabbaliste pour lui expliquer certains passages crits en hbreu. Il irait donc en Espagne o les Juifs taient alors fort nombreux; longtemps en relation avec les Maures, ils avaient profit du contact et ils avaient produit nombre d'excellents mdecins recherchs des cours d'Europe. Le but de son voyage tait Saint-Jacques de Compostelle en Galice (en espagnol Santiago ou Compostella) but clbre de plerinage, que Flamel avait fait voeu de visiter en l'honneur de Saint-Jacques, patron de sa paroisse.

  • CHAPITRE III

    Plerinage de Flamel Saint-Jacques de Compostelle. Lgende de Saint-Jacques! Flamel fait la connaissance de matre Canches. Retour en France. Mort de Canches Orlans. Travaux de Flamel. Premire et seconde transmutation. Prire de Flamel.

    Ayant donc fait vu Dieu et Monsieur Saint-Jacques de Galice, pour demander l'interprtation d'icelles (les figures), quelque sacerdot juif, en quelque synagogue d'Espagne et Pernelle ayant consenti au voyage, Flamel partit avec l'habit de plerin orn de coquilles et le bourdon la main. Il emportait avec lui copie des figures d'Abraham et un extrait des passages qui lui avaient paru plus importants. Donc en cette mme faon je me mis en chemin et tant fis que j'arrivais Montjoye et puis Saint-Jacques ou avec une grande dvotion j'accomplis mon voeu . Nous n'avons aucun renseignement sur le chemin suivi par Flamel pour aller en Espagne, mais on peut supposer qu'il y alla par le chemin que le roi Bermude avait fait tracer travers la Navarre, la Rioja et le territoire de Burgos, spcialement pour les plerins venant de France. Arriv sur le mont de l'Humilladoiro, d'o l'on dcouvre la cathdrale de Saint-Jacques, Flamel se prosterna et pria quelques instants selon la coutume, peut-tre avait-il l'intuition que son vu serait exauc.

  • Quelques mots sur Saint Jacques de Compostelle, que nous appellerons dsormais de son nom espagnol, Santiago (San Iago, Saint Jacques). En 835, Thodomir, vque d'Iria, fut inform par un montagnard que sur une colline boise quelque distance l'ouest du mont Pedroso, on apercevait la nuit une lumire douce lgrement bleutre, et quand le ciel tait sans nuages, on voyait une toile d'un merveilleux clat au-dessus de ce mme lieu. Thodomir se rendit avec tout son clerg sur la colline, on fit des fouilles l'endroit indiqu, et on trouva dans un cercueil de marbre un corps parfaitement conserv que des indices certains rvlrent tre celui de l'aptre saint Jacques. On construisit naturellement une chapelle, les plerins afflurent, des maisons se construisirent autour de la chapelle, bientt l'agglomration put s'appeler ville, la chapelle fut transforme en cathdrale. L'vque d'Iria transporta son sige dans la nouvelle ville qui reut le nom de Santiago (S. Jacques) ou encore de Compostelle (campus stellae, champ de l'toile). Flamel, ayant en compagnie des autres plerins t admis baiser le manteau de Saint-Jacques, aprs avoir distribu des aumnes et ardemment pri, se remit en route. Il revenait par le mme chemin, lorsqu' Lon, il rencontra un marchand franais originaire de Boulogne, il fut mis par lui en relation avec un mdecin juif nomm matre Canches, qui demeurait alors Lon. C'tait un juif converti au christianisme, et fort savant en sciences sublimes c'est--dire Kabbaliste trs instruit. Lors de leur premire entrevue, le marchand de Boulogne, qui servait d'intermdiaire, expliqua matre Canches que Flamel avait lui demander son avis au sujet de certaines figures mystrieuses copies dans un livre trs

  • ancien. Flamel ayant donc exhib ses copies, matre Canches change subitement de visage, il rayonne, il exulte, c'est que ces figures sont tires de l'Asch Mezareph du rabbi Abraham, livre que les cabalistes croyaient jamais perdu. Dans sa joie il cherche communiquer directement avec Flamel, il lui demande en latin s'il a quelque nouvelle du manuscrit original, et Flamel lui rpond dans la mme langue qu'il a esprance d'en avoir de bonnes nouvelles si quelqu'un lui dchiffrait ces nigmes. Tout l'instant transport de grande ardeur et joie, il commena de m'en dchiffrer le commencement . Voil matre Canches et Flamel grands amis, l'un a trouv un manuscrit que l'on croyait perdu, l'autre tient enfin l'explication de ces figures qui l'embarrassaient tant. Quand Flamel et rvl qu'il possdait l'original, mais qu'il ne le montrerait qu' la condition qu'on lui expliqua tout, matre Canches n'hsita pas faire le voyage pour voir le prcieux manuscrit. Ayant peine pris le temps de mettre ordre ses affaires, il partit avec Flamel. Les deux compagnons se rendirent Oviedo et de l Sanson o ils prirent la mer pour revenir plus rapidement Notre voyage avait t assez heureux et dj depuis que nous tions entrs en ce royaume, il m'avait trs vritablement interprt la plupart de nos figures, o jusques mme aux points, il trouvait de grands mystres (ce que je trouvais fort merveilleux), quand arrivants Orlans, ce docte homme tomba extrmement malade, afflig de trs grands vomissements qui lui taient rests de ceux qu'il avait souffert sur la mer. Il craignait tellement que je le quittasse, qu'il ne se peut rien imaginer de semblable. Et bien que je fusse toujours ses cts, si m'appelait-il incessamment, enfin il mourut sur la fin du

  • septime jour de sa maladie dont je fus fort afflig; au mieux que je pus, je le fis enterrer en l'Eglise Sainte-Croix Orlans, o il repose encore. Dieu aie son me. Car il mourut en bon chrtien. Et certes, si je ne suis empch par la mort, je donnerai cette Eglise quelques rentes pour faire dire pour son me tous les jours quelques messes . Pauvre Canches! Flamel, attrist par la mort de son compagnon, se remit en chemin pour Paris. Son voyage avait pleinement russi, il connaissait maintenant le premier agent, la matire, le fourneau; quelques dtails lui taient encore inconnus, mais avec ce qu'il savait il pouvait ds lors oprer sans crainte d'errer misrablement. Aussi quelle fut la joie de Pernelle quand elle vit revenir son poux, bruni par le soleil d'Espagne, quelle joie surtout quand elle connut le rsultat du voyage. Qui voudra voir l'tat de mon arrive, dit Flamel, et la joie de Pernelle, qu'il nous contemple tous deux en cette ville de Paris sur la porte de la chapelle Saint Jacques de la Boucherie, du ct et tout auprs de ma maison, o nous sommes peints, moi rendant grces aux pieds de M. Saint Jacques de Galice et Pernelle ceux de M. Saint Jean, qu'elle avait si souvent invoqu. Flamel se remit courageusement au travail, il tait maintenant certain de trouver. Mais la matire premire tant assez longue prparer il dut passer encore de longs mois avant de voir sa persvrance rcompense. Il ne lui fallut pas moins de trois ans pour parvenir enfin au but tant dsir, ce qui ajout aux vingt et un ans dpenss en recherches avant son plerinage, reprsente vingt quatre annes d'un travail incessant. Il nous a rsum lui-mme sa manire de travailler et comment il parvint enfin prparer la Matire. Tant y a que par la grce

  • de Dieu et intercession de la bienheureuse et sainte Vierge et benots saint Jacques et Jean, je sus ce que je dsirais, c'est--dire les premiers principes, non toutefois leur premire prparation qui est une chose trs difficile sur toutes celles du monde. Mais je l'eus encore la fin aprs les longues erreurs de trois ans ou environ, durant lequel temps je ne fis qu'tudier et travailler, ainsi qu'on me peut voir hors de cette Arche, o j'ai mis des processions contre les deux piliers d'icelle, sous les pieds de Saint Jacques et Saint Jean, priant toujours Dieu le chapelet en main, lisant trs attentivement dans un livre et pesant les mots des Philosophes, et essayant puis aprs les diverses oprations que je m'imaginais par leurs seuls mots. Finalement je trouvai ce que je dsirais, ce que je reconnus aussitt par la senteur forte . La matire prpare, le reste du Grand-uvre est selon les philosophes un travail de femmes et un jeu d'enfants. Il n'y avait plus qu' chauffer la matire dans un matras de verre ou uf philosophique, renferm dans un fourneau spcial nomm Athanor; la matire passait alors par une srie de couleurs et de modifications dont la succession en un certain ordre prvu indiquait l'alchimiste qu'il tait dans la bonne voie (1). C'est ainsi que Flamel vit sa matire devenir grise, puis noire. Cette couleur noire tait appele par les philosophes: tte de corbeau. C'est la clef du grand-uvre et la premire des couleurs principales. 1. Voir: Thories et Symboles des alchimistes. Le grand uvre.

  • Puis un cercle blanc entoura la noirceur comme une aurole. Du cercle rayonnrent vers le centre des filaments blancs qui envahirent la masse jusqu' ce que toute trace de noir et disparu. Dans cet tat de blancheur parfaite, la matire porte le nom de petite pierre ou lixir blanc, elle change les mtaux en argent. En voyant apparatre cette couleur, Flamel n'alla pas plus loin pour cette fois, dans son impatience il ouvrit l'oeuf philosophique pour essayer son lixir. Donc, nous dit-il, la premire fois que je fis la projection, ce fut sur du Mercure, dont j'en convertis demi livre ou environ en pur argent, meilleur que celui de la minire, comme j'ai essay et fait essayer plusieurs fois. Ce fut le 17 janvier, un lundi environ midi, en ma maison, prsente Pernelle seule, l'an de la restitution de l'humain lignage mil trois cens quatre-vingt-deux ans. Sur ds lors d'tre dans la bonne voie, il reprit ce qui lui restait d'lixir blanc et le remit dans l'uf philosophique pour le parfaire et obtenir la grande pierre ou lixir rouge, la vritable pierre philosophale, celle qui transmue les mtaux en or. La matire passe par les couleurs de l'iris ou de l'arc-en-ciel, puis par le jaune orang, l'orang et enfin la couleur pourpre. Flamel prit alors la matire au rouge, et en ayant envelopp un fragment dans de la cire, il projeta le tout sur du mercure chauff dans un creuset, mais laissons-le dcrire lui-mme cette fameuse projection. Et puis aprs en suivant toujours mot mot mon livre, je la fis avec la pierre rouge sur semblable quantit de mercure, en prsence encore de Pernelle seule, en la mme maison, le vingt-cinquime jour d'avril de la mme anne, sur les cinq heures du soir, que je transmuai vritablement en quasi

  • autant de pur or, meilleur trs certainement que l'or commun, plus doux et plus ployable. Je le peux dire avec vrit. Voil donc Flamel parvenu au but de ses dsirs, il peut lire couramment le manuscrit d'Abraham Juif, il sait maintenant quelles oprations indiquent les mystrieuses figures, comment il faut s'y prendre pour parfaire le grand uvre et cela lui suffit. Un autre aurait produit des monceaux d'or pour se livrer sans frein toutes les extravagances d'une imagination en dlire, un autre aurait tonn le monde par son faste, faisant l'aumne aux rois, mettant par la puissance de l'or l'univers ses pieds, lui au contraire continue vivre modestement. Il mprise l'or, il a la science, c'est elle seule qu'il recherchait. Il se contente de savoir qu'il peut, mais il ne veut pas, la richesse lui est tellement indiffrente qu'il ne fit que trois fois la projection dans sa vie (outre les deux premires) ainsi qu'il nous l'affirme lui-mme, et Pernelle qui s'y entendait aussi bien que lui, ne le poussa jamais recommencer. Tous deux ne songent plus qu' leur salut, avec le produit de trois projections Flamel fait des dons aux glises et aux couvents; il dote les hpitaux, il secourt les pauvres. Cet homme d'lite comprend si bien que ce n'est pas la richesse qui fait le bonheur, qu'il ne lgue aucun bien celui de ses neveux qu'il a distingu pour sa bonne conduite, il lui lgue simplement la science, un manuscrit de sa propre main o il lui enseigne l'art divin de transmuer les mtaux. Ce qu'il faut retenir de tout ceci, c'est que Flamel n'a jamais souhait la richesse et que devenu adepte, il n'a us de la Pierre qu'avec discrtion. Encore n'employa-t-il cet argent qu' des

  • fondations pieuses. La prire le prvint des tentations, car c'tait un homme pieux, voici sa prire ordinaire qui se trouve en tte du Livre des figures hiroglyphiques: Lou soit ternellement le Seigneur mon Dieu, qui lve l'humble de la basse poudrire, et fait rjouir le cur de ceux qui esprent en lui, qui ouvre aux croyants avec grce les sources de sa bnignit et met sous leurs pieds les cercles mondains de toutes les flicits terriennes. En lui soit toujours notre esprance, en sa crainte notre flicit, en sa misricorde la gloire de la rparation de notre nature et en la prire notre sret inbranlable. Et toi, Dieu tout-puissant, comme ta bnignit a daign ouvrir en la terre devant moi, ton indigne serf, tous les trsors des richesses du monde, qu'il plaise ta grande clmence, lorsque je ne serai plus au nombre des vivants, de m'ouvrir encore les trsors des Cieux, et me laisser contempler ton divin visage, dont la Majest est un dlice innarrable, et dont le ravissement n'est jamais mont en cur d'homme vivant. Je te le demande par le Seigneur Jsus-Christ ton fils bien aim qui en l'unit du Saint-Esprit vit avec toi au sicle des sicles. Ainsi soit-il. Combien diffrente cette prire de celle que l'abb Villain a copie dans d'Hydrolitus Sophicus (Museum hermeticum) et qui est une prire d'un alchimiste quelconque, l'abb Villain n'affirme pourtant pas que cette prire soit de notre adepte: Flamel dit sans doute... dit-il. Mais aprs lui Collin de Plancy affirme gravement que cette prire est de Flamel, et Figuier aprs lui sans se donner la peine de vrifier, seulement Figuier enjolive la chose, la prire de l'Hydrolitus serait celle que Flamel faisait chaque jour pour obtenir du ciel

  • l'interprtation des figures d'Abraham Juif. Et ainsi l'on crit l'histoire.

  • CHAPITRE IV

    Flamel s'est-il occup d'alchimie. Les raisons de l'abb Villain. Celles de Salmon. Nos raisons. Le livre d'Abraham Juif. Flamel a t un alchimiste.

    Ayant montr Flamel alchimiste et adepte, nous allons examiner une grosse question: Flamel s'est-il rellement occup d'alchimie? C'est que la chose a t discute, d'autre part il n'est pas trop tard pour en parler, il valait mieux exposer d'abord les faits, quitte les examiner ensuite. Donc Vallet de Viriville regarde toute cette partie de l'histoire de Flamel comme une lgende, il ne va cependant pas aussi loin que l'abb Villain qui n'y voit qu'un roman fabriqu au XVIIe sicle par Arnauld de la Chevalerie. Figuier plus prudent ne se prononce pas. Les raisons de Vallet de Viriville tant renouveles de l'abb Villain, nous n'examinerons que celles de ce dernier. 1L'abb prtend que le livre des figures hiroglyphiques n'est pas l'uvre de Flamel, mais bien d'Arnauld de la Chevalerie (gentilhomme poitevin qui le fit imprimer pour la premire fois en le traduisant du latin), et cela parce que, dit-il: On n'a jamais vu l'original latin. Remarquez que: on, c'est lui, l'abb. Mais, rpondons-nous, a-t-on jamais vu l'original grec de l'Iliade ou l'original latin de l'Enide, et sans aller si loin, combien de chefs-d'uvre imprims au XVIIIe et au XIXe sicle et dont les manuscrits originaux n'existent plus. En posant comme loi le principe de Villain, combien d'ouvrages seraient apocryphes!

  • Passons! 2 Chose grave selon lui, la premire projection est date du 17 janvier 1382, la seconde du 25 avril de la mme anne dit Flamel. Or, l'anne commenant Pques, on tait depuis le 6 avril dans l'anne 1383. La fte de Pques tant mobile, pour viter la confusion, on indiquait dans les actes passs du 22 mars au 5 avril, s'ils avaient t rdigs avant ou aprs Pques. Constatons que ce systme prtait par consquent confusion et que Flamel aura pu se tromper. 3 Enfin, dit-il, le 17 de janvier 1382 tait un vendredi et Flamel dit un lundi, et sur ce l'abb triomphe. Mais Flamel travailla deux reprises au livre des figures hiroglyphiques, en 1399 et en 1413. Mettons qu'il ait rdig cette premire partie en 1399, la premire projection tait donc loigne de dix-sept ans! Ma foi, nous trouvons que Flamel pouvait fort bien ne pas se rappeler au juste quel jour de la semaine elle avait eu lieu et nous ne le chicanerons pas pour cela. Telles sont les raisons de l'abb Villain, nous y avons rpondu, le lecteur jugera. Au reste, l'abb avait une thse prconue et les petites raisons s'entassent sous sa plume perte de vue. Il ne russit qu' tre ennuyeux. Cependant nous prtendons ne pas abandonner la discussion sur ce point avant d'avoir dmontr premptoirement que Flamel s'est occup d'alchimie. Nous prouverons d'abord l'authenticit du livre des figures hiroglyphiques. Le mdecin Salmon qui a fait la prface de la Bibliothque des philosophes chimiques ( Paris, Laurent d'Houry, 1683) s'est occup de cette question, aussi ne ferons-nous que le rsumer. Premirement le nom de Flamel est plusieurs fois cit dans le livre des figures hiroglyphiques et chaque fois la premire personne du singulier: je ou moi

  • Flamel. Lorsqu'il y est dit qu'il fit la projection en 1382, en prsence de Pernelle, celle-ci tait encore vivante et lorsqu'il y est dit que ce livre a t achev en 1413 aprs la mort de Pernelle, elle tait alors dcde, comme il appert de nombreux actes des archives de Saint-Jacques-la-Boucherie. De plus, quel autre que Flamel eut pu donner une explication des figures du Charnier des Innocents, aussi claire au point de vue thologique, aussi bien adapte au sens alchimique. Enfin nul acte, nul fait, rien, absolument rien ne vient contredire ce qui est narr dans la premire partie du livre des figures hiroglyphiques. Ajoutons pour ne rien laisser derrire nous, que l'abb Villain trouve trange que Flamel quitte sa femme et son commerce pour aller en Espagne, et encore, dit-il, si cela et t fait par dvotion. Mais Flamel pouvait s'absenter fort bien, disons-nous, il laissait derrire lui l'intelligente Pernelle et son premier clerc. Flamel ne travaillait-il pas depuis vingt et un ans la recherche du grand-uvre, pour quelques mois de plus que lui dpensait le plerinage, il pouvait tre ngligent jusqu'au bout. Combien d'adeptes, Bernard Trvisan, Denys Zachaire, Cyliani n'ont russi que lorsqu'ils touchaient dj la ruine. Mais non, il n'y avait mme pas de ngligence de sa part, ses clercs faisaient tout l'ouvrage; de mme dans une fabrique ce n'est pas le patron qui fait le travail, mais bien les ouvriers, le patron n'est que la tte, et il est plus facile de trouver un contre-matre que de remplacer la fois tous les ouvriers. Le patron prend deux ou trois mois de vacances et la fabrique va tout aussi bien. Pernelle ne pouvait-elle suppler Flamel quelque temps, insister serait oiseux. Enfin pour ce qui est du but mme du voyage, nous avons vu combien

  • Flamel tait dvot, nous le constaterons encore mieux plus loin, et il avait deux raisons au lieu d'une pour faire son plerinage, d'abord par dvotion, ensuite pour s'aboucher avec quelque rabbin cabaliste. Tout ceci tant lucid, nous affirmons que Flamel s'est occup d'alchimie. Nous ne reparlerons pas ici du livre des figures hiroglyphiques, la question est juge, mais il existe et il a exist des manuscrits d'alchimie portant le titre de proprit de Flamel, l'un d'eux est mme crit entirement de sa main, ainsi qu'il appert par ces mots qui le terminent: le prsent livre est et appartient Nicolas Flamel, de la paroisse Saint-Jacques de la Boucherie, lequel il l'a crit et reli de sa propre main. C'est le livre des Laveures, catalogu 19978 (supplment franais) la Bibliothque nationale (voir pour plus de dtails le dernier chapitre 9 page 121). C'est le seul manuscrit d'alchimie ayant appartenu Flamel que nous connaissions actuellement. Divers auteurs du XVI, XVII et XVIIIe sicle parlent d'autres manuscrits qui ne nous sont point parvenus, dtruits ou simplement gars. Ainsi Moreri affirme que de son temps il existait un manuscrit d'alchimie d'Almasatus au roi de Carmasan, qui portait le titre de proprit de Flamel. Dom Pernety, auteur des Fables grecques et gyptiennes, a eu entre les mains un manuscrit autographe de Flamel. Il nous en a laiss la description. C'tait un trait d'alchimie crit dans les marges assez larges d'un Brviaire, il est adress un des neveux de Flamel et commence ainsi: Je, Nicolas Flamel, crivain de Paris, cette prsente anne, MCCCCXIII, du rgne de notre

  • prince bnin Charles VI lequel Dieu veuille bnir, etc... Enfin au XVIIe sicle on voyait dans la bibliothque de M. de la Richardire un manuscrit de Flamel commenant ainsi: Je te veux premirement montrer la nature de tous mtaux.... Et la mme poque Franois de Gerzan, sieur du Soucy, qui possdait alors le livre des lavres, avait encore un autre manuscrit de Flamel. Il y a un point sur lequel l'abb Villain a gliss, c'est sur la question du Livre d'Abraham Juif. Redoutant de trouver la vrit et de dtruire ainsi sa propre thse, il ne s'est livr de ce ct aucune investigation. Eh bien! nous allons prouver que ce livre a exist. Dans Borel nous lisons ceci propos du manuscrit d'Abraham. Mais j'ai pourtant ou assurer un gentilhomme de Rouergue, appel De Cabrires, se tenant en son chteau de Cabrires, prs de Millau, o je fus exprs pour voir ce manuscrit (1), qu'il avait vu l'original de ce livre, que feu M. le cardinal de Richelieu avait recouvr peu de temps avant sa mort, et qu'un grand seigneur de Rouergue, familier avec ceux qui manirent ses papiers, l'avait emport de son cabinet. Nous voici donc renseigns, du temps de Louis XIII, le manuscrit d'Abraham existait encore; il est probable qu'il fut copi plusieurs fois et nous ne dsesprons pas de trouver un jour ou l'autre une de ces copies. 1. Une copie du livre d'Abraham Juif.

  • M. Delaulnaye, l'article Flamel, dans le Dictionnaire biographique de MM. Michaud, dit en parlant du livre d'Abraham: L'auteur de cet article possde une copie trs prcieuse des figures du couvercle, faite par Flamel lui-mme. Elle prsente deux carrs parfaits. On y remarque des hiroglyphes gyptiens qui ont quelque rapport avec ceux de la table Isiaque, l'emblme des trois mains runies dont une est noire; celui du boeuf et de deux anges prosterns devant une croix, et beaucoup de caractres hbraques, thiopiens, arabes, grecs, cabalistiques parfaitement excuts . Nous arrterons ici ce chapitre, ce qu'il nous fallait pour la suite c'tait une base solide et inbranlable, car partir de maintenant les preuves vont s'accumuler tellement qu'il faudrait y mettre de la mauvaise volont pour ne pas voir la vrit. Nous n'avons discut si longuement que parce que cela tait indispensable, aussi maintenant pouvons-nous continuer, nous avons tabli trois points importants: Le livre d'Abraham Juif a exist, Flamel s'est occup d'alchimie, Flamel a crit des traits hermtiques, notamment le livre des figures.

  • CHAPITRE V

    Flamel reconstitue sa fortune. Don mutuel. Edification d'une arcade au Charnier des Innocents. Le petit portail de S. Jacques de la Boucherie. La Croix d'or hermtique. Mort et testament de Pernelle. Son mausole.

    Flamel tant parvenu prparer la Pierre philosophale, n'avait plus rien dsirer. Nous avons vu qu'il ne cherchait que la science, maintenant il la possde, peu lui importe le reste. Sa passion pour l'alchimie est tellement modre par sa pit qu'il ne fit que trois fois la transmutation dans sa vie, outre les deux premires qui n'taient que de simples essais, et encore, l'or obtenu sera employ en fondations pieuses, peine si Flamel placera des rentes sur quelques maisons pour pouvoir vivre son aise le restant de ses jours sans tre oblig de recourir de nouvelles transmutations. Car sa fortune avait t fortement branle par ses recherches hermtiques, les produits ncessaires s'extrayant de l'or et de l'argent (voir: Thories et Symboles des Alchimistes) comme d'autre part on perdait toujours en essayant de rgnrer les mtaux employs dans les manipulations, si nous ajoutons ces dpenses fondamentales l'achat des manuscrits, des appareils de verre, du combustible, des fourneaux, etc, on comprendra que de telles dpenses, continues pendant vingt-quatre ans, avaient d endommager la fortune de Flamel. Aussi s'tant mari sous le rgime dotal et sa fortune personnelle tant prs d'tre puise, il s'tait adress Pernelle, et celle-ci par

  • amour pour lui, confiante dans le succs de ses recherches, voulut bien mettre ses biens en commun avec ceux de son mari, mesure dont Flamel seul profitait. Cet acte est dat du 7 avril 1372 avant Pques. Il est rapport tout au long dans l'Histoire de l'abb Villain, accompagn de beaucoup d'autres dont le texte nous intresse gnralement fort peu. Il nous suffit de savoir que l'acte a eu lieu, et le lecteur reste froid devant cette kyrielle d'actes par devant notaire, crits en quelle langue! L'abb n'en a pas moins cru devoir en remplir cent pages de petit texte. C'est en vrit fort rjouissant. Ce don mutuel fut renouvel le 10 septembre 1386. Une clause de ce renouvellement nous intresse, en ce qu'elle montre combien tait grande la pit des deux poux: Et outre ce, voulurent, ordonnrent et accordrent les dits maris, l'un l'autre, que le dit survivant dernier mourant (1), puisse donner, aumner et distribuer, sain ou enferme (2), par son testament ou autrement en son vivant comme il lui plaira, toute la partie et portion du dit premier mourant, de tous les dits biens meubles et conquts immeubles telles personnes, Religieux, Eglises, pauvres et misrables personnes, conjointement ou en part, ou convertir faire clbrer messes, ou autres aumnes pitoyables comme bon semblera au dit survivant et en sa conscience seulement . 1. Mourant. 2. Malade, du latin infirmus.

  • Cet acte fut de nouveau recommenc en 1388 peu prs dans les mmes termes. Dans ces deux derniers actes, c'est Pernelle qui bnficie son tour de la nouvelle fortune de son mari et ce n'tait que justice. Nous avons dit plus haut l'emploi que notre alchimiste fit de l'or philosophal. Un certain nombre de ces fondations peut s'tiqueter de dates certaines, les autres non; nous nous occuperons d'abord des premires. Donc en 1389 Flamel fit lever une arcade au Charnier des Saints Innocents. Cette arcade se dressait sur la faade du Charnier, voisine de la rue de la Lingerie, elle tait marque de l'N et de l'F, initiales que nous retrouverons dans toutes les autres fondations. Flamel y avait fait peindre (1) un homme tout noir tendant un bras vers une seconde arcade qu'il fit difier plus tard et charger d'hiroglyphes. De l'autre main il tenait un rouleau sur lequel on lisait je vois merveille dont moult je m'bahis. De plus sur la mme arcade en face de l'homme noir, tait une plaque dore sur laquelle on voyait une clipse du Soleil et de la Lune et une autre plante caractrise par le signe de Vnus ou plutt de Mercure. Il y avait d'autres plaques au-dessous de celle-l, une entre autres reprsentant un cusson partag en quatre par une croix, celle-ci porte au milieu une couronne d'pines renfermant en son centre un coeur saignant d'o s'lve un roseau. 1. Ce devait tre alors l'habitude de faire peindre ou sculpter les arcades du Charnier, car Guillebert de Metz en parlant du charnier des Innocents, dit: Illec sont peintures notables de la danse macabre et autres, avec critures pour mouvoir les gens la dvotion.

  • Dans un des quartiers on voit IEVE en caractres hbraques au milieu d'une foule de rayons lumineux au-dessous d'un nuage noir; dans le second quartier une nue sur laquelle on voit une trompette, une lance, une palme et une couronne; dans le troisime la terre est charge d'une ample moisson et le quatrime est occup par des globes de feu. On trouve cet cusson figur la fin de l'Harmonie chimique de Lagneau. Flamel semble avoir imit cet cusson d'un autre attribu Saint-Thomas d'Aquin. Quant aux autres plaques nous ne savons ce qui s'y trouvait reprsent; les alchimistes qui visitaient les diffrents endroits illustrs par Flamel faisaient un peu comme les anglais de nos jours, chacun emportait un morceau, un souvenir conserv prcieusement comme une relique, jusqu' ce qu'un plus hardi vint qui enlevt le reste. C'est ainsi que du temps de Borel il existait cette arcade quatre plaques, trois du temps de Gohorry et plus du tout au XVIIIe sicle. Nous retrouverons ces mutilations, signes d'un culte excessif, dans toutes les autres fondations de Flamel. Du temps de l'abb Villain on ne voyait plus sur cette arcade que l'N et l'F et ces vers mutils ou effacs par le temps.

    Hlas mourir convient Sans remde homme et femme. ..... nous en souvienne Hlas mourir convient Le corps ... Demain peut-tre damns. A faute ... Mourir convient Sans remde homme et femme.

  • Aprs ces vers on pouvait encore lire ce fragment d'inscription ... donn pour l'amour de Dieu, l'an 1389. Veuillez prier pour les trpasss en disant Pater noster. Ave. . En 1761 cette arcade fut reconstruite en partie et ces diffrentes inscriptions disparurent. Cette mme anne 1389 Flamel fit lever ses frais le petit portail de Saint Jacques la Boucherie qui tait vis--vis la rue de Marivaux en face sa propre maison. Il tait reprsent au-dessus de cette porte avec Pernelle. La Sainte Vierge est entre eux deux, l'aptre Saint-Jacques est figur ct de Flamel et Saint-Jean Baptiste ct de Pernelle. D'un ct se trouvait cette inscription: Ave maria soit dit l'entre et de l'autre ct: la Vierge Marie soit ici salue . Au jambage occidental du portail, dit l'abb Villain dans son Essai d'une histoire de la paroisse Saint-Jacques la Boucherie, on voit un petit ange en sculpture qui tient en ses mains un cercle de pierre, Flamel y avait fait enclaver un rond de marbre noir, avec un filet d'or fin en forme de croix, que les personnes pieuses baisaient en entrant dans l'glise . Je tiens ce petit fait, ajoute-t-il en note, d'un ecclsiastique mort fort g n sur la paroisse, qui avait bais cette croix tant tout jeune . Ce fut donc dans la seconde moiti du dix-septime sicle qu'un larron ou plus probablement un alchimiste enleva le marbre et le filet d'or, on voyait distinctement la trace des coups de ciseau du temps de l'abb Villain. Au-dessous de l'ange subsistaient ces mots: Memento pretiosae crucis Domini nostri .

  • EGLISE SAINT-JACQUES-LA-BOUCHERIE.

    A propos du portail de l'glise Saint-Jacques, il faut remarquer que Flamel, dans le Livre des figures hiroglyphiques, dit y tre figur en plerin, tous les autres auteurs, Gohorry, Borel, Sauval, Pernety, qui ont vu le monument, confirment la chose, seul l'abb Villain prtend que Flamel n'a jamais t nulle part reprsent en plerin, mais ce pauvre abb n'a vraiment pas de chance dans ses affirmations intresses, en tte de son ouvrage, page 1, s'tale resplendissante une reproduction de la partie suprieure du petit portail de Saint-Jacques la Boucherie, et s'il est assez difficile de dire d'aprs cette gravure si Flamel est ou n'est pas vtu en plerin, en revanche il est facile de voir de chaque ct de la Vierge qui occupe le milieu de la figure, une coquille de Saint-Jacques, de plus l'aptre Saint-Jacques qui est ct de Flamel tient en mains le bton de plerin orn du bourdon. Entre cette anne 1389 et la mort de Pernelle, notre alchimiste fit encore travailler aux glises Saint-Cosme et Saint-Martin des Champs; mais nous n'avons que des dtails assez vagues sur ces fondations. Nous savons seulement d'aprs Borel que selon son habitude Flamel s'y tait fait reprsenter en plerin. Mais pour en revenir Saint-Jacques la Boucherie, outre le portail de la rue de Marivaux qu'il avait fait lever ses frais, Flamel fit d'autres dons cette glise de son vivant. Dans les comptes de la fabrique on trouve mentionn .... un tableau d'imagerie d'une pit de N.-S. que l'on met aux ftes sur le grand autel, que donna Nicolas Flamel . Plus loin il est parl d'un diptyque. Item un tableau ployant une passion d'un ct, et

  • une rsurrection d'autre ct, et l'a donn de nouvel Nicolas Flamel, et tait sur le grand autel , (Inventaires des objets prcieux de l'Eglise, de 1404 1412). La chapelle de Saint-Clment, une des latrales de Saint-Jacques, fut particulirement favorise. Faut-il en chercher la raison dans ce que les choppes de Flamel taient adosses aux murs de cette chapelle. Il y avait fait d'assez fortes dpenses, il l'avait fait orner de boiseries, de sculptures: tous les accessoires taient dus ses libralits, aussi cette chapelle tait considre comme fondation de Flamel, ainsi qu'il appert des comptes de la fabrique de Saint-Jacques (1436-1432). Au coffre de la chapelle Saint-Clyment Nicolas Flamel on trouve un calice avec la patne d'argent dor, etc... Item un vtement de drap de soie noire doubl d'azur o est crit N. F. en la chasuble, etc. Cette chapelle, avec tous les accessoires du culte qui l'accompagnaient, doit tre mise entirement au compte de Flamel; une autre preuve c'est que les desservants de l'glise finissaient par regarder cette chapelle comme celle de N. Flamel, ainsi on lit au mme compte: A Jehan Franois la somme de 8 sols qui due lui tait pour avoir fait refaire un quartier du couvelesque qui couvre la table de la chapelle de feu Nicolas Flamel. Notre crivain vivait assez tranquille avec sa femme, rpandant des bienfaits autour de lui; adepte, il possdait la science dans son intgrit, n'ayant plus rien dsirer de ce ct, il ne pensait qu' son salut, il soulageait les pauvres et enrichissait les glises: austre pratiquant, il s'tait fait recevoir dans plusieurs confrries (neuf en tout) dont les noms se retrouvent dans son testament.

  • Nous avons vu plus haut que par un acte de 1388 un don mutuel mettait en commun les biens des deux poux, le dernier survivant profiterait de la fortune totale. Cet acte fut ratifi le samedi 5 aot 1396, ce qui indigna fort Isabelle la soeur de Pernelle et ses fils; si Flamel succombait le premier, il n'y aurait eu que demi-mal, mais malheureusement Pernelle plus ge que Flamel (elle devait avoir alors prs de soixante-quinze ans) semblait devoir trpasser la premire. Aussi soeur, beau-frre et neveux firent-ils tout ce qu'ils purent pour circonvenir Pernelle. Ils y russirent car elle fit un testament le 25 du mois d'aot 1397 o elle les avantage. Cependant il avait fallu que l'obsession ft forte pour l'amener l, aussi ses parents dsormais tranquilles s'tant loigns, Pernelle fit aussitt un retour sur elle-mme, elle eut honte de sa faiblesse et par un nouvel acte du 4 septembre 1397 elle fit par devant notaire et dans les formes requises un codicille o elle institue Flamel au nombre de ses excuteurs testamentaires, ne donne sa sur Isabelle que 300 livres tournois une fois payes et remet le reste comme il est mentionn dans l'acte de 1396. Pernelle avait rellement senti sa fin prochaine, car elle mourut sept jours aprs, le 11 septembre 1397. Flamel la fit enterrer aux Innocents, sur sa tombe il leva plus tard (en 1407) une pyramide o se lisaient les vers suivants.

    Les pauvres mes trpasses Qui de leurs hoirs sont oublies Requirent des passants par ci Qu'ils prient Dieu que merci Veuille avoir d'elles et leur fasse Pardon et vous donne sa grce

  • L'glise et les lieux de cans Sont Paris bien moult sants

    Car toute pauvre crature Y est reue spulture Et qui bien y sera, soit mis En Paradis, et ses amis. Qui cans vient dvotement Tous les lundis ou autrement Et de son pouvoir y fait dons Indulgences et pardons Ecrits cans en plusieurs tables Moult ncessaires et profitables. Nul ne sait que tels pardons vaillent Qui durent quand d'autres bons faillent. De mon paradis pour mes bons amis Descendu jadis pour tre en croix mis.

    Dans le testament de Pernelle que nous a conserv l'abb Villain, il y a des choses bien intressantes que nous donnerons titre de curiosit. Elle rgle elle-mme les dtails de la crmonie funraire: Item elle voulut et ordonna son luminaire tre fait le jour de son obsque de trente deux livres de cire. Item: elle voulut et ordonna quatre livres seize sols parisis tre donns et convertis au profit du dner qui sera fait le jour de son obsque.... Item: elle voulut et ordonna le jour de son trpassement la somme de huit livres tournois tre donne et aumne pour Dieu plusieurs pauvres gens par les dits excuteurs. Ayant distribu par son testament certaines sommes aux glises, confrries et pauvres, elle passe ses parents, amis et connaissances. Nous y trouvons une feue Pernelle Dehanigues avec son mari feu Clment Dehanigues (les parents de son premier mari) pour

  • lesquels elle ordonne de dire douze messes de requiem. Nous y voyons aussi un Guillaume de Laigny son cousin et feu Raoul Lethas, son second mari. Voici encore une clause curieuse: Item voulut et ordonna un voyage tre fait une fois par un homme, plerin de pied, Notre-Dame de Boulogne-sur-la-mer; auquel plerin pour ce faire, elle voulut quatre livres tournois tre bailles et payes par les dits excuteurs, lequel plerin fera chanter et dire en l'glise Notre- Dame au dit lieu deux messes, c'est savoir, l'une du Saint-Esprit, et l'autre de Notre-Dame, et offrira un cierge de cire pesant douze livres et si payera pour chacune messe deux sols parisis. Elle passe ensuite aux commensaux des glises qu'elle frquentait Item. A Martin qui a accoutum de donner l'eau benote en l'glise Saint-Jacques, cinq sols tournois. Aux cinq pauvres qui demandent l'aumne au portail de Saint-Jacques, elle laisse chacun deux sols, six deniers tournois; puis elle distribue sa garde-robe et ce n'est pas la partie la moins intressante. Ainsi elle laisse Jehannette la Paquote: Une cote vermeille de marbre et un chaperon, que elle mettait chacun jour... Item. Cinq siens courss fourrs de blanc cinq pauvres personnes... Item Jehannette Lalarge, son meilleur chaperon... Item Jehannette la Flaminge, chandelire de cire, vendent Saint-Jacques, son autre chaperon de violet... A Mengin jeune clerc, son varlet, elle donne une livre, cinq sols tournois, et Gautier son autre varlet une livre tournois. Son codicille change peu de chose au testament, elle y donne 300 livres sa soeur Isabelle, le reste Flamel, sauf

  • les quelques dpenses mentionnes dans son testament, soit 4 livres, 80 sols parisis, et 351 livres, 297 sols, 98 deniers tournois.

  • CHAPITRE VI

    Diffrents de Flamel avec la famille de sa femme. Visite de Cramoisi. Edification du portail de Sainte Genevive des ardents. Achats de diverses maisons. La maison hospitalire de la rue Montmorency. Edification d'une seconde arche aux Innocents. Explication de ses sculptures. La chapelle Saint-Gervais. Il travaille ses traits. Mort de Flamel.

    La mort de Pernelle avait profondment touch Flamel, avoir espr, souffert, pri ensemble, toujours parfaitement unis pendant prs d'un demi-sicle. La douleur tait d'autant plus poignante que les deux poux s'aimaient plutt crbralement. Flamel avait pass vingt-quatre ans de sa vie dans des recherches continuelles, lisant, dchiffrant, commentant, l'esprit toujours en mouvement, n'ayant qu'un sujet de pense, absorb incessamment par ses calculs ou ses hypothses, puis quand il croyait avoir trouv quelque chose, il essayait et c'taient alors les nuits et les jours passs dans des manipulations souvent dangereuses, demandant un contrle incessant, quand la fatigue l'abattait sa femme prenait sa place. Dans de pareilles conditions, il y avait peu de place pour Eros, les hommes d'tude font gnralement de mdiocres mles. Aussi l'amour des deux poux tait-il d'autant plus pur et tendait vers l'union parfaite de Platon. Il est croire que Flamel aurait suivi de prs Pernelle, si de nombreuses affaires ne l'avaient empch de se livrer tout entier

  • son chagrin. Perrier et Isabelle, son beau-frre et sa belle-soeur qui ne souponnaient point l'existence du codicille, furent fort tonns d'apprendre que le testament tait annul spcialement leur endroit par le dit codicille et qu'ils devraient se contenter d'une somme de trois cents livres une fois paye. Aussitt leur mcontentement clata, il n'y eut misres qu'ils n'essayrent de susciter, grce eux il fut impossible de se reconnatre dans l'inventaire des biens de la dfunte, ils firent mme, avant la fin du dit inventaire, saisir la succession par un huissier du parlement. Dignes parents! il y avait peine huit jours que Pernelle tait morte! Si l'on juge de leur caractre par ce dernier trait, on comprend parfaitement que Flamel, malgr la douceur de son caractre, ait t entran tout une srie de procs. Les excuteurs testamentaires et Flamel portrent le diffrent au Parlement, au Chtelet, aux Requtes du palais. L'abb Villain donne de grands dtails sur cette affaire, on pourra s'y reporter. Le procs intent par Perrier son beau-frre n'tait pas pour les rapprocher, aussi malgr que le cur de Saint-Jacques, Hervey Roussel les ait rconcilis, les bonnes paroles prononces de part et d'autre furent plus sur les lvres que dans le cur. Isabelle et Perrier dlaissrent leur beau-frre, et il n'est plus question d'eux dans le reste de cette histoire. Un seul de leurs trois fils fut distingu par Flamel qui lui laissa un manuscrit d'alchimie de sa propre main, don prcieux entre tous. Quoiqu'il en soit, ces procs, ces chicanes avaient opr une heureuse rvulsion, en ce sens que Flamel fut dtourn de son chagrin. L'angoisse des premiers moments se changea en un souvenir vivace, mlange de regrets et d'esprance. Ce qu'il dit de

  • la chre dfunte dans le livre des figures lui sera comme loge funbre .... mais la bont du trs grand Dieu ne m'avait pas combl de cette seule bndiction que de me donner une femme chaste et sage, elle tait d'abondant non seulement capable de raison, mais aussi de parfaire ce qui tait raisonnable, et plus discrte et secrte que le commun des autres femmes. Surtout elle tait fort dvotieuse.... Rest seul, Flamel ne va plus avoir que deux mobiles, assurer son salut par de bonnes uvres, faire passer sa mmoire la postrit par des monuments ou des ouvrages symboliques pouvant en mme temps guider les alchimistes ses frres dans leurs recherches. Ds l'anne 1399 nous le voyons, ainsi qu'il le dit expressment, travailler son livre des figures hiroglyphiques; il tait alors tranquille, les affaires relatives la succession de Pernelle taient termines; mais en cette anne 1399, il n'crivit que la premire partie de ce trait, ce qui semble peu, mais il faut remarquer que les huit-pages in-quarto d'imprimerie du livre des figures qui correspondent cette premire partie et qui demanderaient peine quelques heures pour tre copies en criture cursive, demandaient plusieurs semaines, plusieurs mois mme alors qu'on crivait en gothique. Si nous prenons pour exemple le livre des Lavures, crit de la propre main de Flamel, on verra que toutes les lettres sont peu prs d'gale dimension, de plus de nombreuses lettres ornes se trouvent au commencement des chapitres, un manuscrit de ce temps reprsentait une somme norme de travail, quand il tait crit en lettres moules. Enfin c'tait l un ouvrage original et non une copie. Aussi Flamel peut fort bien n'avoir crit que cette

  • premire partie en l'an 1399. Il fut forc d'abandonner son travail momentanment, par suite de diverses circonstances qui nous sont inconnues. Peu de temps aprs la mort de Pernelle, le Roi de France ayant besoin d'argent, leva un impt extraordinaire, tous les bourgeois de Paris furent taxs selon leur importance. Flamel, qui passait dj pour fort riche, fut dclar taillable pour la somme de cent francs, ce qui est considrable pour l'poque. Nanmoins il s'excuta de bonne grce. Deux ou trois ans aprs, les finances tant de nouveau trs bas, on eut recours au mme systme et Flamel fut tax de 30 francs. Mais cette fois-ci il commena s'inquiter et tout porte croire qu'il rclama, ayant tout intrt se donner pour plus pauvre qu'il tait rellement. Il se rclama de sa fonction de libraire jur de l'Universit, prtendant qu'en cette qualit il n'tait pas taillable. Ce dbat dut faire quelque bruit, car le roi Charles VI voulant savoir quoi s'en tenir propos de ces bruits qui couraient sur Flamel, chargea Cramoisi, matre des requtes, de s'enqurir ce sujet. L'crivain aprs avoir bien pes Cramoisi, l'ayant trouv discret, lui avoua qu'il possdait le secret de la pierre philosophale, et pour acheter son silence, il lui donna un matras plein de poudre de projection... Cramoisi fit sans doute un rapport favorable, car depuis, Flamel ne fut jamais inquit. On conserva longtemps le matras comme une relique dans la famille du matre des requtes, rapporte Borel, de qui nous tenons cette histoire. Cette visite eut lieu environ l'an 1400. Certain d'tre dsormais tranquille Flamel put se livrer tout entier ses bonnes uvres et surtout son amour des constructions pieuses. En 1402, comme on reconstruisait le

  • portail de Sainte Genevive des Ardents, Flamel voulut y contribuer pour une large part. Ce portail, dit l'abb Villain, fut construit des aumnes de plusieurs ainsi qu'on le voit par une inscription place au-dessus; c'est trs bien, seulement nous ferons observer que pour avoir obtenu la permission d'y faire sculpter son image et diverses inscriptions de sa faon, il fallait que notre alchimiste et fait plus que les autres donateurs. Le portrait de Flamel qui est plac en tte de l'ouvrage est fait d'aprs de celui qui se trouve dans l'histoire critique de Nicolas Flamel et de Pernelle sa femme, et qui avait t grav justement d'aprs la statue de Flamel place dans une niche ct du portail de Sainte Genevive des Ardents. Il y est reprsent vtu d'une robe longue capuchon, au ct pendent les insignes de son art. Quant aux inscriptions, nous laisserons sur ce point la parole l'abb Villain: Nous avons vu, dit-il dans son Essai sur Saint-Jacques la Boucherie, au portail de Sainte Genevive des Ardents, une croix grave sur une pierre auprs de laquelle on lisait ces paroles qu'il parat que Flamel y avait fait crire.

    De Dieu notre Sauveur Et de sa digne croix Soit mmoire au pcheur Chacun jour plusieurs fois

    Nous n'avons pas de documents prcis permettant d'tablir ce que fit Flamel dans les annes qui suivirent; en 1406 seulement nous le voyons acheter une maison rue de Montmorency, plus deux curies et un terrain vague qui sparait ces acquisitions

  • d'une maison sise au coin de la rue. Ce quartier faisait alors partie des faubourgs de Paris et venait d'tre compris dans la nouvelle enceinte. Comme il voulait faire btir sur ce terrain, il dut s'entendre avec les moines de Saint-Martin, seigneurs de cette partie du faubourg, ceux-ci ne firent au reste aucune difficult, Flamel leur ayant assur qu'il voulait btir une sorte d'asile pour de pauvres mnages. Ils spcifirent seulement dans l'acte qu'on ne btirait ni glise ni chapelle, les bons moines redoutaient la concurrence pour leur glise Saint Martin des Champs. Flamel, en reconnaissance de leurs bons procds, fait leur prieur une rente perptuelle de 10 sols parisis, plus une somme de 10 autres sols percevoir chaque fois qu'il y aurait un changement de prieur. Libre alors, notre alchimiste fit construire une maison qui fut appele la maison du Grand Pignon. Elle avait deux tages et un grenier, et portait au fronton du rez-de-chausse une srie de sculptures figurant onze personnages. On y voyait de plus le portrait de Flamel grav au-dessus du linteau de l'une des portes. Cette maison existait encore en 1852, c'tait la troisime droite en entrant par la rue Saint Martin. M. Auguste Bernard nous en laisse la description; elle occupait le 51 de la rue de Montmorency, le pignon dtruit au XVIIIe sicle avait t remplac par un troisime tage. Au-dessous des figures dont nous parlions tout l'heure, M. Bernard a relev l'inscription suivante, en caractres gothiques de 6 centimtres de haut, et 10 pour