utopies1 - le siècle de jack

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Ce premier opus, Le Siècle de Jack, vous propose d'explorer la seconde moitié du XIXième siècle sur laquelle plane l'ombre de Jack l'Eventreur...

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EEditodito Ce présent numéro, gratuit, télé-chargeable et diffusable à loisir est le premier opus d’un Ezine dédié aux Mondes Imaginaires en géné-ral et à la Bd en particulier. Chaque numéro sera consacré à un thème, le premier étant la Belle Epoque et l’Ere Victorienne… En espérant qu’il sera pour vous une porte ouverte vers l’imaginaire sous toutes ses formes... Il est ouvert à tous et à toutes, ré-dacteurs, comme illustrateurs. Si vous voulez rejoindre notre pe-tite équipe, n’hésitez pas à nous contacter! Cordialement Le Korrigan Coordinateur de l’Ezine [email protected]

ucune carte

du monde

n'est digne

d'un regard si

le pays de l'utopie

n'y

figure pas.

Oscar Wilde

RRédacteursédacteurs Daniel Dugourd, Nathalie Grabarek, Laurent Nogatchewsky, Olivier Legrand, Frédéric, Thibaut Hair, Vincent, Thibaut Brix, Emily Tibbatts,, Laurent Ehrhardt, Le Bouffon, JmDbab, Lestat, Retam, Société Sherlock Holmes de France, Marie Castanet, Mériaux, Steinz, Nerhu, Laureline, Marc Laumonier

IIllustrateursllustrateurs Swan, Christian le Sourd, Jeff,

L'ensemble des images présentes L'ensemble des images présentes L'ensemble des images présentes L'ensemble des images présentes sur dans cet Ezinesur dans cet Ezinesur dans cet Ezinesur dans cet Ezine sont Copyright de leurs éditeurs et auteurs respectifs.sont Copyright de leurs éditeurs et auteurs respectifs.sont Copyright de leurs éditeurs et auteurs respectifs.sont Copyright de leurs éditeurs et auteurs respectifs.

SSites ites PPartenairesartenaires http://chrysopee.net http://www.malefices.com http://www.citecinema.com http://www.fredericviron.com http://www.bdselection.com www.hplovecraft-fr.com www.tueursenserie.org www.krinein.com http://www.sshf.com http://www.bullebizarre.com/ http://perso.wanadoo.fr/bakerstreet/ http://artbookswan.free.fr/

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SommaireSommaire HHistoire La Belle Epoque 2 La Commune 7 Histoire du Cinéma 10 DDossier SSteampunk Le Steampunk 14 Jules Verne 17 Château Falkenstein 20 L’Ere de la Vapeur en BD 22 Entretien avec Fred Duval 24 FFigures Les Maîtres de l’Etrange 30 Jack l’Eventreur 33 Jack the Ripper Le jeu de société… 51 Dracula De Bram Stoker 57 Dracula, le jeu de société 59 Sherlock Holmes 61 Entretien avec Pierre Veys 71 Baker Street, le jeu de société 76 Docteur Jekyll & de Mister Hyde 77 Dr. Jekyll & Mr. Hyde Le jeu de société 78 Le Portrait de Dorian Gray 79 ZZoom Fog dans les brumes de Londres 84 Entretien avec Roger Seiter 86 Entretien avec Virginie Cady 90 Critiques 98 Le Fantastique 109 Les Jeux de société 111 BBD Frankenstein 3D 80 BD : le Galurin 105 NNouvelles Valdes (Nouvelle) 52

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UUne bien belle époque...ne bien belle époque...

B elle Époque... D'où vient cette désignation inattendue ? Elle apparut dans l'immédiat après-guerre pour désigner le temps « d'avant », d'avant l'hor-reur, le temps d'avant les incertitudes et les détresses, un temps où l'avène-ment de la République, la prospérité économique, l'espoir que la science et

le progrès promettaient un âge d'or. De fait, il est depuis habituel de définir la Belle Époque comme étant la période de prospérité générale en France entre 1900 et 1914. Certes, les historiens ne s'entendent pas forcément sur la date marquant le début de cette période de notre histoire nationale. Mais en fait, peu importe pour notre propos. Concen-trer notre attention, dans les lignes qui suivent, sur la première décennie du XXème siè-cle, ce serait s'interdire de comprendre un bon nombre de caractères de la Belle Époque. C'est d'autant plus nécessaire que les personnages de Maléfices sont, la plupart du temps, nés dans les premières années de la IIIème République, voire sous le second Empire, et ont connu ces heures d'incertitudes et d'âpres combats. Ainsi, il faut rappeler la longue lutte pour instaurer la République : dans les années 1900, un républicain se souvenait en-core de la crise du 16 mai 1877 et savait, si besoin était, la rappeler à la mémoire d'un clérical.

Loin de prétendre rempla-cer la présentation propo-sée par Michel Gaudo dans les règles de Maléfices, cet article est complémen-taire : il essaie cependant d'aller plus loin que la sim-ple présentation des événe-ments, ce qui le rendra peut-être moins abordable pour ceux qui ne sont pas férus d'Histoire. Rassurez-vous, nous ne pourrons toutefois pas entrer dans les détails d'une histoire aussi complexe que tumul-tueuse en quelques pages. La plupart du temps, nous nous limiterons à l'évoca-tion. Ces lignes n'ont pas,

La Belle EpoqueLa Belle Epoque

Par Daniel Dugourd [http://www.malefices.com.]

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ne peuvent avoir la prétention d'aller au-delà de l'initiation à l'usage du néophyte. Elles essaieront plus modestement, en revanche, d'apporter un éclairage particulier sur certains éléments fondamen-taux qu'une présentation chronologique atténuerait. En définitive, nous souhaitons alimenter une réflexion sur cette période passionnante et lancer, par des conseils bibliographiques, des pistes sur lesquelles les joueurs de Maléfices, et plus particulière-ment les meneurs de jeu, tireraient de grands bienfaits à s'engager.

Une belle époque?Une belle époque?

L a Belle Époque marque la fin d'un long XIXème siècle d'incertitudes : entre le Consulat et l'avènement de la IIIème République, pas moins de cinq régimes se sont succédés. Sans parler des guerres napoléoniennes, la France s'était retrouvée engagée dans plusieurs conflits : la conquête de l'Algérie en 1830, la guerre de Crimée en 1854-1855, la campa-

gne d'Italie en 1859 contre l'Empire austro-hongrois et la calamiteuse guerre de 1870 contre la Prusse. ��������Le lourd héritage du XIXème siècle finissant Après la défaite de 1870, Bismarck avait imposé, outre la reconnaissance du IIème Reich allemand et l'annexion par le jeune empire de l'Alsace-Lorraine, le paiement d'une très lourde indemnité de guerre. Le chancelier voulait mettre la France à genoux. Ce fut un échec : l'économie française se révéla capable de payer rapidement le lourd tribut exigé par les vainqueurs. Mais elle n'a pu résister à la récession des années 1890. Après des années marquées par le triomphe des idées libérales et saint-simoniennes, la France est alors contrainte à une poli-tique protectionniste : le verrou Mé-line - instauration de droits de douane et protection des petites propriétés paysannes, verrou qu'il convient tou-tefois de relativiser - est mis en place en 1892. Le XIXème siècle avait été marqué par un très fort recul de l'analphabé-tisme et la diffusion, dans toutes les couches de la société, d'une culture écrite de masse grâce au progrès tech-nique qui permettait de produire ou-vrages et périodiques pour des coûts de plus en plus dérisoires. La vision que les contemporains ont du monde lui-même tend à changer. Certaines découvertes, telle la théorie de l'évo-lution des espèces par Darwin en 1859, remettent totalement en ques-tion le texte biblique. Avec des pen-seurs tels que Comte, Taine ou Re-nan, on voulait croire que l'on en avait fini avec les croyances et les supersti-

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tions d'autrefois. Nombres de penseurs vont même jusqu'à suggérer que la science sera un jour ca-pable tenir le rôle social de la religion. Pourtant, les années 1870 sont marquées par un retour du phénomène religieux. Outre l'intense be-soin d'expiation qu'éprouvent nombre de catholiques (fille aînée de l'Eglise vaincue par une puis-sance protestante, pape « prisonnier de son palais du Vatican » et violences de la Commune), l'al-liance du trône et de l'autel, qui avait marqué la Restauration et le second Empire, attise le militan-tisme du clergé à l'heure de choisir de nouvelles institutions pour la France. Qui plus est, ces années correspondent à l'apogée de l'ultramontanisme et de la mainmise de Rome sur les églises nationales (l'Infaillibilité pontificale est adoptée par le concile de Vatican en 1870). Malgré l'action des loges maçonniques et des associations de libres-penseurs, ce retour au religieux sépare durablement la population française. Dans les campagnes, les superstitions perdurent, et dans les villes de nouvelles apparaissent : celles qui ont pour initiateurs des gens tels que Allan Kardec ou Papus. Mais aux yeux de bien des contemporains, le plus lourd héritage du XIXème siècle tient à la démo-graphie française. Émile Zola avait publié dès 1896 dans Le Figaro, un article intitulé « Dépopula-tion » fustigeant les modes de vie bourgeois dans lesquels l'avoir avait remplacé l'être. La jeune science démographique lance des cris d'alarme : la population française, de 38.500.000 en 1896, atteint péniblement les 39.600.00 quinze ans plus tard. C'est bien peu face à la population alle-mande - référence obligée au cours de la Belle Époque - qui croît de 500.000 âmes par an. Pire encore, la croissance démographique française n'est plus assurée que par une immigration, en grande partie italienne. En fait, la France a simplement passé le cap de la transition démographique plus rapidement que ses voisins européens - phénomène auquel, par de multiples facteurs qu'il se-rait long d'exposer, la Révolution n'est pas étrangère. Mais ce problème était durement ressenti par bon nombre de nos compatriotes du début du siècle, d'autant plus que les idéologues néo-malthusiens, vigoureusement condamnées par les nationalistes, rêvaient de rendre toute guerre im-possible en diminuant la masse de « chair à canon ». Mais dans la pratique, c'est sans aucun doute grâce au progrès social et à la recherche d'une vie meilleure que les habitudes contraceptives de la bourgeoisie s'étaient diffusées dans les milieux po-pulaires, autrefois si féconds. ��������L'amélioration des conditions de vie Les Français connaissent en effet, dans la deuxième moitié du XIXème siècle une incontestable amélioration des conditions de vie. En témoignent la chute de la mortalité infantile et la hausse de l'espérance de vie. Ces nouvelles conditions de vie sont à porter au crédit des sciences, en particu-lier de la médecine, et à la diffusion de nouvelles notions d'hygiène que l'instruction obligatoire et le service militaire contribuent à généraliser. À la fin de la Belle Époque, le niveau de vie moyen des Français est supérieur à celui des Alle-mands et presque au niveau de celui des Anglais. Le pain n'est plus l'aliment principal des classes populaires et la viande apparaît fréquemment sur les tables. Il serait toutefois simpliste de considé-rer que tout allait pour le mieux ; ce sont essentiellement les villes qui ont bénéficié de cette amé-lioration de vie, et dans ces villes, les classes moyennes étaient incomparablement mieux loties que les milieux populaires. Il existe encore des maladies propres aux couches populaires, telles la tuber-culose ou l'alcoolisme. La mortalité infantile est deux fois supérieure dans les arrondissements mi-séreux de Paris que dans les arrondissements opulents. Les romans d'Émile Zola offrent une remar-quable illustration de ce que pouvait être le quotidien des classes laborieuses.

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Après la crise économique de la fin du XIXème siècle, les premiers signes de reprise sont percepti-bles dès les premières années du XXème siècle ; après 1907, la croissance s'accélère pour atteindre son dynamisme maximal à la veille de la Grande Guerre. En une décennie, la France gagne un rang de grande puissance industrielle, réduit l'écart par rapport à l'Angleterre et l'Allemagne. L'économie du pays s'appuie sur l'industrie lourde : charbon - dont on oublie souvent de mentionner que la France est très peu pourvue en comparaison de ses concurrents -, acier, métallurgie. Mais l'industrie française souffre de faiblesses structurelles : les mentalités restent encore très attachées à la petite propriété. On rencontre encore peu de concentrations industrielles comparables à celles que l'on peut voir en Angleterre et en Allemagne. Au début de la IIIème République, le pays, par de nom-breux aspects, présente le visage d'une société préindustrielle. La situation à la veille de la guerre n'en est que plus étonnante. Mais l'économie française est aussi très contrastée. En premier lieu, contrairement à leurs voisins allemands et anglais, les Français sont encore majoritairement des paysans. Sur le plan industriel, les secteurs de pointes côtoient des industries plus anciennes qui n'ont pas toutes été aussi réceptives au progrès et à l'innovation. L'économie française est une économie à deux vitesses. Ainsi Paris est déjà une ville démesurée à l'échelle du pays : elle concentre 2,9 mil-lions d'habitants en 1911 (à titre de comparaison Marseille atteint difficilement le demi-million) et un sixième des emplois industriels ; dans le département de la Seine, la fortune privée moyenne est trois fois plus importante que la moyenne nationale. À une échelle plus réduite, le même contraste se lit dans toutes les régions entre villes et campa-gnes. À l'échelle du pays, on distingue clairement un Nord-Est très industrialisé, dynamique, concentrant l'essentiel des richesses du pays, séparé par une ligne Cherbourg-Marseille à un Sud-Ouest encore majoritairement rural et agricole. Il faut donc se garder d'un tableau trop idyllique de la Belle Époque. Rappelons cependant que l'in-

dustrie française, qui avait célébré la fée Électricité lors de l'Exposi-tion Universelle de Paris en 1900, était aussi capable d'exceptionnelles innovations, en particulier dans les industries de pointe : la France est, au début de la Belle Époque, le pays de l'automobile, de l'aviation, du cinéma. L'automobile, soutenue par une forte demande urbaine, perce : on compte plus de 24.000 automobiles immatriculées en 1906, ce qui place le parc français au deuxième rang derrière celui de la Grande-Bretagne.

��������La France regagne une place dans le concert des Nations Ces multiples comparaisons que nous faisons avec les pays voisins ne sont pas innocentes. Les contemporains eux-mêmes les faisaient. Après la défaite de 1870, Bismarck avait voulu affaiblir la France et l'isoler pour le plus grand profit du jeune empire allemand. Les dirigeants français, mal-gré les interminables et complexes divisions du pays, cherchèrent à permettre à la France de rega-gner sa place dans le monde. Parce que la défaite avait été humiliante et qu'il fallait préparer la Re-vanche, l'armée fit l'objet de soins particuliers. En 1872, une loi institua l'universalité du service militaire en fixant sa durée à cinq ans ; mais en raison de l'incapacité des armées à accueillir un si

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grand nombre de conscrits, on remit en place le principe du tirage au sort : 5 ans pour les uns, 1 an pour les plus chanceux. En outre de multiples dispenses étaient accordées aux fonctionnaires, aux ecclésiastiques, aux étudiants. En 1889, la durée du service est fixée à trois ans, mais l'universalité ne fut acquise qu'avec la loi de séparation de l'Église et de l'État. Réduite à deux ans en 1905, la du-rée du service fut ramenée à trois ans en 1913 par crainte d'un conflit avec l'Allemagne. Dès 1873, on réorganisa la mobilisation. Ainsi, en 1914, l'état-major pouvait théoriquement comp-ter sur un effectif de 3,6 millions d'hommes. En 1874, d'importants crédits furent alloués aux forti-fications de la frontière. En 1875 fut créée l'École de Guerre pour améliorer le niveau de qualifica-tion technique des officiers d'état-major. Tous les matériels furent améliorés. Les contemporains pouvaient légitimement s'enorgueillir de la prouesse technique que constituait le fameux "canon de 75". L'armée de la France de la Belle Époque pouvait sans aucun doute affronter l'armée alle-mande ; c'est moins la qualité de nos armées qui expliquent les déboires des premières semaines de la Grande Guerre que d'importantes erreurs tactiques, voire stratégiques. C'est dans les colonies que les militaires français de la Belle Époque faisaient leurs preuves. En ef-fet, sous l'impulsion de Jules Ferry, la République s'était lancée dès 1880 dans une ambitieuse poli-tique coloniale suivant, pour reprendre les propres termes de son initiateur, « le devoir des races su-périeures de civiliser les races inférieures ». Les Français étaient, dans leur majorité, très fiers de leur empire. Il y eut certes des oppositions ; elles étaient cependant moins dictées par des considé-rations éthiques que par la nécessité, selon certains, de garder le regard sur « ligne bleue des Vos-ges ». L'empire colonial offrait un partenaire commercial de premier ordre et explique, en partie tout au moins, l'enrichissement du pays au cours de cette période. Il importait surtout au pays de sortir de l'isolement diplomatique que lui avait imposé l'Allemagne bismarc-kienne. Dès 1891, la Russie, redoutant l'alliance des empires austro-hongrois et allemand, se tourna vers la France. Un accord, conclu l'année suivante, désignait clairement l'ennemi commun : l'Allemagne. On pensait alors en France qu'en cas de guerre, « le rouleau compresseur » russe serait indispensable pour assurer la victoire. C'est ce qui explique cette alliance quasi-contre-nature entre la jeune république - revendiquant l'héritage des Lumières - avec le plus autocratique des États européens. ��������L'alliance franco-russe Le rapprochement avec l'Angleterre fut plus lent et plus délicat. La France contrariait les ambitions co-loniales britanniques ; la crise de Fachoda en 1898 avait d'ailleurs bien fait craindre une guerre entre les deux pays. Mais la Grande-Bretagne, comme la France, ne cachait pas ses inquiétudes, dès le tour-nant du siècle, face à la Weltpolitik de Guillaume II. Les négociations aboutirent à un accord en 1904 qui réglait les différends coloniaux. En 1912 fut signée une convention militaire ; toutefois, le gouverne-ment britannique se refusa à un traité d'alliance et voulut se limiter à la fameuse « Entente cordiale ». Comparativement à ce qu'elle avait connu dans les années qui suivirent la défaite de 70, la France du début du XXème siècle vivait bien une Belle Épo-que. Certes la vie était plus facile pour les classes moyennes que pour les paysans, pour les rentiers que pour les ouvriers. Dans son encyclopédie, Ber-thelot concluait toutefois son article consacrée à la France en ces termes : « En somme, la République a été résolument pacifique ; elle a rendu à la France

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La CommuneLa Commune

Par Nathalie Grabarek

L a Commune de Paris (1871) est un événement dont on parle peu lors-qu’on étudie l’histoire de France dans les manuels scolaires. A peine une allusion à la semaine sanglante, juste un vague souvenir de dra-peaux rouges flottants sur Paris… Sujet tabou pour les uns, effrayés par

son caractère révolutionnaire, elle est l’objet de vénération et de célébration mili-tante pour les autres, notamment au sein du mouvement ouvrier.

Quoi qu’on en pense, la commune est un épisode incontournable de l’histoire, qui a bouleversé les esprits pendant longtemps jusqu’à encore passionner les foules qui trouvent en ce mouvement un idéal de révolte et d’idéologie solidaire et fraternelle. La Commune de Paris a apporté au mouvement ouvrier, en même temps qu’une expérience historique concrète, la dimension d’un mythe.

La guerre déclarée à la Prusse par Napoléon III, en juillet 1870, accumule les dé-sastres militaires. Le 4 septembre, sous la poussée populaire, la République est proclamée, et un gouvernement provisoire mis en place, chargé de continuer la lutte.

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Les origines immédiates de la Commune doivent être cherchées dans les épreuves qu’ont enduré les Parisiens pendant le rude hiver 1870/1871. Assiégés par les Prussiens dès sep-tembre 1870, les habitants de la capitale sont prêts à se défendre avec héroïsme, comme le leur demande le gouvernement de la Défense nationale. Ils sont alors convaincus que la victoire est encore possible. Mais, après avoir subi la faim, les souffrances du siège, le manque de combustible et les bombardements, et ne voyant pas la situation militaire s’améliorer, les Parisiens commen-cent à se sentir trahis et déçus par le gouvernement français. Le 28 janvier 1871, l’armistice est signé mais les parisiens refusent de se plier à l’ennemi. L’agitation qui commence à se faire sentir est une réaction directe au désespoir et une colère patriotique face à cette dé-faite que l’on impute aux généraux, aux hommes politiques, aux élites sociales…

Le 17 mars 1871, Adolphe Thiers, chef du gouvernement provisoire quitte discrètement Paris et envoie la troupe au cours de la nuit s'emparer des canons de la Butte Montmar-tre. Le 18 mars au matin le peuple s'oppose aux soldats et fraternisent rapidement. Deux généraux, Lecomte (responsable des massacres de juin 1848) et Thomas, sont tués. C'est le début de l'insurrection.

Des élections sont organisées le 26 mars : la Commune est proclamée. Les premières me-sures sont symboliques : l’adoption du drapeau rouge, symbole du peuple ouvrier, la dé-molition de la colonne Vendôme et de la maison de Thiers. La Commune va gouverner Paris jusqu'au 20 mai, votant des lois d'avant garde que la république n'instaurera que plusieurs décennies plus tard (droit de vote des femmes, interdiction du travail de nuit pour les enfants, séparation de l'église et de l'état, etc.). La Commune s’oriente aussi vers l’émancipation complète des femmes, qui jouent un rôle important dans cette période ré-volutionnaire. On peut citer notamment Louise Michel, toujours considérée comme un symbole féministe de nos jours.

Mais les Communards doivent combattre pour se défendre contre les armées

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La Commune en bande dessinée… Jacques Tardi a mis en scène le roman éponyme de Jean Vautrin (paru aux éditions Gras-set) dans cette fresque grandiose en trois tomes qu’est le cri du peuple… Les canons du 18 mars ont remporté le Prix Alph-Art du dessin et le Prix Alph-Art du public au festival d'An-goulême 2002. Le récit s'ouvre à l'aube de la Commune de Paris, alors que monte la rumeur de la révolte et de l'espoir du peuple. Le cadavre d'une femme, serrant dans sa main un œil de verre portant le numéro 13, est découvert dans la Seine. Les polices secrètes mènent l'enquête tout en se livrant une guerre sans merci. Dans cette atmosphère survoltée et confuse, les protagonistes vont au-devant de leurs destins respectifs : Grondin a fait 20 ans de bagne et cherche celui dont il croit avoir endossé le crime. Théophile Mirecourt, le photographe, officie sur les barricades pour Le Cri du Peuple, le journal de Jules Vallès. Il se lie d'amitié avec le Capi-taine Tarpagnan, qui lui-même risquera sa vie en tombant amoureux de “CafConc“, une belle aperçue le temps d'un mouvement de foule… Ainsi une multitude de personnages se croisent, se cherchent, s'affrontent ou s'évitent, leurs destinées se mêlent et peu à peu l'intri-gue se noue sur fond de barricades, au son des chants révolutionnaires et des cris de tous les Gavroches.

"versaillaises" (le gouvernement provisoire ayant pour siège Versailles). La Commune de Paris prend fin dans la Semaine sanglante, du 21 au 28 mai 1871. De terribles combats ont lieu au cimetière du Père Lachaise où sont fusillés 147 communards au mur des Fédé-rés.

On estime généralement à 20 000 le nombre de Communards qui trouvent la mort du-rant cette semaine. Le gouvernement procède à plus de 38 000 arrestations et la répres-sion est terrible : une centaine de condamnations à mort, 410 aux travaux forcés, 7500 à la déportation, 4600 à l’emprisonnement et 322 au bannissement.

La Commune, première révolution communiste de l’Histoire ? En tout cas, il s’agit de la première tentative de gouvernement de la classe ouvrière, d’une dictature du prolétariat. Désavouée à l'époque par toute la bourgeoisie, elle a été revendiquée par la gauche et l'extrême gauche. Elle inspire plus tard Lénine qui en tire des leçons qui lui permettent de réussir la Révolution d'Octobre. Selon Karl Marx, «la grande mesure sociale de la Com-mune, ce furent sa propre existence et son action.»

��������Dessinateur : Tardi ��������Scénariste : Jean Vautrin ��������Editeur : Casterman Dimensions : 32 x 24 cm Pages : 80

Le Cri du Peuple

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Histoire du CinémaHistoire du Cinéma

Par Laurent Nogatchewsky (http://www.citecinema.com)

LLes Prémices du septième Art [1895es Prémices du septième Art [1895--1914]1914]

DDDD ès sa naissance, à la fin du 19ième siècle, et jusqu'au début de la première guerre mondiale, le cinéma se développe principalement en Europe, où il est tout d'abord utilisé comme sim-ple divertissement de fêtes foraines, et aux Etats-Unis, où son exploitation fait l'objet d'une lutte entre plusieurs maisons de production. Mais, en quelques années, il gagne des lettres

de noblesse, au point d'être, en particulier sur le vieux continent, considéré comme une des formes à part entière de la création artistique. Alors que les premiers studios américains voient le jour dans le village de Los Angeles, le cinéma européen ne cesse de se développer, s’appuyant, entre autre au Da-nemark, en France et en Italie, sur la tradition nationale et la culture propre à chaque pays, afin d’im-poser son univers.

����L'APPARITION DU CINÉMA EN FRANCE Tout commence en 1895, quand, au milieu de nombreuses autres inventions, deux ingénieux bricoleurs, du nom d'Auguste et Louis lumière, mettent au point leur cinématographe : un étrange appareil permettant d'enchaîner des images à une vitesse suffisante pour leur donner vie. Se dou-tent-ils, le 28 décembre, au grand café du boule-vard des Capucines à Paris, lors de la toute pre-mière projection, qu'ils faisaient naître ce que l'on désignera plus tard comme la septième forme de la création artistique? Toujours est-il qu'en ce dé-but d'hiver, les curieux qui s'aventurent à payer 1 franc, pour voir 10 films d'une minute environ chacun, sont rares et l'on ne compte pas plus de deux spectateurs par séance. Pourtant, dès le lendemain, sans qu'aucune publicité ne soit faite, à croire que le bouche à oreille a bien fonctionné, de plus en plus de monde, intrigué par cette petite révolution, se presse aux portes de la salle obscure improvisée. Ainsi, au fur et à mesure que se déroulent les bobi-nes de l’Arroseur arrosé, l'Arrivée d'un train en gare de la Ciotat ou la Sortie des usines

Lumière, films qui ne durent guère plus de deux minutes, les yeux émerveillés assistent aux véritables prémices du grand écran.

Parmi le public, sans cesse plus nombreux chaque jour, le directeur du théâtre "Robert Houdin", Georges Méliès, souhaite acheter cette trouvaille qui l'a enthousiasmé; malheureusement pour lui, les deux frères pionniers refusent. Il décide alors d'organiser, dans sa propre villa, le tout premier studio de cinéma, dans lequel, guidé par son imagina-tion, il passe de longues heures à concevoir les différents truquages qu'il est possible de

Arrivée d'un train en gare de la Ciotat, de Louis lumière (1895)

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réaliser avec une caméra. Et tandis qu'il met en scène des uni-vers insolites, comme Vingt Mille lieues sous les mers ou le

Voyage dans la lune, le tandem Lumière, lui, s’attache à relater, par de brefs documentaires et reportages, l’atmosphère de cette fin de siècle. Méliès invente le ralenti, l'accéléré, le fondu, la su-rimpression, et fait vivre ses décors devant un oeil de métal im-mobile ; les deux frères, quant à eux, utilisent le travelling pour déplacer leurs objectifs au rythme de la réalité. Les deux famil-les principales de ce nouvel art viennent de prendre forme, dans les mains d'artisans inspirés. Mais en 1900, les frères Lumière, ayant renoncé à l'exploitation de leur invention, se retirent de

l'affiche pour retourner à leur premier amour, la photographie.

Deux ans plus tard, alors que Georges Méliès, le précurseur de la science fiction, continue à présenter ses voyages féeriques, voici que l'on inaugure, à Vin-cennes, les studios d'un certain Charles Pathé, qui a pour ambition de faire découvrir le cinéma au grand public. Pour cela, il va, épaulé par Fer-dinand Zecca, réaliser et produire des films dont il tirera le plus grand nombre de copies possibles, afin de les projeter dans les fêtes foraines. Ces courts métrages, au budget minimum, tel que les Méfaits de l’alcoo-

lisme, sont bouclés en un temps record, et ressemblent quelquefois, de manière un peu trop explicite, à des créations de Méliès. Mais le nouveau cinéaste et son compère tournent aussi, avec un zest de provocation, Pas-

sion puis Vie de Jésus, que le pape Pie X condamnera, et, dans un autre registre, Soubrettes indiscrètes ou bien encore Flirts en chemin de fer, dont les sœurs jumelles des bobines originales voyageront dans le monde entier.

����LES DÉBUTS DU CINÉMA AMÉRICAIN Aux Etats-Unis, les balbutiements du septième art sont plus mouve-mentés qu'en France. En effet, dès 1897, Edison intente plusieurs pro-cès à tous ses concurrents dans le but d'être le seul à posséder le bre-vet d'un appareil dérivé du cinéma-tographe, le kinétoscope, dont il se prétend le père. Face à ces diffé-rentes attaques, le représentant de Lumière en Amérique se voit contraint de quitter clandestine-ment le pays à bord d'un transa-tlantique, et peu de temps après, l'invention des deux frères français est confisquée. Durant ces événe-ments, quelques aventuriers, dont William Fox, un teinturier re-converti dans le cirque, Adolphe Zukor, un marchand de fourrures, et Warner, quatre frères réparateurs de bicyclettes, se lancent dans la production de

Programme du cinéma Omnia-Pathé, à Paris

Le Voyage dans la Lune, Georges Méliès (1902)

Eastman et Edison collaborèrent pour mettre au point un projecteur

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films. En s’appuyant sur une démarche identique à celle d'un businessman accompli, ils créent les Nickel Odeons, et en moins d'un an, parsèment le paysage américain de salles de projection au confort sommaire mais au tarif imbatta-ble. C'est grâce à ce projet d'envergure que le public découvre, dès 1902, de nombreuses copies des bandes Pathé importées de France, ainsi que plusieurs courts métrages réunissant des acteurs d'Eu-rope de l'Est, ne connaissant pas la langue anglaise, et pour qui le cinéma, encore muet à cette épo-que, était une aubaine. Puis, en 1903, le premier western de l'histoire, The Great Train Robbery, du réalisateur Edwin S.Porter, prend d’assaut les écrans. Mais le premier grand événement marquant du cinéma américain se déroule en 1914, lorsque David W.Griffith, inspiré par le roman de Dixon, The Clansman, termine Naissance d'une nation, dont le tournage, pour lequel il eut du mal à trou-ver des financements, dura plus de quatre mois. Evoquant la vie d'une famille sudiste après la guerre de Sécession, le scénario prend, avec un racisme certain, partie pour le Sud, ce qui crée des émeutes, et amassent les foules dans les salles. Outre son incontestable réussite commerciale, ce film signe le début de l'hégémonie des mises en scène supérieures à 80 minutes, appelées aussi longs métrages. Parallèlement à cette évolution prometteuse, la guerre des brevets continue, pour ne s'ache-ver qu'à la fin de l'année 1908, lorsque Edison décide d'accorder, moyennant 150 mille dollars par an, une totale liberté d'action aux dix plus puissantes maisons de production. Les ambitieux fonda-teurs des Nickel Odéons choisissent alors de se trouver vers les producteurs indépendants, que l'on surnomme les hors-la-loi, pour alimenter en flots d'images vi-vantes leurs différen-tes salles. Or, cette démarche ne plaît pas à tout le monde, et les représailles ne se font pas attendre : plusieurs grandes en-treprises cinémato-graphiques lancent des commandos char-gés de saccager les studios des indépen-dants. Face à ces ac-tes de destruction, les hors-la-loi, qui n'ont plus d'autre choix que celui de fuir, s’installent dans un petit village de Californie, à une heure de la frontière mexicaine, Los Angeles. Là, les tournages sont encore rythmés par quelques péripéties, comme ce jour où, devant le studio d'un producteur indépendant, sont placés des cavaliers et un canon de la guerre de Séces-sion, afin de dissuader les vandales d'approcher.

����L'ESSOR D'UNE NOUVELLE EXPRESSION ARTISTIQUE Si aux Etats-Unis l'art a tendance à passer au second plan, l'Europe, elle, lui fait la part belle. Influencée par la richesse de l'art dramatique local, la production cinématographique danoise pro-pose des films dont la plupart possèdent, et ce probablement pour la première fois dans l'histoire du septième art, une véritable ambition intellectuelle. Bien qu'ils n'aient pu s’appuyer que sur le langage des images, les cinéastes à l'origine de ces mises en scène se sont attachés à travailler la psychologie de leurs personnages, et peuvent, pour cela, être considérés comme les pionniers d'un genre à part entière, généralement appelé "film d'auteur", dont l'Europe est aujourd'hui, et depuis

Naissance d'une nation, David W.Griffith (1914)

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plusieurs décennies déjà, l'un des principaux foyers. Sur les écrans scandinaves, l'acteur le plus cé-lèbre à cette époque est Asta Niel-sen, qui joua entre autres dans l’A-

bîme, réalisé par Urban Gad en 1910, puis, deux ans plus tard, tou-jours sous la direction du même metteur en scène, il apparaît dans la

Danse de mort. Au même moment, en France, le cinéma, autrefois destiné à la clientèle des foires et des fêtes fo-raines, s’installe peu à peu sur les boulevards, et, avec des films comme l’Assassinat du duc de

Guise, réalisé par les comédiens et les auteurs de la Comédie-Française en 1908, il se montre sous un nouveau jour. C'est l'époque où, l'atmosphère étant propice à leur émergence, naissent des entreprises telles que Les Films d'art, créée par les frères Lafitte, et la So-ciété Cinématographique des auteurs et gens de lettre, fondée par Charles Pathé. Au cours de ces années, les spectateurs découvrent, sur les écrans, Sarah Bernhardt interprétant, avec talent, la reine

Elisabeth. Victorin Jasset, lui, continue à réaliser, en collaboration avec la maison de production Eclair, un film policier à épisodes intitulé les Exploits de Nick Carter. Quant à Léon Gaumont, il lance, à partir de 1913, la production des séries de Fantômas. De l'autre côté des Alpes, les cinéastes italiens choisissent, eux aussi, de mettre l'art au premier plan, et, en lien avec la tradition spectaculaire de leur pays, signent des mises en scène monumentales, dignes des prestigieux décors de l'opéra. Ainsi, Luji Magi tourne, en 1909, une grande fresque antique, qu'il intitule les Derniers jours de Pompéi. Puis, trois ans plus tard, c'est au tour d'Enrico Guazzoni de réaliser Quo

Vadis. Mais c'est en 1913 que le film le plus marquant de cette épo-que est dévoilé sur les écrans. Après un tournage impressionnant, Giovanni Pastrone présente en effet, sur un scénario de Gabriele D'Annunzio, le célèbre Cabiria, pour lequel plusieurs techniciens

ont dû s'embarquer dans des ballons dirigeables, la caméra sur l'épaule, afin de donner l'illusion qu'un esclave géant déplace les montagnes. C'est à partir de cette mise en scène, qui fera le tour du monde, que l'on peut véritablement parler de la naissance d'un nouveau genre, désormais couram-ment appelé "péplum", qui mêle le divertissement des courses de chars, débauche des orgies impé-riales, et spectacle des chrétiens livrés aux lions.

Fantômas,

Louis Feuillade (1913)

Cabiria, de Giovani Pastrone (1913)

Histoire

Steampunk

Figures

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Le SteampunkLe Steampunk Petit Tour d’Horizon à l’Usage des NéophytesPetit Tour d’Horizon à l’Usage des Néophytes

Par Olivier Legrand

Qu’est ce que le « Qu’est ce que le « steampunksteampunk »» ??

C ette appellation quelque peu barbare désigne un sous-genre de la science fiction actuelle : l’action des récits « steampunk » est généralement située au XIXème siècle, époque chère aux nostalgiques de Jules Verne et d’Herbert George Wells. Les auteurs fondateurs du genre steampunk ne cachent d’ailleurs pas

leur admiration (et leur dette) envers ces deux pionniers de la S.F. Le steampunk, c’est en quelque sorte la science fiction d’hier, vue avec un regard actuel et légèrement décalé : un mélange d’uchronie, de technologie rétro et d’atmosphère victorienne. Avec le steam-punk, la science fiction se conjugue au futur antérieur. Il semble que le terme « steampunk », formé sur « steam » (vapeur), ait été inventé à la fin des années 80 ou au début des années 90, en référence au genre cyberpunk, dont il se-rait en quelque sorte l’équivalent victorien. Parmi les textes fondateurs du genre, les trois romans suivants donnent un bon aperçu des horizons (très vastes) de la littérature steampunk : « La Machine à Différences » (1990), de William Gibson et Bruce Sterling, « Les Voies d’Anubis » (1984) de Tim Po-wers et « Machines Infernales » (1987) de K.W. Jeter.

Bien qu’il ait été publié plusieurs années après la naissance

du genre, « La Machine à Différences » est considéré par de

nombreux critiques comme le roman steampunk par excel-

lence. Son action se situe dans une version uchronique des

années 1850, où la Révolution Industrielle se transforme en

Révolution Informatique, grâce à la fameuse Machine de

Charles Babbage - contrairement à ce qui se produisit dans

notre monde, où les travaux de Babbage passèrent relative-

ment inaperçus avant d’être redécouverts par les pionniers

de l’informatique. Conformément à la grande tradition de l’uchronie, « La Ma-

chine à Différences » fait se croiser personnages fictifs et figures historiques –

on y rencontre notamment Lord Byron, à la tête d’une Grande Bretagne

convertie au Socialisme ( !), et sa fille, la brillante Ada Lovelace, qui fut réelle-

ment la collaboratrice de Babbage (pour la petite histoire, il semble qu’elle ait

été la première à imaginer la notion de machine programmable – voici plus de

150 ans). Ici, le suffixe «- punk » (que l’on pourrait traduire approximative-

ment par « crade ») prend tout son sens, « La Machine à Différences » présen-

tant une vision plutôt sombre de la nouvelle société industrielle – chez William

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Histoire

Steampunk

Figures

Gibson et Bruce Sterling (qui furent, ne l’oublions pas, deux des pères fondateurs du

mouvement cyberpunk), Uchronie rime avec Dystopie.

Rien de tout cela dans « Les Voies d’Anubis », qui nous conte l’étrange odyssée de

Brendan Doyle, universitaire de la fin du XXème siècle, projeté dans les bas-fonds du

Londres du XIXème siècle – avec, au programme, mages égyptiens, portes temporelles,

diverses créatures étranges et, bien sûr, les inévitables paradoxes et bizarreries logi-

ques résultant de multiples voyages à travers le temps... Ici, pas de réflexion sociale ou

de mise en perspective historique, mais une course contre le temps (dans tous les sens

du terme), un grand récit d’aventure mené tambour battant et avec une maestria indé-

niable. Contrairement à la grande majorité des œuvres étiquetées steampunk, le roman

de Tim Powers ne contient aucune invention mécaniques étrange, une exception à la rè-

gle qui pousse certains spécialistes du genre à le considérer comme du « pseudo-

steampunk », mais qui témoigne surtout de l’extrême largeur de ce champ particulier de

l’imaginaire moderne. Dans « Les Voies d’Anubis », le grand catalyseur d’événements

improbables n’est pas la science, mais la magie. Il est d’ailleurs intéressant de noter

que l’auteur lui applique le traitement habituellement réservé à la technologie dans le

genre steampunk : découvertes décisives , expériences qui tournent mal, effets secondai-

res imprévus, tout y est.

Mais c’est probablement « Machines Infernales » de K.W. Je-

ter qui nous offre le plus parfait exemple de roman steampunk –

un récit foisonnant, rempli de personnages excentriques, de si-

tuations hautement improbables et d’inventions délirantes, tel-

les que le Régulateur Etherique, le Chariot Hermétique ou le

Paganinicon. Tout commence (comme toujours ?) à Londres, au

XIXème siècle, dans la boutique d’un horloger nommé George

Dower. La visite d’un client à l’apparence étrange va être le

point de départ d’une longue chaîne de mésaventures et de ca-

tastrophes pour l’infortuné Dower, dont les tribulations l’amè-

neront finalement à sauver le monde (tout en perdant, hélas, sa

réputation). Ancien disciple de Philip K. Dick, K.W. Jeter nous

présente ici un récit extravagant et frénétique, dans un esprit

qui n’est pas sans évoquer celui des Monty Python et, plus encore, de Terry Giliam.

Comme dans « Les Voies d’Anubis », le héros de « Machines Infernales » est un simple

mortel qui se retrouve bien malgré lui projeté dans un véritable maelström d’événe-

ments aux implications cosmiques. Les similitudes existant entre les deux romans ne

doivent rien au hasard, K.W. Jeter et Tim Powers étant tous les deux membres d’un trio

d’écrivains souvent considéré comme la sainte trinité du steampunk. Le troisième mem-

bre de la bande, James Blaylock, a lui aussi contribué au genre, avec des romans

comme « Le Temps Fugitif » et « Homunculus ». Parmi les autres romans pouvant être étiquetés steampunk, ou rattachés à ce genre, citons encore « Les Vaisseaux du Temps » de Stephen Baxter, « La Liste des Sept » de Mark Frost (dont le héros n’est autre qu’Arthur Conan Doyle, confronté à une vaste conspiration psychique), « Anno Dracu-la » (extraordinaire uchronie d’un Londres victorien gouverné par Dracula en personne !). La liste est encore longue et de nombreux romans fondateurs ou précurseurs du steampunk restent, à ce

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jour, encore introuvables en français – à commencer par « Morlock Night » de K.W. Jeter, où le Londres de la fin du XIXème siècle se trouve soudain envahi par les affreux Morlocks, tout droit sortis de « La Machine à Explorer le Temps »... Les auteurs français ne sont pas en reste, avec des romans comme « Les Confessions d’un Au-tomate Mangeur d’Opium » de Mathieu Gaborit et Fabrice Colin, « L’Instinct de l’Equarris-seur » de Thomas Day, « La Cité entre les Mondes » de Francis Valéry ou le jubilatoire « Bouvard, Pécuchet et les Savants Fous » de René Réouven, où l’auteur réussit l’exploit de ré-unir dans un récit parfaitement cohérent des personnages issus de plusieurs œuvres d’H.G. Wells et de Gustave Flaubert ! Citons également l’anthologie « Futurs Antérieurs », parue voici quelques années chez Fleuve Noir, qui présente un panorama assez complet (bien qu’inégal) des différents aspects du genre. Comme tout courant littéraire ou esthétique, la vague steampunk a eu ses précurseurs. Sans faire des œuvres de Jules Verne ou d’H.G. Wells du « steampunk avant la lettre », ce qui serait historiquement fallacieux, on peut notamment citer « La Machine à Explorer l’Espace », de Christopher Priest (1976), délicieux hommage aux scientific romances des années 1890-1900, ou « Chacun Son Tour » de Philip José Farmer (1973), relecture délirante du « Tour du Monde en 80 Jours », où l’on apprend, entre autres révélations fracassantes, que Phileas Fogg et le Ca-pitaine Nemo étaient en réalité les agents de deux races extra-terrestres engagées dans un conflit aux enjeux cosmiques... Chez Priest comme chez Farmer, tous les ingrédients du (futur) genre sont déjà là. Aujourd’hui, l’étiquette steampunk est appliquée de manière assez libérale à tout récit se dé-roulant au XIXème siècle et présentant des éléments fantastiques ou science-fictionnesques, mais aussi à tout univers imaginaire présentant une esthétique à la fois industrielle et baroque, comme celui de « Perdido Street Station » de China Miéville (2001). Loin de constituer une quelconque décadence du genre, cette ouverture témoigne au contraire de son extrême vigueur ; comme, avant lui, la fantasy ou le cyberpunk, le steampunk a su évoluer au-delà de ses prémis-ses originelles pour devenir un pan à part entière de notre imaginaire actuel. Le futur antérieur a donc encore de beaux jours devant lui !

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Jules Verne,Jules Verne, Précurseur du SteampunkPrécurseur du Steampunk

Par Frédéric de http://www.fredericviron.com

Sa vie Sa vie

J ules Verne naquit à Nantes le 8 février 1828. Son père, Pierre Verne, fils d'un magistrat de Provins, s'était rendu acquéreur en 1825 d'une étude d'avoué et avait épousé en 1827 Sophie Allotte de la Füye, d'une fa-mille nantaise aisée qui comptait des navigateurs et des armateurs. Jules Verne eut un frère : Paul (1829 - 1897) et trois soeurs : Anna, Mathilde et Marie. À six ans, il prend ses premières leçons de la veuve d'un ca-

pitaine au long cours et à huit entre avec son frère au petit séminaire de Saint-Donatien. En 1839, ayant acheté l'engagement d'un mousse, il s'embarque sur un long-courrier en partance pour les Indes. Rattrapé à Paimboeuf par son père, il avoue être parti pour rapporter à sa cousine Caroline Tronson un collier de corail. Mais, rudement tancé, il promet : " Je ne voyagerai plus qu'en rêve. " À la rentrée scolaire de 1844, il est inscrit au lycée de Nantes où il fera sa rhétorique et sa philosophie. Ses bac-calauréats passés, et comme son père lui destine sa succession, il commence son droit. Sans cesser d'aimer Caro-line, et tout en écrivant ses premières oeuvres : Des sonnets et une tragédie en vers; un théâtre… de marionnettes refuse la tragédie, que le cercle de famille n'applaudit pas, et dont on ignore tout, même le titre. Caroline se marie en 1847, au grand désespoir de Jules Verne. Il passe son premier examen de droit à Paris où il ne demeure que le temps nécessaire. L'année suivante, il compose une autre oeuvre dramatique, assez libre celle-là, qu'on lit en petit comité au Cercle de la Cagnotte, à Nantes. Le théâtre l'attire et le théâtre, c'est Paris. Il ob-tient de son père l'autorisation d'aller terminer ses études de droit dans la capitale où il débarque, pour la seconde fois, le 12 novembre 1848. À Paris, il s'installe, avec un autre jeune Nantais en cours d'études, Édouard Bonamy, dans une maison meublée, rue de l'Ancienne-Comédie. Son père lui fournit une pension calculée au plus près du strict nécessaire. Avide tout lire, Jules Verne jeûnera trois jours pour s'acheter le théâtre de Shakespeare… Il écrit, et naturellement pour le théâtre. Avec d'autant plus de confiance qu'il a fait la connaissance de Dumas père et assisté, au Théâtre Historique dans la loge même de l'écrivain, à l'une des premières représentations de

LA JEUNESSE DES MOUSQUETAIRES (21 FÉVRIER 1849). Mais le droit n'est pas oublié et Verne passe sa thèse en 1850. Selon le voeu de son père, il devrait s'inscrire au barreau de Nantes ou prendre sa charge d'avoué. Fermement, l'écrivain refuse : la seule carrière qui lui convienne est celle des lettres. Il ne quitte pas Paris et, pour boucler son budget, doit donner des le-çons. En 1852, il publie LES PREMIERS NAVIRES DE LA MARINE MEXICAINE et UN VOYAGE EN BALLON qui figurera plus tard dans le volume LE DOCTEUR OX sous le titre UN DRAME DANS LES AIRS, deux récits où déjà se devine le futur auteur des VOYA-GES EXTRAORDINAIRES. En 1856, il fait la connaissance de celle qu'il épousera le 10 janvier

Histoire

Steampunk

Figures

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1857 : Honorine-Anne Hébé Morel, née du Fraysne de Viane, veuve de vingt-six ans et mère de deux fillettes. Jules Verne, grâce aux relations de son beau-père et à un apport de Pierre Verne (50,000 francs), entre à la Bourse de Paris comme associé de l'agent de change Eggly. Il continue à lire énormément et entame ses premiers grands voyages (Angleterre et Écosse en 1859, Norvège et Scandinavie en 1861) tout en continuant à écrire pour le théâtre. Le 3 août 1861, naît Michel Verne, qui sera son uni-que enfant. 1862 : Il présente à l'éditeur Hetzel CINQ SEMAINES EN BALLON et signe un contrat qui l'engage pour les vingt années suivantes. Sa vraie carrière va commencer : Le roman, qui paraît en décembre 1862, remporte un succès triomphal, en France d'abord puis dans le monde. Jules Verne peut abandonner la Bourse sans inquiétude. 1864 verra la sortie de VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE suivi en 1865 par DE LA TERRE À LA LUNE. Ainsi débutera sa fameuse série des VOYAGES EXTRAORDINAIRES qui se poursuivra durant quarante années. On connaît tous les grands titres de cette série, des titres comme L'ÎLE MYSTÉRIEUSE, VINGT MILLE LIEUES SOUS LES MERS, MICHEL STROGOFF, ROBUR LE CONQUÉRANT, etc. En 1866, il achète son premier bateau baptisé du prénom de son fils : le Saint-Michel. Il le surnommera son cabinet de travail flottant. Il continuera de voyager, d'écrire ses romans et ses pièces de théâtre sans que sa popularité ne faiblisse. En 1886 - 1887, après un drame dont on connaît peu de choses (Il fut blessé de deux balles de revolver par un jeune homme qu'on a dit atteint de fièvre cérébral (???) et qui était, semble-t-il, un de ses neveux) et la vente de son yatch, il renonce à sa vie libre et voyageuse et jette l'ancre à Amiens. En 1902, il est atteint de la cataracte mais il continue de travailler jusqu'à ce qu'il ne puisse plus tenir une plume. Il se passionne pour les AVENTURES D'ARTHUR GORDON PYM d'Edgar Poe, l'un des auteurs qu'il admire le plus, de-puis cinquante ans. Et il écrit la suite des aventures du héros américain: LE SPHINX DES GLACES. Il écrira encore dix livres, avant de mourir le 24 mars 1905, dans sa maison d'Amiens.

Son œuvreSon œuvre

Jules Verne fut un écrivain très prolifique. Voici quelques-unes de ses oeuvres les plus célèbres.

����CINQ SEMAINES EN BALLON Tenter de traverser l'Afrique d'est en ouest par la voie des airs, prétendre survoler dans sa plus grande largeur le dange-reux continent noir à bord d'une fragile nacelle livrée à tous les caprices des vents, c'était, au temps de Jules Verne, une entreprise d'une audace incroyable. Comme on peut s'y attendre, les cinq semaines qu'il faudra au docteur Fergus-son et à ses deux compagnons pour y parvenir seront pleines d'imprévu et de péripéties. Ce roman passionnera ceux qui s'intéressent aux débuts de l'aéronautique et, en général, tous ceux qui aiment l'humour et la verve des "Voyages extraordinaires" dont Cinq Semaines en ballon ouvrait la série. Paru en décembre 1862, il eut un succès foudroyant, en France, d'abord, puis dans le monde.

����LE TOUR DU MONDE EN 80 JOURS Jules Verne aimait le grand spectacle, ses effets de scène et ses coups de théâtre. Et certains de ses livres, Le Tour du monde en 80 jours notamment, sont conçus comme des machines théâtrales. Tout y est calibré, ajusté pour tenir le lec-teur en haleine, l'étonner, le distraire ou le prendre à contre-pied. On est en pleine esthétique romantique, celle de Du-mas en particulier, avec qui Verne collabora un temps. Mais le Tour du monde c'est aussi l'avènement du monde in-dustriel, le culte de la machine, de l'efficacité, le pointage horaire étendu à une échelle universelle. Culte porté jusqu'à l'outrance, avec un humour féroce, une ironie mordante : Verne n'est pas dupe. Et s'il agite ses personnages comme des marionnettes prises de frénésie, c'est pour, en sourdine, articuler un discours de révolte : Philéas Fogg n'est pas si loin de Némo l'anarchiste, nouveau Faust moderne, et ce texte éblouissant cache bien des profondeurs.

����VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE Dans la petite maison du vieux quartier de Hambourg où Axel, jeune homme assez timoré, travaille avec son oncle, l'irascible professeur Lidenbrock, géologue et minéralogiste, dont il aime la pupille, la charmante Grauben, l'ordre des

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choses est soudain bouleversé. Dans un vieux manuscrit, Lidenbrock trouve un cryptogramme. Arne Saknussemm, cé-lèbre savant islandais du XVIè siècle, y révèle que par la cheminée du cratère du Sneffels, volcan éteint d'Islande, il a pénétré jusqu'au centre de la Terre ! Lidenbrock s'enflamme aussitôt et part avec Axel pour l'Islande où, accompagnés du guide Hans, aussi flegmatique que son maître est bouillant, ils s'engouffrent dans les mystérieuses profondeurs du volcan... En décrivant les prodigieuses aventures qui s'en suivront, Jules Verne a peut-être atteint le sommet de son ta-lent. La vigueur du récit, la parfaite maîtrise d'un art accordé à la puissance de l'imagination placent cet ouvrage au tout premier plan dans l'œuvre exceptionnelle du romancier.

����MICHEL STROGOFF Les provinces sibériennes de la Russie sont envahies par des hordes tartares dont Ivan Ogareff est l'âme. Ce traître, poussé par une ambition insensée autant que par la haine, projette d'entamer l'empire moscovite ! Le frère du tsar est en péril à Irkoutsk, à 5 523 kilomètres de Moscou et les communications sont coupées. Comment le prévenir ? Pour pas-ser, en dépit des difficultés sans nombre et presque insurmontables, il faudrait un courrier d'une intelligence et d'un courage quasi surhumains. Le capitaine Michel Strogoff est choisi et part, porteur d'une lettre du tsar, en même temps qu'une jeune Livonienne, la belle Nadia, et que deux journalistes, l'Anglais Harry Blount et le Français Alcide Jolivet... Dans ce très grand roman, les extraordinaires péripéties, souvent dramatiques, que va connaître Michel Strogoff, un des plus merveilleux héros de Jules Verne, au cours de son voyage à travers les immenses régions sibériennes, tiennent en haleine les lecteurs jusqu'à la dernière page.

����L'ÎLE MYSTÉRIEUSE Une île déserte, en plein océan Pacifique. Cinq naufragés américains organisent leur survie, accompagnés de leur chien Top. Bientôt, phénomènes inexplicables et coïncidences troublantes se multiplient, comme si quelqu'un ou quelque chose tentait de les aider à distance. Quel est donc le secret de l'île ? Quoique pouvant se lire isolément, ce roman pu-blié en 1875 est comme la conclusion des Enfants du capitaine Grant (1868) et de Vingt mille lieues sous les mers (1870).

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Château FalkensteinChâteau Falkenstein Un JdR Steampunk Un JdR Steampunk

Un JdR présenté par Thibaut Hair

C hâteau Falkenstein… Voici peut être un nom qui ne vous dit rien… Et c’est bien dommage, car cet intrigant jeu de rôles, qui reste mal-heureusement encore trop méconnu, peut révéler bien des surprises à qui prend le temps de s’y intéresser un peu…

Ce qui surprend en premier lieu lorsque l’on aborde pour la première fois Château Falkenstein, c’est la richesse de son thème. Ou plutôt de ses thèmes. Car, et c’est ce qui fait un de ses principaux intérêts, Château Falkenstein est avant tout un mélange très étrange, sorte de pot-pourri invraisemblable, permet-tant une infinité de variations.

Le jeu prend place dans un univers parallèle, proche de l’Europe des années 1870 telle qu’on peut la connaître. On se trouve donc plongé dans une atmosphère tendue et quelque peu conflictuelle entre les grandes puissances européennes, alors à l’apogée de leur domination coloniale, et il n’est pas rare que les grandes figures historiques de l’é-poque tels Napoléon III, la reine Victoria ou Bismarck apparaissent en arrière-plan d’une histoire… Mais qui dit univers parallèle dit présence de quelques détails insolites, bien sûr… En effet, ici la technologie y est en avance sur son temps (même si tout fonctionne à la vapeur !), et se situe quelque part entre les inventions des romans de Jules Verne (sous-marins et fusées lunai-res compris) et la science-fiction à la H-G Welles. La magie est très présente également, que ce soit à travers l’existence d’un certain nombre de sociétés secrètes aux buts plus ou moins avouables qui l’utilisent couramment et possèdent chacune ses propres connaissances occultes et artefacts magiques mais aussi par la pré-sence de diverses créatures fantastiques (nains, fées, trolls et autres dragons) dont la présence à tous les coins de rues ne surprend per-sonne. Autre étrangeté : les personnages des romans de l’époque ont ici une existence réelle, et l’on peut ainsi espérer croiser au détour d’une aventure Sherlock Hol-mes, le capitaine Nemo ou bien encore le comte Dracula, qui pourront s’avérer de précieux alliés ou des adversaires redoutables…

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Ajoutez à tout cela un arrière-plan politique et diplomatique très dense où les affaires de complots et d’espionnage sont monnaie courante et vous obtiendrez un univers où vrai-ment tout peut arriver ! Château Falkenstein peut donc facilement être adapté à votre style de jeu, que vous préfériez l’action, les jeux d’ambiance, les intrigues complexes ou les scénarios à multi-ples rebondissements… Ou même un peu de tout ça à la fois ! Mais ce qui fait également la force de Château Falkenstein, ce sont ses règles à la fois très simples et ne ressemblant à rien d’autre de ce que l’on a pu voir ailleurs. Ici, en effet, pas de dés mais de simples cartes à jouer ! Chacune des caractéristiques des personnages est associée à une valeur chiffrée et à une couleur de carte (♥ pour les activités relatives aux émotions, ♦ pour les activités in-tellectuelles et mentales, ♣ pour les activités physiques et ♠ pour les activités sociales). Il suffit de dépasser le niveau de difficulté imposé pour réussir l’action entreprise. De plus, pour augmenter ses chances de réussite, une ou plusieurs cartes peuvent être jouées qui procureront d’autant plus de points supplémentaires si elles correspondent à la couleur de la caractéristique utilisée. Quelques règles supplémentaires dérivant de ces principes mais employant la même simplicité, permettent de gérer la magie, les combats ou les duels… Et voilà tout ! Pour terminer, une dernière originalité, qui risque d’en étonner plus d’un : dans ce jeu, pas de fiche de personnage… Chaque joueur est censé écrire un petit texte sous forme de journal intime, présentant ainsi son personnage et son passé, le tout associé bien évidemment à une liste de caractéristiques décrivant ses forces et ses faiblesses. Ceci permettant d’ailleurs éventuellement d’intégrer certains des éléments inventés par les joueurs aux scénarios créés par leur « Hôte » (c’est ainsi que l’on désigne le meneur de jeu dans Château Falkenstein…). En résumé, Château Falkenstein est un jeu facilement abordable, dont la ri-chesse vous permettra de surprendre même les plus blasés de vos joueurs à tra-vers des parties où tout peut arriver !

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L’Ere de la VapeurL’Ere de la Vapeur en bandeen bande--dessinée...dessinée...

Présentation & critique

LLa Ligue des Gentlemen extraordinaires a Ligue des Gentlemen extraordinaires ����Scénario : Alan Moore ����Dessin : Kevin O'Neill, ����Editeur : Editions USA

����UN CASTING DE RÊVE

M iss Wilhemina Murray est embauchée par M. Bond qui, lui-même, travaille pour les services secrets de l’Empire et un mystérieux monsieur M. A bord du sous-marin du capitaine Némo, la jeune femme part à la recherche des «

gentlemen extraordinaires » qui composeront son équipe de choc ou sa ménagerie, comme on préfère : sa première recrue est le célèbre aventurier Quatermain, devenu depuis la fin de ses années de gloire un piètre héroïnomane… L’extirper des souks du Caire n’est pas une ballade de santé. Le deuxième sur la liste est un médecin anglais dis-paru depuis quelques années. Et qui serait mêlé à d’étranges et sinis-tres crimes d’une brutalité inouïe. Après From Hell, Alan Moore n’a pas eu envie de quitter la fin du dix-neuvième siècle et a voulu rentabiliser toutes les recherches et lectures entreprises pour réaliser son précédent ouvrage… Mais pour éviter toute lassitude, il a donné vie à un Londres cette fois complètement fantasmago-rique, tout droit issu d’un roman de Jules Vernes avec ses immenses machines à vapeur et ses ponts monumentaux. Et comme personnages principaux, il a tout « simplement » choisi d’em-prunter aux plus grands écrivains fantastiques leurs personnages. Il a ainsi constitué une « Ligue de gentlemen extraordinaires » qui devraient être appelés à vivre ensemble de multiples aventu-res. La chef de cette troupe hétéroclite est une femme, Miss Murray, une mystérieuse divorcée aux nerfs d’acier, seul personnage de l’histoire dont on ne sache pas encore tout de ses origines. Après s’être constituée au cours du premier tiers du livre, l’équipe de choc se retrouve confrontée aux mafia de « l’east end » londonien… Le scénario est brillant, reconstituant à merveille un fantastique d’anticipation qui aurait pu être imaginé au début du XXème siècle, irréaliste mais pourtant parfaitement probable et cohérent. Le dessin d’O’Neill au trait fin et précis donne encore plus de souffle et de baroque à l’histoire. Dommage qu’en version française, le format du livre ait été agrandi, dilapidant ainsi un peu de l’énergie contenue dans les images. Et dommage également que les chapitres successifs de cette version intégrale ne soient pas séparés par les couvertures des différents tomes parus précédem-ment. On est dans l’univers du feuilleton, les coupures n’auraient pas été gênantes, bien au contraire ! Une grande fresque épique qui emporte le lecteur sans espoir de retour !

par Vincent [http://www.bdselection.com]

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Histoire

Steampunk

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����LE MÉRIDIEN DES BRUMES ����Scénario : Erik Juszézak ����Dessin : Antonio Parras ����Editeur : Dargaud

L es prépublications s’annonçaient prometteuse, l’ambiance lugubre à sou-hait et l’époque victorienne, déformée par le prisme de la vapeur n’est pas pour me déplaire.

Le décor est celui de la Londres Victorienne, celle de Jack l’Eventreur, de Sherlock Holmes et de Conan Doyle. Mais, Steampunk oblige, cette réalité est distendue, la technologie, basée sur les machines à vapeur, s’est développé à outrance et est om-niprésente. Le Steampunk, ère de l’Aventure avec un grand A, et c’est avec fébrilité que j’attendais la sortie du premier opus de cette série prévue en deux tomes. La couverture, magnifique, prépare le lecteur à découvrir une version Steampunk de la sanglante affaire de l’Eventreur, dans une version nécessairement décalée… Pourtant, si le décorum emprunte au genre Steampunk, ce dernier est assez peu présent dans l’intrigue, de ce premier tome. Il n’est que décor et en définitive, l’exotisme et le décalage qu’aurait pu apporter cette transposition dans un uni-vers proche mais décalé, est étrangement absent, sinon en toile de fond, sans avoir de réel impact sur l’intrigue (dans ce premier tome tout au moins). Les personnages, s’ils sont intéressants, me semblent trop stéréotypés, manquant peut-être d’épaisseur… L’ensemble est toutefois fort honorable et l’on attend avec impatience le dénouement de cette sordide affaire… On retrouve avec plaisir le dessin étrange et angoissant de Antonio Parras qui distille de la pointe de ses pinceaux des couleurs sombres et brumeuses, au service d’une mise en scène et d’un découpage bougrement efficace… Une bande-dessinée intéressante dont il faudra attendre la conclusion pour se prononcer plus avant sur l’intrigue et ses mécanismes.

par Le Bouffon

����EDWARD JOHN TRELAWNAY ����Scénario : Dieter ����Dessin : Herenguel ����Editeur : Delcourt

C ette aventure, haute en couleur, inspiré du roman biographique d’un certain Edward John Trelawney, ami de Lord Byron, corsaire de son état dont le bouquin commence par ces mots, qui situent fort bien le personnage : “ Ma naissance fut mon premier malheur. Dès mon entrée dans le monde, je fus

signalé et flétri comme un vagabond…”

Qu’on ne s’y trompons pas, nous avons là une superbe aventure de piraterie où les navires qui sillonnaient les mers à l’époque où l’Empire Britannique s’étendait sur le monde, sont remplacés par des dirigeables…

Le background de la BD est des plus réussit, exploitant fort bien l’aire victorienne en l’agrémentant à la sauce Steampunk. La mise en place du décor et du contexte est faite doucement, pour permettre au lecteur de se familiariser avec cet univers si décalé et pourtant tellement proche du contexte historique et de la société victorienne.

Le dessin, rehaussé de superbes couleurs, est plutôt joli et colle superbement bien à l’action et l’ambiance de l’his-toire…

Les personnages s’étoffent au fil des tomes, des relations se tissent et se développent, s’enrichisse au fur et à mesure de leurs aventures… Peu à peu, on sent poindre le drame et la fin sans doute tragique de cette série épique et haute en cou-leur…

Une BD dans le plus pur style steampunk, où souffle le souffle épique de l’Aventure, de l’Amour, de l'Amitié et de l’Action… Incontestablement une grande réussite qui ravira les fans de ces univers étranges et fascinants, plain d'aven-tures épiques, et permettra à ceux qui méconnaissent ce genre initié par Jules Vernes de le découvrir…

par Le Bouffon

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Entretien avec Entretien avec Fred Duval Fred Duval

Entretien accordé en 2004 au SdI http://chrysopee.net

����Tout d'abord un grand merci de vous prêter à ce petit jeu de l'inter-view... C'est un plaisir, et puis ce grand restaurant où vous m'avez convié est tout à fait convivial. ����C’était la moindre des choses vu que vous vous étiez engagé à nous donner une planche originale de chacun de vos albums ;-) C’est vrai ! Je peux reprendre un dessert ? ����Oui, bien sûr, plusieurs fois même… et de cet excellent cognac aus-si… ����Quels sont vos auteurs favoris? La liste est longue. Commençons par la bande dessinée. J'aime la plupart des grands classiques de la BD franco Belge, Hergé, Goscinny, Charlier, Greg, Franquin. Avec une petite référence pour la série Lucky Luke. Sinon, j'aime évidemment Hugo Pratt, Tardi, et le travail de Pierre Christin, Dans les an-nées 80 et 90, le scénariste Yann ainsi que Tome. Et puis, il y a Vatine & Cailleteau, mais là c'est en-core autre chose. Sur la BD très récente, il y a une telle profusion que je ne citerai personne en particu-lier. J'ai plutôt des coups de coeur pour des albums ou série , genre Norbert l'imaginaire, Sillage, Le photographe, la Guerre d'Allan, Schenzen, Dans la nuit.

����En musique : Les Beatles, les Ramones, le Clash, David Bowie, Massive Attack .

����En littérature, il y a la Science Fiction, évidemment, avec dans le désordre, Philip K. Dick, Norman

Spinrad, Tim Powers. J'ai découvert le polar très tardivement. Pour tout vous dire, je n'ai pas encore

lu tous les ouvrages de James Ellroy, mais j'avance bien ;-)

J'aime aussi des auteurs tels que Camus, Malraux, avec une passion particulière pour Romain Gary. ����Au cinéma, j'aime Ford, Hawks, Eastwood, mais aussi Cameron, Hitchcock, Leone. ����Quelle définition donneriez-vous de la BD ? “ La bande dessinée est l’art de la narration graphique par ellipse. ” C’est court, et vu que personne ne tombe jamais d’accord sur les définitions longues, autant polémiquer sur une courte ☺ ����Qu’est ce qui vous a poussé à devenir scénariste ? J’ai toujours aimé écrire, et j’aime le dessin. Ensuite, rien ne m’a vraiment poussé. J’ai essayé, des gens m’ont encouragé à continuer, voilà… ����Je vous ai découvert avec 500 Fusils, excellent western dessiné par Lamy. Comment est née cette aventure? J'ai rencontré Cailleteau et Vatine au milieu des années 80, la maison Delcourt naissait avec leur pre-mier album, Galère Balnéaire. A l'époque je participais à des fanzines, des journaux étudiants, et je ten-tais de monter des projets de bandes dessinées. Thierry et Olivier ont eu la gentillesse de lire mes pro-jets durant quelques années. Et puis un jour, en 1990, un des projets les a fait rire : Fish & Ships. C'était des strips en 3 cases, des gags avec des petits poissons que dessinaient Luc Turlan. Les commentaires m 'ont encouragé à continuer, j'ai fait pas mal de publicité, je prenais tout ce qui se pré-sentait , en fait. Tout cela m'a fait progresser.

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Et puis en 1992, Thierry et Olivier m'ont proposé de participer à un projet pour Fabrice Lamy. Au départ, nous voulions monter une série d'aviation. Après quelques mois, cela s'est réorienté vers une série Western, domaine de prédilection de Fabrice. Wayne Redlake était né. Guy Delcourt a signé le projet, et nous nous sommes mis au travail. Sur le scénario, le contrat avec Thierry était simple : j'étais là pour apprendre ;-) Donc, je découpais et dialoguais d'après un séquencier que nous avions construit et rédigé, puis il “ repassait ” sur mon travail. Forcément, sur certaines scènes, il ne reste pas grand chose de ma prose ;-) Quand Thierry avait terminé, dans mon coin je comparais les versions, j'essayais de comprendre pourquoi il avait viré ou complété tel truc, puis j'attaquais la suite. C'étais très stimulant, frustrant parfois, évidemment, mais je crois que ça m'a fait gagner quelques années de rodage technique. Dans le même temps, tout ce que j'apprenais sur 500 Fusils, j'essayais de l'appliquer à un autre projet en gestation (avec Olivier Vatine, cette fois) : Carmen mc Callum.

�500 Fusils était présenté comme étant le premier tome de la série Wayne Redlake, premier tome plus que prometteur par ailleurs ! Pourquoi le projet a-t-il été abandonné ? Wayne Redlake s’est arrêté parce que Fabrice Lamy s’est orienté vers une autre série Western, tout simplement. Thierry et moi avons fait quelques essais avec d’autres dessinateurs, qui, malgré leur talent, ne convenaient pas à l’esprit de la série. Au bout de quelques mois nous avons décidé qu’il était préférable d’en rester à ce premier tome qui n’appelait pas forcément une suite. �Avec Carmen mc Callum, vous êtes pour la première fois seul à signer le scénario… Comment est né ce per-sonnage ? Nous l’avons imaginé avec Olivier Vatine et Fred Blan-chard. L’idée de départ était de faire un James Bond fé-minin et Cyber Punk. Mais l’envie était de traiter les grands thèmes cyberpunks (relations homme/machine, manipulation par les I.A. etc.) dans les grands espaces plutôt que dans un milieu urbain type Blade Runner ou Neuromancien. �Olivier Vatine et Fred Blanchard ont signé de nom-breuses illustration de jeux de rôle ou de magazine de JdR. Est-ce un milieu que vous avez fréquenté ? J’ai été joueur, comme beaucoup de gens, mais je n’ai

jamais travaillé dans le monde du jeu de rôle. Par contre, c’est en découvrant son dossier chez Cassus Belli que Fred Blanchard a découvert Christophe Quet, le dessinateur de Travis. �Quel était lors votre JdR favori et votre meilleur souvenir de joueur ? Etiez-vous plutôt joueur ou me-neur ? L’appel de Cthulhu, j’étais meneur de jeu. �Si vous deviez expliquer à un profane ce qu’est le JdR en quelques mots, que lui diriez-vous ? C’est un jeu ou l’on change de peau et où l’on se couche très tard… �Est-il fondamentalement différent de créer une histoire pour le JdR et pour la BD ? Oui, ça n’a rien à voir. Dans le jeu de rôle on échafaude une intrigue vouée à évoluer en fonction des réactions des joueur. Ensuite, le talent du meneur de jeu se situe dans l’expression orale. Il doit décrire l’ambiance, gui-der sans en avoir l’air etc. Si une explication passe mal, une nouvelle exposition est possible. Dans une bande dessinée, une fois l’intrigue construite, les auteurs mettent leur technique service de l’histoire. Si le lecteur n’est pas capté, il n’y a pas de séance de rattrapage. La complicité entre auteur et lecteur doit être permanente. Sur les intrigues en elles même, ce n’est pas la même construction, une bande dessinée c’est un récit qui se doit d’être structuré pour être lu. Il faut y laisser la place pour que l’imaginaire du lecteur fasse une partie du travail, mais la moindre faille dans la structure peut être fatale. �Sur le site de votre éditeur bien aimé, il est annoncé que vous travaillez activement sur l’adaptation de Carmen mc Callum et film d’animation. Où en est le projet ? Le projet est abandonné depuis un petit moment, en fait. Nous allons le retirer de la bio qui accompagne mes albums. En revanche, une nouvelle société de production cinématographique (La Terre Tourne) tente en ce mo-ment de réaliser une adaptation “ live ” des trois premier bouquins. Je ne peux pas vous en dire plus si ce n’est qu’avec le cinéma, tout est long. Ca représente des budgets qui, pour nous auteurs de BD, sont presque abs-traits. Alors pour qu’un projet se monte, il faut avant tout s’armer de patience. En tout cas, j’ai lu un premier

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traitement de l’adaptation et ça m’a vraiment bien plu. �Euh… Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par adaptation live ? “ En vrai ”, avec des comédiens ☺ Désolé pour l’angliscisme, ça m’a échappé ☺ �Une actrice est-elle déjà pressentie pour le rôle titre ? Les gens de “ la terre tourne ” ont leur actrice idéale bien en tête, mais je crois que c’est bien trop tôt pour en parler. �Contrairement à l’héroic-fantasy, le cyberpunk est un genre assez peu représenté en BD. Pour quelle raison d’après vous ? Alors là, je n’ai d’idée très précise sur la question… Peut-être que c’est un genre “ naturellement ” moins grand pu-blic… Le cyberpunk, avant Matrix précisons-le, était un genre qui demandait au lecteur d’avoir quelques petits ac-quis, une petite culture S.F. Il n’y a pas eu dans ce genre un succès tel que la Quête de l’oiseau du temps en H.F… �En 1997 paraît Travis, dessiné par Christophe Quet. Cette série, ancrée dans le même univers que celui de Carmen mc Callum révèle, si besoin était, vos talents de scénaristes. C’est avec déléctation que l’on voit se dé-mêler les fils des écheveaux posés dans le premier album. Comment est né la trame de Travis ? Au départ, il s’agissait de réaliser un One Shot. Une sorte de Die Hard dans l’espace. Bien sûr, nous espérions tous qu’il y aurait une suite et les personnages ont été imaginé en fonction de cette suite éventuelle. Mais l’histoire aurait pu se terminer au tome 1. Ce premier album, sans être un grand succès, a tout de même trouvé son public. A partir de là, j’ai pris plusieurs semaines pour construire une suite. �D’un point de vue général, comment construisez-vous vos scénarios ? Commencez-vous par vous efforcer de cerner vos personnages principaux avant de les plonger dans une intrigue où est-ce que vous leur taillez un costume sur mesure pour leur faire vivre les aventures que vous avez imaginé ? Je n’ai pas de règle. Pour Travis, il fallait trouver un personnage pouvant s’adapter à une structure genre Die Hard… Très vite, l’idée d’un pilote est venue. Pour le méchant, Vlad, c’est la même chose, il fallait un type impitoyable. En-suite, après avoir installé les deux personnages, je me suis amusé à “ sortir ” du modèle Die Hard. Dans ce premier tome, Travis ne combat pratiquement pas, il n’utilise qu’une seule fois une arme à feu lors d’un corps à corps… L’i-dée que Travis est un héros qui n’utilise pas d’armes à feu est venue assez vite et je l’ai gardée pour tout le cycle. Pour Vlad, même chose, je voulais d’un méchant avec un lourd passé… Pour d’autres projet, c’est le contraire, Carmen était là bien avant la première intrigue. Le personnage de Gabriel Va-lentin la Rochelle (Gavroche dans Hauteville House) également. En fait, dès qu’un personnage est “ actif ”, qu’il pro-voque l’action, comme un agent secret ou un mercenaire, on a tendance à le déterminer, puis à lui inventer des mis-sions. Par contre quand un personnage est plutôt la victime (comme Travis au départ) on a tendance à avoir une idée d’histoire pour ensuite déterminer le profil de celui qui en sera la victime… Enfin, il n’y a pas de règle et tout peut venir en même temps ;-) Dans Travis, pour conclure, je me suis amusé à tout retourner à mesure que l’histoire avance. La révélation finale du tome 5 n’é-tait pas pour moi un gadget. Il fallait aller au bout de l’idée pré-sente dès le premier tome : ne jamais se fier aux apparences… �Avec l’excellent Gibier de Potence, vous replongez dans l’u-nivers du western. Après avoir co-scénarisé le premier tome, vous signez seul le second. Comment avez-vous travaillé avec François Capuron sur le premier tome? Euh, ben non, François a travaillé sur les deux tomes ;-) … et sur le 3 également ! François me propose des sujets, éventuellement la documenta-tion qui va avec, nous en discutons et nous construisons un sé-quencier ensemble. François découpe et dialogue les planches par séquences complètes, puis je les retravaille. Ensuite je les envoie à Fabrice Jarzaguet. Fabrice me faxe un story board dé-taillé que je lui commente. �Quelles sont vos référence en matière de Western et s’il ne devait en rester qu’un, quel serait-il ? S’il n’en restait qu’un ce serait “ Rio Bravo ” d’Howard Hawks. C’est mon “ film préféré du monde ” avec la “ Mort aux trous-ses ” d’Hitchcock. Mais j’aime beaucoup John Ford, bien sûr. La trilogie de la ca-

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valerie particulièrement et puis “ La prisonnière du désert ”, “ L’homme qui tua Liberty Valance ”… De la vague européenne, de Leone donc, c’est le Bon, la brute et le truand que je préfère. Et puis Il y a LE Eastwood… “ Impitoyable ” �Ce western m’a aussi beaucoup marqué… Qu’est ce qui vous pousse à le faire entrer dans votre pan-théon western ? Parce que, comme on dit dans les revues sérieuses, c’est un western “ crépusculaire ” comme l’avait été jadis, Liberty Valance de John Ford. Dans ce film, Eastwood revient sur le personnage qu’il a incarné durant 30 ans à l’écran et nous montre qui il était vraiment… Ca peut parfois tourner à la rédemption ridicule ce genre de dé-marche, mais dans Impitoyable, Eastwood ne méprise jamais le genre Western, il lui rend le plus bel hommage avec une rigueur, un classicisme dans la mise en scène. Cette année, j’ai beaucoup aimé Open range, de K. Costner. C’est marrant, il y a quelques similitudes avec le troisième Gibier de Potence… �Peut-on en savoir plus ? L’idée d’un petit village tranquille qui soudain va se transformer en stand de tir grandeur nature pour, finale-ment, pas grand chose, juste un dérapage, un manque de dialogue. On parle toujours de son époque… �Récemment est paru votre dernier bouquin, le premier tome d’une série prometteuse : Hauteville House, dessiné par le ta-lentueux Thierry Gioux… Comment est né ce projet ? J’avais le principe de la série dans mes cartons depuis 7 ou 8 ans… Après avoir lu “ Les voies d’Anubis ” de Tim Powers, en fait. En-fin, j’avais l’idée du personnage principal et du monde “ à la Jules Verne ”… Il manquait le dessinateur. Un projet ne démarre jamais vraiment tant qu’un dessinateur ne s’affirme pas prêt à le mener. Bref, dans ma petite tête, le pari était de mettre en relation un des-sin “ Glénat historique ” et la forme de découpage, de narration, que nous aimons bien dans “ Série B ”… Alors quand Thierry, que je connais depuis une vingtaine d’année, m’a demandé si je n’avais pas un projet, je me suis dit que le moment était venu de se lancer. Au départ, il souhaitait faire un western au Mexique… Je lui ai donc parlé de mon idée d’uchronie sous le second empire et propo-sé d’orienter le premier cycle sur le Mexique et l’Amérique du nord en pleine guerre de sécession. Voilà. �Après le cyberpunk, vous explorez pour notre plus grand plai-sir le steampunk, petit fils du premier. Qu’est-ce qui vous fas-cine dans ce genre littéraire assez peu représenté en BD ? L’ambition était d’une part de retrouver un peu le ton du feuilleton télé les mystères de l’ouest, et d’autre part de “ jouer ” avec l’His-toire afin que le lecteur ne sache plus à la fin du livre ce qui est his-torique et ce qui est inventé… Hauteville House est une série de divertissement. Est-ce que c’est steampunk, tout cela ? Je n’en sais rien… En fait, ce n’est pas trop le genre qui m’intéresse, mais plutôt les possibilités qu’il offre. En revanche, j’ai une vrai fas-cination pour le 19 e siècle, et j’avais envie de jouer avec le second empire afin d’en donner ma vision : sous la porcelaine, une satanée machine à broyer. Le tout avec sourire, décontraction, et rigueur, bien entendu. �Le Steampunk est en général ancré dans l’Ere Victorienne… Est-ce par jeu que vous avez centré l’intri-gue sur le Règne de Napoléon III ? Parce que c’est la même époque ;-) Nous avons simplement décalé le genre géographiquement. A la base, le Steam Punk se déroule à Londres car cette ville est le creuset de la révolution industrielle. Il me semblait inté-ressant de centrer cette fiction sur l’Histoire française. De plus, la lutte entre l’Empire et les Républicains me semble présenter un rapport de force simple à expliquer, il ouvre une quantité inépuisable d’enjeux. �Vous-êtes vous plongé dans de nombreux ouvrages pour poser le cadre historique dans lequel votre in-trigue allait évoluer ? Si oui, avez vous des références de bouquins qui aideraient nos lecteurs à se plon-ger dans cette époque ? Il faut bien sûr étudier le second Empire de façon “ scolaire ”… Là dessus, il existe un grand nombres d’ouvra-ges spécialisés… J’utilise les Points Histoire (Seuil) Ensuite, pour Hauteville, en particulier, il est intéressant de relire les romans de Jules Verne et ceux d’Hugo, de se plonger dans des livres d’illustrations de l’époque. En ce moment, je suis en train de lire un roman Steampunk français qui a des principes communs : la lune seule le sait de Johan Heliot. Pas mal de gens m’en ont parlé depuis la sortie de Hauteville House, me demandant même si je m’en suis inspiré…

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�Christophe Quet a signé le story-board de l’album. Comment s’est réparti le travail entre vous, Thierry Gioux, Christophe Quet et Carole Beau, qui signe la superbe mise en couleur de ce qui est pour elle son pre-mier album? Avec Christophe, nous travaillons comme sur un Travis. J’écris un découpage dialogué, il le transforme en page de bande dessinée. Une grande partie du travail se fait “ oralement ”, au bistrot ou au téléphone. Mais, quand j’ai terminé une séquence, je la poste aussi à Thierry Gioux qui doit, en amont, préparer les machines, les lieux. A son niveau aussi, il y a des discussions, des échanges de documentations. Pour la mise en couleur de Carole, Thierry envoi des indications et Olivier Vatine commente les planches une fois mise en couleur. �Vous et vos comparses parvenez avec une facilité déconcertante à immerger le lecteur dans un univers uchronique en posant le décor dans le feu de l’action. Comment vous y êtes vous pris ? C’est très difficile de répondre à ça ! Nous, nous essayons de parvenir à ce que vous décrivez… C’était même l’am-bition de départ : faire du steampunk, mais se débrouiller pour qu’à la fin du bouquin, le lecteur ne sache plus ce qui est réel et imaginé… A priori, cela fonctionne avec pas mal de gens… Disons que pour que cela fonctionne, il fallait, justement, embarquer le lecteur et ne jamais ralentir la vitesse… L’imagination du lecteur doit fonctionner en perma-nence pour combler les trous, mais si le moteur à des ratés, le lecteurs risque de décrocher… Suis-je clair ? Pas cer-tain ! ☺ En réalité, il y a dans cette façon de raconter “ dans l’action ” une certaine technique… Disons que cette fa-cilité dont vous parlez vient peut être du fait que si Hauteville House est un tome 1, ce n’est pas le premier album des gens qui l’ont réalisé… A force, on fini par avoir un petit savoir faire… �Vous avez placé le quartier général agents républicains dans la maison d’exil de Victor Hugo. Qu’est ce qui vous fascine dans la personnalité de ce personnage? Sa prose ou son engagement politique ? Pour moi son engagement politique tient, dans son œuvre, une place aussi importante que ses poésies ou ses romans, ses pièces, ses dessins… �Vous voulez parlez de son engagement politique contre l’Empereur, de son combat contre la peine de mort et de sa défense des commu-nards ? Oui, oui ! Si Hauteville House peut servir à rappeler cette facette de la carrière d’Hugo, alors tant mieux, d’autant que le débat His-torique n’est pas clos… Aujourd-’hui, dans la classe politique fran-çaise, on trouve encore des hom-mes et des femmes qui s’inspirent de Napoléon III. Quand nous fai-sons le choix de présenter le se-cond empire comme une machine autoritaire, voire despotique, nous exprimons une opinion poli-tique. �“ Une terre au flanc âpre, avare, inclément, où les vivants pensifs travaillent tristement et qui donne a regret à cette race humaine un peu de pain pour tant de labeur et de peine ”… Victor Hugo était déjà présent dans 500 fusils, dans la bouche d’un Colonel de l’Armée Fran-çaise combattant les Juaristes dans le Mexique de Maximi-lien… Est-ce un hasard si votre intrigue se déroule en partie au Mexique à cette même époque? Quand Thierry Gioux m’a contacté pour savoir si nous pou-vions envisager un projet ensem-ble, il souhaitait faire un western dans la lignée de 500 fusils. Sa passion pour le Mexique, comme la mienne, ne date pas de l’avant projet… Moi, j’avais cette envie d’une série autour du second Em-

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pire… Alors, je lui ai proposé que la première intrigue se déroule en grande partie au Mexique… C’est vrai que l’ombre d’Hugo planait déjà sur 500 fusils. C’est logique puisqu’il s’agissait aussi d’y monter la légion envoyée par l’empereur au secours de Maximilien. Dans 500 fusils, la citation d’Hugo était plus ironi-que, car nous présentions un Soldat de l’Empereur admirateur d’Hugo… Un personnage plein de contradic-tions, donc. �Le Prologue de HauteVille Housse m’a tout de suite fait penser aux ambiances Lovcraftiennes… Connaissant à présent votre passé de Gardien des Arcanes (ndlr : meneur de jeu au jeu de rôle l’appel de Chtulhu), je me demandais si nous allions retrouver des Grands Anciens dans le second opus… J’ai “ dévoré ” Lovecraft, il y a une vingtaine d’années. Mais c’est surtout Thierry Gioux qui voue un véritable culte à cet auteur. C’est vrai que c’est une de nos références communes… Maintenant, je ne vous dirais rien sur ce qui est sorti de derrière la grande porte de l’intro du tome 1 ;-) gardons l’effet de surprise pour la suite ! �Comment travaillez vous sur les différentes séries que vous scénarisez ? Simultanément ? un album après l’autre ? Je travaille par semaine complète. Une semaine sur Travis, puis la suivante sur Carmen etc. C’est donc du si-multané. En fait, je n’aime pas prendre trop d’avance sur les dessinateurs. Avant de commencer un album, je dois savoir où je vais, j’ai donc une idée précise de la situation des personnages à a fin. Mais j’aime bien garder un peu de grain à moudre pour la route. C’est parfois assez risqué, mais ça permet de bien rebondir sur certai-nes solutions graphiques que proposent les dessinateurs. Bien sûr, le projet ne doit pas changer d’angle ou d’ambition, en cours de route, sous la pression du dessin, mais il peut évoluer. Dans le cadre de Carmen et de Travis, les séries se mélangeant depuis le départ, il m’arrive de mettre de côté une idée de l’une pour mieux l’exploiter dans l’autre. �Lorsque vous écrivez, avez-vous des trucs pour vous mettre en condition ? (musique ou autre..) J’ai besoin de calme et de silence. Selon la phase de travail, par exemple quand je relis l’intégralité des dialo-gues d’un album, je m’accorde un fond musical, pour l’ambiance ;-) �En tant qu’auteur, comment vivez-vous les séances de dédicaces et que pensez-vous de la spéculation galopante qui sévi dans le monde de la BD (revente de dédicace, d’ex libris, d’EO & cie) ? �Y-a-il une question que je n’aurais pas posé et à laquelle vous aimeriez néanmoins répondre ? Juste un petit mot sur les récits courts de Carmen + Travis, parce que beaucoup de choses très injustes ont été dites ou écrites sur cet album… On nous a reproché des scénarios bâclés, des dessins bâclés, bref, un projet qui n’avait d’autre intention que de faire de l’argent… Je n’ai pas trop envie de me justifier, mais je voudrais juste dire à tous les donneurs de leçons et à tous ces gens qui croient savoir ce qui se passe dans la tête des autres que nous avons été très choqués et un peu affectés par ces propos souvent à la limite de l’exercice de style bête et méchant… Et puis un petit mot pour remercier les premiers lecteurs, internautes ou pas, de Hauteville House qui, par le jeu du “ bouche à oreille ” ou du “ clavier à moniteur ”, ont bien aidé l’album à trouver son public. C’est important, surtout pour un tome 1. �Pour finir et afin de mieux vous cerner, voici le traditionnel portrait chinois à la sauce Chryso-péenne (vous pouvez évidemment étoffer vos réponses en expliquant le pourquoi du comment ;o) ) : Si vous étiez… ����une créature mythologique : Le Sphinx, pour le côté devinettes… ����un personnage biblique :.Mad Max… O.K. , c’est pas drôle ;-) ����un personnage historique : Jaurès. ����un personnage de roman : Morel, dans “ les racines du ciel ” de Romain Gary ����un personnage de jeu de rôle :.Jean-Pierre Raffarin ����un personnage de théâtre : Sarkoz… Non ! Plutôt Cléante dans “ le Tartuffe ” ����une œuvre humaine : Le “ double blanc ” des Beatles, qui n’est peut-être pas le meilleur mais dont on ne fera jamais le tour. �Un grand merci pour votre disponiblité ! Mais de rien ! Finalement, je vais me laisser tenter par le Cognac.

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Poe & MachenPoe & Machen Les Maîtres de l’EtrangeLes Maîtres de l’Etrange

Par Thibaut Brix [www.hplovecraft-fr.com]

« toute une journée d'automne, journée fuligi-

neuse, sombre et muette, où les nuages pesaient

lourds et bas dans le ciel, j'avais traversé seul et à

cheval une étendue de pays singulièrement lugu-

bre, et enfin, comme les ombres du soir appro-

chaient, je me trouvai en vue de la mélancolique

Maison Usher. Je ne sais comment se fit, - mais,

au premier coup d'oeil que je jetai sur le bâtiment,

un sentiment d'insupportable tristesse pénétra mon

âme. »

Edgar Allan Poe, La chute de la maison Usher.

« Je suis très content de vous voir, Clarke, très

content ; je craignais qu'il ne vous fût impossible

de venir.

- J'ai pu m'arranger pour quelques jours. Les

affaires ne vont pas beaucoup, par le temps

qu'il fait. Mais vous, Raymond, êtes-vous sans

inquiétante pour ce que vous allez essayer, et

cela ne présente-t-il aucun danger ? »

Arthur Machen, Le grand dieu Pan.

SSSS oixante ans et un océan ont séparés Edgar Allan Poe et Arthur

Machen. Et pourtant, il semble que le continuum espace-temps se

soit contracté tellement leurs destins semblent similaires : deux vies

difficiles parsemés de plaisirs défendus (alcool/occultisme), deux

auteurs ambitieux et anti-conformistes oubliés par leurs semblables, devenus

journalistes pour leur survie, deux créateurs d'univers sombres, désespérés,

gothiques, inquiétants et fabuleusement fascinants.

C'est en 1809 que naît à Boston, Etats-Unis, Edgar Poe, fils d'une comédienne

et d'un bourgeois. Devenu orphelin très jeune, le petit Edgar est adopté par un

riche négociant, John Allan. Avec ses parents adoptifs, Edgar voyage en Eu-

rope et commence en Angleterre de brillantes études qu'il achèvera aux Etats-

Unis à l'université de Charlottesville. Doué en sciences, il tente une carrière

rapidement avortée à l'école militaire de West Point. En 1829, il s'installe à

Baltimore chez sa tante.

Il devient rédacteur en chef du Southern Literary Messenger, une revue dans

laquelle il publie régulièrement ses contes. En 1836, il épouse sa cousine Vir-

ginia Clemm âgée de treize ans ! Alcoolique, sujet à des accès d'hypocondrie,

Edgar est congédié par le propriétaire du Southern.

Page 33: Utopies1 - Le Siècle de Jack

33

Histoire

Steampunk

Figures Virginia et Edgar Allan Poe mènent dès lors une vie misérable faite

de petits boulots. Edgar rédige Les aventures d'Arthur Gordon Pym

et publie La chute de la maison Usher. En 1840 est édité Tales of the

Grotesque and Arabesque un recueil de contes fantastiques (les fa-

meuses Histoires extraordinaires). En 1845 paraît Le corbeau. Deux

ans plus tard, Virginia, âgée de 25 ans, décède.

Malgré sa renommée, Edgar s'enfonce dans l'alcoolisme. Durant les

dernières années de sa vie, il écrit néanmoins ses plus beaux poè-

mes : Ulalume, Les cloches, Annabel Lee, Pour Annie et un essai,

Eureka, dans lequel il développe l'idée d'un univers en expansion, qui

sera plus tard confirmée par l'astrophysique contemporaine. Edgar Allan Poe meurt le

7 octobre 1849 d'une crise de delirium tremens...

Poe fut l'archétype même de l'artiste maudit, au talent littéraire incontesté mais à la vie

dissolue hantée de rêves étranges provoqués par les drogues et l'alcool. Vie misérable,

mort solitaire, mais une oeuvre magistrale, poétique et terrifiante, aux lyrisme tragique

et aux intrigues tortueuses. Redécouvert après sa mort,

Poe est devenu avec le temps une icône littéraire, un pro-

phète de l'imaginaire fantasque, aujourd'hui considéré

comme l'instigateur du merveilleux romantique et du fan-

tastique gothique, et comme le premier vrai auteur de ré-

cits policiers avec des histoires tels que Double assassi-

nat de la rue Morgue (1841) ou Le mystère de Marie Ro-

get.

Ses visions cauchemardesques et sa poésie de l'étrange

ont inspirés de nombreux artistes. En France, il a bénéfi-

cié d'une grande notoriété grâce aux traductions de sa

prose dès 1848 par le non moins torturé et vénéré Char-

les Baudelaire - certains spécialistes estiment d'ailleurs

que les textes français sont meilleurs que les textes an-

glais ; à chacun son point de vue mais il est indéniable

que la rencontre littéraire de ces génies n'a pas été sans

conséquence littéraire...

Quelques décennies plus tard, en 1863, naît Arthur Machen à Caerlon-on-Usk, Pays de

Galles. Le destin de ce grand rêveur de l'inconnu est complètement à l'opposé de celui

d'Edgar Allan Poe ; pourtant on ne peut s'empêcher de comparer leurs vie et leur odys-

sées littéraires.

A 17 ans, Arthur Machen s'installe à Londres où il se lance dans une double carrière

d'écrivain et de journaliste, à l'instar de Poe. Pauvre et sans ressources, il rédige son

premier livre L'anatomie du tabac dans une petite chambre glaciale. Ce livre tombe ra-

pidement dans l'oubli et Arthur accepte de gagner sa croûte en triant et rangeant les

collections occultes d'une librairie. Et c'est ainsi qu'il découvre les écrits de Nicolas

Flamel, le célèbre alchimiste, et se passionne pour les mystères de l'alchimie et de l'oc-

cultisme. C'est ainsi qu'en 1885 paraît fort logiquement son catalogue occultiste, initia-

tive qui lui vaut d'être remarqué deux ans plus tard par A.E Waite, grand expert en oc-

cultisme et fondateur de la société secrète Golden Dawn.

Ce parcours peu banal conduit Arthur à publier en 1894 l'un des textes les plus terri-

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Page 34: Utopies1 - Le Siècle de Jack

34

fiants de la littérature fantastique, pierre angu-

laire de toute son oeuvre à venir : Le grand dieu

Pan, que le Manchester Guardian va jusqu'à

considérer comme un livre maudit, et que les

grandes bibliothèques refusent d'ajouter dans

leurs vastes rayonnages ! Ce roman relate de

quelle manière un chirurgien modifie le cerveau

d'une femme pour lui permettre de visualiser

l'univers dans sa totalité et non avec ses sens hu-

mains limités... On retrouve dans cette histoire les

idées modernes de l'époque mêlées de science sa-

crilège, d'alchimie et d'occultisme.

Arthur Machen publie ensuite Le roman du cachet noir, une oeuvre encore plus terri-

fiante racontant l'histoire d'un savant qui, durant vingt-cinq ans, rassemble des preuves

sur l'existence au-delà d'une frontière interdite matérialisée par un chemin dans la

campagne anglaise d'une race oubliée hostile à l'humanité et à l'origine de toutes nos

croyances ancestrales...

Dès lors, Arthur est catalogué comme « auteur maudit » et ses

oeuvres tombent dans un oubli aveugle et volontaire. En 1904, il

publie La colline des rêves, considérée comme son oeuvre la plus

magistrale. A la même époque, il finit également par adhérer à la

Golden Dawn. Il épouse Dorothie Hodleston et publie La gloire où

il s'attaque au système éducatif anglais. En 1914, après la début de

la Grande Guerre, il publie Les archers, une nouvelle dans la-

quelle d'étranges personnages attaquent les soldats allemands en

brisant leurs défenses. Machen se spécialisera également dans des

enquêtes bizarres et les faits étranges, à l'instar du fameux Charles

Fort. Arthur Machen décède le 15 décembre 1947.

La littérature fantastique anglo-saxonne a véritablement pris son essor durant la se-

conde moitié du XIXe siècle, sous l'impulsion de Poe. Machen en a été l'une des clés de

voûte, imaginant d'innommables scénarios, mettant par écrits les peurs ancestrales à

travers les sciences naissantes. Le grand Dieu, son oeuvre la plus connue, est ainsi d'un

baroque moderne stupéfiant, une oeuvre intemporelle dans la veine de L'étrange cas du

Dr Jekyll et de Mr Hyde de Robert Louis Stevenson. La mort et la folie rôdent, tout

comme elles rôdent dans Le masque de la mort rouge de Poe, conte d'épouvante sur-

réaliste et magnifiquement macabre. Et que dire de cette Chute de la maison Usher à

l'ambiance lourde et menaçante ?

On ne peut que trembler devant les destins inéluctables de ces personnages confrontés

à leur propres peurs et à leurs propres folies, de ces antihéros qui provoquent leurs

propres pertes. Inutile d'établir une bibliographie sélective de ces deux auteurs ma-

jeurs, tout est bon à découvrir !

Ce n'est pas par hasard si le grand maître du fantastique H.P. Lovecraft considérait Edgar Allan Poe et Arthur Machen comme deux des plus grands auteurs de l'imagi-naire...

Page 35: Utopies1 - Le Siècle de Jack

35

Histoire

Steampunk

Figures

Jack l'EventreurJack l'Eventreur

Par Emily Tibbatts, [www.tueursenserie.org ]

Dessins signés Jeff

J ack l'Eventreur... Sans doute le plus célèbre de tous les tueurs en série. En 1888, il a assassiné cinq prostituées en quatre mois dans le misérable quartier de Whitechapel, à Londres. Il les a égorgées et mutilées avec une violence rare, et s'est réellement déchaîné sur sa dernière vic-time, qu'il a mise en charpie. Malgré le long travail de la police, il n'a jamais été arrêté. Les théo-

ries les plus folles courent encore sur son identité, et passionnent des centaines de "Ripperologues". D'innombrables livres et films ont été produits à son sujet, offrant chacun "la" solu-tion de l'énigme... qui ne sera sans doute jamais connue. (J'ai eu du mal à effectuer ce portrait car il existe de nombreuses informations sur l'Eventreur et elles sont

souvent différentes, divergentes et contradictoires. Je ne parle pas uniquement des suspects mais des faits

eux-mêmes. Il se peut que vous ayez lu ou vu "autre chose"...)

����INFORMATIONS PERSONNELLES ����Nom : Inconnu. ����Surnom : "Jack l'Eventreur", mais aussi "Tablier de Cuir", "La Terreur Rouge" et "L'assassin de Whitechapel". ����Né en : inconnu, mais il devait avoir entre 25 et 40 ans au moment des meurtres. ����Mort le : Inconnu.

Durant l’air Victorienne, l’Est de Londres (East End) était un endroit à part de la ville, un ghetto tant économique que social. 900 000 personnes vivaient dans des taudis infâmes. Les troupeaux de moutons étaient menés à travers les rues jusqu’à l’abattoir et le sang coulait directement dans les ruelles. On marchait dans les

excréments. Les ordures et les eaux d’égouts engendraient une odeur horrible. Les familles vivaient souvent à 8 dans une chambre et les

célibataires dans des hospices ou des asiles de nuit surpeuplés, dans des conditions déplorables.

La plupart des habitants de l’East End ne travaillaient qu’occa-sionnellement et étaient mal payés, ou étaient chômeurs de

longue date, ou encore criminels. Ils vivaient au jour le jour, et lorsqu'ils travaillaient, avaient souvent des emplois épuisants et mal rémunérés. Plus de la moitié des enfants mourraient avant l’âge de 5 ans.

Beaucoup de ceux qui survivaient étaient mentalement ou physique-ment handicapés. Des centaines d'orphelins étaient à la rue et cer-tains finissaient dans des maisons closes.

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Les femmes étaient souvent exploitées, mal payées et obligées de faire des heures supplémentaires. La prostitution était l’un des seuls moyens de survie pour une femme seule. Il permettait surtout de gagner en une nuit l'équivalent d'une semaine de salaire d'une simple ouvrière. La police estimait qu’en 1888, il y avait 1200 prostituées à Whitechapel (pour 60 000 dans tout Londres) et 62 maisons closes, sans compter les femmes qui tentaient d’obtenir quelques suppléments à leur maigre salaire en se prostituant occasionnelle-ment. Les prostituées travaillaient directement dans la rue, sombraient très souvent dans l'alcoolisme et ne devaient qu'à la chance d'éviter les maladies vénériennes (la syphilis, notamment). Les souteneurs étaient nombreux et traitaient les prostituées avec mépris et violence. Elles risquaient également d'être agressées par des "gangs" de voleurs qui les frappaient avec des gourdins pour leur dérober leur argent. Il existait environ 200 asiles de nuit logeant 9000 personnes. Les dortoirs étaient constitués de rangés de lit collés les uns aux autres, infestés de vermines et d’insectes. Si une femme n’avait pas gagné assez d’ar-gent pour se payer un lit pour la nuit, elle devait trouver un homme qui la laisserait dormir avec lui en échange de ses faveurs sexuelles. Ou alors, elle dormait dans la rue. Les pogroms russes de la fin des années 1880 et l’expulsion des Polonais de Prusse avaient provoqué une vague d’immigration de l’Europe de l’Est vers Londres. Beaucoup de ces immigrants étaient Juifs et s’ins-tallèrent à Whitechapel parce que les loyers étaient peu élevés. L’arrivé des Juifs eut des effets très bénéfi-ques sur le quartier, en améliorant les conditions sanitaires et la sécurité. Toutefois, malgré de nombreux efforts de renouvellement urbain et l’amélioration des conditions de vie en-traînées par l’immigration Juive, Whitechapel était toujours un quartier pauvre et criminel. Dans la misère des habitations surpeuplées, dans les ruelles sombres et étroites, le meurtrier de Whitecha-pel avait trouvé l’endroit parfait pour tuer. Assez curieusement, les meurtres de l'Eventreur eurent des conséquences positives pour l'East End. Comme l'explique Stéphane Bourgoin (Jack l'Eventreur) : "Les forfaits servirent de catalyseurs pour unifier l'action des réformateurs de tous bords, grâce à la pression de l'opinion publique, horrifiée des descriptions contenues dans la presse sur la vie de Whitechapel". Les rues, d'habitude si sombres que l'on y voyait quasiment rien, furent beaucoup mieux éclairées par de nouveaux lampadaires. Les taudis sordides furent démolis à partir de 1889 et des logements neufs furent reconstruis. Les enfants orphelins ne furent plus laissés à la rue et l'on vota des lois pour qu'ils soient pro-tégés. Toutefois, l'East End resta encore un quartier pauvre et dangereux durant des décennies. Avant le premier meurtre "officiel" de Jack l’Eventreur, les habitants de Whitechapel entendirent parler d’au-tres meurtres et agressions de femmes dans le quartier. Il est difficile de savoir si ces meurtres ont bien été commis par l’Eventreur mais dans l’esprit des habitants, tous ces crimes étaient liés. Ainsi, le 2 avril 1888, Emma Smith, une prostituée de 45 ans, fut agressée vers 19h. Elle fut frappée à la tête, violée et un objet pointu fut introduit en elle. Elle mourut d’une péritonite 4 jours plus tard. Elle expliqua à sa logeuse que plusieurs hommes l’avaient attaquée et volée. Le 7 août 1888, une prostituée de 37 ans, Martha Tabram, fut assassinée sur le palier du George Yard Building, vers 2h30 du matin. Selon le rapport d’autopsie du Dr Timothy Killeen, elle fut poignardée 39 fois dans la poitrine, le ventre et le bas ventre avec un couteau. Son cou n’avait pas été tranché et son abdo-men n’était pas mutilé. A l’exception d’une blessure infligée par un grand couteau ou une baïonnette, elle avait été poignardée avec une sorte de canif. Les habitants de Whitechapel pensèrent que ces agressions étaient liées mais Martha Tabram avait été tuée sans raison, sûrement par un seul homme, alors qu’Emma Smith avait été attaquée par plusieurs hommes qui voulaient la voler. Et la nature des blessures était différente. Seul le meurtre de Martha Ta-bram pourrait être l’œuvre de Jack l’Eventreur.

����CRIMES & CHÂTIMENTS Le premier meurtre "officiel" de l’Eventreur fut commis quelques semaines plus tard. Le 31 août 1888, un ouvrier nommé Charles Cross marchait dans le quartier de Whitechapel peu avant 4h du matin. Il faisait très som-bre, le temps était froid et humide, et le coin était quasiment désert. Dans une ruelle, Buck's Row, Cross aperçut quelque chose ressem-blant à une bâche étendue sur le sol, devant une cour. Intrigué, il s’approcha et réalisa que c’était en fait une femme, dont la robe était relevée jusqu’à la taille. Il pensa que la femme était saoul ou avait été agressée mais il n’y voyait pas grand chose. Comme un Buck's Row

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Histoire

Steampunk

Figures autre homme passait par-là, il lui demanda de l’aider à la remettre debout mais ils n’y parvinrent pas. Craignant qu’elle ne soit morte, ils rabaissèrent sa robe sur elle, par pudeur, puis cherchèrent un policier. Il en trouvèrent un, John Neil, qui faisait sa ronde. Il éclaira la femme de sa lanterne et vu qu’elle avait été égorgée, presque décapitée. Ses yeux étaient grands ouverts. Ses mains étaient froides mais ses bras étaient encore chauds. Elle avait été tuée peu de temps auparavant. Neil appela un autre policier qui chercha un médecin dans les environs. Puis Neil réveilla les habitants du quartier pour leur demander s’ils avaient entendu quoi que ce soit d’étrange, sans résultat. Le Docteur Rees Llewellyn arriva peu après et examina le corps de la femme. Comme l’avait supposé Neil, elle était morte moins d’une demi-heure avant qu’on ne la découvre, peut-être quelques minutes après le passage de la 1ère ronde de Neil. Bien qu’il y ait peu de sang sur le sol, elle avait été tuée là où on l’avait trouvée. Son sang avait imbibé ses vêtements. Le Docteur Llewellyn fit porter son corps à la morgue de Old Montague Street afin de l’examiner plus en détails. Lorsqu'il arriva à Old Montague, le corps de la femme avait été lavé, malgré les ordres de la police. Le cou de la vic-time avait été coupé deux fois, violemment, sectionnant sa trachée et son œsophage. Son abdomen avait été mutilé, sans doute avec un grand couteau. Il présentait une blessure longue et profonde ainsi que d’autres coupures plus bas. La femme avait également été frappée à la mâchoire. Selon Philip Sugden ("The Complete History of Jack the Ripper"), cette femme était allongée sur le sol, sans doute inconsciente (peut-être déjà morte), lorsque ces blessures lui avaient été infligées : le sang formait une petite flaque sous son cou et le reste avait été absorbé par le dos de ses vêtements. Si elle avait été mutilée alors qu’elle était debout, il y aurait eu du sang partout, devant elle, sur les murs, sur sa poitrine. Tout ce qu’elle possédait sur elle était un peigne, un petit miroir cassé et un mouchoir. Ses jupons avaient été achetés à la Lambeth Workhouse (un asile de pauvres). Elle portait des vêtements bon marché et un chapeau de paille noir. Ses cheveux étaient bruns grisonnants et il lui manquait plusieurs dents de devant. Une enquête fut ouverte au Whitechapel Working Lad's Institute (un institut pour jeunes travailleurs comportant égale-ment une cour de justice), menée par le coroner Wynne Baxter (un officier civil). Ce dernier entendit parler d’une "Polly" vivant au 18, Thrawl Street, qui n’était pas rentré chez elle. Une femme de la Lambeth Workhouse identifia la femme décédée comme étant Mary Ann Nichols, 42 ans, puis son père et son époux vinrent l’identifier à leur tour. "Polly" était la fille d’un serrurier et avait épousé William Nichols, avec qui elle avait eu cinq enfants. Mais ses pro-blèmes avec l’alcool avaient détruit son ménage et, depuis des mois, elle survivait en se prostituant. C’était une femme triste et pauvre mais les gens l’aimaient et la prenaient en pitié. Elle avait voulu dormir dans un asile de nuit situé sur Thrawl Street mais comme elle ne pouvait pas payer son lit, le gardien l’avait chassé. Elle était retournée dans la rue pour gagner quelque argent.

La sauvagerie de ce meurtre suscita l’effroi et l’indignation de la population… et l’inté-rêt de la presse. Les meurtres de prostituées n’étaient pas rares à Whitechapel mais les mutilations l’étaient. Scotland Yard confia la responsabilité de l’enquête à l’Inspecteur principal Donald Swanson. Il dépêcha sur les lieux un inspec-teur de 45 ans, Frederick George Abberline, qui travaillait depuis 25 ans dans la police et connaissait très bien Whitechapel. Il n’y

avait aucun témoin, aucune arme, au-cun indice. Aucun des résidents de la

rue n’avait entendu de bruit et aucun des hommes qui travaillaient dans le coin n’avaient remarqué quoi que ce soit d’inhabituel. Bien que "Polly" ait été découverte peu après sa mort, aucun véhicule ou "étranger" n’avait été vu fuyant la scène du crime. On soupçonna un moment trois équarrisseurs de chevaux qui travaillaient non loin, mais il fut rapidement prouvé qu’ils n’y étaient pour rien. Comme les habitants de Whitechapel étaient persuadés que l’agression d’Emma Smith et les meurtres de Martha Ta-bram et "Polly" Nichols étaient liés, la police dut faire face à une grande pression dès le départ. Il fallait absolument trouver le coupable. Il existait trois théories différentes : un groupe de voleurs était responsable des meurtres ; un gang qui extorquait de l’argent de prostituées avaient "puni" trois femmes qui n’avaient pas payé ; un fou était en liberté.

Si l’on considère la grande pauvreté des victimes, les deux premières théo-ries étaient peu plausibles. La troisième devint donc la plus populaire. Concernant les meurtres de Tabram et Nichols, le East London Observer écrivit que le tueur s’en était pris "aux plus pauvres des pauvres" et qu’il ne semblait avoir aucun mobile compréhensible. La grande violence des meur-tres suggérait que les deux meurtres "étaient l’œuvre d’un être dément".

Abberline Sir Warren

Le meurtre de Polly Nichols vu par Police News

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On demanda au préfet de Police, Sir Charles Warren, d’offrir une récompense pour la découverte de l’identité du cri-minel. Mais son supérieur, le ministre de l’Intérieur, Henry Matthews, n’avait aucune idée – à ce moment-là – de l’am-pleur du problème et refusa de proposer cette récompense. Il affirma qu’il faisait confiance à la Police pour appréhen-der le tueur… Alors que la police cherchait l’assassin de Polly Nichols, une rumeur commença à courir au sujet d’un homme dénom-mé "Tablier de Cuir", qui avait volé plusieurs prostituées sous la menace d’un couteau. The Star affirma que cet homme était un fourreur Juif d’environ 40 ans, portant un chapeau noir et une petite moustache. Les nouveaux venus, les étrangers, les Juifs étaient évidemment les premiers visés par les rumeurs, car "aucun Anglais n'est capable d'un acte aussi barbare"… Le 8 septembre 1888, John Davis, un vieil homme qui vivait avec son épouse et ses trois fils au 29 Hanbury Street, découvrit le corps d’une femme juste après 6h du ma-tin, devant chez lui, de l’autre côté du marché de Spitalfields, dans une petite cour. Sa robe avait été relevée au-dessus de sa taille et elle avait été éventrée. Il alla immédia-tement chercher de l’aide et revint avec deux ouvriers. Le temps qu’un policier arrive sur les lieux, tout le monde avait été réveillé. Dix-sept personnes habitaient là, dont 5 possédaient des chambres avec vue sur la scène du crime. Et certains avaient laissé leur fenêtre ouverte. Le marché de Spital-fields ouvrait à 5h du matin et beaucoup de gens y étaient présents avant cette heure afin de préparer leurs étalages. Certains résidents du 29 Hanbury Street quittaient leur logement à 3h50 du matin pour aller travailler. Les rues autour du marché étaient remplies de véhicules commerciaux qui livraient leurs marchandises au marché. Toutefois, bien que le soleil se soit levé à 5h23 ce matin-là et que tant de personnes aient été présentes à cette heure matinale, personne n’avait entendu de bruit sus- p e c t , ni de cris, et personne n’avait vu qui que ce soit avec du sang sur ses vêtements ou un couteau à la main. Il y avait un baquet d’eau clair près de l’endroit où la femme avait été trouvée, mais le meurtrier ne l’avait pas utilisé pour se laver les mains ou nettoyer son arme. Le risque qu’il avait pris, à tuer en plein jour, avec tout ce monde, était incroyable. Et pourtant, personne n’avait rien vu. La femme fut rapidement identifiée comme étant Annie Chapman, que ses amis appelait “Annie la Sombre” (Dark Annie). Elle avait 47 ans, était prostituée, sans logis, dormait dans les asiles de nuit lorsqu’elle avait assez d’argent ou errait dans les rues à la recherche de clients qui lui donneraient quelques pièces pour se nourrir et se loger. En 1869, elle avait épousé John Chapman, un cocher. Des trois enfants qu’ils eurent, l’un mourut d’une méningite et un autre devint boiteux. La mauvaise santé et l’alcoolisme d’Annie et de son époux provoquèrent la fin de leur ma-riage. Les choses empirèrent lorsque John décéda car Annie perdit alors le peu d’argent qu’il lui versait comme pen-sion. Le choc émotionnel provoqué par sa mort fut aussi terrible que la perte financière et Annie Chapman ne s’en re-mit jamais. Souffrant de dépression et d’alcoolisme, elle fit du crochet et vendit des fleurs. Puis, elle se tourna vers la prostitution, malgré son visage peu avenant et ses dents pourries. C’était une femme gentille qui évitait les problèmes. La veille au soir, elle avait expliqué à une amie qu’elle se sentait mal. Elle ne le savait pas, mais elle avait la tubercu-lose. Elle avait dit à son amie qu’elle devait pourtant trouver des clients ou elle devrait dormir dehors cette nuit-là. Vers 2h du matin, le 8 septembre, un peu saoul, elle avait été chassée de l’asile de nuit car elle ne pouvait pas payer son lit. Et John Davis l’avait donc trouvée morte quelques heures plus tard. Le Docteur George Bagster Phillips, un chirurgien travaillant pour la police, fut appelé sur les lieux. Il trouva le corps d’Annie, froid, allongé sur le dos, les jambes repliées. Son visage était enflé et elle avait été férocement égorgée, pres-que décapitée. Elle avait également été mutilée au niveau du ventre, certains de ses organes internes avaient été tirés vers ses épaules et reposaient sur le sol. Une grande quantité de sang avait coulé autour d’elle. Le Docteur Phillips estima qu’Annie Chapman devait avoir été assassinée deux heures auparavant, vers 4h du matin. Le fait qu’aucun résident ne l’ait entendu crier pouvait s’expliquer par le fait qu’elle avait sûrement été étranglée jus-qu’à ce qu’elle perde conscience, puis égorgée et mutilée. Elle avait été tuée là où on l’avait trouvée et ne semblait pas s’être défendue. Le meurtrier avait profondément coupé sa gorge de gauche à droite, sans doute pour la décapiter. C’est ce qui l’avait tué. Les mutilations abdominales avaient été faites après la mort. On trouva aux pieds d'Annie deux petits peignes, un morceau de tissu et deux pièces de monnaie. Une enveloppe contenant deux pilules fut découverte non loin de sa tête. Sur le dos de l’enveloppe était écrit Sussex Regiment. La lettre M et, plus bas, Sp, était écrit de l’autre côté. Le cachet de la poste indiquait "Londres, 23 août 1888". On trouva également un tablier en cuir à côté de détritus. Lors de l’autopsie, le Docteur Phillips remarqua que l’utérus, la partie supérieur du vagin et les 2/3 de la vessie avaient été retirés. Le tueur les avait sûrement emmenés avec lui car ils ne furent trouvés nul part. Les incisions étaient nettes et précises. Selon Phillips, c’était le travail d’un expert, ou au moins de quelqu’un ayant des connaissances en anato-mie ou en examen pathologique (pas un équarrisseur ou un boucher). Le tueur savait où trouver ce qu’il voulait, quel-les difficultés il allait devoir contourner et comment il devait utiliser son couteau pour extraire les organes sans les abî-mer. Un tel travail avait dû demander au moins une heure, et en tout cas plus de 15mn (un témoin affirma avoir vu An-

Hanbury Street

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Histoire

Steampunk

Figures nie Chapman vivante à 5h30 précise et son corps fut découvert à 6h00). Selon le Coroner Baxter, l’assassin était sans doute "un habitué des salles d'autopsies". Des abrasions sur la main d’Annie indiquaient qu’on lui avait violemment enlevé ses bague. Ses amis apprirent à la police qu’elle ne portait que des bagues de peu de valeur, que le tueur avait peut-être pris pour de l’or. On ordonna à l’inspecteur Abberline, qui était chargé de l’enquête sur le meurtre de Polly Nichols, d’aider l’inspecteur Joseph Chandler, en charge de l’enquête sur le meurtre d’Annie Chapman, bien que Spitalfields soit dans une autre juridiction. Il semble que les enquêteurs pensaient tous que le même homme avait tué Polly Nichols et Annie Chapman. L’enquête sur Chapman fut aussi frustrante que celle sur Nichols. Les indices physiques (le tablier en cuir, une boîte et un morceau de fer) appartenaient en fait à M. Richardson, l’un des résidents, et à son fils. L’enveloppe du Sussex Re-giment était vendue à tout le monde au bureau de poste local. De plus, un homme avait vu Annie prendre cette enve-loppe dans la cuisine de l’asile de nuit pour y glisser ses pilules lorsque sa boîte s’était cassée. Les enquêteurs discutèrent avec les amies et "collègues" d’Annie mais ne trouvèrent aucun suspect ni aucun mobile cohérent. Toutefois, l’enquête permit de trouver trois témoins important. �Le 1er, le fils de M. Richardson, expliqua qu’il s’était rendu au 29 Hanbury Street entre 4h45 et 4h50 du matin pour vérifier les cadenas de la cave dans lequel sa mère enfermait ses outils et ses marchandises pour son entreprise d’em-ballage. Il était resté là un moment et le corps d’Annie Chapman n’était pas là. �Le second témoin, Albert Cadosch, vivait juste à côté du 29 et témoigna du fait qu’il avait entendu des voix juste après 5h20. Le seul mot qu’il avait pu comprendre était “non”. Quelques minutes plus tard, vers 5h30, il avait entendu le bruit de quelque chose tombant contre la clôture. �Le 3ème témoin, le plus important, était Elizabeth Long, qui se rendait au marché de Spitalfields et était passé par Hanbury Street à 5h30 précise. Elle avait vu un homme et une femme parlant à côté des volets du n°29. Mme Long identifia Annie Chapman à la morgue comme étant la femme qu’elle avait vue. Malheureusement, l’homme qui discu-tait avec Annie était de dos et Mme Long n’avait pas pu voir son visage. Elle le décrivit au Coroner Baxter comme un homme brun qui portait chapeau de chasse marron et un manteau sombre. Selon elle, il avait une quarantaine d’année, n'était pas très grand et semblait être un “étranger”. Ces témoignages étaient intéressants mais posaient un problème à la police : le docteur Phillips, un homme en qui les enquêteurs avaient confiance, estimait qu’Annie Chapman était morte avant 4h30 du matin. Mais les trois témoignages indiquaient qu’elle avait du mourir vers 5h30. L’inspecteur Chandler choisit donc d’ignorer ces témoignages et de croire le Docteur Phillips. L’auteur Phillip Sugden rejette l’estimation du Docteur Phillips, tout comme l’avait fait le coroner Baxter à l’époque. Phillips avait estimé l’heure de la mort non pas grâce à la température intérieure du corps (prise dans le rectum ou le foie) mais en touchant le corps et en observant la “rigor mortis”. Mais plusieurs facteurs auraient pu contribuer à une perte rapide de la chaleur du corps. Le matin du 8 septembre était froid; la robe d’Annie était relevée pour exposer ses jambes; son abdomen avait été complètement ouvert; et elle avait perdu beaucoup de sang. Selon ces éléments, Annie avait été tuée après et non avant 4h30. Les journaux en firent beaucoup pour attiser la peur et la colère des gens de l’East End (contre la police, particulière-ment), se nourrissant de chaque rumeur. Les rues de Whitechapel, habituellement agitées, devinrent calmes le matin et presque désertes la nuit. Comme on pouvait s’y attendre, la popu-lation n’accepta pas la discrétion de la police et son manque de résultats. Le gou-vernement lui-même fut critiqué parce qu’il persistait à ne pas vouloir offrir de récompense (le ministre de l’Intérieur avait eu de très mauvaises expériences auparavant, lorsqu’il avait proposé des récompenses). Les habitants de Whitechapel inondaient la police d’informations, de "tuyaux" sur des gens ayant un comportement étrange, violent ou "antisocial". Dans un mélange de peur aveugle et de rage, les habitants cherchaient un "bouc émissaire" et s’en prirent à la commu-nauté juive grandissante. Quelques éléments prirent des proportions inconsidérées dans les esprits simples des gens de Whitechapel. L’homme appelé "tablier de cuir", qui intimidait les prostituées, était juif. Le témoignage de Mme Long au sujet du meurtre d’Annie Chapman désignait un "étranger", le terme utilisé pour décrire les immigrés juifs. Ces deux faits et de nombreuses rumeurs non corroborées engendrèrent une atmosphère clairement antisémite dans le quar-

Le meurtre d'Annie Chapman vu par les journaux

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tier. Plusieurs juifs furent passés à tabac et se retrouvèrent à l'hôpital. Les commerçants remarquèrent rapidement cette ambiance de plus en plus xénophobe et certains décidèrent d’y remédier. Le 10 septembre 1888, seize d'entre eux for-mèrent le "Comité de Vigilance de Mile End", qui fut tout d’abord composé de commerçants juifs, et fut présidé par M. George Lusk. Mais en une semaine, la vie nocturne de Whitechapel retrouva son visage habituel. Trop de femmes dépendaient de la prostitution pour survivre et ne pouvaient se permettre de ne pas "travailler". Les habitants se plaignaient du manque de résultats de la police et pourtant les enquêteurs travaillaient énormément. Quelques jours après le meurtre d’Annie Chapman, le fameux "tablier de cuir", un certain John Pizer, fut arrêté. La famille de Pizer essaya de le décrire comme un brave homme victime de rumeurs malveillantes, mais il existait des preuves montrant que Pizer était un personnage désagréable qui avait déjà poignardé quelqu’un auparavant et qui avait été condamné à 6 mois de travaux forcés. Par contre, les allégations selon lesquelles il avait menacé des prostituées et leur avait extorqué de l’argent ne furent jamais prouvées. Le East London Observer le décrivit de manière subjective et tendancieuse comme un homme "au visage sombre", "laid", "le visage couvert par des mèches de cheveux, une grosse moustache et des favoris", "les lè-vres minces et cruelles", "un large cou", et portant "un grand manteau sombre"… Lorsque le coroner Baxter demanda à Pizer pourquoi il était allé se cacher après les morts de Polly Nichols et d’Annie Chapman, ce dernier répondit que son frère le lui avait conseillé car "on me soupçonnait injustement". Pizer affirma qu’on l’aurait lynché s’il ne s’était pas éclipsé. Pizer était déplaisant mais n’était sûrement pas l’Eventreur. Il avait des alibis pour les meurtres de Nichols (il était dans un asile de nuit) et de Chapman (il était avec des amis). De plus, il ne possédait pas l’habilité nécessaire pour pré-lever l’utérus d’Annie Chapman. Pizer fut relâché mais d’autres suspects furent arrêtés et interrogés. La plupart n’étaient que des excentriques ou des alcooliques, d’autres étaient des malades mentaux. Peu d’entre eux déclenchèrent une enquête, soit parce qu’il n’avait pas de connaissances chirurgicales, soit parce qu’ils avaient des alibis. Les suspects étaient sélectionnés selon deux caractéristiques principales : ils devaient être fous (!) et avoir des qualifi-cations en médecine. On interrogeait également les personnes d’origine étrangère, puisque Mme Long avait assuré que le tueur était "un étranger". La focalisation sur les connaissances médicales conduisit la police en dehors de Whitechapel, jusqu’aux classes moyennes et élevées de Londres, et le comportement curieux ou violent de plusieurs chirurgiens et médecins fut remis en question. Le 30 septembre 1888, Louis Diemschutz, un commerçant russe juif, rentrait au Club International pour l’Education des Travailleurs (IWMC – un club principalement composé de juifs socialistes d’Europe de l’est), sur Berner Street, après avoir travaillé tard. Il était 1h du matin et, dans l’obscurité, il aperçut une masse allongée dans la cour d’entrée du Club, la Dutsfield's Yard. Il alluma une allumette et réalisa que c’était une femme. Diemschutz se précipita à l’intérieur du club et demanda à un jeune membre de l’aider. Ils ressortirent dans la cour et virent que la femme était couverte de sang. Affo-lés, ils appelèrent la police. Quelques minutes plus tard, le policier Henry Lamb arriva avec un collègue. Le visage de la femme était encore tiède mais elle était morte. Il semblait qu’elle ne s’était pas battue avec son agresseur et ses vêtements n’étaient pas relevés. Le collègue de Lamb alla chercher un médecin et revint avec le doc-teur Frederick Blackwell. Ce dernier remarqua que la femme était allongée sur le côté, les jambes ten-dues. Son corps était encore tiède, excepté ses mains : elle était morte peu de temps auparavant. Sa main gauche tenait encore un petit paquet de noix de cajous et elle portait une écharpe. Son cou avait été coupé d’un côté à l’autre, pro-fondément. Le docteur Phillips, médecin de la police, arriva rapidement. Blackwell et lui estimèrent l’heure de la mort entre 00h36 et 00h56… La police fouilla l’endroit mais ne trouva aucune arme ni indice. Les enquêteurs déterminèrent néanmoins que le prési-dent du IWMC avait traversé la cour vers 00h40, environ 20mn avant que le corps ne soit découvert, et n’avait rien vu d’étrange ni qui que ce soit dans les alentours. Alors que les policiers continuaient leur travail sur ce 3ème meurtre, un autre corps fut découvert à quelques centaines de mètres de là, dans Mitre Square. Cette grande place peu éclairée, située au centre d'un labyrinthe de rues étroites et d'impasses, était bordée de bâtiments commerciaux et d’entrepôts, et peu de gens y habitaient. La nuit, lorsque les commerces étaient fermés, Mitre Square devenait un endroit sombre et isolé. Le policier Edward Watkins y faisait sa ronde de nuit. Il passa vers 1h30 et ne vit rien de particulier. Il revint vers 1h45 (45mn après la découverte du corps à Dutfield's Yard) et tout lui sembla calme et désert. Mais lorsqu’il tourna sa lanterne vers l’un des coins de la cour, il découvrit le corps mutilé d’une femme. Elle était allongée sur le dos dans une marre de sang, sa robe remontée au-dessus de sa taille, la gorge coupée et ses entrailles à l’air. Watkins courut jusqu’au magasin de George Morris, un agent de police à la retraite, qui travaillait également comme veilleur de nuit. Grâce à son sifflet, il fut rapidement rejoint par d’autres collègues. Les policiers commencèrent à fouiller l’endroit et à chercher un éventuel suspect.

Découverte du corps

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Histoire

Steampunk

Figures Vers 2h00, le docteur Frederick Gordon Brown arriva sur les lieux et examina le corps. La femme avait été profondé-ment égorgée. L’abdomen avait été ouvert, les intestins avaient été placés sur son épaule droite et son visage avait été affreusement mutilé. Selon le Dr Brown, le corps était encore tiède et elle avait dû mourir peu de temps avant que le policier Watkins ne la trouve. Elle n’avait pas d’argent sur elle et il sembla qu’elle n’avait pas lutté contre son agresseur. Les policiers ne parvinrent pas à comprendre comment le tueur avait pu agir, surtout en si peu de temps, dans Mitre Square. Beaucoup d’agents de police patrouillaient dans ce quartier à cette heure. En plus de l’agent Watkins et du veilleur de nuit Morris, un autre policier, dont la ronde incluait une partie de Mitre Square, était passé vers 1h42 et n’avait rien vu ni entendu. Un autre agent de police vivait non loin et avait dormi sans être réveillé par quoi que ce soit. L’assassin s’était approché de sa victime sur la place, l’avait étranglée, égorgée, éventrée puis s’était enfui, et tout cela en l’espace de 15mn. A 2h55, le policier Alfred Long trouva un morceau de tablier de femme ensanglanté dans l’entrée d’un bâtiment de la Goulston Street, vers le nord-est de Whitechapel, non loin d'une fontaine publique à l'eau rougit de sang (il est possible que le meurtrier s'y soit lavé les mains). Juste au-dessus du tablier, écrit à la craie blanche sur le mur de briques noires, on pouvait lire :

The Juwes are (Les Juifs - avec une faute d’orthographe - sont) The men That (Les homme Qui)

Will not be Blamed (ne Seront pas Accusés)

For nothing (Pour rien) Le morceau de tablier appartenait à la femme qui avait été assassinée dans Mitre Square et la police pensa que l’ins-cription avait été faite par le tueur.

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Un policier fut laissé en faction devant l’inscription et on demanda à ce qu’il soit photographié. Mais avant que cela fut fait, Sir Charles Warren, le Préfet de Police, ordonna de l’effacer. Warren allait être violemment critiqué pour cette décision mais expliqua que l’inscription était visible de tous et ne pouvait être couverte : il craignait que si la popula-tion de Whitechapel la lisait, les juifs furent lynchés et leurs magasins détruits. Le tueur avait-il été capable d’accomplir ces deux meurtres en peu de temps, et notamment les mutilations de la se-conde victime, sans être vu par un policier ou un passant, alors que le quartier était sur ses gardes ? Et il avait peut-être même pris le temps d’écrire sur le mur… La police interrogea tous les habitants des maisons alentours. Les passants qui s’étaient réunis pour voir le corps furent eux-aussi interrogés. La première victime était grande, gracile et portait des cheveux marrons bouclés. Elle était vêtue de noir et une rose rouge décorait son gilet. Aucun objet de valeur ne fut trouvé dans ses poches. Elle fut malgré tout identifiée comme Elizabeth Stride, née en Suède en 1843. Elle était venue en Angleterre pour y travailler comme domestique. Elle avait inventé une histoire selon laquelle elle avait survécu au naufrage du Princess Alice en 1878 (une collision entre deux navires le Bywell Castle et le Princess Alice sur la Tamise avait fait 786 morts), et affirmait que son époux et ses deux enfants s’étaient noyés. Cette histoire lui avait été utile pour obtenir de l’aide de l’Eglise Suédoise de Londres et provoquait souvent la sympathie à son égard. La vérité était que son mari, John Stride, était un survivant de la tragédie du Victoria (en 1881, un bateau à vapeur, le Victoria, avait coulé avec plus de 200 passagers) mais qu’il était décédé par la suite dans un asile pour nécessiteux. Elle vivait avec un ouvrier nommé Michael Kidney depuis 3 ans. Les gens l’appréciaient et la surnommaient "Long Liz". Elle se prostituait rarement et gagnait sa vie en faisant de la couture ou des ménages. Il lui arrivait de se saouler et elle se mettait à crier et à insulter les gens. Elle avait déjà été arrêtée pour ce genre de fait. Elle avait quitté son asile de nuit dans la soirée et n’avait dit à personne où elle allait. Elle était partie avec un peu d’ar-gent mais sans la rose sur son gilet. Le Dr Phillips affirma qu’elle était morte de ses blessures à la gorge. Il n’y avait aucun signe de strangulation, mais le tueur avait pu tirer Liz vers lui par son écharpe, puis lui couper la gorge. Le Dr Blackwell expliqua que le tueur devait être quelqu’un "habitué à utiliser un lourd couteau". (Il est possible qu'Elizabeth Stride n'ait pas été une victime de l'Eventreur : il semble qu'elle n'ait pas été étranglée avant d'être égorgée, et le couteau était plus large et moins pointu) Cette fois, de nombreux témoins contactèrent la police pour expliquer qu’ils avaient vu Liz juste avant sa mort. L’un des témoins était l’agent de police William Smith, qui avait fait sa ronde près de Berner Street et avait vu Liz parler avec un homme vers minuit et demi, peu avant son meurtre. L’homme que Smith avait vu avait "environ 28 ans". Il portait "un chapeau de chasse sombre et un manteau noir", une chemise blanche et une cravate. Il avait un pa-quet dans les mains et avait "l'air respectable". Un autre témoin, Israël Schwartz expliqua à l’inspecteur Swanson qu’à 00h45, il avait vu un homme s’arrêter et parler à une femme qui se tenait debout devant la cour. L’homme avait essayé de tirer la femme en direction de la cour mais elle avait résisté et il l’avait jetée à terre. Elle avait crié mais pas vraiment fort. Croyant assister à une dispute, Schwartz s'était éloigné. De l’autre côté de la rue, il avait vu un homme sortir d’un pub. Cette homme ou celui qui avait tiré la femme vers la cour avait crié "Lipski" (Israel Lipski était un Juif qui avait empoisonné une jeune anglaise en 1887 et son nom était depuis utilisé pour insulter les Juifs). Schwartz, Juif lui-même, avait pris peur et s’était enfui. Il avait eu l’impression que l’homme du pub l’avait suivi. Schwartz identifia le corps de Liz comme celui de la femme qu’il avait vu jetée à terre, puis décrivit l’homme qui l’a-vait poussée : environ 30 ans, environ 1m65, cheveux brun, moustache, vêtu de noir, une casquette noire à visière, rien dans ses mains. L’homme du pub avait environ 35 ans, 1m80, des cheveux châtains, une moustache, un manteau som-bre, un chapeau noir à bords larges. La police prit les témoignages de Smith et de Schwartz très au sérieux. Deux autres témoins apparurent peu après. William Marshall vivait au 64, Berner Street et s’était tenu non loin du lieu du meurtre vers 23h45, plus d’une heure avant le meurtre. Il avait vu Liz discuter avec un homme d’âge moyen, por-tant une casquette à visière assez courte "comme un marin", plutôt corpulent, de taille moyenne, habillé comme un employé de bureau avec une veste noire et qui parlait "comme un homme éduqué". Malheureusement, Marshall n’a-vait pu voir le visage de l’homme. Liz avait très bien pu parler à un autre homme que son assassin, une heure avant le meurtre. Un dénommé James Brown contacta la police pour annoncer qu’il avait vu Liz vers 00h45, quelques minutes avant sa mort. Brown avait estimé l’heure plutôt que d’en être sûr : il n’avait pas de montre. Lorsqu’il avait atteint l’intersec-tion de Berner et de Fairclough Street, il avait vu Liz parler à un homme. Brown avait entendu Liz dire : "Pas ce soir, un autre soir". L’homme était assez grand et portait un long manteau sombre. Ces témoignages n’aidèrent malheureusement pas la police à trouver un suspect. La femme assassinée dans Mitre Square fut plus facilement identifiée car elle avait sur elle des billets de dépôt de gage. La police les fit connaître au public et un homme, John Kelly, vint expliquer qu’il avait vécu avec cette femme durant 7 ans dans une chambre au 55 Flower et Dean Street. Catharine Eddows, appelée Kate par tous ceux qui la connaissaient, était une femme gentille, amicale et toujours heureuse, connue pour sa bonne humeur et son amour du chant. Comme les autres victimes, elle avait périodiquement des problèmes avec l’alcool, qui la poussait à se quereller avec ses compagnons et sa famille. Elle était née en 1842. Ses parents étaient morts lorsqu’elle était enfant. A 16 ans, elle était tombé amoureuse de Tho-mas Conway et était partie vivre avec lui. Ils vécurent ensemble 20 ans et eurent trois enfants. Mais Kate buvait trop et

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Histoire

Steampunk

Figures Conway la battait, aussi le couple se séparât-il en 1880. L’année suivante, Kate rencontra John Kelly et ils s’installè-rent ensemble. Ses amis affirmèrent que Kate n’était pas une prostituée, mais il lui arrivait de vendre ses charmes, peut-être sous l’effet de l’alcool. Le soir de sa mort, Kate avait dit à John Kelly qu’elle allait rendre visite à sa fille pour lui emprunter un peu d’argent. Il lui avait parlé du tueur de Whitechapel et lui avait conseillé de ne pas s’attarder. Kate l’avait rassuré en lui affirmant qu’elle prendrait soin de ne pas tomber entre ses mains. Mais elle ne se rendit pas chez sa fille et parvint à trouver as-sez d’argent pour aller se saouler dans un pub et finir dans une cellule du commissariat de police de Bishopsgate Street. Elle dormit là jusqu’à 00h30, puis on la laissa sortir. Inquiète du fait que John Kelly allait sûrement la répri-mander si elle rentrait trop tard, elle se pressa de partir. Mitre Square était à moins de 10mn de là. Comme dans les meurtres de Polly Nichols et Annie Chapman, la gorge de Kate avait été profondément tranchée de gauche à droite, ce qui avait causé sa mort. Le Dr Brown, qui fit l’autopsie, expliqua que l’abdomen avait été ouvert et les intestins détachés. Le rein gauche avait été prélevé avec soin, sans être abîmé. L’utérus avait été coupé horizontale-ment et presque entièrement enlevé, alors que le vagin et le col de l’utérus n’avaient pas été endommagés. Le foi, l'aine, le pancréas avaient été tranchés. Selon le Dr Brown, le meurtrier avait utilisé un couteau très aiguisé d'environ 15cm de long. Il ajouta : "L'instigateur de cet acte devait avoir une grande connaissance anatomique, pour réussir à retirer le rein et connaître sa position. De telles compétences peuvent être acquises par quelqu'un habitué à tuer des animaux... Il a fallu au moins cinq minutes pour perpétrer ces mutilations". Le visage de Kate était mutilé au niveau des yeux, une partie du nez avait été coupé, ainsi que le lobe de son oreille droite. Un témoin, Joseph Lawende, qui avait quitté l’Imperial Club vers 1h35 avec des amis, vint expliquer qu’il avait vu un couple discuter dans Church Passage, près de Mitre Square. Lawende reconnu les vêtements de Kate. L’homme qui parlait avec elle avait environ 30 ans, était de taille moyenne, vêtu d’un manteau gris, arborait une petite moustache claire et portait un une casquette à visière grise ainsi qu'un foulard. A peine 10mn plus tard, Kate était assassinée. Que dire de l’inscription à la craie découverte une heure plus tard, non loin du morceau de tablier de Kate Eddowes ? Il existe plusieurs théories et interprétations. La première (sans doute la bonne) est que le message n’a pas été écrit par le tueur mais plutôt par un quelconque anti-sémite, et que le tueur a, par coïncidence, jeté là le morceau de tablier avec lequel il avait essuyé son couteau. L'ins-pecteur en chef Swanson indiqua dans un rapport que l'inscription étaient ancienne, un peu estompée. Une autre théorie, proposée par Walter Drew, officier de police à Whitechapel en 1888, est que le message "représente le geste de défi d’un juif dérangé, euphorique après ses ‘triomphes’ sanglants de Dutfield Yard et de Mitre Square". L’un des nombreux problèmes de cette interprétation est qu’il n’existe aucun dialecte ou patois dans lequel "Jews" (Juifs) s’écrit "Juwes" : le message aurait donc plutôt été écrit par une personne illettrée. La troisième théorie était que le message avait bien été écrit par le tueur, mais était "un subterfuge intentionnel dans le but d’incriminer les Juifs et d’éloigner la police de la piste du véritable meurtrier". Cette théorie était celle qui avait les faveurs de Scotland Yard et de la communauté Juive. En tout cas, l’auteur du message ne fut jamais identifié. Les habitants de Whitechapel furent terrifiés, choqués, indignés et courroucés. Ils se réunirent dans les rues pour de-mander la démission de Sir Charles Warren et du ministre Henry Matthews... sans succès. Les habitants du quartier étaient terrrorisés mais il semble que ces meurtres amusèrent une certaine catégorie de la po-pulation car des centaines de lettres prétendument écrites par le tueur furent envoyées à la police, aux journaux et à certains enquêteurs. Seules trois de ces lettres semblent intéressantes. Deux, en particulier, ayant été écrites par la même main, ont données son surnom de "Jack l’Eventreur" à l’assassin. La lettre suivante, écrite à l’encre rouge, fut reçue par le Central News Agency (un organisme méconnu du grand pu-blic... mais pas des journalistes) le 27 septembre 1888, et était adressé au directeur, "The Boss", du journal. "25 Sept 1888

Cher patron,

Je continue d’entendre que la police m’a attrapé mais ils ne vont pas m’arrêter de si

tôt. J’ai rit lorsqu’ils prit un air intelligent et ont affirmé être sur la bonne piste.

Cette blague concernant Tablier de Cuir m’a vraiment fait rire. Je cherche des pu-

tains et je n’arrêterai pas de les mettre en pièces jusqu’à ce que je sois bouclé. Beau

travail que mon dernier boulot. Je n’ai pas laissé à la dame le temps de couiner.

Comment pourraient-ils m’attraper maintenant. J’aime mon travail et je veux re-

commencer. Vous allez bientôt entendre parler de moi avec mes petits jeux amusants.

J’ai gardé quelques trucs rouges convenables dans une bouteille de bière au gin-

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gembre de mon dernier travail pour écrire mais c’est devenu épais comme de la

colle et je ne peux pas l’utiliser. L’encre rouge convient assez j’espère ha ha. Le pro-

chain boulot que je ferai je couperai l’oreille de la dame et l'enverrai aux officiers

de Police juste pour s’amuser, n’est-ce pas. Gardez cette lettre jusqu’à ce que j’en

fasse plus puis donnez-la. Mon couteau est si beau et acéré que je veux me remettre

au travail immédiatement si j’en ai la chance.

Bonne chance.

Votre dévoué

Jack l’Eventreur

Je m'excuse si je donne mon nom de plume”. Sur la même lettre, écrit horizontalement :

"n’était pas assez bon pour que je la poste avant que j’ai enlevé toute l’encre rouge

de mes mains maudite soit-elle. Pas de chance. Ils Disent que je suis un docteur.

Maintenant ha ha". La 2nde lettre L’éditeur considéra que la lettre était un faux et ne l’envoya pas à la police avant plusieurs jours. Le lundi qui suivit le double meurtre, la Central News Agency reçu une autre lettre, postée du 1er octobre, et portant la même écriture.

“Je n’étais pas lubrique cher vieux patron lorsque je vous ai donné ce tuyau. Vous

entendrez parler du travail effronté de Jacky demain double événement cette fois nu-

méro un a crié un peu n’ai pas pu terminer tout de suite. N’ai pas eu le temps de

prendre les oreilles pour la police merci d’avoir gardé la dernière lettre jusqu’à ce

que je recommence à travailler.

Jack l’Eventreur "

La police fit circuler les lettres dans ses services et en placarda des fac-similés sur les murs de chaque commissariat de police au cas où quelqu’un pourrait reconnaître l’écriture. Mais rien d’intéressant n’en résultat. La 3ème lettre importante fut envoyée le 16 octobre à George Lusk, le dirigeant du Comité de Vigilance de Mile End. La lettre fut envoyée avec un morceau de rein humain. Lusk en fut bouleversé. L’un des membres du comité affirma qu’il devait s’agir d’un rein d’animal préservé dans du vin et ils l’apportèrent au Docteur Thomas Openshaw, du Lon-don Hospital, afin qu’il l’examine. On publia tout et n’importe quoi sur ce que dit le Dr Openshaw, et qu’il nia par la suite. Ce dont on peut être sûr est que le Dr Openshaw établit que le rein était celui d’un être humain adulte, qui avait été préservé dans de l’alcool de vin plutôt que du formol. Il est possible que ce rein ait été atteind de la maladie de Bright (ou "néphrite"), mais les avis des médecins étaient partagés. La 3ème lettre La lettre accompagnant le rein n’avait pas été écrite par l’auteur des deux lettres signées Jack l’Eventreur. Elle com-portait de nombreuses fautes d'orthographes.

"De l’enfer,

Monsieur Lusk

Monsieur (Sor)

Je vous envoie la moitié du rein (kidne) que j’ai pris à une femme prasarvé

(prasarved) pour vous l’autre (tother) morceau je l’ai frit et mangé c’était très bon

(nise) je vous enverrai peut-être le couteau (knif) ensanglanté qui l’a enlevé si vous

attendez (wate) un peu (a whil) plus longtemps.

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Histoire

Steampunk

Figures

Signé

Attrapez-moi quand

vous pourrez

Monsieur (Mishter) Lusk" L’une des ces lettres a-t-elle été envoyée par le véritable tueur ? Les spécialistes et les chercheurs (les "ripperologues") considèrent souvent que les deux premières lettres sont des faux, bien qu’elles présentent des informations que seul l’assassin devait connaître. L’auteur de la lettre dit qu’il enverra des oreilles à la police mais le tueur ne l’a jamais fait. Le lobe de l’oreille de Kate Eddowes était coupé, mais sûrement par un coup de couteau visant le visage. Vu les mutilations qu’il a pu accomplir, le tueur aurait eu largement le temps de lui couper les oreilles s’il en avait eu l’envie. La prévision des deux meurtres durant la même nuit a été présenté comme une preuve que ces lettres étaient authenti-ques. Toutefois, la lettre a été postée le matin du 1er octobre (le timbrage l'indique), alors que tous l’est de Londres bourdonnait déjà de la découverte du double meurtre. Tout le monde était au courant dès le dimanche et en parlait. Ce n’était donc pas une prévision. L’auteur des deux lettres affirme également que Liz Stride a crié mais seul un des nombreux témoins a affirmé avoir entendu une femme crier. Les autres témoins n’ont rien entendu de toute la nuit. Déjà à l'époque, Scotland Yard pensait que cette lettre avait été écrite par "un journaliste trop imaginatif". L'enveloppe de la première lettre était timbrée "London EC", des districts de Gray's Inn Road et Fleet Street, siège de la très grande majorité des journaux. Par la suite, les hauts gradés de la police affirmèrent catégoriquement que ces deux lettres étaient l'oeuvre d'un journa-liste. La lettre adressée à Monsieur Lusk semble plus plausible. Le Dr Brown, lors de l'autopsie de Catharine Eddowes, indi-qua que son rein encore présent était "pâles, exsangue, avec une légère congestion à la base des pyramides", ce qui décrit les symptômes de la maladie de Bright. Kate Eddows en souffrait vraisemblablement. Il est possible que la troisième lettre ait véritablement été écrite par l’Eventreur et que le rein ait appartenu à Kate Ed-dows, mais on ne peut absolument pas le prouver de nos jours. La peur s’intensifia dans l’East End et durant la semaine qui suivit le double meurtre, les rues de Whitechapel furent quasiment désertées à la tombée de la nuit. De nombreuses prostituées évitèrent de rester dehors, autant qu’elles le pouvaient, se logeant dans des asiles de pauvres ou dans leur famille. Les Londoniens évitaient le quartier et les com-merçants virent peu de clients. Et pourtant, les rues étaient en général plus sûres qu’elles ne l’avaient été car tout le monde était en état d’alerte et de nombreux policiers, en civil ou en uniforme, patrouillaient jour et nuit. De plus, le Comité de Vigilance de Mile End employait des hommes, équipés de sifflet et de gourdin, pour sillonner les rues après minuit. Un policier s’habilla même en femme et se fit passer pour une prostituée, essayant d’attirer le tueur. Il s’attira surtout les quolibets des habitants du quartier… La police visita les asiles de nuit et interrogea plus de 2000 logeurs. Plus de 80 000 prospectus furent imprimés et dis-tribués, demandant à d’éventuels témoins du double meurtre de s’adresser au poste de police le plus proche. 76 bou-chers et équarrisseurs furent interrogés, ainsi que leurs employés. La police interrogea aussi les marins qui travaillaient sur la Tamise. Des chiens policiers furent déployés dans le quartier mais on ne possédait pas d’objet ayant appartenu au tueur que les chiens auraient pu renifler. Et les odeurs putrides de Whitechapel perturbèrent leur odorat… Peu à peu, la vie reprit son cours normal dans l'East End. Il n’y eut pas de meurtre durant un mois et, bien que les jour-naux continuèrent à publier de nombreux articles sur l'Eventreur, les prostituées redescendirent dans les rues. Le vendredi 9 novembre 1888, Londres fêtait le Lord Mayor's Show, une manifestation importante durant laquelle le futur maire prenait place dans son bureau, avec or et apparats. Les gens étaient nombreux dans les rues et le commer-çant John McCarthy, qui louait des chambres dans Dorset Street, au sud de Spitalfield Market, était surpris de ne pas voir l'une de ses locataires, Mary Kelly. Il envoya son apprenti, Thomas Bowyer, pour qu’il collecte l'arriéré de loyer que Kelly lui devait. Personne ne répon-dit lorsqu’il frappa à la porte, qui était verrouillée, et Bowyer jeta un œil par un carreau de fenêtre brisé. Il aperçu un corps ensanglanté sur le lit. Affolé, il couru voir McCarthy, qui appela immédiatement le policier local. L'inspecteur Beck parlait avec un officier de police, Walter Dew, et ils se rendirent tous deux au 13 Miller's Court. Ils regardèrent par la fenêtre et, dans la semi-obscurité, ils aperçurent un corps affreusement mutilé. Beck prévint son supérieur, qui arriva rapidement sur les lieux et fit mander le médecin de la police, le Dr George

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Bagster Phillips. L'inspecteur Abberline arriva peu après. Ils attendirent que le préfêt de police, Sir Charles Warren, arriva à son tour, mais celui-ci venait juste de démissionner. Ils ouvrirent la porte et pénétrèrent dans une petite chambre à peine meublée. Le corps de la jeune Mary Kelly était allongé sur le lit, les jambes écartées, le corps en charpie. Elle avait été égorgée, le tueur avait coupé sa carotide. Les mutilations avaient eu lieu après sa mort. Mary Kelly était nue. Son abdomen et l’intérieur de ses cuisses avaient été enlevés et la cavité abdominale avait été vidée de ses viscères, qui avaient été po-sées tout autour du corps. Les seins avaient été coupés, les bras et le visage déchiquetés. La férocité de ce meurtre hor-rifia le docteur Phillips, pourtant expérimenté. L'autopsie fut menée par le Docteur Bond, en présence des Docteurs Phillips et Brown. Alors qu’ils tentaient de re-constituer le corps de Mary Kelly, ils réalisèrent que le tueur avait emmené son cœur avec lui. Les médecins affirmè-rent que les mutilations avaient été effectuées avec un couteau très aiguisé, d’environ 15 cm de long. Le Dr Phillips estima que Mary Kelly avait du être assassinée entre 5 et 6 heures du matin. Mary Kelly était une Irlandaise de 25 ans, un peu ronde, qui se prostituait occasionnellement avec deux ou trois amies, souvent bien vêtue. Au moment de son décès, elle n’avait plus payé son loyer depuis plusieurs semaines et son amant, Joe Barnett, était au chômage. Elle avait donc du retourner à la prostitution pour survivre. Les gens la décrivaient comme une jeune femme grande et belle, gentille avec tout le monde. Une amie ajouta qu’elle devenait grossière lors-qu’elle était saoule, mais qu’elle était adorable et honnête lorsqu’elle était sobre. Le meurtre de Mary Kelly engendra la panique dans les rues de Whitechapel, qui furent de nouveau désertées la nuit. La police travailla d’arrache pied. Chaque piste fut suivie, chaque suspect fut longuement interrogé. Mais les enquê-teurs n’obtinrent aucun résultat probant et furent fortement critiqués. La reine Victoria, elle-même, était furieuse. Elle ordonna au Premier Ministre de doter chaque rue d’un éclairage pu-blique et d’améliorer la formation des policiers. Le Times fut plus compréhensif. Il expliqua que les meurtres étaient accomplis avec une "perfection qui déroutent les enquêteurs". Aucun indice probant n’était laissé par le tueur et aucun mobile rationnel ne pouvait être trouvé pour ces meurtres horribles. La police trouva plusieurs témoins intéressants, dont George Hutchinson, un ouvrier au chômage qui connaissait Mary Kelly. Il l’avait rencontré vers 2h du matin, et elle lui avait demandé de l’argent. Mais il n’en avait pas et elle s’était éloignée pour aller discuter avec un autre homme. Ce dernier portait un chapeau de feutre mou et avait passé son bras autour des épaules de Mary Kelly. Ils étaient tous deux repartis dans l’autre sens et Hutchinson avait croisé le regard de l'homme. Il les avait suivis discrètement alors qu’ils revenaient vers Miller's Court en discutant. Marry Kelly avait invité l’homme à l’intérieur et il l’avait embrassée. Ils étaient entrés dans la chambre de Mary Kelly. Hutchinson les avait attendus ¾ d’heure mais, ne les voyant plus ressortir, il était parti. Selon Hutchinson, l’homme avait 35 ans, mesurait environ 1m70, était pale, avait des cheveux noirs et une petite moustache bouclée aux deux extrémités. Il portait un long manteau sombre avec un col en astrakan, un costume som-bre, des bottines à boutons et une cravate sombre avec une épingle en forme de fer à cheval. Il avait une apparence respectable mais "on aurait dit un étranger" (un Juif). Il tenait dans ses mains un paquet d'une vingtaine de centimètres de long. D’autres personnes avaient vu Mary la nuit de sa mort et, entre 3h30 et 4 heures du matin, trois femmes habitants Mil-lers' Court avaient entendu quelqu’un s'écrier "Au meurtre !". Mais ce genre d’appel était si courant dans le quartier qu’elles n’y avait pas vraiment prêté attention. L’inspecteur Abberline cru le récit d’Hutchinson mais se demanda pourquoi il avait "surveillé" Mary Kelly et son pro-bable assassin. Hutchinson expliqua qu’il connaissait Mary depuis des années et lui avait plusieurs fois prêté de l’ar-gent. Il l’appréciait-il et s’inquiétait de ce qui pouvait lui arriver. Il est plus probable, en fait, qu’il attendait qu’elle en ait fini avec ce client et espérait bénéficier de ses faveurs… Deux policiers parcoururent le quartier avec Hutchinson, dans l’espoir qu’il reconnaîtrait le client, sans résultat. Le lendemain du meurtre, le ministre de l'Intérieur, Henry Matthews, proposa un "pardon officiel pour tout complice n'ayant pas personnellement commis ou participé à un meurtre" et qui dénoncerait l'Eventreur. Cette mesure semble avoir été une manoeuvre purement politique car la police pensait déjà que le tueur n'avait aucun complice. Avec l’arrivée de l’hiver, l’activité de la police se ralentit. Tous les suspects avaient été interrogés et toutes les pistes avaient abouti à une impasse. Jack l’Eventreur ne fit plus parler de lui… Toutefois, deux meurtres similaires à ceux de l’assassin peuvent attirer l’attention. Le premier fut celui d’Alice McKenzie, une prostituée de 40 ans qui fut trouvée morte en juillet 1889. Elle avait été égorgée et sa carotide était tranchée. Son abdomen avait été mutilé mais les blessures étaient de nature différente de celles accomplies par l’Eventreur. Les Dr Bond et Phillips ne parvinrent pas à s’accorder pour savoir si elle avait été tuée ou non par l’Eventreur. En février 1891, une prostituée de 26 ans nommée Frances Coles fut découverte morte, la gorge tranchée. Le Dr Phil-lips ne pensa pas que l’Eventreur fut son assassin et les soupçons se portèrent sur un marin avec qui elle s’était querel-lée. La police n’obtint toutefois pas assez de preuves pour l’inculper.

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Figures Il existe de nombreuses théories sur l’identité de Jack l’Eventreur. D’après les dires enquêteurs et des divers témoins, mais aussi d’après les techniques de profiling modernes, on peut dire que l’Eventreur était un homme blanc, de taille moyenne, sans doute brun, qui avait entre 25 et 35 ans en 1888, qui pouvait être un ouvrier (mais qui s'habillait bien lorsqu'il voulait tuer), qui vivait à Whitechapel, qui avait sûrement un emploi régulier (les meurtres n’ont eu lieu que les week-ends) et qui était sûrement célibataire (il sortait tard la nuit). Il se peut qu’il ait été solitaire, discret et peu intégré à la société. A l’époque, Whitechapel baignait dans l’antisémitisme et l’on accusait souvent un "étranger" (donc un Juif) d’être le tueur. D’autres on pensé qu’un "gentleman britannique" ne serait jamais capable de telles horreurs et que l’Eventreur devait être Américain. Les auteurs et les rumeurs ont également pointé du doit des Russes, des communistes, des Fran-çais, des asiatiques, des marins, des médecins, des militaires, etc, selon les haines et les convictions du moment… Depuis un siècle, de nombreux livres ont été écrits, qui assurent avoir découvert la véritable identité de l’Eventreur. Souvent, leurs auteurs présentent des preuves qui s’ajustent à leur théorie, tout en dénigrant ou ignorant les faits qui ne corroborent par cette théorie… Le nombre de suspects est élevé, il n’en existe aucun qui soit totalement convaincant et il y a peu de chance que l’on connaisse jamais la véritable identité de l’assassin. Certains suspects ont attiré l’attention plus que d’autres, souvent à cause de leur célébrité. L’une des théories les plus connues (et les plus populaires) est celle de la conspiration royale : le Prince Albert Victor, surnommé Eddy, était le petit-fils de la reine Victoria et en ligne directe vers le trône du Royaume-Uni. Son père devint par la suite le roi Edouard VII. Si "Eddy" avait vécu plus longtemps (il est décédé à 28 ans), il serait devenu roi à son tour. La théorie est la suivante : Albert Victor aimait fréquenter les rues de Whitechapel, où il rencontra une jeune femme nommée Annie Crook, qu’il installa dans une garçonnière. Elle tomba enceinte et, selon certai-nes versions, épousa secrètement le prince lors d’un mariage Catholique (les Rois britanniques étant "anglicans"). D’autres versions racontent que l’enfant fut illégitime. Epouser une Catholique d’un niveau social très bas était inacceptable pour un futur roi et le vent du scandale parvint jus-qu’à sa grand-mère la reine, qui insista pour que le problème soit "résolu". Le Premier Ministre confia cette mission au médecin de la reine, le Dr Gull. Sir Melville Macnaghten succéda à Sir Charles Warren comme préfet de la Metropolitan Police, après que les meurtres de l’Eventreur aient offi-ciellement cessé. Toutefois, l’enquête continua jusqu’en 1892 et Mac-naghten avait accès aux dossiers de police. Son rapport final explique pourquoi, à son avis, les meurtres ont cessé après celui de Mary Kelly. Le tueur, après ce dernier meurtre abominable, aurait "perdu l’esprit" et se serait suicidé, ou, sous la pression de sa famille, aurait été enfermé dans un asile. Macnaghten proposa trois suspects qui auraient pu être Jack l’Eventreur : "- Montague John Druitt, un médecin de bonne famille, qui disparut peu après le meurtre de Mary Kelly et dont le corps (qui serait resté près d'un mois dans l'eau) fut découvert dans la Tamise le 31 décembre 1888, sept semaines après le meurtre. Il était sexuellement aliéné (sic) et, d’après des informations privées que je possède, je sais que sa propre famille croyait qu’il était l’assassin. - Aaron Kosminski, un Juif polonais et résident de Whitechapel. Cet homme est devenu fou suite à de trop nombreuses années de vices solitaires (onanisme). Il avait une grande haine des femmes, en particulier des prostituées, et avait de fortes tendances homicides. Il a été envoyé dans un asile d’aliénés en mars 1889. Il existe de nombreuses circonstan-ces reliées à cet homme qui en font un suspect sérieux. - Michael Ostrog, un docteur Russe, et un prisonnier, qui fut par la suite détenu dans un asile d’aliénés comme mania-que homicide. Les antécédents de cet homme étaient du pire type possible et on ne put jamais savoir où il était au mo-ment des meurtres". L’inspecteur en chef Abberline n’était pas d’accord avec Macnaghten concernant ces trois suspects. En 1903, il affir-ma : "Vous pouvez dire carrément que Scotland Yard n’est vraiment pas plus instruit sur le sujet qu’il ne l’était il y a 15 ans". Toutefois, l'Inspecteur Abberline avait lui-aussi son "suspect préféré", un dénommé George Chapman, qui fut pendu en 1903 pour avoir empoisonné son épouse.

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Un suspect est apparu dans le livre de Evans et Gainey, en 1995, “Jack the Ripper : First American Serial Killer" : Francis Tumblety. Il a été cité dans un courier de l'inspecteur en chef Littlechild à un journaliste, en 1923. Il était Américain et sa famille s’installa à Rochester, aux Etats-Unis en 1849. En 1992, un dénommé Michael Barret, ferrailleur de Liverpool, annonça publiquement qu’il avait découvert un jour-nal intime écrit par un courtier en coton nommé James Maybrick, décédé en 1889. Dans ce journal, Maybrick affirmait être Jack l’Eventreur. Barrett affirma qu’un de ses amis, Tony Devereux lui avait donné ce journal, mais Devereux, décédé, ne lui avait pas expliqué comment il se l’était procuré. On s’était toujours demandé pourquoi les meurtres de l’Eventreur avaient soudainement commencé en août 1888 et avaient cessé tout aussi brutalement en novembre de la même année. Le journal intime de Maybrick offrait soi-disant la réponse, car ce dernier était mort en mai 1889… On (Abberline, entre autre) a suggéré que l’Eventreur a pu être une sage-femme qui aurait mutilé les 5 victimes afin de maquiller des décès provoqués par un avortement clandestin. Les "ripperlologues" l'ont surnommée "Jill l’Even-treuse". Mais il existe de nombreuses objections à cette théorie, notamment le fait qu’aucune des victimes n’était enceinte lors-qu’elles ont été assassinées. De plus, aucune femme tueuse en série n’a jamais accompli de mutilations sadiques. Le Dr Roslyn D’Onston Stephenson ou Robert Donston Stephenson était un journaliste et un ivrogne féru d’oc-cultisme. L’auteur Melvin Harris l’a désigné en 1987 comme tueur potentiel en arguant du fait que les meurtres de l’E-ventreur avaient été commis lors d’un rituel d’initiation (un pentagramme possède 5 pointes, comme 5 victimes). Ste-phenson, imbu de lui-même, avait été renvoyé de plusieurs emplois. Il était fasciné par la magie noire et s’intéressait beaucoup aux crimes de l’Eventreur. Il avait 47 ans en 1888. Il fut suspecté par ses amis, associés du sataniste Aleister Crowley, car il leur avait expliqué en détail comment l’Eventreur assassinait ses victimes. Le problème étant que ses descriptions étaient tout à fait erronées. Il n’existe aucune preuve tangible le reliant aux crimes de l’Eventreur. L’auteur Michael Harrison a affirmé que James Kenneth Stephen, tuteur du Prince Albert Victor, était Jack l’Even-treur parce qu’il détestait les femmes et était peut-être homosexuel. Harrison soutient que Stephen vouait un amour passionné au Prince Albert et que ses meurtres auraient été une sorte de rituel sanglant, une vengeance après une rup-ture avec le Prince. Ce mobile est difficile à admettre. Stephen a eu un accident en 1887 qui a provoqué de graves lé-sions cérébrales et l’a laissé à demi invalide. Il est mort dans un asile d’aliénés en 1892. Il n’existe aucune preuve contre lui. Le Dr Thomas Neil Cream était un tueur en série, il a empoisonné 8 femmes en Angleterre et en Europe, dont 4 prosti-tuées Londoniennes. Mais son seul lien avec l’Eventreur est qu’il a crié « Je suis Jack l’… » juste avant d’être pendu, en 1892. En fait, il était emprisonné aux Etats-Unis lors des meurtres de 1888 et est resté en prison jusqu’en juillet 1891. Le Dr Alexander Pedachenko, un chirurgien, soi-disant ex-membre des services secret russe, pratiqua la médecine à Glasgow avant de s’installer à Londres au milieu des années 1880. Selon l’auteur Donald McCormick, en 1888, la po-lice secrète russe considérait Pedachenko comme "le plus grand et le plus audacieux de tous les criminels déments rus-ses". McCormick, reprenant la théorie d’un journaliste Britannique du 19ème siècle, William Le Queux, affirmait que Pedachenko et deux serviteurs auraient commis les meurtres de l’Eventreur avec la volonté politique d’embarrasser Scotland Yard, afin de les punir d’avoir "choyé" des exilés russes dissidents. Théorie passionnante, mais il n’existe aucune preuve pour l’étayer, surtout lorsque l’on sait que les documents cités par Le Queux et McCormick pour étayer cette théorie sont inexistants ou introuvables. Un autre suspect a été désigné pour la première fois en 1976 par Stephen Knight (Jack the Ripper: The Final Solution), au beau milieu de la théorie de la conspiration royale du Prince Albert Victor : Walter Sickert, un peintre impression-niste Britannique, très célèbre en son temps. Il aurait donné des cours de peinture au Prince et c’est grâce à lui que le Prince aurait rencontré Annie Elizabeth Crook, alors qu’elle posait pour lui. Stephen Knight expliqua qu’il tenait cette histoire du fils illégitime de Sickert, Joseph Sickert. Ce dernier, interrogé en 1978, admit avoir inventé cette histoire "pour plaisanter". Joseph Sickert a également prétendu être le petit-fils du Prince Albert Victor et avoir été pourchassé par l'Eventreur du Yorkshire, Peter Sutcliffe... En 1990, Sickert est réapparu dans le livre de Jean Overton Fuller (Sickert and the Ripper Crimes), qui l’accusait, cette fois directement, des crimes. Sickert a été replacé sur le devant de la scène par la romancière Patricia Cornwell en 2002. Elle affirme que Jack l’E-ventreur était Walter Sickert. Ses peintures représenteraient les meurtres de l’Eventreur. Sickert, impotent, aurait dé-testé les femmes. Il aurait envoyé des lettres à la police se vantant des meurtres. Les officiers ayant enquêtés sur les meurtres de l’Eventreur avaient chacun leur avis sur l’identité de l’assassin. Il est donc difficile de se faire une opinion et la tache est ardue pour les chercheurs qui doivent aujourd’hui trouver de nou-velles preuves plutôt que dénicher celles qui ont été perdues. En effet, d’innombrables preuves ont disparu. Quasiment tous les dossiers la City of London Police ont brûlé durant le Blitz de la Seconde Guerre Mondiale. Certains auteurs ont affirmé que les dossiers avaient été volontairement détruit afin de garder secrète l’identité du meurtrier… Mais la vérité est plus prosaïque. Dès le début de l’affaire, des objets, des rapports, des lettres, des dos-

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Figures siers ont été "empruntés" comme souvenirs. Au début du 20ème siècle, lorsqu’il n’y avait plus de place, les secrétaires jetaient les dossiers les plus anciens, sans se soucier de leur contenu. Lorsqu’Abberline a été interviewé en 1903, le journaliste a réalisé que l’ex-Inspecteur était entouré de dossiers officiels, qu’il avait tout simplement emmené avec lui lorsqu’il avait prit sa retraite. Il n’a sûrement pas été le seul. Beaucoup de "ripperologues" ont eux-mêmes volés des souvenirs et l’on sait qu’un certain nombre de documents ont disparus entre la fin des années 1970 et le début des an-nées 1980. C’est pour cette raison que les documents restant ont été copiés sur microfilm. De nos jours, Jack l’Eventreur serait un tueur en série comme les autres et sans doute pas le plus célèbre. Il n’a tué "que" cinq femmes, des prostituées, dans un quartier immonde fourmillant de criminels. Peu de gens seraient choqués par ces meurtres, alors que les crimes de Bundy, Alègre ou Guy Georges (de belles jeunes femmes), de Gacy ou Du-troux (des enfants et des adolescent(e)s) ont provoqué scandales et opprobres. Les assassinats de prostituées passent très souvent inaperçus et n’inquiètent pas grand monde… excepté leur famille. C’était le cas en 1888, c’est malheureu-sement toujours le cas à notre époque. Et pourtant, plus d’un siècle plus tard, des centaines de livres ont été écrits et des dizaines de films ont été tournés sur les crimes de Jack l’Eventreur. Sa célébrité, sa "popularité" n’ont jamais diminué depuis l’époque Victorienne. Cela est du à plusieurs raisons. Il n’était pas « le » premier tueur en série de l’histoire mais il a sûrement été le premier à apparaître dans une grande métropole où la population (même miséreuse) savait lire et où la presse était une force de changement social. Une illustration L’Eventreur est apparu à un moment où existaient de grands troubles politiques. Il servit de catalyseur. La presse criti-qua ouvertement la police. Les libéraux et les réformateurs, tout comme les partisans de l’indépendance de l’Irlande, utilisèrent ces crimes à des fins politiques, pour désapprouver le gouvernement en place... et la monarchie. Le Pall Mall Gazette, un quotidien populaire, était dirigé par William Stead, un radical qui mena une violente campa-gne contre la Metropolitan Police. Le Star, autre journal radical, était dirigé par O'Connor, un parlementaire nationa-liste irlandais, qui critiquait lui aussi la Metropolitan Police. A l'époque, la monarchie britannique luttait contre les Fe-nians, des terroristes révolutionnaires irlandais, branche armée des républicains irlandais. Le Star accusait la police de trop s'occuper d'actions politiques et de négliger la sécurité intérieure. Des quotidiens libéraux, tels que le Evening News et le Morning Chronicles, se joignirent bientôt aux attaques des journaux radicaux pour critiquer la police et le gouvernement conservateur. La concurrence entre journaux et les prises de positions politique provoquèrent une surenchère, des rumeurs furent créées et des journaux comme le Illustrated Police News fournirent des informations erronées ou déformées. Le Times lui-même fit paraître un article fortement antisémite accusant le tueur d'être un Juif suivant les préceptes du Talmud... Néanmoins, grâce à la presse, le monde entier apprit également que la splendide capitale de "l’Empire Britannique" comportait un quartier répugnant où les enfants mourraient en bas âge, où les femmes devaient se prostituer pour sur-vivre et où beaucoup d'hommes étaient des chômeurs ou des criminels… Les meurtres de l’Eventreur attirèrent l’atten-tion du public sur cette misère, obligeant les bourgeois propriétaires des bâtiments à démolir les taudis pour recons-truire des logements plus vastes. Chaque jour, les journaux publiaient des articles sur l’Eventreur, expliquant les résultats des enquêtes et des actions de la police, mais propageant aussi les rumeurs. Les sentiments des habitants de l’East End et les éditoriaux attaquant les institutions de la société pouvaient être lus tous les jours par les Londoniens mais aussi par le reste du monde. C’est la couverture médiatique qui a fait de ces meurtres un évènement "nouveau", quelque chose que le monde n’a-vait jamais vu auparavant. La presse a été en grande partie responsable de la création des mythes entourant l’Eventreur, et a fini par faire d’un "simple" psychopathe un terrible croque mitaine. Mais la popularité de Jack l’Eventreur est également du à la manière dont il tuait ses victimes, en les mutilant horrible-ment, et au fait que son identité est toujours restée inconnue. Depuis le dernier meurtre de l’Eventreur, des centaines d’enquêteurs professionnels et amateurs ont tenté de résoudre ce mystère. De nos jours, l’arrestation d’un tueur en série représente toujours un défi, malgré les techniques "forensiques" moder-nes et l’évolution de la psychologie. Peu importe la sophistication des méthodes et l’habilité des enquêteurs, certains tueurs en série ne seront jamais appréhendés. A l’époque Victorienne, la Police Londonienne travaillait "dans le noir", sans aucune connaissance de ce type de meurtres, sans outils modernes disponibles. Les empreintes digitales, la typologie des groupes sanguins et, encore plus l’ADN, n’avaient pas encore été développés pour une utilisation policière. Même les photographies des victimes n’é-taient pas très répandues. Il n’exista pas de laboratoire criminel à Scotland Yard avant 1930. En 1888, la police ignorait l’existence des psychopathes sexuels. On parlait encore de "déments", avec des relents de vampire et de loups-garous.

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Le dossier de l’Eventreur fut classé en 1892, l’année où l’Inspecteur Abberline prit sa retraite, sans que l'identité de l'Eventreur ait été établie. La légende ne faisait que commencer…

����LES VICTIMES �Mary Ann Nicholls (43 ans) Egorgée et poignardée au ventre le 31 août 1888. ����Annie Chapman (47 ans) Assassinée le 8 septembre 1888. L’Eventreur l’a éviscérée et a prélevé son utérus. �Elizabeth Stride (45 ans) Assassinée le 30 septembre 1888. L’Eventreur a été interrompu alors qu’il la mutilait. �Catharine Eddows (46 ans) Assassinée le 30 septembre 1888. Deuxième victime, le même soir qu’Elizabeth Stride. L’Eventreur a prélevé l’un de ses reins et une grande partie de son utérus. �Mary Kelly (25 ans) Assassinée et affreusement mutilée dans la chambre qu’elle louait, le 9 novembre 1888. L'Eventreur a pris son coeur avec lui. En plus de ces 5 victimes "officielles", il est possible que la première victime de l’Eventreur ait été Martha Tabram (37 ans) assassinée le 7 août 1888. ����MODUS OPERENDI Jack l’Eventreur était un tueur “classique” en cela qu’il s’attaquait aux victimes "traditionnelles" des tueurs en série : les prostituées. Il lui était simple de trouver des victimes, des femmes pauvres obligées de se prostituer et prêtes à suivre un client s’il n’avait pas "une trop mauvaise tête". Les meurtres ont eu lieu la nuit, sauf celui d'Annie Chapman (au lever du jour) et, à l’exception de celui de Mary Kel-ly, se sont déroulés dans les rues de l’East End. D'après les témoignages, les victimes de l'Eventreur étaient saoules au moment où il les agressait, ce qui pourrait ex-pliquer qu'il parvenait à les prendre par surprise et qu'elles ne criaient pas. L’assassin et sa victime étaient face à face dans la rue, car les prostituées de l’East End accomplissaient leur "travail" directement dans la rue, debout, un peu à l’écart. L’Eventreur se jetait alors sur elle et l’étranglait jusqu’à l’inconscience ou la mort. Les autopsies ont toujours montré des indications claires que les victimes avaient été étranglées, puis seulement, égorgées. Certains auteurs ont pensé que l’Eventreur égorgeait ses victimes de derrière, par surprise ou non, et qu’ainsi il évitait d’être aspergé de sang. L’Eventreur allongeait ensuite sa victime sur le sol. Il semble qu’il ne les laissait pas tomber et ne les projetait pas à terre, car aucune des victimes n’a eu d’hématome derrière la tête. Des taches et des éclaboussures montrent que le sang formait une flaque sous le cou et la tête de la victime, plutôt que devant, où le sang aurait jailli si elle avait été égorgée debout. Toutes les victimes ont été tuées sur place et aucune n’a été déplacée, et surtout pas dans un fiacre. Les rues de White-chapel étaient pour la plupart trop étroites pour y faire passer un fiacre. Pour l’une des victimes, du sang a été découvert sur une barrière, à une trentaine de centimètres du sol, à l’opposé de la blessure du cou. Cela pourrait montrer que le sang avait giclé du cou alors que la victime était sur le ventre. Cette méthode aurait évité au tueur d’être éclaboussé de sang. De toutes façons, si la victime était déjà morte lorsque l’Even-treur l’égorgeait, le sang n’aurait quasiment pas jailli car le cœur, arrêté, ne "pressurisait" plus le sang. L’Eventreur opérait ensuite ses mutilations. Plusieurs fois, les jambes ont été pliées pour offrir un meilleur accès vers le ventre de la victime. Il ne semble pas que les victimes aient jamais été violées et l’Eventreur ne s’est pas masturbé sur elles. Il prélevait généralement une partie des viscères de sa victime, un "trophée", une pratique courante chez les tueurs en série. Ses victimes vivaient toutes dans le même quartier, Whitechapel, que le tueur semblait connaître comme sa poche. Après le meurtre de Catharine Eddowes, dans Mitre Square, l'alerte fut donnée rapidement par la police mais le meur-trier parvint à s'enfuir dans un labyrinthe de ruelles, de cours et d'impasses, qui plus est dans l'obscurité. Les avis des médecins et chirurgiens qui ont examiné les corps des victimes sont contradictoires en ce qui concerne le

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degré de connaissance anatomique et / ou chirurgicales de l'Eventreur. Certains pensaient qu'il était un expert, d'autres qu'il savait juste manier un couteau avec habilité, et d'autres enfin qu'il mutilait sans discernement. Le Docteur Bagster Phillips a soutenu que l'Eventreur était un expert en anatomie. Le Docteur Thomas Bond a affirmé que l'Eventreur n'avait aucune connaissances particulières. Il est difficile, de nos jours, de savoir qui des deux médecins avaient raison. Les photographies des victimes font plus penser à des mutilations sauvages qu'à des prélèvements habiles. Toutefois, il est possible, par exemple, que l'Even-treur ait fait preuve de doigté pour extraire un utérus puis ait brutalement poignardé sa victime... La question reste po-sée.

����MOTIVATIONS L'Eventreur s’en prenait sûrement aux prostituées car elles étaient des victimes "faciles" et non pas parce qu’il voulait mener une croisade contre le vice. Il est plus que probable que l'Eventreur ait agressé d'autres femmes avant ses cinq victimes "officielles". La presse de l'époque avait fait état de plusieurs agressions, par un homme seul et sans mobile apparent, en 1887 et 1888. Il est tout à fait possible que l'Eventreur soit également l'assassin de Martha Tabram, en août 1888 : elle n'a pas été égorgée mais a été poignardé aux seins, au ventre et au bas-ventre. Les mutilations au bas ventre, le prélèvement de l'utérus, les coups de couteau à la poitrine : toutes ces violences indi-quent un acte violent dirigé vers (contre) les symboles du corps féminin. Le couteau enfoncé dans les chairs peut être considéré comme le substitut du pénis enfoncé dans le corps de la victime. L'Eventreur étranglait ses victimes. C'est une manière de tuer fort répandue (et appréciée) chez les meurtriers sexuels à tendances sadiques, car elle leur permet d'être très proche de leurs victimes et a une forte connotation érotique. Cer-tains ne ressentent même pas l'envie de violer leur victime, le fait de les étrangler suffit à leur procurer un plaisir sexuel. Il semble que l'Eventreur était un tueur "mixte", à la fois "organisé" et "inorganisé" (comme l'était Ed Kemper) : il pre-nait soin de se vêtir correctement pour inspirer confiance, approchait ses victimes tranquillement à la manière d'un client potentiel, les emmenaient dans un coin sombre... Et d'un seul coup, lorsqu'il passait à l'acte et se jetait sur elle, la sauvagerie prenait le dessus et il était pris d'une frénésie de sang et de mutilations. La nature et l'importance des mutilations ont augmenté à chaque meurtre, pour aboutir à la boucherie de Miller's Court. Il semble impossible que l'Eventreur ait tout simplement cessé de tuer. Il a du être arrêté pour un autre crime ou a eu un accident ou, plus probablement, sa santé mentale s'est détérioré et il a été institutionnalisé.

����BIBLIOGRAPHIE ����Jack l'Eventreur Auteurs : Stéphane Bourgoin Editeur : Fleuve Noir - coll. Crime Story Année : 1992 Résumé : Un dossier complet sur les meurtres de l'Eventreur, les suspects possibles, la vie à l'époque Victorienne, les analyses du FBI... Critique : Ce livre, excellent, est malheureusement épuisé. Mais l'autre livre de Bour-goin sur l'Eventreur (voir ci-dessous) le reprend entièrement. ����Le livre rouge de Jack l'Eventreur Auteurs : Stéphane Bourgoin Editeur : Grasset Année : 1998 Résumé : La première partie du livre reprend le premier livre de Bourgoin sur l'Eventreur, avec des mises à jour importantes. La seconde partie propose des nouvelles de fiction (de 1891 à 1985) inspi-rées par les meurtres de l'Eventreur. Critique : Un livre original mêlant faits et fiction. La première partie offre un panorama complet de tous les aspects de cette affaire, exposant les meurtres, bien sûr, mais aussi les conditions de vie dans l'East End, la mentalité Victorienne, le travail de la police, l'influence de la presse... etc. Bourgoin ne présente pas de coupable mais une liste de suspects, et réfute les théories les plus fantaisistes. Les neuf nouvelles, chacune dans leur style, font réfléchir ou frissonner. La bibliographie, quasi exhaus-tive, comprend les essais, documents et ouvrages fictifs consacrés à l'Eventreur, de même que les films, téléfilms ou épisodes de séries télévisées. (18,72€ - 122,80frcs)

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����Jack l'Eventreur Auteurs : Shirley Harrison Editeur : Livre de poche Année : 1993 Résumé : Cette traduction du livre controversé d'Harrison ("The Diary of Jack the Ripper") présente le journal intime de James Maybrick ainsi que des preuves de sa possible culpabilité. Critique : Cet ouvrage est intéressant parce qu'il montre comment un "ripperologue" peut mener une enquête, se convaincre, trouver des preuves qui ne veulent pas dire grand chose, oublier les avis contraires et démontrer la culpabilité d'un homme... qui n'était pas l'Eventreur. De nos jours - malgré l'aveu de falsification de Barret, les dénis des chercheurs et les preuves tant scientifiques que factuel-les - Shirley Harrison (et quelques autres) est toujours persuadée que ce journal est authentique.

(épuisé)

����Jack l'Eventreur, affaire classée Auteurs : Patricia Cornwell Editeur : Penguin Putnam Année : 2002 Résumé : L'auteur de roman Patricia Cornwell a dépensé des sommes énormes et passé beaucoup de temps pour obtenir les preuves de la culpabilité de Walter Sickert, un peintre britannique célèbre. Elle est persuadée qu'il est l'Eventreur et présente ses preuves. Critique : Patricia Cornwell affirme avoir découvert l'identité de l'Eventreur. Mais pour sou-tenir ses dires, elle propose comme meilleure preuve un lien ADN entre Sickert et une lettre envoyée par on ne sait qui, ce qui permet seulement de dire que Sickert fait parti des 1% à 10% de personnes habitant le Royaume-Uni ayant pu envoyer cette lettre. De plus, cette let-tre est considérée comme un canular depuis bien longtemps. L'intérêt de ses recherches est d'avoir pu prouver que de l'ADN peut encore être découvert sur un objet plus d'un siècle après sa création. A part ça... Patricia Cornwell, comme beaucoup de "ripperologues", a

choisi un coupable, puis a tenté de trouver des preuves qui étayeraient sa théorie. L'affaire est loin d'être classée. (21€ - 137frcs)

����From Hell Auteur : Alan Moore et Eddie Campbell Editions : Delcourt Publié en : 2000 Résumé : Cette bande dessinée (un pavé de 576 pages !) met en images les crimes de Jack l'Eventreur et un jeune enquêteur, un peu médium, qui le poursuit. "From hell porte un nouveau regard sur L'Eventreur, se penchant sur les dimensions historique, politique (notamment le poids de la Franc-maçonnerie), sociale (la critique de l'Angle-terre victorienne), métaphysique et mystique de cette célèbre affaire". Critique : Un chef d'oeuvre ! C'est une bande-dessinée culte et elle le mérite. Très sombre, très détaillée, très réaliste, elle décrit non seulement les crimes de Jack l'Even-treur, mais également toute l'atmosphère de l'époque, et notamment l'affreux quartier de Whitechapel et ses prostituées. Le dessin "brut" est déroutant mais s'accorde parfai-tement avec l'histoire. Le scénario en lui-même est souvent fantaisiste (le complot, l'identité de l'Eventreur, les relations des victimes, l'âge et les capacités médiumniques d'Abberline...) et parfois terriblement réaliste. C'est une BD violente et noire, à ne pas

mettre entre toutes les mains (cf le meurtre de Mary Kelly sur 30 pages !). Alan Moore propose à la fin de l'ouvrage une longue liste de ressources sur l'Eventreur (42€ - 280frcs)

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Jack the RipperJack the Ripper Le jeu de société...Le jeu de société...

par Laurent Ehrhardt [http://chrysopee.net]

C e jeu, dérivé du rami traditionnel, est le premier d'une série de jeux à la base similaire mais qui propose de subtiles variations autour d'une thématique forte...

Dans ce premier opus, les joueurs devront s'efforcer d'arrêter Jack l’éven-treur, auteur de sanglants meurtres dans le quartier de Whitechapel. Son identité reste aujourd’hui encore un mystère. Les joueurs incarnent des enquêteurs qui vont s’efforcer de faire progres-ser leur enquête. Pour ce faire, ils peuvent accumuler des preuves contre un suspect en s’efforçant de constituer des brelans de cartes identiques. Des cartes évènements (symbolisées par un marteau) apportent une di-mension tactique et stratégique au rami traditionnel. Le thème est curieusement bien exploité… Jusqu’à la fin de la manche, on ignore qui est Jack l’Eventreur puisque les différentes enquêtes et preuves accumulées orientent grandement les présomptions sans que rien ne soit jamais acquis. Il est aussi possible de consulter les dossiers de Scotland Yard afin d’y chercher des preuves et indices manquants… ��������Principes et mécanismes ��������Chaque joueur reçoit un nombre de carte déterminée par le nombre de joueurs. ��������Les cartes sont réparties en deux familles : les cartes Evidences sym-

bolisées par une loupe, et les cartes marteau. Un joueur ne pouvant jouer qu’une carte marteau par tour. ��������A son tour, le joueur doit piocher une carte, peut

jouer une ou plusieurs carte, et doit défausser l’une de ses cartes. Il va ainsi accumuler les preuves (Evidences)

contre les suspect et découvrir peut à peut qui est Jack l’Eventreur (le Suspect ayant le plus de preuves contre lui)… Mais tout n’est pas si simple ! Ca les suspects

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peuvent aussi avoir un alibi, rendant ainsi caduc les preuves accumulées contre lui ! ��������A son tour, un joueur peut demander à tout le monde d’inscrire sur un papier le nom de celui qui, selon eux, est Jack l’Eventreur. A la fin de la manche, on vérifie les prédictions et chaque joueur ayant déterminé l’identité de l’éventreur marque 10 points supplémentaires… ��������La manche s’arrête si la carte « l’Eventreur s’échappe » est jouée, si un joueur joue sa dernière carte ou si la pioche est épuisée pour la seconde fois. ��������Les points des indices accumulés contre l’éventreur sont doublés. ��������Le gagnant de la partie est le joueur qui au terme de plusieurs manches aura atteint la somme de 100 points. ����AVIS 100% SUBJECTIF Premier volume de la série des Mystery Rummy est à mon avis le plus réussi. Le thème de Jack l’E-ventreur est présent et les différents rouages du jeu, notemment le recours au dossier de Scotland Yard et le fait que l’identité de Jack soit incertain jusqu’à la fin de la manche collent parfaitement à l’ambiance. Les illustrations et le design du jeu sont superbes. Le suspens et la tension ne font que croître au fil de la manche, un suspect se dessine et on angoisse à l’idée qu’il pourrait avoir un solide alibi ou vous filer entre les doigts… Si le jeu est proche du rami par la façon de jouer les cartes, les cartes événements font rebondir l’enquête. Les cartes l’étrangleur frappe sont stressantes car la accélèrent la fin de partie et donne au final la possibilité à l’éventreur de s’échapper. La démission du commissaire ou les alibis peu-vent faire basculer une enquête patiente est minutieuse... Fabuleux à deux car plus tactique, ce jeu reste excellent à 3 ou 4 joueurs.

��������Auteurs : M. Fitzgerald ��������Editeur : US Games ��������Genre: Jeux de cartes ��������Famille : grand public ��������Joueurs : 2-4 ��������Durée : 30 mn

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ValdecValdec Une nouvelle de JmDbab [[email protected]]

- Warick ! - oui maître…

Nul bruit ne vint accompagner l’ouverture de la lourde porte de chêne. Un léger courant d’air fit brièvement vaciller les flammes de la cheminée et le dévoué serviteur fut là.

- maître ? - tu peux nettoyer. - vous avez terminé maître ?

- oui… et tu brûleras aussi le tapis, j’ai bien l’impression qu’il est irrécupérable. - bien maître… -

Sans même prendre la peine d’éviter de cheminer dans le sang gorgeant la tapisserie, Valdec alla lentement s’asseoir dans un majestueux fauteuil de cuir et de bois, dont les clous d’or ne dénonçaient pas l’age. Il faisait ainsi face au grand foyer de la cheminée. Etrange confrontation songea-t-il… aurais je un jour le malheur d’être aussi vorace qu’elle… ? Elle se repaît sans discontinuer et surtout sans états d’âmes de ce qu’on lui offre à consumer… Sera ce là mon avenir pro-chain ?

- maître ?

- … - -maître. - Hmmm… ?

- Puis je vous poser une question maître ? - Pfffff… je t’écoute Warick. - Maître… vous… heu… vous…

- Alors ? Parleras tu enfin ?! - Maître vous… il me semble que… il me semble que vous avez moins soif ces derniers mois… - …

- maître ? - oui oui Warick, j’ai entendu…

une bûche éclata dans l’âtre et le feu sembla un instant muter en un implacable brasier… Lorsqu’elle chantait ainsi, la seule chaleur de cette cheminée semblait pouvoir rayonner dans toute l’ancestrale demeure. Valdec s’enfonça d’avantage encore dans le grand fauteuil, toisant cette frénésie passagère qu’il n’appréhen-dait que trop bien. Il ne répondit à la question posée par son compagnon que lorsque les flammes eurent repris leur aspect habituel.

- c’est vrai… Il semble que depuis quelque temps la soif me brûle moins… Ou bien peut-être ais-je appris depuis tout ce temps à la maîtriser un peu et à éclipser parfois la douleur qu’elle me procure…

- maître, savez vous pourquoi ? heu… peut être que vous allez arriver à vous guérir… - ho ho ! comme tu y vas mon fidèle Warick… On ne peut pas en guérir… tu le sais bien… Il y à

longtemps que je te l’ais expliqué, lorsque je t’ais laissé la vie et pris à mon service…

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- …

- Il n’y a qu’une seule issue, il n’y a que la mort pour me délivrer de tout cela… Et je ne suis pas prêts à mourir… non, pas encore…. Peut être, c’est vrai, peut être vais-je être le premier à m’en sortir, MOI ! Le premier à pouvoir enfin m’en libérer sans y laisser la vie… peut être…

Devant la cheminée le feu exaltait à présent une douce chaleur et son ronronnement habituel semblait hypnotiser le maître des lieux. Valdec se prépara avec une intention évidente de vouloir dormir dans son fauteuil. Warick, pourtant, n’était pas satisfait…

- …

- maître ? - oui ! que veux tu encore ?!

- et bien.. heu… votre soif alors ? - ha oui… la soif… comment veux tu que je sois sûr… Depuis le temps qu’elle me brûle… J’arrive, aujourd’hui à

différencier ses intensités, j’arrive maintenant à réfléchir même lorsqu’elle est très forte en moi… Je crois que cer-tains des objets que j’ai amassés m’aident à la contrôler. Mais sans la soumettre… Peut être même un jour arrive-rais je à trouver ce qui me permettra de me libérer. Alors un jour nouveau naîtra enfin ! Un jour de réelle révivis-cence pour tous ceux qui sont comme moi et veulent en finir !

- Maître, vous croyez… vous pensez, heu, sincèrement, que d’autres êtres de la nuit veulent heu… perdre ce pou-voir ?

Ce dernier mot sembla frapper Valdec avec une force inouïe. Le maître se leva avec tant de puissance et de rapidité, presque avec sauvagerie, que son imposant fauteuil se renversa et que les flammes vacillèrent dans le foyer

- Pouvoir ! Pouvoir ! Tu parles de pouvoir ! Sinistre imbécile ! N’as tu donc rien compris durant tout ce temps passé à mes côtés ? N’as tu rien vu ? Que crois tu Warick ? Un pouvoir ? Le pouvoir de tuer des gens pour survivre ? Le pouvoir de tuer pour calmer la soif qui me consume par l’intérieur ? C’est ça le pouvoir ?! Tu n’as pas vu comme je me détruits un peu plus chaque fois ?

- maître… je… je suis navré… je…

- le pouvoir ! quelle connerie ! depuis quand le pouvoir se résumerait à prendre une vie pour assurer la sienne… Tu peux croire que la soif est capable d’inhiber mes sentiments ? Comment es tu resté en vie alors ? Le pouvoir ? Qu’elle connerie…

- … - je suis maudit Warick, maudit ! Comme tous les autres ! Et sans même le pouvoir de décider d’y mettre un terme…

Je n’en ais pas le courage et cela irait à l’encontre de mon but… Même si parfois je me demande si la mort ne serait pas préférable à la guérison… Je n’aurais pas alors les remords…

- maître… je… - c’est un véritable vortex Warick! la soif me brûle alors il faut que je tue pour l’assouvir, pour survivre. Sans même

en tirer un quelconque autre bénéfice. Je tue parce que je me le dois… c’est sinistre… Warick, tête basse, alla remuer les braises et remis deux bûches dans le foyer. Il se retourna ensuite vers Valdec, le regard empli de pitié.

- peut être que j’arriverais un jour à trouver l’objet qui m’en sortira, ou encore un moyen que la nature à disputé à la magie, peut être… il doit exister une solution ou un ensemble, il ne peut en être autrement, je ne peux le conce-voir…

- maître… s’il existait un tel objet, avec tous les trésors mystiques que je vous ais vu amasser durant des années et des années, vous l’auriez certainement déjà trouvé…

- ha ! pauvre Warick… si tu savais… si tu pouvais seulement imaginer le nombre d’objets fantastiques que les êtres doués de raison ont pus laisser sur ce monde au fil du temps… il ne suffirait pas même de mille vies, aussi longues soient elles, pour les retrouver… Et cela n’est rien en comparaison avec les voies que la nature, elle, a put emprun-ter…

- … - il me faut simplement trouver le bon chemin….

- Je l’espère maître… pour vous… - Oui…

La cheminée achevait de dévorer son combustible. L’on pouvait discerner, au travers les jointures des lourds volets d’acier fermant la pièce, se manifester les premières lueurs d’une nouvelle journée. Warick allait passer une partie de la journée à nettoyer cette pièce, brûler le tapis et le cadavre mais son premier geste fut d’aller éteindre complètement la cheminée tandis que Valdec se dirigeait vers l’escalier descendant à sa chambre…

- bonjour maître, reposez vous… - bonjour Warick.

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Dans sa chambre, dépourvue de toute autre ouverture que la porte donnant sur l’escalier, Valdec prépara sa couche et s’y installa avec un soupir de résignation, comme il le faisait depuis des siècles. Un endroit solennel, sans aucune décoration ou ornement, à l’exception d’un tableau de son épouse, depuis si longtemps dé-funte et d’une lourde bibliothèque chargée d’ouvrages antiques. En attendant un sommeil qui, il ne le savait que trop bien, mettrait longtemps à venir, Valdec ressassait ses pensées, ainsi qu’il le faisait à chaque coucher… mais en ce jour, elles étaient si claires qu’il lui semblait presque parler à haute voix. Pauvre Warick... Mais brave Warick… il est le seul, la seule créature vivante qui n’ait pas eu ce regard d’horreur, de peur, de haine et d’angoisse lorsqu’il l’à posé sur moi… c’est peut-être pour ça d’ailleurs que je l’ais épargné… Ais-je eu pitié ? Et peut être pour ça que lorsque je lui ais demandé de choisir entre mourir sans douleur ou travailler pour moi sans espoir de s’en aller et bien il a alors choisi de rester. Sans que je sache jamais s’il s’agisse de curiosité ou de pitié. Il m’a pourtant vu commettre tant d’atrocités… C’est même lui qui nettoie et fait disparaître toutes les traces lorsque j’ai apaisé ma soif. Cela fait plus de quarante ans que Warick est à mes côtés.. je ne sais pourquoi cette « relation » perdure… Il demeure, ose-rais je employer ce mot, mon seul « ami ». Au fond peut être est ce lui qui à eu pitié de moi et de mon état… Valdec ne sentait pas le froid en ce jour. Sa soif l’avait poussé à se nourrir d’un voyageur, kidnappé à son campement le soir précédent et la soif se trouvait alors étanchée. Il n’avait plus froid, il avait les pensées claires, il se sentait bien, repu… Si seulement le sommeil pouvait arriver… Cela fait presque 600 ans que je me trouve dans cette condition, que j’erre avec le seul but de m’en dégager et jamais, de-puis la mort d’Everine ma femme, je n’avais tissé de liens avec personne. Un magicien est déjà taciturne de nature… je l’étais beaucoup… Bientôt 600 ans que la soif me brûle régulièrement… Ô bien sur, j’ais réussi à vaincre le seigneur qui venait d’assassiner Everine et de me mordre avant que lui même n’arrive à me tuer, parachevant ainsi son œuvre… je l’ai purement massacré tellement la fureur, teintée de peur et de haine, me dominait alors. De victime, je devenais prédateur en un instant, postulat que je n’appréhendais pas du tout et dont je ne me rendais pas en-core compte… Heureusement, ou malheureusement, je n’ais pas mis trop de temps à comprendre le cycle de ce mal qui me maudissait à jamais… Les douleurs intérieures insoutenables, les réveils ensanglantés… La déshydratation et le soleil, puis vinrent les brûlures de l’astre du jour, plus insupportables encore que celles émanant de la soif… Les victimes qui s’amoncellent… En tuant le seigneur de la nuit responsable de mon état, je suis parti prendre possession de tous ses biens… Château et terres, personne sur le domaine… Le château, surtout, m’a permis de vivre, survivre, à l’abri des regards et des questions. La richesse de mon « prédécesseur », certainement amoncelée sur le dos de ses victimes, m’a servi et me sers encore aujourd’hui. 600 ans c’est long déjà, très long… Même pour un être tel que moi, vivant à l’ombre du monde. Cherchant toujours un sommeil qui ne venait pas, Valdec tournait et retournait sur sa couche sans que cela n’altère le fil de ses pensées. Parfois il pensait à sa femme, qu’il souhaitait retrouver dans la mort pour un cheminement infini… Mais il ne pouvait se ré-soudre à mourir avant d’être libéré. Pauvre Warick… Que sais tu, toi, de ce qui est ou n’est pas… Et moi ? Je sais qu’il existe un moyen, il doit en exister un… Il ne peut en être autrement ! Cela fait plus de 300 ans que je me suis mis à sa recherche, depuis qu’apaisant ma soif sur un imprudent riche visiteur mal-venu, j’ais trouvé mon premier objet magique…. Je me suis demandé tant et tant de fois pourquoi il n’y en aurait pas un qui puisse me libérer ??? 300 ans qu’un gisements de pierres précieuses sous le château me sert à acheter tous les supports magiques dont je peux croi-ser la route… de gré ou parfois de force… que m’importe après tout… j’ai même engagé, sous couvert de Warick, des « espions » qui localisent pour moi les objets susceptibles de m’intéresser, que je peux ensuite acheter… Mais rien à faire jusqu’ici…. Je me moque du prix ! Je me moque de la manière de l’obtenir ! Je suis sur qu’un jour je tomberais sur l’objet qui me per-

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mettra de me sortir de cet état, alors que ma propre magie, ni aucune autre, n’y est parvenue. Je me moque de la façon dont je puis obtenir la solution ! Mon existence est désormais vouée à cette recherche… J’y arriverai ! La richesse, la puissance ou même le pouvoir ! Aucun ne peut m’apporter la délivrance, aucun ne peut calmer la soif qui me dévore lorsqu’elle vient… aucun ! J’arriverais a trouver le moyen de me défaire de ce mal qui me ronge, même s’il me permet de survivre depuis quasiment six siècles… Comme à chaque fois que le sommeil le fuyait trop longtemps, Valdec fini par se lever. Il laissa errer son regard sur le por-trait d’Everine, sur les innombrables ouvrages ésotériques qui s’entassaient sur les étagères de la bibliothèque… Toutefois il n’en pris ou ouvris aucun… il restait tout à ses pensées… - Ha mon cher Warick… il n’y a pas de vérité, pas de mensonge. A l’extrême, il n’y a pas de bien, pas de mal, tout est ques-tion d’opinion… Je n’afficherais la mienne que lorsque j’aurais trouvé le moyen… Alors s’il marche pour moi, marchera-t-il pour les autres ? A ce moment tu verra Warick, tu pourra dire qu’en ce lieu de misère ou ne règne que malédiction et mort, est enfin né quel-que chose de noble. Se sera alors le temps de la chasse ouverte aux autres vampires, ceux qui en profitent, en jouissent ou encore ceux qui y voient l’avènement de leur race… Valdec écumait… il était presque rendu au point ou il allait hurler sa colère… Il n’en fit rien. A quoi cela aurait il servi…? Cela lui était déjà arrivé tant de fois… Espérant qu’enfin le sommeil parviendrait à le rattraper, Valdec reparti s’allonger sur sa couche. Bien sur ce sera dur et difficile, c’est un projet ambitieux, pour ne pas le qualifier d’irréalisable… Un sacerdoce… ha ha ha… tu en rirais mon fidèle compagnon. Nous vivons dans un monde où la méfiance s’impose comme un art de pensée… Tant de cultures, de races, de croyances différentes et qui, toutes, craignent l’autre… Comment crois tu que vit un seigneur vampire… ? aussi riche, aussi puissant soit il ? hein ? et bien il a peur, oui, il à peur et il se terre ! Aucune richesse ne peut protéger contre la vindicte populaire. Notre monde nous enseigne que l’autre est forcément hostile. Alors imagine Warick , imagine la réaction d’un homme qui est déjà, par nature, éduqué dans la peur de l’inconnu, imagine sa réaction si en plus tu lui indique que l’inconnu ne survit qu’en tuant les semblables de l’homme… La chasse au vampire deviendrait une activité dans laquelle s’investiraient l’ensemble des peuples du monde… Il ne le faut pas ! il faut laisser au temps la possibilité d’enfanter son propre remède. Et vois tu Warick, j’espère bien que ce remède, ce sera moi. Je dois trouver l’objet magique, la solution efficace qui me permettra de mettre un terme aux agissements de mes sembla-bles… je le dois… à mes victimes… Peut être un jour, Warick, peut être un jour verra tu cela… Le soleil était certainement déjà haut. Heureusement le château se trouvait assez isolé pour que personne ne s’étonne de la noire fumée qui sortait d’un conduit de cheminée. Warick terminait de détruire les vestiges du dernier repas de son maître. En son fort intérieur il le plaignait, en redoutant toutefois la prochaine fois ou la soif pousserait son maître –son ami- à tuer un homme… Dans le château, où les quelques personnes formant le personnel venaient de prendre leur métier, personne ne s’étonnerait de ne pas voir le seigneur du domaine… il était, disait-on, parti pour un très long voyage. Et puis Warick, le régisseur, était quelqu’un de juste, compétent et disponible… Valdec venait de s’endormir. Note : Valdec fera partie d'un recueil de nouvelles en cours d'écriture (fin prévue avant juin 2004).

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Dracula Dracula De Bram StokerDe Bram Stoker

par Lestat [www.krinein.com]

D racula. Juste ces trois syllabes, jetées sur une page blanche. Ça ne paye pas de mine. Et pourtant, tant de symboles sont rattachés à ces trois petites syllabes. La vampirisme évidemment. Mais aussi l'amour. L'élégance. La cruauté. Dracula est le digne héritier d'un roman de John Polidori. Polidori, en 1817, publia

une nouvelle intitulée « Le Vampire ». Pour la petite histoire, « Le Vampire » est né suite à un pari entre le poète Lord Byron et Mary Shelley : la rédaction en une journée d'une histoire de fantôme. Mary Shelley accoucha de Frankenstein. Lord Byron d'un début de nouvelle, « Le Vampire ». Polidori alors son secrétaire, rangea les feuilles et...termina le texte qui parut par la suite sous le nom de Byron... Plutot mal écrit (j'ai pu constater par moi même...) « Le Vampire » a le mérite de poser les bases du vampire moderne. Sous l'impulsion de Polidori, le vampire sortira de son statut de cadavre ambulant et développera un personnage de noble aristocrate, distingué et séducteur. L'influence de Polidori sur Dracula est d'ailleurs indéniable si on lit les deux romans en paral-lèle : on retrouve le même profil vampirique ainsi qu'une trame de fond similaire. Venu quel-ques jours en Transylvanie pour régler des affaires immobilières avec un certain Comte Dra-cula, Jonathan Harker apprendra à ses dépends la vrai nature de son hôte. Dans « Le Vam-pire » , le jeune Aubrey, de passage à Londres, se liera avec un étrange seigneur fréquentant la haute société, qu'il finira par démasquer lui aussi… Polidori dans ses bagages, fasciné par le magnifique « Carmilla » de Le Fanu, Bram Stoker avait déjà matière à cogiter, sans parler des légendes des Balkans traitant du vampirisme qu'il consulta avec passion. Mais il fallait à Stoker quelque chose d'autre pour entamer un roman.

Un personnage fort. Il le trouva dans le folklore roumain : le prince Vlad IV. Dirigeant de la Valachie, Vad IV est un héritier de la lignée des « Dracul » (nom déjà porté par son père), signifiant « diable » ou « dragon » suivant le sens. Sa cruauté était telle qu'elle lui valut éga-lement le sobriquet de Vlad l'Empaleur (« Vlad Tepes » en Rou-main), supplice qu'il affectionnait particulièrement. Persécuteur des envahisseurs Turcs et farouche représentant de l'ordre et de la loi, Vlad Dracul extermina des populations entières, hommes, femmes, enfants. Les méfaits de Dracul le firent passer pour un « vampyr », diable en Roumain, suite à un pacte supposé avec le Seigneur des Té-nèbres. Fort de ces références, Bram Stoker écrit et publiera en 1897 ce qui deviendra l'un des piliers de la littérature vampirique. Rédigé sous la forme d'un roman épistolaire, par lettres, articles et journaux intimes interposés, Dracula peut se découper en plusieurs parties. La pre-mière, intitulée d'ailleurs « l'invité de Dracula » narre la rencontre du Comte Dracula et de Jonathan Harker. Dans cette première partie, plutot rapide, on retrouve quelques allusions à Le Fanu : Dracula ne

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mange ou ne boit jamais en présence de Jonathan, s'éclipse durant la journée pour ne revenir que le soir. « L'invité de Dracula » ne révèle pas encore la nature du Comte, mais ces détails troublants et l'achève-ment de cette partie ne laissent aucun doute sur sa nature diabolique. Ensuite une autre partie introduit d'autres personnages fondamentaux du roman : Mina Murray (future Mina Harker...), son amie Lucy et bien entendu le Dr Van Helsing. A cela s'ajoute le Dr Seward qui traite un curieux patient, Renfield, dans son hôpital psychiatrique. Fas-cinant malade mental insectophage, Renfield entretiendra au fil du ro-man une liaison télépathique avec Dracula. Trouvant la force de s'y opposer, il y perdra la vie. Par sa connaissance historique du mythe du vampire, le Dr Van Helsing sera un allié précieux dans la lutte contre Dracula et pour libérer Lucy et Mina, toutes deux possédées par le pouvoir (et le charme?) du Comte. Malgré ses efforts, Lucy subira la transformation et devra être achevée selon les rites. Enfin, la dernière partie consacrée au combat final contre Dracula... Dracula rassemble plusieurs styles littéraires. L'arrivée de Jonhatan Harker n'est pas sans faire penser à certains romans d'aventures. De même, la lutte contre Dracula évoque des thèmes chers aux romans de chevalerie : les preux héros combattant un monstre, de belles dames et le professeur Van Helsing, à la fois conseiller, combattant et maître spirituel, qui a tout d'un Merlin. Ainsi que quelques moments de ter-reur purs qui n'ont rien à envier aux auteurs modernes. Un passage notamment : l'arrivée de Dracula en Angleterre est introduite par le journal de bord d'un navire sinistré, où il est décrit la dispari-tion de chaque marin au fil des nuits. S'appuyant constamment sur ses références, Polidori et Le Fanu en tête, Bram Stoker se permet également certains écarts ou interprétations pour les besoins de son oeuvre. Ainsi, les légendes indiquent qu'un vampire ne peut traverser l'eau courante. L'histoire voulant que Dracula prenne le bateau pour transiter de sa Transylvanie natale vers l'Angleterre, Stoker transforme la clause : il ne peut traverser l'eau qu'à la marée montante...De même les multiples métamorphoses de Dracula (chauve-souris et loup), si elles sont évoquées dans le folklore passent ici à un plan nettement supérieur. On retrouve également certains clins d'oeils : l'execution des vampires, du moins sur le plan technique, s'inspire encore une fois de certaines légendes, mais surtout du « Carmilla » de Le Fanu. Lucy, devenue une non-morte, sera surnommée la « Dame en sang », ce qui pour moi est une référence évidente à la comtesse Bathory. Appe-lée la « Comtesse de Sang », Elizabeth Bathory croyait avoir trouvé le secret de la jouvence dans le bain de sang quotidien. Plus de 650 victimes auraient durant le 16ème siècle contribué à remplir sa baignoire... Dracula est un monument de la littérature vampirique, mené de main de maître par un auteur maitrisant très bien son sujet. Plutot que de plagier ses références, Stoker leur rendra un hommage subtil tout au long de son roman. Le style épistolaire, qui peut paraître rébarbatif au premier abord, ajoute au suspens et permet au lecteur d'évoluer au même rythme que les protagonistes. Dracula inspira de nombreuses autres oeuvres. Ci-tons Anne Rice, chez qui l'on retrouve l'élégance et le raffinement, mais aussi le caractère impitoyable de ces créatures. Je ne peux pas finir cette critique sans parler du personnage de Dracula au cinéma. De la Hammer à Coppo-la, de Bela Lugosi à Gary Oldman, Dracula fut un pain béni pour les studios. Confronté à Jonathan Harker, à Renfield, à l'increvable Van Helsing ou encore aux Charlots ( ! ), Dracula a marqué les écrans comme la littérature. Pour moi, la plus fidèle adaptation reste celle de Coppola. Non content de respecter le livre, Cop-pola suit la démarche de Stoker en interprétant à son tour certains passages de l'oeuvre : ainsi Lucy et Mina deviennent plutot intimes (référence à Le Fanu, qui introduit l'homosexualité dans le vampirisme?) , Dracu-la peut sortir le jour, non sans en être très affaibli...De plus, si le Dracula décrit par Stoker ne ressemble en rien à Gary Oldman, l'acteur a néanmoins de faux airs de...Vlad Tepes. Pourquoi seulement 9 me demanderez-vous ? Tout simplement parce que le livre date de 1897 et le style prend par endroit un petit (tout petit...) coup de vieux.

Bram Stoker

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Dracula Dracula Le jeu de société...Le jeu de société...

par Retam

D racula est l’un des derniers-nés de la gamme 2 joueurs de Kosmos (oui, tout juste, ceux qui sont dans des petites boîtes carrées).

Les 2 joueurs ont un rôle différent : l’un joue Dracula, l’autre Van Helsing, le célèbre chasseur de vampire. Chacun aura donc l’occasion, pendant le jeu , de dé-placer la figurine le représentant sur le plateau de jeu, et dispose de 4 points d’énergie qu’il s’agit d’essayer de conserver du mieux que l’on peut, puisque la perte de ceux-ci peut entraîner la perte de la partie… Le matériel est très chouette, constitué de jolies car-tes, de figurines et de barrières en bois, et enfin d’un plateu de jeu assez beau mais un peu sombre (mais bon c’est Dracula, le jeu, hein !) Celui-ci est constitué de 12 emplacements, comme autant de cases sur lesquelles les joueurs pourront se déplacer: sur chacune d'elles, les joueurs vont placer des cartes « rencontre » de leur propre main, face cachée, après cependant que celles-ci aient été mélangées afin que les joueurs ignorent à qui elles appartiennent. Plusieurs types de cartes « rencontre » peuvent ainsi être placées: des cartes victimes (le but du jeu est d'avoir capturé toutes les victimes que l'adversaire a mises en jeu), des cartes vampires ou chasseurs de vampires (selon le camp auquel on appartient), ou une carte amulette ou crucifix. Les joueurs se déplacent sur le plateau de jeu avec leur figurine, au moyen d’une autre main de cartes, cartes qui gèrent à la fois le coefficient de déplacement, la force lors des combats, le déplacement de barrières pour limiter les mouvements de l'adversaire, et enfin une action qui figure sous forme de texte et que le joueur est libre d’exécuter ou non. La subtilité est que la carte jouée n'est révélée qu'à la fin du mouvement, en fonction de celui-ci : le coefficient de mouvement doit être au moins égal au dépla-cement effectué, sans quoi le joueur est sanctionné par la perte d’un ou plusieurs point d’esprit. Un joueur n’est jamais renu de révéler la carte de l’emplacement où il se trouve ; s’il décide de le faire, il doit en assumer les conséquences. Retourner l’une de ses propres cartes rencontre permet de placer une autre de ses cartes (ou la même si on veut bluffer l’adversaire) à cet endroit. On peut alors continuer à se déplacer, mais les autres mou-vements ainsi effectués devront être additionnés à ceux déjà réalisés au moment de jouer la carte de mouvement. S'il s'agit d'une carte adverse, le tour s'arrête et il faut résoudre l'action: si c'est une victime, on remplit une partie de l'objectif de départ; si c'est un vampire ou un chasseur, il faut se battre (la force de la carte de déplacement que l’on va jouer doit être plus forte que l’ennemi pour le vaincre, et au moins de

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même force pour autoriser un match nul ; en cas de défaite, on perd un autre point d’énergie ☺ ). Si c'est l'amulette ou le crucifix, pas de chance, cela équivaut à un combat perdu: on perd l'un de ses points d'énergie. Bien sûr, les cartes qui autorisent de longs déplacements sont rarement des cartes d’attaque très fortes… Ensuite, en fonction de la carte déplacement jouée, le joueur peut s’il le désire réaliser l’action qui s’y trouve ; les ac-tions de Dracula et de Van Hesling sont assez différentes pour certaines d’entre elles. Puis on peut déplacer l’une des barrières de couleur du jeu pour gêner l’adversaire… Le jeu s’achève donc lorsque l’un des 2 joueurs a éliminé toutes les victimes qu’a mises en jeu l’adversaire, ou lorsque l’un des 2 joueurs ne dispose plus de points d ‘énergie. Dans ce cas, le joueur perdant peut encore donner, s’il le peut, une des cartes de victimes de sa main ; il reprend ainsi 2 points d’énergie, mais à quel prix ! Point très important : si vous pouvez prouver que plus aucune carte victime de l’adversaire n’est en jeu, vous gagnez immédiatement. Pour permettre cette victoire, à chaque fois que les 2 figurines se rencontrent sur le plateau, le joueur qui opère le déplacement peut demander à ce que les 2 mains de cartes rencontre soient révélées ! Ceci empêche donc les joueurs de garder toutes leurs cartes de victime en main le plus longtemps possible… En bref, il s'agit d'un bon petit jeu, avec une bonne part de bluff, mais dans lequel le rôle de la mémoire est détermi-nant: une tactique ne peut se mettre en place que si on a suffisamment retenu l'emplacement de ses propres cartes et de celles de l'adversaire. D’autant plus que les mécanismes permettent de changer de place des cartes précédemment ré-vélées, ce qui complique encore la tâche de celui qui veut tout retenir… Je ne suis donc pas un inconditionnel de ce jeu, mais ma copine adore, d’autant plus qu’elle m’écrase habituellement avec une jubilation non dissimulée ☺ Je pourrais avoir une chance de me venger en essayant une variante qui limiterait le rôle de la mémoire, et où une carte révélée aux deux joueurs resterait visible jusqu’à ce qu’un joueur décide, en s’arrêtant dessus, de la changer par une autre…A condition que la carte lui appartienne, bien sûr. A tester.

��������Auteur : Michael Rieneck ��������Editeur : Kosmos ��������Genre: Jeux de plateau ��������Famille : grand public ��������Joueurs : 2 ��������Durée : 30 mn

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Sherlock HolmesSherlock Holmes

Avec l’aimable autorisation de la Société Sherlock Holmes de France, [http://www.sshf.com ]

Ce portrait de Sherlock Holmes prend ses sources exclusivement dans les textes origi-naux des soixante aventures rapportées par le docteur Watson. Quand cela est utile, l'origine des citations est précisée entre parenthèses en utilisant les abréviations des titres anglais universellement employées

Etat CivilEtat Civil ����Date de naissance : 1854 ����Date de décès : inconnue ����Lieu de naissance : non indiqué dans les aventures ����Famille : Descendant de petits propriétaires terriens et petit-fils de la soeur du pein-tre français Vernet, Holmes ne présente à Watson qu'un frère, prénommé Mycroft, de sept ans son aîné. Il occupe une place très importante au gouvernement et tient rési-dence au Diogenes club à Londres. Le détective ne mentionne aucun autre membre de sa famille dans les aventures. Situation de famille : ni mariage, ni paternité indiqués dans les aventures. ����Décoration : la légion d'honneur, accordée en 1894 pour l'arrestation de Huret, l'as-sassin des boulevards à Paris. ����Adresse : Montague Street avant sa rencontre avec Watson puis 221 B Baker Street.

BiographieBiographie ����GÉNÉRALITÉS

A vant l'activité de détective conseil : Sur son enfance et son adolescence, on ne sait pas beaucoup de chose. C'est pendant les deux années qu'il passe au collège (on ne sait pas lequel) que Sherlock Holmes prend conscience qu'il peut gagner sa vie grâce à ce qui n'est pour lui qu'un simple passe-temps :

l'observation et la déduction. Le père de son seul ami du moment lui ouvre les yeux en lui lançant : "Je ne sais pas comment vous vous débrouillez, monsieur Holmes, mais j'ai l'impression que tous les détectives officiels ou officieux sont à côté de vous des enfants. C'est là votre carrière, monsieur !" (GLOR) Puis, pendant ses dernières

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années à l'université (on ne sait pas laquelle), on se met à parler de lui et de ses méthodes (MUSG). Sa carrière commence ainsi. Son activité de détective conseil : Il entame ses activités en 1878, à 24 ans. Sa collaboration avec Watson commence en 1881 ou en 1882 (FIVE). Les enquêtes, d'abord rares (MUSG, STUD), se multiplient et Holmes en avoue 500 d'importance en 1889 (HOUN) et un millier en tout en 1891 (FINA). De la fin des années 1880 (VALL) jusqu'en avril 1891 (FINA), il se consacre au démantè-lement de l'organisation criminelle du professeur Moriarty. Le 4 mai 1891, les deux hommes se li-vrent un duel au sommet des chutes de Reichenbach en Suisse. Moriarty y laisse la vie et Holmes choisit de disparaître officiellement. Il reprend du service en 1894 (EMPT) et jusqu'en 1901, il résout encore des centaines d'affaires (SOLI). C'est à cette époque que Watson parvient à détourner Holmes de la drogue (MISS). Ses services rendus à la couronne britannique lui valent une audience privée avec la reine Victoria en 1895 (BRUC) mais il refuse le titre de chevalier en juin 1902 (3GAR). Après l'activité de détective conseil : Il prend sa retraite fin 1903 ou début 1904 (CREE) ayant pra-tiqué sa profession pendant vingt-trois ans (VEIL) avec une pose de trois années qu'il passe à voyager pendant le Grand Hiatus (de 1891 à 1894). Il choisit de se retirer seul dans une ferme du Sussex (LAST, LION, PREF, SECO) oû il consacre son temps à l'apiculture. A la veille de la Première guerre mondiale, sa dernière affaire connue est l'arrestation de l'espion allemand Von Bork (LAST).

����SON ASPECT PHYSIQUE Ce que l'on remarque en premier chez Holmes, c'est sa grande taille et sa minceur. Il mesure 6 pieds, soit 1,80 m mais Watson estime qu'il paraît encore plus grand. Son visage est étroit. Son front est large. Ses cheveux sont noirs, ses sourcils sombres et épais. Son nez est fin et ressemble à celui d'un faucon. Ses lèvres sont minces et fermes. Ses yeux sont gris et particulièrement vifs et perçants, lui donnant un regard introspectif quand il réfléchit. Sa voix, haute et un peu stridente, a un débit rapide.

����SA TENUE VESTIMENTAIRE Holmes a la propreté d'un chat et s'habille d'une certaine élégance, du genre strict. Mais il pratique, dans la vie courante, un débraillé qui ne plaît pas toujours au docteur Watson. Il porte habituellement un costume de tweed ou une redingote, de temps en temps un ulster. Dans l'intimité, il vit en robe de chambre. Il en possède plusieurs. L'une est pourpre, une autre est bleu, une troisième est gris souris. A la campagne, il porte un long manteau gris, un costume de tweed et une casquette de drap qui est, peut-être, une deerstalker. Holmes fume le cigare, la cigarette et, bien sûr, la pipe. Trois pipes particulières sont mentionnées. La première, le plus souvent, est "sa bonne vieille pipe noire" qu'il fume lors de ses méditations. Il la remplace parfois par une pipe de bruyère pourvu d'un tuyau en ambre. Quand il passe à l'analyse d'un problème, il fume plutôt une pipe en merisier. (Notez que, contrairement à l'image largement répandu aujourd'hui, Sherlock Holmes ne fume ja-mais une pipe calebasse dans ses aventures)

����SA CONDITION PHYSIQUE Holmes prend rarement de l'exercice par amour de l'exercice et considère l'effort physique sans ob-jet, comme un gaspillage d'énergie. Néanmoins, pour être efficace dans son travail, il entraîne tou-jours son corps en pratiquant plusieurs sports : le baritsu (art martial), la boxe anglaise, l'escrime, la canne, la pêche à la ligne, le golf, la nage en mer. C'est un bon coureur à pied, qui possède une force physique inimaginable. Il a des doigts très puissants et une poigne de fer qu'il utilise pour re-dresser le tisonnier tordu par le Dr Roylott (SPEC). Watson estime que peu d'hommes sont capa-bles d'un plus grand effort musculaire Enfin, tous ses sens sont très développés et il possède une extrême finesse de toucher.

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L'oisiveté épuise Sherlock Holmes, de son propre aveu, et il peut passer des journées entières au lit quand il n'a pas de travail. Holmes n'a rien d'un lève-tôt quand rien ne l'y oblige. Mais il peut pas-ser une nuit blanche sur ses tubes à essais quand cela est nécessaire. Dès qu'une affaire se présente, il se lève à l'aube, et devient infatigable, passant des jours, voire une semaine sans repos.

����SES HABITUDES ALIMEENTAIRES Son régime alimentaire pêche plutôt par un excès de frugalité que par une trop grande richesse et il va jusqu'à ne plus manger quand il travaille. "Ce que la digestion fait gagner à notre sang est autant de perdu pour notre cerveau, dit-il, Je suis un cerveau. Le reste de mon corps n'est que l'appendice de mon cerveau. Donc, c'est le cerveau que je dois servir d'abord" (MAZA).

����SES PROBLÈMES DE SANTÉ Au printemps de 1887, sa santé se trouve ébranlée par un surmenage excessif et en 1897, sa consti-tution de fer commence à révéler quelques symptômes de lassitude sous le travail énorme qui l'ac-cable. Il doit prendre du repos pour s'épargner une grave dépression nerveuse (DEVI). Pendant sa retraite, il souffre de crise de rhumatisme ce qui ne l'empêche pas de nager fréquem-ment dans la mer.

����SON AMOUR DU TRAVAIL La personnalité de Sherlock Holmes est double. Dans ses accès de travail, il déploie une énergie à toute épreuve, puis vient la réaction: pendant de longues journées, il reste étendu sur le canapé sans rien dire, sans remuer un muscle, depuis le matin jusqu'au soir. "Je ne me souviens pas d'avoir jamais été fatigué par le travail. En revanche, l'oisiveté m'épuise complètement (SIGN). Cela passera si vous me laissez tranquille" (STUD). Pendant ces pério-des, il s'adonne à la drogue (mais beaucoup moins que ne le dit la légende), alternant la co-caïne et la morphine (SIGN) puis au travail (études et recherches dans de nombreux domai-nes très éloignés du monde criminel : musique, histoire, archéologie, botanique, etc.). Son esprit ressemble à un moteur de course: il se détraque quand il n'exécute pas les exploits pour lesquels il est construit. "L'homme n'est rien, l'oeuvre c'est tout", dit-il (REDH) citant Flaubert. "Le travail est le meil-leur remède à la tristesse" (EMPT), "le meilleur repos est un changement de travail" (SIGN). Et tout ce travail, c'est seulement pour l'amour de l'art.

����SON CARACTÈRE Comme tous les êtres humains, Holmes est complexe et souvent contradictoire, à la fois dans sa personnalité et dans ses attitudes. Il apparaît comme sans émotion et replié sur lui-même, scientifi-que jusqu'à l'insensibilité, comme un véritable automate, une machine à raisonner, radicalement inhumain, avec un masque d'Indien Peau-Rouge qui, tant de fois, le fait passer pour une machine insensible et non pour un être humain. Il place, au-dessus de tout, la précision et la concentration

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de la pensée. Watson fait constamment référence à son agitation et à son impa-tience, à sa nervosité et à son excitation, à son naturel curieux et avide, à sa manie de se ronger les ongles quand il est préoccupé, à l'importance qu'il porte à son orgueil, à sa réputation, au respect de lui-même et à un certain égoïsme. Il ne se range pas parmi les gens qui placent la modestie au nombre des vertus. Pour le logicien, les choses sont ce qu'elles sont, et se sous-estimer est, tout autant que se surestimer, une altération de la réalité. "Ce que l'on fait en ce monde importe peu. La question, c'est ce que vous pouvez faire croire que vous avez fait." (STUD) Il est égotiste et didactique et on dit de lui qu'il est aussi sensible à la flatterie, quand il s'agit de son art, que n'importe quelle femme quand il s'agit de sa beauté. Une de ses plus grandes faiblesses c'est qu'il supporte mal les intelligences moins vives que la sienne et il peut être franchement méprisant pour ceux qui lui sont inférieurs mentalement, et pour ceux avec qui il n'est pas d'accord. Cette conduite ennuie particulièrement Watson très souvent. Bien qu'il laisse le crédit de ses affaires à la police, il s'irrite d'un manque de reconnaissance. Il se garde toujours la possibilité d'agir seul car l'aide qu'il trouve à l'extérieur est toujours ou insigni-fiante, ou réticente. Il s'intéresse à une affaire pour aider les fins de la Justice et le travail de la po-lice. S'il se tient à l'écart de la police officielle, c'est d'abord parce qu'elle le tient à l'écart. Il n'a nul dé-sir de marquer des points à ses dépens. Mais il aime bien taquiner les détectives officiels en leur donnant des indices tout en négligeant d'expliquer leur signification. Il s'amuse. En réalité, il ne souhaite pas leur masquer l'évidence. Ses yeux étincellent de malice quand il fait miroiter la preuve dans la tragédie de Birlstone, par exemple (VALL). S'il est dur avec les autres, il ne s'épargne pas lui-même. Il se fait des reproches quand il est trop lent à résoudre le problème. Des autres, il aime les attentions, l'admiration et les applaudissements (SIXN). Sa nature froide, qui ne se préoccupe pas de gloriole aux yeux du vulgaire, est touchée par les louanges d'un ami. Il aime impressionner ses clients par l'étalage de ses facultés et surprendre ceux qui l'entourent. Comme un artiste, il est en représentation. Il y a en lui une certaine veine artistique qui l'attire sur la scène. "L'inculpation brutale, la main au collet, que peut-on faire d'un pareil dénouement? Mais la subtile déduction, le piège malin, l'habile prévision des événements à venir, le triomphe vengeur des théories les plus hardies, tout cela n'est-il pas la fierté et la justification du travail de notre vie?" (VALL) Il avoue souvent être incapable de se refuser une note dramatique. Il a parfois tendance à faire sa propre justice et assouvir une vengeance personnelle (FIVE, 3GAR). Une ou deux fois, avoue-t-il, dans sa carrière, il a senti qu'il avait commis plus de mal vé-ritable en découvrant le criminel qu'il n'en avait fait, lui, par son crime. Il pardonne les vengeances personnelles des autres et avoue qu'il se sent directement responsable de la mort du docteur Roylott (SPEC). Il n'hésite pas à utiliser des méthodes illégales pour une cause juste à ses yeux (CHAS) et souvent il imagine qu'il pourrait être un criminel très efficace s'il utilisait ses talents contre la loi, ce sur quoi Scotland Yard est bien d'accord (GREE). Comme tous les grands artistes, indique Watson, il est fréquemment impressionné par l'ambiance extérieure et il reconnaît avec humour qu'il croit au Genius Loci mais sans doute seulement entre deux affaires car quand il est en enquête, il peut s'élever au-dessus de telles influences et possède au plus haut degré la faculté très remarquable de se libérer l'esprit à volonté. Il prête peu d'attention à sa sécurité quand son esprit est absorbé par une enquête (bien qu'il af-firme qu'il est stupide plus que courageux de refuser de croire au danger quand il vous menace de près) et il est très contrarié par tout ce qui vient distraire son attention. "Une intense concentration mentale a le pouvoir étrange d'anéantir le passé", dit-il, et pour cela il ne souhaite pas que deux af-faires se chevauchent. Professionnellement, Holmes est le seul en Europe à posséder ces dons et cette expérience. Pour cette raison, il refuse l'ordinaire. Il est la dernière cour d'appel. Quand on lui dit que ses critères pour choisir une affaire sont discutables, il répond que le rang de son client lui importe moins que

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l'intérêt de son affaire. "L'homme qui a la passion de l'art pour l'art tire souvent ses plaisirs les plus délicats de manifestations mineures ou soi-disant inférieures" (COPP) "On n'est jamais assez ins-truit, Watson. L'instruction s'acquiert tout au long d'une série de leçons et la dernière est la plus grande." (REDC) Il refuse d'agir si son client ne lui dit pas tout ce que confirme Watson : "Quelques problèmes rela-tifs à des secrets de famille sèmeraient, s'ils étaient révélés, l'effroi et la consternation dans de hau-tes sphères de la société" (THOR) " La discrétion et le sentiment élevé de ses devoirs profession-nels qui ont toujours animé mon ami président à notre choix : aucun abus de confiance ne sera commis." (VEIL) Absolument dépourvu de cruauté, il est néanmoins endurci à force de vivre dans le sensationnel. Holmes se décrit lui-même comme n'ayant jamais été un individu très sociable. A part Watson, il déclare ne pas avoir d'amis et n'encourage pas les visiteurs. Il montre une réticence à nouer de nou-velles amitiés et préfère vivre dans la solitude et l'isolement. Il fait preuve d'insouciance et d'une veine mi-cynique, mi-humoristique mais la dureté n'est pas dans sa nature nous dit Watson qui souligne sa gentillesse et cette sorte de gaieté sinistre qui carac-térise ses meilleurs moments. Il est remarquable par sa courtoisie et il est passé maître dans l'art de mettre les plus humbles à leur aise et possède presque un pouvoir hypnotique qui lui permet d'apaiser quand il le veut. "Je pense que chacun d'entre nous recèle une petite étincelle d'immortalité", remarque-t-il. "La vie est pleine de fantaisie, Watson", dit-il et quoiqu'il se défende de rire souvent, il rit, sourit, plaisante fréquemment. Holmes a ses habitudes, des habitudes strictes et rigoureuses. Au début de leur association, Watson les considère comme normales et faciles à vivre mais rapidement il les requalifie d'excentriques et d'anormales, présentant Holmes comme un des hommes les moins ordonnés qui aurait jeté hors de ses gonds n'importe quel compagnon d'existence. Il a une vie de bohême. Il s'entraîne au tir au revolver dans son salon. Il a horreur de détruire des documents. Il range ses cigares dans un seau à charbon, son tabac au fond d'une babouche persane et sa correspondance en attente de réponse sous la lame perforatrice d'une couteau à cran d'arrêt fiché en plein milieu de la tablette de la cheminée. Son incroyable manque de soins, sa prédilection pour la musique à des heures que tout un chacun réserve au sommeil, son entraînement au revolver en chambre, ses expériences scientifiques aussi étranges que malodorantes, l'ambiance de violence et de danger qui l'entoure font de lui le pire des locataires de Londres. Mais sans ses dossiers, ses analyses chimiques, son désordre habituel, il n'est pas à l'aise. L'amour de la nature ne fait pas partie de ses dons innombrables. Il n'éprouve pas le moindre attrait pour la campagne ni pour la mer, jusqu'à sa retraite. Retiré dans le Sussex, il s'adonne entièrement à cette vie apaisante de la nature à laquelle il dit avoir si fréquemment aspiré pendant les nombreu-ses années passées dans les ténèbres londoniennes. (LION) Son esprit lucide, froid, admirablement équilibré répugne à toute émotion en général et à celle de l'amour en particulier. Il apparaît sans sentiment, saturnien et peu démonstratif. Ses émotions se sont émoussées à force de vivre dans le sensationnel. "L'émotivité contrarie le raisonnement clair et le jugement sain." affirme-t-il (SIGN). "J'utilise ma tête, pas mon coeur." (ILLU)

����SES RAPPORTS AVEC LES FEMMES C'est dans son attitude face aux femmes et à l'amour qu'il est particulièrement remarquable. "L'amour est tout d'émo-tion et l'émotivité s'oppose toujours à cette froide et véridique raison que je place au-dessus de tout. Je ne me marierai jamais de peur que mes jugements n'en soient faussés." (SIGN) Il n'aime pas le sexe faible. Il en a une véritable aversion, dit-il à Watson (GREE). Lorsqu'il parle des choses du coeur, c'est toujours pour les assaisonner d'une pointe de raillerie ou d'un petit rire ironique. Il accepte l'hospitalité d'un ami de Watson dès qu'il apprend qu'il est célibataire (REIG). "On ne peut jamais faire totalement confiance aux femmes ; pas même aux meilleures d'entre elles." (SIGN) Ceci dit, quand il le veut, il use de manières très doucereuses avec les femmes et il les met rapidement en confiance (GOLD). Dans ses rapports ordinaires avec elles, il met beaucoup de gentillesse et de courtoisie. Il n'a nulle confiance dans le sexe faible, mais il est toujours un adversaire chevaleresque. "Le coeur et l'esprit d'une femme sont des énig-

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mes insolubles pour un mâle", dit-il (ILLU). "Leurs actions les plus banales peuvent se rapporter à quelque chose de très grave, mais leur comportement extraordinaire dépend parfois d'une épingle à cheveux ou d'un fer à fri-ser." (SECO). "J'ai trop d'expérience pour ne pas savoir que l'intuition d'une femme peut s'avérer beaucoup plus valable que les conclusions d'un raisonneur qui procède par analyse", dit-il en 1889 (TWIS). "J'apprécie beaucoup l'instinct féminin", ajoute-t-il en 1907 (LION). Mais dans les deux cas, il s'adresse à des femmes en deuil ou dans la peine qu'il souhaite ménager... Il a l'habitude d'ironiser sur la rouerie féminine jusqu'au jour oû il est battu par Irene Adler (SCAN). Il reste insensible aux charmes de Mary Morstan (SIGN) et, en dépit de sa prévenance envers Violet Hunter, à la déception de Watson, il cesse de lui témoigner le moindre intérêt dès qu'elle n'est plus le pivot de l'un de ses problèmes (COPP). Malgré tout, sa logeuse, Mrs Hudson, l'aime bien et il séduit à merveille la servante de Charles Auguste Milverton dé-guisé en plombier (CHAS). La seule intimité qu'il se permet est celle qu'il partage avec Watson. "J'étais plus proche de lui que n'importe qui au monde, et cependant je savais qu'un abîme nous séparait", écrit le docteur (ILLU). Une seule fois, le masque de Hol-mes tombe complètement et pour la première fois de sa vie, le docteur sent battre le grand coeur digne du grand cer-veau. C'est lors de l'aventure des Trois Garrideb quand Holmes s'inquiète pour Watson qui vient d'être blessé. Finalement, laissons le dernier mot sur ce sujet à Holmes qui déclare, au printemps 1897, qu'il n'a jamais aimé (DEVI).

����SES PASSIONS L'art en général et surtout la musique avec, en particulier, les motets de Lassus, la chimie, le Moyen Age et, en particulier, les éditions anciennes (imprimées en caractères gothiques, par exem-ple), certains manuscrits anglais (early English Charters), des oeuvres dramatiques médiévales (Miracle Plays), la poterie médiévale, le cornique (le dialecte celte de Cornouailles), le boudd-hisme de Ceylan (Hinayana, la forme la plus ancestrale du bouddhisme qui s'oppose à celui prati-qué en Chine et au Népal), les abeilles, les violons de Stradivarius, les prototypes de navires de guerre, etc.

����HOLMES ET LA MUSIQUE De tous les arts, Sherlock Holmes préfère la musique.Et il ne s'agit pas d'une simple distraction.Il l'utilise pour réfléchir lors d'une enquête : "La musique allemande... est davantage à mon goût que la musique française ou italienne, elle est introspective et j'ai grand besoin de m'introspec-ter..." (REDH). Il se déplace volontiers pour aller entendre un artiste : la violoniste Norman-Néruda, les frères de Reszké ou une oeuvre qui lui plaît de Wagner, de Chopin... Sherlock Holmes est un violoniste. Dès le premier chapitre de ses aventures, dans Une Etude en rouge (mars 1881), il en prévient Watson, avant de partager un appartement avec lui : (Holmes) - Faites-vous entrer le violon dans la catégorie des bruits fâcheux ? demanda-t-il avec anxiété. (Watson) - Cela dépend de l'exécutant, répondis-je. Un morceau bien exécuté est un régal divin, mais s'il l'est mal !... Dès leur installation, Watson, découvrant mieux son nouveau colocataire, s'attache à en définir les connaissances. Sur douze références caractéristiques, allant de la littérature au droit, en passant par la philosophie ou la boxe, il inscrit en dixième position: "Joue bien du violon." Puis, plus loin, il développe une seule de ces douze connaissances : le violon. "J'ai déjà fait allusion à son talent de violoniste. Talent remarquable, mais excentrique comme tous ses autres talents. Qu'il pût jouer des morceaux, même des morceaux compliqués, je le savais ; car, sur ma prière, il m'avait fait entendre des lieder de Mendelssohn et quelques autres chefs-d'oeuvre que j'aimais. Mais livré à lui-même, il faisait rarement de la musique. Pendant toute la soirée, ren-versé dans son fauteuil, les yeux clos, il grattait négligemment l'instrument posé sur ses genoux. Les accords qu'il en tirait ainsi, sonores ou mélancoliques, fantastiques ou gais, reflétaient avec clarté les pensées qui l'obsédaient. Stimulaient-ils son esprit? Jouait-il seulement par caprice, par fantaisie? Je ne saurais le dire. Je me serais révolté contre ces soli exaspérants si, d'ordinaire, pour me dédommager un peu de l'épreuve à laquelle il avait mis ma patience, il n'avait ensuite exécuté avec brio une série de mes airs favoris." Le Holmes mélomane est également décrit par Watson : Mon ami était un mélomane enthousiaste ; il exécutait passablement, et il composait des oeuvres qui n'étaient pas dépourvues de mérite. Tout l'après-midi, il resta assis sur son fauteuil d'orchestre ; visiblement, il jouissait du bonheur le plus parfait ; ses longs doigts minces battaient de temps en temps la mesure ; un sourire s'étalait sur son

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visage ; ses yeux exprimaient de la langueur et toute la poésie du rêve... Qu'ils étaient donc diffé-rents des yeux de Holmes le limier, de Holmes l'implacable, l'astucieux, de Holmes le champion des policiers! Son singulier caractère lui permettait cette dualité. J'ai souvent pensé que sa minutie et sa pénétration représentaient une sorte de réaction de défense contre l'humeur qui le portait vers la poésie et la contemplation. L'équilibre de sa nature le faisait passer d'une langueur extrême à l'énergie la plus dévorante. Je savais bien qu'il n'était jamais si réellement formidable que certains soirs oû il venait de passer des heures dans son fauteuil parmi les improvisations ou ses éditions en gothique. (...) Quand je le vis ce soir-là s'envelopper de musique à Saint-James's Hall, je sentis que de multiples désagréments se préparaient pour ceux qu'il s'était donné pour mission de pourchas-ser. Le violoniste Sherlock Holmes aime entendre la musique de chambre. Dans Une étude en rouge : "Il faudra faire vite. Je veux aller au concert de Hallé, cet après midi, pour entendre Norman Neru-da... (...) Ses attaques et son coup d'archet sont magnifiques. Quelle est donc la petite chose de Chopin qu'elle joue si admirablement ? Tra la la lira lira lay." Citons aussi Les Huguenots de Meyerbeer dans Le chien des Baskerville et Tristan et Yseult de Wagner dans L'aventure du cercle rouge.

����SES CONVICTIONS "Pourquoi le Destin joue-t-il de tels tours à de pauvres êtres impuissants? (BOSC) Les voies du Destin sont vraiment impénétrables! S'il n'existe pas de compensation dans l'au-delà, alors le monde n'est qu'un jeu cruel. (VEIL) Mais toute la vie n'est-elle pas pathétique et futile?... Nous attei-gnons. Nous saisissons. Nous serrons les doigts. Et que reste-t-il finale-ment dans nos mains? Une ombre. Ou pis qu'une ombre: la souf-france." (RETI) Holmes est sensible aux idées anti-chrétiennes de William Winwood Reade dont il recommande la lecture de Le Martyre de l'Homme à Wat-son (SIGN). Il est en accord avec Richter quand il dit "la première preuve de la grandeur d'un homme réside dans la perception de sa propre petitesse" (SIGN). Il refuse fermement de croire au surnaturel et cite Darwin (STUD).

"Nulle part la déduction n'est plus nécessaire que dans la religion. Le logicien peut en faire une science exacte", lance-t-il (NAVA). Mais il semble n'avoir jamais trouvé le réconfort : "Quelle est la signification de tout cela, Watson? A quelle fin tend ce cercle de misère, de violence et de peur? Il doit bien tendre à une certaine fin, sinon notre univers serait gouverné par le hasard, ce qui est impensable. Mais quelle fin? Voilà le grand problème qui est posé depuis le commencement des temps, et la raison humaine est toujours aussi éloignée d'y répondre." (CARD) Quand il se retire finalement dans la solitude de la côte sud de l'Angleterre, c'est, après tout, pour étudier la philosophie (PREF).

����SES ENQUÊTES RACONTÉES PAR WATSON Même si Watson se plaint de l'indifférence de Holmes envers ses écrits, en vérité le détective s'y intéresse les qualifiant de "superficiels" (BLAN) et accusant Watson d'embellir la réalité et de leur donner une note romantique. Il dit au docteur qu'il ne peut pas le féliciter pour ses récits. "Vos his-toriettes ont un effet totalement artificiel puisque vous gardez pour vous quelques facteurs qui ne sont jamais communiqués au lecteur". (CROO) "La détection est, ou devrait être, une science exacte ; elle devrait donc être constamment traitée avec froideur et sans émotion", dit-il (SIGN), accusant Watson de sacrifier au goût du public plutôt que de se confiner dans les faits et les chiffres. (BLAN). "Il est possible que vous ayez fait fausse route en essayant de mettre de la couleur et de la vie dans tous vos récits au lieu de vous borner à rendre compte de la marche austère du raisonnement de la cause à l'effet ce qui est, après tout, le plus remarquable dans ces affaires." (COPP)

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Il reproche à son biographe ses mauvaises habitudes de raconter les histoires en commençant par la fin (THOR). "Vous avez la détestable habitude de considérer toute chose du point de vue du conteur et non du point de vue du chercheur scientifique. Ainsi, vous avez détruit ce qui aurait pu être une suite instructive et même classique de démonstrations. Vous négligez la finesse et la déli-catesse de mes déductions pour insister sur des détails dont le caractère sensationnel excite peut-être la curiosité du lecteur mais ne l'éduque sûrement pas!" (ABBE) "De ce qui aurait pu être un cycle de conférences, vous avez fait une série de contes..." (COPP) "Mes erreurs, aussi, ajoute-t-il, sont beaucoup plus fréquentes que ne le croiraient vos lecteurs". (SILV) Il se plaint aussi que Watson ait vanté à l'excès ses méthodes scientifiques (SUSS). Alors, pourquoi n'écrit-il pas lui-même ses mémoires? Watson le lui demande (ABBE) et il finit par prendre la plume (BLAN, LION). "En choisissant quelques affaires typiques qui illustrent les remarquables qualités mentales de mon ami Sherlock Holmes, écrit Watson, j'ai autant que possible accordé la préséance à celles qui, moins sensationnelles peut-être, offraient à ses talents le meilleur champ de manoeuvres." (CARD) En dépit de son goût à dédaigner la notoriété (SIXN), il acquiert une renommée considérable grâce aux écrits de Watson. Renommée qui rejaillit également sur Watson. Un chroniqueur, admet Holmes, est toujours utile. Il invite donc Watson à l'accompagner dans ses investigations dans le but de trouver de la matière pour ses futurs récits. Aucun n'est d'ailleurs écrit sans l'accord de Holmes (VEIL) et il va même jusqu'à suggérer certains cas dont il aimerait voir le récit rendu public (CREE, DEVI). Cependant Holmes interdit la publication de toutes ses affaires, à l'exception de celle du chien des Baskerville, de son retour en 1894 jusqu'à 1903, juste avant qu'il ne se retire de la scène. Et même après cette date, il n'est pas très disposé de les voir publiés (DEVI, SECO). Tant qu'il exerce, la pu-blicité faite autour de ses succès revêt pour lui une valeur pratique. Mais dès qu'il se retire définiti-vement et qu'il se consacre à la science et à l'apiculture, il prend sa renommée en grippe et il somme Watson de ne pas contrarier son désir de silence. (SECO) Entre 1887 et 1904, pas plus de quarante de ses affaires sont publiées couvrant une période de dix-sept ans. Au cours des vingt années séparant 1908 et 1927, à peine vingt cas sont relatés dont seize de la main de Watson.

����SES REVENUS Holmes travaille d'abord pour l'amour de l'art plus que pour son profit (SPEC). "Mes frais profes-sionnels sont établis d'après un barème fixe. Je ne les modifie pas, sauf quand j'en tiens quittes cer-tains clients." (THOR) A Helen Stoner qui avoue ne pas avoir d'argent dans l'immédiat, il précise : "Quant à mes honoraires, mon métier lui-même comporte toutes sortes de récompenses. S'il entre dans vos intentions de me défrayer des dépenses que je pourrais avoir à supporter, alors vous me réglerez quand cela vous sera plus facile, voilà tout!" (SPEC) Quelques cas lui rapportent néanmoins beaucoup d'argent. Une récompense de £1.000 est offerte pour la restitution du diadème de béryls (BERY) et pour celle de l'escarboucle bleue de la com-tesse de Morcar (BLUE). Il reçoit la même somme en remboursement de ses frais du roi de Bo-hême (SCAN). Il reçoit £12.000 du duc d'Holdernesse qui sont plus pour acheter le silence de Holmes que pour rétribuer ses services (PRIO). A l'exception de cette affaire, Watson ne le vit jamais demander une forte récompense pour ses services inestimables. (BLAC) "Il était si détaché de ce monde (ou si capricieux) qu'il refusait souvent d'aider le riche et le puis-sant quand l'affaire n'éveillait pas sa sympathie. En revanche, il lui arrivait de consacrer des semai-nes d'application intense aux intérêts d'un client modeste dont le cas présentait des traits étranges ou dramatiques qui excitaient son imagination et défiaient son ingéniosité." (BLAC) Les services rendus à la couronne scandinave et à la République française lui procure, en 1891, dit-il, de quoi terminer son existence le plus paisiblement du monde (FINA). Il y a aussi les petits cadeaux. Le roi de Bohême lui offre une tabatière en vieil or avec une grosse améthyste au centre du couvercle et la famille régnante de Hollande une bague avec un magnifique brillant (IDEN). Quant à la reine Victoria, elle lui offre personnellement une émeraude montée en épingle de cravate. (BRUC)

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����SES CONNAISSANCES Holmes est un homme cultivé contrairement à ce que laisse penser la liste de ses connaissances faite par Watson au début d'Une étude en rouge : En littérature : nulles. En philosophie : nulles. En astronomie : nulles. En politique : faibles. En botanique : spéciales. Est calé sur la belladone, l'opium, tous les poi-sons en général. Ne connaît rien au jardinage. En géologie : pratiques, mais restreintes. Distingue au premier coup d'œil les différentes espèces de terrains. Après s'être promené à pied dans Londres, m'a montré des éclaboussures sur son pantalon et, d'après leur couleur et leur consistance, a déterminé dans quel quartier il les avait essuyées. En chimie : approfondies. En anatomie : exactes, mais sans système. En littérature à sensation : immenses. Semble posséder tous les détails de chaque crime horrible commis au cours du siècle. Joue bien du violon. Est adroit à la canne, à la boxe, à l'escrime. A une bonne connaissance des lois anglaises. Jugement repris plus tard dans l'aventure des Cinq pépins d'orange: "En philosophie, en astrono-mie et en politique, je vous avais noté zéro... En botanique, irrégulier. En géologie, solide pour dé-celer l'origine des taches de boue dans un rayon de quatre-vingts kilomètres autour de Londres. En chimie, excentrique. En anatomie, manque de méthode. En littérature à sensations et en histoire criminelle, unique. Joueur de violon. Boxeur. Escrimeur à l'épée. Homme de loi. Et s'intoxiquant à la cocaïne et au tabac." Ses études sont présentées comme décousues et excentriques et on dit qu'il amasse une foule de connaissances rares (STUD). Mais qu'en dit Holmes, lui-même: "La largeur des vues est l'une des qualités essentielles de notre profession. L'effet réciproque des idées et l'usage oblique de la culture présentent fréquemment un intérêt extraordinaire." (VALL) "Je suis, sur le plan lectures, un omnivore qui retient d'étranges détails avec une mémoire tenace. (LION) Un détective doit tout connaître." (VALL) "Le logicien idéal, une fois qu'il lui a été montré un simple fait sous tous ses angles, devrait en dé-duire non seulement tout l'enchaînement des événements qui l'ont enfanté mais encore tous les ef-fets qu'il enfantera lui-même." (FIVE, STUD) Pour porter un tel art, cependant, à son plus haut de-gré de perfection, il est nécessaire que le logicien soit capable d'utiliser tous les faits connus. Ce qui implique de sa part des connaissances très étendues, si étendues même que, malgré cette épo-que de libre éducation et d'encyclopédies, rares sont ceux qui les possèdent ! Mais je ne crois pas impossible qu'un homme parvienne à acquérir la somme de connaissances indispensables à son travail; en tout cas, je me suis efforcé, moi, de l'acquérir ! (FIVE) On dit qu'il a la passion des connaissances exactes et précises.(STUD) "Je possède une ample ré-serve de connaissances hors du commun, sans système scientifique, mais très utiles pour les néces-sités de mon travail. Mon esprit ressemble à une chambre de débarras bourrée de paquets de toutes sortes et bien rangés. Il y en a tellement que je peux très bien ne pas toujours me rappeler leur dé-tail." (LION) L'une des caractéristiques de sa nature fière et indépendante est que, tout en enregistrant dans son cerveau très rapidement et avec précision une information nouvelle, il témoigne rarement de la gratitude à celui qui la lui communique. (SUSS) "On doit garder sa petite mansarde intellectuelle garnie de tout ce qui doit vraisemblablement ser-vir et que le reste on peut le conserver dans sa bibliothèque oû on peut les trouver quand on en a besoin." (FIVE) La plupart des succès de Holmes sont dûs à sa connaissance de l'histoire du crime. Ses connaissan-

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ces en littérature à sensation sont immenses. Il semble connaître tous les détails de toutes les hor-reurs commises pendant ce siècle. "Tout se reproduit et la chose la plus pratique qu'un détective puisse faire dans sa vie serait de s'enfermer pendant trois mois et de lire douze heures par jour les annales du crime" (VALL). "Il n'y a rien de nouveau (STUD). La vieille roue tourne. Le même rayon reparaît. Tout a déjà été fait, tout sera encore fait." (VALL) Pour compléter sa science du crime, il entretient des contacts avec le milieu (ILLU), affirmant que personne d'autre que lui ne connaît mieux le monde du crime londonien (FINA) et s'attache à sui-vre dans le détail les affaires criminelles du Continent (ILLU).

����SES MILLE VISAGES "Vous auriez pu devenir un acteur, et quel acteur !" lui lance Athelney Jones (SIGN). Le théâtre a perdu un merveilleux acteur quand il s'est spécialisé dans les affaires criminelles. Son expression, son allure, son âme même semblent se modifier à chaque nouveau rôle. (SCAN) "Je me suis dégui-sé avec toute la minutie d'un véritable artiste (DYIN) et le vieux baron Dowson a dit à mon sujet, la veille du jour oû il fut pendu, que ce que la loi avait gagné, la scène l'avait perdu." (MAZA). Il possède au moins cinq refuges dans Londres oû il peut se maquiller et se transformer à sa guise. (BLAC) Parmi les déguisements cités par Watson, il y a : un vulgaire vagabond (BERY), un homme connu dans l'East End sous le nom de Captain Basil (BLAC), un jeune plombier libertin nommé Escott (CHAS), un vieux bibliophile voûté (EMPT), un vénérable prêtre italien (FINA), un ouvrier français mal rasé (LADY), un chômeur ou un vieux "sporting man" (MAZA), une vielle femme (MAZA), un valet d'écurie ivrogne (SCAN), un clergyman non conformiste, aussi aimable que simplet (SCAN), un marin (SIGN), un vieil officier de marine asthmatique (SIGN), un vieux fumeur d'opium dodelinant (TWIS) et finalement l'espion irlando-américain Altamont (LAST). "La première qualité d'un enquêteur criminel est de pouvoir percer un déguisement", lance-t-il (HOUN) mais il ne saura pas reconnaître Jefferson Hope sous les traits de Mrs Sawyer (STUD) ou Hugh Boone qu'il avoue avoir pourtant souvent croisé dans les rues de la City (TWIS).

����SES ECHECS Ses erreurs se produisent, dit-il, plus souvent que ne le penseraient les lecteurs (SILV). Sa longue carrière a, naturellement, connu des échecs, si l'on en croit Watson (FIVE, SOLI, THOR), ou des affaires partiellement résolues. "Vous m'avez déjà vu manquer mon but, reconnaît-il à Watson (THOR). J'ai été battu quatre fois: trois fois par des hommes, une fois par une femme.", ajoute-t-il en 1887 (FIVE). "J'avais tellement l'habitude de ses succès, dit Watson en 1888, que l'hypothèse d'un échec ne m'ef-fleurait même pas" (SCAN). Néanmoins, l'affaire de la deuxième tache et celle de la Figure jaune sont deux échecs que Watson choisit de raconter (YELL). Il échoue aussi face à Irene Adler (SCAN). Enfin, Holmes se reproche souvent sa lenteur d'esprit. Il se trompe presque dans l'affaire de Abbey Grange et suspecte un innocent du vol des plans du Bruce-Partington. Il est en défaut dans l'affaire de Baskerville (au début), dans ses premières recherches de Lady Frances Carfax, dans le début de Flamme d'argent, dans le vol de la perle des Borgia (SIXN). Il commence parfois par des suppositions fausses avant de se rendre sur place (SHOS, SILV, SPEC), il tombe dans le piège lors du meurtre d'Eduardo Lucas (SECO), etc. Holmes peut fort bien avoir été victime du raffinement excessif de sa logique et pencher un peu trop à préférer une explication bizarre alors qu'une autre, plus banale, se trouve à sa portée (SIGN). Holmes le reconnaît lui-même, l'esprit agile qu'il possède a un inconvénient: il peut toujours concevoir des explications diverses qui rendraient cette certitude tout à fait illusoire. Il se peut après tout qu'un homme qui ait quelques connaissances particulières et des facultés non moins par-ticulières incline à chercher

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����Comment avez-vous attrapé le vi-rus de la BD? J'ai commencé très jeune à lire des ma-gazines de BD, comme Vaillant, Spi-rou, Tintin, Mickey... J'y ai découvert un deuxième monde. Il y avait celui dans lequel je vivais : médiocre et si-nistre...et puis ces petits bouquins ma-giques : des portes sur de vrais univers, des oasis d'imagination et de couleurs, dans la grisaille de l'époque. On pou-vait déguster des cocktails concoctés par Delporte, Greg, ou Goscinny...Qui dit mieux ? En fait, je lisais tout ce qui me tombait sous la main, et j'étais rare-ment déçu. La télé de l'époque, le ciné-ma, ou la littérature, n'avaient rien à of-frir de comparable, loin de là(sauf des revues comme Play-Boy ou Lui, qui m'ont donné le goût de la biologie). Un détail important pour l'imaginaire col-lectif de l'époque : la BD n'avait pas à attendre les effets spéciaux, et c'est elle qui a visuellement développé la SF. �Votre parcours semble pour le moins atypique, comment êtes-vous devenu scénariste de BD? J'ai essayé pendant quelques temps d'envoyer des scénarios à des magazines, mais ça n'a jamais rien donné. J'avais complètement abandonné l'idée de faire un jour de la bd, et puis j'ai voulu faire un dernier essai. J'ai demandé à Delpierre, de Fluide, de me pré-senter un dessinateur. Il a bien voulu. Miracle. Encore merci, Monsieur Delpierre. ����La page du théâtre est-elle définitivement tournée ? Pour le théâtre, il y a de fortes chances. A moins qu’on ne me propose quelque chose de sympa. On ne sait jamais. Sinon, il faut prospecter, et c’est du temps plein.

Entretien avec Entretien avec

Pierre VeysPierre Veys

Par Laurent Ehrhardt [http://chrysopee.net]

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����Un petit mot sur le mouvement des intermittents ? Les intermittents du spectacle risquent de se retrouver aussi mal lotis que les auteurs de BD. On ne leur souhaite vraiment pas. Ceux que j’ai fréquentés dans la troupe de Bouvard essayaient de s’en sortir tant bien que mal en resquillant dans les trains, en marchandant avec les hôteliers ou en logeant chez des amis, en ma-gouillant au resto, etc…. Cette situation n’a que trop duré, il ne faudrait pas qu’ils se croient en va-cances. Je propose aussi qu’on cesse de les enterrer dans nos cimetières. ����Quels sont vos auteurs fétiches? J'aime toujours Tillieux, Goscinny, Uderzo. Il y a peu, j'ai relu Le Voyageur du Mésozoïque de Franquin. Ca m'a vraiment étonné. Je l'avais lu de nombreuses fois, mais je ne me souvenais plus à quel point c'était subtil. Mais j'ai beaucoup aimé aussi les albums qu'il a faits avec Greg, dans un autre registre. ����Puisque l’humour et la dérision semble être votre tasse de thé, quels sont vos humoristes fétiches? Olivier de Kersauson est le seul qui me fasse vraiment rire. J’aime bien aussi Dupontel, Chevalier et Laspalès, Daniel Prévost, Alex Métayer… Dupontel s’est lancé dans le cinéma avec des films décalés (Bernie, Le Créateur))… Les sirènes du huitième art ne vous attirent-elle pas ? Ben, si…Je voulais faire le rôle de Martini dans Vol au dessus d’un nid de coucous. Mais ils ont pris quelqu’un d’autre (Le film a bien marché quand même. Je ne comprends pas.) Mais je ne veux pas faire comme Albert ; moi je préférerais tourner des films bien calés plutôt, ça va mieux à regarder, sinon la bande saute. ����Comment est né Baker Street et comment avez-vous rencontré Nicolas Barral? Héhé, c'est la suite d’une question précédente... Donc, Delpierre me présente un jeune voyou nom-mé Nicolas Barral... Petit flash back : je crois avoir eu l'envie de faire Baker Street en bd (j'avais déjà fait des sketches sur le sujet) en 87. J'ai donc proposé ça à quelques personnes, qui m'ont évidemment ri au nez, en m'expliquant à quel point j'étais un gros nul. Dix ans plus tard, j'ai donc Nicolas au téléphone pour la première fois. A force de me faire refuser Baker Street, j'avais pris la décision de ne pas lui proposer, pour éviter de passer de nouveau pour le blaireau de service. Et puis en discutant, j'ai craqué : je lui ai proposé tout de suite ! (j'suis un peu têtu). Il m'a répondu qu'il avait l'intention de traiter le sujet depuis un moment, et que j'arrivais à point nommé. Bon. ����Qu’est ce qui vous a attiré dans le personnage de Sherlock Holmes et comment est née l’i-dée d’une version déjantée du héros de Conan Doyle? Ce personnage nous force à explorer des situations étonnantes. De plus, elles doivent être intellec-tuellement stimulantes, sinon elles n’ont pas leur place dans le contexte. Comment naissent les idées ? Euh, je n’en ai pas la moindre idée… En fait, ça se fait spontanément. Le vrai travail c’est de trouver un décideur qui en veuille bien. ����Avez-vous reçu des réactions hostiles à votre adaptation décapante du mythe? Vous atten-diez-vous à vous voir décerner le prix le prix Groom 2002 par la société SSHF (Société Sher-lock Holmes de France)? Non, j’ai toujours pensé que si on aimait l’original, on ne pouvait qu’être attendri en retrouvant les personnages. C’est ce que ça nous fait, à Nico et à moi. On est toujours étonnés (et contents) de l’engouement suscité par le personnage, même dans sa version « décapante ». Paradoxalement, nous sommes peut-être finalement plus près de l’original que ce qu’on peut trou-ver dans des versions sérieuses. Quand Conan Doyle décrit le caractère et le comportement de Holmes, cela donne une fois illustré, quelque chose de fondamentalement drôle. Je suis sûr qu’il devait ricaner dans sa barbiche en écrivant certaines scènes.

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N’oublions pas non plus, que Conan Doyle en a eu vite marre de Holmes, et qu’il s’en est débar-rassé. Moi je prends souvent des notes sur Baker Street, tout en sachant qu’on n’aura malheureuse-ment jamais le temps de faire tous ces albums (on pourrait enfermer Nicolas dans une cave, et le forcer à travailler, nuit et jour. C’est une piste de réflexion, je lance le sujet. N’hésitez pas à m’en-voyer vos suggestions.) Cela veut dire que mon attachement à Sherlock Holmes, a résisté à l’é-preuve de la reprise du sujet. C’est plutôt bon signe. Avec votre complicité, il devrait être aisé d’organiser un enlèvement… Reste à trouver un lieu de stockage de dessinateur doué… Hum… Il faudra que vous nous donniez les références de son ma-tos de travail, afin qu’il puisse se mettre de suite au travail et ce afin de ne pas perdre de temps… Non, écoutez, la plaisanterie va trop loin. Je ne veux pas cautionner ce genre de choses. Vous ris-quez de le brutaliser. ……….. Bon d’accord, mais alors vous me promettez de faire attention à sa main droite. ����On a souvent l'habitude de montrer le travail des dessinateurs, du crayonné en passant par l'encrage et la mise en couleur. Je trouve dommage que celui du scénariste reste dans l'om-bre, aussi vous serait-il possible de nous présenter le découpage d'une planche du dernier Baker Street? Il n'y a pas grand chose de particulier à propos de ma façon de scénariser Baker Street. Une fois que Nicolas a reçu les pages, il y a un deuxième travail au niveau des crayonnés, où l'on cisèle la mise en scène jusqu'à ce qu'on en soit content. ����Comment naissent les intrigues de Baker Street ? Les intrigues sont un pur exercice de logique. Donc, on prend de quoi écrire, et on commence l’é-preuve. Sauf qu’il n’y a pas de temps limite pour rendre sa copie. Cela dit, la documentation offre de nombreuses pistes. ����L’élaboration des scénarios nécessitent-elle un gros travail de recherche documentaires et picturales ? Suivant les séries, ça peut aller loin dans la folie. Le summum concerne peut-être les 2 Baker Street qui se passent en Inde. Je suis allé jusqu’à me commander un double CD pour avoir les am-biances sonores naturelles du Sri Lanka (jungles du Sri Lanka, par Roché et Walker, présenté par Bougrain Dubourg, Frémeaux & associés).(C’est comme pour les Space Mounties, au début j’indi-quais dans le scénario,le cri des animaux, pour évoquer les ambiances sonores. Je me suis calmé un peu, quand même.) Sinon, j’ai enregistré des émissions sur les lions de Gir, les éléphants, les parcs nationaux, les mo-numents, les épices, la province du Kerala, les trains, etc… Des livres sur l’histoire, les tribus…Heureusement, j’ai un ami passionné d’ethnologie, qui habite pas loin, et qui possède une bibliothèque monstrueuse. Et puis il y a aussi la documentation pour toutes les scènes et péripéties qui n’ont pas été utilisées au final. Mais c’est une partie du travail qui est toujours stimulante. Et puis on pense au malheureux dessi-nateur qui va devoir se taper un boulot monstrueux, et ça donne du cœur à l’ouvrage. ����Quels bouquins conseilleriez-vous à des personnes désireuses d’en apprendre un peu plus sur le siècle de Sherlock Holmes ? Bonne question, futé Korrigan. Pèlerinage à Londres, de Jerrold et Doré. Et Oscar Wilde’s London (je ne sais pas s’il y a une édition française). ����Quel est votre dernier coup de cœur BD ? J’ai bien aimé Némésis, le n°4 de la série La Croix de Cazenac. Sinon, la question suivante était bien quelque chose du genre :

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Avez-vous d’autres projets BD en préparation ? Surtout de la SF, et aussi une série contemporaine, dans le style réaliste. Ah, au fait, si vous connaissez des dessinateurs techniquement costauds, et acceptant toutes les humiliations, vous pouvez leur donner mon adresse e-mail. Il y a peu, le mystère de la chambre jaune, avec pour héros Roultabille, le Sherlock Holmes Fran-çais, a été adapté au cinéma… Qu’avez-vous pensé du film, si vous l’avez vu ? Sorry, je ne vais pratiquement jamais au cinéma. ����Quel est votre dernier coup de cœur cinéma ? Idem. J’ai dû voir un film en 4-5 ans(dans une salle, car je regarde quand même la télé). Minority Report, c’était très bien ; d’autant plus que je n’aime pas trop les scénarios utilisés par Spielberg, exception faite des Dents de la Mer, et de 1941. Malheureusement, je suis très rarement emballé par les scénarios de films. Par contre, j’aime bien les acteurs. J’ai revu 2001, il y a quelque temps, et j’ai beaucoup mieux apprécié que la première fois. Eton-nant, car en général, c’est l’inverse. La dernière scène est extraordinaire. Quel personnage prenez-vous le plus de plaisir à mettre en scène dans Baker Street? J’ai bien du mal à …(qu’est-ce-que c’est que cette couleur ? On ne voit rien !)(voilà, c’est changé) choisir entre Holmes et Watson, car ils peuvent être très surprenants tous les deux. En effet, j’allais me décider pour l’imprévisible Holmes, mais quand on voit Watson dans l’Ombre du M, début de la page 34…ah, le salaud. Du coup, je ne sais plus. J’aime bien utiliser Lestrade dans l’absurde, aussi. Ca peut aller très loin. ����En tant qu’auteur comment percevez-vous les séances de dédicaces ? Quand on peut discuter avec les lecteurs, pendant que le pauvre* dessinateur transpire sur la dédi-cace, c’est très bien. On fait ce métier uniquement pour l’argent, mais quand on rencontre des gens enthousiastes, ça fait quand même quelque chose. J’aime bien quand ils discutent entre eux à pro-pos d’une situation vue dans un album : ils mettent en scène un personnage, et on dirait qu’il s’agit de quelqu’un de réel. C’est toujours étonnant et agréable d’avoir quelque chose en commun avec autrui, et d’autant plus si c’est vous qui avez construit ce point précis. * non, il ne faut pas les plaindre. ����Que pensez-vous de la spéculation galopante qui se développe actuellement dans le milieu de la BD ? Ah bon ? Y’a une spéculation ? En tout cas, les auteurs qui bossent depuis au moins une dizaine d’années disent que le prix des planches(payé par les éditeurs) baisse constamment… ����Par Spéculation, je voulais surtout parler de ce marché parallèle qui semblait se mettre en place (notamment sur le net) et où l’on voit fleurir les offres de vente de dédicaces, d’EO ou autres produits… Comment ressentez-vous cela en tant qu’auteur ? N’étant pas concerné, j’avoue ne rien ressentir. ����Où en sont les prochaines aventures du plus talentueux détective de Londres… hum… d’Angleterre… enfin du monde quoi !!! Ben, et le suspense, alors ? Juste un minimum d’information : ça se passe surtout à Londres, cette fois-ci. ����Y-a-t-il une question que je ne vous ai pas encore posée et à laquelle vous aimeriez néan-moins répondre ? Ah, je vois, c’est moi qui fais tout le boulot. Euh…Ah, la colle…Euh…

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Question : Est-ce bien vous qui jouez le rôle de Predator quand il est dans les arbres ? Réponse : Non. C’est Jean-Claude. ����Comme le veut la tradition du site, et afin de mieux cerner votre complexe personnalité, un petit portrait chinois à la sauce chrysopéenne : (en s’efforçant, si faire ce peut, d’en expliquer sommairement les raisons Ma personnalité n’est point complexe, cher Korrigan. Je suis au contraire simple, voire même en-nuyeux. Je me suis toujours demandé comment on pouvait répondre à cette espèce de test de Rorschach avec des mots. J’avoue que ça ne m’inspire pas ; mais celui-ci a l’air assez concret puisqu’il s’agit de personnages. On va essayer… Si tu étais une créature mythologique : Zeus, comme ça je pourrais dire flûte à l’EDF. Si tu étais un personnage historique : Darwin, pour l’aventure, la vraie. Si tu étais un personnage biblique : Han Solo. Si tu étais une homme politique : j’vois pas Si tu étais un personnage de roman : Bertram Wooster. Pour l’insouciance. Si tu étais un personnage de théâtre : j’vois pas Si tu étais une œuvre humaine : j’vois pas. Un Grand merci pour le temps que vous nous avez gentiment accordé…

����AVIS 100% SUBJECTIF On pensait tout savoir des aventures trépidantes de Sherlock Holmes, le héros de Sir Arthur Conan Doyle... et on se trompait lourdement! Nicolas Barral et Pierre Veys nous présentent les nouvelles aventures ô combien méconnues du célèbre détective de Baker Street... Une fois la première planche lue, on s'attend à trouver une nième série

policière se déroulant à l'époque sombre où Jack l'Eventreur errait dans les brouillards londoniens... Mais la première case de la seconde plan-che nous donne tout de suite le ton de la BD : une BD décapante où l'on découvre un couple Holmes / Watson inédit et déjanté! L'intrigue est à mille lieux des intrigues cohérentes, bien que parfois abracabrantesque de Doyle qui doit se retourner en rigolant dans sa tombe en voyant découvrant les nouvelles aventures de son héros.

Holmes reste le talentueux détective dont les intuitions malmenant (parfois) le crime... Mais c'est aussi un mauvais perdant, un dépres-sif, un anarchiste n'hésitant pas à s'en prendre à sa Royale Majesté, un hystérique un tantinet hyper actif... Le pauvre Docteur Watson en fera les frais! Une série déjantée à ne lire sous aucun prétexte sous peine de mou-rir de rire!

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Baker StreetBaker Street

Par Laurent Ehrhardt [http://chrysopee.net]

L ondres, 1898. Un épais brouillard s’est abattu sur la ville, des ombres hantent la nuit. Un drame vient de se dérouler. Deux détectives rivaux enquêtent sur une affaire plus sombre que la nuit sans lune, plus mystérieuse que l'épais brouillard. Qui résoudra l'énigme ?

��������But du jeu : être le premier à rassembler 7 cartes indices consécutifs. ��������Mise en place: Chaque joueur prend les trois premières cartes de sa pioche. Ces cartes comporte un numéro de 0 à 5 et un symbole. Les cartes indices sont mélangées et réparties en 5 piles de 8 cartes faces cachées. Ces cartes compor-tent une lettre de A à T, chaque lettre existant en deux exemplaires uniquement. ��������Déroulement du jeu: La partie se déroule en plusieurs manches comprenant plusieurs tours de jeux. A chaque tour, un joueur doit effectuer les actions suivantes ou mettre en doute l’estimation de l’adversaire :

1��������Poser une carte détective devant une pile d’indices face découverte 2��������Compléter sa main en prenant la première carte de sa pioche 3��������Faire une estimation de la valeur totale des 6 cartes tenues par les deux joueurs. Si le premier joueur qui entame la manche peut choisir librement son estimation, les estimations suivantes de-vront être supérieures aux précédentes…

Lorsqu’un joueur met en doute l’estimation de son adversaire, on abat ses cartes et on procède à un calcul. Dès lors, deux options : soit l’estimation est exacte et le joueur mis en doute remporte la manche, soit elle est erronée et le joueur mis en doute perd la manche. Le joueur qui remporte la manche choisit une des pile indice pour laquelle il est procédé à un décompte. Les cartes Détective posées devant sont enlevées, une par une et triée par couleur jusqu’à épuisement de la pile ou lorsque une carte portant le symbole stop apparaît. Le joueur totalisant le plus de point a le privilège de pouvoir choisir un indice dans la pile indice et d’avancer ainsi dans son enquête… ��������Les symboles des cartes détectives influent sur la phase de décompte : ��������La carte Stop est décomptée normalement mais met fin au décompte. ��������La carte x2 double la valeur des cartes du joueur qui l’a joué (effet non cumulatif) ��������La carte Flèche indique que sitôt le décompte effectué, on effectue un nouveau décompte dans la pile suivante. Après que le ou les décomptes une nouvelle manche commence et ce jusqu’à ce qu’un des joueurs soit parvenu à ré-unir 7 indices avec des lettres consécutives dans l’ordre alphabétique.

����AVIS 100% SUBJECTIF Le matériel est joli, le design so british et les dessins agréables. A la lecture des règles, on se demande comment ce subtil coktail d’enchères, de bluff et de mémorisation peut fonctionner et la première partie est des plus surprenante… Mais passée la surprise, force est de reconnaître que ce jeu comporte de nombreux atouts. Un excellent jeu à deux d’un auteur surprenant et inventif, à qui l’on doit notemment les excellent Verräter et Meuterer (un jeu de plateau en jeu de cartes), et le tout récent Attika...

��������Auteurs : Marcel-André Casasola-Merkle

��������Editeur : Ravensburger ��������Genre: Jeux de cartes ��������Famille : grand public ��������Joueurs : 2 ��������Durée : 30 mn

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D octeur Jekyll et Mister Hyde, Robert Louis Steven-son, 1886 L’histoire voudrait que l’idée de ce roman d’hor-

reur soit né lors d’un rêve fait par son auteur, Robert Louis Stevenson. Force est de reconnaître que l’intrigue ressemble à s’y méprendre à un cauchemar. Nous sommes à Londres, à la fin du XIXième siècle. Le Doc-teur Henry Jekyll est un brillant médecin à qui tout sourit. Il doit prochainement épouser la belle Muriel, fille du général Carew. Il se livre dans son laboratoire à de savantes expérien-ces dont le but est de permettre de séparer, chez l’être humain, le Bien du Mal. Dans le cercle d’amis du Docteur Jekyll, composés d’hommes honorables de la bonne société, va alors apparaître un person-nage grossier, tant dans ses propos que dans ces manières, qui prend plaisir à être méchant avec autrui, sans éprouver le moindre remord. Ce dernier sera présenté comme étant l’assistant de l’honorable docteur. Jekyll est partagé entre le bien et le mal, et le bien lui apporte la tristesse et la souffrance en aidant Hyde. Hyde est un homme sans scrupule qui prend plaisir à être méchant sans aucun remord. Hyde est aussi un grand manipulateur, un grossier personnage autant dans ses pro-pos que dans sa manière de faire et d'être. Hyde est puissant puisqu'il a deux alliés, Jekyll et

l'argent. Le roman est quelque peu gâché par le fait que l’histoire de Je-kyll et de Hyde est devenu un mythe connu. L’effet de surprise est quelque peu atténué mais le bouquin garde toute sa sa-veur… A noter chez Casterman l’excellente et brillante adaptation en BD du roman de Stevenson, sous la plume de Jerry Kramsky et les pinceaux de Lorenzo Mattotti dont le trait, les couleurs chaudes et les ombres rampantes accentuent la violence de l’histoire…

L’étrange cas du Docteur L’étrange cas du Docteur Jekyll & de Mister HydeJekyll & de Mister Hyde

Par Laurent Ehrhardt [http://chrysopee.net]

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Dr. Jekyll & Mr. HydeDr. Jekyll & Mr. Hyde Le jeu de sociétéLe jeu de société

Par Laurent Ehrhardt [http://chrysopee.net]

L 'histoire du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, mondialement connue et plusieurs fois portée à l'écran, est celle de la lutte entre les personnalitées bonnes et mauvaises chez un individu.

En jouant par équipe de deux, le but est de faire gagner le Dr Jekyll ou Mr Hyde, en l'empor-tant sur l'autre soi-même. Mais le contrôle de ses propres cartes est limité. Les joueurs du camp du Dr Jekyll seront amenés à joueur des cartes de Mr. Hyde et vice ver-sa. Dans le jeu de cartes, comme dans le roman, la transformation intervient au plus mauvais moment. Vous devrez établir une subtile communication avec votre partenaire et user d'une bonne tactique.

����AVIS 100% SUBJECTIF A la lecture des règles, on se rend compte que ce jeu de plis est à mille lieux de tout ce qu'on a connu. Le jeu ne comporte que 28 cartes, 14 associés au sinistre Mr. Hyde et 14 à) l'honnorable Doc-teur Jekyll. Elles sont reconnaissable grâce à un symbole au recto et un verso différent. Le jeu se joue par équipe, chaque équipe incarnant soit le bon Docteur Jekyll soit le mauvais Mr. Hyde. A son tour, un joueur doit joueur une carte de son camp mais peut demander à un autre joueur, adversaire comme allié, de le faire à sa place . C'est cette exploitation subtile du thème de dédoublement de personnalité qui fait le charme et la richesse du jeu! Autre subtilité : les cartes les plus fortes permettent de remporter les plis mais ne compterons que pour peu de points en fin de partie. Les cartes les plus faibles s'avéreront indispensable dans le décompte final puisqu'elles agiront comme multiplicateur... N'en avoir aucune c'est ne marquer aucun point! Les joueurs devront dès lors trouver un subtil équilibre dans leur façon de jouer! Un excellent jeu de plis, tordu à souhait, plein de subtilité et de coups tordus... Un régal et sans nul doute un futur classique!

��������Auteurs : Wolfgang Werner

��������Editeur : Bambus ��������Genre: Jeux de cartes ��������Famille : grand public ��������Joueurs : 4 (variante à 3) ��������Durée : 60 mn

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L e Portrait de Dorian Gray est l’unique roman rédigé par Oscar Wilde, qui fut l’auteur de nombreux recueils de nouvelles, contes pour enfants et pièces de théâtres, comédies dans lesquelles ils brosse une peinture au vitriol de la bonne société anglaise.

Froidement accueilli par une partie du public anglais quelque peu puritain, ce livre re-late l’histoire de Dorian Gray, dandy émerveillé par sa jeunesse et sa beauté, quasi divine.

Un jour, le talentueux Basil Hallward fait naître sous ses pinceaux un tableau représentant Do-rian Gray. Ce dernier s’effraie à l’idée de penser qu’il vieillira et que le temps prendra sa beauté, alors que son portrait restera à jamais jeune et beau. Il se alors prend à rêver, en échange de son âme, de pouvoir stopper les ravages du temps, de demeurer éternellement jeune, alors que son portrait vieillirait à sa place…

« Comme c'est triste! Je vais devenir vieux, horrible, effrayant. Mais ce tableau n'aura jamais un jour de plus qu'en cette journée de juin... Si seulement ce pouvait être le contraire! Si c'était moi qui restais jeune, et que le portrait lui vieillit! Pour obtenir cela, pour l'obtenir, je donnerais tout ce que j'ai! Oui, il n'y a rien au monde que je refuserais de donner! Je donnerais mon âme pour l'obtenir! »

Et voilà que la fantastique entre en scène lorsque son voeux est exaucé. Privé de toutes entraves qui le mettrait devant les conséquences de ses actes, le dandy sombre peu à peu dans le vice, la débauche et les plaisirs faciles. Sa vie n’est plus que jouissance, cynisme et perversion. Privé de tous sens moral, incapable d’éprouver le moindre soupçon de remord, il commet peu à peu les crimes les plus abominables. Alors qu’il reste jeune et en bonne santé, comme en ce jour de juin ou fut peint son portrait, ce dernier porte sur lui les stigmates de ses débauches, de ses déprava-tions, et du temps qui s’écoule, inexorablement… Mais Dorian Gray découvrira qu’il lui faudra payer le prix de sa beauté éternelle. Car sous son apparence éblouissante se cache une âme noire et corrompue, à l’exacte image de la décrépitude de ce qu’est devenu le portrait peint par Basil Hallward.

La vive polémique que ne manqua pas de déclencher ce livre au moment de sa sor-tie dans la puritaine Londres, a sans nul doute renforcé la notoriété du Portrait de Dorian Gray et de son auteur. Mais force est de reconnaître que ce livre est un petit bijou qui dépeint je pense assez finement les sombres ruelles de Londres et la so-ciété de l’époque. Sous l’apparence d’un conte fantastique noir, Oscar Wilde nous livre là un conte philosophique, moral et protestataire, non dénué de poésie, tout en soulevant d’intéressantes questions sur l’opposition de l’art et de la vie et du carac-tère autodestructeur d’une existence entièrement voué au plaisir pur, en dehors de toute considérations morales. Les dialogues, finement ciselés, sont étincelants, le personnage principal dont on suit la lenter descente dans les enfers du vice et de la débauche fascinant… Un ex-cellent roman, volontairement provocateur…

Le Portrait de Dorian GrayLe Portrait de Dorian Gray

Par Laurent Ehrhardt [http://chrysopee.net]

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FogFog dans les brumes de Londresdans les brumes de Londres

C ertains pourraient s'arrêter au dessins étranges et néanmoins envoû-tant de Bonin et refuser de poursuivre plus avant la lec-ture du livre... Il passerait alors à côté d'une des séries majeures de ce début de siècle.

Car il ne faut pas s'y tromper : le trait de Cyril Bonin colle merveilleusement à l'ambiance de cette intrigue victorienne ciselée avec minutie par Roger Seiter qui signe avec cette sé-rie ses meilleurs scénarios. Ouvrir l’album, c’est se retrouver plongé dans les brumes londoniennes angoissantes et oppres-santes. Fog semble osciller entre policier et fantastique, restant à la lisière des deux genre afin de mieux perdre et surpren-dre le lecteur... Les personnages, denses et bien cernés, évoluent au fil des tomes, nouant des relations en filigrane de l'intrigue principale. Même les personnages secondaires ont une épaisseur certaine. Les protagonistes ne sont pas simplement au ser-vice de l’histoire mais leur passé et leur carac-tère sont au coeur même de l’intrigue. Une série incontournable, au scénario subtil et diaboliquement efficace, servi par un gra-phisme fabuleux et inquiétant. Un pur chef d’œuvre…

Le Bouffon, http://chrysopee.net

����LES SABLES DU TEMPS (FOG TOME 4)

L es sables du temps clôt la deuxième aventure en deux tomes de la série Fog. Le tome 3, Le mangeur d'âmes (Casterman, sept 2001), commence par un pro-logue (Sud de l'Arizona, 1860) où un "bon docteur", soigne et sauve de la mort un Indien Navajo. Quatorze ans plus tard, à Londres, Mary Launceston et son

soupirant Ruppert Graves se trouvent confrontés à une série de meurtres liés les uns aux autres. Mais les indices que les protagonistes amassent au fil de l'album semblent tellement in-

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congrus et disparates que personne ne peut trouver une piste solide : une flè-che cérémonielle navajo, des photographies de cadavres affublés d'un uni-forme inconnu, des membres haut placés de l'armée qui se couvrent les uns les autres, le déroutant docteur Algernon Nash au douloureux secret, qui fait la cour à Mary et dissimule des indices. Dans ce quatrième tome, les indices vont être approfondis. Le lecteur décou-vre par exemple le "Neron Club", où les gentlemen s'amusent à assassiner de pauvres diables ramassés sur le port ; il fait plus ample connaissance avec Mr Ballantyne qui accompagne un mysté-rieux Indien Navajo. Et le docteur Nash, sans avoir de lien direct avec aucune piste, paraît être au centre de cet imbro-glio... Qu'en penser ? Le dessin de Cyril Bonin nous fait voya-ger dans un Londres mythique, celui de Dickens, de Stevenson et de Conan Doyle, fécond en intrigues et lourd de brouillards. Cet univers ne supporte pas la médiocrité, tellement il peut être glau-

que et malsain ; en bande dessinée, il a déjà été exploré avec génie, par exemple par Edith et dans la série Basil et Victoria, ou par Bodart et Vehlmann dans la série Green Manor (voir chronique du tome 1).

Marie Castanet, http://www.bullebizarre.com/

LES SABLES DU TEMPS Fog tome 4 �Dessin : Cyril Bonin �Scénario : Roger Seiter �Collection : Ligne Rouge �Casterman 2003

����LA MÉMOIRE VOLÉE (FOG, TOME 5)

M ary Launceston, un des deux personnages principaux de la série Fog, se déplace en Écosse pour remettre à la famille de son ami Walter une pierre précieuse, offerte par les indiens Navajos (voir la chronique du tome prédédent). Elle a voyagé avec un pho-tographe et un journaliste, ils sont retrouvés morts, brûlés, au bord d'un lac, le lende-

main. Pendant ce temps, à Londres, à la suite d'une descente de police dans un taudis de l'East End, une jeune femme amnésique est retrouvée au milieu d'un groupe d'esclaves hu-mains, enchaînés au fond d'une

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cave : sa mémoire ne remonte qu'au moment de sa chute dans la Tamise, et ses manières font penser à la police, et à Rupert Graves le journaliste du Ti-mes, qu'elle vient probablement des beaux quartiers... Ces deux affaires, et les étranges agissements d'un groupe d'écossais en kilt, s'avéreront intimement liés. Qu'en penser ? Fog est décidément une série passionnante, aussi lisible qu'ambitieuse, aussi originale que "classique", aussi intelligente que populaire. L'angleterre vic-torienne y trouve une très belle résonnance en bande dessinée.

Roger Seiter, le scénariste, manie à merveille l'éche-veau des actions imbriquées, les développements pa-rallèles, les indices semés au gré des scènes qui vien-nent couper les deux actions principales. Sans lancer de perches qui feraient dire au lecteur "tiens, je le vois venir" ni sombrer dans un ésotérisme de bazar pour faire croire à je ne sais quel second degré, il mène de main de maître l'exposition et le déroulement d'une intrigue forte, ténébreuse, complexe et lumineuse à la fois. Les histoires de la série forment des histoires complètes si on les groupe par deux albums (c'est ici la première partie d'un récit), et la familiarité acquise avec les principaux protagonistes et le contexte général fait que, tout en gar-dant un rythme de narration parfois lent (certaines scènes intermédiaires prennent le temps de la déambulation, de l'indolence), l'intrigue est nourrie, et les relations souvent complexes et tendues entre les deux héros, Mary et Rupert, se développent lentement au fil des albums. Cyril Bonin, quant à lui, approfondit le sillon qu'il avait commencé à creuser dans les quatre premiers tomes : il livre des planches très sombres dès que l'on est en milieu urbain, mais parvient à garder une grande lisibilité, par la qualité de sa gestion des lumières. Dans ses planches plus claires, particuliè-rement celles qui se situent en Ecosse, il parvient à créer un fond d'inquié-tude, par l'aspect faussement hésitant de son trait, et l'usage de masses som-bres inquiétantes, minérales et végétales.

Les gueules de ses personnages, caricaturales et distordues, fonctionnent à merveille, et étayent la qualité simple des dialogues. Certaines de ses vignettes confinent à l'abstraction, accentuant le dé-calage du récit vers le merveilleux et le bizarre. Le tout s'enchaîne avec naturel, et fait de Fog, déjà, un classique de la bande dessinée d'aventure fantastique.

Pascal Mériaux, http://www.bullebizarre.com/

La Mémoire Volée Fog tome 5 �Dessin : Cyril Bonin �Scénario : Roger Seiter �Collection : Ligne Rouge �Casterman 2004

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Entretien avec Entretien avec Roger SeiterRoger Seiter

Entretien accordé en 2001 au fanzine Chrysopée http://chrysopee.free.fr

�Par quels chemins détournés en êtes vous arrivé à écrire pour la bande

dessinée ?

J 'ai commencé en 1988, suite à la rencontre avec un jeune dessinateur totalement autodidacte et aussi néophyte que moi: Christophe CARMONA. Je lui ai raconté une page d'histoire de l'Alsace et il m'a proposé de l'adapter en BD. A l'époque, j'étais lecteur et collectionneur de bandes dessinées, mais je n'avais jamais songé à écrire quoi que ce soit ( même pas un mauvais poème ). C'est sans doute à

cause et grâce à cette inconscience que nous sommes aller trouver un éditeur pour lui proposer le projet. Il a semblé intéressé et l'a finalement publié en 1990. L'album ( très mauvais, mais plein de bonnes intentions ) s'est vendu à près de 10 000 exemplaires, ce qui à l'époque nous a semblé tout à fait normal. Avec le recul, je trouve que nous avons eu pas mal de culot et beaucoup de chance.

�Personnellement, je vous ai découvert avec Simplicissimus.

J’avais aimé le format novateur de cette bande dessinée dont le

personnage principal était subtilement introduit par une nou-

velle fort bien écrite. Le héros, un bretteur érudit coureur de

jupon, y était plongé dans une intrigue mêlant subtilement ac-

tion et quête? Un Indiana Jones avant l’heure en quelque

sorte? Le scénario qui semblait s’orienter vers le mystère tem-

plier semblait plus que prometteur? Mais si l’on sait qu’il a

participé au siège du Haut-Koenigsbourg (cf votre album réali-

sé avec Carmona), la fin de l’histoire reste en suspend? Pour-

quoi cette série a-t-elle été abandonnée ? Merci pour Isabelle Mercier, qui a effectivement un vrai talent littéraire ( même si elle est trop modeste pour le reconnaître ). ' Simplicissimus ' était prévu au départ en quatre volumes. A la fin, il retrouvait dans une haute-vallée perdue au coeur de l'Anatolie une cité grecque avec un temple abritant le vrai tombeau d'Alexandre le Grand. Dans un autre bâtiment, il découvre avec ses compagnons une bibliothè-que qui est aussi riche que celle qui a brûlé à Alexandrie. Et bien sûr, l'Ordre du Temple se sert de cette cité comme refuge secret pour continuer à intervenir dans le monde... Bref, vraiment du Indiana Jones au XVIIième siècle. Malheureusement, l'album était le troisième d'une nouvelle collection lancée par Glénat: ' Les Indispensables '. Or, c'est l'époque où Glénat connaît de gros problèmes financiers et la col-lection est la première à passer à la trappe. Dommage ... Le fait de reprendre le personnage de Simplicis-simus dans le Haut Koenigsbourg est un simple clin d'oeil.

�Jusqu'ou aviez vous rédiger la trame de Simplicissimus? Le projet est il to-

talement abandonné ou reste t il un espoir de le voir une jour s'achever? En ce qui concerne ' Simplicissimus ', le projet était prévu en quatre volumes. Le tome 1 a été publié, le scénario détaillé du tome 2 est rédigé et l'ensemble de l'histoire avait été structuré dès le départ. C'était

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un récit assez sympa, en peu dans l'esprit de ce qu'on trouve actuellement chez Glénat avec le ' Troisième Testament ' ou le ' Triangle Secret '. Mais c'est pour moi une vieille histoire. De toute manière, Frédéric Pillot est définitivement passé à l'illustration et à la pub, Claude Guth fait la carrière de coloriste et maintenant de dessinateur ( avec Laurent Cagniat chez Delcourt ) que l'on sait et il serait très difficile de reconstituer l'équipe pour reprendre le projet. Nous avons tous de ( trop ) nombreux projets et je ne pense pas qu'un retour en arrière soit possible. C'est peut-être dom-mage ...

�Vous semblez passionné par les légendes et la mythologie nordiques qui

sont évidemment très présentes dans la Hache du Pouvoir et dans Coeur

Sanglant, mais aussi dans les deux premiers tome de Fog où tout com-

mence par la découverte d’un Tumulus. D’où vous vient cette passion ? Les Vikings sont vraiment un peuple extraordinaire ( lire les ouvrages de Régis Boyer à ce sujet ). Je m'étais beaucoup documenté sur la question en écrivant les séries parues chez Delcourt. Les Vi-kings, c'est un sujet sur lequel je peux improviser une conférence de trois heures, alors, on va peut-être passer à la suite ... De toute manière, j'en parle dans ' FOG ' ...

�Les personnages principaux et secondaires de Fog ont une certaine

épaisseur, pour ne pas dire une épaisseur certaine. Ils ne sont pas simple-

ment au service de l’histoire mais leur passé et leur caractère est le mo-

teur même de l’intrigue. Dès lors une question : comment est né le scéna-

rio de la bande dessinée : avez vous créer des personnages en travaillant leur caractè-

res et motivations avant de les faire évoluer et interagir ou

avez-vous préalablement imaginé le synopsis autour duquel se

sont construits les personnages principaux et secondaires?

Autrement dit, comment avez-vous bâtit le scénario? Quelle question !!! ... Comment y répondre ? ... Un scénario est une aventure étrange et passionnante. Au début, on part d'une simple idée, d'un truc lu dans un article ou un roman. De toute manière, des idées, on en a quinze par jour. Simplement, certai-nes reviennent, se font récurrentes. C'est alors qu'on se dit qu'elles sont peut-être in-téressantes. On leur donne leur chance et le mécanisme se met en route. Le synopsis se construit progressivement, un peu à son insu. L'histoire prend forme et devient envahissante. Ensuite, c'est de l'instinct, du savoir faire. Il n'y a pas de règles. Les personnages s'imposent d'eux-mêmes. Ils apparaissent, prennent forme, se dévelop-pent et gagnent une certaine forme d'autonomie. Ils deviennent presque réels. On finit par se dire: dans telle circonstance, comme réagirait Ruppert, ou Mary, ou Ju-lian ou tout autre personnage, même secondaire. J'en discute parfois avec d'autres auteurs. Il semblerait qu'il s'agisse là d'une expérience qui nous est un peu commune. En résumé, l'auteur ne décide finalement pas de grand'chose. Il donne vie à des per-sonnages qui vivent ce qu'ils ont à vivre. Il est moins leur créateur que leur accoucheur. En tout cas, pour moi, ça se passe comme ça. Je fait confiance à mon instinct. De toute manière, il n'y a pas l'autre solution. Un auteur est seul. Il ne peut demander conseil à personne. L'avis de quelqu'un qui n'écrit pas ne sert à rien ( un scénario, c'est avant tout un document technique destiné à l'éditeur ou au dessinateur ). Et un autre scénariste ne raconterait de toute manière pas l'histoire de la même façon.

�L’intrigue vous permet de peindre un tableau réaliste de la société londonienne élisa-

béthaine avec ses inégalités et ses clivages sociaux. La grande réussite de Fog est à

mon avis d’avoir su utiliser ce background historique pour servir l’histoire et les per-

sonnages. Jusqu’où poussez-vous le travail de documentation pour rédiger un scéna-

rio ? La société victorienne est dans ' FOG ' un personnage à part entière. C'est une société très particulière, très cloisonnée, très hypocrite... Sur le continent, les mêmes ingrédients à la même époque ne donneraient pas la même histoire. Je me suis effectivement beaucoup documenté sur la question, J'ai lu et relu des auteurs de l'époque ( Dickens, Jane Austen, Willkie Collins, Jack London, etc ... ) ou des auteurs contemporains traitant du même sujet ( Caleb Carr, Anne Perry, etc ... ). C'est un travail d'imprégnation qui me permet de restituer une certaine forme de langage, un ton qui corres-pond à la façon de parler de l'époque. En 1874, on ne s'adresse pas de la même manière à un cocher, un majordome, un membre de la classe aisée ou à un homme du peuple. C'est un univers très codifié, dont il faut respecter les règles pour que l'histoire paraissent crédible.

�Le troisième tome de Fog, paru il y a peu, laisse sur sa faim, comme le premier d'ail-

leurs, on brûle de l'envie de lire la suite afin de comprendre les tenants et les aboutis-

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sants de cette nouvelle intrigue... Sans en dévoiler le chute, le quatrième opus est il

bouclé au niveau écriture? Travaillez vous dors et déjà sur le cinquième? Quel en sera

le thème? Oui, bien sûr ! ... Les 62 pages du tome 4 sont découpées, rédigées, dialoguées depuis avril 2001... Donner des élé-ments d'information sur ce volume ne serait pas sympa pour les lecteurs. Tous les événements sont trop liés... A la fin, on retourne en Arizona et toutes les ( nombreuses ) questions que le lecteur se pose trouveront leurs réponses, avec en prime une vraie surprise ( en tout cas, c'est ce qui est prévu ). Cet été , j'ai écrit une troisième histoire ( toujours en deux volumes ) dont le thème sera le vol de mémoire ( pas la perte, mais vraiment le vol... ). Une partie de l'histoire se passera en Ecosse. L'intrigue sera à la fois policière, fantastique et politique... Et toujours bien dans l'univers de ' FOG ' ...

�Chaque couple d’auteur (si vous permettez l’expression) a sa façon bien a lui de tra-

vailler sur une bande dessinée? Comment-avez vous travaillé avec C. Bonin pour l’ap-

parence des personnages, les décors et le découpage? A partir de quels documents a-t-

il réalisé les planches ? Ce qui est important, c'est surtout de raconter la même histoire. C'est ce qui se passe avec Cyril Actuellement, nous nous voyons assez peu et presque jamais pour travailler. J'ai fini d'écrire ( découpage planche par planche et tous les textes ) les 62 pages du tome 4 depuis avril 2001. Cyril travaille sur ce document et je vois les planches terminées. S'il rencontre un problème, un simple coup de fil suffit. On est totalement sur la même longueur d'onde et je n'ai pas d'exi-gence particulière pour le dessin. Le dessinateur est au service du scénario, mais pas du scénariste. Penser le contraire serait à mon avis une erreur. Cyril à un immense talent et j'aurai bien tort de me mêler de la partie graphique ( sauf cas très particulier ). De la même manière, il se mêle très peu du scénario, sauf tout au début, quand nous en sommes encore à la mise en place de l'histoire.

�Serait il possible de voir les documents à partir desquels travaille Cyril Bonin (par

exemple pour une planche d'un album donné)? Les personnages ont ils fait l'objet d'un

traitement à part : avez vous fourni au dessinateur un portait détaillé, physique et psy-

chologique pour lui permettre d'élaborer la représentation des personnages de l'al-

bum? L'iconographie utilisée par Cyril est assez importante. Pour les décors et également les personnages, il dispose de pas mal de photos d'époque, ainsi que des gravures de Gustave Doré sur Londres. Ces documents donnent une bonne im-pression d'ensemble de ce que pouvait être l'univers du Londres victorien. On y trouve des détails assez curieux aux-quels on ne songerait pas de prime abord. Par exemple, en raison des milliers de chevaux utilisés pour tirer les ' cabs ' et les voitures, la chaussée était entièrement recouverte d'une couche de crottin dont on ne pouvait pratiquement jamais se débarrasser. Imagine ce que ça pouvait donner les jours de pluie (assez nombreux en Angleterre) ou durant l'été. En ce qui concerne les personnages, ils sont soigneusement ( enfin j'espère ) construits sur le plan psychologique. Tous, même les personnages secondaires, sont définis avec un maximum de précision. La cohérence de l'histoire est à ce prix. Le fait de rédiger les deux volumes d'un coup, de savoir exactement d'où je pars et où je vais, me permet de jouer avec les infos distillées aux lecteurs. Voilà pourquoi dans le tome 3, malgré les nombreuses informations données au public, le suspense est maintenu jusqu'au bout. C'est impossible à faire si on se contente de commencer l'histoire, sans savoir si on la termine en trois, quatre ou cinq albums. Mais si je donne beaucoup d'indications sur la psychologie des personnages, je n'ai pas d'exigences particulières pour leur représentation physique. Au contraire, j'aime bien être sur-pris et découvrir le travail de Cyril comme n'importe quel lecteur.

�Vos scénario, tantôt épique (Hache du Pouvoir ou Coeur de Sang), tantôt intimiste

(Fog) ont tout pour séduire les joueurs de jeux de rôle. Quelle vision avez-vous de ce

loisir ? Désolé, je ne connais strictement rien au jeu de rôle. Mais ce n'est pas la première fois qu'on me fait cette remarque.

�Eh bien nous vous remercions pour cet entretien?

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Entretien avec Entretien avec Virginie CadyVirginie Cady

Réalisé en juillet 2003 pour Chrysopée

Née en 1970, Virginie Cady s’est formée au scénario à l’école du court-métrage. En 1998, plutôt que de finir sa thèse de littérature moderne, elle participe en tant que co-scénariste à la série ARKEOD dont les tomes 1 et 2 sont parus chez Soleil Production. Scénariste de JANUS dont le tome 1 vient de paraître chez Nucléa², elle est également professeur de scénario à l’Institut International de l’Image et du Son et de psychologie des apprentissages à l’Université de Paris XII. Virginie Cady a été en outre comédienne et est actuellement danseuse et chorégraphe de la compagnie qu’elle a créée en janvier 2000.

����Comment as-tu attrapé le virus de la BD? Tout naturellement, en étant d’abord une lectrice assidue. J’ai commencé par dévorer les vieux Pilote de ma mère et lorsque je les ai eu termi-né, ma grand-mère m’a offert mon premier Tintin. Comme beaucoup, j’ai été abon-née des années au journal de Mickey et à Spirou et j’attendais le facteur toutes les semaines avec impatience. Les livres et les BD étaient les récompenses des carnets de notes parfaits et c’est une carotte qui a toujours très bien marché avec moi ! ! ! ����Quels auteurs de BD t’ont le plus marqué, tant au niveau du dessin que du scénario et des personnages qu’ils ont crée ? Alors le premier qui m’ait marquée, c’est Fred… j’avais trois ou quatre ans quand je suis restée scotchée sur un Philémon. Et mes idoles ce sont avant tout Franquin et Goscinny que je relis toujours avec le même plaisir. Dans les choses plus récentes, j’ai adoré les premiers Bilal, ceux avec Christin. J’aime aussi beaucoup Bourgeon, Peeters et Schuiten. Cette année j’ai eu un coup de cœur énorme pour Le combat ordinaire, Pilules Bleues, Lupus, Le chat du rabbin… et j’achète tous les Donjons et après tout ce que fait Sfar! Silence de Comès est aussi un grand souvenir. En fait, je crois bien que j’aime les choses un peu étranges, décalées, ou folles !

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����Devenir scénariste de BD, était-ce un rêve d'enfance? Quel est ton parcours ? Je ne l’avais guère envisagé même si je me suis amusée à dessiner beaucoup en cours (de math surtout). J’avais même créé au Collège un petit personnage, un marin grec, une sorte d’Ulysse ver-sion amateur d’Ouzo, encore plus mauvais question orientation que le vrai. Mais avoir une mère artiste peintre, cela peut-être extrêmement inhibant. J’avais beaucoup de mal à me hisser à son niveau et j’ai fini par me décourager totalement. J’ai toujours eu envie d’écrire, mais la BD me semblait réservée à ceux qui savaient aussi dessiner. Petite, je me dirigeais plutôt vers la danse ou le théâtre. Ce n’est qu’une fois adulte que j’ai com-pris que je n’étais pas faite pour exécuter les œuvres des autres mais pour concevoir les miennes. La diversité de mon parcours m’aide énormément. Toutes les expériences que j’ai vécues, je m’en sers pour écrire…. D’avoir été comédienne me permet, par exemple, de travailler mes dialogues comme s’ils devaient être dits sur une scène… Mes études de lettres, que j’ai poussées jusqu'à un doctorat arrêté à un an de la fin en 98, année où j’ai commencé à travailler sur Arkeod, m’ont permis, quant à elles, de comprendre les mécanismes

de la création littéraire. ����Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta participation à Ar-keod ? Tout ceci appartient au passé. ����Le théâtre appar-tient-il désormais au passé ou est-il tou-jours d’actualité ? A présent je me consa-cre à l’écriture et sur le plan de la scène, je suis revenue à mes premières amours : la danse ! J’ai monté une petite compagnie il y a 3 ans et nous commençons à nous produire un peu à l’extérieur. Mais c’est vrai que le jeu me manque. Et puis j’aime beaucoup l’esprit de troupe. ����Théâtre, danse, BD… Vous êtes par-tie pour explorer tous

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les arts ! Euh…. C’est peut-être un peu exagéré ! Disons que je trouve la vie trop courte pour ne pas tenter tout ce qui m’intéresse ! ����Petite digression : un petit mot sur le mouvement des intermittents? En tant qu’auteur de BD, je n’ai pas le statut d’intermittent et en tant que comédienne ou danseuse, je n’ai pas tenté de l’obtenir par phobie de la paperasse… mais je me joins aux inquiétudes de mes amis intermittents. Un Etat qui ne soutient pas sa culture, à mon avis, est un Etat qui va mal… et je crois que ce n’est que le signe d’un malaise plus profond qui risque de toucher de plus en plus de classe de notre société. ����Que t’apporte l’écriture ? Je ne peux pas me passer d’écrire. Même en vacances j’emmène des carnets avec moi… L’écriture m’est indispensable. Je ne peux pas vraiment me l’expliquer. Mais quand je reste longtemps sans écrire, je ne me sens pas bien. En même temps, l’écriture est parfois un moment douloureux. C’est une attitude un brin masochiste mais je crois que je la partage avec beaucoup de gens qui ont une activité créatrice ! ����J'ai été emballé par Janus qui sort quelque peu des sentiers battus de la bande dessinée. Son atmosphère à part, le style des dessins étrangement léger, oscillant entre réalisme et hu-mour et qui colle si parfaitement à l'intrigue, son atmosphère subtilement ésotérique... Com-ment est né ce projet et pourquoi avoir choisi de le situer à l'aube du vingtième siècle ? Eh bien je suis très très flattée ! Vraiment ! C’est un projet auquel Régis et moi croyons beaucoup et nous sommes heureux de voir qu’il trouve son public ! Ce projet est né de notre rencontre. La première fois que j’ai parlé à Régis, c’était au téléphone. Il avait lu un de mes projets de SF et , s’il avait trouvé le tout cohérent et prometteur, mais il voulait passer à autre chose. Il avait un rêve : faire un comics à la française situé à la fin du XIX° ou au début du XX° siècle. Ça a tout de suite fait « tilt » dans ma tête parce que si je ne suis plus une grande lectrice de comics depuis longtemps, je connaissais les pulps de Feuillade et j’adore les romans de cette époque : Maurice Leblanc, Gaston Leroux et Marcel Proust pour ne citer qu’eux ! En plus, j’adore Muchat et le style Art Nouveau et j’aurai adoré connaître Paris à cette époque. En ce qui concerne l’ésotérisme disons que c’est une passion assez naturelle pour une petite fille élevée dans une maison du XV° siècle qui, jeune comédienne au chômage, arrondissait ses fins de mois difficiles en tirant les tarots et en lisant les lignes de la main ! ����Une chiromancienne ! Fichtre! Tu peux nous raconter ? Ce serait un peu long… c’est ma grand-mère qui m’a appris. Elle m’a appris aussi les tarots de Marseille. Au début je l’ai fait pour épater les copains et puis au bout d’un moment, c’est devenu plus que ça... Jusqu’au jour où ça a commencé à me bouffer la vie et où plein de gens venaient me voir unique-ment pour ça. A partir de là, j’ai commencé à faire payer et ça m’a permis de manger pendant que je faisais les cours Florent ! ����Comment s'est faite la rencontre avec Van Winsen, le talentueux dessinateur de Janus ? Par l’entremise d’Yves Chelet. Je cherchais un dessinateur pour un autre projet et j’avais rencontré Yves quelques mois auparavant. Yves m’a plutôt bien cernée, je pense, et a pensé que la petite al-chimie spéciale indispensable pour qu’un travail vraiment prometteur se fasse pourrait se produire entre Régis et moi.

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C’est donc à Yves que nous devons le flair de nous avoir rassemblé ! Et je dois dire que je l’en re-mercie parce que les choses marchent vraiment bien entre nous et que c’est sans doute une des rai-sons pour lesquelles le projet semble aussi cohérent. ����Comment organisez-vous votre travail Régis Van Winsen et toi? Eh bien je lui envoie un synopsis détaillé, il commence les recherches puis je lui envoie des décou-pages très détaillés (il me faut 5 ou 6 pages pour décrire une planche) et Régis interprète mes in-formations en les mettant à sa sauce ! Ça se fait très naturellement car nous avons un bon feeling au niveau travail tous les 2 et nous n’a-vons jamais eu aucun grand désaccord en 2 ans ! ����Combien de temps a pris la rédaction de l’ensemble du premier tome ? Fut-ce un travail solitaire? Comment te plonges-tu dans l’ambiance ? La rédaction du premier jet du synopsis ne m’a pas pris longtemps mais tout le reste et surtout le découpage que vous voyez est un travail extrêmement long et lent. Surtout pour moi qui aime peaufiner les détails et suis assez maniaque pour passer 1 heure ou plus sur une seule phrase que je modifierai si ça se trouve 6 mois plus tard !

Sinon c’est un travail extrêmement solitaire puisque je suis incapa-ble de travailler avec du monde autour de moi. Au bout d’un peu moins de pas long-temps, je pars en live et je suis bavarde comme une pie ! :-D ����Comment avez-vous perçu l'accueil fait à Janus lors de sa sortie sur les étals? Je commence juste à réaliser que c’est à nous cette petite chose timide posée à côté des grosses piles de Bilal ! Pour l’instant, nous n’a-vons eu que des échos positifs. C’est à la fois extrême-ment réjouissant et aussi angoissant. Nous n’avions au-cune pression pour le tome 1 et nous

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nous sommes amusés en nous disant que quoiqu’il advienne, nous aurions fait de notre mieux. Pour le 2, nous devrons confirmer les promesses du 1 et ne pas décevoir les attentes des lecteurs…. D’où beaucoup beaucoup plus de travail ! Mais je suis heureuse de m’y remettre car j’aime vraiment cette histoire et ses personna-ges. Je me suis attachée à eux et depuis décembre que je ne les ai plus fait parler, à part pour quelques corrections de dernière minute, ils me manquent ! ����Parmi les personnages auquel tu as donné vie, y en a-t-il un que tu affectionnes particuliè-rement ? Eva me ressemble par certains côtés. C’est une survivante. Elle est solide, indépendante, elle refuse de se couler dans le jeu social qu’elle devrait normalement adopter. Thomas est un type bien, intègre, spontané. Il me ressemble aussi dans sa manière de se jeter à corps perdu et tête baissé dans la vie. Il a beau être brillant, il est incapable de calculs et a su rester toute sa vie enthousiaste. Antinoüs est à l’opposé de moi mais ce genre de tempérament m’attire pour son côté mystérieux et inquiétant. Je le voulais beau parce que pour moi, le mal absolu n’existe pas. Ce qu’il y a de pire dans le mal, c’est qu’il est parfois séduisant. Et Antinoüs est la séduction incarnée. Quant à Léopold, c’est un peu un croisement entre Woody Allen et Brad Pitt. Comment ne pas l’aimer ?! ! ! :-D ����En gros, tu les aimes tous :-) Bin oui ! J’aurai du mal à les faire vivre si je ne les aimais pas ! ����Tu sembles avoir beaucoup travaillé la psychologie de tes personnages… Com-ment t’y es tu pris ? Jusqu’où as-tu poussé ton travail autour des personnages, de leur caractère, de leur passé, de leur motivations ? J’ai fait une bio et un arbre généalogique de chacun d’eux que les lecteurs ne verront pas avant la fin de l’aventure car je préfère distiller le passé de mes personnages au compte-gouttes ! Je sais à peu près tout de leur vie, leurs goûts, leurs envies, leurs buts dans la vie… Je me sers beaucoup de mes connaissances en psychologie pour faire en sorte qu’ils aient une per-sonnalité cohérente. Et je sais que ça a beaucoup aidé Régis à les « voir ». ����Comment as-tu construit l’intrigue de Janus ? De quoi es-tu parti ? Euh…. Bonne question…. Je crois me rappeler que la première idée qui m’est venue c’est celle du héros double. Mais comme Super Schizo ça me paraissait moyen comme idée, j’ai finalement trouvée celle-là. En fait les choses me sont venues très facilement. J’avais des idées plein la tête. Le seul problème étant de tout noter assez vite pour ne rien perdre ! Pendant un temps, je n’avais même plus besoin de mettre la radio dans la voiture parce que je pensais toujours à mon petit monde qui se mettait en place. Un peu comme des pièces de puzzle qui se réarrangeraient presque toutes seules.

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Les faire parler n’a pas été difficile non plus. Je les sentais tous bien vivants quand je m’y suis mise. Je me souviens que j’étais super émue et anxieuse le jour où Régis m’a amené les pre-miers croquis des personnages…. Ça doit être un peu comme la première échogra-phie ! :-D ����L’élaboration de l’intrigue a-t-elle nécessité de longues recherches documentai-res ? T’es-tu inspiré de mythes ou de légendes pour élaborer cet être bicéphale ? J’ai fait pas mal de recherches sur l’époque, le début du XX° siècle. J’ai dépensé une for-tune en livres sur les costumes et la mode et le design, je suis allée dans toutes les ex-pos où l’on parlait de l’Art Nouveau… en ce qui concerne la mythologie, je suis partie des blancs dans ce que l’on sait du culte de Janus qui est assez mystérieux. J’ai vu jusqu’où je pouvais aller pour que ça reste « plausible » tout en étant du fantastique. ����Le principe du personnage hanté par un esprit fait penser à Nephilim, un jeu de rôle à forte connotation ésotérique. Pratiques-tu ou as tu pratiqué cette activité souvent controver-sée ? (je parle du JdR, pas de l’ésotérisme)

Euh non…. Je ne suis pas du tout por-tée sur les JDR. J’ai fait quelques jeux type Atlantis sur PC mais ça me lasse très vite. Je suis très mauvaise cliente pour ce genre de choses ! ����Tu devrais es-sayer le JdR, le vrai, sur table, c’est tout autre chose, un jeu à mi chemin en-tre le conte et le théâtre … On me l’a proposé ainsi qu’une adapta-tion de Janus en JDR… je ne dis pas non. Je suis ouverte à toute proposi-tion ! :0) ����Peux-tu nous en dire un peu plus sur Janus, ce dieu méconnu à qui l’on attribue je crois deux ou trois visa-ges selon les tex-tes…

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Eh bien pour en savoir plus, il faut venir sur le site ! Où tout sera expliqué…. Vous avez remarqué comme je suis forte en pub ? ;0) ����Effectivement… A ce propos, félicitations pour le site, le design est fort sympatique ! Merci ! Et ça me touche d’autant plus que c’est l’homme de ma vie qui a conçu et réalisé l’interface graphique et programmé le tout. Je suis très fière de ce qu’il fait. ����Parmi les sources qui t’on aidé à concevoir l’intri-gue de Janus, aurais-tu un bouquin à proposer à ceux qui aimeraient en apprendre un peu plus sur le Paris de l’époque ? A vrai dire, les ressources que j’utilisais étaient sur-tout des livres d’histoire de l’art, des plans du Paris de l’époque, des livres d’histoire, des guides et des recueils achetés en Grèce dont la plupart sont en anglais et je me suis beaucoup replongée dans Proust entre autres… Mais sur le mythe du Janus, je conseille Le diction-naire des Mythologies d’Yves Bonnefoy chez Flammarion et sur le français à l’époque de Thomas de Lancret, je conseille La langue du XVI° siècle (collection 128)… ����Certains auteurs affirment qu’ils se laissent parfois surprendre par les êtres ima-ginaires qu’ils ont eux même crées… Es-tu parfois surprise par Eva, Antinoüs Tho-mas ou Léopold ? Euh non…. J’ai un peu du mal avec ce genre de mythe. Si je ne les écris pas, ils ne vi-vent pas tous seuls ! Et je n’écris jamais en transe ou lors d’un dédoublement de person-nalité. Donc la réponse est non. :-D Par contre, je me surprends moi même à trouver ou oser des choses dont je ne me croyais pas capable. Et c’est surtout quand je relis l’album imprimé que j’ai du mal à croire que j’y suis pour quelque chose. En général, je ne suis jamais satisfaite du résultat final ! ����J’ai vu que vous aviez un site web en préparation. Qu’allez-vous proposer aux in-ternautes ? Dans un premier temps, nous allons mettre en ligne une version html du site qui se présentera comme le site d’un journal écrit pour la plupart des articles, dans le ton de l’époque. On y trouvera des rubriques classiques mais détournées pour éviter les spoilers et aussi pas mal d’infos sur le contexte que nous ajouterons au fur et à mesure. Il y aura même une rubrique gastronomique ! Je pense qu’à terme, il devrait même y avoir petites annonces, météo et j’en passe…. En fait, je voulais un site qui doit ludique et qui apporterait autre chose que des infos de base. En plus, j’ai le webdesigner à la maison ! :-D ����Es-tu une internaute invétérée ? Quand je ne donne pas de cours, je passe à peu près 10h par jour à bosser devant l’écran…le net me permet de voir du monde, de discuter avec les collègues, de m’aérer un peu ! le premier geste

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de la matinée, c’est allumer l’ordi et regarder mes mails…. Donc on peut dire que je suis accro ! :-D ����Si tu devais partir pour un séjour onirique sur la Lune, patrie du rêve et de l’ima-ginaire, quel bouquin (BD ou autre) emporterais-tu avec toi ? Je déteste ce genre de question…. Je ne sais jamais quoi répondre ! pour contourner l’obstacle, di-sons que j’emmènerais toute ma bibliothèque sur Cd rom tout léger et qui prend pas de place ! :-D ����Désolé, je le referais plus, snif… :-( ça va pour cette fois… mais bon, faut pas que ça se reproduise ! ;0)) ���� Pour finir et comme le veut la toute récente tradition du site, et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois :

����Si vous étiez une créature mythologique : Une sirène pour pouvoir pousser la chanson-nette en nageant. ����Si vous étiez un personnage historique : Sarah Bernhardt : une femme de talent, forte, qui sût se forger un destin. ����Si vous étiez un personnage de théâtre : La Béatrice du Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare : une fausse mégère, libre, intelligente et pleine d’humour mais qui fond pour l’homme qui sait l’apprivoiser ! ����Si vous étiez un personnage biblique : Judith : une belle espionne qui séduisit Holo-pherne pour le décapiter dans son sommeil et sauver les siens. A côté d’elle, les James Bond girls, c’est vraiment de la gnognotte ! ����Si vous étiez un personnage de roman : Anna Karénine ����Si vous étiez un personnage de BD: Gaston Lagaffe ����Si vous étiez une oeuvre humaine: La grande bibliothèque d’Alexandrie

����SUR LE WEB ����Le site officiel de la série :http://janus-labd.com/frp/index.htm ����Janus:Exposition Virtuelle : http://bulledair.com/index.php?rubrique=expo&expo=janus

La Compagnie des Ombres Janus tome 1 �Scénario:Cady �Dessin:Van Winsen �Editeur:Nucléa Juin 2003

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Le Coin du CritiqueLe Coin du Critique

����Fabien M, une aventure romanesque Une série en 5 tomes, Jean-Marc et Eric Stalner , Dargaud

1902, Paris découvre le XX e siècle. Fabien de son côté, apprend à survivre en compagnie de son frère. Une débrouille quotidienne faite de larcins et de petits méfaits sans éclat. mais voilà, une organisation crimi-nelle - l'Échiquier - s'en mêle et s'intéresse de près à Fabien et ses proches. Quelle place peut donc jouer celui-ci dans ce mystérieux et dangereux " échiquier " où chaque pion est manipulé Les frère Stalner ont associé leurs plumes et leurs pin-ceaux pour donner naissance à cette série haute en couleur, à cheval sur un XIXième siècle agonisant et l’aube d’un XX siècle. De paris à Cayenne en passant par Venise, cette série vous entraînera dans les aventures romanesques de deus frères, orphelins, désireux de régler leurs comp-tes avec leur obscur passé… Le dessin est efficace, précis et soigné est classique. Mais le point fort de la série réside dans l’épaisseur des personnages, leurs caractères, leurs buts et motiva-tions, souvent ambiguës, et surtout, leur évolution au fil de la série. Ils changent, évoluent, s’affirment, bref, ils vieillissent et les aléas de la vie vont les changer, en profondeur. L’intrigue est classique, tout en étant bougrement efficace. L’ombre de l’échi-quier commence à s’étendre dès le premier tome. Cette société secrète sert de fil d’ariane qui guidera Fabien dans les méandres de ses aventures et dans la recher-che de son trouble passé. On abandonne peu à peu les rapines des deux orphelins pour glisser vers des intrigues plus politiques, où chacun avance masqué… Cette série, classique mais efficace, plaira sans nul doute aux amateurs d’Aven-ture et le romanesque…

Le Bouffon, http://chrysopee.net

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����Assassins et Gentelemen Green Manor t1, Bodart / Vehlmann, Dupuis 2001

La collection "Humour Libre" de Dupuis lance une nouvelle série, un peu différente des précédentes. Green Manor, avec Bodart au dessin, Vehlmann au scénario et Scarlett aux couleurs, mélange le crime, la perversité et l'humour pour le bonheur des lec-teurs.Green Manor, c'est un club de la haute société londonienne, à la fin du XIXème siècle - ambiance Sherlock Holmes et Jack l'éventreur. Les membres de ce club sont fascinés par cette activité particu-lière à l'espèce humaine : le crime. Et ils ne s'y in-téressent pas toujours de façon innocente… En tous cas, c'est ainsi dans le tome un, Assassins et gentlemen. Six petites histoires de meurtre : "Délicieux fris-sons" vous apprendra s'il existe un meurtre sans victime ni meurtrier; "Post-Scriptum" renouvelle ingénieusement le coup du meurtre-annoncé-à-l'avance-que-personne-ne-peut-empêcher ; "Modus Operandi" transforme un inspecteur en serial killer par conscience professionnelle ; "21 Hallebardes" propose le crime parfait ; dans "Sutter 1801", la clef de l'énigme est dans un tableau ; "La Balade du Docteur Thompson" vous lance dans une course-poursuite pour remonter l'emploi du temps d'un cadavre…

�Qu'en penser ? L'album est une série de récits enchâssés dans un cadre, présenté au début et à la fin : un psychiatre vient examiner Thomas Below, ancien domestique du Green Manor Club, interné, qui se prend pour l'ensemble du club, établissement et membres com-pris. Il raconte les six histoires au psychiatre. Mais, à la fin, une fois laissé seul dans sa camisole de force, il laisse échapper des propos inquiétants… Y aura-t-il une continuité entre les albums de la série grâce à ce personnage de Thomas ? L'avenir nous le dira. Pour l'instant, dans ce tome 1, il nous reste surtout à admirer comment les deux auteurs se tirent d'une gageure périlleuse. D'une part, le polar est difficile à maîtriser au point de vue narratif : le lecteur a facilement l'impression d'être floué par des artifices et des pirouettes de scénaristes, et encore, quand le scénario tient debout. Or chacune des histoires me semble ici un bijou de précision et d'efficacité : l'habileté à se jouer des poncifs en matière de litté-rature policière est assez surprenante, la narration courte va droit au but, cisèle indices et mécanismes pour nous amener au dénouement lapidaire, éton-

nant, parfois grotesque, parfois effrayant, toujours réjouissant… D'autre part, la période choisie est un vrai piège. Après Arthur Conan Doyle, et la montagne de suc-cesseurs souvent médiocres ou maladroits qui, fas-cinés, ont essayé de le suivre dans ces ambiances londoniennes et ses descriptions d'enquêtes, tant en littérature qu'en bande dessinée, il fallait oser se mettre de nouveau délibérément sous l'égide de ce maître-là. Or non seulement, je l'ai dit, la narration n'a rien à envier à qui que ce soit, mais encore le graphisme mordant et sans concession, les couleurs efficaces et expressives, les dialogues fluides et intelligents créent une ambiance qui emporte le lecteur sans résistance dans les lieux et l'époque choisis… Un mot encore, sur l'humour que propose cette sé-rie. On s'attendrait à un humour plus systématique dans cette collection "Humour Libre", plus absurde ou cynique, comme dans les très réussies Histoires à Lunettes de Midam et Clarke ou les excellents La vie est courte de Larcenet et Thiriet. Or certaines histoires sont grinçantes sans chercher à faire rire ("Sutter 1801", par exemple, à moins que je n'aie pas compris…), d'autres par contre utilisent bien ce même genre d'humour, comme "La Balade du Doc-teur Thompson", ou mieux encore "21 Hallebar-des" (c'est ma préférée je crois). L'album surpren-dra donc les lecteurs assidus de cette collection, mais c'est la moindre de ses qualités ! Marie Castanet , http://www.bullebizarre.com/

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����Les Voleurs d’Empires Les Voleurs d'Empires, une série en 7 tomes Jean DUFAUX / JAMAR Martin Glénat , Collection

Graftica LA série de Dufaux que je préfère... En compagnie de Martin Jamar, dessinateur autodidacte de talent, Dufaux nous fait vivre une aventure poignante où l'amour se mêle à la sorcellerie, sur fond de guerre Franco- Prussienne de 70, du siège de Paris et de la Commune. La superbe histoire romanesque de Dufaux se trouve étroitement liée à l'Histoire... Celle- ci est décrite avec une rare précision, journée par journée, lieu par lieu, camps par camps, et des personnages histori-ques, tels que Napoléon III ou Victor Hugo, se retrouvent mélés à l'histoire des personnages crées par les auteurs, ainsi qu'à d'autres forces surnaturelles, mais nous en dirons pas plus sur ce sujet... Les personnages sont très bien construits sur le plan artistique et collent tout fait à la psychologie donnée par Dufaux : cette "symbiose" entre la partie scénarisitique et la partie dessin, offre aux lecteurs des personnages profonds, attachants et uniques, au-tant dans leur individualité que dans leurs rapports avec les autres protagonistes. Le style de Jamar est un dessin très précis, très fouillé. Les décors et les scènes de descriptions historiques ne sont que surenchère de détails qui rendent l'aventure des "Voleurs d'Empire" vraiment très crédible, et renforce son rapport à la réalité Histori-que. Enfin, le découpage, de facture assez classique mais très efficace, rend la lecture de cette série très facile et contribue au coté romanesque de l'aventure. Une excellente série, à la limite du Chef d'Oeuvre, qui ravira le lecteur par son su-perbe dessin et son scénario passionant.

Steinz, http://chrysopee.net

����La Fille du Pro-fesseur Sfar / Guibert, Dupuis

1997, collection Hu-

mour Libre

Je n'aime que vous", dit la jeune demoiselle Liliane Bowell en fixant ses grands yeux sur la momie du pha-raon Imhotep IV. L'essence de ce très

bel album nous est révélée dans cette simple phrase. C'est à une histoire d'amour que nous convient les auteurs, Sfar au scénario, Guibert au pinceau...une histoire romantique et poétique, pimentée d'un hu-mour que l'étrangeté d'une relation hors du commun appelle de page en page. Nous sommes à Londres, à la fin du XIXème siècle. La ville apparaît en filigrane, brumeuse, évanes-cente, propice au mystère et aux rêveries. L'on se sent presque sur la scène d'un théâtre, avec ses por-tes qui s'ouvrent et ses acteurs qui traversent à grands pas le décor. La psychologie des personnages est habilement cer-née, l'histoire, tout simplement belle, malgré une ou deux longueurs. Les auteurs font preuve d'une grande sensibilité, notamment dans les planches

mettant en scène les enfants d'Imhotep IV. La technique de Guibert est un pur ravissement pour les amateurs d'encre de couleur et d'aquarelle. Le caractère très graphique des silhouettes d'Imhotep IV et de Liliane Bowell, vêtues de noir, ajoute au dynamisme du dessin et l'auteur ne recule jamais devant la difficulté, saisissant une expression d'un coup de pinceau très sûr tout en n'employant qu'une palette réduite. Les planches apparaissent ainsi comme autant de camaïeux de tons ocre, beige, gris et vert bouteille puis, les couleurs s'épanouissent dans les dernières planches, suggérant le dénouement et la vie retrou-vée. L'ensemble se lit avec beaucoup de plaisir. Le pari du scénario et de la technique picturale était risqué, Sfar et Guibert ont su le relever avec élégance. C'est donc très vivement que je vous conseille cet album singulier où s'esquisse un sentiment bien difficile à décrire, en BD ou ailleurs: l'Amour.

Laureline

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����L’Ombre de l’Echafaud Masbou/Cerqueira Delcourt juillet 2001

����L'affaire Brignou est une bande dessinée aty-pique.

Tout commence... par le commencement, c'est-à-dire par la découverte de la couverture. On y voit les deux héros, sur un toit de Paris en proie aux flammes, figés dans une posture et un cadre très 19ème siècle. Ce charme désuet est entretenu bien sûr tout au long de l'aventure, mais aussi à l'inté-rieur même de la couverture. On y voit ainsi une photographie d'époque avec nos deux héros en chair et en os. La quatrième de couverture est aus-si assez originale. En lieu et place d'un banal résu-mé de l'histoire, on y trouve la page d'un journal parisien vantant les mérites du remède miraculeux du Dr Charkof, des petites annonces d'époque, un avis de décès concernant la crise fatale d'apoplexie d'un certain... Dr Charkof, etc... Bref, tout est vrai-ment fait pour nous plonger de plein pied dans l'histoire.

�"ETRANGE ENLEVEMENT D'UN SCIENTI-FIQUE FRANCAIS !

C'est dans la nuit du 18 avril que le Spectre, ô combien célèbre bandit notoire, devait de nouveau passer à l'attque en enlevant, dans sa résidence, le fameux chimiste Anatole Brignou. Heureusement, deux cambrioleurs venus là dans le but d'y accom-plir un forfait, allaient sauver la laborantine et mettre en fuit le plus grand bandit du siècle. Lire en page 3..."

Voici ce que le commissaire Picon découvrit un beau matin dans son journal. A peine son article achevé, Picon sera convoqué d'urgence dans le bureau du directeur principal de police. Sur place, il sera présenté au capitaine Renoir, envoyé par le ministère. Ils seront tous deux chargés d'élucider cette affaire d'enlèvement le plus discrètement possible. Autant le commissaire Picon est un homme fait tout en rondeurs et d'apparence pla-cide, autant le capitaine Renoir est sec et nerveux. Nous avons donc là un duo de policiers assez com-plémentaires. Les premiers pas de leur enquête le mènera logiquement sur les lieux de l'enlèvement: la demeure du professeur Brignou. Ils seront ac-ceuillis par Eglantine, laborantine assistante du professeur et -le hasard fait bien les choses- nièce du commissaire Picon. Eglantine leur fera visiter le laboratoire où une étrange marque rouge en forme de clé a été laissée à même les murs. La carte de visite du Spectre…

Parallèlement à cette enquête, les deux jeunes malfrats, Antoine et Fernand, appelé Louis d'Or, rescapés de leur entrevue avec le supposé Spectre, sont déjà sur un autre coup. Malheureusement pour eux, ce coup fumant les mènera directement dans les griffes d'un personnage qui ne leur veux pas que du bien…

L'Affaire Brignou est à première vue une enquête policière ambiance

'Brigades du Ti-gre' assez ano-dine. C'est du mo i n s a i n s i qu'e l le com-mence. Reste ce-pendant cet enlè-vement bien par-ticulier. Comment le mystérieux kidnappeur au-rait-il pu enlever le professeur après avoir été mis en fuite par les deux mal-frats ? Il y a bien quelque chose de surnaturel ici. Et c'est dans cette ambiance virant doucement au Lovecraft que Masbou développe un scénario très prometteur et bourré d'humour. Le duo de Picon et Renoir est par ailleurs un des nombreux ressorts comiques de l'histoire. Les témoins ren-contrés au cours de leur enquête sont eux aussi assez atypique. Ils rencontre-ront notament une vieille concierge aca-riâtre qui, sous l'insistance de Renoir, ameutera tout son immeuble, obligeant les deux policiers à quitter les lieux au plus vite. Voici une enquête discrète qui débute mal...

Le dessin sert bien le récit. En ce sens, il n'a rien d'exceptionnel, mais, contrai-rement au style de Francq sur Largo Winch, le style de Cerqueira possède un vrai style. Il est très vivant et dépeint à merveille l'ambiance de ce Paris début de siècle (dernier) . Les couleurs sont vives et les éclairages chauds. Ils souli-gnent de façon convaincante l'atmos-phère angoissante des appartements du Spectre, la pesanteur et la crasse des égouts parisiens ou encore l'ambiance bon enfant du commissariat de Picon. Bref, c'est aussi une réussite au plan graphique. A noter que l'utilisation de l'ordinateur pour l'encrage et la colori-sation n'était, il me semble, pas vrai-ment nécessaire.

Au final, L'Affaire Brignou est le premier tome d'une aventure que nous espérons longue. Malheureusement, paru en 2001, la suite commence à se faire at-tendre. Il serait vraiment dommage d'en rester là.

Nerhu, http://perso.wanadoo.fr/bakerstreet/

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����Les Fées Noires Les Fées Noires, Pé-

caud / Damien,

Delcourt, Collection

Machination

« Je suis la dernière d’une très ancienne race, une race qui ins-pira vos poètes et ter-rifia vos guerriers! Toutes vos religions

parlent de nous : les anges déchus, les Tibouks, les Nephilims, les Géants, le clan de Dana… Vos légendes parlent d’une grande bataille qui vous vit triom-pher et d’un pacte au terme duquel nous nous sommes réfugiés aux cœur des ter-tres et des souterrains. Mais aujourd-’hui, avec moi, ce pacte prend fin ». Ainsi s’exprime un antique démon invoqué par les ul-tras royalistes pour combat-tre les partisants est en passe de rompre un ancien pacte rendu caduc par la mort de Capet sur l’échafaud. Pour avoir étreint la fou-gueuse contesse Elisabeth Radovski au soir de la ba-taille de Saafeld, le colonel Henry D’Herbon va se trou-ver mêlé bien malgré lui à cette sinistre et sulfureuse affaire. Il fera la connaissance d’un certain Alexandre Dumas, écrivain dramatique, qui le tirera des griffes des habits noirs, une association téné-breuse à la solde des bour-bons qui ont pris l’habitude de trouver des coupables à la justice pour couvrir leurs méfaits.

La Duchesse du Berry, fille du roi de Bour-bon de Sicile et père du futur Roi de France semble prête à tout pour prendre possession d’un scarabé égyptien dans lequel l’empe-reur aurait puisé un antique savoir…

Quelle est cette créature auprès de qui une pièce tirée par un moine au siège de Sar-gosse se met à chauffer? Pourquoi de nom-breuses personnes semblent s’intéresser au sang du colonel D’Herbion, à commencer par Evariste Galois, alors étudiant à l’Ecole des Mines? Ce premier tome pose les bases d’un solide scénario signé Jean-Pierre Pécau. Le trait de Damien plonge le lecteur dans le Paris du XIXième siècle et ses couleurs renforcent à merveille le côté occulte et mystérieux de l’intrigue.

Le Bouffon,

http://chrysopee.net

© Delcourt 1999

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����Ring Circus

Chauvel / Pedrosa, Delcourt, Collection

Conquistador

����Histoire

Jerold a son caractère, gros défaut lorsque vous êtes employé par Monsieur Kentrick, vendeur de vêtements aux goûts contestables. Les commentaires éclairés de Jerold sur le nouvel arrivage de redingotes signa son renvoi immédiat. Se promenant en ville, sans un sou en poche, Jerold tomba nez à museau avec le dromadaire échappé du Ring Circus, troupe de cirque fraîchement arrivée en ville. Après avoir largement contribué à la capture du bestiau, Jerold verra ses efforts récompen-sés par deux invitations gratuites à la représentation du soir même.

Anthonin, étudiant en médecine, peine à contenir son dégoût devant le cadavre qu'on ouvre sous ses yeux. Sur les conseils de son professeur, il poursuivra donc son cours au grand air. Là, il retrouvera son ami Jerold, bien motivé pour passer au cirque prendre ses deux invitations. Sur place, les deux compères surprirent Braboeuf, clown employé par le cirque, et Mr Loyal en pleine dispute... Mr Loyal, passablement échauffé, re-portera alors sa hargne sur Jerold , qui ne se laissera pas pour autant marcher sur le pieds.

Une fois l'orage passé, à l'ombre du chapiteau, Jerold tombera sous le charme de Mademoiselle Blanche, la ravissante écuyère.

La représentation achevée, les esprits ne se calmèrent pas pour autant. L'esclandre entamée quelques heures plus tôt par Braboeuf et Mr Loyal devait se poursuivre au pistolet cette fois. Jerold, tombé sous le charme de Blanche l'écuyère, sera fermement éconduit. Entre temps Lunaire, un étrange personnage tout de blanc vêtu, fera son apparition. Il se présentera à Mr Menes-clou, directeur, comme le mécène providentiel qui sau-vera son cirque. Lunaire, également émissaire, lui pro-posera de venir en Ruskovie jouer devant la cour du Tsar. En pleine conversation à propos de l'avenir du Ring Circus, le direc-teur sera appelé d'ur-gence sur les lieux du duel, sous le chapi-teau. La situation re-venue à la normale, chacun retournera dans ses pénates pro-fiter d'une nuit déjà fort avancée. Jerold, lui, ne dormira pas. Un projet avait germé: il partira en Ruskovie avec le cirque !

Anthonin avait pour l'heure une perspec-tive moins heureuse en face de lui. Son

père, grand aristocrate et cravache à la main, avait la ferme intention de montrer à son fils la voie à suivre pour devenir un médecin de renom. Anthonin tiendra alors tête à son père pour la première et dernière fois. Il finira sur le trottoir manu militari. Ainsi libérés, Jerold et Anthonin intégreront le Ring Circus, comme com-mis et vétérinaire. La grande aventure peut alors com-mencer !

Ring Circus n'a pas fini de vous étonner ! Approchez ! Approchez petits et grands ! Venez découvrir la magie du grand Ring Circus !!

����Critique

Ce premier tome de Ring Circus nous présente la vie de deux jeunes gens, Anthonin et Jerold, au début du siècle dernier qui décideront de changer leur vie en re-joignant le Ring Circus sur les routes. L’épisode s'achèvera avec la mort tragique et mystérieuse de Bra-boeuf. Tous les regards se tourneront alors vers Mr Loyal... La conclusion de cette intrigue est à lire dans le deuxième tome: Les innocents.

Graphiquement, les pantres n'est pas l'album le plus réussi de la série. L'encrage est parfois terne, les cou-leurs pas assez nuancées et souvent criardes. Voulue ou non, cette ambiance particulière contribue par contre à planter l'ambiance de Ring Circus de façon admirable. Les planches décrivant la vie quotidienne du cirque sont bourrées de détails comiques. Le cadrage de ces scènes est pensé de telle façon que certains de ces mê-mes détails ne sautent franchement pas aux yeux à la première lecture. C'est toujours agréable de trouver quelque chose d'inédit à la relecture d'une bande dessi-née; et c'est ici le cas.

Le trait de Pedrosa est quasi géométrique. Très tran-chées, les silhouettes et les décors semblent en fait composés par bandes ajustées les unes aux autres, don-nant au final une impression de mosaïque. C'est un style assez original qui colle parfaitement à cette am-biance de fanfare début 19ème.

Les personnages sont dépeints de telle sorte qu'ils donnent une véritable im-pression de vie au sein de la troupe du cirque. Les animaux ne sont pas non plus laissés en reste et occasionnent souvent, en arrière plan, des tableaux assez cocasses.

A l'aube de ce périple qui le mènera jusqu'en Ruskovie, on peut dire sans se tromper que le Ring Circus s'engage sur les rails de la grande aventure !

Nerhu,

http://perso.wanadoo.fr/bakerstreet/

Histoire

Steampunk

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����LÉONORA VON STOCK Le Leg de l’Alchimiste tome 2

Tanquerelle / Hubert, Glénat 2003

Joachim Overbeck a hérité, de son maître alchi-miste, une bague qui contient un esprit familier (tome 1). Pendant que le jeune apprenti attend le bourreau dans une sombre geôle, l'esprit de la bague lui ra-conte comment il a connu Léonora von Stock, "modèle de toute une génération de penseurs"... À dix-sept ans, la fille du ministre des finances s'évertuait à déjouer la surveillance de son père pour cavalcader dans les bas-fonds de la ville. La belle indépendante se retrouve un jour en posses-sion de la fameuse bague... et, comme elle est mé-dium sans le savoir, l'esprit (le narrateur) lui appa-raît. Elle a mis le pied dans un nid de vipères, dont la plus sifflante semble être sa Tante Inge, appelée par les soins paternels sous le prétexte de la trans-former en véritable jeune fille à marier... Guidée par l'esprit, Léonora essaye de déjouer une conspiration dont elle ne connaît ni les tenants, ni les aboutissants. Elle n'est pas au bout de ses sur-prises ni de ses désillusions...

�Qu'en penser ? Travestie en jeune homme et toujours en compa-gnie d'Oskar, étudiant en médecine et homosexuel notoire, bravant son père et ses sbires aux allures de Dupondt, Léonora est au centre de l'album. Non seulement parce qu'elle en est le personnage éponyme, mais aussi parce que le dessin de Tan-querelle l'a dotée d'un physique terriblement gra-phique. Le moindre déplacement de cette adoles-cente androgyne lui désarticule les jambes, le moindre étonnement lui écarquille les yeux en des lacs. Tout est démesure et liberté. Elle rayonne dans les vignettes : le dessinateur a transcrit "son incroyable charisme" imposé par le scénario à la planche 2. Tous les personnages sont subjugués, jusqu'à la Tante Inge, son miroir défor-mant, son double-sorcière. Au milieu de tous ces personnages qui l'admirent, Léonora n'a d'ailleurs pas tellement le choix que d'être une "originale". C'est le seul moyen pour n'être pas le pantin de son père... Dans ce second album, le scénario de Hubert continue sur le principe du récit enchâssé, mais on en est au second niveau d'insertion, et on a changé d'énonciation. En effet, alors que dans le premier tome, Joachim, devenu vieux et croupissant en pri-son, raconte l'histoire, ici le jeune Joachim (d'ailleurs aussi en prison), directement après les événements avec le Golem, écoute l'esprit de la bague lui raconter ses mémoires. Pour résumer, Joachim devenu vieux raconte que lorsqu'il était

jeune et en pri-son, l'esprit lui a raconté l'his-toire de Léono-ra. Cela pourrait paraître compli-qué, mais cela donne de nom-breux avanta-ges. Tout d'abord, la série entière p o u r r a i t (pourrait, car c'est un peu tôt pour l'affirmer, vu qu'on n'en est quand même qu'au deuxième tome...) être sim-plement liée par le récit du vieux Joachim, qui n'apparaît pas du tout dans ce dernier album. Cela permettrait à la fois une cohésion d'ensemble, et une tonalité de mémoires pour la série ; une assu-rance aussi que Joachim ne va pas mourir tout de suite... Ensuite, puisqu'il y a (pour l'instant) deux narra-teurs, il y a donc deux héros possibles pour les his-toires, selon celui qui raconte ; le premier tome les met en scène ensemble parce que c'est l'aventure de leur rencontre. Enfin, et cela permet surtout une liberté incroyable pour l'univers de la série. On dispose de trois ni-veaux possibles pour faire évoluer les tomes sui-vants : le présent de la première énonciation, quand le vieux Joachim parle au lecteur (c'est-à-dire qu'il peut arriver des aventures au vieux Joa-chim) ; un cran dans le passé, et c'est le présent de la seconde énonciation (c'est-à-dire ce qui arrive au jeune Joachim, c'est le cas dans le tome 1) ; en-core un cran de plus en arrière, et ce sont les sou-venirs de l'esprit (c'est le cas ici dans le tome 2). Du coup, tout est possible dans les époques, puis-que l'esprit ne doit pas être tout jeune, malgré ses allures. Et le fait que dans les deux albums Joachim soit en prison au moment où l'histoire est racontée nous autorise à nous demander s'il va en sortir et y reve-nir plus vieux, ou si son destin est déjà scellé entre quatre murs, et que, pour passer le temps, il va nous raconter des histoires... À moins que nous ne suivions l'esprit, renfermé dans la bague qu'un homme sans aucun pouvoir de médium arrache (de façon extrêmement inélé-gante) à Joachim dans la dernière planche, pendant un certain temps... Bref, les conjectures sont au-tant inépuisables qu'inutiles, puisque nous ne sau-rons rien avant les prochains tomes. Et espérons que toutes ces pistes, et d'autres encore, seront ex-ploitées, ça nous fera plus d'albums !

Marie Castanet , http://www.bullebizarre.com/

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Le FantastiqueLe Fantastique

Guy de Maupassant, Le Gaulois, 7 octobre 1883

L entement, depuis vingt ans, le surnaturel est sorti de nos âmes. Il s'est évaporé comme s'évapore un par-fum quand la bouteille est débouchée. En portant l'orifice aux narines et en aspirant longtemps, long-

temps, on retrouve à peine une vague senteur. C'est fini. Nos petits-enfants s'étonneront des croyances naïves de leurs pè-res à des choses si ridicules et si invraisemblables. Ils ne sauront jamais ce qu'était autrefois, la nuit, la peur du mysté-rieux, la peur du surnaturel. C'est à peine si quelques centai-nes d'hommes s'acharnent encore à croire aux visites des esprits, aux influences de certains êtres ou de certaines cho-ses, au somnambulisme lucide, à tout le charlatanisme des spirites. C'est fini. Notre pauvre esprit inquiet, impuissant, borné, effaré par tout effet dont il ne saisissait pas la cause, épouvanté par le spectacle incessant et incompréhensible du monde a tremblé pendant des siècles sous des croyances étranges et enfantines qui lui servaient à expliquer l'inconnu. Aujourd'hui, il devine qu'il s'est trompé, et il cherche à com-prendre, sans savoir encore. Le premier pas, le grand pas est fait. Nous avons rejeté le mystérieux qui n'est plus pour nous que l'inexploré. Dans vingt ans, la peur de l'irréel n'existera plus même dans le peuple des champs. Il semble que la Création ait pris un au-tre aspect, une autre figure, une autre signification qu'autrefois. De là va certainement ré-sulter la fin de la littérature fantastique. Elle a eu, cette littérature, des périodes et des allu-res bien diverses, depuis le roman de chevalerie, les Mille et une Nuits, les poèmes héroï-ques, jusqu'aux contes de fées et aux troublantes histoires d'Hoffmann et d'Edgar Poe. Quand l'homme croyait sans hésitation, les écrivains fantastiques ne prenaient point de précautions pour dérouler leurs surprenantes histoires. Ils entraient, du premier coup, dans l'impossible et y demeuraient, variant à l'infini les combinaisons invraisemblables, les appa-ritions, toutes les ruses effrayantes pour enfanter l'épouvante. Mais, quand le doute eut pé-nétré enfin dans les esprits, l'art est devenu plus subtil. L'écrivain a cherché les nuances, a rôdé autour du surnaturel plutôt que d'y pénétrer. Il a trouvé des effets terribles en demeu-rant sur la limite du possible, en jetant les âmes dans l'hésitation, dans l'effarement. Le lec-teur indécis ne savait plus, perdait pied comme en une eau dont le fond manque à tout ins-tant, se raccrochait brusquement au réel pour s'enfoncer encore tout aussitôt, et se débat-tre de nouveau dans une confusion pénible et enfiévrante comme un cauchemar. L'extraor-dinaire puissance terrifiante d'Hoffmann et d'Edgar Poe vient de cette habileté savante, de cette façon particulière de coudoyer le fantastique et de troubler, avec des faits naturels où reste pourtant quelque chose d'inexpliqué et de presque impossible. Le grand écrivain russe, qui vient de mourir, Ivan Tourgueneff, était à ses heures, un conteur fantastique de

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premier ordre. On trouve, de place en place, en ses livres, quelques-uns de ces récits mystérieux et saisissants qui font passer des frissons dans les veines. Dans son œuvre pourtant, le surnaturel de-meure toujours si vague, si enveloppé qu'on ose à peine dire qu'il ait voulu l'y mettre. Il raconte plutôt ce qu'il a éprouvé, comme il l'a éprouvé, en laissant deviner le trouble de son âme, son angoisse de-vant ce qu'elle ne comprenait pas, et cette poignante sensation de la peur inexplicable qui passe, comme un souffle inconnu parti d'un autre monde. Dans son livre : Étranges Histoires, il décrit d'une façon si singulière, sans mots à effet, sans expres-sions à surprise, une visite faite par lui, dans une petite ville, à une sorte de somnambule idiot, qu'on halète en le lisant. Il raconte dans la nouvelle intitulée Toc Toc Toc, la mort d'un imbécile, orgueilleux et illuminé, avec une si prodigieuse puissance troublante qu'on se sent malade, nerveux et apeuré en tournant les pages. Dans un de ses chefs-d'œuvre : Trois Rencontres, cette subtile et insaisissable émotion de l'inconnu inexpliqué, mais possible, arrive au plus haut point de la beauté et de la gran-deur littéraire. Le sujet n'est rien. Un homme trois fois, sous des cieux différents, en des régions éloi-gnées l'une de l'autre, en des circonstances très diverses, a entendu, par hasard, une voix de femme qui chantait. Cette voix l'a envahi comme un ensorcellement. A qui est-elle, il ne le sait pas. Rien de plus. Mais tout le mystérieux adorable du rêve, tout l'au-delà de la vie, tout l'art mystique enchanteur qui emporte l'esprit dans le ciel de ~ la poésie, passent dans ces pages profondes et claires, si sim-ples, si complexes. Quel que fût cependant son pouvoir d'écrivain, c'est en racontant, de sa voix un peu épaisse et hésitante, qu'il donnait à l'âme la plus forte émotion. Il était assis, enfoncé dans un fau-teuil, la tête pesant sur les épaules, les mains mortes sur les bras du siège, et les genoux pliés à an-gle droit. Ses cheveux, d'un blanc éclatant, lui tombaient de la tête sur le cou, se mêlant à la barbe blanche qui lui tombait sur la poitrine. Ses énormes sourcils blancs faisaient un bourrelet sur ses yeux naïfs, grands ouverts et charmants. Son nez, très fort, donnait à la figure un caractère un peu gros, que n'atténuait qu'à peine la finesse du sourire et de la bouche. Il vous regardait fixement et parlait avec lenteur, en cherchant un peu le mot ; mais il le trouvait toujours juste, ou plutôt, unique. Tout ce qu'il disait faisait image d'une façon saisissante, prenait l'esprit comme un oiseau de proie prend avec ses serres. Et il mettait dans ses récits un grand horizon, ce que les peintres appellent « de l'air », une largeur de pensée infinie en même temps qu'une précision minutieuse. Un jour, chez Gustave Flau-bert, à la nuit tombante, il nous raconta ainsi l'histoire d'un garçon qui ne connaissait pas son père, et qui le rencontra, et qui le perdit et le retrouva sans être sûr que ce fût lui, en des circonstances possi-bles mais surprenantes, inquiétantes, hallucinantes, et qui le découvrit enfin, noyé sur une grève dé-serte et sans limite, - avec un tel pouvoir de terreur inexplicable, que chacun de nous rêva ce récit bi-zarre. Des faits très simples prenaient parfois, en son esprit et en passant par ses lèvres, un caractère mystérieux. Il nous dit, un soir, après dîner, sa rencontre avec une jeune fille, dans un hôtel, et l'es-pèce de fascination que cette enfant exerça sur lui dès la première seconde ; il tâcha même de nous faire comprendre les causes de cette séduction, et il nous parla de la façon qu'elle avait d'ouvrir les yeux sans les fixer d'abord, et de ramener ensuite d'un mouvement très lent le regard sur les person-nes. Il racontait le soulèvement de ses paupières, celui de la prunelle, le pli des sourcils, avec une si étrange netteté de souvenir qu'il nous fascina presque par l'évocation de cet œil inconnu. Et ce simple détail devenait plus inquiétant dans sa bouche que s'il eût dit quelque histoire terrible. Le charme ex-quis de sa parole devenait étrangement pénétrant dans les histoires d'amours. Il a écrit, je crois, celle qu'il nous a dite d'une façon si attendrissante. Il chassait, en Russie, et il reçut l'hospitalité dans un moulin. Comme le pays lui plaisait, il se résolut à y rester quelque temps. Il s'aperçut bientôt que la meunière le regardait, et, après quelques jours d'une galanterie rustique et délicate, il devint son amant. C'était une belle fille blonde, propre, fine, mariée à un rustre. Elle avait dans le cœur cette ins-tinctive distinction des femmes qui comprennent par intuition toutes les choses subtiles du sentiment, sans avoir jamais rien appris. Il nous conta leurs rendez-vous dans le grenier à paille, que secouait d'un tremblement continu la grosse roue toujours tournant, leurs baisers dans la cuisine pendant que, penchée devant le feu, elle faisait le dîner des hommes, et le premier coup d'œil qu'elle avait pour lui quand il rentrait de la chasse, après un jour de courses dans les hautes herbes. Mais il dut aller pas-ser une semaine à Moscou, et il demanda à son amie ce qu'il fallait lui rapporter de la ville. Elle ne voulut rien. Il lui offrit une robe, des bijoux, des parures, une fourrure, ce grand luxe des Russes. Elle refusa. Il se désolait, ne sachant quoi lui proposer. Il lui fit enfin comprendre qu'elle lui causerait un gros chagrin en refusant. Alors elle dit : - Eh bien ! vous m'apporterez un savon. - Comment, un sa-von ! Quel savon ? - Un savon fin, un savon aux fleurs, comme ceux des dames de la ville. Il était fort surpris, ne comprenant guère la raison de ce goût étrange. Il demanda - Mais pourquoi veux-tu juste-ment un savon ? - C'est pour me laver les mains et qu'elles sentent bon, et que vous me les baisiez comme vous faites aux dames. Il disait cela d'une telle façon, ce grand homme tendre et bon, qu'on avait envie de pleurer.

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Les Jeux de SociétéLes Jeux de Société

Marc Laumonier

A h! Le XIXième siècle, commencé par Napoléon 1er et suivi par l'effondre-ment de l'empire ; la venue des romantiques, de l'impressionnisme ; la révo-lution industrielle anglaise et la naissance d'un capitalisme européen ; l'indé-pendance de la Grèce et de l' Amérique latine ; la guerre de l'opium en

Chine et son refus de s'ouvrir au monde occidental ; le Japon de l'ère Meiji et son ou-verture à l'Occident, les derniers Samouraïs ; l'Afrique noire colonisée ; la Russie de Nicolas 1er , les deux Internationales ; l'Inde anglaise ; l'unité italienne ; la guerre fra-tricide de Sécession, la conquête de l'Ouest américain et sa colonisation, le dévelop-pement des steamers et du chemin de fer (1869 : les deux rives de l'Amérique du Nord sont reliées), la dernière grande guerre indienne vers 1885 conduite par le chef Apache Geronimo, enfin le capitalisme à l'américaine ; les premières grandes explo-rations… Les créateurs de jeux ont-ils cherché à s'inspirer de ce siècle riche en évènements ? C'est au XIX siècle qu'eût lieu la révolution des systèmes de transport, bateaux à va-peur et chemins de fer connurent un essor sans précédent permettant aux industries de prospérer. Aux Etats-Unis les "steamers" se dévelop-pent et, immortalisés par Mark Twain, permettent d'ac-célérer le développement du pays.

����MISSISSIPI QUEEN ET SON EXTENSION THE BLACK ROSE. JEU DE L'ANNÉE EN ALLEMAGNE (SPIEL DES JAHRES 1997). Ce jeu un peu méconnu et trop critiqué ne mérite pas tant d'opprobre. Simple dans sa mise en place et dans la connaissance de ses règles, il séduira beaucoup de joueurs et en particulier tout un public familial, et ceux qui aiment les jeux faciles à expliquer. Le jeu se déroule sur les bords du Mississipi et consiste en une course de steamers, tout en essayant d'arriver le premier il faut aussi s'arrêter en cours pour faire monter deux fois une pas-sagère. Tout est dans la gestion de la vitesse et de l'orientation de son bateau, on ne dispose que de 6 points de charbon qu'il faut gérer parfaitement. Augmenter sa vitesse de 1 ou orienter son bateau de 60° ne coûte rien, mais au-delà il faudra payer 1 char-

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bon. Des règles intéressantes de "poussette" permettent un peu d'interaction entre les joueurs et au-torisent aussi quelques coups de traître. Il n'est pas rare aussi qu'un concurrent en retard tente le tout pour le tout et loupe son coup, en arrivant trop vite sur les berges du fleuve ou sur les embar-cadères. Enfin la méconnaissance du fleuve liée à la révélation au hasard des tuiles du Mississipi ajoute un petit élément compliquant le jeu (orientation de son bateau). Une extension parue en 1998, "the black rose", ajoute bancs de sable, bois flottant, stocks de charbon le long du fleuve, donne des règles pour 2 et 6 joueurs et précise l'utilisation du "black rose", bateau à roues mystérieux joué par le joueur situé en dernière position et destiné bien sûr à gêner les adversaires.

����DIE WEINHANDLER .1999 Il n'y a pas que les steamers américains ; apparurent

aussi en France les premiers vapeurs. Sur la Loire, de Roanne à Nantes, beaucoup de marchandises transitaient. Parmi celles-ci le vin, quand ce vin restait trop longtemps sur le quai il tournait en vinaigre, et Orléans devint ainsi la capi-tale du vinaigre. Ces bateaux succédèrent aux gabares et au-tres chalands, ils possédaient des aubes latérales, pouvaient transporter plus de 250 passagers et 200 tonnes de marchan-dises. C'est en 1822 que le premier bateau vit le jour à Nan-tes ; on les appela les inexplosibles pour rassurer la popula-tion, les deux premiers bateaux ayant justement explosé. Dominique Ehrhard a utilisé ce brin d'histoire pour faire un jeu familial fort agréable. Il s'agit de descendre ou de remonter la Loire en cherchant à prendre le plus possible de passagers et de tonneaux de vin. En utilisant un peu le même mécanisme que dans Condottière ; après avoir posé les cartes passagers et vins devant les villes adéquates, chacun essaye de déplacer son bateau en posant des cartes face visible devant soi ; un seul bateau à la fois peut être au même quai et des ba-garres de mariniers sont nécessaires . D'autres cartes pimentent le tout ; un jeu dont le graphisme est très réussi, seule la couverture non réalisée par l'auteur est un peu loupée, évoquant la rigueur des châteaux allemands et non la douceur de ceux de la Loire.

����AGE OF STEAM 2003. Parlons du transport ferroviaire maintenant ; de nombreux créa-teurs de jeux ont utilisé ce fantastique développement des trains comme inspiration. De "Santa Fé rails" à la rocket de Stephenson, de Union pacific à Volldampf, Dampfross, jeu de l'année allemand en 1984, les jeux de train ne manquent pas. Les plus célèbres sont les sé-ries type 1829, 1830, 1835 etc… Celui de 1829 se déroule en Angle-terre et essaye de retranscrire au plus proche de la réalité le développe-ment des compagnies, la simulation est réussie avec une phase de tran-saction boursière et une autre de construction de rails très fidèle , le jeu peut durer plus de 10 heures et est réservé à un public averti. Le "1830" se passe en Amérique et ne dure que 4 heures, c'est le plus connu. Mais je voudrais surtout parler de Martin Wallace qui après un volldampf réussi nous a offert un des 3-4 meilleurs jeux de l'année : "Age of steam". A la lecture des règles le jeu peut sembler confus et long ; il n'en est rien, une fois tout relu une seconde fois, le jeu reste finalement assez simple. Il s'agit d'une succession de phases : argent à emprunter, ordre du tour, action particulière, construction des voies ferrées, déplacement des marchandises etc… l'intérêt du jeu est la perpétuelle interactivité entre les joueurs, il faut sans cesse contrecarrer ce que veut faire son adversaire tout en cherchant à mener ses affaires au mieux ; la prise de tête est raisonnable

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bien que la moindre erreur puisse coûter cher, ce jeu est subtil et les parties peuvent être assez courtes si tout le monde maîtrise les règles ; un des meilleurs jeux du moment.

����TRANSAMERICA 2002. Pour ceux qui ne s'intéressent pas aux spéculations boursières ou au transport des marchandises et qui souhaiteraient un jeu plus simple et rapide, ce jeu est fait pour eux. Avec son objectif secret (une de mes as-tuces ludiques préférées) chacun cherchera le premier à rejoindre ses 5 villes pour relier l'est et l'ouest américain. Ce jeu simple, voire sim-pliste est pourtant un petit bijou de bluff ; jeu rapide par excellence. Chaque joueur pose à son tour un ou deux rails toute l'astuce étant d'uti-liser les tronçons de rails posés par l'adversaire, également de faire croire qu'on a pris beaucoup de retard alors que la victoire est pour le tour suivant… j'aurais bien personnellement rajouté un pouvoir particu-lier à chaque joueur utilisable une fois par partie du type : sabotage, attaque d'indiens, achat de voie…etc, mais c'est sans doute mon lourd passé de joueur de cosmic encounter qui ressort car le jeu est déjà très plaisant ainsi ! attention par sa simplicité et ses évidences il peut décevoir cepen-dant un certain type de joueurs.

����SAN FRANCISCO 2000. Construire une ville ? bon ce n'est plus vraiment le XIXième siècle puisque le jeu est censé se dérouler en 1906, date du tremblement de terre dévastateur de SAN FRANCISCO. Les joueurs vont reconstruire la ville qui se présente sous l'aspect d'une grille de 35 cases sur lesquelles des quartiers sont po-sés, pour délimiter ses quartiers on déposera des baguettes. Celui qui a la majorité des baguettes autour d'un quartier peut le reconstruire. Chaque joueur a des cartes influence et des chèques. Le jeu se déroule d'abord avec une suite d'en-chères. Ce jeu est un mélange de mécanismes d'enchères ayant tous fait leur preuve, à la lecture des règles, cela peut sembler confus mais au cours du jeu cela reste fluide. Dès qu'un quartier a été reconstruit on tire une carte action, à la douzième carte action le jeu se termine. San Francisco, malgré des défauts certains (les auteurs ont peut-être trop mélangé les bonnes idées et problème de lisibilité de certaines cartes et du jeu) reste cependant un excellent jeu d'enchères.

����BATTLE CRY 2001. Les guerres au XIXième siècle ont donné lieu à la

création d'un grand nombre de wargames, n'étant que très peu wargamer, je ne peux pas trop vous en parler, par contre un jeu qu'il faut découvrir sur la guerre de sécession est bat-tle cry. C'est un excellent jeu d'initiation aux "batailles" et peut être pour ceux qui aimeraient une bonne approche pour des war-games plus typiques. Les règles sont claires, les combats très simplifiés - on y perd en réalisme, on y gagne en jouabilité - , On y joue à deux et 15 scénarii sont proposés, ceux-ci évoquent les premières années de cette guerre fratricide. La mise en place du jeu est assez simple. Les tours de jeu commencent en jouant une carte d'ordre qui permet d'activer une unité (artillerie, infanterie ou cavalerie) qui peut se dé-placer ou attaquer. En cas de combat, tout se résoud par des jets de dés, ceux-ci rendent les com-bats particulièrement meurtriers, la mécanique peut paraître un peu simpliste, mais elle s'intègre très bien pour ce type de jeu. S'il y a victoire, on récupère le drapeau du vaincu. Dès la prise du

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Clarté des règles Matériel Type de jeux Plaisir général

Mississippi Queen 7 8 parcours 7

Die Weinhändler 8 8 parcours 7

Age of steam 7 7 trains 9

Transamerica 8 8 connexion 8

San Francisco 6 8 enchères 7

Battle cry 7 9 Initiation wargame 8

Sans foi ni loi 7 8 cartes 8

Adel Verpflichtet 9 9 bluff 10

sixième drapeau ennemi, c'est la victoire. Continuons dans le Far West, nom donné aux Etats-Unis, pendant le XIXième siècle aux territoires situés au-delà du Mississippi. Beaucoup de jeux à citer : ABILENE, COLORADO COUNTY, PO-NY EXPRESS, MORT OU VIF, BANG!, GNADENLOS etc…mais intéressons-nous à SANS FOI NI LOI la création de Bruno Cathala.

����SANS FOI NI LOI 2003 Chaque joueur se trouve à la tête d'un ranch qu'il doit gérer au

mieux : acheter des terrains et des troupeaux qu'il essaiera d'engraisser au mieux, il faudra bien sûr acheter des cow-boys et aussi des fines gâ-chettes, tout le petit monde du far west est là réuni : des girls, au maire, au croque-mort et ainsi de suite. Il s'agit d'un jeu de cartes très simple qui séduira beaucoup de joueurs, les règles sont faciles à assimiler et per-mettent des petits coups en traître fort agréables quand c'est vous qui les maîtrisez, sinon… Certaines cartes sont vraiment trop fortes (je pense en particulier aux tueurs à gages les plus forts) et peuvent ruiner complète-ment un joueur malchanceux aux dés, de petits changements de règles peuvent rééquilibrer ces cartes trop chanceuses. L'ensemble est prenant et malgré un durée de jeu parfois un peu longue, on a souvent envie de rejouer dès la partie terminée.

����ADEL VERPFLICHTET 1990. Un dernier vient à l'idée : ADEL VERPFLICHTET, petit bijou de

Teuber. Il s'agit du premier jeu allemand à recevoir un accueil très favora-ble des américains qui l'ont traduit très rapidement, le jeu reçut la même année (1990) le Spiel des Jahres et le prix allemand. Mettez vous dans la peau d'un lord anglais désireux de présenter la plus belle collection d'anti-quités à la fin du jeu, mettez y des voleurs, des détectives, un peu d'argent et beaucoup de bluff, mélangez le tout et voilà un des meilleurs jeux jamais inventés. Le lord a le choix entre deux lieux, SOIT le château où il peut faire une exposition et avancer son pion, soit voler un objet d'une autre col-lection, soit lancer un détective pour capturer les voleurs et ainsi progresser SOIT la salle des ventes pour acheter un objet avec un chèque ou envoyer un voleur de chèque. Ce jeu est imprévisible et plein de saveur, il faut sans cesse prévoir ce que va faire un tel ou un tel et bluffer (voire double bluf-fer, plus encore si possible), un système astucieux fait qu'un joueur en retard peut réaliser des re-montées spectaculaires et les fins de parties sont souvent très prenantes. Ce jeu est une perle, sans hésiter le meilleur jeu de bluff jamais publié. J'espère que ces courtes critiques vous auront donné envie de "jouer" avec le XIXième siècle…

Ludiquement Marc Laumonier.

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UUtopies n°2topies n°2 Le prochain numéro d’Utopies sera consacré au MoyenLe prochain numéro d’Utopies sera consacré au Moyen--Age…Age… Et puisque cet Ezine ne serait rien sans les nombreux Et puisque cet Ezine ne serait rien sans les nombreux contributeurs, nous lançons un appel à tous les passiocontributeurs, nous lançons un appel à tous les passion-n-nés de BD ou de cinéma, d’histoire ou de romans, de jeux nés de BD ou de cinéma, d’histoire ou de romans, de jeux de société ou de Jeux de Rôle… Articles thématiques, critde société ou de Jeux de Rôle… Articles thématiques, criti-i-ques, nouvelles ou illustrations, tout est susceptible de ques, nouvelles ou illustrations, tout est susceptible de nous intéresser…nous intéresser… Alors si vous souhaitez participer à l’aventure, rejAlors si vous souhaitez participer à l’aventure, rejoignezoignez--nous!nous! Contact : [email protected] : [email protected]

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SommaireSommaire HHistoire La Belle Epoque 2 La Commune 7 Histoire du Cinéma 10 DDossier SSteampunk Le Steampunk 14 Jules Verne 17 Château Falkenstein 20 L’Ere de la Vapeur en BD 22 Entretien avec Fred Duval 24 FFigures Les Maîtres de l’Etrange 30 Jack l’Eventreur 33 Jack the Ripper Le jeu de société… 51 Dracula De Bram Stoker 57 Dracula, le jeu de société 59 Sherlock Holmes 61 Entretien avec Pierre Veys 71 Baker Street, le jeu de société 76 Docteur Jekyll & de Mister Hyde 77 Dr. Jekyll & Mr. Hyde Le jeu de société 78 Le Portrait de Dorian Gray 79 ZZoom Fog dans les brumes de Londres 84 Entretien avec Roger Seiter 86 Entretien avec Virginie Cady 90 Critiques 98 Le Fantastique 109 Les Jeux de société 111 BBD Frankenstein 3D 80 BD : le Galurin 105 NNouvelles Valdes (Nouvelle) 52