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URBANUITÉ ce que la ville du futur devra à la nuit CONVERSATION #1 15 janvier 2015

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URBANUITÉce que la ville du futur devra à la nuit

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Nous avons pensé le terme Urbanuité pour décrire au mieux un espace temps essentiel à la vie urbaine, celui de la ville la nuit. Espace-temps de respiration - qui nous permet de reprendre notre souffle après une journée chargée – mais aussi de transgression - où l’on s’autoriserait ce qui est impensable le jour - ou de création – à travers un mystère et une poésie propres à la nuit, source d’inspiration de nombreux artistes. C’est aussi un espace-temps de réparation des dommages subis le jour et de préparation des activités du jour suivant. Cette préparation est d’ailleurs visible à l’échelle de la ville : c’est à la nuit tombée que les espaces publics sont nettoyés, les déchets évacués, les magasins approvisionnés.

De nuit, la ville devient un territoire et une temporalité dont les réalités évoluent au fil des saisons, des époques, des cultures, des usages et des règles de vie communes. L’activité économique d’une ville modèle son territoire et aboutit à des typologies très diverses : ville américaine, ville africaine, asiatique ou européenne. C’est en ville que se concentrent les activités de transformation, distribution et consommation des matières premières provenant des milieux ruraux et c’est en ville que se trouvent la plupart des services, tels que les hôpitaux, les écoles et les transports en commun. Ce territoire urbain s’étend et se densifie : alors que plus de la moitié des hommes vivent déjà en ville, ils devraient être plus de 80% à l’horizon 2050. La congestion des villes et leur pollution excessive ne sont que les limites les plus visibles de cette urbanisation exacerbée.

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Les liens entre questions urbaines et économiques sont légion. Suivant cette intuition première, nous sommes directement allés à la rencontre d’entreprises d’horizon divers : opérateurs urbains, distributeurs, logisticiens, entreprises de grande consommation ou encore prestataires de services intellectuels. De nombreux grands groupes ont leur propre organe de réflexion sur la “smart city” ou la prospective urbaine. Néanmoins, les sujets d’étude sont trop souvent ceux de la ville de jour, en occultant l’activité nocturne qui fait pourtant débat. C’est pourquoi nous nous saisissons du sujet afin de contribuer à la réflexion par une vision complémentaire aux travaux déjà réalisés.

Quartier Libre initie un cycle de conversations qui vise à ouvrir de nouvelles pistes de réflexions et d’actions, aux frontières d’enjeux économiques, esthétiques, politiques, sociaux et culturels. Nous donnerons la parole à des entrepreneurs, philosophes, économistes, artistes, urbanistes, designers, blogueurs, publicitaires, géographes, historiens et architectes.

Nous avons choisi comme cadre de ces conversations le Club Silencio, club culturel d’un nouveau genre qui incarne, à sa manière, la ville la nuit. C’est ici que le journal l’Aurore publia le célèbre “J’accuse” d’Émile Zola à propos de l’affaire Dreyfus, avant que Jean Jaurès n’y installe le siège de l’Humanité. L’activité nocturne des rotatives a aujourd’hui été remplacée par les communautés créatives qui s’y retrouvent dès la tombée de la nuit.

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A quoi ressembleront les villes dans le futur et quelle place y tiendra la nuit ? Y verrons-nous émerger de nouvelles activités économiques jusqu’ici cantonnées au jour ? Quels produits et services y seront consommés ? Assisterons-nous à une évolution de la géographie économique et sociale des grandes villes la nuit ? Quels seront ces nouveaux besoins & usages nocturnes qui offriront des opportunités de développement aux entreprises ? Allons-nous nécessairement vers un modèle de la ville qui ne s’arrête jamais “H24”? La ville dite “intelligente” nous laissera-t-elle (enfin) dormir, rêver ?

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La ville la nuit, nouveau territoire d’innovation pour les entreprises ?

Dans une époque où l’on demande aux acteurs économiques d‘être innovants, singuliers et inspirés, cette démarche de réflexion est née de l’intuition que cet espace-temps encore très (ou trop) peu exploité par les entreprises pouvait représenter un réel territoire d’innovation. Si la question de la ville la nuit intéresse les entreprises, la disproportion entre l’ampleur du sujet et la rareté de sa mise en action ne permet pas encore de fournir de lignes de conduite fiables pour un dirigeant.

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La nuit est protéiforme, à la fois un objet naturel, délimité par l’obscurité, un objet social, défini par des habitudes de vie organisant les temps de travail, de loisir et de repos et un objet règlementaire, encadré par le Droit.De la même façon, les temporalités de la nuit sont aussi multiples : le temps de la soirée qui s’étend de 22h à minuit, temps de nuit encore actif auquel succède le coeur de la nuit, de minuit à 4h30, à ces heures la ville dort profondément, puis vient le lent réveil des activités urbaines de 4h30 à 8h, dernier temps de la nuit.

Les entreprises mettent en évidence les contraintes qui freinent l’extension des activités économiques nocturnes.

Les activités économiques nocturnes sont généralement vécues par les entreprises comme un champ de contraintes. Contraintes règlementaires d’abord, la nuit étant davantage contrôlée que le jour : la sécurité y est renforcée, les commerces et débits de boisson réglementés et le travail limité. Contraintes économiques ensuite, de nombreuses conventions sectorielles imposant des compensations salariales du travail de nuit, dont le coût peut être doublé par rapport au coût du travail diurne.Par ailleurs, les rythmes de vie de la majorité des citadins orchestrent des temps sociaux communs à l’ensemble de la société, qui peut voir dans leur désynchronisation une menace et y résister. Enfin, des contraintes sanitaires car la quasi-totalité des études scientifiques menées sur le travail de nuit le présentent comme un facteur aggravant de nombreuses pathologies, parfois sévères.

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Malgré ces contraintes, les acteurs économiques ont une conscience aigüe de la dimension positive de la ville la nuit, vectrice d’opportunités.

Celle-ci peut tout d’abord représenter de nouveaux marchés, pour lesquels il serait possible d’inventer, à partir de la compréhension des modes de vie et de consommation de l’urbanuité, de multiples produits et services dédiés à la vie en ville la nuit.Par ailleurs, pour une entreprise, la valorisation de ses propres espaces vacants la nuit permet d’imaginer de nombreux usages innovants. Ils peuvent notamment servir à développer des activités économiques émergentes, dédiées à la nuit. Ils peuvent aussi être mis à disposition de publics extérieurs tels que les habitants du quartier ou des organisateurs d’évènements, les bâtiments professionnels prenant alors une autre dimension, au service de l’ancrage territorial du groupe ou de sa politique RSE.

Au-delà de ces approches, la ville la nuit n’est-elle pas le laboratoire idéal pour tester de nouvelles expériences? Les entreprises pourraient questionner leurs pratiques managériales diurnes à l’aune de l’organisation du travail de nuit souvent porteur d’une plus grande solidarité, d’un plus fort engagement et d’une chaîne hiérarchique plus courte pour ne pas dire inexistante.Par ailleurs, face aux nombreuses limites du travail humain de nuit, l’émergence des objets connectés et le développement de la robotique n’annonce-t-elle pas la naissance d’une réelle smart city de nuit qui saurait allier développement économique et humanisation de la vie urbaine?

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Renaud Auguste-Dormeuil “I was there, Power Blackout, January 30, 2009, Paris, 48°53’02.94’’N_02°14’55.25’’E”-, 2009

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La nécessité de décongestionner la ville

L’augmentation du trafic en ville fait des transports un enjeu majeur pour les métropoles qui cherchent à réduire l’utilisation de la voiture.Grâce à des adaptations organisationnelles, techniques et règlementaires, le flux de marchandises pourrait être reporté la nuit, quand le trafic est réduit. La désynchronisation des temps de travail permettrait, de la même façon, d’étaler le temps d’utilisation des transports publics et, par là-même, de réduire le pic de congestion observé à la fin d’une journée de travail traditionnelle.

La digitalisation des activités humaines a un impact sur les temporalités de travail et de consommation

Une partie du cycle économique traditionnel s’est digitalisé et n’a plus d’ancrage territorial réel. Il est aujourd’hui possible de travailler, de consommer, et peut-être demain de produire – avec l’impression 3D par exemple - n’importe où et n’importe quand. Cette décorrélation des temporalités et des géographies traditionnelles des modes de vie urbains remet en cause la dualité entre jour et nuit, travail et repos, telle que nous connaissons et oblige donc les entreprises à repenser les temps et les lieux de travail non pas seulement le jour mais aussi la nuit.

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CONVERSATION#1

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Dominique Perrault est une figure de l’architecture française qui s’est imposée au niveau

international après avoir remporté le concours de la Bibliothèque Nationale de France en 1989, à l’âge de 36 ans. Ce projet marque le point de départ

de nombreuses commandes architecturales et urbaines, parmi lesquelles le vélodrome et la piscine olympique de Berlin (1992), l’extension de la Cour

de justice des Communautés Européennes au Luxembourg (1996), le campus de l’université d’Ewha à Séoul (2004), la tour Fukoku à Osaka (2007) et plus récemment la DC Tower à Vienne et la restructuration de la Poste du Louvre.

Renaud Auguste-Dormeuil travaille sans relâche à la fabrique de l’image envisagée dans son espace

politique. Visibilité/invisibilité, luminosité/obscurité, mémoire/oubli, ce que l’on sait/ce que l’on croit savoir, évoquer sans montrer, dire sans narrer...

sont autant de balises pour appréhender ses oeuvres qui mettent en forme les codes organisant le flux des images. Il s’intéresse notamment aux systèmes de contrôle social et de sécurité du domaine public, dans une société nomade et

traçable. Il est représenté par la galerie In Situ - Fabienne Leclerc.

Bertrand Julien-Laferrière est diplômé de l’Ecole Centrale de Paris, de l’Université de Berkeley et de

l’Insead. Directeur Général au Taller de Arquitectura - Ricardo Bofill dans les années 1980, il a dirigé ensuite la construction du Groupe Accor et le pôle de Développement et de l’Immobilier du Club Méditerranée. Après avoir assuré la direction de Bail Investissement et d’Unibail Rodamco Développement, il a

dirigé la Société Foncière Lyonnaise jusqu’en 2014.

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MORCEAUX CHOISIS

“En architecture et urbanisme, il faut se con-centrer sur ce qui inquiète. Nous sommes sinon

incapables de découvrir les possibilités in-soupçonnées qui se cachent au-delà du rejet et

de la crispation. Comme tout ce qui est nocturne, on peut pourtant s’approprier ces possibilités de

façon extrêmement intime.”dominique perrault

“La nuit me rappelle mes souvenirs d’enfance, d’émissions de télévision culturelles qui se déroulaient toujours la nuit. La nuit était alors un temps d’arrêt : on parlait de culture à

partir du moment où la nuit démarrait.”renaud auguste-dormeuil

“Nous vivons dans un pays tempéré, et la question jour/nuit ne se pose pas du tout de la même manière que dans des climats plus extrêmes.”bertrand julien-laferrière

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“En architecture, on parle beaucoup des programmes – statiques – en oubliant le dynamisme des populations qui habitent les espaces. En s’intéressant plus à la question des flux et du mouvement que du statique, on peut imaginer de nouvelles typologies de bâtiment.”bertrand julien-laferrière

“Tokyo la nuit, c’est fascinant parce que c’est la ville qui vous appartient – éclairée, aux rues immenses, dans laquelle on peut se perdre en toute sécurité. Contraste en une immense mégalopole et le sentiment que la ville est à vous.”dominique perrault

“Loin des contraintes diurnes, on peut imaginer la nuit comme un eldorado que chacun explore

suivant ce qu’il choisit et désire en faire.”renaud auguste-dormeuil

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“Il ne faut surtout pas éliminer la nuit, qui est avant tout une expérience : voir les étoiles est la seule occasion que l’on

a de regarder le passé.”renaud auguste-dormeuil

“Le signe H24 est très fonctionnel et ne reflète pas l’intensité de vie continue de la ville.

Les bâtiments se transforment : l’éclairage des étages changent, se modulent. L’on n’est pas dans une logique ON/OFF où la ville

s’allumerait et s’éteindrait. La nuit la ville est plus sensible”

dominique perrault

“La façon dont nous vivons la ville aujourd’hui a considérablement réduit l’usage de deux de nos sens - l’odorat et l’ouïe - pour se reposer principalement sur la vue. La nuit, losque l’obscurité se fait et réduit l’usage de la vue, ces sens oubliés se réactivent.” dominique perrault

“La smart city c’est celle dans laquelle les gens sont heureux.”bertrand julien-laferrière

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“À la nuit tombée, la répartition de la lumière au sein des espaces de bureau change radicalement ; la ville la nuit

pose la question du rapport à la lumière naturelle comme artificielle.”

bertrand julien-laferrière

“À l’origine, les hommes ont inventé le langage quand ils ont découvert la nuit. C’est lorsque la découverte du feu leur a permis de veiller au-delà du crépuscule qu’ils ont commencé à passer du

temps ensemble et à ressentir le besoin de communiquer. Pourquoi la nuit ne serait-elle pas

le lieu de nouvelles expérimentations ?”renaud auguste-dormeuil

“Je suis frappé par la façon dont commerces et loisirs convergent depuis une quinzaine d’années. De même que bureaux - plutôt du domaine du jour - et concepts hoteliers - de la nuit - se rapprochent.”bertrand julien-laferrière

“La ville la nuit convoque aussi la notion de beauté : une ville moche le jour est une ville belle la nuit.”dominique perrault

retrouvez l’intégralité de cette conversation sur le blog de Quartier Libre :

blog.choisirquartierlibre.com/urbanuite/conversation1