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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC
MÉMOIRE PRÉSENTÉ À L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RNIÈRES
COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MAÎTRISE EN ÉTUDES QUÉBÉCOISES
PAR VINCENT BERNARD
ENTRE NA TURE ET SOCIÉTÉ. LES REPRÉSENTATIONS ET LES USAGES DES RNIÈRES EN MILIEU URBAIN. LE CAS DE LA GRANDE RÉGION DE
SAINT -HYACINTHE ET DE SA RIVIÈRE, LA Y AMASKA, 1945-1980
Novembre 2016
Université du Québec à Trois-Rivières
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RÉSUMÉ
Cette étude s ' intéresse aux usages de la rivière Yamaska dans la grande région
maskoutaine au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elle est menée
essentiellement par l'analyse d' articles tirés du journal Le Courrier de Saint-Hyacinthe
et de fonds d ' archives municipaux. L' objectif principal est de décrire les interactions
entre les différents acteurs interagissant avec la Yamaska pour comprendre les modalités
de prise en charge de cette rivière. La présente recherche s'inscrit dans le champ de
l'histoire environnementale urbaine et amène un nouvel éclairage sur les rapports entre
société et environnement et, plus précisément, sur l' interrelation qui unit une ville à sa
rivière.
À travers l' étude historique de la Yamaska, trois types d ' usages ressortent et
composent le présent mémoire. Associé aux installations sanitaires des localités urbaines
sises le long de la rivière, le premier usage soulève des conflits « intermunicipaux »
nécessitant l' intervention du gouvernement provincial. Ces interventions ponctuelles
suivent une logique individuelle propre aux besoins de chacune des municipalités de la
région maskoutaine. Au tournant des années 1960, un glissement du pouvoir décisionnel
relatif aux usages sanitaires de la rivière s'opère. Désormais, le gouvernement provincial
cherche à imposer aux municipalités sa vision de ce qu ' est et ce que devrait être la
rivière, notamment avec la création de la Régie des eaux du Québec.
Le second usage est d 'ordre économique. Issue du Projet d 'aménagement des
eaux du bassin versant de la Yamaska déposé en 1972, cette appréhension économique
de la rivière vise à centraliser les pouvoirs reliés à la gestion et à l'aménagement des
eaux. Ce projet a pour effet d'imposer une nouvelle échelle d' appréhension de la rivière
aux autorités municipales: si auparavant il était simplement question d'une rivière qui
traversait la ville, c'est dorénavant le bassin versant dans son ensemble qui doit être
considéré. Toutefois, les municipalités visées par le plan Yamaska retardent sa mise en
place et l'empêche d'être efficient.
L'usage récréatif est le troisième et dernier usage considéré. Il est associé à la
prise de conscience du problème environnemental par la classe moyenne émergente des
années d'après-guerre. Au départ, la lutte à la pollution fluviale s'articule autour de
considérations utilitaires issues des élites de clubs de chasse et pêche. Au tournant des
années 1970, un changement survient dans leur façon d'appréhender la rivière. Les
actions qu'ils entreprennent ne le sont plus uniquement pour le bénéfice de leurs
membres, mais visent plutôt l'ensemble des citoyens. Les clubs cherchent alors à
démocratiser l'accès à la rivière. Ce dernier objectif rejoint divers groupes de pression
citoyens qui se mobilisent pour lutter contre le problème de contamination fluviale.
L'étude de ces usages permet donc de nuancer l'idée d'une soudaine prise de conscience
des problèmes affectant l' environnement durant les années 1970.
« Un mauvais film, on quitte la salle, mais un mauvais siècle? On le subit, on lui tourne le"dos ou on le corrige l
. » Félix Leclerc
1 Félix Leclerc, Le calepin d 'unflâneur, Montréal, Bibliothèque québécoise, (I 961) 1988, p. 20.
REMERCIEMENTS
Tout d'abord, je remercie mon directeur de recherche Stéphane Castonguay pour
l'aide qu'il m'a apportée tout au long de mon cheminement. Nos échanges, ainsi que les
occasions de travail offertes m'ont grandement aidé à développer mes compétences de
chercheur et mes connaissances dans mon domaine d'étude.
Je souhaite souligner l'aide que m'ont apportée Luc Cordeau et Paul Foisy au
Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe. Sans leur soutien, je n'aurais pas pu faire un usage
aussi pertinent des fonds d'archives qui servent d'assises au présent mémoire.
Un merci tout spécial à Annick Paul, de la Ville de Saint-Hyacinthe, pour le
temps qu'el1e m'a accordé et à Guy Gaudreau, de l'Université Laurentienne de Sudbury,
pour avoir facilité mon travail de recherche en me fournissant une version numérisée du
Courrier de Saint-Hyacinthe. Je remercie également Jean-François Hardy et
Tomy Grenier pour leur aide au point de vue technique.
De même, parce que parfois j'ai eu besoin de parler d'autres choses que de mon
mémoire, un merci particulier à mes grands amis Charles et Maxime, à mes parents
Jocelyne et Claude et à ma sœur Catherine. Sans vous, mon parcours universitaire
n'aurait pas été aussi plaisant. Finalement, merci à Pascale d'avoir cru en moi. Ton
support a été plus que bénéfique et m'a permis de voir la fin de ce projet.
TABLE DES MATIÈRES
RÉsuMÉ ..... ..... .. ......................................................................... .... .. ....... .. ........................ i
REMERCIEMENTS ................................ .. ............... .. ............ ....... ..... ...... .. .................. iii
TABLE DES MATIÈRES .. ............... .. ..... .......... .. ...... .. .. ..... .. ..... .. .. ............. ..... ... ..... .... .. iv
LISTE DES TABLEAUX .. ............... .. .............................. .. ............. .. .......................... ... vi
LISTE DES FIGURES ................................................................................................. vii
INTRODUCTION ... ... .. .... .. .. ..... .. .. .. .. .. ... ...... ..... ... .. ......... .. ....... .. .... ...... .. ... .......... ..... ........ 1
Bilan de la production scientifique ...... .. .................................................................... .4
La rivière comme machine organique et ses transformations technologiques .. .... ..... 6 Les représentations de la rivière et de sa pollution .................................................... 8 Mobilisation et dépollution des rivières ................................................................... 11 Reconquête, réhabilitation et restauration des rivière .............................................. 17
Questions de recherche .. ........... .. ............... .. ......... .. .. ...... ..... ...... ... ... ... ... .... ...... ... ....... 20
Les moyens d'enquête ............................ .... .. ............... ... ............ .. .............................. 22
Plan de l'étude ............................................................................................................ 25
CHAPITRE 1- LES USAGES SANITAIRES DE LA RIVIÈRE ........................... 28
1.1 Les défis du réseau d'eau maskoutain liés à la double utilisation de la rivière
et la monté de l'expertise étatique ...................................................................... .... .. 29
1.2 L'appréhension du problème sanitaire de la pollution et la centralisation du
pouvoir de l'État ............................................... .......................................................... 42
Conclusion ......................... .......... ....... .. ............................ .. .... .. ........................ ..... ..... . 58
v
CHAPITRE 2 - LES USAGES ÉCONOMIQUES DE LA RIVIÈRE .......... ............ 60
2.1 La montée de l'expertise et la centralisation du pouvoir gouvernemental: le
plan Yamaska et l'échelle d'un bassin ............ .............. .......... .. .... .. ........................ 63
2.1.1 Le plan Yamaska .............. ... .. ..................... .. .. .. ......... ... ... ....... .. .... .. ................. 68 2.1.2 Une logique d' aménagement urbain du bassin .......... ......... .. .... .......... ..... .. ..... 69 2.1.3 Les objectifs du plan Yamaska face à la réalité maskoutaine ................. .. ...... 71
2.2 Le contrôle du régime de l'eau ...... .. ...................... .... .. .... ... ... ........................ ...... 79
2.2.1 Le mur de soutènement ........................ .... ... ....... .. .... .. ..... ..... .... .... .......... .. ... ... . 80 2.2.2 Paradoxe entre reboisement des berges et intensification de la production agricole (drainage) .. ......... ........................................................................................ 87
2.3 L'amélioration de la qualité de l'eau ... .... ... ... ........ .. ... ... ..... .... .... .... .. ... .. .... .... ..... 90
2.3.1 L'épuration des eaux usées de la région maskoutaine .. ... ... .. ..................... .. ... 91 2.3.2 Les industries et l'agriculture: des sources de pollution négligées .............. 103
Conclusion .......... .. .. .... ... .. ....................................... .. .. .. .. .... .. .. ............. .. ..... ..... ....... ... 113
CHAPITRE 3 - LE MILIEU RIVERAIN COMME ESPACE DE LOISIR ...... ... 116
3.1 La rivière comme lieu de loisir ............ ... ............................. .... ...... ... .. ... .......... .. 119
3.2 De la représentation utilitaire des élites de clubs de chasse et pêche à une
démocratisation de l'accès à la rivière ..................... .. ........ .. ... .... .... .. .. .............. ..... 134
3.3 Entre environnementalisme et mobilisation politique: les groupes de pr~ssion
et leur représentation de la rivière ....... .................................................................. 145
Conclusion ..................................................................... ... .... .. .... ... .. .......................... 155
CONCLUSION .. .......... .. ...... ... .. .. ... .... ... ... ... ..... ... .. .. .. ........... .... .. .. .... ... .... .. .. .. ......... .... ... 157
BIBLIOGRAPHIE ........ .. .............. .. ..... .... .. ....... .. .. ... .. ........ .. .............. ...... .. .. ........ ........ 166
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 : Distinction de la pratique des loisirs, entre milieu urbain et milieu non-
urbain, sur les eaux du bassin de la rivière Yamaska, 1945-1980 .... .. .... .. .. .. ... .. .... .. 125
Tableau 2 : Distinction de la pratique des loisirs, entre résident et non-résident, sur
les eaux du bassin de la rivière Yamaska, 1945-1980 .. .. .. .. .. .... ...................... .. .... .. .. . 126
Tableau 3 : Les lieux de loisir des résidents et des non-résidents pratiquant leur
activité en milieu urbain ou non-urbain sur les eaux de la rivière Yamaska,
1945-1980 ...... .. .. ... ...... .... .... ....... .. ...... .. ........... .. .. .. ....... ...... .. .. .. .. ... ...... ... ...... .. .. .. .... .. .. .... 127
LISTE DES FIGURES
Figure 1 : Les annexions à Saint-Hyacinthe de 1858 à 1998 .... .. .... .. .. ..... .. .. .. ..... .... .... 31
Figure 2 : Urbanisation à Saint-Hyacinthe, 1849-1997 .. .... .. .... .... ... ..... ...... ..... ..... .... .. 32
Figure 3: Plan montrant la section de la passe migratoire du barrage de la
Penman's traversée par le tuyau d'égout (1962) .............. ......... .. ........... .. ...... .. ..... .. ... .40
Figure 4 : Sites étudiés pour l'implantation du poste régional de traitement des
eaux usées (1973) ... ... .. ... ...... .. ...... .. .. .. ... .. .. .. .. ... ... ... .. .... .. ..... .. .... ...... ...... .. ... ... ... .. ... .... ...... 50
Figure 5 : Plan directeur du Bassin Nord-St-Maurice - Occupation du sol projeté
(1973) .. ...... .. .... ..... .. .... .. .. ...... ... .. .. .. .. .. ... .... .. .. .. .. ... .. .. .. .. ......... .. .......... ..... .... .. .. .. .. .... ....... ... . 53
Figure 6: Zonage agricole prévu près de Saint-Hyacinthe par le projet de loi 90
(1979) ..... ... .... ...... .. .... ...... ................... ............. ........ .. .. .. .... ... ........ ... .... ....... ... .. ... .. .. ..... ..... 54
Figure 7 : Bassin de la Yamaska supérieure (1967) .. .. .. .... .. .. ... .. .... .. .... .. ....... .. .... .... ... . 67
Figure 8 : Réservoir Granby Est (1967) .. .. .. .. .... .. .. ... .. .. ........ ... ...... .. .... .. ....... .... .. .......... 68
Figure 9 : Réseau hydrographique du bassin de la rivière Yamaska (1972) .... .. ..... . 72
Figure 10 : Inondation du centre-ville de Saint-Hyacinthe en novembre 1927 ........ 75
Figure 11 : Zones d'érosion et proposition de reboisement du bassin de la Yamaska
(1972) ........ .. .. .... .. ...... ... .. .. .... ... .. .. .. .. .. ... .. ... ..... .. ... .... .... .. .. ....... .. ............ ...... ... ..... .. .... ...... .. 76
Figure 12 : Objectif proposé de la qualité de l'eau du bassin de la Yamaska (1972)
...... .... .... ..... .... .... .. ....... .. .... .. .. .. ... .... .. .. .. .. ... .. ... ... .. .. .. ... ... ....... .. ......... .. ........... ........ .. ..... .. .... 78
Figure 13 : Zone d'inondation sur le territoire de Saint-Hyacinthe (1974) .. .... ...... .. 83
Figure 14 : Plan d ' une section du Parc Christ-Roi (1978) ... ..... .. .. .. ... .... .. ... ... ............ 87
viii
Figure 15: Plan directeur du Bassin Nord - Saint-M~urice - Réseau d'égout
sanitaire (1973) ............................................................................................................... 93
Figure 16 : Construction de l'égout intercepteur au début des années 1980 .......... 102
Figure 17 : Caricature - Le Courrier de Saint-Hyacinthe (15 février 1978) .. .. ........ 105
Figure 18 : Lieux de loisir sur le bassin de la Yamaska, 1945-1980 ........................ 123
Figure 19: Lieux de loisir sur le bassin de la Yamaska, selon les activités
pratiquées, 1945-1980 .................................................................................................. 124
Figure 20 : Lieux de loisir des Maskoutains sur le bassin de la Yamaska, selon les
activités pratiquées, 1945-1980 ............. ............. ..... ............................ ... ..................... 128
Figure 21: Bassin versant de la Yamaska, nappes d'eau utilisables pour la
navigation de plaisance, 1972 .............................. ...... .. ........ .... .. ...................... .... ........ 130
Figure 22: Ensemencement de la rivière Yamaska en amont de Saint-Hyacinthe en
1957 ................................................................................................................................ 138
Figure 23 : Projet Maska : parc naturel en bordure de la Yamaska (1973) .... .... ... 142
Figure 24: Cortège funèbre de l'être humain empoisonné par son environnement,
organisé par les membres du projet « Lutte à la pollution sur l'Yamaska », 1971
........................................................................................................................................ 150
INTRODUCTION
La médiatisation des catastrophes écologiques et la naissance de groupes
écologistes caractérisent les décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale I.
Certains y ont vu le passage d'une acceptation passive des problèmes de pollution à une
prise de conscience de la dégradation du milieu, et l'illustration des nouvelles
préoccupations environnementalistes d'une classe moyenne élargie aux besoins
récréatifs grandissants. Ainsi, les rivières, qui deviennent des espaces propices à la
récréation, stimule la mobilisation d'une partie de la population lorsque celle-ci est
confrontée aux risques sanitaires de plans d'eau contaminés et à une pollution fluviale
responsable de la diminution de la faune aquatique. La mobilisation se traduit souvent en
lutte contre les villes et les industries, qui contribuent à la contamination des cours d'eau
par le rejet de leurs déchets, et auxquelles la population reproche de limiter leurs
activités récréatives2•
Cette mise en contexte expose une des relations possibles entre une population
riveraine et son cours d'eau. Notre mémoire porte précisément sur les relations entre la
population de la région maskoutaine et la rivière Yamaska. Le choix de la municipalité
1 Yves Hébert, Une histoire de l 'écologie au Québec. Les regards sur la nature des origines à nos jours, Québec, GID, 2006, p. 416. 2 Stéphane Castonguay, « Les territoires de la pollution: L'environnement comme catégorie de l'action publique au Québec », Guy Massicotte, dir., Sciences du territoire, Québec, Presses de l'Université du Québec, 2008 : 77-84.
2
de Saint-Hyacinthe permet notamment de cibler la dernière portion du cours d ' eau qui se
déverse en aval dans le fleuve Saint-Laurent3•
Saint-Hyacinthe obtient le statut de ville en 1850, soit deux ans après
l'inauguration du chemin de fer du Grand Tronc4. Cette voie ferrée permet à la
municipalité maskoutaine de connaître un accroissement important de sa population,
notamment à cause de l' établissement de plusieurs manufactures. Spécialisées entre
autres dans le domaine du textile, ces entreprises font de Saint-Hyacinthe : « [ ... ] le
principal centre manufacturier régional qui polarise l' activité industrielle des comtés de
Bagot, Rouville et Saint-Hyacinthe5 ». Outre le textilé, le paysage industriel maskoutain
est marqué par le secteur de l'agroalimentaire. Dès la fin du XIXe siècle, la
transformation des produits du lait est très présente à Saint-Hyacinthe et la fondation
d'une école de laiterie en 1892 ne fait que confirmer l'importance de cet industrie pour
la région7• Encore aujourd'hui, la nomination de Saint-Hyacinthe comme Technopole
agroalimentaire en 1993 confirme la contribution de cette ville à ce secteur ainsi que
l'importance de la production agricole dans la région8•
3 Voir la figure 9 pour saisir l'étendue du bassin de la rivière Yamaska et pour y situer Saint-Hyacinthe. 4 Société d'histoire de Saint-Hyacinthe, Histoire de Saint-Hyacinthe 1748-1998, Sillery, Septentrion, 1998 : 92-96. 5 Mario Filion et al., dir. Histoire du Richelieu - Yamaska - Rive-Sud. Sainte-Foy, Éditions de l' IQRC, 2001, p. 375. 6 Ce secteur connaît un déclin à partir des années 1950, notamment à cause de l' ouverture des marchés canadiens aux pays d 'Asie; Société d' histoire de Saint-Hyacinthe, op. cil., p. 255. 7 Filllion et al, op. cil., p. 329. 8 Société d' histoire de Saint-Hyacinthe, op. cil., p. 234.
3
Dans le cadre de la présente étude, nous concentrons nos efforts de recherche sur
la période située entre 1940 et 1980. Il s'agit d'une période où la mobilisation des
riverains, des élites municipales et des scientifiques autour des enjeux liés aux
problèmes de la pollution des eaux, commence à prendre une forme systématique9• Le
tournant des années 1980 marque quant à nous une rupture à l'échelle locale et
provinciale, illustrée par l'élaboration du Programme d'assainissement des eaux du
Québec en 1978 (PAEQ)!O et la création du ministère de l'Environnement du Québec
(MENVIQ) l'année suivante!!, ainsi que par la mise en place d'une usine d'épuration
des eaux usées maskoutaines 12.
L'objectif principal de la présente étude est de comprendre les modalités de prise
en charge de la Yamaska. Plus précisément, il convient de cibler les usages dont la
rivière fait l'objet et d'identifier les différents acteurs associés à ces usages. Nous
porterons une attention particulière aux configurations d'acteurs et à leurs interrelations
pour dégager différents rapports sociaux et politiques que soulèvent les usages de la
rivière.
9 Castonguay, lac. cU. , p. 78. 10 Stéphane Castonguay et Vincent Bernard, « National and Local Definitions of an Environmental Nuissance: Water Pollution and River Decontamination in Six Urban Areas of Quebec, 1945-1980 », Urban History Review/Revue d 'histoire urbaine, vol. 44, nO 1-2 (automne/printemps 2015/2016), p. 19. Il Hébert, op. cU. : 432-433 . 12 « Une action symbolique », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 132, nO 12 (11 juillet 1984), p. A3 .
4
Le présent chapitre nous permettra d'établir notre cadre d'analyse. D'abord, un
bilan de la littérature nous mènera à présenter notre 'problématique et nos questions de
recherche. Nous procéderons ensuite à la présentation des sources et du plan de l'étude.
BILAN DE LA PRODUCTION SCIENTIFIQUE
L'origine de l'histoire environnementale urbaine est double. Parallèlement aux
travaux de chercheurs américains, l'histoire environnementale urbaine a également pris
racine en Europe autour de spécialistes de l'histoire des villes et des réseaux techniques
urbains et de la santé publique \3. À l'origine, les historiens des deux côtés de
l'Atlantique ont surtout concentré leurs travaux sur une période couvrant le xrxe siècle
et le début du xxe siècle, en explorant les effets de l'industrialisation, ainsi que les
réformes politiques et sociales mises en place 14.
Deux visions s'affrontent en histoire environnementale américaine. D'un côté,
certains chercheurs perçoivent la ville comme une construction humaine. Ils excluent en
conséquence la ville des études environnementales, car l 'histoire environnementale doit
se concentrer sur l'étude de la nature sauvage, soit la « wilderness », ainsi que sur la
place que l'homme y occupe. Martin V. Melosi explique que les historiens qui ont
adopté cette conception ont perpétué une barrière entre le monde naturel et la ville. En
traitant la ville, et l'environnement construit, comme une création artificielle de
\3 Jordan Bauer et Martin V. Melosi, « Cities and the Environment », 1. R. McNeaii et Erin Stewart Mauldin , dir., A companion to Global Environ men/al His/ory , Oxford, Blackwell Publishing Ltd., 2012, p. 360; Geneviève Massard-Guilbaud et Peter Thorsheim, « Cities, environments, and european history », Journal of Urban his/ory , vol. 33 , nO 5 (July 2007) : 691-692. 14 Bauer et Melosi, loc. cil. : 360-361.
5
l'humain dans laquelle ceux-ci se perçoivent comme étant exclus de la nature, ces
historiens alimentent la division entre les environnements construits et naturels l5 .
D'un autre côté, certains chercheurs ont une conception organique, voire
naturelle, de la ville. Ils utilisent des métaphores biologiques reliant le fonctionnement
de la ville à celui du corps humain. Malgré ses défauts évidents, une telle théorie
organique a permis d'obtenir « [ ... ] powerful images of community interdependency and
the rational functioning of the city's man y components l6 ». Par exemple, des chercheurs
s'intéressent au « métabolisme urbain »17 . Il s'agit ainsi de saisir la ville dans son
contexte socioculturel à l'intérieur duquel il faut prendre en compte tous les intrants et
les extrants. Ceci inclut l'utilisation des variétés de ressources et la production de
déchets. La ville doit être comprise dans son environnement large, comme un ensemble
qui va au-delà de ses limites physiques et qui inclut les éléments naturels qui l'entourent.
À l'intérieur du champ de l'histoire environnementale urbaine, l'histoire des
rivières a situé au cœur de sa démarche l'interrelation profonde entre l'environnement
d'une ville et sa rivière, entre société et nature. Nous regroupons sous quatre
thématiques les études sur l'histoire des rivières. Le premier thème concerne la
transformation technologique des rivières. Souvent influencés par les travaux de Richard
15 Martin V. Melosi, « Humans, cities, and nature: How do cities fit in the material world ? », Journal of Urban History, vol. 36, nO 3 (2009), p. 4. 16 Martin V. Melosi, « The place of the city in environ mental history », Environmental History Review , vol. 17, nO 1 (1993), p. 6. 17 Nous avons traduit le concept anglophone de « urban metabolism », proposé par les historiens Joel Tarr, Sabine Barles et Verena Winiwater; cités dans Bauer et Melosi, loc. cil. , p. 364.
6
White, des chercheurs conçoivent le cours d'eau comme une « machine organique l8 ».
Les deux thèmes suivant sont axés sur les questions de pollution et de dépollution des
rivières. L'un concerne les représentations de la pollution qui mènent à l'action politique
et l'autre se rattache aux mobilisations qui influencent les politiques reliées à l'eau. Le
dernier thème couvre les travaux abordant les tentatives de reconquête des rivières.
La rivière comme machine organique et ses transformations technologiques
Dans son ouvrage portant sur le fleuve Columbia, Richard White nous invite à
penser différemment le cours d'eau comme une « machine organique ». Il montre
l'interrelation existant entre la nature et l'être humain et insiste sur le fait que le système
fluvial et la société humaine sont des forces dynamiques dans lesquelles les lignes de
démarcation sont trop entremêlées pour que nous puissions concevoir l'un sans l'autre I 9•
Nous pouvons donc comprendre les rivières du XXe siècle comme étant la création des
humains, tout en gardant à l'esprit qu'elles ont leur propre force hors du contrôle
humain.
Plusieurs chercheurs se sont inspirés des travaux de White pour comprendre
humain et nature, technologie et environnement, comme des continuums et ainsi se
distancer de la thèse dite du déclin en histoire environnementale, décrivant la mort de la
18 Traduit du terme anglais « organic machine »; Richard White, The Organic Machine: The Remaking of the Columbia River, New York, Hill and Wang, 1996, 144 p. 19 White, op. cil. , p. 110.
7
rivière naturelle2o• Ainsi, Marc Cioc a mené le concept de « vie d'une rivière » à un
niveau supérieur en faisant l' « éco-biographie » du Rhin. Il y démontre que « [ .. . ] any
river with human inhabitants is much more thanjust a physical and biological entity: it is
also the site of political, economic, and cultural activity. The Rhine 's historical identity
is inexorably intertwined with thousands of years of human culture, human labor, and
human manipulation21 ». Tout en exposant le poids anthropique supporté par le fleuve,
Cioc présente le cours d'eau comme une entité vivante. À la fois indépendante de
l'humain et modelée par ce dernier, la rivière est ultimement construite, non pas par
l' unique travail des ingénieurs, mais aussi par les millions de personnes qui vivent et qui
voyagent sur ses rives et sur ses eaux. Le Rhin d'aujourd 'hui n'est pas simplement une
entité hydrologique; il est un artéfact humain, une rivière technologique et un courant
anthropomorphisé.
Dans leur étude sur la rivière Bow, Christopher Armstrong, Matthew Evenden et
Henry V. Nelles montrent qu'après des générations d'utilisation, la rivière continue de
« vivre ». Pour en arriver à cette conclusion, les auteurs abordent simultanément les
changements d'origine culturelle de la rivière et son évolution naturelle22 • Ne s'écoulant
que d'amont vers l'aval, la rivière ne peut se plaindre des abus dont elle fait l'objet.
Toutefois, les perceptions humaines de la rivière ont fondamentalement changé. Il ne
20 Christo f Mauch et Thomas Zeller, « Rivers in History and Historiography : An Introduction », Christo f Mauch et Thomas Zeller, dir., Rivers in History. Perspectives on Waterways in Europe and North America, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2008, p. 6. 2 \ Mark Cioc, The Rhine, an eco-biography: 1815-2000, Seattle, University of Washington Press, 2002, p. 6. 22 Christopher Armstrong, Matthew Evenden et Henry Vivian Nelles, The River Returns - An Environmental History of the Bow, Montreal, Ithaca: MQ UP, 2009, p. 22.
8
faut donc pas parler de la mort d'une rivière, mais plutôt du changement de perceptions
face à la condition du cours d'eau.
Les représentations de la rivière et de sa pollution
Nous pouvons également aborder l' interrelation nature et société à travers les
manifestations et les actions menées dans le but d'améliorer les conditions naturelles de
la rivière. Nous pensons ici aux mobilisations contre la pollution fluviale et à leurs
impacts sur les politiques de gestion de l'eau. Pour bien comprendre ces mobilisations,
nous devons d'abord saisir comment les différents acteurs de l'époque se sont
représentés la rivière et sa pollution. Comme le soutient Dominique Kalifa,
représentation et pratique sont des « [ ... ] constituants intriqués d'un " réel"
problématique, dont l' historien se devait de dénouer les articulations [ . . . ] ». Ainsi,
« [ ... ] le terme [de représentation] renvoie à des formes qui sont toujours,
simultanément, expressives et constructives du social, qui sont toujours pensées comme
constitutives de pratiques, comme des ressorts de l'action23 ». Dans le cas qui nous
intéresse ici, les mobilisations incarnent « l' action ».
L'objet de recherche que représente la pollution permet d' aborder une dimension
culturelle des populations étudiées, comme le soulignent Christoph Bernhardt et
Geneviève Massard-Guilbaud :
2J Dominique Kali fa, « Représentations et pratiques », Chri stian Delacroix, Françoi s Dosse, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt, di r., Historiographies. Concepts et débats. Partie Il. Notions, concepts , Paris, Gallimard, 2010, p. 879.
9
Pour mesurer à sa juste valeur l'importance de la dimension culturelle dans l'histoire contemporaine de la pollution, il convient de rappeler que, jusqu'au milieu du XXe siècle et parfois même plus tard, chimistes, biologistes et autres scientifiques ne disposaient bien souvent que de grossières méthodes d'identification et de mesure de la pollution. Auparavant, bien des tentatives pour la combattre ne pouvaient s'appuyer que sur des estimations et des impressions24
•
La pollution urbaine doit être comprise comme le « [ ... ] produit de l' interaction entre
technologie, connaissance scientifique, culture et valeurs humaines, et
environnement [ . .. f5». De là l'intérêt de concevoir le « métabolisme urbain»,
notamment pour saisir comment la pollution peut refléter l'interrelation entre
environnement et ville.
Nous pouvons diviser les origines de la contamination des cours d'eau par les
villes en deux grandes catégories, soit celle d'origine domestique, liée aux rejets des
eaux usées provenant des réseaux d'égout, et celle d'origine industrielle. La présence de
ces deux catégories de pollution est l'aboutissement, en quelque sorte, de la perception
de la rivière comme étant une « machine organique26 ». Les ingénieurs du début et du
milieu du XXe siècle utilisent la notion de « capacité d'assimilation» de la rivière pour
décrire la capacité des eaux naturelles à diluer et à absorber les déchets urbains et
industriels27. Il faut savoir que durant la deuxième moitié du XIXe siècle, les villes nord-
24 Christoph Bernhardt et Geneviève Massard-Guilbaud, dir. , Le démon moderne. La pollution dans les sociétés urbaines et industrielles d'Europe, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2002 : 10-11. 25 Ib id. 26 Arn Keeling, « Urban waste sinks as a natural resource: The case of the Fraser river », Urban History Revuew/Revue d 'histoire urbaine, vol. 34, nO 1 (2005) : 58-70. 27 Nous avons décelé des traces de ce genre de discours dans un rapport d'analyse gouvernemental. « À la lumière des observations du relevé sanitaire et en vue de connaitre le pouvoir d'auto-purification de la rivière Yamaska, nous y avons établi 18 stations d 'échantillonnage en vue des examens chimiques,
10
américaines sont confrontées à une urbanisation et à une industrialisation intensives, ce
qui mène à des conditions de vie plus difficiles en ville, comme la maladie et
l' insalubrité. En réponse à cette nouvelle situation préoccupante se manifeste un effort
pour mettre en place une « utilisation positive maximale » de la rivière28.
En exposant deux définitions de la pollution provenant d ' époques différentes,
soit une élaborée durant les années 1960 et l' autre à la fin des années 1990, Romain
Garcier démontre que « [ ... ] chaque époque construit en définitive son idée de la
pollution29 ». Le concept de pollution n' est pas fixe dans le temps; il évolue et se
transforme à travers les époques. Garcier insiste également sur l'influence que certains
acteurs ont sur la façon de se représenter la pollution fluviale. Il donne l'exemple des
industriels du XIXe siècle qui ont imposé la légitimité sociale de leurs activités, laissant
ainsi les effets néfastes de leurs pratiques échapper à toute remise en cause. Une fois
légitimée, la pollution intégrait les pratiques de la population qui , par exemple, n' allait
plus pêcher dans la rivière polluée. Selon Garcier, le concept de pollution n' est pas
objectif car il ne peut être défini autrement que par son cadre social3o•
biochimiques et physiques et bactériologiques. »; Ministère de la Santé de la Province de Québec, Rapport préliminaire. Rivière Yamaska, Bibliothèque du parlement de l'Assemblée nationale du Québec, 8 novembre 1960, p. 2. 28 Keeling, « Urban waste sinks as a natural resource .. . », loc. cil . : 58-70. 29 Romain Garcier, La pollution industrielle de la Moselle fra nçaise : naissance, développement et gestion d 'un problème environnemental. 1850-2000, thèse de doctorat (géographie), Université Lumière - Lyon II , 2005 , p. 6. 30 Romain Garcier, « The plac ing of matter: industrial water pollution and the co nstruction of social order in nineteenth-century France », Journal of Historical Geography , vol. 36, nO 2 (2010), p. 133.
Il
Dans leur étude sur la compréhension publique de la pollution de l'air, Karen
Bickerstaff et Gordon Walker montrent que les façons avec lesquelles les gens, incluant
les scientifiques et les politiciens, viennent à comprendre et à donner du sens à la
pollution « [ ... ] are always socially mediated [ ... ]31 » et « [ ... ] embodied and centrally
embedded in place [ ... ]32 ». Ainsi, la représentation de la pollution est intrinsèquement
située dans, et liée à, l'expérience du quotidien, où la population côtoie directement les
sources de pollution, mais également où elle reçoit de l'information externe qui la
renseigne sur le sujet. Dans le même ordre d'idées, Arn Keeling précise dans sa thèse
que les problèmes de pollution sont fortement influencés par les questions de lieu,
d'échelle et d'emplacement. Il rajoute que « [b]ecause pollution isjudged on the basis of
degradative changes, there is a strongly anthropocentric bias to its determination. In
other words, humans decide whether pollution is occuring and how bad it is33 ».
Mobilisation et dépollution des rivières
La pollution, qui est le produit de représentations sociales et culturelles, est
également l'objet d'une action politique - la mobilisation - que nous nous proposons
d'aborder sous l'angle pragmatiste:
3 1 Karen Bickerstaff et Gordon Walker, « The place(s) of matter: matter out of place - public understandings of air pollution », Progress in Human Geography, vol. 27, nO 1 (2003), p. 46. Pour plus de détails sur la question des représentations scientifiques et de leur influence sur le politique voir : Gabrielle Bouleau et Sara Femandez, « La Seine, le Rhône et la Garonne : trois grands fleuves et trois représentations scientifiques », Denis Gauthier et Tor Arve Benjaminsen, dir. , Environnement, discours et pouvoir : l 'approche political ecology, Versai Ile, Quae, 2012 : 201-218. 32 Bickerstaffet Walker, loc. cil. , p. 59. . 33 Am Keeling, The effluent society: Water pollution and Environmental polilics in British Colombia, 1889-1980, thèse de doctorat (géographie), University of British Comlombia, 2004, p. 348. Du même auteur, voir également « Sink or Swim: Water pollution and environmental politics in Vancouver, 1889-1975 », BC Studies: The British Columbian Quarterly, nO 142/143 (été 2004) : 69-101.
12
Un ressort de l'action semble constituer une caractéristique commune [aux différentes mobilisations] : la visée pragmatique de l'engagement, autrement dit le besoin des mil itants d'apprécier les effets concrets de leur action [ ... ] Certes les idéologies - au sens de représentations du monde - sont toujours vivaces et constituent des réserves d'énergie collective. [Cependant elles] ne constituent plus l'ultima ratio de l' engagement public .. . L'efficacité de l'action, orientée par des objectifs délimités, précis et atteignables, la recherche de résultats « ici et maintenant» semblent s'imposer comme une donnée majeure [ ... ]34
Cette approche permet de cibler le citoyen comme un acteur politique ayant une capacité
d'initiative. Fortement enraciné dans son environnement, le citoyen vit directement les
inconvénients reliés à la pollution fluviale. Son action politique résulte de
représentations de la pollution qui se construisent parallèlement à la mobilisation de cet
acteur.
Rendre compte de l'action rend problématique l'idée d'une « prise de
conscience» du problème environnemental. D'ailleurs la littérature scientifique apporte
deux précisions sur le paradoxe selon lequel il y aurait eu prise de conscience à la suite
de l'atteinte d'un seuil de tolérance dans les années 196035. D'abord, nous ne devons
plus parler de prise de conscience subite du problème environnemental de la pollution,
34 Jacques Ion, Spyros Franguiadakis et Pascal Viot, Militer aujourd 'hui, Paris, Autrement, 2005, 319 p. cité dans Jacques Lolive, « Mobilisations environnementales », Oliv ier Coutard et Jean-Pierre Lévy, dir. , Écologies urbaines, Paris, Economica-Anthropos, 2010, p. 278. 35 Voir entre autres: Michèle Dagenais, « .. Ce qui tue aujourd ' hui le poisson peut fort bien nous tuer demain" : la mooilisation des pêcheurs pour protéger les cours d'eau et démocratiser l'accès aux rives dans la région montréalaise », Isabelle Parmentier et Olivier Servais, dir. , Le pouvoir des riverains : résistances, accommodations, illusion ? Histoire et anthropologie des mobilisations citoyennes (1 8<-21' s.), à paraître: 1-10; Keeling, The effluent society .. . , 389 p.; Thomas Lekan, « Saving the Rhine. Water, Ecology, and Heimat in Post-World Warr II Germany », Mauch et Zeller, dir. , Rivers in History ... : 110-136; Jérôme Rollin, « La protection des petites rivières périurbaines dans les Bouches-du-Rhône depuis les années 1960 : Une analyse de la construction locale de la norme environnementale », Géocarrefour , vol. 85, nO 3 (2010) : 229-240.
13
mais bien de construction, sur le long terme, du concept36. Puis, les années 1960, bien
qu'ayant été marquées par l'institutionnalisation politique de l'environnement, ne sont
que l'aboutissement de mobilisations échelonnées sur plusieurs années.
L'historien et politologue Samuel Hays a associé l'évolution des considérations
et des valeurs environnementales à l'élévation du niveau de vie d'une classe moyenne en
expansion durant les années d'après-guerre aux Etats-Unis: « The advancing edge of
demographic change included an advancing interest in environmental objectives. Quality
of life as an idea and a focus of public action lay at the heart of what was new in
American society and politics; environmental affairs were an integral element37 ». Ayant
à leur disposition de nouvelles conditions de travail, les membres de la classe moyenne
cherchent « à multiplier les lieux de loisir38 » et organisent généralement leur temps de
congé sur le modèle du « temps libre ordinaire », soit en s'adonnant à des passe-temps
comme le jardinage ou la pêche. « Le temps des vacances est d'emblée pratiqué comme
celui du retour à la nature [ ... ] L'air et le soleil sont immédiatement apparus comme les
36 En étudiant l' histoire de l'Anper-Tos, une association originellement composée de pêcheurs, Christelle Gramaglia explique que ce n'est pas une prise de conscience subite, purement intellectuelle, qui a mené les membres à s'engager dans la lutte à la pollution. « Il a fallu qu'ils fassent l'expérience de la pollution, c'est-à-dire qu ' il s soient touchés, indignés, qu'ils se laissent eux-mêmes affecter par les dégradations menaçant les rivières et leurs populations piscicoles. « Anper-Tos » signifie « Association nationale de protection des eaux et des rivières »; Christelle Gramaglia, « De la passion de la pêche à la dénonciation des pollutions. Mise en forme d ' une revendication (1958-1978) », Les annales des Mines. Responsabilité et environnement, nO 46 (avril 2007), p. 58. Pour en savoir davantage sur l' impact politique des pêcheurs : Gabrielle Bouleau, « La contribution des pêcheurs à la loi sur l'eau de 1964 », Économie rurale, nO 309 Uanvier-février 2009),9-21; Dagenais, loc. cil . : 1-10. 37 Samuel P. Hays, Beauty, Health, and Permanence. Environmental Politics in the United States, /955-/985, New York, Cambridge University Press, 1987: 5-6. Sur le travail de Hays, voir; Christopher C. Seller, « Review: Environmentalists by Nature: The Postwar America of Samuel Hays », American History, vol. 28, nO 1 (mars, 2000) : 11 2-119. 38 Nous empruntons la formulation de Stéphane Castonguay et Dany Fougères, « Les rapports riverains de la ville: Sherbrooke et ses usages des rivières Magog et Saint-François, XIX' - XX· siècles », Urban History Review/Revue d 'histoire urbaine, vol. 36, nO 1 (2007), p. 4.
14
deux valeurs essentielles39 . » Selon Hays, cette proximité avec la nature aurait lentement
contribué à nourrir une prise de conscience de la dégradation de l'environnement et de la
nécessaire mobilisation politique.
Pour ce qui est du Québec, Michèle Dagenais démontre dans son ouvrage
Montréal et l 'eau que la reprise intense du développement de l'urbanisation durant les
années d'après-guerre empire la situation déjà préoccupante des rivières montréalaises,
ce qui pousse certains amateurs de plein air, dont les associations de pêcheurs et de
chasseurs, à entreprendre des campagnes de sensibilisation auprès des pouvoirs publics.
C'est dans ce contexte qu'émerge une nouvelle façon de penser les rapports
ville/rivière4o•
En s'intéressant aux associations écologistes du Québec des années 1960 et 1970,
Jean-Guy Vaillancourt insiste sur l'impact qu'elles peuvent avoir sur la population et
auprès des gouvernements, notamment grâce aux médias41• Selon Martin Pâquet : « La
prise de parole publique résonne alors aux quatre coins de l'agora, et les causes portées
par les groupes de pression deviennent pleinement des enjeux de société42 ». Ce faisant,
39 Jean-Claude Richez et Léon Strauss, « Un temps nouveau pour les ouvriers : les congés payés (1930-1960) », Alain Corbin, dir., L 'avènement des loisirs 1850-1960, Paris, Aubier, 1995 : 524-527. 40 Michèle Dagenais, Montréal et l 'eau. Une histoire environnementale, Montréal , Boréal, 20 Il : 14-15. 41 Jean-Guy Vaillancourt, « Évolution, diversité et spécificité des associations écologiques québécoises: de la contre-culture et du conservationisme à l' environnementalisme et à l' écosocialisme », Sociologie et société, vol. 13 , nO 1 (1981): 81-98; « Le mouvement vert au Québec : une perspective historique et sociologique », Bulletin d 'Histoire politique, vol. 23, nO 2 (hiver 2015) : 113-140. 42 Martin Pâquet, « Du temps des groupes de pression », Stéphane Savard et Jérôme Boivin, dir. , De la représentation à la manifestation. Groupes de pression et enjeux politiques au Québec, X1X' et XX" siècles, Québec, Septentrion, 2014, p. 437.
15
il devient difficile pour les autorités d'ignorer les demandes des groupes de pression
« [ ... ] sans devoir en payer le prix aux prochaines élections43 ».
L'intégration des questions environnementales au sein de l'appareil politique ne
se résume toutefois pas à l'unique travail des groupes de pressions. Il faut tenir compte
également du contexte des affaires publiques, où les fonctionnaires de l'environnement
doivent faire des compromis:
[ ... ] avec les ingénieurs du Génie rural, des Ponts et Chaussées, des Mines, ou avec les préfets - chaque Corps s'employant à faire prévaloir des définitions et des usages différents des environnements, des hiérarchies différentes de priorités. [ ... ] L ' environnement ou la nature, loin d'avoir cette existence immédiate, identique pour tous, qu'ils paraissent posséder, ont en fait des visages multiples, inhérents à la relation que chaque classe d'agents entretient avec eux, en fonction de ses enjeux [ ... ]44
L'environnement en politique, terrain de compromis, devient donc dépendant de
plusieurs composantes.
Entre 1950 et 1980, malgré l'élaboration et la concrétisation de
l'institutionnalisation de l'environnement, le développement industriel a toujours incarné
une priorité pour les États. Comme le souligne Daniel BouHet: « [ ... ] l'environnement
et la lutte contre les nuisances n'ont jamais représenté (tout gouvernement confondu), au
43 Sylvie Arend et Christiane Rabier, Le processus politique: environnements, prise de décision et pouvoir, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, 2000, p. 230; cité dans Jérôme Boivin et Stéphane Savard, « Pour une histoire des groupes de pression au Québec: quelques éléments conceptuels et interprétatifs », Savard et Boivin, dir., op. cit., p. 23. 44 Willy Pelletier, « Sociale " nature ". Représentations de l'écologie et usages sociaux des environnements », Jean-Marie Harribey et Michael Lëlwy, dir. , Capital contre nature , Paris, PUF, 2003, p.190.
16
mieux, qu'un objectif second [ ... ]45 ». Les contraintes budgétaires ont cependant forcé
les pouvoirs publics à compter sur le bon vouloir des industriels pour la prise en charge
des conséquences de leurs activités. Ajoutons à cela la construction de régimes
d'expertise qui « [ ... ] "scientifisent" les débats, délégitiment les contestations non
appuyées sur des mesures et des chiffres, disqualifient les profanes et normalisent les
dégâts des" Trente Pollueuses ,,46 ». Cette expertise quantifiée permet au gouvernement
de gérer « objectivement» les problèmes environnementaux, en les débarrassant ainsi de
leur dimension morale.
Les dernières décennies du XXe siècle sont quant à elles marquées par la prise en
charge plus affirmée des questions environnementales par l'État. Selon Gabrielle
Bouleau: « [ ... ] les modèles qui servent d'argumentaire pour les choix publics de
gestion des rivières doivent beaucoup à la façon dont des groupes sociaux ont trié
l'information sur ces rivières47 ». Elle observe cependant que, au-delà des différences
culturelles entre naturalistes et ingénieurs, il existe des similitudes de pratiques entre les
deux groupes. Alors que d'un côté, les naturalistes cherchent des indices dans le milieu
naturel pour invoquer sa protection, de l'autre, les ingénieurs tentent de trouver des
45 Daniel Boullet, « La politique de l'environnement industriel en France (1960-1990). Pouvoirs publics et patronat face à une diversification des enjeux et des acteurs », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 1, nO 113 (2012), p. 167. 46 Christophe Bonneuil, Céline Pessis et Sezin Topçu, dir. , Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations el pollutions dans la France d'après-guerre , Paris, La Découverte, 2013, p. 186. Les auteurs y résument les propos du chapitre de Gabrielle Bouleau situé dans le même ouvrage et intitulé : « Pollution des rivières : mesurer pour démoraliser les contestations. Des plaintes des pêcheurs aux chiffres des experts » : 211-229. 47 Gabrielle Bouleau, La gestion française des rivières el ses indicateurs à l'épreuve de la directive cadre, thèse de doctorat (sciences de l'environnement), Institut des sciences et industries du vivant et de l' environnement de Paris, 2007, p. 400.
17
atouts permettant de répondre à de nouvelles contraintes technologiques. Dans les deux
cas, la tendance qui ressort est qu 'à chaque fois, les différents regroupements tentent de
réorganiser l' information recueillie pour qu 'elle satisfasse davantage leur propre
stratégie, une pratique que ni les scientifiques, ni les gestionnaires ne valorisent dans la
mise en forme de l'information.
Reconquête, réhabilitation et restauration des rivières
Lorsque la restauration fluviale est un objectif pour une société riveraine, une
question centrale pose le problème et justifie l' importance du travail d ' historien48:
quelle période de l' histoire de la rivière les ingénieurs et les conservationnistes
cherchent-ils à ramener par des travaux de réhabilitation?
Deux mises en garde ressortent de la littérature scientifique portant sur la
revitalisation fluviale. La première concerne la périodisation traditionnelle, souvent
présentée en trois temps, abordant la relation humain et rivière. D'abord affective avant
l' ère industrielle, cette relation change à partir de la seconde partie du XIXe siècle quand
l' homme tourne le dos à la rivière, avant finalement de tenter de la reconquérir à la fin
du XXe siècle.
La seconde mise en garde touche l' idée d' un état d'origine auquel retourner dans
les projets de reconquête fluviale. Cette volonté de voir la rivière revenir à son état
« normal» ou original se bute à la réalité actuelle. Ce qui a été fait durant les décennies
48 Mauch et Zeller, « Rivers in History and Historiography ... » : 9-10.
18
et les siècles précédents ne peut pas être simplement effacé, la raison étant que si par
exemple nous enlevons tous les barrages, trop de villes seront détruites ou grandement
en danger. « Any river that is used simultaneously for transportation, irrigation, power
generation, industrial production, and urban sanitation has to be "harnessed". It cannot
be allowed to flow as its own needs dictate. All restoration projects will therefore have
to take place within the interstices ofthese interlocking human needs49. »
Dans le présent mémoire, nous souhaitons nuancer le modèle déclinant en trois
temps « le cycle de vie d'un cours d'eau ». Comme le soutient Stéphane Castonguay :
« [ ... ] plutôt que de se décliner en trois périodes successives, la domestication,
l'aliénation et la réappropriation correspondent à trois types de rapports sociaux à
l'environnement fluvial qui se juxtaposent dans le temps50». La période de
réappropriation est particulièrement problématique, car l'idée de reconquête est souvent
présentée comme une rupture avec la période de « fonctionnalisation industrielle».
L'idée de « reconquête» semble plutôt n'être en fait que le recyclage d'idées plus
anciennes, comme le souligne Claire Gerardot: « [ ... ] un savoir nouveau diffus se
construit dans - et reconstruit - un savoir ancien hérité, des enjeux sont reformulés,
adaptés, reconvertis, les objectifs de " reconquête", loin d'exister seuls, venant se
greffer sur d'autres, préexistants51 ».
49 Mark Cioc, The Rhine, an eco-biography .. . , p. 205. 50 Stéphane Castonguay, « La réhabilitation des rivières urbaines au Québec », Recherches sociographiques, vo\. 56, nO 2-3 (2015), p. 273. 5\ Claire Gerardot, « Les élus lyonnais et leurs fleuves: une reconquête en question », Géocarrefour , vo\. 79, nO 1 (2004), p. 75.
19
L'interrelation entre les perceptions de la rivière et les modifications dont elle
fait l'objet à travers le temps expose couramment les frustrations rencontrées par
l'humain dans ses tentatives de contrôler le cours d'eau. Le dialogue entre lefutur
imaginé52 et les conséquences imprévues caractérise souvent la relation humaine avec la
rivière. Dans sa thèse, Jennifer Bonnel montre comment la mise en place de programmes
de développement d'infrastructures riveraines reflète rarement les valeurs et les
motivations des contextes culturels, politiques et économiques desquels ils ont émergé.
Il faut éviter de faire un récit du déclin de la rivière, car il n'existe pas de
référence pour mesurer la perte d'un monde naturel. Ce que les « restaurationnistes »
chercheraient à conserver, c'est le statu quo d'un moment particulier, un ensemble
d'interventions humaines choisi parmi d'autres53. Ainsi, en acceptant l'idée que les villes
imposent des effets environnementaux sur les rivières « [ ... ] we do not imagine that
cities and ri vers have ever been truly separated54 ».
La volonté de ramener les rivières à leur état préindustriel est une construction
culturelle présente chez les meneurs civiques de la première/seconde moitié du :xxe
siècle. La relation entre la ville de Pittsburgh et les trois cours d'eau qui la traversent
expose comment ces meneurs reconnaissent le potentiel récréatif des rivières. Au cours
52 Jennifer Leigh Bonnel, Imagined Futures and Unintended Consequences: An Environmental History of Toronto 's Don River Valley, thèse de doctorat (éducation), University of Toronto, 2010, p. 24. 53 David Blackbourn, « "Time is a violent torrent". Constructing and Reconstructing Rivers in Modern German History », Mauch et Zeller, dir., Rivers in His/OIy ... : 24-25. 54 Stéphane Castonguay et Matthew Evenden, dir. , Urban rivers: Remaking rivers, cilies, and space in Europe and North America, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2012, p. 3.
20
de la période industrielle, la population délaisse la portion urbaine des rivières, un milieu
qu'elle qualifie de « non naturel55 », au profit des portions rurales des cours d'eau.
L'effondrement des bases industrielles durant le dernier quart du xxe siècle force les
responsables civiques et les militants à changer leur regard sur les rivières, désormais
perçues comme des lieux de loisirs qui favorisent l'amélioration de la qualité de vie des
citoyens.
Le cas de Calgary montre que la pression exercée par l'opinion publique joue
pour beaucoup dans la reconstruction de la rivière Bow, transformée en parc:
« Calgary's river parks appeared following a wrenching act of negation that bitterly
divided the city in the mid-1960s. The organized women's movement of Calgary allied
with urban elites, and the new planning bureaucracy and philanthropists combined to
push the project forward [ ... ]56 ». En plus d ' encourager l'expression d'un nouvel esprit
civique, la rivière mise en parc devient un lieu de fierté publique, une place pour réunir
les citoyens, et un point central pour nourrir un sentiment d'appartenance.
QUESTIONS DE RECHERCHE
Notre étude porte sur les usages de la rivière Yamaska dans la grande région de
Saint-Hyacinthe entre 1945 et 1980. Notre problématique de recherche se décline en
55 Traduction du terme « unnatural »; Timothy M. Collins, Edward K. Muller et Joel A. Tarr, « Pittsburgh 's Three Rivers. From Industrial Infrastructure to Environmental Asset », Mauch et Zeller, dir. , op. cit., p. 62. Concernant les valeurs du patrimoine culturel ou naturel d'une rivière voir Mathieu Dormaels, « Et au milieu coule une rivière: patrimoine industriel, tourisme et développement durable », Théoros. Revue de recherche en tourisme, vol. 30, nO 1 (2011), p. 142. 56 Henry Vivian Nelles, « How Did Calgary Get !ts River Parks? », Urban History Review/Revue d'histoire urbaine, vol. 34, nO 1 (automne 2005), p. 28.
21
deux temps. D'une part, nous cherchons à dégager les interactions entre les différents
acteurs interpellés par la Yamaska, pour, d' autre part, comprendre les modalités de la
prise en charge de cette rivière.
Pour atteindre ces objectifs, nous avons ciblé trois usages de la Yamaska, soit
sanitaire, économique et récréatif. Le premier concerne la double utilisation de la rivière
comme source d ' approvisionnement en eau et comme déversoir pour les eaux usées des
municipalités riveraines. Entre autres, puisque nous assistons au cours de la période à
l' étude à une montée de l' expertise du gouvernement provincial dans le domaine de la
santé publique, notamment avec la création du ministère de la Santé du Québec en
194457, nous nous demandons comment les autorités municipales perçoivent-elles
l'intervention, ou la non intervention, de l'État québécois dans les confrontations
locales? Comment les autorités maskoutaines réagissent lorsqu 'une municipalité située
en amont décide de mettre en place un réseau d' égout se déversant dans la même rivière
où elles puisent leur eau potable? Quel est le rôle des représentants du gouvernement
provincial lors des conflits locaux reliés aux usages sanitaires de la Yamaska ?
L 'étude de l'usage économique de la Yamaska passe par l'analyse des travaux
d'aménagement de la rivière au cours des années 1960 et 1970. Le gouvernement
provincial cherche alors à favoriser l'essor économique des localités urbaines du bassin
hydrographique. Encore ici, les autorités municipales et provinciales interagissent. Dans
57 « Un Département de la Santé et du Bien-être social a été créé en 1936, puis scindé en deux entités en 1944, dont le Département (ou ministère) de la Santé »; François Guérard , Histoire de la santé au Québec, Montréal, Boréal, 1996, p. 66.
22
quelle mesure la mise en place d'infrastructures modifie-t-elle, ou non, la relation
existante entre la ville de Saint-Hyacinthe et le gouvernement provincial ? Comment les
municipalités riveraines réagissent-elles aux interventions gouvernementales? À
l' échelle locale, comment les différents acteurs participent-ils à l' aménagement de la
rivière?
L'usage récréatif de la Yamaska est le dernier usage étudié dans la présente
recherche. La menace que représente la pollution fluviale pour la pratique de loisirs sur
la rivière est à l' origine de diverses mobilisations. D'abord l' affaire des clubs de chasse
et pêche, ces mobilisations deviennent l' affaire de nouveaux regroupements citoyens
soucieux des questions environnementales au tournant des années 1970. Quelles sont les
raisons sous-jacentes à leur mobilisation vouée à la lutte à la pollution de la Yamaska ?
Quels moyens prennent-ils pour entreprendre une telle lutte? Quelles sont les réponses à
ces mobilisations? Quelle est la place de l' homme, et celle de la nature, dans le désir de
protéger et conserver l'environnement fluvial?
LES MOYENS D'ENQUÊTE
Le territoire étudié dans la présente recherche est celui du bassin versant de la
rivière Yamaska et plus précisément celui de la grande région de Saint-Hyacinthe. Nos
efforts de recherche se concentrent sur les années situées entre 1945 et 1980. La période
suivant la Seconde Guerre mondiale est .marquée par l' apparition des premières
contestations systématiques de la pollution des eaux à la suite de certaines épidémies en
23
milieu urbain et par des protestations d'associations sportives de pêcheurs58 . La mise en
place d'infrastructures d'assainissement dans la région maskoutaine caractérise la borne
supérieure de notre période59.
La provenance des sources consultées dans le cadre de notre projet de recherche
est multiple. Notre corpus est principalement constitué d'articles de journaux régionaux
et d'archives municipales, mais aussi de rapports gouvernementaux et de divers fonds
d'archives présents au Centre d ' histoire de Saint-Hyacinthe.
Le Courrier de Saint-Hyacinthe porte principalement sur la région maskoutaine.
Comme il s'agit d'un périodique hebdomadaire, nous en avons fait un dépouillement
systématique, en recueillant tous les articles qui touchent à la question de la pollution de
la rivière Yamaska, d'origine domestique, industrielle et agricole, de même que tous les
articles qui exposent l'utilisation que la population riveraine fait de son cours d'eau
(récréative, sanitaire ou économique).
À l'instar de notre dépouillement du Courrier de Saint-Hyacinthe, nous avons
consulté l'ensemble des procès-verbaux des conseils municipaux des années 1940 à
1980, en plus de consulter les documents afférents à ceux-ci. Ce type d'archive nous a
permis de mieux cerner les intentions des autorités municipales quant à leurs usages de
la rivière.
58 Castonguay, « Les territoires de la pollution ... » : 77-84. 59 « Une action symbolique », Le Courrier de Saint-Hyacinthe (II juillet 1984), p. A3.
24
Pour ce qui est des rapports gouvernementaux, l'information d'origine
scientifique montre comment les autorités provinciales tentent d 'appréhender la
Yamaska et surtout dans quel but elles le font. Au-delà des statistiques exposées dans
ces rapports, l'élément qui nous intéresse davantage est celui des motivations du
gouvernement provincial à étudier et à proposer différents aménagements de la
Yamaska. Le Projet d'aménagement des eaux du bassin versant de la Yamaska (plan
Yamaska) constitue le principal rapport gouvernemental sur lequel nous avons porté
notre attention6o.
Également, nous avons ciblé des fonds d 'archives pertinents disponibles au
Centre d'histoire de Saint-Hyacinthe. Par exemple, celui du Club de chasse et pêche
Maska nous permet d'observer comment ses dirigeants et ses membres interagissent
avec la rivière et comment ils se la sont représentée61 • Nous avons eu recours au
Courrier de Saint-Hyacinthe pour compléter notre couverture de leurs activités en lien
avec la rivière. D'autres fonds enrichissent notre corpus documentaire, comme celui
portant sur le projet d'aménagement du bassin de la rivière Yamaska et celui de l'ancien
maire de Saint-Hyacinthe, Pierre-André Hamel62 .
60 Office de planification et de développement du Québec (ci-après OPDQ), Projet d'aménagement des eaux du bassin versant de la Yamaska, Rapport de la Mission technique de la Yamaska, 1972, 6\ Centre d' histoire de Saint-Hyacinthe (ci-après CHSH), Fonds Club de chasse et pêche Maska, CH403. 62 Le premier comprend diverses informations comme des brochures et des prospectus du Comité pour l'aménagement, l'épuration et la protection des eaux ou encore des dossiers de presses de la Société Saint-lean-Baptiste du diocèse de Saint-Hyacinthe portant sur la pollution de l' eau. Le second contient un dossier portant sur la crise de pollution de la Yamaska durant les années 1970, alors que M. Hamel était le maire de la municipalité maskoutaine; CHSH, Fonds Société d'histoire régionale de Saint-Hyacinthe, CH478/00IlOOO/033, Projet d 'aménagement du Bassin de la rivière Yamaska; Fonds Pierre-André Hamel, CH 1 45/200/220-004, Crise pollution de la Yamaska.
25
À l'exception des statistiques retrouvées dans certains rapports
gouvernementaux, les sources offrent essentiellement des informations qualitatives, à
partir desquelles nous pouvons saisir les discours de différents acteurs quant à leurs
usages de la rivière. Afin de saisir les interactions des différents usagers de la Yamaska,
le discours qu ' ils utilisent et la façon dont ils l' élaborent peuvent nous renseigner sur
leurs intentions. Il est également intéressant de mettre en relation les représentations et
les mesures mises en place par les divers acteurs pour contrer la pollution fluviale .
Comme le soutient Dominique Kalifa : « [ ... ] l' analyse croisée des pratiques [ ... ] et des
représentations [ ... ] offre le moyen de penser ensemble le monde social et celui des
représentations, de lever surtout la traditionnelle et souvent stérilisante opposition entre
l' objectivité présumée des pratiques et la subjectivité assumée des représentations63 ». À
travers les sources, nous pouvons saisir comment s'opère le passage du discours à la
pratique.
PLAN DE L'ÉTUDE
La présente recherche divisée en trois sections retrace les différents usages de la
rivière Y amaska dans la grande région maskoutaine au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale. De ces usages découlent différentes interactions entre les acteurs interpellés
par la Yamaska. Ultimement, c ' est à travers ces interactions que nous apportons une
nouvelle compréhension des modalités de prise en charge de cette rivière.
63 Kali fa, « Représentations et pratiques» : 881-882.
26
Le premier chapitre concerne les usages sanitaires de la rivière Yamaska. Nous y
abordons les conflits suscités par la double utilisation de la rivière, soit comme source
d' eau potable et comme déversoir pour les eaux usées d ' origine municipale.
L'intervention gouvernementale se veut au départ essentiellement externe, alors que les
représentants de l'État atténuent les craintes ou proposent des solutions alternatives pour
contrer les problèmes de contamination de la source d 'eau potable. Au tournant des
années 1960, il existe cependant un glissement du pouvoir décisionnel en ce qui a trait
aux usages sanitaires de la rivière. Désormais, c'est l'État provincial qui impose sa
vision de ce que devrait être la Yamaska et qui demande aux municipalités de la région
maskoutaine de traiter de façon commune leurs eaux usées. Ce glissement ne se fait
toutefois pas sans heurts, puisque les localités urbaines du grand Saint-Hyacinthe ne
s'entendent pas sur le choix du site de la future usine d' épuration.
Le second chapitre concerne les usages économiques de la Yamaska. À travers
l'étude des tentatives gouvernementales d'application des recommandations retrouvées
dans un plan d'aménagement du bassin versant de la rivière Yamaska, le plan Yamaska,
nous observons comment interagissent les autorités locales et provinciales. Deux
domaines d' intervention proposés dans le plan touchent plus particulièrement la région
maskoutaine. Il s'agit du contrôle du régime de l' eau, avec par exemple la mise en place
d'un mur de soutènement, et de l'amélioration de la qualité de l'eau de la rivière, avec la
construction d' un égout intercepteur et d'une usine régionale d'épuration des eaux usées.
27
Le troisième et dernier chapitre aborde les usages récréatifs de la rivière et leurs
liens avec la « prise de conscience» du problème environnemental. Il se divise en trois
sections afin de démontrer, dans un premier temps, les différents lieux de loisir sur la
Yamaska qui sont fréquentés par la population de la région maskoutaine. Dans un
second temps, nous nous concentrons sur les clubs de chasse et pêche et leur
mobilisation caractérisée par un effort de lutte à la pollution fluviale. Dans un troisième
temps, nous étudions le cas d'un groupe de pression qui a lui aussi comme objectif de
lutter contre la contamination de la Yamaska. Nous observerons en conclusion les
similitudes et les distinctions entre ces deux mouvements.
CHAPITRE 1
Les usages sanitaires de la rivière: conflits locaux et renversement du rôle de l'État
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les usages sanitaires de la rivière
Yamaska sur le territoire urbain du grand Saint-Hyacinthe sont à l'origine de divers
conflits locaux auxquels l'État prend part. Face à la rivière contaminée, source de
danger, les populations riveraines et les gouvernements se mobilisent pour remédier au
problème sanitaire. Dans ce chapitre, nous nous intéressons au renversement d'autorité
décisionnelle lié aux usages sanitaires de la Yamaska, le pouvoir se transférant du local
au provincial. L'étude des interactions entre ces différents acteurs nous permet
ultimement de mieux comprendre les modalités de prise en charge de la rivière.
D'abord, nous abordons la montée de l' expertise provinciale, interpelée par les
autorités locales afin qu'elle joue un rôle de conciliateur. La double utilisation sanitaire'
de la rivière, comme déversoir d 'eaux usées et comme source d'eau potable, est à
l'origine de désaccords entre les différentes municipalités avoisinantes, ce qui les incite
à faire appel aux instances supérieures pour régler leurs litiges.
1 Le sens de « sanitaire » se réfère à la définition fourni e par le Dictionnaire de français Larousse en ligne: « Relatif à la distribution de l'eau, à l'assainissement urbain, aux installations du bâtiment propres à l' hygiène. »; Larousse, site internet, « Sanitaire », http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sanitaire/70866 [en français], page consultée le 12 décembre 2015.
29
Au tournant des années 1960, le renversement s'amorce lorsque l'État impose sa
vision de ce qu'est et ce que devrait être la rivière, notamment avec la Régie des eaux du
Québec qui contraint les municipalités de la région maskoutaine à traiter de façon
commune leurs eaux usées. À l'instar de la double utilisation de la rivière, cette réalité
entraîne à son tour diverses tensions locales, qui concerne, entre autres, le choix du site
de l'usine d'épuration des eaux usées de la région.
1.1 LES DÉFIS DU RÉSEAU D'EAU MASKOUTAIN LIÉS À LA DOUBLE
UTILISATION DE LA RIVIÈRE ET LA MONTÉ DE L'EXPERTISE
ÉTATIQUE
Le paradoxe de la double utilisation de la rivière est en fait un vestige de la fin du
XIXe siècle. Les motivations financières justifient souvent l' implantation d' un système
d'aqueduc puisque, à l'époque, les municipalités sont rivales face au recrutement de
nouvelles entreprises2. L'implantation d'un réseau d'eau et la présence de
bornes-fontaines en milieu urbain sont attirantes pour ces dernières puisqu'elles
diminuent le prix des primes d'assurance. À Saint-Hyacinthe, une initiative privée est à
l'origine de l'établissement du premier réseau de distribution d'eau potable, qui avait
pour objectifd ' améliorer la lutte aux incendies3.
2 Christopher Armstrong et Henry Vivian Nelles, Monopoly's Moment: The Organization and Regulation onfCanadian Utilities, 1830- 1930, Toronto, University of Toronto Press, 1988,393 p.; cité dans Caroline Garneau, Facteurs environnementaux et réseaux d'eau, Arthabaska et Victoriaville, 1880-1934, mémoire de maîtrise (histoire), Université de Montréal, 2011 : 4-5. J Société d' histoire de Saint-Hyacinthe, Histoire de Saint-Hyacinthe 1748-1998: 93-94; CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO 1, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Joseph . Tétreault et Pierre Soly, Pétition demandant la permission d'ouvrir les rues pour conduire l'eau dans les maisons, 10 mars 1852; « L'historique du système d'aqueduc », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 119, nO 7 (16 juin 1971), p. A8.
30
De son côté, le rejet d'eaux usées à la rivière se veut être une réponse à de
nouvelles préoccupations sanitaires en lien avec des conditions de vie plus difficiles,
comme la maladie et la saleté, occasionnées par une urbanisation et une industrialisation
intensive4. Afin de bien saisir les réalités qui entourent les défis du réseau d' eau
maskoutain au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est primordial de
comprendre d'abord les particularités démographiques et territoriales de la zone urbaine
du grand Saint-Hyacinthe qui inclut les municipalités de Saint-Hyacinthe, Saint-Josephs,
La Providence et Douville.
Plusieurs raisons nous poussent à regrouper ces municipalités et à laisser Sainte-
Rosalie et Saint-Thomas-d'Aquin de côté. La principale est que ces quatre municipalités
fusionnent en 1976 (figure 1). Avant cette date, ces municipalités doivent s'entendre sur
divers projets riverains, notamment sur la question du montant chargé aux municipalités
qui profitent des infrastructures liées à l'aqueduc maskoutain6• Ajoutons à cela le fait
que ces quatre municipalités forment un noyau en bordure de la rivière regroupant les
zones urbanisées les plus anciennes de la région (figure 2)7.
4 Keeling, « Urban waste sinks as a natural resource ... »: 58-70. 5 À noter que Saint-Joseph s'appelait autrefois Saint-Joseph-sur-Yamaska, mais pour éviter la confusion, nous avons choisi de toujours faire référence à cette municipalité/quartier sous le vocable Saint-Joseph. 6 « Le service municipal des eaux a ses problèmes. Une requête de Saint-Thomas-d'Aquin permet d'en mesurer l'ampleur », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 03, na 46 (24 février 1956), p. 1. 7 À l'exception de Douville qui connait une urbanisation plus tardive.
FIGURE 1 Les annexions à Saint-Hyacinthe de 1858 à 1998
Saint-Hyacinthe (184
.A~io 18SS--1927
• Annexions 1947·1956 ~ Annexions 1963~ 19 2
u • .-. -
31
I~
1
Source: Recherches Espaces-Temps tiré de Société d ' histoire régionale de Saint-Hyacinthe, SaintHyacinthe 1748-1998, Sillery, Septentrion, 1998, p. 120.
Alors que nous observons une population vivant majoritairement en milieu
urbain dès 1911 8, le comté de Saint-Hyacinthe s'expose à une accentuation du
phénomène d'urbanisation à l'aube des années 1930, avec 64,9 % de sa population qui
vit en ville dès 1931 9, Par ailleurs, lors de la période considérée par cette étude, la
population de la zone urbaine du grand Saint Hyacinthe augmente de plus du double,
8 En 1901, la population du comté de Saint-Hyacinthe est majoritairement rurale avec Il 162 personnes habitants en milieu rural et 10381 en milieu urbain. À partir de 1911 , il Y a renversement alors que 10404 personnes vivent en milieu rural et Il 938 en milieu urbain ; Bureau de la statistique du Canada, Recensement Canada, v. l , 1931 : 376-377. 9 Soit 16 782 personnes qui vivent en milieu urbain sur un total de 25 854 personnes; Ibid.
32
passant de 15 472 habitants 1 0 en 1931 à 38 246 en 1981". Ces données attestent
l'augmentation du poids démographique sur le réseau d'eau maskoutain.
• 1849-1880
• 1880-1922
, 1922-1950
1950-1997
Llmite. .. '....... muniç.ipe.lo
J.Ctutl1o
FIGURE 2 Urbanisation à Saint-Hyacinthe, 1849-1997
0,.5 J l:m - ,/' /
/ /
Source: Recherches Espaces-Temps tiré de Société d' histoire régionale de Saint-Hyacinthe, SaintHyacinthe 1748-1998, Sillery, Septentrion, 1998, p. 121.
Les autres raisons qui justifient le regroupement de ces quatre municipalités sont
liées avec les infrastructures sanitaires maskoutaines. D'une part, elles partagent, en
totalité ou en partie, le même réseau d 'adduction. Durant les années 1950, l'usine de
10 Soit 13 448 pour Saint-Hyacinthe, 783 pour Saint-Joseph et 1 241 pour La Providence. Nous ne possédons pas de donnée pour Douville en 1931. 1 J À ce moment, les quatre municipal ités sont fusionnées .
33
filtration de Saint-Hyacinthe fournie déjà de l'eau aux municipalités de La Providence,
de Saint-Joseph 12 et, partiellement, de Douville. Il faut attendre 1961 pour que
Saint-Thomas-d'Aquin se rattache au réseau maskoutain 13.
D'autre part, le projet régional d'épuration des eaux usées mis de l'avant par
l'Office de planification et de développement du Québec (OPDQ) et les Service de
protection de l'environnement (SPE) durant les années 1970 et 1980 prévoit dévier
l'ensemble des réseaux d'égout de ces quatre municipalités vers une seule usine
d'épuration (chapitre 2)14. Avant la mise en place de ce projet, ces municipalités utilisent
la rivière Yamaska comme déversoir pour les eaux usées. Près de 50 émissaires d'égout
se déversent alors dans le cours d'eau près de la zone urbaine 15. Cette situation engendre
divers conflits liés à la double utilisation de la rivière comme source d'adduction et
réceptacle des effluents.
12 Avant la fusion en 1976, cette municipalité entreprend la construction de sa propre usine de filtration en 1961 ; « À Saint-Joseph. L'usine de filtration de l'eau », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 108, nO 51 (20 avril 1961), p. 1, 2 et 7. 13 N 'ayant pas de cours d'eau important qui traverse son territoire, la population aquinoise doit puiser son eau et est ainsi souvent au prise avec des pénuries d 'eau, surtout en hiver et en été; « Le service municipal des eaux a ses problèmes ... », Le Courrier de Saint-Hyacinthe (24 février 1956), p. 1; « Saint-Thomas en faveur de l'achat d ' eau », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 09, nO 19 (7 septembre 1961), p. 1. 14 À noter que Sainte-Rosalie sera elle aussi incluse dans le projet d' épuration régionale, malgré le fait qu'elle possède sa propre usine d'épuration des eaux. 15 Ce total inclut les émissaires d' égouts de la municipalité de Douville, qui entame en 1963 la construction d' une usine d 'épuration. Après cette construction, il est plutôt question de 40 émissaires dans la grande région de Saint-Hyacinthe qui se déverse directement à la rivière; Lemieux, Royer, Donaldson, Fields et associés, Étude d'assainissement des eaux usées de la région de St-Hyacinthe , Sherbrooke, Régie des eaux du Québec, 1972, Section 5-5 : Émissaires; « La santé des Maskoutains menacée par la pollution des eaux de la rivière Yamaska. Le ministère de la Santé est saisi du problème », Le Clairon Maskoutain , vol. 44, nO 15 (25 février 1955), p. 1.
34
L'origine de ces conflits remonte à la période de la fin du XIXe siècle aux années
qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Elle est marquée par des campagnes de
propagande sanitaire au Québec. Tout est mis en œuvre pour « populariser le microbe» :
campagnes d'éducation populaire et renforcement des pratiques sanitaires. L'objectif des
hygiénistes est alors de « [ ... ] susciter la crainte de la contagion en insistant sur
l'omniprésence du microbe l6 ».
Ajoutons à cela l'éclosion d'une épidémie de poliomyélite en 1946 qui marque
l'imaginaire de la population québécoise 17. Dans la grande région de Saint-Hyacinthe, le
Dr Marc Bergeron, directeur de l'Unité sanitaire, répertorie 17 cas de poliomyélite l8•
Afin de contrer cette épidémie, le ministre de la Santé, Dr Joseph-Henri-Albiny
Paquette, y va de plusieurs recommandations auprès de la population, comme boire de
l'eau filtrée ou bouillie et ne pas se baigner dans un cours d'eau pollué l9. Le rejet d' eaux
usées d'origine domestique dans la rivière représente ainsi une source de danger pour les
populations qui s'y abreuvent.
C'est dans ce contexte que les autorités maskoutaines se plaignent à deux
reprises du déversement d'eaux usées dans la rivière par des agglomérations urbaines
situées plus en amont. Le premier cas oppose Saint-Hyacinthe à la municipalité de Saint-
16 Denis Goulet et Robert Gagnon, Histoire de la médecine au Québec - /800-2000. De l'art de soigner à la science de guérir, Québec, Septentrion, 2014, p. 356. 17 « La rentrée des classes est fixée au 1 0 septembre, dans les comtés de Saint-Hyacinthe et de Rouville », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 94, nO 26 (30 août 1946), p. 1. 18 « Trois nouveaux cas de paralysie infantile se sont déclarés dans la région de Saint-Hyacinthe », Le Courrier de St-Hyacinthe , vol. 94, no 27 (6 septembre 1946), p. 1; « Quatre nouveaux cas de paralysie infantile dans notre région », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 94, nO 30 (27 septembre 1946), p. 1. 19 « Prévenons la paralysie infantile », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 95 , nO 24 (22 août 1947), p. 2.
35
Damase en 1947, alors que cette dernière prévoit entreprendre la construction d'un
réseau d'égout se déversant dans la rivière. Le conseil maskoutain adopte une résolution
qui a pour but de protester « [ ... ] auprès des autorités compétentes contre ce projet qui
est de nature à polluer des eaux de l'Yamaska, source d'approvisionnement de l'aqueduc
de la ville20 ».
La réponse de l'ingénieur en chef du ministère de la Santé du Québec, Théo. J.
Lafrenière, se veut toutefois rassurante. Selon lui, les installations de l'aqueduc
municipal de Saint-Hyacinthe sont suffisantes pour obvier à la légère augmentation de la
pollution dudit cours d'eau apportée par le projet de Saint-Damase21. L'ingénieur y va
même d'une flèche à l' endroit des autorités maskoutaines en leur spécifiant que le
déversement d'eaux usées provenant de Saint-Hyacinthe créé un problème semblable,
mais beaucoup plus grave considérant la prise d'eau de la municipalité de Massueville,
plus en aval.
Le même genre de conflit survient quelques années plus tard, alors que la
municipalité de Douville, qui n'est pas encore fusionnée avec Saint-Hyacinthe, déverse
une partie de ses eaux usées dans la rivière Yamaska. Dans une lettre adressée aux
autorités maskoutaines, le surintendant de l' usine de filtration, Jean Blanchard, désire
aviser le conseil du danger bactériologique que représentent ces égouts qui se déversent
20 « Au conseil », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 95, nO 12 (23 mai 1947), p. 4. 21 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Théo. 1. Lafrenière, Saint-Damase - Égout - Lettre approuvant un projet d'égout de cette municipalité dans la rivière Yamaska, 2 juin 1947.
36
immédiatement en amont de la prise d'eau municipale. Selon lui, cette pratique affecte le
goût, l'odeur et la couleur de l'eau de la rivière, en plus d'occasionner des dépenses
additionnelles pour le traitement de l'eau pompée22. Cette lettre est par la suite redirigée
vers le ministère de la Santé du Québec23•
De son côté, la compagnie Penman's Limited, propriétaire du barrage situé sur la
rivière Yamaska à la hauteur de Saint-Hyacinthe24, voit également des inconvénients au
déversement d'eaux usées provenant de Douville. Dans une lettre adressée au ministre
de la Santé, le gérant de la compagnie stipule « [ ... ] that it will be impossible for our
company to suffer that solid sewage material be directed under our plant's floor and that
the horrible sten ch released by such a mixture will be intolerable for our workers and for
the population of the city in general25 ». Étant donné qu'une partie de cette eau est
utilisée dans le processus de fabrication de la Penman's, il spécifie qu'en aucun cas elle
doit être polluée.
L'affaire est aussitôt reprise par le Clairon Maskoutain qui qualifie l'eau de la
Yamaska de « sérieuse menace» pour la santé des Maskoutains et de « difficilement
potable26 ». Cependant, Lafrenière y va de la même conclusion qu'en 1947 en stipulant
22 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Jean Blanchard, Égouts de Douville - Lettre de Jean Blanchard surintendant de l'aqueduc, 7 février 1955. 23 « Au Conseil », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 02, na 44 (II février 1955), p. 5. 24 Elle l' utilise afin de produire de l'énergie électrique pour sa manufacture textile. 25 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, M. Covert, Douville - Copie de lettre de protestation de Penman 's Ltd RE pose d'égout dans rivière Yamaska, 5 décembre 1961. 26 « La santé des Maskoutains menacée ... », Le Clairon Maskoutain (25 février 1955), p. 1.
37
dans une lettre adressée aux autorités de Saint-Hyacinthe que l'article du Clairon a alerté
la population inutilement. Il reproche de nouveau aux autorités municipales de causer un
problème semblable en aval, mais de plus grande envergure27 . Selon lui, l'installation et
la bonne opération de l'usine de filtration maskoutaine assurent un approvisionnement
en eau satisfaisant. Il soutient également que depuis 1923 l'eau fournie par l'aqueduc
municipal est soumise à un contrôle quotidien permettant de faire la preuve de sa très
bonne qualité, malgré la pose de quelques conduites d'égouts à Douville28.
Le Courrier de Saint-Hyacinthe ajoute que « [ ... ] l'on semble, en certains
milieux avoir mêlé les cartes en ce qui concerne la qualité de l'eau de la rivière
Yamaska, distribuée pour consommation à la population de Saint-Hyacinthe. Cette eau
est nettoyée et filtrée selon les méthodes les plus modernes et n'offre aucun danger29 ».
À l'époque, le Courrier et le Clairon se confrontent sur divers sujets30. Les allégeances
27 Il rajoute que la distance permet cependant de disséminer et d'épurer les eaux usées; CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Théo. J. Lafrenière, Égouts de Douville - Lettre du ministère de la Santé, 7 mars 1955. Le discours entourant le phénomène d ' autoépuration des rivières est relié à la doctrine de la « capacité d ' assimilation », soit un concept « ... used by engineers to describe the ability of natural waters to absorb, dilute, and disperse urban and industrial wastes »; Keeling, « Urban waste sinks as a natural resource . . . », p. 58. 28 Entre 1945 et 1955, nous avons répertorié dans les archives municipales maskoutaines quatre rapports d' analyse de l' eau de l'usine de filtration effectués par les professionnels du ministère de la Santé. À l' exception d' un rapport datant de 1947 où l' eau était qualifiée de « mauvaise/unsafe » à cause de travaux de raccordement de tuyauterie, tous font mention d ' une eau de qualité « Bonne/Satisfactory » ou d'un « Traitement efficacelTreatment satisfactory »; CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , ministère de la Santé - Division des laboratoires. Laboratoire de chimie et de contrôle sanitaire , Eau - Rapport d'analyse par le ministère de la Santé, 16juillet 1945; 18 août 1947; 16 février 1953; 15 mars 1954. 29 « L'eau distribuée en ville peut être bue sans danger », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 02, na 48 (11 mars 1955), p. 8. 30 Par exemple, en 1945, l' éditorialiste du Courrier, Harry Bernard, critique un article du Clairon qui vente la municipalisation de la pasteurisation du lait, un projet proposé par T.-D. Bouchard, propriétaire du journal libéral le Clairon Maskoutain ; Harry Bernard, « Éditorial. L'homme aux yeux bouchés », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 93 , na 5 (23 mars 1945), p. 3. Le débat le plus prenant entre les deux hebdomadaires reste toutefois celui portant sur l'éducation obligatoire pour les enfants de six à quatorze
38
politiques et religieuses de ces deux hebdomadaires sont à l'origine de ces différends.
D ' un côté, le Courrier est reconnu comme « [ ... ] témoin privilégié d'une presse
cat~olique régionale », en plus d'être « hostile au parti libéral 31 ». Entre 1936 et 1954, le
journal est la propriété d'Ernest-Jo Chartier, un commerçant de bois et d'huile de
chauffage de Saint-Hyacinthe. En 1944, ce dernier devient député de l'Union nationale
dans le comté de Saint-Hyacinthe. De l'autre côté, le Clairon défend les intérêts du parti
libéral. Entre 1912 et 1959, il est la propriété de Télesphore-Damien Bouchard, député
libéral dans Saint-Hyacinthe durant l'entre-deux-guerres et homme d'affaires considéré
comme anticléricaJ32.
Malgré cette querelle journalistique, Lafrenière recommande le déversement des
eaux usées de Douville, soit dans le réseau d'égout de Saint-Hyacinthe, soit vers une
usine d'épuration33 • Toutefois, cette première option est rapidement contestée par les
autorités maskoutaines qui se basent sur un rapport de l'ingénieur de la ville de Saint-
Hyacinthe portant sur la capacité de l'égout collecteur de la rue Sicotte : « [ ... ] cet égout
suffit déjà à peine au drainage du territoire qu'il dessert et qu'il ne saurait être songé d'y
ans. Voir Frank M. Guttman, Le diable de Saint-Hyacinthe. Télesphore-Damien Bouchard, Montréal , Hurtubise, 2013, p. 387. 31 Guy Gaudreau et Micheline Tremblay, « Technique de mise en pages, crise économique et journalisme d'opinion: Le Courrier de Saint-Hyacinthe de 1920-1938 », Scientia Canadensis : Canadian Journal of the History of Science, Technology and Medecine!Scientia Canadensis : revue canadienne d 'histoire des sciences, des techniques et de la médecine, vol. 36, nO 2 (2013) : 39-42. 32 Concernant les différents litiges entre les deux hebdomadaires, voir Guy Gaudreau et Micheline Tremblay, site internet « Les écrits de Harry Bernard. Débat avec le Clairon de T.-D. Bouchard », http://www.harry-bernard.com/journauxthemetdbouchardbernard.html [en français], page consultée le Il janvier 2016. 33 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO 1, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, René Cyr, Égouts de Douville - Lettre du ministère de la Santé, 7 mars 1955.
39
relier le système d'égout de la municipalité Douville, selon la demande adressée au
conseil à ce sujet34 ». Le statu quo persiste donc encore quelques années.
Quoique perplexe face à la véracité de ce dernier rapport35, l'ingénieur hygiéniste
du ministère de la Santé, Rolland Fréchette, ouvre à nouveau la discussion en 1961. Il
recommande le déversement des eaux usées au moyen d'une conduite de refoulement
avec émissaire en aval du barrage de retenue près duquel la municipalité de Saint-
Hyacinthe puise son eau36•
C'est en réponse à cette recommandation que la Penman 's engage une firme
d'ingénieurs-conseils afin de dresser un plan exposant le prolongement du tuyau utilisé
pour le rejet d'eaux usées de Douville à travers la passe migratoire de son barrage. La
firme Côté, Lemieux, Carignan et Bourque propose alors un trajet du tuyau d'égout qui
traverserait la Yamaska du nord au sud, afin d'aller rejoindre la passe migratoire située
près de La Providence, tel que démontré sur la figure 3. Ensuite, le tuyau passerait sous
le pont, pour se déverser plus en aval des rapides dans un bassin d'eau profond. Avant
d'autoriser de tels travaux, la compagnie désire savoir si les plans proposés sont
J4 « Au Conseil », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 07, nO 2 (16 avril 1959), p. 12. 35 Fréchette soutient que d'après le plan dudit collecteur, approuvé en 1943, l'apport des eaux domestiques de Douville aurait été de 2 % de la capacité de pleine charge de la conduite. 36CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DM01 , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Rolland Fréchette, ministre de la Santé - Copie de lettre à la municipalité Douville RE projet de réseaux d'aqueduc et d'égout sanitaire, 7 mars 1961.
40
approuvés par les municipalités, ainsi que par les autorités étatiques responsables en la
matière37•
FIGURE 3 Plan montrant la section de la passe migratoire du barrage de la Pen man 's
traversée par le tuyau d'égout (1962)
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Source: CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyaci nthe, DMO 1, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Lettre RE approbation de plan d'égout de Douville dans rivière Yamaska, 16 janvier 1962.
La municipalité maskoutaine refuse le projet en stipulant que l' endroit projeté
pour le déversement est pratiquement à sec durant l' été, ce qui favoriserait la
37 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO 1, Documents afférents aux procès-verbaux du consei l municipal, M. Covert, Lettre RE approbation de plan d' égout de Douville dans rivière Yamaska, 16 j anvier 1962.
41
prolifération d'odeurs pestilentielles dans ce secteur de la ville38 • Les autres acteurs
interpelés dans ce dossier sont tous d'accord avec le projet. En effet, la municipalité de
Saint-Joseph y voit un avantage, car la prise d'eau de sa nouvelle usine de filtration est
située immédiatement en aval des émissaires de Douville. Ce nouvel itinéraire proposé
permettrait donc d'éviter l'accumulation de « dépôts visqueux» à l'embouchure de sa
prise d'eau39• De son côté, le ministère de la Chasse et des Pêcheries autorise également
ces travaux40, tout comme la division du génie sanitaire du ministère de la Santé41 et la
municipalité de La Providence42.
Malgré tout, la municipalité de Saint-Hyacinthe maintient sa décision et
s'abstient de signer la convention soumise par la Penman 'S43 . Elle a finalement gain de
cause en 1963 puisque la municipalité de Douville procède à la construction d'une usine
d'épuration des eaux44 .
38 « Au Conseil », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 110, nO 33 (13 décembre 1962), p. 2 et 5. 39 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Jean-A. Roy, Douville - Lettres du ministère de la Santé, de la Régie d'épuration des eaux et de l'honorable René Saint-Pierre RE : opposition de la cité à égout dans la rivière Yamaska, 15 janvier 1963 . 40 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Louis Lemieux, Penmans - Lettre demandant signature de convention avec Douville RE : pose d'égout à travers barrage, 15 janvier 1963 . 41 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, L. Fontaine, Douville - Lettres du ministère de la Santé, de la Régie d'épuration des eaux et de l' Honorable René Saint-Pierre RE : opposition de la cité à égout dans la rivière Yamaska, 15 janvier 1963. 42 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Dominique Dupont, Pen mans Limited - Lettre demandant signature de convention avec Douville RE : pose d'égout à travers barrage, 15 janvier 1963 . 43 « Au Conseil », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 110, nO 40 (31 janvier 1963), p. 2 et 5. 44 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Gustave Prévost, Régie d 'épuration des eaux - Copie de lettre à Douville RE : construction d 'usine d'épuration au printemps de 1963, 5 février 1963; « Douville emprunte le montant de 150000 $ », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. III , nO 1 (2 mai 1963), p. 1.
42
À travers les conflits entraînés par la double utilisation de la rivière, le
gouvernement provincial joue donc un rôle externe en ce qui a trait aux usages sanitaires
de la Yamaska lors des années qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Ce sont les
autorités maskoutaines qui interpellent les experts du ministère de la Santé pour régler
leurs conflits les opposant aux municipalités de Saint-Damase et de Douville. Ces
différentes interactions entre les autorités municipales et provinciales nous permettent de
mieux comprendre comment s'opère la prise en charge de la Yamaska. Cette situation va
cependant changer durant les années 1960, notamment avec la création de la Régie
d'épuration des eaux du Québec.
1.2 L'APPRÉHENSION DU PROBLÈME SANITAIRE DE LA POLLUTION ET
LA CENTRALISATION DU POUVOIR DE L'ÉTAT
Lorsque les municipalités sises le long de la rivière utilisent cette dernière à la
fois comme source d'eau potable et comme déversoir pour leurs eaux usées, les usages
sanitaires qu'elles en font engendrent des inquiétudes liées à la contamination du cours
d'eau. Durant les deux décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale, cette double
utilisation sanitaire de la Yamaska entraîne son lot de conflits locaux nécessitant une
intervention étatique. Pour valider ou contrecarrer des actions entreprises localement par
les municipalités de Saint-Damase et de Douville, les autorités maskoutaines
instrumentalisent l'expertise scientifique du ministère de la Santé.
43
Au tournant des années 1960, la prise en charge du problème de pollution passe
des mains du pouvoir local vers le pouvoir national. Désormais, c'est le gouvernement
provincial qui initie les démarches quant aux usages sanitaires de la rivière. En
contrepartie, la municipalité de Saint-Hyacinthe impose ses restrictions et ses
suggestions aux projets gouvernementaux, notamment quant à l'épuration des eaux
usées de la région.
Marqué par la montée de l'expertise gouvernementale et la centralisation des
pouvoirs, ce renversement trouve ses origines dans la création des premiers jalons
législatifs encadrant le problème de pollution à l'échelle provinciale - notamment avec
la création en 1955 de la Loi concernant la pollution des eaux. À travers cette
reconnaissance officielle de l'existence de la pollution des eaux québécoises, la question
du risque pour la santé publique est abordée4s. C'est dans ce contexte que le
gouvernement forme le Comité d'étude de la pollution des eaux qui a comme mandat de
mettre en lumière la nature et les sources de la contamination des eaux du domaine
public.
Selon Paul Earl, député dans l'opposition à la Chambre d'assemblé du Québec, le
travail effectué par les membres de ce comité reste plutôt limité durant les premières
années de sa création. Earl dépose en février 1960 une motion de non-confiance dans
laquelle il demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin de régler
45 Statuts de la province de Québec. 4-5 Élizabeth Il (1956), c II ; cité dans Castonguay et Bernard, « National and local definitions of an environmental nuisance ... », p. 12.
44
« le grave problème de pollution des eaux46 ». À l'aube d'une nouvelle campagne
électorale et à la suite d'une épidémie de poliomyélite qui frappe la province en 1958, le
ministre de la Santé, Arthur Leclerc, remanie le Comité d'étude de la pollution des eaux,
notamment en nommant Gustave Prévost comme premier président47• Depuis 1942,
Prévost est à la tête de l'Office de biologie du Québec, un organe de recherche du
ministère de la Chasse et de la Pêche notamment responsable des études sur la pollution
des rivières.
C'est à la suite de ce remaniement qu'est entreprise une étude gouvernementale
abordant le problème de pollution à l'échelle de la Yamaska48• Les scientifiques du
ministère de la Santé cherchent entre autres à connaître le degré de pollution et le
pouvoir « d'auto-purification» de la rivière Yamaska. Ils désirent éventuellement
déterminer les usages possibles du cours d'eau, en plus de cibler les endroits où la
pollution devrait être corrigée, afin de permettre d'étendre ces usages à une plus grande
portion de la rivière49. La conclusion de l'étude nous apprend que la rivière Yamaska, en
aval de Saint-Hyacinthe, est polluée au point d'occasionner des nuisances.
À ce sujet, rappelons que le gouvernement provincial connaît depuis un certain
temps l'existence de l'importante charge polluante qui est rejetée dans la rivière en aval
46 « À Québec. Les initiatives du gouvernement pour parer partout à la pollution des eaux », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 07, na 45 (25 février 1960), p. 4 et 5. 47 Castonguay et Bernard, op. CÎt., p. 13 ; Hébert, op. CÎt. : 415-421. 48 Soulignons que pendant que l' étude est en cours, le pouvoir passe aux mains des libéraux de Jean Lesage le 22 juin 1960. Le rapport est remis au ministère de la Santé en novembre de la même année. 49 Ministère de la Santé de la Province de Québec, Rapport préliminaire. Rivière Yamaska , p. Il .
45
de Saint-Hyacinthe. · Lors des conflits opposant Saint-Hyacinthe aux municipalités de
Saint-Damase et Douville, l'ingénieur en chef du ministère de la Santé du Québec,
Lafrenière, reproche aux autorités maskoutaines de causer un problème de pollution
beaucoup plus important en aval que ce dont elles se sont plaintes5o.
Outre l'élaboration d'études dont celle abordant les sources de pollution de la
Yamaska, le comité remanié amorce une mission en Ontario afin d'y analyser le
fonctionnement de l'Ontario Water Resources Commission. Cet organisme provincial
est responsable entre autres de la question de la pollution aquatique, surtout d'origine
domestique, et de sa suppression5!. En fait, l'approche du gouvernement québécois sera
grandement inspirée par la commission ontarienne, qui lui fournit un cadre de référence
pour ses efforts de lutte contre la pollution fluviale. En 1961, le gouvernement remplace
le Comité d'étude sur la pollution des eaux par la Régie d'épuration des eaux du
Québec, qui devient en 1964 la Régie des eaux du Québec.
Un renversement relatif à la façon d'aborder le problème de pollution fluviale
s'opère alors. Désormais, c'est le gouvernement provincial qui incite les localités à
entreprendre des projets d'infrastructures sanitaires. Au moment de sa création, le
mandat de la régie est de réguler les travaux d'aqueducs, d'égouts et la construction
50 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO 1, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Théo. 1. Lafrenière, Saint-Damase - Égout ... , 2 juin 1947; Théo. J. Lafrenière, Égouts de Douville .. . , 7 mars 1955. 51 Castonguay explique plus spécifiquement que dans ce cas « ... la commission fait construire pour les municip;;llités des usines d' épuration qu ' elle gère initialement avant d' en céder la responsabilité aux municipalités »; cité dans « Les territoires de la pollution ... » : 91-92.
46
d'usines d'épuration des eaux usées, notamment à l'aide de subventions et d'exigences
d'approbation ou d'inspection52•
En 1962, la régie fait savoir à la municipalité de Saint-Hyacinthe qu'elle devra
éventuellement traiter ses eaux usées, tout en envisageant la construction d'égouts
séparés pour les eaux de surfaces et domestiques. En réponse à cette demande, les
autorités maskoutaines engagent une firme d'ingénieurs-conseils qui a comme mandat
d'élaborer une étude préliminaire relative au traitement des eaux usées53• À travers leurs
nombreux rapports mensuels, les ingénieurs de la firme Alary et Tanguay relatent
diverses particularités du réseau d'égout maskoutain.
Pour ces ingénieurs, la majorité des industries de Saint-Hyacinthe n'incarnent pas
une source importante de pollution pour la Yamaska. Seulement certaines d'entre elles
devront procéder à un traitement partiel de leurs eaux usées avant de les déverser dans
l'égout municipal. « En particulier, l'école de Laiterie, l'école de Médecine Vétérinaire,
la Compagnie Penmans Limitée, la Compagnie Canadian V.S. Knitting et quelques
autres teintureries de moindre importance54. » Le rapport final est déposé en 196455
.
52 James Iain Gow, Histoire de l 'administration publique québécoise, 1867-1970, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal , 1986, p. 176. 53 « Au Conseil », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 110, nO 8 (2 1 juin (962), p. 4 et 14. 54 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Pierre Tanguay, Alary et Tanguay, Ingénieurs-Conseils - Rapport sur études préliminaires du traitement des eaux-vannes pour période entre janvier et juin 1963,25 juillet 1963. 55 C'est ce qu ' il est possible de lire dans Lemieux, Royer, Donaldson, Fields et associés, Étude d'assainissement des eaux usées de la région de St-Hyacinthe, Chapitre 1.2 Rétrospective et 1.3 Mandat. Nous n'avons pas réussi à mettre la main sur le rapport final de la firme Alary et Tanguay.
47
En 1967, la Régie des eaux souligne que cette étude ne tient pas compte de
l'aspect régional du problème de pollution et se restreint aux besoins du seul territoire de
la cité de Saint-Hyacinthe56. Pour remédier à la situation, les différentes municipalités
avoisinant Saint-Hyacinthe, telles que Saint-Joseph, La Providence et Douville,
déterminent qu'il serait profitable à tous de traiter de façon commune les eaux usées de
la région57•
L'année suivante, la Régie des eaux du Québec autorise la firme
d'ingénieurs-conseils Lemieux, Royer, Donaldson, Fields et associés à effectuer l'étude
de l'assainissement des eaux usées de la région de Saint-Hyacinthe. L'étude se termine
en avril 1972. Victor C. Goldbloom, ministre délégué à l'environnement, invite les
autorités des différentes municipalités à en prendre connaissance afin d'émettre leurs
conclusions et commentaires58. Les autorités maskoutaines sont les seules à entreprendre
ces démarches59 . Elles confient la tâche à la firme d'ingénieries Bessette, Crevier,
Parent, Tanguay et associés qui conclut que, s'il n'y a pas de fusion des municipalités, il
faut s'objecter formellement à l'adoption officielle du rapport, notamment parce que le
plan directeur propose la création d'un organisme régional responsable de
56 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Jean D'Amour, Régie des eaux du Québec, Lettre suggérant rencontre des municipalités de StHyacinthe, St-Joseph, La Providence, Douville, Notre-Dame de Saint-Hyacinthe et Saint-Hyacinthe-IeConfesseur pour compléter à l' échelle régionale études entreprises par la cité RE épuration des eaux, 5 juin 1967. 57 Lemieux, Royer, Donaldson, Fields et associés, op. cil., Chapitre 1 : Introduction. 58 « Le ministre Goldbloom nous rend visite », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 120, nO 38 (17 janvier 1973), p. A3; « Le ministre Goldbloom dépose un rapport. Le traitement des eaux usées: projet dépassant 10000000 $ », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 120, nO 39 (24 janvier 1973), p. 1. 59 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Grégoire Girard, Paroisse de Saint-Hyacinthe-Ie-Confesseur - Résolution du 1/4/74 refusant d'appuyer demande de la cité auprès du ministre des Affaires municipales RE fixation du site du futur poste d' épuration des eaux, 16 avril 1974.
48
l'environnement. Selon eux, un tel organisme, s'il devenait nécessaire, ne serait que
source de mécontentement, car il ne satisferait jamais toutes les municipalités
concernées par le projet régional, particulièrement au chapitre de la répartition des
Le conseil municipal maskoutain adopte une résolution dans laquelle il s'oppose
au plan directeur d'assainissement des eaux usées de la région. Les membres du conseil
insistent sur le regroupement préalable des municipalités visées par le plan, dans
l'optique de réduire le coût des travaux prévus61• Les journalistes du Courrier abondent
dans le sens des élus municipaux de Saint-Hyacinthe en spécifiant que « [ ... ] le
regroupement imminent des municipalités autour de Saint-Hyacinthe pèse dans la
balance des décisions, compte tenu du fait que ces genres de projet, d'incidence
régionale, serait d'une planification et d'une élaboration singulièrement simplifiées à
l'intérieur d'une seule municipalitë2 ».
60 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO l, Procès-verbaux du conseil municipal, Bessette, Crev ier, Parent, Tanguay et associés - Épuration des eaux, ministère des Affaires municipales, 16 avril 1973 : 80-81. 6 1 Ibid. 62 Il faut attendre en 1976 pour voir la fusion des quatre municipalités les plus importantes démographiquement de la région, soit Douville, La Providence, Saint-Joseph et Saint-Hyacinthe. Le dernier recensement exposant les données démographiques avant la fusion est celui de 1971. Nous dénombrons alors 24 562 personnes à Saint-Hyacinthe, 4 945 à Saint-Joseph, 4709 à La Providence, 3 267 à Douville et 2210 à Sainte-Rosalie. À ce moment, Sainte-Rosalie préfère rester autonome; « La ville rejette le projet d' épuration des eaux et en avise le ministre Gol[d]bloom », Le Courrier de SaintHyacinthe, vol. 120, nO 51 (18 avril 1973), p. 1; Bureau de la statistique du Canada, Recensement du Canada, 1971; Société d' histoire de Saint-Hyacinthe, Histoire de Saint-Hyacinthe 1748-1998, p. 120; Jean-François Bibeault, Limites à la gestion intégrée de l 'eau au Québec: tension entre l'intégration et la fragmentation du territoire , thèse de doctorat (aménagement), Université de Montréal, 1999, p. 247.
49
En 1974, un désaccord relatif à la question de l'emplacement de l'usine régional
d'épuration se présente. La municipalité de Saint-Hyacinthe-Ie-Confesseur refuse
d'appuyer la demande de Saint-Hyacinthe concernant la protection du territoire
nécessaire à l'établissement du poste d'épuration, tel que proposé par le rapport de
Lemieux, Royer, Donaldson, Fields et associés. Pour les autorités maskoutaines, la
situation problématique découle de l'habitation qui est construite sur l'emplacement du
site numéro 1 privilégié par l'étude, tel que l'indique la figure 4.
En protégeant le territoire, la municipalité de Saint-Hyacinthe-Ie-Confesseur
empêcherait le développement d'un projet domiciliaire qui ferait en sorte que la
construction du poste d'épuration sur le site recommandé serait impossiblé3. Elle
conseille plutôt à Saint-Hyacinthe de trouver l'endroit propice à l'établissement du poste
d'épuration dans les limites de son territoiré4• Le maire de Saint-Hyacinthe explique
aux autorités municipales de Saint-Hyacinthe-Ie-Confesseur qu ' il est important que le
coût de l'opération ne soit pas « [ ... ] majoré par des expropriations dispendieuses qu'il
est encore possible d'éviter [ ... ] 65 ».
63 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO J, Procès-verbaux du conseil municipal , ministère des Affaires municipales - Épuration des eaux - Protection de l' environnement, Bessette, Crevier, Parent Tanguay et associés, 18 mars 1974, p. 68. 64 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO J, Procès-verbaux du conseil municipal, Saint-Hyacinthele-Confesseur - Épuration des eaux, 16 avril 1974, p. 80. 65 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO 1, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Grégoire Girard , Paroisse de Saint-Hyacinthe-Ie-Confesseur ... , 16 avril 1974.
50
FIGURE 4 Sites étudiés pour l'implantation du poste régional de traitement des eaux usées
(1973)
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''''' "Vit VIMY S". N. SHERBROOKE. QUit
REGION de 5T- HYACINTHE
Source: Lemieux, Royer, Donaldson, Fields et associés, Étude d'assainissement des eaux usées de la région de St-Hyacinthe, Sherbrooke, Régie des eaux du Québec, 1973, Chapitre VIII : Variante, 8-5 Sites étudiés pour le poste d'épuration régional.
51
En février 1975, le directeur des SPE, Gilles Jolicoeur, recommande le
déplacement du site de l'usine d'épuration des eaux de l'autre côté de l'autoroute 20, au
sud de la route transcanadienne, sur le site prévu comme deuxième choix dans l'étude
des ingénieurs-conseils Lemieux, Royer, Donaldson, Fields et associés. Il demande
ainsi « [ ... ] à la Cité de Saint-Hyacinthe de se porter acquéreur, dans les plus brefs
délais, d'un terrain de 46 âcres, au site numéro 2 mentionné plus haut, en vue de la
construction éventuelle de l'usine d'épuration des eaux usées [ ... ]66 ». Jolicoeur justifie
ce changement par les modifications apportées au site numéro 1 depuis la rédaction du
rapport. Le site numéro 1 nécessiterait trop d'expropriations, contrairement au site
numéro 2 qui est disponible.
L'implantation d'une usine d'épuration sur ce deuxième site ne nuirait pas à la
vocation industrielle que prévoit la municipalité de Saint-Hyacinthe pour ce secteur.
« Enfin, après consultation avec le service d'urbanisme du ministère des Affaires
Municipales, il appert que [la municipalité de Saint-Hyacinthe] [ ... ] possède déjà trois
parcs industriels d'une superficie totale de 2028,5 âcres, occupés à 13 %67. » Jolicoeur
conclut que les 46 acres consacrées à l' usine d'épuration ne limiteront pas la croissance
industrielle maskoutaine.
66 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO l , Procès-verbaux du conseil municipal, Service de protection de l'environnement - Poste épuration des eaux, 3 février 1975 : 19-20. 67 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Gilles Jolicoeur, Service de Protection de l' environnement - Lettre du Directeur des Services demandant à municipalité d'acquérir 46 âcres de terrain, pour site nO 2, 3 février 1975.
52
Nous pouvons voir sur la figure 5 le plan d'occupation du sol que prévoit la
municipalité maskoutaine pour le Bassin Nord - St-Mauricé8• Le site numéro 2 proposé
pour construire l'usine d'épuration se retrouverait ainsi dans une zone industrielle située
en bordure de l'autoroute 20. Ce plan a été commandé par le conseil municipal
maskoutain à la firme d'ingénieurs-conseils Bessette, Crevier, Parent, Tanguay et
associés lors de la séance du 20 novembre 1972. Il a été reçu le 22 mai 197369.
Cette situation ne fait pas l'affaire des autorités maskoutaines. Elles revendiquent
le fait qu 'il n'appartient pas uniquement à Saint-Hyacinthe de supporter un tel projet de
dimension régionale « [ ... ] auquel manque actuellement une collaboration évidente de
certaines autres municipalités concernées7o ». La Cité de Saint-Hyacinthe s'objecte donc
au choix du site numéro 2 comme emplacement pour la future usine d' épuration
régionale.
68 Nous l'avons modifié pour mieux situer le lecteur. Nous avons ajouté entre autres le lieu du site na 2 prévu pour la future usine régionale d' épuration des eaux. En plus de ce plan exposant l'occupation des sols, la firme d' ingénieurs-conseils a remis aux autorités maskoutaines des plans exposants la projection des réseaux d'aqueduc, d ' égouts pluviaux et sanitaires; CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Jacques R. Tourville, Bessette, Crevier, Parent, Tanguay et associés - Lettre transmettant étude préliminaire RE bassin nord Saint-Maurice, 7 mai 1973. 69 Le 22 mai 1973, le conseil municipal de Saint-Hyacinthe demande à la firme d'ingénieurs-conseils « ... de préparer les plans et les cahiers de charges pour les conduites d'égouts pluviaux et sanitaires, ainsi que sur les conduites d ' aqueduc ... » pour le territoire du Bassin Nord - Saint-Maurice; CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO l, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Jacques R. Tourville, Bessette, Crevier, Parent, Tanguay et associés - Lettre RE étude du bassin Nord Saint Maurice , 2 avril 1973; « Pour les autorités municipales: Un sujet à l' étude : le développement du Bassin Nord - Saint-Maurice », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 121 , na 5 (30 mai 1973), p. 1. 70 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO l , Procès-verbaux du conseil municipal, Service de protection de l'environnement - Poste épuration des eaux, 3 février 1975 : 19-20.
53
FIGURE 5 Plan directeur du Bassin Nord-St-Maurice - Occupation du sol projeté (1973)
Source: CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMOI, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Jacques R. Tourville, Bessette, Crevier, Parent, Tanguay et associés - Lettre transmettant étude préliminaire RE bassin nord Saint-Maurice, 7 mai 1973.
Cependant, les choses changent vers la fin des années 1970, alors que le
gouvernement québécois dépose son projet de loi 90 sur le zonage agricole et la
54
protection des terres agricoles?!. La figure 6 expose le territoire désormais zoné agricole.
Cette mesure limite les plans de développement industriel et résidentiel des autorités
maskoutaines, en plus d'imposer le choix du troisième site pour la future usine
d'épuration. La majorité du développement urbain prévu sur la figure 5, soit le Bassin
Nord - Safnt-Maurice, est ainsi bloqué72.
FIGURE 6 Zonage agricole prévu près de Saint-Hyacinthe par le projet de loi 90 (1979)
/
ZONAGE AGRICOLE Source: CHSH, Fonds Le Courrier de Saint-Hyacinthe , CH380/002/l00, 1979 .
. 7\ Pierre Bornais, « Zonage agricole : La loi est entrée en vigueur au moment même de son dépôt », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 126, nO 29 (15 novembre 1978), p. A2. 72 « Zonage agricole : Des réactions partagées! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 126, nO 30 (22 novembre 1978), p. 1; Alain Rodier, « Zonage agricole. Saint-Hyacinthe connaîtra son sort bientôt », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 127, nO 33 (12 décembre 1979), p. AS.
55
À deux reprises, les autorités municipales de Saint-Hyacinthe se prévalent de la
procédure d'appel auprès de la Commission de protection du territoire agricole du
Québec (CPTAQ) pour « dézoner» le territoire où est situé le site numéro 2 pour la
future usine d'épuration des eaux usées . « Pour le conseil, il est bien évident qu ' il est
trop tard pour faire marche arrière et pour se rabattre sur un autre site, compte tenu des
millions additionnels qui seraient engloutis dans l'opération.73 »
Cependant, les démarches entreprises auprès de la CPT AQ n'ont pas été
efficientes alors qu'au début de l'année 1982, le maire maskoutain, Clément Rhéaume,
avoue que « [ ... ] la Commission semblait privilégier un des deux autres sites étudiés au
début des années 1970, soit le territoire qui s'étend en bordure de la transcanadienne,
près de la polyvalente Hyacinthe-Delorme74 ». S'ensui.t une bataille politique entre le
maire et la CPTAQ, dans laquelle plusieurs organismes publics appuient les efforts de
Rhéaume, dont la municipalité régionale de comté (MRC) des Maskoutains, la
Fédération de l'Union des producteurs agricoles (UPA) de Saint-Hyacinthe, le Conseil
centre Richelieu-Yamaska (CSN), la Corporation des agronomes de la région de Saint-
Hyacinthe et quelques 3 000 contribuables qui ont signé une pétition allant en ce sens75.
73 « Rumeurs de ma ville », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 127, nO 25 (I7 octobre 1979), p. A2; Alain Rodier, « Usine d'épuration . La ville va en appel », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 129, nO 31 (\8 novembre \98\), p. A4. 74 Alain Rodier, « Usine d 'épuration. La bataille s'annonce serrée », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. \29, nO 42 (3 février \982), p. A2. 75 Alain Rodier, « Usine d'épuration . La MRC derrière la ville », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 129, nO 48 (\7 mars 1982), p. A5; Alain Rodier, « Usine d'épuration. Au tour de l'U.P.A. à entrer dans la ronde », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 129, nO 50 (7 avril \982), p. A8; Alain Rodier, « La CSN et la vie municipale. D'accord pour l' usine d 'épuration ... mais on n'oublie pas le reste », Le Courrier deSaint-Hyacinthe,vol. \29, nO 5\ (\4 avril 1982), p. A2; Alain Rodier, «Usine d'épuration. La Corporation des agronomes embarque dans la "croisade" », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 130, n° \
56
Au passage, le maire s'en est même pris au député provincial de la région maskoutaine,
Maurice Dupré, en lui reprochant de ne pas appuyer de façon concrète la ville de Saint-
Hyacinthe dans cette affaire76.
Malgré toutes les démarches du maire Rhéaume, la CPTAQ reste ferme et
soutient, au début de l'année 1982, qu' il n'est pas question de « [ ... ] permettre le
dézonage du site rêvé par la ville, le fameux site numéro 2 situé en bordure de la
transcanadienne, près du chemin Rapide plat sud [ .. . ] la preuve, soit technique, soit
économique, que les deux autres sites antérieurement retenus (site 1 et 3) ne sont plus
appropriés, n'est pas convaincante77 ». Aussitôt ce rejet endossé, le maire de Saint-
Hyacinthe laisse de côté ses différents avec le député Dupré et s'allie plutôt à lui afin de
promouvoir une solution de rechange « [ ... ] qui consisterait à trouver un quatrième site
qui pourrait accommoder toutes les parties78 ».
Au début de l'année 1983, un autre renversement s'opère dans l'affaire entourant
les débats autour du choix du site de l'usine d'épuration. Le maire Rhéaume soutient
alors que le ministre de l'Environnement, Adrien Ouellette, lui aurait affirmé que le
choix du site numéro 2 n'était pas écarté. Ce à quoi le sous-ministre Michel Lamontagne
s'est empressé de répondre par la négative en précisant qu'il faut oublier ce site,
(28 avril 1982), p. A5 ; Alain Rodier, « Usine d ' épuration. On approche le cap des 3 000 signatures », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 129, nO 50 (31 mars 1982), p. A3 . 76 Alain Rodier, « Usine d'épuration. Le maire Rhéaume a son " maudit voyage" », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 130, nO 2 (5 mai 1982), p. A3 . 77 Alain Rodier, « Usine d' épuration. Pas question de révision », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 130, nO 30 (17 novembre 1982), p. A4. 78 Alain Rodier, « Usine d ' épuration. Une solution de rechange? », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 130, nO 31 (24 novembre 1982), p. A2.
57
notamment à cause du refus de la CPT AQ 79. De son côté, malgré qu' il reconnaisse son
erreur, le maire soutient ne jamais avoir été en faveur du site numéro 4so.
Le débat se retrouve à nouveau dans une impasse alors que le site numéro 4 est le
choix du ministère de l'Environnement et de la Société québécoise d'assainissement des
eaux et qu'il « [ ... ] manque toujours le o.k. majoritaire du conseil municipal de Saint-
HyacintheSI ». La stagnation du débat agace le ministre Ouellette, qui y va de quelques
reproches à l'endroit de la municipalité maskoutaine. « Tout en se défendant bien de
s'immiscer dans les plates-bandes municipales, le ministre Ouellette n'en conclut pas
moins que la ville devra" se brancher" au courant de l'été. Sinon, il pourrait bien y
avoir une ordonnance dans l'air. s2 »
Le choix du site numéro 4 est finalement retenu, alors que cinq des neuf
conseillers votent en faveur de ce lieu s3 . C'est donc sur la rue Girouard, immédiatement
au sud de l'autoroute 20 et en bordure de la rivière Yamaska, qu'est construite l'usine
79 Alain Rodier, « Dupré et Ouellette ripostent. Le maire Rhéaume a berné le conseil », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 131 , nO 5 (25 mai 1983), p. A3. 80 Alain Rodier, « Usine d 'épuration. Le maire admet son ., erreur" ... et apostrophe le député », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 131 , nO 6 (1 juin 1983), p. A2. 81 Alain Rodier, « Commentaires. Le bourbier », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 131 , nO 6 (1 juin 1983), p. A4. 82 Alain Rodier, « Usine d'épuration. Saint-Hyacinthe devra" se brancher" cet été », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 131, nO 9 (22 juin 1983), p. A2. 83 Alain Rodier, « Commentaires. Happy End », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 131 , nO 12 (13 juillet 1983), p. A4.
58
régionale d'épuration des eaux usées, près du site numéro 3 (figure 4)84. C'est le 6 juillet
1984 qu'a lieu la première levée de terre des travaux de l'usine d ' épuration85 .
CONCLUSION
En somme, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'État joue
ponctuellement un rôle de consultant et d'expert externe en ce qui a trait aux usages
sanitaires de la rivière Yamaska en milieu urbain. La double utilisation du cours d'eau
comme source d'adduction et réceptacle des effluents est au centre de deux conflits
opposant Saint-Hyacinthe à Saint-Damase, puis à Douville. Dans le premier cas, les
experts gouvernementaux apaisent les inquiétudes des Maskoutains en spécifiant qu'il y
a peu de risques de contamination de leur source d'eau potable. Dans le second cas, ils
proposent diverses solutions aux autorités de Douville afin d'éviter la contamination de
l'eau puisée par Saint-Hyacinthe. Il revient alors aux localités de choisir le moyen utilisé
pour se débarrasser des eaux usées domestiques.
Or, au tournant des années 1960, il y a un renversement du pouvoir décisionnel
qui a trait aux usages sanitaires de la rivière Yamaska. À la suite d'une première étude
du ministère de la Santé démontrant que « l'autopurification » de la Yamaska ne suffit
plus à elle seule pour rendre l'eau propre à la consommation, l'État impose aux
municipalités des interventions liées à ses usages. Par exemple, la Régie des eaux du
84 Claude Beauregard, « L' usine d'épuration. La phase 1 terminée pour février 1985 », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 131 , nO 43 (15 février 1983), p. A5. 85 « Une action symbolique », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, (II juillet 1984), p. A3.
59
Québec soumet son plan directeur d'épuration des eaux usées aux municipalités de la
région maskoutaine.
Cette centralisation du pouvoir entraîne son lot de tensions, comme l' a démontré
le choix du site de l'usine d'épuration des eaux usées de la région. La régie impose donc
aux municipalités sa vision de ce qu'est la rivière et comment la lutte à sa pollution doit
s'opérer. Cependant, les conflits entre les municipalités de la région maskoutaine, ainsi
que le désaccord qui oppose le maire Rhéaume aux autorités provinciales, entraînent des
retards dans l'échéancier des travaux prévus pour la construction d'une usine
d'épuration des eaux usées. Au final, tous ces rapports entre gouvernements municipal et
provincial que soulèvent les usages sanitaires de la Yamaska nous permettent de mieux
comprendre les modalités de prise en charge du cours d'eau.
Dans le chapitre suivant, nous verrons que ce renversement décisionnel
s'accompagne d'un changement du mode d'appréhension de la rivière, envisagée
d'abord à l'échelle locale, puis à l'échelle de son bassin versant. En filigrane, le
problème de pollution aquatique, jusqu'alors essentiellement abordé par les acteurs
locaux et nationaux sous l'angle sanitaire, sera également pris en compte en fonction de
ses sources industrielles et agricoles, notamment dans la conception du plan
d'aménagement des eaux du bassin de la Yamaska produit par l'OPDQ au début des
années 1970.
CHAPITRE 2
Les usages économiques de la rivière: un changement d'échelle du mode d'appréhension de la Yamaska et les limites à l'imposition d'une logique
technocratique d'aménagement intégré
Durant les deux premières décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale, les
interventions reliées aux usages sanitaires de la Yamaska ne sont pas coordonnées, mais
suivent plutôt une logique individuelle, propre aux besoins et aux ressources de chacune
des municipalités de la région maskoutaine. Cette situation entraîne plusieurs
controverses locales qui nécessitent l' intervention du gouvernement provincial.
La seconde moitié des années 1960 est marquée par la montée de
l' interventionnisme du gouvernement provincial et par la centralisation de l'expertise
attenant à la gestion de l' eau et de la rivière. Désormais, c' est le gouvernement
provincial qui , par l' entremise de ses différents organismes, dont la Régie des eaux du
Québec et l' OPDQ, cherche à coordonner la gestion des usages de la rivière Yamaska.
De même, tandis que les rapports de force entre les centres décisionnels se modifient
lors des débats entourant les usages sanitaires de la rivière (voir chapitre 1), nous
assistons à un changement d'échelles dans les modes d'appréhension de la Yamaska.
L'élaboration du Projet d 'aménagement des eaux du bassin versant de la Yamaska (plan
Yamaska) au début des années 1970 représente un moment charnière dans ce processus
de centralisation des pouvoirs et dans ce changement d'échelles.
61
L'émergence du plan Yamaska est concomitante à une montée de l'expertise
gouvernementale. Les propositions d'aménagement urbain des eaux du bassin présentées
dans le plan ont pour objectif de favoriser l'essor économique des municipalités sises le
long de la rivière. D'ailleurs, la prégnance du phénomène urbain dans le plan est à
l'origine de divergences d'opinions entre les paliers gouvernementaux, provincial et
municipal, notamment en ce qui a trait à l'implication des municipalités rurales dans le
processus d'épuration des eaux de la Yamaska.
La réalisation du plan est grandement compromise par les oppositions locales. À
l'instar de la résistance du maire Rhéaume et par un retour de balancier, la municipalité
de Saint-Hyacinthe reprend une partie de son pouvoir décisionnel en offrant une
résistance à l'imposition provinciale du projet d'aménagement de la Yamaska. Ainsi, les
interactions entre les paliers provincial et municipal du pouvoir rendent possible une
meilleure compréhension des modalités entourant la prise en charge de la rivière.
La section 2.1 de ce chapitre porte sur l'élaboration du plan et ses visées
théoriques, qui entraîne concourrament une perte de pouvoir décisionnel pour les
autorités locales. Les sections 2.2 et 2.3 concernent les tentatives de mise en place des
interventions prévues dans le plan. Dans ces deux dernières sections, nous aborderons
deux des quatre objectifs du plan Yamaska : celui de contrôle du régime des cours d' eau
du bassin et celui d' amélioration de la qualité de l' eau de la rivière Yamaska.
· 62
Soulignons que nous avons déjà abordé dans le premier chapitre les débats
entourant l' emplacement de l' usine régionale d ' épuration des eaux usées. À l' intérieur
de la Section 2.3 , il sera question des débats entourant la question du financement des
infrastructures d ' épuration. La confrontation ici a lieu entre la municipalité maskoutaine
et le gouvernement, contrairement au chapitre précédant où les débats opposaient les
municipalités voisines quant aux choix du site de l' usine et où le gouvernement
intervenait de façon externe en imposant ses choix.
Nous avons choisi ces deux objectifs, car ils concernent plus précisément la
grande région maskoutaine. Ils nous permettent de porter une attention plus particulière
aux confrontations et aux points de litiges survenus entre les gouvernements local et
provincial quant aux usages économiques de la rivière Yamaska.
Nous avons choisi de ne pas aborder l' objectif lié à la régulation des eaux du
bassin à l' aide de barrages-réservoirs situés plus en amont sur le bassin, parce qu ' il n' est
pas ou peu débattu par les différents acteurs maskoutains. Bien que la municipalité de
Saint-Hyacinthe puisse y voir des bénéfices par la diminution des crues, il reste qu ' elle
n' est pas impliquée directement dans le processus de construction de ces infrastructures.
Nous tenons malgré tout à souligner qu 'un seul des trois barrages-réservoirs prévus dans
le plan fut construit, soit le barrage Choinière situé en amont de Granby. Une
surévaluation de la demande en eau et une sous-évaluation des coûts de construction
63
mettent un frein aux autres projets 1. Également, nous avons choisi de ne pas aborder
l' objectif associé aux infrastructures d' aqueduc, puisque les débats relatifs à l' aqueduc
sont davantage reliés aux usages sanitaires de la rivière, plutôt qu ' à ses usages
économiques.
Dans le cadre du présent chapitre, nous nous référons à la thèse de Jean-François
Bibeault pour bien cerner le contexte gouvernemental entourant l'émergence et
l'application du plan Yamaska, déposé par l'OPDQ en 19722• Notre travail se distingue
toutefois du sien dans la mesure où nous abordons la rivière Yamaska dans sa relation
avec la ville de Saint-Hyacinthe, contrairement à Bibeault qui se concentre sur le rapport
entre l'État provincial et le bassin de la rivière, dans une perspective de gestion intégrée
de l'eau.
2.1 LA MONTÉE DE L'EXPERTISE ET LA CENTRALISATION DU POUVOIR
GOUVERNEMENTAL: LE PLAN YAMASKA ET L'ÉCHELLE D'UN BASSIN
Durant la seconde moitié des années 1960 et le début des années 1970, l'État
québécois est en pleine transformation. Outre les secteurs de l' éducation, de la santé et
des affaires sociales qui sont institutionnalisés sous l' égide d 'un État-providence, les
questions relatives aux « inégalités régionales du développement économique » sont
prises en charge de façon systématique par les autorités provinciales3. En 1965, c'est à la
1 Bibeault, Limites à la gestion intégrée ... : 197-200. 2 Ibid., 352 p. 3 Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard , Histoire du Québec contemporain, Tome 2, Le Québec depuis 1930, Montréal, Boréal, 1989 : 421-423, 523-527 et 529-532.
64
lumière de ces nouvelles considérations économiques que le ministère de l' Industrie et
du Commerce découpe le territoire du Québec en dix régions administratives, faisant de
Saint-Hyacinthe et du bassin de la rivière Yamaska des éléments constitutifs de la
grande région de Montréal. C'est dans cette foulée d'actions concernant le
développement économique des régions que le gouvernement provincial créé l'OPDQ
en 1968.
Cette période est marquée par une réforme complète de l'État, caractérisée par
une augmentation du nombre et de la qualité du personnel de l'administration:
La technocratisation de l'appareil de l'État s ' accompagne d' une volonté de rendre plus « scientifique » et systématiques ses interventions. Pour ce faire, on s'appuie sur la recherche et la planification. Toute intervention majeure est désormais précédée d' une enquête approfondie sur les problèmes à résoudre, les besoins de la population et les diverses solutions qui peuvent être envisagées4
.
Cette particularité étatique se transporte jusque dans la prise en charge de la Yamaska
par le gouvernement provincial, d' une part, à travers la montée de son expertise et de sa
volonté centralisatrice liée au pouvoir décisionnel et, d' autre part, avec un changement
d'échelle dans le mode d'appréhension de la rivière. Ces deux réalités s' amalgament
dans le plan Yamaska que nous allons d' abord mettre en contexte.
La montée de l'expertise dans le gouvernement provincial se manifeste par un
nombre important d'études portant sur divers aspects de la Yamaska. Outre l' étude
4 Ibid., p. 694.
65
préliminaire du ministère de la Santé abordée au chapitre précédent5, la Régie des eaux
du Québec dépose en 1968 un rapport abordant l'état de contamination de la rivière. Le
Rapport sur la qualité des eaux de la rivière Yamaska a comme objectifs de dégager les
causes et de souligner les effets de la pollution des eaux de la Yamaska. Les auteurs
portent une attention particulière aux sources domestiques et industrielles de pollution.
À l'aide de stations d'échantillonnage disposées en amont et en aval de Saint-Hyacinthe,
le rapport met de l'avant que l'effet des égouts se fait sentir jusqu'à Saint-Barnabé-Sud à
près de 10 kilomètres en aval6• À terme, il est établi que la municipalité devrait traiter
ses eaux usées.
En parallèle avec cette étude sur la contamination fluviale, le ministère du
Tourisme, de la Chasse et de la Pêche (MTCP) dépose une multitude d'études entre
1963 et 1965 faisant l'inventaire ichtyologique des poissons de la rivière Yamaska7•
Selon ces études, la pollution domestique et industrielle est à l'origine d'une variation
dans la composition de la population des poissons recensés en amont et en aval de la
5 Ministère de la Santé de la Province de Québec, Rapport préliminaire. Rivière Yamaska, 8 novembre 1960. 6 Voir la figure 9 pour situer ladite municipalité; Régie des eaux du Québec, Rapport sur la qualité des eaux de la rivière Yamaska, ministère des Affaires municipales, 1968, p. 3. 7 Nous avons recensé dans les Annales de l 'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (Acfas) plusieurs conférences effectuées par Jean-René Mongeau et Albert Courtemanche, du Service d'aménagement de la faune, district de Montréal , dans le MTCP, portant sur la faune aquatique de la rivière Yamaska. Elles concernent surtout le territoire situé en aval et en amont de Saint-Hyacinthe; « Zonage d'un cours d' eau pour fins d' étude systématique », vol. 30 (1964), p. 67; « Inventaire ichtyologique d'un secteur de la rivière Yamaska, Saint-Hyacinthe, et d ' un secteur de la rivière Noire, Saint-Pie-de-Bagot », vol. 30 (1964), p. 67; « Redécouverte après 21 ans d' une espèce de poisson endémique de la région de Montréal, la carpe de France ou carpe cuivre, Moxostoma Hubbsi », vol. 30 (1964), p. 68; « Inventaire ichthyologique de la rivière Noire, Comté de Bagot, P.Q. », vol. 31 (1965), p. 48; « Inventaire ichthyologique de la rivière Yamaska en aval de St-Hyacinthe », vol. 32 (1966), p. 70; « La valeur d' indice de la composition des populations de poissons en relation avec la nature et l' intensité de la pollution de l'eau », vol. 32 (1966), p. 71.
66
zone urbaine maskoutaine. Le but général de ces analyses scientifiques est de connaître
la ressource ichthyique pour ainsi l'exploiter rationnellement dans le futur8.
En 1967, le ministère des Richesses naturelles (MRN) dépose une étude
entreprise par la Shawinigan Engineering Company et portant sur les possibilités
d'aménagement des ressources hydriques de la rivière Yamaska supérieure :
Le but de l'étude est d'établir quels sont les problèmes les plus urgents et d'en indiquer les solutions possibles en les intégrant dans la perspective du développement économique et démographique du bassin. [ ... ] [L]e plan d'aménagement sera une indication pour les possibilités économiques de la région et pour éviter la construction d'ouvrages qui autrement pourraient gêner le développement prévu des ressources en eau9
.
La figure 7 montre le territoire couvert par le bassin de cette section du cours d'eau et les
principales municipalités abordées par l'étude.
Selon l'étude, les mesures les plus urgentes à entreprendre sur cette section de la
rivière concernent la pénurie d'eau à Granby. Pour régler le problème, il est
recommandé de construire un barrage-réservoir en amont de la ville. Cette installation
servirait à régulariser le débit de la Yamaska Nord. La figure 8 montre la projection de
l'étendue du réservoir d'eau que provoquerait la construction dudit barrage. Cependant,
les auteurs soulignent que le potentiel hydroélectrique de cette section de la rivière n'est
8 Nous nous référons à la thèse de Bibeault dans laquelle il fait mention de deux études de Jean-René Mongeau, effectuées sous la direction de la faune de Montréal et du MTCP; Inventaire des poissons de la rivière Yamaska, 1963 ; Inventaire ichtyologique des poissons de la rivière Yamaska en amont et en aval du Saint-Hyacinthe , 1965; cité dans Bibeault, op. cil. : 151-152. 9 The Shawinigan Engineering Co Ltd., Étude de l'aménagement des ressources hydriques, de la rivière Yamaska supérieure, Rapport 3584-1-67, vol. l , ministère des Ri chesses naturelles, 1967.
67
pas suffisamment intéressant pour entreprendre des travaux à cet effet 10. Outre ce
barrage-réservoir 1 1 , ils recommandent la construction d'usines d'épuration des eaux
usées pour les villes importantes de cette section du bassin, dont Granby et Waterloo,
afin d'améliorer la qualité de l'eau brute de la rivière affectée par le rejet d'eaux usées l2 .
FIGURE 7 Bassin de la Yamaska supérieure (1967)
. , . -'r.::r----------
Source: The Shawinigan Engineering Co Ltd., Étude de l'aménagement des ressources hydriques, de la rivière Yamaska supérieure, Rapport 3584-1-67, vol. l , ministère des Richesses naturelles, 1967.
Une autre recommandation de l'étude concerne la création d'une commission des
ressources en eau du bassin comprenant toutes les juridictions intéressées par
l'aménagement du cours d'eau. Une telle commission permettrait la mise au point d'un
10 Ibid. , p. 5-5 . Il À noter que les auteurs de l'étude recommandent également la création de réservoir à la hauteur du lac Brome et de la municipalité de Cowansville. 12 The Shawinigan Engineering Co. Ltd. , op. cit., p. 2-5.
68
plan final d'amémigement. Parallèlement à la création de cette commission, l'étude du
MRN propose d'élargir l'aménagement à l'ensemble du bassin:
Étant donné que les communautés situées en aval sur la rivière pourraient aussi bénéficier des aménagements dans le bassin de la rivière Yamaska Supérieure, à cause de la régularisation des débits et de l'amélioration de la qualité de l'eau, on recommande d'élargir la participation et la juridiction de la commission à l'ensemble du bassin de la rivière Yamaska 13
•
FIGURE 8 Réservoir Granby Est (1967)
Source: The Shawinigan Engineering Co Ud., Étude de l 'aménagement des ressources hydriques, de la rivière Yamaska supérieur, Rapport 3584-1-67, vol. l, ministère des Richesses naturelles, 1967.
2.1.1 Le plan Yamaska l4
C'est en 1972 que l'OPDQ dépose le plan Yamaska. Il découle de l'arrêté du
conseil des ministres du Québec du 3 juillet 1968 qui déclare le bassin de la Yamaska
13 Ibid. , p. 2-8. 14 Rappelons que dans le présent chapitre nous nous référons à la thèse de Jean-François Bibeault, afin de bien saisir le contexte gouvernemental entourant l'émergence et l'application du plan Yamaska.
69
« zone spéciale d'aménagement des eaux ». Cet arrêté autorise la création d'une mission
interministérielle qui a pour mandat de « [ ... ] préparer le plan d' aménagement des eaux
du bassin de la Yamaska pour intégrer les besoins de régularisation du régime, de
protection des berges, d'activités récréatives, de drainage des terres, de captage et de
purification de l'eau ainsi que de traitement des eaux usées, domestiques et
industrielles l5 ».
Afin de déterminer la manière dont le contrôle de la ressource eau doit s'opérer,
le plan Yamaska cerne les structures socio-économiques du bassin. En réduisant les
problèmes liés à la rareté relative de l' eau, le plan a pour finalité l'accroissement de
l' économie du bassin et la modernisation des services d' eau pour aider au bon
fonctionnement des divers secteurs structurant cette même économie l6. Le plan
Yamaska cherche à fournir une formule « [ ... ] de type universaliste que l'on pourrait
généraliser à l'ensemble des bassins québécois, la rivière Yamaska n'est qu'un cas-type à
partir duquel on peut tester la gestion rationnelle de l'eau afin de l'exporter partout au
Québec l 7 ».
2.1.2 Une logique d'aménagement urbain du bassin
Selon Bibeault, les éléments du plan Yamaska s ' inscrivent dans une logique
d'aménagement urbain du bassin qui se décline en quatre niveaux de lecture. Le premier
15 OPDQ, Proj et d 'aménagement des eaux du bassin versant de la Yamaska, Rapport de la Mission technique de la Yamaska, 1972, p. VI. 16 8ibeault, op . cil. : 104-111. 17 Ib id., p. 92.
70
niveau est lié au rapport de dépendance qu'entretient le bassin Yamaska avec Montréal.
La réalité métropolitaine se surimpose aux limites hydrographiques. « Selon cette
lecture, le lieu d ' aménagement qu ' est le bassin Yamaska n' est pas un lieu autonome en
plein contrôle de son développement et nécessite en fait une intervention centralisée à un
niveau supérieur de gestion, cela même si les principaux centres urbains du bassin sont
des entités dynamiques 18 ».
La domination des villes sur l' espace rural au sein du bassin constitue le second
niveau de lecture. Selon les auteurs du plan Yamaska, elles constituent le lieu privilégié
de la croissance régionale, tant industrielle que démographique. Cette domination des
villes se manifeste jusque dans la production agricole qui est étroitement liée au marché
montréalais et à ses banlieues.
Le troisième niveau de lecture du plan porte sur la dynamique entre espace de
travail et espace de loisir. La volonté d'améliorer l' eau du bassin a pour objectif
d'assurer une offre de qualité aux villégiateurs de la région urbaine montréalaise qui
cherchent des lieux rapprochés pour pratiquer des activités nautiques et de pêche
sportive.
Le quatrième et dernier niveau de lecture est d'ordre plus technique, alors que la
gestion des eaux interpelle essentiellement le milieu urbain, notamment lorsqu ' il « [ ... ]
18/bid. : 111-112.
71
est question de régularisation aux fins d'alimentation, de protection des propriétés
riveraines ou de récréation [ ... ]1 9 ».
2.1.3 Les objectifs du plan Yamaska face à la réalité maskoutaine
À travers trois domaines d'intervention - la régulation, la protection et la
restauration du cours d'eau - les auteurs du plan Yamaska ciblent quatre objectifs
principaux pour aménager adéquatement le bassin de la Yamaska20 .
Le premier objectif concerne les travaux de régularisation du débit. Selon le plan,
les écarts importants de débit de la rivière, allant de conditions sévères d'étiage aux
inondations, nuisent aux activités industrielles, agricoles et touristiques. Comme le
suggère l'étude de la Shawinigan Engineering, les auteurs du plan Yamaska proposent la
construction de trois barrages-réservoirs situées sur les sections Yamaska-Nord,
Yamaska-Sud-Est et sur la rivière Noire, respectivement situées en amont de Granby, de
Cowansville et de Valcourt21• La figure 9 expose le réseau hydrographique du bassin de
la Yamaska. À noter que ces trois municipalités sont situées sur les sections les plus en
amont du bassin.
19 Les ouvrages de régularisation servent avant tout aux villes. À Saint-Hyacinthe, le plan Yamaska prévoit la construction d'un mur de soutènement contre les inondations. À Granby, il est question de construire un barrage en amont pour régulariser le débit de la rivière, utilisée comme source d' eau potable; Ibid. : 115-116. 20 OPDQ, op. cil. : 222-250. 21 Gérald H. Jones, Plan d'aménagement des eaux du bassin versant de la Yamaska - Révision 1978, OPDQ Uuin 1978), p. 121 ; Bibeault, op. cil., p. 195.
FIGURE 9 Réseau hydrographique du bassin de la rivière Yamaska (1972)
:' j ,
i_(Io.,~JIII'fnr_ ~. ___ _ _ • _ _ ""'-.IIaf. ......... __ . __ ........... .
Bossin ~.'SQnt d. 10 YAMASKA
le réseau hydrographique
72
c.. ..... ,
Source: OPDQ, Projet d 'aménagement des eaux du bassin versant de la Yamaska, Rapport de la Mission technique de la Yamaska, 1972, p. 10.
73
Dans sa thèse, Bibeault explique comment le plan Yamaska vise à régulariser les
eaux du bassin à l' aide de telles infrastructures, en plus d ' utiliser les barrages déjà
existant:
Sur le plan fonctionnel , la logique de régularisation s' appuie sur un réseau de barrages-réservoirs aptes à gérer les volumes et les niveaux d 'eau selon un plan d' allocation de l'eau à l' échelle du bassin. Son opération[n]alisation s'appuie particulièrement sur une gestion en cascades des flux de rivières. Cette gestion du stockage et de la vidange des eaux est alors opérée à l' inverse des flux saisonniers. On emmagasine l' eau provenant des précipitations de l' automne et du printemps, d' où la réduction des inondations potentielles, et on libère (vidange) cette eau lors des périodes d'étiages sévères, en particulier l' été lorsque la demande en eau est élevée. Le but est donc d' uniformiser le flux de la rivière afin de l'ajuster au mode de consommation des riverains et au mode de production des industries en place22
•
Pour le MRN qui s'occupe de l'élaboration de cette section du plan, la régularisation de
l' eau du bassin constitue le moyen central du développement économique du territoire.
Le second objectif ciblé par les auteurs du plan Yamaska concerne les
équipements de distribution de l' eau d'alimentation. Selon eux, il importe de concevoir
des schémas de distribution de l' eau qui tiennent compte des problèmes particuliers du
territoire23 . Pour la région de Saint-Hyacinthe, les auteurs s' inspirent d ' une étude
préparée par la Régie des eaux du Québec qui propose la mise en place d'un réseau
d'aqueduc régional.
Le troisième objectif concerne le contrôle du régime des cours d'eau du bassin,
qui s 'opère à travers trois domaines d ' intervention, soit la protection des zones
22 Bibeault, op. cil ., p. 194. 23 OPDQ, op. cil. : 296-298.
74
inondables, le reboisement des berges et le drainage du territoire agricole. Pour la région
de Saint-Hyacinthe, le plan prévoit la construction d'un mur de soutènement le long de
son centre-ville, une zone fréquemment inondée. Cette partie basse de la ville, située en
bordure de la Yamaska, subit des inondations répétées, principalement au printemps lors
de la débâcle, mais aussi lors de longues et intenses périodes de précipitations.
Dans le cadre de nos recherches, nous avons recensé des inondations en 1945,
1946, 1956 et 196024• La figure 10 illustre une inondation qui se produit au centre-ville
en 1927. Sans être invariablement des inondations d'une aussi grande intensité, il reste
que les citoyens demeurent toujours aux aguets. Chaque printemps, les journalistes du
Courrier de Saint-Hyacinthe font part de leurs inquiétudes face à la débâcle qui s'en
vient25• Dans ces conditions, les auteurs du plan spécifient que les effets des
barrages-réservoirs prévus en amont s'ajouteraient à ceux du mur de soutènement en
laminant les crues et en réduisant le débit de la Yamaska et la hauteur de l'eau à
Saint-Hyacinthe26.
24 « Une débâcle hâtive sur la rivière », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 93 , na 5 (23 mars 1945), p. 1; « Le bas de la ville a été menacé d' inondation, pendant deux jours », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 94, na 3 (\ 5 mars 1946), p. 1; « L'inondation menace à Saint-Hyacinthe. L'eau de la rivière envahit le bas de la ville, puis se retire », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 04, na 1 (\ 3 avril 1956), p. 1; « Le danger d' inondation a menacé la ville de Saint-Hyacinthe, lundi et mardi ». Le Courrier de SaintHyacinthe, vol. 107, na 50 (7 avril 1960), p. 1. 25 Par exemple: « Les inondations nous ont épargné jusqu'à ce jour », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 96, na 3 (26 mars 1948), p. 1; « Débâcle terminée sur la rivière Yamaska », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 00, na 1 (\ 1 avril 1952), p. 1; « L'eau monte et s'en va », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 110, na 50 (\ 1 avril 1963), p. l , 3, 9 et 10. 26 OPDQ, op. cU., p. 329.
75
FIGURE 10 Inondation du centre-ville de Saint-Hyacinthe en novembre 1927
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nt " .,,~ ...... .,.
Source : CHSH, Fonds Hélène Nichols, CH393/000/000/002, novembre 1927.
Outre un mur de soutènement, le plan prévoit pour la région maskoutaine le
reboisement en aval et en amont des berges de la Yamaska qui sont touchées par
l' érosion (figure Il). Quant à la question du drainage, le plan reste vague en spécifiant
que la région plane du bassin, où se retrouve Saint-Hyacinthe, est celle où les travaux de
drainage sont les plus nécessaires à cause des cultures industrielles comme celle du
maïs-grain27•
27 Ibid. : 163-168.
FIGURE 11 Zones d'érosion et proposition de reboisement du bassin de la Yamaska (1972)
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Eku,.n Y'UaN d. 10 YAMASKA
Zones d'érosion et propositions de reboisement
- . ' ....
76
Source: OPDQ, Projet d 'aménagement des eaux du bassin versant de la Yamaska, Rapport de la Mission technique de 1 a Yamaska, 1972, p. 33 1.
77
Le quatrième objectif porte sur la qualité de l' eau du bassin Yamaska. Les
auteurs du plan Yamaska proposent d'abord de protéger les portions de la rivière où
l'eau n'est pas encore altérée par une source de pollution quelconque. Puis, afin
d' amél iorer la qualité de l'eau, ils recommandent la construction de 51 postes
d'épuration d' eaux usées municipales sur l'ensemble du bassin, dont un d'ampleur
régional qui regrouperait Saint-Hyacinthe, Douville, Saint-Joseph et La Providence28 .
À l'aide de ces interventions, les auteurs cherchent à atteindre certains niveaux
de qualité de l'eau pour les différentes régions du bassin versant. Pour Saint-Hyacinthe,
l'étude prévoit que les interventions permettront d' atteindre un niveau de qualité
suffisant pour la pratique d'activités récréatives, comme la pêche sportive et la
navigation de plaisance, ainsi que l'approvisionnement en eau brute (figure 12). À noter
que pour atteindre ces niveaux de qualité, le plan Yamaska propose essentiellement des
solutions qui s'appliquent en milieu urbain au détriment d'interventions en milieu rural.
Bibeault soutient que le plan Yamaska est un outil de gestion de l'eau orienté
vers le développement économique. Le plan compose « [ ... ] un nouveau mode
d'intervention ensembliste sur le territoire avec, pour double finalité, la croissance
économique à l' intérieur d'un territoire lié à l'économie montréalaise, et la
modernisation des services d'eau en appui aux divers secteurs qui structurent l'économie
du bassin29 ».
28 Ibid., p. 306. 29 8 ibeault, op. cil., p. III.
FIGURE 12 Objectif proposé de la qualité de l'eau du bassin de la Yamaska (1972)
Bouin _.ont d. 10 YAMASKA
Objec t if propO$é de 'a qualité de J'eau des cour~ d 'eau
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78
Source : OPDQ, Projet d 'aménagement des eaux du bassin versant de la Yamaska, Rapport de la Mission technique de 1 a Yamaska, 1972, p. 236.
79
Le changement de paliers de prise de décisions relatives aux usages de la rivière
se traduit donc par une modification des représentations du cours d'eau. Les acteurs ne
considèrent plus seulement le point de passage de la rivière dans la ville. Désormais, ils
prennent compte du bassin dans son ensemble. Le gouvernement provincial cherche à le
gérer de façon intégrale et c ' est cette emprise de l'État qui détermine dorénavant les
interrelations entre Saint-Hyacinthe et sa rivière.
Ce changement d 'échelle s 'observe dans les objectifs du plan Yamaska.
L' échelle d'appréhension gouvernementale de la rivière va au-delà de son bassin
versant. Elle s ' étend aux relations économiques de toutes ses municipalités, orientées
vers Montréal. Le plan Yamaska confirme ainsi , outre ce changement d'échelle, la
montée de l' expertise gouvernementale et sa volonté centralisatrice du pouvoir
décisionnel. Dans ce contexte, il confirme l' importance économique de Saint-Hyacinthe,
puisque la ville est considérée comme un des principaux centres urbains du bassin, avec
Granby et Sorel30.
2.2 LE CONTRÔLE DU RÉGIME DE L'EAU
Le plan Yamaska propose de diviser l' objectif lié aux aménagements de contrôle
du régime des cours d 'eau du bassin en trois domaines d ' intervention: la protection des
zones inondables (mur de soutènement), le reboisement des berges et le drainage du
territoire agricole.
30 OPDQ, op. cil., p. 31 .
80
2.2.1 Le mur de soutènement
Deux années après le dépôt du plan Yamaska, des discussions concernant les
travaux de construction d'un mur de soutènement le long du centre-ville maskoutain
sont entamées. En avril 1974, Bernard Harvey, directeur de l'aménagement pour la
direction générale des eaux du Québec, fait savoir au maire de Saint-Hyacinthe,
Grégoire Girard, que le MRN octroie un contrat à la firme Pluram pour la réalisation
d'une étude de cadrage du projet de lutte contre les inondations dans la zone affectée de
la municipalité maskoutaine. Harvey précise que « [l]e mandat de cette firme consiste à
définir les meilleures conditions d'intégration du projet dans le contexte urbain31 ».
Le mois précédent, des inondations touchent Saint-Hyacinthe, Sainte-Rosalie et
Saint-Hugues. Selon le maire de l'époque, ces inondations remettent à l'ordre du jour
« [ ... ] le projet de construction d'un mur de protection contre les inondations32 ». Cette
année-là, plusieurs rivières du Québec sortent de leur lit et endommagent les
installations de municipalités riveraines. Cette situation incite le Conseil des ministres à
décréter, en juin 1974, un programme d'aide financière à travers la province pour
dédommager les riverains frappés par les crues des eaux33.
31 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMOI , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Bernard Harvey, ministère des Richesses naturelles - Lettre de la direction générale des eaux informant la cité que le ministère a octroyé un contrat à Pluram pour une étude de projet de lutte contre les inondations dans zone de Saint-Hyacinthe - Remerciements du maire, 6 mai 1974. 32 Grégoire Girard, « Le mur de protection contre les inondations (2) », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 156, na 1 (30 avril 2008). 33 « Aide-financière-inondation '74 : Trois municipalités sont inscrites à ce programme », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 122, na 9 (26 juin 1974), p. 1.
81
Pour bien saisir l'importance qu'a le mur de soutènement pour Saint-Hyacinthe,
précisons que, depuis la fin des années 1960, les autorités municipales cherchent à
entreprendre la rénovation du quartier Christ-Roi, la partie basse de la ville située le long
de la rivière Yamaska. Le projet Christ-Roi a pour objectif d'enlever ou de rénover les
habitations en mauvais états, endommagées notamment par les inondations périodiques.
Afin que le projet puisse être entamé, les autorités soutiennent qu'il est nécessaire de
construire d'abord le mur de soutènement pour protéger le quartier contre les
inondations34•
Dans une lettre datant du 6 juin 1974, le maire Girard fait savoir au MRN que le
conseil municipal est favorable à la construction d'un mur et autres ouvrages nécessaires
à la protection du centre-ville. Il mentionne également qu'à cette fin « [ ... ] la Cité de
Saint-Hyacinthe est disposée à se porter acquéreur des terrains nécessaires afin d'assurer
l' accès à la rive pour la réalisation de l'ensemble des travaux35 ».
Le 18 juin 1974, la firme Pluram remet aux autorités maskoutaines l'étude de
Cadrage urbain - protection contre les inondations - Saint-Hyacinthe dans laquelle le
territoire affecté par les inondations est décrit:
Le secteur situé au pied du talus dont le sommet correspond à la rue Girouard comprend le secteur commercial traditionnel de la ville (le Marché, la rue des Cascades) et la paroisse du Christ-Roi [ ... ] Il s'étend du Pont Barsalou, à
34 Anne-Sophie Robert, « Le projet Christ-Roi (1) », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 153 , nO 48 (22 mai 2006), p. 14. 35 Hôtel de Ville de Saint-Hyacinthe, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Aménagement Rivière Yamaska Pluram Inc., Voûte B/000947, nO 0003553, Lettre de Grégoire Girard, maire de Saint-Hyacinthe, destinée à M. lA. Boucher, directeur général des eaux du MRN, 6 juin 1974.
82
proximité du barrage de la Penman's, jusqu'aux environs de la rue Pratte, correspondant à près de 6600 pieds de rive le long de la rivière36
.
La figure 13 expose la zone en question. Afin de protéger les bâtiments sur ce territoire,
l'étude propose quelques solutions qui visent à contrer les risques d'inondation:
l'édification d'un mur de soutènement, la construction d'une digue ou d'un canal de
dérivation et le creusage du lit de la rivière.
La première solution est celle retenue par les auteurs, notamment parce qu'elle
est la moins coûteuse. Le mur de soutènement répond aussi à un autre objectif de
l'étude. Il permet d'intégrer la rivière dans la vie du quartier et de la ville en améliorant
la perception des abords du cours d'eau. Il est alors question de mettre l'accent sur
l'utilisation polyvalente de l'infrastructure, notamment quant aux usages récréatifs37 •
Afin d'atteindre les objectifs définis par l'étude, il y est stipulé que la
construction du mur doit être faite en prenant en considération les diverses
caractéristiques des sections urbaines qu'il longe. Pour ce faire, le mur est divisé en six
sections se rattachant aux différentes réalités urbaines, comme la présence d'industries,
de zones résidentielles ou de parcs urbains. Malgré ces réalités environnementales
variées, les usages récréatifs sont présents sur l'ensemble du mur grâce à l'installation
d'une promenade pour piétons et d'une piste cyclable.
36 Hôtel de Ville de Saint-Hyacinthe, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Aménagement Rivière Yamaska Pluram Inc., VoOte 8 /000947, nO 0003553 , Cadrage urbain - Protection contre les inondations - St-Hyacinthe, MRN, 1974, p. 1. 3? Ibid. : 16-20.
83
FIGURE 13 Zone d'inondation sur le territoire de Saint-Hyacinthe (1974)
~. ,.... .. ~-1 .....--- -
.1 -- - -- -~
li
Source: Hôtel de Ville de Saint-Hyacinthe, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Aménagement Rivière Yamaska Pluram rnc., Voûte 8 /000947, nO 0003553, Cadrage urbain Protection contre les inondations - St-Hyacinthe, ministère des Richesses naturelles, 1974, p. 2.
Pour élaborer l'étude, les auteurs s'inspirent d'autres villes, comme Saint-Louis
et Détroit, où les travaux d'aménagement des rives en milieu urbain sont faits dans une
perspective d'amélioration de la qualité de vie et où l'accent est mis sur les valeurs
esthétique et récréative de l'eau. Les auteurs spécifient que « [d]ans tous ces cas, on a
84
tenté de récupérer certains espaces en bordure de l'eau ("waterfront") et de les intégrer
dans une nouvelle restructuration des milieux environnants38 ».
Rappelons qu'au départ le plan Yamaska prévoyait uniquement la construction
du mur, sans qu'il n'y ait d'autre fonction. Cependant, le comité d'orientation de la
Yamaska accepte l'augmentation des coûts relatifs aux éléments ajoutés par la firme
Pluram, puisque le projet « [ ... ] pourra servir d'incitation à la rénovation urbaine dans ce
secteur vétuste de la ville [ ... ]39 ». Le budget pour la réalisation du projet passe alors de
625 000 $ à 1 200000 $40. Lors d'une réunion subséquente, les représentants du MRN,
de l'OPDQ et de la municipalité maskoutaine entérinent plusieurs décisions. D'abord, il
est résolu que tous les expropriations nécessaires à la réalisation du mur soient à la
charge de Saint-Hyacinthe. Également, le MRN s'engage à réaliser en entier le mur à
même les fonds rendus disponibles par l'OPDQ. Finalement, il est convenu qu'après la
réalisation des travaux, la ville deviendra propriétaire du mur et devra en faire l'entretien
ordinaire41 •
38 ibid., p. 10. 39 Hôtel de Ville de Saint-Hyacinthe, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Aménagement Rivière Yamaska Pluram Inc., Voûte 8 /000947, nO 0003553 , Compte rendu d' une réunion du comité d'orientation de la Yamaska, 26juin 1974. 40 Hôtel de Ville de Saint-Hyacinthe, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Aménagement Rivière Yamaska Pluram Inc., Voûte 8 /000947, nO 0003553, Lettre de 8ernard Harvey, directeur de l' aménagement au MRN, destinée à Louise Houde, secrétaire des réunions du comité d'orientation de la Yamaska et représentante de l'OPDQ, 1 J juillet J 974. 41 Hôtel de Ville de Saint-Hyacinthe, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Aménagement Rivière Yamaska Pluram Inc., Voûte 8 /000947, nO 0003553, Compte rendu d' une réunion entre les autorités municipales maskoutaines et les représentants du MRN et de l ' OPDQ, 10 juillet J 974.
85
En août 1974, les représentants des municipalités et du gouvernement provincial
annoncent le début des travaux de construction du mur42. Alors que le projet est rendu
public, le maire de Saint-Hyacinthe fait savoir au MRN sa satisfaction quant au bon
fonctionnement de la mise en branle des travaux du mur. Girard souligne entre autres la
collaboration des officiers du ministère et des représentants de l'OPDQ, ce qui, selon lui,
montre « [ ... ] une grande compétence et un souci de mettre en œuvre un ouvrage de
classe qui fera la fierté non seulement de la population maskoutaine, mais aussi des
autorités gouvernementales43 ». La mise en branle des travaux de construction du mur de
soutènement permet aussi à la municipalité maskoutaine d'entreprendre le chantier du
réaménagement du quartier Christ-Roi qui est depuis longtemps envisagé. Dès la fin de
l'année 1974, Je gouvernement annonce une attribution de deux millions de dollars à la
ville de Saint-Hyacinthe pour qu'elle réalise une partie du projet Christ-Roi44.
Alors que l'officialisation de la fin des travaux reliés aux infrastructures de
protection contre les inondations doit attendre 1979, notamment en ce qui a trait au
transfert de la propriété du mur du MRN à la ville de Saint-Hyacinthé5, le conseil
municipal engage la firme d'architectes-paysagistes Parent, Latreille et associés pour la
42 « Plan Yamaska : 3 à 4 millions $ », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 122, nO 15 (7 août 1974), p. 1 et A2. 43 Hôtel de Ville de Saint-Hyacinthe, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Aménagement Rivière Yamaska Pluram Inc. , Voûte B/000947, nO 0003553 , Lettre de Grégoire Girard, maire de Saint-Hyacinthe, destinée à Jean-Gilles Massé, ministre des Richesses naturelles, 8 août 1974. 44 « Projet Christ-Roi : ça débloque enfin ! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 122, nO 27 (30 octobre 1974), p. 1. 4S CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Bernard Harvey, Mur de protection - Désignation de signataires de convention entre Ville et Ministère des Richesses Naturelles, 5 mars 1979; « Photographie - Promenade le long de la Yamaska », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 127, nO 3 (16 mai 1979), p. 1.
86
préparation d'un plan d'aménagement du terrain de jeux Christ-Roi (parc Christ-Roi)
dès novembre 197746•
Le 28 juillet de l'année suivante, la firme d'architectes-paysagistes présente son
rapport Analyse et Proposition - parc Christ-Roi, Ville de St-Hyacinthe aux membres du
conseil municipal47. Il y est question d'incorporer les installations récréatives du mur de
soutènement au parc afin que la promenade et que la piste cyclable en deviennent un
complément. Il y est spécifié que la proximité avec la rivière Yamaska doit être utilisée à
bon escient, puisqu'elle constitue un des plus importants potentiels du parc48. La figure
14 expose une esquisse et les objectifs d'une des sections du parc Christ-Roi . La volonté
de donner un accès visuel à la rivière s'y manifeste, en plus de l'incorporation des
éléments récréatifs du mur de soutènement existant.
La mise en chantier du mur de soutènement se déroule sans trop rencontrer
d'obstacles. Ces interactions entre les gouvernements municipal et provincial, tous deux
interpellés par le problème d'inondation du centre-ville, nous aident à mieux
comprendre les modalités de prise en charge de la rivière. L'intérêt commun que suscite
la construction du mur facilite le bon fonctionnement des travaux. Or, selon le rapport de
46 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMOI , Procès-verbaux du conseil municipal , Résolution 77-451 , PAQ Christ-Roi, phase l - Engagement d'architectes-paysagistes pour préparation de plan d'aménagement d'extension de terrain de jeux et aménagement des berges de la rivière, 7 novembre 1977, p. 251. 47 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO l, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Anne-Marie Parent, Parent, Latreille et associé - Lettre transmettant le rapport « Analyse et Propositions » plus annexe de plans RE réaménagement du parc Christ-Roi, 6 novembre 1978. 48 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO 1, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Parent, Latreille et associé, Analyse et propositions. Parc Christ-Roi, Ville de St-Hyacinthe, juillet 1978, p. 15 et 33.
87
Gérald H. Jones portant sur l'évaluation du plan Yamaska, cette particularité relève de
l'exception. Il Y soutient que le « [ ... ] bilan de réalisation du plan est très mincé9 ».
FIGURE 14 Plan d'une section du Parc Christ-Roi (1978)
OBJECTIfS
• Procurer un accès visuel a la rivière • Permettre des actlvit~s extensives au
niveau de la promenade • Regrouper les L'qulpements de Jeu • faciliter la surveillance du terrain de
Jeu . • Aménager une aire de jeu stimulante,
Source: CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DM01, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Parent, Latreille et associé, Analyse et propositions. Parc Christ-Roi, Ville de StHyacinthe, juillet 1978, p. 48.
2.2.2 Paradoxe entre reboisement des berges et intensification de la production
agricole (drainage)
Le territoire de la grande région de Saint-Hyacinthe porte clairement l'empreinte
de l'agriculture. Cet aspect interpelle les auteurs du plan Yamaska, notamment en ce qui
a trait à l'érosion des berges causée par l'intensification de l' agriculture (figure Il). Afin
49 Outre le mur de soutènement à Saint-Hyacinthe, il y a eu comme ouvrages majeurs la construction du barrage Choinière en amont de Granby, l'aération du lac Waterloo, l'enlèvement de deux îles flottantes sur le lac Roxton et le drainage du territoire agricole; Jones, Plan d'aménagement des eaux ... : 3-9.
88
d'enrayer ce problème, ils proposent de reboiser les berges de la rivière affectées par la
présence de culture intensive.
Dans le cadre du plan Yamaska, c'est le ministère des Terres et Forêts (MTF) qui est
en charge du reboisement. Selon Bibeault, le MTF « [ ... ] estime préférable que le
gouvernement prenne entièrement à sa charge le reboisement des zones désignées plutôt
que de fournir une compensation au nombre de plants mis en terre par les propriétaires
privés50 ». Ainsi , le MTF vise une approche directive plutôt qu'une pratique de la
négociation de gré à gré avec les exploitants individuels. Toujours selon Bibeault, cette
visée indispose les agriculteurs et le ministère de l'Agriculture et de la Colonisation
(MAC) pour qui « [ ... ] le reboisement recèle une tentative d'empiètement sur l' espace
agricole. Non seulement le reboisement contredit la perspective du défrichement de la
terre, mais encore il inflige une perte rentière à l'agriculture51 ». Bibeault ajoute que le
reboisement des berges contraint l' expansion des cultures en limitant l'accès à l'eau de
la rivière pour le bétail et en s'opposant aux pratiques courantes que veulent maintenir
les agriculteurs. Face à ces difficultés, le MTF réoriente son action « [ ... ] vers les terres
de la partie haute du bassin alors qu'il dispose d'une plus grande marge de manœuvre
sur ce territoire52 ».
Dans son rapport d'évaluation et de révision du plan Yamaska, Jones précise qu ' une
visite sur les lieux de reboisement des rives permet « [ ... ] de constater que l'objectif de
50 Bibeault, Limites à la gestion intégrée ... : 294-295. 51 /bid. 52 /bid.
89
reboisement des rives, soit d'éviter l'érosion des dites rives par un ruissellement
excessif, n'est pas du tout rencontré [ ... ]53 ». Il spécifie que le changement d'approche
relatif au reboisement des berges, qui implique la nécessité d'inciter les propriétaires à
faire des demandes de négociation d'ententes concernant la protection et l'utilisation du
territoire, joue pour beaucoup dans cet échec. « L'absence de demandes faites par les
propriétaires des terres agricoles de la plaine de Montréal est donc compréhensible, si on
considère la pratique agricole et les présents critères de rentabilité de la production
agricole, c'est-à-dire, l'évacuation rapide de l'eau par drainage et la superficie maximale
possible en récolte54. » Ce premier critère de rentabilité est en fait celui qui s'impose à la
logique du plan Y amaska.
Selon Bibeault: « Le plan Yamaska soulève dès le départ l'enjeu de la
production agricole comme facteur structurant de l'économie du bassin. Dans cette
perspective, l'irrigation et le drainage des terres sont présentés comme deux modalités
de gestion de l'eau devant être prises en compte au sein de la planification
d'ensemble55 ». Les années qui suivent le dépôt du plan Yamaska sont marquées par la
détermination du MAC à présenter le drainage des terres comme étant le principal enjeu
à considérer. Cette réalité entraîne cependant des tensions au sein des différents
ministères quant à l'aménagement de la rivière.
53 Jones, op. cil., p. 126 54 Ibid. 55 Bibeault explique que le drainage a pour fonction « ... d'éliminer l'excès d'eau du sol afin de hâter le réchauffement des sols au printemps et d'accélérer ainsi la croissance des plantes »; op. cil. : 271-275.
90
Dès le dépôt du plan Yamaska, les experts se doutaient des effets négatifs d' une
intensification du drainage des terres agricoles sur le débit du cours d ' eau, comme une
accentuation des crues et de la sévérité des étiages56. Toutefois, le MAC fait tout en son
pouvoir pour éviter l' élaboration d' études abordant les effets néfastes de l' augmentation
du drainage sur la qualité des eaux du bassin de la Yamaska, même si ces études sont
demandées par le MRN, l'OPDQ et les SPE, qui succèdent en partie à la Régie des eaux
du Québec57. Cette réalité s'immisce dans les débats opposants Saint-Hyacinthe aux
représentants du gouvernement provincial, notamment au sujet de la faible participation
des localités rurales à l'épuration des eaux de la Yamaska.
2.3 L'AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DE L'EAU
À la lumière de ce qui précède, le gouvernement du Québec fait de la pollution
d'origine domestique sa principale préoccupation liée aux sources de contamination de
la Yamaska. Entre autres en raison de la double fonction sanitaire attribuée à la rivière -
source d'eau potable et réceptacle d' eaux usées municipales - les auteurs du plan
Yamaska voient dans l' atténuation de ce type de pollution un moyen de favoriser le bon
fonctionnement économique de la région du bassin de la Yamaska :
Actuellement, la Yamaska sert d' égout à ciel ouvert pour la plupart des riverains. C 'est une situation qui ne peut durer: l'on sait que l'introduction naturelle ou artificielle de substances étrangères entraîne un changement généralement nuisible de la qualité de l' eau en vue de son usage [ ... ] La qualité actuelle de l' eau dans le bassin compromet sérieusement l' utilisation actuelle et éventuelle des nappes hydrographiques à des fins d'alimentation, d ' industrialisation et de récréation58
.
56 OPDQ, Proj et d 'aménagement des eaux ... , p. 166. 57 Bibeau1t, op. cil. : 280-284. 58 OPDQ, op . cil., p. 86.
91
Les solutions d'aménagement concernent principalement les zones urbaines du
bassin. Pour la région de Saint-Hyacinthe, il est proposé de construire une usine
régionale d'épuration des eaux usées. Nous avons vu plus haut que l'imposition, par les
autorités gouvernementales, du choix du site de la future usine régionale d'épuration des
eaux usées occasionne des tensions entre le gouvernement provincial et les municipalités
incluses dans le projet. La situation se répète, mais cette fois-ci au sujet du financement
du projet d'épuration imposé par les SPE aux municipalités de la région maskoutaine.
2.3.1 L'épuration des eaux usées de la région maskoutaine
À l'instar des démarches entreprises pour la construction du mur de soutènement
à Saint-Hyacinthe, l'édification des infrastructures servant à l'épuration des eaux usées
de la région commencent seulement en août 1974, deux années après le dépôt du plan
Yamaska. Le conseil municipal maskoutain retient alors les services de la firme
d'ingénieurs-conseils Barré, Pellerin, Lemoine, Toutant et associés pour qu'elle exécute
les travaux préliminaires et prépare une estimation du coût de construction d'un égout
intercepteur situé entre le pont Barsalou, reliant le centre-ville de Saint-Hyacinthe et
La Providence, et l'avenue Pratte59 .
Contrairement à la construction du mur de soutènement, des difficultés retardent
grandement la construction de l'égout intercepteur. En fait, les autorités
gouvernementales envisagent au départ d'entreprendre les deu~ chantiers simultanément
59 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMOI, Procès-verbaux du conseil municipal, Voirie -Intercepteur d'égouts - Rivière Yamaska, offres de services, 6 août 1974, p. 134.
92
puisque l'intercepteur doit suivre en partie le talus de la Yamaska où s'élève le mur de
soutènement6o• Toutefois, la mise en opération des travaux de traitement des eaux usées
se voit retardée. Outre le conflit qui a trait au choix du site de l'usine d'épuration, les
autorités en charge du projet modifient la trajectoire prévue de l'égout collecteur, qui
sera désormais construit « en suivant le lit de la rivière» plutôt que son talus61•
À l'échelle locale, un autre élément ralentit le processus d' épuration des eaux
usées. Il Y a mésentente entre les municipalités de Saint-Hyacinthe et Sainte-Rosalie
concernant le déversement des égouts de cette dernière dans le Bassin Nord -
Saint-Maurice, qui bassin sera éventuellement rattachée à l'égout intercepteur régional.
En novembre 1972, le territoire couvert par ce bassin (figure 5) fait l'objet d'une étude
commandée par le conseil municipal de Saint-Hyacinthe à la firme d' ingénieurs-conseils
Bessette, Crevier, Parent, Tanguay et associés. En mars 1973, Jacques R. Tourville,
ingénieur de la firme, explique aux autorités maskoutaines que le retard dans les délais
prévus pour le dépôt de l'étude est dû au fait que la municipalité de Sainte-Rosalie tarde
à leur fournir des informations portant sur les quantités d'eau qui seront déversées dans
le collecteur du bassin et les élévations auxquelles ces déversements s' effectueront en
provenance des égouts de Sainte-Rosalie62.
60 Lemieux, Royer, Donaldson, Fields et associés, Étude d'assainissement ... , chapitre 9: Collecteurs et intercepteur proposés. 61 « Un nouveau projet : Un égout collecteur régional de 16 millions $ en chantier dans la rivière dès avril? », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 122, nO 32 (II décembre 1974), p. 1 et A2. 62 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Jacques R. Tourville, 2 avril 1973.
93
En avril 1973, la firme d'ingénieurs-conseils Lemieux, Royer, Donaldson, Fields
et associés fait parvenir à Tourville les informations nécessaires aux calculs servant à
finaliser les plans des collecteurs du Bassin Nord - Saint-Maurice, sans toutefois que le
conseil de Sainte-Rosalie les entérine par une résolution63. Le mois suivant, une étude
préliminaire est déposée et approuvée par le conseil maskoutain64. Il est possible
d'observer sur la figure 15 le plan du réseau d'égouts sanitaires projeté pour le territoire
du bassin.
Malgré le dépôt de cette première étude, les deux municipalités doivent
s'entendre sur le raccordement de leurs égouts respectifs65. Tout en poursuivant ses
pressions auprès de Saint-Rosalie pour qu'elle fournisse les données souhaitées, la firme
d'ingénieurs-conseils Bessette, Crevier, Parent, Tanguay et associés demande à Gilles
Jolicoeur, directeur général des SPE « [ ... ] d'étudier la possibilité d'appliquer pour ce
projet l'alinéa 1 du paragraphe 35 de la loi 34 sanctionnée le 21 décembre 1972 et aussi
d'approuver en principe le projet [ ... ] pour les égouts sanitaire et pluvial66 ». Cet article
de loi se lit ainsi :
Lorsque le ministre, après enquête faite de sa propre initiative ou à la demande d'un intéressé, estime que des services d'aqueduc, d'égout ou de traitement des eaux devraient être en commun, par suite de nécessité ou d'avantage, entre deux
63 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Clément Bessette, Bessette, Crevier, Parent, Tanguay et associés - Lettre informant la cité du déroulement des négociations avec Sainte-Rosalie RE contribution au coOt de construction des égouts du bassin nord Saint-Maurice et copie de lettre [datant du 14 mai 1974] adressée par ces ingénieurs à Me Nichols et au Service de protection de l'environnement relativement à ce sujet, 4 juin 1973 . 64 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMOI , Procès-verbaux du conseil municipal , Bessette, Crevier, Parent, Tanguay et associés - Égouts, aqueduc, 7 mai 1973, p. 94. 65 « Pour les autorités ... », Le Courrier de Saint-Hyacinthe (30 mai 1973), p. 1. 66 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO 1, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Clément Bessette, 4 juin 1973 .
94
ou plusieurs municipalités distinctes, il peut prescrire les mesures nécessaires. Il peut en particulier ordonner [ ... ] que l'exécution, l'entretien et l'exploitation des ouvrages soient faits en commun par toutes les municipalités intéressées ou en tout ou en partie par une seule municipalité [ ... ] Dans tous ces cas, le ministre peut établir le coût et la répartition du coût des ouvrages et des frais d'entretien et d'exploitation et le mode de paiement ou fixer l'indemnité, périodique ou non, payable pour l'usage des ouvrages ou pour le service fourni par une municipalitë 7
•
FIGURE 15 Plan directeur du Bassin Nord - Saint-Maurice - Réseau d'égout sanitaire (1973)
1
,< 1 ,
1 . , , 1.
Source: CHSH, Fonds Vill e de Saint-Hyacinthe, DMOI , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil mun icipal, Jacques R. Tourvill e, Bessette, Crevier, Parent, Tanguay et associés - Lettre transmettant étude préliminaire RE bassin nord Saint-Mauri ce, 7 mai 1973.
67 Légis Québec, site internet « Loi sur la qualité de l'environnement », http:// legisguebec.gouv.gc.calfr/ShowDoc/cs/O-2 [en français], page consultée le Il j anvier 201 6.
95
Entre temps, en juin 1973, le conseil municipal de Sainte-Rosalie entérine les
informations fournies par la firme Lemieux, Royer, Donaldson, Fields et associés
concernant le débit et l'élévation des égouts sanitaires. Cependant, la résolution adoptée
précise que le conseil:
[ ... ] ne reconnaît pas le principe de participation de chacune des municipalités au coût de construction des collecteurs selon une base proportionnelle aux débits apportés par chacune des municipalités dans chacun des tronçons des collecteurs, tels que montrés aux plans des ingénieurs Bessette, Crevier, Parent, Tanguay et associés; Elle préconise la méthode de répartition des coûts selon les coûts supplémentaires encourus par St-Hyacinthe pour desservir Ste-Rosalie en plus des installations normalement requises pour desservir son propre territoiré8
.
C'est alors que la firme d'ingénieurs-conseils Bessette, Crevier, Parent, Tanguay
et associés prend en charge les négociations avec Sainte-Rosalie quant au financement
du projet de déversement de ses eaux usées dans le Bassin Nord - Saint-Maurice. Après
plus d'un an, la firme fait savoir aux autorités maskoutaines que le maire de
Sainte-Rosalie « [ .. . ] n'est pas sur le point de participer à ce projet et que les
négociations risquent fort de retarder la réalisation du projet69 ». Elle propose d'entamer
immédiatement les travaux en considérant l'apport éventuel des eaux usées de
Sainte-Rosalie. Devant un échec des négociations, Saint-Hyacinthe pourra toujours
demander aux autorités provinciales d'appliquer les procédures normales de répartition
des coûts.
68 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Jean Girard, Village de Ste-Rosalie - Résolution concernant le déversement d'égouts dans les collecteurs de la cité, 18 juin 1973. 69 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMOI , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Raymond Crevier, Bessette, Crevier, Parent, Tanguay et associés - Lettre du 18 octobre 1974 faisant état des études préliminaires du réseau d' égouts du Bassin Nord Saint-Maurice et des négociations entreprises avec Ste-Rosalie, 4 novembre 1974.
96
En juin 1975, le ministre des Affaires municipales et de l'Environnement, Victor
C. Goldbloom, suggère au maire de Saint-Hyacinthe, Grégoire Girard, de demander à
son conseiller juridique d'adresser au service du contentieux des SPE une requête
demandant que la répartition des coûts des travaux soit effectuée conformément aux
modalités prévues à la Loi de la qualité de l'environnement. Il précise ensuite que dès
qu'un « [ ... ] enquêteur aura été désigné pour compléter l'étude du dossier, les parties
seront entendues en séance publique, de sorte que chacune des deux municipalités aura
l'occasion de faire valoir son point de vue70 ».
Il faut attendre avril 1979 pour que les deux municipalités s'entendent.
Sainte-Rosalie accepte au final de payer 10 % des coûts reliés à la construction d'une
station de pompage et de divers tuyaux d'égout71• Cette situation met en lumière que la
question financière est au centre des tensions reliées à la gestion des eaux usées.
Au même moment où Saint-Hyacinthe cherche à trouver un terrain d'entente
avec sa municipalité voisine, elle est elle-même confrontée au fardeau fiscal que
représente la construction de l'égout intercepteur régional imposé par le gouvernement
provincial. Le conseil municipal maskoutain considère que « [ ... ] la participation
70 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO l , Documents afférents aux proces-verbaux du conseil municipal, Victor C. Goldbloom, Service de protection de l' environnement - Lettre de l' honorable ministre, datée du 16 juin 1975, relativement au partage des coOts des travaux entre la Cité et Ste-Rosalie, approuvés par les Services de protection de l'environnement le 18 avril 1975, 14 juillet 1975. 7 \ Soulignons que l'entente est rapidement signée par les deux municipalités, mais il faut attendre au 24 août de la même année pour que le gouvernement ratifie officiellement l'entente; Alain Rodier, « Assainissement de la Yamaska. Québec versera sa part », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 126, nO 49 (4 avril 1979), p. 1; Alain Rodier, « La Yamaska rendue aux citoyens d' ici 1981 ? », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 127, nO 18 (29 août 1979), p. 1.
97
financière de la Ville de Saint-Hyacinthe au coût de construction de cet intercepteur
paraît hors de proportion [ ... r2 » pour ses contribuables. Il adopte donc une résolution
demandant au « [ ... ] ministre des Affaires municipales et de l'Environnement du
Québec d'augmenter son assistance financière jusqu'à une proportion de 90 % du coût
de construction de cet intercepteur sanitaire [ ... r3 ».
Les SPE répliquent avec une ordonnance enjoignant les corporations municipales
de la région de Saint-Hyacinthe à veiller sans délai à la réalisation du premier tronçon de
l' intercepteur sanitaire régional74. En mai 1976, le conseil municipal maskoutain
interjette appel de cette ordonnance auprès de la Commission municipale du Québec75.
La réponse n ' est toutefois pas favorable à la municipalité, soulignant qu ' elle ne peut pas
accueillir l'appel « [ ... ] pour le motif que l'appelante prétend n'avoir pas la capacité
financière d'exécuter les travaux ordonnés. C'est à un tout autre stade que la
Commission municipale sera appelée à se pencher sur cet aspect du problème76 ».
72 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO 1, Procès-verbaux du conseil municipal , ministères des Affaires municipales et de l'Environnement - Résolution 76-21 - Requête à l'Honorable ministre des Affaires municipales et de l'Environnement - Intercepteur sanitaire régional , 12 janvier 1976, p. 28. 73 Ibid. 74 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMOI , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Gilles Jolicoeur, Intercepteur Sanitaire régional , a) Résolution contestant ordonnance vu insuffisance de subvention du gouvernement provincial etc. b) Résolution mettant fin à contrat de firme Barré, Pellerin, Lemoine et associés chargée d'exécuter plan des travaux, plénière du 25/5/76, 31 mai 1975. 7S CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO 1, Procès-verbaux du conseil municipal , Résolution 76-227, Intercepteur sanitaire régional - Appel de l'ordonnance émise par le directeur des SPE, 31 mai 1976 : 151-152; Pierre Bornais, « Une autre " expérience" : Saint-Hyacinthe se retire du dossier de l'intercepteur sanitaire régional », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 124, nO 5 (2 juin 1976), p. A5. 76 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMOI , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Gaston Lamarre, Commission municipale du Québec - Décision suite à appel d 'ordonnance nO 55 du directeur des SPE RE intercepteur sanitaire régional , 4 octobre 1976.
98
En juin 1976, des représentants de l'ODPQ rencontrent le maire de
Saint-Hyacinthe afin de discuter de son désaccord face à l'ordonnance des SPE. En fait,
ils s'inquiètent « [ ... ] de l'attitude de la ville de Saint-Hyacinthe face à la construction
de l'intercepteur sanitaire et de la réaction en chaîne qu'une telle attitude risquerait de
provoquer tout le long du bassin de l'Yamaska chez les villes soumises aux mêmes
obligations77 ». D'ailleurs, à la suite de cette rencontre, les représentants de l'OPDQ se
rendent dans les autres municipalités du bassin pour prendre conscience de leur attitude
respective avant de prévoir les affections budgétaires pour l'année financière 1976-1977.
Le mois suivant, les représentants de municipalités du bassin de la rivière
Yamaska se réunissent à Farnham pour discuter de la question de l'épuration du cours
d'eau. Les municipalités de Saint-Hyacinthe, Granby, Cowansville, Acton Yale,
Waterloo et Farnham y participent. Au terme de cette rencontre, il est conclu que « [I]es
subventions statutaires prévues pour venir en aide aux municipalités dans l'épuration du
bassin de la Yamaska sont nettement insuffisantes et en définitive, l'ampleur de la tâche
en fait une responsabilité provinciale au même titre que les autres services publics78 ».
Les maires soutiennent également que le nombre de villes appelées à contribuer à
l'épuration est minime par rapport à l'ensemble des municipalités sises le long du bassin
de drainage. Selon eux, l'effort demandé aux municipalités rurales est négligeable,
77 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMOI, Procès-verbaux du conseil municipal , Résolution 76-238, Annulation de la résolution 76-203 (demande de prolongation du bon de garantie fourni par Sintra Inc.), 7 juin 1976 : 158-160. 78 « Épuration de la Yamaska : Un fardeau trop lourd pour les municipalités! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 124, nO 13 (28 juillet 1976), p. 1 et A2.
99
même si la pollution agricole est importante dans le bassin79• Ils s'entendent tout de
même sur l'idée de défrayer 5 % du coût global du programme en septembre 19768°.
Presque simultanément, des élections provinciales sont déclenchées le
18 octobre 1976 et se soldent par l'arrivée au pouvoir du gouvernement péquiste8l. C'est
désormais Marcel Léger qui prend en main la question de l'environnement, alors qu'il
est « [ ... ] désigné ministre délégué à l'Environnement dans le cabinet Lévesque le 1er
décembre 197682 ». Ce changement de pouvoir amène une dynamique nouvelle entre les
différents paliers de gouvernement. Au cours de l' étude des crédits de l'environnement
qui a lieu au début de l'année 1977, le ministre Léger stipule que l'épuration totale des
eaux du Québec coûterait environ trois milliards de dollars. Selon lui, il faut donc régler
le problème par étape, en s'attaquant aux cas les plus urgents dans la région de la
Yamaska et de Montréal83 • En mai 1977, Léger soutient que l' épuration du bassin de la
Yamaska coûterait environ 140 millions de dollars. La première étape est évaluée à 88
millions de dollars et aura pour effet de résoudre au moins 70 % des problèmes de
pollution.
79 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMOI , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, 1.-B. Luneau, Compte rendu de réunion du 12/7/76 RE épuration des eaux de rivière Yamaska, 2 août 1976. 80 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMOI , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , PaulO. Trépanier, Projet d' assainissement du Yamaska - Correspondance (Villes de Bromont, Cowansville, Farnham, Granby, Saint-Hyacinthe et Waterloo), 12 octobre 1976. 81 Bilan du siècle, site internet « Élection québécoise de 1976. Les élections qui ont secoué le Canada », http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pagesElections.jsp?annee= 1976 [en français], page consultée le 15 avril 2016. 82 Assemblée nationale du Québec, site internet « Marcel Léger », http://www.assnat.gc.ca/fr/deputes/ leger-marcel-4139/biographie.htm 1 [en français] , page consulté le 15 avril 20 16. 83 Presse Canadienne, « Il faudra procéder par étapes. L'épuration totale des eaux est impensable », Le Nouvelliste, vol. 57, nO 137 (15 avril 1977), p. 1.
100
Cette première phase vise à doter les six centres urbains, que sont Saint-
Hyacinthe, Granby, Acton Vale, Cowansville, Waterloo et Farnham, d'usines
d'épuration. Les municipalités assumeraient l'équivalent de 10 % des coûts reliés aux
travaux pour l'épuration de leurs eaux usées. Les 90 % seront assurés selon les
proportions suivantes: 50 % par les SPE, 16 % par la Société centrale d'hypothèque et
de logement du Canada et 24 % par l'OPDQ. La première phase « [ ... ] débutera dès que
le gouvernement du Québec aura signé un protocole d'entente avec les six municipalités
concernées, qui seront les maîtres d'œuvre des travaux et qui devront choisir, à cette fin,
leurs consultants84 ». De son côté, la seconde phase vise l'épuration des autres
municipalités du bassin lors des années 1982 et 1983. C'est en août 1977 ql;le les
conseillers maskoutains acceptent le nouveau protocole d'entente85.
En avril 1978, le ministre Léger annonce des changements dans la façon d'opérer
l'épuration de la Yamaska. Il considère illogique d'imposer aux « [ ... ] six municipalités
du bassin de la Yamaska le fardeau d'un endettement important sans agir sur les autres
sources de pollution. L'époque où la construction des usines d'épuration était une fin en
soi est donc révolue et celles-ci s'inscriront désormais dans la gamme des moyens
employés pour atteindre les buts fixés86 ». Léger soutient que c' est un non-sens que de
rejeter de l'eau traitée dans une rivière « sale» et c'est pourquoi il compte s'attaquer à la
84 Pierre Bornais, « 140 millions $ en 6 ans : Feu vert à l' épuration », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 125, nO 5 (1 er juin 1977), p. 1 et A2. 85 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, OMO l , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Travaux publics - Acceptation de protocole d'entente sur assainissement des eaux soumis par Services de l' environnement, RC 25/7/1977, 1er août 1977. 86 Gilles Saint-Amour, « Épuration des eaux : Proj et modifié en profondeur », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 125, nO 49 (5 avril 1978), p. 1.
101
pollution agricole, qui constitue près de 70 % des déversements polluants dans la
En août 1979, le ministre Léger annonce donc un investissement de plus de
23 millions de dollars pour la dépollution de la Yamaska. La Ville de Granby perçoit
21 millions de dollars, alors que Saint-Hyacinthe et Sainte-Rosalie reçoivent 2,5 millions
de dollars. Ces montants doivent servir à payer des travaux déjà entamés ou terminés à
Saint-Hyacinthe. De son côté, le directeur gérant de la ville de Saint-Hyacinthe, Georges
Darveau, trouve logique que « [ ... ] l'on s'attarde d'abord plus intensément au cas de
Granby, puisqu'il importe de dépolluer la Yamaska en amont avant d'entreprendre les
travaux à Saint-Hyacinthe88 ». En novembre 1979, Claude Vallée, responsable du
dossier de la Yamaska au ministère de l'Environnement, annonce 20 millions de dollars
pour l'assainissement de la rivière dans la région de Saint-Hyacinthe, notamment pour la
construction d'un intercepteur sanitaire, d'une station de pompage et d'une usine
d'épuration des eaux usées. La fin des travaux est prévue à ce moment pour 198289.
C'est finalement en 1985 que se terminent ces travaux entourant la première
phase d'épuration des eaux usées de la région9o. La quinzaine d'émissaires d'égout qui
se déversaient dans la rivière sont désormais reliés à « [ ... ] des intercepteurs construits
87 Gilles Saint-Amour, « L'assainissement de la Yamaska : Québec versera enfin les subventions », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 126, na 17 (16 août 1978), p. 1. 88 Alain Rodier, « Dépollution de la Yamaska. Québec signera enfin le protocole d ' entente », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 127, na 17 (22 août 1979), p. 1. 89 Alain Rodier, « Dépollution de la Yamaska. Québec investira encore 20 millions $ », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 127, na 30 (21 novembre 1979), p. 1. 90 Marc Bouchard, « L'usine d ' épuration. La phase r sera opérationnelle d'ici quelques semaines », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 133, na 20 (4 septembre 1985), p. 6.
102
dans le lit de la rivière, à partir de la Porte des Maires [près de l' intersection Girouard-
Wilfrid-Laurier], jusqu'au poste de pompage Pratte (coin Girouard)91 ». La figure 16
montre les travaux de construction de l' égout intercepteur dans le lit de la rivière
Yamaska, au début des années 1980. Nous y apercevons le mur de soutènement
agrémenté, à son sommet, d' une promenade et, à sa base, d' une piste cyclable.
FIGURE 16 Construction de l'égout intercepteur au début des années 1980
Source: CHSH, Fonds Jacques Fiset, CH366.
9 \ Madeleine Pion, « D'ici la fin de l'année. L' usine d' épuration des eaux à plein régim e », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 133, nO 2 1 ( 19 novembre 1986), p. 12.
103
Contrairement à la prise en charge du problème d ' inondation, les modalités
économiques entourant les travaux de construction d ' un intercepteur d ' égout régional
exposent des interactions difficiles entre les municipalités de Saint-Hyacinthe et
Sainte-Rosalie, mais aussi entre les autorités maskoutaines et provinciales. En imposant
le projet d' épuration des eaux aux municipalités situées le long de la Yamaska, le
gouvernement provincial doit jongler avec certaines oppositions des municipalités
locales à son projet d 'envergure régionale. Plus précisément, la Ville de Saint-Hyacinthe
joue un rôle déterminant dans son ralentissement pour des raisons économiques, mais
également parce que, contrairement à la mise en place du mur de soutènement, ce sont
les municipalités situées plus en aval sur la Yamaska qui bénéficieront des travaux
d' épuration. Pour Saint-Hyacinthe, l' apport de bénéfices plus ou moins grand liés à la
construction d' infrastructures a donc des effets, parfois positifs, parfois négatifs, sur la
prise de décisions relatives aux travaux imposés par le gouvernement provincial dans le
cadre du plan Yamaska.
2.3.2 Les industries et l'agriculture: des sources de pollution négligées
Le gouvernement provincial et les municipalités prennent en charge le problème
de pollution de la Yamaska de façon plus soutenue au tournant des années 1970. La
difficile gestion interministérielle du plan Yamaska, la divergence de points de vue
relatifs aux sources de pollution et à la façon de les traiter, ainsi que les conflits liés au
financement du projet retardent et concentrent les efforts entrepris vers le traitement des
104
eaux usées domestiques. Ainsi, les gouvernements délaissent en partie les questions de
pollutions industrielle et agricole.
Cette situation fait place à un nombre important de cas de contamination de la
rivière durant les années 1970. Pour cette décennie, nous avons recensé dans la presse
locale et les archives municipales sept cas de contamination d'origines industrielles de la
rivière ayant affecté le goût de l'eau de l' aqueduc municipal, voire même privant les
Maskoutains d'eau potable92• Nous nous intéressons particulièrement aux cas « d'eau
rouge» qui se produisent en 1977 et 197893, puisqu'ils ont marqué l'imaginaire des
maskoutains notamment par la présence d' un nombre important de caricatures et
d'éditoriaux qui font les manchettes du journal Le Courrier de Saint-Hyacinthe durant
cette période (par exemple, voir figure 17).
92 « Alors que l' eau potable est contaminée. La Régie brille par son absence! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 119, nO 38 (19 janvier 1972), p. 1; CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMOI , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal , Régie des eaux du Québec, Copie d'ordonnance enjoignant Les Produits Lussier Ltée de cesser déversement de déchets ou sous-produits laitiers dans réseau d ' égout de cité, 2 octobre 1972; Marielle Raîche-Lefebvre, « Jusqu ' à nouvel ordre : Maskoutains abreuvés au compte-goutte! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 124, nO 42 (16 février 1977), p. 1; Gilles Saint-Amour, « Aucune trace d' eau rouge dans l'aqueduc de la ville (le maire Hamel) », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 125, nO 43 (22 février 1978), p. 1; Gilles SaintAmour, « Encore " l' eau rouge " ? Un désastre écologique à Acton Vale », Le Courrier de SaintHyacinthe, vol. 126, nO 11 (12 juillet 1978), p. 1; Gilles Saint-Amour, « Ruisseau plein-Champ: Les eaux usées de Catelli à l'origine de la pollution », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 126, nO 19 (30 août 1978), p. 1 et A5; Pierre Bornais, « Après " l' eau rouge " : Est-ce le tour de l'eau blanche? », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 127, nO 12 (18 juillet 1979), p. 1. 93 Nous avons choisi ces trois cas de contamination, car nous avons beaucoup de documentation sur ces événements qui provient soit desjournaux locaux ou des archives municipales.
105
FIGURE 17 Caricature - Le Courrier de Saint-Hyacinthe (15 février 1978)
Un cadeau de la Saint-Valentin ...
Source : « Un cadeau de la Saint-Valentin ... », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 125, nO 42 ( 15 février 1978), p. A4.
106
Le premier cas d' eau rouge a lieu en février 1977. Il prive la population
maskoutaine d' eau potable pendant onze jours94. Le responsable de l' usine de filtration
de Saint-Hyacinthe, Bernard Bail, affirme avoir vu une eau de couleur rouge brique.
C'est à ce moment qu ' il communique avec les SPE. Dans la même journée, Yves
Blouin, responsable des SPE de la région de Saint-Hyacinthe, recommande au maire
Pierre-André Hamel d' interdire à la population toute consommation d 'eau. Elle doit
alors s'approvisionner à partir de camions-citernes que la ville met à sa disposition95 .
Les jours qui suivent sont marqués par un certain désordre quant à la prise en charge du
problème de la contamination. Les autorités municipales se questionnent sur la lenteur
des analyses effectuées par les techniciens des SPE, alors qu'elles prétendent avoir en
leur possession leur propre rapport d' analyse de l' eau contaminée produit par un
laboratoire indépendant. Elles veulent attendre les conclusions des SPE avant de rendre
leur rapport public.
C'est finalement en mars 1977 que les SPE remettent aux autorités maskoutaines
leur rapport. Ces dernières se disent être amèrement déçues de « l' embryon de rapport »
qu'elles ont reçu96. Malgré le fait que les SPE ont déterminé qu ' il s ' agissait de résidus
de teinture ou autres produits utilisés par des entreprises situées en amont dans les
94 Marielle Raîche-Lefebvre, « Feu " vert " sur l'eau " rouge " : Mais on n' a ri en trouvé ! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 124, nO 43 (23 février 1977), p. 1. 95 Raîche-Lefebvre, « Jusqu' à nouvel ordre ... », Le Courrier de Saint-Hyacinthe (1 6 fév rier 1977), p. 1. 96 Marielle Raîche-Lefebvre, « Encore l'eau potable ! L' embryon de rapport de l'Environnement ne donne satisfaction à personne ... », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 124, nO 45 (9 mars 1977), p. A 12.
107
municipalités d'Acton Yale ou de Farnham, ils n'ont pas établi quelle entreprise était à
l'origine de cette contamination97.
Nombreux sont ceux qui comprennent mal pour quelle raison l'entreprise qui est
à l'origine de « l'eau rouge» n'est pas ciblée. Des critiques sévères à l'endroit des SPE
sont répertoriées dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe. Les journalistes qualifient la
situation de « cas extrêmement grave d'incompétence ou de négligence », précisant qu'il
s'agit d'une « performance absolument minable» de la part de l'organisme
gouvernemental98. Pour leur défense, les SPE soutiennent qu'il existe près de 175
entreprises en amont de Saint-Hyacinthe et que, sans la coopération de ces mêmes
entreprises, il devient impossible d'identifier les substances présentes dans l'eau. Dans le
rapport, des soupçons sont soulevés envers la compagnie Peerless Rug99, sans qu'il soit
possible d'établir « [ ... ] un lien qui aurait pu être considéré comme juridiquement
valable entre la compagnie en question et la substance qui affectait l'usine de filtration
de Saint-Hyacinthe lOO ».
En mai 1977, Marcel Léger accepte l'invitation de la Chambre de Commerce du
district de Saint-Hyacinthe. Il assiste à son assemblée générale, organisée en
97 Louise Lamothe, « Qui a vraiment pollué les eaux de la Yamaska ? », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 125, nO 2 (II mai 1977), p. A3. 98 Gilles Saint-Amour, « Éditorial - En avoir pour son argent », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 125, nO 2 (II mai 1977), p. A4. 99 Une manufacture de tapis d'Acton Vale qui déverse des eaux usées contenant surtout des teintures et des détergents dans la rivière Noire, un affluent de la Yamaska; CHSH, Fonds Pierre-André Hamel, CH 145/200/220-004, Crise pollution de la Yamaska, Services de protection de l'environnement, Résumé du rapport synthèse sur la contamination de l'eau à Saint-Hyacinthe, 30 mars 1977, p. 3 et 7. 100 Ibid. , p. 9.
108
collaboration avec la Société nationale des Québécois dans le but de discuter des
inconvénients majeurs qu'ont connus les Maskoutains lors du cas de l'eau rouge 101. Il y
fait l'annonce en primeur du financement du projet d'épuration des eaux du bassin de la
rivière Yamaska. Un total de 90 % des coûts sera assumé par les gouvernements
provincial et fédéral. La balance de 10 % devra être prise en charge par les municipalités
du bassin de la Yamaska.
Malgré cette entente, les infrastructures pour l'épuration des eaux usées
déversées le long de la rivière ne sont toujours pas mises en place l'année suivante
lorsqu'un second cas d'eau rouge survient en février 1978. Cette fois cependant, la ville
de Saint-Hyacinthe n'est pas incommodée par la présence de détergent et de teinture
dans les eaux de la Yamaska, car « [ ... ] le volume d'eau di[lue] le polluant de sorte
qu'on n'en voit nulle trace à la sortie de l'usine de filtration 102 ». Selon l'ingénieur de la
ville, André Boucher, même s'il y a des traces en aval du barrage de la Penman's, le
contaminant passe en surface de la rivière, alors que la prise de l'usine de filtration se
situe au fond de la rivière 103.
Le dernier cas d'eau rouge est recensé en juillet de la même année. Sans affecter
directement les Maskoutains, il défraie tout de même les manchettes du Courrier de
Saint-Hyacinthe. Le contaminant a d'ailleurs causé « [ ... ] la mort de plusieurs milliers
101 « M. Marcel Léger à St-Hyacinthe », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vo l. 125, nO 3 (18 mai 1977), p. A3. 102 Gilles Saint-Amour, « L'eau rouge coule encore! Un an après, rien n' est réglé! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 125, nO 42 (15 février 1978), p. 1. 103 Saint-Amour, « Aucune trace d'eau rouge . .. », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, (22 février 1978), p. 1.
109
de poissons de toutes espèces [ ... ]1 04 »dans les environs immédiats d'Acton Yale, près
du confluent des rivières Noire et Le Renne, deux affluents de la Yamaska (figure 9).
Le président du Club de Chasse et Pêche Acton Yale - Bagot (Club AVB),
Charles-André Gauthier, ne cache pas son vif ressentiment à l'endroit des pollueurs et
des autorités municipales d'Acton Yale, qui n' ont pas eu le courage, selon lui, de
prendre leurs responsabilités. Il soutient que les autorités municipales cèdent devant le
chantage de cette entreprise qui menace de fermer ses portes à chaque fois qu ' elles lui
demandent de traiter ses eaux usées. Il explique ainsi que « [c Jette extermination
massive de la faune aquatique de la rivière [Noire] détruit le travail de vingt ans de
conservation [ ... ]1 05 ». De son côté, Saint-André d'Acton, municipalité située en aval
d'Acton Yale, adopte au cours d'une séance spéciale une résolution interdisant la pêche,
la baignade et la consommation de poissons de la rivière Noire.
Lors d' une rencontre, le maIre de Saint-Hyacinthe, Pierre-André Hamel, le
directeur des Services publics, André Boucher, le directeur général, Georges Darveau, et
le maire d' Acton Yale, Roger Labrecque identifient la Peerless Rugs comme étant la
source de la pollution du cours d ' eau. « Par ailleurs, les fonctionnaires des Services de
Protection de l'Environnement, chargés du dossier de la Peerless, devaient déposer, en
début de semaine, des recommandations fermes au ministère responsable pour qu ' un
ordonnance soit émise à l' endroit de la Peerless Rugs, afin que cette usine cesse ses
104 Saint-Amour, « Encore " l' eau rouge " ... », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, ( 12 juillet 1978), p. 1. 105 Ibid.
Il ° déversements ou traite ses eaux usées l06
• » Un mois après l'incident, des membres du
Club AVB accompagnent trois biologistes du MTCP venus constater l'étendue des
dommages faits à la faune aquatique de la rivière Noire. « À l'aide de filets, de sondes
électriques, il a été constaté que, de l'usine de pompage au chalet du club, il ne reste que
quelques ménés et des écrevisses et pas même une grenouille lO7 • »
Parallèlement, la résolution du problème de pollution agricole est grandement
affectée d'abord par la complexe gestion interministérielle, favorisant le drainage des
terres agricoles au détriment de reboisement des berges 108, puis par la concentration des
efforts et du financement dans les infrastructures urbaines pour l'épuration des eaux
usées. Cette situation donne place à de nombreuses critiques de la part des acteurs
maskoutains quant à la non-prise en charge du problème agricole de pollution par les
autorités gouvernementales.
Au début des années 1970, la presse locale dénonce de nombreux cas de
déversement de purins l09. Le déversement de 1977 se déroule un peu en amont de
Saint-Hyacinthe, dans les limites de la municipalité de Saint-Damase. Les éditorialistes
du Courrier de Saint-Hyacinthe expliquent que cette porcherie aurait une manière peu
106 Gilles Saint-Amour, « La Peerless mise en cause ? », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 126, nO 12 (19 juillet 1978), p. 1. 107 Charles-André Gauthier, « À Acton Vale. Pollution de l' eau », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 126, nO 17 (16 août 1978), p. C13. 108 Ce qui augmente par le fait même l'écoulement (run-offs) de fertilisants dans la rivière. 109 « Rumeurs de ma ville », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 120, nO 6 (7 juin 1972), p. A2; « Le dépotoir de Saint-Valérien ou les porcheries de M. le maire? », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 120, nO 9 (28 juin 1972), p. 1 et AS ; « Dans le rang de l' Espérance, à Saint-Pie : Il est encore question des porcheries », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 121 , nO 8 (20 juin 1973), p. 86.
III
orthodoxe de se débarrasser de ses surplus de purin. Elle déverse le trop plein dans la
rivière Yamaskallo. À la suite de nombreuses plaintes de citoyens, les inspecteurs des
SPE, accompagnés de représentants damasiens, vérifient les installations de la porcherie.
Ils y constatent que son propriétaire, Rosaire Choquette, déverse « [ ... ] du fumier de
porc dans un fossé, creusé à cette fin et que ledit fossé [est] directement relié à la rivière
Yamaska, polluant ainsi, une fois de plus, ses eaux III ». À cause de cette
installation « [ ... ] certains producteurs de porcs demeurant non loin de là ont subi des
pertes considérables. Plusieurs animaux sont morts de diarrhée après avoir bu de cette
eau. Pour remédier à tout cela, les producteurs ont dû [ ... ] s' approvisionner en eau
potable au village de Saint-Damase, ce qui entraîne des pertes d'argent et aussi de
tempsl1 2 ».
Le rapport sur les agissements de Choquette, qui fait suite à cette visite, est remis
au service du contentieux pour fins de poursuites légales afin d ' appliquer les règlements
adoptés en vertu de la loi sur la qualité de l'environnement. Il y est mentionné que
Choquette ne possède pas de système de rétention pour le fumier liquide sur sa ferme et
qu'il n'a pas procédé à l'épandage sur les sols agricoles des résidus produits par ses
bêtes. En décembre 1977, l'éleveur de Saint-Damase est reconnu coupable. Il doit
désormais répondre aux demandes de la Cour supérieure du district de Saint-Hyacinthe
1 \0 « Rumeurs de ma ville », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 125, nO 1 0 (6 juillet 1977), p. A2. III Louise Lamothe, « Les inspecteurs sév issent! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 125, n° 15 (10 août 1977), p. 1. 112 Ibid.
112
qui l'oblige à prendre des mesures qui auront pour effet de l'empêcher d'utiliser des
fossés pour déverser le fumier dans la rivière Yamaska l \3.
Au moment même où la question agricole s'immisce au cœur des débats
entourant la pollution de la rivière Yamaska, le ministre responsable de
l'Environnement, Marcel Léger, dépose un projet de règlement édictant des normes
sévères au sujet de la localisation de porcherie, de l'entreposage du fumier et de son
élimination II4. Alors qu'il identifie la production de porcs comme le plus important
agent polluant au Québec, l'UPA affirme que la grande majorité des producteurs
respectent déjà les nouvelles normes, contrairement aux grandes villes du Québec qui
continuent de déverser leurs eaux usées non-traitées dans les cours d'eau de la
province II5• L'UPA soutient que les producteurs ne font que polluer par le fumier et
qu'ils ne sont donc pas à l'origine de pollution par le mercure ou autre produit chimique.
Au moment où le ministère de l'Environnement lance le programme
d'assainissement des eaux du Québec pour permettre aux villes de se doter des
infrastructures de traitement des eaux usées, le cas de la Yamaska révèle que
1\3 Louise Lamothe, « À Saint-Damase. Le pollueur est condamné », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 125, nO 34 (21 décembre 1977), p. A3. 114 Pierre Bornais, « Pollution agricole: Nouveau règlements beaucoup plus sévères », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 126, nO 20 (6 septembre 1978), p. 1. Ils Gilles Saint-Amour, « L' UPA s'en prend au ministre Léger », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 126, nO 22 (20 septembre 1978), p. A2.
113
l'identification des principaux contaminants des rivières du Québec demeure un sujet de
controverse en fonction des territoires concernés Il 6.
CONCLUSION
Le changement d'échelles quant au mode d'appréhension de la rivière,
accompagné d'une centralisation du pouvoir décisionnel, occasionne son lot de conflits
qui opposent les autorités gouvernementales aux autorités municipales et qui dressent les
municipalités de la région maskoutaine les unes contre les autres. D'une part, les
frictions entre le gouvernement provincial et les municipalités sont occasionnées par
l'obligation gouvernementale d'entreprendre des travaux d'épuration à l'échelle des
localités. D'autre part, les différents entre les municipalités sont en lien direct avec cette
contrainte imposée par le gouvernement qui force les villes de la région maskoutaine,
notamment Sainte-Rosalie et Saint-Hyacinthe, à trouver un terrain d'entente sur le
partage des coûts relatifs à la mise en place des infrastructures demandées.
Cette contrainte gouvernementale liée à l'utilisation économique de la rivière fait
en sorte que les différents acteurs appréhendent désormais le cours d'eau à l'échelle de
son bassin versant. La Yamaska ne correspond plus uniquement à une rivière qui
traverse Saint-Hyacinthe, mais aussi - et surtout - à un bassin versant où se trouve un
nombre important de municipalités qui doivent tenir compte qu'elles cohabitent sur les
rives d'un même cours d'eau. Ce changement d'échelles d'appréhension amène un
116 Pour plus de détails sur ces multiples représentations des phénomènes de pollution à l'échelle locale, voir Castonguay et Bernard, « National and Local Definitions of an Environmental Nuisance .. . » : 1 0-23.
114
climat local de coopération. L'aspect commun qui allie ces municipalités, outre la
rivière, est cette imposition d'un usage économique qui, à prime abord, n ' est pas désiré,
mais qui devient une occasion de se regrouper pour faire entendre leurs positions
communes. Les besoins et les ressources propres à chacune de ces municipalités, tout
comme leur volonté de réduire les coûts et les investissements dans des travaux
d'infrastructures aux incidences régionales les unissent.
Le plan Yamaska est difficilement mis en place à cause de la complexe gestion
interministérielle du projet et de la population locale qui joue un rôle déterminant dans
l'aménagement de la rivière. À Saint-Hyacinthe, la construction du mur de soutènement,
étant désirée, se déroule sans trop d 'opposition. Cependant, sur la question du
financement du projet régional d ' épuration des eaux usées, les autorités maskoutaines et
provinciales arrivent péniblement à s' entendre. Les travaux n' avancent pas ou peu, alors
que la Ville de Saint-Hyacinthe, ainsi que les autres municipalités du bassin visées par le
plan Yamaska, soutiennent qu ' elles ne sont pas les seules sources de pollution de la
rivière. L ' accent mis sur les dimensions urbaines de la gestion du cours d ' eau est
critiqué par ces localités. La minimisation de l'importance de la question des sources
agricole et industrielle de pollution ne passe pas inaperçue, alors que la presse locale
souligne de nombreux cas de ces types de contamination de la rivière.
Tout compte fait, les interactions entre les gouvernements provincial et
municipal, soulevés par les usages économiques de la Yamaska, nous aide à comprendre
115
les modalités de prise en charge de la rivière. Alors que le plan Yamaska a pour objectif
de favoriser le bon développement, ainsi que l'essor économique des municipalités du
bassin et, plus largement, de la grande région métropolitaine, les autorités maskoutaines
n'acceptent pas l'effort financier qui leur est imposé par le gouvernement provincial.
Nous pouvons en déduire que les autorités maskoutaines sont prêtes à investir dans des
infrastructures lorsque les avantages et les effets concernent directement sa population.
Cependant, lorsque les effets de la construction de ces infrastructures sont moins directs,
il est difficile de convaincre les autorités locales du bienfait de tels investissements.
CHAPITRE 3
Le milieu riverain comme espace de loisir: entre mobilisation politique et appréhension utilitaire de la Yamaska
La période située entre le milieu du XXe siècle et le début des années 1970
correspond à un moment de l'histoire de la protection de l' environnement « [ . .. ] où une
problématique de la consommation succède à une problématique de la production 1 ». Il
s'agit d'un passage d'une période conservationniste, où les élites économiques et
industrielles cherchent à utiliser efficacement la ressource « eau », vers une période
environnementaliste, associée aux revendications d'une classe moyenne élargie « [ .. . ]
qui cherche à multiplier les lieux de loisir ».
Dans le présent chapitre, nous étudions ce passage vers des considérations
environnementalistes issues d'une nouvelle classe moyenne. Nous y nuançons l' idée
d' une soudaine prise de conscience du problème environnemental durant les années
1970. Pareilles mobilisations constituent plutôt l'aboutissement de décennies de luttes et
de revendications issues de regroupements citoyens, dont font partie les clubs de chasse
et pêche. Les usages récréatifs de la rivière sont à la base de cette prise de conscience.
Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les membres des regroupements
sportifs de la région maskoutaine sont conscients du problème de pollution de la rivière
et de ses effets sur la faune aquatique. C'est donc à travers les interractions entre les
1 Castonguay et Fougères, « Les rapports riverains de la ville ... », p. 4. 2 Ibid.
117
différents acteurs interpellés par les usages récréatifs de la Yamaska que nous cherchons
à comprendre les modalités de sa prise en charge.
La première section du présent chapitre vise à exposer le passage du
conservationnisme vers un environnementalisme issu de la recherche de lieux de loisir
par une classe moyenne en pleine expansion. C'est à travers le maintien de ces usages
récréatifs de la rivière tout au long de la période étudiée que se façonne, pour une
portion de la population maskoutaine, une prise de conscience face à la détérioration du
milieu de vie qu'est devenue la Yamaska.
Au même moment où s'opère la recherche de nouveaux lieux de loisir, les
membres des clubs de chasse et pêche de la région participent aux efforts
gouvernementaux en lien avec l'amélioration des stocks de poissons dans la rivière.
Motivés par une volonté de satisfaire leurs membres, les dirigeants des clubs de
pêcheurs cherchent à favoriser la prolifération de certaines espèces de poisson qualifiées
de sportives. Au tournant des années 1970, l'intérêt que portent ces regroupements
sportifs à l' environnement fluvial se transforme. Ils cherchent désormais à démocratiser
l'accès à la Yamaska à l'ensemble des citoyens de la région et non plus uniquement à
leurs membres3. Cette nouvelle tendance rejoint la classe moyenne élargie, où bon
3 11 serait intéressant de faire un parallèle entre cette volonté de démocratiser l'accès à la rivière et l'intensification des protestations contre le régime des clubs privés au Québec au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et particulièrement au tournant des années 1970. Sur le sujet, voir entre autres Paul-Louis Martin, La chasse au Québec, Montréal , Boréal , [1980] 1990 : 151-173 .
118
nombre d'individus se regroupent et se mobilisent sporadiquement en faisant la
promotion de la lutte à la pollution de la rivière.
Ces trois réalités se juxtaposent dans le temps. Au même moment où des citoyens
et des pêcheurs se mobilisent pour démocratiser l' accès à la rivière en cherchant
notamment à améliorer son état, d ' autres individus continuent à côtoyer l'environnement
fluvial à des fins récréatives. La rivière, qu ' elle soit au cœur de Saint-Hyacinthe ou en
périphérie de la ville, devient un enjeu local qui suscite l'intérêt de tout un pan de la
population maskoutaine et des environs. Lieu de loisir, le cours d ' eau passe au tournant
des années 1970 au cœur des débats d' idées relatifs aux mobilisations politiques.
L' amélioration de la qualité de vie d 'une nouvelle classe moyenne en émergence
passerait, selon ces regroupements, par une restauration de la qualité de l' eau de la
rivière.
C ' est durant les années d' après-guerre que se mettent en place les assises de ce
mouvement environnementaliste au Québec. Plus particulièrement, c' est durant cette
période que la Yamaska devient un lieu de loisir prisé par sa population riveraine. En
plus d' une appréhension environnementaliste du cours d' eau, qui se manifeste
notamment au sein des clubs de chasse et pêche et des groupes de pression, la population
de la grande région maskoutaine s ' approprie la Yamaska et ses rives, entre autres par des
lieux de loisir.
119
3.1 LA RIVIÈRE COMME LIEU DE LOISIR
L'aménagement du bassin de la rivière Yamaska, en plus de favoriser
l'établissement d'une prospérité économique dans cette région, a pour objectif de
faciliter la mise en place d' espaces de loisir pour la population de la région, mais aussi
pour celle du grand Montréal. C'est en réponse aux nouvelles réalités d'après-guerre que
le gouvernement provincial incorpore dans le plan Yamaska de tels objectifs liés aux
loisirs :
[ ... ] en tenant compte de l'augmentation normale de la population, des revenus et de la diminution des heures de travail, il est certain que la demande pour les espaces verts et les étendues d'eau augmentera d' année en année. De plus, l'amélioration de la qualité de l'eau et la régularisation des débits des cours d'eau favoriseront l'extension de ce type d' activités récréatives. Il est évident que les nappes d'eau actuelles devront être aménagées pour que les adeptes des sports nautiques puissent y avoir accès et en bénéficier4.
Durant cette période, la croissance économique que connaît le Québec soutient
l'accroissement du niveau de vie d'une grande portion de la population de la province.
« L'accès à un travail régulier, l'augmentation des salaires et les versements des
nouveaux programmes sociaux [ ... ] permettent à la majorité des Québécois d'entrer
dans la société de consommation et d'avoir accès au confort moderne [ ... ] La prospérité
d'après-guerre favorise le développement d'une classe moyenne dont les aspirations
expriment un net désir de modernisation et d ' ascension socialeS. »
4 OPDQ, Projet d'aménagement des eaux ... , p.193. 5 Linteau, Durocher, Robert et Ricard, Histoire du Québec contemporain, Tome 2 ... : 204-206.
120
Cette classe moyenne manifeste ainsi son désir d' ascension sociale à travers la
recherche de nouveaux lieux de loisir. C'est d' ailleurs à travers cette réalité que naissent
les premiers balbutiements du mouvement environnementaliste d ' après-guerré . Les
sources traitant de ces lieux de loisir sont peu nombreuses. Lors du dépouillement du
Courrier de Saint-Hyacinthe, nous avons recensé tous les articles qui abordent des
événements ponctuels particuliers, comme une noyade ou une « pêche miraculeuse ».
Ces articles regorgent d' informations pertinentes décrivant en détails les
événements: l' endroit où le tout se déroule, le lieu de résidence de la personne
impliquée et l' activité pratiquée. Voici un exemple qui reflète le type d' information
disponible :
Un grand sportsman de Saint-Hyacinthe, Wilfrid Gaudreau a réussi certes le plus bel exploit pour un pêcheur de notre ville, cette saison, alors que dimanche matin, le 10 août [1952], dans la rivière Yamaska, il a capturé un poisson gigantesque [ ... ] Gaudreau était en train de pêcher aux alentours de la Pointe-aux-Fourches, près de Saint-Damase [ ... ] quand tout à coup il sentit mordre à sa ligne [ ... ] Le maskinongé en question mesure 51 pouces de long et pèse 33 livres7
•
Outre les cas de « pêche miraculeuse », nous avons considéré les articles où figurent des
noyades survenues lors de la pratique d'un loisir aquatique:
M. Jean-René Girard de Saint-Joseph-sur-Yamaska, s' est noyé samedi dernier en se baignant dans la rivière Yamaska, à environ quatre milles et demi en amont de Saint-Hyacinthe. M. Urbain Lussier, de Sainte-Rosalie, qui se trouvait avec la victime, réussit à gagner la rive [ ... ] Girard et Lussier étaient partis en chaloupe de La Providence [ ... ] en direction de la Pointe-aux-Fourches. Après avoir ramé sur une distance de quatre ou cinq milles, ils décidèrent de se baigner. Ils hissèrent leur chaloupe sur le bord de la rivière, revêtirent leurs maillots de bain
6 Castonguay et Fougères, lac. cil., p. 4; Seller, « Review : Environmentalists by Nature ... », p. 11 4; Hays, Beauty. Health. and Permanence ... : 5-6. 7 « Wilf. Gaudreau capture un po isson de 33 lbs dans la rivière Yamaska », Le Courrier de SaintHyacinthe, vol. 100, na 20 (22 août 1952), p. 12.
121
et redescendirent dans l'eau. Girard, qui avait pris les devants, marchait depuis quelques minutes, lorsqu'il s'enfonça dans un trou profond, dont il fut impossible de le tirer vivant. Fils de M. Arthur Girard, manufacturier de chaussures de SaintJoseph-sur-Yamaska, [ ... ] le défunt était célibataire, âgé de 26 ans8
•
Grâce à l'information retrouvée dans ce type d'articles, nous avons pu cibler certains des
lieux de loisir fréquentés par la population de la grande région maskoutaine.
Avec l'accumulation de 103 cas de la sorte, nous avons confectionné des cartes
faisant ressortir des particularités de la pratique de loisirs aquatiques sur la Yamaska. La
figure 18 expose ces cas recensés dans Le Courrier de Saint-Hyacinthe entre les années
1945 et 19809• Bien que nous ne puissions reproduire exactement tous les lieux
fréquentés à des fins de loisir par la population de la grande région maskoutaine, nous
pouvons à tout le moins en cibler quelques-uns. Cette représentation cartographique
nous permet ainsi d'appréhender les rapports pratiques - les usages - à la rivière de la
population maskoutaine par-delà les discours des élites et des autorités
gouvernementales. Cette carte met en évidence trois lieux: d'abord Saint-Hyacinthe et
sa région immédiate lO, avec 22 cas recensés, puis Saint-Pie et Acton Vale, avec dix cas
chacun. Ces trois lieux de loisir sont à proximité des municipalités. Sur un total de 103
8 « Triste noyade de l-R. Girard , de Saint-Joseph », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 99, na 13 (22 juin 1951), p. 1. 9 Soulignons qu'il s'agit d ' un échantillon de la réalité de l'époque étudiée. Notons également qu'un cas recensé implique parfois plus d 'une personne pratiquant une activité aquatique. Finalement, mentionnons que l'indication « Club de Chasse et Pêche A.V.B. », retrouvée sur la figure 18 et sur celles subséquentes, renvoie à l'emplacement du chalet du Club de chasse et pêche d'Acton Vale - Bagot (Club A VB). \0 Cette section inclue la portion de la rivière située entre le rapide des Cascades, situé en aval du barrage de la Penman 's, jusqu'au pont de Douville, à la hauteur du rang Saint-François.
122
cas recensés, 69 ont eu lieu aux environs immédiats d'une municipalité, à savoir 67 %
Les autres lieux fréquentés ne se trouvent pas à proximité d'une municipalité. Il
est question de la jonction entre la rivière Salvail et la rivière Yamaska, en amont de
Saint-Hugues, du Rapide-Plat I2, de la Pointe-aux-Fourches I3 et de la jonction entre les
rivières à la Barbue et Yamaska. À ces quatre lieux, nous en ajoutons deux qui
complètent les lieux « non-urbains 14 » de la pratique de loisir: le premier situé sur la
rivière Yamaska entre le Club nautique de Saint-Hyacinthe et la Pointe-aux-Fourches, le
deuxième établi à la hauteur de Sainte-Cécile-de-Milton. Ces six lieux regroupent 34 des
cas recensés dans la presse locale. De ce total, 20 cas concernent la pratique de la pêche,
Il cas sont liés à la pratique de la baignade et trois cas sont associés à la pratique de la
navigation, tel que démontré à la figure 19.
Il Nous incluons dans cette statistique, tous les cas se trouvant à cinq kilomètres et moins de navigation d'une municipalité. Les six cas de la Pointe-aux-Fourches et les trois de la rivière à la Barbue ne sont pas comptabilisés, car la municipalité de Saint-Damase n'est pas située sur la rive de la Yamaska. Les dix cas signalés près du rapide Rouge et du Club A YB sont inclus dans notre calcul, car les articles font souvent mention de cette région en stipulant la proximité d' Acton Yale, sans spécifier l' endroit exacte. Par souci d' équité, nous les avons regroupés dans un même lieu pour marquer la répétition du lieu, soit sur les eaux ou les rives de la rivière Blanche (ancienne épellation pour cette section de la rivière Noire) près d' Acton Yale. 12 Même si le Rapide-Plat représente le « berceau du peuplement régional », puisque le second seigneur de Saint-Hyacinthe, Jacques-Hyacinthe Simon dit Delorme, décide d' exploiter le rapide et la petite rivière nommée Delorme qui s'y déverse avec l' implantation d' un moulin à scie en 1757, le lieu est laissé de côté au fil du temps au profit d' un autre rapide plus en amont, soit le rapide des Cascades, où se trouve aujourd ' hui la municipalité maskoutaine; Guy Mongrain et Julie St-Onge, Hameaux et Lieux-Dits Maskoutains , Québec, GID, 2016, p. 18. 13 Elle est caractérisée par la formation d' un « Y » inversé, formé par l' embranchement de la rivière Noire et de la Yamaska près de Saint-Damase. 14 À plus de cinq kilomètres de navigation d' une municipalité.
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FIGURE 18 Lieux de loisir sur le bassin de la Yamaska, 1945-1980
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2 - Rapide-Plat
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4 - Club Nautique de Saint-Hyacinthe
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Sources: Divers articles du Courrier de Saint-Hyacinthe entre 1945 et 1980.
123
124
FIGURE 19 Lieux de loisir sur le bassin de la Yamaska, selon les activités pratiquées, 1945-1980
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Lieux-dits
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.. 1 - Rivière Salvail
2 - Rapide-Plat
3 - Porte des anciens maires
4 - Oub Nautique de Saint-Hyacinthe
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6 - Rivière à la Barbue
7 - Rapide Rouge
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Sources: Divers articles du Courrier de Saint-Hyacinthe entre 1945 et 1980 .
125
Bien que ces trois activités se sont majoritairement pratiquées à cinq kilomètres
et moins d'une municipalité, il est important de nuancer la situation. Les proportions de
cas reliés à chacune de ces activités varient grandement en ce qui a trait à la proximité
d ' un milieu urbain. Ainsi, le nombre de cas de pêche recensés près d 'une municipalité
(59,2 %) est à peine plus élevé que ceux ayant eu lieu en milieu « non-urbain » (48,8 %).
À l'inverse, les cas de baignade (66,7 %) et de navigation (85,7 %) se déroulent la
majeure partie du temps près d 'un milieu urbain (tableau 1).
TABLEAU 1 Distinction de la pratique des loisirs, entre milieu urbain et milieu non-urbain, sur
les eaux du bassin de la rivière Yamaska, 1945-1980
Milieu urbain Milieu non-urbain Nombre de cas % Nombre de cas %
Pêche 29 59,2 20 40,8 22 66,7 Il 33,3
Navi ation 18 85,7 3 14,3
Tot .. 1 69 67,0 34 33,0 Sources: Divers articles du Courrier de Saint-Hyacinthe entre 1945 et 1980.
Tot .. 1
49 33 21
103
De ces statistiques, nous constatons que les pêcheurs sont plus enclins que les
deux autres catégories d ' individus à s ' éloigner des milieux urbains. Il reste que lorsque
nous observons la distance que parcourent les personnes pour pratiquer leurs activités
respectives, nous obtenons des résultats plutôt homogènes. Ainsi, 44,9 % des pêcheurs,
45 ,5 % des baigneurs et 47,6 % des navigateurs de plaisance se déplacent à plus de cinq
kilomètres de leur lieu de domicile pour pratiquer leur activité (tableau 2)1 5.
15 Nous qualifions de « non-résidents» ceux qui se déplacent à plus de cinq kilomètres de leur lieu de domicile pour pratiquer leur acti vité.
126
TABLEAU 2 Distinction de la pratique des loisirs, entre résident et non-résident, sur les eaux du
bassin de la rivière Yamaska, 1945-1980
En croisant les données des deux derniers tableaux, plusieurs informations
peuvent être mises en évidence (tableau 3). D'abord, nous constatons que la pratique en
milieu urbain de ces trois activités se fait majoritairement par des individus qui y
habitent. Ainsi, 43 des 67 cas qui se déroulent à cinq kilomètres et moins d'une
municipalité sont pratiqués par un résident. À l'inverse, 23 des 34 cas qui se déroulent à
plus de cinq kilomètres d'une municipalité concernent un non-résident. En excluant les
Il cas de pratique d'activité en milieu non-urbain par des résidents, nous obtenons un
total de 69,6 % des cas qui concernent des pêcheurs. Cela implique une démarcation du
nombre de pêcheurs enclins à se déplacer sur de plus grandes distances pour pratiquer
leur activité en milieu non-urbain, puisque ceux-ci représentent 32,7 % des cas de pêche,
alors que les baigneurs et les navigateurs constituent respectivement de 12,1 % et 14,3 %
des cas.
La différence entre le pourcentage de pêcheurs résidents en milieu urbain
(46,9 %) et celui des pêcheurs non-résidents en milieu urbain (12,2 %) est beaucoup plus
127
importante que les deux autres types d' activités, respectivement de 30,3 % et 33.3 %
pour les baigneurs et 47,6 % et 33.3 % pour les navigateurs.
TABLEAU 3 Les lieux de loisir des résidents et des non-résidents pratiquant leur activité en
milieu urbain ou non-urbain sur les eaux de la rivière Yamaska, 1945-1980
6,1 12,2
24,2 Il 33 ,3
10 47,6 7 33 ,3 14,3 4,8 0
41,7 11 10,7 24 23,3 23 22,3 1 1,0 1 1,0
Sources : Divers articles du Courrier de Saint-Hyacinthe entre 1945 et 1980.
33
21
103
La différence s'amenuise pour les pêcheurs maskoutains16, alors que 12 des 31
cas de pêche, soit 38,7 %, se déroulent à cinq kilomètres et moins de la ville de
Saint-Hyacinthe (figure 20). Dans les 19 cas restants, seulement trois se retrouvent à
cinq kilomètres et moins d' une municipalité, soit 9,7 % des cas. De leur côté, les
baigneurs et les navigateurs maskoutains augmentent plutôt la différence entre la
pratique en milieu urbain pour les résidents et les non-résidents, puisque neuf des 16 cas
sont situés à cinq kilomètres et moins de Saint-Hyacinthe (56,3 %). Des sept cas
restants, deux se déroulent à proximité d' une autre municipalité (23 ,6 %). Malgré tout,
nous pouvons constater que les pêcheurs sont moins enclins que les baigneurs et les
navigateurs à se déplacer près d'une municipalité qui n ' est pas celle de leur résidence.
16 Nous incluons ici les habitants d e Saint-Hyacinthe, Saint-Joseph, Douville et La Providence.
128
FIGURE 20 Lieux de loisir des Maskoutains sur le bassin de la Yamaska, selon les activités
pratiquées, 1945-1980
,
0 '
1
"
Sainte-Rosalie
" ... -'
légende Activités
Ueux-dlts
1 - Rivière Salvail 2 - Rapide-Plat 3 - Porte des anciens maires 4 - Oub Nautique de Saint-Hyacinthe 5 - Pointe-aux-Fourches 6 - Rivière à la Barbue
7 - Rapide Rouge 8 - Oub de Chasse et Pêche A.V.B.
Saint-Uboire
Salnte~Céc:llede-Milton.
, .
; .
':; ' " , ,
" ,
i:5 . \.'
'- .5 , 1.51" IG"Il", Échelle 1 : 1 240 000
Sources: Divers articles du Courrier de Saint-Hyacinthe entre 1945 et 1980.
129
De façon générale, la pratique d'activités aquatiques par la population de la
région maskoutaine se concentre majoritairement sur la portion de rivière située entre le
barrage de la Pen man 's, à la hauteur de Saint-Hyacinthe, et la Pointe-aux-Fourches.
Nous y retrouvons 30 des 47 cas maskoutains, soit 63 ,8 %. La présence du Club
nautique de Saint-Hyacinthe l7 et d' une descente de bateau près de la Porte des anciens
maires favorise certainement la pratique de ces activités. Soulignons que cette portion de
la rivière, parmi d'autres, est ciblée par les auteurs du plan Yamaska au tournant des
années 1970 comme ayant un potentiel intéressant pour la navigation de plaisance
(figure 21).
Parmi les lieux recensés jusqu'à maintenant, nous avons tenu compte uniquement
de cas précisément localisés dans l' espace. Des 103 cas pris en considération, nous
n'avons pas inclus les tournois de pêche organisés par les clubs de chasse et pêche de la
région, car il est difficile de cibler un lieu précis pour l'ensemble d'un tel événement.
Par exemple, le 6 juillet 1958, lors du tournoi de pêche organisé par le Club de chasse et
pêche Maska (Club Maska), réunissant les amateurs de pêche sportive de la région
maskoutaine, les participants ont toute la journée pour pêcher dans les eaux de la rivière
Yamaska, entre Saint-Césaire et Saint-Louis-de-Richelieu, un peu en aval de la rivière
Salvail, ainsi que sur la rivière Noire, en aval de Saint-Pie I8.
17 À noter que le Club nautique de Saint-Hyacinthe est rasé par le feu en 1959. Il acquiert une maison d' été dans le même secteur en 1968; « Le Club Nautique est rasé au sol par le feu, en pleine nuit », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 107, nO 25 (l e, octobre 1959), p. 1; « Le Club nautique ouvrira ses portes vers le 1 e, août », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 116, nO 1 a (4 juillet 1968), p. 1. 18 « 1 000 $ sera distribués en prix lors du derby de pêche le 6 juillet », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 06, nO 12 (26 juin 1958), p. 16.
FIGURE 21 Bassin versant de la Yamaska, nappes d'eau utilisables pour la navigation de
plaisance, 1972
8ol111'\ v.nont d. la YAMASKA
NoPP4IJ d'eau UII!i,obl •• pour la naviga tion d. plaisonce
130
Source: OPDQ, Projet d 'aménagement des eaux du bassin versant de la Yamaska , Rapport de la Mission technique de la Yamaska, 1972, p. 173.
131
Nous avons tout de même recensé les tournois de pêche organisés par le Club
Maska et par le Club de chasse et pêche Acton Vale-Bagot (Club AVB) sur les eaux du
bassin de la rivière Yamaska entre les années 1945 et 1979 19• Durant cette période, les
journalistes du Courrier de Saint-Hyacinthe rapportent 84 tournois de pêche, dont
55 organisés par le Club Maska et 29 par le Club A VB2o. Lors de ces événements, les
journalistes rapportent parfois la présence de plus de 250 participants21, même si la
plupart des compétitions sont exclusivement réservées aux membres. Nous
reconnaissons à travers ces événements l'engouement dont fait preuve la population de
la grande région maskoutaine pour la pratique de cette activité reliée à la faune
aquatique de la Yamaska.
Outre les concours de pêche, nous n'avons pas inclus, dans les 103 cas recensés,
les compétitions de nage, de ski nautique et de canots, en plus de laisser de côté les
spectacles organisés entre autres par le Club nautique de Saint-Hyacinthe. Nous avons
préféré regrouper ces événements, qui attirent un nombre important de spectateurs sur
les rives de la Yamaska, afin de mettre en lumière les lieux favorisant les
rapprochements entre les populations riveraines et leur cours d'eau.
\9 Soulignons que nous n'avons recensé aucun tournoi avant 1955 dans la presse locale. 20 À noter que ce sont uniquement les cas couverts par Le Courrier de Saint-Hyacinthe. Il faudrait une recherche plus exhaustive dans d'autres sources pour fournir des données plus près de la réalité. Cependant, nous pouvons aborder ces statistiques comme étant une « estimation plancher », un minimum. 2\ « M. Z. Girouard, bon premier au derby de pêche. Tournoi marqué d'un grand succès malgré l'absence de maskinongé », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 05 , nO 14 (12 juillet 1957), p. 12.
132
Nous avons ciblé trois lieux où les foules se sont massées le long des rives de la
Yamaska. Il y ad' abord la portion de la rivière qui fait face à la Porte des anciens
maires, celle située devant le Club Nautique de Saint-Hyacinthe et celle qui se trouve en
amont du Club A YB (figure 20). Durant la période étudiée, le premier lieu a accueilli
sept compétitions de natation, quatre spectacles de ski nautique et une régate22 • Les
journalistes ont compté plus de 9 000 spectateurs pour certains de ces événements23 • Le
Club nautique de Saint-Hyacinthe a organisé, sur les eaux de la Yamaska devant son
chalet, sept compétitions et cinq spectacles de ski nautique de grande envergure. La
portion en amont du chalet du Club A YB a tenu lieu de dix courses de canot organisées
par le club, dont certaines ont attiré plus de 2 000 spectateurs sur les abords de la rivière
Noire24. À travers ces événements, nous pouvons affirmer que la rivière constitue un lieu
de rassemblement et de loisir auquel se rattache une portion de la population riveraine.
Ces données reliées à la pratique d'activités aquatiques nous montrent que,
durant les Trente Glorieuses, l'usage récréatif de la rivière s'ajoute aux usages sanitaires
et économiques abordés plus tôt dans ce mémoire. Alors que la rivière est utilisée
comme lieu de loisir, elle continue aussi de servir de déversoir pour les eaux usées des
municipalités et des industries, en plus d'absorber les ruissellements des activités
22 Encore une fois, il s'agit de statistiques conservatrices uniquement basées sur les événements recensés par les journalistes du Courrier de Saint-Hyacinthe. 23 « Des milliers de spectateurs sont impressionnés par la revue Aqua-Ski », Le Courrier de SaintHyacinthe, vol. 107, nO 20 (27 aoGt 1959), p. 17; « Denis Morel et Nancy Skeene remportent les honneurs du 4e marathon de nage », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 115, nO 9 (29 juin 1967), p. 21. 24 « Pour une 3e année. L'équipe Loiselle-Dufault gagne la course de canots », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 119, nO 2 (10 mai 1972), p. C3; « M. Vanier et Y. Croteau, Denis et Daniel Chagnon, les champions du canot », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 123 , nO 1 (7 mai 1975), p. C8; « Course de canot. M. Vanier et 1. Girouard, Denis et Daniel Chagnon établissent des records », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 124, nO 2 (\2 mai 1976), p. 02.
133
agricoles. Bien que nous constatons pour toute la période étudiée que la pratique du
loisir se poursuit pour une partie de la population, il reste que les multiples usages de la
rivière perturbent cette même population récréative.
Par exemple, le marathon de nage qui se déroule depuis 1964 sur les eaux de la
Yamaska en face de la Porte des anciens maires est abandonné en 1971. L'organisateur
de cette compétition, Gérard Côté, soutient que les « [ ... ] nageurs devenaient de plus en
plus réticents à l' idée de disputer une épreuve de longue haleine dans une rivière polluée
comme peut l' être la Yamaska25 ». Des « régates26 » viennent remplacer l' événement de
natation.
Les usages sanitaires et économiques interpellent deux regroupements d' acteurs
associés aux usages récréatifs de la rivière. Le premier regroupement, les clubs de chasse
et pêche, voit dans la pollution de la rivière une limite à la pratique de la pêche, sa raison
d'être. Cette particularité entraîne les dirigeants et les membres de ces regroupements
sportifs à entreprendre des actions pour contrecarrer les effets de la pollution sur la faune
aquatique. Toutefois, ces appréhensions concernent uniquement une certaine élite faisant
partie des regroupements sportifs.
Au tournant des années 1970, le discours et l'appréhension de la rivière par ces
mêmes individus changent. Ils cherchent désormais à démocratiser l' accès à la rivière à
25 « À la Saint-lean-Baptiste. Des régates provinciales seront organisées sur la rivière Yamaska », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 118, nO 41 (10 février 1971 ), p. 1. 26 Des courses de bateaux à moteur.
134
l'ensemble des citoyens. Divers regroupements de citoyens adhèrent à ce second courant
de pensée au début des années 1970, afin de lutter contre la pollution de la Yamaska et
ainsi améliorer les conditions de vie de la population riveraine.
3.2 DE LA REPRÉSENTATION UTILITAIRE DES ÉLITES DE CLUBS DE
CHASSE ET PÊCHE À UNE DÉMOCRATISATION DE L'ACCÈS À LA
RIVIÈRE
La pollution domestique de la rivière inquiète les populations qui s'y abreuvent.
Durant les années 1940, l'usage sanitaire de la Yamaska est au centre de conflits qui
opposent les autorités des municipalités riveraines, notamment en ce qui a trait à la
protection de leur source d'alimentation en eau. Selon Michèle Dagenais, c'est
également à cette époque qu'émerge la réflexion sur la nécessité de protéger les milieux
naturels. « Ce sont les associations de pêcheurs et de chasseurs qui sonnent la charge, car
préoccupées par l'état des ressources ha[I]ieutiques et des cours d 'eau dans les
agglomérations urbaines où nombre de leurs membres s'adonnent à leurs loisirs27• » Elle
soutient également que la mobilisation de ces regroupements de sportifs contribue à
« [ ... ] élargir la notion courante de nature, jusque-là pensée comme sauvage et éloignée
des milieux habités [ ... ]28 ». À juste titre, rappelons ici les conclusions de la section 3.1
du présent mémoire, soit qu ' une majorité de pêcheurs pratiquent leur activité à cinq
kilomètres et moins de la municipalité où ils résident.
27 Michèle Dagenais, « " Ce qui tue aujourd ' hui le poisson peut fort bien nous tuer demain " ... » : 1-2. 28 /bid.
135
Au-delà de la pratique sportive de la pêche, les associations de pêcheurs et de
chasseurs se représentent le problème de pollution de la Yamaska et elles interagissent
avec la dégradation de leur espace de loisir. Les années 1940 sont marquées par la
recension de quelques cas de contamination de la Yamaska. Il est possible d'y repérer
les premières assises d'une coopération entre l' Association des pêcheurs et chasseurs du
Yamaska29 et le gouvernement provincial, qui se solidifie lors des années 1950 et
19603°.
En 1944, les dirigeants du regroupement maskoutain de pêcheurs s'interrogent
sur ce qui a bien pu causer la mort de plusieurs milliers de poissons en aval de
Saint-Hyacinthe31• Ils s'intéressent entre autres à une enquête effectuée à ce sujet par
l'Office de biologie du ministère de la Chasse et de la Pêche du Québec 32. Quelques
années auparavant, en 1940, une situation similaire s'est produite. Après la déc9uverte
de millier de poissons morts, l'Unité sanitaire des comtés de Saint-Hyacinthe et de
Rouville embauche des citoyens pour les enterrer. « Les alentours étaient littéralement
29 L'association change de nom quelques années plus tard et devient le Club Maska. Elle s' affilie en 1955 à la Fédération des Clubs de Chasse et Pêche du Québec. JO Gow soutient qu'entre 1930 et 1970 : « Les clubs de chasse et pêche sont toujours les piliers de la politique des gouvernements [ ... ] Après avoir connu des années très maigres vers 1943-1945, le service de la pisciculture, se développe une meilleure base au début des années 1950 ». De son côté, Hébert rappelle que l'Office de biologie du Québec, créé en 1942, cherche « ... avant tout à orienter ses travaux en fonction des interrogations des pêcheurs et du public en général concernant entre autres la pollution »; Gow, Histoire de l'administration publique québécoise ... , p. 193; Hébert, Une histoire de l 'écologie au Québec ... , p. 419. J I CHSH, Fonds Club de chasse et pêche Maska, CH403 , Procès-verbaux des assemblées des directeurs de l'association des chasseurs et pêcheurs du Yamaska, 10 août 1944; 22 avril 1945. J2 À noter que nous n' avons pas plus d' information sur cette enquête que sa mention dans ces procèsverbaux.
136
empestés et l'on craignait pour la santé des riverains. C'est par pleins camions que le
poisson mort a été retiré de la rivière, et l'on estime les pertes à plusieurs tonnes33• »
De tels événements mènent les autorités gouvernementales à s'interroger sur les
effets que la pollution a sur la faune34. Durant la période d'après-guerre, quelques études
orchestrées par des chercheurs de l'Office de biologie du Québec, tels que Vadim D.
Vladikov et Gustave Prévost, abordent la raréfaction de certaines espèces de poisson
dans la rivière35• L'Office sollicite alors la collaboration des membres des différents
clubs de pêcheurs et de chasseurs de la région36 pour que ceux-ci remettent aux
scientifiques les spécimens pêchés qui sont à l'étude, comme le maskinongé et la
lamproie.
C'est notamment durant cette période que s'exprime une première fois la volonté
de restaurer le cours d'eau. La collaboration entre les pêcheurs et les biologistes a pour
objectif d'aider à comptabiliser des résultats pour assurer « la conception de mesures
efficaces de conservation et de repeuplement» de la rivière37• Des années 1950
33 « Des milliers de poissons meurent dans la rivière », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 88, na 25 (9 août 1940), p. 1; « Où des milliers de poissons meurent », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 88 , na 27 (23 août 1940), p. 1. 34 Yves Hébert, op. cil. , p. 419. 35 Par exemples: « Les anguilles et lamproies prises dans notre rivière », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 92, na 18 (22 juin 1945), p. 4; « Études en cours sur le maskinongé », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 96, na 16 (25 juin 1948), p. 12; « Le pêcheur de nouveau prié de coopérer aux recherches biologiques sur le maskinongé », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 97, na 20 (29 juillet 1949), p. 8. 36 Dans la grande région de Saint-Hyacinthe, outre l'Associations de Pêcheurs et Chasseurs de la Yamaska et celle d'Acton Vale - Bagot, nous retrouvrons la Yamaska Conservation Association près de Granby 37 « Le pêcheur de nouveau prié ... », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , (29 juillet 1949), p. 8.
137
jusqu'aux années 1970 s'ensuit une multitude de gestes entrepris par les clubs de chasse
et pêche visant à contrer les effets de la pollution sur la faune aquatique.
L'ensemencement - ou empoissonnement - du bassin de la Yamaska est l'une de
ces initiatives entreprises en collaboration avec les agents de l'Office de biologie et du
Service de protection de la faune, qui fait également partie du ministère provincial de la
Chasse et de la Pêche. La figure 22 illustre cette collaboration, alors que nous y
apercevons le président du Club Maska, Léo-Paul Robert, et le camion de la brasserie
Molson ayant transporté les dorés fournis par le gouvernement38 . Entre 1956 et 1970, les
clubs Maska et A VB collaborent ainsi à l'introduction de près de 130 000 alevins et
petits poissons de différentes espèces dans les eaux du bassin de la rivière Yamaska39•
38 Pour fournir des dorés aux différents regroupements de pêcheurs, les responsables de l'Office de biologie travaillent à cueillir les poissons qui s'aventurent « ... depuis le Lac Champlain jusqu'à la Baie Missisquoi au moyen de pêche à la seine, de les placer dans des réservoirs spécialement aménagés à cet effet et de les transporter dans différents lacs et rivières de notre province ». Le gouvernement donne aux pêcheurs 0,50 $ par doré péché et il les revend 0,20 $ aux différentes associations et clubs de pêche. Le transport des poissons est pris en charge par le Club de Pêche Molson. Ce dernier fournit gratuitement les camions de la brasserie qui sont spécialement aménagés pour le transport des poissons; « Ensemencement des lacs et des rivières », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 04, nO 4 (4 mai 1956), p. 16; « Trois arrivages donnent 784 dorés pour la rivière », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 105, nO 3 (26 avril 1957), p. l. 39 Pour arriver à cette somme, nous avons additionné tous les statistiques fournies dans les articles abordant un cas d ' ensemencement par l' un des deux clubs. Ces articles ont été recueillis lors de notre dépouillement du Courrier de Saint-Hyacinthe. Voici un exemple de l'information disponible : « Un autre millier de dorés, pesant 2 à 12 livres chacun, ont été confiés récemment aux eaux des rivières Yamaska et Noire, celle-ci tributaire de la première, par les soins du Club de Chasse et Pêche de Saint-Hyacinthe [ ... ] Du nombre, 666 furent mis à l' eau près de Saint-Hyacinthe, tandis que 334 étaient libérés à Saint-Pie de Bagot, en aval du barrage de la rivière Noire, au village »; cité dans « Mille dorés lâchés dans les rivières Yamaska et Noire », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 07, nO 7 (21 mai 1959), p. 1.
138
FIGURE 22 Ensemencement de la rivière Yamaska en amont de Saint-Hyacinthe en 1957
Source: CHSH, Fonds Studio Lumière, AP05447, 1957.
Le Club Maska entreprend d'autres initiatives qui visent à faciliter la
prolifération et la stabilisation des espèces de poisson dites sportives dans les eaux de la
Yamaska. Par exemple, il participe à l'érection d'une passe migratoire dans le barrage de
la Penman 's et à son entretien40. Or, quelques années plus tard, les dirigeants du club
jugent insuffisante cette installation et entreprennent la capture et le transfert des
poissons, de l'aval à l'amont de la digue, afin d'en faciliter la migration 41• Ils organisent
40 « À l'assemblée de l'association des pêcheurs », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 91, nO 10 (23 avril 1943), p. 8; CHSH, Fonds Club de chasse et pêche Maska, CH403, Procès-verbaux des assemblées des directeurs de l'association des pêcheurs et des chasseurs du Yamaska, 13 septembre 1945. 41 Léo Bibeau, « Sports, Loisirs et O.T.J. Une pêche miraculeuse », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 112, nO 3 (21 mai 1964), p. 22; Léo Bibeau, « Sports, Loisirs et O.T.J. Pêche miraculeuse du Club Maska », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 113 , nO 1 (6 mai 1965), p. 23.
139
également plusieurs conférences dans le but de sensibiliser leurs membres aux dangers
du braconnage et à l'importance de protéger la faune aquatique42.
Les dirigeants du Club Maska collaborent à la mise en place d'aires de protection
des zones de frayère du doré dans deux zones de la région. Ces « sanctuaires de pêche »,
situés en aval du barrage de la Penman 's et en amont du barrage de Saint-Pie, sont ciblés
par le Service de l' aménagement de la faune du district de Montréal, associé au
ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Faune. « Les responsables du Club de
Chasse et Pêche Maska ont procédé à la mise en place de pancartes indiquant de façon
claire les" sanctuaires" sur la Yamaska et la rivière Noire43. » La pêche y est interdite
entre le 1 er avril et le 9 mai. Quelques années auparavant, le club obtient du même
ministère une autorisation de pêcher à la seine la carpe, un poisson qualifié de nuisiblé4•
Ses dirigeants ajoutent aussi la catégorie de « poisson nuisible» dans ses concours de
pêche, le but étant d'encourager « leur destruction45 ». Le gagnant de cette catégorie doit
pêcher le plus grand nombre de poissons qualifiés de nuisibles .
42 Par exemple, en 1969, lors de la réunion annuel du Club de Chasse et Pêche Maska, M. Léon Marchesseault, trésorier de la Fédération de la Faune du Québec, présente un discours sur l'importance de sensibiliser la population aux dommages que cause le braconnage à la faune du Québec; « M. L. Marchesseault. Le Service de la protection attend la collaboration de la population », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 116, nO 46 (26 mars 1969), p. 32. 43 « Des " sanctuaires de pêche" désignés dans la région », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 116, nO 48 (9 avril 1969), p. 24. 44 « L'Association des Pêcheurs et Chasseurs », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 94, nO Il (10 mai 1946), p. 1. 45 « Derby de pêche les 2 et 9 juillet », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 1 09, nO 8 (22 juin 1961), p. 22.
140
Un parallèle peut être tracé entre le Club Maska et l'Association pour la
protection du poisson et du gibier (APPG) durant la seconde moitié du xrxe siècle
puisqu'ils portent une même préoccupation aux espèces nuisibles46. Comme le souligne
Yves Hébert dans Une histoire de l'écologie au Québec, cette classification des espèces
est liée à des préoccupations de protection de la faune. Elle découle d' une vision
utilitaire de cette même faune. Il rapporte qu'à cette époque:
Elle [l'APPG] évalue les diverses espèces de poisson en fonction de leur qualité pour la consommation humaine. Elle établit aussi une adéquation entre la conservation de certaines espèces et leur utilité pour la consommation. Ce faisant, elle juge certaines espèces utiles et d'autres nuisibles. Si cette association propose des mesures de protection, elles sont étroitement liées aux avantages que pourront éventuellement retirer les sportsmen de la pêche47
•
Tout comme le ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche au tournant
des années 1960, le Club Maska et l'APPG ont l'objectif d'exploiter rationnellement la
ressource halieutique. En cherchant à faire l'étude ichtyologique de la Yamaska, les
analyses scientifiques du ministère ont pour finalité de favoriser la pratique de la pêche
pour le plaisir. Elles s'inscrivent dans une perspective à la fois environnementaliste et
conservationniste de protection de la nature.
À travers ces diverses démarches entreprises par le Club Maska et par le
gouvernement provincial se dessine l'aspect utilitariste de leurs actions. Il y a une
46 Soulignons que nous retrouvons une division de l' APPG dans la région maskoutaine. Elle fut fondée en 1929 et regroupe près de 250 membres en 1934. Cependant, nous ne possédons pas d ' autre information sur ce regroupement; Gustave Morin, dir., « Division Yamaska, Association pour la Protection du Poisson et du Gibier », Annuaire-Guide de la ville et du comté de Saint-Hyacinthe, Saint-Hyacinthe, Imprimerie Yamaska, 1934, p. 123. 47 Hébert, op. cil., p. 275.
141
volonté de maintien, voire d'amélioration des stocks de poissons sportifs dans les eaux
de la Yamaska. Bien qu'il soit question de protéger la faune aquatique, ces actions sont
entreprises pour contrer la diminution du nombre de poissons occasionnée par la
présence de contaminants dans la rivière. Elle menace la pratique de leur activité
sportive.
Durant cette même période, un changement dans le discours des dirigeants du
Club Maska s'opère. À l'instar des conclusions d'une étude de Michèle Dagenais, où
elle soutient que le phénomène de mobilisation des pêcheurs se transforme, passant
« [ ... ] d'un mouvement aux visées plutôt élitiste en direction de préoccupations plus
larges à propos des rapports entre société et nature et de leur nécessaire
démocratisation [ ... ]48 », ce regroupement sportif modifie sa façon d'appréhender la
rivière durant l'après-guerre.
L'exemple le plus marqué de cette nouvelle tendance qu'emprunte le Club
Maska est celui du « Projet Maska » entrepris en février 1972, en collaboration avec la
Fédération québécoise de la faune, sous l'égide de son président Tony Le Sauteur49.
Cette initiative s'inscrit dans le cadre d'un projet plus vaste, celui de « Plein Air en
Pleine Ville» élaboré par la Fédération50. Alors que les actions entreprises par le club
48 Dagenais, lac. cil., p. 10. 49 Guy Pagé, « Maintenant, une rivière ... », Journal de Montréal (6 février 1972); cité dans Dagenais, lac. cil., p. 8 50 Outre la région de Saint-Hyacinthe, il y a la section du fleuve située entre Longueuil et Sorel qui est visée par le projet « Un fleuve un parc », la rivière Outaouais, avec le projet « C'est ma Rivière », et le « projet Vert » de Valleyfield; « La rivière Yamaska. Elle ne coule pas, elle déboule! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 119, nO 40 (2 février 1972), p. 1; « Rapport du Projet-Maska. Il faut un parc »,
142
jusqu'au tournant de années 1970 ont essentiellement pour objectif de satisfaire les
inquiétudes de ses dirigeants et de ses membres, le « Projet Maska » cherche à toucher
un public plus large. L'objectif au cœur de ce projet est de mettre en place un parc
naturel en bordure de la rivière Yamaska, entre Saint-Hugues et Saint-Pie, pour combler
le besoin régional en récréation (figure 23).
Sans que le projet ne se concrétise, il reste possible de constater des changements
dans les motivations du Club Maska à se mobiliser pour contrer les effets de la pollution
. sur la rivière, comme le laisse entendre son président, Noël-R. Laurin, dans une
allocution où il fait état de ses craintes face au projet:
Nous pouvons nettoyer les rives, planter des arbres et des arbustes [ ... ] Nous pouvons entreprendre tout ce qui est physiquement possible pour assainir et entretenir le secteur, mais tout ce que nous aurons fait sera inutile tant que le gouvernement ne mettra pas à notre disposition l' argent nécessaire qui permettra de conserver la région du Parc Maska pour ce qu'elle est, un parc naturel accessible à tous les citoyens51 .
De l' amélioration de l'état de la faune aquatique du bassin versant de la Yamaska
pour le bénéfice de ses membres, le Club Maska cherche désormais à démocratiser
l'accès à la nature. Avec un projet comme la création d'un parc naturel riverain, le club a
pour objectif de redonner la rivière au citoyen. De ce projet, le club soumet trois
requêtes aux gouvernements responsables de l' état de la rivière.
Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 120, nO 46 (14 mars 1973), p. 1; Pagé, « Maintenant, une rivière ... », Journal de Montréal (6 février 1972). 51 « Projet du Parc Maska : Sauvons la Yamaska pour nous! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 120, nO 47 (21 mars 1973), p. BI.
143
FIGURE 23 Projet Maska : parc naturel en bordure de la Yamaska (1973)
PROJET
MASKA
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Source: « Projet du Parc Maska : Sauvons la Yamaska pour nous ! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 120, nO 47 (2 1 mars 1973), p. BI
144
D'abord, il demande que le traitement secondaire des eaux d ' égout soit entrepris
dans la région maskoutaine, afin de « [ ... ] diminuer la pollution, de permettre à la faune
aquatique de suivre et de rendre la rivière utilisable à des fins récréatives [ ... ]52 ». La
seconde demande concerne le décret d ' un moratoire pour que cessent tous les travaux
d'urbanisation, d ' exploitation et de transformation des rives de la Yamaska. La dernière
est liée à « [ .. . ] la mise au point d 'un plan d ' aménagement du secteur qui , en respectant
l'écologie, rendra à nouveau possible les activités de plein air pour les citoyens de
Saint-Hyacinthe et des environs53 ».
Nous retenons de ces trois requêtes leur dimension utilitaire. L' aspect fonctionnel
est au centre des revendications de ce club. La finalité de la restauration de la rivière est
attachée au bienfait qu ' elle apporterait aux membres du club et à la population en
générale. Ces interactions entre le Club Maska et le gouvernement provincial, d ' où
découlent des considérations utilitaires de la Yamaska, nous permettent de mieux
comprendre les modalités de prise en charge de cette rivière. Bien que des riverains
s' intéressent dans une certaine mesure à l'impact de la pollution sur la faune et sur
l' écosystème riverain, le moteur de l'action est ici d ' améliorer les conditions récréatives
de la Yamaska.
Cependant, la nouvelle orientation qu ' empruntent les dirigeants du Club Maska
au tournant des années 1970 expose un discours marqué par la volonté de démocratiser
52 Ibid. 53 Ibid.
145
l'accès à la rivière. Cette nouvelle orientation n'est toutefois pas l'apanage de
l'association de pêcheurs. Il convient donc d'aborder les mobilisations citoyennes de la
région maskoutaine en lien avec le mouvement environnementaliste des années 1970.
3.3 ENTRE ENVIRONNEMENTALISME ET MOBILISATION POLITIQUE:
LES GROUPES DE PRESSION ET LEUR REPRÉSENTATION DE LA
RIVIÈRE
Soulignons d'entrée de jeu que les regroupements citoyens, ainsi que la
mobilisation pour lutter contre la pollution et les autres problèmes environnementaux
survenus au tournant des années 1970 ne sont pas issus d'une soudaine prise de
conscience de la population. Selon Yves Hébert, ce mouvement écologique s'appuie sur
des bases établies au cours des années précédentes:
En fait, l'idée de protéger la faune et la flore dans un but utilitaire n'est pas neuve dans l'histoire. Ce qui sera nouveau à partir des années 1970, ce sera bien évidemment la grande force mobilisatrice du mouvement écologiste qui se nourrira de l'émergence de la jeunesse et de nouveaux courant d'idées visant à proposer des solutions alternatives au développement de la société industrielle et de consommation. Avant de monter aux barricades, les écologistes, jeunes et adultes, ont, il est vrai, vécu une période d' éveil ou d'émerveillement favorisé par certaines organisations comme les clubs 4-H, la Société Provancher d'histoire naturelle du Canada et les Cercles des jeunes naturalistes. La reconnaissance de la biodiversité et le désir de protéger cette richesse pour sa valeur intrinsèque constituent une autre nouveauté pour le Québec à partir des années 197054
.
Il reste que cette décennie voit naître un nombre important de groupes
environnementalistes. Hébert soutient que des 437 répertoriés au Québec en 1985, plus
de 220 sont fondés entre 1966 et 198355.
54 Hébert, op. cit. , p. 359. 55 Ibid. , p. 349.
146
Dans cette mobilisation environnementale des années 1970, certains historiens
voient le début de nouveaux rapports entre société et nature. Les enjeux
environnementaux sont perçus comme un problème social. Au contraire de la vision
utilitaire des environnementalistes des premiers tiers du XXe siècle, qui place
l'environnement au service de l'économie et des loisirs, les militants du tournant des
années 1970 « [ ... ] seraient plutôt à la source d'une protestation sociale importante
contre la production et la consommation, et seraient plus préoccupés par les questions de
justice sociale que par la défense des " droits " de la nature56 ». Les groupes verts
québécois s'inscrivent dans un courant plus large de mouvements sociaux qui
investissent les scènes publique et politique au nom de la recherche d'une meilleure
qualité de vie.
Ce militantisme environnemental « [ ... ] entre directement en conflit avec le style
de vie" américain" des Trente Glorieuses centré sur le développement économique tous
azimuts et la consommation effrénée de biens et de ressources, bref, sur une société
assurant ses assises sur la domination oppressive de l'Homme sur la nature57 ». Ces
groupes des années 1970 cherchent à favoriser la prolifération de valeurs fondées sur
une nouvelle relation interactive entre humain et environnement.
56Jane Barr, The Origins and Emergence of Quebec 's Environmental Movement,' 1970-1985, mémoire de maîtrise (géographie), Université McGill , 1995, p. 130; cité dans Valérie Poirier et Stéphane Savard, « Le militantisme environnemental au Québec ou comment l'environnement est devenu un enjeu politique », Bulletin d 'histoire politique, vol. 23, n° 2 (hiver 2015) : 21-22. Voir aussi Ryan E. O'Connor, Toronto the Green,' Pollution Probe and the Rise of the Canadian Environmental Movement, thèse de doctorat (histoire), University of Western Ontario, 2010, p.3; cité dans Poirier et Savard, loc. CÎt. : 21-22. 57 Poirier et Savard, loc. cÎt., p. 23 .
147
Dans la grande région de Saint-Hyacinthe, quatre regroupements
environnementalistes se sont intéressés à l' état de la rivière Yamaska et de certains de
ses tributaires durant les années 1970 : le projet « Lutte à la pollution sur l'Yamaska »,
l'Étude des êtres pollués et polluants [sic] les eaux de la Yamaska effectué dans le cadre
du programme Perspective Jeunesse, le projet « Plein-Champ » et le projet
« Embelli »58. Nous avons choisi d' en aborder un seul - le projet « Lutte à la pollution
sur l'Yamaska >> - afin de faire une analyse plus approfondie. Ce regroupement est
représentatif du mouvement environnementaliste de cette période et ses membres
entretiennent une relation étroite avec la rivière. Ils projettent les représentations qu ' ils
se font de la Yamaska dans l' arène publique, notamment à travers les médias locaux.
En juin 1971 , le projet « Lutte à la pollution sur l 'Yamaska » est mis sur pied
grâce à l' attribution d' une subvention fédérale dans le cadre du programme Perspective-
Jeunesse à un regroupement de 28 étudiants du Cégep Bourgchemin59. Il a pour objectif
d' informer la population de la région maskoutaine des problèmes de la pollution en
général et de l'eau en particulier60• Plusieurs volets d' intervention y sont prévus. Le
premier concerne la distribution, au sein de la population, d' informations relatives aux
58 « Perspective-Jeunesse. Lancement du projet : " Lutte à la pollution sur l' Yamaska " », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 11 9, nO 7 (19 juin 1971 ), p. A5; CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMOI , Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Réginald Caron et Pierre Pilon, Étude des êtres pollués et polluants les eaux de la Yamaska effectuée dans le cadre du programme Perspectives Jeunesse, 21 janvier 1974; « Étude et aménagement du Tributaire Plein-Champ », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 120, nO 3 ( 17 mai 1972), p. A2; « Le projet " Embelli " . Contre la pollution! », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 125, nO 33 ( 14 décembre 1977), p. A9. 59 « Pendant les années 1970, il [le Cégep de Saint-Hyacinthe] a formé, avec les cégeps de Drummondvill e et de Sorel-Tracy, le Collège régional Bourgchemin »; cité dans Cégep de Saint-Hyac inthe, site internet « Histoire du Cégep », http://www.cegepsth.gc.ca/decouvrir-Ie-cegep-par-sa-region-et-sonhistoire/histoire-du-cegep [en français], page consultée le 15 juin 201 6. 60 « Plusieurs projets, acceptés dans le cadre de Perspective-Jeunesse », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 119, nO 6 (9 juin 1971 ), p. A2.
148
effets de la pollution sur l'environnement fluvial. Bien que plusieurs de ces informations
sont fournies par des organismes internationaux6 \, nationaux et régionaux, les membres
de l'équipe d'animation populaire (Pampo) diffusent également les données fournies par
l'équipe scientifique du projet. Cette dernière effectue entre autres des études sur les
effets et les « dégâts causés par la pollution» sur la rivière et sur l'écosystème
aquatique. De son côté, l'équipe « nettoyage », en plus de retirer les déchets des rives, a
le mandat de fournir divers échantillons à l'équipe « scientifique» afin qu 'elle en fasse
l'analyse.
Les organisateurs prévoient alors élaborer un rapport qui « [ ... ] présentera les
conclusions des équipes du projet et pourra même fournir des recommandations aux
ministères responsables de la pollution de l'environnement62 ». Dès l' acceptation du
projet par les autorités fédérales, Claude Nadeau, l'un des responsables du projet « Lutte
à la pollution sur l'Yamaska », demande la collaboration et l' appui du conseil municipal
de Saint-Hyacinthe quant à la prise en charge de mesures favorisant l'amélioration de
l'état de la Y amaské3. Outre ces « pressions externes directes64 », le groupe de
6\ À noter que l'influence internationale est une caractéristique du mouvement environnementaliste du début des années 1970; Poirier et Savard, foc. cil. : 24-25. 62 « Perspective-Jeunesse ... », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, (19 juin 1971), p. AS. 63 CHSH, Fonds Ville de Saint-Hyacinthe, DMO 1, Documents afférents aux procès-verbaux du conseil municipal, Claude Nadeau, Rivière Yamaska - Groupe d'étudiants demande aide de la cité, au moment nécessaire, RE projet d 'été" Lutte à la pollution sur l'Yamaska " accepté par le gouvernement fédéral, 7 juin 1971. 64 Nous empruntons à Boivin et Savard le terme « pression externe directe », lié à la catégorie de stratégies utilisées par les groupes de pression exercée directement envers les autorités, mais qui ne s'insère pas dans un processus institutionnel. Deux autres catégories complètent le tableau. D'abord, il y a les pressions externes imlirectes, qui concernent plutôt la recherche de l' obtention de la faveur de l'opinion publique. Puis, il ya la participation institutionnelle aux processus décisionnels des groupes de pression, comme lors de commissions parlementaires; « Pour une histoire des groupes de pression au Québec .. . » : 22-31.
149
pression65 utilise diverses stratégies dans le but de mobiliser l' opinion publique en
faveur de la cause environnementale.
L'équipe Pampo organise des conférences dans les différentes municipalités de la
région de Saint-Hyacinthe pour sensibiliser la population à la cause environnementale.
Des documentaires de l'Office national du film du Canada y sont projetés pour faire la
démonstration des problèmes occasionnés par la pollution fluviale. L'équipe produit
également des montages audio-visuels qui portent sur l'état de la Yamaska66. En
diffusant les résultats des analyses obtenus par l'équipe scientifique, le groupe de
pression cherche à légitimer son intervention auprès du grand public.
Plusieurs autres « pressions externes indirectes67 » sont menées dans le cadre du
projet « Lutte à la pollution sur l'Yamaska », comme une marche et une oraison funèbre
soulignant symboliquement l'empoisonnement « [ ... ] de l'homme moderne qui serait
6S Il existe une distinction entre « groupe de pression » et « groupe d ' intérêt ». L' information relative aux intentions de pressions exercées sur le gouvernement justifie notre choix d'appeler ce regroupement un « groupe de pression ». Selon André-J. Bélanger et Vincent Lemieux, cité par Boivin et Savard, « ... un « groupe d ' intérêt » et un « groupe de pression » représentent des réalités distinctes - mais en quelque sorte complémentaires. Ainsi [ ... ] le premier " se réfère plus globalement à un ordre de préférences ou d'objectifs poursuivis par une organisation " telle" la propagation d ' une idée ou d'une activité qui n' implique en rien une intervention de l'État ", tandis que le second" insiste, pour sa part, sur le moyen employé dans la poursuite de cet intérêt ". Autrement dit, " tout groupe de pression est un groupe d ' intérêt, mais non l'inverse". »; André-J. Bélanger et Vincent Lemieux, Introduction à l'analyse politique, Montréal, Gaëtan Morin, 2002 : 221-258; cité dans Boivin et Savard, loc. cil. : 21-22. 66 « Animation maskoutaine. L'équipe du projet contre la pollution présente trois films sur la nature », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 119, nO 8 (23 juin 1971), p. A3 ; « Ce soir. L'équipe du projet PAMPO tiendra une réunion à La Providence », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 119, nO 9 (30 juin 1971), p. A3 . 67 Boivin et Savard, loc. cit. : 22-23 .
150
décédé par sa faute, ne protégeant pas son environnement [ ... ]68 » (figure 24). Selon
Jérôme Boivin et Stéphane Savard, ce type de pratique aurait pour finalité d'attirer
l'attention et convaincre l'opinion publique du bien-fondé de la cause défendué9.
FIGURE 24 Cortège funèbre de l'être humain empoisonné par son environnement, organisé par
les membres du projet« Lutte à la pollution sur l'Yamaska »,1971
Source: CHSH, Fonds Le Courrier de Saint-Hyacinthe, CH380/002/4111l00, 1971.
68 « PAMPO au Bourg-Joli. Un pavillon anti-pollution sur le site de l'Exposition régionale », Le Courrier de Saint-Hyacinthe , vol. 119, nO 12 (21 juillet 1971), p. AS. 69 Boivin et Savard, loc. cÎt., p. 22.
151
Une des caractéristiques communes aux autres regroupements de cette période
est l'usage de techniques de la rhétorique, qui est de deux ordres: l' émotion et
l' argumentation. « D'un côté, donc, les histoires à scandale parsemées de métaphores et
les scénarios apocalyptiques fondés sur la peur; de l' autre, les textes de lois, les rapports
scientifiques et les documents informatifs. Et, de part et d' autre, l' usage des chiffres
pour produire, plus souvent qu 'autrement, .. des effets de réel ,,70. » Dans le cas du projet
Pampo, l'emploi de l' émotion est perceptible par l' usage de la métaphore d'une marche
funèbre soulignant la « mort» de l'Homme moderne tué par sa négligence à l' endroit de
son environnement. L'argumentation se perçoit à travers le travail de l' équipe
scientifique qui collecte et diffuse de données statistiques concernant l' état et les effets
de la contamination de la Yamaska.
L'équipe Pampo cherche également à établir des contacts avec des organismes de
la région pour que la lutte contre la pollution se poursuive au-delà de leur travail. Le
groupe rencontre les membres de la Jeune Chambre de Commerce de Saint-Hyacinthe
qui leur offrent la possibilité de fournir un représentant de la chambre dans un éventuel
comité permanent de la lutte à la pollution71•
70 Ibid , p. 23 7\ « Ce soir à Douv ille. L' équipe PAMPO tiendra sa se assemblée sur la pollution », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 119, nO 1 0 (7 juille t 1971 ), p. A3 .
152
Les responsables de l'équipe Pampo rencontrent aussi le conseil de l'Association
féminine d'éducation et d'action sociale (AFEAS)72. Quelques temps après, le Courrier
de Saint-Hyacinthe publie un article dans la section « Au féminin ». L'équipe Pampo y
recommande d'éviter les produits de lessive et de nettoyage contenant une grande
quantité de phosphate, un élément qui contribue à la pollution de la rivière. Il y est
mentionné que la liste de produits à éviter est fournie par le Comité S.T.O.P. (Society to
Overcome Pollution)73. Cet exemple n'en est qu'un parmi d'autres. Durant la période
d'opération du projet Pampo, la presse locale publie un nombre important d'articles
faisant la promotion de nouvelles habitudes de vie qui sont moins dommageables pour
l'environnement 74.
À l'heure du bilan, le groupe de pression « Lutte à la pollution sur l'Yamaska »
soutient qu'il a réuni plus de 2 000 citoyens lors de ses nombreuses activités, en plus de
72 « L'équipe Pampo vise une continuité dans son projet contre la pollution », Le Courrier de SaintHyacinthe, vol. 119, nO 9 (30 juin 1971), p. A 15 . 73 Ce groupe de pression, distinct de la Société pour vaincre la pollution (SVP), mais semblable sur plusieurs positions défendues, débute en 1970 avec le regroupement « ... de femmes de l'ouest de Montréal préoccupées par la pollution causée par les détergents domestiques »; Jean-Pierre Rogel, Un Paradis de la Pollution , Sillery, Presses de l'Université du Québec, 1981, p. 127. Un parallèle peut être effectué entre cette particularité fémine du groupe de pressions, soit investir la place publique avec des motivations liées au rôle traditionnel « genré », et le mouvement anti-nucléaire de l' Allemage de l'Ouest des années 1970 étudié par Jens Ivo Engels, « Gender roles and German anti-nuclear protest. The women of Wyhl », 8ernhardt et Massard-Guilbaud, dir., Le démon moderne ... : 407-424. D'ailleurs, il serait intéressant d'approfondir l'étude de l' implication des femmes dans les mobilisations environnementales québécoises de cette décennie. Le lecteur intéressé pourra se référer à l'ouvrage de Nancy C. Unger, Beyond Nature 's Housekeepers. American Women in Environmental History, en particulier le chapitre 8 « The Modern Environmental Justice Movement »; New York, Oxford University Press, 2012: 187-214. 74 Par exemple: « La pollution par les enzymes constitue un grave problème », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 119, nO 10 (7 juillet 1971), p. 85; « Les phosphates sont-ils utiles ou nuisibles à la vie? », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 119, nO II (14 juillet 1971), p. 85 ; « La pollution coûte cher », Le Courrier de Sa int-Hyacinthe, vol. 119, nO 12 (21 juillet 1971), p. 85.
153
ramasser entre 7 000 et 8 000 kilogrammes de déchets provenant de la Yamaska75 • En
sensibilisant la population à la question environnementale et à sa protection, le groupe
veut presser les autorités à établir des mesures radicales pour que la rivière Yamaska et
les autres cours d ' eau du Québec « [ ... ] redeviennent propices à la natation, à la. pêche,
au tourisme nautique, à la chasse aux oiseaux migrateurs, ainsi qu 'aux usages
touristiques, ruraux et industriels 76 ». Le regroupement considère que l' eau est un bien
commun qui doit être protéger et pris en charge par l'État, afin que la pollution cesse
d'affecter les citoyens « [ ... ] dans ses biens les plus précieux : la santé et le bien-être77 ».
Le groupe de lutte à la pollution de la Yamaska conclut ses activités en
organisant une rencontre publique sous forme de table-ronde. Il y invite entre autres
Victor C. Goldbloom et Gilles Massé, respectivement ministre sans portefeuille délégué
à l' environnement et ministre des Richesses naturelles, qui ont alors à répondre aux
questions de journalistes portant notamment sur le projet d' assainissement du bassin de
la Yamaska78• Alors que Goldbloom soutient que des mesures seront bientôt prises pour
aménager le bassin de la Yamaska, plusieurs personnes présentes à la rencontre
demeurent sceptiques quant à ses réelles intentions en soutenant que « [ . .. ] plusieurs
hommes politiques avaient fait des promesses, tandis que la rivière Yamaska continue à
75 « Un comité permanent continuera le travail de PAMPO dans la région », Le Courrier de SaintHyacinthe, vol. 11 9, na 16 ( 18 août 1971 ), p. AS. 76 « PAMPO estime urgent de prendre des mesures d 'assain issement », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 11 9, na 13 (28 juillet 1971 ), p. AS. 77 « Le 19 [août]. Les ministres Goldbloom et Massé à une table -ronde de PAMPO », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 11 9, na 16 (18 août 1971 ), p. 1. 78 Ibid.
154
se polluer davantage79 ». Rappelons qu'à ce moment, l'OPDQ n'a pas encore déposé le
plan Yamaska.
L'étude de ce groupe de pression met en lumière une condition commune aux
différents groupes du mouvement vert du début des années 1970, ou plus précisément au
mouvement environnementaliste8o • La mobilisation n'a duré qu'un seul été, grâce à une
subvention du gouvernement fédéral distribuée à des étudiants du cégep de la région. En
se basant sur les écrits de Jean-Guy Vaillancourt, cette particularité est représentative du
mouvement environnementaliste des années 1970 :
Un certain militantisme commence même à poindre à l'intérieur de certains de ces groupes qui rejoignent un public de plus en plus large, surtout parmi les jeunes. Il y a aussi toute une série de petits groupes environnementalistes locaux qui naissent, et qui vivent, parfois seulement le temps d'une lutte ou d'une subvention, mais qui ont quand même, grâce aux mass médias, un impact considérable dans la population et auprès des gouvernements81
•
La période pendant laquelle se déroulent les activités de l'équipe Pampo est
marquée par la publication de plusieurs articles du Courrier de Saint-Hyacinthe qui
abordent les questions soulevées par le groupe de pression82. L'interrelation entre la
rivière Yamaska et la population de la grande région maskoutaine s'enracine ainsi à
travers ces écrits qui marquent l'imaginaire des lecteurs. Cette particularité du projet
79 « " Dépolluer la Yamaska, une priorité! " (Le ministre Goldbloom) », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, vol. 119, nO 17 (25 août 1971), p. 1 et A2. 80 Pour plus de détails sur les nuances entre les différentes déclinaisons du mouvement vert, voir Vaillancourt, « Le mouvement vert au Québec ... » : 113-132. 8\ Vaillancourt, « Évolution, diversité et spécificité ... », p. 85. 82 Nous avons recensé une trentaine d' articles portant sur le travail du groupe de lutte à la pollution de la Yamaska.
155
« Lutte à la pollution sur 1 'Yamaska » est essentielle pour le groupe de pression qui
cherche à faire reconnaître la légitimité de ses intérêts auprès des autorités.
CONCLUSION
À travers l' étude des usages récréatifs de la rivière, nous constatons que la
menace que représente la contamination du cours d'eau pour ses différents usagers est
un moteur d ' action . Alors que les années d ' après-guerre sont marquées par une
appropriation de la rivière par des citoyens à la recherche de nouveaux lieux de loisir, la
présence de pollution pousse certains regroupements sportifs, dont le Club Maska, à
tenter de limiter ses effets sur la faune aquatique.
Au tournant des années 1970, un changement s ' opère dans l' approche de ce
regroupement sportif. Les intentions derrière leurs interventions pour contrer les effets
de la pollution sur la pratique de la pêche se modifient. Désormais, les dirigeants du
Club Maska optent pour une démocratisation de l' accès à la rivière. Les actions
entreprises ne sont plus uniquement pour le bénéfice de leurs membres, mais visent
plutôt l'ensemble des citoyens de la région maskoutaine.
Cette nouvelle orientation est partagée par tout un pan de la population
maskoutaine au tournant des années 1970. Divers citoyens se regroupent pour militer en
faveur d ' une amélioration de l' état de la Yamaska et, par le fait même, améliorer la
156
qualité de vie des citoyens de la région. Cette situation nous permet de nuancer l' idée
d'une soudaine prise de conscience du problème environnemental durant cette décennie.
Malgré tout, les années 1970 représentent un moment charnière dans la
mobilisation pour la prise en charge de l' environnement. Les groupes de pression
abordent le problème de pollution sous un nouvel angle et leur appréhension de la
Yamaska délaisse le caractère exclusivement utilitaire. Ils dénoncent la détérioration de
l'environnement et intègrent à leur discours de nouveaux objectifs qui sont davantage
politiques, notamment en faisant la promotion de nouvelles habitudes de consommation.
Les usages récréatifs de la rivière sont essentiellement l' affaire de citoyens, mais
aussi de l' OPDQ. Malgré l'intérêt récréatif que représente la rivière pour le
gouvernement provincial, ce dernier est surtout motivé par des considérations
économiques. De leur côté, les différents regroupements citoyens luttent contre la
contamination de la rivière puisqu ' ils la côtoient au quotidien . Nous constatons que le
palier municipal du gouvernement est délaissé par les regroupements citoyens qui
préfèrent s' adresser directement au palier supérieur et à la population.
Ces interactions laissent apparaître une dynamique entre citoyens et
gouvernement provincial au sujet de la prise en charge de la rivière. Elles sont liées à des
mobilisations politiques citoyennes et à des considérations utilitaires - récréatives - de
la rivière.
CONCLUSION
Ce mémoire a pour objet d'étude les usages de la rivière Yamaska dans la grande
région de Saint-Hyacinthe entre 1945 et 1980. L'observation des interactions entre les
différents acteurs interpellés par la Yamaska nous a permis de comprendre les modalités
de la prise en charge de cette rivière.
Les acteurs qui se sont intéressés aux conditions de la Yamaska peuvent être
regroupés sous trois catégories. Les autorités municipales, le gouvernement provincial et
les citoyens maskoutains ont respectivement interagi avec la rivière pour ses usages
sanitaire, économique et récréatif. Ces usages ne sont toutefois pas exclusifs. Ils donnent
lieu à des interactions entre ces différentes catégories d' acteurs. Ces interactions sont
parfois synonymes de coopération, mais elles sont plus souvent sujettes à des
confrontations puisque les différents acteurs ont des représentations distinctes de la
Yamaska et de sa fonction.
L' usage sanitaire est surtout associé aux rejets domestiques et industriels en
provenance des municipalités riveraines, qui voient la Yamaska telle une source
d'approvisionnement en eau et un lieu où disposer leurs eaux usées. Au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, cette double utilisation occasionne divers conflits qui
opposent Saint-Hyacinthe à d'autres localités urbaines situées en amont sur la Yamaska.
158
C'est dans ce contexte qu'entrent en jeu les représentants du gouvernement
provincial en tant que médiateurs externes. Par l'entremise du ministère de la Santé, le
gouvernent provincial apaise les craintes des municipalités reliées aux risques de
contamination de leur source d'eau et leur propose des solutions pour régler les conflits
qui les opposent. Ces interventions externes du gouvernement provincial laissent place,
au tournant des années 1960, à un déplacement du centre de décision lié aux usages
sanitaires de la rivière. L'État impose alors sa vision de la rivière aux municipalités du
bassin de la Yamaska, via la Régie des eaux, un organisme créé pour administrer cet
enjeu provincial l .
Quand le gouvernement lance le plan Yamaska en 1972, il intègre ces enjeux
sanitaires relatif à la rivière, jusqu'alors essentiellement régionaux, à des considérations
économiques. À travers diverses propositions d'intervention, dont l'épuration des eaux
usées municipales, les autorités provinciales ont pour objectif de régulariser le débit de
la Yamaska et d'améliorer la qualité de son eau. Ces interventions de l'État visent entre
autres la consolidation et l'essor du développement économique des municipalités du
bassin versant. Avec la prise en charge de la Yamaska par l'OPDQ, le mode
d'appréhension de la Yamaska change d'échelles. La rivière ne correspond plus
uniquement à un cours d'eau qui traverse la municipalité, mais aussi à un bassin versant
où plusieurs localités urbaines et rurales sont établies.
1 La Régie d'épuration des eaux du Québec, qui devient en 1964 la Régie des eaux du Québec, a pour objectif de s'occuper du problème de pollution fluviale, principalement celle d 'origine domestique. Sur le sujet, voir Castonguay et Bernard, « National and Local Definitions of an Environmental Nuisance ... » : 1 0-23.
159
L'usage récréatif unit la rivière aux citoyens. Au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, la recherche de nouveaux lieux de loisir par une classe moyenne en expansion
fait poindre de nouvelles considérations environnementalistes. Une réflexion relative à la
« nécessité de protéger les milieux naturels2 » émerge. Par exemple, les clubs de chasse
et pêche collaborent avec les autorités provinciales à l' étude de la faune aquatique, en
plus de les aider à l'ensemencement de la Yamaska tout au long des années 1950 et
1960. Ces premières interventions des clubs sportifs ont pour principal objectif de
satisfaire leurs membres.
Au tournant des années 1970, les motivations de ces même regroupements
sportifs s'articulent autour de la démocratisation de l'accès à la Yamaska pour
l'ensemble des citoyens de la région maskoutaine. À l'image de cette nouvelle tendance
adoptée par les clubs de chasse et pêche, divers regroupements citoyens se forment afin
de lutter contre le problème de contamination de la rivière. En sensibilisant la population
et en faisant des pressions auprès du gouvernement provincial, ils cherchent à améliorer
la qualité de vie des citoyens, notamment en favorisant l'accès récréatif à la Yamaska.
L ' étude de ces usages de la rivière au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
démontre que l'idée d'une soudaine prise de conscience des problèmes affectant
l'environnement durant les années 1970 doit être nuancée. Bien que de nouvelles
revendications liées à la démocratisation de l' accès à la rivière naissent lors de cette
décennie, des considérations relatives à l'environnement fluvial existent dès les années
2 Dagenai s, « " Ce qui tue aujourd' hui le poisson peut fort bien nous tuer demain" ... », p. 1.
160
1940. En ce sens, il est intéressant de voir quelle place est accordée respectivement à la
société et à la nature dans le désir de protéger et de conserver cet environnement. À la
lumière de l'étude des usages utilitaires (sanitaire et économique) et non-fonctionnels
(récréatif) de la rivière, nous avons constaté que, malgré l'intervention de biologistes et
« d' idéologues environnementalistes », le bien être humain est toujours visé. Jusqu 'aux
années 1970, la question de la protection du milieu uniquement pour lui-même est
absente des discours des différents acteurs considérés.
Également, l'étude de l' évolution des rapports à la Yamaska après la Seconde
Guerre mondiale nous invite à nuancer une interprétation qui se trouve dans la littérature
scientifique et qui prétend que les interrelations entre société et rivière se déclinent en
trois temps. Alors que certains soutiennent que les rapports riverains se succèdent dans
le temps - de la domestication, à l'aliénation, à la réappropriation - nous démontrons
que ces rapports se juxtaposent dans le temps. Par exemple, durant les années 1950, au
moment où les autorités municipales et le ministère de la Santé du Québec justifient le
rejet des eaux usées domestiques dans la rivière par l'absence de risque pour la
contamination de la prise d' eau maskoutaine (domestication), les clubs de chasse et
pêche de la région, en collaboration avec l'Office de biologie du Québec et le Service de
protection de la faune, tentent de réhabiliter la faune aquatique en ensemençant les eaux
de la Yamaska (réappropriation). Également, soulignons qu 'à cette époque, bien que le
ministre de la Santé, Dr Joseph-Henri-Albiny Paquette, recommande de ne pas se
baigner dans un cours d' eau pollué (aliénation), nous avons recensé des cas de baignade
161
dans les eaux de la rivière, notamment en milieu urbain, durant la totalité de la période
étudiée.
Un autre exemple s' observe au début des années 1970, alors que la rivière sert
encore de réceptacle pour les eaux usées non-traitées des municipalités et des industries
de la région (domestication). Cet état des choses pousse certains usagers de la rivière à
mettre fin à l'organisation d'événements sportifs, puisque les participants sont réticents à
pratiquer une activité dans les eaux polluées de la rivière (aliénation) . C'est aussi au
début des années 1970 que le Club Maska tente de démocratiser l' accès à la rivière avec
le « Projet Maska », un parc naturel riverain qui veut de redonner la rivière aux citoyens
de la région (réappropriation).
Parallèlement, les rapports de pouvoir entre les différentes catégories d' acteurs se
dégagent aussi de l' étude des usages de la Yamaska. Dans le chapitre 1, nous avons
établi que le pouvoir décisionnel lié aux usages du cours d'eau est renversé. La volonté
centralisatrice des autorités provinciales est caractérisée par une imposition de leur
vision de la place que doit occuper la rivière dans la municipalité. Nous avons toutefois
démontré que Saint-Hyacinthe éprouve certaines réticences à ce sujet, notamment sur les
questions de financement du projet d'épuration des eaux usées. La ville a un rôle
important à jouer dans la prise de décision. Elle n'est pas qu 'un réceptacle pour les
politiques provinciales, mais détient plutôt un pouvoir important dans l'organisation et la
mise en place de ces demandes de l'État.
162
Les retards et les échecs dans la mise en application de certaines
recommandations du Plan Yamaska proviennent en partie du refus des municipalités
concernées à contribuer financièrement au projet selon des proportions qu'elles
considéraient trop grandes. La confrontation entre les municipalités et le gouvernement
provincial entraîne du retard dans la mise en place d'infrastructures d' épuration des eaux
usées. Alors que le plan Yamaska fait la promotion d' une vision de la rivière à l' échelle
de son bassin, voire de la province, les municipalités visées par le plan ne sont pas du
même avis. Pour elles, si la Yamaska doit être appréhendée à une telle échelle, la
contribution financière liée à son épuration devrait être assumée par l' ensemble des
Québécois.
Les usages de la Yamaska ne conduisent tout de même pas seulement à des
relations conflictuelles entre les différentes catégories d' acteurs. À cet effet, entre 1940
et 1960, la collaboration entre les clubs de chasse et pêche et le ministère de la Chasse et
de la Pêche du Québec, pour l'ensemencement et l'étude de la faune aquatique de la
Yamaska, montre une volonté commune de retour à un état de « pré-domestication » du
cours d'eau alors que la faune aquatique était abondante. Les années 1970 marque
cependant une coupure. Les regroupements citoyens, comme le Club Maska et le Projet
Pampo, pressent les gouvernements à régler le problème de pollution, notamment pour
qu'ils puissent se réapproprier l' espace riverain. Cette relation entre les regroupements
citoyens et le gouvernement provincial illustre une nouvelle dynamique spatiale
163
entourant la prise en charge de la rivière, alors que les citoyens se détournent du palier
municipal pour s ' adresser directement au palier provincial du gouvernement.
Tout compte fait, la pollution en provenance du milieu urbain, des égouts
domestiques comme des rejets industriels, est le principal facteur désigné comme
limitation aux usages de la Yamaska lors de la période étudiée. Bien que les problèmes
environnementaux reliés à l' intensification et l' industrialisation de l' agriculture soient de
plus en plus décriés dans l' arène publique durant les années 1970, les contaminations
domestique et industrielle de la rivière demeurent les principales cibles des interventions
étatiques d ' alors. Notre étude démontre à ce propos le long processus qui mène à
l'élaboration et à l' application de solutions au problème de pollution urbaine durant la
période qui suit la Seconde Guerre mondiale.
La réalité agricole de la grande région de Saint-Hyacinthe devient, au tournant
des années 1980, un des principaux points de mire du gouvernement provincial afin de
satisfaire de nouvelles considérations environnementales portés à l' endroit de la rivière
Yamaska. Il juge nécessaire de mettre en place des politiques d' assainissement des eaux
du secteur agricole, ce qui se reflète dans un rapport du Groupe de travail sur le
Programme d 'assainissement des eaux du Québec (PAEQ) qui fait de la gestion des
fumiers une cible prioritaire pour restaurer et conserver une bonne qualité de l'eau en
164
milieu agricole3. À la fin des années 1980, le problème de pollution agricole demeure au
centre des préoccupations liées à l' assainissement du bassin.
Bien que la construction de près de 1 000 citernes à purin permette de s' attaquer
aux problèmes d'entreposage auxquels sont confrontés les producteurs porcins durant
cette période, le bilan de l' état de l' assainissement de la rivière au tournant des années
1990 reste modeste alors que 33 % des éleveurs possèdent des structures adéquates pour
l' entreposage des déjections animales dans le bassin versant de la Yamaska :
Bien que ces structures et un meilleur contrôle des épandages aient réduit les déversements de purins dans la rivière Yamaska, il reste encore plusieurs interventions à réaliser. De plus, les quantités excessives d 'engrais et de pesticides utilisées, l' érosion des sols et les pratiques culturales sont d'autres avenues devants être explorées. Ainsi, ce volet du P AEQ est peu avancé par rapport aux volets urbain et industriel4
.
À l' instar de la prise en charge du problème de pollution urbaine de la rivière, il serait
intéressant d' étudier davantage la prise en charge de la pollution fluviale d'origine
agricole qui s 'opère durant les années 1980 et 1990. Quels sont les acteurs interpelés par
la situation? Existe-t-il des confrontations d'usages comme nous l' avons observé pour
la question urbaine ? Quelles distinctions et quelles ressemblances peuvent être
observées entre la prise en charge du problème de pollution d' origine urbaine et rurale ?
3 Groupe de travail sur le Programme d'assainissement des eaux du Québec, Rapport du Groupe de travail sur le Programme d 'assainissement des eaux du Québec, ministère de l'Environnement, 1986: 26-37. 4 Sylvain Primeau et Yves Grimard, Rivière Yamaska 1975-1988 (vol. 1) : Description du bassin versant et qualité du milieu aquatique, ministère de l'Environnement du Québec, direction de la qualité des cours d' eau, 1990 : 37-38.
165
Nous avons démontré dans la présente étude que le gouvernement provincial
impose aux municipalités urbaines une plus grande échelle d' appréhension de la rivière
durant les années 1970. Ce changement force l' administration de la ville de Saint
Hyacinthe à établir et à définir de nouveaux rapports entre les municipalités rurales et
urbaines du bassin. Alors que le gouvernement provincial insiste sur la nécessité de
traiter les eaux usées domestiques et industrielles, les municipalités urbaine visées par le
plan Yamaska déplorent le peu d'effort demandé aux municipalités rurales pour
l'assainissement des eaux de la Yamaska. Cette dynamique entre ruralité et urbanité
gagnerait à être étudiée davantage dans le cadre de futures recherches portant sur les
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