une étude de la revue médecine-sciences · au niveau national, la volonté politique de stimuler...

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- 1 - 1 Une étude de la revue Médecine-Sciences Nicolas Givernaud (document de travail 2002) La première partie de cette étude demandée par le DISC-Inserm dresse un historique de la création de la revue. Il est basé essentiellement sur les archives de Suzy Mouchet et couvre les années 1980-1985 (plus particulièrement 1982 et 1983). La seconde partie est l’analyse proprement dite de la revue Médecine-Sciences depuis son premier numéro publié en mars 1985. I. Historique : Une volonté politique, une demande de chercheurs Une coopération franco-québécoise Au début des années 1980, la régression de l’utilisation de la langue française dans la recherche scientifique devient une préoccupation des politiques et des chercheurs (colloques d’Orsay en 1980, Montréal en 1981). 1 Plusieurs initiatives sont alors envisagées, comme l’amélioration ou la création de banques de données (bibliographie, « abstracts »), l’édition de manuels de science… Les revues scientifiques de langue française sont également l’objet de discussions qui portent tant sur la qualité éditoriale et rédactionnelle des revues existantes que sur l’absence de revues de haut niveau dans certains domaines scientifiques… A Montréal, le ministre français de la recherche et de la technologie et le ministre québécois du développement scientifique, immédiatement soutenus par la Commission de coopération franco-québécoise, s’entendent pour lancer un programme dont l’un des axes prioritaires serait l’usage accru du français comme langue de communication scientifique et technique. 2 L’année suivante, en 1982, les Premiers ministres de la France et du Québec conviennent « d’intensifier la coopération économique, scientifique et technologique » et de prendre les « mesures en faveur du français, langue scientifique (traduction, terminologie, revues scientifiques) ». En application de ses accords, et suite aux travaux du comité franco- québécois pour la coopération en matière de langue, la Commission permanente de coopération franco-québécoise réaffirme, lors de sa 34 ième session tenue à Paris du 25 au 27 octobre 1982, son « souhait de contribuer conjointement à la création de nouvelles revues 1 On peut noter qu’entre 1976 et 1979, sur les 300 articles les plus « marquants », 299 ont été rédigés en anglais (Current Contents). D’après un courrier de *Laudat P. à Chevènement JP. 16/10/1981 (tous les documents issus des archives seront précédés d'un astérisque). En 1990, une autre évaluation donnée dans les colonnes de Médecine-Sciences par le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Science du Québec, Claude Ryan, indique que les publications scientifiques en français représentent 9 % des publications scientifiques mondiales pour 2 000 périodiques (13 % du total mondial). Ryan C. « Recherche et développement scientifique : quelques enjeux de la décennie 90 ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3 p. 200-2. 2 *Bergeron M. Projet de création d’une revue de recherche (version préparée pour une réunion du pré-comité de direction québécois), 2/03/1983.

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Une étude de la revue Médecine-Sciences

Nicolas Givernaud (document de travail 2002)

La première partie de cette étude demandée par le DISC-Inserm dresse un historique de lacréation de la revue. Il est basé essentiellement sur les archives de Suzy Mouchet et couvre lesannées 1980-1985 (plus particulièrement 1982 et 1983). La seconde partie est l’analyseproprement dite de la revue Médecine-Sciences depuis son premier numéro publié en mars1985.

I. Historique : Une volonté politique, une demande de chercheurs

Une coopération franco-québécoise

Au début des années 1980, la régression de l’utilisation de la langue française dans larecherche scientifique devient une préoccupation des politiques et des chercheurs (colloquesd’Orsay en 1980, Montréal en 1981).1 Plusieurs initiatives sont alors envisagées, commel’amélioration ou la création de banques de données (bibliographie, « abstracts »), l’édition demanuels de science… Les revues scientifiques de langue française sont également l’objet dediscussions qui portent tant sur la qualité éditoriale et rédactionnelle des revues existantes quesur l’absence de revues de haut niveau dans certains domaines scientifiques… A Montréal, leministre français de la recherche et de la technologie et le ministre québécois dudéveloppement scientifique, immédiatement soutenus par la Commission de coopérationfranco-québécoise, s’entendent pour lancer un programme dont l’un des axes prioritairesserait l’usage accru du français comme langue de communication scientifique et technique.2

L’année suivante, en 1982, les Premiers ministres de la France et du Québec conviennent« d’intensifier la coopération économique, scientifique et technologique » et de prendre les« mesures en faveur du français, langue scientifique (traduction, terminologie, revuesscientifiques) ». En application de ses accords, et suite aux travaux du comité franco-québécois pour la coopération en matière de langue, la Commission permanente decoopération franco-québécoise réaffirme, lors de sa 34ième session tenue à Paris du 25 au 27octobre 1982, son « souhait de contribuer conjointement à la création de nouvelles revues

1 On peut noter qu’entre 1976 et 1979, sur les 300 articles les plus « marquants », 299 ont été rédigés en anglais(Current Contents). D’après un courrier de *Laudat P. à Chevènement JP. 16/10/1981 (tous les documents issusdes archives seront précédés d'un astérisque). En 1990, une autre évaluation donnée dans les colonnes deMédecine-Sciences par le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Science du Québec, Claude Ryan,indique que les publications scientifiques en français représentent 9 % des publications scientifiques mondialespour 2 000 périodiques (13 % du total mondial). Ryan C. « Recherche et développement scientifique : quelquesenjeux de la décennie 90 ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3 p. 200-2.2 *Bergeron M. Projet de création d’une revue de recherche (version préparée pour une réunion du pré-comité dedirection québécois), 2/03/1983.

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scientifiques de haut niveau en langue française » ; elle accorde alors son « soutien à laréalisation du projet de revue médicale » et décide de « dégager les moyens à cet effet ».3

Je ne sais pas comment la décision de créer en priorité une revue dans le domaine médical aété prise. Existe-t-il une volonté de créer une revue dans ce champ-là côté québécois avant lamise en place de la politique de coopération franco-québécoise ?4 Michel Bergeron(département de physiologie de la faculté de médecine, Université Montréal), personnageincontournable côté québécois, avait-il par exemple initié une réflexion dans ce sens avant1980-1981 ?5

En France, les choses sont un peu plus claires. L’origine du projet s’articule autour de troisactions distinctes : une volonté politique, poursuivie au niveau international (en coopérationavec le Québec, comme on vient de le voir) et au niveau national (dans le cadre d’unprogramme mobilisateur du Ministère de la Recherche et de l’Industrie), et une initiativeprivée, menée par le professeur Jean Hamburger et les éditions Flammarion. J’ai cependant eudu mal à reconstituer le déroulement exact des événements. Le projet « Flammarion » semblebien envisagé avant 1980, mais je ne sais pas s’il a exercé pour autant une influence sur ladécision de la commission de coopération franco-québécoise, ou s’il est apparu à propos. Lesarchives que j’ai consultées tendent plutôt à cette dernière conclusion…

Un programme mobilisateur

Au niveau national, la volonté politique de stimuler l’usage du français scientifique estévidente. Le 15 juillet 1982, sous l’action du ministre de la Recherche et de l’industrie, Jean-Pierre Chevènement, la loi d’orientation et de programmation pour la recherche et ledéveloppement technologique de la France est votée. Elle assigne notamment aux organismespublics de recherche et aux chercheurs de ces organismes les missions explicites depromouvoir le français. Un programme mobilisateur est spécifiquement dévolu à cette tâche,le programme mobilisateur n° 6, « promotion du français langue scientifique et diffusion de laculture scientifique et technique »6 ; la Mission interministérielle de l’information scientifiqueet technique (MIDIST)7 se voit confier le soin de l’animer. Parmi les objectifs de ceprogramme la création de « revues-phares » dans au moins cinq disciplines scientifiques, plus

3 *Bergeron M. Projet de création d’une revue de recherche (version préparée pour une réunion du pré-comité dedirection québécois), 2/03/1983.4 En fait, il semble qu’il y ait bien une volonté de créer trois revues scientifiques de haut niveau dans le cadred’un programme quinquennal québécois de revalorisation du français : une de médecine expérimentale etd’investigation clinique, une de physique et une d’ingénierie et de technologie. La formation de trois comitésd’implantation francophone avec mandat pour réaliser les étapes nécessaires au lancement de ces revues estd’ailleurs décidée ainsi que la localisation de leur siège, respectivement au Québec, en France et en Afrique.D’après un document retrouvé dans les archives et à en-tête du Ministère des Affaires intergouvernementales duQuébec. Ce document est malheureusement non daté et je n’ai pas plus d’information sur ce programme.5 Comme on va le voir Bergeron est bien la personnalité québécoise du projet. Il apparaît dès le début des années1980, participe à toutes les réunions et rédige les premières versions québécoises du projet… Par la suite, il serarédacteur en chef de Médecine-Sciences (partie québécoise) pendant plus de15 ans, puis directeur de la Sociétéde la Revue Médecine-Sciences (SRMS), le mandataire québécois de la revue… « Il est partout, il fait tout, il atoutes les casquettes », comme le dit Suzy. Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.6 7 programmes mobilisateurs sont annoncés et marquent les grandes actions volontaires que le gouvernementsouhaite engager d’ici 1985. *Ministère de la recherche et de l’industrie, Programme mobilisateur n° 6, « Lettred’information n° 1 » (non datée).7 Conformément au décret n° 79 805 du 19 septembre 1979 portant sa création, la MIDIST est chargée de définirles normes minimales auxquelles les publications scientifiques et techniques bénéficiant du soutien de l’Etatdoivent satisfaire. *Courrier de Kahane JP. à Lazar P. 24/03/1984.

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une revue technique et technologique, est clairement mentionnée.8 On peut noter ici, qu’aucundomaine scientifique n’est précisé comme prioritaire pour cette action.9

Des discussions sur la création d’une revue française dans le domaine médical sont toutefoisen cours. Dès 1981 au moins, l’INSERM a été contacté par le Ministère à ce sujet et y arépondu favorablement par son directeur général, Philippe Laudat.10 Un tel projet entre dansla politique que celui-ci souhaite initier de redéfinition des missions et de refonte desstructures de son service de Presse et de Diffusion.11 Il ne souhaite pas pour autant que sonorganisme soit désigné maître d’œuvre du projet. Le Journal Français de Médecine, nomqu’il propose pour cette future revue, « ce titre témoignant à lui seul de l’indissociabilité desactivités de recherche et de clinique », doit présenter des articles originaux et devenir un« label de valeur » pour que ses chercheurs trouvent des motifs scientifiques puissants àpublier dans une revue française… Pour des raisons autant scientifiques que d’organisation,ou de gestion, il pense toutefois que ce futur Journal Français de Médecine doit être« plurilingue ».12

Cette orientation sera rapidement abandonnée, tout comme la proposition, en réponse, deJean-Pierre Morizur, Directeur de l’Edition à la MIDIST, qui suggère de s’orienter depréférence vers une édition bilingue (français, anglais).13 Je n’ai en effet plus trouvé de tellespropositions dans les archives que j’ai consultées. A partir de 1982, il est entendu que laréflexion porte sur un projet de revue de langue française uniquement. Le successeur deLaudat, Philippe Lazar, qui accueille également le projet avec enthousiasme, parle bien d’unerevue de recherche médicale francophone de haut niveau.14 Comme son prédécesseur, il estprêt à engager l’INSERM aux côtés de la MIDIST et à apporter une contribution financière aulancement du projet, le temps que la revue puisse s’autofinancer. On peut noter ici que siLazar est convaincu de l’utilité d’une publication scientifique présentant des résultatsoriginaux d’une qualité comparable à celles des revues anglophones dans le domaine, il attiresurtout l’attention sur « la nécessité de ne pas laisser s’établir de barrière de langue entre lacommunauté scientifique et la communauté médicale chargée de mettre en œuvre les résultats 8 *Ministère de la recherche et de l’industrie, Programme mobilisateur n° 6, « Lettre d’information n° 1 » (nondatée).9 Je n'ai pas vraiment d'information sur les résultats de ce programme, la future revue Médecine-Sciences sembleêtre cependant la principale (et unique) revue phare créée. On peut toutefois noter qu'en 1983-1984, et dans lecadre du programme n° 6, la MIDIST a mené des actions dans le domaine de la chimie, en collaboration avec leCNRS et le Ministère de l'Education Nationale, dans celui de la physique ou dans celui de l'électronique, enregroupant des revues déjà existantes ou en leur apportant une aide pour les rendre plus attractives. La MIDIST aégalement piloté le projet de mutation d'une ancienne revue dans le domaine technique et technologique qui adonné « naissance » à une nouvelle revue mensuelle, intitulée Sciences et Techniques, et vendue en kiosque. Acôté de ces actions dans le cadre du programme n° 6, la MIDIST a aussi aidé les revues Oceanologica Acta,Agronomie ou Cahiers de psychologie cognitive. *MIDIST Rapport d'Activité 1983-1984, 113 p.10 *Courrier de Laudat P. à Chevènement JP. 16/10/1981. Dans celui-ci, le Directeur général de l’INSERM faitréférence à un courrier que lui a adressé le ministre de la recherche et de la technologie le 22 septembre 1981. Ilfaudrait peut-être voir si le ministère a également contacté à la même époque d’autres responsables ouorganismes dans l’optique de créer des revues dans d’autres champs scientifiques… et quelles ont été leurréponse.11 Laudat souhaite renouveler l’organisation de conférences de presses, développer les journées « portesouvertes », la création de films scientifiques… et introduire un service moderne d’information téléphonée quifournira en cinq minutes (par disque pré-enregistré) des informations établies toutes les semaines… *Courrier deLaudat P. à Chevènement JP. 16/10/1981.12 Pour Laudat, la revue ne peut être « ni totalement francophone, en raison du nombre encore trop restreint desproductions scientifiques françaises de haut niveau, ni totalement bilingue, compte tenu des délais excessifs etdes risques de contestation que supposerait une traduction suivie d’une double correction d’épreuves ».*Courrier de Laudat P. à Chevènement JP. 16/10/1981.13 *Courrier de Morizur JP. à Doyon, 8/01/1982.14 *Courrier de Lazar P. à Morizur JP. 28/09/1982.

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de la recherche ». Dans cette optique, il suggère notamment d’intégrer à la future revue unerubrique « lettres à l’éditeur », sur le modèle de celle développée dans certaines grandesrevues étrangères et dont l’existence témoigne de la participation beaucoup plus directe de lacommunauté médicale à l’évolution des recherches que celle observée en France…

Un projet de revue médicale aux contours encore bien flous se met ainsi en place au niveaunational dès 1981-1982. Il rejoint rapidement (naturellement ?) les aspirations de coopérationfranco-québécoise et en octobre 1982, comme on l’a vu précédemment, la 34ième session de laCommission permanente de coopération franco-québécoise concrétise la volonté commune decréer en priorité une revue médicale.15

La MIDIST pour la France et le Conseil de la langue française (CLF) pour le Québec sontalors désignés maîtres d’œuvre pour étudier la faisabilité (au sens technique) du projet ; deuxpré-comités scientifiques (l’un en France, l’autre au Québec) sont également constitués pourdéfinir le type de la future revue.16

Les critères techniques et scientifiques devant présider à la création de celle-ci sont préciséslors d’une rencontre au Québec en décembre 1982.17 Il est alors établi que la revue s’adresseraaux chercheurs, enseignants et étudiants, et qu’elle comportera des articles rapportant lesrésultats originaux ou faisant le point des connaissances acquises dans le domaine. La créationde trois comités est également annoncée :- Un comité de direction composé pour la France de la MIDIST, du HCLF, de l’INSERM etdes Ministères des Relations extérieures et de l’Education ; pour le Québec du CLF, de laConférence des recteurs et des principaux d’université du Québec, des Ministères des Affairesintergouvernementales, de l’Education, et du Secrétariat à la Science et à la technologie.- Un comité scientifique, chargé d’étudier la politique éditoriale de la future revue.- Un comité de rédaction.On peut noter ici pour conclure momentanément sur ce projet franco-québécois, la précisionsuivante apportée au cours de la réunion de décembre 1982 : la faisabilité du projet doit avanttout être interprétée comme « la traduction d’une volonté politique qui existe et non commeune étude de marché au sens économique du terme ».18

15 Au niveau national, la création d’une revue de recherche de langue française dans le domaine biomédicalfigurera parmi les projets avalisés par le Comité national du programme mobilisateur le 17 mars 1983. *Courrierde Cassen B. (secrétaire exécutif du programme mobilisateur n° 6) à plusieurs scientifiques français, 19/09/1983.16 Le pré-comité français a été constitué après consultation des institutions (INSERM, CNRS) et des ministèresde la recherche et de l’industrie, et de l’éducation nationale. *Courrier de Cassen B. (programme mobilisateur n°6) à plusieurs professeurs, 19/09/1983. Je n’ai malheureusement pas retrouvé la liste de ses membres. J’ai parcontre celle du pré-comité québécois. Autour de M. Bergeron, celui-ci comprend D. Bourgaux (microbiologie,faculté de médecine, Université de Sherbrooke), G. Devroede (Chirurgie, centre hospitalier de l’université deLaval), J. Genest (directeur général de l’institut de recherches cliniques, Montréal), F. Glorieux (vice-doyen à larecherche et aux études supérieures, faculté de médecine, Université McGIll), P. Kelly (laboratoired’endocrinologie moléculaire), F. Labrie (directeur du centre de recherche en endocrinologie moléculaire, centrehospitalier de l’université de Laval) J-C. Péchère (Chef du service microbiologie et infectiologie clinique, Hôtel-Dieu et université de Laval), R. Simard (Institut du cancer, Montréal) et C. Vézina (directeur adjoint InstitutArmand Frappier).17 *Procès-verbal de la rencontre franco-québécoise sur le projet de création de revues scientifiques de hautniveau en langue française, Ministère des affaires gouvernementales, Québec, 13-14/12/1982. On notera quedans celle-ci le domaine médical est confirmé pour concrétiser la création d’une première revue, tandis que laréflexion sur les autres types de revues est repoussée à un avenir proche…La délégation française est composée de Jean-Pierre Morizur (MIDIST), Brigitte Vogler (Adjointe au directeurde l’Edition, MIDIST), Jean-Paul Véziant (conseiller culturel au Consulat génal de France) et Albert Prévos(attaché culturel, Consulat général de France).18 *Procès verbal de la rencontre franco-québécoise sur le projet de création de revues scientifiques de hautniveau en langue française, Ministère des affaires gouvernementales, Québec, 13-14/12/1982.

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Le projet Flammarion…

En France, parallèlement à ce ou ces projets d’inspiration politique, il y a également, le projetFlammarion, souvent présenté, et avec quelques raisons, comme l’origine de Médecine-

Sciences.L’idée originale revient au Professeur Jean Hamburger, qui préside la direction scientifique dela branche « Médecine-Sciences » des éditions Flammarion. Depuis de nombreuses années, ilsouhaite créer une revue de médecine et de biologie destinée à établir un pont entre larecherche fondamentale et clinique. Présentant des articles courts, rédigés en français etfaisant le point sur des sujets d’actualité, elle permettrait à tous les médecins d’avoir une vued’ensemble des progrès et découvertes effectuées dans toutes les disciplines.19 HenriFlammarion particulièrement intéressé par la médecine, et vieil ami de Hamburger (ils ontconnu ensemble les tranchées durant la première Guerre mondiale) est particulièremententhousiaste, même s’il n’est pas spécialisé dans l’édition de revue.20

Au début des années 1980, le comité scientifique de Flammarion qui entoure Hamburger etcomprend l’immunologiste JF. Bach, le néphrologue JP. Grünfeld, et le biochimiste P.Kamoun (tous de Necker), élabore donc un projet éditorial et un budget prévisionnel avecl’idée de se faire aider par le Ministère (dont le concours est jugé indispensable les premièresannées, Flammarion prévoyant l’autofinancement de la revue dans les quatre ans).21

Il y est rapidement invité, ou encouragé, par le développement à cette époque de la politiquedu Ministère au niveau national, la mise en place d’une politique de promotion du françaiscomme langue scientifique, mais aussi les conclusions des Assises de la Recherche. Le projetFlammarion tombe ainsi à point pour s'inscrire dans celui du programme mobilisateur n° 6 decréation de « revues-phares »...22

Si ce programme n'a pas alors retenu en priorité la création d’une revue dans le champmédical, le projet Flammarion déjà bien établi, susceptible d’aboutir rapidement, a donc puprécipiter une telle orientation.23 L’hypothèse est probable, mais je n’ai pas retrouvé les datesprécises des premiers contacts entre le Ministère et Flammarion et il m'est donc difficile depréciser ici l’influence exacte de ce projet sur celle-ci…

… Et l’INSERM

On a vu précédemment les « premiers » contacts établis entre le Ministère de la recherche etde l’industrie et l’INSERM pour la création d’une revue biomédicale, ainsi que l’engagementclair de l’organisme en faveur de celle-ci (courriers de Laudat, Lazar). Rapidement,l’INSERM soutient le projet Flammarion dans cette optique. Je n’ai cependant pas pudéterminer exactement à partir de quand. D’après les archives de Suzy, c’est le Ministère qui,au début de l’année 1983, semble solliciter l’avis de l’organisme sur le projet Flammarion.24

19 *Un feuillet non identifié, non daté présentant et adressant le projet Flammarion à la MIDIST.20 Flammarion n’édite pas de revue. On peut noter qu’il a toutefois édité pendant un temps celle de G. Matté,Biomédecine. Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/200321 Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003 ; *Un feuillet non identifié, non daté, présentant etadressant le projet Flammarion à la MIDIST.22 *Un feuillet non identifié, non daté, présentant et adressant le projet Flammarion à la MIDIST.23 Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.24 Le premier document que j’ai retrouvé dans les archives indique en effet que Jean Rosa, Chef du département« Sciences de la vie-santé » du Ministère, sollicite l’avis de l’INSERM sur le projet Flammarion (les courriersprécédemment évoqués de Laudat et Lazar n’y font par contre aucune allusion). *Courrier de Degail L. à Rosa J.20/01/1983. On peut remarquer ici que Flammarion s’est tourné vers le ministère mais ne semble pas avoircherché à initier une collaboration avec l’INSERM (et ses éditions). Son projet pouvait pourtant légitimementintéresser l’organisme. En fait, comme me l’a précisé Suzy, Flammarion et l’INSERM n’avaient pas réellementde contact. L’éditeur publiait surtout ce qui était universitaire, enseignement et formation ; s’il y avait bien des

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Lucie Degail, de la Mission de l’information et de la communication de l’INSERM, le jugealors « excellent tant en ce qui concerne les objectifs (articles de synthèse et non primaires), lefonctionnement (5 conseillers assistés chacun de 5 consultants) que la qualité des cinqscientifiques pressentis ».25 Il faut dire qu’il s’accorde bien avec l’essentiel des suggestionsfaites par Lazar (courrier du 28 septembre 1982), comme le précise également le gastro-entérologue Claude Matuchansky, conseiller scientifique de la même Mission INSERM.26

L’organisme dirigé par Lazar est donc, début 1983, favorable à l’intégration du projetFlammarion dans le cadre du programme n° 6. Matuchansky indique d’ailleurs que descontacts sont en cours avec la MIDIST dans cette optique. On notera ici qu’il ajoute que ceprojet pourrait aussi s’intégrer au programme franco-québécois…27

Toujours dans ce même document, Matuchansky exprime très clairement la position del’INSERM vis-à-vis de ce dernier et des propositions avancées par la commission permanentefranco-québécoise sur la nature de revue médicale à créer (rencontre des 13-14 décembre1982 au Québec) : « La revue (…) doit être une revue de synthèses, i.e. de mises au point desconnaissances acquises récentes. Il ne paraît pas, actuellement, réaliste ni souhaitable qu’ellesoit une revue d’articles primaires ». (en gras et souligné dans le texte)28

Deux raisons justifient cette position selon Matuchansky. La première est qu’il est tout à faitprématuré de penser que la communauté scientifique québécoise alimentera de ses bons, ou deses meilleurs, articles primaires une revue nouvellement créée ; dépendants au plan matériel etfinancier de la politique scientifique générale du Canada, les chercheurs québécois doiventpublier dans des journaux de haut niveau… Ils l’admettent eux-mêmes, ajoute-t-il, comme lemontre le consensus général sur ce constat obtenu lors de la réunion du 19 janvier 1983 auministère de la recherche et de l’industrie. La seconde raison relève plus spécifiquement ducontexte français de l’édition scientifique. Il existe en effet, en France, une revuepluridisciplinaire d’articles primaires, déjà « consistante » et désireuse de devenir une revued’investigation clinique de haut niveau, la Presse Médicale.29 Elle fait de sérieux effortsactuellement dans ce sens. Ces efforts, induits par le programme mobilisateur n° 6, s’y auteurs INSERM chez Flammarion, c’était des directeurs d’unité, hospitalo-universitaires, qui intervenaientavant tout dans ce champ-là, domaine dans lequel l’INSERM en tant que tel était peu qualifié. Givernaud N.Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.25 *Courrier de Degail L. à Rosa J. 20/01/1983. Un bémol toutefois est avancé par Degail sur la version initialedu projet qui fait une part trop importante au budget publicité dans le budget prévisionnel. Les scientifiques« pressentis » auxquels elle fait allusion semblent être Bertagna, Degos, Kahn, Lesavre et Erlinger. *Documentnon daté et identifié, « projet Lesavre ».26 De plus, note Matuchansky, l’équipe Flammarion accueille favorablement la proposition de Lazar d’intégrerune rubrique « lettres à l’éditeur ». *Matuchansky C. Mission de l'information et de la communication, note du26/01/1983 (identification ajoutée dans la marge).27 Matuchansky C. Mission de l'information et de la communication, note du 26/01/1983 (identification ajoutéedans la marge). Ce document peut laisser croire également que les discussions sur le projet Flammarioninterviennent alors que la commission de coopération franco-québécoise a déjà statué sur la priorité à donner à lacréation d’une revue médicale…28 Matuchansky C. Mission de l'information et de la communication, note du 26/01/1983 (identification ajoutéedans la marge).29 La Nouvelle presse médicale qui s’appelle à nouveau Presse médicale depuis le 1er janvier 1983 est une revuefrançaise d’articles primaires qui opère alors une mutation importante. Elle vient d’intégrer dans son comité derédaction des scientifiques décidés à défendre l’édition médicale française de haut niveau et a pour ambition dedevenir progressivement la revue française d’investigation clinique. Elle publie 28 000 exemplaireshebdomadaires, ce qui la met au premier rang des revues françaises d’articles primaires, et sa diffusion étrangère(sous forme de mensuel proposant une synthèse des hebdomadaires francophones) est de 75 000 exemplaires enespagnol et portugais (Brésil et pays d’Amérique du Sud) ; un projet d’édition en langue anglaise est également àl’étude. *Matuchansky C. Mission de l'information et de la communication, note du 26/01/1983 (identificationajoutée dans la marge). Je crois qu’une étude de cette revue doit être menée pour évaluer au mieux l’impact etl’apport de Médecine-Sciences dans la communauté médicale…

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intègrent parfaitement et il serait peu opportun que l’INSERM disperse lui-même sesactions… Cette position, précise Matuchansky, a également été acceptée lors de la réunion du19 janvier.

Ainsi en octobre 1982, la coopération franco-québécoise est bien politiquement arrêtée. Ilreste cependant au début de l’année 1983 à s’entendre sur la nature de la revue biomédicale àcréer. Si les chercheurs québécois sont bien d’accord avec Matuchansky, comme celui-ci leprécise ci-dessus, un projet québécois différent du projet français (INSERM ou Flammarion)30

est par contre (toujours) avancé.

Une revue, deux projets…

Pour le pré-comité scientifique français, il faut, comme on vient de le voir, créer une revued’articles de synthèse. Le pré-comité québécois s’est quant à lui mis d’accord sur un modèlede revue largement inspiré de la revue américaine Science et de la revue anglaise Nature.Ces deux modèles ne sont pas réellement incompatibles toutefois pour Bergeron, quil’explique, au mois de mars 1983, dans un courrier à Gérard Lapointe, secrétaire de la CLF.31

Le projet français peut en effet correspondre à la section 2 du modèle québécois proposé.Celui-ci en comprend quatre :- Des notes d’antériorité présentant des résultats originaux de recherche de préférence dans

le domaine biomédical et des sciences de l’homme (environ 2 p.) constitueraient 40 % dela revue.32

- Des articles de synthèse (4-8 p.) dont l’objet serait de tenter de combler le fossé qui existeentre la recherche fondamentale et appliquée, entre les chercheurs de laboratoires et lescliniciens, et de créer des liens entre les différentes disciplines ; 25 à 30 % de la revue.

- Des Nouvelles scientifiques, de type journalistique ; 5 à 10 % de la revue.- Enfin, une Tribune éditoriale, 5 % de la revue, donnerait l’opinion de la rédaction sur des

thèmes d’actualité et serait ouverte aux scientifiques qui désirent exprimer leur opinionsur les politiques gouvernementales, universitaires, industrielles…33

Bergeron identifie bien toutefois dans son courrier à Lapointe, la différence majeure d’objectifexistant entre les deux projets. Le modèle français désire d’abord faciliter les transferts deconnaissance des laboratoires de recherche fondamentale vers les milieux hospitaliers alorsque le projet québécois correspond davantage à l’objectif initial du CLF de créer une revue derecherche.34 Les scientifiques qu’il a consultés voient en fait des objections à l’un et l’autremodèle.35 Le projet INSERM rentre partiellement en compétition avec la revue La Recherche

et certaines revues médicales et ne correspond pas à une revue de recherche originale.36 Lemodèle québécois quant à lui, par son accent mis sur les notes d’antériorité, peut apparaître en 30 On peut en effet à présent parler d’un seul projet français qui est le projet Flammarion activement soutenu parl’INSERM.31 *Courrier de Bergeron M. à Lapointe G. (CLF), 30/03/1983.32 Pour Bergeron, cette formule n’interdit pas une communication ultérieure dans une revue spécialisée et permetde lever les réticences de plusieurs chercheurs qui hésitent à publier une première note en français par crainte demanque de diffusion voire de « l’enterrement de première classe ». *Bergeron M. « Projet de création d’unerevue de recherche », 29/03/1983.33 *Bergeron M. « Projet de création d’une revue de recherche », 29/03/1983.34 *Courrier de Bergeron M. à Lapointe G. (CLF), 30/03/1983.35 Les scientifiques consultés : Bach et Hamburger (Necker), C. Guignard (Thomson), F. Morel (Collège deFrance), G. Richet (Tenon), C. de Rouffignac (Saclay). *Courrier de Bergeron M. à Lapointe G. (CLF),30/03/1983.36 L’entrée en concurrence avec La Recherche est sans doute ici quelque peu exagérée si on note que cettedernière ne comprend que 5 % d’articles de biomédecine. *Compte-rendu de la réunion du 12/10/1983.

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compétition avec les Comptes-rendus de l’Académie des Sciences de Paris. Pour Bergeron,comme pour le pré-comité scientifique québécois, il y a cependant ici place pour ces deuxrevues, à l’exemple de Science et de PNAS. D’abord parce que la nouvelle revue aurait uncréneau distinct de celui des Comptes-Rendus, ensuite parce qu’elle se présenterait sous uneformule bien différente (avec ses articles de synthèse et ses nouvelles…) La revue« québécoise » se situerait en fait à mi-chemin d’une revue consacrée à un seul secteur derecherche et de grandes revues généralisées comme Nature ou Science, dont la formule déjàconnue, et très heureuse (voir l’impact de ces dernières), peut de plus laisser augurer un accèsrapide à l’autonomie financière et l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques.37

On peut noter ici que la version du projet québécois présentée ci-dessus et datée de mars1983, diffère apparemment des premières formulations de celui-ci (malheureusement absentesdans les archives), comme le suggère le courrier suivant de Degail à Lazar : « Il y avait audépart divergence entre le projet québécois d’une revue d’articles originaux et le projetfrançais d’une revue d’articles de synthèse. La position des Québécois a sensiblement évolué,ce qui apparaît dans le rapport de M. Bergeron en date du 29 mars 1983 ». Un point restecependant à débattre pour Degail, la place encore trop grande donnée aux notes d’antérioritédans la future revue.38 Pour le projet français, la revue doit en effet, principalement,exclusivement, être une revue de synthèse et de formation, et non se substituer à des revuesdéjà existantes. L’essentiel de son contenu doit être constitué par ces articles d’environs 4-5pages, dont la difficulté majeure, qui est l’enjeu même de la revue, sera de garder à la fois unepréoccupation clinique et un niveau scientifique indiscutable. A côté de ceux-ci, plusieursrubriques figureront : éditoriaux, brefs articles d’« hypothèses » ou « controverses », « lettresà l’éditeur », comptes rendus de congrès…39

Avant de poursuivre le déroulement des faits, on peut s’arrêter un instant ici sur la différenced’objectif entre les deux projets et se demander si le projet français ne serait pas en fait lereflet d’un contexte particulier. Il répond certes à un besoin évident. L’importance du nombredes revues, qui traitent de plus de domaines de plus en plus spécialisés, justifie amplementl’intérêt d’une revue de synthèse ; celle-ci se justifie d’ailleurs quelle que soit la langueutilisée.40 Dans le projet français toutefois, cet argument est fortement associé (renforcé oumotivé ?) par la volonté très clairement exprimée de rapprocher deux « communautés »distinctes, les cliniciens et les biologistes. C'est bien la motivation initiale du projetFlammarion. Il n’est pas évident par contre que la nécessité d’un tel rapprochement soit

37 *Bergeron M. « Projet de création d’une revue de recherche », 29/03/1983. On notera que Bergeron souligneégalement qu’outre la reconnaissance scientifique, Science et Nature ont réussi à créer tant à Washington qu’àLondres un impact sur la politique scientifique…38 On notera aussi ce commentaire : « Compte tenu de l’adéquation parfaite de vue sur ce projet entre lesprofesseurs Hamburger et Bach et l’INSERM, nous avons bon espoir d’amener la communauté scientifiquequébécoise à se ranger à notre projet ». *Degail L. Note à l’attention du Directeur général de l’INSERM,5/06/1983.39 *Projet Flammarion. « Projet de revue médicale », 2/03/1983.40 Quand on interroge la banque de données Medline sur les articles originaux parus au cours de la seule année1988 sur la variété de lymphocytes dite thymodépendante, on obtient une liste de 5164 titres. La même sourceindique que, sur une variété bien particulière de glomérulonéphrites dite à dépôts d’IgA, 791 articles ont étépubliés ; sur les mécanismes de cytotoxicité immunologique (tests non compris) 15 874 articles entre 1978 et1988… « Qui peut lire toutes ces références ? demandent ainsi Hamburger et Bach quelques années plus tarddans Médecine-Sciences avant d'ajouter, un besoin ignoré de nos prédécesseurs se fait donc jour : celui depublications de synthèse, qui s’efforcent d’extraire de l’immense marée des publications originales ce qui estvraiment nouveau et important, ce qui dessine les grands traits de l’avancée scientifique ». Hamburger J. BachJF. « Réflexions sur les métamorphoses récentes de la recherche biologique et médicale ». Médecine-Sciences,1990, n° 3, p. 220-1.

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ressentie de la même manière à l’étranger, où les deux « communautés », pour peu qu’il y enait deux, semblent plus proches (voir par exemple la lettre de Lazar du 28 septembre 1982).Au Québec, cet argument peut donc s’avérer moins déterminant et le projet d’une revueprésentant exclusivement des synthèses peut ainsi apparaître moins attractif.41

L’accord du 13 juin

Devant la divergence de point de vue exprimée sur le type de revue médicale, la 35ième

commission permanente a retenu la proposition faite lors de la 2ième rencontre des membres ducomité franco-québécois pour la coopération linguistique, d’une réunion entre les membresdes pré-comités scientifiques pour le 13 juin 1983.42 La résolution de cette question(l’alternative revue d’articles de synthèse ou revue d’articles de synthèse plus notesd’antériorité) est ainsi entièrement laissée aux scientifiques français et québécois.

La réunion se tient au siège de l’INSERM, le 13 juin 1983, sous la présidence deHamburger.43 Elle illustre bien les positions divergentes des deux parties en présence… mêmesi l’INSERM, par Degail, et le gouvernement du Québec, par Lapointe, réaffirment dès ledébut de la réunion leur attachement à un projet en collaboration.44 On peut d’ailleurs noterici que la volonté québécoise de coopérer apparaît clairement et rapidement dans lacorrespondance entre les différentes parties québécoises. L’importance d’une participationfrançaise au projet est mentionnée à plusieurs reprises ; elle est jugée nécessaire et naturelle (ilest vrai qu’au moins 80 % de la recherche scientifique « francophone » s’effectue enFrance).45 Ce qui n’empêche pas les Québécois de défendre leur propre projet. Lors de laréunion du 13 juin, Bergeron confirme ainsi que les revues Science et Nature constituent bienles modèles à suivre. La position française, défendue par Matuchansky, n’a pas plus évolué :le projet conçu et développé par Hamburger et Bach est dans la conjoncture actuelle le seulprojet « réaliste ». Les scientifiques français estiment en effet dans leur majorité que la revuedoit être une revue d’articles de synthèse de haut niveau, rédigés par des chercheurs de hautniveau et il ne semble pas réaliste d’envisager une publication d’articles originaux qu’il seradifficile d’obtenir tant au point de vue de leur quantité que de leur qualité…46 Jean-ClaudePéchère (Chef du service microbiologie et infectiologie clinique, Hôtel-Dieu et université deLaval) répond au « scepticisme » français sur la faisabilité du projet québécois en développant

41 En 2000, revenant sur l’histoire de la revue, Bergeron se souvient d’une « discussion franche » qu’il a eu avecHamburger, rue Mazarine, le 18 mars 1983. Il n’évoque pas directement le différend sur les notes d’antériorité,mais signale par contre que pour les Québécois, il est essentiel que la revue créée soit une très grande revueinternationale (ce qui passe certainement par la publication de notes originales de très haut niveau…) Dans cemême article, il rappelle que les Français semblent moins intéressés par ce statut de la future revue, et souhaitentprivilégier un modèle type Trends… Bergeron souligne ensuite que Hamburger se rallie aux Québécois sur cettequestion du statut et que, quelques semaines plus tard, deux rencontres déterminantes organisées par l’INSERM(avec Bach, Bergeron, Glorieux, Hamburger, Matuchansky, Péchère, Lapointe, Mouchet et Vogler) retiendrontle modèle d’une revue de haut niveau. Bergeron M. « médecine/sciences, une université virtuelle des sciences duvivant ». Médecine-Sciences, 2000, n° 12, p. 1466-9. Je n’ai rien retrouvé dans les archives sur ce point, ni surces réunions. Il me semble cependant que Laudat, comme Lazar, évoque clairement de suite une revue de « hautniveau »…42 *Courrier de Morizur JP. à Degail L. 24/05/1983 ; *Courrier de Poupart J. (conseiller à l’éducation Délégationgénérale du Québec en France) à Degail L et à Matuchansky C. 2/06/1983.43 La délégation québécoise est composée des professeurs Péchère, Glorieux, et Bergeron et de Lapointe (CLF).*Courrier de Morizur JP. à Degail L. 24/05/1983.44 *Compte-rendu de la rencontre franco-québécoise du 13/06/1983 sur le projet de création d’une revue derecherche de langue française dans le domaine biomédical.45 *Courrier de Bergeron M. à Lapointe G. (CLF), 30/03/1983.46 *Compte-rendu de la rencontre franco-québécoise du 13/06/1983 sur le projet de création d’une revue derecherche de langue française dans le domaine biomédical.

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d'abord un argument de nature quantitative. Il évalue à 450 ou 500 le nombre d’articlesoriginaux qui devraient être soumis par an à la revue pour pouvoir en retenir environ 150. Or,à l’heure actuelle 500 000 articles sont soumis par an dans le monde dont 38 000 dans l’airefrancophone, chiffre qui, en dépit de l’érosion de l’impact du français, reste stable. Sur ces 38000, 18 000 concernent les sciences de la vie, et 6 000 de ces derniers s’inscrivent directementdans le champ médical. Péchère demande alors, en connaissance de ces chiffres, s’il estréaliste ou non de penser obtenir 500 articles ? Pour lui, le pré-comité français majore lesdifficultés... Outre l’aspect quantitatif précédent, il pense d’ailleurs qu’il existe toute uneclientèle prête à fournir des notes d’antériorité et, qu’en raison des difficultés rencontrées parles francophones pour accéder à Nature et Science (notamment du fait de l’establishmentanglophone qui règne dans ces revues), le projet franco-québécois peut constituer un réelattrait pour les scientifiques, sans pour autant se présenter comme une concurrente directe deces revues.47

La critique française sur l’impossibilité d’alimenter la revue en notes d’antériorité est iciquelque peu mise à mal (l’argumentation de Péchère mérite au moins une contradiction plusapprofondie que celle avancée).48 Il me semble en fait que la position française sur ce pointest avant tout dictée par le projet qu’ils défendent et non par une réelle évaluation du projetquébécois. La revue souhaitée par les Québécois s’éloigne-t-elle fondamentalement del’ambition nouvelle affichée par La Presse Médicale de devenir une revue de haut niveau,ambition soutenue, comme on l’a vu précédemment, par Matuchansky ? Le problème neserait-il pas simplement qu’il n’y a place que pour la création d’une revue (les aidesgouvernementales ne sont pas extensibles) ? Les Français veulent saisir cette opportunité pourcréer un nouveau type de revue, qu’ils considèrent plus utile, avec quelques raisons, qu’uneénième revue de recherche, au sens classique. Mais objectivement, le pari français sembleaussi risqué. On peut en effet légitimement s’interroger, là aussi, sur sa capacité à attirer desauteurs et des articles de haut niveau. Pour écrire ceux-ci, les chercheurs devront s'investirdans un travail loin d’être évident puisqu’il se devra d’être à la fois compréhensible aux non-spécialistes du domaine abordé et utile (par la qualité même de la synthèse proposée) auxspécialistes de ce dernier. Il s’agit donc de fournir un réel travail, nécessitant d’y consacrer uncertain temps, sans pour autant être assuré d’en retirer une reconnaissance professionnelle.Comme l’écrira Lazar quelques années plus tard dans les colonnes de Médecine-Sciences, on« survalorise la recherche ‘analytique’ par rapport à ce type d’activité réflexive etnovatrice ».49 Dans ces conditions, pourquoi des chercheurs écriraient-ils pour une telle revuealors que la moindre publication des résultats expérimentaux, même partiels, de leurrecherche sera mieux reconnue, notamment par leur institution ? La question peut bien êtreposée…, d’autant que la nouveauté du concept de revue proposé par les Français (il n’y a pasde réel équivalent, même en langue anglaise) ne permet pas d’évaluer la réaction de lacommunauté scientifique à son égard.

47 On peut noter par rapport au phénomène de l’establishment, la réaction de JC. Salomon qui propose pouréviter un phénomène identique dans la future revue française, que le comité de rédaction soit ouvert à l’ensemblede la communauté scientifique…48 A moins que la position française considère la qualité de ces publications scientifiques francophones peu digned’intérêt et craint de créer une revue supplémentaire… se rangeant dans une « catégorie de publications dontl’existence semble ne se justifier que par l’activité de chercheur dont les travaux n’ont pas abouti à la publicationdans d’autres revues ! » pour reprendre la remarque quelque peu acerbe de Curien commentant en 1990l’inflation considérable des revues scientifiques. Curien H. « Le chercheur et la communication », Médecine-

Sciences, 1990, n° 3, p. 190-4.49 Lazar P. « Hors des sentiers battus ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 203-6.

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La position française est cependant bien arrêtée. Hamburger l’affirme à nouveau lors de laréunion du 13 juin, il faut créer « une revue de transfert des connaissances dans une société deplus en plus spécialisée et atomisée, et dans laquelle se fait sentir le besoin cruel decommunication et de circulation des informations ». Et c’est finalement ce projet quil’emporte, même si, pour trouver « un point d’entente », Bach propose de conserver leprincipe des notes d’antériorité, en étant entendu toutefois qu’elles devront être de très hautniveau, et en étant « réaliste », c’est-à-dire en leur accordant qu’une représentation très faibleau départ sur l’ensemble de la revue (1 voire 2 par numéro). Les Québécois se rallient à cetteproposition en insistant sur cette « ouverture » proposée par Bach…50 On pourrait dire ens’accrochant à cette possibilité d’ouverture. Il n’y a pas vraiment de détail ici sur la« résignation » québécoise ; je crois que l’on peut bien la qualifier ainsi, le projet final étantbien éloigné de leur objectif initial. Est-ce le plus grand « réalisme » du projet français qui afinalement emporté la décision, ou le poids quantitatif et financier de la communautéscientifique française ? Toujours est-il que la réunion du 13 juin entérine le projet d’une revuemédicale franco-québécoise, de langue française, et composée, dans l’ordre, d’un éditorial,d’articles de synthèse, de nouvelles scientifiques, et d’une ou deux notes de rechercheoriginale.51

Un peu d’organisation.

J’ai peu parlé jusqu’ici de l’organisation de la revue ; elle semble avoir été moins sujette àdiscussion. Il est vrai que pour l’essentiel les deux projets proposaient sur ce point desversions semblables. Seule la diffusion de la revue, a occasionné de « grandes bagarres » (quidiffuse et où ?).52

Ainsi l’organisation convenue pour la revue lors de la réunion du 13 juin, est identique à celleavancée dans le projet Flammarion.53 Une instance de 12-20 personnes sera chargée dedéterminer la politique éditoriale, et sera composée majoritairement de chercheurs français etquébécois, tout en étant ouverte aux chercheurs francophones. Deux groupes restreints serontégalement constitués, l’un en France, l’autre au Québec, et comprendront 4-5 personnalitésscientifiques engagées dans la recherche biomédicale (désignées par l’instance éditoriale) etchargées d’animer la revue en s’appuyant sur un secrétariat permanent et un réseaud’arbitres.54

Il n’y a pas eu plus de débats sur l’implantation de la revue. Dans leur propre projet, lesQuébécois ont d’ailleurs rapidement proposé que le rédacteur en chef soit français et posté àParis au départ, avec un rédacteur adjoint à Montréal.55

50 *Compte-rendu de la rencontre franco-québécoise du 13/06/1983 sur le projet de création d’une revue derecherche de langue française dans le domaine biomédical.51 *Compte-rendu de la rencontre franco-québécoise du 13/06/1983 sur le projet de création d’une revue derecherche de langue française dans le domaine biomédical.52 Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.53 Celui-ci prévoyait un comité scientifique de rédaction (4 jeunes médecins français hospitalier et ou chercheursassociés à des médecins québécois et autres) assisté d’un comité éditorial, comprenant une vingtaine deconsultants et chargé de préparer le sommaire de la revue, et d’un comité exécutif de trois personnes (unsecrétaire de rédaction, médecin ou biologiste, un secrétaire de fabrication et une secrétaire responsable duservice des abonnements). *Projet Flammarion, 2/03/1983 « Projet de revue médicale ».54 *Procès verbal de la rencontre franco-québécoise du 13/06/1983 sur le projet de création d’une revue derecherche de langue française dans le domaine biomédical. Lors d’une réunion postérieure, une précision sur lestâches du comité de rédaction est avancée : la partie française sera plus particulièrement chargée des rubriquesarticles de synthèse et des éditoriaux, tandis que la partie québécoise prendra en charge les rubriques articlesoriginaux et nouvelles. *Procès verbal de la réunion franco-québécoise, 10/11/1983 au Québec.55 *Courrier de Bergeron M. à Lapointe G. (CLF), 30/03/1983.

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Sur la composition de l’équipe scientifique de la revue, je n’ai pas trouvé dans les archives dedocument côté québécois, par contre, il y a, côté français, plusieurs documents présentant deslistes de chercheurs susceptibles d’entrer dans le comité éditorial de la future revue. Celui-ci doit être établi sur proposition conjointe du CNRS de l’INSERM et du ministère del’éducation nationale puis être présenté au CLF par la MIDIST pour être validé…56

Je n’ai retrouvé que les propositions INSERM (elles présentent toutefois l’essentiel despersonnalités françaises que l’on retrouvera dans la composition définitive du comité). Uneliste importante est établie par Degail, je la rapporte ci-dessous à titre d’information (à côtédes noms figurant sur celle-ci, une mention indique l’accord ou non, voir l’interrogation, del’intéressé).57

Pour l’instance éditoriale (1 réunion tous les deux mois), plusieurs chercheurs ont donné leuraccord : Bach (immunologie, Necker, Unité INSERM 25), JP. Cachera (cœur et chirurgie,Henri Mondor), H. Korn (neurobiologie, Pitié, U 3 ; insiste sur « place » pour une revue dehaut niveau), J. Dormont (U 131, Clamart), Grünfeld (néphrologie, Necker), S. Jard(physiologie, CNRS-INSERM U 222), Rosa (biochimie, H. Mondor, U 91).D’autres n’ont pas encore fait connaître leur décision ou ne sont pas intéressés : JP. Lévy(cancérologie, Cochin, U 152), J. Caen (cœur chirurgie, Lariboisière, U 150), P. Freychet(endocrinologie, faculté de médecine Nice, U 145), P. Kourilsky (génétique, Pasteur),Rambaud (gastro-entérologie, P.7), B. Swynghedauw (cœur, Biologie moléculaire,Lariboisière, U 127 ; le seul pour lequel le refus est clairement mentionné, à côté de son nomil est en effet indiqué « très opposé »).On peut noter que sur une liste vraisemblablement antérieure, figuraient aussi parmi lesscientifiques contactés pour l’instance éditoriale : P. Chambon, P. Changeux, et A. Jost. Toustrois n’apparaissent plus par la suite (refus ?). On notera également que dans une liste établiepar le secrétaire exécutif du programme mobilisateur n° 6, Bernard Cassen, figure égalementP. Douzou.58

Deux autres listes sont également établies sur le document de Degail.La première concerne le groupe restreint de rédaction (1 réunion par semaine) auquel Degos(hématologie, St Louis, U 93), Erlinger (hépatologie, Beaujon), Axel Kahn (Cochin, U 129),et Lesavre (néphrologie, Necker, U 25) ont accepté de participer. Seul Bertagna(endocrinologie, Cochin) a refusé…La seconde concerne le Comité de parrainage dans lequel J. Bernard, J. Dausset, F. Jacob, etHamburger ont accepté d’entrer.

A part pour Swynghedauw, et encore c’est très succinct, je n’ai pas retrouvé dans les archivesde traces ou d’avis de chercheurs français opposés au projet d’une revue francophone. Onpeut cependant rappeler ici que la communauté française a été pour le moins partagée sur untel projet. Une grande partie pensait, même parmi les conseillers directs de Chevènement,comme Benveniste, que cela ne marcherait jamais, que seul l’anglais comptait…59

La première réunion des personnalités françaises susceptibles de participer à l’instanceéditoriale a lieu le 12 octobre 1983.60 Les participants s’interrogent de nouveau sur 56 *Courrier de Cassen B. (programme mobilisateur n° 6) à plusieurs professeurs, 19/09/1983.57 *Document non daté ; il s’agit vraisemblablement d’une liste intermédiaire. Plusieurs noms qui y figurentseront bien sur la liste définitive, d’autres non. Je les indique cependant pour information...58 La liste de Cassen reprend pour le reste des noms figurant dans celle de l’INSERM. *Courrier de Cassen B.(programme mobilisateur n° 6) à plusieurs professeurs, 19/09/1983.59 Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.60 *Compte-rendu de la réunion du 12/10/1983. La liste des participants est sensiblement identique à celledétaillée précédemment : Bach, Cachera, Degos, Dormont, Grünfeld, Jard, Kahn, Korn, ainsi que Caen, Erlinger,

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l’importance des notes d’antériorité (dont seule l’expérience stabilisera l'existence au sein dela revue), la place de la revue par rapport à d’autres, la cible visée, la francophonie, le rôle desdifférentes instances… Je n’entre pas dans le détail, car il n’y a pas de réelle nouveauté ici.On peut simplement souligner l'affirmation, une fois encore, de la nécessité d'une aidedégressive des pouvoirs publics sur 3 ans et de l'indépendance financière de la revue à partirde l'année suivante, ainsi que l'importance du choix de l'éditeur...

La question de l’éditeur n’est en effet toujours pas réglée. Si les éditions Flammarion sont trèsrapidement pressenties côté français, il semble par contre qu’elles aient posé un problème côtéquébécois…

Un problème de société

En novembre 1983, alors que le compromis est trouvé sur le contenu de la revue61, unenouvelle tension apparaît entre les deux parties lors d'une réunion au Québec. Lors de celle-ciles Québécois proposent de confier la propriété du titre à une société à but non lucratif,composée de scientifiques français et québécois, dont le siège serait en France, et dont le rôleserait de négocier un contrat avec une maison d’édition ; la société de développement desrevues scientifiques internationales de langue française (SODERSILF) a ainsi été créée.62

Pour les Québécois, le recours à une maison d’édition qui gérerait directement la revue nedonne pas satisfaction, parce qu’une revue de recherche scientifique forcément marginale ausein des activités d’une maison d’édition (qui, comme Flammarion, édite principalement deslivres) n’aurait sans doute pas toute l’attention de l’éditeur, or il est nécessaire que la revueparvienne à la rentabilité dans les meilleurs délais. La solution qu'ils proposent favoriserait deplus d'après eux la gestion de la revue « dont le caractère international et la double filiationcompliquent déjà la création et éventuellement le fonctionnement ».63

Il s’agit en fait d’une situation plutôt courante au Canada, où la grande majorité des revuesmédicales est publiée par des corporations indépendantes (entre autres parce que leurfréquence de parution et leur chiffre d’affaire le justifient…)64

La volonté québécoise se heurte cependant à une vive opposition française, exprimée parBrigitte Vogler du ministère de la recherche.65 D’abord parce qu’il n’a jamais été question

Levy, Rambaud (absents à la réunion) ont confirmé leur participation à la revue. Bertagna, Freychet, Lesavre,Rosa et Kourilsky (absents également) ne semblent pas s'être encore prononcés sur leur participation… Pour legroupe de rédaction Grünfeld doit confirmer sa participation… On peut également mentionner ici une liste« définitive » établie lors d’une réunion ultérieure (10/11/1983). Elle présente peu de différences avec celles déjàdétaillées. Je ne l’indique pas car elle est toutefois différente de la liste réellement « définitive » qui est présentéedans le numéro un de la revue Médecine-Sciences (et que je présenterai plus loin).61 Bien que Degail souligne une nouvelle fois « le profond scepticisme de certains membres de l’instancefrançaise vis à vis des notes originales…. » et que Bergeron soit obligé de rappeler le PV du 13 juin… *Compte-rendu de la réunion franco-québécoise du 10/11/1983.62 *Procès-verbal de la réunion franco-québécoise, 10/11/1983. La délégation française est composée desscientifiques Hamburger, Matuchansky, Erlinger, et de Degail et Guerbois (INSERM), Vogler (MIDIST) etDucray (CGF) ; la québécoise des chercheurs Bergeron, Devroede, Kelly et Péchère, et de Lapointe (CLF),Bruneau et Metzger (MAIQ). Les lettres patentes de la SODERSILF ont été accordées le 26 mai par le ministrequébécois des consommateurs, coopératives et institutions financières.63 *Bergeron M. « Projet d’édition Conseil de la langue française, revue internationale de recherche bio-médicaleen langue française ». Novembre 1983.64 On notera ici que les Québécois souhaiteraient une revue disponible uniquement par abonnement, car lesrevenus que l’on peut escompter de la vente à l’unité d’une revue aussi spécialisée sont minimes par rapport auxefforts à déployer, aux quantités à imprimer pour la mettre sur le marché. Au Canada, aucune revue médicalen’est d’ailleurs en vente directe. *Bergeron M. « Projet d’édition Conseil de la langue française, revueinternationale de recherche bio-médicale en langue française ». Novembre 1983.65 *Compte-rendu de la réunion franco-québécoise du 10/11/1983.

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jusque-là de créer une telle société. Deux maîtres d’œuvre ont été désignés, la MIDIST et leCLF, et un projet a été décidé, la création d’une revue biomédicale, aucun autre (laSODERSILF devrait quant à elle gérer plusieurs revues). Enfin une clause sur le versementdes fonds est inacceptable (elle céderait tout à la SODERSILF en cas d’abandon de larevue)… Les scientifiques français et québécois ainsi que Degail, pour l’INSERM,soutiennent la position de Vogler. Lapointe (secrétaire du CLF) rappelle cependant que laconvention correspond à la volonté des deux gouvernements et à l’impossibilité devantlaquelle se trouve le Québec de verser des fonds à un éditeur privé français.66

Les participants s’accordent finalement sur une entité juridique à but non lucratif permettantde drainer les fonds français et québécois et assurant l’autonomie financière de la revue.Celle-ci sera chargée de passer un contrat avec un éditeur. Flammarion est finalement retenuet devra tenir compte des spécificités des deux pays (publication, réseau de promotion et dediffusion). La question n’est cependant pas tout à fait tranchée, puisque début décembre,Degail revient sur la composition de cette entité qui doit diriger la revue. Pour l’INSERM, ladistinction entre la communauté scientifique, responsable de la politique de rédaction, et lamaison d’édition doit être claire. Soit on crée une société de rédacteurs, une association,constituée de scientifiques liés par contrat à l’éditeur, soit on reproduit le scénario adopté parla MIDIST pour la revue Oceanologica Acta, à savoir une entente entre partenairesinstitutionnels donnant la maîtrise d’œuvre à l’un des leurs par un contrat avec l’éditeur.67

On aura finalement les deux… Les fondateurs français et québécois copropriétaires du titredélèguent en effet, chacun dans leur pays, à un mandataire la gestion de la revue. Au Québec,une association type loi 1901 est créée, la Société de la Revue Médecine-Sciences (SRMS) eten France, l’INSERM est désigné mandataire.68

Le lancement de « l’aventure Médecine-Sciences»69

Le premier protocole d’entente est signé le 17 mai 1984 pour une durée de trois années, par leMinistère des affaires étrangères pour la France et le Ministère des relations internationalespour le Québec (et renouvelé tous les trois ans, puis tous cinq ans depuis 1991). Le comité desfondateurs franco-québécois composé de différents bailleurs de fond70 a la responsabilité degérer le dispositif de la revue dont le titre est sa propriété indivise et dont l’exploitation estconjointement confiée à deux mandataires désignés par lui (l’INSERM et la SRMS).71

Le Québec s’engage à subventionner pour un montant minimum de 30 % la revue.

66 *Compte-rendu de la réunion franco-québécoise du 10/11/1983. On peut rappeler ici que Chevènement àdifférentes reprises a publiquement évoqué la possibilité de constituer en France une maison d’éditionscientifique et technique semi-publique (MESSP) afin de donner une structure suffisante pour affronter laconcurrence étrangère… Une hypothèse pour la MESSP serait une fédération des efforts réalisés par lesorganismes… l’objectif n’est pas de créer une autre entité mais de coordonner les moyens…tout en gardant leurautonomie éditoriale les organismes pourraient ainsi disposer à moindre coût d’un outil moderne de fabrication,diffusion… *Courrier de Kahane JP. à Lazar P. 23/02/1983.67 *Lettre de Degail L. à Voegler B, 9/12/1983. Oceanologica Acta est une revue européenne d'océanologie crééeen janvier 1978 et première action de la MIDIST en terme de publication scientifique. *MIDIST, BNIST(Bureau national de l'Information Scientifique et Technique) Rapport Annuel d'Activité 1979, 51 p.68 Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.69 Kahn A. « Quinze ans après… » (Editorial). Médecine-Sciences, 1998, n°1, p. 4-5.70 Pour la partie française : Les Ministères des Affaires étrangère et de la Recherche, et celui de la Culture et dela communication (par la Délégation générale à la langue française, DGLF), l’INSERM, le CNRS. Pour la partiequébécoise : Les ministères des Relations internationales, de la Santé et des Services sociaux, de la Recherche dela Science et de la Technologie, enfin celui de l’Education, et le Fonds de la Recherche en Santé du Québec.*Mouchet S. « Coopération scientifique franco-québécoise. Revue Médecine/Sciences », 2002.71 *Mouchet S. « Coopération scientifique franco-québécoise. Revue Médecine/Sciences », 2002.

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Jean-François Lacronique, chef du département de santé publique à la Faculté de MédecineParis V, et ancien attaché scientifique à Washington, rédacteur au journal Le Monde, estdésigné rédacteur en chef.72 Bergeron est désigné directeur adjoint. La rédaction de la revueest ainsi partagée entre les deux pays. L’administration et la production de la revue serontquant à elles assurées en France (ainsi que la gestion des abonnements), tandis que sapromotion et la publicité seront gérées dans les deux pays.Sur le plan de la répartition du contenu, on peut noter qu’il est une nouvelle fois affirmé queles éditoriaux et articles de synthèse seront plus spécifiquement du ressort des Français tandisque les articles originaux et les nouvelles seront pris en charge par la partie québécoise (cetterépartition ne sera cependant pas réellement effective en pratique).73

L’intitulé de la revue reste quant à lui à discuter. Plusieurs propositions ont été faites dans lesdifférents projets. Ainsi les Québécois en ont suggéré un grand nombre : Revue internationale

de recherche bio-médicale, revue internationale des sciences de la vie, Nature et vie,Recherche et Vie, Bio-médecine et futur, Science et Nature, Revue internationale de biologie

humaine…74 Dans la réunion du 10 novembre 1983, ils laissent toutefois aux Français le soinde préciser celui-ci. Deux propositions sont apparemment discutées : Médecine-Sciences ouScience(s) et Médecine.75 On sait laquelle sera retenue…

A partir de 1984-85, Lacronique se met donc au travail entouré d’une petite équipe réunie parlui-même et par Hamburger, dans les locaux de la rue Casimir-Delavigne, mis à dispositionpar les éditions Flammarion.76 On connaît déjà la composition de cette équipe, Degos,Erlinger, Grünfeld, et Axel Kahn. On doit ajouter ici l’arrivée fin 84 de Jean-Claude Dreyfus,professeur honoraire de biochimie médicale à l’université Paris V, qui, quittant l’INSERM (U129 à Cochin), va se consacrer entièrement à la revue et notamment au compte-rendu del’actualité scientifique en prenant en charge une grande partie de la rédaction desnouvelles…77

Finalement, la revue Médecine-Sciences est lancée, en France, le 18 mars 1985 par H. Curien,ministre de la recherche et de la technologie et, au Québec, le 21 mars par Bernard Landry,ministre des relations internationales.78

72 *Compte-rendu de la réunion franco-québécoise du 10/11/1983. Il semble que cela soit Hamburger qui estproposé Lacronique. Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003. On notera qu’il a déjà une certainecompétence pour la réalisation pratique d’un journal, la conception de sa maquette… Kahn A. « Quinze ansaprès… » (Editorial). Médecine-Sciences, 1998, n°1, p. 4-5.73 On peut également noter que la suggestion de Matuchansky d’éditoriaux anonymes (à l’image du Lancet),articles courts sur des sujets brûlants réalisés par de jeunes chercheurs rétribués. Si elle est retenue, elle ne serapas réalisée pour autant dans la pratique.74 *Bergeron M. « Projet de création d’une revue de recherche » 2/03/1983 (version antérieure au projet du 29mars).75 Le premier reprend l’intitulé de la branche science et médecine des éditions Flammarion apparaît dans leprojet Flammarion du 2 mars 1983. Le second est mentionné à plusieurs reprises ; il est peut-être proposé parKahn, *Compte-rendu de la réunion du 12/10/1983. Il figure cependant dans deux projets dont l’un date du 22septembre 1982 (l’autre, non daté, est désigné « projet Lesavre »). Or, ce n’est qu’en 1983, que Hamburgertéléphone pour la première fois à Kahn pour lui parler du projet. Kahn, « Quinze ans après… » Médecine-

Sciences, 1998, n°1, p. 4-5.76 Kahn A. « Quinze ans après… » (Editorial). Médecine-Sciences, 1998, n°1, p. 4-5.77 Kahn A. « Jean-Claude Dreyfus (1916-1995) » Médecine-Sciences, 1995, n° 6, p. 929-32 ; Kahn A. « Quinzeans après… » (Editorial). Médecine-Sciences, 1998, n°1, p. 4-5.78 *Mouchet S. « Coopération scientifique franco-québécoise. Revue Médecine/Sciences », 2002 .

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Cette première partie est sans doute trop longue, mais il me paraissait intéressant avantd’analyser plus précisément la revue de rappeler sa préhistoire, étant entendu ici que je n’aireconstitué celle-ci pour l’essentiel qu’à partir du témoignage et des archives de Suzy. On netrouve en effet guère d’informations sur ce sujet dans les numéros de Médecine-Sciences, si cen’est quelques allusions évoquées au détour de certains éditoriaux…

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II. La revue Médecine-Sciences.

Cette seconde partie se décompose en quatre sous-parties. La première donne une descriptionde la revue et de son organisation au cours des ans. La seconde présente la vocation culturelleet scientifique de Médecine-Sciences, tandis que la troisième aborde plus précisément soncontenu scientifique. Enfin, la quatrième conclut sur une évaluation possible de son impact…

1) La revue

En mars 1985, paraît le premier numéro de Médecine-Sciences. Il s’agit d’une publication de52 pages avec un sommaire en français et en anglais (et des résumés d’articles en anglais).8 numéros paraissent en 1985, puis 10 les années suivantes (la numérotation passe à 12 àpartir de 1993, mais avec deux numéros double l’été). Le nombre de pages croît quant à luirapidement : une dizaine de pages supplémentaires par numéro dès la fin des années 1980, àpeu près 100 pages par numéro au début de la décennie suivante, puis environ 145 pages en1993, chiffre autour duquel la revue se stabilise depuis (entre 130-150 pages par numérosselon les années).Cette augmentation traduit d’abord le développement, dès la première année, de la rubriqueconsacrée aux nouvelles ; celle-ci comprend non seulement les « nouvelles » proprementdites, mais aussi des « brèves » (qui transmettent une information plus succincte) et, dès la finde l’année 1992, des « ultra-brèves génétique » (un résultat, une information, sur l’actualitégénétique)79. A celles-ci s’ajoute la proposition d’une « sorte de lexique » consacré les deuxpremières années, et dès le premier numéro, à la génétique moléculaire, puis les annéessuivantes à d’autres domaines scientifiques.80

Des « mini-synthèses » (synthèses plus synthétiques que les articles de synthèse) sontégalement proposées rapidement (à partir de 1987). On peut aussi noter l’apparition en janvier1990, des « chroniques génomiques » de Bertrand Jordan, que j’évoquerai plus loin.A partir de 1992, la revue ouvre plus largement ses colonnes sur les aspects techniques,économiques, sociologiques, éthiques ou philosophiques avec la création de « dossierstechniques », la reproduction des avis du Comité National d’Ethique (CNE), ou des articlesd’ordre épistémologique… Des contributions consacrées à l’histoire de la médecine et dessciences paraissent régulièrement à partir de 1995, et constituent une rubrique à part entièreplus tard étendue sous le titre « Histoire et Sciences Sociales » (en 1999. Celle-ci est alorsplacée sous la responsabilité de membres du comité éditorial spécialistes de ce domaine).A cette liste, non exhaustive, on peut ajouter la publication à partir de septembre 1990 (etjusqu’en 2001) du Bulletin de la Société Française de Génétique. Etabli par la SFG, il s’agitd’un bulletin indépendant du comité de rédaction de la revue, présentant des informations etsynthèses propres à la société, et publié en annexe, à raison de 3 numéros d’une dizaine depages, par an. On peut noter enfin la publication, en collaboration avec Genatlas et l’AFM, decartes des chromosomes humains indiquant la localisation de gènes impliqués dans desmaladies génétiques humaines (de 1992 à 1993).81

79 Elles sont entièrement prises en charge par Dreyfus, et ne sont pas poursuivies après sa disparition (en 1995).80 Décrit ainsi par Grünfeld, Kahn, Berthelot, Dreyfus et Erlinger présentant la rubrique « nouvelles » dans lepremier numéro de la revue en mars 1985. Médecine-Sciences, 1985, n°1. La revue présentera plusieurs lexiquesthématiques développés sur une année et qui feront ensuite l’objet de publication séparée : « Structure etfonctions du génome » en 1985-1986, « génétique moléculaire et médecine » en 1986-1987, « immunologie » en1988-1989, « neurobiologie » l’année suivante… Le dernier en date, concerne la « bio-informatique ».81 La compilation proposée par la revue intègre toutes les données connues au 1er octobre 1991. Les deuxpremières planches publiées représentent les chromosomes 1 et 2 (dans le n° 4, 1992).

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Pour conclure ce sur ce rapide inventaire, on soulignera l’apparition des nouvelles rubriquesen 2002 (date du dernier changement d’éditeur) qui s'accompagne d'une réorganisationcomplète de la revue.82

On ouvre à présent celle-ci sur une partie « Magazine » présentant les rubriques « nouvelles »,« brèves » etc. On découvre ensuite la partie « Revue » qui comprend les articles de synthèse,les mini-synthèses, les dossiers techniques… A ces deux parties principales s’ajoutentl’éditorial et d’autres rubriques tel « le mot du mois », « Repères » (comprenant des « Faits etchiffres », « histoire et sciences sociales », « perspective/horizon »), « Forum » (hypothèses etdébats)… ainsi que des « séries thématiques » (un même sujet traité sur plusieurs numéros) oules « chroniques bioéthiques », prises en charge par le neurologue Hervé Chneiweiss (à partirde 2003).

Bien que la revue ait donc naturellement évolué en presque vingt ans d’existence, on peuttoutefois dire que le corps de celle-ci est resté identique et demeure constitué d’une partie« article de synthèse » et d’une partie « nouvelles », ou « Magazine », déclinée sous plusieursformes…

Une dernière remarque s’impose ici pour conclure cette présentation. On a vu dans lapremière partie les tensions et les différends qu’ont suscités les notes originales… Elles n’ontfinalement occupé qu’une place limitée, presque anecdotique, dans la revue.Si on en compte cinq en 1985 (sur 8 numéros), leur nombre varie ensuite entre 1 à 4 selon lesannées, et le plus souvent, ce nombre est proche de 1 (aucune note originale n’est publiée en1996 et 1997, ni depuis 2001). Dès 1986, Axel Kahn remarque que sur ce point Médecine-

Sciences apporte peu (8 notes ont alors été publiées en 18 numéros), et espère uneamélioration avec l'indexation récente de la revue dans les Currents contents…83 On peut direaujourd’hui que les choses ne se sont guère arrangées. Au total, 29 notes originales seulementont été publiées sur plus de 180 numéros (contre 1206 synthèses et 552 mini-synthèses).84 Onest loin de la proposition avancée par Bach lors de la réunion de juin 1983 d'une ou deuxnotes originales par numéro. Et si l’on se rappelle les chiffres avancés par Péchère lors decette même réunion sur le nombre de publications soumises dans l’aire francophone tous lesans dans le domaine biomédical, on ne peut que s’interroger sur ce faible taux depublication.85

82 Jusqu’à présent la maquette n’avait pas véritablement été modifié, même si on peut observer ici et là quelqueschangements (typographie etc.) Je n’insiste pas là-dessus, mais on peut noter juste pour l’anecdote que cetteévolution n’est pas liée seulement à un souci esthétique… Ainsi, l’utilisation progressive de la quadrichromie audébut des années 1990 est justifiée parce qu’elle permet de mieux « suivre la progression de l’imagerie enbiologie du développement et en biologie cellulaire ». Bergeron M. Kahn A. « M/S 1993 : gérer le succès ». (Lesvœux). Médecine-Sciences, 1993, n° 1, p. 383 Kahn A. « M/S ses lecteurs et ses projets ». (Editorial) Médecine-Sciences, 1986, n° 10, p. 540-1.84 Chiffres obtenus à partir de la base de donnée du DISC (http://disc.vjf.inserm.fr).85 Les chercheurs français en ont signé la majorité, 22 sur 29, dont 19 n’impliquant que des équipes françaises ; 7n’impliquent que des Canadiens ; une est cosignée par des chercheurs français et québécois, une par deschercheurs français québécois et suisses, une autre enfin, par des français et belges.

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Voici l’ours

Dans la première partie, on a déjà évoqué plusieurs futurs participants de la revue. Je lesprésente ici en suivant les évolutions de l’ours de celle-ci entre 1985 et 2003.

Les éditeurs Le premier directeur de la publication est Henri Flammarion (Editeur Société des PériodiquesFlammarion, Paris).En 1987 les fondateurs de la revue souhaitent que l’éditeur s’implique de manière plusimportante (jusqu’à présent, tout était pris en charge par les membres fondateurs) et un appeld’offre est alors lancé. Flammarion ne postule pas, mais plusieurs éditeurs y répondent,Masson, Elsevier, John Libbey... Ce dernier, jeune éditeur qui réalise déjà des co-éditionsavec l’INSERM, est retenu.86

Il édite la revue de juin 1987 à la fin de l’année 1996 (directeur de la publication est GillesCahn). Durant toute cette période (pendant laquelle on peut dire que son mandat est« renouvelé automatiquement »87), la revue multiplie par trois le nombre de ses abonnés et pardeux le nombre de ses pages.88 John Libbey s’investit complètement ; il faut dire qu’ilsouhaite alors acquérir une image, une notoriété… On peut également noter qu’il reste« extrêmement soutenu financièrement, jusqu’à 500, 700 000 Francs »…89

En 1996, intervient dans la législation française, la notion de « délégation de service public »et, « croyant bien faire », les membres fondateurs de la revue (plus particulièrementl’INSERM et le Ministère français de la recherche) lancent un appel à candidature dans cetoptique.90 Le choix se porte alors sur Masson ; le premier numéro édité paraît en novembre1996 (directeur de la publication Christophe Binnendyk). Je n’ai pas beaucoup de précisionsur cette nouvelle collaboration. Sur le plan du contenu ou de la forme, la revue ne montre pasde réel changement, il semble par contre que quelques « désagréments » soient apparus dansles relations commerciales.91 Quelques contrariétés commencent également à apparaître avecles difficultés et retards pris pour la mise en ligne sur Internet de Médecine-Sciences…92

En novembre 2001, les Editions EDK prennent la succession de Masson ; le premier numéroest publié en janvier 2002 (Martine Krief-Fajnzylberg, éditrice, J-C. Dufour, directeur de lapublication et F. Flori, directeur de l’édition) et présente, comme on l’a vu précédemment,une nouvelle maquette, mais aussi une nouvelle équipe de rédaction…

86 Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.87 Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.88 Kahn A. Bergeron M. « Les vœux de M/S : Les années charnières ». Médecine-Sciences, 1997, n°1, p. 7.89 Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.90 Une institution qui n’a pas les moyens humains, le matériel, ou le temps de réaliser un produit qui est dans samission, peut recourir à la « délégation de service public ». Elle délègue alors la réalisation du produit à un« délégataire », qui n’est pas un simple prestataire, qui prend tous les risques et tous les bénéfices. Dans le casprésent, une clause a toutefois été ajoutée pour permettre, en cas de catastrophe, le soutien de la revue, maiscelui-ci n’est plus du tout à la hauteur du soutien apporté durant les années précédentes. Givernaud N. Entretienavec Mouchet S. le 10/07/2003.91 Suzy parle de « cauchemar »… Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.92 Marc Peschanski M. Bergeron M. « Les vœux de M/S : L’information scientifique, un enjeu de société ».Médecine-Sciences, 1999, n° 1, p. 3. Voir aussi Bergeron M. « médecine/sciences, une université virtuelle dessciences du vivant » Médecine-Sciences, 2000, n° 12, p. 1466-9.

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Les rédacteurs en chefCe poste de la plus haute importance, comme l’écrit Bergeron en présentant le projetquébécois en 198393, est successivement occupé par quatre chercheurs français etparallèlement par deux chercheurs québécois. Jean-François Lacronique (mars 1985-1986),Axel Kahn (février 1986-1997), Marc Peschanski (janvier 1998-2001) et Gérard Friedlander(depuis janvier 2002) pour la partie française ont ainsi collaboré avec Michel Bergeron (1985-2000) et Daniel G. Bichet (depuis janvier 2001) pour la partie québécoise.Deux figures émergent plus particulièrement parmi celles-ci, celles de Axel Kahn et deBergeron.Lacronique, s’il a joué un rôle important dans le lancement de la revue à partir de 1984, estrapidement appelé à d’autres fonctions, et il est difficile de juger véritablement ici del’influence qu’il aurait pu exercer sur le contenu de celle-ci.Il n’en est pas de même pour son successeur, Axel Kahn, qui devient alors, « toutnaturellement », rédacteur en chef ; « à ce moment-là, on ne s’est pas posé de questions »,comme me l’a confié Suzy. En fait, depuis le premier numéro (dans lequel il signe le premieréditorial), Axel Kahn s’est complètement investi dans la revue. On peut noter qu’à ce jour il apublié 375 textes, de nombreux éditoriaux bien sûr, mais aussi 270 nouvelles, 19 mini-synthèses, une note originale (en 1985)… ce qui en fait de loin l’auteur le plus publié dansMédecine-Sciences. Seul Dreyfus peut quelque peu rivaliser avec lui, avec ses 299publications (dont 240 nouvelles).94

Axel Kahn reste douze années rédacteur en chef, puis cède en janvier 1998 sa place auneurobiologiste Marc Peschanski, entré à la revue dès la fin 1988 comme conseillerscientifique avant d’intégrer l’année suivante le comité de rédaction.95 Si sur le planscientifique, la revue s'inscrit dans une certaine continuité, comme on le verra, MarcPeschanski semble par contre lui avoir donné par ses éditoriaux un ton plus militant, ou pluspolémique.96 Ne souhaitant pas s’investir comme son prédécesseur, il délègue plus largementles charges de sa fonction parmi le comité de rédaction, devenu comité éditorial.97 Après 4ans, et comme il l’avait annoncé à son arrivée, il se retire et est remplacé, par l’actuelrédacteur en chef, l’hospitalo-universitaire, Gérard Friedlander, qui jusque-là ne faisait paspartie de l’organisation de la revue.98 Pour la première fois un non-INSERM, est rédacteur enchef de Médecine-Sciences... On a vu que la revue connaît à son arrivée un véritablementbouleversement dans son organisation et l'apparition de nouvelles rubriques qui marquent « le

93 *Courrier de Bergeron M. à Lapointe G. (CLF), 30/03/1983.94 Chiffres obtenus à partir de la base de données du DISC.95 Marc Peschanski signe avec Bergeron les vœux de la revue pour la nouvelle année… Pour l’anecdote, onremarquera que dans l'ours du numéro de janvier 1998, Kahn est toujours mentionné comme rédacteur en chef…96 On peut retenir ici ses articles (dont un est co-signé il est vrai avec Bergeron) sur le référendum tenu en Suissesur le génie génétique et qualifié de « référendum scientophobe ». Marc Peschanski M. Bergeron M. « La Suisseau cœur ». (Les vœux). Médecine-Sciences, 1998, n°1, p. 3 ; Marc Peschanski M. « Défaite du référendumscientophobe en Suisse ». Médecine-Sciences, 1998, n° 6-7, p. 689. Voir aussi Marc Peschanski M. «Iconoclastes, au service de la société ». (Editorial). Médecine-Sciences, 2001, n° 12, p. 1363-5. Ou Bichet D. G.Marc Peschanski M. « 2001 : odyssée de la science ». (Editorial). Médecine-Sciences, 2001, n° 1, p. 3-4 danslequel il relève la « scientification » de la politique… Ou encore dès 1990, son commentaire pour le moinscritique sur un avis aussitôt « caduque » du CCNE, dont « les membres (…) sont nommés pour leurappartenance à des écoles de pensée et non pas pour leur compétence scientifique. Cela fixe l'étendue et leslimites de leur intervention »… Marc Peschanski M. « Le CNE intervient dans le débat scientifique ». Médecine-

Sciences, 1990, n° 2, p. 150-1.97 Pour Suzy, Marc Peschanski a sans doute trop délégué… Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le10/07/2003.98 Il a par contre signé la première note originale publiée dans la revue. Friedlander G. & al. « Effets tubulaires

rénaux du glucagon chez l'homme ». Médecine-Sciences, 1985, n°2, p.100-3

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changement dans la continuité et la continuité dans le changement ».99 J'ai moins étudiél'évolution des sujets cette dernière année, on peut toutefois souligner ce propos des deuxrédacteurs en chef présentant, au début de l'année 2002, la nouvelle équipe de rédaction.Celle-ci « reprend à son compte les objectifs : être à la pointe dans le domaine des sciencesbiologiques, médicales et en santé y compris en ce qui concerne les retombées diagnostiques,

thérapeutiques et de prévention ».100 C'est moi qui souligne, il me semble en effet que lesobjectifs annoncés ici sont plus étendus que les années antérieures.

Pour terminer ce point sur la rédaction, on peut noter la création à partir de juin-juillet 1993d'un poste de rédacteur en chef adjoint. Il est occupé par Elisabeth Bursaux (médecinbiochimiste et physiologiste de l’INSERM) jusqu’en 1999, date à laquelle elle rejoint leservice « Médecine » du journal Le Monde, et est remplacée alors par Flori (secrétaire généralde la revue depuis 98). Côté québécois, à la fin de l’année 1993, Jacques Drouin (directeur dulaboratoire de génétique moléculaire de l’institut de recherche clinique, Montréal) estégalement nommé rédacteur en chef adjoint ; il sera remplacé par Bouvier en 2001.

Les différents comités de la revueJe rapporte ci-dessous la composition des trois comités (scientifique, de rédaction, et deparrainage) présentée dans le premier numéro (mars 1985) :

Comité FRANCE QUEBEC Francophones

C. Scientifique

C.de rédaction

C.de parrainage

Arnaud, Bach, Cachera,Caen, Dormont, Jard, Korn,Lesavre, Levy,Matuchansky, RambaudRosa, Tchernia

Degos, Erlinger,Grünfeld, Axel Kahn

Bernard, Dausset,Hamburger, Jacob

Devroede, Glorieux, Kelly,Labrie, Péchère, Simard,Vézina

Crine, Descarries, Vinay

Belleau, Genest, Fortier,Leblond

De Duve, Gaudry,Guillemin, Roche

Le comité scientifique connaît naturellement différentes modifications au cours des ans ; je nementionne pas ici tous ses membres (mais j’ai les noms !).On peut noter que, lors du premier numéro, il comprend vingt membres (13 Français, 7Québécois), rapidement rejoints par deux Québécois (automne 1985) puis deux Belges (début1986). En 1988, il compte 29 membres (13 français, 8 Canadiens, 6 Belges, 2 Suisses). Enéquilibrant les départs et les arrivées, il se stabilise les années suivantes autour de 27 membresenviron, présentant toujours une majorité de chercheurs français : 14 sur 27 en 1995 (7

99 Bichet D. G. Friedlander G. « le changement dans la continuité et la continuité dans le changement ».(Editorial). Médecine-Sciences, 2002, n° 1, p. 7.100 Bichet D. G. Friedlander G. « le changement dans la continuité et la continuité dans le changement ».(Editorial). Médecine-Sciences, 2002, n° 1, p. 7.

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Canadiens et 6 « étrangers», Belges et Suisses), 17 sur 27 en 1998 (8 Canadiens, 2« étrangers»), 14 sur 28 en 2003 (8 Canadiens et 6 « étrangers»).101

Les chercheurs français102 sont principalement rattachés institutionnellement à une unitéINSERM. Ils sont 8 dans ce cas dans le premier numéro pour 2 hospitalo-universitaires(Cachera, Lesavre) et 1 universitaire (Rambaud). On peut remarquer ici l’absence dechercheur CNRS (seul Jard est dans une unité mixte) ou pasteurien. Cette composition semblese confirmer au fil des ans, mais je ne l’ai pas vérifiée précisément. En effet, lesappartenances institutionnelles ne sont pas mentionnées dans l’ours de la revue, il faut doncfaire à chaque fois une recherche pour chaque membre de celui-ci… Et celle-ci me posesouvent problème. Sur l'annuaire INSERM (consultable sur Internet) par exemple, j'airetrouvé plusieurs chercheurs membres d'une unité INSERM, mais dont l'appartenanceadministrative est autre ; c'est par exemple le cas de Tchernia (que j'ai précédemment comptéparmi les INSERM), de Bertagna ou de Jean-Paul Lévy, tous trois sont considérésadministrativement comme hospitalo-universitaires. Dois-je ici les compter INSERM ouhospitalo-U ? Dans ce dernier cas, la majorité des chercheurs français du conseil scientifiquesont hospitalo-universitaires… Si l'on compte par contre tous les chercheurs membres d'uneunité INSERM comme chercheur « INSERM », ces derniers sont alors largementmajoritaires… (par la suite j'ai privilégié cette option).

Le comité de rédaction connaît, lui aussi, plusieurs modifications au fil des ans. En mars1985, il comprend également une majorité de chercheurs INSERM parmi les chercheursfrançais (seul Grünfeld est un hospitalo-universitaire). On peut noter ici que dès 1986,Dreyfus (responsables de la rubrique « nouvelles » avec le québécois B. Levy dès le premiernuméro) entre dans celui-ci. En 1988, Roland Tremblay (Montréal) entre à son tour dans lecomité, puis Drouin (en remplacement de Vinay) ; en 1989, on note les arrivées d’Y.Guindon, D. Bourgaux, tous deux Canadiens, et de Marc Peschanski et J. Hanoune, ces deuxderniers étaient précédemment conseillers scientifiques de la revue depuis la fin de l’année1988… On remarquera que la partie française de ce comité est alors composé de sixchercheurs INSERM pour un seul hospitalo-universitaire (je compte ici Dreyfus comme étanttoujours un chercheur INSERM).En 1998, avec Marc Peschanski, le comité de rédaction est transformé en un comité éditorialélargi comprenant 24 membres (11 chercheurs français, 13 Canadiens103) et un comité dedirection dans lequel se trouvent les « anciens » du comité de rédaction (Bergeron, Degos,Descarries, Drouin, Glorieux, Grünfeld, Axel Kahn).En janvier 2003, le comité éditorial comprend toujours 24 membres (15 Français et 9Canadiens).104

On peut noter pour conclure sur les instances scientifiques de la revue, qu’il s’agit d’un« journal scientifique sans journaliste » comme se plaît à le rappeler la rédaction. Cetteparticularité revendiquée n’est pas sans présenter quelques difficultés et cette dernièresignalera à plusieurs reprises celles rencontrées par les auteurs publiés de trouver le ton juste

101 Je mentionne respectivement ici l'ours des numéros suivants, Médecine-Sciences, 1995, n° 12 ; 1998, n° 2 ;2003, n° 1 (choisi en fonction des rédacteurs en chef français successifs…)102 Parmi lesquels on remarque les arrivées, durant les années suivantes, de Bertagna (1989), Jordan (1993),Kaplan (1998) ou Munnich (2002), et les absences confirmées de Chambon, Changeux et Jost, ainsi que cellesde P. Kourilsky et Douzou. Ces absences ne signifient évidemment pas pour autant qu’ils soient opposés à larevue. Certains publient ainsi rapidement dans celles-ci (Changeux, Douzou ou Kourilsky par exemple). Plustard, Chambon lui apportera également son soutien pour qu’elle soit indexée dans MedLine. Givernaud N.Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.103 Médecine-Sciences, 1995, n° 12.104 Médecine-Sciences, 2003, n° 1.

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pour s’adresser au plus grand nombre, et la nécessité d’un travail de réécriture des articlespour répondre à cet enjeu de la revue.

Enfin, pour terminer cette description de l’ours de Médecine-Sciences, il ne faut pas oublierceux sans qui tout cela ne serait pas possible.

Les membres fondateurs.Je les ai déjà évoqués dans la première partie. On peut les rappeler ici, tels qu'ils sont indiquésdans le premier numéro :- Pour la France, la DGRCST (Direction générale des relations culturelles, scientifiques ettechniques du Ministère des Relations extérieures), la MIDIST, le CNRS, l’INSERM, laDBMIST (Direction des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique ettechnique du ministère de l’Education nationale), et le Commissariat général de la languefrançaise (CGLF).- Pour le Québec, le CLF, le Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ), le ministère desrelations internationales (MRI), le ministère de l’enseignement supérieur, de la science et dela technologie (MESST).

Au fil des ans on peut noter quelques changements parmi les membres fondateurs, mais lesprincipaux financeurs ne changent pas (le Ministère et l’INSERM essentiellement côtéfrançais). Aujourd’hui Médecine-Sciences bénéficie toujours de leur soutien et ne réussit doncpas à s’autofinancer, comme le souhaitaient ses créateurs. Il s’agit d’une revue qui coûte cher,d’après Suzy, pour qui il faut à présent se demander si on peut encore continuer ainsi avec detels coûts.105

Est-ce qu’il n’y a pas assez d’abonnements ? Le projet Flammarion de mars 1983 avançaitcomme condition nécessaire à l’autonomie financière de la revue le chiffre de 7500 abonnés(espérés pour la troisième année). Je reviendrai plus loin sur l'évolution des abonnements,mais on peut noter qu’en 1987, la revue compte « seulement » 3 000 abonnés, et moins de 4000 l’année suivante. Le chiffre fatidique des 7500 abonnés ne semble jamais avoir été atteint(pour l’instant du moins).106

Pas assez de ventes en librairie ? Je n’ai pas d’information sur ce point. Dans un article publiéen 2000, Bergeron signale cependant que le tirage plafonne depuis trois-quatre années. Ilsouligne également dans celui-ci que « les revenus autonomes sont insuffisants car au Québecet surtout en France les agences de publicité ne recommandent pas à leurs clients(essentiellement des entreprises pharmaceutiques) de se servir de médecine-sciences commesupport publicitaire à cause de son tirage peu élevé, de son contenu « trop savant » ( !) quis’adresse aux médecins et aux chercheurs mais non aux omnipraticiens ».107

Il apparaît à présent nécessaire de s’intéresser (enfin) au contenu « trop savant » de la revue.

105 Je n’ai pas d’information précise sur ce point. On peut peut-être noter à titre d’indication, le budget avancépour les trois premières années dans le projet Flammarion en 1983. Le total des dépenses prévu s’élevaitrespectivement à 1,850, 1, 870, et 2 MF environs ; celui des rentrées escomptées dans le même temps à 550 000F, 1, 050 et 1 600 MF ; celui des subventions espérées à 1, 350 MF, 800 000, 485 000 F (aucune subvention la4ième année). *Projet Flammarion, 2/03/1983 « Projet de revue médicale », chiffre revus au mois d’octobresuivant. *Courrier de Piekarski A. (directrice d’édition Flammarion) à Vogler B. 31/10/1983.106 D’après un graphe montrant la progression des abonnements, paru dans le numéro fêtant les 10 ans de larevue, Médecine-Sciences, 1995, n° 3, p. 314. L’augmentation des abonnements est toutefois régulière entre1985 et 1994. On peut noter qu’en ouverture du numéro du mois d’octobre 1989, Kahn lance un appel à la prised’abonnement individuel pour faire face aux contraintes de fabrication... Et que Suzy pense que 5 000abonnements est le plateau que peut espérer la revue. Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/07/2003.107 Bergeron M. « médecine/sciences, une université virtuelle des sciences du vivant ». Médecine-Sciences, 2000,n° 12, p. 1466-9.

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2) Une vocation internationale, culturelle et scientifique.

Le premier numéro de la revue Médecine-Sciences, sous-titrée en pages intérieures, « Revueinternationale de sciences biomédicales » paraît au mois de mars 1985. Les deux rédacteurs enchef, Lacronique et Bergeron, la présentent comme un « mensuel de communicationscientifique francophone de vocation internationale (dont) l’ambition principale (est) d’établirun dialogue entre chercheurs et cliniciens (en respectant) une double attention : celle dela rigueur pour satisfaire les plus exigeants des fondamentalistes, et celle de la clarté poursatisfaire les praticiens les plus surchargés ».108 La revue se veut « un outil de transmissiondes connaissances »109 dans « toutes les disciplines biologiques et médicales ».110 « (Sa)singularité », sur laquelle je ne reviens pas, « réside dans le critère de choix de soncontenu ».111 Après cette présentation, Lacronique et Bergeron reviennent plusspécifiquement sur la justification d’une revue francophone, de « vocation internationale etculturelle » : « Une science dont l’universalité s’établirait par l’intermédiaire d’une langueexclusive perdrait non seulement de son pouvoir, mais aussi de sa richesse. La diversité dansl’expression scientifique, loin de constituer un élément de dispersion désuet ou chauvin, doitêtre une source de diffusion de la connaissance ».112 Là s’arrête cependant « l’esprit militant »des deux rédacteurs en chef, pour qui, seule la qualité scientifique de la revue assurera ladéfense ou la promotion de la langue française.Par la suite Médecine-Sciences n’apparaît pas, il est vrai, comme une tribune de revendicationpour la francophonie et rares sont les articles traitant directement de ce sujet. Elle y consacrecependant plusieurs communications dans son numéro anniversaire de mars 1990.113 D’abordparce qu’il s’agit bien d’une des motivations premières de sa création (voir la 1ère partie), maispeut-être également, parce qu’il s’agit alors d’un sujet de grande actualité. En 1989, ladécision de traduire en anglais les Annales de l’Institut Pasteur provoque apparemment desremous dans le monde de la recherche et de l’édition scientifique française.114

Dans l’éditorial de ce numéro anniversaire, les rédacteurs en chef, Axel Kahn et Bergeron,rappellent ainsi les motivations qui ont conduit à la création d’une revue francophone : « Undegré de nouveauté et de technicité existait, au-delà duquel l’information ne pouvait plus êtrereçue qu’en anglais. Les scientifiques eux-mêmes s’étaient pratiquement habitués à ce quecertaines choses, celles de la plus grande modernité dans leur champ d’investigation, fussentdevenues indicibles en français : la manière et les mots pour les dire se délitaient de n’être

108 Lacronique JF. Bergeron M. « M/S : un trait d’union ». Médecine-Sciences, 1985, n° 1, p. 9.109 Etudiants, internes, enseignants, ingénieurs des biotechnologies…110 Les disciplines biologique et médicale, la biologie cellulaire et moléculaire, l’investigation clinique,l’épidémiologie et les implications médicales des disciplines scientifiques comme la physique, la chimie, lapharmacie, l’anthropologie, l’éthique, l’économie, la sociologie…111 Il s’agit d’une revue d’articles de synthèse, qui comprend également d’autres rubriques (« hypothèse etdébats », « notes originales », « éditoriaux », « nouvelle d’actualité scientifique internationale »).112 Lacronique JF. Bergeron M. « M/S : un trait d’union ». Médecine-Sciences, 1985, n° 1, p. 9.113 Médecine-Sciences,1990, n° 3 (Mars) « Numéro anniversaire ». Ce numéro se décompose en un éditorial desdeux rédacteurs en chef et trois parties regroupant chacune plusieurs communications de politiques,d’académiciens et de scientifiques, sur les thèmes « Médecine, science, communication et société », « leslangues de la science » , « médecine et sciences à la fin d’un millénaire : les grands témoins ». Le numéroprésente ensuite ses rubriques habituelles.114 Je ne sais pas grand chose sur ce sujet, mais on peut voir par exemple l’entretien donné par Claude Cherki(ancien directeur de La Recherche) à la revue Esprit. « L’aventure de La Recherche, la presse scientifique enFrance. Entretien avec Claude Cherki », Esprit, 1989, n° 154 (septembre), p. 30-45. Ou l’article de Kahn dans Le

Monde, « Penser en Français », Le Monde, 13 avril 1989.

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plus utilisés, voire n’avaient pas été créés ».115 Ceci n’implique pas la remise en cause del’usage de l’anglais, ou de cet « anglo-américain abâtardi » pour reprendre l’expression deLazar dans le même numéro, qui est bien la langue utilisée par le plus grand nombre deproducteurs de sciences.116 Mais l’histoire des sciences témoigne qu’il n’en est pas toujoursallé ainsi, et nul ne peut affirmer que la langue anglaise restera la langue scientifiquedominante. Comme le fait remarquer Lazar, le mouvement de fuite des cerveaux depuis lesEtats-Unis vers plusieurs pays de l’Asie du Sud-Est observé actuellement pourrait très bienmodifier la donne dans le futur. Reprenant un propos récent d’A. Postel Vinay, stigmatisantnon sans humour les efforts en faveur de la francophonie en les transposant en une imaginaire‘nippophonie’, il pose ainsi la question de savoir si les Japonais accepteront pendant dessiècles de publier en anglais ?117

Bien évidemment ce qui importe, comme le souligne entre autres, Roger Guillemin, membredu comité de parrainage de la revue, qui signe également un article dans ce numéroanniversaire, c’est « le contenu du message, qu’il soit pratique ou conceptuel et non sonvaisseau en tant que tel, sinon pour sa qualité de communication ». De fait, « (s)i la quasi-totalité de ce qui est nouveau et important (…) n’est pas publié actuellement en français, c’estque, pour des raisons historiques bien connues (…) les scientifiques de langue françaisen’avaient rien à publier de nouveau ou d’important, à quelques rarissimes et admirablesexceptions près, dans les années qui ont suivi la dernière guerre mondiale. Et que pour cesmêmes raisons historiques, les scientifiques anglophones, à 99 % aux Etats-Unis, avaient enfait beaucoup à dire de nouveau et d’important… »118

On peut noter ici la précision apportée quelques années plus tard par Fernando Navarro sur ledéclin du français médical. A partir d’une analyse détaillée de plusieurs grandes revues dudomaine sur la période 1920 à 1995, il montre que ce n’est qu’ « à partir de 1975, (qu’) onperçoit une chute accélérée du français tant en France, qu’à l’extérieur du pays ».119 L’auteurne conclut pas vraiment sur les raisons de cette régression brutale, mais elle ne peut d’aprèslui s’expliquer par la seule prédominance américaine dans la recherche biomédicale, celle-ci

115 Kahn A. Bergeron M. « Cinq ans après. Le sens d’une démarche ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 188-9.116 Lazar P. « Hors des sentiers battus ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 203-6.117 Lazar P. « Hors des sentiers battus ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 203-6. (L’article de Postel Vinay aété publié dans Les Echos, le 17 janvier 1990). On notera ici un point rapporté par Cherki sur la politiquelinguistique « très particulière » du Japon. Les Japonais ont déjà publié toute leur technologie dans leur proprelangue, ce qui a demandé aux Américains des mois pour traduire les revues japonaises. Et Cherki conclut qu’« ils ne se rendaient pas toujours compte de ce qui se passait dans la recherche technologique au Japon et se sontfait dépasser dans bien des domaines ». « L’aventure de La Recherche, la presse scientifique en France. Entretienavec Claude Cherki », Esprit, 1989, n° 154 (septembre), p. 30-45.118 Guillemin R. « Quelques réflexions à l’occasion du 5e anniversaire de médecine/sciences ». Médecine-

Sciences, 1990, n° 3, p. 214-5. Guillemin n’est pas pour autant opposé à une publication en langue française,« que le message original soit en français, pourquoi pas, ajoute-t-il rappelant le compromis proposé et utilisé parl’Académie des Sciences dans ses Comptes-Rendus, où le message est donné en français mais où sa disponibilitéest assurée par un excellent résumé en anglais ».119 Navarro F. A. « Le déclin du français médical en Europe et aux Etats-Unis ». Médecine-Sciences, 1996, n°11, p. 1297-300. L’auteur se base sur l’analyse de la fréquence des références d’articles en français par rapportau total des références citées dans différentes revues médicales internationales et en déduit une régression dufrançais médical selon trois temps. Jusqu’en 1940, le français est conjointement avec l’allemand et l’anglaisl’une des trois grandes langues internationales de la médecine. Si l’on assiste bien « à une chute sévère dansl’importance mondiale du français », entre 1940 et 1945 (conséquence de la Seconde Guerre Mondiale) et uneprogression de l’anglais entre 1945 et 1970, cette dernière se fait surtout au dépend de l’allemand. L’usage dufrançais, quant à lui, « réussit à maintenir (voire à accroître légèrement) son importance » pendant cette période.En 1970, le pourcentage d’articles contenant au moins une référence en français est encore de 22 % enAngleterre, plus de 30 % au Pays Bas, en Autriche et en Allemagne, de 70 % en Espagne. Ce n’est qu’à partir de1975 que le déclin s’amorce vraiment. En 1995, le pourcentage des références en français dépasse à peine 16 %en France, et se voit relégué à des valeurs pratiquement anecdotiques à l’étranger (même en Espagne).

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remontant au moins à 1945.120 Il avance plutôt des raisons « internes » qui tiennent en partieau fait que les auteurs français publient de plus en plus en anglais (même dans des revuesmédicales francophones)…121

On reste quelque peu sur notre faim… Je crois qu’il serait intéressant d’avoir au moins uneétude similaire et complémentaire sur le taux de publications françaises écrites en anglais,pour savoir si le déclin du français scientifique peut, comme l’indique Guillemin, se corréleravec la production scientifique française. Sans succomber à une forme de réductionnismegénétique, on peut cependant constater ici la coïncidence, pour le moins étonnante, del’amorce du déclin du français médical avec l’essor des techniques du génie génétique engénétique humaine et en médecine.122

Navarro ne souligne pas ce point dans son article, il souligne par contre que la question desavoir si c’est la langue ou la science qui est en danger divise le paysage français en deux.D’un côté, ceux qui s’accordent à penser que c’est la langue souhaitent privilégier l’éditionfrancophone (c’est le cas de Médecine-Sciences), de l’autre, ceux qui pensent que c’est lascience, avancent qu’il est plus urgent de publier en anglais, pour que celle-ci soit lue (on peutsans doute citer ici l’Institut Pasteur).123 Dans les deux cas toutefois, la « valeur » de lascience française n’est pas envisagée.

Sans plus détailler ce débat, on peut remarquer que Médecine-Sciences présente, elle aussi, unargument pour prévenir au danger qui menace la science française. Cet argument est d’ailleurslargement développé dans la revue, il s’inscrit même dans ses motivations initiales.Ecrire en français, c’est en effet développer un « outil cognitif de la création scientifique » enbénéficiant de « la souplesse, de la subtilité que seule la langue maternelle est à même defournir ».124 Ce « rôle culturel » de la revue, car la « pensée scientifique est partie intégrantede la culture nationale », est de fait indissociable de la formation scientifique proprement dite.Réhabiliter parfois éveiller chez des chercheurs le besoin de « dire leur science en leurlangue », c’est leur permettre « de structurer la matière de (leur) travail de création » ; cela «constitue pour le scientifique un effort salutaire pour la cohérence même de sa démarcheintellectuelle… ».125

C’est sans doute Lazar qui trouve ici l’expression la plus juste en qualifiant Médecine-

Sciences de « première authentique revue d’enseignement supérieur ».126 C’est bien de celaqu’il s’agit. La revue veut répondre à la croissance explosive de l’ensemble des informationsscientifiques et l’impérieuse nécessité de leur recueil et de leur diffusion. Cette activitéréflexive, « l’appréhension critique, du rassemblement, de la restructuration permanente, de lasynthèse et de la transmission des savoirs », présentée aujourd’hui comme une priorité, estbien la « philosophie fondatrice d’un véritable enseignement supérieur ».127

On notera au passage que Lazar en profite pour adjoindre à Médecine-Sciences une fonctionde nature plus politique en la proposant comme une voie possible de revalorisation de la

120 Le pourcentage de référence à des publications en français dans la revue américaine étudiée est toutefoisinférieur à 1 % dès 1960. En revanche, pour les autres pays, il est vrai que l’on observe un tel pourcentage plustardivement. En 1975 pour la Grande-Bretagne, 1985 pour l’Allemagne, ou 1995 pour l’Espagne (d’après lesdonnées de Navarro).121 En 1970, 3, 1 % des articles publiés en France étaient en anglais ; en 1980, 11, 7 ; en 1985, 56, 1 %122 Je ne sais pas si cette remarque est vraiment pertinente. Mais la coïncidence peut quand même être relevée.123 Navarro rappelle ici à une enquête de MV. Locquin réalisée en 1983 et qui montre que 77 % des scientifiquessont capables de comprendre le français (sur 3000 interrogés originaires de 50 pays). Cette étude appuie plutôtl’analyse de Médecine-Sciences…124 Curien H. « Le chercheur et la communication ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 190-4.125 Kahn A. Bergeron M. « Cinq ans après. Le sens d’une démarche ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 188-9.126 Lazar, « Hors des sentiers battus ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 203-6.127 Lazar, « Hors des sentiers battus ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 203-6.

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fonction enseignante des universitaires et d’évaluation des compétences des hommes :pourquoi en effet ne pas privilégier pour ces derniers la prise en compte d’articles publiésdans Médecine-Sciences ?128

Quelques années plus tard, Marc Peschanski élargira en quelque sorte ce rôle d’enseignement,en constatant que la revue se place en fait parmi les premiers maillons de la chaîne detransmission des connaissances, qui va des laboratoires de recherche jusqu’au grand public,en passant par tous les degrés de l’école et les médias.129 Maillon essentiel, indique-t-il, quioffre à la communauté scientifique un outil pour diffuser les savoirs et ne plus seulement secontenter de « critiquer (avec raison) les dérapages, les erreurs conceptuelles et lesméconnaissances médiatiques ». Médecine-Sciences remplit d’ailleurs parfaitement ce rôlepuisque, à en croire Bergeron et Axel Kahn, elle est bien devenue la source francophoneprincipale d’information des grands médias généralistes dans les années 1990 (ce dernier étantsans doute le scientifique auquel les médias font le plus appel…)130

Maillon d’actualité, pourrait-on dire, avec les importants développements des discours sur lascience et de l’éthique à partir des années 1980 et plus encore dans les années 1990.L’ « acceptibilité sociale » des recherches en particulier biomédicales devient en effet unepriorité, comme le note Marc Peschanski. « Ce que recouvrent ces termes est assez obscur,poursuit-il, mais la menace, elle, est parfaitement claire : si les scientifiques ne parviennentpas à convaincre la « société » de l’utilité de leurs recherches, certains champs leur serontpurement et simplement interdits ».131 Et quel meilleur moyen pour convaincre la société quecelui d’expliquer, d’enseigner ? Cet élargissement du rôle d'enseignement de Médecine-

Sciences se double dans le propos de Marc Peschanski d'un nouveau ton dans la revue, plusmilitant, pour une défense d'une science (tout court et non plus seulement francophone) endanger…

Marc Peschanski ajoute également un rôle supplémentaire à Médecine-Sciences, plus enrapport cette fois avec son statut de revue francophone. Elle est un « instrumentcommunautaire ». Une vraie « complicité » entre la revue et les scientifiques francophones,dont la participation à l’écriture de celle-ci ne cesse de s’accroître, s’est en effet développée.Et si « (i)ncidemment, note-t-il, la place donnée dans la partie magazine aux auteursfrancophones de publications primaires de haut niveau en est un peu disproportionnée (…),cette ouverture apporte un bénéfice complémentaire au travers de l’enrichissement des liensinternes de notre communauté ».132

128 Lazar, « Hors des sentiers battus ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 203-6. Pour l’anecdote, on souligneraque Lazar reprend sa proposition… en 2002. Lazar P. « Les assises de la recherche et leurs conséquences ».Séminaire du Comité pour l'histoire du CNRS, 14/12/2002.129 Marc Peschanski M. « Iconoclastes, au service de la société ». Médecine-Sciences, 2001, n° 12, p. 1363-5130 Begeron M. Kahn A. « En 1994, médecine/sciences, une revue indispensable ». (Les vœux) Médecine-

Sciences, 1994, n°1, p. 6-7.131 Marc Peschanski M. « Iconoclastes, au service de la société ». Médecine-Sciences, 2001, n° 12, p. 1363-5.Marc Peschanski rappelle ici les Lois de Bioéthique de 1994 qui « interdisaient (sous peine de 7 ans de prison etde 70 000 francs d’amende !) un certain nombre d’activité de recherche… » et le retard qu’elles provoquent enFrance sur « un domaine de recherche très prometteur, le travail sur l’embryon humain »…132 Marc Peschanski M. « Iconoclastes, au service de la société ». Médecine-Sciences, 2001, n° 12, p. 1363-5. Onpourrait se demander si avec cette dernière remarque Médecine-Sciences n’est pas entrée dans un processus de« Naturisation » ou de « Sciencisation » dénoncée par Péchère et Salomon en juin 1983 (voir la 1ère partie).

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Pour conclure sur la (les) vocation(s) de Médecine-Sciences, on notera les motivations desdirigeants politiques, dont on a précédemment vu l'intérêt qu'ils portent depuis le début auprojet d'une revue francophone (voir la 1ère partie).133

La science joue un rôle important au niveau national et il est légitime qu’un gouvernementattende de l’activité de recherche des atouts supplémentaires, pour l’industrie ou l’économie,comme le rappellent volontiers les différents politiques participant au numéro anniversaire demars 1990. Ainsi Curien souligne qu’« un pays qui perdrait toute possibilité d’énoncer dans salangue les progrès de l’esprit, dans un domaine aussi primordial que la science, s’engageraitdans la voie dangereuse de la paupérisation et du déclin ».134 Tandis que le ministre québécoisde l’enseignement supérieur et de la science précise la nature du changement apparu dansl’ensemble des pays industrialisés et des nouveaux pays industriels : « La consommation dematières premières, d’énergie, n’augmente pas, mais les économies nationales progressent.Qu’est-ce qui se développe alors ? L’intelligence, rien d’autre. Il suffit pour s’en convaincrede penser aux lasers, à la biotechnologie, à la micro-électronique et aux technologies del’information. Ce qui compte, ce ne sont pas les matières premières, ni les sources d’énergie,c’est tout simplement l’intelligence humaine… »135 « Pour entrer dans (cette nouvelle)compétition, se forger un avenir, la francophonie a l’obligation de constituer entre tous lesEtats qui partagent le français une communauté économique, technologique et scientifiquetout autant que culturelle et linguistique », conclut Michel Guillou, le délégué général del’Université des réseaux d’expression française (UREF, créée par les sommets de Québec en1987 et de Dakar en 1989), non sans emprunter ici quelques accents d’un passé que l’onaimerait révolu.136

J’ai sans doute trop détaillé la question de la francophonie dans cette partie, mais elle est undes éléments fondateurs de la revue. Il fallait donc bien l’évoquer, même si je le répète, sadéfense ou sa promotion ne font pas directement l’objet d'articles ou, pour être plus exact, nesont assurées que par la qualité des publications scientifiques…

133 On notera toutefois ici la remarque de Cherki à propos de « l’affaire » des Annales de l’Institut Pasteur. Pourlui, la responsabilité du déclin du français scientifique ne peut être imputée aussi rapidement aux seuls éditeurs.Le gouvernement, l’INSERM ou le CNRS ont-ils des réelles politique linguistiques ? La communautéscientifique payée en grande partie sur fonds publics a-t-elle des directives sur son mode de communication ?S’il existe une véritable volonté politique sur ce point, il faudrait au moins un peu de cohérence… « L’aventurede La Recherche, la presse scientifique en France. Entretien avec Claude Cherki », Esprit, 1989, n° 154(septembre), p. 30-45.134 Curien H. « Le chercheur et la communication ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 190-4.135 Ryan C. « Recherche et développement scientifique : quelques enjeux de la décennie 90 ». Médecine-

Sciences, 1990, n° 3, p. 200-2.136 Guillou M. « L’université des réseaux d’expression française au service des universités et des chercheursfrancophones ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 216-9. L’Afrique est ainsi un des lieux privilégiés del’engagement de la francophonie, car le français est « pour elle, l’outil de développement, le passage obligé pourl’accès à la science et la technologie (…) (sa) principale clef d’accès à la modernité »... Bien évidemment dans« un authentique esprit de partenariat » et non pour engager « une lutte hégémonique dérisoire contre l’anglais ».Il s'agit juste du « refus de l’uniformisation » (par l’anglais), et de l' « affirmation du pluralisme » (par lefrançais) car « c’est (ainsi) assurer, à termes, l’émergence des autres langues… » Guillou admet toutefois sanscontradiction apparente, qu'il s'agit également de « préserver une certaine approche francophone de la sciencedans la mesure où la langue est le support de la pensée en même temps qu’un outil de communication, toutescience conservant en effet l’empreinte de la culture qui la porte ».

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3) Contenu scientifique

Le premier numéro de Médecine-Sciences, mars 1985, présente un éditorial sur les oncogèneset deux articles de synthèse sur le cancer abordé au niveau moléculaire, un sur la féconditéhumaine, traitée suivant une approche statistique, un sur le rôle du foie et du rein dansl’homéostasie acidobasique et un sur la leucémie. A ces articles s’ajoute une rubrique« hypothèse et débat » convoquant l’avis de plusieurs spécialistes sur la différenciation descellules cancéreuses. Enfin, la rubrique « Nouvelles » évoque des sujets tels les transportsmembranaires, la greffe du foie, le clonage du Facteur antihémophilique A humain et sonexpression dans les lignées de cellules de mammifères (réalisation « la plus ambitieuse de labiotechnologie à ce jour »137), ou l’essor du diagnostic prénatal. Une « sorte de lexique » surla structure des gènes eucaryotes est également proposé.138

« (T)ous les sujets traités dans les premiers articles de synthèse et les nouvelles marquaientbien notre désir de forger ce trait d’union entre médecine et science… » écrira quinze ans plustard Axel Kahn.139 Ils donnent aussi de suite le ton de la revue...

Une tonalité génétique

En mars 1985, « la compréhension des mécanismes moléculaires de la cancérisation constitueà l’évidence l’une des principales percées de ces dernières années dans le domaine dessciences de la vie. Commencée en 1976 avec la découverte par Dominique Stéhelin dupremier gène transformant viral et de son homologue cellulaire cette aventure scientifique n’aété rendue possible que par le développement du génie génétique, comme cela est le cas pourla plus grande partie des découvertes récentes en biologie », écrit Axel Kahn dans lespremières lignes de son (premier) éditorial titré « la saga des oncogènes ».140

Il est certes encore « trop tôt pour mesurer l’impact concret de ces découvertes du point devue clinique. On peut cependant espérer qu’apparaîtront progressivement pour certainscancers des techniques permettant une approche nosologique cohérente, des tests fiablessusceptibles d’orienter l’approche thérapeutique, et peut-être un jour des thérapies spécifiquestouchant des cellules cancéreuses données, sans être traumatisantes pour les cellules normalesni pour l’individu concerné » poursuit Stéhelin dans le premier article de la revue.141

L’orientation de Médecine-Sciences est annoncée. Si la génétique moléculaire ouvrelittéralement la revue, il ne s’agit vraisemblablement pas d’une simple décision decirconstance, mais d’un choix répondant à une conviction plus profonde. Une « époque (…)extraordinaire » se présente en effet pour la biologie, et « nul parmi les médecins et leschercheurs ne peut se tenir délibérément à l’écart (…) sans abdiquer en même temps touteambition de comprendre mieux la vie… et la maladie », précise ainsi la rédaction en find’année.142 La génétique moléculaire donnera le ton, car « directement, ou indirectement, tousles processus du vivant sont gouvernés par le code génétique et la maîtrise de ce dernier (parles nouvelles techniques du génie génétique) ouvre tout grand l’accès à des domaines qui sesituaient auparavant en dehors de l’expérience ».143

Cet éditorial de décembre 1985 donne bien le mode d’emploi de la nouvelle revue. L’étudedes mécanismes du cancer, précédemment évoquée, n’est pas la seule concernée par cesdéveloppements de la biologie. Ce sont aussi les « barrières » qui interdisaient l’analyse de la

137 Dreyfus JC. « Le clonage du Facteur antihémophilique A ». Médecine-Sciences, 1985, n° 1, p. 50-1.138 On notera que ce premier numéro ne contient (naturellement ?) pas de « note originale ».139 Kahn A. « Quinze ans après… ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1998, n° 1, p. 4-5.140 Kahn A. « La saga des oncogènes ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1985, n° 1, p. 10-1.141 Stéhelin D. « Les oncogènes cellulaires, clés de la cancérogenèse ». Médecine-Sciences, 1985, n° 1, p. 12-6.142 La Rédaction « médecine/sciences mode d’emploi ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1985, n° 8, p. 402-3.143 La Rédaction « médecine/sciences mode d’emploi ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1985, n° 8, p. 402-3.

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synthèse spécifique des anticorps et du développement embryonnaire qui tombent à présent ;ce sont la neurobiologie et la neuroendocrinologie qui bénéficient de la découverte des gènescodant pour des neuropeptides inconnus ; c’est le « terrain génétique » prédisposant à desmaladies aussi fréquentes que l’athérosclérose ou le diabète, qui acquiert une basemoléculaire…144 Et toutes ces nouvelles connaissances permettent d’envisager des retombéescliniques. « Les perspectives de détection précoce des maladies héréditaires, voire de leurtraitement par greffe de gènes, se précisent » ; « la vaccination (…) contre le paludisme etl’hépatite virale est probablement pour bientôt grâce à la production de protéines vaccinalespar recombinaison génétique »… « Il a (même) été possible en cinq ans de décrire unenouvelle maladie (le SIDA), d’isoler son agent infectieux et d’analyser son génome, d’espérerainsi la préparation d’un vaccin ».145

Oui, on assiste bien là à un véritable « bouillonnement scientifique » qui doit interpeller leschercheurs en biologie, biochimie, physiologie tout comme les cliniciens. « Il apparaît en effetévident que les clivages entre eux sont devenus artificiels : pouvoir détecter le génome duvirus de l’hépatite B dans l’ADN d’hépatocyte et peut être prévoir le développement ultérieurd’un hépatocarcinome… c’est de l’hépathologie ; détecter des cellules ou des Anticorps quiseront responsables d’un diabète, caractériser le terrain génétique propice à cette maladie enanalysant le polymorphisme des gènes HLA… c’est de la diabétologie. Et l’on pourraitmultiplier les exemples de cette nécessaire homogénéisation des concepts et du langagescientifique ».146

Plus que pour la francophonie, on pourrait dire que l’esprit militant de la revue se trouveénoncé ici, dans ce dernier numéro de l’année 1985. Non sans fondement il est vrai. Depuis lafin des années 70, la médecine est bien entrée, dans le sillage de la biologie fondamentale,dans l’ère de la génétique, « l’ère de l’ADN », comme le rappelle Jordan dans un numérorécent « fêtant » les cinquante ans de la description de la double hélice par Watson et Crick.147

Les premiers gènes humains ont été clonés, la méthode dite de « génétique inverse » livre sespremiers résultats, c’est le développement des premiers diagnostiques génétiquesprénataux...148 Le génie génétique rend également plus concrets les espoirs de thérapiegénique, « la greffe de gènes » évoquée précédemment. Si ce concept date du milieu desannées 1960, c’est bien en effet avec ces nouvelles techniques qu’il devient réellementenvisageable.149 « Vers le milieu des années 1970, la thérapie génique (…) n’est plus le rêved’une poignée de visionnaires. Elle apparaît au contraire, très logiquement, comme l’avenir dela médecine », comme le souligne Pascal Nouvel dans un ouvrage récent.150 En 1985, dix ansplus tard, « traiter les maladies héréditaires en remplaçant un gène défectueux ou absentreprésente (donc bien) un objectif qui, s’il reste probablement éloigné, a quitté (…) ledomaine de la science-fiction » écrit Axel Kahn dans Médecine-Sciences…151

144 La Rédaction « médecine/sciences mode d’emploi ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1985, n° 8, p. 402-3.145 D°146 Ibid.147 Jordan B. « L’ère de l’ADN ». Médecine-Sciences, 2003, n° 4, p. 387-9.148 Le premier gène humain, celui de la globine, a été cloné en 1977, les bases de la méthode dite de « génétiqueinverse » ont été posées en 1980… et en 1983, en moins d’une année de recherche, James Gusella a ainsi localiséle gène de la chorée de Huntington (son identification nécessitera toutefois encore dix ans). Depuis 1978, on peutégalement réaliser le diagnostique prénatal de la drépanocytose…149 Même si les questions théoriques de sa réalisation ne manquent pas. Stéhelin en suggère d’ailleurs une dansson propos précédent : comment atteindre les cellules malades et elle seulement ?150 Nouvel P. « De l’ingénierie génétique à la thérapie génique ». In Debru C. 2003, Le possible et les

biotechnologies. Paris, PUF, x, 440 p. (p. 259-360).151 Kahn A. « Insérer un gène à sa place ». Médecine-Sciences, 1985, n° 8, p. 445-6.

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Et il n’y a pas que la « chirurgie génétique ».152 Le génie génétique permet le développementde nouvelles voies de production de protéines et peut donc également laisser espérer, commeon l’a vu, la production de protéines vaccinales.153

Un nouveau langage est donc bien en train de naître, sur le plan sémantique, ce qui justifie laproposition d’une « sorte de lexique » pour se retrouver dans « le maquis du jargon et destechniques en génétique moléculaire »154, mais aussi et surtout, sur les plans scientifique etmédical. La génétique médicale devient une « médecine génétique ».155 Il est vrai que sesapplications restent encore modestes, « mais les possibilités sont prodigieuses ! », pourreprendre le leitmotiv du héros de Roy Lewis.156 Pour la rédaction, il s’agit donc de traiter « labiologie d’aujourd’hui et la médecine de demain »157 ; la revue sous-titrée initialement enpages intérieures, « Revue internationale de sciences biomédicales » s’est d’ailleurs rebaptiséedès la fin de l’année 1986, « Revue internationale de biologie et de médecine ». Et au milieudes années 1980, en biologie, la génétique est la « super-star » comme l’écrit Axel Kahn dansun numéro qui dresse « une sorte d’anthologie de la place, aujourd’hui grandissante (d’aucunpenseront envahissante !), qu’occupe la génétique en pathologie humaine ».158

On doit ici remarquer que cet « esprit militant » de la revue, s’il s’inscrit bien dans uncontexte scientifique international favorable, n’est pas pour autant évident, ou naturel,notamment pour une revue biomédicale francophone, essentiellement française.159

Sans revenir sur l’histoire de la génétique ou celle de la biologie moléculaire en France, onpeut rappeler en effet que les chercheurs français ont été pour le moins réservés sur lesdéveloppements du génie génétique, auxquels ils n’ont d’ailleurs pas réellement participé…On peut même parler d’une vive opposition de certains, souvent teintée de conviction denature politique, il est vrai.160 On aurait tort de repousser pour autant et à ce seul titre toutesleurs objections…161 Toujours est-il qu’au milieu des années 1980, lors de la parution dupremier Médecine-Sciences, si le pli est pris pour l’essentiel côté biologistes, il n’en est peut-être pas encore de même côté médecins. Ils viennent sans doute de « plus loin » puisque lagénétique elle-même est une discipline peu enseignée dans le cursus médical français à la findes années 1970.162 On lit souvent en effet que ce n’est qu’avec le développement des outils et

152 Kahn A. « Insérer un gène à sa place ». Médecine-Sciences, 1985, n° 8, p. 445-6. Dans les premiers numérosde la revue on trouve les expressions plutôt explicites de « greffe de gène », « chirurgie génétique » lorsqu’il estquestion de thérapie génétique.153 Dès 1977, on a réussi à faire produire par un organisme vivant en dehors de l’homme, la première protéinehumaine, la somatostatine, puis l’année suivante, l’insuline humaine…154 Kahn A. « M/S, ses lecteurs et ses projets ». Médecine-Sciences, 1986, n° 10, p. 540-1.155 Kahn A. « Mutation, régulation, prédisposition et correction… la génétique « super-star » ». Médecine-

Sciences, 1987, n°1, p. 6-7.156 Lewis R. Pourquoi j’ai mangé mon père. trad. fra. Vercors & Barisse R. (1990) Arles, Actes Sud-Babel,2002, 172 p. (ed. originale, The Evolution Man, Londres Hutchinson, 1960). Leitmotiv dont s’est fait sien,Daniel Cohen, qui a sans doute approuvé de suite la tonalité de la nouvelle revue. Cohen D. Les gènes de

l’espoir. Paris, Robert Laffont, 1993, 302 p.157 Kahn A. « M/S, ses lecteurs et ses projets ». Médecine-Sciences, 1986, n° 10, p. 540-1.158 Kahn, « Mutation, régulation, prédisposition et correction… la génétique « super-star » ». Médecine-Sciences,1987, n° 1, p. 6-7159 Je n’ai pas dépouillé la Presse Médicale, mais je crois que là encore cela serait intéressant. Comment celle-cia-t-elle couvert le développement du génie génétique ?160 Kaplan JC. « le génie génétique ». Le Genre Humain, 1983, n° 6, 72-93.161 Mendel A. Les manipulations génétiques. Paris, Le Seuil, 1980, 327 p. Cet ouvrage signé Agatha Mendel,pseudonyme d’un collectif de chercheurs opposés au génie génétique, rappelle notamment les débats à Pasteur età l’université Paris 7 à la fin des années 1970.162 Entretiens Givernaud N. Picard JF avec Cohen D. le 21/01/2002 ; avec Kaplan JC. le 27/03/2002 et le9/04/2002.

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méthodes du génie génétique, et après un léger temps d’adaptation, que la génétique médicalefrançaise est réellement sortie de sa condition marginale.163

Il y a vraisemblablement ici une question à creuser. Dès le début du siècle, en effet on peuttrouver des médecins impliqués dans une recherche médicale de nature génétique. Apertpublie un Traité des maladies familiales et des maladies génétiques (1907) et de nombreuxautres médecins s’illustrent dans la description des maladies héréditaires (Marfan, Charcot,Duchenne de Boulogne…), la génétique mendélienne est pourtant rapidement marginaliséepar les cliniciens français, comme le notent Delaporte et Pinell dans leur Histoire de la

myopathie, et elle reste marginale jusqu’aux années 1950.164 En 1951, la première chaire degénétique médicale au monde est créée en France (pour Maurice Lamy). Plusieurs médecinsfrançais sont impliqués dans ce champ les années suivantes (Turpin, puis Lejeune, deGrouchy en cytogénétique d’un côté, Frézal, Feingold de l’autre…), pourtant d’après Frézal etKaplan, la génétique médicale française ne sort toujours pas de sa marginalité.165 Ce quiexplique qu’au début des années 1980, la recherche médicale française ne s’accapare pas desuite le développement de nouvelles approches que permettent les techniques du géniegénétique... Mais est-ce la génétique médicale qui est réellement marginale en France, ou est-ce que la génétique médicale « à la Lamy », et le développement de la génétique moléculairesont en fait deux approches différentes ? Ce n'est pas le sujet ici, mais je crois que c'est unequestion à étudier.Pour conclure ce point, on remarquera avec Jordan une « propriété » particulière du géniegénétique ; celle d’orienter des biologistes moléculaires « purs et durs » à s’impliquer peu àpeu dans le champ médical. On observe ainsi des équipes de nature très différente dans cedomaine entre ces biologistes d’un côté, et des cliniciens venus à la biologie moléculaire et àl’utilisation de la génétique inverse de l’autre.166 Comme une illustration de ce propos, onrelèvera le commentaire de Axel Kahn annonçant en 1985 dans Médecine-Sciences, « unedate importante dans les efforts qui conduiront un jour à cette « chirurgie du gène », efficaceet précise, espoir et but des généticiens moléculaires intéressés aux problèmes de pathologiehumaine »...167

Pour revenir plus précisément au sujet Médecine-Sciences, on retiendra seulement ici que lenombre de médecins développant un intérêt premier pour la génétique moléculaire au milieudes années 1980, reste, je crois, peu élevé en France. Il y a Frézal, Boué (plus dans uneapproche génétique médicale « à la Lamy », il me semble) et l’équipe autour de Schapira (quidéveloppe bien quant à lui une approche de biologiste moléculaire168) et Dreyfus avec Rosa,Axel Kahn, ou Kaplan…Ce qui est remarquable et étonnant ici, c’est que c’est finalement à cette dernière équipe querevient le soin d’animer la nouvelle revue biomédicale. Axel Kahn et Dreyfus sont, en effet,les deux personnages les plus investis dans celle-ci durant sa première décennie. Je l’ai déjàsignalé, mais je crois que l’on peut insister sur ce point. Ce sont bien les deux chercheurs quisignent le plus de communications et de loin (plus de 15 % (15, 85) des références totalesrépertoriées dans la base du DISC entre 1985 et 1995 à eux deux), prenant notamment encharge l’essentiel de la rubrique « nouvelles », dans laquelle les informations en rapport avecla génétique dominent plus largement (on peut rappeler aussi la création d’une sous-rubrique

163 Frézal J. « Une brève histoire de la génétique médicale ».164 Delaporte F. & Pinell P. Histoire des Myopathies. Paris, Payot, 274 - [16] p.165 Frézal J. « Une brève histoire de la génétique médicale ».166 Jordan B. Génétique & Génome La fin de l'innocence. Paris, Flammarion, 1996, 234 p.167 Kahn A. « Insérer un gène à sa place ». Médecine-Sciences, 1985, n° 8 p. 445-446. Kahn commente icil’article de Oliver Smithies et al. J’y reviendrai plus loin.168 Mouchet S. Picard JF. Entretien avec Kahn A. le 27/02/2003.

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spéciale, entièrement consacrée à celle-ci, et rédigée par Dreyfus, « les ultra-brèvesgénétique »).169

Je crois que l’on peut dire sans beaucoup exagérer, que le « duo de Cochin » donne le ton« génétique » de la revue durant les dix premières années, et d’une manière sans doute plusprononcée que ne l’aurait fait le « groupe de Necker », initiateur français de la revue, au débutdes années 1980 (voir la 1ère partie). Dans le numéro fêtant le cinquième anniversaire deMédecine-Sciences, Hamburger et Bach, s’ils concèdent ainsi que la « dictature solidementétablie de la biologie moléculaire (…) s’appuie déjà sur de merveilleux achèvements (et)légitime totalement son pouvoir absolu en métamorphosant notre regard sur toutes choses »,paraissent cependant quelques peu amers sur l’évolution constatée. « (L)es recherchesphysiologiques et cliniques traditionnelles semblent perdre un peu de leur vigueur et de leurattrait. La lecture de M/S le démontre clairement », notent ils ainsi, avant d’ajouter que celaserait « d’autant plus regrettable que le passage de l’échelle moléculaire à l’échelle duphénomène physiologique ou clinique soulève parfois de sérieux problèmes… »170

Il est vrai que ces cinq premières années de la revue ont consacré la biologie moléculaire et lagénétique. L’étude des index annuels est ici révélatrice.Parmi les 17 rubriques que l’on peut répertorier dans ces derniers pour les années 1985-1990,celle intitulée « Génétique-Oncogènes-Développement » est de loin la plus imposante entermes de références : environ 16 % de l’ensemble de celles-ci les premières années, plus de20 à partir de 1988, 27,8 % pour l’année 1990. Deux fois seulement, une autre rubriquepossède sur une année un taux de références supérieur.171

Il s’agit là de l’index de la partie « Revue » (concernant les seuls éditoriaux, articles desynthèse, notes originales, lettres à la revue, dossiers thématiques et la rubrique « hypothèses-débats »).L’index rapportant sur la même période les nouvelles et les mini-synthèses est plus parlantencore. J’ai représenté ci-dessous les évolutions des références pour les rubriques considéréespar celui-ci entre 1985 et 1989 (elles sont exprimées en pourcentage du nombre de référencestotales).

169 J.-C. Kaplan signe plusieurs articles dans la revue, le premier dans le premier numéro de celle-ci et, dès 1986,il participe également à la rédaction de nouvelles ; il entre par contre assez tardivement dans l’organisation de larevue (en 1998, dans le comité scientifique).170 Hamburger, J. Bach JF. « Réflexions sur les métamorphoses récentes de la recherche biologique etmédicale ». Médecine-Sciences , 1990, n° 3, p. 220-1. On peut souligner ici le choix même du terme« dictature »…171 En 1986, on compte 14 références pour la rubrique « Endocrinologie » contre 11 pour la rubrique« Génétique… » ; en 1987, 26 références pour la rubrique « Physiologie-Biochimie » contre 17 pour la« Génétique… ». Ces deux rubriques obtiennent cependant des taux exceptionnels pour elles ces deux années-là.

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0

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50

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1985 1986 1987 1988 1989

Biolgie générale et

médicale

Biolgie moléculaire

Génétique

Biologie moléculaire et

Génétique

Clinique et

Thérapeutique

Dans ces index, la biologie moléculaire et la génétique sont séparées en deux rubriques. J’aiajouté la courbe les associant (car comme je l’ai déjà signalé, il s’agit plus souvent degénétique moléculaire que de génétique formelle ou de génétique des populations). Je n’ai paspris en compte ici les références correspondant aux « lexiques » (en 1985 et 1986, ilsconcernent la génétique et la biologie moléculaire ; les deux années suivantes,l’immunologie ; en 1989, la neurobiologie).Je crois que le graphe ne nécessite pas de commentaire supplémentaire. La génétique etbiologie moléculaire constituent plus de la moitié des thèmes abordés dans ces « nouvelles »,alors que les rubriques « biologie générale et médicale » et « clinique et thérapeutique » (plusouvertes théoriquement et n’excluant pas forcément le champ de la génétique) sont plusfaiblement représentées.

Je n’ai pas représenté ci-dessus l’année 1990 parce qu’à partir de celle-ci, les rubriques del’index sont quelque peu différentes. Elles seront d’ailleurs, à partir de cette date, de plus enplus nombreuses et présenteront des intitulés fréquemment modifiés ; on compte unequinzaine de rubriques jusqu’en 1992 puis plusieurs dizaines par la suite. Ces modificationscorrespondent à l’augmentation de la partie « Magazine », que j’ai précédemmentmentionnée, mais aussi au souhait de la revue de mieux préciser les sujets qu’elles traitent.Elles rendent toutefois une étude telle que celle que j’ai présentée ci-dessus un peu plusdélicate.Si les rubriques « génétique », « chroniques génomiques », « bulletin de la Société françaisede génétique » (à partir de 1990), ou « cartographies des maladies génétiques » (à partir de1992), « thérapie génique-transgénèse » (à partir de 1992) et « maladie génétique » (à partirde 1993) ne posent pas de problème quant à la détermination des champs scientifiquesqu’elles concernent, les rubriques intitulées « biologie cellulaire et moléculaire » ou« cancer » (qui devient en 1991 « cancer-virus », puis l’année d’après « cancer-virus-oncogènes »), par exemple, nécessitent quant à elles une lecture plus attentive (ce n’est pasinextricable, il est vrai, mais je n’ai pas fait le décompte exacte des références susceptibles des'inscrire dans ce cas dans le champ de la génétique moléculaire).On retiendra seulement ici que l’on peut en fait retrouver des références concernant lagénétique et la biologie moléculaire dans un tiers au moins des rubriques mentionnées (plusd’une trentaine en tout).172

172 Je compte ici l’ensemble des rubriques de celle intitulée « immunologie » ou « génétique » à celle intitulée« éthique » ou « histoire »…

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On peut également remarquer l’année 1992, qui présente une orientation « génétiquemoléculaire » peut-être plus marquée encore que les années précédentes.C’est en effet en 1992 que les termes « oncogènes » et « thérapie génique » apparaissent dansles intitulés de rubrique. Comme on l’a déjà vu dans la partie présentation de la revue, c’estaussi cette année-là qu’est initiée la publication de la cartographie des maladies génétiques (encollaboration avec Genatlas et l’AFM). Et sans considérer toutes ces nouvelles rubriques, sil’on détermine le nombre de références pour la seule rubrique « Génétique », on obtient déjà24 % des références totales pour l’année…

L’année 1992 voit également la proposition d’un nouvel index destiné à répertorier les seules« brèves » de la partie « Magazine ». La représentation ci-dessous présente le taux (expriméen pourcentage) des références citées dans chacune de ses rubriques par rapport au nombre deréférences totales de l’index. J’ai seulement associé ici dans la rubrique « génétique » larubrique « ultra-brèves génétique » (qui comprend à elle seule, 5 % des références totales).Je crois que cet histogramme reflète bien le contenu de la revue pour l’année 1992…On remarquera qu'il contient lui aussi, outre la rubrique « génétique », une rubrique« Transgénèse & Thérapie génique ».

17,7

14,4

10,15

25,18

7,52 7,14

17,7

0

5

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20

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biol

ogie

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Endoc

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Pour conclure cette description de l’index de la partie « Magazine » il faut mentionner lacréation en 1993 de la rubrique « Maladie génétique », qui devient de loin la rubrique la plusimportante les années suivantes, comptant à elle seule environ 10 % de l’ensemble desréférences citées chaque année (jusqu’en 1998)…

On peut réaliser la même description de l’index se rapportant à la partie « Revue ». Celui-ciprésente également de plus en plus de rubriques à partir du début des années 1990 ; sonanalyse montre toutefois, là aussi, la place importante occupée par la génétique moléculaire(même si celle-ci est sans doute un peu moins marquée que dans la partie « Magazine »)

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Ainsi la rubrique intitulée les premières années « Génétique-Oncogènes-Développement »(dont on a déjà vu qu’elle était la plus importante pour les années 1985-1990) devient à partirde 1991 « Cancer-Oncogènes-Prolifération » (elle-même sous-divisée l’année suivante en« génétique, biologie cellulaire et cancer », « immunologie », « oncogènes », « thérapeutiqueet cancer ») et « Génétique-Développement » (également sous-divisée en « Génétique » et« Développement, Embryologie »).Des rubriques « Maladie génétique » et « Transgénèse-thérapie génique » sont égalementcréées dans cet index en 1993 et 1995 respectivement. La première comprend à elle seuleentre 3 et 6 % des références totales cités dans cet index entre 1994 et 1998 ; la rubrique« Génétique » entre 11 et 16 %…

Je m’arrête là pour ces descriptions des index papier (publiés de 1986 à 1998). Je croisqu’elles illustrent bien la place occupée par la génétique moléculaire dans Médecine-Sciences.Je présente plus loin une analyse statistique faite à partir de la base de donnée du DISC quiprécise sans doute encore un peu mieux ce point. Je conclus juste ici en précisant, si celan’apparaît pas clairement ci-dessus, que la revue ne couvre évidemment pas les seulsdomaines propres aux maladies génétiques, aux oncogènes ou à la thérapie génique, mais bienl'ensemble des champs scientifiques dans lesquels s'immisce la génétique moléculaire.Elle rend ainsi compte des changements dans le domaine de la biologie du développement quide « descriptive » devient « analytique » avec l'introduction des techniques du génie génétiqueet de la transgénèse (dont la nature n’est pas, il est vrai, fondamentalement différente de cellede la thérapie génique), ou de l'essor du muscle comme système modèle d'étude chez lesorganismes supérieurs.173 Elle publie aussi des études sur la diversité génétique despopulations, ou plus rarement des articles de génétique théorique (il faut cependant rappelerici la publication du Bulletin de la Société française de génétique). On peut ajouter enfin ledéveloppement de thème proche d’applications concrètes, comme la réalisation relativementtôt d’un dossier « génie génétique et industrie pharmaceutique » donnant notamment la paroleà trois scientifiques responsables de la stratégie industrielle de leur société dans le domaine dela santé et des biotechnologies (Roussel Uclaf, Rhône-Poulenc Santé et Institut PasteurProduction).174 Il faut reconnaître que cette dernière approche reste toutefois moins abordéedans la revue, même si elle trouve un certain renouveau dans la seconde partie des années1990 avec les développements du programme génome humain.175

Je ne peux d’ailleurs pas conclure ce panorama offert par Médecine-Sciences en génétiquehumaine depuis bientôt deux décennies sans souligner son traitement du développement duprogramme « génome humain », qui entre dans une « relation dialectique » avec la génétiquemédicale particulièrement prononcée, comme le souligne Jordan, dans un éditorial de 2003(déjà cité).176 Ce dernier signe d’ailleurs le premier article sur ce sujet en 1988.177 Il anime

173 Jacob F. « L'embryologie devenue moléculaire ». Médecine-Sciences, 1989, n° 1, p. 6-7. Dès les premiersnuméro ce champ de recherche fait l'objet d'articles. Voir par exemple Jarry B. Grau Y. « Les gènesprogrammeurs du développement » et Babinet C. Morello D. « Animaux transgéniques : une voie nouvelle pourl'étude du développement ». Médecine-Sciences, 1986, n°5, p.248-54 et p.254-9 respectivement. Condamine H.« Gènes et développement ». Médecine-Sciences, 1986, vol.2, n°9, pp.516-517…174 Médecine-Sciences, 1988, n°4. On remarquera ici le retard des industriels français dans le domaine du géniegénétique, estimé de 3 à 5 ans pour l’industrie pharmaceutique française par F. Caillaud dans un article de cenuméro dont l’intitulé peut, à lui seul, résumer l’attitude de cette industrie vis-à-vis de ces nouvelles techniques.Caillaud F. « Génie génétique et industrie française : un concubinage forcé ». Médecine-Sciences, 1988, n° 4, p.206-7.175 Voir par exemple, Froguel P. Smadja C. « La génomique à l’épreuve du marché boursier : faut-il avoir peurdes sociétés de biotechnologie génétique ? ». Médecine-Sciences, 1997, n° 6-7, p. 843-5 ; Jordan, B. 1997« Chroniques génomiques : Du programme Génome à la ‘pharmacogénomique’ ». Médecine-Sciences, 1997, n°10, p. 1176-8.176 Jordan B. « L’ère de l’ADN ». Médecine-Sciences, 2003, n° 4, p. 387-9.

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ensuite les célèbres « chroniques génomiques » (à partir de 1990), chroniques régulières quilivrent l’actualité de ce nouveau champ de recherche et font de Médecine-Sciences l’une desrevues francophones qui ouvre le plus ses colonnes à ses premiers développements de lagénomique humaine.178 Même si Jordan a « carte blanche » et que ses « chroniquesgénomiques » n’engagent pas l’ensemble de la rédaction, comme cela est précisé à une oudeux reprises en encart de celles-ci, elles donnent bien le ton de la revue sur ce thème. Je neles détaille pas ici. Elles sont, comme on sait, une mine d’information, tant sur les aspectsscientifiques et techniques du programme que sur ses enjeux politique, économique,sociologique.179

A côté de celles-ci, la revue publie également plusieurs articles sur ce domaine, notamment en1992, date à laquelle la recherche française y occupe, grâce au Généthon, les avants postes…On peut noter par exemple la présentation du CEPH par Dausset, l’article de Daniel Cohensur la première cartographie physique du génome humain, les différentes interventions deJean Weissenbach, la présentation de Généthon par Auffray (article publié par le bulletin de laSFG), celle de Curien, de Axel Kahn (évidemment), ou les réflexions plus critiques d’HenriAtlan, voire celles plus virulentes de Jacques Ninio (qui voit dans ce programme une nouvelleforme « du complot » américain contre le reste du monde…)180 La revue sort égalementplusieurs numéros spéciaux dont celui qui ouvre l’année 2000, intitulé « la révolution dugénome », ou en 2001, suite aux publications de la première ébauche de la séquence complètedu génome humain (environs 80 % de la séquence totale), celui qui lance en couverture untriomphal « vive le génome ! ».181

Le numéro spécial de l’année 2000 s’inscrit en fait dans une série thématique que la revue adécidée de mener pour fêter l’an 2000. Ainsi chaque numéro de cette année présente en plusde ses rubriques habituelles des « cahiers 2000 » qui évoquent les « aspects essentiels et

177 Jordan B. « Cartographie et séquence du génome humain. Chronique de « Cold Spring Harbor Laboratory » .Médecine-Sciences, 1988, n° 7, p. 448-50. La première allusion au séquençage du génome humain est toutefoisfaite de manière indirecte par Dreyfus dans une nouvelle consacrée aux empreintes génétiques. Dans celle-ci, ilremarque « avec les techniques actuelles, un séquençage de masse demanderait des siècles ». Dreyfus JC. « Uneempreinte individuelle d’ADN ». Médecine-Sciences, 1985, n° 6, p. 33. Je mentionne cette référence parcequ’elle est parue dans le numéro d’octobre 1985, peu de mois après le colloque organisé par Sinsheimer à Santa-Cruz sur ce sujet (fin mai) et considéré comme le premier colloque envisageant explicitement un programme deséquençage du génome humain ; c’est la première allusion faite par un scientifique français sur ce projet que j’airetrouvée. Les premiers articles paraissent en fait à partir de 1986 dans la presse anglophone, et 1987 en France...Dreyfus pensait-il a Santa-Cruz ?178 La revue Biofutur est sans doute la revue française la plus « génomique » avec une large ouverture surl’ensemble des programmes d’étude systématique des génomes d’organismes vivants ; La Recherche est quant àelle beaucoup plus en retrait dans sa couverture de ce sujet…179 On sait aussi que Jordan a écrit plusieurs livres sur le sujet. On notera seulement ici le premier, qui est pourl’essentiel une compilation de ses premières chroniques, et qui est publié dans la collection médecine/sciences deJohn Libbey en collaboration avec les éditions INSERM. Jordan B. Voyage autour du Génome. Le tour du

monde en 80 labos. Paris, Montrouge : Les éditions INSERM, John Libbey Eurotext, 1993, 182 p.180 Dausset J. « Le premier atelier (workshop) international du grand projet génome humain : le CEPH ».Médecine-Sciences, 1990, vol 6, n°3, p. 286-7 ; Cohen D. « Premier lever d’une carte physique du génomehumain ». Médecine-Sciences, 1992, n° 8, p.881-2 ; Weissenbach J. « Le projet Génome vu de l’intérieur ».Médecine-Sciences, 1992, n° 4, p. 372-3 ; Auffray C. Généthon au service de la communauté scientifiqueMédecine-Sciences, 1992, n°3, p. R11 (SFG) ; Curien H. « Quelles retombées éthiques pour le projet Génomefrançais ». Médecine-Sciences, 1992, n° 5, p. 509 ; Kahn A. « Le programme et son exécution ». Médecine-

Sciences, 1992, n° 2, p. 149-151 ; Atlan H. « Cartographie génétique fonctionnelle et séquençage de nucléotidesou « Programme Génome Humain » ? ». Médecine-Sciences, 1992, n° 3, p. 262-3 ; Ninio J. « Une biologie deretardataire? ». Médecine-Sciences, 1992, n° 4, p. 374.181 « La révolution du génome », (numéro spécial) Médecine-Sciences, 2000, n° 1 ; « Vive le génome ! »,(numéro spécial) Médecine-Sciences, 2001, n° 3.

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porteurs d’avenir » de la recherche biomédicale.182 Dans le premier numéro de l’année MarcPeschanski et Bergeron présentent ainsi les différents cahiers qui se succéderont : « « La« révolution du génome » (…) ouvrira naturellement cette série (et les) « grandes orientationsthérapeutiques » (…) la concluront » (je souligne. Le génome, la biologie moléculaire, lagénétique sont incontournables).Dans son dernier cahier 2000, « Grandes orientations thérapeutiques », la revue évoque aussinaturellement la thérapie génique. Je vais à présent revenir de manière un peu plus détaillé surle traitement de ce sujet pour conclure, moi aussi, cette partie sur la génétique.

Thérapie génique

J’ai déjà évoqué la thérapie génique en rappelant le contexte scientifique dans lequel a étécréée la revue, mais je crois, que le sujet mérite une attention particulière. Il ne s’agit pas desurévaluer son importance dans la revue et les deux graphes que je présente ci-dessouspeuvent donner une indication quant à la place occupée par ce thème de recherche dans celle-ci. Je les ai réalisés à partir de la base de donnée du DISC.Le premier présente l'évolution des sujets « génétique », « maladie génétique » et « thérapiegénique » au cours des ans ( les réponses sont exprimées en pourcentage en rapport au nombrede références totales répertoriées chaque année).

Le second représente pour chaque année le nombre de références totales répertoriées pour lesujet « thérapie génique » exprimé en rapport du nombre total de références pour le sujet« génétique » (Courbe 1) et du nombre de références totales tout sujet confondu (Courbe 2,identique au graphe précédent) ; les valeurs sont exprimées en pourcentage.

182 Marc Peschanski M. Bergeron M. « Une année de rêve, une année de science ». (Editorial) Médecine-

Sciences, 2000, 1, p. 3. Les autres thèmes qui paraissent les mois suivants sont respectivement « Développementet évolution », « L’entrée dans la vie », « Le temps en biologie », Interactions moléculaires », « Lemouvement », Dangers infectieux et défenses », « L’homme et son environnement », « Science, éthique etsociété » et enfin, « Grandes orientations thérapeutiques ».

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Il y a bien sûr plusieurs biais à cette représentation. On peut considérer que lorsque l’on parlede maladies génétiques, on pense également thérapie génique même si on ne l’indique pas ; jene crois pas toutefois que ça aille aussi facilement de soi. On peut aussi considérer certainesnouvelles concernant la transgénèse comme traitant également de la thérapie génique (lesdeux approches sont en pratiques semblables, et on a vu précédemment dans la descriptiondes index que ces deux sujets sont en effet souvent associés), je n’ai cependant pas fait cechoix, et je n'ai retenu ici que les articles qui mentionne explicitement la thérapie génique.Un autre biais est d’ordre plus technique. Si la base couvre l’ensemble des numéros de larevue, jusqu’à l’année en cours (avec quelques numéros de retard seulement). Elle est, pourl’heure, particulièrement détaillée pour la période la plus récente (1996-2003). Pour celle-ci,elle présente les références des articles de synthèse (avec leur résumé et leur texte intégral),ainsi que les mini-synthèses, les nouvelles, les brèves… et même les laboratoires d’affiliationsdes auteurs.183 Lorsqu’on l’interroge sur un sujet précis, il y a donc de grandes chances quel’on obtienne tous documents publiés dans la revue qui traitent, ou abordent, celui-ci. Pour lapériode antérieure (1985-1995), la recherche est par contre moins précise, la base ne prenantalors en compte que les titres des articles et des nouvelles (avec parfois quelques mots clés). Ilfaut donc apprécier les graphes ci-dessus comme de simples approximations, qui sont sansdoute aussi des sous-estimations de la représentation réelle des sujets dans la revue. La basene mentionne, par exemple, aucun article concernant la thérapie génique pour 1985 alors quel’on a précédemment vu qu’il en était pourtant question dès le premier numéro (il est vrai leplus souvent sous la forme d’autres expressions, « greffe des gènes », « chirurgie desgènes »). Malgré cette approximation grossière, je crois que ces graphe sont utiles et donnentune idée de la place accordée à ce domaine de recherche dans la revue.

La place qu'occupe la thérapie génique n'est sans doute pas aussi importante qu'on l'attend. Ona souvent l'impression en effet qu'elle est omniprésente. Elle représente en fait en moyenne 2% des références totales et un peu moins de 10 % des références concernant la génétiquechaque année (avec deux pics toutefois ces dernières années, en 1999 et 2002). Sonimportance dans la revue peut aussi être relativisée si on remarque avec le premier graphequ'elle reste à un niveau assez constant durant les années 1990, alors que la génétique et lesmaladies génétiques occupent une place croissante dans celle-ci durant cette période. De 1985à 1989, ces dernières représentent environ 10 % des références totales, elles atteignent 20 %

183 Il s'agit ici de la base consultable au DISC. Celle directement accessible sur Internet est un peu moinsdétaillée (elle ne donne pas l'information relatives aux affiliations des auteurs par exemple). Je remercie iciClaudie Hasenfuss qui m’a présenté la base.

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en 1994-1995, puis presque 25 % les années suivantes, avant de retombées à leur niveau desannées 1980 en 1999 ; l'évolution de la génétique dans la revue présente sensiblement lemême profil. De 20 à 25 % les premières années, elle passe à plus de 35 % de 1992 à 1998.On peut dire qu'il y a là une relation directe entre les deux thèmes.184 On ne peut pas en direautant de la thérapie génique. On pourrait même dire que celle-ci ne profite finalement pasvraiment de cet élan génétique.On peut toutefois remarquer cette constance d'une autre manière. Il n'y a pas d'année « sans »pour la thérapie génique, et celle-ci est toujours présente à un taux relativement important auregard du spectre total des sujets que doit recouvrir une revue de biologie et de médecine(comme on le verra plus loin). Ceci est d'autant plus remarquable qu'il faut le rappeler, elle neconnaît son premier véritable succès qu'en 2000. Il y a donc bien quand même pour celle-ciun phénomène particulier, comme le souligne Nouvel. A la différence de la majorité destraitements médicaux (antibiotiques, vaccins), pour lesquels l’efficacité a précédé larenommée, les thérapies géniques « ont acquis leur réputation avant d’avoir une efficacitéréelle (…) aussi bien dans les discussions de spécialistes, les intitulés de colloquesscientifiques et les articles médicaux que dans les discussions courantes portant sur l’avenir dela médecine ».185

Lorsque que paraissent les premiers numéros de Médecine-Sciences, la thérapie géniqueprésente toutefois une certaine actualité (légitime ou non) sur les plans politique etscientifique. C’est en effet au début de l’année 1985 que le premier document énonçant leslignes directrices pour la conduite d’essais cliniques, alors pressentis pour bientôt, est rédigépar un comité américain créé à cet effet.186 Sur le plan scientifique, septembre 1985 estégalement une date importante dans les efforts qui conduiront un jour à cette « chirurgie dugène » », comme le précise Axel Kahn en présentant le résultat obtenu par Oliver Smithies etson équipe. Ces derniers viennent de montrer qu’il est possible d’intégrer un gène à saposition précise dans le génome d’une souris (jusqu’ici l’intégration des gènes était réalisée auhasard dans le génome des mammifères, ce qui pouvait s’avérer problématique…)187 Ce sontenfin les premières expériences réussies de correction d’une maladie génétique par créationd’animaux transgéniques, qui marquent les esprits. Elles ouvrent en effet une autre voie dansla thérapie génique ; « il n’est pas nécessaire, pour guérir une maladie génétique, de greffer ungène intact à sa place normale », cela signifie tout simplement que « nous sommes bienrentrés aujourd’hui dans l’ère de la médecine génétique… et non plus seulement de lagénétique prédictive » commente alors Axel Kahn au début de l’année 1987.188

184 L'importance prise par les maladies génétiques s'explique évidemment par l'explosion des localisations et desidentifications de gènes responsables ou impliqués dans les maladies.185 Nouvel P. « De l’ingénierie génétique à la thérapie génique ». In Debru C. 2003, Le possible et les

biotechnologies. Paris, PUF, x, 440 p. (p. 259-360)186 Nouvel P. « De l’ingénierie génétique à la thérapie génique ». In Debru C. 2003, Le possible et les

biotechnologies. Paris, PUF, x, 440 p. (p. 259-360). Le premier transfert d’un gène (marqueur) chez l’homme estréalisé en 1990 par Rosenberg SA. et al. (NEJM, 323, p. 570-8) et la première tentative de correction d’un déficitgénétique en 1991 (voir l’article dans Science de Blaese RM. et al., qui revient en 1995 sur celle-ci (Science,1995, n° 270, p. 475-80).187 Kahn A., « Insérer un gène à sa place ». Médecine-Sciences, 1985, n° 8 p. 445-6. L’article de Oliver Smithieset al. est paru dans Nature 19 septembre 1985, p. 230.188 Kahn A. « Mutation, régulation, prédisposition et correction… la génétique « super-star » » (Editorial).Médecine-Sciences, 1987, n°1, p. 6-7. On peut retenir ces publications. La première concerne un déficitimmunitaire (Nature, 1985, 316, p. 38), la seconde une thalassémie (Science, 1986 p. 1192), la troisième, réaliséepar le groupe de P. Briand, un déficit enzymatique héréditaire responsable d’un désordre inné du métabolisme del’urée.

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La thérapie génique est « à la mode ».189 Et il y a une raison « objective » au moins à cela,c’est le « premier changement de statut de l’ADN qui, de potentiel responsable des maladies,devient potentiel médicament ».190 Ce changement est important, puisque l’utilisation du gènecomme un nouveau type de médicament permet de dépasser le champ des seules maladiesgénétiques. Un « gène-médicament peut, en principe remplacer n’importe quel médicamentprotéique », comme le précise à nouveau Axel Kahn en tirant le bilan des cinq premièresannées d’essais chez l’homme dans l’éditorial d’un numéro « spécial thérapie génique » audébut de l’année 1996.191 Il apparaît d’ailleurs que ce sont « des maladies non génétiquesbénéficiant actuellement de médicaments protéiques biologiquement très actifs enadministration générale ou locale, qui pourraient être les premières cibles d’une thérapiegénique réellement curatrice alors que les perspectives de traitement par thérapie génique del’immense majorité des maladies génétiques restent extrêmement lointaines ».192

On peut sans doute comprendre pourquoi ce champ de recherche croît considérablement àpartir des années 1990… et que Médecine-Sciences s’en fasse l’écho, mais sans pour autantlui accorder une place réellement plus importante dans la revue (voir graphe).

On doit d'ailleurs remarquer ici le dernier propos de Axel Kahn. Si la revue a rapidementrelevé les espoirs d’utilisation thérapeutique de l’ADN, elle en a toujours souligné égalementles limites (actuelles)193, témoignant rapidement de la « zone de forte turbulences » danslaquelle la thérapie génique est rapidement entrée (et qu’elle traverse encore aujourd’hui).194

La rédaction n’a, je crois, jamais avancé de date pour les premiers succès de thérapie géniquehumaine. Elle a toujours insisté au contraire sur le fait que cela nécessiterait certainementbeaucoup de temps avant que l’on puise disposer de thérapie efficace dans ce domaine.195

Elle n’a pas hésité non plus à dénoncer certains excès, notamment les passages aux essaiscliniques jugés pour le moins rapides dans un grand nombre de cas. Ainsi Axel Kahn, toujoursen 1996, critique une activité clinique « un peu désordonnée et obéi(ssant) à des schémasstratégiques qui ne doivent parfois rien aux impératifs de la recherche thérapeutique ».196 Sil’investissement dans ce domaine de grands groupes pharmaceutiques et biotechnologiqueslui semble lucide et raisonné (dans l’avenir, seules les thérapeutiques vraiment innovantespourront s’imposer…), il dénonce en revanche les essais cliniques réalisés par certaines start-

ups à la seule fin de sauvegarder leur « valeur en bourse »… et regrette que des équipesclinico-biologiques, probablement du fait d’une pression médiatique de plus en plus forte,passent elles aussi aux essais cliniques avant que cela ne soit justifié par des essaisprécliniques... Il en résulte notamment un « déchet considérable, en terme de qualité, despublications (…) même dans de bons journaux », constate-t-il avant d’ajouter que seul un

189 Kahn A. Briand P. « Thérapie génique : espoirs et limites ». Médecine-Sciences, 1991, n° 7, p. 705-14.190 Ibid. ; Kahn A. Marc Peschanski M. « l’ADN un médicament pour demain ». (Editorial). Médecine-Sciences

1992, n° 9, p. 900-1. On peut noter aussi la parution en 1993 du livre de Kahn, Thérapie génique, l’ADN

médicament. Paris, John Libbey Eurotext (collection Clé pour Médecine-Sciences), 160 p.191 Kahn A. « Thérapie génique : le temps d’un premier bilan ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1996, n° 1, p. 9-12. 150 protocoles, enrôlant plus de 1000 personnes, ont alors été engagé.192 Kahn A. « Thérapie génique : le temps d’un premier bilan ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1996, n° 1, p. 9-12.193 Kahn A. Briand P. « Thérapie génique : espoirs et limites ». Médecine-Sciences, 1991, n° 7, p. 705-14.194 Heard JM. Danos O. Marc Peschanski M. « Réflexions sur l’avenir de la thérapie génique ». Médecine-

Sciences, 2000, n° 12, p. 1305-9.195 On trouve il est vrai dans certains articles de la revue des déclarations plus précises sur ce point. AinsiWeissenbach écrit bien en 1992 que « la thérapie génique deviendra réalité avant la fin du millénaire »…Weissenbach J. « Le projet Génome vu de l’intérieur ». Médecine-Sciences, p. 372-3. L’attitude de la rédactionreste quant à elle beaucoup plus prudente.196 Kahn A. « Thérapie génique : le temps d’un premier bilan ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1996, n° 1, p. 9-12.

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« petit nombre d’articles présent(ent) enfin (des) résultats d’essais cliniques » encourageants,bien qu'ils soient encore loin d’être des succès et « auraient même pu être appelés des échecssi l’essai thérapeutique avait concerné tout autre type de médicament ».197

En 1996, la revue est ainsi explicitement critique sur les développements de ce champ derecherche, s’accordant en cela avec les conclusions du « célèbre » rapport « Varmus » publiéau début de cette même année.198

_Je crois que dans ce domaine, on peut dire que la rédaction a tenu rapidement un tonrelativement objectif quant aux difficultés de la mise en pratique de ce concept(théoriquement simple) qu’est la thérapie génique.199 Et cette prise en compte précoce desdifficultés, fait que son attitude reste cohérente durant la décennie 1990. Si l’on est bien alorsen train d’assister au passage « du rêve à la (dure) réalité scientifique » et que le « doutecommence à s’installer », il n’y a donc pas pour autant de réel changement de discours.200 En1996, « la thérapie génique est (toujours) un concept tout nouveau ; elle est prometteuse pourle traitement de certaines maladies dans le futur, mais les difficultés à résoudre restentconsidérables, ce qui en soi est une motivation suffisante pour poursuivre avec ardeur etexigence les travaux de développement de cette méthode thérapeutique du futur » note ainsiAxel Kahn.201 A la fin de l'année 2000, Marc Peschanski affirme à son tour qu’il « serait toutaussi faux de nier (…) les perspectives ouvertes par la thérapie génique qu’il était, il y a dixans, de rêver qu’elle allait révolutionner du jour au lendemain la pratique médicale ».202 Desperspectives sont d’ailleurs ouvertes depuis avril 2000, avec la publication de Alain Fischer etMarina Cavazzana-Calvo dans la revue Science ; l'équipe de l’hôpital Necker y présente lespremiers traitements réussis d’enfants atteints d’immunodéficience sévères liées auchromosome X (les « enfants-bulle ») par thérapie génique…203 La route est droite, mais lapente reste forte, comme on dit aujourd'hui.204

197 Kahn A. « Thérapie génique : le temps d’un premier bilan ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1996, n° 1, p. 9-12. On peut noter ici les publications distinguées. Elles portent sur la mucoviscidose (Nature Genet. 1994, 8, 42-50), le déficit immunitaire associé à la carence en adénosine désaminase (Science 1995, 270, p. 470-5 et 475-80),l’hypercholestérolémie familiale (Nature Med. 1995, 1, 1148-54), les gliomes inopérables. Toutefois seule celleconcernant la carence en adénosine désaminase peut « peut-être » être considérés comme une réussite…198 Directeur du NIH, Varmus a chargé, début 1995, une équipe d’experts, présidée par Stuart Orkin et ArnoMotulsky, de rédiger un rapport sur la thérapie génique. Celui-ci, publié au début de l’année 1996, est trèscritique quant au développement de ce champ de recherche et a, semble-t-il, marqué les esprits. Nouvel P. « Del’ingénierie génétique à la thérapie génique ». In Debru C. 2003, Le possible et les biotechnologies. Paris, PUF,x, 440 p. (p. 259-360).199 On a déjà signalé l’attitude de la rédaction en 1985. On ajoutera qu’elle est pour le moins réaliste. Comme lenote Kahn en commentant les résultats de Smithies, si ces derniers marquent bien une « date importante (…), ilreste que la fréquence d’intégration du gène au niveau de son site correct reste extrêmement faible et ne sauraitêtre encore opérationnelle ». Kahn A. « Insérer un gène à sa place ». Médecine-Sciences, 1985, n° 8 p. 445-6.200 Marc Peschanski M. « Thérapie génique : du rêve à la (dure) réalité scientifique ». (Editorial) Médecine-

Sciences, 1999, n° 5, p. 591-3.201 Kahn A. « Thérapie génique : le temps d’un premier bilan ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1996, n° 1, p. 9-12.202 Heard JM. Danos O. Marc Peschanski M. « Réflexions sur l’avenir de la thérapie génique ». Médecine-

Sciences, 2000, n° 12, p. 1305-9.203 Il s’agit là toutefois d’un cas bien particulier de thérapie génique. On peut considérer en effet qu'il s'agitautant d'une thérapie cellulaire que d'une thérapie génique. Les cellules modifiées in vitro présentent un avantagesélectif in vivo sur les cellules « malades », et prolifèrent remplaçant ces dernières. Voir Cavazzana-Calvo et al.Science 2000, n° 288, p. 669-72. On peut se reporter également au compte-rendu publié dans Médecine-Sciences

le mois suivant la publication dans Science. Fischer A. & al. « Traitement du déficit immunitaire combinésévère lié à l'X par transfert ex vivo du gène gamma c. » Médecine-Sciences, 2000, n°5, p. 681-4.204 Marc Peschanski M. « Thérapie cellulaire et génique intracérébrale, trois échecs. prévisibles ? ». Médecine-

Sciences, 2001, n°6-7, pp.805-7

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On doit noter ici qu'en l'espace de 10 ans, la thérapie génique n'est plus seulement unethématique de recherche fondamentale. Elle est bien devenue également un champd’application clinique avec les nouvelles précautions et difficultés que cela implique… S’ilfaut y aller « chaque fois que cela (est) nécessaire », écrit Axel Kahn, il ne faut y aller « quequand cela (est) nécessaire, dans le respect de l’éthique scientifique et des malades ».205 Cesconseils pour le moins avisés, également avancés dans le rapport « Varmus », semblentpourtant rester sans effet, puisque 3 ans plus tard, Marc Peschanski annonce encore plus deprotocoles engagés dans ce domaine.206 Ce n'est qu'après la mort en 1999 d’un patientaméricain engagé dans un essai de thérapie génique alors qu’il souffrait d’une forme bénignede maladie génétique et avait un bon pronostic vital, qu’une attitude plus responsable semblese dessiner et que l’appréciation des risques encourus soit mieux évaluée, comme lesoulignent Jean-Michel Heard, Olivier Danos et Marc Peschanski l’année suivante : « ce quiest exigé de n’importe quelle approche innovante testée en clinique l'est à présent de lathérapie génique » (!)207

Il ne s’agit donc plus de concentrer les efforts sur les seules recherches fondamentales.« (P)our que la thérapie génique est un avenir clinique », écrit Marc Peschanski en 1999, ilfaut également « comprendre pourquoi son passé et son présent clinique sont sidécevants ».208 Et les raisons sont vraisemblablement autant biologiques que cliniques ; cenouveau défi concerne de fait les chercheurs et les cliniciens… La revue retrouve bien ici sesambitions initiales. Il ne s’agit plus seulement de faire à présent la promotion de la génétiquemoléculaire. Les espoirs suscités par la thérapie génique ont en effet « grandement contribué àfaire pénétrer les techniques et les approches de la biologie et de la génétique moléculairedans les laboratoires de la recherche biomédicale » comme s’en félicite Marc Peschanskitoujours dans le même article. Aujourd’hui « la thérapie génique est sans doute en train depénétrer réellement le monde hospitalier, au-delà des quelques centres de recherche pionniers,même si c’est encore par une petite porte ouverte sur quelques maladies rares et pas, commeon en rêvait il y a dix ans par celle qui ouvrirait sur le cancer ».209

J’ai sans doute trop développé le sujet « thérapie génique ». Il symbolise cependant bienl’attitude de la revue face au développement plus général de la génétique moléculaire. Née aumoment de l’essor de celle-ci, Médecine-Sciences en a de suite été le porte-parole, on pourraitdire, sans retenue. Il suffit de lire la revue pour se rendre compte. « Le génie génétique et sesdéveloppements en génétique humaine et biologie moléculaire devaient donner accès auxdéterminants des maladies, donc aux cibles des médicaments de demain. Tel est l’un despostulats fondateur de m/s, justifiant ce que fut la revue ces dix dernières années », écriventencore Bergeron et Axel Kahn en 1995. Et l’on peut dire avec ces derniers que « (p)eut-être,

205 Kahn A. « Thérapie génique : le temps d’un premier bilan ». Médecine-Sciences, 1996, n° 1, p. 9-12. Onnotera dans ce numéro un article sur la thérapie génique et le SIDA, la mucoviscidose, les maladies lysosomaleset la resténose.206 Peschanski M. « Thérapie génique : du rêve à la (dure) réalité scientifique ». (Editorial) Médecine-Sciences,1999, n° 5, p. 591-3. On compte alors 370 protocoles enrôlant 3200 personnes…207 Heard JM., Danos O. Peschanski M. « Réflexions sur l’avenir de la thérapie génique ». Médecine-Sciences,2000, n° 12, p. 1305-9. Le développement des essais, mais aussi le fait que la thérapie génique soit à présentsoumise a des contraintes réglementaires comparables a celles de tout produit ou méthode thérapeutique peutaussi s'interpréter comme le signe qu'elle devient bien progressivement un traitement a part entière… Cohen-Haguenauer O. « Réglementation de la thérapie génique ». Médecine-Sciences, 1999, n°5, p.682-90208 Peschanski M. « Thérapie génique : du rêve à la (dure) réalité scientifique » (Editorial) Médecine-Sciences,1999, n° 5, p. 591-3.209 Heard JM. Danos O. Peschanski M. « Réflexions sur l’avenir de la thérapie génique ». Médecine-Sciences,2000, n° 12, p. 1305-9

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l’une des raisons principales de (leur) succès est (…) que cette analyse est aujourd’huigénéralement acceptée… »210

Aujourd’hui, si le passage à la clinique a suscité quelques déconvenues, le propos précédentde Marc Peschanski, montre que l’analyse est bien encore partagée…

Pour en finir avec la génétique…

Comme on l'a vu pour la thérapie génique, la revue ne s’est pas laissée griser par les succès dugénie génétique et je ne crois pas que l’on puisse écrire qu’elle ait développé une approcheréductionniste (en donnant à ce terme la connotation péjorative qu’on lui donne le plussouvent) ou se soit fait le porte-parole du « tout génétique ». A bien des égards, il semble plusexact de dire qu’elle a réussi à prendre la mesure des avancées de la biologie des vingtdernières années, n’hésitant ni à se faire l’écho des espoirs qu’elles suscitent en termesd’applications médicales, ni à dénoncer certains de leurs excès.Cette attitude qui correspond d’abord, je crois, à l’expression d’un réalisme scientifique, estpeut-être dictée ou amplifiée par l’expérience médicale de la rédaction, consciente desdifférentes étapes nécessaires pour le passage du fondamental à la clinique. Hamburger etBach notent ainsi en 1990 « que le passage de l’échelle moléculaire à l’échelle du phénomènephysiologique ou clinique soulève parfois de sérieux problèmes (…) En médecine, tout sepasse comme si le nombre de molécules impliquées dans les manifestations de la maladie étaittel que, par essence, on ne puisse intégrer la totalité des phénomènes moléculaires pourprévoir l’événement macroscopique. Sans doute est-il temps de redonner force et verdeur àl’étude de la physiologie et de la pathologie à l’échelle traditionnelle de l’organismeentier ».211 Dans une approche sensiblement différente, Axel Kahn et Marc Peschanskiconstatent eux aussi, dès 1992, dans un éditorial au titre explicite, « l’ADN un médicamentpour demain », que « (l)’analyse du génome a pris, depuis peu, une accélération fantastiquequi permet presque de dater à quelques années son aboutissement. La thérapie géniqueapparaît comme une des retombées majeures de ce gigantesque effort de génétiquemoléculaire, et comme un retour dialectique des plus logiques vers la physiologie et laphysiopathologie ».212

La tonalité génétique de la revue est reconnue par la rédaction assumée et justifiée sansdétour, mais la biologie moléculaire et la génétique ne sont jamais pour autant présentéescomme une fin en soi. Il s’agit plus d’étapes fondamentales dans la perspective d’applicationsmédicales.

Bien sûr, on peut remettre en cause cette orientation, cette stratégie.On trouve toutefois peu de contestation de cette dernière dans la revue (ce qui est quelque peuétonnant). Ce n’est qu’après 1995, notamment par l’intermédiaire de la rubrique « courrier »,qu’on découvre des interventions dans ce sens. Un peu de « sans gène » s’il vous plaît !réclame ainsi Maxime Chireux (professeur agrégé de Sciences Naturelles et docteur enneurobiologie) non sans quelques expressions pour le moins maladroites et rapidement

210 Bergeron M. Kahn A. « M/S a 10 ans, la médecine et la science dans dix ans » (Editorial). Médecine-

Sciences, 1995, n° 3, p.315-6.211 Hamburger J. Bach JF. « Réflexions sur les métamorphoses récentes de la recherche biologique et médicale ».Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 220-1. On peut noter ici cette remarque en pensant à l’ambition non encoreréellement formulée en 1990 de la génomique…212 Kahn A. , Peschanski M. « l’ADN un médicament pour demain ». (Editorial) Médecine-Sciences 1992, n° 9,p. 900-1.

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relevées par plusieurs généticiens.213 Il est préférable de retenir ici le propos de JM. Zajac(institut de pharmacologie et de biologie structurale au CNRS) dont l’argumentation moinssimpliste reflète sans doute mieux la situation actuelle.214 Il est bon qu’enfin un peu de penséephysiologique saupoudre très finement le réductionnisme forcené de ces dernières années,souligne-t-il ainsi, sans pour autant « rallier le camp des lobbyistes de l’anti-molécule ». Etl’on peut comprendre avec lui que ce retour de la physiologie anime une « joie revancharde dequelques-uns uns », qui peuvent se moquer de certains excès ou « âneries énoncées avec laforce que la loi moléculaire et cellulaire (…) conférait » : le cancer guérit trois ou quatre foispar semaine, l’immortalité pour demain, le séquençage de je-ne-sais-quel-gène a vaincul’obésité…215

La critique est connue et légitime à bien des égards. Je ne pense pas toutefois que l’on puissel’appliquer à Médecine-Sciences aussi rapidement. Cette dernière n’a jamais sombré, à monavis, dans cette « pop-génétique » (pour popular genetics) dénoncée dans un numéro récent deScience et Avenir par Wiktor Stockowski.216 Si Médecine-Sciences a assurément fait lapromotion d’une médecine génétique (je crois que je n’ai pas besoin de revenir sur ce point),elle a toujours été plus mesurée dans son propos. On l’a vu pour la thérapie génique. Onpourrait étendre ce constat.

D’une certaine façon, on pourrait ajouter que la revue, toujours fidèle à son slogan, traite bienencore aujourd'hui, de « la biologie d’aujourd’hui », puisque celle-ci voit à présent « lestenants de l’intégré (…) sortir de la marginalisation » comme l’écrit Zajac. On peut sedemander toutefois s’ils ne sont pas accompagnés (entraînés ?) par les généticiens, ou lesgénomiciens… « cloner n’(est) pas guérir, (et) séquencer n’est pas comprendre » remarquejustement ce dernier avant d'ajouter, une fois séquencer, clos le répertoire des protéinespossibles et des éléments cellulaires de régulation probables, il va falloir se mettre au travailet rendre compte de l’activité intégrée de l’ensemble de tous ces éléments et de leurinteraction produisant une fonction plus globale…217 N’est-ce pas un peu également le« retour dialectique des plus logique » évoqué précédemment par Axel Kahn et MarcPeschanski dans le cas de la thérapie génique ?

On peut remarquer pour finir que ce débat sur l’importance de la génétique moléculaire peuten fait se doubler d’un débat plus large concernant l’importance de la biologie dans la revue.S’il y a « trop de génétique » dans celle-ci, n’y a-t-il pas d’abord « trop de biologie » ?Pour la rédaction, il est clair qu’il n’y a pas de réelle dissociation possible entre recherchefondamentale et médicale. Dans la pratique, il n’est pas toujours aisé pour autant de combiner

213 Chireux, M. « Un peu de « sans gène » s’il vous plaît ! » Médecine-Sciences, 1997, n° 3, p. 424-5. Le titre dela réponse que lui adresse Gouyon, Godelle et Pessel est explicite quant aux maladresses de cette demande deChireux. Gouyon, Godelle Pessel « Peut-on vraiment compter sur l’ « infinie sagesse de la Nature ? » ».Médecine-Sciences, 1997, n° 6-7, p. 917-9214 Zajac JM. « Réponse à Alain Prochiantz et à sa biologie des mauvaises humeurs ». Médecine-Sciences, 1999,n° 1, p. 133-4.215 On peut aussi s’indigner, avec lui, de la quasi-disparition des physiologistes et du fait que les crédits pleuventà présent pour construire des animaleries, qu’on refusait à ces derniers, et « remplis de souris transgéniques dontpersonne ne sait que faire »… Même si je ne suis pas sûr que la fin de sa phrase soit ici à propos et que je letrouve plus pertinent lorsqu’il écrit que « la domination d’une science par une autre n’est pas à l’ordre du jour ;prétendre assujettir la génétique, la biologie cellulaire à la physiologie ou le contraire ne sert qu’à justifier desattributions arbitraires de crédits… »216 Stoczkowski W. « La pop-génétique ». Science et Avenir, « L’empire des gènes » (Hors série), 2003, n° 136,p. 31.217 « La génomique fonctionnelle est-elle une nouvelle branche de la physiologie ? » demandent par exempleSwynghedauw et Mansier. Swynghedauw B. Mansier P. « Physiologie, une science qui se réveille ». Médecine-

Sciences, 1999, n°6-7 p. 868-72.

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les deux, comme le souligne Axel Kahn dès 1986 : « Nous avons (…) conscience de ne pastoujours réussir à tirer les leçons d’intérêt médical des découvertes fondamentales et depublier également des articles médicaux totalement inintelligibles pour des non-médecins(corriger le premier défaut sera sans doute plus aisé) ».218 Le premier défaut a bien été enpartie « corrigé ». Le développement de la thérapie génique en est une possible illustration.Après une phase purement fondamentale, on est bien à présent dans le passage à la clinique.La revue est bien en train d'illustrer ici son slogan, « la biologie d’aujourd’hui et la médecinede demain (dans laquelle la conjonction de coordination peut s’entendre comme laconjugaison du verbe être). Elle a bien été l’image de la recherche en génétique et biologiemoléculaire pendant ces dix, voir quinze, premières années, elle évolue aujourd’hui, presquenaturellement, pour rendre compte de ces avancées dans le champ médical.Oui mais alors, quid de la recherche médicale et de la médecine des années 1980 et 1990 ?

Une tonalité génétique, mais encore ?

Comme on l'a vu précédemment, au milieu des années 1980, la génétique moléculaires'immisce dans tous les disciplines biologiques faisant exploser les clivages entre elles ; pourla rédaction, faire de la diabétologie, ou de l’hépathologie c’est alors développer aussi uneapproche en génétique.219 De fait, la revue aborde bien tous les champs de la recherchemédicale. Il serait toutefois exagéré de dire qu’elle ne le fait que sous l’angle de la génétique.D’autres approches s’imposent d’ailleurs à elle. La prise en compte de l’intensité et de lavariation de la communication cellulaire, les développements des neurosciences ou de lafécondation in vitro, l’explosion des méthodes informatisées de traitement des signaux et destechniques d’imagerie médicale, le SIDA… sont autant de sujets d'actualité en 1985. Bien sûr,certains de ces derniers, comme les neurosciences ou le SIDA, profitent des avancées de lagénétique moléculaire, et s’accordent de fait avec le ton principal de la revue, mais leurchamp d’investigation est également plus large. Les neurosciences, par exemple,« connaissent un essor remarquable (grâce) aux approches multidisciplinaires » comme lementionne Jacques Glowinski (professeur au collège de France et directeur de l’unité deneuropharmacologie de l’INSERM) dans l’éditorial du premier numéro de l’année 1986. Legénie génétique, mais également les techniques électrophysiologiques ou biochimiques, ontainsi permis de découvrir plus d’une cinquantaine de molécules au milieu des années 1980 etde développer plusieurs grands axes de recherche dans ce vaste champ que constituent lesneurosciences, comme l’étude des mécanismes de la neurotransmission, de la différenciationdes cellules nerveuses et de leur maturation, ou la possibilité de greffer dans le cerveau descellules nerveuses embryonnaires...220

La revue aborde bien ces différents sujets et d'autres encore. Dès 1985, chacun de sesnuméros traite préférentiellement d'un thème particulier. Après son premier numéro consacréprincipalement à la génétique moléculaire du cancer, le second traite ainsi des hépatites, letroisième de la fertilité et de la fécondation, le quatrième de l'autoimmunité… Ce thèmeprincipal n'est toutefois jamais exclusif et n'est généralement traité que par l'éditorial et lesdeux premiers articles de synthèse, d'autres sujets complétant ensuite le numéro. Le secondnuméro présente par exemple un article de synthèse sur l'héparine, un autre sur les facteurs decroissance, un débat sur le développement de la cholécystectomie préventive systématique(pour les personnes atteintes de lithiase vésiculaire asymptomatique), une note originale, lapremière publiée dans Médecine-Sciences, qui traite des effets tubulaires rénaux du

218 Kahn A. « M/S ses lecteurs et ses projets ». (Editorial) Médecine-Sciences, 1986, n° 10, p. 540-1.219 La Rédaction « médecine/sciences mode d’emploi ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1985, n° 8, p. 402-3.220 Glowinski J. « Neurosciences : progrès et perspectives ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1986, n° 1 p. 8-9.

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glucagon… Le troisième numéro aborde les maladies congénitales du squelette de lamembrane érythrocitaire, l'origine virale du SIDA et les mécanises moléculaire de lathermogenèse et de l'obésité…

Je ne vais naturellement pas présenter tous ces sujets comme je l’ai fait précédemment pour lagénétique moléculaire ou la thérapie génique.Je donne ci-dessous le résultat de plusieurs études statistiques réalisées à partir de la base dedonnée du DISC.J’ai déjà présenté cette dernière en évaluant la place occupée par la thérapie génique dansMédecine-Sciences. Je rappelle juste ici que les résultats obtenus lorsqu’on l'interroge doiventêtre appréciés différemment selon la période considérée. S’ils donnent un reflet fidèle de larevue pour la période 1996-2003, ils sont par contre plus approximatifs pour la périodeprécédente, 1985-1995 (dans ce dernier cas, on peut penser qu’ils sous-évaluentvraisemblablement la représentation réelle du sujet dans la revue).

Le premier tableau présente les réponses « brutes » de la base de données à quelques « motsclés » sur l’ensemble des années (1985-2003). Les réponses sont exprimées en pourcentage dunombre total de documents référencés dans celle-ci (7464 références au total). Les « motsclés » ont été choisi à partir des intitulés des rubriques de l’index que publie la revue chaqueannée, ce qui n'empêche vraisemblablement pas l'oubli de certains sujets pertinents…Certaines références sont bien sûr comptabilisées dans plusieurs rubriques et je n'ai pascherché à décortiquer plus précisément ici les résultats obtenus pour obtenir une équivalenceunique entre un « mot clé » et une référence. On peut donc retrouver une même référencecomptabilisée pour les « mots clés » génétique, thérapeutique et virologie…Je présente, dans certains cas, les résultats obtenus pour deux « mots clés » très proches, maisqui donnent des réponses sensiblement différentes comme « cancer » et « cancérologie »« cardiologie » et « cœur », « néphrologie » et « rein », voir « gastroentérologie » (ou« gastro-entérologie ») et « hépatologie ».221 Pour le « mot clé » « éthique », j'ai associé lesrésultats obtenus pour une interrogation de la base avec les mots éthique, bioéthique ou bio-éthique (en recoupant les réponses et en ne comptant qu'une seule fois une référence obtenuedans les trois cas…). Enfin, J’ai un peu plus détaillé le champ « génétique-biologiemoléculaire », pour que l’on puisse évaluer les différents sujets mentionnés dans celui-ci auregard de l’ensemble des sujets.

« mots clés » Pourcentage(7464 réf.)

« mots clés » Pourcentage(7464 réf.)

GénétiqueBiologie moléculaireMaladies génétiquesThérapie géniqueOncogènesGénomique

Biologie Cellulaire

Biochimie

26,44,70

12,872,281,781,31

15

5,12

Cancer, Cancérologie

HépatologieNéphrologie / ReinGastroentérologiePneumologie / Poumon(s)Cardiologie / Cœur

OsMuscle

8,32 / 0,24

1,230,75 / 1,79

1,020,54 / 0, 620,51 / 0, 82

0,781,77

221 Longtemps l'index papier présente une rubrique intitulée « Cœur-poumon-rein ». Pour le « mot clé »« gastroentérologie » j'ai additionné les références obtenus lorsqu'on interroge la base avec les deuxorthographes, gastroentérologie ou gastro-entérologie (après avoir vérifié que celles-ci ne se recoupent pas).

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Immunologie / HématologieEndocrinologie

NeurosciencesNeurobiologie

Reproduction / Fécondation

Physiologie

Embryologie

Bactériologie-virologie-parasitologie

8,35 / 3,895,55

3,842,75

2,56 (0,25)

2,11

1,63

4,51

Transplantation (greffe)

Chirurgie

Imagerie médicale

ThérapeutiquePharmacologieEpidémiologieSanté Publique

Ethique

0,98 (0,96)

0,25

0,60

7,302,401,230,66

1

Ce tableau est sans doute d'une lecture quelque peu fastidieuse. Il me semble cependantdonner une première approximation correcte du contenu de la revue depuis sa création.222

Il confirme à l’évidence la tonalité génétique de celle-ci. La génétique prédomine nonseulement en tant que discipline, mais aussi par ses champs plus spécifiques, comme celui desmaladies génétiques, de la thérapie génique ou, à un degré moindres, celui des oncogènes,voir même celui de la génomique, d'un développement pourtant plus récent.223

Plus largement, on peut dire que ce sont bien les disciplines biologiques (génétique, biologiemoléculaire et cellulaire, biochimie, neurosciences…) qui sont majoritairement abordées dansla revue. On peut noter plus particulièrement ici la place importante donnée à la biologiecellulaire. Comme le note Kordon dans l'un des premiers numéro de Médecine-Sciences, si aucours des vingt dernières années « le codage de l’information génétique et les mécanismes derégulation de son expression ont représenté la seule véritable axiomatique de la biologie,applicable aussi bien à toutes les espèces qu’à toutes les fonctions (…) on assiste àl’émergence d’une nouvelle théorie générale au niveau de notre représentation des régulationsphysiologiques : la théorie de la communication cellulaire, qui, comme la génétiquemoléculaire, ne connaît pas de frontière d’espèce ou de fonction. Cette théorie s’appuie surtrois constatations : les signaux qui règlent l’activité de chaque cellule sont très nombreux ; ilssont banalisés, au sens où les mêmes signaux se trouvent associés à toutes les fonctions etinterviennent au niveau de tous les organes ; enfin, les mécanismes de reconnaissances sontuniversels ».224 De fait, la biologie cellulaire comme la génétique moléculaire peut représenterune approche dans tous les domaines de la biologie et de la médecine…

Les disciplines concernant plus spécifiquement le champ médical sont par contre plus enretrait : l'hépatologie, la néphrologie ou la gastroentérologie, entre 1 et 2 % des référencestotales, la pneumologie, la cardiologie ou l'ostéologie, moins de 1 %… Celles renvoyant à desdomaines propres à la pratique médicale comme les transplantations (et greffes), la chirurgie,ou même l'imagerie médicale, dont les progrès sont pourtant mentionnés à plusieurs reprises 222 J'ai en partie « contrôlé » les résultats obtenus en interrogeant la base avec ceux que l'on obtient en consultantl'index papier. Je ne l'ai pas fait systématiquement, il est vrai, mais l'on peut dire (heureusement) que les donnéesse recoupent relativement bien. Si je ne me réfère à présent qu'à la seule base du DISC, c'est pour des raisonspratiques certes, mais aussi parce qu'elle offre l'ensemble des références, de 1985 à aujourd'hui. A partir de 1999,comme je l'ai déjà mentionné, l'index annuel ne paraît plus quant à lui dans la revue.223 On peut nuancer cependant la réponse pour le terme « génomique », puisque celui-ci est aussi retenu par labase en tant qu'adjectif, comme pour les « empreintes génomiques » par exemple, ce qui est est différent de ceque l'on entend aujourd'hui par génomique…224 Kordon C. « Un code de la communication cellulaire » (Editorial) Médecine-Sciences, 1987, n° 3, p. 126-7.

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dans les éditoriaux de portée générale sur l'évolution de la recherche médicale, sont aussi peureprésentées, voir encore moins (0,25 % des références totales pour la chirurgie). Seul lechamp de la reproduction (ou de la procréatique225) figure à un niveau plus raisonnable,vraisemblablement porté par l'essor de la fécondation in vitro au début des années 1980. Onpeut rappeler en effet ici que c'est en 1982 que naît un premier bébé par cette technique enFrance.226

Entre ces deux grands groupes, on peut noter la représentation relativement importante dedisciplines dans lesquelles le fondamental et le médical sont le plus historiquement intriquécomme l'immunologie, l'endocrinologie ou la virologie. J'ai associé cette dernière à labactériologie et la parasitologie, suivant ainsi l'index papier de la revue, mais l'on doit signalerici son importance particulière (environ 75 % des références de ce groupe et 3,38 % desréférences totales) ; ce sont surtout les informations relatives au SIDA (virus HIV…) qui yprédominent, loin devant celles concernant les virus de la grippe, de l'hépatite C ou Ebola. Ondoit noter aussi dans ce champ la naissance, à la fin des années 1990 et sous l'impulsion de lathérapie génique, d'un nouveau domaine de recherche, la vectorologie.On peut ajouter enfin à ce groupe, les recherches sur le muscle. Bien qu'il s'agisse ici d'unchamp médical, il devient également dans les années 1980 un modèle d'étude pour la biologiedu développement.227

Si ces premiers résultats confirment à l’évidence l'importance de la génétique dans la revue, etplus largement de la biologie, on trouve donc bien également un large panorama de larecherche médicale. On peut même trouver un certain équilibre dans les sujets traités. Celui-cis'établit entre d’un côté une promotion de la génétique moléculaire (déclinée dans tous leschamps) et, de l’autre, des développements plus divers, couvrant un large spectre de larecherche médicale.Il est vrai cependant que certains domaines sont pour le moins sous représentés. Lorsque l'onne trouve qu'une ou deux références par an concernant la pneumologie, la cardiologie etc., onpeut considérer que c'est bien peu, d'autant que ces statistiques comptent tous les articlespubliés, de la synthèse à la nouvelle ou la brève…Je ne connais pas l’histoire de ces différents domaines, et je n’ai pas fait le dépouillementd’autres revues médicales pour évaluer l’importance de ceux-ci durant les deux dernièresdécennies, il m'est donc difficile d’analyser de manière beaucoup plus critique les choix deMédecine-Sciences sur cette période. Leur faible importance dans la revue est-elle le refletd'un engouement excessif pour la génétique ou celui d’une absence relative de progrèsmarquant dans ces autres domaines ?

Je présente maintenant une série de graphes qui montrent l’évolution d’une partie des sujetsprécédents au cours des ans (les résultats sont exprimés en pourcentage par rapport au total de

225 Ce terme proposé je crois par Jacques Testart au début des années 1990 (comme le terme procréation) sembletoutefois peu utilisé dans Médecine-Sciences, du moins si l'on prend en compte les réponses de la base à cetteinterrogation.226 Et comme on l'a vu précédemment, la reproduction est le thème principal du troisième numéro de la revue ;deux articles de synthèse lui sont consacrés : Testart J. & al. « les aspects biologiques de la fécondation in vitro »et Frydman R. Eibschitz I. Papiernik E. « Les indications médicales de la fécondation in vitro ». Médecine-

Sciences, 1985, n° 3, p. 122-8 et p. 129-33 respectivement. Dans le même numéro, on peut également lire unentretien avec Goerges David, directeur du centre d'étude et de conservation du sperme, sur l'inséminationartificielle (p. 154-7).227 Gros F. « Le muscle : système modèle en biologie du développement ». Médecine-Sciences, 1990, n° 7, p.624-5.

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références par années). Je les ai représentés par groupe de sujet dont l'importance dans larevue est décroissante.

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Génétique

Biologie cellulaire

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Physiologie

Biochimie

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Virologie

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Ces quatre graphes permettent de dresser un premier constat, celui de la relative constancedans le traitement des différents sujets traités par Médecine-Sciences au fil des ans. Ainsil'image « moyenne » obtenue avec le précédent tableau du contenu de la revue depuis sacréation reflète pour l'essentiel celui de la revue chaque année. On n'observe pas, en effet,l'émergence particulière d'un champ scientifique dans celle-ci, excepté peut-être la neurologiequi oscille entre 0 e 5 % entre 1985 et 1992, puis entre 10 et 15 % approximativement à partirde 1993 ; on peut dire ici que la « révolution silencieuse » opérée dans ce domaine depuis lesannées 1970 a finalement trouvé un certain écho dans Médecine-Sciences.228

On ne constate pas non plus la régression d'un domaine précis, hormis peut-être l'hépatologiequi, alors qu'elle représentait 4-5 % des références totales de la revue les premières années(presque 8 % en 1985), chute à partir de 1991 à moins de 1 %.Les autres domaines scientifiques qu'ils soient plus biologiques, ou plus médicaux, présententpar contre des profils d'évolution relativement constant quant à leur représentation.On doit cependant remarquer ici que la variation entre les années la plus importante pour letraitement d'un sujet donné concerne en fait… la génétique qui oscille entre 20 et 40 % desréférences totales entre 1985 et 2000. On a déjà commenté cette courbe précédemment. Onpeut simplement ajouter ici que la diminution importante de la génétique ces dernières années,surtout durant l'année 2002, n'est pas spécifique puisque l'ensemble des champs étudiés icimarque cette année-là un net recul. J'avoue que je ne comprends pas ces résultats. Je n'ai pasréussi à déterminer le développement d'une thématique particulière qui se substituerait àl'ensemble de ces derniers.

Je n'ai naturellement pas abordé ici tous les thèmes de la revue. Pour ne prendre qu'unexemple, on peut mentionner ces dernières années l'émergence relative d'une thématique telleque la douleur, abordée dès 1985, mais pour laquelle on compte près de 80 % des référencesla concernant depuis 1996 (ce thème représente toutefois moins de 1 % des références totalesentre 1996-2002).L'étude suivante porte plus spécifiquement sur quelques maladies. Je présente celle-ci commeprécédemment. Un tableau indique d'abord le pourcentage des références concernant chacune

228 Changeux J.-P. « De la molécule au langage : la biologie du cerveau en plein essor ». Médecine-Sciences,1988, n°8, p. 474-5.

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Embryologie

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d'entre elles au nombre total de références dans la base, toutes années confondues. Le graphesuivant donne l'évolution des trois plus fréquentes entre 1985 et 2002 (les résultats sontexprimés en pourcentage par rapport au total de références par années).229

Pour le SIDA, je n'ai pris en compte ici que les références obtenues en interrogeant la baseavec ce terme. Si on l'interroge en mentionnant le virus HIV ou VIH, on obtientrespectivement 1,11 % et 1,33 % des références totales (je n'ai pas ici recoupé les troisréponses pour établir un seul résultat…)

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L'évolution de ces trois « maladies » (si l'on considère le cancer et les maladies génétiquescomme représentant un groupe de maladies) montre également une certaine constance dans letraitement par la revue de ces sujets, du moins pour le cancer et le SIDA, respectivement entre5 et 10 % et 1 à 5 % des références totales. Pour les maladies génétiques, on note par contrel'augmentation progressive de ce thème dans la revue entre 1989 et 1998 (voirprécédemment).

229 J'aurais pu il est vrai traiter également ici le diabète.

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On peut s'arrêter un instant ici sur le traitement de ces maladies par la revue. Elles confrontenten effet (comme toutes les maladies) directement celle-ci au challenge qu’elle s’est fixée,celui d’établir un dialogue entre chercheurs et cliniciens.On a déjà précédemment évoqué l'approche privilégiée par la revue pour les maladiesgénétiques et le cancer. La thérapie génique est bien le traitement thérapeutique espéré. Pourles maladies monogéniques, il y en a-t-il d'ailleurs réellement d'autres ? Dans son témoignagesur l'histoire du Téléthon, Bernard Barataud rappelle par exemple les « traitements » proposéspar les disciplines médicales « classiques » aux enfants atteints de myopathie de Duchenne àla fin des années 1970 et au début des années 1980.230 Devant ces différents échecs de lamédecine, on comprend assez facilement l'espoir que peut alors représenter le développementdu génie génétique. D'abord il permet d'identifier précisément l'origine de la maladie, ensuiteavec le concept de la thérapie génique, il indique une voie thérapeutique possible alorsqu'aucune autre alternative n'est proposée. On sait qu'elle va alors être la politique de l'AFMen matière de recherche… Si Médecine-Sciences n'a pas quant à elle pour rôle de développerune politique scientifique, on peut dire cependant que les choix de la rédaction s'accordent engrande partie ici avec ceux du président emblématique de l'AFM. La thérapie génique est biendans ce cas la seule thérapeutique évoquée et attendue.La rédaction développe sensiblement la même attitude dans le cas du cancer, pour lequel ladécouverte des oncogènes a donné dès son premier numéro, comme on l'a vu, le ton de larevue. On peut cependant s'interroger plus légitimement ici sur cette approche. Dans le cas du(ou des) cancer(s), il semble en effet que, contrairement aux maladies monogéniques, d'autresapproches soient possibles et devront en tous cas être envisagées. Aujourd’hui si « la thérapiegénique est sans doute en train de pénétrer réellement le monde hospitalier, note en effet MarcPeschanski, c’est encore par une petite porte ouverte sur quelques maladies rares et pas,comme on en rêvait il y a dix ans par celle qui ouvrirait sur le cancer ».231

Pour le SIDA, le problème est sensiblement différent puisqu'il s'agit cette fois d'une maladievirale. On peut déjà noter que c'est en fait la maladie la plus évoquée dans Médecine-Sciences

(puisque les deux précédentes renvoient à des groupes de maladies… De plus, je n'ai pascompté ici, pour le SIDA, les références renvoyant au seul virus). Il est vrai qu'en tant quenouvelle maladie, en fort développement, elle mobilise, à partir des années 1980, sans douteplus l’attention. En 1989, la revue lui consacre d'ailleurs deux numéros successifs (mars etavril). Elle répond ainsi, il est vrai, à l'actualité particulièrement importante concernant lamaladie en ce début d'année, mais c'est, je crois, la seule fois où un sujet à un tel honneur.232

Le premier article de synthèse sur le SIDA paraît quant à lui dès le troisième numéro de larevue. Klatzmann et Montagnier y écrivent qu' « (e)n moins de quatre ans, épidémiologistes,cliniciens, immunologistes, virologistes et biologistes moléculaires ont démontré l’origine

230 Barataud évoque le traitement proposé par Jean Demos qui soulage plus qu'il ne guérit, les échecs deplusieurs médicaments, les opérations chirurgicales assez terribles (et sans réels effets, si ce n'est la mort despatients dans le pire des cas) ou cette « abstention thérapeutique généralisée » qui nie jusqu'à l'existence de toutevoie possible… Barataud B. Au nom de nos enfants. 1992, Paris Edition n° 1, 304 p.231 Heard JM. Danos O. Marc Peschanski M. « Réflexions sur l’avenir de la thérapie génique ». Médecine-

Sciences, 2000, n° 12, p. 1305-9232 L’hospitalo-universitaire Claude Got vient de remettre son rapport au ministre de la Santé et, plus largement,on assiste au renforcement de la politique nationale dans ce domaine. Le programme national de recherche sur leSIDA, lancé en 1987, a donné naissance, fin 1988, à l’agence national de recherche sur le SIDA (ANRS). En1989 les budgets consacrés au SIDA de l’ANRS, l’INSERM, le CNRS et Pasteur s’élèvent, tous réunis, à 270MF, auxquels on doit ajouter les contributions universitaires, hospitalières et industrielles. Au total, 300 à 320MF par an sont ainsi consacrés en France au SIDA. Lévy JP. « Les orientations de la recherche sur le SIDA ».(Editorial). Médecine-Sciences, 1989, n° 3, p. 136-137.On notera d’ailleurs ici que la revue Sciences Sociales et Santé publie elle aussi, à cette époque, un numérospécial SIDA : « Sociétés à l’épreuve du SIDA » (numéro spécial SIDA), Sciences Sociales et Santé, 1989, n° 1.

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virale du SIDA, identifié le virus, mis au point des tests diagnostiques applicables à lapratique quotidienne et ouvert la voie à l’élaboration d’un vaccin ».233 Il s'agit bien là d'unthème de recherche qui nécessite une « collaboration active » et pluridisciplinaire, pourreprendre les propos des deux chercheurs, et dans lequel la recherche française contribued'ailleurs avec succès.234 On peut retenir cependant le titre pour le moins évocateur de cetarticle comme indiquant l'orientation suivie par la revue pour couvrir l'information relative auSIDA. C'est bien en effet l'approche moléculaire qui est pour l'essentiel délivrée dans celle-cidurant les premières années (le plus souvent dans les « nouvelles »).235 La revue délaisse parcontre quelque peu les informations concernant l'évolution de la maladie, les malades, ou larecherche en santé publique. Il est vrai, comme le précise Claude Got dans les colonnes deMédecine-Sciences en 1989, que celle-ci est alors insuffisante, tout comme est incapable defaire face le système de soin. « Tous les efforts ont porté sur la recherche fondamentale et plustimidement sur la recherche clinique, poursuit-il avant de regretter de voir, la recherchefondamentale s’isoler dans ses citadelles, les soignants dans les hôpitaux et la recherche ensciences sociales vivoter avec des moyens ridicules… »236

La revue n’est donc pas la seule en cause. Elle est d'abord le reflet d'un certain contextegénéral et d'une actualité scientifique qui concerne principalement la recherche fondamentale.En tant que revue de biologie et de médecine, il est pour le moins normal qu'elle évoque lepan fondamental, biologique, de la médecine, mais ne le privilégie-t-elle pas trop auxdétriments des aspects propres à la pratique médicale, voire au rôle qu'elle s'est donnée deréunir biologistes et médecins ? Pour le SIDA, il est évident qu'elle ne fait pas la promotion,ni n'encourage véritablement les investigations en recherche clinique et surtout en santépublique.237 Elle ne développe pas plus, durant ses premières années, les approches propresaux sciences humaines.238

Claude Evin, Ministre français de la Solidarité de la Santé et de la Protection sociale, le relèved’ailleurs en écho de Got, l'année suivante. « (B)ien que ces aspects soient assez peu abordésdans m/s, la médecine interroge bien d’autres sciences et en particulier les sciences humaines.Une maladie comme le SIDA montre combien la médecine a besoin du développement de lapsychologie, de la sociologie. Le fonctionnement même des structures médicales complexescomme l’hôpital devient l’objet d’études pour les spécialistes de sciences humaines. Il fauts’en féliciter car cela doit aussi conduire à encore améliorer, à côté des progrès techniques que

233 Klatzmann D. Montagnier L. « L’origine virale du SIDA de la clinique à la biologie moléculaire » Médecine-

Sciences, 1985, n° 3, p. 141-6.234 On rappellera pour mémoire les articles suivants : Barre-Sinoussi F. et al. Science, 1983, n° 220, 868-71 ;Wain Hobson S. et al. Cell, 1985, n° 40, 9-17 ; Clavel F. et al. Science 1986, n° 233, p. 343-6.235 Voir par exemple Kahn A. « Le virus du SIDA est un lentivirus ». (Nouvelle) Médecine-Sciences, 1985, n° 8,p. 445 ; Kahn A. « Hasard ou nécessité ? SIDA, des virus qui se ressemblent… » (Nouvelle) Médecine-Sciences,1986, n° 2, p. 110.236 Got C. « Sida-santé-société » (Editorial). Médecine-Sciences, 1989, n° 4, p. 204-5.237 Got rappelle dans son article précédemment cité qu’en France la dernière étude sur les comportements sexuelsdate de la fin des années 60 (rapport Simon 1972). Got C. « Sida-santé-société ». (Editorial). Médecine-Sciences,1989, n° 4, p. 204-5. Ce n'est qu'en 1992 que Médecine-Sciences rapporte les résultats d'une nouvelle étude.Spira A. Bajos N. « Comportements sexuels et SIDA». Médecine-Sciences, 1992, n° 10, pp.1124-5. L'étude adébuté en juillet 1989 à l'initiative de l'ANRS238 La comparaison des numéros de Médecine-Sciences et de Sciences Sociales et Santé est ici assez révélatrice.Dans Médecine-Sciences, les articles sont tous rédigés par des médecins hospitaliers (INSERM ou non), tandisque dans Sciences Sociales et Santé, ils le sont par des historiens, des sociologues, des juristes, des médecinséconomistes ou psychanalistes. Si Médecine-Science aborde notamment l'évaluations de moyens de lutte contrele SIDA, l'essentiel des articles traitent bien des aspects biologiques de la maladie - les lésions du systèmenerveux central au cours du SIDA, les espoirs de vaccins, les nouvelles perspectives en chimiothérapie anti-rétrovirale, la thrombopénie immunologique associée à l’infection HIV…- Sciences Sociales et Santé aborde parcontre les enjeux socio-politique du SIDA en Afrique, la maladie face au droit, ses conséquences pour le patient,l'évaluation des campagnes de lutte contre le SIDA, ou les coûts de l’infection VIH …

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l’on accuse parfois de déshumaniser la médecine, la qualité globale de la prise en charge desmalades ».239

On peut raisonnablement dire que durant ses premières années la revue n'accorde pas la mêmeimportance à tous les objectifs de la recherche sur le SIDA tels qu'ils sont pourtant énoncéspar Lévy dans son numéro du mois de mars 1989: « mieux connaître la maladie », « apprécierla situation épidémiologique et l’extension réelle de la contamination hétérosexuelle qui pourl’essentiel conditionne désormais l’avenir », « tenter de mettre au point un vaccin », « trouverdes médicaments antiviraux efficaces », « guider les méthodes préventives nonvaccinales ».240

Ce sont bien essentiellement les points relevant de la recherche fondamentale qui sont traitésdans Médecine-Sciences aux détriments d'information sur les approches préventives de lamaladie ou sur la recherche en santé publique. On peut même trouver, parmi les voies derecherche indiquées, une préférence portée… à la thérapie génique. En 1991, Lévy dressantune revue des thérapeutiques utilisées contre la maladie, ou en cours de développement, écritainsi que « la synthèse de molécules antivirales véritablement efficaces risque de ne pas êtrerapide. L'importance de l'enjeu justifie donc de se tourner vers des stratégies moinsconventionnelles telle que la thérapie génique».241

Je ne détaillerai pas plus ici la question du traitement du SIDA. Je crois que les premièresannées de la revue sont assez significatives pour caractériser son approche principale de lamaladie, même si l'on peut sans doute noter une légère évolution par la suite. Celle-ci est enfait parallèle à celle que l'on a vu précédemment avec la génétique. S'il n'y a pas de remise encause de l'approche moléculaire, il semble qu'il y ait par contre une ouverture plus grande dela revue sur d'autres aspects ou d'autres approches.242

On peut, je crois, étendre cette conclusion aux maladies génétiques et au cancer. Après unepériode centrée sur l'approche la plus moléculaire qui soit de ces maladies, on a vuprécédemment et notamment grâce aux essais en thérapie génique que la revue s'ouvraitégalement de plus en plus à d'autres thématiques, avec un retour vers la physiologie en termed'approche biologique et un retour vers la clinique et les patients en terme d'approchemédicale.

Je présente pour conclure cette étude du contenu scientifique de Médecine-Sciences un graphe(construit comme les précédents) et indiquant l'évolution de sujets plus généraux concernantla thérapeutique, la pharmacologie, l'épidémiologie et la santé publique.

239 Evin C. « Variation autour du thème : « médecine et sciences » ». Médecine-Sciences, 1990, n° 3, p. 195-7.240 Lévy JP. « Les orientations de la recherche sur le SIDA ». Médecine-Sciences, 1989, n° 3, p. 136-7.241 Lévy JP. « Traitements du SIDA : recherche de nouveaux médicaments et élaboration de thérapies géniques». Médecine-Sciences, 1991, n°8, p. 830-41. On peut lire également en 1996, Sorg T. & al. « Thérapie géniquede maladies infectieuses : le modèle du SIDA ». Médecine-Sciences, 1996, n° 1, p. 13-24.242 Pour le SIDA, on peut lire par exemple Bouvet JP. Bélec L. « Hygiène génitale : une solution pour limiter latransmission hétérosexuelle du SIDA en Afrique subsaharienne ». Médecine-Sciences, 1998, n° 2, p. 190-2 ;Bajos N. « L'analyse des comportements face au risque de contamination par voie sexuelle du VIH : enjeuxthéoriques et préventifs des différentes approches en santé publique ». Médecine-Sciences, 1996, n° 5, p. 725-30.

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Si la thérapeutique et la pharmacologie, dans une moindre mesure, occupent une placerelativement conséquente dans la revue, on peut surtout remarquer le peu de sujet portant surles recherches épidémiologique et en santé publique. Cette dernière est totalement absente despréoccupation de la revue durant ses premières années et ce n'est que vers la fin des années1990 qu'elle semble réellement s'imposer. La recherche épidémiologique se développe quant àelle un peu avant, essentiellement à partir de 1994.Je ne détaillerai pas plus ce graphe mais je crois qu'il confirme ou complète l'impressiongénérale qui se dégage de cette étude du contenu scientifique de Médecine-Sciences.

Une conclusion

Je suis sans doute passé un peu trop vite sur tous ces sujets, mais il faut parfois essayer d’êtreun peu synthétique. Je crois que les études statistiques permettent de se faire au moins unepremière idée de l’importance que leur accorde la revue. Comme je l’ai déjà signalé, dans lecadre de sa partie « Revue », Médecine-Sciences a bien abordé, si ce n’est couvert comme ilse doit, l’ensemble de la recherche médicale, avec un penchant nettement plus marqué il estvrai pour les aspects biologiques, fondamentaux, de la médecine que pour ces aspects pluspratiques.

Avant de passer à l'analyse de l'impact de Médecine-Sciences, je voudrais développer trèsrapidement le traitement d'un champ en plein expansion au moment de la création de la revue,celui de l'éthique, et conclure également sur la (non) couverture par celle-ci, d'un sujet pour lemoins brûlant au milieu des années 1980 et durant la décennie suivante, l’affaire du « sangcontaminé », qui, qu’on le veuille ou non, à quelque chose à voir avec le SIDA...

Ethique

L'éthique est rapidement abordée dans Médecine-Sciences. Il faut dire que, là aussi, lecontexte général l’y invite. Au milieu des années 1980, « (l)’homme a acquis ou est en passed’acquérir trois maîtrises : la maîtrise de la procréation, la maîtrise de l’hérédité, la maîtrisedu système nerveux » indique ainsi Jean Bernard dans les colonnes de la revue fin 1986.243

243 Bernard J. « Evolution de la bio-éthique ». Médecine-Sciences, 1986, n° 9, p. 480-1.

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Membre de son comité de parrainage, ce dernier est également le président du tout nouveauComité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), crééen 1983 et « première institution nationale d'éthique du monde », comme le souligne PaulRabinow dans un livre sur la french touch.244

Dans ce dernier, « l’anthropologue des biotechnologies » rappelle que « le discours de labioéthique en France s'est constitué autour de deux articulations majeures, l'une chevauchantsouvent l'autre ». La première concerne le système du don du sang et le principe du «don»qui, en France, a pris la signification du bénévolat. La seconde prend forme dans le CCNE.On peut rappeler ici avec Philippe Lazar que la création de ce comité est d'abord motivée parla première naissance en France, au début de l'année 1982, d'un bébé après fécondation invitro. Le ministre de la Recherche, en plein accord avec le Président de la République,demande alors au directeur général de l'INSERM de transformer le comité d'éthique propre àcette institution en un comité national, chargé d'éclairer la population et les pouvoirs publicssur l'ensemble des conséquences susceptibles de résulter de cet événement et de ceux dont onsent poindre la survenue.245

La création de Médecine-Sciences coïncide de fait avec la structuration du discours éthiquefrançais… dans lequel on doit souligner l'implication de l'INSERM. Comme le rappelleégalement Lazar, ce nouveau champ de réflexion en France que constitue l'éthique, connaît desuite un grand succès, notamment avec l'organisation des journées nationales d'éthique, et «de multiples questions restées jusqu'alors dans l'ombre pour le plus grand nombre » occupentà présent les devants de la scène scientifique et médiatique : dans quelles conditions a-t-on ledroit d'expérimenter de nouvelles thérapeutiques sur l'homme ? Comment peut-on progresserdans la connaissance de la génétique humaine sans porter atteinte aux libertés individuelles ?L'embryon humain a-t-il dès la conception le statut d'une personne ? Jusqu'oùpeut-on aller dans les modifications induites sur les fonctions supérieurescérébrales ?246

Je ne vais pas m'aventurer dans le traitement de ces questions par Médecine-Sciences. On peutdire qu'elles trouvent presque naturellement leur place dans la revue dès sa création. Ainsi lepremier article abordant les nouvelles techniques de congélation d’embryon humain, publié enjanvier 1986 est précédé de l'avertissement suivant de la rédaction : « ce texte décrit unetechnique, le Comité de Rédaction est conscient des problèmes éthiques et ce texte doit êtreconsidéré comme une introduction à la réflexion… ». Celle-ci suit d'ailleurs rapidement.247

Au milieu des années 1980, ce débat et plus largement la question de la procréation est l'undes « moments majeur de reformulation de la bioéthique française » comme le préciseRabinow dans son livre (déjà cité). C'est bien celle-ci qui est ailleurs le plus rapidement envue dans la revue. On en a déjà signalé un premier exemple ci-dessus, on peut aussimentionner ici le premier numéro consacré à l’éthique qui paraît quelques mois plus tard avecl’éditorial de Bernard, déjà évoqué, et un article sur les disparités internationales quant austatut de l'enfant procréé artificiellement.248

244 Bernard J. « Evolution de la bio-éthique ». Médecine-Sciences, 1986, n° 9, p. 480-1. Rabinow P. French

DNA. Trouble in Purgatory. The University of Chicago Press. Chicago and London, 1999, 201 p. Je cite ici latraduction française, Le déchiffrage du génome. L'aventure française. (trad. par F. Keck), Editions Odile Jacob,Paris, 2000, 274 p. (avec une présentation de Keck F., p. 7-17).245 Lazar P. « À quoi peut servir un comité national d'éthique ? ». Médecine-Sciences, 2000, n° 11, p. 1159-60.246 Lazar P. « À quoi peut servir un comité national d'éthique ? ». Médecine-Sciences, 2000, n° 11, p. 1159-60.247 Renard JP. « La congélation de l'embryon humain ». Médecine-Sciences, 1986, n°1, p. 26-34 ; Jouannet P.« Réflexions à propos des problèmes éthiques soulevés par la congélation d'embryons humains ». Médecine-

Sciences, 1986, n° 6, p. 345-7.248 Delaisi De Parseval G. Fagot-Largeault A. « Le statut de l'enfant procréé artificiellement : disparitésinternationales ». Médecine-Sciences, 1986, n° 9, p.482-8.

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Les questions relatives à ce domaine de la procréation médicalement assistée et du statut del'embryon se poursuivront plus largement dans les années 1990, notamment avec ledéveloppement du dépistage pré-implantatoire (DPI, mis au point en 1990 par AlanHandyside) et celui en parallèle du programme génome humain qui fait craindre les piresapplications… Plusieurs articles instaurant une sorte de débat à l'intérieur de la revue serontainsi publiés sur la question spécifique du DPI (Jacques Testart signe notamment plusieurspapiers dans la revue).249 Je n'entre pas dans le détail ici, on peut noter toutefois qu'il s'agit desquestions éthiques les plus traitées dans Médecine-Sciences, et qu'elles se prolongentactuellement, dans certains de leurs aspects, avec l'émergence des cellules souches et duclonage thérapeutique.250

La question de la maîtrise de l'hérédité pour reprendre le propos de Bernard précédemmentcité, et plus largement de la génétique est également rapidement abordée par la revue ; on peutdire, là aussi, naturellement, tant celle-ci s'est pour le moins fortement engagée dans lapromotion d'une médecine génétique. Dès février 1990, elle consacre ainsi une grande partiede son numéro au compte-rendu du colloque « Patrimoine génétique et droits de l'humanité »,tenu à Paris en octobre 1989 (c'est la seule fois où l'éthique occupe une place aussi importantedans un numéro de la revue, avec il est vrai, le « cahier 2000 » sur le thème « Science, éthiqueet société »).251 Les questions que posent les développements de la génétique, accentuées avecle programme génome humain au cours des années 1990, trouvent toujours leur place dans larevue.252 On a vu également les réserves exprimées par la rédaction sur le développement desessais de thérapie génique…La maîtrise du système nerveux, troisième axe de la réflexion éthique énoncé par Bernard, estaussi abordée assez rapidement, dès 1990. En complément du colloque « Patrimoinegénétique et droits de l'humanité » la revue publie par exemple un premier avis du CCNE (àpartir de 1992, comme on l'a vu précédemment, elle publiera ces derniers de manière plusrégulière) et une réponse pour le moins vive de l'un de ses futurs rédacteurs en chef.253

249 Jouannet P. « Peut-on intégrer l'embryon humain dans le champ médical et scientifique ». Médecine-

Sciences, 1996, n°12, p.1331-3 ; Viville S. & al. Diagnostic génétique préimplantatoire : législation et aspectséthiques ». Médecine-Sciences, 1996, n°12, p.1394-7 ; Testart J. Sèle B. « Le diagnostic préimplantatoire n'estpas un diagnostic prénatal précoce». Médecine-Sciences, 1996, n°12, p.1398-401.Testart J. Sèle B. « Diagnostic génétique pré-implantatoire : réponse à un éditorial » Médecine-Sciences, 1997,n°1, p. 134-5 ; Shenfield F. « Contribution au débat sur le diagnostic préimplantatoire », Médecine-Sciences,1997, n°5, p. 748 ; Testart J. Sèle B. « Le diagnostic préimplantatoire, un enjeu pour le XXIè siècle ». Médecine-

Sciences 1999, n° 1, p. 90-6250 Jouneau A. Renard JP. « Cellules souches embryonnaires et clonage thérapeutique ». Médecine-Sciences,2002, n°2, p.169-80 ; Atlan H. « De la biologie à l'éthique (2) : Le « clonage » thérapeutique ». Médecine-

Sciences 2002, n°5, p.635-8 ; Kahn A. « De la biologie à l'éthique (1): Cellules souches et médecine régératrice». Médecine-Sciences, 2002, n°4, p.503-9. On peut noter ici que la question du clonage est cependant plusancienne ; Kahn exprime d'ailleurs ses réserves sur celui-ci dès 1986 dans une nouvelle. Kahn A. Clonaged’embryon, Médecine-Sciences, 1986, n° 6, p. 335.251 Gros. F & al. « La biologie, l'homme et la société » Médecine-Sciences, 1990, n° 2, p.125-51 ; « Science,éthique et société ». Médecine-Sciences, 2000, n° 11.252 Klarsfeld A. Granger B. Faut-il dépister les prédispositions aux troubles psychiatriques ? ». Médecine-

Sciences, 1991, n°1, p.58-61; Curien H. « Quelles retombées éthiques pour le projet Génome français ? ».

Médecine-Sciences, 1992, n°5, p.509 ; Auffray C. « Flash -pour un libre accès aux informations sur le génome ».

Médecine-Sciences, 1992, n°9, p.1010. Même si on s'éloigne un peu de la réflexion éthique on peut égalementnoter pour terminer sur ce point la publication en 1993 d'une pétition « (p)our un libre accès aux infos sur legénome. « Pour un libre accès aux infos sur le génome ». Médecine-Sciences, 1993, n° 9, p. 113-5. La liste dessignatures comprend des chercheurs français, anglais, américains, espagnol, canadiens, israéliens, japonais,africains…253 CCNE « les greffes intracérébrales en question. Avis sur les problèmes posés par les auto-greffes médullo-surrénaliennes et les greffes de neurones dopaminergiques d'embryons humains dans le traitement de la maladiede Parkinson » Médecine-Sciences, 1990, n°2, p.150-1. Marc Peschanski M. « Le CNE intervient dans le débatscientifique ». Médecine-Sciences, 1990, n° 2, p. 150-1.

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Je ne détaille pas plus ici les questions éthiques, je voulais juste indiquer ici que même si ellesn'occupent pas une place importante dans la revue, elles sont bien une préoccupation de larédaction depuis le début. On peut ajouter que cette préoccupation s'est d'ailleurs un peu plusrenforcée en 2003 avec la création des chroniques bioéthiques tenues par Hervé Chneiweiss(voir précédemment)

Je reviens pour finir sur « l’affaire du sang contaminé ».D’après le livre de Rabinow déjà cité, on peut tout d’abord rappeler quelques dates. Pour cedernier, dès l'automne 1984, la preuve scientifique d’une contamination du sang est établie. Ilfaut toutefois attendre le 24 juillet 1985 pour que le ministre français de la santé décrète queles stocks de sang non traités ne doivent plus être utilisés pour la transfusion, après le 1er

août ! Ils le seront pourtant encore jusqu'en octobre 1985, voire même début 1986.Quelques années plus tard, Michel Morange rappelle dans les colonnes de Médecine-Sciences

la réalité du savoir scientifique de l’époque (en dénonçant au passage certains historiens dusujet) ; il rappelle notamment que le fait que les individus séropositifs développent la maladiedu SIDA a été long à s’imposer.254 Dans l’article déjà cité de Klatzmann et Montagnier, onpeut lire en effet que « (s)i la présence d’anticorps (…) traduit sans nul doute le contact de lapersonne avec le virus, il ne renseigne pas sur l’évolution future de la maladie, ni sur lacontagiosité éventuelle de cette personne ».255 Encore en 1987, Médecine-Sciences s’interroged'ailleurs, dans une « brève », sur l’inéluctabilité du SIDA chez les sujets infectés par le virusHIV.256 Le propos de Rabinow doit donc être quelque peu nuancé. En 1984, la preuvescientifique de la contamination du sang peut être établie, mais sa signification chez desindividus « sains (…) dont on sait qu’ils ont pu être contaminés par le virus » est plus« ambiguë » pour reprendre les mots de Morange. S’il n’y a pas encore certitude scientifiquesur la corrélation contamination - maladie, on peut toutefois dire qu’il y a, début 1985, undoute, une ambiguïté, sur la possible transmission du SIDA par transfusion sanguine. Il n’y apas de doute, par contre, sur le silence de Médecine-Sciences sur ce sujet. Klatzmann etMontagnier constatent bien dans leur article de mai 1985 que la maladie « atteint (…) de plusen plus de personnes qui reçoivent des transfusions sanguines », mais ne s’interrogent pasréellement sur cette évolution, ni n’interpellent explicitement leurs lecteurs sur un quelconquerisque encouru ici. Dans les numéros suivants, les dangers potentiels de la transfusionsanguine, ou du moins les données troublantes qui peuvent être tirées du fait que de plus enplus de transfusés contractent la maladie, ne sont pas plus évoqués, pas même au détour d’unéditorial, d’une nouvelle, ou d’une brève.C’est d’autant plus étonnant que l’actualité est pour le moins brûlante en 1985. J’ai déjàrappelé quelques événements. Je n’ai, par exemple, retrouvé aucun commentaire sur ladécision prise par le ministre français de la santé le 24 juillet 1985… Je dois cependantpréciser ici que je n’ai pas pu consulter directement le numéro 5 de Médecine-Sciences, datéaoût-septembre ; ce numéro est malheureusement introuvable !257 Cela tombe mal, maisl’étude détaillée de l’index papier et l’interrogation de la base du DISC pour l’année 1985 melaissent penser que je n’ai rien manqué. Je n’ai pas trouvé plus d’allusions, et encore moins dedénonciation, de l’utilisation, en France, de stocks sanguins non traités jusqu’au début 1986 254 Morange M. « De la découverte du rôle de l’ADN au drame du sang contaminé : ce que savoir veut dire ».Médecine-Sciences, 1995, n° 8, p. 1167-8.255 Klatzmann D. Montagnier L. « L’origine virale du SIDA de la clinique à la biologie moléculaire ». Médecine-

Sciences, 1985, n° 3, p. 141-6.256 « Le SIDA est-il à terme inéluctable chez les sujets infectés par le virus HIV ? ». Médecine-Sciences, 1987, n°2, p. 110.257 Il est absent des deux collections complètes que j’ai consultées (celle du DISC et celle de la bibliothèqueinteruniversitaire de Médecine)

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(si j’en crois Rabinow). La décision prise par les responsables du gouvernement Reagan dedistribuer aux 2300 banques de sang et centres de plasma à travers les Etats-Unis le testAbbott (le premier test des anticorps du SIDA produit par Abbott Laboratories), décisionprise le 2 mars 1985, soit le mois de parution du premier numéro de la revue, n’est pas pluscommentée dans les premiers numéros de celle-ci…Les problèmes que soulève la transfusion sanguine ne constituent donc pas un sujet deMédecine-Sciences ni en 1985, ni en 1986. L’une des rares allusions retrouvées sur celui-cidurant cette période (en dehors de l’article de Klatzmann et Montagnier) peut d'ailleursparaître pour le moins malvenue. Dans son article déjà cité sur la bioéthique, Jean Bernardrappelle ainsi et sans autre commentaire que « la France a l’honneur d’avoir été le premierpays au monde à refuser la vente du sang »...258

Ce n’est que bien plus tard, en 1989, dans l’un des deux numéros sur le SIDA, présentésprécédemment, que le rôle « néfaste » joué par la transfusion sanguine dans la disséminationdu virus HIV est explicitement énoncé. La contamination n’est pas toutefois le sujet principalde l’article et aucune responsabilité particulière n’est évoquée dans celui-ci. Au milieu desannées 1990, alors que l'actualité est au fameux procès du « sang contaminé », la revue abordepar contre directement le sujet dans deux articles au moins, l'un signé Axel Kahn, l'autreMorange.259 Si l'article de ce dernier, déjà évoqué, cherche a rétablir les faits dans uneperspective historique en soulignant les dangers de tout anachronisme en matière d'évaluationdes connaissances à un moment donné de l'histoire…, celui de Axel Kahn porte plusprécisément sur la situation présente. Le rédacteur en chef de la revue y dénonce l'emploi parla justice du terme « empoisonneurs » pour qualifier des personnes qui, à différents niveaux,ont certes à se « reprocher des attitudes indignes des responsabilités qui leurs étaientconfiées », mais qui n’ont pas « sciemment administré une substance toxique dans l’intentionde tuer ».260 Sans doute, mais le terme « empoisonneurs » pallie plus ici, je crois, un manquedans le droit français pour qualifier les faits ; on peut le regretter et même s’inquiéter avecAxel Kahn lui-même, qu’une telle qualification des chefs de poursuites, pour le moins« incongrue », ne risque au final de trahir les victimes puisque les responsabilités « fautesprofessionnelles et manquements à la déontologie » ne seront vraisemblablement pascondamnés suivant ce terme. Mais est-ce vraiment le point central ici ?Les articles de Morange et Axel Kahn en appellent à la raison et touchent juste sur certainspoints, mais ils me semblent tout de même un peu déplacés notamment au regard de lacouverture faite par Médecine-Sciences, en 1985 et même après, des risques encourus lors destransfusions sanguines. N’est-il pas un peu tard pour la revue de prendre la parole sur ce sujetet de cette seule manière ?261

Pour conclure ici, je rappellerai seulement les propos tenus récemment par Axel Kahn, et sonrefus d'accepter, en mai 1985, suite à une hémorragie digestive, une transfusion sanguine… «à cause du SIDA » !262 « A l'époque, poursuit-il, c'était invraisemblable que les gens secomportent comme ils se sont comportés, parce que tout était là, disponible, tout à faitévident, (et) qui certifiait sans aucun doute possible que si on ne faisait rien il y aurait desmilliers de morts (…) On dit que l'on ne savait pas à l'époque, mais ce n'est pas vrai du tout,on savait, à Cochin en plus, on savait depuis février 85, fin janvier, que dans le tout venant laproportion des séropositifs était à peine inférieure à 1 %. On pensait à l'époque que la 258 Bernard J. « Evolution de la bio-éthique ». Médecine-Sciences, 1986, n° 9, p. 480-1.259 Morange M. « De la découverte du rôle de l’ADN au drame du sang contaminé : ce que savoir veut dire ».Médecine-Sciences, 1995, n° 8, p. 1167-8 ; Kahn « Le sang la justice et les mots ». Médecine-Sciences, 1994, n°11, p. 1150-1.260 Kahn « Le sang la justice et les mots ». Médecine-Sciences, 1994, n° 11, p. 1150-1.261 Dans le même style, on peut lire également un courrier adressé par Sicard D. « Plainte pour assistance àpersonne en danger ». Médecine-Sciences, 1995, n°1, p.148.262 Mouchet S. Picard JF. Entretien avec Kahn A. le 27/02/2003

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contamination atteignait plus de 10 % des gens qui était transfusé et que parmi les gens quiétait séropositifs, il y en avait 30 % qui était malade (…) (D)ébut 85, (…) ce n'était pas unproblème de croire ou de ne pas croire, il suffisait de faire une règle de trois. En utilisant deschiffres qui étaient disponibles partout. Et il y avait encore des gens pour dire "Non,notamment le très bon médecin qui a soigné mon ulcère de l'estomac, vous savez ça c'est biensurfait, il n'y a pas de problème" ».263 Pourquoi n'a-t-on pas lu cela dans Médecine-Sciences…en 1985 ? La revue se préoccupait-elle alors si peu des questions de santé publique ?

4) L'impact de Médecine-Sciences

Pour avoir une idée de l’impact de Médecine-Sciences, j’ai considéré trois critères :- La progression des abonnements, souvent annoncée dans les premiers numéros de l’année(du moins durant les dix premières années).- Le nombre d’auteurs publiés par année. J’ai également trouvé dans quelques numéros de larevue des indications pour estimer le nombre d’articles soumis, qui peut s’avérer un critèreplus intéressant.- Enfin, le facteur d’impact publié par JCR Science Edition.

Le lectorat

En 1986, Axel Kahn indique que les lecteurs de la revue forment pour la France trois groupesprincipaux, les médecins hospitaliers, les chercheurs en biologie, et les étudiants, chacunreprésentant 20 à 25 %, et pour le Canada, les médecins spécialistes, plus de la moitié desabonnés, les généralistes 25 % et les étudiants 15 %. Hors de ces deux pays, la diffusion restealors limitée, même si elle progresse, particulièrement en Belgique.264

Je n’ai malheureusement pas trouvé d’autres données similaires les autres années et je ne peuxdonc pas dire ici comment a évolué ce lectorat les années suivantes. Est-il resté aussiéquilibré, entre médecins et chercheurs, reflet de la volonté initiale de la revue, ou présente-t-il par la suite une évolution plus marquée d’un des deux groupes ? On remarquera qu’aprèsdeux ans d’existence de la revue, les chiffres avancés par Axel Kahn, peuvent au moinsillustrer le fait que celle-ci suscite un certain intérêt également partagé chez les médecins etles chercheurs…

Les données sur la progression des abonnements, si elles n’informent pas sur la compositiondu lectorat, peuvent par contre donner quelques indications sur l’impact de la revue.Le graphe ci-dessous est paru dans le numéro fêtant les 10 ans de Médecine-Sciences (les tauxexacts n’étant pas mentionnés, j’ai reproduit celui-ci approximativement).

263 Mouchet S. Picard JF. Entretien avec Kahn A. le 27/02/2003264 Kahn A. « M/S ses lecteurs et ses projets » (éditorial). Médecine-Sciences, 1986, n° 10, p. 540-541.

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Abonnements

On notera que l’on trouve dans certains éditoriaux de cette première décennie des indicationschiffrées sur le nombre d’abonnements qui ne concordent pas toujours précisément avec ceschéma, même s’ils s’accordent (heureusement) sur l’évolution générale.265 On notera surtoutici, que ces résultats restent toutefois assez éloignés des estimations avancées dans le projetFlammarion de mars 1983 (5 000 abonnés espérés dès la seconde année, puis 7500 l’annéesuivante).Durant cette première décennie on trouve également quelques estimations qui peuvent êtrerelevées pour information. Ainsi Axel Kahn et Bergeron annoncent en 1990 que la revuetouche probablement 40 000 lecteurs européens, américains et africains… En 1992 elle tire à12 000 exemplaires et est distribuée en France, au Québec, en Belgique, en Suisse, mais aussien Espagne, Roumanie, Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie, Bulgarie…266

Je n’en sais pas beaucoup plus pour cette première décennie et encore moins sur la suivante.Plus aucune information sur le nombre d’abonnements ou le tirage de la revue n’est alorsdonnée, hormis dans l'éditorial du numéro ouvrant l'année en cours. Dans celui-ci les deuxrédacteurs en chef actuels se félicitent que les abonnés soient « aujourd'hui bien plusnombreux (…) qu'il y a un an… près de quatre mille ».267

Un autre critère d’évaluation de l’impact de la revue doit donc être pris en compte…

Les auteurs

Dès 1990, Bergeron et Axel Kahn notent l’afflux de manuscrits, soumis à une double, puisune triple, évaluation par des pairs et à une révision par l’équipe éditoriale. Leur nombre aconduit à plus que doubler la quantité de matériel publié, alors même que la quantité d’articlespubliés ne dépasse pas 50 % de ceux soumis.268 Trois ans plus tard, le nombre de pages de larevue ne permet plus de faire face à l’augmentation de la qualité des articles reçus, annoncentles deux rédacteurs en chef, (le taux de rejet des articles soumis passe à moins de 35 %), et la

265 En 1990, Bergeron et Kahn annonce plus de 5000 abonnés (4 000 en France et 1200 sur le continent nord-américain. Bergeron M. Kahn A. « Cinq ans après. Le sens d’une démarche ». (Editorial). Médecine-Sciences,1990, n° 3, p. 188-9. 6 500 abonnés sont annoncés début 1992, environs 7000 au début de l’année suivante.Respectivement : Bergeron M. Kahn A. « Les vœux de M/S ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1992, n° 1, p. 3 etBergeron M., Kahn A. « M/S 1993 : gérer le succès ». (Les vœux). Médecine-Sciences, 1993, n° 1, p. 3.266 Bergeron M. Kahn A. « Cinq ans après. Le sens d’une démarche ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1990, n°3, p. 188-9 ; Bergeron M. Kahn A. « Les vœux de M/S ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1992, n° 1, p. 3.267 Bichet D. Friedlander G. « Un an déjà ! ». (Editorial) Médecine-Sciences, 2003, n°1, p. 3.268 Bergeron M. Kahn A. « Cinq ans après. Le sens d’une démarche ». (Editorial). Médecine-Sciences, 1990, n°3, p. 188-9.

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revue est « bouclée » plusieurs mois à l’avance… Au début de l’année 1993, le sommaire dela revue est déjà établi jusqu’à l’été.269 Aujourd’hui, la revue aurait jusqu’à deux ansd’avance.270

Cette augmentation résulte du nombre toujours plus important d’articles qui lui sont soumisspontanément, en plus de ceux que la rédaction sollicite. Elle marque aussil’internationalisation effective de l’audience de la revue puisque des articles parviennent del’étranger écrits par des francophones, voire des étrangers dont le français n’est pas la languematernelle.271

Une autre illustration de cette internationalisation de l’audience de la revue est la prise encharge de numéro entier par des institutions étrangères. Le Laboratoire Européen de BiologieMoléculaire (EMBL) à Heidelberg, la Faculté de médecine, université de Montréal (pour ses150 ans), l’Université Libre de Bruxelles, l’Université Catholique de Louvain (septembre,),l’université McGILL (pour les 175 ans de l’université) réalisent ainsi chacun un numéro.272

On peut ajouter à cette liste le numéro réunissant des contributions faites par des chercheursfrancophones installés aux Etats-Unis, ou le numéro spécial CNRS fêtant les 30 ans derecherche de son département des sciences de la vie.273

Cette augmentation révèle de fait un certain impact ou une certaine reconnaissance desscientifiques qui souhaitent publier dans la revue.On notera également ici la participation massive de la communauté scientifique francophone àla partie « Magazine », ce qui illustre son attachement à celle-ci : 101 chercheurs ont ainsicollaboré aux mini synthèses, nouvelles et brèves en 1992, en plus des membres du comité derédaction ; 236 y contribuent trois ans plus tard, certains jouant un rôle particulier de« correspondants de Médecine-Sciences dans leur discipline ».274 En 2001, ils seront 351 àapporter leur concours à la réalisation de cette partie de la revue...275

« Cette participation massive de la communauté scientifique francophone (…) est ladémonstration que m/s répond à une ou plutôt des attentes… » notent ainsi Marc Peschanskiet Bergeron au début de l’année 1999.276 En 1996, Axel Kahn et Bergeron annonçaient mêmeun projet de structurer ce mouvement sous la forme d’une Association Scientifique Médecineet Sciences, qui serait un lieu de débats et de prospectives entre médecins et chercheurs etégalement à l’interface de ceux-ci et des médiateurs de l’information scientifique…277 Je n’aipas retrouvé par la suite d’information sur cette association.

Avant de passer au dernier critère d’évaluation de la revue, on peut préciser ici qui sont leschercheurs qui publient dans Médecine-Sciences. Je n’ai pas fait une étude suffisammentdétaillée de cette question ; je n’ai pas eu le courage (il faut le reconnaître) de reprendre tousles auteurs publiés dans la revue pour préciser leur attachement institutionnel. D’abord parceque cela fait beaucoup… ensuite, parce que si l’adresse de leur laboratoire est bien 269 Bergeron M. Kahn A. « M/S 1993 : gérer le succès ». (Les vœux). Médecine-Sciences, 1993, n° 1, p. 3.270 Givernaud N. Entretien avec Mouchet S. le 10/7/2003.271 Bergeron M. Kahn A. « M/S 1993 : gérer le succès ». (Les vœux). Médecine-Sciences, 1993, n° 1, p. 3.272 Respectivement, Médecine-Sciences 1993, n°2 ; 1993, n° 5 ; 1995, n° 2 ; 1995, n° 9 ; 1997, n° 4.273 Médecine-Sciences 1997, n° 2 et Médecine-Sciences, spécial CNRS, « 30 ans de recherche au départ dessciences de la vie. Quels enjeux pour demain ? » (p. 3-174). Ce dernier est publié parallèlement au numéro dumois d’octobre 1996.274 Bergeron M. Kahn A. « M/S 1993 : gérer le succès ». (Les vœux). Médecine-Sciences, 1993, n° 1, p. 3.Bergeron M. Kahn A. « Toujours mieux ». (Les vœux). Médecine-Sciences, 1996, n° 1, p. 7-8.275 Bichet D. Friedlander G. « Le changement dans la continuité et la continuité dans le changement ».(Editorial), Médecine-Sciences, 2002, n° 1, p. 7.276 Marc Peschanski M. Bergeron M. « L’information scientifique, un enjeu de société » (Les vœux), Médecine-

Sciences, 1999, n° , p. 3.277 Bergeron M. Kahn A. « Toujours mieux » (Les vœux). Médecine-Sciences, 1996, n° 1, p. 7-8.

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mentionnée à chaque fois leur appartenance institutionnelle ne m’est pas toujours apparue trèsclaire (j'ai déjà souligné cette difficulté précédemment. J’ai par exemple eu du mal àdéterminer celle-ci lorsque le chercheur fait partie d’une unité mixte CNRS-INSERM… etl'annuaire INSERM disponible sur l'Internet ne donne pas toutes les réponses ; il nementionne de plus que les chercheurs qui le souhaitent…)J’ai toutefois essayer de le faire (avec quelques hésitations) pour la période 1985-1989, et enne prenant en compte que la partie « Revue ».Je trouve un peu plus de 1/3 d’auteurs INSERM (hospitaliers ou non) pour ces années-là. Cesont les chercheurs les plus représentés dans la revue durant cette période. Le nombred’hospitalo-universitaires (non INSERM) est plus variable entre 13 % de l’ensemble desauteurs en 1987 à 36 % en 1986 (en moyenne on peut dire qu’ils constituent un peu plus de1/5 des auteurs sur la période considérée). Les chercheurs CNRS viennent ensuite (s’ils sontpeu nombreux les deux premières années, ils sont environs 15 % en 1987 ou 1989).Les chercheurs canadiens (je n'ai pas cherché ici, comme pour les chercheurs étrangers, àdéterminer leur appartenance institutionnelle…) sont un peu plus nombreux que ces derniersen moyenne, même si leur participation oscille entre 8 % des auteurs en 1989 et 22 en 1985.Les chercheurs étrangers (non français, non canadiens) , s’ils sont quant à eux peu représentésles deux premières années (3-4 %) participent toutefois de manière notable les annéessuivantes (environ 8 % des auteurs en 1989, 14 en 1987).Enfin j’ai considéré une dernière catégorie, formée de chercheurs français n’appartenant àaucune des institutions précédemment citées (membres de l’Institut Curie, de Pasteur et mêmede l’INRA ; j’ai aussi placé avec eux les étudiants). Cette catégorie est loin d’être sousreprésentée (15 % dès 1985, 14 en 1987, 24 en 1989), ce qui indique une certaine ouverturede la revue…Je ne tirerai pas de conclusion de cette étude qui mériterait d’être reprise et complétée. Onpeut juste noter que les auteurs français sont naturellement majoritaires et que parmi euxl'INSERM est bien l'organisme le plus représenté.L’influence de l’INSERM est plus évidente encore si on considère à présent les données de labase du DISC. Celle-ci permet, en effet, de déterminer l’attachement institutionnel des auteursde la revue, mais seulement pour la période 1996-2003.On trouve alors 488 chercheurs INSERM pour cette période278, 90 hospitalo-universitaires(non INSERM) et 94 Canadiens. Il s’agit là de l’ensemble des auteurs publiés dans la revue,c’est-à-dire également ceux de la partie « Magazine », qui compte comme on l'a vu unnombre particulièrement important d’auteurs, et que je n’ai pas pris en compte dans ma propreétude.279

Le « facteur d'impact »

Une troisième façon d’aborder l’impact de la revue peut être le fameux facteur d’impactpublié par JCR Science Edition.Sans pour autant considérer celui-ci comme un facteur exact de mesure de l’influence d’unerevue, il semble cependant représenter un critère relativement objectif, puisqu’il s’agit bien decomptabiliser toutes les références d’articles citées dans les publications scientifiques... Onprendra cependant en compte certaines réserves faites dans Médecine-Sciences vis-à-vis decelui-ci. Dès 1993, Bergeron et Axel Kahn remarquent ainsi le nombre croissant d’auteurs quiutilisent Médecine-Sciences pour écrire leurs articles, sans pour autant la citer ! Ils relèvent

278 Ceci dit je ne sais pas si ces derniers sont attaché administrativement à l'INSERM ou s'ils sont seulementmembre d'une unité INSERM.279 En relisant ce texte, je m'aperçois que j'aurais pu sans doute faire d'autres combinaisons avec la base du DISCsur la période 1996-2003… Cela sera pour une prochaine fois.

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toutefois des références à celle-ci dans PNAS USA dès 1993, et l’année suivante, dans Cell,PNAS USA, Nature, Lancet, New England Journal of Medicine…280 Mais si la revue semblede plus en plus fréquemment citée par les grandes revues internationales, comble du paradoxepour les deux rédacteurs en chef, c’est plus souvent par des auteurs étrangers que français !281

On peut enfin noter avec Bichet et Friedlander, les deux rédacteurs en chef actuels, que le« faible ‘facteur d’impact’ de la revue » ne doit pas pour autant faire oublier que celle-ci attire« les auteurs les plus prestigieux (…) preuve que ce paramètre n’est pas l’alpha etl’oméga »...282

Médecine-Sciences est répertoriée pour la première fois par JCR en 1990. Je représentel'évolution de son facteur d'impact depuis lors jusqu'à l'année 2002.

Le moins que l'on puisse dire est que le facteur d'impact de la revue est faible. On ne peut pasle comparer à celui de Nature ou Science, les « modèles québécois » (voir la 1ère partie), quiavec des facteurs s'élevant à 20 ou 30 par an sont sans commune mesure, ni même à Cell ouNew England Journal of Medicine, présentant un facteur du même ordre, voir à Lancet, PNAS

USA ou EMBO Journal, dont le facteur un peu inférieur dépasse toutefois les 10.Dans les vingt revues les plus citées par Médecine-Sciences depuis que celle-ci est retenue parJCR aucune ne possède en 2002 un facteur d'impact inférieur à 5, excepté Médecine-Sciences

(la 19ième revue la plus citée), qui est la première revue francophone de ce classement. On peutajouter ici que les revues médicales comme Lancet et New England Journal of Medicine

nefont pas partie des dix revues les plus citées (elles occupent respectivement les 12ième et 15ième

rang).283 On doit préciser enfin que ce classement correspond en fait pour Lancet à un total de

280 Respectivement, Bergeron M. Kahn A. « M/S 1993 : gérer le succès » (Les vœux). Médecine-Sciences, 1993,n° 1, p. 3 ; Bergeron M. Kahn A. « En 1994, médecine/sciences, une revue indispensable » (Les vœux).Médecine-Sciences, 1994, n° 1, p. 6-7.281 Bergeron M., Kahn A. « En 1994, médecine/sciences, une revue indispensable » (Les vœux). Médecine-

Sciences, 1994, n° 1, p. 6-7282 Bichet D. G. Friedlander G. « Le changement dans la continuité et la continuité dans le changement »(Editorial). Médecine-Sciences, 2002, n° 1, p. 7283 Les 10 revues les plus citées dans Médecine-Sciences (sur un total de 347 revues citées) sont, dans l'ordre,Nature, Science, Cell, Journal of Biology and Chemistry, PNAS USA, Journal of Cell Biology, EMBO Journal,Nature Genetics, Development, Gene Development.

0,104

0,218 0,205

0,2720,218

0,328

0,911

0,582

0,357

0,449

0,331

0,163 0,148

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

1

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52 citations dans Médecine-Sciences depuis 1990 (soit environ trois citations par an, exceptéces trois dernières années, durant lesquelles la revue anglaise a été un peu plus citée, environ10 citations annuelles), ce qui est loin derrière Nature citée en tout 265 fois, Science 234 foisou Cell 201 fois.

Ce ne sont toutefois pas les revues citées qui nous intéressent ici, mais bien les revues quicitent Médecine-Sciences. Elles sont peu nombreuses, comme le reflètent les différentesvaleurs du facteur d'impact présentées ci-dessus. JCR en répertorie 26 au total.284 Ce sont pourl'essentiel des revues francophones. Après Médecine-Sciences qui occupe la première place dece classement, viennent la Presse Médicale, les Archives de Pédiatrie, le Bulletin de

l'Académie Nationale de Médecine (Paris), la Revue du Praticien, Bulletin du Cancer,Pathologie Biologie, et Transfusion Clinique Biologie. La dixième, première revue nonfrancophone, est Acta Physiologica Scand. La première également à avoir un facteur d'impactun peu élevé (1,952 en 2002).On ajoutera à cette liste des revues également plus « reconnues » comme Human Genetics

(13ième rang de ce classement, avec un facteur d'impact pour 2002 de 3,429), Journal of

Biochemistry (au 14ième rang, IF = 6,696) AIDS (au 21ième, IF = 5, 983) ou American Journal

of Pathology (au 22ième, IF = 6,750). Il est vrai cependant que ces revues n'ont cité Médecine-

Sciences en tout et pour tout que deux fois pour les deux premières et une fois pour lessuivantes. La Presse Médicale n'a d'ailleurs guère plus cité Médecine-Sciences depuis 1990,12 citations au total (dont 5 en 2000 et 4 en 1994).

Je présente pour finir l'évolution du facteur d'impact de Médecine-Sciences ces cinq dernièresannées comparées à celui de trois autres revues françaises.

J'aurais du faire cette étude depuis 1990 pour avoir un résultat plus intéressant. On peutcependant noter ici que si Médecine-Sciences est une revue peu citée, elle n'est pas pourautant beaucoup moins citée que des revues françaises de référence en biologie et enmédecine.

284 Curieusement, je n'ai pas retrouvé dans cette liste les revues citées par Bergeron et Kahn en 1993 et 1994(voir précédemment).

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

1,2

1998 1999 2000 2001 2002

Médecine-Sciences

Presse Médicale

Pathologie Biologie

CR. Académie des Sciences