« une sensation plus véritable » : la relation entre l’intellection et la sensation selon...

12
Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article Thomas Vidart Laval théologique et philosophique, vol. 66, n° 1, 2010, p. 33-43. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/044319ar DOI: 10.7202/044319ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 7 mars 2013 09:19 « "Une sensation plus véritable" : la relation entre l’intellection et la sensation selon Plotin »

Upload: thomas

Post on 03-Dec-2016

215 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. rudit offre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]

    Article

    Thomas VidartLaval thologique et philosophique, vol. 66, n 1, 2010, p. 33-43.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/044319ar

    DOI: 10.7202/044319ar

    Note : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.

    Ce document est protg par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'rudit (y compris la reproduction) est assujettie sa politique

    d'utilisation que vous pouvez consulter l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html

    Document tlcharg le 7 mars 2013 09:19

    "Une sensation plus vritable": la relation entre lintellection et la sensation selon Plotin

  • Laval thologique et philosophique, 66, 1 (fvrier 2010) : 33-43

    33

    UNE SENSATION PLUS VRITABLE : LA RELATION ENTRE LINTELLECTION ET LA SENSATION SELON PLOTIN

    Thomas Vidart Acadmie de Reims

    RSUM : Plotin considre parfois lintellection comme une sorte de sensation, alors quil dis-tingue par ailleurs fortement les deux activits. Le but de cet article est dtudier cette descrip-tion qui semble paradoxale dans la mesure o lintellection est ramene un processus auquel elle est oppose en mme temps. Nous devons tout dabord mettre en lumire le lien entre la sensation et lintellection. Il est ensuite ncessaire de montrer de quelle manire la sensation est considre comme un modle qui rend compte du processus de la pense intuitive. Cest la vue qui apparat comme le sens permettant de dcrire lintellection de la faon la plus ad-quate. Mais la sensation ne constitue pas seulement un modle et les ralits intelligibles sont appeles les choses sensibles de l-bas , ces corps ou encore les choses visibles . Nous cherchons, en un mot, comprendre la signification de ces expressions qui semblent contraires la doctrine platonicienne.

    ABSTRACT : Plotinus sometimes describes intellection itself as a kind of sensation, while he strongly underscores the distinction between those two activities. The aim of this paper is to study this description which seems paradoxical, since intellection is thus reduced to a process to which it is opposed at the same time. We first have to try to shed light on the link between sensation and intellection. One must then show in what way sensation is considered to be a model accounting for the process of thought. Sight appears as the sense which is the most rele-vant to describe intellection. But sensation is not only a model and the intelligible realities are called sensible things which are there, bodies or else visible things. We try, in a word, to understand the meaning of such expressions, for they seem contrary to Platonic doctrine.

    ______________________

    a sensation () et lintellection () sont des activits relevant de deux facults diffrentes de lme humaine : il sagit respectivement de la facult

    sensitive (), qui appartient lme descendue dans le monde sensible, et de lintellect (), cest--dire de la facult qui demeure ternellement dans lintel-ligible. Elles ont de plus des objets de nature diffrente : la sensation porte sur les choses sensibles et lintellection sur les ralits intelligibles. La perception des choses sensibles conduit se tourner vers ce qui se trouve lextrieur de soi, dispers dans la multiplicit, alors que pour penser les ralits intelligibles, il faut diriger son atten-tion vers ce qui est en soi-mme, rassembl dans lunit. Cest pourquoi Plotin sou-

    L

  • THOMAS VIDART

    34

    ligne avec force la distinction entre lintellection, qui nous permet de connatre la vrit, et la sensation, qui ne nous conduit qu lopinion1. Dans le trait Sur la beaut intelligible, il soutient ainsi que celui qui cherche contempler lintelligible doit abandonner les sensations, qui semblent tre dans cette perspective des obstacles lintellection2. Cependant, celle-ci est elle-mme dcrite comme une forme de sen-sation : selon le trait Quest-ce que le vivant et quest-ce que lhomme ?, la contem-plation impassible des Formes doit tre considre comme une sensation plus vri-table3 que celle qui porte sur les choses sensibles. Cette dernire nest donc pas la seule forme de sensation qui existe et il faut, pour la distinguer de celle qui sapplique aux ralits intelligibles et dont elle est seulement limage, lappeler la sensation extrieure4 . Affirmer que lintellection est une forme de sensation semble paradoxal dans la mesure o le processus de la pense intuitive est ramen celui qui lui est ha-bituellement oppos : comment peut-on donc comprendre cette description de lintel-lection comme sensation ?

    Ltude de lassimilation de la pense intuitive une forme de sensation nous conduit tout dabord examiner le lien entre ces deux activits. Les images qui rsul-tent de la contemplation des ralits intelligibles ainsi que celles qui sont issues de la sensation parviennent la pense discursive () qui les met en relation entre elles. Le trait Sur les hypostases qui ont la facult de connatre et ce qui est au-del montre que la pense discursive opre dans deux directions diffrentes :

    Quant la facult de rflexion qui se trouve en lme, elle examine les reprsentations qui viennent de la sensation et qui sont sa porte en les rassemblant et en les divisant ; ou bien, portant galement sur les reprsentations qui sont issues de lIntellect, elle observe pour ainsi dire les empreintes quelles constituent et elle recourt leur gard la mme puissance5.

    La pense discursive, dans la mesure o elle est lactivit de la facult de rflexion mentionne dans ces lignes, apparat comme un intermdiaire entre la sensation et lintellection qui sont dcrites comme deux processus parallles, ou plus exactement comme deux processus symtriques si lon suppose que la pense discursive constitue entre elles un centre. Cette dernire peut de plus exercer son rle grce aux donnes qui proviennent de la facult de reprsentation () : nous possdons des images des objets de la sensation comme des ralits sur lesquelles porte lintellec-tion grce la reprsentation qui joue le rle dun intermdiaire entre la sensation et la pense discursive aussi bien quentre lintellection et la pense discursive. Dans le passage que nous avons cit, Plotin mentionne en effet la fois les reprsentations

    1. Voir le trait 32 (V, 5), 1, 33-37 (pour lintellection) et 62-65 (pour la sensation). 2. Voir le trait 31 (V, 8), 11, 10-12 et 23-24. 3. Trait 53 (I, 1), 7, 13 : . Le terme que nous rendons par sensation est dans le

    texte grec le pronom , qui permet dviter la rptition de (l. 12). Nous traduisons, dans lensemble de cette tude, le texte tabli par P. HENRY et H.-R. SCHWYZER (editio minor) : Plotini Opera, Oxford, Oxford University Press, 1964-1982.

    4. Trait 53 (I, 1), 7, 12 : . 5. Trait 49 (V, 3), 2, 7-11 : -

    , .

  • UNE SENSATION PLUS VRITABLE

    35

    qui proviennent de la sensation et celles qui sont issues de lintellection. Le terme empreintes () ne peut cependant tre appliqu aux rsultats de lintellection quavec prudence, comme le suggre lemploi de ladverbe . Mais le fait que Plotin voque les sortes dempreintes qui viennent de lIntellect souligne la similitude entre la sensation et lintellection, tant donn quau dbut du troisime chapitre, Plo-tin emploie le mot empreintes propos de la sensation6. Le trait Sur la sensation et la mmoire explique en effet que ce mot peut tre utilis dans le cas de la sensa-tion, condition quil ne soit pas compris dans un sens matriel7. On observe cet gard une diffrence de degr entre la sensation et lintellection : quand il montre ce qui les distingue, Plotin souligne en effet que la connaissance des intelligibles est davantage impassible et prive dempreintes8 . Il indique nanmoins que la pense discursive nentretient pas de relation privilgie avec lune des deux facults : cest ce que suggre, dans lextrait du trait 49 que nous avons cit, la proposition elle recourt leur gard la mme puissance . Les empreintes venant de la sensation semblent tre les images des raisons () qui se trouvent dans les choses sensibles9. Quant aux sortes dempreintes qui sont issues de lintellection, elles sont le rsultat dun processus de rflexion : dans le premier des traits Sur les difficults relatives lme, la facult de reprsentation est en effet compare un miroir sur la surface duquel les reflets des objets de lintellection apparaissent10. Les images qui provien-nent de la sensation sont mises en relation avec celles qui sont issues de lintellec-tion : les concepts rsultant de la contemplation des ralits intelligibles nous permet-tent prcisment de reconnatre les lments qui sont perus grce la sensation.

    Les indications spatiales que nous trouvons dans le trait 49 suggrent quune to-pologie intrieure lhomme correspond celle qui lui est extrieure, comme si lop-position entre le monde sensible et le monde intelligible se retrouvait en lhomme lui-mme : Quant aux activits de lintellect, elles viennent den haut, et de la mme manire celles de la sensation viennent den bas, et nous sommes ce qui est souverain dans lme, au milieu entre deux facults, celle qui est infrieure et celle qui est sup-rieure : celle qui est infrieure est la sensation et celle qui est suprieure lintel-

    6. Voir le trait 49 (V, 3), 3, 1-2. 7. Lvocation par PLOTIN dempreintes immatrielles dans les analyses relatives la sensation soppose

    alors la conception de CHRYSIPPE, qui considre pour sa part que le terme empreinte (), par lequel les stociens dfinissent la reprsentation, dsigne une altration physique (voir Stoicorum Veterum Fragmenta, d. Hans von ARNIM, 4 vol., Stuttgart, 1903-1924 [dsormais SVF], II 55 et 56).

    8. Trait 41 (IV, 6), 2, 18-19 : 9. Sur la relation entre les empreintes et les raisons, nous renvoyons ltude de P.-M. MOREL, La sensa-

    tion, messagre de lme. Plotin, V, 3 [49], 3 , dans La connaissance de soi. tudes sur le trait 49 de Plotin, sous la direction de M. DIXSAUT, avec la collaboration de P.-M. MOREL et K. TORDO-ROMBAUT, Paris, Vrin, 2002, p. 209-227. Lauteur souligne que lempreinte apparat comme une reprsentation de la raison prsente dans une chose sensible : Toutefois, le tupos psychique, ft-il incorporel, est bien un tat ou une activit interne de lme. Il est donc distinct de son objet premier (le logos dans lobjet), en mme temps quil le figure. Lempreinte, en ce sens, est bien une reprsentation (p. 225).

    10. Voir le trait 27 (IV, 3), 30, 7-11.

  • THOMAS VIDART

    36

    lect11 . Le nous () est ici identifi la pense discursive qui se trouve en position intermdiaire, entre la sensation et lintellection12.

    Si nous pouvons tre conscients des activits en jeu, cest parce que nous poss-dons la conscience de nos tats intrieurs : elle est dsigne par le mme terme que celui qui est employ pour voquer la sensation en gnral, cest--dire 13. Il semble ncessaire dans ces conditions de distinguer trois degrs de la sensation : la sensation externe qui nous permet de connatre les choses sensibles, la conscience portant sur les tats intrieurs et lintellection qui sapplique aux ralits intelligibles. Grce la conscience, nous sommes capables de percevoir la saisie du sensible aussi bien que de lintelligible. La sensation et lintellection font ainsi toutes deux inter-venir la pense discursive, la reprsentation ainsi quune forme de sensation interne, ce qui justifie dans une certaine mesure le rapprochement que propose Plotin entre les deux activits.

    La sensation et lintellection ne sont nanmoins pas seulement considres comme deux processus qui prsentent des points communs. La sensation apparat en effet comme un modle permettant de rendre compte de lintellection. Il est alors nces-saire dtudier la porte du paradigme sensitif que Plotin emploie pour dcrire la pen-se intuitive. Mais il convient de ne pas voquer la sensation dune manire gnrale, tant donn que tous les sens nont pas le mme statut lgard de lintellection. Dans le cadre de lvocation du monde intelligible caractris par une vie entirement lumineuse, la vue apparat comme un modle tout fait appropri pour faire com-prendre ce quest la connaissance intellective14. Le vocabulaire relatif la vision est ainsi abondamment employ quand il sagit dvoquer le rapport de lhomme aux ralits intelligibles : Plotin reprend sur ce point le lexique de Platon, qui dcrit dans le mythe du Phdre la contemplation du lieu intelligible situ au-del du ciel comme une vision15. Il faut noter que la description de lintellection sur le modle de la vision, cest--dire dune forme de sensation, acquiert dans la philosophie de Plotin une

    11. Trait 49 (V, 3), 3, 36-40 : , , , , , , .

    12. Sur cette situation intermdiaire du nous , voir lintroduction de G. AUBRY sa traduction du Trait 53 (I, 1), Paris, Cerf, 2004, p. 42-45.

    13. Dans le trait 6 (IV, 8), 8, 6-7, ainsi que dans les traits 10 (V, 1), 12, 7 et 46 (I, 4), 10, 4, cest en effet le mot qui est utilis pour dsigner la sensation interne que lme possde de ses propres activits. Lexpression la facult intrieure de sentir ( ), que PLOTIN emploie dans le trait 6 (IV, 8), 8, 10-11, permet de ne pas la confondre avec la sensation qui porte sur ce qui est ext-rieur soi. Cette forme de conscience est cependant le plus souvent dsigne par le terme : cest par exemple le cas dans le trait 15 (III, 4), 4, 10-11, o PLOTIN met en vidence quelle porte sur les tats intrieurs lindividu.

    14. Sur lvolution de la conception relative la relation entre la vision et la connaissance, nous renvoyons ltude de P. HAMOU : Voir et connatre lge classique, Paris, PUF, 2002.

    15. Quand il voque la contemplation de ce quil appelle dans le Phdre (247c3) le lieu qui se trouve au-del du ciel ( ), PLATON emploie au cours du rcit mythique les verbes (247d3 par exemple), (247d5-6 par exemple) et (247e3), ainsi que le substantif (248b4) et ladjectif (247c7), qui sont relatifs la vue. Il faut remarquer que le verbe (247c1 et d4), mme sil a ici son sens figur courant et dsigne ainsi la contemplation accomplie par lme, signifie aussi observer .

  • UNE SENSATION PLUS VRITABLE

    37

    signification singulire en raison de la distinction quil opre entre le monde sensible et le monde intelligible : tandis que la sensation et lintellection sappliquent selon Platon des objets qui appartiennent au mme monde, mme sils ne se trouvent pas dans le mme lieu, Plotin soutient pour sa part que la sensation et lintellection sont des facults qui portent sur deux mondes distincts. Cest pourquoi soutenir que la sensation est le paradigme de lintellection revient dire quelle est lactivit qui permet de rendre compte de la connaissance la fois des choses constituant le monde sensible et des ralits formant le monde intelligible.

    Si la vue apparat comme un sens trs pertinent pour rendre compte de lintellec-tion, cest parce que lactivit de pense exerce par lIntellect lui-mme, entendu comme principe, est dfinie comme une vision16. Le lien entre lil et lobjet sensible vu est en effet considr comme un modle pour prsenter la relation entre lIntellect et le monde intelligible. Lorsque Plotin montre dans le trait Sur les hypostases qui ont la facult de connatre et ce qui est au-del que la multiplicit caractrise la fois le sujet de lintellection et son objet, il soutient que lIntellect est un il qui pr-sente de la diversit ou qui sapplique des couleurs varies17 . La saisie par lhomme des ralits intelligibles et la pense par lIntellect lui-mme du monde intelligible sont dans ces conditions toutes deux considres comme des visions. Ltude de la vision telle quelle existe dans le monde sensible permet ds lors de mieux com-prendre lactivit mme de lintellection. La vision porte dans le cas de lil la fois sur la forme dun objet sensible et sur la lumire qui claire ce dernier. Cest pr-cisment cette double caractristique que Plotin applique lIntellect : Il en est donc galement ainsi pour la vision de lIntellect : elle voit aussi travers une autre lumire les ralits claires grce cette premire nature et elle voit lautre lumire, dans la mesure o elle apparat dans les ralits claires18 . Lutilisation du lexique de la vue propos de lIntellect, dont tmoigne lexpression la vision de lIntel-lect ( )19, se situe dans le prolongement des analyses conduites par Platon propos de lme dans le livre VII de la Rpublique, quand il montre que les lments qui sapparentent au devenir orientent vers le bas la vision de lme ( ), alors que la tche de la dialectique consiste lever lil de lme ( )20. Les caractristiques de lIntellect doivent ainsi tre considres daprs celles de lil permettant la vision dans le monde sensible.

    16. Voir en particulier le trait 49 (V, 3), 10, 7-16, qui justifie lapplication du verbe voir () aussi bien que du substantif vision () lIntellect. Il faut noter que PLATON attribue une forme de vue lintellect dans un passage du Time (39e7-9) que PLOTIN commente dans le trait 13 (III, 9), 1. Quant au trait 30 (III, 8), 11, 1-2, il prsente de plus la dfinition suivante de lIntellect : Dans la mesure en effet o lIntellect est une vision, cest--dire une vision qui voit, il sera une puissance qui est passe lacte ( , ).

    17. Trait 49 (V, 3), 10, 30-31 : . 18. Trait 32 (V, 5), 7, 16-18 :

    , La suite du chapitre recourt encore lanalyse du processus de la vision exerce par lil pour montrer lexistence dune lumire intrieure lIntellect (voir les lignes 21 35).

    19. Trait 32 (V, 5), 7, 16. 20. Ces deux expressions se trouvent dans la Rpublique (VII, 519b3 et 533d2) de PLATON. PLOTIN voque

    son tour, dans le trait 39 (VI, 8), 19, 10, les yeux de lme ( ).

  • THOMAS VIDART

    38

    On trouve ainsi entre la vue et la pense intuitive un lien privilgi. Dans le Time (47a-c), Platon insiste sur le primat de la vue parmi les diffrents sens21. Selon lui, la vue est en effet le sens qui apporte lhomme le plus grand bienfait puisquelle lui permet de percevoir les astres, le soleil et le ciel. La contemplation des astres constitue une tape conduisant celle des ralits intelligibles, dans la mesure o les astres sont considrs comme des dieux visibles qui sont eux-mmes tourns vers le monde intelligible, avec lequel ils entretiennent une relation troite grce la nature intellective de lme que chacun dentre eux possde22. La vue prpare lhomme la pense intuitive en linvitant essayer de ressembler aux ralits quil contemple. De plus, lorsque Plotin voque la vision dans le trait Sur la sensation et la mmoire, il reprend son compte les termes employs dans le Phdre (250d2) et la dsigne par lexpression la sensation la plus claire ( )23. Elle est par consquent le sens qui est le plus proche de lintellection, puisque les diffrentes sensations prennent place dans une hirarchie dont la clart est le critre.

    Le modle de la vue permet de rendre compte de la contemplation des ralits intelligibles. Mais ce paradigme prsente dimportantes limites tant donn que lin-telligible ne possde ni couleur ni figure, comme le souligne Plotin la suite de Platon dans le Phdre (247c6)24. Par consquent, il est ncessaire dviter lemploi des termes suggrant que lintelligible est pourvu de ces qualits sensibles quand on cherche dcrire sa beaut. Il faut au contraire limaginer comme priv de ces caractres sensi-bles.

    Lintellect est de plus identique aux ralits intelligibles quil pense, alors que le sujet de la vision sensible est diffrent de son objet. Il faut nanmoins noter que selon le premier trait, Sur le beau, lorgane de la vue, cest--dire lil, devient identique lobjet qui est vu. Lorsquil dcrit le spectacle qui est appel dans le Phdre la vi-sion bienheureuse25 , Plotin met en effet laccent sur la ncessit pour lme de sidentifier la ralit quelle contemple et de devenir ainsi belle pour tre capable de voir la beaut, tout comme lil doit partager la nature du soleil pour tre en mesure

    21. La supriorit de la vue par rapport aux autres sens est galement affirme par ARISTOTE, notamment dans le trait De lme III, 3, 429a2-3.

    22. Les propos que PLOTIN dveloppe dans le trait 31 (V, 8), 3, 27-30, en suivant le mythe du Phdre, mon-trent que les astres, dfinis comme les dieux qui se trouvent dans le ciel , contemplent les ralits situes dans le ciel intelligible parce quils sont capables, par leur tte, de traverser la surface de la sphre qui constitue le ciel. En outre, le trait 33 (II, 9), 16, 9-11, dans le cadre de la critique des gnostiques qui re-fusent aux astres limmortalit et la supriorit lgard des hommes, souligne la relation troite entre les mes des dieux qui sont dans le monde, cest--dire les mes des astres, et les ralits intelligibles : On trouve galement en eux des mes, qui sont la fois intellectives, bonnes et beaucoup plus lies aux rali-ts de l-bas que nos propres mes ( ).

    23. Trait 41 (IV, 6), 1, 12. Le passage du Phdre (250c-d) dont provient cette citation met en vidence la fois la supriorit de la vue par rapport aux autres sens et ses limites : grce elle, nous pouvons percevoir la beaut, mais elle ne nous permet pas de voir la sagesse elle-mme.

    24. Voir le trait 49 (V, 3), 8, 2-3. PLATON ajoute dans le Phdre (247c7) que lintelligible ne peut pas tre touch.

    25. PLATON, Phdre 250b6 : . PLOTIN reprend la formule en inversant seulement lordre des termes dans le trait 1 (I, 6), 7, 33.

  • UNE SENSATION PLUS VRITABLE

    39

    de le voir26. Si la contemplation notique exige une identit entre le sujet et lobjet, la vision sensible implique pour sa part seulement une similitude27. Mais celle-ci est en quelque sorte le reflet dans le monde sensible de la relation didentit entre lintellect et les ralits intelligibles.

    La vue nest pas le seul sens permettant de rendre compte du processus de la pen-se intuitive : quand il cherche mettre en vidence les caractristiques de lintel-lection, Plotin accorde galement au toucher le statut de paradigme28. La relation entre lIntellect et les intelligibles est ainsi prsente comme un contact29. Plotin suit sur ce point la pense dAristote qui soutient dans la Mtaphysique que la notion de toucher permet de dcrire la relation entre lintellect et lintelligible30. Le recours au modle du toucher pour voquer lintellection met laccent sur le caractre immdiat du rapport lintelligible. Dans le trait Sur les hypostases qui ont la facult de con-natre et ce qui est au-del, Plotin souligne la ncessit pour lobjet de lintellection de prsenter une diversit : Sinon, aucune intellection ne portera sur lui, mais il y aura seulement un toucher et pour ainsi dire un contact qui chappe au discours comme lintellection : ce contact prcde lintellection, parce que lIntellect nest pas encore advenu et que ce qui touche nexerce pas lintellection31 . Aux yeux de Plotin, le toucher se dfinit par la ngation de la pense. La rfrence au toucher est par consquent particulirement pertinente pour voquer la relation lUn, cest--dire au premier principe qui est la source de toutes choses. Il faut souligner que Plotin ne nie pas pour autant limportance du sens quest la vue dans la relation de lhomme lUn : dans le trait Sur lintellect et que les intelligibles ne sont pas hors de lintellect, et sur le Bien, il montre cet gard la supriorit de la vue par rapport loue32. Cest en effet la vue qui permet selon Plotin de saisir ce quest lUn, la condition quon ne cherche pas voir sa forme. Le nom de lUn ne conduit pas en revanche celui qui lentend un tel rsultat. Lorsque la vision porte sur lUn, elle nincite pas lindividu parler et mne donc seulement au silence, comme cest le cas du toucher quand il sapplique lintelligible33. Dans la relation lUn, la diffrence entre la vue et le toucher sestompe donc. De fait, ces derniers apparaissent comme des sens complmentaires pour prsenter la manire dont lhomme peut connatre

    26. Voir le trait 1 (I, 6), 9, 29-32. 27. Le principe suivant lequel le semblable connat le semblable, que PLOTIN dfend par exemple dans le

    trait 28 (IV, 4), 23, 6-8, est voqu par ARISTOTE notamment dans le trait De lme (I, 2, 404b8-18), qui en attribue lusage EMPDOCLE (fragment DK 31 B 109) et PLATON (Time). Cest sur ce principe que sappuient selon ARISTOTE ceux qui soutiennent que la pense et la sensation (dsignes par ou pour la premire et par pour la seconde) sont une seule et mme activit (voir De lme III, 3, 427a26-29).

    28. Il faut remarquer que le trait 10 (V, 1), 12, 15-21 utilise galement le modle de loue quand il insiste sur la ncessit d couter les sons de l-haut ( ).

    29. Le trait 19 (I, 2), 6, 13 affirme ainsi propos des ralits intelligibles : LIntellect les possde par le contact ( ).

    30. Voir ARISTOTE, Mtaphysique , 7, 1072b20-21. 31. Trait 49 (V, 3), 10, 42-44 :

    . 32. Voir le trait 32 (V, 5), 6, 30-37. 33. Voir le trait 39 (VI, 8), 19, 3-12.

  • THOMAS VIDART

    40

    lUn34. Le sens quest la vue nest pas cart dans la description de la relation de lme humaine au Bien parce que cest ce dernier qui procure sa plnitude la vision de lIntellect avec lequel le sommet de lme concide, alors que la vision sensible tient la sienne des objets sur lesquels elle porte35 : dans le cas de lIntellect, la vision ne fait pas seulement intervenir les ralits intelligibles et elle doit, pour atteindre la perfection, porter sur lUn lui-mme.

    En affirmant que lintellection est une forme de sensation, Plotin nenvisage pas seulement la seconde comme un paradigme permettant de rendre compte de la pre-mire. Lassimilation de lintellection une sensation donne lieu des affirmations qui semblent au premier abord extrmement dconcertantes. Les ralits intelligibles sont en effet dcrites comme les choses sensibles de l-bas ( )36, comme ces corps ( )37, ou encore comme les choses visibles ( -)38, ce qui semble contraire la doctrine platonicienne, selon laquelle les intelli-gibles sont incorporels et chappent ainsi la sensation. Ces expressions perturbent nos habitudes de lecture, ce qui explique que des corrections philologiques aient t suggres afin de donner au texte un sens qui semble moins tonnant39.

    Pour saisir la signification et la force de ces expressions, il est ncessaire dexa-miner le lien entre les choses sensibles et les ralits intelligibles. Dans la premire tape du trait Comment la multiplicit des ides sest tablie et sur le Bien, Plotin cherche mettre en vidence la raison pour laquelle la sensation existe dj dans le monde intelligible. Il sagit en effet de montrer que les sensations ne sont pas en lhomme le rsultat dun raisonnement et dune dlibration effectus par le dieu. La question qui ouvre le chapitre 6 porte sur la manire dont la facult de la sensation peut appartenir lme suprieure, autrement dit lme rationnelle. Dans la rponse que Plotin apporte cette question, il soutient que la facult de la sensation porte sur ce que lon pourrait appeler les sensibles de l-bas et de la manire propre aux sensibles qui sont l-bas40 . Par consquent, quand il affirme que lintellection est

    34. Dans le trait 1 (I, 6), 4, 12-15, on observe un glissement dun verbe relatif la vue () un autre concernant le toucher () et dans le trait 49 (V, 3), 17, 34, la vue et le toucher sont troi-tement mls, comme le montre lexpression toucher la lumire ( ).

    35. Voir le trait 30 (III, 8), 11, 6-8. 36. Trait 38 (VI, 7), 6, 2. La mme ligne prsente auparavant une expression trs proche : -

    . 37. Trait 38 (VI, 7), 6, 8. 38. Trait 49 (V, 3), 8, 34. 39. Pour ce qui est du trait 38 (VI, 7), 6, 8, P. HADOT corrige en (voir la n. 76, p. 100, de sa

    traduction du Trait 38 [VI, 7], Paris, Cerf, 1988, ainsi que la n. 94, p. 105-106, au sujet dune correction similaire dans le chapitre 7, 27-28). En ce qui concerne le trait 49 (V, 3), 8, 33-34, A. KIRCHHOFF, qui est suivi par P. HENRY et H.-R. SCHWYZER dans leditio minor, introduit la ngation avant dans la phrase suivante : , . Cet ajout a pour consquence que lexpression ne dsigne plus les ralits intelligibles, mais les choses sensibles. Ces corrections ne semblent pas indispensables, mme si les termes employs sont trs rarement appliqus aux ralits intelligibles dans lensemble des traits de Plotin. Voir cet gard les ex-plications donnes par F. FRONTEROTTA (dans la n. 47, p. 122, de sa traduction du trait 38, publie dans les Traits 38-41, sous la direction de L. BRISSON et J.-F. PRADEAU, Paris, Flammarion, 2007) et par B. HAM (dans la n. 90, p. 67, de sa traduction du Trait 49 [V, 3], Paris, Cerf, 2000).

    40. Trait 38 (VI, 7), 6, 1-2 : , .

  • UNE SENSATION PLUS VRITABLE

    41

    une sorte de sensation, Plotin ne remet pas en cause le principe selon lequel la sensa-tion sapplique ncessairement aux choses sensibles. Il faut rappeler en effet que ce principe est prsent de manire interrogative dans le chapitre 3, o sont mises en vidence les difficults quentrane la thse selon laquelle la facult de sentir existe dans lintelligible lui-mme. La sensation porte ncessairement, aux yeux du disciple, sur les choses sensibles : Que pourrait bien tre la facult de sentir, si ce nest le pouvoir de percevoir les sensibles41 ? . Son jugement sur ce point reflte lopinion commune, qui associe la sensation et les choses sensibles, et il constitue une objec-tion la thse selon laquelle lhomme intelligible possde dj la sensation. Une se-conde objection sajoute elle et la complte, dans la mesure o elle porte sur la mme thse, mais envisage une autre possibilit : elle consiste en effet souligner labsur-dit de lide selon laquelle la sensation est dj possde par lhomme intelligible, mais ne devient active que dans le sensible42.

    Lintellection apparat dans cette perspective comme une forme singulire de sen-sation qui est approprie au statut lui-mme singulier de ses objets. On trouve en effet dans le monde intelligible les choses sensibles, mais elles sont alors prsentes dune manire qui est propre lintelligible. Quant aux empreintes provenant de la sensa-tion, elles sont pour leur part intelligibles sous un mode qui est propre aux choses sensibles. Cest ce qui est suggr dans le chapitre 7 du trait Quest-ce que le vivant et quest-ce que lhomme ?, o Plotin note propos des empreintes provenant de la sensation : Celles-ci sont en effet dj intelligibles43 . Comme nous lavons indi-qu, ces empreintes semblent tre les images des raisons situes dans les choses sen-sibles. Ces raisons, qui sont issues de lme du monde et qui sont rflchies sur la matire, sont responsables des diffrentes caractristiques possdes par les choses sensibles et reprsentent en elles la puissance des ralits intelligibles, dans la mesure o elles sont les expressions de ces dernires dans le monde sensible44. Par cons-quent, chacun des deux processus fait intervenir un aspect des objets sur lesquels lautre porte : la sensation sapplique aux choses sensibles manifestant une raison de nature intelligible et lintellection aux ralits intelligibles qui sont les choses sen-sibles prsentes dans le monde de l-bas sous la forme adquate. Ces analyses ne nous conduisent pas nier la diffrence entre les choses sensibles et les ralits intel-ligibles, ni mme la rduire, mais souligner que de la procession et de la partici-pation rsulte un lien tout fait singulier entre sensibles et intelligibles. Lorsquil prsente de manire rcapitulative les acquis de sa rflexion, Plotin met laccent sur la relation entre la sensation et lintellection :

    41. Trait 38 (VI, 7), 3, 29-30 : ; 42. Voir le trait 38 (VI, 7), 3, 30-33. 43. Trait 53 (I, 1), 7, 12 : 44. Voir sur ce point ltude de L. BRISSON, Logos et logoi chez Plotin. Leur nature et leur rle , Les Ca-

    hiers philosophiques de Strasbourg, 8 (1999), p. 87-108. Cet article met en particulier laccent sur le rle dcisif de lme du monde, qui possde deux fonctions : Si lon applique le principe suivant lequel toute me prsente deux niveaux, on peut dire, dans le cas de lme du monde, que son niveau infrieur, celui o elle est productrice, correspond la Nature, et que son niveau suprieur, celui o elle est ordonnatrice en fonction de sa contemplation, correspond la Providence, intimement associe la connaissance (p. 94).

  • THOMAS VIDART

    42

    Voici ce qui nous est galement apparu et ce que notre propos a montr : les ralits qui sont l-bas ne sont pas tournes vers les choses qui se trouvent ici, mais ce sont les choses dici qui dpendent des ralits de l-bas et qui les imitent. Lhomme qui est ici, comme il doit ses puissances celui qui se trouve l-bas, est tourn vers les ralits de l-bas et les choses sensibles dici sont unies lhomme dici alors que les ralits de l-bas le sont lhomme de l-bas ; car les ralits de l-bas, que nous avons appeles les choses sensi-bles, sont, parce quelles sont incorporelles, saisies par la perception dune autre manire, et la sensation qui existe ici, tant donn quelle porte sur des corps, est plus obscure que la sensation qui se trouve l-bas et que nous appelons une sensation plus claire. Et si lhomme dici possde la sensation, cest pour la raison suivante : il peroit de manire infrieure des choses infrieures et qui sont les images des ralits de l-bas. Par cons-quent, les sensations dici sont des intellections obscures, alors que les intellections de l-bas sont des sensations claires45.

    Dans ce passage, les corps sont considrs comme incorporels : on ne trouve pas ici de contradiction, tant donn que les choses sensibles sont prsentes dans le monde intelligible dune manire incorporelle. Il est remarquable que les deux termes sen-sation et intellection apparaissent comme interchangeables. Plotin ne se contente pas en effet demployer pour dcrire lintellection le vocabulaire qui sapplique habi-tuellement la sensation : il souligne que la sensation et lintellection diffrent seu-lement par le degr de clart qui est atteint, lobscurit de la sensation tant due dans le monde dici au fait que ses objets sont des corps sensibles46. Cette thse trouve un prolongement dans lide voque dans le passage du trait 53 que nous avons cit au dbut de cette tude : lexpression une sensation plus vritable ( -)47 suggre en effet quentre la pense intuitive et la sensation, on ne trouve pas une diffrence de nature qui ferait delles deux processus irrductibles lun lautre, mais seulement une diffrence de degr. Les termes de sensation et dintel-lection sont dans cette perspective deux noms qui dsignent la mme opration co-gnitive : ils indiquent la position de lactivit concerne dans une hirarchie dont le plus bas degr est lobscurit de la sensation portant sur les choses sensibles et le niveau le plus lev la pleine lumire de la sensation qui a pour objets les ralits in-telligibles.

    La sensation ne constitue pas seulement une mtaphore permettant de rendre compte du processus de lintellection qui aurait avec elle des points communs. Les deux termes de sensation et dintellection peuvent en effet tre employs selon Plotin lun la place de lautre et cest seulement par leur degr de clart que les modes de

    45. Trait 38 (VI, 7), 7, 19-31 : , , , , , , , , , , [ ] . , , .

    46. Le caractre obscur des sensations a de plus pour cause lappartenance des sens au corps : PLATON montre ainsi dans le Phdon (65a-66a) que la vue et loue constituent des obstacles la connaissance des ralits vritables tant donn quelles relvent du corps.

    47. Trait 53 (I, 1), 7, 13.

  • UNE SENSATION PLUS VRITABLE

    43

    connaissance quils dsignent diffrent. La notion danalogie nest pas davantage adquate pour voquer le lien entre la sensation et lintellection : si la relation entre lintellection et les ralits intelligibles est envisage sur le modle du rapport entre la sensation et les choses sensibles, la premire nest pas identique au second comme limpliquerait une analogie, dans la mesure o lintellect et les ralits intelligibles forment une seule et mme chose, alors que le sujet de la sensation et ses objets sont seulement semblables48. Lintellection est dfinie comme une sensation, et mme comme une sensation qui mrite dtre considre comme plus vritable que celle laquelle nous rservons habituellement le terme de sensation, parce quelle nous met en relation avec les ralits de rang divin que sont les intelligibles49. Ce que nous appelons communment la sensation nest en effet que limage de la sensation la plus haute, cest--dire de lintellection. Les deux activits de la sensation et de lintellec-tion ne sont pas aussi htrognes que lon est tent de le croire quand on considre la diffrence entre les objets sur lesquels elles portent : la continuit entre la sensation et lintellection, qui appartiennent toutes deux une hirarchie dans laquelle elles se distinguent par le degr de clart qui les caractrise, souligne par consquent lunit de lme50.

    48. ARISTOTE soutient pour sa part dans le trait De lme que le rapport entre la facult de sentir et les sensibles est identique celui qui existe entre lintellect et les intelligibles et il fonde cette analogie sur la similitude que lon trouve aussi bien entre la facult de sentir et les sensibles quentre lintellection et les intelligibles. Il affirme en effet propos de lintellect : Il doit donc tre impassible, tre susceptible de recevoir la forme et tre semblable elle en puissance, mais sans sidentifier elle et il est ncessaire quon trouve une similitude entre la facult de sentir et les sensibles comme entre lintellect et les intel-ligibles (III, 4, 429a15-18 : , , , , ).

    49. La sensation vritable quvoque PLOTIN doit tre rapproche de la notion de sens spirituels laquelle certains thologiens chrtiens, partir dORIGNE, accordent une grande importance : voir ce sujet lin-troduction de P. HADOT au Trait 38 (VI, 7), qui renvoie au Contre Celse I, 48 dORIGNE (n. 35, p. 33). Ces sens spirituels sont dcrits en rfrence aux cinq sens corporels et ils permettent de connatre les ra-lits appartenant lordre divin. SAINT BONAVENTURE note ainsi propos de lme : Par la foi elle croit au Christ comme au Verbe incr, Verbe et splendeur du Pre ; elle recouvre alors loue et la vue spirituel-les, loue pour recueillir les enseignements du Christ, la vue pour contempler les splendeurs de sa lumire. Par lesprance elle soupire aprs la venue du Verbe inspir : le dsir et la ferveur lui rendent lodorat spirituel. Enfin par la charit elle embrasse le Verbe incarn, de qui elle tire ses dlices et qui la fait passer en lui dans une extase damour : elle retrouve le got et le toucher spirituels (Itinraire de lesprit vers Dieu, texte de ldition CHARACCHI, introduction, traduction et notes par H. DUMRY, Paris, Vrin, 1960, p. 75).

    50. Je voudrais remercier trs vivement Jrme Laurent et Franois Lortie pour les suggestions dont ils ont bien voulu me faire part.