cahier 40 – les ennéades de plotin

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Jacques Henri PREVOST Petit Manuel d’Humanité CAHIER 40 – Les Ennéades de Plotin MANUSCRIT ORIGINAL Tous droits réservés N° 00035434

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  • Jacques Henri PREVOST

    Petit Manuel dHumanit

    CAHIER 40 Les Ennades de Plotin

    MANUSCRIT ORIGINAL Tous droits rservs

    N 00035434

  • Plotin et le No-platonisme

    La symbolique du No-platonisme

  • Introduction.

    Le No-platonisme est une doctrine philosophique orientation mystique, fonde par Ammonius Saccas. Produit de la rencontre des civilisations grecques et orientales, elle apparat Alexandrie puis stend jusqu Rome, entre le 2me et le 5me sicle. Les No-platoniciens transforment la philosophie rationnelle en une vritable science thologique. Puis, avec Plotin, dans sa forme romaine, la doctrine quasi religieuse est tablie sur les fondements de plusieurs thories associes. - Une thorie de ltre. Toutes choses manent du Un, (Bien ou Intelligence universelle), par dgradations successives, et ltre se manifeste par trois hypostases, Un, Intelligence, et me. - Une thorie du salut. Par la conversion ou mouvement de retour vers le Un, lme individuelle peut retrouver lunit originelle jusqu se fondre en elle. Chez les No-platoniciens, la religion devient une dmarche individuelle toute intrieure. Ils renoncent aux justifications philosophiques et mtaphysiques excessivement rationalisantes des croyances. Ils abandonnent alors les pratiques religieuses qui sont considres comme des artifices que le culte utilise pour asservir les fidles en influenant leur imagination (surtout chez les Romains). Chez Plotin, la prire est aventure, une dmarche intellectuelle personnelle, un puissant effort volontaire de lintelligence pour lever lhomme au niveau du divin.

  • .

    Plotin tait un philosophe romain de lAntiquit tardive qui naquit en 205, Lycopolis, en gypte. l'ge de 28 ans, il partit tudier la philosophie Alexandrie pendant onze annes, de 232 243, auprs d'Ammonios Saccas, qui fonda un courant philosophique appel noplatonisme , qui influena de manire profonde la philosophie occidentale. . On considre que Plotin fut, en fait, le vritable fondateur du noplatonisme car il installa Rome, en 246, l'cole noplatonicienne de Rome, sous le rgne de l'empereur Philippe l'Arabe. Ce n'tait pas vraiment une institution, mais une association informelle de personnes intresses qui exera pourtant une forte influence en se dveloppant. Plotin enseignait en grec dans la maison de Gmina, la femme du futur empereur Trbonien et il s'attira ensuite la protection de l'empereur Gallien. Son enseignement tait essentiellement oral mais partir de 254,il produisit de nombreux et courts traits qui nous sont intgralement parvenus. Sa relecture des dialogues de Platon constiturent une source dinspiration fort importante pour la formation de la pense chrtienne, en particulier du concept de la Trinit. Il eut successivement pour disciples ou successeurs, Amlius, Eustochius, Jamblique, Porphyre, et bien d'autres dont Proclus qui anima l'cole no-platonicienne d'Athnes et crivit des hymnes trs apprcis. C'est Porphyre de Tyr qui collationna et publia lintgralit des crits dans les "Ennades".

    Plotin

    Dans La Rpublique, Platon dcrivait dj une division tripartite de l'me. Partant de la distinction platonicienne entre le monde sensible et celui ides, Plotin conceptualise la prsence de trois essences ou hypostases qui constituent le principe de l'univers. - Au centre se trouve l'Un. Immobile, permanent, il possde en lui-mme le principe de son existence, il est la source mme de son me. Il prcde tout ce qui existe et en fonde l'tre. - manant de l'Un et l'entourant, se trouve l'Intelligence. Elle est immobile et contient en elle la multiplicit des ides et des formes. - Ensuite l'me qui mane de l'Intelligence. Elle est anime d'un mouvement circulaire et centrifuge qui la conduit se diffuser vers le monde de la matire. On a dj l un modle de la Trinit labor au dbut du IIIme sicle aprs J.- C. et qui aura un grand cho dans le monde intellectuel antique, au moment mme ou l'glise essaiera de donner un fondement argument la doctrine trinitarienne de Saint Augustin, l'un des Pres de l'Eglise Romaine, vque d'Hippone, doctrine tablie par le concile de Nice en 325 et celui de Chalcdoine en 451. Plotin approfondit donc les penses de Platon et celles d'Aristote sur la nature de l'intelligence, en proposant sa propre thorie de la nature universelle. Il enseignait que l'univers est compos de trois ralits fondamentale qu'il appelait hypostases : l'Un, l'Intelligence et l'me. Il disait aussi que c'est le travail propre de l'homme de remonter de l'me l'Intelligence, puis de l'Intelligence l'Un et d'accomplir ainsi son union mystique avec la divinit. Aprs l'assassinat de Galien, Plotin dut quitter Rome, et se rfugia Naples o il mourut en 270. Ses successeurs poursuivirent son uvre jusqu' la fermeture dfinitive de toutes les coles philosophiques de l'Empire par Justinien, en 529, lorsqu'il devint obligatoire d'tre chrtien sous peine de mort.

  • La Trinit chrtienne Cette transformation de la philosophie en science thologique se traduit par deux attitudes. La premire est celle dun syncrtisme pouss. Les No-platoniciens tendent runir toutes les traditions humaines antiques accessibles, de quelque nature quelles soient, littraires, musicales, mythiques, cultuelles, ou philosophiques. Ils les reconnaissent comme des analogies relatives aux manifestations varies des mmes dieux. Ils les combinent et les utilisent donc en tant que matriaux pour la construction de ldifice thologique quils proposent. La seconde est une dmarche de mise en ordre, une tentative de hirarchisation chronologique visant attribuer chaque divinit identifie une place exacte dans lhistoire et dans le rang au sein du panthon syncrtique reconstruit. Les mythes, sils sont vraiment des mythes, doivent sparer dans le temps les circonstances du rcit et distinguer bien souvent les uns des autres des tres qui sont confondus et ne se distinguent que par leur rang ou par leurs puissances . Les mythes reclent toute la structure de la ralit du monde, laquelle englobe le monde sensible et les dieux. Cherchant rvler les secrets immanents quils recouvrent, les No-platoniciens vont tablir quatre catgories de mythes, thologiques, physiques, psychologiques, et matriels. Concernant ces derniers, ils recherchent dans les corps les traces laisses par leur origine divine. Puis ils tenteront dtablir des pratiques de magie sympathiques permettant de remonter jusquaux dieux. Mais ils sintressent surtout linterprtation des mythes thologiques.

    Proclus

  • Proclus ou Proklos, un No-platonicien grec n en 412, disciple et successeur de Plotin, bien connu par son discours sur la structure dialectique du monde nous dit :" Puisque, en principe, toutes choses drivent et de lUn et de la Dyade postrieure lUn, et sont de quelque manire mutuellement unies, mais ont aussi une nature antithtique, comme il y a une sorte dantithse entre le Mme et lAutre, le Mouvement et le Repos, et que toutes les ralits du monde participent ce genre, on ne saurait que bien faire en considrant lopposition qui pntre tout le rel." (Ceci est une faon un peu complique de nous prier dadmettre que cest lopposition des contraires qui assure lquilibre de ce monde). mesure que progresse la christianisation des structures politiques et administratives, la pratique des cultes antiques devient fort dangereuse et donc clandestine. Leurs derniers adeptes la pratiquent en petites communauts avec beaucoup de pit. Ils la transforment en une dmarche religieuse de plus en plus spiritualiste et mystique. Les manifestations publiques et les sacrifices sanglants sont remplacs par des petites crmonies cultuelles quotidiennes et prives. Elles comportent des prires et des pieuses allocutions, on y brle de lencens et on y chante des hymnes qui sont rputs inspirs par les dieux. Les mtaphysiciens mystiques no-platoniciens ont compos un grand nombre de trs beaux hymnes dont la plupart ont t systmatiquement dtruits. Plotin eut pour successeur Porphyre de Tyr qui tait install en Sicile o il crivit une polmique "Contre les Chrtiens", brle sur ordre de l'empereur, et y rdigea aussi son clbre ouvrage de logique, "Isagog". la mort de Plotin, Porphyre prit en mains l'cole no-platonicienne de Rome en 270, dita les uvres du matre et crivit une "Vie de Plotin". Il pousa une veuve nomme "Marcella" qui il adressa une lettre fort clbre, la "Lettre Marcella" qui expose l'essentiel de la doctrine noplatonicienne. Un rsum d'une "lettre de Jamblique Porphyre" est aussi donn en annexe.

    Un des hymnes de Proclus

    coute-moi, Athna, Toi dont le visage rayonne une pure lumire.

    Conduit bon port lerrant que je suis sur la Terre. En rcompense de mes saints hymnes en ton honneur,

    Donne mon me lumire pure, amour et sagesse. Par ton amour, insuffle mon me assez de force

    Et dune telle vertu quelle se retire des creux de la Terre Et remonte lOlympe vers la demeure du Pre.

    Aie piti de moi, Desse aux doux conseils, Parce que je me flatte dtre toi,

    Salvatrice des mortels, Ne permet pas que, gisant terre,

    Je tombe en proie et en butin Aux mains des Punisseuses

    Qui me font frissonner.

    Porphyre eut pour disciple Jamblique, un autre syrien, qui fonda une cole noplatonicienne en Syrie, Apame. IL entra en conflit avec les Chrtiens et les Gnostiques et s'intressa la thurgie qui est est un ensemble de pratiques mystiques et de rituels magiques permettant l'me de raliser une fusion mystique avec les tres suprieurs jusqu'au Dieu ineffable. Jamblique y voyait un moyen permettant l'me de se diviniser, degr par degr, jusqu' atteindre l'extase mystique, sans cependant jamais donner l'homme un pouvoir quelconque sur les dieux. Aprs la destruction des temples paens et la fermeture autoritaire des coles philosophiques, le No-platonisme s'effaa, ne subsistant que par les traces laisses dans la pense chrtienne. Il rapparut cependant Florence au quinzime sicle dans le "Noplatonisme mdicen" qui fut un fort mouvement philosophique et artistique toscan local regroupant des penseurs et des artistes florentins avec l'appui de la famille rgnante. Marsile Ficin, thologien italien et philosophe platonicien, n Florence en 1433, fit ses tudes Bologne et s'y consacra spcialement la lecture de Platon, auquel il vouait un vritable culte. De retour Florence, il fit partager son enthousiasme philosophe de l'Antiquit, son protecteur Cme de Mdicis qui tait alors au pouvoir. Cosme de Mdicis inaugura le mcnat et imprima un renouveau l'art. Il fonda la "Nouvelle Acadmie de Florence" sur le modle de l'Acadmie de Platon. Son protg, Marsile Ficin, entreprit sur son conseil de traduire et commenter les uvres compltes de Platon et de Plotin. Marsile Ficin eut pour lve le futur souverain Laurent le Magnifique et avec l'appui des Mdicis, l'aura culturelle du Noplatonisme mdicen se poursuivit bien au-del de cette priode.

  • Gozzoli- Chapelle des Mdicis-Cortge des Mages

    La structure des Ennades

    Porphyre recueillit les cinquante-quatre traits de Plotin et les organisa en six "nnades", c'est- -dire six groupes de neuf livres rpartis en trois corpus qui exposent successivement la pense du philosophe concernant la morale, la physique, la psychologie et la science de lUn. Porphyre a class les traits par thmes sans aucunement suivre leur ordre chronologique, et il y a parfois ajout ses propres commentaires. On considre nanmoins que son travail ne remet pas en cause lauthenticit des crits, ni leur unit de doctrine. Porphyre prsente les textes comme un chemin initiatique nous menant du multiple (les nnades : 1, 2, et 3), la dualit (les nnades : 4 et 5), puis enfin lunit (une nnade, la 6). Le premier corpus, regroupe les inquitudes face lexistence, la place de l'homme dans lunivers. Il commence par la dfinition de lhomme et sachve sur lUn et quelques considrations annexes, neuf exactement, dont la dernire veut conduire la reconnaissance dun dieu au-del de la vie, de la pense, de lintelligence. Le deuxime corpus parle de lme qui vient den haut et qui est enferme dans un corps du monde sensible. Il sinterroge sur lessence de cette me. et le mystre fondamental de la connaissance. Il expose ce quest la contemplation et le chemin parcourir. Le dernier texte annonce lme universelle elle-mme, et peut-tre la vie de toute chose. Le troisime corpus critique radicalement les catgories ou genres de l'tre aristotliciennes et stociennes qui comptent trop dambiguts et laissent dans lillusion de la diversit. Il conseille d'aller vers le recueillement, la prsence de ltre en nous. Cet tre total est habit par un nombre infini, ternel, dtach du sensible, et reli lUn.

  • Le plan de l'uvre tabli par Porphyre.

    1er CORPUS (3Ennades) N1, (La morale)

    LHomme Les Vertus

    La dialectique

    Le Bonheur 1

    Le Bonheur 2

    Le Beau Le Bien Les Maux Le Suicide

    N 2, (La physique 1) Le Monde Le

    mouvement circulaire

    Les astres Les deux matires

    La puissance et lacte

    La forme La forme Les objets (la

    position)

    L'auteur du Monde

    N3, (La physique 2) Le Destin La

    providence 1

    La providence

    2

    Lamour Les incorporels

    Le temps LUn Neuf considrations

    2e CORPUS (2 Ennades)

    N4, (Lme 1) Lessence de lme 1

    Lessence de lme 2

    Difficults relatives

    lme 1

    Difficults relatives

    lme 2

    Difficults relatives

    lme 3

    La mmoire

    et la sensation

    Limmortalit de lme

    Lme et le

    corps

    Les mes :

    une seule me ?

    N5, Lme 2 (L'me-intelligence)

    Les trois hypostases

    Les ralits

    et le Premier

    Les hypostases

    Le Premier

    Les intelligibles

    Ltre pensant

    Le particulier

    La beaut

    Lintelligence

    3e CORPUS (Une seule Ennade) N6, (LUn

    Les genres de ltre 1

    Les genres de

    l'tre 2

    Les genres de

    l'tre 3 Un seul tre 1

    Un seul tre 2

    Les nombres

    La multiplicit

    des ides

    La volont de lUn

    LUn

  • La Trinit aux trois visages

    Les texte prsents ci-dessous ont t repris dans la traduction de Monsieur BOUILLET dans l'dition de 1861. Ils ne reprennent pas les sommaires, notes et explications donnes par l'auteur, ni les

    complments accompagnant l'dition originale pour lesquels nous prions les lecteurs de bien vouloir consulter le site qui lui est spcifique.

    LES ENNADES DE PLOTIN CHEF DE L'COLE NOPLATONICIENNE

    TRADUITES POUR LA PREMIRE FOIS EN FRANAIS

    ACCOMPAGNES DE SOMMAIRES, DE NOTES ET D'CLAIRCISSEMENTS ET PRCDES DE LA VIE DE PLOTIN

    AVEC DES FRAGMENTS DE PORPHYRE, DE JAMBLIQUE, ET AUTRES PHILOSOPHES NOPLATONICIENS

    PAR M.-N. BOUILLET Conseiller honoraire de l'Universit, inspecteur de l'Acadmie de Paris

    TOMES - 1, 2 et 3 PARIS - LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET CIE

    1861

  • Premier Corpus - L'HOMME - Le MONDE - Le DESTIN -

    - Ce corpus est compos de trois Ennades de neuf livres chacune -

    - Premire Ennade 1/3 - La Morale

    Premier livre - L'Homme et l'animal.

    Pour dterminer ce que c'est que l'animal, ce que c'est que l'homme, il faut dterminer quels principes appartiennent :1 les passions et les sensations; 2 l'opinion et le raisonnement ; 3 la pense intuitive. On doit aussi dterminer quel est le principe.qui pose ces questions et qui en donne la solution. Pour dterminer ce que c'est que l'animal, ce que c'est que l'homme, il faut dterminer quels principes appartiennent : 1 les passions et les sensations; 2 l'opinion et le raisonnement ; 3 la pense intuitive. On doit aussi dterminer quel est le principe qui pose ces questions et qui en donne la solution. Les passions et les sensations n'appartiennent : 1 ni l'me pure, parce que, possdant par elle-mme une activit inne, l'me pure est, impassible 2ni au compos de l'me raisonnable et du corps organis, parce que, si l'me raisonnable est avec le corps dans le mme rapport que l'artisan avec son instrument ou que le pilote avec le navire, les passions ne peuvent passer du corps dans l'me raisonnable, qui en est la forme sparable, et qui, par consquent, tout en tant prsente au corps, y demeure impassible comme l'est la lumire rpandue dans l'air, en sorte qu'elle n'prouve pas les mmes passions que le corps, ni des passions analogues ; 3ni au corps organis seul, si l'on admet que les facults qui s'y rapportent ne ressentent pas ses passions. Le seul moyen pour rsoudre les difficults prcdentes, c'est de reconnatre qu'il y a dans l'me humaine trois parties, l'me irraisonnable, l'me raisonnable et l'Intelligence. 1 me irraisonnable. - Pour expliquer la communication de l'me raisonnable, qui est impassible, avec le corps organis, qui ptit, il faut admettre que de l'me raisonnable mane une puissance infrieure, l'me irraisonnable: par sa prsence dans le corps organis, l'me irraisonnable constitue l'Animal ; c'est elle qu'appartiennent les passions ainsi que les sensations. Il y a d'ailleurs dans la sensation deux lments fort distincts : la sensation extrieure ou passion, qui rsulte de l'impression faite par l'objet extrieur sur l'organe, et qui appartient l'me irraisonnable; la sensation intrieures, qui est la perception de la passion, de la reprsentation sensible, et qui appartient l'me raisonnable. 2 me raisonnable. - La sensation intrieure, l'imagination intellectuelle, l'opinion et la raison discursive sont les facults de l'me raisonnable et constituent essentiellement l'Homme. 3 Intelligence. La pense intuitive appartient l'Intelligence, laquelle la raison discursive emprunte ses principes. Considr dans ses rapports avec les trois hypostases divines (Dieu ou l'Un, l'Intelligence suprme, et l'me universelle), l'homme, par l'unit qui fait le fond de son tre, se rattache Dieu, l'Un, qui plane sur le monde intelligible; par son Intelligence, il entre en rapport avec l'intelligence suprme dont il tient ses ides; par l'essence de son me, qui est tout la fois indivisible et divisible (indivisible, en tant qu'elle est me raisonnable ; divisible, en tant qu'elle est me irraisonnable, en rapport avec les organes), il participe l'essence de l'me universelle, qui est elle-mme tout la fois indivisible et divisible (indivisible, en ce qu'elle est une dans l'univers et qu'elle reste en elle-mme tout en rpandant partout la vie ; divisible, en ce qu'elle est la Puissance naturelle et gnratrice, de laquelle procdent les mes sensitives et vgtatives ou raisons sminales qui animent tous les corps vivants. Considre en elle mme, l'me humaine est impeccable et infaillible ; si elle pche ou si elle se trompe, c'est qu'elle cde aux passions et aux apptits de la nature animale ou qu'elle est gare par l'imagination sensible. Le caractre des faits qui se rapportent la nature animale est de ne pouvoir se produire sans les organes; le caractre des faits propres l'me est de n'avoir pas besoin du corps pour se produire. La facult essentielle et constitutive de l'me, la raison discursive, est indpendante des passions : d'un ct elle peroit les reprsentations sensibles, de l'autre elle s'exerce sur les penses intuitives. Le "Nous" dsigne deux choses, ou l'me avec la partie animale qu'elle illumine, ou la partie suprieure, l'homme, qui possde les vertus intellectuelles. Les facults qui appartiennent la nature animale s'exercent dans l'enfance, mais l'intelligence illumine alors rarement l'me humaine, parce qu'il faut rflchir ce qu'on possde en soi pour le faire passer de la puissance l'acte. Quant au principe qui anime la bte c'est, ou la partie sensitive et vgtative d'une me. humaine qui a pch (partie qui est seule prsente dans le corps de la bte), ou une raison sminale qui procde de l'Ame universelle. Si l'me humaine pche et en est punie en passant dans de nouveaux corps, c'est qu'au lieu de rester pure, elle est descendue dans un corps, et qu'elle a inclin vers lui en y produisant une image d'elle-mme, image qui est l'me irraisonnable ou nature animale. Elle ne possde plus alors que la vertu active, tandis qu'en se tournant vers le monde intelligible elle possde la vertu contemplative, condition essentielle du bonheur. Le principe qui examine et rsout toutes les questions prcdentes, c'est le principe que nous appelons "Nous", c'est--dire l'me, qui se considre elle-mme par la rflexion. Quant l'intelligence, elle est notre en ce sens que l'me est intelligente; mais la vie intellectuelle est pour nous une vie suprieure.

  • Second livre - Les Vertus. Nous devenons semblables Dieu par la vertu, dont on distingue quatre espces : vertus civiles, vertus purificatoires, vertus de l'me purifie, vertus exemplaires.

    Nous devenons semblables Dieu par la vertu, quoique Dieu ne possde pas lui-mme la vertu. On ne saurait en effet lui attribuer la premire espce de vertus, les vertus civiles : la prudence, qui se rapporte la partie raisonnable de notre tre, le courage, qui se rapporte la partie irascible, la temprance, qui est l'accord de la partie concupiscible et de la raison, la justice, qui consiste dans l'accomplissement par toutes ces facults de la fonction propre chacune d'elles. Cependant ces vertus nous rendent semblables Dieu parce que, rglant nos apptits et nous dlivrant des fausses opinions, elles donnent une mesure notre me comme une forme une matire, et nous font participer ainsi l'essence intelligible. Nous nous rapprochons encore plus de Dieu par le deuxime espce de vertus, les vertus purificatoires : la prudence, par laquelle l'me pense par elle-mme au lieu d'opiner avec le corps, la temprance, par laquelle elle cesse de partager les passions du corps, le courage, par lequel elle ne craint pas d'tre spare du corps, et la justice, par laquelle l'intelligence commande et est obie. Ces vertus rendent l'me semblable Dieu, parce qu'elles lui permettent d'tre impassible et de penser les choses intelligibles. Quand l'me est purifie, il faut la tourner vers Dieu ; par cette conversion, l'me claircit les ides qu'elle a en elle-mme des objets intelligibles. En mme temps, elle se spare du corps, en rprimant ses passions et en n'accordant ses besoins que ce qui leur est strictement ncessaire. Dans cet tat, elle possde les vertus de l'me purifie: la prudence, qui est la contemplation des essences intelligibles, la justice, qui consiste diriger l'action de l'me vers l'intelligence, la temprance, qui est la conversion intime de l'me vers l'intelligence, le courage, qui est l'impassibilit par laquelle l'me devient semblable te qu'elle contemple . Les vertus ont dans l'me le mme enchanement qu'ont entre eux dans l'intelligence les types suprieurs ai la vertu (les vertus exemplaires) pour l'intelligence, la pense est la prudence, la conversion vers soi-mme est la temprance, l'accomplissement de sa fonction propre est la justice, et la persvrance rester en soi-mme est le courage. Quiconque possde les vertus de l'ordre suprieur possde ncessairement en puissance celles de l'ordre infrieur. Mais celui qui possde les infrieures ne possde pas ncessairement les suprieures. C'est la prudence qu'il appartient d'examiner la nature et les rapports des vertus. L'homme vertueux ne se contentera pas de pratiquer les vertus civiles; il aspirera la vie divine, en prenant pour modle l'intelligence suprme qui contient les types des vertus.

    Livre Trois - La Dialectique, moyen d'lever l'me.

    L'objet de ce livre est d'exposer par quelle mthode peut s'oprer le retour de l'me au monde intelligible. Celui qu'on veut lever au monde intelligible doit, lors de la premire gnration, tre descendu ici-bas pour former un Musicien, un Amant ou un Philosophe. Le Musicien est sensible la beaut de la voix et des accords. Il est ncessaire de lui apprendre distinguer, dans les rythmes et les chants qui le charment, la matire de la forme, les simples sons de l'harmonie intelligible, dont la conception le conduira, avec l'aide du raisonnement, reconnatre des vrits qu'il ignorait tout en le possdant instinctivement. L'Amant a quelque rminiscence du beau. On lui enseignera ne pas se contenter d'admirer un seul corps, reconnatre la beaut dans tous les corps o elle se trouve, la distinguer mme dans les arts, les sciences et les vertus; puis des vertus on l'lvera l'Intelligence et l'tre. Quant au Philosophe, il suffit de lui indiquer la route suivre pour s'lever au monde Intelligible : oh lui enseignera d'abord les Mathmatiques, puis la Dialectique. La Dialectique est la science qui tudie l'tre vritable et le non-tre, le bien et son contraire. Au moyen de la mthode platonicienne, elle discerne les ides, dfinit les objets, s'lve aux premiers genres des tres, descend des principes an consquences ou remonte des consquences aux principes. Elle est fort suprieure la Logique qui ne traite que des propositions et des arguments. Tirant ses principes de l'intelligence, elle saisit par intuition l'tre rel en mme temps que l'ide, et ne s'occupe qu'accidentellement de l'erreur ainsi que du sophisme. La Dialectique est la partie la plus minente de la Philosophie. La Physique a besoin de son secours et la Morale lui emprunte ses principes. Sans la sagesse, que donne la Dialectique, on ne saurait s'lever des vertus Infrieures aux vertus parfaites.

  • Livre Quatre - Du Bonheur. Les dfinitions qu'ont donnes du bonheur les Pripatticiens, les Stociens, les Cyrnaques et les picuriens ne sauraient satisfaire la raison : car, si le bien-vivre consiste soit dans l'accomplissement de sa fin propre, soit dans une vie conforme la nature, soit dans le bien-tre, soit dans l'ataraxie (l'imperturbabilil), on est oblig d'admettre que les animaux, que les plantes mmes peuvent bien vivre. Quand on distingue le bonheur de la vie en gnral, qu'on le regarde comme suprieur la vie vgtative et mme la vie sensitive, qu'on le place dans la vie raisonnable (comme le fait Aristote), il reste encore dire pourquoi on accorde la prminence la vie raisonnable, expliquer si on estime la raison pour elle-mme ou seulement pour les objets qu'elle peut nous procurer afin de satisfaire les premiers besoins de la nature : car ce n'est pas dans la contemplation des objets sensibles que consistent l'essence et la perfection de la raison. Le bonheur appartient l'tre vivant ; mais il n'appartient pas tous les tres vivants. Le bonheur consiste dans la vie parfaite, vritable et relle, qui est la vie intellectuelle. Tout homme possde cette vie, soit en puissance, soit en acte. Ds qu'il la possde en acte, il est heureux : car il a son bien en lui-mme ; il n'a plus rien dsirer ; aucune affliction ne peut atteindre la partie intrieure de son tre, et la possession des objets propres satisfaire les besoins du corps n'intresse point l'homme vritable. Il n'est point ncessaire (comme le croit Aristote d'ajouter la vie parfaite les biens extrieurs, la sant, la richesse, etc. Le bonheur consiste dans la possession du vritable bien, abstraction faite de ses accessoires. Les objets propres satisfaire nos besoins, la sant, la richesse, etc., sont des choses ncessaires plutt que des biens, et ils ne doivent pas tre compts au nombre des lments de notre fin. S'il arrive l'homme vertueux quelque accident contre sa volont, comme la perte d'un fils, la ruine de sa patrie, etc., son bonheur n'en est pas altr. Un pareil homme ne se laisse pas affliger par les douleurs des autres, ni effrayer parla crainte de ce qui peut arriver. Quant ses propres souffrances, il les supporte avec une me inbranlable et impassible, ou bien il s'y soustrait par la mort. Dans quelque tat qu'il se trouve, il est heureux tant qu'il continue d'tre vertueux. La perte mme de la raison n'anantit pas le bonheur, si elle n'empche pas de possder la sagesse en acte, d'exercer l'activit du principe intellectuel. Cette activit peut s'exercer sans tre sentie : la conscience implique la rflexion ; mais la rflexion est si peu ncessaire la pense qu'elle semble au contraire en affaiblir l'nergie. La volont de l'homme vertueux a pour seul but la conversion de l'me vers elle-mme, abstraction faite des objets extrieurs. Son plaisir consiste dans une douce srnit. Ses actions peuvent varier avec les vicissitudes de la fortune, mais ne sauraient tre entraves par elle, parce que rien ne peut enlever l'intelligence la contemplation du Bien. Le bonheur est le privilge de l'me raisonnable. Il est donc indpendant de toutes les choses qui n'agissent que sur le corps ou sur l'me irraisonnable, qui ne se rapportent ni la sagesse, ni la vertu, ni la contemplation du Bien. Le sage doit tre impassible, sans cependant rester tranger l'amiti. Le bonheur n'est donc point plac dans la vie du vulgaire. Pour devenir sage et heureux, il faut, comme le dit Platon, quitter la terre pour s'lever au Bien et tcher de lui devenir semblable.

    Livre Cinq ---- Le Bonheur s'accrot-il avec le temps ? Le bonheur ne s'accrot pas avec le temps parce qu'il consiste dans le prsent, c'est--dire dans la contemplation de l'intelligible, contemplation qui n'admet point la distinction du pass et du futur. (II-IV) Il ne faut donc point placer le bonheur dans la satisfaction du dsir de vivre et d'agir, ni croire que c'est un avantage de contempler plus longtemps le mme spectacle ou de jouir plus longtemps du plaisir que procure cette contemplation. La dure n'influe sur le bonheur et sur le malheur qu'autant qu'elle permet de faire un progrs dans la vertu ou qu'elle accrot la gravit du mal dont on souffre. On ne peut appliquer au bonheur les divisions du temps, parce que le bonheur consiste dans la vie intellectuelle, dont l'essence est l'ternit, c'est--dire un prsent perptuel. Il en rsulte que le souvenir d'actes vertueux ne saurait influer sur notre condition. En effet, le bonheur ne dpend pas des belles actions, mais des dispositions de l'me, de sa sagesse et de la concentration de son activit en elle-mme.

  • Livre Six - Du Beau. La beaut ne consiste pas dans la proportion ni dans la symtrie, comme l'enseignent les Stociens, mais dans l'ide, la forme ou la raison. Un corps est beau quand il participe une ide, quand il reoit du monde intelligible une forme et une raison, quand les parties qui le composent sont ramenes l'unit. A l'aspect de ce corps, l'me reconnat l'image visible de la forme invisible qu'elle porte en elle-mme, et elle prouve un sentiment de sympathie pour la beaut qui frappe ses sens. Au-dessus des objets sensibles, qui ne sont beaux que par participation, existent les objets intelligibles, qui sont beaux par eux-mmes : telles sont la vertu et la science, dont la contemplation inspire des sentiments d'amour et d'admiration. C'est que, par le vice et l'ignorance, l'me s'loigne de son essence et tombe dans la fange de la matire, tandis que, par la vertu et la science, elle se purifie des souillures qu'elle avait contractes dans son alliance avec le corps, et elle s'lve l'Intelligence divine de laquelle elle tient toute sa beaut. En examinant quel principe chaque tre doit la forme qui constitue sa beaut, on remonte du corps l'me, de l'me l'intelligence divine, et de l'Intelligence divine au Bien. En effet, c'est au Bien que tout aspire, c'est du Bien que tout dpend, que tout tient la vie et la pense; c'est lui qui, tout en demeurant immobile en lui-mme, fait participer sa perfection les tres qui le contemplent. Pour avoir l'intuition de cette Beaut ineffable, auprs de laquelle tous les biens de la terre ne sont rien, il faut dtourner nos regards des choses sensibles, qui n'offrent que de ples images des essences intelligibles, et retourner dans la rgion qu'habite notre Pre. Pour atteindre ce but, nous devons rentrer en nous-mmes, purifier notre me par la vertu et l'orner par la science ; puis, aprs avoir rendu notre me semblable l'objet qu'elle aspire contempler, nous lever l'Intelligence divine, en qui rsident les ides ou formes intelligibles ; alors, au-dessus de l'Intelligence divine, nous rencontrerons le Bien, qui fait rayonner autour de lui la souveraine Beaut.

    Livre Sept - Du premier bien et des autres biens. Le premier bien est la vie ; le second, la vie intellectuelle. Au-dessus de ces deux espces de biens, il y a le Bien absolu, qui est suprieur l'action et la pense. Le Bien a pour essence la permanence : tout dpend de lui, tout aspire lui, mais lui-mme reste dans le repos, ne regarde ni ne dsire aucune autre chose, parce qu'il ne dpend de rien. Toutes les autres choses se rapportent au Bien par l'me et par l'Intelligence. Ce qui est inanim se rapporte l'me, en reoit l'tre et la forme, et participe ainsi l'unit. L'me, son tour, reoit sa forme de l'Intelligence, en, tournant vers elle ses regards. Enfin, l'Intelligence reoit elle-mme sa forme du Bien qu'elle contemple. Il en rsulte que l'existence n'est un bien qu'autant qu'elle se lie l'exercice de l'intelligence. Or l'exercice de l'intelligence suppose la sparation de l'me et du corps, soit par la philosophie, soit par la mort.

  • Livre Huit - De la Nature et de l'origine des Maux.

    Le Mal absolu, tant la ngation de ltre et de la Forme, ne peut tre connu directement par lui-mme. On ne peut le concevoir quindirectement, en se le reprsentant comme le contraire du Bien : do suit que pour dterminer la nature du Mal, il faut dabord dterminer celle du Bien. Le Bien est le principe duquel tout dpend et auquel tout aspire ; il est complet et na besoin de rien. De lui procde lIntelligence suprme, dans laquelle le sujet pensant, lobjet pens et la pense ne font quune seule et mme chose. De lIntelligence suprme procde lme universelle qui la contemple. Ces trois hypostases sont compltement trangres au Mal. Le Mal en soi est le non-tre relatif, cest--dire limage trompeuse de ltre vritable, et linfini en soi, cest--dire le sujet de toute forme. Il est donc la mme chose que la matire. Le mat relatif est la nature du corps, en tant quelle participe de la matire. Il en rsulte que, par son union avec le corps, la partie irraisonnable de lme se trouve sujette lindtermination, cest--dire aux vices, aux passions, aux fausses opinions. Les maux de lme ont pour cause, comme les maladies du corps, un excs ou un dfaut. Lexistence du Mal est ncessaire pour plusieurs raisons : 1 il faut que le Bien ait son contraire ; 2 la Matire concourt la constitution du monde, dont la nature est mle dintelligence et de ncessit (parce que chaque objet est compos de forme et de matire) ; 3 enfin, comme le Bien engendre, et que, les tres engendrs tant toujours infrieurs aux principes gnrateurs, la puissance divine saffaiblit graduellement dans la srie de ses manations successives, il y a un dernier degr de ltre au-del duquel rien ne peut plus tre engendr ; ce dernier degr de ltre est la Matire ou le Mal. Du Mal absolu drive le mal relatif, le vice. Il a pour cause linfluence que le corps exerce sur lme. Quant la connaissance que nous avons du mal, elle suppose une espce dabstraction. Nous connaissons le vice en considrant ce qui manque pour constituer la vertu. Nous concevons le Mal absolu en faisant abstraction d toute forme pour nous reprsenter la matire. Dans ces deux cas, lme devient elle-mme informe et tnbreuse, parce quil doit y avoir analogie entre le sujet qui connat et le sujet qui est connu. La matire est mauvaise, parce quelle na pas de qualit. Cependant elle nest pas la privation, parce quelle nest pas une pure ngation, mais seulement le dernier degr de ltre. Le mal de lme nest pas la privation absolue du bien, mais un simple dfaut, qui consiste dans une possession incomplte du bien. La cause de ce dfaut est lunion de lme avec le corps, union qui entrave les oprations de la raison et de laquelle naissent les vices. Place entre lintelligence et la matire, lme peut se tourner vers la premire ou incliner vers la seconde. Si elle descend dans la matire pour y exercer sa puissance gnratrice, elle expose ses facults tre affaiblies et obscurcies jusquau moment o elle opre son retour dans le monde intelligible. En rsum, le Mal absolu est le contraire du Bien absolu. Entre eux se trouve place la nature mlange de bien et de mal : cest ltat de lme quand elle incline vers le corps et quelle en partage les passions ; elle ne sen affranchit quen slevant au monde intelligible et en y restant solidement difie.

    Livre Neuf - Du Suicide. Il ne faut pas sparer violemment l'me du corps, mais attendre que les liens qui les unissent se rompent naturellement. Si par un acte illicite, on arrache l'me du corps, elle conservera quelque chose du principe passif auquel elle tait unie, et elle sera oblige de passer dans un nouveau corps. D'ailleurs si le rang qu'on doit occuper l-haut dpend de l'tat dans lequel on se trouve en quittant la terre, il ne faut pas sortir de la vie quand on peut encore faire des progrs.

  • Premier Corpus 2 - L'HOMME - Le MONDE - Le DESTIN -

    - Ce corpus est compos de trois Ennades de neuf livres chacune-

    - Deuxime Ennade - La Physique et le Monde -

    Livre Dix - Le Ciel. Le monde, tre corporel, a toujours exist et existera toujours. Chez les animaux, l'espce seule est perptuelle, tandis que les individus meurent ; le monde, au contraire, possde la fois la perptuit de la forme spcifique et celle de l'individualit. C'est qu'il joint une me parfaite un corps que sa constitution naturelle rend apte l'immortalit. Quelles que soient les transformations que subissent les lments contenus dans le monde, rien ne s'coule hors de lui. Si l'on considre en particulier le feu, qui constitue l'lment principal du ciel, on voit qu'il demeure dans la rgion cleste, o il se trouve plac par sa nature, et qu'il se meut circulairement. En outre, il est contenu par l'me universelle, qui administre le monde avec une admirable puissance et qui doit le faire subsister toujours. Si les choses d'ici-bas n'ont pas la mme dure que les astres, c'est qu'elles sont composes d'lments moins parfaits, et qu'elles sont gouvernes par la partie infrieure de l'me universelle (par la Nature ou Puissance gnratrice), tandis que les choses clestes sont gouvernes par sa partie suprieure (par la Puissance principale de l'me universelle). En examinant la nature des quatre lments, on trouve que le ciel et les astres doivent tre composs de feu, tandis que l'air, la terre et l'eau ne peuvent subsister que dans la rgion sublunaire. Il en rsulte que le ciel et les astres ont des corps immortels, parce qu'ils ont pour matire un feu incorruptible, et qu'ils reoivent leur forme de l'me universelle qui leur imprime un mouvement circulaire dans une rgion parfaitement pure.

    Livre Onze - Du mouvement du Ciel. Le mouvement circulaire du ciel est l'image du retour eut soi-mme qui constitue la rflexion. Il rsulte la fois de la nature de l'me et de celle du corps : le mouvement propre l'me, c'est de contenir ; le mouvement propre au corps, c'est de se transporter en lieu droite ; de ces deux mouvements combins rsulte le mouvement circulaire, dans lequel il y a tout la fois translation et permanence, et qui est en harmonie parfaite avec la nature du feu cleste. Le mouvement circulaire du ciel est aussi une consquence de la nature des trois hypostases. On peut se reprsenter le Bien comme un centre, parce qu'il est le principe duquel tout dpend et auquel tout aspire ; l'Intelligence, comme un cercle immobile, parce qu'elle possde et embrasse le Bien immdiatement ; l'me, comme un cercle mobile, m par le dsir, parce qu'elle aspire au Bien qui est plac au-dessus de l'Intelligence. La sphre cleste, possdant l'me, qui aspire ainsi au Bien, aspire elle-mme, comme le peut un corps, au principe hors duquel elle est, c'est--dire cherche s'tendre autour de lui pour le possder partout, par consquent tourne et se meut circulairement. Le mouvement circulaire, qui implique la fois translation et permanence, est l'image du mouvement de l'Intelligence qui se replie sur ellemme. Le pneuma (esprit thr), qui entoure notre me, a un mouvement circulaire comme le ciel ; mais ce mouvement est entrav par notre corps. Quand notre l'me obit l'influence du dsir et de l'amour, elle se meut elle-mme, et, par une raction naturelle, elle produit un mouvement dans le corps auquel elle est unie.

    Livre Douze - De l'Influence des Astres.

    Il est des hommes qui prtendent que les astres ne se bornent pas annoncer les vnements, mais que leur influence produit tout. Selon eux, pour expliquer tout ce qui arrive un individu, il suffit de considrer dans le ciel cinq choses: les maisons, les signes du zodiaque, les plantes, les aspects et les toiles. Si les astres sont inanims, ils ne peuvent exercer qu'une influence physique, par exemple, produire de la chaleur ou du froid. S'ils sont anims, ils doivent, en vertu de leur nature divine, ne pas nuire aux hommes qui n'ont rien fait pour s'attirer leur colre ; ils doivent encore, toujours en vertu de leur nature divine, n'prouver aucune modification dans leur manire d'tre par l'effet des aspects et des maisons. Les raisonnements que les astrologues font ce sujet impliquent des contradictions tranges et conduisent attribuer aux dieux les plus indignes passions. En considrant l'Univers dans son ensemble, on voit qu'il constitue un vaste organisme, que tous les tres sont des parties de ce Tout, et, par la sympathie qui les unit les uns aux autres, y constituent une harmonie unique. Les astres sont, comme tout le reste, subordonns la Puissance de l'me universelle qui gouverne l'Univers. En mme temps qu'ils concourent par leur mouvement la conservation de l'Univers, ils y remplissent un autre rle : par les figures qu'ils forment, ils annoncent les vnements en vertu des lois de l'analogie. La raison en est que, l'Univers tant un animal un et multiple, tout y est coordonn, tout conspire un but unique ; par consquent, en vertu de cette liaison naturelle, chaque chose est signe d'une autre.

  • L'Univers tant un animai use suppose un principe unique. Ce principe unique est l'me universelle qui fait rgner dans l'univers l'ordre et la justice: l'ordre, parce qu'elle donne chaque tre un rle conforme sa nature ; la justice, parce qu'elle punit ou rcompense les hommes par les consquences naturelles de leurs actions. En effet, nous renfermons en nous deux puissances diffrentes, l'me raisonnable et l'me irraisonnable. Quand nous dveloppons les facults de l'me raisonnable qui nous constitue essentiellement, alors nous nous affranchissons des passions par la vertu, nous nous levons au monde intelligible par la contemplation, et nous sommes vritablement libres. Quand, au contraire, nous exerons les facults de l'me irraisonnable plus que l'intelligence et la raison, alors nous nous garons dans le monde sensible et nous sommes soumis la fatalit, c'est--dire l'action qu'exercent sur nous les circonstances extrieures, par consquent, l'influence des astres ; dans ce cas, nous partageons les passions du corps. Les maux que l'on voit ici-bas ne proviennent pas de la volont des astres ; ils ont des causes diverses, telles que l'action des tres les uns sur les autres, la rsistance de la matire la forme, etc. La gnration de l'homme ne s'explique pas non plus par l'influence seule des astres ; il faut y tenir compte du rle des parents, des circonstances extrieures, de l'action de l'me universelle. Si l'on veut remonter au principe gnral de toutes les choses qui arrivent ici-bas, il faut dire : L'me gouverne l'Univers par la Raison, comme chaque animal est gouvern par la raison sminale qui faonne ses organes et les met en harmonie avec te tout dont ils sont des parties. Les raisons sminales de tous les tres tant contenues dans la Raison totale de l'univers, il en rsulte que tous les tres sont la fois coordonns entre eux, parce qu'ils forment par leur concours la vie totale de l'univers, et subordonns les uns aux autres, parce qu'ils occupent un rang plus ou moins lev selon qu'ils sont anims on inanims, raisonnables ou irraisonnables. La richesse et la pauvret, la beaut et la laideur, etc., proviennent du concours des circonstances extrieures et des causes morales. C'est sous ce rapport que l'homme est soumis la fatalit; il s'en affranchit, quand il exerce les facults qui le constituent essentiellement. Pour bien comprendre ce point, Il faut rsoudre les questions suivantes : 1 Qu'est-ce que sparer l'me du corps? 2 qu'est-ce que l'Animal ? qu'est-ce que l'Homme ? Elles seront discutes ailleurs. Le rle que la puissance de l'me joue dans l'univers donne lieu plusieurs questions. On peut les rsoudre par le dveloppement du principe suivant : L'me gouverne l'univers par la Raison. Comme la raison sminale de chaque individu comprend tous les modes de l'existence du corps qu'elle anime, et que la Raison totale de l'univers comprend les raisons sminales de tous les individus, il en rsulte que gouverner l'univers par la Raison, c'est, peur l'me, faire arriver l'existence et dvelopper successivement dans le monde sensible toutes les raisons sminales contenues dans la Raison totale de l'univers. Pour cela, elle n'a pas besoin de raisonner. Il lui suffit d'un acte d'imagination par lequel, tout en demeurant en elle-mme, elle produit la fois la matire et les raisons sminales qui, en faonnant la matire, constituent tous les tres vivants. De l vient que toutes choses forment un ensemble harmonieux, et que mme ce qui est moins bon concourt la perfection de l'univers. L'me universelle comprend deux parties analogues aux deux parties de l'me humaine : ce sont la Puissance principale de l'me et la Puissance naturelle et gnratrice. La Puissance principale de l'me contemple l'Intelligence divine et conoit ainsi les ides ou formes pures dont l'ensemble constitue le monde intelligible. La Puissance naturelle et gnratrice reoit de la Puissance principale de l'me les ides sous la forme de raisons sminales, dont l'ensemble constitue la Raison totale de l'univers; elle transmet ces raisons la matire, et donne ainsi naissance tous les tres. Il en rsulte que le monde sensible est fait la ressemblance du monde intelligible, et que c'est une image qui se forme perptuellement.

    Livre Treize - De la Matire.

    Les philosophes s'accordent dfinir la matire la substance, le sujet, le rceptacle des formes. Mais les uns [les Stociens] regardent la matire comme un corps sans qualit; les autres [les Pythagoriciens, les Platoniciens, les Pripatticiens] la croient incorporelle; quelques-uns de ces derniers en distinguent deus espces, la substance des corps ou matire sensible, et la substance des formes incorporelles ou matire intelligible. DE LA MATIRE INTELLIGIBLE. - L'existence de la matire intelligible soulve plusieurs difficults: il semble qu'il ne saurait y avoir dans le monde intelligible rien d'informe ni de compos. Pour rpondre ces objections, il suffit de remarquer qu'appliqus aux tres intelligibles les termes d'informe et de compos n'ont qu'une valeur relative : par exemple, l'me n'est informe que par rapport l'intelligence qui la dtermine. En outre, la matire intelligible est immuable et toujours unie une forme. Pour expliquer son existence, il faut considrer que les ides ou essences ont quelque chose de commun et quelque chose de propre qui les diffrencie les unes des autres : ce qu'elles ont de commun, c'est leur matire; ce qu'elles ont de propre, c'est leur forme. Ainsi, la matire des ides est le sujet unique des diffrences multiples. Elle est le fond des choses ; et, comme la forme, l'essence, l'ide, la raison, l'intelligence sont appeles la lumire, la matire est assimile aux tnbres. Mais il y a une grande diffrence entre le fond tnbreux des choses intelligibles et celui des choses sensibles. La forme des intelligibles possdant une vritable ralit, leur substance a le mme caractre; c'est une essence ternelle, immuable. Sa raison d'tre est que chaque intelligible est informe ayant d'tre dtermin par son principe gnrateur : c'est ainsi que l'me reoit sa forme de l'Intelligence, et l'Intelligence de l'Un, qui est la source de toute lumire. DE LA MATIRE SENSIBLE. L'existence de la matire sensible, qui sert de sujet aux corps, se dmontre par la transformation des lments les uns dans les autres, par la destruction des choses visibles, etc. Elle n'est ni le mlange d'Anaxagore, ni l'infini d'Anaximandre, ni les lments d'Empdocle, ni les atomes de Dmocrite. La

  • matire premire (qu'il faut bien distinguer de la matire propre) est une, simple, sana qualit ni quantit. Elle reoit sa quantit comme toutes ses qualits de la forme ou essence. La matire n'a point de quantit parce que l'tre est distinct de la quantit: par exemple, la substance incorporelle n'a point d'tendue. L'esprit peut d'ailleurs concevoir la matire sans quantit. Pour cela, Il n'a qu' faire abstraction de la quantit et de toutes les qualits des corps; tant ainsi arriv un tat d'indtermination, il conoit la matire en vertu de cette indtermination mme et il reoit l'impression de l'informe. Pour composer les corps, il ne suffit pas de la quantit et des qualits ; il faut encore un sujet qui les reoive. Ce sujet, c'est la matire premire, qui n'a point d'tendue. Elle n'est point, comme on l'a avanc, la quantit spare des qualits. Elle possde l'existence, quoique son existence ne soit pas claire pour la raison ni saisissable par les sens. Si la matire n'est pas la quantit, elle n'est pas non plus une qualit commune tous les lments. On ne saurait d'ailleurs regarder comme une qualit la privation, qui est l'absence de toute proprit. La matire n'est pas l'altrit, mais seulement une disposition devenir les autres choses. Elle n'est pas non plus le non-tre, mais seulement le dernier degr de l'tre. La matire n'est pas l'infini par accident ; elle est l'infini mme, dans le monde intelligible comme dans le monde sensible. Cet infini, qui constitue la matire, procde de l'infinit de l'Un; mais entre l'infini de l'Un et l'infini de la matire il y a cette diffrence que le premier est l'infini idal et le second l'infini rel. Ce caractre d'infini se concilie fort bien dans la matire avec la privation de toute quantit et de toute qualit. tant prive de la forme, qui est la source de toute beaut et de toute bont, la matire est par cela mme laide et mauvaise. En rsum, dans le monde intelligible, la matire est l'tre parce que ce qu'il y a au-dessus d'elle, l'Un, est suprieur l'tre; dans le monde sensible, la matire est le non-tre, parce que ce qu'il y a au-dessus d'elle, l'Essence ou la Forme, est l'tre vritable.

    Livre Quatorze - De ce qui est en Puissance et de ce qui est en Acte.

    Quand on dit qu'une chose est en puissance, c'est parce qu'elle peut devenir autre que ce qu'elle est : c'est ainsi, par exemple, que l'airain est en puissance une statue. tre en puissance n'est pas d'ailleurs la mme chose qu'tre me paissance, si l'on entend la puissance productrice. La puissance est oppose l'acte, tre en puissance tre en acte. La chose qui est ainsi en puissance est le sujet des modifications passives, des formes et des caractres spcifiques, c'est-dire la matire. Ce qui est en puissance tant la matire, ce qui est en acte est la /orme. Une substance corporelle, comme l'airain, ne peut tre la fois en puissance et en acte une autre chose, par exemple une statue. Une substance incorporelle, comme l'me, peut tre la fois en puissance et en acte une autre chose, pat exemple le grammairien. On donne souvent le nom d'acte la forme de tel ou tel objet. Ce nom conviendrait mieux l'acte qui n'est pas la forme de tel ou tel objet, l'acte correspondant d la puissance qui amne une chose l'acte. Quant la puissance qui produit par elle-mme ce dont elle est la puissance, elle est une habitude. Si l'on applique au monde intelligible les considrations prcdentes, on voit, en examinant l'intelligence et l'me, que tout intelligible est en acte et est acte. Dans le monde sensible, au contraire, ce qui est une chose en puissance est sale autre chose en acte. Quant la matire, elle est en puissance tous les tres et elle n'est aucun d'eux en acte; on l'appelle l'informe par opposition la forme, le non-tre par opposition l'tre, dont elle n'est qu'une faible et obscure image. L'tre de la matire est ce qui doit dire, ce qui sera, la puissance de devenir toutes choses.

    Livre Quinze - De l'Essence et de la Qualit.

    Dans le monde intelligible, les qualits sont des diffrences essentielles dans l'tre ou dans l'essence. Dans le monde sensible, il y a deux espces de qualits : la qualit essentielle, qui est une proprit de l'essence, et la simple qualit, qui fait que l'essence est de telle faon et qui lui donne une certaine disposition extrieure. Ce qui constitue une quiddit dans le monde intelligible devient une qualit dans le monde sensible. L'essence est la forme et la raison. La qualit est une disposition soit originelle, soit adventice dans l'essence. La qualit intelligible diffre de la qualit sensible en ce que la premire est la proprit qui diffrencie une essence d'une autre essence, et que la seconde consiste dans une simple modification, un accident, une habitude, une disposition, qui ne fait point partie de l'essence d'un tre.

  • Livre Seize - De la Mixtion o il ya Pntration totale.

    La mixtion, qu'il ne faut pas confondre avec la juxtaposition, a pour caractre de former un tout homogne. Il y a ce sujet deux opinions : selon les Pripatticiens, dans la mixtion de deux corps, les qualits seules se mlent et les tendues matrielles ne sont que juxtaposes ; selon les Stociens, deux corps qui constituent un mixte se pntrent totalement On peut objecter aux Stociens que, si les qualits s'altrent et se confondent dans la mixtion, il ne saurait en tre de mme des tendues corporelles; aux Pripatticiens, que des qualits incorporelles peuvent pntrer un corps sans le diviser, et que la matire ne possde pas plus, en vertu de sa nature propre, l'impntrabilit que toute autre qualit. Si l'on examine l'essence du corps, on voit qu'il est le compos de toutes les qualits runies avec la matire. Cet ensemble de qualits constitue la corporit, qui est une forme, une raison.

    Livre Dix-sept - De la Vue.

    Pourquoi les objets loigns paraissent-ils petits) ? D'o vient que les objets paraissent plus petits dans l'loignement ? C'est que, lorsqu'un corps est prs de nous, nous voyons quelle est son tendue colore, et que, lorsqu'il se trouve loign, nous voyons seulement qu'il est color. L'tendue, tant lie la couleur, diminue proportionnellement arec elle ; en mme temps que la couleur devient moins vive, l'tendue devient moins grande, et la quantit dcrot ainsi avec la forme.

    Livre Dix-huit - Contre les Gnostiques.

    Il y a trois hypostases divines, l'Un ou le Bien, l'Intelligence, l'me universelle. L'Un ou le Bien est, en vertu de sa simplicit mme, le Premier et l'Absolu. On ne saurait donc distinguer en lui l'acte et la puissance [comme les Gnostiques ont distingu dans Bythos ; Ennoa et Thelesis. L'Intelligence runit en elle-mme, jusqu' la plus parfaite identit, le sujet pensant, l'objet pens et la pense mme. Il en rsulte qu'on ne saurait admettre avec les Gnostiques l'existence de plusieurs Intelligences, dont l'une serait en repos et l'autre en mouvement, ou dont l'une penserait et l'autre penserait que la premire pense [comme le Nous et le Logos de Valentin. La Raison qui dcoule de l'Intelligence dans l'me universelle ne constitue pas non plus une hypostase distincte de l'Intelligence et de l'me et intermdiaire entre elles [comme le second Logos ou l'on Jsus de Valentin. -- Enfin, l'me universelle, laquelle notre me est unie sans se confondre avec elle, contemple le monde intelligible, et, sans raisonner ni sortir d'elle mme, embellit le monde sensible avec une admirable puissance en faisant rayonner sur lui la lumire qu'elle reoit elle-mme de l'Intelligence. Il est dans la nature des trois hypostases de communiquer chacune quelque chose de leurs perfections aux tres infrieurs. Il en rsulte que ces tres sont perptuellement engendrs par les trois hypostases. La matire elle-mme existe de tout temps parce qu'elle rsulte ncessairement des autres principes ; de tout temps aussi elle reoit du monde intelligible les formes qui constituent les tres sensibles. Elle n'est donc pas, comme l'imaginent les Gnostiques, une nature qui ait t cre un moment dtermin et qui doive prir ; elle n'occupe pas non plus une rgion qui soit entirement spare du monde intelligible par une limite infranchissable [l'Horus de Valentin, Les vrits prcdentes ont t compltement mconnues par les Gnostiques. Ils prtendent que l'me [Achamoth] a cr par suite d'une chute, qu'elle s'est repentie, et qu'elle dtruira le monde ds que les mes individuelles auront accompli leur oeuvre ici-bas ; car, dans ce systme, le monde n'est qu'une uvre imparfaite. Les Gnostique croient que leur me est d'une nature suprieure aux mes des astres et l'me du Dmiurge, laquelle est, selon eux, compose des lments. Ils enseignent aussi qu'il existe un principe intermdiaire entre le monde intelligible et le monde sensible, et ils lui donnent les noms de Terre nouvelle et de Raison du monde. Ils disent qu'ils ont reu dans leurs mes une manation de ce principe, et qu'ils iront se runir lui aprs leur mort. Mais on ne voit pas bien si, dans leur systme, ce principe est antrieur ou postrieur la cration du monde, ni comment il est ncessaire au salut des mes. Les Gnostiques parlent encore d'empreintes, d'exils, de repentirs, de jugements, de mtensomatoses. Tous ces mots pompeux ne servent qu' dguiser les emprunts qu'ils ont faits Platon. C'est Platon qu'ils ont pris tout ce qu'ils enseignent sur le Premier [l'Un], sur l'existence du monde intelligible, sur l'immortalit de l'me et sur la ncessit de la sparer du corps. Mais, en mme temps ils dfigurent la doctrine du sage auquel ils sont si redevables : ils font de l'Intelligence divine plusieurs hypostases [Nous, Logos] ; ils admettent qu'il existe en dehors de cette Intelligence d'autres essences intelligibles [les bons]. Pour donner du crdit leurs ides, ils cherchent rabaisser indignement la sagesse antique des Grecs. Cependant, ces innovations dont ils sont si fiers se bornent supposer l'existence d'un grand nombre d'ons, se plaindre de la constitution de l'univers, critiquer la puissance qui le gouverne, identifier le Dmiurge avec l'Ave universelle, et donner cette me les mmes passions qu'aux mes individuelles. Il y a de grandes diffrences entre l'Ave universelle et notre me. Tandis que notre me a t lie au corps involontairement, et souffre de l'union qu'elle a contracte avec lui, l'me universelle, au contraire, n'a pas besoin de se dtourner de la contemplation du monde intelligible pour gouverner le monde sensible et lui communiquer quelque chose de ses perfections.

  • 7Quant au monde sensible, son existence est ncessaire parce qu'il est dans la nature des principes intelligibles de crer pour manifester leur puissance. Infrieur au monde intelligible, il en offre une image aussi parfaite que possible, soit que l'on considre les astres mis en mouvement par des finies divines, soit que l'on abaisse ses regards sur la terre o, malgr les obstacles qu'elle rencontre l'exercice de ses facults, notre me peut cependant acqurir la sagesse et mener une vie semblable celle des dieux. D'ailleurs, la justice rgne ici bas, si l'on tient compte des existences successives par lesquelles nous passons. Les Gnostiques ont tort de ne pas vouloir reconnatre que l'univers manifeste la puissance divine, de s'imaginer qu'ils ont une nature suprieure, non seulement celle des autres hommes, mais encore celle des astres, de croire enfin qu'ils ont le privilge d'entrer seuls en communication avec le Bien [Bythos] et de jouir exclusivement de sa grce. On ne peut voir sans tonnement avec quelle jactance ces hommes se vantent de possder la science parfaite des choses divines: car il est facile de montrer combien leur doctrine soulve d'objections. Eu voici le rsum: L'me [Sophia suprieure] a inclin, c'est--dire a illumin les tnbres de la matire. De cette illumination de la matire est ne la Sagesse [Achassoth] qui a inclin aussi. Les membres de la Sagesse [les natures pneumatiques] sont descendus en mme temps ici-bas pour entrer dans des corps. En outre, aprs avoir conu la Raison du monde ou la Terre trangre, la Sagesse a cr et produit des images psychiques [les natures psychiques]. C'est ainsi qu'elle a donn naissance au Dmiurge, qui est compos de matire et d'une image. Ce Dmiurge lui-mme, s'tant spar de sa mre, a fait les tres corporels l'image des tres intelligibles [des ons]. il a form successivement le feu et les trois autres lments, les astres, le globe terrestre, enfin toutes les choses qui taient contenues dans le type du monde. Si l'on examine attentivement en quoi consiste cette illumination des tnbres par laquelle les Gnostiques expliquent la cration de toutes choses, on peut amener ces hommes reconnatre les vrais principes du monde, les forcer d'avouer que tous les tres ont reu des premiers principes leur matire aussi bien que leur forme, et que les tnbres sont nes du monde intelligible comme la lumire elle-mme. On n'a donc pas le droit de se plaindre de la nature du monde puisqu'un enchanement troit unit les choses du premier, du second et du troisime rang, et descend jusqu' celles du plus bas degr. Le mal n'est que ce qui, par rapport la sagesse, est moins complet, moins bon, eu suivant toujours une chelle dcroissante. Non seulement les Gnostiques mprisent le monde visible, mais ils prtendent par leur puissance magique commander aux tres intelligibles aussi bien qu'aux dmons. Leur but unique est d'imposer au vulgaire par leur jactance. Les gens sages ne sauraient donc trouver aucun profit tudier un pareil systme. La morale des Gnostiques est encore pire que la doctrine qu'ils enseignent sur Dieu et sur l'univers. Ils retissent tout respect aux lois tablies ici-bas et prtendent que les actions ne sont bonnes ou mauvaises que d'aprs l'opinion des hommes. Aux prceptes de vertu que nous ont lgus les anciens, ils veulent substituer cette maxime : Contemple Dieu. Mais rien n'empche de s'abandonner aux passions, comme ils le font, tout en contemplant Dieu. Sans la vritable vertu, Dieu n'est qu'un mot. La cause principale des erreurs dans lesquelles tombent les Gnostiques, c'est qu'ils mprisent les astres et qu'ils s'imaginent que le monde visible est compltement spar du monde intelligible. Selon eux, Dieu prive l'univers de sa prsence, et sa Providence ne s'tend qu'aux pneumatiques. Pour reconnatre leur erreur, il suffit de considrer la beaut du monde visible : car il ne peut tre beau que parce qu'il participe aux perfections du monde intelligible et qu'il en offre une fidle image. On a le droit d'en dire autant de la sphre cleste. Le mpris que les Gnostiques affectent pour les merveilles qui frappent tous les regards est une preuve de leur perversit. C'est en vain que ces hommes prtendent que leur doctrine est suprieure aux autres en ce qu'elle inspire de la haine pour le corps. Ce n'est pas en critiquant l'uvre de l'Ame universelle, c'est en s'affranchissant des passions par la vertu qu'on devient semblable Dieu et qu'on s'lve la contemplation du monde intelligible.

  • Premier Corpus - L'HOMME - Le MONDE - Le DESTIN -

    - Ce corpus est compos de trois Ennades de neuf livres chacune -

    - Troisime Ennade - La Physique et le Destin -

    Livre Dix-neuf - Du Destin.

    Les essences premires n'ont point de cause parce qu'elles existent toujours. Les essences qui dpendent des essences premires tiennent d'elles aussi l'existence. Quant aux choses qui deviennent, elles ont toutes une cause. Seulement les philosophes en expliquent la production de diverses manires. Les uns rapportent tout aux atomes ou aux lments, d'autres au Destin, qu'ils dfinissent de diffrentes faons, d'autres encore aux astres.La doctrine des atomes ne peut rendre compte des faits qui se produisent dans le monde, parce qu'elle suppose que tout arrive par hasard. La doctrine des lments soulve les mmes objections. On ne peut admettre (comme Hraclite) qu'une cause, appele Destin, agisse seule dans l'univers : car un pareil systme dtruirait l'enchanement des effets et des causes, puisqu'il n'existerait ds lors qu'un seul tre, qui agirait dans tous les autres tres. Il ne convient pas davantage de rapporter tout ce qui arrive l'action des astres, comme le font les astrologues. Sans doute les astres exercent une influence physique sur notre corps, mais ils ne peuvent rien sur notre me. Nous devons d'ailleurs nos parents beaucoup de nos qualits corporelles. Les astres ne sont donc pas les auteurs des vnements ; ils n'en sont que les signes en vertu des lois de l'analogie. La doctrine (stocienne) que toutes choses drivent l'une de l'autre par un enchanement fatal dtruit la libert humaine, parce que, dans ce cas, toutes nos dterminations sont des impulsions que nous recevons du Destin. Pour sauver la libert de l'homme sans dtruire l'enchanement et l'ordre des faits dans l'univers, il faut admettre deux espces de causes : d'abord l'me humaine, puis les causes secondes qui dpendent de l'me universelle. Quand l'me humaine se dtermine un acte par l'influence que les choses extrieures exercent sur elle, elle n'est point libre. Ses actes ne sont vraiment indpendants que quand elle obit la raison pure et impassible, qu'elle n'est point gare par l'ignorance ni domine par la passion.

    Livre Vingt - De la Providence - 1. Il ne suffit pas d'admettre que le monde doit son existence une cause intelligente; il faut encore montrer comment les maux que nous voyons se concilient avec la sagesse de la Providence. Le monde a pour cause, non une Providence particulire, semblable la rflexion de l'artiste qui dlibre avant d'excuter son uvre, mais une Providence universelle, savoir l'Intelligence, principe, archtype et paradigme de tout ce qui existe. D'abord, l'Intelligence constitue elle-mme le monde intelligible, unit vivante et intelligente, permanente et immuable, type de la perfection et de la batitude. Ensuite, en vertu d'une ncessit inhrente son essence, elle engendre le monde sensible, qui est le thtre de la pluralit, de la division, de la lutte des contraires, parce qu'il est un mlange de la matire et de la raison. L'harmonie qu'on y dcouvre lui est donne par l'me universelle qui le gouverne. Quoique le monte sensible soit bien infrieur au monde intelligible, il est cependant le plus beau et le meilleur des mondes possibles o la matire entre comme lment: il procde ncessairement d'une cause excellente et divine; il est achev, complet, harmonieux dans son ensemble et ses dtails; enfin, il est bon, preuve que tout y aspire au Bien et y reprsente l'Intelligence selon son pouvoir. Les parties du monde se transforment, mais ne prissent pas. Les mes animent tour tour des corps diffrents : de l nat la lutte des natures opposes, la mort, la transgression de la loi suprme. Les mes qui coutent les apptits du corps en sont justement punies; elles n'ont pas le droit de rclamer la flicit divine lorsqu'elles ne se sont pas leves ellesmmes un tat divin. Quant la pauvret, aux maladies et aux autres souffrances, elles sont indiffrentes aux hommes vertueux et utiles aux mchants; elles rentrent dans l'ordre de l'univers, parce qu'elles nous forcent lutter contre les obstacles, distinguer le bien du mal. Ainsi, les maux qui sont invitables dans la constitution de l'univers, puisque celui-ci doit tre moins parfait que sa cause, ont cependant de bons rsultats et se concilient parfaitement avec l'existence de la Providence: car le mal n'est qu'un dfaut de bien. On demande comment il se fait que les hommes vicieux obtiennent si souvent tous les avantages auxquels on attache tant de prix, richesses, honneurs, beaut, etc., et que les hommes vertueux aient une condition contraire. - Pour rpondre cette objection et toutes celles qu'on peut lever contre la Providence, il faut remarquer en gnral que les choses sensibles ne sauraient atteindre la perfection des choses intelligibles, et en particulier que Dieu n'est point responsable des actes volontaires et libres des mes. D'ailleurs, l'homme n'occupe dans l'univers qu'un rang intermdiaire entre Dieu et la brute. Pour obtenir les avantages auxquels on attache du prix, il faut faire les actes de l'accomplissement desquels dpend leur possession. On ne peut raisonnablement demander la Providence de venir chaque instant suspendre les lois de la nature et en interrompre le cours, par son intervention. En effet, l'action de la Providence ne doit pas anantir la libert de l'homme : son rle est d'assurer chacun, soit ici-bas, soit aprs la mort, la rcompense ou la punition qu'il a mrite par sa conduite. Elle rappelle d'ailleurs toujours l'homme la raison et la vertu par les moyens dont elle dispose. Les mchants sont pleinement responsables de leurs actions parce que ce sont eux qui les font. Leur mchancet mme leur est imputable, parce que c'est une disposition conforme leur volont. La Raison de l'univers n'a pas d donner tout une perfection uniforme, parce que les ingalits mmes et les diffrences des

  • tres contribuent la beaut de l'univers, que chacun d'eux pris sparment a ses diffrences propres qui constituent son individualit, et que tous pris ensemble ralisent toutes les essences contenues dans le monde intelligible. Pour juger le monde sensible, il ne suffit pas de considrer l'tat prsent des choses ; il faut encore embrasser toute la srie des faits passs et futurs o s'exerce la justice distributive de Dieu. On dcouvre alors un ordre admirable. Si chaque individu, considr isolment; laisse dsirer, c'est parce qu'il ne peut runir en lui seul toutes les perfections de son espce. Quant aux objections particulires que soulve le spectacle du monde, on peut rpondre que la destruction des animaux les uns par les autres est une des conditions de la vie universelle, que la guerre n'est qu'un jeu puisqu'elle n'anantit pas l'me, etc. En gnral, toutes les choses qui sont pnibles pour la partie animale de notre tre constituent des incidents varis du drame immense dont la terre est le thtre. Si l'on remonte aux principes, on voit que la Raison du monde procde de l'me universelle et de l'Intelligence divine. C'est un acte, une vie, dont l'unit consiste dans une harmonie forme par mille sous divers. La pluralit et l'opposition des contraires sont ncessaires dans le monde sensible parce qu'il est un tout, et que la totalit implique la fois unit et varit. La Providence accorde chacun le rle qu'il est le plus propre remplir par ses dispositions naturelles, ses mrites et ses dfauts, et, tout en donnant l'univers sa perfection, exerc en mme temps sa justice distributive. Ainsi, c'est des diffrences intrinsques des mes que naissent les ingalits des conditions. Quant aux ingalits des mes, elles tiennent ce que celles-ci occupent le premier, le deuxime ou le troisime rang dans le drame de la vie, o la nature, prvoyant le rle que jouerait chaque acteur, lui a donn dans son plan une place convenable ses dispositions. Ainsi, le bien qui est ralis ici-bas vient de la Providence, le mal qu'on y rencontre tient aux carts de la libert humaine.

    Livre Vingt-et-un - De la Providence - 2. La Raison de l'univers contient en soi toutes les raisons sminales particulires; chacune de celles-ci contient son tour toutes les actions qu'elle doit produire: car toute raison renferme la pluralit dans l'unit. L'harmonie des raisons particulires dans leur dveloppement constitue l'unit du plan de l'univers. Tout ce qui arrive ici-bas dcoule directement ou indirectement de l'ordre tabli par l'me universelle. Les actes de l'homme, quoiqu'il soit libre, sont compris dans le plan de l'univers, parce que la Providence a tenu compte de notre libert. Notre imperfection morale n'est imputable qu' nous seuls. Les infriorits relatives sont la consquence de la pluralit des tres. IL y a deux rgnes, celui de la Providence et celui du Destin. Il y a aussi deux vies pour l'homme : dans l'une, il exerce la raison et l'intelligence ; dans l'autre, l'imagination et les sens; dans la premire, il est libre ; dans la seconde, il est soumis la fatalit. Il dpend toujours de lui de mener l'une ou l'autre de ces deux espces de vie. Il est donc juste qu'il subisse les consquences de ses actions, qu'il soit rcompens ou puni par la Providence, selon qu'il se conforme ses lois ou qu'il les viole. C'est en vertu de l'enchanement des faits que les astrologues et les devins peuvent prdire les vnements futurs. Toute divination est fonde sur les lois de l'analogie qui rgne dans l'univers. En rsum, sans ingalits, il n'y aurait pas de Providence : car celle-ci, tant le principe suprme dont tout dpend, ressemble un arbre immense dont toutes les parties constitueraient autant d'tres diffrents et cependant unis entre eux.

    Livre Vingt-deux - Du Dmon qui est propre chacun de Nous.

    L'me universelle engendre la Puissance sensitive et la Nature ou Puissance vgtative, par laquelle elle communique la vie aux animaux et aux plantes. La Nature, son tour, engendre la Matire, qui, tant absolument indtermine, ne devient parfaite qu'en recevant la forme avec laquelle elle constitue le corps. C'est par la Puissance sensitive et la Nature que l'me Universelle prend soin, comme le dit Platon, de tout ce qui est inanim. Tandis que l'me universelle, par ses puissances infrieures, communique la vie au corps du monde sans incliner vers lui, l'me humaine, au contraire, s'lve ou s'abaisse selon que, dans ses existences successives, elle exerce principalement sa raison, sa sensibilit ou sa puissance vgtative : par l, elle reste dans le rang qui est assign l'homme, ou bien elle s'abaisse la condition soit de la brute, soit du vgtal. Notre Dmon est la puissance immdiatement suprieure celle qui agit principalement en nous ; selon que nous vivons soit de la vie sensitive, soit de la vie rationnelle, soit de la vie intellectuelle, nous avons pour dmon soit la Raison, soit l'Intelligence, soit le Bien. Nous choisissons donc notre dmon, puisqu'il dpend de nous d'exercer principalement telle facult laquelle prside tel dmon. Il dpend galement de l'me d'incliner vers le corps ou d'lever avec elle-mme au monde intelligible sa puissance vgtative. Dans le second cas, elles demeurent dans le monde intelligible et y ramnent avec elle leur puissance vgtative caractre qu'elle a dpend uniquement de son choix et que les choses extrieures ne sauraient le changer. Elle n'est pas non plus contrainte par son dmon, parce qu'elle en change en changeant de genre de vie. Les mes qui se sont leves l-haut rsident dans le monde sensible ou en dehors du monde sensible. Dans le premier cas, elles habitent dans l'astre qui est en harmonie avec la puissance qu'elles ont dveloppe. Dans le second cas, elles demeurent dans le monde intelligible et y ramnent avec elle leur puissance vgtative ; elles sont alors indpendantes du Destin, l'influence duquel elles ne sont soumises que lorsqu'elles descendent ici-bas.

  • Livre Vingt-trois - De l'Amour. L'amour considr comme passion de l'me humaine est le dsir de s'unir un bel objet. On souhaite tantt

    possder la beaut pour elle-mme, tantt y joindre le plaisir de perptuer l'espce en produisant dans le monde sensible une image temporaire des essences ternelles du monde intelligible. L'amour considr comme dieu est

    l'hypostase (l'acte substantiel) de Vnus Uranie, c'est--dire de l'me cleste. Il est et l'il par lequel elle contemple Cronos (qui reprsente l'Intelligence divine), et la vision mme qui en nat. L'amour considr comme dmon est fils de Vnus populaire, c'est--dire de l'me intrieure, engage dans le monde ; il prside avec elle aux mariages. Il est

    le dsir de l'intelligible et il lve avec lui les mes auxquelles il est uni. En effet, comme l'me universelle, chaque me particulire renferme en elle un amour inhrent son essence : cet amour est un dmon, si l'me laquelle il appartient est mle la matire ; c'est un dieu, si l'me laquelle il appartient est pure. On ne peut admettre que l'Amour soit le monde [comme l'avance Plutarque de Chrone] : les attributs que Platon lui prte dans le Banquet

    n'auraient aucun sens raisonnable dans cette hypothse. Les amours et les dmons ont une origine commune. Ils occupent un rang intermdiaire entre les dieux et les hommes. Cependant, parmi les dmons, ceux-l seuls sont des amours qui doivent leur existence au dsir que l'me humaine a du Bien. Les autres dmons sont engendrs par les diverses puissances de l'me universelle pour l'utilit du Tout. Ils ont des corps ariens ou igns. Reste expliquer le mythe de la naissance de l'amour tel qu'il se trouve dans le Banquet de Platon. - L'Amour est, ainsi que les autres dmons, mlang d'indtermination et de forme : il participe la fois l'indigence (Penia) et l'abondance (Poros),

    parce qu'il dsire et qu'il fait acqurir le bien qu'il est destin procurer ; c'est en ce sens qu'il est fils de Penia et de Poros. Vnus est l'me, Jupiter, l'Intelligence. Poros reprsente les raisons ou ides qui passent de l'Intelligence dans l'me, et le jardin de Jupiter, la splendeur des ides. Les mythes divisent sous le rapport du temps ce qu'ils racontent

    ; ils prsentent comme spares les unes des autres des choses qui existent simultanment, mais qui sont loignes par leur rang ou par leurs puissances.

    Livre Vingt-quatre - De l'Impassibilit des Choses incorporelles. DE L'IMPASSIBILIT DE L'ME. Dans la sensation, il faut distinguer la passion et le jugement : la premire appartient au corps : le second, l'me. tant une essence intendue et incorruptible, l'me ne peut prouver aucune altration qui impliquerait qu'elle est prissable. Si l'on dit qu'elle prouve une passion, Il faut donner ce mot un sens mtaphorique, comme on le fait pour les expressions : arracher de l'me un vice, y introduire la vertu, etc. En effet, la vertu consiste ce que toutes les facults soient en harmonie ; le vice n'est que l'absence de la vertu ; il en rsulte que ni la vertu ni le vire n'introduisent dans l'me quelque chose d'tranger sa nature. En gnral, passer de la puissance l'acte, produire une opration, n'a rien de contraire l'inaltrabilit d'une essence immatrielle; ptir en agissant n'appartient qu'au corps. Il en rsulte que les opinions, les dsirs et les aversions, et tous les faits qu'on appelle par mtaphore des passions et des mouvements ne changent pas la nature de l'me. On nomme partie passive de l'me celle qui prouve les passions, c'est--dire les faits accompagns de peine ou de plaisir. Il faut y bien distinguer ce qui appartient an corps et ce qui appartient l'me : ce qui appartient au corps, c'est l'agitation sensible qui se produit dans les organes, telle que la pleur; ce qui appartient l'me, c'est l'opinion qui produit la peine ou le plaisir et qui se rattache elle-mme l'imagination. La partie passive est donc une forme engage dans la matire ; elle ne ptit pas elle-mme ; elle est seulement la cause des passions, c'est--dire des affections prouves par le corps. Si, quoique l'me soit impassible, on dit qu'il faut l'affranchir des passions, c'est que, par ses reprsentations, l'imagination produit dans le corps des mouvements d'o naissent des craintes qui troublent l'me. Affranchir l'me des passions, c'est la dlivrer des conceptions de l'imagination. La purifier, c'est la sparer du corps, c'est--dire l'lever d'ici-bas aux choses intelligibles. DE L'IMPASSIBILIT DE LA FORME ET DE LA MATIRE. L'tre absolu est impassible: car, possdant de soi et par soi l'existence, il se suffit pleinement lui-mme, il est par consquent parfait, ternel, immuable, possde la vie et l'intelligence. On se trompe quand on croit que le caractre de la ralit est l'impntrabilit : cette proprit n'appartient qu'aux corps ; plus ils sont durs et pesants, moins ils sont mobiles, moins ils participent de l'tre. La matire est impassible, mais pour une autre raison que l'tre absolu ; elle est impassible, parce qu'elle est le non-tre. N'tant ni tre, ni intelligence, ni me, ni raison sminale, ni corps, elle est une espce d'infini; elle peut toujours devenir toutes choses indiffremment, parce qu'elle ne possde aucune forme, qu'elle n'est qu'une aspiration l'existence. En recevant successivement des qualits contraires, elle n'est pas plus altre qu'un miroir ne l'est par une image. Ce qui ptit, c'est le corps compos de la forme et de la matire. Quant la matire elle-mme, elle demeure immuable au milieu des changements que les qualits contraires se font subir les unes aux autres, comme la cire garde sa nature en changeant de forme, comme un miroir reste toujours le mme, quelles que soient les images qui viennent s'y peindre. En effet, tant le commun rceptacle de toutes choses, la matire ne peut tre altre en tant que matire. Tout en participant aux ides, la matire reste impassible, parce que cette participation consiste dans une simple apparence : elle n'est affecte en aucune faon en recevant les formes; elle en est seulement le lieu. Ne recevant rien de rel quand les images des ides entrent en elle, la matire demeure toujours insatiable cause de son indigence naturelle. Les raisons sminales qui sont dans la matire ne se mlent pas avec elle; elles y trouvent seulement une cause d'apparence. La matire n'est pas la substance tendue. En recevant de la raison sminale la forme, elle en a reu en mme temps la quantit et la figure. Elle n'est grande que parce qu'elle contient les images de toutes les ides, par consquent l'image de la grandeur mme. Ne possdant pas rellement la forme, elle ne possde pas nos plus rellement la grandeur, elle n'en a que l'apparence. La grandeur apparente de la matire doit son origine la procession de l'me universelle qui, en produisant hors d'elle l'Ide de grandeur, a donn la matire l'extension qu'elle possde dans son tat actuel. La quantit et les qualits auxquelles la matire

  • sert de sujet y entrent sans lui faire partager les passions qu'elles subissent elles-mmes. La matire reste donc impassible au milieu de tous les changements produits par l'action que les contraires exercent les uns sur les astres. Aussi est-elle compltement strile. La forme seule est fconde.

    Livre Vingt-cinq - De l'ternit et du Temps. Tout le monde sait que l'ternit se rapporte ce qui existe perptuellement, et le Temps, ce qui devient. Il n'en est pas moins ncessaire d'approfondir ces notions pour s'en rendre compte et pour bien comprendre les dsunions qu'en ont donnes les anciens philosophes. L'ternit est la forme de la vie qui est propre l'tre intelligible : elle n'est ni l'tre intelligible ni le repos de cet tre ; elle est la proprit qu'a sa vie d'tre permanente, immuable, indivisible, infinie, et de possder une plnitude perptuelle qui exclut la distinction du pass et de l'avenir. Les choses engendres, au contraire, ne sont rien sans leur futur, parce que leur existence consiste raliser continuellement leur puissance. Nous concevons l'ternit en contemplant l'tre intelligible dans la perptuit et la plnitude de sa vie parfaite. Nous voyons ainsi que l'ternit peut se dfinir : la vie qui est actuellement infinie parce qu'elle est universelle et qu'elle ne perd rien. Cette vie est immuable dans l'unit, parce qu'elle est unie l'Un, qu'elle en sort et y retourne. Il en rsulte qu'elle exclut toute succession, qu'elle est permanente, qu'elle est toujours, comme l'indique l'tymologie du mot, ternit, l'tre qui est toujours. L'me humaine conoit l'ternit aussi bien que le temps, parce qu'elle participe la fois l'ternit et au temps. Pour se rendre compte de ce fait, il faut descendre de l'ternit au temps, afin d'tudier la nature de ce dernier. 1 Le Temps n'est pas le mouvement en gnral, parce que le mouvement s'opre dans le temps, et que le mouvement peut s'arrter tandis que le temps ne saurait suspendre son cours. Il n'est pas non plus le mouvement circulaire des astres, parce que les astres ne se meuvent pas tous avec la mme vitesse. 2 Le temps n'est pas non pas le mobile, c'est--dire, la sphre cleste, puisqu'il n'est mme pas le mouvement de cette sphre. 3 Le temps n'est pas non plus quelque chose du mouvement. Il n'est point l'intervalle du mouvement, que l'on donne au mot intervalle le sens d'espace ou celui de dure : car, dans le premier cas, on confond le temps avec le lieu ; dans le second cas, tous les mouvements n'ont pas la mme vitesse. Si l'on dit que le temps est l'intervalle du mouvement mme, cet intervalle est le temps, et l'on ne dfinit rien. Le temps n'est point la mesure du mouvement, soit que l'on considre le temps comme une quantit continue, soit qu'on le regarde comme un nombre : car, dire que le temps est la mesure du mouvement, c'est faire connatre une de ses proprits, ce n'est pas dfinir son essence ; d'un autre ct, prtendre que le temps est une quantit mesure ou un nombre nombr, c'est supposer qu'il n'a point de ralit en dehors de l'me qui le mesure ou qui le nombre. Le temps n'est point une consquence du mouvement : car cette dfinition n'a point de sens. Le temps est l'image mobile de l'ternit immobile. De mme que l'ternit est la vie de l'Intelligence, le temps est la vie de l'me considre dans le mouvement par lequel elle passe sans cesse d'un acte d'un autre. Il apparat donc dans l'me; il est en elle et avec elle. Son cours se compose de changements gaux, uniformes, et il implique continuit d'action. Il est engendr par la vie successive et varie qui est propre l'me, et il a pour mesure le mouvement rgulier de la sphre cleste : car le temps a la double proprit de faire connatre la dure du mouvement et d'tre mesur lui-mme par le mouvement. Il est donc ce dans quoi tout devient, tout se meut ou se repose avec ordre et uniformit. Le mouvement de l'univers se ramne au mouvement de l'me qui l'embrasse, et le mouvement de l'me se ramne lui-mme au mouvement de l'intelligence. Le temps est prsent partout, parce que la vie de l'me est prsente dans toutes les parties du monde. Il est prsent aussi dans nos mes, parce qu'elles ont une essence conforme l'essence de l'me universelle.

    Livre Vingt-six - De la Nature, de la Contemplation, et de l'UN. Pour produire, la Nature contemple les raisons sminales contenues dans l'me universelle, l'me universelle contemple les ides de l'Intelligence, et l'Intelligence contemple la puissance de l'Un. Pour produire, il ne faut la Nature que la matire qui reoit la Ds qu'elle possde la matire, elle lui donne la forme sans le secours d'aucun instrument, parce qu'elle est une puissance qui meut sans tre mue elle-mme, c'est--dire une raison sminale. tant une ration, la Nature est une contemplation. Sans doute, elle ne se contemple pas elle-mme et elle ne dlibre pas; son action n'en est pas moins une contemplation, parce qu'elle ralise une pense. Seulement, la contemplation silencieuse et calme qui est propre la Nature est infrieure la pense dont elle procde et qu'elle ralise : car l'action implique toujours faiblesse d'intelligence. Place au-dessus de la Nature, l'me universelle, par sa partie suprieure, contemple l'Intelligence divine, et, par sa partie infrieure, engendre un acte qui est l'image de sa contemplation ; mais, dans cette procession, la contemplation qui est engendre est ncessairement infrieure celle qui l'engendre. Toute action a pour origine et pour fin sa contemplation. On agit toujours en vue du bien, on veut le possder, ce qui ramne l'action la contemplation. Plus on a la confiance de possder le bien, plus la contemplation est tranquille, plus elle s'approche de l'acte o la contemplation et l'objet contempl ne font qu'une seule et mme chose. Dans le monde sensible comme dans le monde intelligible, tout drive de la contemplation, tout y aspire. Si les animaux engendrent, c'est parce qu'une raison sminale agit en eux et les pousse raliser une pense en donnant une forme la matire. Les dfauts de l'uvre tiennent l'imperfection de la contemplation. Puisque la contemplation s'lve par degrs, de la Nature l'me, de l'me l'Intelligence, il y a autant d'espces de vie qu'il y a d'espces de pense. La pense et la vie s'identifient de plus en plus mesure qu'elles se rapprochent de l'Un et du Bien, qui est leur commun principe. La Vie suprme est l'Intelligence suprme, dans laquelle l'intellection et l'intelligible ne font qu'une seule et mme chose. Comme l'intelligence et l'intelligible, quoiqu'ils soient identiques dans l'existence, forment cependant deux termes pour la pense, ils supposent au-dessus d'eux un principe

  • absolument simple, l'Un, le Bien, qui est suprieur l'Intelligence, et que nous ne connaissons point par la pense, mais au moyen de ce que nous avons reu de lui en y participant. Ce principe n'est pas toutes choses, il est au-dessus de toutes choses : il est la source de tous les tres, la racine de ce grand arbre qui est l'univers. Chaque chose a pour principe une unit plus ou moins simple : en remontant d'unit en unit, on arrive une unit absolument simple, au-del de laquelle il n'y a plus rien chercher, parce qu'elle est le principe, la source et