une lecture du « livre noir de la psychanalyse »

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  • 8/9/2019 Une lecture du Livre noir de la psychanalyse

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    B.Brusset, dcembre 2005

    Une lecture du Livre noir de la psychanalyse

    Novembre 2008

    Promenade dans les muses

    Freud, Rodin, Picasso, Delacroix et les autres

    tude critique

    Bernard Brusset prsente : Naccache L. Le nouvel inconscient (Freud Christophe Colomb des

    neurosciences), Paris, O. Jacob, 2006 (465 p.)

    De quoi sagit-il ?

    Cet ouvrage de plus de 800 pages comporte 75 articles, dont plus des deux tiers sont des traductionsde textes en anglais, souvent anciens et connus. C. Meyer, normalienne, a dirig lensemble

    prsentant la psychanalyse comme "une supercherie et une escroquerie" soit successivement : sa

    face cache, son pouvoir occulte, ses impasses, ses victimes, et "la vie aprs Freud" : cest--dire

    essentiellement les thrapies comportementales et cognitives (TCC).

    La premire raction des psychanalystes et des commentateurs de bonne foi est que ce serait faire

    bien des honneurs cette encyclopdie de la mauvaise humeur et de la mauvaise foi dans lhostilit

    la psychanalyse que den faire une recension dtaille. A la rflexion, on se dit que laccumulation

    de toutes les critiques dj faites la psychanalyse pourrait constituer en lui-mme un corpus

    instructif. Mais le plus souvent, il sagit de critiques ressasses depuis lorigine de la psychanalyse,

    sans mthode, sans argumentation, au mpris de toute rigueur scientifique et de toute objectivit.

    La psychanalyse est rduite au petit ct du "freudisme" des origines, ses checs, des critiques ad

    hominem, sa vulgarisation dans les mdias il y a quelques dcennies. Lallure de pamphlet est

    accentu par la prsentation des chapitres successifs probablement pour donner un dnominateur

    commun des positions trs diffrentes et parfois incompatibles, celui du dnigrement et de la

    disqualification de la psychanalyse par tous les moyens.

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    Il est vident que ce livre noir ne sadresse pas aux spcialistes, mais un vaste public suppos

    manipul par le pouvoir occulte des psychanalystes : do lallure de dnonciation dun complot.

    Cest dans lair du temps avec lOpus Dei, les "Protocoles des sages de Sion", le "Prieur" du "Da Vinci

    Code", "Anges et dmons", etc..

    La psychanalyse est dnature, rduite un systme ferm que les psychanalystes appliqueraient

    automatiquement, comme si les thories de Freud taient les mmes en 1895 et en 1938 et que rien

    nait chang depuis lors. Or, les dbats internes la psychanalyse ayant t constants depuis

    lorigine, il est difficile de reconnatre la psychanalyse dans ces schmas, ces citations tronques,

    dcontextualises, mettant sur le mme plan thorie psychanalytique et propos improviss et

    provocateurs de Lacan et de Dolto. A vrai dire, la conception de la psychanalyse de beaucoup de ces

    auteurs est calque sur le mode de penser comportementaliste, techniciste : le langage nest quun

    mode communication, il ny a pas de symptmes, la clinique pour tre scientifique doit exclure non

    seulement le sujet mais aussi le clinicien : son implication est cense disparatre de la mthodeannule par lcran technique des questionnaires et les chelles dvaluation. Lidal est lauto-

    questionnaire. La rponse nest pas le malheur de la question, mais la vrit scientifique

    Il est vrai que les critiques historiques sur les erreurs de Freud et de ses successeurs peuvent aider les

    psychanalystes assumer leur histoire. La critique de Bettelheim et de certaines conceptions

    incriminant les mres ont t depuis longtemps clairement publies par les psychanalystes (cf.

    rcemment encore par G.Haag (site Internet de la SPP) et le livre de D.Ribas, Paris, Puf, 2004). Il y a

    bien longtemps que les historiens ont montr que Freud ntait pas un saint, sa pratique manquait

    de rigueur, ses psychanalyses taient brves et peu approfondies, les rsultats thrapeutiquestaient survalus (comme pour toute mthode nouvelle). Il est vrai aussi que les difficults de leur

    mtier donnent volontiers une tournure passionnelle aux divergences des psychanalystes dans les

    pratiques et dans les thories, do les alas pulsionnels et institutionnels des relations entre eux. Les

    exigences plus ou moins fortes pour la slection des candidats et pour la formation ainsi que les

    caractristiques de la pratique sont de bons critres de diffrenciation entre associations, mais le

    plan de clivage le plus net reste celui des hritiers de Freud dun ct, de Lacan de lautre, encore

    que chez ces derniers la multiplication de groupes diffrents et rivaux est en France caractristique.

    La hargne du "livre noir", on en comprend bien les raisons subjectives chez danciens psychanalystes,

    ou soi-disant tels, qui restent blesss par leur chec tant dans lanalyse personnelle que dans leur

    projet professionnel ou leur pratique initiale, ce qui laisse supposer beaucoup didalisation

    antrieure et de fascination persistante. Plutt que de mettre en question les raisons de leur

    dception et de leur amertume, ils cherchent rgler leur compte avec leur analyste et avec

    lanalyse et y consacrent sinon leur vie au moins leurs enseignements et leurs publications en les

    mettant au service de la promotion des mthodes qui sont aux antipodes, les thrapies

    comportementales et cognitives (TCC). Celles-ci sont valorises sans rserve parce que dites

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    "valides scientifiquement", "contrles", sans autre interrogation sur les mthodes de ces

    "validations", sur le recueil des donnes, sur linterprtation des rsultats, sur la pertinence de la

    quantification dans ce domaine. La caution de la "psychologie scientifique" estinvoque, mais sans

    rfrence la psychopathologie cognitive ni la neuropsychologie ou la neurophysiologie.

    Plusieurs auteurs se rfrent lenqute de lInserm de 2004, laquelle ils ont particip, sur

    lvaluation des psychothrapies. Cette compilation surabondante de publications anglo-saxonnes

    htrognes, supposes toute fiables et "scientifiques" (en dpit de leurs rsultats contradictoires) et

    de leurs mthodes parfois aberrantes, permettait daffirmer lefficacit thrapeutique, suprieure

    toute autre mthode, des TCC CQFD.

    Comme on sait, cette enqute ne retenait que les mthodes utilises pour les chimiothrapies, en

    ignorant dlibrment les recherches ne comportant pas dessai contrl en double aveugle avec

    groupe tmoin. Le choix des experts de lInserm avait surpris ou plutt clairer les buts vritables de

    lentreprise et en explique les nombreux biais. Le seul psychanalyste (J.M.Thurin) sest clairement

    dmarqu des conclusions dont il dit avoir t exclu et diffuse sur le site Internet quil a cr les

    autres mthodes dvaluation des psychothrapies qui donnent des rsultats bien diffrents de

    lunilatralisme de lInserm (Site : techniques-psychotherapiques.org.). Les auteurs du livre noir

    ignorent superbement les critiques mthodologiques dtailles qui en ont t faites par des

    spcialistes au moins aussi qualifis que les experts de lInserm (entre autres R.Perron et coll. 2004,

    G.Fischman,2005).

    La ncessaire valuation des activits de soins requiert des mthodes ajustes leur objet et si la

    question devient plus complique, il existe des solutions mme si elles sont forcment imparfaites.

    La hargne conscutive au retrait (certes critiquable) par le ministre du site du Ministre de cette

    enqute, ainsi publiquement dsavoue, a t lvidence lorigine de la publication du "Livre

    noir", qui est aussi un coup ditorial rentable la rentre dautomne. Mais le contexte comporte

    plusieurs dimensions qui lui donne sa pleine signification.

    Le contexte

    - Les enjeux dans ce que lon peut appeler le march de la Sant mentale en concurrence avec les

    psychothrapies au sens propre, dont les mthodes psychanalytiques. Les intrts commerciaux, la

    conception du traitement, sont en partie communs avec les chimiothrapies : la suppression rapide

    des symptmes comme preuve de gurison. Lexistence ou lapparition dautres symptmes tant

    considre comme une autre maladie. Lefficacit rapide moindre cot se paye parfois trs cher

    plus long terme.

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    - La rationalisation des choix thrapeutiques et, corrlativement, budgtaires, entrane la

    transposition en psychiatrie des usages et des normes de la mdecine somatique : l"EBM" made in

    USA : la mdecine base sur des preuves (exprimentales) : lobjectivation smiologique par chelles

    et questionnaires en vue des statistiques, les protocoles, les groupes tmoins, comme si lobjet de

    connaissance navait pas de spcificit. Parler du cerveau plutt que du psychisme vite lesproblmes mthodologiques poss par lobjectivation de donnes par dfinition subjectives.

    - La planification technocratique de la Sant mentale et la misre de la psychiatrie publique tendent

    valoriser des traitements supposs gurir vite et au moindre cot et dont la pratique ne requiert pas

    de formation longue. Les TCC pourraient tre prescrites par des psychiatres et pratiques par des

    personnels paramdicaux moins chers.

    - Contester lefficacit thrapeutique des pratiques psychanalytiques vise les exclure des soins enpsychiatrie de ladulte et de lenfant, donc des remboursements par lassurance-maladie,les

    traitements de qualit et dure suffisantes tant rservs aux patients fortuns en clientle prive :

    exemple caricatural de la mdecine deux vitesses...

    - Les TCC tant plutt des rducations des comportements et des "penses automatiques" par

    corrections des mauvais apprentissages et rhabilitation sociale, elles permettent de parler de

    handicaps et de faire disparatre la notion de maladie mentale, aussi bien que celle de psychisme : il

    ny a plus de psychopathologie, ce qui va dans le sens du dni de la pathologie mentale par peur de la

    folie et de la stigmatisation.

    - La dfense militante des TCC vise llargissement de leurs indications du ct des traitements de

    longue dure et de la prvention (dans une autre enqute de lInserm de mme inspiration, la

    dlinquance pourrait tre prvenue partir du dpistage des "troubles des conduites" chez lenfant

    ds 36 mois (cf. le texte de R.Mises sur le site de la SPP et dans la revue Psychiatrie franaise).

    - A dfaut de fondement sur les sciences cognitives et sur les neurosciences, les thrapies cognitives,

    qui nont plus de rapport avec le bhaviorisme en ruine des thrapies comportementales, font desemprunts divers la psychanalyse et se diversifient de ce point de vue jusqu se diluer dans les

    thrapies dites "clectiques et intgratives" qui se ramnent souvent un empirisme anarchique

    (cf.B.Brusset, Les psychothrapies, 2005).

    - La place dans les mdias, dcrite comme confisque par les psychanalystes, est depuis longtemps

    conquise par les spcialistes des TCC (avec les sociologues) au dtriment des psychanalystes, lesquels

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    ne peuvent accepter le simplisme de plus en plus requis. Les auteurs les plus militants pour les TCC,

    auteurs du livre (et de beaucoup dautres publications grand public) sont bien connus des

    spectateurs de la TV depuis des annes.

    Les implications idologiques

    Elles demanderaient de longs dveloppements, mais il est vident que psychanalyse et TCC se situent

    sur deux plans trs diffrents sur les plans pratique, thorique et thique. Ils engagent la hirarchie

    des valeurs et des enjeux de socit (cf. Y.Cartuyvels, "Le livre noir de la psychanalyse" : guerre des

    psy ou enjeu de socit ? La libre Belgique, septembre 2005).

    Il ne sagit plus tant des ambitions que Skinner mettait dans le contrle des comportements et des

    horreurs du film "Orange mcanique", mais des effets dsubjectivants et dltres du scientisme et

    de la politique de la sant inspire par le nolibralisme rgie par le seul rapport cot-bnfices

    objectivable et quantifiable.

    Toute pratique de soin suppose une conception des diffrences du normal et du pathologique et,

    dans le domaine du soin psychique, une anthropologie au moins implicite et lindispensable

    rfrence aux valeurs. Lhistoire montre que la psychanalyse a t et est toujours utilise au service

    de positions normatives, idologiques et politiques avec lesquelles elle na quun rapport relatif et

    contestable, mais dans lesquelles les psychanalystes ont t et sont, diversement, parties prenantes.

    Par l, ils sopposent dautres choix dont ils dnoncent les illusions et les dangers du point de vue

    de leur exprience et de la fonction critique fondamentale de la psychanalyse.

    Les textes significatifs

    Il ne saurait tre question de recenser ici tous les textes du livre noir. Parmi les quarante auteurs, les

    contributions centrales sont dues aux trois initiateurs du projet : M. Borch-Jacobsen, professeur de

    littrature compare de lUniversit de Washington, J.Cottraux, psychiatre Lyon, et J. Van Rillaer,

    professeur de psychologie lUniversit libre de Louvain en Belgique. Ces trois mousquetaires de

    lanti-psychanalyse sont bien connus depuis plusieurs dcennies pour leur passion militante et leurs

    nombreuses publications. Les deux derniers promeuvent les TCC par la dnonciation de la

    psychanalyse et des psychanalystes. Mais on peut se demander si cette forme de promotion des TCC

    na pas des effets inverses

    La croyance a une science dure sur le modle du laboratoire, en atmosphre rarfie, en univers clos,

    suppose neutre et affranchie de tout rapport social atteint des sommets avec Van Rillaer. Elle fonde

    chez lui le clivage manichen entre la psychanalyse comme fausse science (et donc philosophie) et la

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    "psychologie scientifique" en fait rduite la technique exprimentale, en toute ignorance de

    lpistmologie moderne des sciences.

    J.Cottraux, psychiatre lyonnais, crivait dej en 2001: la psychanalyse, ne du romantisme

    allemand occupe la place qui fut celle de la religion et de la philosophie, elle ne soucie pas de traiteret de gurir. Il ajoute dune manire qui donne un jour clairant sur la psychopathologie quil

    prconise : Tous les thmes du freudisme sont dj prsents dans le romantisme allemand de la fin

    du XIX : les contradictions entre la nature et la culture, le dsir et la ralit, lindividu et le groupe, le

    rve et la pense diurne, le lien entre lamour et la mort. Freud en a fait une synthse originale et

    construit un systme philosophique. Comme si la psychanalyse ntait pas dabord une mthode et

    une thorie ouverte qui rcuse tout systme, et comme si les dimensions ncessaires de toute

    psychopathologie, assumant ses implications anthropologiques, ntaient pas justement celles quil

    numre et considre de manire dprciative comme philosophie . Elles sont fondatrices de

    lordre de lhumain.

    La mise en cause de la "lgende freudienne" (Ellenberger, Sulloway), qui joue comme roman des

    origines, est bien connue des psychanalystes contemporains. Il y a longtemps que lon se mfie dune

    lecture chronologique de luvre de Freud qui ferait abstraction des influences antrieures et

    extrieures, mais aussi de celle qui ignorerait la dynamique interne de la thorie dans ses

    confrontations aux donnes toujours plus approfondies de la pratique.

    M.Borch-Jacobsen, philosophe, a connu la psychanalyse par lcole lacanienne quil a frquent,

    allant jusqu enseigner dans le dpartement de psychanalyse de lUniversit Paris VIII sans avoir

    jamais fait danalyse. Sa thse, inspir par Derrida, Althusser et Foucault, sur "le sujet freudien" tait

    dj une critique de Freud, mais surtout de Lacan, critique qui trouvera son plein dveloppement

    dans son livre "Lacan, le Matre absolu". Cette dconstruction le rapprochera de la "violence

    mimtique" selon Girard, qui implique peut-tre la mise mort sacrificielle de la psychanalyse

    La philosophie franaise de lpoque, inspire par Kojve et son enseignement de Hegel, qui lavait

    beaucoup intress, a disparu de son horizon avec son installation aux Etats-Unis et son volution

    personnelle vers lhistoire, et prcisment lhistoire du freudisme dont il est devenu un critique

    passionn. Il fait une brillante carrire de cette spcialit qui mergeait lpoque aux Etats-Unis. Ce

    nest que vingt ans plus tard, crit-il, quil sest aperu que la psychanalyse tait une mthode et,bien entendu, une mthode encore plus contestable que la thorie.

    Le constructivisme en psychanalyse est pour lui une forme de suggestion ou plus prcisment de co-

    production dartfacts dans une grande relativit. Il en voit la preuve dans la pluralit des

    conceptions de la ralit psychique, de Freud M.Klein, Lacan et Kohut. Ce pluralisme thorique

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    prouve ses yeux quil ny a pas de thorie. Critique qui vaut pour toute psychologie et pour toute

    psychopathologie. Le relativisme historique des thories les rduit des influences extrieures

    contingentes, effets des contextes historiques, idologiques et des enjeux de pouvoir. Le philosophe-

    historien va ainsi, dans le jargon des sciences cognitives, de lexternalisme des thories

    lliminatisme du psychisme, en toute ignorance de leur dynamique interne dans la confrontation

    aux donnes des pratiques. Il faut une bien grande ignorance des objets mmes de la psychanalyse,

    effet bien connu dune connaissance seulement livresque, pour en arriver penser que la pluralit

    des thories signifie la "thorie zro". Cest confondre labsence de doctrine ferme, de systme clos

    avec labsence de thorisation. On peut se demander quel est dans cette optique le rle dune

    connaissance lacaniennne de la psychanalyse dans le contexte historique de lintrt thorique dun

    certain nombre de philosophes autour de lEcole Normale Suprieure (dont sautorise C.Meyer,

    ditrice du livre et inspiratrice de sa tournure pamphltaire). Borch-Jacobsen met en cause la

    rfrence au structuralisme, et aussi et surtout Heidegger, et donc la thorie du dsir lie au

    manque et la finalit humaine de "ltre pour la mort", notion qui gnralise la notion freudienne

    de castration pour la rapporter lincompltude fondamentale du sujet dans son rapport au langage.

    Ainsi se trouve confirm le point de vue de Freud selon lequel la psychanalyse nest pas un systme

    philosophique ni une vision du monde (a fortiori rduite la conception hglienne du dsir et du

    manque, du matre et de lesclave), mais un savoir qui ne sacquiert gure que par la mthode. Le

    relativisme historique des thories psychanalytiques ne dpend pas que des courants dides, mais

    de la diversit des modes dorganisation psychique, donc de la clinique de rfrence des

    thorisations. Depuis longtemps, les psychanalystes ont critiqu les vulgarisations, les opinions et les

    idologies qui utilisent la psychanalyse des fins ducative, morale, religieuse, idologique,

    politique. Lintrt des positions de Borch-Jacobsen, bien diffrentes des de celles des militants des

    TCC, est dattirer lattention des psychanalystes sur les facteurs historiques exognes de leurs

    thorisations et ceux des drives hermneutiques, narrativistes, intersubjectivistes, etc.

    Les autres auteurs sont trs divers et les voisinages doivent tre plutt embarrassants pour

    beaucoup dentre eux. Ces auteurs seraient "parmi les meilleurs spcialistes du monde". Mais

    spcialistes de quoi ? A partir de quelle exprience, de quelle comptence ? Il est souvent vident

    quils ne sont pas daccord entre eux, ont parfois des opinions inverses. Il y a ceux qui ne donnent

    quune opinion plus ou bien informe et dont la comptence professionnelle est sans rapport avec le

    domaine. Ils ont une connaissance livresque de certains aspects de la psychanalyse au temps de

    Freud : physicien, historien, journaliste, diteur. Leur notorit dans leur domaine est exploite pour

    valoriser des opinions sur ce quils ignorent. Le procd est connu comme la stratgie de base de

    limposture scientifique. On peut aussi interroger des coureurs cyclistes sur la politique, et des prix

    Nobel de science sur la morale.

    Lexploitation des fonds de tiroir de lanti-psychanalyse va jusqu publier un texte dAldous Huxley

    de 1932 dans lequel il sautorise des jugements premptoires en toute ignorance.

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    Il y aussi des chapitres dune consternante navet (thrapeutes de couples et sexothrapeutes).

    Pour eux, il ny a pas de symptmes : le comportement est la seule ralit. La psychanalyse donne

    des interprtations fascinantes, mais inutiles et mme dangereuses : il ne faut pas compliquer les

    choses simples. Il est difficile de comprendre comment des professeurs de psychologie, belges et

    canadiens en loccurrence, peuvent dcrire de la sorte leur mthode de traitement : des conseilsrudimentaires pour lharmonie du couple (la prescription de promenades ensemble et de diplomatie

    dans la communication) ou la sexologie. A qui sadressent-ils ? Le dsir dtre compris par un large

    public explique sans doute ces simplismes. Il est clair en tout cas que lon est bien aux antipodes des

    traitements psychanalytiques et mme de la tradition clinique et de la phnomnologie, vrai dire

    de toute thorisation et de toute prise en compte du pathologique : le degr zro de la thorie, les

    conseils de bon sens sont la seule rfrence.

    Les tmoignages publis donne une illustration tragique des incomprhensions entre patients et

    thrapeutes et aussi du dni du pathologique et de la complexit qui ne laisse que le vcuperscutoire et la croyance lorganicit ou aux TCC, comme lors du diagnostic tardif de "bipolaire"

    ou de "trouble panique" alors que le traitement psychanalytique restait sans effet et tait vcu

    comme perscution. Mais on pourrait multiplier les tmoignages de patients chez lesquels le

    psychanalyste, psychiatre ou non, a amen le patient prendre conscience de lopportunit dun

    traitement mdicamenteux et du bnfice tir de la psychanalyse dans la manire de vivre ces

    troubles dans le dterminisme desquels tout le monde admet des facteurs organiques possibles. Sauf

    exception par idalisme ou par manque dinformation, les psychanalystes contemporains sont bien

    daccord sur lopportunit de chimiothrapies bien ajustes dans certains cas.

    Deglon, psychiatre suisse, crit la premire page de son texte: "Avec le recul, force est de constater

    que la psychanalyse, conjugue au poids de la morale, des prjugs, des mconnaissances et des

    intrts particuliers, a bloqu, de longues annes durant, la mise en place de traitements efficaces

    des toxicomanes." Dans la suite du texte, seule la psychanalyse est mise en cause ; il nest plus

    question du "poids de la morale, des prjugs, des mconnaissances et des intrts particuliers" dont

    on peut penser quen loccurrence, ils psent plus lourd que la thorie psychanalytique. La question

    est de savoir dans quelle mesure les psychanalystes ont particip ici et l aux rsistances au

    changement et dans quelle mesure au contraire ils ont contribu celui-ci. Il y a longtemps quils

    prennent en compte les facteurs neurobiologiques et beaucoup ont t, contrairement ce quil

    affirme, les premiers prconiser les produits de substitution dans les toxicomanies graves.

    Ellis et Beck

    La comparaison de deux chapitres a un intrt particulier parce quelle donne un clairage sur les

    origines des thrapies cognitives partir de deux membres fondateurs souvent cits Ellis et Beck.

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    Albert Ellis, 91 ans, interrog par D.Pleux a cr, ds 1955, la thrapie cognitive N.Y. Il rcuse les

    thrapies comportementales et la thorie des conditionnements. De mme, les sciences cognitives

    ont merg des ruines du bhaviorisme. Analyste de lcole de Karen Horney, il se rfre aux autres

    psychanalystes "rvisionnistes": Adler, Rank, Fromm, Sullivan, lexistentialisme, J.P. Sartre et

    lhumanisme Il renonce lanalyse classique conue par lui comme faite dattente passive et de

    silence, pour la psychothrapie active en face face deux fois par semaine : lattention porte au

    langage et aux croyances des patients permet de ramener au principe de ralitles penses

    irrationnelles. Les "penses automatiques" sont considres comme des cognitions construites par le

    sujet partir des schmas de pense des parents. La mtacognition est induite et activement

    encourage. Doivent galement tre pris en compte les motions et les comportements notamment

    dans laffrontement des situations phobognes. Une grande place est faite, sinon directement au

    surmoi freudien, aux impratifs auto-produits, lauto-sabotage et au narcissisme (le soi grandiose).

    La psychothrapie prconise est cognitive, motionnelle, rationnelle (PCER), mais elle semble assez

    proche des psychothrapies psychanalytiques, notamment dadolescents. Il est notable que ce

    crateur de la thrapie cognitive na pas, contrairement Aaron T.Beck promoteur de la

    psychothrapie cognitive dite intgrative, le souci contraignant de validation exprimentale et ses

    effets rductionnistes.

    Dabord psychanalyste ( ?), Beck prend conscience que le discours du patient lanalyste est

    accompagn de penses quil garde pour lui, ce qui semble vident, mais Beck objective les "penses

    automatiques" dautodprciation. Ces "cognitions" correspondent en fait ce que Freud impute au

    surmoi et la rfrence lidal du moi (mais sans le masochisme dont la notion est rcuse), et les

    compare avec les thmes des rves (les contenus manifestes). Il utilise les tests psychomtriques, les

    questionnaires et les chelles dvaluation de ces cognitions qui prcdent les affects prouvs par le

    patient dprim. Il procde des tudes contrles avec groupe tmoin, objectivation par des juges,

    mta-analyses et statistiques qui prouvent la supriorit de sa technique sur les traitementschimiothrapiques antidpresseurs, mais aussi leffet encore suprieur de leur association.

    La thrapie cognitive comporte une attitude pdagogique et de relation interpersonnelle daide

    dcrite comme "empirisme collaboratif", recourant des conseils, des prescriptions (parfois de

    type comportemental et mme scolaire, tenue dun agenda, travail la maison). Le traitement est

    bref en douze sances, mais suivi de consultations ultrieures de "regonflage" (sic !) mensuel, puis

    deux fois par an. La technique cherche corriger la pense dichotomique (le clivage manichen), la

    surgnralisation, labstraction slective, lexagration des aspects ngatifs des expriences,

    remplacer les cognitions ngatives par des cognitions positives. Outre la dpression dans toutes ses

    formes, les indications sont les troubles anxieux gnraliss, les troubles paniques, la boulimie, la

    dpendance lhrone. Les psychanalystes en voient souvnet les checs, mais il faut admettre que la

    rciproque est probable.

    Ces auteurs ont dabord t, sinon des psychanalystes au sens o nous lentendons, du moins des

    cliniciens dexprience : cest dans un temps second quils ont mis au point des mthodes fondes

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    sur la ngation de linconscient, lobjectivation naturaliste, le rductionnisme de type exprimental,

    la simplification, la suggestion, la rducation active et, au pire, des mthodes semblant faites pour

    donner lieu valuation et statistiques, et dont la fiabilit est dautant plus discutable. Faire la

    preuve devient le but premier, la technique remplace la science, le rductionnisme mthodologique

    est devenu rductionnisme idologique. Mais ces cliniciens qui sont lorigine historique des

    thrapies cognitives partaient dune formation et dune exprience que nont pas leurs lves. Sans

    doute en avaient-ils conscience pour crire autant de livres. Lentropie de la transmission ne pouvait

    quaccentuer le schmatisme et le rductionnisme impliqus. Do la question de savoir ce quil en

    est chez ceux qui nont pas dautre formation et pas dautre exprience de la relation clinique et de la

    psychopathologie.

    L o dautres seraient rests psychanalystes ajustant leur pratique aux pathologies non nvrotiques

    dans des psychothrapies psychanalytiques en face face, ils ont cherch une pratique en rupture

    avec la conception rigide et conformiste quils avaient de lanalyse, sans doute par identification non-

    analyse leur propre analyste et par infodation des institutions conservatrices. Peut-tre

    constituent-ils les symptmes de certaines drives localises de la psychanalyse par dogmatisme,

    position dautorit, excs de silence et de raideur. La critique interne a t faite depuis longtemps et

    se manifeste actuellement lextrme dans les plus grandes revues psychanalytiques amricaines

    (O.Renik dans le Psychoanalytic Quaterly). Partout, les psychothrapies analytiques en face face

    sont prconises par les psychanalystes dans des indications qui sont celles que retiennent les

    promoteurs des TCC : certaines pathologies dpressive, anxieuse, addictive, etc.

    En manire de conclusion du livre noir, sans doute pour "positiver", les "psychothrapies efficaces"

    sont caractrises en sept points partir desquels il est bien difficile de ne pas les voir comme des

    sous-produits de la psychanalyse. Do bien de ses aspects traduits dans un autre langage et, commedes contrefaons, plus ou moins dnaturs. Les psychanalystes peroivent ce changement de but et

    de mthode comme une simplification, un renoncement, un retour en arrire, la contamination par

    les attitudes mdicales traditionnelles de dirigisme, de prescription et de centration exclusive sur la

    maladie en ignorant le malade.

    Le livre se termine par un paragraphe intitul : "Vers la fin des idologies en psychothrapie" dans

    lequel saffirme le dsir dabolir les postulats fondateurs de la psychanalyse pour sen tenir la

    recherche de lefficacit des TCC dans la suppression des symptmes : lenfant est vacu avec leau

    du bain: il ny a plus de psychisme, plus de psychopathologie, plus de thorie, plus de science, rienque la technique. Au moins on est loin de lescroquerie de ceux qui se disent psychanalystes aussi.

    Mais ceux qui sont en rapport avec la psychiatrie savent que les TCC ont des indications, souvent par

    limpossibilit de labord psychanalytique et psychothrapique proprement dit, et quelles ont une

    place dans un systme de soins global qui prenne en compte toute ltendue et la complexit des

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    problmes poss par la clinique. Pour garder sa place, la psychanalyse, elle, na pas besoin de tenter

    de disqualifier par des attaques injustes et malhonntes des autres pratiques de la psychiatrie.

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    Borch-Jacobsen M. et Fishman G. Constructivisme et psychanalyse (dbat entre Mikkel Borch-

    Jacobsen et Georges Fischman anim par Bernard Granger) . Ed du Cavalier bleu, 2005 (111p.)

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    http///www.techniques-psychotherapiques.org, et Comment valuer le cot de la souffrance ? In

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