fiche de lecture psychanalyse et organisations
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Emmanuel Castille DSY221 Professeur : Yvon Pesqueux
FICHE DE LECTURE
Psychanalyse et organisations
Gilles Arnaud Editions Armand Colin
Année 2007-2008
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1. L’auteur :
Gilles Arnaud est aujourd’hui professeur de psychosociologie des organisations à la Toulouse
Business School (Groupe ESC Toulouse) dont il est le doyen des enseignants. C’est donc un
universitaire, mais il justifie également d’une pratique professionnelle significative de
consultant en organisation, en psychosociologie, et en changement, expérience au cours de
laquelle il est intervenu dans différents secteurs d’activité, notamment industriel et bancaire,
dans la distribution ou encore le transport. Titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion
obtenu en 2001 à l’université de Toulouse avec une thèse intitulée "Les apports d'une
psychanalyse organisationnelle", et d’un DEA de psychosociologie des organisations qui lui
a été délivré plusieurs années plus tôt, en 1988, par l’université de Nice, Gilles Arnaud est un
des spécialistes français du rapport entre psychanalyse et management.
En effet, il est également engagé dans les travaux de nombreux laboratoires, organismes
spécialisés, et groupes de recherche. Il est ainsi membre du Conseil d'Administration du
célèbre CIRFIP (Centre International de Recherche, de Formation et d'Intervention en
Psychosociologie), il est aussi membre de l'ISPSO (International Society for the
Psychoanalytic Study of Organizations), de l'EGOS (European Group for Organization
Studies), de l'EAWOP (European Association of Work and Organizational Psychology), de
l'AIPTLF (Association Internationale des Psychologues du Travail de Langue Française), de
l'AGRH (Association francophone de Gestion des Ressources Humaines), de l'AIMS
(Association Internationale de Management Stratégique), de l'IAS (Institut international de
l'Audit Social), et de l'IPM (Institut Psychanalyse et Management) dont il a été l’un des
fondateurs.
De plus, au titre de ses activités d’enseignement et de recherche, Gilles Arnaud participe à de
nombreuses publications françaises et anglo-saxonnes - entre autre : "Organization Studies",
"Management Decision", " Gérer & Comprendre " (Annales des Mines), "Nouvelle Revue de
Psychosociologie", "Organization", "Human Relations" (revue du Tavistock Institute) -
auxquelles il collabore en tant que membre des leurs comités éditoriaux.
2. Présentation de l’ouvrage :
« Psychanalyse et organisations », paru aux éditions Armand Colin en 2004 est son principal
ouvrage. Néanmoins dans le cadre des différents travaux académiques mentionnés ci dessus,
il a publié de nombreux articles et participé à plusieurs colloques internationaux. Le Groupe
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ESC Toulouse a ainsi entre autre présenté en 2002 dans ses Cahiers de la Recherche, un de
ses textes intitulé « L'approche psychanalytique dans les sciences de gestion : apports, limites
et voies de recherche ».
« Psychanalyse et organisations » présente une analyse très complète de la discipline dite de
psychanalyse organisationnelle, soit l’étude de l’organisation grâce aux concepts apportés par
la psychanalyse, au travers d’un exposé synthétique des courants et des pratiques majeurs qui
la composent.
Le volume de la bibliographie restituée par l’auteur au fil des cent quatre vingt pages de cette
étude est considérable. Avec plus de trois cent références d’ouvrages et d’articles spécialisés
internationaux, Gilles Arnaud balaye un large spectre d’approches constituantes du champ
disciplinaire, telles que la socio-analyse, la psycho-dynamique du leadership, l’analyse
dialectique. Sa démarche est soutenue par une qualité de synthèse qui donne à cette profusion
référentielle une lisibilité originale. Pour obtenir cette accessibilité, l’auteur réalise une
analyse à la fois concentrique, autour de la pensée des auteurs principaux, et transversale, en
parcourant la spécialité d’une extrémité à l’autre. Ainsi, opposables ou complémentaires, les
caractéristiques essentielles des nombreux travaux évoqués sont alors mises en liens de sorte
que la diversité apparaît finalement comme une entité certes de conception multiple, mais
résolument disciplinaire.
3. Mise en perspective de l’ouvrage :
Les apports de l’ouvrage :
A l’instar des ouvrages de Jean Claude Scheid (« Les grands auteurs en organisation ») ou
d’Alain Desremaux (« La théorie des organisations »), « Psychanalyse et organisations »
permet au lecteur de se représenter cette spécialité organisationnelle de manière à la fois
précise et relativement complète. Cet ouvrage traitant donc d’une des nombreuses sphères de
la théorie des organisations est particulièrement intéressant, d’autant que la pensée des auteurs
ne semble pas y être travestie par une quelconque ambition de démonstration ou par quelque
parti pris idéologique. En effet, bien qu’influencé par une approche personnelle lacanienne, il
apparaît que l’auteur résiste à la tentation d’en teinter son analyse, pour livrer finalement une
vision relativement élaborée du champ analytique organisationnel. « Psychanalyse et
organisations » peut de ce point de vue est considéré comme une référence bibliographique en
la matière.
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Les limites de l’ouvrage :
Cependant l’auteur ne mentionne pas les précurseurs de la psychologie collective tels que
Gustave Le Bon ou Jean-Gabriel de Tarde, de même qu’il n’aborde que superficiellement les
travaux tardifs de Freud qui sur le plan collectif tentait d’expliquer des phénomènes aussi
importants que le fascisme. L’auteur ne traite également que peu de l’antithèse de la pensée
groupale, c’est dire de l’approche analytique individuelle de l’organisation, il est vrai moins
rependue, privilégiée par certains psychanalystes pour lesquels seule la cure ou au moins le
sujet sont les objets de leurs pratiques, y compris au sein des organisations.
4. Résumé :
Introduction :
Au premier abord il semble difficile de concilier le domaine de la psychanalyse dont l’objet
est la cure individuelle, et celui de l’organisation, système social dans lequel le collectif et la
contrainte extérieure prévalent.
Pourtant de nombreux travaux ont été réalisés à la suite de Freud lui-même durant plusieurs
décennie de recherche, pour finalement transformer la représentation que avons
habituellement de l’organisation en les faisant se rencontrer. Cet ouvrage expose cet héritage
hétéroclite de théories et d’approches (Prades et Mendel, 2001) rassemblées sous la terme de
« psychanalyse organisationnelle ».
Dans une première partie seront exposées les théories anglo-saxonnes, puis dans une seconde,
celle des écoles françaises.
Chapitre I : Les découvertes de Freud sur le lien social
Dans de nombreux ouvrages, Freud a étendu aux processus à l’œuvre dans les groupes ses
recherches sur l’inconscient initiés à l’origine pour la mise au point d’une thérapeutique
psychanalytique : « Totem et tabous » (1912), « Psychologie des foules et analyse du Moi »
(1921), « Malaise dans la civilisation » (1929), « L’homme Moise et le monothéisme »
(1939).
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Totem et tabou
C’est dans « Totem et tabou » que Freud propose initialement le très contesté mythe inaugural
qui doit rendre compte du processus structurant fondamental du collectif, et de son aspect
institutionnalisant et fantasmatique (Enriquez 1967). Ce mythe est celui de la Horde au cœur
de laquelle l’entente de frères haïssant leur père après l’avoir aimé, vont dans « un pacte
dénégatif et identificatoire » (Kaës 1993), réaliser son meurtre, ce qui en fondant leur
culpabilité va installer en écho sa vénération post mortem et celle de ses lois, alors qu’il est
dorénavant figuré par le totem, et ses lois devenues tabous (Barus-Michel 1991).
C’est sur ce mythe, ce processus fondateur morbide qui semble se répéter toujours (Barus-
Michel 1991), pour la maîtrise du pouvoir économique ou politique (Enriquez 1985), que les
hommes auraient érigés les civilisations.
Psychologie des foules et analyse du Moi
Pour Freud, dans « Psychologie des foules et analyse du Moi », d’un point de vue
sociologique, l’inconscient ne peut être ignoré, et la psychanalyse est même une psychologie
sociale.
En effet, notre existence est conditionnée par notre relation à autrui (Enriquez 1983), et ainsi
dans « Totem et tabou », c’est le non amour du père qui déclanche le meurtre
institutionnalisant du groupe. Pourtant dans « Psychologie des foules et analyse du Moi »,
c’est l’amour du chef qui en est fondateur par « paternogenèse » (Enriquez 1992). Alors avec
ou sans amour, le père est il le fondateur du groupe (Enriquez 1992) ?
Poursuivant son questionnement, Freud introduit sa « deuxième topique » dans laquelle
l’identification constitue la dynamique du phénomène groupal : d’une part le père est referant
de l’Idéal du Moi devenant collectif et identitaire, et d’autre part, ses membres se
reconnaissent un Moi relativement identique, garant de la communauté contre les affres des
tentations thanatique.
Mais la figuration du chef reste ambiguë et peut à nouveau cristalliser l’agressivité du groupe
à nouveau constitué dans le pacte fraternel, qui le régénèrera encore par le meurtre du père ou
celui d’un bouc émissaire. Il semble donc qu’à l’image du groupe, les sociétés, l’organisation
humaine, oscille entre la posture mythique et l’association fraternelle, dans un équilibre
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précaire, celui de l’efficience du renoncement nécessaire à la satisfaction des pulsions
originales (Kaës 1987).
Bien que précurseur parmi d’autres de l’étude de la phénoménologie groupale, notons que
Freud qui y a particulièrement souligné le rapport oedipien au père, a surtout travaillé sur
l’Armée et l’Eglise en tant que groupes singuliers. Il n’a donc pas théorisé les organisations à
proprement parlé, tache qui revient alors à ses héritiers.
PREMIERE PARTIE
LES APPROCHES ANGLO-SAXONNES
Les recherches anglo-saxonnes, principalement celles des Tavistok Clinic et Institute de
Londres avec parmi d’autres, les travaux de Bion, Bridger, Ezriel, Foulkes, ou Jacques, ont
ainsi avancé à partir des bases Freudiennes pour continuer l’étude des groupes dans lesquels
elles y ont notamment décrit des processus d’ordre préoedipiens, psychotiques, en faisant
appel à la pensée d’auteurs tels que Klein ou Winnicott basées sur la séparation fantasmée du
sein maternel ou l’objet transitionnel.
Plus tard, les chercheurs américains ont quant à eux ont travaillé sur les diverses implications
des phénomènes psychiques, principalement pathologiques, dans la structuration des
organisations, mais plutôt en termes de management, de culture d’entreprise ou de
changement, fondant ainsi le courant de pensée de la psycho-dynamique du leadership porté
par les travaux de Levinson, Zaleznik, Kets de Vries, Lapierre.
Un grand nombre de ces chercheurs se sont ensuite regroupés en 1985 dans l’International
Society for Psychoanalytic Study of Organizations afin de poursuivre l’étude psychanalytique
théorique et clinique des organisations.
Chapitre II : La socio-analyse
La théorie psychanalytique des organisations et l’approche méthodologique associée ont été
d’abord initiées par les travaux des Tavistock Clinic et Institute, travaux qui ont ensuite été
poursuivis durant plus d’un demi siècle, faisant de ces hauts lieux de la discipline, une
référence internationale.
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Le Tavistock Institute of Human Relations
Le Tavistock a été crée en 1946 par une équipe de spécialistes, psychiatres, psychologues,
sociologues, rassemblés autour d’une sensibilité commune au niveau individuel, collectif ou
organisationnel, et dont l’approche pluridisciplinaire devait principalement soigner les soldats
victimes de névroses de guerre, mais aussi plus généralement aider à appréhender les
problèmes de l’homme grâce aux sciences humaines. Ainsi la démarche originale à la fois
clinique et théorique du Tavistock a pu mettre en évidence dans sa pratique grâce aux
concepts Kleinien, une phénoménologie inconsciente fantasmatique, notamment projective de
l’individu vers l’organisation.
Les « hypothèses de base » de Bion
L’expérience inaugurale de Northfield
Bion était psychiatre. En charge de l’hôpital psychiatrique de Northfield qui accueillait dès le
début de la seconde guerre mondiale des soldats traumatisés, il a été le premier à élaborer une
véritable théorie psychanalytique du groupe, considérant l’organisation sociale anarchique de
son établissement lorsqu’il en a pris la direction, comme une situation analytique, le dès lors
traitant comme un patient en cure.
Il a ainsi pu distinguer deux niveaux : celui du « groupe de travail » qui s’organise pour
réaliser une tache, et celui du « groupe de base » dans lequel se mêlent les affects pour
constituer une « mentalité de groupe », lieu du conflit entre pulsions communes et réalité. Les
« hypothèses de bases » de Bion sont les similitudes inconscientes partagées par ses membres
en fonction de leur « valence », soit leur disposition à se combiner ou non affectivement, et
régresser selon des critères archaïques, et c’est à ce niveau « protomental » du groupe que se
fonde sa « culture ».
Les trois hypothèses de base sont « la dépendance », ressentie par les membres d’un groupe
entre eux, « l’attaque-fuite », c'est-à-dire le fantasme d’une capacité collective à réagir contre
un ennemi, et « le couplage », correspondant à l’espérance de l’enfantement par un couple
membre du groupe, de son Elu. Sa conception de l’avènement du leader est inverse de celle de
Freud (Pagès 1975).
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Notamment Kets de Vries et Miller ont utilisé les hypothèses de Bion pour développer plus
tard leur pratique clinique dans les entreprises et concevoir leurs modèles dont ceux de la
dynamique organisationnelle de la culture d’entreprise et du leadership, de même que
Schneider et Dunbar firent le parallèle entre ces hypothèses et les comportements de fusion
acquisition.
Jacques et l’analyse sociale
Jacques, médecin et psychologue canadien, membre du Tavistock à partir de 1946 qu’il quitta
en 1951, a élaboré sa théorie de la dynamique des groupes et des organisations.
Les systèmes organisationnels comme défense contre l’anxiété
En se basant sur le concept fantasmatique du groupe de base de Bion, Jacques en utilisant lui
aussi les concepts de Klein, a développé dans un article de 1955, sa théorie du groupe comme
défense inconsciente contre les angoisses primaires. Pour Jacques, ces angoisses paranoïaques
et dépressives créant une fantasmatique sociale inconsciente qui née donc du fait des systèmes
classiques de défense psychologique, sont particulièrement présentes dans les organisations
dont elles influencent le fonctionnement rationnel en induisant des comportements inadaptés,
particulièrement par le biais de phénomènes projectifs favorisant du même coup
l’identification mutuelle.
Une application dans une entreprise : le cas de la Glacier Metal Company
Sur commande du Comité industriel de productivité britannique, Jacques a mené à partir de
1948 et pendant 20 ans, une analyse sociale organisationnelle profonde de la Glacier Metal
Company. Sa mission de changement consistait précisément en la résolution des conflits et la
détermination claire de la structure hiérarchique opérationnelle. Il fonda sa théorie sur son
travail au sein de cette entreprise industrielle anglaise. Selon lui une organisation procède de
trois facteurs, soient les rôles distribués, sa culture ou son mode de pensé, et la personnalité
de ses membres. Ces critères qui se conjuguent parfois assez mal sont alors la source de
conflits psychiques dont naissent les angoisses primaires contre lesquelles il convient de se
défendre. C’est la raison pour laquelle les changements qui paraissant tout à fait rationnels et
indispensables engendrent de fortes résistances inconscientes (Jeannet 1971 ; Lévy 1969).
Par exemple, il existait dans cette entreprise une importante méfiance entre salariés et
direction lors de négociations de nouvelles conditions faisant pourtant l’objet d’un consensus,
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et alors même que le climat des relations était décrit ostensiblement comme profitable. En
réalité, la « mauvaise » hiérarchie négociante vécue comme telle permettait de maintenir une
« bonne » hiérarchie au quotidien, soulageant ainsi dans le clivage les angoisses des salariés
liés au changement.
Jacques conclut en 1955 que tout changement devait être planifié en prenant en compte l’état
des anxiétés collectives et des phénomènes fantasmatiques inconscients.
La méthode socio-analytique
Au cours de sa mission, Jacques a essayé d’adapter la cure individuelle à une intervention
analytique dans le groupe, dont le but devait être de l’aider à assumer ses problèmes. Comme
dans la cure, c’est par le transfert que d’après cette méthode, les affects vis-à-vis du
changement se focalisent sur le socio-thérapeute, permettrant la prise de conscience des
entraves inconscientes par la perlaboration.
Les principes de l’intervention socio-analytique
La démarche socio-analytique est « collaborative ». Une fois le projet présenté et accepté par
les parties prenantes, les règles de l’intervention sont définies. Des groupes de Huit à dix
personnes sont ensuite constitués pour évoquer librement tout problème, et la perlaboration
faisant son œuvre avec le transfert, le thérapeute peut alors interpréter pour la prise de
conscience. Cela dit l’intervention n’est pas figée, elle peut évoluer, cependant une synthèse
formelle de son déroulement doit être doit diffusée à l’ensemble de l’entreprise.
Il n’est pas aisé d’évaluer la méthode, toutefois la longévité de son intervention et les résultats
obtenus notamment en matière de résolution de conflits semblent attester de sa valeur.
Revirements et prolongements
Depuis plus de dix ans, Jacques a réalisé une « surprenante volte face » (Amado et Enriquez,
1997) en remettant en cause les fondements de sa théorie. La source des dysfonctionnements
organisationnels n’est plus alors à chercher dans la psychologie des membres du groupe, mais
dans l’opacité des rôles à tenir rendant inappropriables leurs différentes dimensions. Jacques
cherche dorénavant « l’organisation requise », et les méthodes de managements
correspondantes, parfois en dépersonnalisant les systèmes concernés (Amado, 1997).
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Son revirement anti psychanalytique étonne toujours, d’autant plus venant d’un de ses
pionniers (Amado et Enriquez, 1997) qui dénonce à présent les méfaits de la démarche. Un
grand nombre de chercheurs ont pourtant continué à travailler cette approche, et notamment
en interrogeant après les concepts kleiniens, la théorie lacanienne sur le langage, le
Symbolique, l’Imaginaire et le Réel.
Chapitre III : La psycho-dynamique du leadership
De manière pragmatique, la psycho-dynamique du leadership a pour but l’amélioration des
techniques de gouvernance dans le strict cadre d’une recherche d’efficacité économique
accrue. Il s’agit d’un courant de la psychanalyse organisationnelle né en Amérique du nord
dans les années soixante du behaviorisme managérial et de la théorie psychanalytique anglo-
saxonne (egopsychologie). Cette approche particulière a ainsi étudié le rapport entre la
psychologie du leader ou plutôt sa psychopathologie, et les dysfonctionnements
organisationnels.
Généalogie d’une psychanalyse des styles de leadership
A l’instar de Redl, les premiers spécialistes du management ont établis leurs typologies, les
organisant en fonction de la personnalité des leaders classés en fonction des grandes notions
de la psychanalyse.
Apres Redl, Levinson et Zaleznik ont étudié à la lumière des apports freudiens, les relations
cachées entre les individus et leurs organisations. Pour Levinson, professeur de psychiatrie à
Harvard, cette relation est un « contrat psychologique » entre direction et salariés portant sur
leurs aspirations respectives latentes. Zaleznik étudie pour sa part davantage les décisions des
managers dont il dit que c’est leur enfance, au sens analytique, qui détermine « leur
style personnel ».
D’autres auteurs ont beaucoup travaillé sur l’inconscient s’agissant du leadership, notamment
Kets de Vries, Amado, Reitter, ou Maccoby qui présente après une longue étude analytique de
250 cadres et de leur entourage, quatre types de managers (Le Joueur, 1980) : « l’homme de
métier », professionnel consciencieux, « le carnassier » machiavélique avide de pouvoir,
« l’homme d’appareil », technocrate loyal, et « le joueur », très investi dans le système dont il
tente de dominer ses nombreux aspects pour gagner. Plus tard, Maccoby a étudié les
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phénomènes de motivation et d’investissement dans le travail dont il tira également une
typologie.
En France, Stora, psychanalyste et professeur à HEC a établi d’autres typologies des leaders
en entreprise en précisant leurs traits de personnalité, leurs psychologies, et leurs styles
managériaux, ou bien selon les différents stades du développement psycho-sexuel vers
lesquels ils auraient une propension à régresser.
Pathologie individuelle et organisationnelle
Apres avoir étudié les types de managers, Redl, Levinson ou Stora ont travaillé sur l’impact
de ces différents types de leadership sur leurs organisations. Redl introduit alors la notion de
« contagion émotionnelle », Levinson celle de résonance, et Stora celle de la compatibilité des
personnalités.
Dirigeants et organisation en symbiose ?
De la même manière que Zaleznik qui a établi que la psychopathologie des leaders entraînait
d’important dysfonctionnements, Kets de Vries et Miller suggèrent à leur tour qu’au delà de
leurs décisions guidées par leurs névroses, les managers pathogènes affectent profondément et
culturellement les entreprises, phénomènes qu’ils illustrent par leur classification des
différentes personnalités névrotiques des leaders.
Collusions managériales et phénomènes transferiels
D’autres phénomènes ont fait l’objet d’études. Par exemple, les collusions entre managers et
subordonnés tournant parfois à la « folie à deux » contaminante et menant à des aberrations
dans le déni ou le délire, ce qui induit d’ailleurs l’existence d’une part importante de
responsabilité du subordonné dans ce type de processus. Pour Zaleznik, c’est cette tendance
régressive des subordonnés qui explique la contagion pathologique dans l’entreprise par le
biais de fixations symboliques correspondantes. De même, Kets de Vries utilise le concept
analytique de transfert pour expliquer ce processus spéculaire.
Diagnostic d’orientation psychanalytique et recherche de solutions
Pour les auteurs de ce courant et notamment pour Kets de Vries et Zalznik, le succès d’une
quête de solution est conditionné par l’établissement d’un diagnostic managérial préalable
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dont le but est l’appropriation et la compréhension par les mangers de leurs fonctionnements
latents ainsi que de ceux de leurs collaborateurs.
Tout en insistant sur l’intérêt de la prévention, Kets de Vries et Miller suggèrent la méthode
d’intervention suivante : recenser les symptômes, proposer des hypothèses quant à leurs
psychogenèse, choisir une solution, et la mettre en œuvre. D’un point de vue technique,
Zaleznik pose que la régression étant favorable à l’expression inconsciente, il convient pour
l’intervenant d’être particulièrement à l’écoute et attentif dans ces circonstances, comme dans
celles du transfert.
DEUXIEME PARTIE
LES ECOLES FRANÇAISES
Les écoles françaises sont plus diverses que leurs consoeurs anglo-saxonnes. Dubost,
Enriquez, Lévy, Palmade, Rouchy, ont fondé dans les années soixante l’Association pour la
Recherche et l’Intervention Psychologiques (ARIP). Une décade plus tard, leurs travaux ont
été complétés par plusieurs chercheurs, dont Pagès, Gaulejac, et notamment Enriquez au sein
du laboratoire du changement social, puis dans le cadre du Centre International de Recherche,
de Formation et d’Intervention en Psychosociologie (CIRFIP) qui rassemble la majorité de
ces chercheurs. Anzieu et Kaës ont fondé pour ce qui les concerne une école plus
radicalement orienté vers une psychanalyse des groupes, et des organisations autour du Cercle
d’Etudes Françaises pour la Formation et la Recherche Active en Psychologie (CEFFRAP).
Enfin, le groupe Desgenettes et Mendel ont créé la socio-psychanalyse.
Chapitre IV : La psychanalyse appliquée d’Anzieu et Kaës
Pendant quarante ans, le CEFRAP a travaillé à l’application clinique de la psychanalyse aux
groupes d’après un axe théorique où le sujet, le fantasme inconscient, les pulsions, et le
refoulement, tiennent une place centrale, ce qui lui valut d’ailleurs la critique de
décollectiviser sa conception (Lévy, 1972).
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Le groupe et l’inconscient
Pourtant en 1975 dans « Le groupe et l’inconscient », Anzieu déclenche la controverse en
introduisant les notions d’inconscient de groupe (Bejarno 1972), puis en 1981, celle
d’imaginaire groupal. Pour Anzieu et le CEFRAP, la structure du groupe se constitue à partir
d’éléments imaginaires communs puissants partagés par ses membres. Cet imaginaire peut
alors le transcender, ou bien parfois en bloquer le fonctionnement vis-à-vis d’une rationalité
énoncée. Leurs études ont été effectuées dans les groupes non naturels c'est-à-dire non
opérationnels, ce qui selon Amado induit malheureusement une insuffisance concernant la
prise en compte des notions fantasmatiques se rapportant au réel qui pourtant les caractérisent.
C’est d’ailleurs cette lacune qu’Amado essaie de combler par son travail sur les groupes de
travail en entreprise.
Le rôle de l’analyste dans un groupe « naturel »
Anzieu conçoit néanmoins l’intérêt d’une psychanalyse dans les organisations qui peuvent
malgré tout perlaborer et parvenir à une conscience collective plus efficace pour atteindre
leurs objectifs. Comme pour Jacques ou Pagès, le thérapeute doit s’imprégner des affects du
groupe mais surtout rendre possible pour lui une explication de l’imaginaire sous-tendant son
fonctionnement. Dans ses « règles d’opérativité », il précise que son but doit être « d’amener
le fantasme inconscient à la parole » dans un « cadre analytique ».
Structures et organisations imaginaires
En reprenant le concept de « groupe comme objet d’investissement pulsionnel » de Pontalis,
Anzieu distingue la structure topique et l’organisation fantasmatique.
Structure topique
Pour Anzieu, « l’appareil psychique groupal » (Kaës 1976) se constitue dans un phénomène
de résonance collective des représentations inconscientes, et selon toute vraisemblance autant
sur le Surmoi ou sur le Ca, c'est-à-dire à partir de processus primaires et non plus secondaires
comme dans « l’illusion groupale », sorte d’évanescence collective dans laquelle le groupe
devient le Moi Idéal de chacun.
Organisation fantasmatique
La conjugaison de la structure topique et des fantasmes ayant cours dans le groupe induit
plusieurs organisations possibles. « Les cinq organisateur inconscients » d’Anzieu sont la
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résonance d’un fantasme individuel dans le groupe, l’universalité d’une imago (figure
centrale), la collectivisation d’un fantasme originaire (origine, casse, séduction), le complexe
d’oedipe, l’image du corps propre et l’enveloppe psychique de l’appareil groupal.
Les différentes dimensions du diagnostic analytique
En plus des niveaux topiques et fantasmatiques, Anzieu indique que le diagnostic doit
également considérer les caractéristiques dynamique, économique et génétique du groupe.
L’illusion groupale : les cinq dimensions du diagnostic psychanalytique
Au niveau topique, le groupe est basé sur un Moi Idéal collectif. Au niveau fantasmatique, le
sein maternel est l’objet du narcissisme. Au niveau dynamique, l’illusion groupale résout les
problématiques d’angoisses liées à l’unité moïque, et à la dépersonnalisation. Au niveau
économique, elle permet le transfert groupal (bon), et le transfert sociétal (mauvais).
Anzieu fait ensuite en 1966 le parallèle entre le groupe et le rêve qui sont pour lui du même
ordre car fonctionnant tous les deux sur l’illusion, y compris dans l’acte, ainsi que sur une
problématique d’angoisse et de culpabilité sous jacente.
Une intervention psychanalytique dans une PME
Dans une PME française dont la direction n’arrivait plus à manager efficacement, Anzieu a
fait le diagnostic d’une problématique groupale de « refoulé inconscient ». En deux jours il a
fait prendre conscience aux membres du comité de direction de leurs désirs inconscients
refoulés qui ressurgissaient de telle manière que tout travail de concert était effectivement
devenu impossible. Les uns et les autres ont fini par dénouer le problème et ont ainsi pu
reprendre leurs réunions. Anzieu dit de cette intervention, qu’elle a permis au mythe freudien
de la horde de se dérouler pour fonder une nouvelle organisation.
Alliances inconscientes et généalogie institutionnelle
A la suite de la notion « d’appareil psychique groupal », Kaës précise que le groupe
fonctionne en « alliances inconscientes », c'est-à-dire que les liens interpersonnels y sont
structurés par les conventions en vigueur entre ses membres. Les mécanismes en sont le
renoncement (pulsionnel), le contrat narcissique (Aulagnier, 1975), et le pacte dénégatif
(représentations refoulées). C’est notamment pourquoi il étend ce concept « d’alliances
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inconscientes » aux institutions dans lesquelles elles jouent un rôle apaisant les tensions entre
désirs et collectivité.
Par contre, la situation de changement institutionnel confronte leurs membres aux angoisses
identitaires liées à la perte des repères. Cependant, la fantasmatique de réalisation peut
également influencer l’accomplissement des modifications et révéler certaines faiblesses.
C’est cette idée que reprend la notion de généalogie institutionnelle avec celle de la
transmission inconsciente, comme dans une famille, formant en définitive une réalité
partagée. Comme dans une famille, l’intervention dans les institutions doit donc se concevoir
dans ce cadre et dans le but de soulager les souffrances de ses membres.
Chapitre V : L’analyse dialectique de Jacques Pagès
Au cours des années cinquante, Max Pages, psychosociologue, psychothérapeute, a proposé
une sociothérapie organisationnelle, notamment à la CEGOS dont il a dirigé le bureau de
psychologie industrielle à cette époque. Dans ses travaux, Pagès utilise des concepts
psychanalytiques mais aussi économiques, sociologiques, et existentialistes dans une
démarche pluridisciplinaire psychosociologique de sensibilité analytique très originale.
La vie affective des groupes
Pour Pagès aussi, l’organisation du groupe est un moyen de défense contre de l’angoisse. Par
contre, celle-ci est générée au sein même de la collectivité par le postulat d’affect bon et
réciproque préexistant à toute relation entre individus, et qui ne pouvant s’exprimer dans nos
organisations modernes, devient créateur d’angoisse.
Comme Jacques, Pagès établit une référence interventionnelle en entreprise puis conclu que
les mécanismes inconscients qui agissent au sein de la collectivité sont en relation avec les
sentiments qui y sont vécus par ses membres, avec la relation d’autorité, et qu’en terme de
changement, le travail de l’intervenant doit consister à œuvrer dans le but d’améliorer les
relations hiérarchiques dans le cadre des mécanismes de défense contre l’angoisse.
Inconscient collectif et changement social
Pages inclus enfin dans son approche, la dimension sexuelle des affects groupaux et la
réciprocité coercitive entre l’inconscient et l’organisation.
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L’emprise de l’organisation
Dans « L’emprise de l’organisation », Pagès, Bonetti, et Gaulejac, tirent d’une étude chez
IBM la conclusion que l’entreprise doit être considérée comme un objet dynamique constitué
des réponses d’ordre économique, politique, idéologique, et psychologique, données à ses
interrogations fondamentalement contradictoires concernant l’élan productif d’une part, et la
nécessité de le maîtriser d’autre part.
Par exemple, l’employé qui est initialement confronté à une désillusion narcissique lors des
premiers temps de son intégration développe vis-à-vis de l’entreprise une agressivité
angoissante qu’il détourne par le biais d’une idéalisation. L’illusion de cet idéal dorénavant
psychiquement intégré se transforme alors en addiction à l’organisation. Dans « l’entreprise
hyper moderne », sein maternel, l’organisation préoedipienne structure donc l’inconscient des
employés aliénés, parfois dépressifs, dans une régressivité marquée de l’absence du père, c’est
à dire de la loi.
S’agissant du management, la question concerne alors le critère de discernement du normal et
du pathologique, et transcendant la distinction de l’école du taylorisme et des RH, Pagès
conclut que l’étique doit être le facteur déterminant pour les managers. D’ailleurs Schwartz a
étudié ces notions dans les systèmes tels que définis par Pagès et a démontré le caractère
pathogène d’un fonctionnement totalement fantasmé conduisant inévitablement au syndrome
de « dégénérescence organisationnelle », induisant à son tour échecs, perte d’efficience et de
marge.
Le coût de l’excellence
Dans les années quatre vingt dix, Aubert et Gaulejac, qui comptaient également Lacan et
Bourdieu parmi leurs références, poursuivant sur les thèses pagèsiennes, ont émis l’hypothèse
d’une autre dégénérescence qui concerne le déclin des grandes institutions fondamentales du
Sens, qui ayant laissé le champ libre du centre d’intérêt sociétal à l’entreprise (Sainsaulien et
Segrestin, 1986) apportant de nouvelles perspectives narcissiques et consuméristes
(Finkielkraut, 1987), dans une ambition de conquête assumée (Lipovetsky, 1983). Aubert et
Gaulejac suggèrent ici que les nouvelles personnalités, ou structures inconscientes ainsi
créées, sont davantage fondées sur la perte que sur la castration, sur l’orgueil que sur la
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culpabilité. Le système de management correspondant est appelé managinaire : management
par l’imaginaire.
Aubert et Gaulejac relèvent alors la perversité de ce mode de fonctionnement que les
entreprises n’assument pas du point de vue éthique et qui conduit parfois l’individu à craquer,
épuisé, déprimé ou bien encore aliéné en totale collusion avec l’organisation, entraînant des
coûts humains et financiers importants (baisse d’efficacité, absentéisme, turnover, etc.)
Chapitre VI : La psychosociologie analytique d’Enriquez
Enriquez a travaillé avec les pionniers de la recherche psychosociologique notamment au sein
de l’ARIP. Il a également dirigé le Laboratoire de Changement Social avec Gaulejac. Sa
pensée se distingue des perspectives analytiques groupales par une vision davantage centrée
sur le sujet, son inconscient et ses fantasmes.
L’organisation entre psychisme et logiques sociales
Enriquez considère que l’homme est indissociable de l’organisation car il est le fondateur de
sa vie et de son sens. Il propose une typologie de 5 structures organisationnelles,
charismatique, bureaucratique, coopérative, technocratique, puis plus tard stratégique, qu’il
prolonge en définissant pour chacune d’elle des caractéristiques particulières d’influences
individuelles ou collectives.
L’organisation : un système culturel, symbolique et imaginaire
Pour Enriquez, l’organisation porte des valeurs, une vision, un sens sur une structure
particulière, en fonction de phénomènes sociaux singuliers. C’est donc un système culturel.
Mais c’est aussi un système symbolique car l’organisation vit ses mythes et ses fantasmes
(dont l’objet est la maîtrise) auxquels chacun doit se confronter, et un système imaginaire, à la
fois « leurrant », en cela que l’organisation va tenter de faire tomber le salarié dans l’illusion
narcissique, et « moteur » au sens où il permet l’expression dans un « espace transitionnel »
(Winnicott), ces leviers culturels, symboliques et imaginaires pouvant être manipulés au nom
de l’idéal que l’entreprise décide de véhiculer socialement.
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Ce management justifié par les valeurs conquérantes des entreprises insatiables, à présent
socialement centrales, est caractéristique de ce mouvement pourtant fragile qui tend à les
conduire parfois sur les chemins de la perdition, soit par désidentité, soit par non-sens.
L’organisation en analyse : un modèle en sept instances
La trame de l’analyse et du modèle d’Enriquez est constituée de sept instances. Dans
l’organisation, l’instance mythique y questionne le sens sur un mode discursif affectif et
représentatif. L’instance sociale historique qui soude le corpus social dans une vérité dont
sont exclus les aspects disruptifs y interroge son idéologie. L’instance institutionnelle explore
les voies qui maintiennent l’homéostasie et l’ordre. L’instance structurelle représente
l’organisation mise en œuvre, par exemple en termes de travail, d’opérationnalité ou de
fonctionnalité. L’instance groupale représente les modes de fonctionnement du groupe autour
d’un projet commun, la constitution psychique d’un lien groupal, la dynamique groupale du
désir et de l’identification, la culture paranoïaque des groupes, l’ambivalence des
organisations vis-à-vis des groupes. L’instance individuelle prend en compte la psychologie
des tous les acteurs de l’organisation dans ses rapports avec cette dernière, et l’instance
pulsionnelle qui est transverse cherche à identifier les poussées érotiques ou thanatiques
conduisant à des conduites telles que le déni et la projection.
Une méthode d’analyse et d’intervention catalysante
Modalités d’utilisation des sept instances
Afin de rester dans une perspective pertinente freudienne :
- Ne pas hésiter à structurer le champ d’analyse par un premier travail mono-
disciplinaire. Une action doit être envisagée par l’intervenant au regard d’un
référentiel cohérent.
- Savoir surprendre tout jugement interprétatif avant d’avoir appréhendé le phénomène
« au pied de la lettre », c'est-à-dire entendre une demande pour ce qu’elle est avant de
l’interpréter.
- Elargir le champ de l’observation au delà de l’expression manifeste du « dire » et du
« faire » des acteurs, soit être attentif aux aspects discursifs saugrenus ou
contradictoires.
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- Tenter d’articuler les différentes instances dans l’analyse du phénomène étudié. Il
existe différentes articulations entre les instances. Elles doivent être analysées et mises
en cohérence.
Principes méthodologiques pour une intervention clinique
La méthode d’Enriquez était particulièrement souple et adaptative en regard des situations
étudiées. Toutefois certains fondements principaux peuvent être dégagés :
- Le but de l’intervention doit dépasser une visée managériale. Son objectif est en effet
l’appropriation par chacun des éléments favorisant une avancée au sens large.
- L’analyse de la demande du client doit permettre d’en déterminer les aspects
ostensibles comme occultes. L’analyse individuelle est proscrite.
- Les méthodes d’intervention consistent en entretiens, ou travaux collectifs au cours
desquels l’intervenant peut apporter des données théoriques, faire des suggestions,
mais il doit toujours être neutre et surtout tenir compte de l’influence du transfert.
- La dimension psychanalytique de l’intervention est un principe fondamental dans la
mesure où elle permet de donner au travail le recul nécessaire à une perspective
globale.
Une intervention dans une organisation sociale
Dans une institution d’accueil pour femmes en difficultés, Enriquez intervient pendant trois
jours. Au cours de cette intervention organisée en journée plénière, puis en travaux de groupes
et de restitution, Enriquez entend les récriminations des différents métiers. Tous se plaignent
notamment de la directrice. Dans cette régressivité, agressive, il joue son rôle dans le transfert
pour finalement rendre possible la rencontre des positions respectives des parties : pour la
directrice, les personnels la détestent, et pour eux, elle est hautaine et autoritaire. La directrice
craque, le nœud a lâché.
Sollicité deux ans plus tard par la directrice sur le départ, Enriquez réalise la même
intervention avec sensiblement la même équipe. A nouveaux de vifs échanges ont pu avoir
lieu entre elle et la nouvelle directrice, ce dont elle remercia Enriquez quelques temps plus
tard. Les choses étaient dites.
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Chapitre VII : La socio-psychanalyse de Mendel
Au cours des années soixante dix, Mendel, psychiatre psychanalyste, fonde avec le groupe
Desgenettes la socio-psychanalyse dont l’objet est l’étude du social grâce à l’éclairage
« essentiel » de la psychanalyse (Bitan-Weizsfeld et Rueff-Escoubès, 1997).
Les dimensions psychosociale et psycho-familiale en acte
La socio-psychanalyse propose que l’homme a une tendance naturelle qui le pousse à vouloir
s’approprier ses actes, y compris dans le cadre de son travail. Parallèlement, l’organisation
tend quant à elle à contrarier cette tendance par les fonctionnement managériaux
hiérarchiques qui la structurent. Ce paradoxe peut alors être vécu comme une « castration
psychique » (Bitan-Weizsfeld et Rueff-Escoubès, 1997), et entraîner tous symptômes
individuels et organisationnel, dont particulièrement, pour Mendel, une régression dans
l’appréhension de la hiérarchie vers une projection de la relation familiale. Mendel précise
que le mouvement inverse est également possible.
La méthode d’intervention socio psychanalytique
Dans le prolongement, l’objet de l’intervention organisationnelle du groupe Desgenettes
réalisée plus particulièrement dans les institutions et organisations médicales, est de permettre
l’appropriation des actes et le maintien du niveau politique par l’interrogation du sens de
l’institution et du travail effectué pour le développement des « personnalités psychosociales ».
La forme de l’intervention est diverse : réunions, entretiens, audits. Sur environ dix huit mois,
les participants travaillaient sur leur relation avec l’institution. La méthode des intervenants
consiste à relever les incohérences du discours et les résistances afin d’induire l’élaboration
dans le sens socio-psychanalytique.
Plus tard (« volet 2 »), la taille des groupes est passé d’une douzaine à la moitié environ, et la
fréquence de leurs réunions a diminué.
Dans le « volet 3 », dans les années 90, Mendel suggère d’adapter l’intervention en fonction
des besoins exprimés.
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Modalités de l’intervention socio-psychanalytique.
Les intervenants sont analystes ou analysants. L’intervention se fait en trois temps : la
préparation, qui consiste en en diagnostic, la réalisation de l’intervention à proprement dit
concernant les phénomènes inconscients, et l’élaboration clinique, sorte de débriefing par le
groupe Desgenettes qui analyse son travail et celui des membres participant à la démarche
(Bitan-Weizsfeld et Rueff-Escoubès, 1997). La dernière étape consiste en la restitution en
synthèse aux participants de la démarche, des résultats obtenus à la lumière de la « référence
silencieuse » psychanalytique (Giraud, 1997).
Une intervention dans une régie des transports
Le directeur de STP fit appel à Mendel car il souhaitait que l’entreprise et les salariés se
développent conjointement. Tout au long du travail, le sujet des groupes formés à la méthode,
a toujours été l’acte de travail. En termes de résultats, bien des problèmes ont été réglés ou
évités. Pour la direction, les solutions sont venus des gens les mieux placés, et l’aspects
dynamique global de la démarche a été particulièrement intéressant au sens du management
(Moreau, 1999). Pour les salariés, le questionnement régulier de leur travail a permis une
meilleure appropriation de leurs actes au quotidien. Le bénéfice a donc été général, donnant à
tous une meilleure perception de l’entreprise, particulièrement grâce à une communication
plus efficace induite par ce travail régulier qui a en définitive amené une transformation
profitable de la structure de la société.
Chapitre VIII : L’effervescence des années 1990-2000
Aux alentours des années quatre vingt dix, alors que le monde de l’entreprise s’y intéresse de
plus en plus, la théorie psychanalytique des organisations a connu un bouleversement sous
l’effet de la profusion d’écoles aux visions parfois divergentes, voire incompatibles.
Les mutations de la psychosociologie analytique
La partition ARIP-CIFRIP
Ce bouleversement a saisi la communauté scientifique de l’ARIP du fait d’une tendance
idéologique allant clairement vers une orientation psychanalytique plus traditionnelle, avec en
particulier un aspect individuel ou thérapeutique plus marqué. Les fondateurs de l’ARIP ont
alors créé le CIRFIP avec d’autres chercheurs tels que Boutinet, Amado, Gaulejac, Huget,
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Hans, Guienne, ou encore Jacqueline Barus-Michel du Laboratoire de Psychologique
Clinique, afin d’assurer la continuité de leur approche psychosociologique.
La communauté Cifripienne
Par opposition à L’ARIP, le CIFRIP est alors devenue une association internationale dont
l’objectif est la réflexion sur la discipline alors que l’ARIP est resté un groupe
interventionniste aux motivations heuristiques, la psychosociologie consistant pour le CRFIP
en une approche analytique, mais du fait social de l’organisation.
A l’image de nombreuses nouvelles conceptions liées aux sciences de l’éducation ou à
l’étique dans la gouvernance des entreprises, le CEFRIP est aujourd’hui le noyaux d’une
constellation d’associations satellites.
Le dialogue avec la psychopathologie / psycho-dynamique du travail
Amiel, Zoila, Kasl, Lazarus, Sivadon, Veil, ou encore Christophe Dejours du CNAM on
étudié les causalités psychopathologiques individuelles liées au travail et les souffrances
engendrées corrélativement, dans une nouvelles discipline nommée psycho-dynamique du
travail. Néanmoins, cette approche tournée vers la santé mentale des travailleurs ne se
revendique que d’inspiration psychanalytique, l’analyse étant considérée comme inadaptée
voire réductrice vis-à-vis de l’intervention organisationnelle.
L’évolution de l’ARIP
Actuellement, les travaux de l’ARIP sont plus particulièrement orientés vers la formation.
C’est pourquoi la plupart de ses membres réalisent leurs recherches au sein d’autres
association telles que « Transition », grâce à laquelle Rouchy publie ses travaux par exemple
dans « Le Groupe, espace analytique » en 1998.
Des tentatives balbutiantes de renouveau conceptuel
D’autres chercheurs, parfois sans lien avec la discipline, ont amené des visions différentes en
matière de psychanalyse organisationnelle.
Le CIPA
Le CIPA (Collège International de Psychanalyse et d’Anthropologie), dont Jean Nadal est
président, traite l’étude des organisation de manière pluridisciplinaire. Parmi ses membres les
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plus connus, elle compte Loick Roche qui a établi une typologie des managers et de leurs
modes de management en fonction de leur fixation à un des stades de la maturation psycho
sexuelle freudienne, qui engendre fonctionnellement leurs échecs du fait de sa soumission au
principe de plaisir vu alors comme déterminant organisationnel au détriment de la rationalité
annoncée.
Avant de proposer « l’anti-management » qui prend à rebours la réalité managériale grâce à
des outils conceptuels de Lacan, il suggère que l’homosexualité est le dénominateur commun
à ses classes de managers (oraux, anaux, phallique, latent, génitaux), et que c’est de la
capacité à accepter cette orientation sexuelle commune, sauf pour les génitaux, que dépend
pour eux l’éventuelle réussite d’un dépassement du principe sexuel régressif.
Le GERI
Le Groupe d’Etude de Recherche et d’Intervention est composé de spécialistes dans différents
domaines : psychanalyse, sociologie, philosophie, linguistique. Il compte parmi ses rangs des
chercheurs tels que Jean Muller, Françoise Kittel, qui travaillent sur la notion de pouvoir en
tant que fondement de l’activité sociale et reflet de la personnalité des mangers.
L’IPM
L’Institut Psychanalyse et Management a pour but de mettre en perspective les concepts
analytiques, plutôt lacanien, et le management. Il regroupe des spécialistes divers, des
praticiens clinques, des managers comme Florian Sala, Dominique Drillon, ou Thibault de
Swarte, Jean Benjamin Stora, Norbert Chatillon, Philippe Saielli. A l’image de cette diversité,
les travaux de l’IPM sont multiples et hétéroclites. Organisme de pensée, l’IPM effectue donc
des travaux dirigés vers l’organisation et l’éthique des PME (Bruneau), comme vers le sujet,
l’inconscient et la technologie, le pouvoir, la démocratie (Brunner), ou encore vers « l’audit
analyse », soit l’élaboration dont la visée est la conscientisation du désir en situation
professionnelle.
Nos propres travaux
Par l’utilisation des apports de la théorie lacanienne, ils se veulent originaux, notamment par
l’interrogation des aspects symboliques, ou en terme d’héritage signifiant ou de dette, de la
position du sujet dans le sens de son organisation, faisant de l’organisation dans le
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prolongement de l’enfance, le terrain privilégié du signifiant opérant dans lequel est pris
l’individu.
« L’inconscient est le discours de l’Autre » disait Lacan. La réalité ou le réel du sujet est donc
en lui mais aussi ailleurs. Lacan disait encore : « le désir est le désir de l’Autre ». Le désir de
cet ailleurs, ce grand « A », Dieu, Entreprise, Marché, devient alors le désir de l’individu.
Dans un phénomène récurrent, le sujet héritier du signifiant, et assigné par le désir de l’Autre
se plie-t-il tant bien que mal, y compris si besoin dans le symptôme, à ce qui lui est ainsi
imposé. Se jouant des individus, la collectivité, l’entreprise sont dirigées par les signifiants
communs et l’interaction des discours et des symptômes.
La souplesse d’utilisation de la théorie lacanienne permet de ne pas stéréotyper l’entreprise
mais au contraire d’étudier de nouveaux concepts, comme par exemple le « désir de travail »
en tant qu’objet (Arnaud, Guinchart et Louart, 2005).
Conclusion :
Pour conclure, les approches théoriques majeures sont recensées dans le tableau ci dessous.
Champ de la psychanalyse organisationnelle : les principaux courants
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La notion d’organisation ici décortiquée et revue grâce aux apports conceptuels de la
psychanalyse est littéralement transformée, à l’opposé d’une démarche psychologisante, par
l’interrogation de sa face cachée, l’inconscient (Assoun, 1993).
L’entreprise devient donc ainsi le jeu, la scène de l’interaction des subjectivités, et selon nous,
la psychanalyse organisationnelle est alors au sens lacanien, la discipline d’un manque
organisationnel « où le sujet s’exprime comme désir ».