une conséquence de la nouvelle gestion publique : l'émergence d
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Une conséquence de la nouvelle gestion publique
L’émergence d’une pensée comptable en éducation
Michel ST-GERMAIN, Ph. D., professeur titulaire
Faculté d’éducation, Université d’Ottawa (Ontario), Canada
VOLUME XXIX:2 – AUTOMNE 2001
Revue scientifique virtuelle publiée parl’Association canadienne d’éducationde langue française dont la mission estd’inspirer et de soutenir le développe-ment et l’action des institutions éduca-tives francophones du Canada.
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du QuébecBibliothèque et Archives du Canada
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1 LiminaireOrigines et incidences des nouveaux rapports de force dans la gestion de l’éducationMichel ST-GERMAIN, Université d’Ottawa, Ontario, Canada
10 Une conséquence de la nouvelle gestion publique : l’émergence d’une pensée comptableen éducationMichel ST-GERMAIN, Université d’Ottawa, Ontario, Canada
45 Les Hautes Écoles en Communauté française de Belgique à l’heure des logiques d’acteursAndré GUSTIN, Haute École Blaise Pascal, Arlon, Belgique
70 La commercialisation de l’éducation publique : un cheval de Troie menaçant?Denis HACHÉ, Université de Toronto, Ontario, Canada
89 La transformation des rapports entre l’État et l’Église au QuébecMicheline MILOT, Université du Québec à Montréal, Québec, Canada
111 De la tradition à la participation : parcours et adoption d’une politique linguistiqueà la Commission des écoles catholiques de MontréalThérèse LANDRY, Université du Québec à Hull, Québec, CanadaJean B. HACHÉ, Université de Moncton, Nouveau-Brunswick, Canada
130 Le leadership pédagogique : une approche managériale du style d’enseignementÉric BERNABÉ et Pol DUPONT, Université de Mons-Hainaut, Bruxelles, Belgique
151 La décentralisation du système scolaire québécois : une variation sur un thème majeurGuy PELLETIER, Université de Montréal, Québec, Canada
169 Changement, incertitude et gestion en éducation : regards sur la réforme scolaire au QuébecJean J. MOISSET et Alice COUTURE, Université Laval, Québec, Canada
198 Décentralisation et rapports de force : évolutions et stratégies politiquesJean LABELLE et Michel ST-GERMAIN, Université d’Ottawa, Ontario, Canada
223 L’école française : analyse des tensions et perspective d’une re-fondationJean-Pierre LETOURNEUX, Université de Nantes, France
248 Innovation, stratégies identitaires et rapport de forceMarie-Christine PRESSE, Université de Lille, Laboratoire Trigone/Mégadipe, France
266 Les directions générales et les commissaires scolaires : liaisons dangereuses?Lyse LANGLOIS, Université du Québec à Trois-Rivières, Québec, Canada
283 Empowerment et leadership des directions d’école : un atout pour une politique de décentralisationLuc BRUNET et Richard BOUDREAULT, Université de Montréal, Québec, Canada
300 Le partenariat décisionnel en éducation au Québec : l’institutionnalisation de rapports de forceMarjolaine ST-PIERRE, Université du Québec à Trois-Rivières, Québec, Canada
313 Le conseil d’établissement et la participation parentale dans le processus de prise de décisionLucille MORIN et Rollande DESLANDES, Université du Québec à Trois-Rivières, Québec, Canada
Origines et incidencesdes nouveaux rapports de force dans la gestion de l’éducationRédacteur invité :Michel ST-GERMAIN, Université d’Ottawa (Ontario), Canada
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Une conséquence de la nouvelle gestion publique
L’émergence d’une pensée comptable en éducation
Michel ST-GERMAIN, Ph. D., professeur titulaire
Faculté d’éducation, Université d’Ottawa (Ontario), Canada
RÉSUMÉ
Il est difficile de comprendre les changements majeurs en éducation à moins
d’opérer un certain recul et d’épouser une vision plus large quant au paradigme
dominant de gestion. Dans ce texte, on présentera quelques fondements théoriques
sur la nouvelle gestion publique (NGP), paradigme de gestion à la base de la plupart
des nouvelles réformes éducatives. Les principes peuvent se résumer à quelques
mots : participation décisionnelle accrue des usagers vus comme consommateurs et
électeurs, obligation de résultats quantifiables, décentralisation, imputabilité accrue,
mise en place de cadres de contrôle. Il faut, dans l’application de la NGP en éduca-
tion, tenir compte de quelques constats tels que l’obligation de la mesure de la
performance du système éducatif dans le contexte de la mondialisation, la recon-
naissance de l’individualité de la personne, le rôle croissant des parents, les limites à
l’absorption du changement et enfin l’émergence de la professionnalisation.
ABSTRACT
A Consequence of New Public Management :The Emergence of An Accounting Mentality in Education
Michel ST-GERMAIN, Ph. D., professeur titulaire
Faculté d’éducation, Université d’Ottawa (Ontario), Canada
It is difficult to understand the major changes in education unless one is looking
from a certain distance and adopting a larger vision in relation to the dominant
management paradigm. This text presents some theoretical foundations on the New
Public Management (NPM), a management paradigm at the base of most of the new
reforms in education. The principles can be summarized in a few words : increased
decisional participation of the users, who are seen as consumers and electors, the
obligation to have quantifiable results, decentralization, increased imputablilty and
putting monitoring methods in place. In applying the NPM to education, some facts
must be taken into consideration, such as the obligation to measure the performance
of the educational system in the context of globalization, the recognition of the indi-
viduality of the person, the growing role of parents, the limits of change absorption
and finally, the emergence of professionialization.
RESUMEN
Una consecuencia de la nueva gestión pública : El surgimiento de una doctrina contable en la educación
Michel ST-GERMAIN, Ph. D., professeur titulaire
Faculté d’éducation, Université d’Ottawa (Ontario), Canada
Es indispensable adoptar una cierta distancia y abrazar una visión más amplia
de la gestión en tanto que paradigma dominante para poder comprender los cam-
bios singificativos en el sector educativo. En este texto, se presentarán algunos de las
bases teóricas de la Nueva Gestión Pública (NGP), paradigma de la gestión en que se
basan la mayor parte de las nuevas reformas educativas. Los principios pueden
resumirse en pocas palabras : incrementar la participación de los usuarios en la toma
de decisiones, en tanto que consumidores y electores, obligación de ofrecer resulta-
dos cuantificables, decentralización, incremento de la imputabilidad, instalación de
cuadros de control. En la aplicación de la NGP en el sector educativo hay que tener
en cuenta algunas constataciones como la obligación de medir los logros del sistema
educativo en el contexto de la mundialización, el reconocimiento de la individuali-
dad de la persona, el creciente rol de los padres de familia, los límites en la absorción
del cambio y en fin el surgimiento de la profesionalización.
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
Préambule
La pensée comptable pourrait être représentée comme un grand livre à deux
colonnes, une pour les entrées et une pour les sorties. Toute saine comptabilité nous
dirait qu’il est essentiel, pour la survie de l’organisation, que le total de la colonne des
sorties ou des coûts soit inférieur au total de la colonne des entrées ou des revenus.
Or, dans une telle approche, on ne peut utiliser que des unités objectivement
mesurables. Si le « teneur de livre » considérait des facteurs intangibles comme la
qualité, la beauté, l’utilité, la motivation ou la satisfaction, on pourrait l’accuser
d’être subjectif et de se laisser influencer par le contexte ou le produit. Tant que les
concepts abstraits ne sont pas réduits, sous une forme ou l’autre, à des unités quan-
tifiables, ils ne peuvent pas être incorporés dans le grand livre à deux colonnes. Seuls
les chiffres comptent!
La pensée comptable consiste à définir les activités et la réalité uniquement
à partir d’unités mesurables. On peut le faire de deux façons. On peut réduire la réa-
lité à quelques indicateurs préalablement connus et, en quelque sorte, la forcer à
prendre sa place tout en laissant tomber les aspects qui ne sont pas réductibles. On
peut aussi identifier de nouveaux indicateurs pour mieux tenir compte de cette
réalité et ainsi enrichir la teneur de cette réalité. Dans le premier cas, on peut parler
d’approche réductionniste. Dans le second cas, cette approche, à tendance systé-
mique, est expansionniste, car elle vise à mieux saisir la réalité à partir de la décou-
verte de nouvelles représentations objectives de la réalité.
À partir du moment où l’on considère que toute réalité peut être définie de
façon positiviste (et encore plus si l’on considère qu’elle ne peut l’être que de cette
façon), peu importe qu’on y arrive de façon réductionniste ou expansionniste, on
vient de faire le premier pas dans l’idéologie de la pensée comptable. On vient de
définir les rubriques ou les postes du grand livre. Le second pas est atteint lorsqu’on
décide de comparer le rapport entre les intrants et les extrants d’une même
rubrique : on vient d’introduire le concept de performance. De plus, on assiste, dans
la même veine, à la transformation des rapports entre les usagers et l’administration.
La prise en considération des besoins des usagers et de leurs préoccupations quant
au type et à la qualité de services reçus devient un credo.
La mise en place de ces nouvelles approches entraîne de nouveaux rapports de
force entre les usagers et l’État, et entre les employés et l’État. En fait le mouvement
est double. Les changements progressifs des années 70 et 80 ont engendré une nou-
velle conception de la gestion publique, laquelle a donné une plus grande envergure
à ces changements. Les relations de pouvoir ne sont plus en fonction d’une relation
d’autorité hiérarchique préoccupée par une obligation de moyens, mais plutôt en
fonction de relations pluridimensionnelles de l’autorité : nous assistons à une distri-
bution des pouvoirs tout en ayant un État central qui limite ou spécifie la marge de
pouvoir.
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
Les sociétés industrielles et post-industrielles sont de plus en plus imprégnées
de formes de gestion dont les postulats relèvent de la pensée comptable. Au-delà des
dimensions phénoménologiques et anecdotiques, l’objectif de ce texte est, à partir
de la présentation des ensembles conceptuels de principes décrivant les différentes
formes de la pensée comptable, de fournir un cadre théorique de réflexion quant à
l’avenir des actions entreprises en éducation.
Ce texte comporte trois parties. En guise d’introduction et pour mieux situer le
débat, la première partie présente quelques caractéristiques de réformes éducatives,
notamment en Ontario. Vient ensuite la présentation de plusieurs ensembles de pos-
tulats concernant la nouvelle gestion publique (NGP). La troisième partie porte sur
les conséquences actuelles et potentielles de l’utilisation de cette idéologie dans le
domaine de l’éducation.
Partie 1 : Quelques constats sur les réformes éducatives
Le fonctionnement des organisations publiques et parapubliques se caractérise
par trois constantes. En premier lieu, la crise des finances publiques entraîné une
demande accrue pour l’efficacité financière. Ensuite, les consommateurs ou les
bénéficiaires des services publics et parapublics insistent de plus en plus sur la
démonstration de la qualité du service rendu à l’usager. Enfin, on note une prise en
considération de l’usager et ce sur deux plans. L’usager est un générateur d’idées et,
à ce titre, il doit être de plus en plus consulté; il est aussi un partenaire dans la mise
en œuvre et dans les opérations des dispositifs. À ce titre, il devient omniprésent
dans les changements apportés tant sur le plan de la définition des orientations que
dans l’exercice des pouvoirs qu’on lui accorde. Ceci rejoint les thèmes de la post-
modernité sur la diversification des sources de pouvoir et de la dispersion des
pratiques, notamment le remplacement de la centralité culturelle.
Plus précisément, en ce qui touche l’efficacité financière, le mot d’ordre des
15 ou 20 dernières années a été la gestion de la décroissance découlant de la réduc-
tion des sommes disponibles. Ce mot d’ordre s’applique en deux temps. D’abord, il y
a eu une période de réduction des sommes allouées à chaque poste budgétaire ou au
fonctionnement global des opérations. Ensuite, compte tenu de l’obligation de
fournir les services malgré cette réduction, la fameuse maxime faire plus et/ou faire
mieux avec moins devenant à la mode, il y a eu stabilisation (et parfois de nouvelles
réductions) des ressources associées à une obligation de résultats. Une double
pression s’exerce donc sur les organisations. Pour y arriver, afin de protéger certains
objectifs sociaux, l’instauration de la pratique des enveloppes budgétaires fut
encouragée.
L’obligation de résultats se double implicitement d’une orientation vers la
qualité du service rendu. L’obligation de moyens conduisait à la mise en place de
structures et d’activités sans préoccupation affichée de résultats. Avec l’obligation
de résultats, il faut, en plus de fournir l’activité, identifier des indicateurs de réussite,
les mesurer et appliquer des solutions de redressement pour pallier les insuffisances.
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
La notion de qualité découle du lien présumé entre les indicateurs choisis et la
qualité, c.-à-d. une certaine conformité à un idéal.
Enfin, à l’obligation de résultats est associée l’identification du résultat et des
indicateurs de réussite. C’est alors que la prise en considération de l’usager devient
importante. Le choix des domaines dans lesquels on doit atteindre des résultats et le
choix des indicateurs qui démontrent que ces résultats ont été atteints relèvent de
plus en plus de consultations et de rencontres avec les usagers.
Une lecture plus globale du changement indique une demande pour un rende-
ment accru, une insistance sur les objectifs à atteindre (on parlera alors, dans le
domaine de l’éducation, de rendement scolaire et de réussite éducative), une mise en
place de mécanismes de contrôle dont les tests standardisés sont une représentation.
La façon utilisée pour corriger le tir est la préparation de plan d’amélioration et de
plan de performance entérinés par les autorités.
Examinons plus attentivement un exemple de réforme éducative illustrant ce
nouvel esprit qui anime la gestion publique et parapublique. L’Ontario a entrepris un
vaste mouvement de réforme reposant essentiellement sur l’efficacité économique,
l’obligation de fournir un service de qualité et la responsabilisation des usagers.
Dès le départ, en 1995 et même par la suite, le gouvernement Harris bénéficiait
d’un large appui de l’électorat qui considérait que les enseignants étaient très bien
rémunérés et accomplissaient peu de choses! L’opinion publique et surtout le
gouvernement les jugeaient responsables de l’inefficacité du système éducatif. Tout
au long des années de réformes depuis 1995, le gouvernement persiste à considérer
que les enseignants et même les cadres scolaires doivent être matés et mis
à leur place. Les communiqués de presse des différents ministres de l’Éducation
portant sur l’introduction de nouvelles mesures en éducation (comme la loi 160 sur
la restructuration des systèmes scolaires, la loi 74 sur l’obligation de participation
aux activités parascolaires pour les enseignants, la loi 81 sur la discipline à l’école, la
création de postes budgétaires) ont toujours dénigré les enseignants et les cadres
scolaires. De plus, ces mêmes communiqués, dans un second souffle, ont réguliè-
rement attribué, en grande partie, les changements en éducation à des demandes de
parents : Les parents nous ont fait savoir que...; les parents considèrent que...
Deux paramètres caractérisent les changements introduits : une rapidité sans
précédent et l’absence d’étapes dans l’implantation du changement. Agir rapide-
ment (Evans 1997, p. 2); Barlow et Robertson, 1994) permet d’éviter les coalitions
et les réactions de la profession et des autres acteurs du système éducatif. C’est le
principe de l’attaque surprise. La mise en œuvre simultanée et continuelle, sans
aucune pause, permet d’appliquer le plan d’une façon intégrale, sans possibilité de
réajustement, ce qui serait, pour un gouvernement de la nouvelle droite, un signe de
faiblesse politique.
En Ontario, on a assisté à plusieurs activités de centralisation que l’on peut aussi
qualifier, puisqu’il s’agit de standardisation, d’activités de normalisation : il s’agit de
rendre les pratiques uniformes. Le gouvernement a souvent parlé de décentralisa-
tion. Il fixait les objectifs mais laissait les conseils scolaires libres de choisir les
moyens. Cependant, la marge de manœuvre de ces derniers était tellement mince
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
qu’il s’agit, à toutes fins pratiques, de centralisation.
Sur le plan pédagogique, plusieurs domaines d’activité et plusieurs procédures
qui relevaient auparavant de l’autorité locale ont été définis par le ministère de l’Édu-
cation. Il y a eu centralisation de l’élaboration des programmes devenus plus pre-
scriptifs. Ensuite, tout le volet de la performance, comme l’établissement des niveaux
des attentes et des compétences à évaluer ainsi que le testing provincial par l’Office
de la qualité et de la redevabilité en éducation (OQRE), relèvent du centre et est
appliqué en périphérie. Plus subtilement, il y a eu la création d’outils de normalisa-
tion tels que les esquisses de cours (qui sont des exemples très détaillés de comment
on pourrait enseigner une unité), le planificateur électronique (qui aide l’enseignant
à être plus efficace dans le choix des contenus et des stratégies en fonction des
attentes du Ministère), le bulletin électronique provincial (identique dans tous les
conseils) et les procédures et méthodologies entourant la préparation du plan d’en-
seignement individualisé, lequel peut être exigé par tout parent pour son enfant,
identifié ou non comme étant en difficulté d’apprentissage. Le processus d’utilisa-
tion de ces outils prescrit implicitement des approches similaires.
Sur le plan législatif, la constante des différentes lois et pièces législatives, telles
que la nouvelle loi de l’éducation, la loi 160, la loi 31 sur la création de l’Ordre des
enseignants et des enseignantes de l’Ontario, les lois 74 et 81, est la création de dis-
positifs centraux de régulation dont l’objectif est l’uniformisation des pratiques.
L’une des subtilités méconnues de ce gouvernement fut d’inscrire dans la loi de
l’éducation (LE) des activités de fonctionnement (comme par exemple, le nombre de
minutes d’enseignement par semaine, le nombre moyen d’élèves par classe, la dis-
tance de marche pour un élève, le nombre de journées pédagogiques admissibles),
alors qu’auparavant ces activités étaient définies par des règlements. Le changement
est fondamental : un article de loi ne peut être changé que par la législature alors
qu’un article du règlement peut être modifié par le Conseil des ministres. À toutes
fins pratiques, le passage du règlement à la loi a assuré la quasi-permanence de la
définition des activités.
Sur le plan professionnel, l’intervention la plus marquée est la création d’un
ordre professionnel qui a hérité de mandats traditionnellement dévolus au ministère
de l’Éducation mais s’est également attribué des mandats à partir de son interpré-
tation de la loi 31. Le ministère de l’Éducation de l’Ontario a transféré à cet ordre ses
pouvoirs en matière d’accréditation et de reconnaissance des cours de développe-
ment professionnel que suivent les enseignants. L’Ordre s’est aussi donné comme
mandat, à partir du fait qu’un ordre professionnel doit d’abord protéger le public,
d’intervenir non seulement dans les programmes de formation à l’enseignement et
de perfectionnement professionnel mais aussi dans leur processus de gestion.
Sur le plan managérial, on constate un accroissement du contrôle de la part des
administrateurs, la mise en place d’évaluation standardisée pour les enseignants et
les enseignantes. La marge de manœuvre devient très mince : les orientations et les
politiques venant du centre, la périphérie se voit forcée de les appliquer. Sur le plan
financier, on remarque un double mouvement. Il y a une centralisation dans la
perception des ressources. La taxe scolaire, auparavant perçue localement, est abolie
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
et devient une prérogative provinciale. L’argent est ensuite affecté à des postes
budgétaires prescrits ne laissant aucune marge de manœuvre de transferts d’enve-
loppes.
Le résultat attendu de ces pratiques centralisatrices (et il y en a d’autres qui sont
passées sous silence) est l’atteinte d’un meilleur rendement de l’élève à partir de con-
tenus et de pratiques uniformes ou quasi uniformes. Ce rendement est mesuré à par-
tir de tests préalablement validés par l’Office de la qualité et de la redevabilité en
éducation (OQRE).
Ce mouvement de réforme n’est pas isolé, on en retrouve de similaires dans tous
les services sociaux, dans d’autres provinces et dans d’autres pays. En Alberta, le gou-
vernement a considéré que la réduction des dépenses en éducation pouvait se faire
sans affecter les programmes scolaires. Plusieurs mesures furent mises en preuve,
mesures dont les objectifs étaient d’accroître l’efficacité dans le fonctionnement,
accompagnée d’une réduction des coûts. On a préconisé la diminution des dépenses
administratives et une modification des structures de gouvernance (Alberta
Education 1995). Les points les plus importants de cette réforme ont porté sur
la réduction des dépenses, la diminution du nombre de conseils (opération liées à
l’économie d’échelle), une incitation vers un esprit de compétition entre les écoles et
entre les conseils, un accroissement du contrôle local des écoles par l’introduction
de politiques provinciales portant sur la gestion locale (y compris la création des
conseils d’écoles obligatoires) et enfin un accroissement des programmes de testing
et l’utilisation des résultats en tant que mesure de performance du système d’éduca-
tion (Evans, 1997, p. 1).
Le gouvernement de Ralph Klein y est arrivé par la prise de contrôle, au niveau
provincial, de la portion de la taxe foncière affectée à l’éducation, par l’instauration
de la possibilité de choix par le public du modèle de financement et la mise en place
d’écoles à chartre (charter schools). On a aussi réduit les salaires de 5 %, opéré des
coupures de 50 % dans le programme de jardin-maternelle et, enfin, imposé une
diminution du soutien gouvernemental pour le transport scolaire, l’entretien et la
construction d’écoles. On est revenu, en 1996, sur une partie de ces coupures tout en
maintenant les baisses de salaire.
La Grande-Bretagne fut un précurseur dans le domaine. McVicar (1993, p. 197)
présente les objectifs de la réforme de l’éducation en 1988 à partir du modèle LMS
(local management of schools) :
1. Donner plus de flexibilité aux écoles pour qu’elles puissent répondre plus
adéquatement aux besoins de l’environnement local et de leur clientèle;
2. Transférer le contrôle des ressources des enseignants professionnels à des ges-
tionnaires et à des bureaux de gouverneurs;
3. Accroître l’imputabilité des écoles dans la façon d’utiliser les ressources;
4. Accroître l’efficacité du management dans les services éducatifs en définissant
très minutieusement la responsabilité pour la livraison des services éducatifs;
5. Introduire le marché interne en éducation.
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
Il conclut en disant qu’on a fait de l’école une école professionnelle (vocational)
et instrumentale (McVivar, 1993, p. 209).
Par rapport aux approches traditionnelles de gestion publique, ces réformes
sont la manifestation d’un mouvement beaucoup plus large appelé la nouvelle
gestion publique (NGP), et constituent une brisure radicale (Pollitt 1993, 1995b), une
nouvelle idéologie de gestion (Enteman,1993) et même un paradigme de
réinvention du gouvernement (Osborne et Gaebler, 1992). Toutefois, comme le
souligne Pollitt (1993, p. 191), on ne peut généraliser cette tendance ou cette idéo-
logie à tous les secteurs : il y a des secteurs publics, bien que devenant de plus en
plus rarissimes, qui échappent à cette tendance. Il convient néanmoins, pour com-
prendre ce qui se passe autour de nous et surtout interpréter adéquatement les
demandes et les changements, de dégager un sens, une direction, un « chapeau »
général en identifiant adéquatement les postulats sous-jacents à la NGP.
Partie 2 : Conceptualisation de la nouvelle gestion publique (NGP)
On considère que la Grande-Bretagne, sous le gouvernement Thatcher au milieu
des années 80, a été un agent de premier plan dans l’élaboration, de façon stricte-
ment empirique, des postulats de base de la NGP. Pollitt (1993, p. 180) identifie ce qui
a caractérisé les réformes successives en Grande-Bretagne :
1. À la suite des privatisations, il y a eu une utilisation plus large et plus répandue
de mécanismes de marché dans des secteurs publics qui ne pouvaient pas être
transférés au secteur privé,
2. On rencontre une décentralisation spatiale et organisationnelle intensive du
management et de la production des services,
3. Du point de vue de la rhétorique (gouvernementale), on accorde une impor-
tance constante au besoin d’améliorer la qualité,
4. On insiste continuellement sur le fait qu’une plus grande attention doit être ap-
portée aux souhaits de l’utilisateur et du consommateur de services individuels.
Pollitt conclut : « In the academic literature, this package has become known
as the ‘new public management’ or NPM » (Pollitt 1993, p. 180). Les mots-clés, que
Pollitt détaille avec précision (Pollitt, 1993, p. 180-187), sont : les mécanismes de
marché ou de quasi-marché, la décentralisation, l’amélioration de la qualité et enfin
la réponse aux besoins de l’utilisateur - consommateur. Le principe de base est litté-
ralement la conduite du gouvernement comme une entreprise (Osborne et Gaebler
(1992)) en s’appuyant sur des concepts et des approches comme : la recherche de la
performance, l’évaluation des résultats, la standardisation des opérations, la rede-
vabilité, l’évaluation des opérateurs et la mise en place de mécanismes de sanction
avec un accroissement du contrôle (car on ne peut acheter, comme dans le secteur
privé, la loyauté à l’entreprise).
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
Les sources de la nouvelle gestion publiqueLes pressions s’exercent sur les gouvernement depuis le début des années 70,
plus particulièrement à cause du premier choc pétrolier de 1973 qui a déséquilibré
l’économie et qui a montré les faiblesses des pays industrialisés. Le mouvement de la
NGP se développe d’une façon empirique en Grande-Bretagne, en Nouvelle-Zélande,
aux États-Unis et, avec plus ou moins de similitudes dans la plupart des pays de
l’OCDE (Hufty, 1998, p. 28). Dans une deuxième période, ces diverses expériences de
réformes administratives ont été analysées dans un effort systématique de théorisa-
tion. L’appellation de New Public Management est attribuée à Christopher Hood en
1991. Osborne et Gaebler (1992) parlent de la réinvention du gouvernement et de
l’introduction de l’esprit entrepreneurial.
La NGP est la résultante de plusieurs vecteurs présents en même temps, dans un
espace relativement restreint. Il s’agit donc du résultat d’une conjecture dominée par
quatre grands débats (Hufty, 1998, p. 16) : un premier sur le rôle respectif de l’État et
du marché; un second sur la crise générale des sociétés face à la mondialisation et
initialement à l’ouverture des frontières; un troisième sur l’incapacité des structures
administratives de l’État de s’adapter à ces nouvelles donnes; et enfin le quatrième
sur la capacité des sociétés à soutenir l’État-providence.
La mondialisation et la réduction du déficit des comptes, associé à l’État-provi-
dence, sont des arguments repris par Urio (1998, p. 94). Celui-ci ajoute toutefois les
coûts reliés aux différentes formes de pollution, de nuisances et aux infrastructures
pour lesquelles l’État a été le bailleur de fonds. Enfin, argument intéressant, Urio
estime que le renouveau de la pensée libérale est aussi à la source de la NGP.
Dans les années d’après-guerre, à la suite de la venue des baby-boomers et
d’une phase de développement économique sans précédent dans l’histoire de l’hu-
manité, l’État avait pris une expansion phénoménale. La bureaucratie se caractérisait
par un développement progressif avec ajouts de structures et d’agences centralisées,
certaines se substituant progressivement aux marchés, dans un contexte relative-
ment stable à l’intérieur duquel les changements survenaient progressivement et
surtout, comportaient une dose de prévisibilité. C’était l’époque où les plans quin-
quennaux avaient de fortes chances de réussir. L’accélération des changements a fait
en sorte que les structures furent incapables de faire face aux changements. Il n’y
avait plus ce « fit » ou cette congruence entre l’environnement, les individus de l’or-
ganisation et la structure. Élément central des théories organisationnelles selon la
conception situationnelle, cette congruence est la base de l’harmonie des sociétés
intégrées. Toutes les institutions, à moins de restructuration profonde, s’écroulent.
C’est la banqueroute de la bureaucratie (Osborne et Gaebler, 1992, p. 12). Les pre-
miers à réagir à cette désarticulation furent les gouvernements locaux. La légendaire
résolution 13, proposée par le gouvernement californien de Reagan en juin 1978, en
est un exemple.
Le débat technique n’est pas étranger au débat politique (Hufty, 1998, p. 17). Au-
delà d’une nouvelle forme de gestion, c’est une idéologie politique, le renouveau de
la pensée libérale, qui se traduit en termes techniques. Les enjeux réels ne sont pas
un changement de technique de gestion ou une plus grande insistance en soi sur les
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
résultats; ils consistent à voir le monde comme un lieu où il n’y a pas d’actions
inutiles, d’actions qui ne soient rattachées, d’une façon ou d’une autre, à la pensée
comptable. Tout a et doit avoir une valeur économique et par conséquent comptable.
On rencontre deux pensées fondamentales à la base de la NGP : équilibrer les
comptes de l’État et rationaliser l’administration publique. C’est le règne des trois E :
économie, efficacité et efficience (Urio, 1998, p. 97). Une telle position ne peut
qu’engendrer des conflits de valeurs. Les principes organisateurs de la société
deviennent alors le redressement des finances et la nécessité de faire face à la con-
currence : l’État devient le subordonné de l’économique. Comme l’exprime Ramonet
(1997), les financiers décident et les gouvernements gèrent.
Les origines de la remise en questionAu départ, il y a lieu de s’inspirer de la position de Hufty (1998, p. 20 et suivantes)
pour compléter, par la suite, par des considérations plus personnelles. L’État est
devenu progressivement interventionniste, notamment par la généralisation des
mesures sociales dans la plupart des pays industrialisés sous la gouverne de partis
sociaux-démocrates dans la période de l’après-guerre (p. 20). Ces mesures ont surtout
porté sur l’accessibilité aux soins de santé et la démocratisation de l’éducation, la
protection et l’encadrement de la jeunesse et l’accès à la justice. Cette intervention se
justifiait parce que le secteur privé avait été incapable d’assurer cette démocrati-
sation et cette accessibilité. C’est ce qu’on appelle les faillites du marché (market
failures) (p. 21).
On peut identifier trois sources à la remise en question. La première, la révolu-
tion conservatrice ou l’application des idées néolibérales, repose sur trois constats.
Au point de vue idéologique, plusieurs économistes prônent un retour au laisser-
faire, s’opposant ainsi à Keynes qui prônait une intervention de l’État comme moteur
économique. Ensuite, le monde universitaire s’est trouvé à court d’idées pour expli-
quer les changements survenus après la première crise du pétrole (1973) et à la fin de
la guerre du Vietnam. Enfin, la révolution conservatrice a opéré au début des années
80 une symbiose avec la « nouvelle économie politique » fondée entre autres sur la
théorie des choix publics (p. 23). Nous reviendrons sur cette théorie des choix publics
dans une autre section.
La seconde source à la remise en question est un changement de paradigme
dans les études en administration publique. On assiste alors au passage du para-
digme bureaucratique classique, fondé sur l’amélioration par la réflexion d’une
administration publique conçue comme le centre de la nation, à un paradigme post-
bureaucratique, fondé sur la nouvelle économie politique prônant la subsidiarité de
l’État par rapport au marché et orienté vers la gestion plutôt que l’administration. La
bureaucratie est lourde et inefficace, dotée d’une capacité d’innovation et d’adapta-
tion limitée. La théorie néoclassique tient alors compte des relations de pouvoir
et des dysfonctions bureaucratiques. On assiste alors à la faillite du secteur public
(public failures), lequel, à long terme, s’est montré incapable de remplacer le secteur
privé. À la base de cette faillite : la théorie des choix publics.
19volume XXIX, automne 2001 www.acelf.ca
Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
Le postulat principal de la théorie des choix publics est que l’individu, rationnel
et égoïste, cherche à maximiser ses gains même au détriment d’un groupe. Défini
selon la perspective de la bureaucratie, le bureaucrate (au sens premier du terme, à
savoir le membre de la bureaucratie) veut accroître ses budgets, grimper dans la
hiérarchie ou défendre les intérêts de son groupe, de son clan ou de sa corporation.
En éducation, on en arrive à proposer des politiques dont le but est de stabiliser le
système et non de le développer. Pour contrer cet auto-développement de la bureau-
cratie, la théorie du choix public propose de placer les organisations ou les sous-
ensembles en compétition de façon à diminuer l’inflation des structures. Interprété
selon la perspective de l’usager qui agit selon sa rationalité, seules les structures
fortes survivront parce qu’elles seront choisies par les usagers, alors que les autres,
plus faibles, disparaîtront. C’est littéralement le darwinisme organisationnel. Ce qui
est proposé : limiter constitutionnellement le déficit et transformer l’administration
publique en la rapprochant du marché. Une autre proposition fait aussi son appari-
tion : des structures administratives proches du citoyen, fondées sur la participation
civile et destinées avant tout à corriger les injustices du pays (Frye, 1989, cité par
Hufty, 1998, p. 27).
L’évolution des rapports de force au niveau mondial est aussi à l’origine de la
remise en question. D’abord, à l’intérieur de l’État, les programmes de restructura-
tion (coupures, réduction de personnel, travail accru, performance) ont eu des effets
négatifs (chômage et insécurité) pendant qu’il y avait, à l’extérieur de la fonction
publique, une croissance économique résultant de ces coupures. En fin de compte,
les surplus n’ont pas été générés à partir d’une saine gestion mais à partir de la réduc-
tion de la taille, ce qui est différent de la gestion. À cette réaction binaire (les bons et
les méchants), il faudrait une troisième voie qui considère le client-consommateur-
contribuable-citoyen. Ensuite, la modification des rapports de force entre les acteurs
a aussi eu son influence. Les politiques d’ajustement économique ont donné un rôle
croissant aux mécanismes de marché dans l’allocation des ressources collectives.
Dans l’économie de marché, les détenteurs de l’autorité sont les dominants de
l’économie de marché : entrepreneurs, marchands, détenteurs de capitaux. Leur
préoccupation est simple : la recherche du profit et non le bien collectif (Hufty, 1998,
p. 31-32). Comme le souligne Corneliau (1998) cité par Hufty (1998, p. 31).
L’ouverture d’une économie nationale aux conditions du « marché global »
accroît le pouvoir des acteurs dominant les relations économiques inter-
nationales par rapport à l’autorité politique nationale et aux acteurs de
l’économie domestique, ce qui caractérise le processus de mondialisation
de l’économie.
La NGP, dont la pensée comptable est une manifestation, est donc une réaction
à plusieurs facteurs qui se sont retrouvés réunis : le malaise croissant face à la
bureaucratisation, l’insatisfaction des citoyens envers les biens et services produits
par l’État, le déficit public, la difficulté pour l’État de mettre en pratique des réformes
qui bousculent les organisations bureaucratiques (Hufty, 1998, p. 29).
20volume XXIX, automne 2001 www.acelf.ca
Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
Les principes ne sont pas nouveaux. Ils se fondent sur des idées en provenance
des sciences sociales, des sciences économiques, des théories de l’organisation et du
management. Ils s’inspirent aussi de pratiques déjà utilisées dans le secteur privé. La
nouveauté de la NGP réside toutefois dans la combinaison de ces idées, principes et
outils pour en faire des concepts et des stratégies de réforme cohérents [...] (Mönks,
1998, p. 86).
Quelques modèlesPlusieurs auteurs ont énuméré des principes concernant la NGP et l’une de ses
conséquences que nous nommerons, faute d’un meilleur terme, managérialisme,
une traduction littérale de managerialism. La présentation ne suit pas un ordre
déterminé si ce n’est de tenter de regrouper, dans un premier temps, les ténors de
la NGP.
Osborne et Geabler (1992)
Dans un ouvrage souvent cité comme étant le classique (avec celui de Hood,
(1991) sur la nouvelle gestion publique, Osborne et Gaebler relient le renouveau de
l’activité gouvernementale à la création d’un esprit d’entrepreneur dans le secteur
public. C’est la notion de « gouvernement entrepreneurial » (p. xix). Que font ces gou-
vernements? Osborne et Gaebler énumèrent 10 principes (Osborne et Gaebler, 1992,
p. 19-20) dont chacun fait l’objet d’un chapitre.
1. Ces gouvernements mettent en l’avant la compétition entre les pourvoyeurs de
services (voir le chapitre 3). Les avantages sont une plus grande efficacité (p. 80)
et cela force les monopoles à tenir compte des besoins de leurs clients. C’est une
façon de récompenser l’innovation et d’accroître la fierté et le moral des
employés du secteur public.
2. Ces gouvernements habilitent (empowerment) les citoyens en leur remettant
les mécanismes de contrôle relevant traditionnellement de la bureaucratie (voir
le chapitre 2).
3. Ces gouvernements mesurent la performance de leurs agences en insistant
sur les résultats plutôt que sur les ressources (voir le chapitre 5). Les titres des
sections (Osborne et Gaebler, 1992, p. 146-155) sont éloquents (traduction
libre1) :
Ce qui est mesurable est réalisé.
Si on ne peut mesurer les résultats, on ne peut distinguer le succès de l’échec.
Si on ne peut pas constater la réussite, on ne peut pas la récompenser.
Si on ne peut récompenser le succès, on récompense probablement l’échec.
Si on ne peut voir la réussite, on ne peut rien apprendre de cette dernière.
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
1. What gets measured gets doneIf you don’t measure results, you can’t tell success from failureIf you can’t see success, you can’t reward itIf you can’t reward success, you’re probably rewarding failureIf you can’t see success, you can’t learn from itIf you can’t recognize failure, you can’t correct itIf you can demonstrate results, you can win public support
Si on ne peut reconnaître l’échec, on ne peut apporter de correctifs.
Si on peut démontrer l’atteinte de résultats, on peut obtenir le support public.
4. Ces gouvernements sont guidés par leur mission et par leurs buts et non par les
règles et les procédures (voir le chapitre 4). Il en résulte une organisation plus
efficace, plus efficiente, plus innovatrice, plus flexible et caractérisée par un
moral plus haut.
5. Ces gouvernements redéfinissent leurs clients comme étant des consomma-
teurs et leur offrent souvent des choix : entre les écoles, entre les programmes
de formation, entre les programmes sociaux (voir le chapitre 6). Les gouverne-
ments centrés sur les consommateurs répondent aux besoins des consomma-
teurs et non à ceux de la bureaucratie. Être proche du client force les pour-
voyeurs à être responsables, à dépolitiser la décision sur le choix du pourvoyeur
(c’est en fonction des résultats attendus que l’on doit choisir), à stimuler l’inno-
vation et à permettre le choix des services. De plus, il y a moins de gaspillage
parce qu’il y a une meilleure adéquation entre les services et les demandes, et
cela permet une meilleure équité.
6. Ces gouvernements ont une attitude proactive (anticipation) face aux pro-
blèmes plutôt qu’une attitude réactive à la suite de l’apparition du problème
(voir le chapitre 8).
7. Ces gouvernements recherchent de façon active et énergique le gain d’éco-
nomie et de nouvelles ressources plutôt que de se contenter de les dépenser
(voir le chapitre 7).
8. Ces gouvernements décentralisent l’autorité et prônent un management parti-
cipatif (voir le chapitre 9). Les avantages d’une telle gestion sont une plus grande
flexibilité et une réponse plus rapide aux demandes changeantes et soudaines
de l’environnement et de la clientèle, une gestion plus efficace, efficiente, plus
innovatrice et on y retrouve un plus haut moral et plus d’engagement.
9. Ces gouvernements préfèrent les processus du marché aux processus bureau-
cratiques (voir le chapitre 10). Les programmes définis par la structure et non
par la clientèle, définis aussi par la politique et non par les politiques, sont des
processus bureaucratiques entravant l’action des gouvernements, tout comme,
par ailleurs, la création de royaumes ou des sphères d’influence que l’on défend
à tout prix. D’autres dispositifs peuvent aussi ralentir l’efficacité gouverne-
mentale. Ainsi les services fragmentés, incapables de générer les correctifs
nécessaires leur permettant de devenir plus efficaces, utilisant l’autorité plutôt
que les incitatifs comme mode de fonctionnement, atteignent rarement l’am-
pleur nécessaire pour avoir un impact significatif.
10. Ces gouvernements se centrent non seulement sur l’offre des services publics
mais aussi sur leurs capacités de servir de catalyseur dans tous les secteurs
(privé, public et associatif) en vue de la résolution de problèmes dans la commu-
nauté. Il faut orienter et stimuler au lieu de faire les choses (voir le chapitre 1).
Cependant, Osborne et Geabler admettent qu’on ne peut conduire un gouver-
nement comme une entreprise. Il n’est pas axé vers le profit financier mais le profit
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
social. Pour le privé, la source du financement vient des transactions, alors que pour
le gouvernement, la source vient de la taxation... d’où la nécessité de la contrôler si
on veut être réélu (p. 20). Face à une crise, les gouvernements ont toujours eu deux
choix : augmenter les sources de revenus ou couper dans les services. Ce que propose
la NGP est une troisième voie : offrir un meilleur service pour le même coût (p. 22).
Un système éducatif, dans cette perspective de gouvernement axé sur l’esprit
entrepreneurial, serait radicalement transformé (p. 316 et suivantes). Osborne et
Geabler présentent quelques caractéristiques. Non seulement le gouvernement
central ne serait pas impliqué dans les opérations, mais un gouvernement local ne le
serait pas plus. Il reviendrait à l’école de se comporter en situation de marché. Les
gouvernements établiraient les standards minimums, les mesures de performance,
le renforcement de l’atteinte de certains buts spécifiques ainsi que les mécanismes
financiers. Les écoles pourraient être dirigées, suivant le principe du « voucher », par
différentes organisations et les enseignants seraient à l’emploi de l’école et non du
conseil.
Les parents auraient beaucoup de contrôle sur l’éducation de leurs enfants. Les
écoles seraient en compétition pour attirer les élèves et le financement serait en
fonction de la clientèle recrutée. Il y aurait une grande liberté dans la création du type
d’école souhaité en fonction des besoins de la clientèle. À partir du financement
décentralisé, l’école définirait le niveau de salaire de ses enseignants. On abolirait la
permanence ou, du moins, on la modifierait radicalement.
L’État, par la publication du résultat des mesures de performances (test, évalu-
ations, questionnaire de satisfaction, taux de promotion, taux d’admission à l’univer-
sité, etc.) fait en sorte que les parents peuvent faire un choix d’école pour leur enfant.
On évite ainsi le douloureux dilemme d’avoir à classer les écoles. On présente le
résultat des indicateurs et ce sont les parents qui décident du choix de l’école pour
leurs enfants. En somme, ces changements vont créer un système dans lequel les
parents pourraient choisir ce qu’ils veulent pour leurs enfants et les écoles n’auraient
d’autres choix que de l’offrir si elles veulent survivre. Les écoles auraient plus de
liberté mais elles seraient imputables aux parents.
Pollitt (1993, 1995a, 1995b)
Les éléments majeurs des écrits de Pollitt repris par Evans (1997) sont aussi des
principes classiques et fréquemment repris :
1. La réduction des coûts, le plafonnement des dépenses et le financement selon
des formules basées sur des nombres;
2. La dévolution des responsabilité à de nouvelles agences quasi gouvernemen-
tales et l’utilisation de contrats ou de quasi-contrats;
3. L’autorité décentralisée dans les agences publiques, les hiérarchies sont plus
horizontales, les équipes sont autogérées;
4. L’instauration de la conception « pourvoyeurs - clients »;
5. L’introduction d’une compétition dans les agences publiques pour la livraison
de services publics en utilisant des mécanismes de marché ou de quasi-marché;
23volume XXIX, automne 2001 www.acelf.ca
Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
6. L’établissement d’indicateurs de performance et demande au personnel pour
atteindre ces indicateurs;
7. Le déplacement de la relation d’emploi : d’un emploi permanent à un emploi
contractuel;
8. L’accroissement de l’importance des services rendus aux clients à partir de
standards de service et de qualité.
Dans la terminologie de Pollitt (1995b), on rencontre trois formes de décentra-
lisation. La décentralisation verticale est une décentralisation hiérarchique qui com-
porte une dévolution de la prise de décision à des niveaux inférieurs. La délégation
est un transfert de pouvoirs d’un organisme à un autre organisme autonome ou
quasi autonome. Enfin la décentralisation horizontale est un contrôle du processus
décisionnel par des non-gestionnaires. Les principales caractéristiques de la NGP
selon Pollitt se résument à la décentralisation des unités administratives et à la mise
en place du principe de concurrence entre des entreprises privées et les agences de
l’État pour les rendre plus efficaces en donnant le choix aux citoyens.
Urio (1998)
L’intérêt des principes avancés par Urio (1998) est de faire ressortir l’impact
et l’importance qu’occupe la fonction de manager dans la NGP, ce qui est une intro-
duction au managérialisme.
1. L’efficience économique repose sur le postulat de la rationalité économique
pour expliquer les comportements des acteurs sociaux dans toutes les sphères
de l’activité; le marché est alors la meilleure façon d’optimaliser la production et
la distribution de la richesse.
2. La séparation entre les décisions stratégiques et les décisions opérationnelles
renforce la tendance vers la privatisation et des contrats de prestation; l’État est
alors peu impliqué si ce n’est au niveau de la surveillance et du contrôle.
3. Les deux premiers principes sont une représentation du principe de la décen-
tralisation, lequel devrait accroître la motivation et l’estime de soi parce que,
dans une unité décentralisée, les individus disposent d’une plus grande
autonomie.
4. Les trois premiers principes sont soutenus par l’orientation de l’activité étatique
en fonction des résultats et donc de la satisfaction du client, plutôt qu’en fonction
du respect des procédures (Urio, 1998, p. 111).
5. Une politique systématique d’économie doit accompagner ces principes parce
qu’on ne peut compter sur de nouvelles rentrées fiscales. Ce qui oblige à mettre
deux autres principes en place :
6. La primauté du contrôle financier et
7. La généralisation des audits et l’évaluation de la performance, ce qui suppose
des standards, des normes et des seuils de performance.
8. Les principes 5, 6 et 7 étant essentiellement administratifs (une politique d’éco-
nomie, un contrôle financier serré et un contrôle de la performance), on assiste
à un transfert des pouvoirs en faveur des gestionnaires.
24volume XXIX, automne 2001 www.acelf.ca
Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
9. Le principe d’économie étant un principe de marché, la déréglementation du
marché du travail est nécessaire, d’où le travail à la pige et l’émergence du
système contractuel.
10. Les syndicats deviennent marginaux parce que l’application des principes
précédents oblige la modification des lois du travail et, suivant le principe
avancé par Corneliau, les acteurs dominants de la scène économique occupent
une place prédominante par rapport aux instances politiques.
L’application de tels principes, dans un contexte éducatif, conduit à une centra-
lisation indirecte. On fait en sorte que les actions soient standardisées même si on
laisse une marge de manœuvre pour les réaliser. La visée ultime de toutes ces
centralisations, qu’elles soient idéologiques (à partir des énoncés de principes) ou
opérationnelles (notes de service et politiques ministérielles) est l’accroissement de
l’efficacité du système éducatif tel que perçu par les parents (des électeurs), à savoir
le rendement instructionnel au détriment du savoir éducatif. Les équations sous-
jacentes seraient :
• les parents (électeurs) veulent le bien de leurs enfants (notamment obtenir un
emploi bien rémunéré);
• un bon emploi est assuré si l’enfant a une bonne éducation (acquisition de com-
pétences);
• il faut donc s’assurer que l’élève reçoit une bonne éducation;
• il faut donc standardiser, centraliser, contrôler et évaluer le produit, le processus
et les intervenants à toutes les étapes.
Boston et al. (1996)
Boston et al. ont fait une étude exhaustive des modèles sous-jacents à la réforme
de l’administration publique en Nouvelle-Zélande. Quatre courants théoriques sont
à la base de cette réforme : la théorie du choix public; la théorie de l’agence; le prin-
cipe économique du coût de la transaction; et enfin le couple managérialisme / NGP.
a) La théorie du choix public
Boston et al. (1996) ont décrit avec précision la théorie du choix public et ont
indiqué plusieurs sources abordant cette théorie que l’on appelle aussi la « théorie du
choix social », la « théorie du choix rationnel », economics of politics, ou encore l’école
de Virginie (p. 17). La théorie du choix public se concentre sur plusieurs thèmes dont
les plus importants, en ce qui nous concerne, sont :
i. ceux portant sur les raisons des préférences individuelles;
ii. ceux reliés à la rationalité individuelle et;
iii. ceux reliés à l’analyse des actions collectives (ou la problématique des produits
sociaux sous-optimaux causés par la poursuite d’intérêts individuels).
Le point central de l’approche du choix public est que tout comportement
humain est dominé par l’intérêt personnel. Toute personne est foncièrement
égoïste : elle opère des choix stratégiques pour maximiser ses gains (peu importe la
25volume XXIX, automne 2001 www.acelf.ca
Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
nature matérielle, psychologique, etc.). Cela veut dire tout simplement qu’un
bureaucrate travaille d’abord pour son service ou son domaine et un enseignant
pour sa discipline ou pour son école mais non pour le public. Dans le contexte des
administrations publiques, le comportement opportuniste des bureaucrates conduit à
un gonflement régulier du secteur public ainsi qu’à des inefficiences dans la gestion
interne de l’État (Varone, 1998, p. 129). Pour contrecarrer ce gonflement, la solution
réside dans l’octroi de contrats de prestation à des agences externes qui ont comme
objectif de garder une structure simple et légère car elle permet de maximaliser les
profits tout en fournissant une performance égale, rarement supérieure à celle du
cahier des charge. À partir de cette hypothèse, le programme fort de la NGP consiste
à introduire le concept de marché et de dynamique concurrentielle ainsi que la
volonté de donner du pouvoir à l’utilisateur. Si un tel comportement est acceptable
dans le secteur privé (et encore faut-il en limiter l’envergure), plusieurs considèrent
qu’un tel comportement, dans la sphère politique, peut causer des dommages con-
sidérables (Boston et al., 1996, p. 18).
b) La théorie de l’agence
Selon Varone (1998, p. 129), l’octroi de ces contrats permet :
1) de fixer des objectifs politiques clairs, mesurables et limités dans le temps, ce
qui en facilite l’évaluation;
2) ceci augmente la transparence et diminue l’asymétrie de l’information entre les
politiciens et les bureaucrates;
3) ce qui permet de voir les vrais coûts.
Les deux parties, le principal, ou celui qui fournit le contrat, et l’agent, celui
qui exécute le contrat, ont essentiellement une relation contractuelle fondée sur
l’économie et l’efficience : le principal accorde un contrat pour autant qu’il y trouve
ce qu’il recherche, notamment l’économie, et qu’il puisse contrôler le résultat.
L’agent accepte un contrat pour autant qu’il y trouve son profit. Passer d’une struc-
ture bureaucratique classique (gouvernée par le respect des processus et des règles)
à une structure gouvernée par les résultats implique une réorganisation dans laque-
lle le politique fixe les résultats à atteindre et l’administratif détermine les moyens à
utiliser compte tenu de paramètres externes et internes (Mönks, 1998, p. 84). On doit
donc mettre en place des agences dont le rôle est essentiellement exécutoire sans
qu’il y ait d’interférence comme on peut le retrouver dans une structure gouverne-
mentale où le personnel politique peut influencer, de l’interne, la structure et les
décisions opérationnelles. Le danger réside en la perte de contrôle et la création de
royaumes où chacun revit, de façon plus intensive, la théorie du choix public. La NGP
y fait face en créant des mécanismes de régulation et de nouveaux outils pour le
pilotage (Mönks, 1998, p. 8). Là aussi, le même principe s’applique : on passe du
pilotage par la régulation des ressources au pilotage par la régulation des résultats.
26volume XXIX, automne 2001 www.acelf.ca
Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
c) Le principe économique du coût de la transaction
Si la théorie de l’agence est principalement concernée par un contrat entre le
principal et l’agent pour un échange de services, le principe économique du coût de
la transaction se préoccupe des structures optimales de gouvernance pour différents
types de transactions. Il s’agit de savoir quelle forme prendra la structure gouver-
nementale pour offrir tel ou tel type de services. L’État effectue ainsi une double
transaction. En vertu de la théorie de l’agence, il est devenu le principal qui a délégué
à un agent l’exécution de certaines tâches qu’il avait l’habitude de réaliser. Pour les
tâches qu’il ne peut déléguer, il a, en vertu du principe économique du coût de la
transaction, modifié ses structures en tenant compte des formes optimales de rende-
ment. C’est ce qui explique que les fonctionnaires se soient retrouvés si déséquilibrés
par les changements.
d) Le managérialisme
L’essence du managérialisme réside dans le postulat suivant : pour toute orga-
nisation, il y a une activité générique, purement instrumentale, comprenant un
ensemble de principes utilisables aussi bien dans le secteur public que dans le
secteur privé (Boston et al., 1996, p. 25). Les slogans typiques associés à cette idéolo-
gie ressemblent à : Let the Managers Manage ; Managing for Results... Son
origine remonte à Taylor mais les idées originales ont bénéficié d’un regain de vie
avec les notions d’efficacité, d’efficience et d’économie.
La plupart de ces courants furent fortement critiqués (voir Boston et al., 1996, p.
28-39) notamment celui prônant l’assimilation du secteur public au secteur privé.
Toutefois, le point de rencontre de ces courants intellectuels a conduit Boston et al.
à identifier les principes sur lesquels s’est appuyée la réforme en Nouvelle-Zélande.
Ces principes s’appliquent également à la NGP.
1. Une croyance que, du point de vue du management, les différences entre les
secteurs privé et public sont minimes et que les organisations publiques et
privées peuvent être gérées de la même façon.
2. L’obtention d’une qualité dans les résultats devient plus importante que la qua-
lité dans le processus.
3. Un accent mis sur le management plutôt que sur l’élaboration de politiques
et une nouvelle pression pour le développement des habiletés génériques de
management.
4. La dévolution du contrôle de gestion associé à la mise en place de mécanismes
améliorés de production de rapports, d’imputabilité, de monitoring.
5. La désagrégation d’importantes structures bureaucratiques en plusieurs
agences quasi autonomes.
6. Une préférence pour la propriété privée et l’attribution de contrats au secteur
privé.
7. Une tendance à l’utilisation de contrats de plus courte durée et plus précis dans
la réalisation des mandats.
8. L’imitation, par le secteur public, de certaines pratiques de management
du secteur privé : contrats de travail plus court, développement de plans
27volume XXIX, automne 2001 www.acelf.ca
Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
stratégiques, plans d’affaires, définition de seuils de performance, énoncé de
mission, mise en relation entre la rémunération et la performance, développe-
ment de nouveaux systèmes d’information de gestion et enfin une grande
préoccupation pour l’image.
9. Une préférence pour les encouragements financiers plutôt que pour ceux liés au
statut et au prestige.
10. La pression pour la réduction des coûts, l’efficacité et la réduction de la taille du
management. Il est intéressant de constater que le modèle de la Nouvelle-
Zélande a servi de base à la réforme du gouvernement Klein en Alberta et, par la
suite, à la réforme de l’Ontario.
Les principes énumérés sont classiques et représentent, grosso modo, ceux qui
encadrent la NGP. On remarque des différences toutefois dans l’orientation de ces
principes. Les positions d’Osborne et Gaebler (1992), d’Urio (1998) et de Boston et al.
(1996) portent largement sur la performance et la réorganisation des structures. Par
contre, d’autres auteurs présentent des positions différentes. Pour Finger (1998) tout
comme pour Abate (2000), la NGP repose essentiellement sur quatre principes : réso-
lution des problèmes à leur niveau, le citoyen-client, la satisfaction des besoins et
l’amélioration des processus et enfin le rôle des acteurs politiques quant aux orien-
tations et à l’élaboration des conditions cadres de réalisation. Dans ce contexte, la
NGP est résolument orientée vers l’amélioration de la relation entre l’État et ses
citoyens dans une perspective normative. Cela mène à deux constats : la diversité
d’application des réformes libellées NGP et la diversité des orientations entre le
monde anglo-saxon et le monde européen et asiatique. Le continent africain a
longtemps vécu une forme de NGP sous l’appellation ajustement structurel dont le
maître d’œuvre fut la Banque mondiale. Les critiques furent nombreuses et les con-
séquences dramatiques. Finger (1998) en fait une critique intéressante.
Les formes de mise en œuvre de ces principesLa NGP est un concept difficile à saisir à cause de la multiplicité de formes qu’il
peut prendre (Mönks, 1998) et à cause de son caractère fuyant (Urio, 1998, p. 95).
L’effort de théorisation, à compter du début des années 90 et à partir des expériences
initiales, n’a pas réussi à en faire un modèle qui ait une capacité descriptive, explica-
tive et prédictive. Les formes d’application diverses qui ont donné lieu à cet effort de
théorisation se poursuivent dans la ligne de leur lancée initiale, ce qui explique que,
malgré une théorisation si partielle soit-elle, les réformes NGP vont continuer à se
développer selon des axes différents.
Mönks (1998, p. 79) répertorie trois types de réformes NGP. Il y a eu les réformes
fortes comme celles du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande (auxquelles on peut
ajouter celles de l’Alberta et de l’Ontario, au Canada, qui, bien que moins drastiques,
s’inspirent du même courant idéologique). Dans ces réformes, on retrouve une
idéologie forte, une démarche radicale inspirée largement des principes du marché.
Les réformes sont mises en place selon un schéma centralisateur descendant, avec
pour objectif de restructurer le secteur public sur la base du modèle privé et d’en
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
réduire la taille (p. 79). Pour d’autres pays comme les États-Unis, l’Allemagne, la
Suisse, les Pays-Bas, ce fut une dynamique ascendante (p. 80), les principales
réformes ayant lieu au niveau local. Ce furent des réformes moins radicales, avec des
approches plus pragmatiques et progressives, sans grand débat à connotation
idéologique. D’ailleurs, pour la plupart des autres pays, le débat se situe plutôt au
niveau local que national.
Mönks (1998, p. 83) a élaboré une synthèse intéressante des formes de la NGP à
partir de l’orientation visée par les réformes. Il définit quatre modèles mais trois
ensembles de principes, les deux derniers modèles étant regroupés.
Le modèle de la flexibilité organisationnelle vise une intégration verticale dont le
résultat est la création d’organisations souples. On passe d’un management hiérar-
chique à un management par contrat à partir de trois principes. Il y a une séparation
des rôles entre le politique et l’administratif. C’est la séparation de la prise de déci-
sion politique et des opérations, d’où les contrats et accords de prestation. Il y a donc
décentralisation du système administratif en vertu du principe de la délégation
opérationnelle vers des agences. Enfin, ceci nécessite des administrations amincies
et des hiérarchies réduites. C’est le principe des administrations plus modestes, plus
flexibles, plus efficaces et plus motivées parce qu’il y a un rapprochement entre les
lieux des opérations et des décisions opérationnelles. Il y a donc une plus grande par-
ticipation, un plus grand travail en équipe et on peut plus facilement construire des
organisations apprenantes.
Le modèle efficient met l’accent sur un secteur public inspiré par les principes
du secteur privé. Il est guidé par des notions d’efficience (qualité du service reçu en
fonction de l’investissement requis) et par des valeurs liées : économie, efficience et,
à moindre niveau, efficacité (p. 82). Ce modèle d’administration est orienté vers
le marché et présente comme principe premier : l’introduction de mécanismes de
marché dans la prestation des services publics avec des notions de marchés interne
et externe, de seuils de performance, de concurrence, de frais d’utilisation pour les
usagers. On mise aussi sur le principe d’information transparente sur le produit, les
coûts, les usagers et sur le principe implicite « d’en avoir pour son argent ». On y met
en œuvre les 3 E (efficacité, efficience et économie) à partir de ressources limitées.
C’est aussi le modèle qui privilégie les indicateurs de performance et leurs mesures,
la comptabilité analytique, les audits d’efficience et d’efficacité. D’ailleurs, si l’on
adopte une gestion orientée vers les résultats, on ne peut recourir qu’au seul pilotage
à base d’indicateurs analytiques (Abate, 2000, p. 34). Enfin, c’est un modèle qui
présente une orientation marquée vers le produit. L’accent est mis sur les résultats et
les produits au lieu des intrants et des processus ou règles.
Enfin, le modèle participatif, qui vise la dévolution de pouvoirs aux commu-
nautés et la participation très active des citoyens, et le modèle qualitatif qui se préoc-
cupe de la qualité des services et de leur orientation en fonction des clients, cons-
tituent, pour Mönks, deux unités assimilables. Il y a une orientation évidente vers le
client ou l’usager dont on se doit d’être à l’écoute de façon intensive et régulière. La
gestion est orientée vers l’atteinte de la qualité. Des processus tels que les enquêtes
de marché et de satisfaction des usagers, les cercles de qualité, les chartes et les
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
énoncés de mission clairement affichés sont utilisés. On y retrouve aussi une orien-
tation vers le citoyen, une appropriation et un contrôle de la fourniture des services
par la communauté (p. 83). C’est un modèle où la dévolution de pouvoirs et la prise
de décision locale ont leur place.
Mönks nous décrit en fait trois types de réformes inspirés de la NGP. Il y a les
réformes orientées vers l’efficience financière; elles apparaissent en réaction à la
crise des finances publiques et s’inspirent du modèle de marché, l’accent étant placé
sur l’efficience et la concurrence. Il y a les réformes orientées vers la qualité et le rap-
prochement avec l’usager. Enfin, il y a les réformes carrément orientées vers la par-
ticipation communautaire : on intègre la responsabilisation et la délégation de pou-
voir aux citoyens et aux fonctionnaires. En réalité, les réformes, telles que nous les
percevons, sont une combinaison des trois éléments. En plus de l’efficacité finan-
cière obtenue par la réorganisation des organisations (que ce soit à partir de la
théorie de l’agence ou du principe économique du coût de la transaction), il y a eu
accroissement de la flexibilité organisationnelle et une prise en considération plus
large des préoccupations et des solutions proposées par les usagers. Il en reste néan-
moins qu’il s’agit d’une position théorique car les finalités sont, à toutes fins pra-
tiques, beaucoup plus de nature économique et que la participation des usagers est
bien souvent question de maquillage et de rectitude politique.
On peut élaborer aussi d’autres typologies (Mönks, 1998, p. 81) selon la priorité
accordée aux principaux concepts. Un modèle «tenants du marché» met l’accent sur
l’efficience propre au système de concurrence et sur les défauts inhérents aux carac-
téristiques du fonctionnement public. La solution réside alors dans la privatisation
complète ou partielle et la mise en place de mécanismes substitutifs analogues
à ceux du marché. Un modèle dévolutionnaire insiste sur l’importance d’être à
l’écoute du citoyen. On doit réorganiser les services pour les rendre accessibles et
donner plus de pouvoirs aux citoyens. Pour les réformateurs organisationnels, c’est
la proximité du client, la nécessité d’une approche s’inspirant du privé et la mise en
place d’une nouvelle culture organisationnelle de la performance.
Cette idée d’introduction d’une nouvelle culture organisationnelle de perfor-
mance est particulièrement innovatrice et rejoint les écrits récents sur les organisa-
tions, notamment sous deux aspects : le pilotage en fonction de la régulation des
résultats, et non en fonction des ressources, et la conception des activités conçues
non pas comme un ajout à des activités existantes mais comme le résultat de besoins
exprimés par l’usager et devant être comblés par un organisme public (visant des
buts sociaux) non par un organisme privé. Cette nouvelle culture doit procéder
d’abord par un changement des mentalités puis être accompagnée d’une change-
ment des pratiques. Or, les gouvernements ont brutalement instauré de nouvelles
pratiques sans nécessairement identifier publiquement les orientations et les raisons
du changement. Il faut alors reprendre les termes d’Abate (2000, p. 2) : on doit cesser
de se préoccuper de la gestion du changement pour s’orienter vers le changement de
la gestion.
Cette nouvelle culture ne fait cependant pas l’unanimité, notamment en éduca-
tion et dans les services sociaux en général, secteurs qualifiés de mous parce qu’on
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
travaille avec des individus et non avec des objets matériels devant être transformés
selon des règles et standards très précis. D’une part, on estime qu’il y a une suresti-
mation de la rationalité économique des individus. Pour Varone (1998, p. 133), la
seule mesure de performance est la satisfaction du citoyen et la disparition ou la
diminution des problèmes collectifs. D’autre part, on assiste à des confrontations de
systèmes éthiques entre les structures et les individus. De façon générale, en éduca-
tion et dans le secteur social, l’éthique des sentiments, actualisée dans une approche
humaniste, a toujours prédominé. On travaille pour, avec et par les individus. Or, la
NGP a une orientation éthique nettement utilitariste avec une dominante écono-
mico-pragmatique. Il ne peut qu’en résulter un choc, un affrontement dans lequel
chacun se retranche sur ses positions. Pourtant la NGP, de par le pouvoir légal de la
structure, domine la partie. En fin de compte, c’est vers une transformation (et non
un abandon) de l’éthique des sentiments qu’on se dirige et la question fondamentale
devient : comment peut-on humaniser la NGP (intégration de l’éthique des senti-
ments dans une éthique utilitariste) et son corollaire? comment peut-on objectiver
une éthique des sentiments (intégration de l’éthique utilitariste dans l’éthique des
sentiments)? Et si ce n’était que cela! La dévolution de pouvoirs et l’écoute des
besoins des usagers créent l’image de l’importance de la communauté. Une
troisième forme éthique apparaît : l’éthique des biens supérieurs (dont le philosophe
Charles Taylor est le porte-parole) dans laquelle la communauté prend la position
centrale devant l’individu et la structure. Le courant communautaire semble large-
ment minoritaire par rapport aux autres courants de la NGP et le « communau-
tarisme » est aussi l’apanage de la frange libertaire de la nouvelle droite (Hufty, 1998,
p. 27). Or, à moyen terme, les confrontations communauté-État-individu (en tant
qu’acteur dans une fonction sociale) surgiront parce que les principes de fonction-
nement de ces trois entités reposent sur des systèmes éthiques différents.
Paradigme ou idéologieLa question fondamentale est posée par Mönks (1998) : la NGP est-elle une lubie
ou est-elle appelée à se développer et à avoir un impact en profondeur sur la façon
dont les administrations publiques sont conçues et gérées? S’agit-il d’un « renouveau
paradigmatique »? Selon Osborne et Gaebler (1992), c’est un nouveau paradigme. La
NGP est un ensemble cohérent d’hypothèses au sujet de la réalité qui permet de
mieux expliquer le monde que les autres. Elle remplace le paradigme bureaucratique.
Pour d’autres, c’est un changement important mais pas universel : l’introduction
n’est uniforme ni dans ses principes ni dans son déroulement chronologique.
Cependant, elle constitue un nouveau cadre analytique pour comprendre et penser
la gestion publique. Pour répondre plus en profondeur à cette interrogation, il con-
vient d’approfondir les notions d’idéologie et de paradigme.
L’idéologie est un terme très ambigu et portant souvent à confusion (Enteman,
1993, p. 7). La définition opérationnelle que propose Enteman est la suivante :
l’idéologie est un ensemble de principes sur lesquels se fonde l’ordre politique, social
et économique (p. 8). Il s’agit d’une vision du monde propre à une époque ou à un
groupe social (Quillet-Grolier, 1972). Selon le Webster (1976) : « 1- C’est l’étude des
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
idées, de leur nature et de leur sources; (2-..., 3-...); 4- les doctrines, opinions ou
façons de penser d’un individu ou d’une classe ». Ceci nous confronte à une vision
élargie du terme. On ne peut l’appliquer qu’à une partie d’un ensemble social et, par
conséquent, il faut resituer l’évolution des rapports de force dans une perspective
globale et non restreinte à un secteur social, l’éducation par exemple. Autrement, il
ne serait pas perçu dans une perspective idéologique mais uniquement une perspec-
tive administrative. En d’autres termes, et ceci est particulièrement important pour
les observateurs de l’évolution du monde de l’éducation, on ne peut comprendre les
transformations actuelles en éducation sans se placer dans une perspective plus
large, plus globale, au niveau de l’idéologie de la gouvernance. Ce que l’on vit en édu-
cation est une application d’une idéologie sur laquelle se fonde l’ordre politique,
social et économique et ne constitue pas, en soi, une idéologie.
Le terme idéologie comporte deux dimensions : d’abord, c’est un ensemble
cohérent de concepts (articulation) couvrant plusieurs champs (économique, social,
personnel, culturel) ayant ensuite potentiellement la capacité de se traduire en dis-
positifs d’intervention. Il n’existe pas d’idéologie qui soit déconnectée de la réalité et
qui ne contienne intrinsèquement un principe de mise en œuvre. Si un ensemble
cohérent ne comporte pas de principe opérationnel, ne serait-ce que potentiel, il
relève de l’utopie. L’idéologie (Enteman, 1993, p. 4) est utile pour saisir la significa-
tion d’éléments comme la philosophie politique, les principes sociaux, les théories
économiques. Le concept d’idéologie suppose qu’une communauté est un tout
organique influencé par un ensemble cohérent d’idées (Lodge, cité par Enteman,
1993, p. 11).
Trois idées s’en dégagent. La notion de « tout organique » implique la notion
d’organisme ou de système ouvert qui se développe et possède une trajectoire et une
potentialité de trajectoire inscrites dans son développement. Ce tout organique agit
et a une capacité décisionnelle et un pouvoir de s’orienter, allant au-delà de la
possibilité d’être orienté. Pour être actif, ce tout organique doit développer un
ensemble cohérent d’idées qui le dirige. La cohérence implique l’absence d’actions
contradictoires. Elle implique également l’articulation et l’atteinte d’un résultat final
par l’action convergente de chacune des parties. Enfin, toutes les idéologies ont des
influences sur les activités humaines et le corollaire est vrai : toutes les activités
humaines relèvent de systèmes idéologiques, articulés ou non.
Pour Pollitt (1993, p. 6), les mots importants dans la définition d’une idéologie
sont : valeurs, croyances et idées à propos de l’état du monde et de ce qu’il devrait
être. Au-delà d’une simple description, c’est un ensemble cohérent structuré qui
concerne les groupes sociaux et les interactions sociales. L’idéologie est développée
et maintenue par des groupes sociaux et constitue un lien entre les individus et
le groupe. Enfin, l’idéologie sert de justification pour le comportement, c’est son
principe d’actualisation.
La notion de paradigme repose sur l’idée qu’il représente une inflexion radicale
des modes de pensée dominants vers un autre mode, lequel est accepté globalement
par la communauté œuvrant dans ce champ. Kuhn (1972, p. 25) avance deux carac-
téristiques pour un système d’idées ayant la valeur de paradigme :
32volume XXIX, automne 2001 www.acelf.ca
Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
(...) leurs découvertes étaient suffisamment remarquables pour soustraire
un groupe cohérent d’adeptes à d’autres formes d’activités scientifiques
concurrentes; d’autre part, elles ouvraient des perspectives suffisamment
vastes pour fournir à ce nouveau groupe de chercheurs toutes sortes de
problèmes à résoudre.
Il s’agit de découvertes suffisamment importantes pour déplacer en quelque
sorte des chercheurs d’une approche ou d’une façon de percevoir et d’analyser les
objets, de théoriser, d’exercer une pratique vers une autre approche qui permet une
exploration plus en profondeur. Il s’agit alors d’un partage de nouvelles règles, de
normes dans la pratique scientifique (Kuhn, 1972, p. 26). Les paradigmes font fonc-
tion de tri, car ils permettent de dissocier, dans la multitude des faits, ceux qui sont
importants de ceux qui le sont moins. Le fait d’attirer un nombre important de
chercheurs dans son giron provoque la disparition d’écoles de pensée précédentes :
il n’y a plus de preneurs pour les vieilles théories, les nouvelles les ayant supplantées
par la précision des concepts et la capacité heuristique de développement. Modèle et
schéma diffèrent de paradigme en ce sens qu’ils permettent la reproduction, ce
qu’un paradigme ne permet pas : c’est un concept destiné à être structuré et précisé
dans des conditions nouvelles et plus strictes (Kuhn, 1972, p. 39).
Osborne et Gaebler (1992) considèrent que le renouveau de la gestion publique
par l’introduction de la pensée entrepreneuriale (ce qui reprend l’ensemble des prin-
cipes de la NGP) constitue un nouveau paradigme (p. 321 et suivantes) parce que les
changements sont radicaux et ne s’inscrivent pas dans la pensée de l’amélioration de
ce qui existe. Ces bouleversements impliquent un changement total de perspectives
et une recentration de l’attention, dans le cas de l’éducation, sur la performance des
élèves plutôt que sur la structure et les activités de l’école. Hufty (1998, p. 23) abonde
dans le même sens : le paradigme classique n’a pu faire la preuve de sa capacité à
s’ajuster aux nouvelles réalités, un nouveau paradigme est nécessaire :
(...), l’évolution de la théorie pourrait être décrite comme le passage du pa-
radigme bureaucratique classique, fondé sur l’amélioration par la réflexion
scientifique d’une administration conçue comme le centre de la nation, à
un paradigme postbureaucratique, fondé sur la nouvelle économie poli-
tique, prônant la subsidiarité de l’État par rapport au marché et orienté
vers la gestion plutôt que l’administration.
Par contre, pour plusieurs auteurs dont Mönks (1998, p. 98), ce n’est pas un
paradigme. Il s’agit plutôt d’une idéologie globale qui touche la société mais qui
s’inscrit dans la projection de ce qui existait, à savoir la conception mécaniste des
organisations (pour une compréhension plus complète de la conception, voir
Brassard, 1996). Ce serait un modèle néo-taylorien et fordiste adapté à la moderne,
notamment avec les nouvelles technologies de communication qui facilitent le
contrôle.
À partir des années 80, des forces constantes pour le changement sont apparues
et le moteur de ces forces était un modèle générique de management qui visait
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
la réduction des différences entre le management public et le management privé. Ce
modèle était de type néo-taylorien (Pollitt, 1993, p. 27). La principale caractéristique
du taylorisme et de son descendant est le besoin de contrôle, lequel ne peut être
satisfait qu’à travers une approche essentiellement administrative (Pollitt, 1993,
p. 188).
Le managérialisme est le centre opérationnel de la NGP et constitue, selon
Enteman (1993, voir le chapitre 7), une idéologie, une façon de voir que toute organ-
isation a nécessairement besoin de managers et que l’essence même du manage-
ment est de diriger une organisation. En fait, il n’y a que par les organisations que les
choses peuvent se réaliser. De là à supposer que tout est organisation et que toute
activité passe par le manager, il n’y a qu’un pas. Le managérialisme, en tant
qu’idéologie, présente la description la plus pertinente de ce qui se passe dans les
sociétés industrielles (Enteman, 1993, p. 154).
Dans une société managérialiste, on ne répond pas aux besoins, aux désirs et
aux souhaits des individus. Dans une telle société, l’influence est exercée à travers
les organisations. La société répond en fonction des gains que peuvent réaliser les
différentes organisations dans leurs transactions. Si les individus font partie d’orga-
nisations qui représentent effectivement leurs intérêts, ils pourront avoir une
réponse. Fondamentalement, selon l’idéologie managérialiste, les unités sociales
fondamentales ne sont ni les individus, ni l’État, mais les organisations. C’est le pou-
voir des managers qui constitue la force de l’État. Le déplacement des valeurs indi-
viduelles vers les choix sociaux se fait par l’entremise des organisations et des mana-
gers. Le managérialisme diminue l’importance des individus et enlève l’importance
du vote en regard de choix sociaux : c’est la structure, centralisée ou non, qui décide
par obligation. La langue populaire a déjà banalisé ce phénomène quand on parle du
« système qui veut cela ». Le managérialisme est un danger pour la démocratie
(Enteman, 1993, p. 159).
De grandes croyances sont à la base de l’analyse managérialiste (Pollitt, 1993,
p. 2). La route pour le progrès social passe nécessairement par l’accroissement
continu de la productivité, de plus en plus définie de façon économique. Une telle
productivité ne peut être atteinte que par des technologies de pointe, lesquelles ne
peuvent être utilisées efficacement que par une main-d’œuvre disciplinée en accord
avec un idéal de productivité. Le management devient alors une fonction organisa-
tionnelle et distincte dont le but est de planifier, organiser et mesurer les améliora-
tions requises pour maintenir et surtout accroître la productivité. Pour y arriver, les
managers doivent disposer de la marge de manœuvre nécessaire. Tous les éléments
du discours sont présents : la standardisation des procédés, et implicitement celle
des individus par la formation, est un préalable pour l’existence d’une productivité
potentielle. En fait, sans même savoir si elle va se produire (car la productivité ne
présente aucun intérêt s’il n’y a pas une consommation de ce qui est produit),
l’idéologie managérialiste exige que les conditions requises soient présentes.
La NGP, dans sa tendance vers l’efficacité, est essentiellement une idéologie.
Où elle se distingue de l’idéologie et pourrait s’orienter vers un paradigme, ce serait
en tenant compte à la fois de l’aspect communautaire, de l’aspect de la flexibilité
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
organisationnelle et de l’aspect efficacité / efficience. Il s’agit surtout d’une idée,
pour ne pas dire une utopie, car il sera impossible d’obtenir un consensus commu-
nautaire sur des orientations sociales compte tenu de la nécessité de standardiser les
décentralisations.
CritiquesIl est assuré qu’une idéologie de gestion ne peut se diffuser facilement d’autant
plus que ceux qui ont le pouvoir politique et, en conséquence, sont tenants de cette
idéologie exercent et utilisent un pouvoir légitime, de nature législative, pour forcer
les changements. Il ne fut aucunement question de respecter l’étape classique de la
sensibilisation avant d’opérer le changement. Le changement de processus et de
structure a précédé le changement des mentalités.
Force est de constater que la NGP n’est pas aussi facilement applicable dans
tous les secteurs de l’administration. Dans les services où le processus repose sur les
relations humaines, les difficultés rencontrées sont majeures. Il est très difficile de
définir la performance lorsqu’il s’agit d’interactions (Pollitt, 1995b). On a souligné,
malgré les intentions évidentes d’être à l’écoute des citoyens, l’absence d’inputs
venant d’un éventail de partenaires. C’est une approche simpliste du management
scientifique reposant à la fois sur le taylorisme et le fordisme, pour sa méconnais-
sance des processus de motivation des employeurs.
On a surestimé, dans le cas de la théorie de l’agence, la relation entre la motiva-
tion et le fait de travailler dans une unité autonome. Si cette unité est mal desservie,
mal équipée et ne possède pas une vision claire de son objectif, on ne peut présumer
de la motivation des individus (Boston et al. (1996)). Il en va de même pour la théorie
du choix public : le principe de la rationalité est mis en doute. Il existe des situations
dans lesquelles les valeurs prennent le dessus. D’ailleurs, Simon (1957) avait déjà mis
en doute l’existence de la rationalité comme fondement de la décision.
Les critiques s’articulent autour de deux volets (Mönks, 1998, p. 86 et suivantes).
Les accords de prestation donnés à d’autres agences risquent de créer des organisa-
tions centrées sur leurs intérêts qui oublient le pourquoi de leur existence et les
besoins des usagers. Elles recréent littéralement ce qu’elles combattent : l’intérêt per-
sonnel décrit dans la théorie du choix public. Il est intéressant de constater que
Selznick (1949) avait déjà développé une argumentation solide expliquant le proces-
sus d’intériorisation des objectifs et la perte de vision globale. Le second volet de
critiques porte sur la conception traditionaliste et centralisatrice de la NGP, ce qui
explique son caractère idéologique plutôt que paradigmatique.
(...) la NGP est en réalité souvent conçue comme une espèce de perfection-
nement de la bureaucratie et de la modernisation rationnelle de la relation
traditionnelle entre la politique et son bras séculaire (Mönks, 1998, p. 87).
Les gouvernements font face à de grandes difficultés pour mettre en œuvre les
principes de la NGP (Urio, 1998, p. 112). D’abord, le marché n’existe pas, on y re-
trouve plutôt des monopoles, des oligopoles et des fusions (merge). En fait, il s’agit
presque d’une vue de l’esprit quand on parle du marché et de ses règles. En second
lieu, la séparation entre les décisions stratégiques et les décisions opérationnelles est
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
illusoire. Il y a une définition constante des objectifs politiques, ce qui implique un
va-et-vient avec les décisions opérationnelles. En troisième lieu, on constate que le
pouvoir de la technocratie met en danger la démocratie par le pouvoir écrasant dont
disposent maintenant les managers (esprit managérialiste). De plus, la multiplicité
des agences accroît les difficultés de coordination puisque chacune estime qu’elle a
le droit de développer ses activités selon sa vision. Par-dessus tout, les conséquences
sociales conduisent à un appauvrissement des plus démunis et à un enrichissement
des mieux nantis. Selon Krugman (cité par Urio, 1998, p. 117), l’inégalité monte plus
rapidement dans les pays où l’on applique la NGP. Les chiffres que Krugman avance
sont terrifiants. Pendant la période de 1977 à 1989 (les années très NGP de la prési-
dence Reagan), 70 % de l’augmentation du PNB a été empochée par le centile des
contribuables les plus fortunés, qui ont vu leur revenu moyen augmenter de 103 %,
et 40 % des citoyens les moins nantis ont vu chuter leur revenu, parmi lesquels les
20 % les moins fortunés ont subi une chute de 9 % de leur revenu.
La façon avec laquelle la NGP est mise en œuvre, notamment la rapidité, ne per-
met pas une évaluation étapiste. Actuellement, plusieurs experts disent de ralentir le
processus mais les électeurs disent de continuer.
Peu importe la dimension positive ou négative accordée à cette idéologie, force
est de reconnaître qu’elle s’implante progressivement dans le programme d’action
de plusieurs gouvernements et qu’elle revêt des formes différentes. Les fusions for-
cées, la création de comités d’usagers, l’établissement de seuils de performance, la
préparation de plans d’amélioration de la productivité, voilà autant de facettes
courantes de la NGP. Cette idéologie requiert une structure et une bureaucratie qui
renforcent les processus de contrôle, qui recherchent une standardisation par la nor-
malisation et qui fait fi de tous les gains d’individualité et d’autonomie qui sont les
caractéristiques de la postmodernité, des clanocraties (St-Germain, 1997) et des
choix afférents à la rencontre, dans un même lieu, de différents systèmes éthiques.
Partie 3 : Constats et implication pour la gestion de l’éducation
Les gouvernements peuvent appliquer de façon globale ou partielle les prin-
cipes de la NGP. Urio (1998) a mis ce fait en évidence dans sa description des dif-
férentes formes d’application de la NGP. Peu importe le degré de rigidité, il n’en
demeure pas moins que ce sont des principes interreliés et qu’ils se retrouvent tous,
d’une façon ou d’une autre, mis en application selon des modalités différentes.
Le secteur de l’éducation n’échappera pas à cette idéologie. Les signes que l’on
croise régulièrement, comme la notion de performance, le rôle des parents, les éva-
luations provinciales, l’accroissement de la tâche administrative des directions (la
fonction de rapport associée au contrôle et à la responsabilité) sont autant de
représentations issues de l’idéologie de la NGP appliquées à l’éducation. Il en résulte
de nouveaux rapports de force entre les couples suivants :
36volume XXIX, automne 2001 www.acelf.ca
Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
• enseignants / direction;
• directions / unité administrative (conseils ou commissions);
• enseignants / parents;
• parents / parents (conseil d’école ou conseil d’établissement);
• enseignants / élèves;
• unité administrative / gouvernement... et cela n’indique que les rapports de
force binaires.
Si l’on y ajoute les rapports de force dans une perspective systémique (p. ex.,
parents / enseignants / directions / associations professionnelles / gouvernement),
l’espace devient passablement compliqué (au sens de Sériexy, repris par Salvet (1993,
p. 39-43).
Il faut cependant porter une attention particulière à l’arrimage entre certains
principes et points de vue et la réalité éducative sans toutefois tomber dans le
nombrilisme et considérer que l’éducation est un cas particulier, échappant à tout
changement qui dérange fondamentalement ses pratiques. Ce regard complaisant
centré sur ses pratiques, tel est le lieu du vrai danger en éducation. L’enseignement
est une activité qui a longtemps échappé à tout regard externe et surtout à toute
évaluation externe. La notion de performance était inapplicable parce que, disait-on,
l’éducation a essentiellement un impact qualitatif et surtout individuel et que, par
conséquent, on ne pouvait en mesurer les effets.
Cette troisième partie, à partir de réflexions personnelles dans une visée heuris-
tique, tente de soulever les points importants concernant l’arrimage des principes de
la NGP et l’activité éducative.
Premier constat : la mesure de la performance du système éducatif est devenue une obligation en éducationDeux raisons expliquent ce premier constat : le système éducatif doit devenir
plus performant à cause de l’exigence imposée par la mondialisation pour une for-
mation de qualité. La seconde raison est de fournir aux contribuables des évidences
sur le rapport qualité - coûts en éducation.
La mondialisation a eu pour effet de permettre l’ouverture des marchés et elle
comporte une obligation d’accroître la productivité, d’innover, d’être à la fine pointe
de la technologie (peu importe la nature de cette dernière) et d’augmenter les
échanges internationaux. Il y a de moins en moins de marchés protégés et il y a de
plus en plus de possibilités d’implantation d’entreprises dans des pays où l’on tient
compte de trois facteurs : la sécurité et la stabilité politique; les dispositifs logistiques
pour la circulation des personnes et des biens; et enfin la qualité de la formation de
la main-d’œuvre. Ce dernier point mérite notre attention. Le jeune diplômé doit être
aussi compétent, sinon plus, pour constituer un facteur avantageux supérieur à celui
des autres pays. Les individus de la génération précédente devaient être aussi com-
pétents ou plus compétents que leurs compatriotes. Le niveau de comparaison et
d’excellence s’est internationalisé. La conséquence de la mondialisation, telle que
vécue en éducation, consiste à mettre sur pied des dispositifs de formation aussi
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
efficaces, sinon plus, que ceux des autres pays engagés dans la course, ce qui veut
dire, à toutes fins pratiques, les pays les plus performants.
La mondialisation veut dire implantation d’entreprises, vente de produits, cir-
culation des biens et des personnes. Si une société veut demeurer dans la course, elle
doit produire et vendre plus de biens de qualité égale ou supérieure. Ce n’est que de
cette façon qu’elle maintient son niveau de vie. Un raisonnement similaire fut utilisé
par le Parti conservateur de l’Ontario en 1995, pour justifier la réforme de l’éduca-
tion : si les Ontariens veulent maintenir leur niveau de vie, ils doivent demeurer com-
pétitifs et le système scolaire doit les rendre performants... d’où la nécessité d’une
réforme.
La seconde raison est interne. Quand on prête attention aux taux de décrochage
scolaire, aux plaintes des entreprises portant sur la piètre qualité de la main-d’œuvre,
aux plaintes des universités quant aux capacités des étudiantes et étudiants de pre-
mière année à s’intégrer dans le système universitaire, force est de constater que le
système éducatif est l’objet de critiques de plus en plus virulentes relativement à sa
performance. La première phase de cette mise au pas fut les coupures budgétaires
des vingt dernières années. Ces coupures ont été les premières réactions face aux cri-
tiques sur la taille (notamment administrative) du système, sur les privilèges acquis,
sur le superflu des activités quand la référence est de nature « lecture - écriture - cal-
cul ». L’efficacité se démontrait alors par la relation : « faire autant sinon plus avec
moins ». C’était une relation strictement quantitative. La phase actuelle ajoute une
relation qualitative (bien que la mesure puisse être aussi qualitative) : il s’agit de faire
mieux avec autant ou moins!
Le « mieux » implique une amélioration de la performance et la démarche est
inéluctable : le système éducatif dans ses multiples composantes, comme la fonction
administrative, la fonction pédagogique, la fonction sociale, doit établir des objectifs
pour des indicateurs dont la représentativité, par rapport à la fonction, est significa-
tive. En corollaire, on doit définir des seuils ou des niveaux qui permettent de définir
le degré d’atteinte des objectifs. À la lecture des forces qui affectent les gouverne-
ments et qui sont issues de la NGP, cette tendance sera incontournable. Le véritable
défi en éducation n’est pas de faire face ou d’éviter la tendance, il s’agit plutôt :
i) de choisir avec discernement les indicateurs représentant les composantes
éducatives, les objectifs et leurs seuils, les instruments de mesure et;
ii) d’interpréter les résultats obtenus.
Ce sera alors le point de rencontre des éthiques humaniste, utilitariste et com-
munautaire, un espace potentiellement fort agité, somme toute, à la condition que
les tenants de l’éthique utilitariste, notamment les autorités gouvernementales, le
permettent. Ce point de rencontre sera l’école et la direction en sera le centre. Il aura
à arbitrer ou à négocier avec une éthique humaniste, celle des enseignantes et
enseignants, une éthique utilitariste, celle de la structure et de plusieurs clans de
parents, et une éthique communautaire, celles de certains clans de parents et du
personnel enseignant.
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
Deuxième constat : la reconnaissance de l’individualité de la personneLa recherche sur les intelligences multiples et les façons différentes d’apprendre,
sur les rythmes et les styles d’apprentissage indique clairement la nécessité d’ap-
proches plus particulières et moins standardisées. Il suffit de regarder en Ontario, par
exemple, les plans d’enseignement individualisé (PEI) qui sont établis pour les élèves
ayant des difficultés d’apprentissage et qui proposent des cheminements personnels
adaptés à l’élève. Le postulat fondamental, issu de la psychologie humaniste de
Rogers et Maslow entre autres, est l’unicité de la personne et le respect des rythmes
individuels comme gage de succès dans l’apprentissage. C’est un postulat fondamen-
tal des tenants des sciences humaines mais inconnu des tenants de la mesure et de
l’économisme. Or, comment peut-on parler de performance du système lorsque
les comportements des individus sont de moins en moins standardisés et qu’ils ne
peuvent conduire à des performances identiques tant sur le plan de type de la per-
formance que de leur mesure?
Le système éducatif se caractérise par des élèves dont les principales caracté-
ristiques sont l’individualité, le libre arbitre dans le choix des valeurs, le construc-
tivisme comme mode dominant d’apprentissage, la multiplicité, à partir de l’explo-
sion des technologies, des choix de contenus et des méthodes extrascolaires. L’élève,
cet enfant-roi, est probablement, dans l’histoire de l’humanité, celui qui est le plus
« moi ». Ces caractéristiques se situent dans la perspective de la postmodernité.
À cette tendance de l’émergence du moi s’oppose une tendance de la normalisation
du moi, et ce, d’une façon très subtile : par la mécanique des programmes scolaires
et des mesures de performance. L’affrontement entre l’individualité et les systèmes
normalisants ne pourra que conduire à l’émergence d’une élite composée de ceux et
celles qui réussissent les seuils de performance et à l’accroissement des taux de
déperdition pour ceux et celles qui sont littéralement rejetés par le système.
Si la tendance actuelle à l’établissement des seuils de performance ne s’accom-
pagne pas de processus d’accompagnement et de différenciation d’apprentissage,
des confrontations majeures avec la notion de l’individualité de la personne sont
prévisibles. Le défi dans la gestion sera le respect de l’individualité (tant chez les
élèves qu’au sein du personnel enseignant) dans un contexte d’uniformisation des
seuils de performance pour les élèves et de mise en place, pour le personnel en-
seignant, de normes d’exercice de la profession accompagnées, dans un futur
rapproché, de normes d’évaluation.
Troisième constat : le rôle croissant des usagersLes parents seront de plus en plus impliqués dans la gestion des systèmes édu-
catifs. D’abord, la consultation et l’écoute des commentaires des usagers, principes
de la NGP, sont de mise. Les parents sont de plus en plus instruits, ont des idées sur
le fonctionnement et savent comment les communiquer : ils sont donc en mesure
d’argumenter, de questionner. De plus, le rôle consultatif et parfois décisionnel des
parents est institutionnalisé, il n’est plus soumis à la bonne volonté ou à l’ouverture
des directions par exemple.
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
Le terme « usager » (ou client ou consommateur ou citoyen ou contribuable) est
un terme générique qui ne tient pas compte des communautés d’intérêts, de
besoins, de philosophies. En fait, les « usagers » n’existent pas! Il y a des catégories
d’usagers tout comme on ne peut parler de cultures organisationnelles mais plutôt
de sous-cultures. La postmodernité, en faisant ressortir l’individualité et la commu-
nauté d’intérêts, a détruit le caractère assimilateur d’usager.
La distinction faite au constat précédent s’applique également ici. Dans le
secteur éducation, à production et tolérance variables, il y a plusieurs catégories
d’usagers, mais qui seront traitées de façon uniforme par rapport aux dispositifs de
seuils de performance. Il n’y aura pas, par exemple, de seuils de performance dif-
férents selon l’orientation philosophique des usagers! Les usagers pour qui l’école
constitue un lieu de socialisation et de coopération se verront traités de la même
manière que ceux pour qui l’école est avant tout un lieu d’apprentissage « tech-
nique » fortement axé sur le rendement.
Cette rencontre entre usagers d’orientations diverses peut conduire à un désen-
gagement des usagers qui sont moindres « en nombre » ou en capacité communica-
tive, dans un monde politique, la capacité d’expression prenant souvent le pas sur la
valeur de l’idée. Elle peut conduire aussi à un nivellement, par le corps politique, des
différences. C’est un nivellement des positions qui réduit la variété des opinions à
un dénominateur commun conforme à ce que l’autorité gouvernementale voulait
entendre. Le même constat s’appliquerait-il à tous les secteurs de la fonction
publique ayant entrepris des réformes radicales sous l’égide de la NGP? Le nivel-
lement des orientations diverses des usagers est une légitimation politique de
l’action par le biais de l’interprétation d’une position dominante des usagers. Ceci
implique la disparition du concept de minorité : dans un contexte où la performance
est essentielle, où l’on parle des besoins des « usagers » et non des besoins des caté-
gories d’usagers, les minorités sont inacceptables et doivent être assimilées aux
groupes dominants.
Quatrième constat : les limites à l’absorption du changementOn reconnaît l’importance de la vitesse avec laquelle la NGP installe les change-
ments. On reconnaît aussi que l’étapisme n’y a pas sa place. Utiliser un temps pro-
gressif et une approche étapiste favorise la création de coalitions organisées (et non
spontanées), ce qui vient contrecarrer l’idéologie NGP. Il est donc important que les
changements surviennent rapidement.
Cependant, chez les individus, il a des limites à l’absorption des changements
de nature technique, à savoir un volume important de procédures et de pratiques à
assimiler et à modifier. Là encore, dans un secteur « mou » où il y a absence de procé-
dures codifiées et standardisées (par exemple, il n’y a pas d’indications standardisées
pour préparer une leçon), les changements sont souvent laissés à l’interprétation des
individus. Le cas est classique en Ontario où le ministère de l’Éducation définit ce
qu’il faut faire (donc la performance et sa mesure), mais sans dire comment le faire,
ce comment restant soumis à l’interprétation de chacun.
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
Mais il y a aussi des limites de nature psychologique, notamment liées à la
signification du changement et au sens qu’il imprime à la vie en général. Cette
accélération de changements engendre plusieurs conséquences (St-Germain, (1998).
Face aux changements accélérés, on passe du scepticisme à la résistance puis à l’ap-
athie. On a tendance à se replier sur soi et à laisser passer la tempête en se disant que
le système est trop fort. On se déconnecte et on réoriente sa vie en fonction d’activ-
ités signifiantes, le travail devenant alors une façon de gagner sa vie alors que la vraie
vie débute à l’extérieur du milieu de travail.
La mise en place des principes de la NGP, sans préparation initiale notamment
sur la compréhension du sens des changements (et on ne parle même pas de consen-
sus), se bute, en éducation et dans les systèmes sociaux, aux limites de l’absorption
du changement. C’est alors que la capacité communicative et motivationnelle des
agents de la structure prend toute son importance. Sans une vulgarisation et une
adhésion des membres, on ne peut espérer une mise en œuvre des politiques tein-
tées d’une idéologie NGP parce qu’elles ne s’inscrivent pas dans la tendance des
réalisations actuelles.
Cinquième constat : l’émergence de la professionnalisationLa NGP s’oppose à la conception de la professionnalisation parce qu’elle définit
non seulement les seuils de performance (réduisant ainsi la capacité décisionnelle
des intervenants à tenir compte du contexte dans leur décision) mais aussi en
définissant les rubriques de rapport et de monitoring. La théorie de l’agence et la
théorie du choix public vont conduire à l’utilisation d’organismes et d’agences en
sous-traitance. Pour s’assurer qu’il y aura pas de divergences entre les opérations des
différents agents, tout en leur laissant une possibilité d’être différents (ce qui est le
principe de base), il y aura obligatoirement des points de contrôle, des processus
de rédaction et de soumission de rapports qui laisseront peu d’espace au rôle du pro-
fessionnel.
Or, il y a une tendance marquée vers la professionnalisation. Plusieurs provinces
ont établi (ou le feront sous peu) un ordre professionnel pour les enseignantes et
les enseignants. Alors que la marge de manœuvre se rétrécit en matière de prise de
décision et de jugement professionnel, on veut instaurer une culture professionnelle.
Conclusion
Ces cinq constats convergent vers le développement de nouveaux rapports
de force en éducation, notamment vers le changement des pratiques de gestion
scolaire. Les relations entre les individus s’en trouvent modifiées. L’obligation de
résultats et le rôle croissant des usagers font en sorte que l’aspect public de la res-
ponsabilité soit affiché. Par contre, il y aura certainement un point de rencontre
fort délicat à négocier avec le mouvement de professionnalisation et les limites
individuelles et collectives à l’acceptation des changements. D’ailleurs, les limites
reconnues à la NGP dans les secteurs sociaux abondent en ce sens.
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Une conséquence de la nouvelle gestion publiquel’émergence d’une pensée comptable en éducation
Peut-être assisterons-nous véritablement à l’émergence de formes particulières
d’administration, de gestion et de management propre aux services sociaux, notam-
ment à l’éducation? Pourrait-on alors parler de la gestion de l’éducation?
Les modèles de gestion publique peuvent indiquer une voie à suivre mais ils
doivent obligatoirement être transformés pour être applicables en éducation. À
partir des mêmes thèmes, tels que performance, qualité, responsabilité, agences,
décentralisation, etc., mais interprétés dans un contexte éducatif et surtout par des
gens du milieu, on doit identifier un modèle de NGP applicable au monde scolaire.
On ne peut pas maintenir le statu quo alors que l’environnement se transforme à
un rythme grandissant et que les autres secteurs du public et du parapublic se
modifient.
Cependant, pour développer un sentiment d’appartenance chez les acteurs du
système, il est essentiel qu’ils y participent. Or, cette approche est absente dans les
écrits sur la nouvelle gestion publique : de quelle façon peut-on amener les opéra-
teurs de la NGP à adhérer à ses principes. Dans une société postmoderne, non
fondée sur l’autorité mais sur la congruence entre les systèmes de valeurs et les
façons de vivre, l’adhésion de l’individu est essentielle à moins que l’on accepte qu’il
soit simplement un opérateur efficace sans engagement personnel.
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