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Eine Welt Un solo mondo Un seul monde N o 4 / DÉCEMBRE 2016 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION www.ddc.admin.ch Fragile Corne de l’Afrique Reportage au Kenya, en Somalie et en Éthiopie Une ouverture audacieuse L’émergence des petits capitalistes à Cuba Crédits controversés Des investisseurs privés financent l’aide humanitaire et en tirent profit

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Eine WeltUn solo mondoUn seul monde

No4 / DÉCEMBRE 2016LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATIONwww.ddc.admin.ch

Fragile Corne de l’AfriqueReportage au Kenya, en Somalieet en Éthiopie

Une ouverture audacieuseL’émergence des petits capitalistes à Cuba

Crédits controversésDes investisseurs privés financentl’aide humanitaire et en tirent profit

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Un seul monde est édité par la Direction du développement et de la coopération (DDC), agence de coopération internationale intégrée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cette revue n’est cependant pas une publication officielle au sens strict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’est pourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement le point de vue de la DDC et des autorités fédérales.

Un seul monde No 4 / Décembre 2016

Sommaire

D D C

F O R U M

3 Éditorial4 Périscope26 DDC interne34 Service35 Coup de coeur avec

Sandro Schneebeli 35 Impressum

H O R I Z O N S

C U L T U R E

D O S S I E R CORNE DE L’AFRIQUE6 Des fléaux qui entravent le développement

Dans l’une des régions les plus pauvres et instables du monde, les progrèsen matière de développement revêtent une importance vitale. Reportage.

15 L’espoir d’un retour à la stabilité n’est pas mortEntretien avec le politologue suisse Tobias Hagmann, grand connaisseurde l’Afrique

17 Faits et chiffres

18 Une coupe de cheveux entre socialisme et capitalismeGrâce à l’ouverture économique, de nombreux Cubains créent leur propreentreprise. Ces capitalistes en herbe sont une chance et un défi pour l’État.

21 Sur le terrain avec...Peter Sulzer, chef de mission suppléant et responsable de la coopérationà l’ambassade de Suisse à Cuba

22 Une journée entre le Callejón et ma vieYoelkis Torres Tápanes raconte sa vie quotidienne à Matanzas, capitalede la province cubaine du même nom

23 Un label suisse s’impose à travers le mondeEn Suisse, les communes qui mènent une politique énergétique durable sont certifiées « Cités de l’énergie ». Ce label fait également école dans la coopération au développement.

24 Coopération contre l’esclavage moderne La Roumanie et la Suisse coopèrent dans la lutte contre la traite des êtres humains. Elles s’efforcent notamment d’améliorer l’identification et la protection des victimes.

27 Un outil innovant pour financer l’aide humanitaire Un nombre croissant d’acteurs de l’aide humanitaire et de la coopérationrecherchent le soutien d’investisseurs privés pour cofinancer leurs projets

30 Le diable veille sur les coutumes colombiennes Carte blanche : la Colombienne Ana María Arango évoque l’importance culturelle et économique des quelque 140 carnavals de son pays

31 Les nouvelles voix du mondeMusique punk en Bolivie et en Indonésie ou pop underground en Afriquedu Sud et au Nigéria : de jeunes musiciens redéfinissent le monde

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Éditorial

Un seul monde No 4 / Décembre 2016

Les bonnes nouvelles en provenance de la Corne del’Afrique sont rares. L’Éthiopie, par exemple, lutte tou-jours contre les effets de la sécheresse de 2015, la pirequi ait frappé la région depuis des décennies. Depuisle début de guerre civile, en 1991, la Somalie est unÉtat plus ou moins déstructuré. L’Érythrée continue defigurer parmi les principaux pays d’origine des mi-grants qui viennent demander l’asile en Europe. Et sil’on étend ce périmètre, la «Grande Corne de l’Afrique»inclut notamment le Soudan du Sud, ravagé par desconflits internes depuis son accession à l’indépen-dance il y a cinq ans : on compte déjà plusieurs cen-taines de milliers de morts, 1,5 million et demi de per-sonnes déplacées et 700000 réfugiés dans les paysvoisins.

Ces crises nombreuses et prolongées ont des causesdiverses, dont le poids diffère d’un pays à l’autre : mau-vaise gouvernance, lutte pour les ressources, dessertede base catastrophique, épidémies et maladies, effetsdu changement climatique – pour ne citer que les prin-cipales. Les gens qui, pour échapper à ces conditionssouvent inhumaines, partent vers un autre pays de larégion ou vers l’Europe ne le font pas après avoir étu-dié la Convention de Genève relative au statut des ré-fugiés – aussi pertinent soit ce texte pour le cadre juri-dique international. Ils espèrent seulement trouver unavenir meilleur.

Redonner de l’espoir, c’est ce qu’ambitionne de faire laDDC par ses activités dans la Corne de l’Afrique (elle atoutefois dû abandonner sa coopération en Érythrée en2006 et n’a toujours pas pu la reprendre). Ses projetss’attaquent aux causes des crises actuelles. Ils portentnotamment sur la sécurité alimentaire, l’approvision-nement en eau, la consolidation des systèmes desanté, la gouvernance, la justice économique et so-ciale, la gestion des conflits et le respect des droits del’homme.

Vu la durée des crises, il est essentiel de combiner ef-ficacement les instruments de l’aide humanitaire, axéssur l’urgence, et ceux de la coopération au développe-

ment, qui créent des perspectives à plus long terme.Le partenariat entre la DDC et Swisscontact dans lecamp de réfugiés de Kakuma, au nord-ouest du Kenya,illustre bien cette approche : les réfugiés, tout commela population locale, peuvent suivre une formation pro-fessionnelle de base qui leur facilitera l’accès au travailet aux revenus. La prévention des crises est un autreaspect important de l’engagement à long terme de laDDC dans la Corne de l’Afrique. Un projet mené enÉthiopie, par exemple, y contribue. Il renforce la résis-tance de la population locale aux sécheresses et auxautres conséquences du changement climatique.

N’oublions pas, toutefois, que la région présente aussiun potentiel positif. Ainsi, l’Éthiopie affiche depuis dixans des taux de croissance à deux chiffres, si l’on excepte quelques années moins fastes. Elle le doit notamment à des réformes gouvernementales, àl’amélioration de ses infrastructures et à un climat d’investissement plus favorable. Le Soudan du Sud estassis, pour sa part, sur des gisements pétroliers dontle volume est le troisième plus important d’Afrique subsaharienne. Il possède également d’abondantesressources minières. Malgré tout, son économie restefortement dépendante de l’agriculture. Quant à l’Éry-thrée, elle avait atteint trois des huit Objectifs duMillénaire pour le développement – tous dans le domaine de la santé – avant l’expiration du délai en2015. Renforcer ce potentiel fait partie des tâches dela DDC, au même titre que l’assistance aux victimesdes crises et aux personnes en détresse.

Manuel Sager

Directeur de la DDC

(De l’allemand)

L’espoir, envers et contre toutD

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Périscope

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Le développement par les chips (urf ) Pendant longtemps, les paysans de Tangakona, àl’ouest du Kenya, parvenaient tout juste à se nourrir avecleurs modestes récoltes de patates douces et de manioc.Ils ne gagnaient pratiquement rien. En raison du change-ment climatique, leurs cultures étaient souvent détruitespar la sécheresse. Il y a cinq ans, ces agriculteurs ontfondé des coopératives sous le parrainage de FarmConcern International, une organisation kényane de déve-loppement. En alliant leurs forces, ils ont créé de la valeurajoutée : dans un «village commercial », les récoltes sontmises en commun, puis transformées en chips, en pom-mes frites ou en farine. «Cette collaboration nous a permisd’accroître la production et de répondre aux besoins dumarché», affirme Catherine Amusugut, responsable duprojet. De plus, l’introduction de variétés résistantes à lasécheresse a limité les pertes de récolte. L’initiative, qui re-groupe plus de 10000 paysans, a généré des revenus et renforcé la sécurité alimentaire dans la région. www.farmconcern.org

des dépotoirs sauvages quicontaminent l’environnement etconstituent une menace pour lasanté de la population. Afin delutter contre la pollution, le mi-nistère péruvien de l’écologies’est allié avec les meilleursconnaisseurs de ces déchargesillégales : les vautours, des oiseauxemblématiques de la capitale.Dix urubus noirs (Coragyps atratus) ont été équipés de tra-ceurs GPS et de minicaméras.«Quand les vautours cherchent àmanger, ils nous mènent naturel-lement aux décharges. Ils nousaident à localiser et à surveillerles endroits où se trouvent lesdéchets organiques », indique

Le cactus, une arme contre la faim( jls) Dans le sud de Madagascar,des sécheresses récurrentes dé-truisent les cultures et le cheptel.Près de 1,8 million de personnessont confrontées à une insécuritéalimentaire chronique. Des cher-cheurs malgaches suggèrent devaloriser la figue de Barbarie, oucactus rouge, pour lutter contrela faim. Cette plante sauvage,très abondante sur l’île, est richeen micronutriments, tels que cal-cium, magnésium et vitamine C.Selon Tsimanova Paubert, onpeut produire de nombreusesdenrées à partir de ses fruits, no-tamment du jus et de la confiture.

« Il suffit de mettre en place depetites unités de transformation,de façon à assurer un emploi du-rable pour les plus démunis »,souligne ce chercheur en scien-ces sociales. Les scientifiques pro-posent également d’exploiter lecactus au niveau industriel, afinde générer des revenus. Holy

Ranaivoarisoa, enseignante etchercheuse, relève qu’au Maroc,on en tire des cosmétiques, del’huile alimentaire, des alimentspour le bétail, etc. «Et l’huile essentielle de cactus rouge est laplus chère du monde», précise-t-elle. www.scidev.net

Vaccinations de massecontre la méningite( jlh) L’Afrique vient d’enregis-trer un grand succès dans la luttecontre la méningite A (infectionbactérienne des méninges) : de-puis 2010, plus de 235 millionsde personnes ont été vaccinéesdans 26 pays. C’est le résultatd’un programme mené conjoin-tement par l’Organisation mon-diale de la santé et l’ONG inter-nationale PATH, spécialisée dansl’innovation sanitaire. Le vaccinutilisé s’appelle MenAfriVac.Spécialement mis au point pourl’Afrique, il coûte environ dixfois moins qu’un vaccin ordi-naire et se conserve des joursdurant à des températures éle-vées. Jusqu’ici, les épidémies pro-voquaient à chaque fois des mil-liers de décès et de graves lésionscérébrales. Elles frappaient sur-tout les pays les plus pauvres dela «ceinture de la méningite » quis’étend du Sahel jusqu’à la ré-gion des Grands Lacs. Dans cespays, la maladie a été pratique-ment éradiquée. La campagne devaccination se poursuit dans lereste de la «ceinture». Parailleurs, de nombreux États ontdécidé d’inclure le vaccin contrece type de méningite dans leursprogrammes nationaux de vacci-nation des enfants.www.path.org, chercher «menafrivac»

Des radars vivants dans le ciel de Lima( jls) Peuplée de presque 10 mil-lions d’habitants, la ville de Limaproduit 6000 tonnes de déchetspar jour. Une grande partie deces ordures sont déversées dans

Javier Hernández, directeur duprojet. Au sol, des experts analy-sent en temps réel les photos etles données transmises par les ra-paces. Ils cartographient les zonescontaminées. La carte, mise àjour quotidiennement, peut êtreconsultée sur Internet. Financépar l’agence de coopérationaméricaine, le projet «Gallinazoavisa » (le vautour avertit) doitégalement sensibiliser la popula-tion au problème des déchets. www.gallinazoavisa.pe

Une méthode ancestrale( jlh) Des chercheurs de plusieurspays (Ghana, Danemark, Angle-terre et États-Unis) ont décou-

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vert des sols particulièrementfertiles au Libéria et au Ghana.La raison est surprenante : depuis700 ans, les habitants travaillentla terre en la mélangeant avecdes cendres, des déchets d’os etdu compost. Grâce à un tel ap-port de matières riches en car-bone, le sol reste fertile et retientbien l’eau. Selon James Fairhead,professeur à l’Université duSussex et responsable du projetde recherche, cette pratique pré-sente deux avantages : «D’unepart, elle accroît nettement laproduction de denrées alimen-taires sur des sols pauvres. D’au-tre part, le stockage supplémen-taire de carbone pourrait s’avérerefficace contre le changementclimatique.» Dans leur couchesupérieure de 2 mètres environ,les sols emmagasinent en effetune quantité de carbone six foissupérieure à ce que contient l’at-

mosphère et pourraient en absorber davantage encore.«Reproduire cette méthode ancestrale pourrait transformer lavie de milliers de personnes dansles régions d’Afrique les plustouchées par la pauvreté et la fa-mine», estime James Fairhead. http ://sro.sussex.ac.uk/60072

Les petits Népalais se portent mieux( jlh) Dans les pays en développe-ment, les vers intestinaux etd’autres parasites infectent régu-lièrement des millions de per-sonnes, en particulier des enfants.Dues en premier lieu au manqued’eau propre et à de mauvaisesconditions d’hygiène, ces affec-tions entravent le développementphysique et psychique des en-fants. Il n’est pas rare que leur issue soit mortelle. De bonnesnouvelles en la matière viennent

du Népal : au cours des vingt der-nières années, ce type de maladiea nettement reculé parmi les en-fants en âge scolaire, passant de60 à 20%. Selon les spécialistes, ce progrès repose principalementsur les programmes menés par legouvernement et des organismes

privés pour déparasiter les élèves.L’amélioration des installationssanitaires y est également pourbeaucoup. En 1995, seul un cinquième de la population dis-posait de toilettes privées, alorsque la proportion atteint 50%aujourd’hui.

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DOSSIER

Des fléaux qui entravent le développement La Corne de l’Afrique est l’une des régions les plus pauvres etinstables du monde. Les progrès en matière de développementy revêtent une importance vitale, mais ils sont entravés par dessécheresses récurrentes, des guerres qui n’en finissent pas etdes jeux de pouvoir. Reportage de Fabian Urech à travers leKenya, la Somalie et l’Éthiopie.

Wajir, KenyaUn premier pas

À l’ouest de Wajir, petite ville paisible du nord-est du Kenya et chef-lieu du comté du même nom,une route cahoteuse file en ligne droite à traversla steppe. La chaleur est accablante. De temps à

autre, une hutte rompt la monotonie du paysage.

Six gazelles traversent la route, tandis qu’un petitgroupe de girafes déambulent au loin.Après 50 kilomètres de route, le village de Griftuapparaît à l’horizon, au milieu d’un no man’s landde sable : une école, quelques modestes cases et unpoint d’eau au milieu d’une place immense. À 9heures du matin, des centaines de chameaux, debœufs et de chèvres y sont déjà rassemblés. Ibra-

Ibrahim et son troupeau de chameaux sont arrivés au point d’eau de Griftu. « Je reviendrai la semaine prochaine », assure le jeune éleveur.

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Corne de l’Afrique

him, 16 ans, est arrivé le premier avec sa vingtainede chameaux. Entre le village où il vit avec ses pa-rents et Griftu, il a parcouru 25 kilomètres. « Je meremettrai en route cet après-midi pour être chezmoi tôt demain matin. Et je reviendrai la semaineprochaine », dit-il timidement.

Se préparer à affronter les crisesEnviron 80% des habitants du Wajir sont des éle-veurs qui se déplacent à travers les steppes avec

Renforcer la résilienceaux crisesLe projet « Kenya Rapid »,cofinancé par la DDC, viseà améliorer la sécurité ali-mentaire dans les cinqcomtés septentrionaux duKenya. Un meilleur accès àl’eau et une gestion écolo-gique des maigres res-sources devraient renforcerles communautés pasto-rales de la région. Prévupour durer jusqu’en 2020,le projet associe l’aided’urgence et la coopéra-tion au développement.Outre les autorités locales,il englobe la société civile,le secteur privé et la popu-lation.

Symbole du progrès : un «distributeur automatique d’eau»dans le nord du Kenya

leurs troupeaux. Ce sont des artistes de la survie,comme on en rencontre un peu partout dans les régions arides et semi-arides de la Corne del’Afrique. Depuis plusieurs années, les sécheresseset la pression démographique mettent à rudeépreuve leur mode de vie partiellement nomade.Étant donné que huit personnes sur dix ont moinsde 2 dollars par jour pour vivre, même une crisemineure représente une menace existentielle. Danscette région d’Afrique qui s’étend sur trois pays, la dernière sécheresse est survenue en 2014 et ellea frappé plus de 60 000 familles. Au printemps dernier, une épidémie de choléra a fait près de cin-quante morts.«Le contexte est difficile », admet Hassan Moha-med Aden, qui dirige le ministère de l’agriculturedu Wajir. «Nous tentons actuellement de prévenirla prochaine crise. » Il s’agit surtout d’éviter que

les gens sombrent dans la misère si les pluies n’ar-rivent pas. «Nous ne pouvons pas empêcher les sé-cheresses, mais nous pouvons nous y préparer ». Legouvernement du comté le fait notamment en as-sainissant les points d’eau, comme celui de Griftu.Il mène aussi des projets de formation continue,crée des centres de collecte pour le foin, amélioreles installations sanitaires et renforce les compé-tences des autorités communales. La DDC appuieces efforts au niveau régional et local.

Repartir de zéroIl n’est pas sûr que le pastoralisme demeure unmode de vie et d’exploitation praticable. «Avant,nous étions tous des éleveurs. À un moment don-né, ce système a cependant cessé de fonctionner »,explique Zaineb Omar, porte-parole du groupe defemmes Ali Mao. Celui-ci comprend quarante an-ciennes nomades qui se sont sédentarisées en s’ins-tallant à Wajir au cours des dernières années. «L’ar-rivée en ville a été difficile. Par la suite, nous avonscommencé à cultiver des légumes pour les vendreau marché : choux, épinards, poivrons et haricots »,raconte Zaineb Omar en somalien. Les autoritéslocales ont fourni une pompe à ce groupe et uneONG lui a donné trois serres. Mais même ce nou-veau moyen de subsistance reste fragile : les culti-vatrices gagnent environ 2 francs par jour. «C’estpeu pour faire vivre une famille », note Zaineb.

Soudan

Karthoum

Addis Abeba

Sanaa

Juba

Yémen

ÉthiopieSoudan du Sud

Somalie

KenyaOuganda

Rwanda

Burundi

Érythrée

Djibouti

Mogadiscio

Kampala

Hargeisa

Yabello

Kakuma

Wajir

Nairobi

Golfe d’Aden

Océan Indien

Somaliland

Puntland

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Un premier pas a été franchi, mais beaucoupd’autres devront suivre. C’est l’impression que l’onressent souvent à Wajir. Grâce à un processus de dé-centralisation très étendu, la ville dispose d’unegrande marge de manœuvre. Kunow Abdi, colla-borateur de la DDC, s’en réjouit : «Les habitantssont les mieux placées pour savoir ce dont ils ontbesoin. Il ne nous appartient pas de fixer leurs prio-rités. » La tâche n’est toutefois pas simple, commele relève cette représentante d’une ONG: «Les au-torités locales ne possèdent pas encore les compé-tences, l’expérience et les ressources nécessaires.Elles risquent de reproduire ici les erreurs quiétaient commises autrefois à Nairobi. »

Kakuma, KenyaAu milieu de nulle part

La petite ville de Kakuma se situe dans le comtéde Turkana, le plus reculé du Kenya. Lorsqu’on yarrive, rien n’indique que l’une des plus gravescrises humanitaires du monde se déroule à seule-ment 100 kilomètres de là. Au Soudan du Sud, une

opération au développement. Il associe donc diversinstruments et recherche des solutions innovantes.Cela inclut par exemple une approche visant à ré-duire la pauvreté parmi les réfugiés, la fourniturede prestations à la fois aux personnes déplacées età la population locale ou encore l’intégration systématique de mécanismes d’aide d’urgence dansles programmes de développement. Les projetsaccordent une attention particulière aux questionsde genre et à l’égalité hommes-femmes. La DDCs’engage en outre pour un système redevable d’allocation des ressources publiques et contribue activement à l’atténuation des conflits.La coopération suisse dispose d’un bureau régio-nal à Nairobi et d’un bureau de programme à Addis Abeba – tous deux rattachés à l’ambassadesur place. Les collaborateurs de ces bureaux coor-donnent ensemble les activités de la DDC dans laCorne de l’Afrique. Ils disposent d’un budget an-nuel de presque 40 millions de francs suisses. Cesfonds permettent d’apporter un soutien financierou technique aux programmes existants et de lan-cer de nouveaux projets ou initiatives. n

guerre civile a éclaté en 2013, deux ans après l’ac-cession à l’indépendance. Ce jeune État risque des’effondrer à tout moment et la famine menace.Plus d’un million d’habitants ont déjà fui le pays.Environ 50 000 d’entre eux sont venus à Kakumaces dernières années. C’est ici, de l’autre côté d’unerivière asséchée, que le Haut Commissariat des Na-tions Unies pour les réfugiés (HCR) gère un im-mense camp : environ 180 000 personnes y vivent,dont plus de la moitié sont originaires du Soudandu Sud.

Un camp pour seul universCréé en 1992 pour offrir un abri provisoire àquelques milliers de personnes, le camp de Kaku-ma s’est mué en un vaste lotissement. On se croi-rait dans un village géant : petits magasins, taxis-motos, écoles, terrains de basket… tout y est. Unegrande partie des réfugiés vivent ici depuis des an-nées et nombre de jeunes – un habitant sur dix estmineur – y sont même nés. Nul n’étant autorisé àquitter le camp sans autorisation, beaucoup de ré-sidents ne connaissent pas d’autre monde. AlfadilAbdallah est malgré tout heureux d’être là. Cet

La décentralisation est en marche Conformément à la nou-velle Constitution duKenya, le gouvernementcentral a transféré nombrede compétences aux 47comtés du pays depuis2010. Beaucoup d’autresÉtats africains ont égale-ment lancé des processusde décentralisation depuisles années 90. Tandis quel’Éthiopie est depuis long-temps une fédération, laSomalie met sur pied ac-tuellement des structuresfédérales. Jusqu’ici, les ex-périences sont certes miti-gées, mais le fédéralismepeut constituer un impor-tant facteur de stabilisa-tion, notamment dans des pays pluriethniques,comme ceux de la Cornede l’Afrique.

La partition de la Somalie, les différends frontaliersentre l’Éthiopie et l’Érythrée ainsi que les guerresdans des pays voisins mettent la Corne de l’Afriqueà rude épreuve depuis de longues années. Insécu-rité alimentaire chronique, variations climatiqueset sécheresses ne font qu’aggraver la situation. Lesconflits pour les ressources naturelles s’exacerbent.La région affiche par ailleurs les taux de mortalitématernelle et infantile les plus élevés du monde.Tout cela déclenche d’importants flux migratoires.Ces défis appellent des solutions régionales. C’estpourquoi la Suisse s’est dotée d’une stratégie ré-gionale de coopération pour la Corne de l’Afrique,qui souligne son engagement accru dans lescontextes fragiles. Elle concentre ses efforts sur laSomalie, ainsi que sur les zones arides et semi-aridesdu nord-est du Kenya et du sud-est de l’Éthiopie.Elle s’est fixé les priorités thématiques suivantes : - migration ; - sécurité alimentaire ; - santé ;- bonne gouvernance, renforcement de l’État et

promotion de la paix.Le programme régional est mené conjointementpar les domaines de l’aide humanitaire et de la co-

Des solutions régionales aux défis régionauxL’engagement de la Suisse dans la Corne de l’Afrique

Des compétences pour la vieLe projet pilote de la DDC« Skills for Life » transmetdes compétences profes-sionnelles à des réfugiés etaux habitants de Kakuma,afin de leur permettre desubvenir à leurs besoins.Au cours de la premièrephase de ce projet, lancéen 2013, plus de 500jeunes ont suivi une forma-tion. La deuxième phase a démarré l’été dernier.

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Corne de l’Afrique

De nombreux réfugiés vivent depuis des années dans le camp de Kakuma. Alfadil Abdallah répare des ordinateurs et destéléphones portables dans son petit magasin. Il se dit reconnaissant de pouvoir construire son avenir.

Soutien aux régionspastoralesQuelque 30 millions d’éle-veurs nomades viventdans les régions arides etsemi-arides de la Corne del’Afrique. Depuis quelquetemps, beaucoup renon-cent à ce mode de vie frugal et fait de grandesprivations. Afin de promou-voir les régions pastorales,la Suisse ne réalise passeulement des projets lo-caux (dans le Wajir ou leBorana). Elle collaboreégalement avec l’Autoritéintergouvernementale pourle développement, l’Orga-nisation des Nations Uniespour l’alimentation et l’agri-culture, et plusieurs gou-vernements.

homme de 28 ans est originaire du Darfour, dansl’ouest du Soudan, une région en guerre depuis dixans. En 2011, il s’est enfui avec sa sœur, tout d’abordvers le Soudan du Sud, puis vers le Kenya. Il a per-du sa sœur en route et n’a toujours pas pu reprendrecontact avec sa famille. À Kakuma, beau- coup par-tagent son destin.Dans l’un des innombrables abris de tôle ondulée,Alfadil est installé devant un ordinateur. «HongKong Centre » : tel est le nom de l’atelier de répa-ration pour ordinateurs et téléphones portables,qu’il a fondé l’année passée avec un ami. «Çamarche bien. Je suis reconnaissant de pouvoir

construire mon avenir. » Ce Soudanais a en effetcompté parmi les premiers participants au projet«Skills for Life ». Lancé par la DDC et mis en œuvrepar Swisscontact, celui-ci dispense une formationprofessionnelle à de jeunes adultes. Il propose unapprentissage court, de trois à cinq mois, dans unedouzaine de domaines artisanaux, comme l’infor-matique, la coiffure ou la couture. Nombre des bénéficiaires ont entre-temps ouvert de petiteséchoppes. «Lorsqu’ils retourneront chez eux, cescompétences les aideront à refaire leur vie», espèreJoseph Lenakiyo, chef du projet.

Jeter des pontsJoseph Lenakiyo souligne à quel point il est né-cessaire d’impliquer la population locale. Dans larégion, la pauvreté atteint le taux étourdissant de94%. En observant les petites cahutes qui parsèmentla steppe autour de Kakuma, on devine la difficul-té de vivre dans cette contrée aride où la tempéra-ture peut atteindre 45 degrés. Honorine Sommet-Lange, directrice du camp, ac-corde beaucoup d’importance aux relations avec leshabitants des villages voisins. Cette collaboratrice expérimentée du HCR rappelle que l’on travailletoujours dans un contexte politique. «Les intérêtsdes autorités locales ne coïncident pas nécessaire-ment avec les nôtres », relève-t-elle. Les agences del’ONU, qui bénéficient du soutien de la DDC,

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s’efforcent d’améliorer l’image du camp au sein dela population : elles recourent souvent aux entre-prises locales pour des travaux et les réfugiés peu-vent acheter eux-mêmes des aliments au marché(depuis peu avec de la monnaie numérique).Un peu à l’écart de Kakuma, le prototype d’unnouveau camp de réfugiés est en train d’émerger :conçu comme un lotissement permanent, il doittisser d’emblée des liens forts avec la communed’accueil. Il prévoit ainsi des projets agricoles com-muns et vise à renforcer le commerce et les ser-vices. Abstraction faite de quelques tentes éparseset d’un nouveau dispensaire, il n’a pas encore prisforme. Là aussi, on comprend vite que Kakuma nesera jamais un lieu où les gens ont envie de rester.«Si nous pouvions choisir, nous ne serions pas là,mais nous n’avons pas d’autre endroit où aller », déplore une Congolaise.

Hargeisa, SomalilandLa réussite d’un pays ignoré

L’État qui fonctionne le mieux dans la Corne del’Afrique n’a, en fait, pas le droit d’en être un. Pa-radoxe de la géopolitique, le Somaliland, situé au

Après avoir suivi une formation dispensée par le projet de la DDC «Skills for Life », ces jeunes femmes ont pu ouvrir leurpropre atelier de couture.

nord-ouest de la Somalie, témoigne néanmoins dece qu’il est possible de faire malgré toutes les dif-ficultés. La capitale Hargeisa est comme un villagegéant, pauvre et poussiéreux. Elle compte environun million d’habitants, mais tout le monde semblese connaître. Le drapeau vert-blanc-rouge du paysflotte partout. Les paiements se font en shillings somalilandais et des policiers locaux règlent la circulation. Bref, le Somaliland réunit tout ce quifait un véritable État, y compris une armée et un hymne national. Pourtant, 25 ans après avoir pro-clamé son indépendance de la Somalie, il n’a tou-jours pas été reconnu par la communauté interna-tionale. «Beaucoup de gens, ici, ne comprennentpas ce refus », indique Ahmed Dalal Farah, un spé-cialiste local du développement. Le Somaliland adéjà organisé à cinq reprises des élections libres et équitables. «Aucun autre pays de la région ne peuten dire autant. »Malgré les inconvénients liés à l’absence de recon-naissance du Somaliland – l’État ne peut parexemple pas obtenir de crédits internationaux –,Hargeisa est en plein essor. «La sécurité s’est amé-liorée. Il y a de bonnes écoles, des infrastructuresadéquates et des activités sociales », souligne DekaAbdi, collaboratrice d’une ONG. Selon elle, la

Bamba ChakulaDans le camp de réfugiésde Kakuma, l’argent nu-mérique a récemmentremplacé les sacs de riz :dans le cadre du projet« Bamba Chakula » (qui si-gnifie « Vas chercher tanourriture ! » en swahili),une partie de l’aide alimen-taire est versée en espècespar téléphone portable.Cela permet aux résidentsde faire eux-mêmes leursachats et de décider cequ’ils vont manger. Lescommerces locaux voientainsi s’ouvrir d’importantsdébouchés, tandis que lesréfugiés retrouvent un peude dignité et d’autonomie.

Silence radioLa non-reconnaissance de l’État « de facto » duSomaliland est surtout mo-tivée par la peur de créerun précédent. La commu-nauté internationale veutéviter de renforcer l’espoird’autres régions africainesqui rêvent d’accéder à l’indépendance. Les ef-forts de médiation de laTurquie entre la Somalie etle Somaliland sont jusqu’icirestés vains. Les gouverne-ments de Hargeisa et deMogadiscio ne se parlentplus.

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ville doit beaucoup de ces améliorations au travailefficace du gouvernement.

Moins d’argent qu’un quartier de LondresAbadifatah Said Ahmed, directeur général du mi-nistère de l’intérieur, se montre satisfait : «Les re-cettes fiscales augmentent et la sécurité est bonne.Le Somaliland a un bel avenir devant lui. » Il restebien sûr énormément à faire. Nombre de projetsne peuvent se réaliser faute de compétences et par-fois aussi de ressources. «Notre budget n’équivautmême pas à la moitié de celui dont dispose l’ad-ministration d’un quartier de Londres. »Un projet de l’ONU, cofinancé depuis 2013 parla DDC, entend combler de telles lacunes. Il viseà renforcer les structures administratives localesdans toutes les régions de la Somalie. «Pendantlongtemps, la Somalie n’a reçu que de l’aide hu-manitaire. Notre programme est l’un des premiersà promouvoir un développement à long terme»,relève Khalif Abdullahi, collaborateur de la DDC.Des résultats sont déjà perceptibles. Dans les bureauxde l’administration fiscale à Hargeisa, un fonction-naire présente fièrement un graphique : «Nos re-cettes ont triplé ces dernières années. » En outre,le recours à des logiciels modernes aurait fait re-

Appui aux réformes de l’ÉtatSoutenu par la DDC de-puis 2013, un projet decinq agences onusiennesrenforce les autorités lo-cales en Somalie. Il vise àaméliorer les compétencesdes communes en matièrede planification, d’adminis-tration, de perception desimpôts et de consultationdes citoyens. Sa mise enœuvre a pu commencergrâce à la sécurité qui ré-gnait au Somaliland, auPuntland ainsi que dansquelques zones à l’inté-rieur et aux alentours deMogadiscio. La prochainephase devrait si possiblese concentrer davantagesur le centre et le sud de la Somalie.

Hargeisa, la capitale du Somaliland, ressemble à un village géant. Malgré la pauvreté, les signes d’un essor économiqueapparaissent un peu partout, comme le nouveau marché ci-dessous.

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Sagal M. Abshir a étudiéà la John F. KennedySchool of Government de l’Université d’Harvard,aux États-Unis. Elle a étéconseillère du premier mi-nistre somalien jusqu’en2012. Depuis quatre ans,elle travaille commeconsultante à Nairobi.

Un marché à Hargeisa : on ne vient pas ici uniquement pour faire des achats ; c’est également un lieu important de rencontre et d’échanges sociaux.

Entretien avec Sagal M. Abshir

De petits pas dans la bonne direction

Développement et prévention des crisesLa DDC a lancé récem-ment un projet de sécuritéalimentaire dans la régionBorana, au sud de l’Éthio-pie. Celui-ci comprend desmesures de développe-ment à long terme et unfonds d’aide d’urgence quipeut être activé en cas desécheresse, par exemplepour fournir une assistancealimentaire. Le but estd’éviter que des crisestemporaires anéantissentles avancées du dévelop-pement. Cette approcheest innovante, y comprispour la DDC. Au total,quelque 70 000 personnesdevraient bénéficier duprojet.

Un seul monde : La Somalie était autrefois unpays stable et en plein essor. Dans les années80, on appelait encore Mogadiscio « la perlede l’océan Indien». Les Somaliens regret-tent-ils cette époque?Les Somaliens ressentent une certaine nostalgie.On a souvent tendance à idéaliser le passé. Certes,la Somalie était stable sous la présidence de SiadBarre, mais ce régime est devenu de plus en plustotalitaire durant la guerre froide. Après des dé-cennies de conflit, il est toutefois bien naturel deglorifier quelque peu les temps anciens.

Apparemment, il y a peu de raisons d’êtreoptimiste.Le pays avance à petits pas dans la bonne direction.Les structures étatiques se mettent en place, il y ades élections, l’économie récupère lentement.Tout prend beaucoup de temps, trop parfois. Aprèstout ce qui s’est passé, il ne faut pas s’attendre à desmiracles. Si je suis optimiste ? Nous devons l’être.N’importe quelle autre attitude équivaudrait à unrenoncement.

Comment vivent les gens dans un pays plon-gé depuis 25 ans dans une guerre civile ?Environ 70% des Somaliens ont moins de 30 ans.Ils n’ont jamais connu la paix et la stabilité. Mal-gré tout, la vie continue. Les gens vont à l’écoleet au marché, ils mangent, ils dorment. Leur pré-occupation est de surmonter les difficultés quoti-diennes : trouver de quoi se nourrir, s’occuper desenfants, s’en sortir d’une manière ou d’une autre.Pour eux, la politique est souvent un monde à part,car beaucoup sont livrés à eux-mêmes.

Ce n’est pas surprenant. La Somalie est de-venue depuis longtemps l’incarnation d’unÉtat en déliquescence.C’est vrai. En même temps, la notion d’État aquelque chose de théorique, d’artificiel, surtoutdans les zones rurales. On le voit bien dans les ré-gions où la Somalie jouxte l’Éthiopie et le Kenya :les frontières n’existent souvent que sur les cartesde géographie, pas dans la réalité. n

(De l’anglais)

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culer la corruption. Avec un budget en hausse, lesautorités de la ville peuvent investir davantage dansles infrastructures. Elles ont financé par exem-plela toiture d’un marché et le goudronnage d’im-portantes routes d’accès.

Le chaos n’est pas une fatalitéMalgré les progrès, il reste beaucoup à faire pourinstaurer «un Somaliland stable, démocratique etprospère », comme le décrit le gouvernement danssa Vision 2030. Avec 348 dollars par habitant et paran, son revenu moyen est le quatrième le plus faibledu monde. Enfin, les investisseurs étrangers reste-ront sur la réserve tant que les relations avec Mogadiscio, la capitale somalienne, n’auront pas étéclarifiées. En quittant Hargeisa, on est pourtant rempli d’es-poir. Il suffit de penser au reste de la Somalie : lescaractéristiques ethniques, linguistiques et cultu-relles sont pratiquement les mêmes, mais le chaosrègne depuis plus de vingt ans et les attaques de lamilice extrémiste Al-Shabaab sont toujours àl’ordre du jour. Le Somaliland, ce petit pays quin’en est pas un aux yeux de la communauté inter-nationale, prouve au moins qu’il est possible d’ins-taurer la paix et la stabilité. Certes, ce n’est qu’unepremière étape, mais elle est indispensable pouravancer sur le long chemin qui reste à parcourir.

Yabello, ÉthiopieL’absence de pluie est souvent synonyme de famine

Pour l’instant, il faut un véhicule tout-terrain pouremprunter la piste qui mène à la ville de Yabello, dans le Borana, à l’extrême sud de l’Éthiopie. Ce-pendant, une entreprise chinoise est en train deconstruire une route goudronnée qui reliera le hautplateau à cette région aride, en passant par les mon-tagnes de la Rift Valley. Ce chantier témoigne de l’es-sor du pays : depuis quelques années, l’économieéthiopienne connaît une croissance spectaculaire deplus de 10% par an. En dehors de la nouvelle route, le «miracle éco-nomique» ne saute pas aux yeux dans la région Borana. Environ 1,2 million d’habitants, des éleveurspour la plupart, occupent un territoire de la taillede la Suisse. Ils vivent pratiquement comme leursancêtres. Les points communs avec Wajir sont frap-pants. La frontière kényane se trouve d’ailleurs à seu-lement 200 kilomètres de là. «Le problème, c’estla pluie», affirme Bonaya Denge, un agriculteur assisdevant sa case en terre dans le village de Maagole.«Avant, nous pouvions nous fier à la saison despluies. Aujourd’hui, le temps reste plus souvent sec.»

Fragile agriculture de subsistance Le danger qui menace le Borana est déjà une réa-lité dans l’est et le nord du pays : la pluie n’est pastombée durant deux saisons consécutives, si bienque plus de 10 millions d’habitants dépendent del’aide alimentaire. Si les précipitations n’arrivent pascette année, la sécheresse s’installera égalementdans le sud. «En Éthiopie, 99% de l’agriculture estpluviale », explique un collaborateur de l’ONU.«L’absence de pluie signifie souvent crise et fa-mine. » Le taux d’urbanisation étant faible – 80 des100 millions d’habitants vivent à la campagne etpratiquent pour la plupart une agriculture de sub-sistance –, de tels événements touchent rapidementdes millions de personnes.Ces dernières années, le gouvernement éthiopienn’est pourtant pas resté les bras croisés. De nom-breux villages possèdent désormais des réservoirs àcéréales. De plus, des efforts ont été entrepris pourdiversifier l’économie. «Le but n’est pas d’aider lesgens seulement en cas de crise, mais de les appuyerpour qu’ils puissent faire face aux coups du sort »,explique Ababu Lemma Belay, collaborateur de laDDC. Dans le pays Borana, la DDC soutient la rénovation de points d’eau, l’amélioration du sys-tème local d’alerte précoce, la formation continuedes femmes et des mesures contre la dégradationdes pâturages. Ce projet bénéficie des expériencesréalisées au Kenya, dans le comté de Wajir.

Un État engagé dans le développementEn Éthiopie, contrairement à d’autres pays afri-cains, l’État coordonne et suit de près de tels pro-

Scène de rue à Yabello : une nouvelle sécheresse menacela région.

Des animaux et deshommes Chez les éleveurs no-mades, on ne fait pas dedistinction claire entre lesmédecines humaine et vé-térinaire. Les maladies setransmettent souvent entrel’animal et l’homme. LaDDC soutient la créationd’un centre de compé-tences « Une seule santé »dans la région Somali, àl’est de l’Éthiopie, qui as-socie étroitement ces deuxdomaines médicaux. Lecentre renforcera les ré-gions pastorales et répon-dra à leurs besoins parti-culiers. Grâce à la forma-tion intégrée du personnelmédical et à des recher-ches spécifiques, il devraitaméliorer durablementl’état de santé des hommeset des animaux. L’Universi-té de Jijiga, chef-lieu de la région Somali, ainsi que l’Institut tropical et desanté publique suisse par-ticipent à ce projet qui doitdurer douze ans.

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jets, même dans des régions reculées comme le Borana. En parlant avec les autorités régionaleschargées de l’agriculture, on perçoit nettement lavolonté du gouvernement de mettre le pays sur lavoie du progrès. «Les fonds de l’aide internationa-le sont utilisés de manière très efficiente», affirme unspécialiste de la coopération. En même temps, lemodèle éthiopien soulève des questions. Les dé-fenseurs des droits de l’homme attribuent une trèsmauvaise note au gouvernement. Ils craignent queles mesures de développement imposées par lehaut, parfois de manière autoritaire, ne donnent pasdes résultats durables. Il est difficile de prévoir l’avenir de cette région,notamment parce que le présent ne diffère guèredu passé dans les zones rurales et que la « grandepolitique » ressemble à un édifice théorique venud’un monde étranger. C’est le cas au petit pointd’eau qui se trouve dans un creux du terrain à unevingtaine de kilomètres de Yabello. Assis à l’ombred’un arbre en attendant les heures plus fraîches ducrépuscule, les hommes parlent du temps, de leursfamilles et de leurs bêtes. « Nous ne savons pas ceque l’avenir nous réserve », confie Gerbicha Ode,dont le visage reflète une certaine insouciance ju-vénile malgré ses 70 ans. «Mais nous espérons quela pluie viendra. Après, tout ira bien. » n

(De l’allemand)

L’accès à l’eau revêt une importance vitale pour les hommes et les animaux dans la région Borana, en Éthiopie.

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L’horizon d’Addis Abeba reflète l’essor de l’Éthiopie. Mais quel est le prix de ce «miracle économique»?

Un seul monde : Vous ne cessez de critiquer lecaractère répressif du gouvernement éthio-pien. Pouvez-vous encore vous rendre dansce pays ?Tobias Hagmann : Oui, mais uniquement dansla capitale Addis Abeba. Je n’obtiens plus l’autorisa-tion d’aller dans la région Somali, à l’est du pays,où j’ai mené des recherches sur le terrain. Pour lesspécialistes en sciences sociales, l’Éthiopie est un casdifficile. Aujourd’hui, j’étudie surtout la Somalie.

Vous critiquez également le rôle de la com-munauté internationale, qui soutient le gou-vernement d’Addis Abeba. Ces dernières années, le gouvernement éthiopiena réussi à vendre à la communauté internationaleson modèle de développement que l’on peut résu-mer ainsi : il faut un régime fort et autoritaire pourmettre le pays sur la voie de la croissance écono-mique ; la démocratie et le respect des droits del’homme suivront – peut-être – plus tard. Cetteconception technocratique du développement est

largement controversée. Selon l’économiste indienAmartya Sen, un développement durable n’est pos-sible que si les gens sont libres de décider de leursort. Je trouve inquiétant que les gouvernementsoccidentaux aient repris pratiquement tel quel cemodèle, sans consulter la population locale.

En Éthiopie, plus de 10 millions de per-sonnes dépendent de l’aide alimentaire. Est-ce lié au régime politique?Dans un certain sens, oui. Bien sûr, le lien directde cause à effet est différent : la famine résulte dessécheresses qui sont un phénomène récurrent enÉthiopie. Celles-ci sont aggravées par le fait que lapopulation dépend de l’agriculture de subsistanceet n’a pas d’autres possibilités économiques. Ce quichange, c’est la réaction du gouvernement et despays donateurs.

Depuis quelques années, l’économie éthio-pienne affiche l’une des croissances les plusfortes du monde.

L’espoir d’un retour à la stabilité n’est pas mortLe Suisse Tobias Hagmann suit depuis longtemps l’évolutionde la Corne de l’Afrique. Selon ce politologue, la région est desplus contrastées : des crises effroyables, comme celle qui frappe le Soudan du Sud, y côtoient des îlots de stabilité, tel le Somaliland. Entretien avec Fabian Urech.

Tobias Hagmann est professeur à l’Université de Roskilde, au Danemark.Au cours des dernières an-nées, ce politologue suissea étudié de près l’évolutionde la situation dans laCorne de l’Afrique, en par-ticulier en Éthiopie et enSomalie. Il dirige actuelle-ment un projet de recher-che pluriannuel consacréaux dimensions écono-miques de la constructionde l’État en Somalie. Sondernier livre est consacré àla coopération au dévelop-pement dans les États au-toritaires d’Afrique.www.tobiashagmann.net

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Effectivement. Et c’est d’ailleurs ce qui attire les or-ganisations d’aide. Dans une telle situation, il estplus facile qu’ailleurs de prouver les résultats obte-nus. Il faut néanmoins s’interroger sur le coût decette croissance, par exemple en termes de droitsde l’homme. Une plus grande transparence devraitêtre de mise à ce sujet. Un organisme qui travailleen Éthiopie devrait dire à quoi il s’engage. Sinon,il fait preuve d’hypocrisie.

Les compromis ne sont-ils pas incontour-nables quand on travaille dans des contextesfragiles, comme le fait la Suisse? Peut-être, mais l’Éthiopie n’est pas un État fragile.Son gouvernement est au contraire l’un des plusforts d’Afrique.

La Somalie, en revanche, est fragile. Quefaut-il faire pour y restaurer la stabilité après25 ans de guerre?Jusqu’ici, nul n’a trouvé de réponse convaincanteà cette question. Les recettes préconisées au niveauinternational pour reconstruire le pays ne fonc-tionnent manifestement pas. La Somalie organisedes élections, alors que le conflit avec le mouve-ment Al-Shabaab perdure. Le pays aura une Consti-tution, sans que la population ait pu participer à sonélaboration. L’État se construit de manière artifi-cielle. On ne s’attaque pas aux véritables défis de lapolitique intérieure : les négociations de paix, la re-cherche de compromis, les compensations des in-justices passées. Cela revient à construire une mai-son en commençant par le toit, sans se préoccuper

Construction de l’État en Somalie : oubliera-t-on les fon-dations et les murs?

des fondations et des murs porteurs. Un tel édificene reste pas longtemps debout.

Le Somaliland, qu’aucun autre État n’a re-connu, apparaît comme une antithèse del’instabilité chronique qui sévit dans la ré-gion. A-t-il un avenir?Le Somaliland n’a pas seulement un avenir. Il a aus-si une histoire, après vingt ans d’autonomie poli-tique. Sur le plan de la stabilisation politique et dela réconciliation, ce pays a accompli des choses ex-traordinaires. D’autres réformes s’imposent néan-moins, pour préserver le moral des gens, stimulerl’économie et rendre les structures étatiques plus ef-ficaces.

Que pensez-vous de la situation politique enÉrythrée? Je peux comprendre que les pays européens sou-haitent accueillir moins de réfugiés érythréens. Maisils ne doivent pas pour autant enjoliver la situationpolitique intérieure. Si un Occidental se rend à As-mara dans le cadre d’une visite orchestrée par legouvernement et déclare ensuite que tout est enordre, il n’a rien compris.

L’ethnologue Alex de Waal a écrit récem-ment que, dans la Corne de l’Afrique, la po-litique est « l’affaire de quelques hommes quiont de l’argent et des armes». Reste-t-il mal-gré tout un espoir pour l’avenir de cette ré-gion?Cette description correspond à certaines dyna-miques politiques, mais elle tronque la réalité. LaCorne de l’Afrique est une région très contrastée :on y trouve des situations épouvantables, commecelle prévalant au Soudan du Sud, mais aussi deschoses aussi merveilleuses que le Somaliland. Je nepense pas que les gens aient perdu espoir dans ladémocratie, la stabilité et la dignité humaine. Aucontraire.

Que peut faire la Suisse pour améliorer le sortdes populations dans la Corne de l’Afrique?La Suisse mène depuis longtemps des activités danscette région, en particulier sur le plan de l’aide hu-manitaire et de la médiation. Donatrice modeste,elle cherche à apporter sa contribution dans les do-maines où elle possède des compétences spéci-fiques. Cela, la Suisse sait bien le faire. Je trouvetoutefois inapproprié de qualifier toute la région de« fragile » : cet adjectif cache souvent plus de chosesqu’il n’en explique. n

(De l’allemand)

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Faits et chiffres

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Semaines d’extrême chaleur depuis 1981

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Vivre avec la sécheresseLa vie est très dure dans laCorne de l’Afrique, en particulierpour les populations pauvres.Cette carte illustre les conditionsclimatiques difficiles qui règnentdans la région. Elle montre la récurrence des périodes sanspluie au cours des trente der-nières années, en s’appuyant surle nombre de semaines de sé-cheresse extrême. Plus la cou-leur est foncée, plus les périodessèches ont été fréquentes. Source  : HCR/BCAH

Chiffres clés • La Corne de l’Afrique abrite 2,2 millions de réfugiés – dont

environ 1 million sont originaires de Somalie – et plus de 1 million de personnes déplacées.

• Le passé colonial de la région est complexe : l’Érythrée et la majeure partie de la Somalie étaient sous domination italienne, les Britanniques possédaient le Kenya et le Somaliland, tandis que les Français contrôlaient Djibouti. L’Éthiopie est le seul pays d’Afrique qui ait été épargné par la colonisation.

• Les pays de la Corne de l’Afrique connaissent une croissancedémographique de plus de 2% par an. À ce rythme, la popu-lation totale de la région va doubler au cours des 35 prochai-nes années. L’Éthiopie, à elle seule, comptera quelque 200 millions d’habitants en 2050.

• Actuellement, environ 22 000 soldats venus du Kenya, d’Éthiopie, d’Ouganda et du Burundi tentent de mettre fin à la guerre civile en Somalie. Ils font partie de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom), créée en 2007. Cette force controversée de maintien de la paix devrait se retirer en 2020.

• Avec quelque 800 000 habitants, Djibouti est l’un des plus petits pays d’Afrique. Son port, qui joue un rôle essentiel pourl’Éthiopie voisine, lui confère toutefois une importance géo-stratégique. Par ailleurs, les États-Unis, plusieurs pays euro-péens et le Japon possèdent des bases militaires à Djibouti. L’armée chinoise prévoit également d’y établir une base permanente.

• La situation économique dans la Corne de l’Afrique varie d’un

pays à l’autre. L’Éthiopie a enregistré ces dernières annéesdes taux de croissance supérieurs à 10%, ce qui en fait l’une des économies les plus dynamiques du monde. Le Kenya a progressé, lui, d’environ 5% par année. Dans les autres pays, la croissance a connu de fortes variations : le taux a fluctué entre -10 et 9% en Érythrée, entre 3 et 6% àDjibouti, tandis qu’au Soudan du Sud, l’écart va de -46% à 13% en raison de la guerre.

Liens• DDC : www.eda.admin.ch/ddc, « Pays », « Grande Corne de

l’Afrique »

• Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad), organisation regroupant les États du nord-est de l’Afrique et basée à Djibouti : www.igad.int

• Rift Valley Institute, à Nairobi : http ://riftvalley.net

• International Crisis Group : www.crisisgroup.org

• Bureau de coordination des affaires humanitaires del’ONU (BCAH) :www.unocha.org/crisis/horn-africa-crisis

Citation«Aucun progrès ne semble actuellement en vue dans la région. La Corne de l’Afrique a toutefois l’art de surprendre tous les observateurs. »Martin Plaut, journaliste

Océan Indien

Éthiope

Kenya

Somalie

Soudan

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HORIZONS

À 47 ans, c’est la première fois de sa vie qu’Aldo Benvenuto parvient à mettre de l’argent de côté.Pour cela, cet ancien producteur de cinéma a dûabandonner le métier qu’il adorait et devenir res-taurateur. Grâce à l’apport en capital d’un ami ita-lien, le Café Artes, situé dans la vieille ville de La Havane, est devenu son royaume. Pour acquérir unbien immobilier ou ouvrir un commerce, les étran-gers doivent s’associer à un partenaire cubain. C’estl’une des nombreuses contraintes imposées par legouvernement aux investisseurs. En même temps, ellepermet à l’État et à des particuliers débrouillards dedevenir entrepreneurs sans disposer de fonds propres.

L’initiative personnelle, clé du changementAldo Benvenuto fait partie de ces petits entrepre-neurs ambitieux qui, grâce à la libéralisation des dixdernières années, ont donné un second souffle à uneéconomie socialiste rongée par la pénurie. Son caféartistique, entièrement rénové, se trouve dans une ancienne bâtisse de style colonial. Il est décoré de

Un salon de coiffure à La Havane : désormais, ce métier ne s’exerce pratiquement plus qu’à titre privé.

vieux instruments de musique. On y trouve ce quifait généralement défaut aux restaurants d’État : dustyle, un service chaleureux et une cuisine fusion savoureuse, pour l’équivalent de cinq à dix euros –des prix inabordables pour un fonctionnaire cubainavec ses 25 euros mensuels, mais qui sont à la portée de l’élite et des touristes. La princesse deMonaco et l’acteur Benicio del Toro sont déjà venus au Café Artes.Le premier à s’installer rue Aguiar, trois bâtimentsplus loin, était le doyen des petits entrepreneurs cu-bains, le coiffeur Gilberto «Papito» Valladares. Il s’estmis à son compte en 1999 déjà. Papito doit sa re-nommée non seulement à son coup de ciseaux ma-gique, mais également à son sens du marketing et àses projets d’action sociale qui lui assurent la bien-veillance de l’État. Il a en effet dispensé des cours àdes jeunes marginalisés et proposé des coupes gra-tuites dans des parcs publics. Son école de coiffure,ArteCorte, enseigne à la nouvelle génération un métier qui ne s’exerce pratiquement plus qu’à titre privé aujourd’hui.

Une coupe de cheveux entre socialisme et capitalismeDepuis l’ouverture économique du pays, de nombreux Cubainsont décidé de créer leur propre entreprise, notamment dans letourisme. Pour l’État, ces capitalistes en herbe sont aussi bienune chance qu’un défi. De Sandra Weiss, à La Havane*.

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Haïti

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Giraldo Barthelemy, 26 ans, est l’un de ces jeunes.Informaticien de formation, il a travaillé quelquesannées chez Cupet, une entreprise étatique activedans l’énergie. En 2013, quand Raúl Castro a auto-risé les voyages à l’étranger, il a emprunté de l’ar-gent pour se rendre en Équateur, l’un des rares paysqui n’exigeaient aucun visa des Cubains. «Là-bas, jeme suis présenté chez un coiffeur qui m’a engagé.Après six mois, j’avais assez d’économies pour ou-vrir un salon dans mon quartier, à la rue Reina.»

Les coiffeurs restent bon marché à Cuba. Pour unecoupe, shampoing et séchage compris, il faut comp-ter l’équivalent de trois euros. Pourtant, outre la satisfaction d’être son propre chef, Girardo Barthe-lemy gagne trois fois le salaire moyen étatique. Ac-tuellement, il suit une formation auprès d’ArteCor-te, afin de s’initier à de nouvelles techniques. Ensuite, il proposera ses services pendant six moissur un paquebot de croisière appartenant à une so-ciété italienne. «Voyager en gagnant de l’argent, onne peut rêver mieux », commente-t-il. Pour lesjeunes, l’ascension sociale passe par le secteur privé,et non plus par des emplois au sein du parti, qui as-suraient autrefois des privilèges à leurs aînés.

Une nouvelle société de classesLe 1er mai 2013, une délégation d’entrepreneurs pri-vés a défilé pour la première fois devant Raúl Cas-tro, place de la Révolution. Ce dernier, grand ad-mirateur du modèle chinois, avait auparavant rem-placé la devise officielle «Le socialisme ou la mort»,chère à son frère Fidel, par le slogan «Pour un so-

Cuba en bref

NomRépublique de Cuba

Régime politiqueRépublique socialiste àparti unique, le Parti communiste de Cuba

CapitaleLa Havane

Superficie110 860 km²

Population11,25 millions

Espérance de vie 79 ans

Envois de fonds desémigrés3,35 milliards de dollars en 2015

ImportationsPétrole, denrées alimentai-res, machines, véhicules

ExportationsPétrole, nickel, produitsmédicaux, services, tabac,sucre

Taux d’analphabétisme0,2%

Durée moyenne de scolarisation11,5 ans

La normalisation des relations avec les États-Unis devrait stimuler l’économie cubaine, en particulier le tourisme.

cialisme durable et prospère». Ses réformes sont toutefois contestées à l’interne. En avril dernier, leseptième Congrès du parti communiste cubain a vu réformateurs et conservateurs s’affronter lors de débats houleux. On a réclamé un frein à l’ac- cumulation rapide de capitaux.Autrefois employé de l’entreprise médicale étatiqueMedicuba, Jorge Mecías loue aujourd’hui trois piè-ces de son appartement aux touristes. Il redoute denouvelles réglementations : «Peut-être qu’il y aura

bientôt des plafonds pour les dépôts bancaires ou denouveaux impôts.» Jorge se rappelle qu’au début desannées 90, la libéralisation lancée suite à l’effondre-ment de l’URSS avait été brutalement stoppée. Sonfils avait alors quitté le pays pour s’établir au Vene-zuela, où il est devenu un éminent chirurgien es-thétique. Partir est tentant, en particulier pour desjeunes bien formés. L’an passé, environ 43000 Cu-bains ont émigré aux États-Unis. Grâce à une ré-glementation spéciale, ils ont obtenu l’asile politiquedans ce pays.

Bras de fer avec l’ÉtatÀ part la libéralisation, Cuba a peu d’options : l’îlene produit pas grand-chose, elle est endettée et dé-pend des importations, même pour les denrées ali-mentaires. Longtemps, c’est le grand frère soviétiquequi a comblé les déficits, en particulier en matièred’énergie. Ensuite, ce fut au tour duVenezuela, maiscelui-ci se trouve lui-même en pleine crise ac -tuellement et doit réduire sa coopération. C’estpourquoi l’économiste cubain Pavel Vidal prévoit

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pour 2016 une croissance zéro, un repli des inves-tissements de 17% et une inflation de 10%.Le tourisme est un pilier de l’économie cubaine, quele gouvernement entend renforcer – c’est l’un desobjectifs clés de la normalisation des relations avecles États-Unis. Les fonctionnaires rêvent de 6 mil-lions de touristes par année. Or, les infrastructuressont déjà mises à rude épreuve par les 3,5 millionsactuels. Il n’y a pas assez de chambres à louer et debus interurbains. En mai dernier, quand le premiernavire de croisière américain a accosté, le systèmed’alimentation en eau de La Havane s’est effondré,car ce colosse nécessitait plus d’un million de litresd’eau potable. C’est aussi dans le tourisme que l’on trouve les pe-tites entreprises les plus florissantes. L’État en tire lar-gement profit. Pour chacune de ses chambres, louéeou non, Jorge Mecías doit lui verser l’équivalent de35 euros par mois. À cela s’ajoutent un impôt men-suel de 10% sur le chiffre d’affaires et 10% de plus àla fin de l’année. Le logeur ne peut rien déduire etl’État ne lui offre ni des rabais, ni l’accès à de grandsmarchés.

Marché noir et amendes«Pour une petite entreprise, survivre relève du par-cours du combattant», soupire Aldo Benvenuto. S’ilexpose des œuvres ou organise un concert dans seslocaux, les ennuis sont garantis. Il n’a pas le droitd’importer une machine à café industrielle, un ré-frigérateur professionnel ni de servir des langoustes

Les réformes de RaúlCastro2008 – Les Cubains sontautorisés à acheter des téléviseurs, des lecteursde DVD ou des télépho-nes portables, à louer des voitures et à réserver deschambres d’hôtel. Lesagriculteurs peuvent affer-mer des terres apparte-ment à l’État et les exploi-ter à titre privé.2009 – Libéralisation desmarchés agricoles et fermeture des cantinesd’entreprises étatiques. 2010 – Autorisation decréer de petites entre-prises, d’embaucher dupersonnel dans 181 pro-fessions et de mettre surpied des coopérativesagricoles.2011 – Raúl Castro, arrivéau pouvoir en 2008, an-nonce qu’il se retirera en2018 et limite à dix ans ladurée des mandats poli-tiques. Il libéralise la ventede véhicules d’occasion,de biens immobiliers et dematériaux de construction ;les banques étatiques offrent des crédits aux petites entreprises et auxagriculteurs.2012 – Nouvelle loi fiscale.Autorisation des coopéra-tives dans 47 autres sec-teurs de l’économie.2013 – Liberté de voya-ger. Les sportifs peuventsigner des contrats àl’étranger à condition depayer leurs impôts à Cubaet de jouer dans l’équipenationale.2014 – Autonomie donnéeaux entreprises d’État enmatière d’investissementset de personnel. Normali-sation des relations avecles États-Unis.2016 – Le président amé-ricain Barack Obama serend à Cuba.

ou de la viande de bœuf. Pourtant, nombre de pro-duits s’achètent au noir – la livraison est gratuite.Pendant notre entretien, Aldo se lève sans cesse pourmarchander avec des vendeurs ambulants qui luiproposent du poisson frais, des oignons, des serviettes en papier... Flirter avec les limites de la légalité est un exercice quotidien. Les inspecteurs de l’État ferment les yeux sur cette pratique qui leur permet d’améliorer leurs maigres revenus.Le rapport de force entre État et secteur privé évo-lue constamment. En mai dernier, les conducteursde pousse-pousse ont protesté contre les amendesque leur inflige la police. En juillet, ce fut le tour destaxis collectifs. Suite à une hausse du prix de l’es-sence imposée par le gouvernement, ils avaient aug-menté eux-mêmes leurs tarifs. Les inspecteurs ontdistribué des contraventions et confisqué des véhi-cules. Dans les deux cas, l’État a toutefois cédé, allégeant les mesures de répression. Pour l’heure, il s’agit d’intérêts particuliers et non de pouvoir politique. Qu’elle le veuille ou non, la nomenkla-tura cubaine devra s’accommoder de ces nouveauxacteurs. n

*Sandra Weiss est une journaliste indépendante basée àMexico. Elle est la correspondante en Amérique latine dedivers médias, dont la «NZZ am Sonntag», la DeutscheWelle, la radio-télévision suisse alémanique SRF et le quo-tidien autrichien «Der Standard».

(De l’allemand)

À Cuba, cette scène était encore inimaginable il y a peu : des musiciens gagnent de l’argent en jouant dans la rue.

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Sur le terrain avec...Peter Sulzer, chef de mission suppléant et responsable de la coopération à l’ambassade de Suisse à Cuba

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Cuba est à la mode. Comme le dit l’écrivain Leo-nardo Padura, l’île attire «une foule confuse de fonc-tionnaires, petits commerçants, retraités économeset vieux militants désormais sans militantisme, maisobstinés à voir de leurs propres yeux l’ultime bas-tion du socialisme le plus pur». Cuba offre aux visiteurs étrangers tous les clichés habituels : soleil,plage, musique, vieilles limousines américaines...

La vie quotidienne à Cuba est toutefois bien plusdifficile, plus complexe et plus spartiate que ne peu-vent l’imaginer les touristes venus chercher le so-leil. Une grande partie des infrastructures se trou-vent dans un état de délabrement pitoyable. Beau-coup de maisons tombent en ruine. Le salaire moyend’un fonctionnaire atteint à peine 30 dollars parmois.

Depuis quelques années, Cuba est l’un des paysprioritaires de la coopération suisse au développe-ment. Je suis responsable de l’orientation stratégiquede notre programme, de la gestion du personnel local et de l’établissement de rapports sur les résul-

Soutenir les réformesÀ Cuba, la DDC financetreize projets à long terme,qui sont mis en œuvre pardes institutions cubaines.En 2015, elle a consacré 9 millions de francs à ceprogramme. Les projetsont pour but de renforcerles communes, d’intensi-fier la participation ci-toyenne et d’améliorer laqualité des services.L’agriculture joue aussi unrôle clé. Dans ce domaine,la DDC soutient l’utilisationde ressources locales(énergies renouvelables,matériaux de construc-tion), tout en aidant les petits paysans à diversifieret à accroître leur produc-tion. Dorénavant, elle met-tra également l’accent surla formation profession-nelle, l’intégration desgroupes de populationvulnérables et les effets duchangement climatique,afin de mieux promouvoirle développement local.

tats. Je joue donc pour ainsi dire le rôle de char-nière entre la centrale de la DDC, les autorités cu-baines, notre ambassadrice et mes collaborateurs.

La Havane est une ville bruyante. Dans tous lescoins et derrière toutes les portes retentissent desbruits, de la musique et des cris. C’est pourquoi j’aime les premières heures de la journée, avant quela cité s’éveille et se mette à bourdonner. Je merends au bureau avant le lever du soleil. Chaquematin, un colibri posé sur un cable électrique mesalue. La chaleur, les nids de poule, les averses tropicales et les gaz d’échappement des vieux taxiscollectifs m’ont dissuadé d’aller travailler à vélo.

Pendant la première heure, tout est calme. Cela me permet d’organiser ma journée, de répondre

«La vie quotidienne à Cuba est beaucoupplus difficile que ne

peuvent l’imaginer lestouristes venus chercher

le soleil. »

aux courriels arrivés de Berne durant la nuit et dem’informer sur l’actualité internationale. À huitheures, lorsque les employés cubains arrivent, le volume sonore monte automatiquement, du moinsaussi longtemps que durent les traditionnelles salu-tations matinales, accompagnées d’un petit café sucré. Les entretiens ainsi que le traitement de dos-siers ou de questions provenant de Cuba et de Suisse occupent la majeure partie de ma journée.Par ailleurs, j’accueille toujours plus souvent des visiteurs venus du monde entier, que j’essaie de familiariser avec le mode de vie cubain. Malgré une certaine ouverture, Cuba reste en effet un paysrelativement compliqué.

Je m’efforce d’aller visiter le plus souvent possiblenos projets sur le terrain. Pour ce faire, en tantqu’étranger, je dois annoncer mon déplacementaux autorités au moins un mois à l’avance. Depuis2008, les petits paysans ont obtenu des droits d’uti-lisation sur 1,5 million d’hectares de terres. Ils re-présentent un énorme potentiel pour le dévelop-pement de l’économie locale. À chaque visite,j’éprouve une grande joie en voyant comment ilsexploitent les possibilités qui leur sont offertes.

Cuba a entamé un processus de réforme en 2011.En décembre 2014, Raúl Castro et Barack Obamaont annoncé la normalisation des relations entreCuba et les États-Unis. En mars dernier, le prési-dent Obama est venu ici en visite officielle. Leschoses bougent, mais il reste d’importants défis à relever. Malgré les récents changements, la crois-sance reste modeste et ne profite guère à la popu-lation. n

(Propos recueillis par Jens Lundsgaard-Hansen ; de l’al-lemand)

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Le jour se lève. Je m’en rends compte, les yeux en-trouverts, parce que le vendeur de pain passe devantma fenêtre. Comme d’habitude, à 6 heures 15, il estdéjà en train de crier à tue-tête: «Du pain, du bonpain chaud avec du beurre, du pain…» Le quartiercommence à bouger. Des filles et des garçons se ren-dent à l’école, accompagnés de leurs parents. D’autresy vont seuls. Ceux-là portent généralement des uniformes mal entretenus, mais cela ne choque personne dans le quartier.

Je sors de chez moi. Les rues de Matan-zas ne changent pas. Toujours la mêmeabsence de couleurs et ces ordures quine disparaissent pas. Cela me rappelleque je dois poursuivre mes efforts pouressayer de changer les mentalités. Sou-vent, les gens ne savent pas ce qu’ils veu-lent, parce qu’ils doivent lutter jour aprèsjour pour leur existence. Je parcours laville à toute vitesse, comme d’habitude,pour régler des affaires en suspens. Puisje me rends au Callejón de las Tradi-ciones (ruelle des traditions), un espacecréé par le projet socioculturel Afro-Atenas. Dès qu’elle m’aperçoit, Juanam’appelle et me demande de passer lavoir. Comme d’habitude, elle veut meraconter les potins de la veille et tout cequi se dit sur le projet. On vient de nousattribuer les magasins et tout le mondese demande ce que nous allons en faire.Adriana et Zuleika se plaignent des ca-niveaux qu’elles viennent juste de net-toyer. Pepe étudie de nouvelles tech-niques de tai chi, qu’il enseignera aux en-fants et «aux autres vieux du quartier»,comme il dit. Cela me rend toujoursheureux de réussir à intégrer un laissé-pour-compte et de voir que notre pro-jet est désormais très important pour lui.Subitement, comme chaque jour à la

Une journée entre le Callejón et ma viemême heure, la dame qui vend des empanadas faitson apparition. Ces petits chaussons farcis de noix decoco, de viande ou de goyave sont si délicieux et sibon marché que tout le monde se précipite pour enacheter, moi le premier.

Depuis quelques jours, le quartier est plus animé.Dans la taverne, on joue de la musique sans discon-tinuer. Les offres avantageuses attirent de nombreuxcurieux qui s’achètent souvent une bière fraîche, car

il fait très chaud. Je me tiens devant le bâtiment que nous sommes en trainde restaurer avec la DDC. J’hésite entrerire et pleurer. Je fais le compte de nos succès, mais aussi du travail qui reste àfaire. Tout à coup, les jurons de Lilim’arrachent à mes pensées. Elle se ba-garre avec la mulâtre dans la maison.Mieux vaut rester à l’écart, pour éviterque sa colère ne s’abatte sur moi. Sei-gneur! Il y a tant de choses à changerici que cela m’épuise et me rend presquefou: la lutte quotidienne, le hachis desoja, la chaleur, les deux nouveauxchiffres dans les numéros de téléphone,le quartier... Je me rends chez la poétesse Carilda Oliver Labra. Sa ten-dresse et son sourire m’apaisent. C’estune bénédiction d’être son ami et sonconseiller en relations publiques.

Comme tous les vendredis, je rencontreJorgito, Magela, Yarima, Yasset et Dariel. Nous planifions les étapes duprojet et recherchons des fonds afin deles mettre en œuvre. Il y a toujours desdétails qui viennent agrémenter nos réunions. Aujourd’hui, c’est le conte El Buscador (le chercheur) qui m’a le plus touché. J’étais au bord des larmes.Le fait d’être gay me rend peut-être plussensible que d’autres. C’est ridicule.

La semaine se termine. Entre le souci constant de ter-miner mon mémoire de master et l’agitation de lavie quotidienne, je mérite bien de me reposer unpeu. Pour moi, il n’y a rien de mieux que de m’éten-dre sur le sable dans l’immense baie de Matanzas,d’écouter Malú ou Keren Ann et de me laisser ca-resser par la brise. Je me sens pousser des ailes. C’estle seul moment où je me sens libre et sans entraves.Quand le soleil se lève, tout recommence et je saisque je survivrai, que rien ni personne ne se dresserasur mon chemin. n

(De l’espagnol)

Yoelkis Torres Tápanes

est âgé de 31 ans et vit à

Matanzas, ville surnommée

« l’Athènes de Cuba». Il

aime « l’impossible, la mer

et l’amour profond». Il est

le coordinateur du projet

AfroAtenas, une initiative

communautaire qui vise

à promouvoir le déve-

loppement local. En 2013,

il a reçu le prix national

Memoria Viva qui récom-

pense la préservation de la

culture cubaine. M. Torres

Tápanes est également le

producteur de Timbalaye,

un festival international de

rumba.

www.afroatenas.cult.cu

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Efficacité suisseEn Suisse, 4,4 millions depersonnes vivent dans uneCité de l’énergie. Les com-munes portant ce label ap-pliquent une planificationsystématique de leur es-pace, de leur énergie et deleurs transports. Elles s’ef-forcent d’utiliser davantaged’énergies renouvelables etd’améliorer leur efficacitéénergétique. Pour obtenircette certification, une loca-lité doit avoir réalisé aumoins 50% des mesures et objectifs préconisés. Leconcept est typiquementsuisse en ce sens qu’il misesur le fédéralisme, les com-munes et l’implication deshabitants. Au niveau mon-dial, les villes abritent plusde la moitié de la popula-tion et produisent environ70% des émissions de CO2.Le label « Cité de l’énergie »encourage une gouver-nance locale axée sur ladurabilité. www.energiestadt.chwww.repic.ch

( jlh) Selon l’Agence internationale de l’énergie, lecombat contre le changement climatique se gagne-ra dans les villes. C’est exactement le concept du la-bel suisse «Cité de l’énergie», qui connaît un grandsuccès. Cette idée a été reprise dans de nombreuxautres pays européens sous le nom de «EuropeanEnergy Award» (EEA). Depuis peu, elle trouve éga-lement un écho dans quelques pays en développe-ment ou émergents.

Un concept idéal pour la populationLa plaque tournante est la plateforme interdéparte-mentale pour la promotion des énergies renouve-lables et de l’efficacité énergétique dans la coopéra-tion internationale (Repic), gérée conjointementpar le Seco, la DDC et l’Office fédéral de l’énergie.«Repic finance au plus 50% des coûts des projetssoutenus. Cette initiative repose principalement surdes entreprises privées suisses et des partenaires lo-caux», explique Reto Thönen, de la DDC. Les pro-jets liés au label «Cité de l’énergie» ne représententqu’une part modeste de l’activité déployée, maisRepic met systématiquement l’accent sur le trans-fert de savoir et de technologie. C’est aussi ce quemontre Mohamed Sefiani, maire de Chefchaouen,au Maroc, l’une des villes engagées dans ce proces-sus: «Pour une commune marocaine, l’énergie n’estpas la priorité absolue. Néanmoins, il existe un grand

potentiel d’amélioration de l’efficacité énergétique.»Selon M. Sefiani, le concept EEA est idéal pour im-pliquer la population et prendre des mesures.«D’autres projets ont été lancés avec succès en Rou-manie et en Ukraine», relève Daniel Menebhi, duSeco. La certification EEA a, par exemple, valu à laville ukrainienne de Vinnytsia d’obtenir des fondsimportants de la Banque mondiale pour d’autresprojets ayant trait à l’énergie.

Des villes intelligentes en IndeLe concept des Cités de l’énergie a inspiré le projetCapaCITIES, lancé par la DDC dans quatre villesindiennes. Le but est de limiter les émissions de CO2et d’aider les populations à s’adapter au changementclimatique. Dans chacune des villes, il est prévu deconstituer une équipe comprenant un conseillersuisse en EEA, un mentor indien et d’autres experts.Trois des quatre localités choisies participent auprogramme du gouvernement indien qui vise àtransformer cent métropoles en smart cities. «Desprojets ponctuels ne donnent que peu de résultats.En revanche, si nous parvenons à nous associer à un programme national, nous pouvons avoir un impactbeaucoup plus large. C’est ce que nous recher-chons», note Mirjam Macchi, de la DDC. n

(De l’allemand)

Un label suisse s’impose à travers le mondeLe label «Cité de l’énergie» est décerné aux communes suissesqui mènent activement une politique énergétique durable. Il faitégalement école dans le domaine de la coopération au déve-loppement, notamment à Chefchaouen (Maroc), à Vinnytsia (Ukraine) et dans 21 communes chiliennes.

Selon le maire de Chefchaouen, au Maroc, il existe un grand potentiel d’amélioration de l’efficacité énergétique dans sa commune.

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Des activités clandes-tines, mais lucrativesLa traite des êtres humainstouche presque tous lespays du monde, que cesoit en tant que pays d’ori-gine, de transit ou de des-tination. Elle comprend diverses formes d’escla-vage, telles que le travailforcé dans des secteurséconomiques ou imposépar l’État, l’exploitationsexuelle, la servitude do-mestique, la mendicité, la criminalité forcée ou leprélèvement d’organes.Selon les estimations del’Organisation internatio-nale du travail, près de 21millions de personnes sontvictimes de travail forcé surla planète. Dans l’écono-mie privée, ces activitésclandestines génèrent 150milliards de dollars de pro-fits illégaux par an, dont 99 milliards proviennent de l’exploitation sexuelle àdes fins commerciales.www.ilo.org, chercher«Profits and poverty : the economics of forcedlabour»

( jls) Le 13 juillet dernier, la police roumaine a dé-mantelé un vaste réseau de traite d’êtres humainsdans le village de Gamacesti, au centre du pays.Elle a arrêté 38 suspects, membres d’un clan fa-milial rom, et libéré 65 hommes et garçons quiétaient réduits en esclavage depuis huit ans. Cesderniers vivaient dans des conditions révoltantes :ils étaient enchaînés, affamés, battus et forcés àmendier ou à exécuter divers travaux. La Roumanie est l’un des pays européens les plusaffectés par la traite. Ce fléau ne se limite pas auterritoire national, mais revêt également une di-mension transnationale. En Suisse, de nombreusesvictimes sont d’origine roumaine. Elles sont ex-ploitées principalement à des fins sexuelles. Ce-

pendant, il est difficile de les identifier et de les protéger, car elles hésitent à parler par peur des représailles. Pour augmenter le nombre de cas dé-tectés, la DDC finance depuis 2015 un projet quivise à améliorer l’efficacité de la coopération po-licière entre la Suisse et la Roumanie. « Il s’agit sur-tout de renforcer les partenariats institutionnels etl’échange de savoir-faire », relève Sophie Deles-sert, chargée de programme à la DDC. Ce pro-jet, financé par la contribution suisse à l’élargisse-ment de l’UE, doit s’achever fin 2017. Un consor-tium de trois organisations suisses (Coginta, TeamConsult et le Centre pour le contrôle démocra-tique des forces armées DCAF) en assure la su-pervision financière et opérationnelle.

Coopération contrel’esclavage moderneUne grande partie des personnes acheminées en Suisse à desfins d’exploitation sont recrutées en Roumanie. Pour améliorerl’identification et la protection des victimes, la DDC sou-tient le renforcement de la coopération policière bilatérale dansla lutte contre la traite des êtres humains. Elle fournit aussi uneaide aux enquêteurs roumains et finance des ONG locales.

La Roumanie est l’un des pays d’Europe les plus affectés par la traite des êtres humains. Ce problème revêt également une dimension transnationale.

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Visites d’étude et semaines d’actionDurant le projet, quatre visites d’études ont lieuen Roumanie et deux en Suisse. À cette occasion,des policiers et des ONG d’aide aux victimesabordent divers problèmes relevant de la traite desêtres humains. Ils échangent des informations etnouent des contacts qui faciliteront leur coopéra-tion ultérieure. Le projet organise également quatre « semainesd’action », afin d’améliorer l’identification des vic-times en Suisse : des experts roumains se joignentà des policiers de différents cantons, qui procèdentà des contrôles dans les milieux de la prostitution ;ils approchent les travailleuses du sexe roumaineset tentent de gagner leur confiance. «Les deuxpremières semaines d’action ont donné des résul-tats très probants. Les équipes mixtes ont pu ob-tenir de précieuses indications sur de possibles rap-ports d’exploitation », indique Anne-Florence Débois, porte-parole de l’Office fédéral de la po-lice.De leur côté, des policiers suisses se rendent enRoumanie pour suivre un cours d’une semaine surla langue et la culture roms à l’école de police deSlatina. «Marginalisées, les communautés romssont vulnérables au phénomène de la traite et dela criminalité. Connaître leurs codes et leur fonc-tionnement doit permettre aux enquêteurs suissesde mieux interagir avec elles », explique Domi-nique Wisler, directeur de Coginta.

Collaboration entre Genève et BucarestDes clans roms sévissent notamment sur l’Arc lé-manique. « Ils tirent leurs revenus de la mendici-té, de la prostitution ou en commettant des es-croqueries, souvent au préjudice des personnesâgées », souligne Christophe Boujol, commissairede police à Genève. Pour combattre cette crimi-nalité itinérante, la police cantonale genevoiseexpérimente une nouvelle forme de collaboration :depuis 2013, un inspecteur roumain est intégré àses services ; il participe au travail de la police ju-diciaire et facilite les échanges de renseignementsavec les autorités de Bucarest. Ses frais de séjoursont pris en charge par le projet. «La présence per-manente d’un confrère roumain a des effets bé-néfiques. Cela nous permet d’entrer plus facile-ment en contact avec les prostituées originaires dece pays et avec les clans roms», apprécie ChristopheBoujol.En Roumanie même, le projet apporte un sou-tien matériel aux unités multidisciplinaires de lutte contre la traite, qui comprennent des poli-ciers, des ONG et des procureurs. Il les a dotéesde trois fourgons pour leurs déplacements et letransport des victimes. Il a financé la construction

Un jeune mendiant rom avec son piano devant la gare deGenève.

de salles insonorisées dans les commissariats, afinde garantir la confidentialité des auditions des victimes et des témoins. Enfin, la mise en placed’un réseau informatique va améliorer la com-munication au sein de la police.

Des ONG en manque de financementDans le contexte de la contribution suisse à l’élar-gissement, un autre projet met en place un mé-canisme national de financement des ONG. «Lespersonnes extraites des réseaux souffrent de gravestraumatismes. Elles ont subi des violences phy-siques et une énorme pression psychologique », remarque Stela Haxhi, cheffe de programme auDCAF. « Il faut pouvoir les héberger dans descentres d’accueil, les protéger, leur offrir un sou-tien psychosocial et les aider à se réinsérer dans la société. » Or, les ONG qui offrent ce type d’assistance en Roumanie manquent cruellementde moyens.Le projet verse des fonds à l’Agence nationalecontre la traite des personnes, laquelle les redis-tribue aux ONG. «Cette plateforme étatique doitapprendre à allouer des subventions sur la based’un appel d’offres et à suivre la mise en œuvredes activités financées », indique Mme Haxhi. Aprèsla fin du projet en 2018, l’agence aura ainsi la ca-pacité de gérer les fonds qu’elle devrait recevoirde l’État roumain et continuera d’assister les vic-times via les ONG. n

La contribution à l’élargissementLa Suisse cofinance envi-ron 300 projets visant à ré-duire les disparités écono-miques et sociales au seinde l’Union européenneélargie. Elle y consacre autotal 1,3 milliard de francs.La contribution à l’élargis-sement est répartie entreles treize pays ayant ad-héré à l’UE depuis 2004.Elle est mise en œuvre parla DDC et le Secrétariatd’État à l’économie, quidéfinissent le contenu des projets avec les payspartenaires. Pour laRoumanie, la contributions’élève à 181 millions defrancs. Elle finance 26 pro-jets qui s’inscrivent danssept fonds thématiques.Les projets de lutte contrela traite des êtres humainsfont partie du fonds« Sécurité ». Ce dernier a pour objectif d’aider laRoumanie à mettre enœuvre les accords deSchengen, à augmenter la sécurité sociale et àcombattre la corruptionainsi que le crime organisé.

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plus rapidement les informa-tions aux populations concer-nées. Il doit notamment créerun Mécanisme mondial d’appuià l’hydrométrie et une plate-forme d’innovation. Le but estde faire en sorte que les riverains de lacs, de coursd’eau ou de la mer puissentprévoir de manière plus cibléeles catastrophes naturelles,comme les inondations et lessécheresses. Le projet doitaussi assister les autoritésdans la prise de décision etcontribuer au suivi du sixièmeObjectif de développementdurable, qui porte sur l’accès à l’eau et à l’assainissement.Durée du projet : 2016-2019

Volume: 3,37 millions CHF

Aide humanitaire accrue en Irak(ung) La DDC a débloqué 1 million de francs supplémen-taires pour assister les habi-tants de Falloujah, au centrede l’Irak, et les civils qui fuientles combats dans la région de Mossoul, au nord du pays.La population irakienne paieun très lourd tribut aux affron-tements entre l’armée gouver-nementale et le groupe État islamique. Cette nouvellecontribution de la Suisse per-mettra de renforcer les activi-tés de protection et l’accès àl’eau potable pour les per-sonnes déplacées au centredu pays. Elle vient s’ajouteraux 9 millions de francs déjàprévus cette année pour l’Irak. Durée du projet : 2016

Volume: 1 million CHF

La culture au cœur de la reconstruction (bm) En Afghanistan, la guerrea causé des dommages consi-dérables au patrimoine cultu-rel : des sites et des monu-ments historiques ont étépillés ou détruits ; une répres-sion violente s’est abattue surtoutes les formes d’expressionculturelle, en particulier sous le régime des talibans.Composante importante del’identité afghane, la cultureest appelée à jouer un rôle clédans le processus de réconci-liation et de reconstruction del’unité nationale. À ce titre, unprojet de la DDC vise à renfor-cer le pluralisme dans ce do-maine et la compréhensionmutuelle. Il entend favoriser laparticipation des citoyens, no-tamment des femmes et desjeunes, à des activités cultu-relles. Il veut également ac-croître les capacités des insti-tutions concernées, tant publi-ques que privées, et des ar-tistes eux-mêmes dans cinqrégions du pays.Durée du projet : 2016-2019

Volume: 1,4 million CHF

Des prévisions ciblées(sauya) L’observation de fac-teurs climatiques hydrométéo-rologiques permet d’améliorerla gestion des ressources eneau d’une région ou d’unpays. Un projet de l’Organisa-tion météorologique mondiale,soutenu par la DDC, associeméthodes traditionnelles d’ob-servation et nouvelles techno-logies (p. ex. des téléphonesportables) pour transmettre

Douze ambulances pour la Syrie(ung) En Syrie, les services desanté manquent cruellementd’ambulances face aux des-tructions, aux attaques contreles hôpitaux et au nombre trèsimportant de victimes. Dans larégion d’Alep, l’une des plusdurement touchées par leconflit et regroupant plus de 2 millions de personnes, iln’existe plus aucun systèmeopérationnel d’ambulances.Pour répondre à ces besoins,la DDC a remis douze ambu-lances neuves au Croissant-Rouge arabe syrien. Sept sont

destinées à l’antenne de cetteorganisation à Alep et cinq àson siège principal de Damas.La DDC couvrira les frais d’ex-ploitation et de maintenancedes véhicules pendant plu-sieurs mois. Durée du projet : 2016-2017

Volume: 9 millions CHF

Système de traçabilité du bétail(dce) En Géorgie, l’élevagejoue un rôle important dansl’agriculture. Accroître sa pro-ductivité est une priorité pourle gouvernement. Pour y par-venir, celui-ci mise notammentsur la mise en place d’un sys-tème de traçabilité. Il est en ef-fet indispensable de connaîtrel’origine des animaux et de ré-colter des informations sur leursanté, notamment pour éviterla propagation de maladies.Cela permet ensuite de garan-tir la sécurité alimentaire enempêchant la commercialisa-

tion de produits issus d’ani-maux malades. La DDC sou-tient le développement de cesystème. À long terme, les pe-tits paysans pourront ainsiaugmenter leurs revenus,d’une part grâce à une baissede la mortalité dans leurs éle-vages, d’autre part grâce à unmeilleur accès aux marchéspour le bétail et les produitsd’origine animale.Durée du projet : 2016-2024

Volume: 6,3 millions CHF

Des médicaments pour tous(sauya) L’accès aux médica-ments est indispensable pourpermettre à tous de vivre enbonne santé. Dans de nom-breux pays pauvres, les procé-dures d’homologation durenttoutefois plusieurs années.Afin de remédier à cette situa-tion, la DDC collabore avecl’Institut suisse des produitsthérapeutiques (Swissmedic),l’Organisation mondiale de lasanté, la Fondation Bill etMelinda Gates et les autoritésdes cinq États qui forment laCommunauté d’Afrique del’Est. Le but est d’harmoniser

la procédure d’homologationdans ces cinq pays et de ren-forcer les compétences tech-niques des instances natio-nales de contrôle. Ainsi, lesnouveaux médicamentspourront être lancés plus ra-pidement et sur un plus vasteterritoire.Durée du projet : 2015-2017

Volume: 1,97 million CHF

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FORUM

Un outil innovant pour financerl’aide humanitaireLes acteurs humanitaires et ceux de la coopération sontconfrontés à une baisse constante des dons et de l’aide pu-blique au développement. Ils cherchent donc des modèles financiers innovants et attrayants, afin que le secteur privé participe davantage au financement de projets dans les payspauvres. Cette évolution ne plaît cependant pas à tout le monde. De Luca Beti.

«Nous devons étudier et développer de nouveauxinstruments pour financer les opérations humani-taires », a indiqué Peter Maurer, président du Co-mité international de la Croix-Rouge (CICR), enjanvier dernier lors du Forum économique mon-dial à Davos. L’un de ces instruments est le prêthumanitaire, mis à disposition par des investisseurssociaux. Jusque-là, rien de particulier. Cela fait desannées que l’on parle d’une participation plus im-portante de l’économie privée au financement del’aide humanitaire et de la coopération au déve-loppement. Le fait que des fondations, des inves-tisseurs institutionnels et des particuliers puissenttirer profit de ces prêts humanitaires soulève tou-tefois certaines critiques. « Il est inacceptable de ga-gner de l’argent grâce à la souffrance humaine »,affirme la conseillère nationale Mattea Meyer. Durant l’heure des questions au Parlement, cettedéputée socialiste a demandé des informations au

Département fédéral des affaires étrangères à ce sujet. «Nous n’encourageons pas le profit sur le dosdes personnes dans le besoin », répond ChristopherGreenwood, chef de l’unité Philanthropie auCICR. «Nous développons un modèle qui permetde récolter les montants nécessaires au financementde projets à risque. Et c’est pour le risque assuméque les partenaires privés reçoivent une contre-partie financière. »

Modèle financier innovantAu cours des cinq prochaines années, le CICR al’intention de construire des centres de réadapta-tion physique destinés aux blessés de guerre en Af-ghanistan, en Irak, au Mali ou au Yémen. Les coûtsde ce programme se montent à 35 millions defrancs, une somme qu’il est difficile à l’heure ac-tuelle de récolter auprès des pays donateurs. «Denombreux États européens traversent une période

Pour financer des centres de réadaptation destinés aux blessés de guerre, comme celui-ci à Kaboul, le CICR recherchedes fonds auprès d’investisseurs privés.

Investir dans le développementUn tiers des investisse-ments pour le développe-ment au niveau mondialsont gérés depuis laSuisse, selon une étude de l’association SwissSustainable Finance (SSF)publiée en avril dernier. En2015, cela a représentéprès de 10 milliards de dollars, une somme enhausse de 18,4% par rap-port à l’année précédente.Environ 80% des fonds ontété accordés à de petitesentreprises sous la formede microcrédits, 6% sontallés à des projets énergé-tiques et 4% au secteuragricole. « Les investisse-ments pour le développe-ment offrent un double bénéfice : ils réduisent lapauvreté, tout en garantis-sant aux investisseurs desrendements durables dansun contexte économiquedifficile », écrit SSF dans un communiqué. www.sustainablefinance.ch,«Swiss Investments for aBetter World»

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économique difficile. Cette situation se répercutesur les dons », rappelle Georg von Schnurbein, directeur du Centre d’études de la philanthropieen Suisse. Dans le jargon, on parle d’obligations à impact humanitaire (humanitarian impact bonds, HIB) oud’obligations à rendement sur résultats (pay-for-success bonds). La rentabilité de tels placements dépend des résultats obtenus par le projet. La réa-lisation des objectifs, évaluée au moyen d’indi-cateurs, détermine le montant du profit ou de laperte des investisseurs privés. Prenons l’exemple duCICR pour expliquer comment fonctionnent lesHIB : la construction des centres de réadaptationest financée par un investisseur et réalisée par leCICR ou une ONG locale ; au terme du contrat,des experts externes déterminent dans quelle me-sure les objectifs fixés ont été atteints ; si le projeta produit l’impact espéré, un pays donateur – laBelgique, par exemple – restitue l’argent au spon-sor privé en y ajoutant un intérêt. Dans le meilleurdes cas, ce rendement peut atteindre 10%. «Unetelle démarche est intéressante, car le gouverne-ment n’utilise l’argent des contribuables que pourdes projets ayant obtenu des résultats concrets »,souligne Christopher Greenwood.

Bénéfices économiques et sociauxLe modèle élaboré par le CICR s’inspire des obli-gations à impact social (social impact bonds, SIB), un

instrument lancé pour la première fois en 2010 enGrande-Bretagne. En août 2014, on dénombraitau moins 25 projets financés par des SIB, en ma-jorité dans les pays anglo-saxons. Les SIB se ba-sent, elles aussi, sur une collaboration de plusieursannées entre l’État, des investisseurs et des ONG. Leur objectif est d’impliquer le secteur privé dansle financement de mesures sociales, par exempledes projets d’intégration professionnelle. Les obligations à impact sur le développement(DIB) fonctionnent de manière analogue, maisdans un contexte différent. Contrairement auxSIB qui financent des programmes à l’intérieur desfrontières nationales, elles ont pour objectif d’amé-liorer les conditions de vie dans les pays en déve-loppement. À l’heure actuelle, il existe encore peude DIB. L’une d’elles a été lancée en 2014 dans ledomaine de l’éducation par la fondation suisseUBS Optimus et la Children’s Investment FundFoundation (Ciff), une organisation philanthro-pique britannique. D’ici 2018, ce projet doit amé-liorer la formation scolaire de 15000 enfants, dont9000 filles, dans l’État indien du Rajasthan. Si lesprincipaux objectifs sont atteints, la Ciff restitueraà la fondation suisse le capital initial de 270000 dol-lars. Elle y ajoutera un rendement de 15% sur troisans. Pour Pierre-Guillaume Kopp, porte-paroled’UBS Optimus, le modèle basé sur les DIB est intéressant, car il conjugue profit économique etimpact social dans les pays pauvres.

Des obligations suisses à impact sur le développement ont été émises afin d’améliorer la formation scolaire de 15000enfants dans l’État indien du Rajasthan.

Mise en œuvre del’Agenda 2030Le Forum politique de hautniveau sur le développe-ment durable s’est réuni à New York du 11 au 20juillet dernier. C’était sapremière session depuisl’adoption en septembre2015 de l’Agenda 2030.L’objectif de cette plate-forme d’échange et departage est de superviserles progrès réalisés au ni-veau national et internatio-nal dans la réalisation des17 Objectifs de développe-ment durable. Les partici-pants ont examiné les me-sures de mise en œuvreprésentées par 22 pays,dont la Suisse, et le pre-mier rapport mondial surles progrès accomplis. La délégation suisse étaitdirigée par Manuel Sager,directeur de la DDC.www.unstats.un.org,«Report 2016»

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Combler le fossé, mais comment?«La DIB encourage une utilisation ciblée de l’ar-gent. Grâce à l’évaluation des objectifs atteints, elledémontre que l’investissement a produit un résul-tat concret », estime Georg von Schnurbein. «C’estun outil idéal pour combler les lacunes financièresdans le domaine de la coopération au développe-ment. » De fait, le fossé entre les besoins et lesmoyens disponibles ne cesse de se creuser. Finjuillet dernier, le Bureau des Nations Unies pourla coordination des affaires humanitaires a indiquéqu’il manquait encore 14,7 milliards de dollars – sur les 21,9 milliards nécessaires – pour venir enaide aux quelque 97 millions de personnes victimesde crises humanitaires dans quarante pays. Selon laConférence des Nations Unies sur le commerce etle développement, la mise en œuvre de l’Agenda2030 pour le développement durable coûtera 5000à 7000 milliards de dollars par an. Entre 3500 et

4500 milliards seront nécessaires rien que dans lespays pauvres, un montant trente fois supérieur àcelui de l’aide publique au développement.«Ce n’est pas avec des modèles financiers commeles DIB que l’on parviendra à combler ce fossé. Ilserait préférable de soustraire moins d’argent auxpays du Sud», affirme Mattea Meyer. Elle fait ré-férence aux flux financiers illicites dont le volumes’élève à 1100 milliards de dollars par an, selon l’ins-titut de recherche américain Global Financial In-tegrity. «C’est dans ce domaine fiscal que l’écono-mie privée doit assumer ses responsabilités », pour-

En collaboration avec des investisseurs privés et Caritas, le canton de Berne a lancé un projet pilote d’obligations à impact social, afin d’améliorer l’insertion professionnelle des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire.

suit la députée. « Il serait inacceptable que l’Étatsoutienne un instrument financier permettant à des entreprises privées ou à des multinationales deredorer leur image et de faire des profits. »

Un instrument à perfectionnerPour l’instant, la Suisse ne participe pas au finan-cement d’obligations dans le cadre de la coopéra-tion au développement et de l’aide humanitaire.Elle suit toutefois avec intérêt le débat internatio-nal sur ce thème. La DDC et le Seco portent unregard positif sur ce mécanisme innovant, car il fa-vorise l’efficacité des projets. En outre, ce modèlede financement pourrait amener le secteur privé àsoutenir davantage les programmes dans les pays duSud. Tel est précisément l’objectif du CICR. «Toutle monde parle de partenariats entre investisseursprivés et gouvernements, mais l’on n’a pas encoreobservé de réels progrès. Avec notre projet pilote,

nous espérons tirer des enseignements importants »,affirme Christopher Greenwood. Les obligationsà impact humanitaire ou sur le développement nepermettront certainement pas de combler le fosséentre les besoins et les ressources à disposition. Ellesne sont pas non plus exemptes de défauts : tropd’acteurs impliqués ; choix des indicateurs quelquepeu aléatoire ; vérification onéreuse des résultats.Il reste à espérer que cet instrument novateur bé-néficie surtout aux personnes défavorisées. n

(De l’italien)

Une première en SuisseEn juin 2015, le canton deBerne a créé – pour la pre-mière fois en Suisse – unprojet financé par des obli-gations à impact social. Lebut est d’améliorer l’inser-tion professionnelle des ré-fugiés et des personnesadmises à titre provisoire,et de réduire ainsi les dé-penses de l’aide sociale.La Direction cantonale dela santé publique et de laprotection sociale colla-bore avec Fokus Bern, uneinitiative d’entrepreneurs,et la section locale deCaritas. Les entreprises investissent 2,7 millions de francs dans ce projetqui s’achèvera en 2020. SiCaritas atteint 95 à 105%des objectifs fixés, le can-ton remboursera les inves-tisseurs. Si les objectifssont dépassés, il leur ver-sera également un bonus.En cas d’échec, les inves-tisseurs perdront une par-tie de leur argent.

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La Colombie est le seul paysd’Amérique du Sud dont lescôtes baignent à la fois dansl’océan Atlantique et dansl’océan Pacifique. À l’ouest, elleest dominée par la Cordillèredes Andes. En outre, elle partagel’Amazonie avec ses voisins mé-ridoniaux (Brésil, Venezuela etPérou) et l’Orénoquie avec le Venezuela. Sans avoir de sai-sons bien définies, ce pays desCaraïbes réunit toutes sortes declimats et d’altitudes. Une tellevariété implique d’importantesressources naturelles ainsi qu’unegrande diversité culturelle etethnique.

Au 16e siècle, quand les conquis-tadores espagnols sont arrivés,des peuples indigènes vivaientdans cette région. Ces derniersse sont rapidement mêlés auxEuropéens et aux Africains queles colons avaient amenés aveceux en tant qu’esclaves. Cebrassage a donné naissance àune nation pluriethnique. Lepays connaît également une réalité multiculturelle forte, duenotamment à la diversité clima-tique et au relief accidenté quiont maintenu des populations

Le diable veille sur les coutumes colombiennes

Ana María Arango vit et tra-vaille à Bogotá, la capitale co-lombienne. Elle est journaliste,animatrice et analyste politiquedans le cadre d’une émissionde télévision très populaire, El primer Café, diffusée sur lachaîne Canal Capital. Ce pro-gramme traite avec humour dela politique et de l’actualité. Aucours des dernières années,Ana María Arango a égalementété active comme conseillèredans des domaines tels que lacoopération au développement,la gestion de l’information, lesdroits de l’homme et l’aide hu-manitaire. « Mais avant tout, jesuis professeure, c’est ma vo-cation première », précise lajeune femme qui enseigne lessciences politiques à l’UniversitéExternado de Colombia, àBogotá. « Enseigner n’est passeulement ma profession, c’estaussi mon hobby. »

séparées pendant des siècles.Bien qu’elles partagent des valeurs et des éléments culturelscommuns, les différentes com-munautés ont conservé des ca-ractéristiques spéciales et destraits distinctifs. Elles célèbrentla vie, le pardon, la solidarité etparfois même la mort. Plus de3400 fêtes se déroulent chaqueannée en Colombie. Cependant,les carnavals – on en recense officiellement environ 140 –occupent une place à part. Laplupart d’entre eux mêlent lestraditions indigènes et afro-colombiennes. Ils unissent desvillages entiers dont les habi-tants se livrent corps et âme à la fête pendant plusieurs jours.

L’année débute avec le Carnavaldes Noirs et des Blancs. Né dansla ville de San Juan de Pasto, ils’est étendu entre-temps à plusde septante localités dans les dé-partements de Cauca et deNariño, au sud-ouest du pays.Pendant six jours de liesse, dedéfilés et de danses, on commé-more un décret édicté en 1607par le roi d’Espagne, qui autori-sait les esclaves noirs de la ré-gion à être libres durant une

journée. Ce carnaval est unhymne à l’égalité. La traditionveut que les participants se pei-gnent le visage en noir pendantun jour et en blanc le lende-main.

Tandis que le sud du pays cé-lèbre l’égalité, le centre metSatan à l’honneur. D’après latradition du département deCaldas, c’est lui en effet qui estchargé de veiller aux bonnes re-lations et à la coexistence paci-fique. Le Carnaval du Diable a lieu tous les deux ans pendantsix jours à Riosucio. Ses ori-gines remontent au 19e siècle. À cette époque, deux villagesvoisins, qui entretenaient unerivalité historique, se sont unispour conjurer la menace profé-rée par deux prêtres : le diablepunirait ces communautés sielles ne parvenaient pas à vivreen paix. Depuis lors, entredanse et alcool, les habitants duCaldas et les touristes lancent lemême message de fraternité.

Une semaine avant le Carême,la vallée de Sibundoy, dans ledépartement de Putumayo, in-vite les peuples indigènes ingaet camsa à faire la fête. Il est difficile de trouver une preuveplus évidente du syncrétismeculturel dont est imprégnée lasociété colombienne. Hormisquelques touristes, les partici-pants à ce carnaval sont tous desindigènes attachés à leurs tradi-tions et à leur histoire. Ils enta-ment les célébrations par un dé-filé et la bénédiction de l’Églisecatholique (une religion que lescolons espagnols leur ont impo-sée jadis par la force). Bien que les Ingas et les Camsas aientconservé leurs croyances ances-trales, leur carnaval débute parla bénédiction catholique dessceptres qui symbolisent l’auto-rité et l’indépendance de cespeuples indigènes.

Et ainsi de suite… Je pourraisvous décrire les 137 autres car-navals du pays.

Leur impact économique est indéniable. Plus que des im-menses fêtes, ce sont des cataly-seurs de l’économie locale etdes niches de développement.Les carnavals resserrent égale-ment les liens communautaireset culturels. Au 21e siècle, ils survivent à la mondialisationqui, paradoxalement, rapprocheles régions de la planète, maisisole les gens et favorise l’indivi-dualisme. n

(De l’espagnol)

Carte blanche

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CULTURE

Les nouvelles voix du mondeGroupes punks en Bolivie et en Indonésie, rappeurs au Pakistan, musique électronique en Égypte, pop underground en Afrique du Sud et au Nigéria…De nouvelles voix se font entendre. Elles redéfinissent le monde. De Thomas Burkhalter*.

L’accélération de la mondialisa-tion et de la numérisation est entrain de révolutionner la créa-tion musicale à tous les niveaux :production, financement, pro-motion et commercialisation.Des logiciels et des applicationsbon marché stimulent la pro-duction comme jamais. DeDjakarta à La Paz, du Cap àHelsinki, des morceaux poly-phoniques et des vidéoclipsétonnants voient le jour dans de minuscules studios.La promotion tire profit desatouts du numérique : grâce àInternet et aux médias sociaux,le moindre son peut en théorieêtre entendu partout dans le

phonique africain, asiatique etlatino-américain a le vent enpoupe.

Nouvelles sonorités, nouvelles imagesCes musiciens du Sud choisis-sent des thèmes et des sonoritésqui étaient boudés jusqu’à pré-sent dans leurs pays. Il ne s’agitplus de mettre en avant la mu-sique traditionnelle ou les spéci-ficités locales. Certains parlentde guerre, de violence, de pro-pagande ou de fanatisme. C’estle cas notamment de l’animateurradio irlandais Bernard Clarke et de l’artiste bruitiste israélienDavid Oppenheim. D’autres sepenchent sur le racisme et lesreprésentations exotiques del’étranger. Avec son sitar, lachanteuse et musicienne Bishi,double-nationale britannique etbangladaise, s’approprie le ré-pertoire populaire anglais dansune diction parfaite. Elle batainsi en brèche le mirage d’une

identité britannique pure etblanche. D’autres encore ques-tionnent une répartition rigidedes rôles et les clichés qui s’yrattachent, rejetant homophobieet sexisme. La Nigériane TemiDollFace décline dans un vidéo-clip les produits Pata Pata qui ladébarrasseront enfin de sonmari. De son côté, le chanteurhomosexuel sud-africain Umlilos’attaque aux préjugés et à ladiscrimination. Avec le labelNON Worldwide et ses artistesafricains de la diaspora des deu-xième et troisième générations,de nouvelles identités noiresémergent de sonorités et demontages d’éléments empruntésà divers médias. Ainsi se tisse un réseau planétaire qui donnenaissance à un mouvementBlack Power revisité et à unnouvel afrofuturisme.

Ironie et parodie au programmeLes approches musicales et artis-

monde. Autrement dit, l’inter-naute qui fait une recherche surSoundcloud ou YouTube, ouqui lit des blogs en ligne entredans un univers différent de celui que les médias tradition-nels veulent bien nous présen-ter. Aujourd’hui, la musiqued’Afrique donne le ton dans lesclubs européens. On ne peutplus la réduire simplement aurang de «musique du monde».Des biennales internationales accueillent la production expéri-mentale d’artistes venus d’Asieet du Proche-Orient. À en jugerpar le nombre de podcasts publiéssur des plateformes en ligne,comme Mixcloud, l’art radio-

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éléments disparates de la culturemédiatique arabe. Il faut s’ima-giner une chanson du spectaclegermanophone Musikantenstadl,que l’on passerait à travers desfiltres et des effets spéciaux pourla jouer à rebours ou la saucis-sonner avant de la recomposer.Les sonorités sont de celles queles élites culturelles considèrentcomme des inepties, des pro-duits de seconde zone ou dukitsch. En Grande-Bretagne, deslabels tels que PC Music pro-duisent une musique qui persiflele commerce. À moins qu’il nes’agisse simplement d’une trèsmauvaise pop? Les auditeursdoivent remettre constammenten question leurs critères musi-caux.

Une fenêtre ouverte surl’avenirCette musique qui rejette toutcarcan est riche en contradic-tions et en pistes d’interpréta-tion. Elle reflète le chaos denotre planète, le rythme effrénédu quotidien, la rage qu’inspi-rent politique internationale etéconomie, mais aussi l’espoird’assurer son existence par cetart. Évaluer hâtivement de tellesproductions serait regrettable,tant elles recèlent d’éléments in-aboutis, évolutifs, oscillant entresommets et creux de la vague.Ces artistes se penchent sur lesinterrogations et les conceptionsesthétiques de l’époque contem-poraine. Leur musique ne rap-pelle en rien le passé : elle est de

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notre temps et radicalement réaliste. Apparemment, la musique a lepouvoir de réordonner les chan-gements et le désordre d’unmonde toujours plus complexe.Elle est à même de digérercontradictions et tensions omni-présentes via des morceaux, descollages, des chansons ou descompositions. Véritables sismo-graphes d’une époque, ces pro-ductions montrent ce qu’il estpossible de faire aujourd’hui. Sila musique est une fenêtre ou-verte sur l’avenir, comme l’affir-ment depuis longtemps théori-ciens et compositeurs, alorscelle-là est le miroir de nos géo-graphies changeantes, de nosmodernités plurielles. Au fond,

tiques sont multiples. Certains s’emparent de sonorités etd’images appartenant aux épo-ques, aux lieux et aux contextesles plus divers, pour les entremê-ler avec délices. D’autres protes-tent contre le statu quo chezeux ou à l’autre bout du monde.Ils le font d’une manière qui n’aplus rien à voir avec celle del’auteur-compositeur-interprète.Au programme: ironie, parodieou thérapie de choc.Préférant aux archives étatiquesles « anarchives », quelques ar-tistes explorent les sonorités dela culture commerciale de masse,en les manipulant tantôt de façontrès expérimentale, tantôt via laparodie et l’humour. Le duo libano-suisse Praed recycle des

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cette musique et ceux qui lacréent annoncent l’avènementd’un nouvel ordre mondial, loin des fractures Nord-Sud etEst-Ouest. Elle anticipe de nouveaux rapports de force : le fameux glissement des zoneséconomiques clés vers l’Asie et certaines parties de l’Afriquese manifeste déjà dans l’universmusical.

Sauver le mondeMorceaux, chansons, composi-tions et vidéoclips sont ainsi autant de visions – immédiates,engagées, puissantes, brutes parfois, souvent fragiles – d’unautre monde. Beaucoup de cesartistes prennent des risques.Certains reçoivent des menaces

de mort. Là où le commerce etle fanatisme régissent le quoti-dien, expérimenter et composerde la musique de qualité relèvede l’acte politique. Dans denombreux pays, cette productionde niche est vue d’un mauvaisœil par les autorités de censure,les politiciens et les extrémistes. Le rappeur pakistanais Ali GulPir en sait quelque chose.«Quand j’ai reçu les premièresmenaces de mort, j’ai su qu’ilme fallait choisir : soit je dis ceque je pense, soit je me tais. J’aichoisi de parler et d’assumer seulles conséquences, même si lePakistan est considéré comme lepays le plus dangereux de la pla-nète », déclare-t-il. « J’essaie defaire quelque chose pour la ré-

putation de ma patrie. Je veuxapporter ma pierre à l’édifice.Pas grand-chose. Juste sauver lemonde. À ma façon. » n

*Thomas Burkhalter est ethnomusi-cologue, journaliste musical indépen-dant et acteur culturel. Domicilié àBerne, il est le fondateur du réseauet magazine en ligne Norient.com.De nombreux artistes évoqués icisont présentés dans un ouvrage éditépar Norient, «SeismographicSounds – Visions of a New World».http ://book2016.norient.com

(De l’allemand)

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1. Bishi, Grande-Bretagne

2. David Oppenheim, Israël

3. Praed – Raed Yassin (à gauche)

et Paed Conca, Liban

4. Temi DollFace, Nigéria

5. Umlilo, Afrique du Sud

6. José Chameleone, Ouganda

7. Easy Fun Band, Grande-

Bretagne

8. Ali Gul Pir, Pakistan

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Servicesur l’île de São Nicolau, au beaumilieu des champs. Les synthéti-seurs qu’il transportait ont étédistribués aux écoles. Les jeunesont très vite maîtrisé ces instru-ments, ce qui a donné naissanceau « son cosmique du Cap-Vert».Cette étrange histoire est relatéedans le livret de 44 pages, magni-fiquement illustré, qui accom-

Ephraïm et son mouton(bf ) Ce fut un véritable événe-ment en 2015. Un film éthio-pien a été présenté, pour la pre-mière fois, dans la sélectionofficielle du Festival de Cannes.La DDC avait, elle aussi, de quoise réjouir : elle avait contribué,via le fonds Vision sud-est, à laproduction de ce long métrageet renforcé ainsi la création ciné-matographique locale. Le ma-gnifique Lamb, de Yared Zeleke,est désormais disponible en DVD,accompagné d’une longue inter-view du réalisateur. Ce premier

film de Yared Zeleke est en par-tie autobiographique. Il raconteles aventures d’Ephraïm, 9 ans,qui a perdu sa mère, victime dela sécheresse. Son père, sans res-sources, le confie à un cousin quivit dans une région épargnée parla catastrophe. Toutefois, l’enfants’adapte mal à sa nouvelle vie. Ilaime cuisiner, mais cela ne plaîtpas au chef de famille, pour quila place des femmes est à la cui-sine et celle des hommes dans leschamps. Son meilleur ami estChuni, un mouton qu’il em-mène partout. Quand l’oncle

envisage de sacrifier cet animalen vue du prochain repas de fête,Ephraïm élabore un stratagèmepour s’enfuir et retourner chezlui avec Chuni. Il est aidé en celapar Tsion, une jeune fille rebellequi rêve de faire des études. Yared Zeleke : «Lamb», éditionDVD de trigon-film, www.trigon-film.org

Des steppes sibériennes au Sahara(er) Chant de gorge diphonique,blues du désert saharien etquelques doux accents ouboucles électroniques. C’est lasynthèse inédite que proposeSainkho Namtchylak. Cettechanteuse, poétesse et plasti-cienne de 59 ans est originairede la république autonome russe de Touva, dans le sud de laSibérie. Sur son dernier disque,elle est rejointe par Eyadou AgLeche (guitare et basse) et SaïdAg Ayad (percussions) du groupetouareg malien Tinariwen.Ensemble, ils ont enregistré àParis dix morceaux exception-nels. Des phrases mélodiques deguitare et de basse ainsi que desrythmes nomades au groove dé-contracté créent une harmoniemagique. Les murmures et lessoupirs alternent avec les accentsrugueux, grondants et gutturauxd’une voix dont on dit qu’ellecouvre sept octaves. Cette mu-sique du monde enchantera tousceux qui sont prêts à ouvrir leurâme à l’avant-garde.Sainkho Namtchylak : «Like ABird Or A Spirit, Not A Face»(Ponderosa/Edel)

Le son cosmique du Cap-Vert(er) Un événement insolite s’estproduit au Cap-Vert en 1968 :un cargo chargé d’instrumentsélectroniques, qui faisait routevers Rio de Janeiro, a connuune avarie au large de l’archipelet a disparu des radars ; on l’a re-trouvé des mois plus tard échoué

Musique

La lutte du peuple haïtien pour sa survie(bf ) Depuis son premier séjour en Haïti, qui remonte à1997, le photographe suisse Thomas Kern se rend régu-lièrement sur cette île autrefois nommée «Perle desAntilles», afin d’en saisir l’histoire tourmentée. Ses photosnoir-blanc classiques documentent avec discrétion et em-pathie la lutte quotidienne pour la survie de l’un des peu-ples les plus pauvres de la planète. Elles sont exposéesactuellement à la Fondation suisse pour la photographie(Fotostiftung Schweiz), à Winterthour. Ces clichés montrentles efforts considérables et les petites joies d’un peupledont le quotidien est marqué par les catastrophes naturel-les, l’instabilité politique et un désastre écologique ram-pant. Ils racontent en outre l’histoire de l’esclavage et laconsolation recherchée dans le monde spirituel du vaudou. «Thomas Kern – Haïti. Libération sans fin», jusqu’au

19 février 2017, Fondation suisse pour la photographie,

Winterthour

pagne un recueil de morceauxtémoins d’une musique oubliée.Le son cap-verdien puise ses racines dans les traditions musi-cales locales, telles que la cola-deira, la morna et le funaná, maisil est aussi traversé par de surpre-nantes tonalités disco-funk deCuba. On résiste difficilement à l’envie de danser devant la vitalité de ce cosmos situé entrel’Afrique occidentale, les Caraïbeset l’Amérique latine.Divers artistes : «Space Echo – TheMystery Behind the Cosmic Soundof Cabo Verde Finally Revealed»(Analog Africa)

Des perles du monde celtique(er) Les découvertes abondent auPaléo Festival de Nyon, où leVillage du Monde proposechaque année des sonorités «ve-nues d’ailleurs ». L’été dernier, lemonde celtique était à l’hon-neur. Les points forts de ces

Exposition

Film

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ImpressumUn seul monde paraît quatre fois par année,en français, en allemand et en italien.

Éditeur :Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)

Comité de rédaction :Manuel Sager (responsable)George Farago (coordination globale)Beat Felber, Pierre Maurer, Nicole Merkt,Marie-Noëlle Paccolat,Christina Stucky, Özgür Ünal

Rédaction :Beat Felber (bf – production)Luca Beti (lb), Jens Lundsgaard-Hansen (jlh),

Jane-Lise Schneeberger (jls), Fabian Urech(fu), Ernst Rieben (er)

Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne

Photolitho et impression :Stämpfli SA, Berne

Reproduction :Les articles peuvent être reproduits, avecmention de la source, à condition que la rédaction ait donné son accord. L’envoi d’un exemplaire à l’éditeur est souhaité.

Abonnements et changements d’adresse :Le magazine peut être obtenu gratuitement(en Suisse seulement) auprès de : Information DFAE, Palais fédéral Ouest, 3003 Berne.

Courriel : [email protected]él. 058 462 44 12Fax 058 464 90 47www.ddc.admin.ch

860215346

Imprimé sur papier blanchi sans chlore pourprotéger l’environnement

Tirage total : 51200

Couverture : point d’eau dans la régionBorana, au sud de l’Éthiopie / Fabian Urech

ISSN 1661-1675

Livres

concerts sont regroupés dans lacompilation Celtique qui égrènedes perles provenant d’Écosse,d’Irlande, du Pays de Galles, deCornouailles, de Bretagne, deGalice et des Asturies. Au fil desmorceaux, des voix puissantess’élèvent pour danser avec lacornemuse, le violon, des cordesparfois métalliques, l’accordéonet les percussions, sans oublier laflûte et les claviers. L’électro s’enmêle lui aussi, sous les doigts duharpiste légendaire Alan Stivell.L’accordéoniste Sharon Shannonfait vivre l’esprit irlandais, alorsque les Bretons Krismenn &Alem n’hésitent pas à allierchants traditionnels et boîte àrythmes. Au total, quinze mor-ceaux fascinants qui sortent dessentiers battus.Divers artistes : «Celtique – PaléoFestival Nyon – Village du Monde2016» (Paléo Festival Nyon/Disques Office/RTS)

Amour, sexe et mort à Téhéran(bf ) «Quiconque veut vivre àTéhéran est obligé de mentir. Lamorale n’entre pas en ligne decompte : mentir est une questionde survie », explique la journa-liste et écrivaine anglo-iranienneRamita Navai. Née à Téhéran en1971, elle a quitté cette ville avecses parents lorsque la Révolutionislamique a éclaté – elle avaitalors 8 ans – pour trouver refugeà Londres. Par la suite, RamitaNavai est retournée en Iran de2003 à 2006 comme correspon-dante du quotidien britannique

Formation continue

Times. Durant cette période, ellea réalisé les nombreuses inter-views qui ont servi de base à sonlivre Vivre et mentir à Téhéran. Lajournaliste y tisse huit portraitsdétaillés d’habitants. Il s’en dé-gage l’image d’une ville où per-sonne n’est jamais celui qu’ilprétend être et où tous partagentun point commun: le mensongepermanent. On ment pour éviterd’être en infraction avec la loi,pour ne pas être jugé par ses voi-sins ou ses collègues, ou encorepour couvrir des réunions d’op-posants politiques. L’ensemblecrée un portrait vivant et coloréde la capitale iranienne et de seshabitants. Ramita Navai : «Vivre et mentir àTéhéran», Stock, 2015

Une exploration de l’âme cubaine(bf ) Contrairement à nombre deses amis et collègues, l’écrivainLeonardo Padura n’a jamaisquitté Cuba. Pourtant, il ne peutpratiquement pas y publier seslivres. Il en ressent une grandecolère qui est palpable, en mêmetemps qu’une grande tendressepour sa patrie, dans son dernierrecueil de nouvelles intitulé Cequi désirait arriver. Tous ces récitsse déroulent à La Havane. Le ro-

mancier y déploie une fois deplus toute sa créativité et sonmordant pour donner vie à despersonnages complexes qu’il met en scène partout où l’île semontre la plus vibrante : dans leboléro, dans la chaleur tropicale,dans les bars à court de rhum lesoir de Noël, dans les apparte-ment exigus avec des tachesd’humidité au plafond, dans lesapplaudissements au stade de baseball ou dans les parfumsémanant de milliers de cuisinesouvertes sur la rue. Leonardo Padura : «Ce qui désiraitarriver », éditions Métailié, Paris,2016

Diplôme postgradeVoici les cours proposés parl’EPFZ pendant le semestre deprintemps 2017 dans le cadre dela préparation au diplôme post-grade pour les pays en dévelop-pement (Nadel) :Planification et suivi de projets(7-10.3)Gestion et optimisation finan-cière des projets de développe-ment (20-24.3)M4P – Making Markets Workfor the Poor (27-31.3)Débats stratégiques actuels de la coopération internationale(11-13.4)La formation professionnelleentre réduction de la pauvreté et développement économique(8-12.5)Responsabilité des entreprises et développement (16-19.5)Informations et inscriptions :www.nadel.ethz.ch

Coup de cœur

Un musicien vagabond

Sandro Schneebeli est constam-

ment à la recherche de nouveaux

genres musicaux. En voyageant,

il joue avec d’autres artistes et se

laisse inspirer par leurs notes.

Le vocabulaire du jazz est univer-sel. Partout dans le monde, il suffitd’un instrument pour communi-quer, jouer ensemble et trans-mettre des émotions. Enfant déjà,je rêvais de voyager. Grâce à lamusique, je peux aujourd’hui visi-ter et connaître le monde. Ces pé-régrinations me permettent de meconfronter à d’autres cultures etde découvrir d’autres genres mu-sicaux, dont je m’inspire pour mesprojets. En 2015, j’ai participépour la deuxième fois au Festivalinternational de jazz de Saint-Louis, au Sénégal, un pays surpre-nant qui vous remplit d’énergie.J’y ai rencontré le musicien séné-galais Noumoucounda Cissoko. Il joue de la kora, un instrument àcordes qui ressemble à une harpe.Nous nous sommes tout de suitetrès bien entendus et nous avonsjoué ensemble deux morceaux surla scène principale. Ce fut unerencontre incroyable qui est restéegravée dans mon cœur. J’aimeraisrevivre pareille expérience avec le percussionniste indien TrilokGurtu, l’un des meilleurs dumonde. J’admire sa capacité àmarier la tradition et la musiquemoderne.

(Propos recueillis par Luca Beti)

Alexandre Zveiger

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«Nous ne savons pas ce que l’avenirnous réserve. Mais nous espérons quela pluie viendra. Après, tout ira bien. »Gerbicha Ode, page 14

«Pour une commune marocaine, l’énergie n’est pas la priorité absolue. »Mohamed Sefiani, page 23

« Il est inacceptable de gagner de l’argent grâce à la souffrance humaine.»Mattea Meyer, page 27

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