un procédé pour récolter automatiquement les proies que lesformica polyctena rapportent au nid

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Insectes Sociaux, Paris. Volume XIII, 1966, n ~ 1, pp. 59-68. UN PROCI~DI~ POUR RI~.COLTER AUTOMATIQUEMENT LES PROIES QUE LES FORMICA POLYCTENA RAPPORTENT AU NID Par R6my CHAUVIN (Laboratoire de Psychophysiologie, Facultd des Sciences, Strasbourg.) Un t-r~s grand nombre d'auteurs ont tent~ de d~terminer par diverses m~thocles le nombre et la qualit~ des proies que les Fourmis rousses rapportent au nid. J'en parlerai plus h loisir dans la discussion, mais je puis ddjfi signaler que les pro e~d~s utilis6s jusqu'ici se rangent en deux groupes : une m~thode directe tr~s p~nible qui consiste h poster des observateurs prbs des fourmilibres avecla consigne de pr~lever, fi l'aide d'une pince, tout ce que les fourmis rapportent; et des m6thodes indirectes brillamment utilis~es, notamment par WELLENSTEIN (1957- 1~)65.), Off l'~cologiste analyse les populations d'insectes de la for~t fi des distances croissantes de la fourmili~re. Dans les deux cas, ces techniques prStent fi de graves critiques. Le riot ~norme des fourmis qui d~ferle sur certaines pistes (au taux de 4 fi 5 par seconde parfois)ne permet pas un pr61~vement prolong~ et complet de tous les apports. L'attention de l'observateur est rite dis- traite, d'autre part, il a tendanee fine ramasser que les proies assez volumineuses ou de couleurs vires et fi n~gliger les plus petites. C'est pourquoi la plupart des r~sultats publi~s jusqu'ici proviennent de ealeuls fondus sur une heure d'observation et parfois moins. D'autre part, les calculs ~cologiques ne sont gu~re plus stirs; ils participent fi la tr~s grande incertitude de nos m~thodes de pr~l~vement faunis- tique, que j'ai analys~es jadis (CHAUVIN, 1957). Nous ne savons pas encore obtenir des ~chantillons stirement repr~sentatifs de l'ensemble de la population d'une for~t; et quant fi ~valuer la difference entre deux ~chantillons et Fattribuer h telle ou telle cause, par exemple aux habitudes pr~datrices des fourmis, la science ~eologique ne le permet pas encore. De l~t sans doute les incertitudes et les h~sitations des der:

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Insectes Sociaux, Paris. Volume XIII, 1966, n ~ 1, pp. 59-68.

UN PROCI~DI~

POUR RI~.COLTER AUTOMATIQUEMENT

LES PROIES QUE LES FORMICA P O L Y C T E N A

RAPPORTENT AU NID

Par R 6 m y CHAUVIN (Laboratoire de Psychophysiologie, Facultd des Sciences, Strasbourg.)

Un t-r~s g rand nombre d ' au teu r s ont tent~ de d~terminer par diverses m~thocles le nombre et la qualit~ des proies que les Fourmis rousses r appo r t en t au nid. J ' en par le ra i plus h loisir dans la discussion, mais je puis ddjfi s ignaler que les pro e~d~s utilis6s jusqu ' ic i se r angen t en deux groupes : une m ~ t h o d e directe tr~s p~nible qui consiste h poster des observa teurs prbs des fourmil ibres a v e c l a consigne de pr~lever, fi l 'aide d 'une pince, tout ce que les fourmis r appo r t en t ; et des m6thodes ind irec tes br i l l ammen t utilis~es, n o t a m m e n t pa r WELLENSTEIN (1957- 1~)65.), Off l '~cologiste analyse les popula t ions d ' insectes de la for~t fi des distances croissantes de la fourmil i~re.

Dans les deux cas, ces t echn iques prStent fi de graves cr i t iques . Le riot ~norme des fourmis qui d~ferle sur cer ta ines pistes (au t aux de 4 fi 5 pa r seconde p a r f o i s ) n e p e rm e t pas un pr61~vement prolong~ et complet de tous les apports . L ' a t t en t i on de l 'observa teur est r i t e dis- t ra i te , d ' au t re par t , il a t endanee f i n e r am asse r que les proies assez vo lumineuses ou de couleurs v i res et fi n~gliger les plus petites. C'est pourquo i la p lupa r t des r~sul ta ts publi~s jusqu ' ic i p rov iennen t de ealeuls fondus sur une heu re d 'observa t ion et parfois moins. D 'au t re part , les calculs ~cologiques ne sont gu~re plus stirs; ils par t ic ipent fi la tr~s grande incer t i tude de nos m~thodes de pr~l~vement faunis- t ique, que j 'a i analys~es jadis (CHAUVIN, 1957). Nous ne savons pas encore obtenir d e s ~chanti l lons s t i rement repr~senta t i fs de l 'ensemble de la popula t ion d 'une for~t; et q u a n t fi ~valuer la difference entre deux ~chanti l lons et Fa t t r ibuer h telle ou telle cause, par exemple aux habi tudes pr~datr ices des fourmis , la science ~eologique ne le pe rme t pas encore. De l~t sans doute les incer t i tudes et les h~sitat ions des der:

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60 RI~MY CHAUVIN

nibres pub l ica t ions d'OTTO (1965) et WELLENSTEIN (1965). J ' a i done mis au po in t u n proc6d~ de prd l~vement direct et a u t o m a t i q u e des proies que les Formica polyctena r a p p o r t e n t h leur nid et les r6sn l ta t s m ' e n ont sembl6 assez bons p o u r m6r i te r une descr ipt ion.

Le ~ capteur ~ automatlque.

J ' a i op6r6 en ju in -oc tob re 1965 dans le pet i t bois situ~ prbs du vi l lage de Sa in t -Luc ien (p roche d ' E p e r n o n , Eure-e t -Loi r ) , dans lequel depuis 8 ans .j '~tudie Formica tufa et polyctena. J ' a i choisi la fourmi l ib re K~ (voir la n o m e n c l a t u r e de ces fourmi l ibres dans CHAt~VIN, 19'58, 1959, 19'60), qui avai t 6t~ entour~c d 'une bar r ib re c i rcula i re de ca r ton imbib~ de mazout , de 25 cm de h a u t et 2 m de diambtre . Le m a z o u t est

FIG. 1.

Ensemble du disposi t i f pour la mesu re de l 'activit6 de pr6da- tion. B, barri~re cireulaire de carton impr6gn6e de m a z 0 u t ; F, fourmi l ib re ; O1, Oz, orifices d 'entr6e ou de sort ie; C, le cap- teur, a u - d e s s o u s de l'orifice d'entr6e.

f o r t e m e n t rdpuls i f pou r les polyctena qui ne pouva i en t en t r e r et sor t i r que pa r deux orifices de 4 cm de d i ambt r e plac6s e6te h c6te. J ' a i d~erit ce d isposi t i f a i l leurs (CHauvIN, 1966). Deux p lanche t t e s sont fix6es h chaque orifice de p a r t et d ' a u t r e de la mura i l le . Mais l ' une ne touche pas le sol d ' un c6t6; dans le sens de l 'a l ler , c 'es t la p l anche t t e in te rne diri- g~e vers le nid. Les f o u r m i s so r t an t e s ne peuven t .alors e m p r u n t e r ce t he re in ; les r en t r an t e s , p a r contre , se la issent f ac i l ement t o m b e r avec leurs proies de quelques cen t imb t r e s de haut . Dans le sens du re t0ur , e 'es t l ' inverse : la p l anche t t e << ex te rne 7> ~ l ' ex t6r ieur de la ~muraille de cl6ture ne touche pas te r re ; les r e n t r a n t e s ne peuven t don.c y mon te r . C'est au tour des so r t an tes de se la isser tomber . Ainsi, les f o u r m i s sont a i s~ment s~par~es en deux colonnes sans que eela pa ra i s se les t rou- bler beaueoup . E n tout cas les h6s i ta t ions cessent en quelques jours .

Le capteur est interposd au-dessous de la p lanche t t e de re tour . I1 se compose d 'une boite de bois mince , 9 X 9 X 9 era, dont le eouverc le por te un en tonno i r d ' a l u m i n i u m lisse (d iambtre 7 em) (voir fig. 2,3). Un a n n e a u de ca r ton impr~gn6 de m a z o u t empSehe les f o u r m i s de sor t i r pa r l ' en tonno i r ; elles ne p e u v e n t passe r qu'~t t r avers les t rous de 2,5 m m de d i ambt re (90 t rous su r ehaque paro i ) . Elles se la i ssent

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P R O C E D E P O U R R E C O L T E R L E S P R O I E S D E S r F . P O L Y C T E N A ~ 61

tomber en grappes denses dans l'entonnoir et apprennent tr~s rapide- ment h sortir h travers les trous; la perturbation du d6but, tr~s violente, ne dure qu'une heure ou deux. I1 est pr6f6rable de poser le capteur pour la premiere fois la nuit, et non p a s a u moment du maximum de

Fro . 2.

A g r a n d i s s e m e n t du capteur , a v e c le c o u - v e r c l e r e l e v 6 pour m o n t r e r l 'orif ice de l ' e n t o n n o i r (O) entour~ d'une barr i~re (An) de carton impr6gn6 de m a z o u t . L e bois du couverc l e es t l u i - m ~ m e impr~gn6 de la m ~ m e subs tance , le tout pour 6v i ter que les ouvr i~res ne sor tent par l ' o u v e r - t u r e de l ' en tonno ir .

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l'activit~ diurne, afin que la perturbation ne soit pas trop grande. Ceci se rappro:che tout h fait des pr&autions ~ prendre lors de la pose des pibges h pollen devant les ruches (CHAUVIN, 1955). Dans le cas de la fourmili~re K5 les apports de mat~riaux de construction out ~td

FIG. 3.

C o m m e n t es t d i spos6 le capteur . E, e n t o n n o i r m 6 t a l l i q u e o h t o m b e n t les f o u r m i s apr6s avo ir parcouru la p l a n c h e t t e P'~. P ' I , p l a n c h e t t e de rentr6e h l ' ex t~r ieur de la barr i6re c i rcu la ire ; Oz, orif ice de ren- tr~e; 0~, orifice de sort ie a v e c la p l a n c h e t t e courte (P,) qui permet aux f o u r m i s de sort ir en se l a i s s a n t tomber , m a i s non pas de rentrer.

tr6s faibles; ces fourmis m'ont paru surtout fouisseuses. Les brindilles sont apportdes au contraire en tr6s grand nombre lorsqu'on place le capteur sur une fourmiti6re de F. tufa. Polyctena rdcolte aussi, assez frdquemment, les graines blanches de Melampyrum sylvaticum et d'autres graines deux lois plus grosses dont je n'ai pu 6tablir la pro- venance et qui re'out paru appartenir h une Mgumineuse. Je ne pense

INSECTES SOCIAUX. TOME X I I I , N ~ 1, 1 9 6 6 . 5

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62 rt~MY CtIAUVIN

pas qu'elles les utilisent; peut-gtre s'agit-il d 'une manifestat ion parti- euli6re d 'un instinct propre aux fourmis rousses et signal~ par MAR~KOWSKI : ees insectes auraient tendance it ramasser de petits objets brillants eomme des p6rles de verre.

R~sultats.

Au ddbut, je laissais le capteur en permanence jour et nuit. Pour remddier h l 'absence de nourr i ture protidique, je distribuais aux four- mis au milieu du nid, 50 it 60 g de viande de bceuf hach6e crue, dont cette esp6ce est tr6s avide. Mais, d 'une part, j 'ai craint d 'entrainer "~ la longue de tr0p fortes perturbations par ce r6gime inhabituel; d 'autre part, le caract6re le plus saillant des prises du capteur est leur extreme homog6nditd. I1 m'est donc apparu inutile de laisser le pi6ge "5 demeure et je ne l'ai remis que tous les 3 ou 4 jours. Les prises du jour (de 9 h 19 heures) dtaient sdpar~es de eelles de la nuit; j 'en retirais aussit6t les fourmis, mortes en assez grand nombre (150 ~ 200) et je pesais l 'ensemble des prises. Elles ont vari6 de plus de 12,9 g le jour (11 aofit) et 7,9 la nuit (du 11 au 12 aofit) ~t 3,7 le jour (7 sep- tembre) contre 1,45 la nuit (20 octobre). I1 n 'y a aucun rapport precis entre les conditions m6tdorologiques et l ' importance des captures. J 'ai ddjh signald d'ailleurs cette relative inddpendance des conditions m6tdorologiques, en par lant de l'activit6 g6n6rale (CHAUVIN, 1964). I1 faut vraiment que les conditions m6t6orologiques soient bien mauvaises pour que l'activit(! prddatrice se rdduise d'une manibre importante. Par ailleurs, les fluctuations peuvent s'observer sans que les conditions mdtdorologiques (tout au moins la tempdrature) aient beaucoup varid. J 'en trouve un exemple le 13 aofit oll les prises diurnes tombent h 8 ,~ alors que les tempdratures sont h peu pr6s les m6mes que le 11 et le 12 oh j 'ai trouv~ dans le capteur 12 g e t 11 g d'insectes. Une pluie battante doit ~tre tr6s prolongde pour arr~ter l'activit~ de pr6dation ou l'activit~ tout court.

R~partltlon syst~matique.

Elle n'a ~t~ calcul6e que sur les insectes intacts qui sont d'ailleurs en grand nombre puisque j 'en ai r6colt~ 7 121 en 30 jours ou nuits. Mais les d~bris peu ou pas identifiables sont h ehaque fois en quantitd au moins 6gale. Une 6tude syst~matique plus d~taill~e est en eours (LEeLANT). Mais d'ores et d6jh eertains earaet~res appa- raissent tout ~t fait nets, quoique les ehiffres que je vais donner ne cor- respondent qu'~ un ddpouillement pr~liminaire.

D'abord l '~norme predominance des Dipt6res, parmi lesquels un tr~s grand nombre de Syphides : 3 282 sur 7 121 ! Par ordre d'abon- dance, on trouve ensuite les Hym~nopt~res (855) dont 511 para-

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PROCEDE POUR RECOLTER LES PROIES DES r F. POLYCTENA ~ 63

sites, 101 reines de fourmis ail6es probablement Lasius, 101 apides, 73 Vespides; les Hdmipt6res (708, dont 374 Aphidiens ailds ou non, 155 homopt6res, 179 h6tdropt6res), Ies Col~opt6res (585), les Ortho- pt~res (474, dont 239 Nemobius, 187 Meconema, 48 Ectobitts) et enfin les Cloportes et les Araigndes (189 et 144). Notons que les formes terrestres, Nemobius, Ectobitts, Cloportes, araigndes, qui se d~placent au niveau m~me des fourmis et qui, semble-t-il, pourraient ~tre aisdment captur6es, ne figurent que pour 857 individus au total, alors que les Dipt6res, excellents voiliers, sont si nombreux qu'ils d galent fi eux seuls tout le reste de la faune. Pour tant on ne voit pas comment une Fourmi peut attrape r une Mouche vivante. Si l'on admet qu'i l s'agit de cadavres, il faut alors remarquer qu'ils sont d a n s un 6tat de fraicheur parfait. D'autre part, les observations des Allemands foreent h eonclure qu e les fourmis peuvent s 'at taquer aux proies vivantes. Je n'ai pu en a.equdrir moi-m~me aueune preuve direete. Tout au plus ai-je constatd cinq ou six fois que des Curculionides et des Coecinelles trouv~s dans le eapteur se ranimaient h Pair libre. Les fourmis les avaient done captures vivants, ou tout an moins les pro- jeetions d'ac~de formique dont les ouvri~res arrosent leurs proies ne leur avaient-elles eaus~ qu 'un engourdissement passager.

Bien qu 'aueune conclusion ne puisse en ~tre tir~e, vu l ' ineertitude de nos corinaissanees sur l'~eologie de la for~t, il est eurieux de cons- tater l'a grande frdquence des Hgmdnoptbres parasites, done utiles h l 'homme, parmi les captures des fourmis. Ils sont prdsents dans toutes les prises et tr6s varies depuis les plus gros Iehneumonides jusqu'h des Braeonides fort petits qui ne passent pas h travers les trous, pour tant bien plus larges qu'eux, du eapteur. Les fourmis at t rapent aussi un nombre formidable de Syrphides qui parfois d~passe la moiti~ du nombre total des dipt6res. Sans vouloir remettre en question l'utilitd des fourmis dans la lutte biologique eontre les insectes des for~ts qui semble bien prouv~e par l'6cole de GSSSWALD, il faut pour tant rioter que les inseetes utiles forment iei un poureentage appr6eiable de la nourr i ture de polgctena. Enfin les Aphidiens ailds ou apt6res sont dgalement trouvds en assez grand nombre darts le eapteur. Mais ils sont tellement fragiles, qu'il est impossible de dire si les fourmis, qui en cultivent plusieurs esp~ces, se bornaient h les transporter, ou les avaient tu6s.

Reste encore le probl~me de l'actioitd nocturne de pr6dation (signalde par WELLENSTEIN). Je n'ai pas r~alis~ jusqu'ici l 'enregistrement auto- matique des captures, ,ee qui ne serait sans doute pas tr6s diffieile. I1 est alors permis de se demander si vraiment les fourmis eont inuent fi eapturer les inseetes ~t la nuit close, ou si elles se bornent fi tra- vailler d6s le lever du soleil. N'oublions pas que je ne relevais les prises nocturnes du eapteur qu'fi 9 heures du matin, et qu'en aofit le soleil est lev~ depuis 5 heures du matin au moins. Ii n'est pas tr6s facile de rdsoudre ee probl~me aut rement qu'fi l'aide d 'arguments indirects. Le 24 septembre par exemple, j 'ai retir6 8,9 g de proies du

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capteur et, dans la nuit du 24 au 25, 4,7 g. Or le soleil s'est lev6 h 5 h 40. On peut calculer le nombre de proies captur6es par heure de

8,9 jour. Pour le 24 septembre, y~ donnent, en arrondissant, 0,750 g

l 'heure; pour les 3 heures (environ) de jour, le matin du 25 septembre

avant le relev4 h 9 heures, j 'obtiens ~7 ___~ 1,6 g par heure (chiffres

arrondis). Si l'on n 'admet pas l'activit6 de pr6dation pendant toute la nuit, on arrive alors h une conclusion absurde que les fourmis ramassent 2 fois plus de proies dans ces heures du matin qu'en plein jour. I1 me parait done probable que la pr6dation s'6tend en r6alit6 sur toute la nuit. Mais eette conclusion entraine des cons6quences importantes : eomme du point de rue qualitatif, les proies captur6es la nuit ne diff6rent gu6re de celles du jour, il faudrait admettre que les fourmis ne chassent pas uniquement 6 rue, contrairement h e e qu'ad- mettent jusqu'iei la plupart des auteurs.

" Discussion.

WELLENSTEIN, entre autres, parait avoir 6tabli l'action des nids de F. tufa oh polyctena sur la faune. Mais, il utilise des m4thodes indi- reetes'; il 6value par exemple la diminution de la faune entomologique h des distances d6croissantes du nid. Elle est hors de doute. Mais il faut noter une tr~s grande diff6renee entre les diff6rentes esp6ees ou sous- esp~ces de fourmis, du point de rue de l'agressivit6 : Formica polyctena est de loin la plus avide de proies et la plus agressive et Formica rufa pratensis la moins acharn6e h la chasse. D'autre part, les conditions m6t6orologiques affecteraient beancoup, suivant V~rELLENSTEIN, le nombre des proies r6colt6es. La pluie, si elle est assez forte, fait eompl6- tement cesser la ehasse alors que l 'apport de miellat continue jusqu'h un certain point. Ensuite la proie n'est pas attaqude si elle est immobile m~me seulement h quelques centim6tres des fourmis; mais si elle a 6t6 mordue par une ouvri6re et si elle se d6bat cela attire immanqua- blement les autres ouvri6res et la projection d'acide formique tue rapidement la proie (en 10-15 minutes). Les insectes lourdement cui- rass6s (C6toines) r6sistent d 'habitude tr6s bien aux morsures et l'acide formique, et d'ailleurs les larves de e6toine se d6veloppent souvent au beau milieu des fourmili6res sans en paraitre ineommo- d6es. Les Coccinelles 6chapperaient aussi facilement grace h leur partie sup4rieure bomb6e et lisse qui n'offre pas de prise aux mandibules des Formica. De mSme, parmi les chenilles, les esp~ces tr6s poilues (Aretiidae) ou h4riss6es d'6pines (Nymphalid~e) 6ehappent plus ou moins eompl~tement aux attaques. Par contre, les chenilles nues et les larves de tenthr6des sont promptement mises h mort. Les oeufs d'inseetes sont eompl6tement laiss6s de c6t6 et les nymphes de L6pi- dopt~res en g6n6ral respect6es, saul quand elles r6pondent h u n attou-

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PROCEDE POUR RECOLTER LES PR01ES DES r F. POLYCTENA ~ 65

chement des fou rmis par de violentes cont rac t ions de la par t ie post6- r ieure . De plus, les fourmis s ' a t t aquen t beauco/ap plus h . tout ce qui est au niveau du sol ou pros du sol qu 'h la cime des arbres. Mats WELLEN- STEIN fai t une r e m a r q u e i m p o r t a n t e : il pou r r a i t a r r iver que les che- nilles, par exemple, ne soient pas tu6es imm6dia t emen t ni emport6es au nid, et que p o u r t a n t les F o u r m i s t roub len t p ro fond~ment leur d6velop- pement . I1 a plac~ ainsi sur des feuilles des chenil les de Vanesses que les fourmis ont a t taqu6es sans les tuer . P a r la suite, l 'app6ti t (mesur6 par l '6mission des excr6ments) a beaucoup diminu~ chez les chenil les et la morta l i t6 a d6pass6 de plus de 50 % celle des t~moins. Enfin, WELLENSTEIN a r~alis6 une infes ta t ion artifieielle en d isposant sur les plantes, non loin des fourmil i~res, une grande quanti t6 de chenilles de Vanesses et de Pi6rides du chou. Elles ont ~t6 quasi imm~dia tement d~couvertes, a t taqu6es et tu~es par les fourmis , qui sont sorties en masse et ont explor~ avec soin toutes les plantes apr~s la d6couver te des premi+res chenilles. I1 est vrai que eelles-ei, d'apr~s WELLENSTEIN lui-m~me, 6talent for t agitfes, ne res ta ien t pas sur les plantes et se d ispersa ient dans toutes les direct ions, ce qui exeitait les fourmis .

Quelques pr~lb~vements op~r6s par WELLENSTEIN dans un nid de F. tufa rufopratensis m o n t r e n t que les four rageuses appor ten t su r tou t des motzches ainsi que des coldopt~res petits ou tr~s petits. D 'au t re pa r t , , les" cheni l les para i ssen t tr6s ac t ivement chassdes. Suivant ScHwENKE (1957), F. nigricans t r anspor te beaucoup plus de proies que de mat6r iaux de cons t ruc t ion , alors que c 'est l ' inverse chez rtlfa; il a not~, chez nigricans et tufa, l ' abondance extrfime de Lasizzs et Mgrmica parmi les proies rappor t6es au n i d e t aussi des araigndes (28 h 35 % du total pour ces deux cat6gories) .

WELLENSTEIN a repr is r~cemment (19.65) routes ces recherches avec un grand luxe de pi6ges trbs varies. I1 consid6re que les fourmis r6duisent la popula t ion de quelques macrol~pidopt6res et ten thrddi - nides de plus de 50 % dans un r a y o n de 5 h 35 m du nid. Sur les microldpidopt5res, l 'act ion des fou rmis serait plus faible; elle est nulle sur les. ColdoptSres. Les insectes pr~dateurs et paras i tes sont assez r a r e m e n t capturds. Les Aphidiens h miel lat sont 6v idemment tr6s n o m b r e u x pros des fourmil i~res, ce qui, pa r le fait m~me, at t i re leurs ennemis (Syrphida~ par exemple) .

OTTO (1965) a calcul6 la popu la t ion d 'Ar th ropodes de bois de:pins , d'dpic~as et de ch ines au m o y e n du pidgeage (pi6ges h ras du sol, p laques gluantes) , en c o m p a r a n t les zones r iches en fourmis et celles pauvres en fourmis . Sur 21 600 insectes r6colt~s, un cer ta in nombre de familles n '6 ta ient pas assez nombreuses en reprdsentan ts pour pe rmet t r e une analyse s ta t i s t ique . Les Formica polyctena c o n s o m m e n t beaucoup de mouches, e t les pibges c a p t u r e n t effect ivement moins de Dipt6res dans les zones h fourmis , mais la diff6rence est faible. Pa r contre, les coprophages et saprophages d iminuen t 6norm6ment dans ces zones (Geotrupini). Mais on ne voit pas de changemehts pour les Aran6ides, les H6t~ropt6res, les Curculionides, les Braconides ou les

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Chaleidides. Enfin, Lachnides, Coeeinellides, Staphylinides, Myrm6- cophiles et Lyeoriides augmentent dans les zones h fourmis.

On voit que toutes ces conclusions ne s 'aecordentpas trop bien avee les miennes propres (sauf en ce qui eoneerne le gofit prononc~ pour les mouehes des F. polyctena). Mais que dire de reeherehes effectu~es dans des biotopes diff,!rents, selon des m~thodes qui n 'ont rien de commun ? Peut-~tre pourrais-je ajouter qu'une des m~thodes favo- rites de WELLENSTEIN, eelle de l 'infestation artifieielle, est sujette h de graves critiques. Rien n'est plus d~licat que de r~ussir une implantation d'insectes dans un biotope qui paralt leur convenir; c'est ce que savent t o u s l e s teehniciens de la lutte biologique. WELLENSTEIN remarque que les chenilles de Pi~rides, dont il d~versait une grande quantit~ au milieu d'une zone peupl~e de fourmis, eherchent imm~- diatement h s'6ehapper dans toutes les directions; et parce qu'elles sont en mouvement elles s0nt rapidement attaqu~es par les fourmis. Mais d'habitude les chenilles sont tr~s ealmes et ne bougent gu~re. A-t-on alors le droit de comparer les captures faites par les fourmis apr~s une infestation exp~rimentale ou dans les conditions naturelles ?

Je trois qu'il faudra encore beaueoup de temps et des experiences plus approfondies pour r~gler ees questions de la s~lection des proies chez les fourmis.

R~sum~.

II est possible, h l'aide d 'un appareil simple, de r~colter automati- quement les proies que ram6nent h leur nid les Formica polyctena. On eonstate alors qu'elles eapturent 50 % de Dipt6res, beaucoup d'Hym6nopt6res, mais relativement assez peu d 'animaux de la surface du sol qui vivent pourtant pr6s d'elles h leur contact imm6diat. La chasse continue pendant la nuit.

Summary.

A simple <~ captor �9 apparatus enables the experimenter to collect automatically the booty that ants (F. polyctena) draw to their nest. There are 50 % Diptera, many Hymenoptera, and a surprisingly small quanti ty of surface animals living, however, close to the foraging ants. Predation activity don't stop to night.

BIBLIOGRAPHIE

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