Tristan et Yumi

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ISBN : 978-3-033-06658-8

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la propriété intellectuelle.

Paul Chabot

Tristan et YumiTOME I

La nature est une merveille, celle de l’humanité passé et pré-sente. C’est l’héritage le plus précieux à transmettre aux généra-

tions futures. Ce livre est un hommage à sa beauté, et a avant tout été écrit pour la préserver.

À ceux que j’aimeN.d.A

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I. L’ARCHE

« La bonne politique est de faire croire aux peuples qu’ils sont libres. »

Archive du Ministère de la Vérité.

Une douce lueur vient caresser mes yeux. Les ténèbres s’éclaircissent. Sur ma droite, les hublots de la navette, éclairés par les rayons solaires, dévoilent la majestueuse immensité de l’espace. Sur ma gauche, une ombre inquié-tante m’inspire crainte et dégoût : la Terre. C’était mon foyer et celui de mes ancêtres. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une vaste déchèterie inhospitalière, un caillou stérile qui agrège toutes les erreurs du passé. Recouvrant des continents entiers, de violentes tempêtes obscures agitent toute la stratosphère. Je préfère alors tourner mon regard vers les autres passagers qui demeurent silencieux.

Un large sourire est visible sur chaque visage : nous ne reverrons plus jamais la Terre, et ceux laissé derrière nous continueront à vieillir tandis que nous dormirons paisible-ment. Une vive émotion flotte parmi nous. L’espoir d’une

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vie meilleure efface doutes et regrets. Je fixe devant moi la simulation holographique démarrée par l’ordinateur de bord auquel nous confions nos vies durant le voyage. L’imposante spirale de la Voie Lactée apparaît en trois dimensions.

Depuis notre système solaire, un itinéraire de vingt années lumières se trace parmi les étoiles de la galaxie, avec des repères balisés qui jaillissent devant nous. Dès le passage en vitesse lumière, un chronomètre s’en-clenche : la première seconde, nous passons à proximité de la lune. Après la première heure, Jupiter n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Le temps s’accélère, les mois et les années-lumière s’écoulent. Une peinture se matéria-lise lentement dans l’habitacle de la navette. Des pétales rouges se rejoignent, dans un dégradé de violet, vers l’éclat nacré d’une étoile : c’est la nébuleuse d’Orion, à plus de 1 300 années-lumière de la Terre ; un simple repère sur notre longue route.

Sur le bras du Sagittaire, situé à la périphérie de la galaxie, notre vaisseau commence à ralentir. La faible lueur ocre d’une petite étoile se met alors à luire : une naine rouge. A proximité, une dizaine de corps plané-taires gravite rapidement autour d’elle, comme une nuée d’insectes attirés par la lumière.

La planète la plus éloignée de l’étoile est d’une blan-cheur saisissante : c’est le « Diamant », une rocheuse recou-verte de glace, un trésor inestimable dans la galaxie. Les plus proches semblent plutôt arides et inhospitalières. Soudain, des reflets rouge et vert flottent gracieusement dans la cabine de la navette. Les teintes du « Nuage rubis »,

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une imposante planète gazeuse, révèlent de riches res-sources en hydrogène et oxygène.

La simulation nous approche lentement de « Saphir », une petite goutte bleue perdue dans l’immensité de l’es-pace. Des images extraordinaires apparaissent alors : vallées sillonnées de ruisseaux argentés, scintillement d’un millier de cascades plongeant dans une végétation luxuriante aux reflets d’émeraude et saphir. Des océans s’étendent à perte de vue. Une faune abondante joue à la surface de l’eau, traçant entre les vagues des sillons pourpres et dorés.

L’ordinateur interrompt soudain la simulation, et les cryotubes se ferment lentement sur chacun d’entre nous : un long sommeil de vingt années lumières commence. A notre réveil, nous aurons un nouveau foyer, une nouvelle planète, avec de l’eau et de l’air pur en abondance. La joie m’envahit tandis qu’apparaît la vision d’une jeune fille se roulant dans l’herbe fraîche, riant parmi les merveilles de l’Eden. Elle est très belle et très jeune, pas plus de vingt ans, mais ses yeux trahissent une grande sagesse. Elle me fixe soudain et me lance intensément un regard inquiet et triste.

– Qui est-elle et que me veut-elle, cette enfant ? pen-sais-je, surpris par cette apparition angélique inattendue. Je sens comme une connexion entre nous, une force mys-térieuse qui m’appelle et résonne au fond de mon âme.

Après plusieurs minutes silencieuses à nous sourire mutuellement, elle me murmure enfin :

– Il est temps, Tristan. Réveille-toi !Alors qu’autour de moi, tout le monde reste endormi

pour le grand voyage, une alarme stridente retentit

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soudain, me faisant sursauter seul dans mon cryotube. J’ouvre les yeux et réalise avec tristesse que je ne suis pas dans l’espace, mais dans mon petit appartement de vingt mètres carrés. Une voix douce me répète sans cesse :

– Tristan, réveille-toi ! Il est six heures vingt minutes, il te reste exactement dix minutes pour te préparer… Tristan, réveille-toi ! Il est six heures vingt minutes, il te reste exactement dix minutes pour te préparer…

Une lumière bleue s’intensifie lentement dans l’ap-partement de Tristan. Dans le petit espace encombré de matériel électronique de toute sorte, un léger sifflement d’oiseau couvre le murmure paisible d’un ruisseau. Les murs s’éclaircissent lentement. Sur l’un d’entre eux, un long tube incliné et empli d’une épaisse fumée verdâtre. Un grognement bestial suivi de quelques mots retentit dans le tube :

– Aujourd’hui… cheveux… vert et bleu…, mar-monna avec difficulté la voix endormie de Tristan.

Jaillissant du plafond, une lumière projette au milieu de la pièce l’image d’une jeune femme. La voix sensuelle de la machine annonce, comme sous la dictée :

– Lundi 12 avril 2122. Séquence sommeil désactivée. Séquence nettoyage nanogaz terminée. Modification cor-porelle : cheveux verts et bleus. Félicitations, tu as écono-misé vingt litres d’air cette nuit ! Joyeux anniversaire ! Tu as vingt-quatre ans, Tristan ! Il te reste vingt-six ans à vivre… L’holoscreen me dit que tu as manqué un flash spécial il y a cinq heures, souhaites-tu le visionner ?

En guise de réponse, un nouveau grognement se fait entendre. La paroi translucide du tube glisse par le haut ; le

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nuage de nanogaz se dissipe rapidement ; un pied émerge. Des doigts fins se faufilent entre les mèches bicolores et, tel un papillon, le jeune homme sort de son cocon. Plutôt athlétique et les cheveux mi- longs, la pâleur de sa peau trahissait une consommation d’air de qualité médiocre.

Tristan appréciait tellement son rêve qu’en sortir si brusquement le mit de mauvaise humeur. Sa combinaison enfilée, il s’avance vers une table circulaire d’où surgissent quelques gélules vertes, une sojatab et un cocktail. Il tré-buche à plusieurs reprises sur les antiques pièces éparpillées sur le sol, butin rapporté de ses quotidiennes expéditions en dehors de la ville. Comme tous les matins, Tristan commence par boire une gorgée de frutspeed, à base de nano-vitamines concentrées, avant de dévorer sa barre de soja sucrée. Réalisant que le programme n’avait pas saisi le sens de son précédent grognement, Tristan ordonne en soupirant :

– Lance l’holovideo, chérie !Analysant le ton et le regard grincheux de Tristan,

« chérie » adapte l’atmosphère du petit appartement à l’humeur de son propriétaire. Sous ses pieds, Tristan sent rapidement la douceur de l’herbe fraîchement mouillée par la pluie. Des parfums de lavande et de jasmin flottent délicatement quand soudain, l’holoscreen se met à scintil-ler pendant une fraction de seconde en face de lui.

Apparaît alors sur le mur une vaste foule envahissant une place bordée d’arbres aux fleurs d’or et de pourpre. Une femme habillée selon la dernière mode surgit au premier plan. Ses longues mèches mauves imitent les pétales d’un fuchsia. Sa robe se compose de fines bandelettes couleur

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vert pomme qui bougent et se croisent aléatoirement sur son corps svelte, emprisonnant sa chair nue sous un manteau de tiges et de feuilles. La blancheur des bras, des jambes et du cou rivalise avec l’éclat de jeunes bourgeons qui surgissent à l’extrémité des lianes mouvantes de la robe.

Jugeant la tenue de la journaliste excentrique, Tristan laisse échapper un petit ricanement moqueur, bien que son regard ne puisse aisément se détacher du spectacle captivant que représentait cette robe végétale semblant vouloir dévorer la femme qui osait la porter.

– Chers holospectateurs, nous interrompons nos pro-grammes pour la diffusion sur le réseau fédéral d’un flash spécial d’information. Ici Catherine Ming, en direct du forum de New Toronto où des milliers de citoyens se sont assemblés en cette magnifique journée à l’appel du sénateur Johnson. Candidat à la prochaine élection pour la chancellerie fédérale, l’élu de New Toronto souhaite lancer un message au monde…

Sur une estrade richement décorée surgit un homme en costume sombre et au regard froid. Observant tout autour de lui pendant quelques secondes, il pose les mains sur l’estrade et annonce fièrement :

– Mes très chers concitoyens, je vous ai réuni aujourd’hui pour vous annoncer mon soutien officiel à la loi Colonisation. Ce n’est plus un secret pour personne : cette loi salutaire a pour but de mobiliser en priorité ce qu’il nous reste de ressources pour la réalisation du projet Arche. Le vote qui aura lieu dans trois jours déterminera la survie de l’humanité, et mon devoir est d’informer et

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d’alerter nos chers concitoyens du péril qu’ils encourent en suivant l’idéologie obsolète et fanatique des Intégristes. Il est désormais évident que nous n’avons plus rien de bon à espérer de la Terre, alors que tant d’horizons meilleurs se trouvent désormais à portée de main. La colonisation spatiale n’est pas seulement l’unique moyen que l’huma-nité a de se prémunir de l’extinction, c’est aussi sa destinée glorieuse, le début de son âge d’or. Je vous invite donc à vous joindre à moi dans trois jours pour voter en faveur de la loi Colonisation. Je vous remercie de votre attention.

Rapidement encadré par son service de sécurité, le politicien s’éloigne de l’estrade d’un pas résolu sous les acclamations de ses partisans. L’image de la journa-liste réapparaît, encore plus souriante et lumineuse que précédemment.

– C’était le sénateur Johnson de New Toronto, favori du parti progressiste aux prochaines élections fédérales. J’ai le privilège d’avoir à mes côtés le docteur Thomas Hansen de Reykjavik, concepteur du Projet Arche. Bonjour Docteur Hansen. Avant toute chose, pouvez-vous nous dire ce qui vous inspira un projet si audacieux, et ce que vous ressentez suite à la déclaration du sénateur Johnson ?

– Salutations, citoyenne Ming. Bien entendu, je suis très honoré que le sénateur ait annoncé publiquement son adhésion à la loi Colonisation. Comme vous le savez, la Terre ne dispose pas de suffisamment de ressources pour répondre plus d’une décennie aux besoins de l’humanité. Or, nous avons reçu l’année dernière le message d’une sonde exploratrice nous révélant l’existence du système U-717 - plus communément appelé « Utopia » - à vingt

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années-lumière de la Terre. Parmi les millions de système explorés dans la galaxie depuis un siècle, celui-ci est, selon nos analyses, particulièrement favorable à la colonisation, bien qu’étant très différent du nôtre.

– Quelles sont les particularités du système d’Utopia ? Les holovideos qui foisonnent depuis quelques mois sur le net nous submergent d’images et d’informations toujours plus saisissantes, mais le mystère plane toujours pour la plupart de nos concitoyens…

– Le système d’Utopia possède un petit soleil rouge, qui émet un rayonnement faible, mais suffisant pour une photosynthèse. La végétation y est donc présente, bien que les températures puissent être extrêmes à certaines latitudes. Outre les inépuisables sources de métaux et minéraux, nous avons décelé des ressources en oxygène et en eau pour près de cinquante mille générations de citoyens. Le conseil scientifique fédéral que je préside a donc convenu de sérieusement considérer Utopia comme le système privilégié pour une implantation coloniale durable. Avec mes collègues, nous avons donc élaboré et présenté le Projet Arche, qui inspire la loi Colonisation.

– D’après ce que j’ai pu lire dans la publication offi-cielle du Comité scientifique, il s’agirait d’entreprendre la construction de gigantesques villes spatiales pour per-mettre la migration de nos milliards de concitoyens vers Utopia. Cela semble surréaliste ! Sérieusement, docteur Hansen, des milliards de personnes, voyageant dans l’es-pace ? Et croyez-vous vraiment que l’humanité puisse réunir les ressources nécessaires à la construction de tels vaisseaux ?

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– Tout à fait, Catherine, celles-ci sont estimées à seu-lement quarante-sept pour cent de nos réserves actuelles. Les efforts combinés des travailleurs de chaque cité de la Fédération permettront sans aucun doute de respecter les délais de construction. Les citoyens qui apporteront la plus grande contribution seront bien sûr les premiers à partir pour les colonies. Comme vous le savez, la compétition est déjà rude pour avoir l’honneur de faire partie de la première expédition hors de notre système solaire ! Mais que nos concitoyens se rassurent : personne ne sera oublié, la grande loterie et le lancement de plusieurs Arches aura régulièrement lieu chaque année…

– Parlez-nous plus en détail de l’Arche, docteur. Quel est son fonctionnement et quelles seront les conditions de vie à son bord ?

– Longue de deux cent cinquante sur cent kilomètres de largeur, l’Arche est l’incarnation du génie humain : endurante, indestructible, majestueuse, conquérante. L’intelligence artificielle, Sophia, assurera la survie de cent millions de sleepers et veillera sur eux pendant les sept mille trois cent jours lumières de voyage.

– Jamais un si grand nombre n’aura voyagé si long-temps à bord d’un vaisseau spatial, c’est incroyable, docteur ! Et lorsque l’on pense que d’ici dix ans, les pre-miers colons n’auront effectué que la moitié du voyage lorsque les derniers auront quitté la Terre, on se demande si les Arches peuvent vraiment tenir leurs promesses et se voir confier le destin de toute l’humanité. Pouvez-vous nous expliquer ce qui fait la spécificité de l’Arche, hormis sa taille bien entendu ?

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– Pour des raisons évidentes de sécurité, je ne puis vous révéler toutes ses capacités, seulement vous affir-mer que l’Arche n’est pas un simple véhicule de transport spatial de grande envergure. Nos récentes avancées dans la maîtrise de la fusion nucléaire rendent désormais possible le voyage spatial à vitesse lumière, tandis que cryogénisa-tion et cybernétique feront le reste…

– C’est-à-dire ? – Une nouvelle technologie de cryosommeil permet à

l’esprit du sleeper de rester conscient et connecté au réseau, assimilant pendant les sept mille trois cent jours-lumières les connaissances nécessaires à sa survie et au succès de sa mission. Tout cela, bien sûr, sans l’inconvénient d’avoir à respirer, manger, boire, ni vieillir !

– Et que se passe-t-il au terme du voyage ? – L’Arche est un véritable instrument de conquête :

une fois sa destination atteinte, dix modules coloniaux - ou « jikmandei » comme nous les appelons dans nos usines asiatiques - se détacheront pour amorcer leur descente vers leur site respectif, différentes exoplanètes relativement habitables dans le système. S’interrompra alors sur chaque module la stase de cryosommeil des dix millions de sleepers qui pourront œuvrer à la colonisation, la terraformation, à l’extraction et au stockage des ressources nécessaires pour les futures générations.

– Si je comprends bien, le jikmandei est votre création la plus complexe et la plus aboutie, le futur lieu de vie pour dix millions de citoyens et plusieurs générations qui suivront…Tant de secrets entourent la construction de

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ces Léviathans ! Décrivez-le-nous plus en détail, docteur Hansen.

– Nos holospectateurs peuvent désormais visionner l’article publié par le Comité scientifique fédéral : « Le jikmandei, référence de l’avant-poste spatial de colonisa-tion ». Consultons-le ensemble, voulez-vous ?

Tristan se hâte d’accéder aux données depuis l’interface neuronale reliée à son bracelet. Une partie de son champ de vision est alors occupé par un écran secondaire qui projette une modélisation en trois dimensions du module colonial entamant sa pénétration dans l’atmosphère d’une planète, tel un rapace dont le museau pointe vers le sol. Les explications du docteur Hansen résonnent dans l’esprit de Tristan, fasciné par son voyage virtuel dans les entrailles du vaste engin :

– Comme vous pouvez le voir, le jikmandei adopte la solidité et la forme du diamant, et une fois détaché de l’Arche, sa trajectoire d’approche est calculée pour qu’à l’impact, il s’enfonce de plusieurs dizaines de kilomètres sous la surface de la planète. Cela a notamment pour but d’optimiser la défense et l’utilisation de l’espace habité tout en favorisant l’exploitation des ressources souter-raines. La section moteur, forage et stockage est donc la pointe du diamant. Seule une partie de la colonie, environ quinze pourcent, est émergée à la surface. Le jikmandei est une véritable cité forteresse, protégée par un dôme de quarante kilomètres de diamètre, avec un périmètre de défense de cent vingt-cinq kilomètres. La surface habitable est de mille deux cent kilomètres carrés sur trois niveaux principaux subdivisés en sections. Les colons auront des

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conditions de vie bien supérieures aux nôtres, Catherine, avec services et espaces verts à profusion. Je prévois d’ail-leurs pour eux un accroissement de l’espérance de vie de trente pourcent dès la seconde génération !

– Comment est-ce possible ? – Les colons disposeront des machines les plus sophis-

tiquées, leur garantissant une autosuffisance alimentaire et énergétique, avec une production d’air d’une pureté digne de nos secteurs verts ! De plus, le strict respect des nouvelles lois fédérales sur l’eugénisme et le contrôle des naissances permettra le maintien d’une densité moyenne de quatre mille habitants au kilomètre carré. Rien à voir avec nos mégapoles surpeuplées et polluées ! Vous en conviendrez Catherine, nos colons seront les plus grands veinards de tout l’univers !

– Il n’y a pas de doutes là-dessus, docteur… J’attends, comme beaucoup, le jour où j’embarquerai avec ma famille ! Je comprends mieux désormais pourquoi vous avez baptisé ce système « Utopia ». Et que devient l’Arche après l’installation des colonies sur chacune des planètes ?

– Après la séparation des jikmandei, l’Arche se posi-tionnera dans le système de façon à faciliter les commu-nications avec la Terre et entre les différentes unités colo-niales dispersées, mais aussi pour agir comme poste de surveillance avancé dans un système qui nous est encore partiellement inconnu. Le système d’armement de l’Arche veillera à ce qu’aucune menace, comme des astéroïdes ou formes de vie hostiles potentielles, ne vienne compro-mettre l’entreprise coloniale.

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– Vous avez affirmé que les colons auront une vie meil-leure que la nôtre, une noble vie consacrée à la survie de l’humanité. Que répondriez-vous à vos détracteurs, comme le sénateur Yamamoto, qui clament que le Projet Colonisation n’est – je cite – qu’une grande entreprise de prédation et d’exploitation cupide de ressources, rédui-sant l’humanité à une nuée de sauterelle destructrice qui s’abattrait sur la galaxie ?

– Nous supportons les inepties réactionnaires des Intégristes depuis longtemps, ma chère Catherine, et les liens entre le sénateur et la secte terroriste appelée « Confrérie » n’ont toujours pas été démentis. Ces sédi-tieux passéistes sont prêts à tout pour détruire l’humanité en l’enchainant servilement à la Terre. En réalité, ce sont avant tout des lâches qui refusent de lever les yeux vers les étoiles ! Devrons-nous vivre à jamais parmi des montagnes de déchets pour expier les fautes de nos pères ? Succomber lentement face aux tempêtes de radiations, aux épidé-mies ? Rien de tout cela n’existe, dans le calme impartial de l’espace, où nos errements passés seront définitivement effacés et oubliés. C’est notre ultime chance pour prendre un nouveau départ. Les étoiles nous appartiennent, c’est notre destinée ! Je vous remercie.

– En cette radieuse journée d’avril, le sénateur Johnson et le docteur Hansen affirment leur soutien à la loi Colonisation, soumise au référendum fédéral dans exactement trois jours. Merci docteur, nos concitoyens vous expriment comme moi leur profonde gratitude pour leur avoir rendu espoir, et s’empresseront sans aucun doute

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de voter en faveur de votre merveilleux projet. C’était Catherine Ming, en direct du port de New Toronto.

L’holoscreen disparaît du mur, et Tristan se retrouve seul face à son petit-déjeuner, jusqu’à ce que chérie surgisse à nouveau et proclame :

– Fin du flash spécial d’informations. Le prochain sub pour le secteur 9 est dans trois minutes vingt secondes. Bonne journée, citoyen Outis.

Le petit déjeuner est achevé en un instant. Deux pieds se faufilent dans des bottes noires qui se serrent auto-matiquement. Une chemise noire à brassard rouge est attrapée rapidement. Le pouce presse le digicode, et la porte coulisse.

– C’est ça, bonne journée, répond Tristan nonchalamment.

La porte se referme, tous les sons et lumières de l’ap-partement s’endorment. Un couloir tamisé au plafond par des néons rouges conduit Tristan vers la station du sub. Quelques écrans diffusent en continue divers paysages terrestres perdus : une montagne blanche bordée de sapins, un vol d’oiseaux polychromes au-dessus d’une jungle tro-picale, d’imposantes créatures marines crachant un jet d’eau. Perdu dans ses pensées, Tristan ne prête aucune attention aux informations quotidiennes, transmises chaque matin dans tous les secteurs de New Sidney :

« Lundi 12 avril 2122 : 3 300 candidatures de pro-création étudiées, 2 000 décès, 1 300 déchéances, 350 exécutions. Contrôle maintenance urgente dans le centre de recyclage du secteur 4. Ressources disponibles - 0,7 %, diminution des rations de 0,5 %. »

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Plusieurs collègues silencieux prennent la même direc-tion que Tristan, portant tous la même veste noire à bras-sard rouge avec le chiffre 9 sur le dos. Ils se rejoignent à la station du subterraneus des services de transports publics fédéraux de la ville de New Sidney, plus communément appelés le « sub ». Un panneau indique plusieurs destina-tions : pastille rouge pour les secteurs 9-7, jaune pour les secteurs 6-4, et verte pour les secteurs 3-1.

Comme tous les jours, Tristan sait que son chemin n’ira pas plus loin que le secteur 7. Il ne regarde plus le panneau ; son chemin est toujours le même. Il sait bien qu’à part les secteurs rouges, seuls quelques secteurs jaunes lui sont ouverts, et encore… Le sub de six heures qua-rante-cinq glisse en silence dans la gare du secteur 9 sans qu’aucun son ne se fasse entendre. Le serpent de cinquante mètres ouvre ses portes devant les centaines de travailleurs. Chacun se trouve une poignée à saisir ; les portes se refer-ment ; le sub disparaît dans l’obscurité d’un tunnel. Un droïde libellule virevolte dans le wagon pour contrôler le bracelet de chaque citoyen :

– Veuillez présenter votre bracelet pour le contrôle… Veuillez présenter votre bracelet pour le contrôle… Veuillez présenter…

Il valide l’accès de Tristan, puis continue en répétant inlassablement la même mélodie. A quelques mètres de Tristan, un homme taciturne semble particulièrement nerveux et s’agite en tous sens. Transpirant à grosses gouttes, une forte odeur de sueur et de liqueur artisanale émane de sa personne. Toutefois, les passagers ne prêtent

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pas attention à lui, absorbés par leur holoprogramme matinal.

Lorsque le droïde s’approche de lui, l’individu se met à hésiter en cachant son bracelet sous la manche de sa veste. Le droïde répète inlassablement la même demande, puis, signifiant son impatience, sa carapace passe soudain du bleu au rouge, tandis qu’il annonce :

– Votre manque de coopération me contraint à alerter les autorités. Veuillez attendre à votre place pour recevoir une pénalité.

Soudain, le passager suspect fronce les sourcils et se met à hausser le ton en montrant des signes d’agressivité :

– Je n’ai pas à obéir à un stupide droïde ! Si je veux aller dans le secteur 7, j’irai ! hurle-t-il tout en essayant de repousser et de frapper le droïde libellule.

Les autres passagers reculent, paniqués, peu accoutu-més à être témoins d’une telle violence dans le transport public.

– Veuillez garder votre calme…Vous tentez d’endom-magez la propriété de New Sidney…Votre manque de coopération me contraint à vous infliger une pénalité de cinq cents crédits et à alerter les autorités… Veuillez attendre à votre place et garder votre calme… répond le droïde en virevoltant stoïquement pour éviter les coups de son agresseur.

Celui-ci était loin de garder son calme, évidemment. Du gaz jaillit alors du droïde, qui lui envoie en pleine face un petit nuage orangé. Immédiatement, toute agressivité disparaît, et le passager turbulent s’effondre sous l’effet du gaz tranquillisant avec un large sourire béat.

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Pour apaiser les passagers inquiets, un magnifique lagon bordé de palmiers apparaît sur l’holoscreen du sub, et une douce sérénade chantée par des voix féminines retentit. Les parois du sub semblent exhaler la fraicheur, et un délicat parfum sucré de fleurs trouble les sens. De larges sourires apparaissent, Tristan lui-même se sent comme replongé dans son rêve, en apesanteur au milieu d’une forêt bruissante de vie. La sérénade se fait de plus en plus claire, et une voix murmure avec douceur dans sa tête :

– Tu es exceptionnel, tu peux réussir. De nouveaux mondes sont à portée de main, chaque journée de travail t’en rapproche ! Pour prendre un nouveau départ, tu dois t’envoler vers les étoiles, Tristan. Vivre dans les colonies est ta destinée !

Tristan se mit à contempler les arbres et les oiseaux qui l’entouraient, à respirer plus fort pour mieux sentir l’air pur et les délicieux parfums qui le submergent. Malgré sa vitesse, le sub s’arrête en quelques secondes, sans aucune secousse, et vomit un flot de travailleurs motivés.

Arrivés à la station du secteur 7, trois policiers lourde-ment équipés saisirent le criminel et le menottèrent en le traînant violemment hors du sub. Un policier annonce froidement :

– Citoyen Risha Harddeck, au nom de la loi, je vous arrête. Vous êtes accusé de violation de la loi 35-F, refus d’obtempérer, détérioration des biens de la ville et troubles à l’ordre public. Tout ce que vous direz sera retenu contre vous. Un tribunal populaire prononcera sa sentence dans quelques jours.

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– Je veux juste rentrer chez moi ! Laissez-moi ! Ma femme et mon fils m’attendent et comptent sur moi ! balbutia Risha en sanglotant.

– Votre infraction entraîne une pénalité de cinq cents crédits. Le solde de votre compte est inférieur à mille crédits. Vous n’êtes plus autorisés à accéder aux secteurs de New Sidney, répondit un autre policier tout en soulevant le criminel dont les pieds ne touchaient plus terre.

Dans le sub, le droïde libellule se contente d’annoncer publiquement avant que les portes ne se referment :

– Ceci est un message du Ministère de la Vérité : l’en-dettement est un crime puni par la loi. Citoyens, travaillez plus dur et contribuer à la survie de notre glorieuse société. Vive la Fédération !

Sans dire un mot, Tristan descend timidement du sub en présentant une nouvelle fois son bracelet, validé par le droïde policier. Cela fait bien longtemps que Tristan a appris à contrôler son envie de porter secours aux déchus, les citoyens endettés et rejetés de la cité. L’arrêt de la station donnait sur un carrefour souterrain dominé par un large bâtiment sombre. A son coin droit, le chiffre sept apparaît en blanc sur fond rouge. Un labyrinthe de canalisations crasseuses dominait le mur de béton lézardé que Tristan longeait en silence.

Dans un immense atelier menant sur une place circu-laire, une multitude de travailleurs prodiguait leurs soins à d’imposantes machines alignées sur plusieurs étages de poutres métalliques.

– Une fois remis en état, collecteurs, purificateurs et broyeurs nous assisterons sans relâche dans notre dur

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labeur ! lit fièrement à haute voix Tristan sur une affiche du Ministère de la Vérité.

Les odeurs d’huile synthétique et de sueur, si fami-lières à Tristan, ne quittaient jamais ce lieu qu’il arpentait chaque matin. Au bout de quelques minutes, comme par réflexe, il s’arrête au centre d’une place, près de la statue des héros de la Grande Guerre.

Comme tous les jours, il lève les yeux, cherchant à apercevoir au-delà des centaines de mètres de béton s’éle-vant verticalement jusqu’à la paroi vitrée qui cloisonne les secteurs rouges. C’est le seul moment de la journée où il lui est possible d’apercevoir le ciel artificiel qui illumine les secteurs verts, bien au-dessus, où de petites masses blanches glissent paresseusement sur un ciel rayonnant et limpide. Souriant avec tristesse, les yeux pétillants de désir, Tristan s’exclame alors intérieurement :

– Un jour, je vivrai sous ce ciel magnifique. Dans les secteurs verts, ou dans les colonies… Encore quelques années de travail, et j’y arriverai !

Jamais encore Tristan n’avait visité les secteurs verts. Comme tous les habitants les plus pauvres, il vivait dans les quartiers les plus profonds et lugubres de la ville, et ne rêvait que de s’élever et allonger son espérance de vie. Etant enfant, il avait bien souvent essayé de se faufiler dans un conduit, arpentant aléatoirement les canalisa-tions grimpantes sur les murs de la cité. Mais les tunnels ne menaient jamais nulle part, et Tristan dût chaque fois rebrousser chemin.

Les patrouilles de police sont impitoyables avec ceux qui tentent de tromper le destin, et Tristan ne compte plus

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les amis qui ont été capturé et qu’il ne revit jamais. Leurs visages hantent encore parfois ses rêves, et Tristan aime à penser qu’à défaut d’être libres, ces visages perdus ont trouvé un peu de bonheur. Soudain, une voix caverneuse le fit sursauter :

– Encore à rêver comme chaque matin, Tristan ? Dépêche-toi, on va encore être en retard par ta faute !

– Au lieu de perdre ton temps à regarder le ciel, tu ferais mieux de voir toutes les beautés qui nous attendent dans le sous-sol ! renchérit avec sarcasme une voix plus fluette.

C’étaient Angus Robinson et Su Chi, les deux amis de Tristan qui veillaient sur lui depuis son enfance. Débordant d’énergie et de gentillesse, Angus est un colosse blond de deux mètres, connu de tous pour son calme et sa prudence. Su, plus réservé et nerveux, n’arrive même pas à la hauteur du nombril d’Angus. Malgré leurs tailles et caractères opposés, Angus et Su étaient devenus insé-parables depuis qu’ils avaient tous deux grandis dans la misère et la famine des villes irradiés. Ils racontèrent à Tristan comment ils vécurent sous les ruines de ce qui fut jadis Los Angeles, un cauchemar radioactif laissé par la dernière grande guerre du siècle passé.

Comme des millions d’autres, grandir dans un tel environnement meurtrier leur laissa quelques séquelles : Angus perdit ses deux bras, vite remplacés par des pro-thèses cybernétiques achetées au marché noir. Su est un nain difforme à la peau recouverte de tâches rougeâtres. Leur espérance de vie ne dépasse pas la cinquantaine, comme tous les habitants des secteurs rouges. Su Chi ne

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survivra donc probablement pas plus d’une année ; trois ou quatre en restaient encore à Angus.

Ils avaient recueilli et élevé Tristan qui voyaient plus en eux des parents que des amis. Pour plaisanter, il les appelait parfois « Papa Angus et maman Su », estimant qu’ils for-maient le couple idéal : là où échouaient les imposants bras métalliques d’Angus, l’agilité audacieuse de Su réussissait.

Tristan sortit de ses rêveries et rejoignit rapidement ses deux compères vers l’entrée du sas du secteur 7. Arrivés devant la large porte gardée par des droïdes, ils saluent et imitent la trentaine de collègues s’activant autour des casiers pour s’équiper de leur tenue de travail : nanocom-binaison, respirateurs, gants, grappins et sacoches. Tristan agit silencieusement, appréciant mieux écouter les dis-cussions de ses collègues. L’un d’entre eux demande à son voisin :

– Dis, tu as holovisionné les infos d’hier ? – Oui, cette petite journaliste était vraiment sexy dans

sa nouvelle végérobe. Il n’y a que dans les secteurs verts qu’on trouve de tels trésors ! répondit l’autre en tirant la langue.

– Je te parle de l’Arche, imbécile ! – Ah ! Peu importe ! De toute façon, il n’y aucune

chance qu’on arrive un jour à partir pour les colonies, malgré toutes les belles paroles de ce scientifique ! s’écrie un autre collègue tout en enfilant sa combinaison.

– Comment peux-tu dire ça ? Nous irons tous sur l’Arche, c’est évident ! Et c’est ce que dit le Ministère de la Vérité ! Pour mes enfants, je voterai pour la loi Colonisation ! proclame un autre avec fierté.

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Un droïde libellule passe à proximité de la troupe, et la conversation s’interrompt immédiatement. Le Ministère contrôle strictement chaque paroles et actions des citoyens, qui tous portent un bracelet émetteur et de géolocali-sation. Sans ce bracelet, pas de circulation en ville, pas d’achat ni d’identité. Chacun a depuis bien longtemps pris l’habitude d’être constamment surveillé, dans ses gestes ou ses paroles. Depuis plusieurs générations, les enseignants proclament dans les écoles que la liberté des ancêtres était outrancière et porteuse des germes de l’individualisme et de la guerre. La vraie liberté consiste à vivre en sécurité dans les cité-dômes de la Fédération, à l’abri de toute source de « violence » ou de « mort », des mots devenus nauséeux et tabous.

Nombreux sont toutefois ceux qui se méfient des flashs d’informations du réseau fédéral, mais surtout des yeux et des oreilles des informateurs du Ministère dissimulés au sein même de la population. La liberté d’expression est souvent synonyme de sédition, et Tristan ne compte plus les « Rouges » envoyés au centre de conditionnement suite à une contestation de la propagande officielle. Les dénonciations entre camarades sont monnaie courante et récompensées, car rien n’est plus précieux que la paix et la sécurité.

Tous finissent de se préparer et entrent dans le sas qui se verrouille bruyamment. Une alarme retentit un bref instant, et chacun vérifie une dernière fois la combinaison de son collègue. Des ventilateurs aspirent l’atmosphère pur de la ville, tandis que d’autres expulsent les gaz provenant de l’extérieur : l’oxygène propre est une denrée précieuse

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qu’il ne convient pas de perdre à chaque ouverture de la porte. Derrière la vitre de son bureau, un officier à l’uni-forme nacré salue les travailleurs de la main et fait entendre sa voix par le micro de leurs casques :

– Transfert atmosphérique effectué. Ouverture de la porte du secteur 7 autorisée. Bon courage et bonne chance les gars !

La porte commence à s’ouvrir devant eux, et déjà une violente bourrasque s’infiltre dans le sas et obscurcit immé-diatement la vue. Les différentes équipes sortent les unes après les autres. Celle de Tristan s’apprête à les suivre, admirant un court instant les vents glacés qui pénètrent dans une gigantesque caverne située sous la montagne. C’est là que gisent en contrebas les ruines de l’ancienne ville de White Paradise, source incontournable de maté-riaux et de ressources.

– Vérifiez vos émetteurs, on se perd vite dans cette purée ! dit Angus en disparaissant dans la tempête.

Tristan observe le monde extérieur avaler ses collègues en quelques secondes. Une pluie de flèches givrées s’abat sur la visière de son casque à la seconde où le premier pas est fait au-dehors. Incapable de se fier seulement à son matériel vétuste et capricieux pour l’exploration, il décide de faire appel aux services d’un vieil ami. Il sort alors une capsule rangée dans une poche de sa combinaison et l’active avec son pouce. Une masse organique couleur argentée en surgit aussitôt en prenant la forme d’un petit singe. D’une voix grincheuse, l’étrange créature se tourne vers Tristan et proclame :

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– Salut Tristan, ce n’est pas sympa de me sortir dans des conditions pareilles ! T’as vraiment besoin de moi ? J’aimerais mieux faire ma grasse matinée…

– Salut Clint ! Comme d’habitude, j’ai besoin de tes talents d’éclaireur… Je suis plutôt de mauvaise humeur, alors tâche de ne pas te perdre, cette fois !

– Pas de problème, boss ! Comme tu le dis souvent, je suis le meilleur robot polymorphe de la galaxie !

– C’est parce que je t’ai créé, imbécile, maintenant dépêche-toi de rejoindre Angus et Su, et indique nous le chemin vers le recycleur.

Clint et Tristan s’élancent alors dans l’obscurité. Il n’ose jamais lui avouer, mais Clint est l’invention de Tristan la plus réussie, mise au point chez lui pour avoir un compa-gnon robot l’assistant au quotidien. Composé d’un alliage indestructible de titano-vanadium, ce joyeux compagnon prend la forme animale qu’il souhaite et s’adapte à toutes situations. Il sauva la vie de Tristan plus d’une fois.

Clint n’est toutefois pas une intelligence artificielle. Avant de disparaître dans un centre de conditionnement, un ami qui avait dévalisé une base de données neuronale de New Chicago permit à Tristan d’acquérir la copie numé-rique du cerveau d’un défunt. Doter sa machine d’une âme humaine ressuscitée permettait à Tristan de s’entourer d’un joyeux compagnon loyal et fiable qui égayerait ses journées. C’est donc par hasard que fut ramené à la vie Clint, son plus puissant et fidèle ami. Avec Angus et Su, l’équipe 232 de chasseurs-recycleurs de New Sidney était parmi les plus efficaces de la cité-dôme australe.

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De violents orages grondent continuellement dans cette partie du monde. La porte de la ville se referme rapidement par le haut, scellant la masse métallique à demi-givrée du secteur 7. Au-dessus d’elle, Tristan se sur-prend à lire encore l’antique pancarte qui proclame cha-leureusement « Welcome to New Sidney ». Puis, il observe le sommet du mont Erebus dominant au loin une vaste côte recouverte de givre.

A perte de vue, une pluie sombre et glacée s’abat au loin sur les bâtiments en ruine de White Paradise, ancienne colonie-refuge du 21e siècle. Des montagnes de détritus se déplacent dans les rues désertes en soulevant de fines par-ticules. L’équipe progresse dans un décor cauchemardes-que, mais aucune crainte n’est ressentie, car après tout, ce n’est qu’une journée comme les autres qui commence pour l’équipe 232 de chasseurs-recycleurs de New Sidney, Antarctique.