tribunal administratif du grand-duché de … · administratif le 14 ... front populaire ivoirien,...

13
1 Tribunal administratif N° 36594 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juillet 2015 3 e chambre Audience publique du 4 mai 2016 Recours formé par Monsieur ..., , contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006) ___________________________________________________________________________ JUGEMENT Vu la requête inscrite sous le numéro 36594 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2015 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ..., né le à (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant à L-, ayant élu domicile à l’étude de Maître Ranzenberger sise L-2132 Luxembourg, 24, avenue Marie-Thérèse, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 juin 2015 portant refus de sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ; Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 août 2015 ; Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Sandrine Francis, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 septembre 2015. Vu l’ordonnance du président de la troisième chambre du tribunal administratif du 2 mars 2016, ordonnant aux parties de prendre position moyennant mémoire supplémentaire, par rapport à la situation actuelle en Côte d’Ivoire et plus particulièrement celle après les élections présidentielles d’octobre 2015 ; Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé le 16 mars 2016 au greffe du tribunal administratif ; Vu le mémoire supplémentaire de Maître Arnaud Ranzenberger déposé le 11 avril 2016 au greffe du tribunal administratif au nom et pour le compte de Monsieur ... ; Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ; Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Sandrine Francis, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 avril 2016.

Upload: hakhuong

Post on 13-Sep-2018

218 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

1

Tribunal administratif N° 36594 du rôle

du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juillet 2015

3e chambre

Audience publique du 4 mai 2016

Recours formé par Monsieur ..., …,

contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile

en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36594 du rôle et déposée au greffe du tribunal

administratif le 14 juillet 2015 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ..., né le … à … (Côte

d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant à L-…, ayant élu domicile à l’étude de Maître

Ranzenberger sise L-2132 Luxembourg, 24, avenue Marie-Thérèse, tendant à la réformation

d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 juin 2015 portant refus de sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit

dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal

administratif le 20 août 2015 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Sandrine Francis, en

remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves

Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 septembre 2015.

Vu l’ordonnance du président de la troisième chambre du tribunal administratif du 2 mars

2016, ordonnant aux parties de prendre position moyennant mémoire supplémentaire, par rapport

à la situation actuelle en Côte d’Ivoire et plus particulièrement celle après les élections

présidentielles d’octobre 2015 ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé le 16 mars 2016 au

greffe du tribunal administratif ;

Vu le mémoire supplémentaire de Maître Arnaud Ranzenberger déposé le 11 avril 2016 au

greffe du tribunal administratif au nom et pour le compte de Monsieur ... ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Sandrine Francis, en

remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du gouvernement

Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 avril 2016.

2

En date du 14 novembre 2014, Monsieur ... introduisit auprès du service compétent du

ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection

internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes

complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur ... sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au

Grand-Duché de Luxembourg furent actées dans un procès-verbal du service de police judiciaire,

section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale du même jour.

Monsieur ... fut entendu en date des 15 avril et 18 mai 2015 par un agent du ministère des

Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la

base de sa demande de protection internationale.

A cette occasion, Monsieur ... déclara être originaire de Soubré en Côte d’Ivoire et être de

religion chrétienne. Il précisa qu’avant son départ en 2011, il aurait vécu à Abidjan avec sa mère

et ses deux frères.

Quant aux raisons l’ayant poussé à quitter son pays d’origine, Monsieur ... expliqua avoir

vécu dans un quartier en faveur de l’ancien président, ... et il ajouta que toute sa famille aurait

supporté le parti politique FPI, Front Populaire Ivoirien, parti dont son père et son frère aîné

auraient d’ailleurs été membres. Il précisa plus particulièrement que son frère aîné aurait fait

partie de la milice pro-... et qu’après les élections présidentielles ayant eu lieu fin 2010 en Côte

d’Ivoire, il aurait lutté pour que ... puisse rester à son poste de président. Après la défaite de ...,

les milices d’... se seraient rendues dans les quartiers pro-... et y auraient commis de nombreuses

violences, Monsieur ... ayant encore souligné que toute personne, qui, comme lui et son frère, ne

parlait pas la langue du Nord, à savoir le « Odineka », aurait été sujette à des représailles. Ainsi,

leurs voisins auraient été exécutés et de nombreuses personnes auraient été brûlées. Comme son

frère aurait été connu dans le quartier, il aurait été particulièrement en danger, de sorte que sa

mère lui aurait demandé de quitter le pays. En avril 2011, son frère aîné et lui auraient finis par

quitter la Côte d’Ivoire, alors que sa mère et son frère cadet seraient restés à Abidjan. Monsieur

... affirma ignorer les raisons exactes ayant poussé sa mère à rester en Côte d’Ivoire, tout en

donnant à considérer qu’elle parlerait le Odineka, de sorte qu’elle n’aurait pas eu de problèmes

avec les partisans d’.... Son frère aîné et lui se seraient rendus dans un premier temps au Ghana

où ils seraient restés plus ou moins deux mois, puis au Togo et ensuite en Algérie et au Maroc,

pays dans lesquels ils seraient restés environ un an. En mai 2014, son frère serait décédé en

essayant de se rendre en Europe en traversant la Méditerranée. En août 2014 Monsieur ... aurait

réussi à se rendre en Espagne, puis en France pour finalement déposer sa demande de protection

internationale au Luxembourg.

Par une décision du 15 juin 2015, notifiée par lettre recommandée envoyée le 16 juin

2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa

Monsieur ... que sa demande avait été refusée comme non fondée tout en lui ordonnant de quitter

le territoire dans un délai de trente jours.

3

Le ministre motiva sa décision par la considération que si les raisons qui ont amené

Monsieur ... à quitter son pays d’origine seraient a priori de par leur nature, susceptibles de

tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève, elles ne justifieraient

cependant pas une crainte fondée de persécution au sens de la même Convention, respectivement

de la loi du 5 mai 2006.

Ainsi, le ministre donna à considérer que des faits non personnels, mais vécus par d’autres

membres de la famille ne seraient susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la

Convention de Genève que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un

risque réel d’être victime d’actes similaires, ce qui ne serait cependant pas le cas en l’espèce.

Dans ce contexte, il souligna plus particulièrement que contrairement à son frère, Monsieur ...

n’aurait pas été membre du parti politique FPI et n’aurait par ailleurs pas fait partie d’une milice

combattant pour .... Le ministre considéra ainsi que Monsieur ... n’aurait pas fait état d’un

quelconque problème personnel dans son pays d’origine et que rien ne lui serait personnellement

arrivé.

En se basant sur divers rapports internationaux, le ministre mit encore en exergue les

progrès tangibles en ce qui concerne la situation sécuritaire et économique de la Côte d’Ivoire

depuis le départ de Monsieur ....

Il ajouta que les craintes de Monsieur ... d’être exposé à des persécutions en cas de retour

dans son pays d’origine et ce en raison de son nom ou du fait d’être assimilé à un ancien milicien

seraient purement hypothétiques, de sorte à ne pas tomber dans le champ d’applicat ion de la

Convention de Genève et ce d’autant plus que sa mère et son frère cadet, portant le même nom,

seraient restés en Côte d’Ivoire sans connaître de problèmes.

Le ministre retint dès lors que les faits à la base de la demande de protection internationale

de Monsieur ... ne seraient pas de nature à établir dans son chef une crainte de persécution fondée

sur un des critères retenus dans la Convention de Genève.

Le ministre estima par ailleurs que les faits invoqués à l’appui de la demande ne

constitueraient pas des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2015, Monsieur ... a fait

introduire un recours tendant à la réformation de la décision prémentionnée du ministre du 15

juin 2015 portant refus d’une protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le

territoire contenu dans le même acte.

A titre liminaire, force est au tribunal de constater que la loi modifiée du 5 mai 2006

relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection a été abrogée par l’article

83 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection

temporaire, ci-après désignée par « loi du 18 décembre 2015 ». La nouvelle loi précitée du 18

décembre 2015 a apporté plusieurs changements législatifs notamment au niveau de la procédure

et de la nature des voies de recours en la présente matière. Par ailleurs, la loi du 18 décembre

2015 prévoit dans son article 35, paragraphe (1) de manière générale un recours en pleine

juridiction devant le tribunal administratif contre les décisions du ministre de l’Immigration et de

4

l’Asile prises dans le cadre d’un refus ou de retrait de la demande de protection internationale et

contre l’ordre de quitter le territoire, contrairement à la loi abrogée du 5 mai 2006, qui ne

prévoyait qu’un recours au fond contre la seule décision du ministre portant refus d’accorder un

des statuts de la protection internationale. Or, en ce qui concerne les affaires contentieuses en

cours au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, ce changement législatif quant à la

nature de la voie de recours qui est ouverte, est susceptible, à défaut de dispositions transitoires,

d’entraîner des conflits de lois dans le temps.

En l’espèce, la procédure contentieuse était pendante au moment de l’entrée en vigueur de

la nouvelle loi précitée du 18 décembre 2015. En effet, le recours contentieux contre la décision

déférée a été introduit en date du 14 juillet 2015, tandis que la nouvelle loi date du 18 décembre

2015 et est entrée en vigueur, à défaut de dispositions spécifiques afférentes, trois jours après sa

publication au journal officiel le 28 décembre 2015, c’est-à-dire avant que l’affaire n’ait été prise

en délibéré et que le tribunal n’ait statué. Il se pose dès lors la question de savoir quelle loi est

applicable en l’espèce et plus particulièrement quelle voie de recours était ouverte à l’encontre

des décisions déférées.

Conformément au droit commun, les lois de droit judiciaire privé entrent en vigueur à la

date qu’elles fixent ou à défaut, trois jours après leur publication. Or, ce principe n’est pas

transposable de manière aussi évidente s’agissant de l’application de la nouvelle loi aux

instances en cours, qui par hypothèse, ont débuté sous l’empire de la loi ancienne. En principe, la

nouvelle loi a vocation à s’appliquer immédiatement à ces instances et cela quel que soit son

objet1. Ainsi, tant la jurisprudence française que luxembourgeoise s’accordent à dire que, sauf

s’il n’en a été autrement disposé par le législateur, toute loi nouvelle de compétence et de

procédure s’applique aux instances qui sont en cours au jour de son entrée en vigueur, à moins

qu’une décision sur le fond ait été rendue2.

Toutefois, le principe de l’application directe de la nouvelle loi connaît des exceptions.

Ainsi, la loi ancienne de compétence continue à s’appliquer lorsque, au moment de l’entrée en

vigueur de la loi nouvelle, la juridiction saisie a déjà rendu une décision intéressant le fond de

l’affaire. La loi ancienne doit également continuer à s’appliquer lorsque la loi nouvelle met en

cause le fond du droit3. Or, l’existence d’une voie de recours est une règle de fond du droit

judiciaire et non pas une règle de forme4. Dès lors, la survie de la loi ancienne joue également en

matière de voies de recours. La nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se

contente de modifier les formes ou la procédure du recours, mais elle ne l’est pas lorsqu’elle

affecte la recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où

la décision a été rendue. En résumé, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de

mesures transitoires, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée5.

En l’espèce, par l’article 83 de la nouvelle loi précitée du 18 décembre 2015, le législateur

1 Loïc Cadiet, Emmanuel Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec, 5e édition, p.11, n°19. 2 Encyclopédie Dalloz, Procédure, V° Conflits de lois dans le temps, n° 132 et 133 et voir dans le même sens : trib.

adm. 25 juin 2009, n°24354 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Lois et règlements, n° 39. 3 Loïc Cadiet, Emmanuel Jeuland, op. cit., n°20. 4 Jurisclasseur, Procédure, Vol. 2, fasc. 61, n°72 et voir en ce sens : Cour adm. 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle,

Pas. adm. 2015, V° Lois et règlements, n° 38. 5 Jurisclasseur, Procédure, Vol. 2, fasc. 61, n°72.

5

s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 5 mai 2006 dans son intégralité, sans

prévoir de dispositions transitoires. Ainsi, à défaut par le législateur d’en avoir autrement

disposé, l’existence et la nature du recours ouvert en l’espèce, sont régies par la loi du 5 mai

2006.

1) Quant au recours en réformation introduit contre la décision du ministre du 15 juin

2015 portant refus d’une protection internationale

Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006, applicable en l’espèce d’après les

principes retenus ci-avant, prévoit un recours au fond en matière de demandes de protection

internationale déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du

recours en réformation, lequel est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes

et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reprend les faits tels qu’exposés lors de son

audition auprès de la direction de l’Immigration.

Quant au fond, le demandeur fait plaider que la décision ministérielle sous analyse devrait

encourir la réformation pour violation de la loi sinon pour erreur manifeste d’appréciation des

faits, alors que contrairement à l’appréciation ministérielle, il aurait fait état d’une crainte fondée

et actuelle de persécution pour l’une des causes énumérées à l’article 1er section 1 §2 de la

Convention de Genève et aux articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006, le demandeur donnant à

considérer qu’une appréciation plus juste des éléments de la cause aurait dû conduire le ministre

à retenir l’existence de persécutions intolérables l’empêchant de mener une vie décente dans son

pays d’origine. En affirmant qu’il n’existerait pas de définition unanimement acceptée du terme

de « persécutions », le demandeur, en se basant notamment sur les conclusions du Comité

exécutif du HCR et sur la doctrine, souligne qu’il y a lieu de parler de persécution non seulement

en cas de survenance d’un fait unique de grave maltraitance, mais également d’un faisceau

d’éléments respectivement comportements menaçants de nature à entraîner une crainte sérieuse

dans le chef de celui qui les subit.

En ce qui concerne la preuve des faits avancés, le demandeur se réfère à la position du

Conseil de l’Europe du 4 mars 2004 selon laquelle, une fois que la crédibilité des déclarations du

demandeur aura été suffisamment établie, il ne serait pas nécessaire de chercher la confirmation

détaillée des faits invoqués.

Le demandeur souligne ensuite qu’il éprouverait de réelles craintes de persécutions dans

son pays d’origine, à savoir d’être victime des agissements des membres du parti politique

actuellement en place. A cet égard, il rappelle que son frère aurait été connu dans le quartier pour

faire partie de la milice pro-... et que sa famille serait connue pour être affiliée au parti politique

FPI. Il ajoute que les persécutions et attaques perpétrées par les milices pro-... ne cibleraient pas

exclusivement les miliciens pro-..., mais également les membres de famille de ces miliciens, les

membres du parti FPI, ainsi que les personnes habitant dans les quartiers pro-..., de sorte qu’il

serait particulièrement exposé aux violences des milices pro-....

Le demandeur fait encore plaider que les auteurs des persécutions dont il se prévaut

6

seraient à qualifier d’agents de persécution au sens de la Convention de Genève dans la mesure

où il ne pourrait chercher aucune protection auprès des forces de police ou encore auprès des

autres autorités en place dans la mesure où ces persécutions, arrestations et tortures ne seraient en

rien réprimées par le pouvoir en place ou par ses organes, lesquels laisseraient cette situation

inhumaine perdurer, le demandeur se prévalant à cet égard d’un rapport d’Amnesty International

de février 2013 intitulé « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs. La situation des droits humains

deux ans après la crise post-électorale ».

Le demandeur estime encore que les faits dont il aurait fait état seraient suffisamment

graves pour lui permettre de bénéficier d’une protection internationale.

Il fait en outre valoir que toute fuite interne s’avérerait impossible, alors que la « chasse »

aux partisans de ... serait lancée sur tout le territoire ivoirien et qu’aucune ville ou région ne

serait épargnée. Il existerait dès lors une impossibilité matérielle, sinon morale de procéder à son

retour contraint et forcé dans son pays d’origine.

Dans son mémoire supplémentaire relatif à la situation actuelle en Côte d’Ivoire, le

demandeur souligne que la période précédant les élections de 2015 aurait été émaillée par de

nombreux affrontements entre militants du parti au pouvoir et ceux de l’opposition , faisant trois

morts et une dizaine de blessés.

En se prévalant de divers rapports internationaux, dont un rapport du Conseil de Sécurité

des Nations Unies intitulé « Trente-septième rapport du Secrétaire général sur l’Opération des

Nations Unies en Côte d’Ivoire » du 4 avril 2016, le demandeur fait plaider que la situation

sécuritaire post-électorale serait toujours extrêmement tendue, le demandeur faisant état d’un

mort et de quatre blessés, ainsi que de civils déplacés suite à des violences intracommunautaires

entre les membres des communautés Diuda et Malinké dans le village de Neko, d’un mort et de

plusieurs blessés suite à des affrontements entre deux syndicats d’étudiants ainsi que de trois

attaques armées contre les Forces républicaines de Côte d’Ivoire. Il souligna encore qu’au début

de l’année 2016, de nouvelles attaques auraient eu lieu dans une station balnéaire très prisée,

attaques revendiquées par Al-Qaïda au Maghreb islamique. Toujours en se prévalant de rapports

internationaux, le demandeur donne à considérer que les forces de l’ordre ivoiriennes se

rendraient également coupables d’exactions et de violences envers des civiles et il affirme que

les droits de l’Homme seraient bafoués en toute impunité dans son pays d’origine. Ainsi, il

résulterait du rapport prémentionné du Conseil de sécurité des Nations Unies qu’entre le 1er mai

et le 18 décembre 101 cas de violation des droits de l’Homme auraient été recensés, dont des

meurtres, des actes de torture ou des atteintes à l’intégrité physique et des arrestations et

détentions illégales ou arbitraire. De même, le taux de criminalité resterait préoccupant et

constituerait un facteur d’instabilité, le demandeur mettant encore en exergue les violentes

attaques terroristes qui feraient rage sur le territoire ivoirien.

Le demandeur soutient ainsi que malgré la volonté de l’Etat ivoirien de tenter de mettre un

terme à cette propagation de violences sur son territoire, il ne réussirait pas à contenir et mettre

un frein à l’ensemble des attaques perpétrées. Il ne lui serait dès lors pas possible d’échapper aux

violences dans son pays d’origine, de sorte qu’un quelconque retour dans ce même pays serait

inconcevable.

7

Le demandeur conclut dès lors à la réformation de la décision ministérielle lui refusant le

bénéfice du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la

situation des demandeurs et conclut ainsi au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection

internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la

protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout

ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du

fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son

appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne

peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride

qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence

habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015: « Les

actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève

doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour

constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits

auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou

b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de

l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce

qui est indiqué au point a). […] »

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015: « Les acteurs des

persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire

de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et

b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une

protection contre les persécutions ou atteintes graves. »,

et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou

les atteintes graves ne peut être accordée que par :

8

a) l’Etat, ou

b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent

l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir

une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non

temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au

paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution

ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif

permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou

une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie

importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le

ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de

l’Union européenne en la matière. »

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de

réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des

critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion,

la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes

sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre

2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40

de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des

personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés

aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas

accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut

pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait

qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne

saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du

18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être

persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que

le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait

que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une

présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays

d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la

justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront

pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard

des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans

son pays d’origine.

9

Le tribunal constate de prime abord que le ministre n’a pas mis en doute la crédibilité du

récit du demandeur, de sorte qu’il y a lieu de retenir les faits comme étant avérés.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions auprès de la

direction de l’Immigration, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure

contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que Monsieur ... reste

en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son

chef une crainte actuelle fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité,

de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social susceptibles de lui

ouvrir droit au statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre

2015.

En effet, si les faits dont le demandeur fait état, sont certes a priori susceptibles de tomber

dans le champ d’application de la Convention de Genève, dans la mesure où ils trouvent leur

origine dans les opinions politiques de Monsieur ... ou des opinions politiques lui attribués en

raison de l’affiliation de son père et de son frère aîné au parti politique FPI et des agissements de

son frère dans la milice pro-..., l’instruction de la demande sous analyse ne permet cependant pas

de conclure que les faits allégués peuvent s’analyser comme des actes de persécutions ni de

considérer que le demandeur puisse être exposé à des persécutions dans le cas d’un retour dans le

pays dont il a la nationalité étant souligné à cet égard que l’article 43, paragraphe (2) de la loi du

18 décembre 2015 prévoit qu’il est indifférent si un demandeur de protection internationale

possède effectivement la caractéristique liée à ses opinions politiques, pour autant que cette

caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de persécution, ce qui au vu de la situation décrite

par le demandeur est le cas en l’espèce.

Force est cependant de constater qu’outre le fait que le demandeur ne fait pas état d’un seul

problème personnel qu’il aurait eu avec les autorités ivoiriennes, mais se prévaut, pour justifier

sa demande de protection internationale, d’un côté des agissements de son frère, et de l’autre

côté d’actes de persécutions dont la population pro-... a été victime en général, les persécutions

dont il se prévaut, si elles sont certes a priori assez graves pour être qualifiées d’actes de

persécutions au sens de la Convention de Genève, se situent exclusivement dans le contexte

particulier des élections présidentielles de l’année 2010. Ainsi, et s’il est dès lors vrai qu’au

moment de son départ de la Côte d’Ivoire, il été a priori exposé à de tels actes de persécutions et

ne pouvait a priori pas prétendre à une protection adéquate des autorités en place, dans la mesure

où les persécutions en question ont été commises par ces mêmes autorités, il n’en reste pas moins

qu’il résulte des pièces versées en cause, de même que des explications circonstanciées de la

partie étatique que la situation en Côte d’Ivoire a fondamentalement changée depuis 2010.

En effet, ... a été réélu comme président en date du 25 octobre 2015, élections qui d’après

le rapport préementionné du Conseil de Sécurité des Nations Unies intitulé « Trente-septième

rapport du Secrétaire général sur l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire » du 4 avril

2016 peuvent être qualifiées de crédibles dans la mesure où elles se sont déroulées dans un

climat calme et ordonné. S’il est certes vrai qu’il résulte du même rapport que la période

précédant les élections a été marquée par quelques incidents violents opposant les partisans de ...

et ceux d’..., incidents ayant causé la mort de trois personnes et plusieurs blessés, il n’en reste pas

10

moins que depuis l’annonce de la réélection d’... de tels incidents opposant les partisans de ... et

ceux de l’actuel président n’ont plus eu lieu. Il résulte d’ailleurs des explications de la partie

étatique, basées sur divers rapports internationaux, qu’... a fait de la réconciliation nationale une

priorité pour son deuxième mandat et a ainsi libéré plus de 3000 personnes ayant été détenues

suite aux violences ayant eu lieu après les élections de 2010. De même, les citoyens ivoiriens qui

s’étaient réfugiés au Libéria sont entretemps libres de rentrer dans leur pays d’origine.

En ce qui concerne les incidents mis en avant par le demandeur dans son mémoire

supplémentaire, force est de constater que ceux-ci sont étrangers au conflit entre les partisans de

... et ceux de ..., mais se limitent à des incidents certes fortement condamnables, mais isolés à

savoir des violences intracommunautaires entre les membres des communautés Diuda et Malinké

dans le village de Neko, des affrontements entre deux syndicats d’étudiants ainsi que trois

attaques armées contre les Forces républicaines de Côte d’Ivoire, respectivement une attaque

terroriste dans une station balnéaire qui laissent paraître une certaine instabilité en ce qui

concerne la situation sécuritaire générale en Côte d’Ivoire. Il résulte cependant des explications

de la partie étatique appuyées par un rapport de l’« UN News Service » intitulé « Election in Côte

d’Ivoire opportunity to “start a new chapter “, Un envoy tells Security Council » du 13 janvier

2016, que la situation sécuritaire en Côte d’Ivoire s’est néanmoins nettement améliorée au cours

de ces dernières années et que statistiquement de moins en moins de crimes violents sont

enregistrés malgré certaines attaques ayant frappé l’ouest du pays.

Il résulte des observations qui précèdent que la situation sécuritaire générale en Côte

d’Ivoire a connu une nette amélioration et que par ailleurs, les affrontements entre les partisans

de ... et ceux d’... ont a priori complètement cessé, et ce notamment en raison des efforts de

cohésion nationale du président réélu en 2015, de sorte que le tribunal est amené à conclure que

les craintes dont le demandeur fait état s’analysent en substance en un sentiment général

d’inquiétude et d’insécurité par rapport à sa situation dans son pays d’origine, sentiment qui ne

saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le

recours en réformation est à rejeter comme non fondé dans la mesure où il est dirigé contre le

refus ministériel d’accorder le bénéfice du statut de réfugié à Monsieur ....

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en reconnaissance du

statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un

statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du

18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout

ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais

pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était

renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait

sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article

48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne

ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection

de ce pays ».

11

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et

c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou

dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et

individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de

conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions

que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application

de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses

envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes

puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé

que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui

conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la

protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire

que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes

graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des

atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des

atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été

le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple

que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le

pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la

justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se

reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur

l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes

graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque les mêmes

motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié en

insistant plus particulièrement sur la situation sécuritaire fragile qui règnerait en Côte d’Ivoire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

Au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du

statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que les faits et motifs invoqués par le demandeur

manquent de fondement, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments

susceptibles d’établir, sur la base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de

croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir

des atteintes graves au sens de l’article 48 précité. Plus particulièrement, le demandeur reste en

défaut d’établir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait la peine de mort ou

l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des

menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en

cas de conflit armé interne ou international. Dans la mesure où il a été retenu que les faits

invoqués par le demandeur ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de

Genève, respectivement n’atteignent pas le degré de gravité requis, le demandeur ne saurait faire

12

valoir un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants visés par l’article 3 de la

CEDH alors que, tout comme la notion de « réfugié », celle de « personne pouvant bénéficier de

la protection subsidiaire » implique nécessairement des atteintes graves, ou à tout le moins le

risque d’atteintes graves.

Il s’ensuit en l’absence d’autres éléments que c’est à juste titre que le ministre a retenu

que le demandeur n’a pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait

le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et

qu’il lui a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 g) de ladite loi.

A vu des conclusions dégagées ci-avant, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au refus dirigé contre la décision ministérielle du 15 juin 2015 portant ordre de

quitter le territoire

Tel que précisé ci-avant, l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006, applicable

en l’espèce selon les principes dégagés ci-avant, prévoit un recours en annulation contre l’ordre

de quitter le territoire du ministre de sorte que le tribunal est compétent pour en connaître en la

présente matière. Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la

loi, est recevable.

Dans le cadre du recours en annulation, l’analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu’à

la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision

déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date à laquelle il

statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise6. Par voie de

conséquence, c’est la loi du 5 mai 2006 qui est applicable au recours en annulation intenté contre

la décision du ministre du 15 juin 2015.

Le demandeur soutient qu’il y aurait une impossibilité matérielle, sinon morale de procéder

à son retour forcé en Côte d’Ivoire et que le ministre aurait par ailleurs commis une erreur

manifeste d’appréciation sinon un excès de pouvoir.

Aux termes de l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, « Une décision

négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai

2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre

déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de

quitter est la conséquence automatique du refus de séjour.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté

la demande de protection internationale du demandeur, il a également valablement pu assortir

cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Pareillement, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur n’a pas

établi encourir un risque de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève et de la

loi du 5 mai 2006 ou encore des atteintes graves au sens de la même loi, la seule affirmation de

6 TA 23 mars 2005, n° 19061 du rôle, Pas. Adm. 2015 v° Recours en annulation, n°18 et les références y citées.

13

l’existence d’une impossibilité matérielle ou morale d’un retour forcé n’est pas de nature à

mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire.

Quant au reproche d’une erreur manifeste d’appréciation ou d’un excès de pouvoir, celui-ci

est, à défaut d’autres précisions et au regard du constat que l’ordre de quitter est la conséquence

légale du refus d’une protection internationale dont le tribunal vient de retenir le bien-fondé, à

rejeter.

A défaut d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs,

le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du

15 juin 2015 portant refus d’un statut de réfugié et d’une protection subsidiaire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président,

Thessy Kuborn, premier juge,

Géraldine Anelli, attaché de justice,

et lu à l’audience publique du 4 mai 2016, par le vice-président, en présence du greffier

Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens

Reproduction certifiée conforme à l’original

Luxembourg, le 4 mai 2016 Le greffier du tribunal administratif