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Sommaire

Première demi-journéeQuelles sont les origines et l’évolutionde la loi du 17 juillet 1978 ? 7Sous la présidence de RENAUD DENOIX DE SAINT MARC,vice-président du Conseil d’État, Président de l’IFSA

Accueil de MICHÈLE PUYBASSET 9présidente de la CADA

La transparence : vertus et limites 11RENAUD DENOIX DE SAINT MARC,vice-président du Conseil d’État, président de l’IFSA

Conception et élaboration de la loi du 17 juillet 1978 19FRANCK MODERNE, professeur à l’universitéde Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Table ronde : La genèse de l’élaborationdu droit d’accès en FrancePrésidence : ROLAND DRAGO, membre de l’Institut 51Intervenants :– MICHEL AURILLAC, ancien ministre 53– RAYMOND FORNI, ancien président de l’Assemblée nationale 57– MICHEL COMBARNOUS, président de section au Conseil d’État 60– JEAN-PAUL AMOUDRY, sénateur de la Haute-Savoie 64– MICHEL GENTOT, président de la CNIL 67– BRUNO LASSERRE, conseiller d’État, président suppléant de la CADA 70

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Deuxième demi-journéeQuelles sont les pratiques des administrations ? 79Sous la présidence de MICHÈLE PUYBASSET, présidente de la CADA

Introduction 81MICHÈLE PUYBASSET, présidente de la CADA

Les pratiques administratives 83JACQUES CHEVALLIER, professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II)directeur du CERSA-CNRS

Le cas particulier des collectivités locales :analyse à partir de l’exemple de la région centre 99BÉNÉDICTE DELAUNAY, professeure à l’université de Tours (LERAD)

Table ronde : Comment mieux satisfaireles attentes des usagers ?Présidence : LAETITIA VAN EECKHOUT, journaliste au Monde 111Intervenants :– JEAN-CLAUDE BOURQUIN, représentant de l’association

UFC/Que choisir ? 114– CHRISTIAN COMOLET-TIRMAN, sous-directeur à la direction

générale des Impôts 119– MARC DUPONT, membre de la mission interministérielle pour la lutte

contre le cancer, ancien chef du département des droits du malade(AP-HP, direction générale) 123

– HÉLÈNE STROHL, inspectrice générale des affaires sociales 127– PHILIPPE WARIN, directeur de recherche au CNRS, directeur

du CERAT (IEP de Grenoble) 130

Table ronde : À propos de quelques exemplesétrangersPrésidence : JEAN-PAUL COSTA, vice-président

de la Cour européenne des droits de l’homme 133Intervenants :– ULF ÖBERG, maître de conférence, université de Stockholm,

ancien référendaire de M. le juge Hans Ragnemalmà la Cour de justice des Communautés européennesL’exemple suédois 135

– NICOLE DE MONTRICHER, CERSA, université de Paris IIL’exemple américain 142

– ANDRÉ OUIMET, directeur des affaires juridiques du commissaireau lobbyisme du Québec et ancien secrétaire généralde la commission d’accès à l’information du QuébecL’exemple québécois 148

– MARIA ALEXANDRA SANDULLI, professeur à l’université de RomeL’exemple italien 164

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– DAVID CAPITANT, professeur à l’université de Paris I :L’exemple allemand 169

– Professeur GÉRARD DRUESNE, directeur général de l’Instituteuropéen d’administration publique (IEAP) à Maastricht (NLLe régime communautaire d’accès aux documents) 175

Clôture de la première journée 183Allocution d’HENRI PLAGNOL, secrétaire d’État à la Réforme de l’État

Prix du meilleur mémoire 189

Troisième demi-journéeQuelles limites au droit d’accès ? 193Sous la présidence de Henri Leclerc, avocat à la Cour

Accès aux documents et vie privée 195ROSELINE LETTERON, professeur de droit public, membre de la CADA

Secrets régaliens : le cas du secret défense 205MARC GUILLAUME, maître des requêtes au Conseil d’État,directeur des affaires civiles et du sceau

Débat avec la salle 215

La fin du secret dans le temps : l’accès aux archives 217ANTOINE PROST, professeur émérite à l’université de Paris I,membre de la CADA

Table ronde : Économie, environnement : entre secretet transparencePrésidence : BRUNO LASSERRE, conseiller d’État,président suppléant de la CADA 227Intervenants :– NOËL CHAHID-NOURAÏ, avocat à la Cour 230– BRUNO DELOR, ingénieur général de l’armement 236– CHRISTIAN GARBAR, professeur de droit public à l’université

François-Rabelais de Tours, doyen de l’UFR droit, économieet sciences sociales 240

– NICOLE LEROUSSEAU, professeur de droit public, université de Tours 248– BENOIST BUSSON, juriste, responsable associatif 262

Débat avec la salle 267

Quatrième demi-journéeQuelles perspectives ouvertespar les nouvelles technologies ? 275Sous la présidence de DIEUDONNÉ MANDELKERN,président de section honoraire au Conseil d’État

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Du document administratif à la donnée publique 279HERBERT MAISL, Conseiller d’État

La directive européenne sur les données publiques 287PIERRE-YVES MONJAL, professeur de droit à l’université de Franche-Comté

Débat avec la salle 299

Table ronde : De l’information des usagersà l’exploitation commerciale des données publiquesPrésidence : DIEUDONNÉ MANDELKERN, président de sectionhonoraire au Conseil d’État 305Intervenants :– JEAN-YVES CHÉROT, professeur à l’université de droit,

d’économie et des sciences d’Aix-Marseille 306– XAVIER LECLERC, Experian, Data Protection manager 315– BERTRAND LÉVY, ingénieur général des ponts et chaussées,

directeur général de l’IGN 318– BRUNO MARTIN LAPRADE, conseiller d’État, président du comité

du service public de diffusion du droit par l’internet 321– ANDRÉ SANTINI, ancien ministre, député-maire d’Issy-les-Moulineaux 325

Synthèse 329JACQUELINE MORAND-DEVILLER, professeur à l’université Paris IPanthéon-Sorbonne

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Première demi-journéeQuelles sont les origineset l’évolution de la loidu 17 juillet 1978 ?Sous la présidence de RENAUD DENOIX DE SAINT MARC,

vice-président du Conseil d’État, Président de l’IFSA

Accueil

MICHÈLE PUYBASSET,présidente de la CADA

J’ai le plaisir et l’honneur, en tant que Présidente de la Commissiond’Accès aux Documents Administratifs de vous accueillir pour ce col-loque du 25e anniversaire de la loi du 17 juillet 1978, auquel Monsieur lePrésident de la République a bien voulu accorder son haut patronage etle ministre chargé de la Réforme de l’État son soutien.

Je me réjouis de vous voir si nombreux venus fêter cet anniversaire.

Je dois d’abord quelques mots de remerciement à ceux qui ont permisque se tienne cette réunion et/ou vont contribuer à son déroulement.

Merci à Monsieur Christian Poncelet, Président du Sénat qui a bienvoulu nous accueillir au Palais du Luxembourg.

Merci à Renaud Denoix de Saint Marc, Vice-Président du Conseil d’Étatet Président de l’Institut Français des Sciences Administratives qui aaccepté le thème « Transparence et Secret » pour le colloque annuel del’IFSA.

Merci à Jean-Marc Sauvé, Secrétaire général du Gouvernement, qui apermis le financement de cette rencontre.

Merci à mes prédécesseurs à la tête de la CADA, Dieudonné Mandelkern,Michel Gentot, Jean-Paul Costa d’avoir bien voulu accepter de partageraujourd’hui ou demain la responsabilité des tables rondes.

Merci aux éminents professeurs des universités qui s’intéressent authème de la transparence administrative et vont faire devant nousaujourd’hui et demain des communications ou des interventions dansles tables rondes ou encore la synthèse de nos travaux.

Je citerai particulièrement trois d’entre eux, Roselyne Letteron de ParisXIII, Jacques Chevallier de Paris II, Bénédicte Delaunay de l’universitéRabelais à Tours, qui ont mis depuis plus d’un an leurs étudiants ouleurs chercheurs au travail sur des sujets susceptibles d’éclairer notrelanterne, et qui vont nous faire profiter des résultats de ces travauxdans leurs communications.

Enfin je veux remercier Monsieur Henri Plagnol, Secrétaire d’État à laRéforme de l’État qui viendra ce soir clôturer notre première journée.

Mais je me dois également de rappeler que si vous êtes si nombreuxaujourd’hui, nous le devons principalement aux organes de presse et

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revues qui ont gracieusement contribué à faire connaître la tenue decette manifestation.

Je citerai en premier lieu le Journal Le Monde qui a accepté d’être notrepartenaire et dont une journaliste Laetitia Van Eeckhout présidera cetaprès-midi la table ronde sur les attentes des usagers. Je veux men-tionner aussi le soutien de la revue Actualité Juridique Droit Adminis-tratif qui a consacré une partie de son numéro du 14 juillet au droitd’accès. Ce numéro vous est, je crois, distribué gratuitement ; et enfincelui de la Gazette des Communes qui nous a accompagné dans lesdémarches d’organisation et qui publiera les actes du colloque quiseront envoyés gracieusement aux participants.

Enfin je veux remercier les véritables artisans de la réussite. de ce col-loque, Jean-Claude Bonichot, Secrétaire Général de l’IFSA, SophieBoissard, Rapporteur général de la CADA, Christine Hugebeart secré-taire de l’IFSA, Jean-Patrick Lerendu, Secrétaire général de la CADA etMadame Petruv pour son aide si efficace.

Avant de passer la parole au Président de l’IFSA, je voudrais dire enquelques mots comment est née l’idée de ce colloque.

Plus que par le désir de fêter un jubilé la CADA a été animée par celuid’en savoir plus sur la manière dont fonctionne réellement le systèmeinstitué il y a 25 ans par la loi, au regard notamment des objectifs detransparence qu’elle lui avait assignés. Elle a également souhaité sedemander si, en s’inspirant éventuellement des modèles étrangers, cesystème ne pourrait pas être amélioré dans son efficacité, et aussi réflé-chir à son évolution possible compte tenu des nouveaux enjeux liés audéveloppement de l’administration électronique et à la future directiveeuropéenne sur la réutilisation des données publiques. Pour le dire enpeu de mots, elle a souhaité saisir l’occasion de ce 25e anniversairepour dresser un bilan critique de ces 25 ans d’application de la loi, etenvisager les perspectives ouvertes pour l’avenir. C’est dans ce butque se succèderont pendant ces deux jours communications, tablesrondes et débats.

Je souhaite à tous, intervenants et auditeurs un très fructueux col-loque, et je passe la parole à Renaud Denoix de Saint Marc.

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La transparence :vertus et limites

RENAUD DENOIX DE SAINT MARC,vice-président du Conseil d’État, président de l’IFSA

1. Nous voici réunis pour célébrer le 25e anniversaire de la loi du 17 juil-let 1978 qui a institué un droit d’accès aux documents administratifs enfaveur du public et, comme il se doit en pareille circonstance, pourapprécier les effets que cette loi a pu produire, pour comparer nosenseignements avec ceux qu’on peut tirer d’expériences étrangères etpour envisager l’avenir.

Je me félicite que la CADA, qui est à l’origine de cette initiative, ait invitél’IFSA à s’y associer, car il s’agit là d’un thème particulièrement intéres-sant d’étude et de recherche. C’est donc bien volontiers que j’aiaccepté la charge d’ouvrir ce colloque.

Je commencerai par un bref rappel du passé, en guise d’introduction.

L’idée que l’action de l’administration doit être publique, que ses déci-sions, pour pouvoir être appliquées, ne peuvent rester secrètes, est fortancienne et a donné lieu à l’élaboration du régime juridique des mesu-res de publicité des décisions administratives. En revanche, la revendi-cation d’un droit d’accès des citoyens aux documents administratifs,indépendamment du processus décisionnel, est beaucoup plusrécente. C’est au cours des années 60 que la demande s’est manifestéechez nous. Trois arguments étaient avancés au soutien de cettedemande : le public, de mieux en mieux éduqué, a « le droit desavoir » ; l’administration, critiquée pour son goût du secret, a intérêt àaméliorer son image en ouvrant ses dossiers ; l’accès à l’informationdétenue par l’administration est un moyen de faire adhérer l’opinionaux projets de la collectivité.

En 1974, la commission de coordination de la documentation adminis-trative remit au Premier ministre un rapport proposant que soitreconnu un véritable droit à la communication des documents admi-nistratifs. Peu de temps après, des propositions de loi, tendant auxmêmes fins, furent déposées sur le bureau du Parlement en prove-nance de partis de la majorité et de l’opposition : proposition deM. Bolo au nom du groupe UDR ; proposition de M. Cot au nom dugroupe socialiste ; proposition de M. Kalinsky au nom du groupe

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communiste. Le Médiateur de la République y alla aussi de son encou-ragement dans son rapport d’activité pour l’année 1975.

Aussi, en 1977, le gouvernement prit une initiative, par la voie régle-mentaire. Un décret du 11 février instituait une « commission chargéede favoriser la communication au public des documents administra-tifs ». Mais cette commission, dont je fus le rapporteur pendant sabrève existence, avait une mission limitée à la détermination des caté-gories de documents communicables aux tiers et à l’examen des diffi-cultés rencontrées par les citoyens dans l’accès à l’information. Elleprésentait aussi la faiblesse congénitale que, instituée par décret, ellen’avait compétence qu’à l’égard de l’État et de ses démembrements, àl’exclusion des collectivités territoriales.

C’est pourquoi le Parlement prit lui-même l’initiative de la réforme. Eneffet, saisi d’un projet de loi qui tendait à améliorer les relations entrel’administration et le public, la commission des lois de l’AssembléeNationale proposa des amendements qui, repris et enrichis par leSénat, devinrent le titre Ier de la loi du 17 juillet 1978 intitulé « de laliberté d’accès aux documents administratifs ». Complétée par la loidu 11 juillet 1979, cette loi a, ainsi, pris place dans un ensemble pluslarge destiné à instaurer une « transparence » de l’administration : loidu 6 janvier 1978 dite « informatique et libertés », loi du 3 janvier 1979sur les archives publiques, loi du 12 juillet 1983 sur les enquêtes publi-ques.

Il y a trois ans, la loi du 12 avril 2000 s’est donné pour objet de remédierà certaines imperfections de la législation, apparues avec le temps. LeConseil d’État, par une décision Ullmann, du 29 avril 2002, a estimé quele droit d’accès aux documents administratifs relevait des garantiesfondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertéspubliques. Enfin, la CADA a pris toute sa place dans nos institutions.Elle est de plus en plus sollicitée, ayant rendu, en 2002, 4 500 avis.

Le moment est donc bien venu de célébrer avec une certaine satisfac-tion ce vingt cinquième anniversaire de la loi de 1978.

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2. Vous avez placé le présent colloque sous le thème de la transparenceet du secret. Transparence, je n’aime guère ce mot, ni son opposé,celui d’opacité, lorsqu’ils sont utilisés à propos de la chose publique. Latransparence, nous dit le dictionnaire, est la qualité de ce qui laisseapparaître la réalité tout entière. Or, je pense qu’on ne peut exiger del’administration ni d’ailleurs de quelque personne physique ou moralequelle qu’elle soit de faire apparaître sa réalité tout entière. Il existe,chez les personnes physiques, la barrière infranchissable de l’intimitéqui protège notre « misérable petit tas de secrets ». L’entreprise

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bénéficie du secret des affaires, dont les contours sont d’ailleurs assezincertains. De même l’administration, considérée comme le supportlogistique des gouvernants, est nécessairement le dépositaire de cer-tains secrets liés aux délibérations des autorités responsables, à la pré-paration ou à l’exécution de leurs décisions, aux relationsdiplomatiques, à la sécurité extérieure ou intérieure de l’État.

Ne parlons donc pas de transparence qui ne pourrait être que relative.Parlons plutôt du droit des personnes à la communication des docu-ments administratifs et du devoir d’information des administrationspubliques qui est la contrepartie exacte de ce droit. Il s’agit d’un droitaujourd’hui reconnu, mais qui connaît des limites qui ont été poséespar la loi.

La loi de 1978 a posé une règle dont l’importance doit être soulignée. Iln’allait pas de soi que, dans un pays comme le nôtre, pays de forteadministration, où les relations entre les pouvoirs publics et lescitoyens sont marquées par l’inégalité et les prérogatives de la puis-sance publique, ce droit à la communication des documents adminis-tratifs soit, d’abord, établi et, ensuite, respecté.

Il s’agit bien d’un droit nouveau. Il ne repose pas sur le même fonde-ment que celui qui inspirait l’article 15 de la Déclaration des droits de1789 selon lequel « la société a le droit de demander compte à toutagent public de son administration ». Il ne s’agit point ici de rendre descomptes. Il ne s’agit pas de mettre en jeu la responsabilité d’une per-sonne publique ou, à travers elle, de rechercher la responsabilité per-sonnelle d’un agent public. Il ne s’agit pas non plus de la responsabilitéinhérente au maniement des fonds publics ou à l’ordonnancement dela dépense publique.

Le droit consacré en 1978 est également distinct de celui dont dispo-sent toutes les personnes intéressées dans les procédures d’enquêtepublique. Dans ces procédures, en particulier dans celle qui conduit àla déclaration d’utilité publique, l’administration met à la disposition dupublic un dossier exposant la consistance et l’économie du projet envi-sagé et le public est invité à faire valoir ses observations au vu desquel-les un avis est donné sur l’utilité publique. Dans l’exercice du droitd’accès, il n’y a rien de tel. Il n’y a pas de procédure et le droit peut êtreexercé à tout moment, sans d’ailleurs avoir à justifier de quelque intérêtque ce soit. Il n’y a pas non plus d’enjeu direct, que ce soit pour l’admi-nistration saisie ou pour le demandeur. Enfin le droit d’accès est trèslargement conçu puisque les motifs de refus sont strictement et limita-tivement énumérés.

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3. La reconnaissance de ce droit nouveau a été accompagnée de dis-cours approbateurs. A l’occasion de la présente intervention, j’ai lu ourelu la littérature de l’époque, ainsi que les articles ou ouvrages qui ontété consacrés au droit d’accès à la documentation administrative. Jen’ai rencontré aucune réserve et les seuls propos critiques visaient plu-tôt l’administration soupçonnée de réticence à ouvrir ses dossiers et demauvais vouloir dans le traitement des demandes de communication.Deux vertus cardinales sont attribuées à l’exercice du droit d’accès : ilpermettrait au citoyen d’exercer directement son contrôle sur l’admi-nistration ; il encouragerait l’esprit civique et la curiosité d’esprit à l’é-gard des enjeux des décisions à prendre. Tout cela est bel et bon, maissi l’on veut bien jeter un œil sur ce qui est la réalité des demandes decommunication, on se rend compte qu’il y a un décalage certain entrecette description idéale du citoyen conscient de son devoir et l’attituderéelle de nos compatriotes.

Certes, lorsqu’on poussait à la reconnaissance de ce droit, le discoursétait bien empreint de beaux et nobles sentiments auxquels je viens deme référer. On avançait l’idée qu’il existait une masse de documentsadministratifs et notamment de rapports, non publiés, mais plus oumoins bien connus de quelques privilégiés, bien placés, notamment dejournalistes bien en cour, et qu’il fallait mettre cette « littérature grise »à la disposition des simples citoyens. Mais, dans la réalité, le comporte-ment des demandeurs d’accès s’est révélé plus terre à terre. Plus qu’audevenir de la Cité, ils se sont intéressés au permis de construire de leurvoisin ou à leur situation personnelle. Ce comportement qu’on peutjuger décevant au regard des objectifs mis en avant est susceptible dedeux explications, l’une pessimiste, l’autre optimiste, et il est probableque l’une et l’autre sont en partie fondées. L’explication pessimisteconsiste à dire qu’on ne change pas la nature humaine, que l’espritcivique ne se développe pas d’un coup de baguette magique et qu’enrevanche l’esprit de chicane, la jalousie, la curiosité sur les affairesd’autrui continuent de prospérer. L’explication optimiste revient à sou-tenir que, de son côté, l’administration et, en particulier, l’État ont faitdepuis 1978 beaucoup d’efforts pour diffuser au public les informa-tions d’ordre général de nature à l’intéresser.

Dans l’article qu’elle a publié récemment dans l’Actualité Juridique,Madame Puybasset a relevé judicieusement l’effort de l’État pour amé-liorer l’information des citoyens, que ce soit dans la codification dudroit, dans la facilité d’accès au site officiel « Légifrance », dans la diffu-sion des rapports sur les politiques publiques et leur évaluation notam-ment par la Documentation française, etc... Ainsi, les techniquestraditionnelles de l’impression et les techniques nouvelles ont été lar-gement utilisées par l’administration pour permettre un accès direct,rapide, gratuit ou peu coûteux à l’information administrative et auxdocuments administratifs. Dans bien des cas, il n’est donc plus

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nécessaire d’arracher des mains de l’administration des documentsque non seulement elle ne cache plus mais qu’elle met sur la placepublique.

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4. Peut-on dire pour autant que les objectifs que le législateur de 1978s’était assignés sont aujourd’hui atteints ? Ce n’est sans doute pas toutà fait vrai.

Certes, la loi de 1978, précisée et complétée par les lois du 11 juillet1979 et du 12 avril 2000, a aujourd’hui toute sa place dans le droit desrelations des citoyens avec les administrations. Elle est enrichie de lapratique de la commission, rappelée dans ses rapports d’activités quisont publiés, et de la jurisprudence du Conseil d’État. La commission avu également son rôle renforcé par la loi du 12 avril 2000. Tout cela estincontestablement positif.

En particulier, les incertitudes sur la signification exacte de la notion de« caractère nominatif » d’un document, notion qui a fait couler beau-coup d’encre, ont été levées par la loi du 12 avril 2000. Cette notion dedocument nominatif, demeurée ambiguë, a été abandonnée et l’article6 nouveau de la loi de 1978 distingue maintenant les secrets absolusqui font obstacle à toute communication et les secrets relatifs qui nesont opposables qu’aux tiers.

D’une façon plus générale, la dernière loi a clarifié l’étendue des obliga-tions de l’administration à l’égard des documents inachevés et desdocuments préparatoires rejoignant ainsi les préoccupations de laCADA et du juge. La loi du 12 avril 2000 a élargi et facilité le droit d’ac-cès. Elle a donné une base légale à une pratique de la CADA qui s’étaitdéveloppée en méconnaissance volontaire et consciente de la jurispru-dence du Conseil d’État, à propos de la communication des informa-tions nominatives contenues dans des fichiers, que ces derniers soientmanuels ou informatisés. En condamnant la jurisprudence issue del’arrêt Bertin du 19 mai 1983, la loi a conforté le point de vue de laCADA.

La nouvelle loi a précisé également que les administrations sont tenuesde communiquer les documents qu’elles détiennent, sans qu’il y ait lieude s’interroger sur le motif de cette possession et, par conséquent,sans qu’il soit possible à un service de refuser une communication parle motif que le document demandé n’émane pas de lui.

Enfin la loi du 12 avril 2000 a élargi les compétences de la CADA à lamise en œuvre des procédures de communication prévues par des tex-tes particuliers, comme le code général des collectivités territoriales, lecode électoral, le livre des procédures fiscales, le code de l’urbanisme,la loi du 1er juillet 1901, la loi du 3 janvier 1979 sur les archives.

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D’où vient alors le certain désenchantement qu’on sent sous la plumede Madame Puybasset dans l’article auquel j’ai fait référence, sous laplume également de Madame Boissard, rapporteur général de laCADA, qui a publié un substantiel article dans le même numéro del’Actualité Juridique ? Ce relatif pessimisme provient de ce que la CADAest de plus en plus sollicitée et cela pour obtenir des documents dont lacommunication ne pose aucune difficulté. Selon Madame Puybasset,« 90 % des refus concernent des documents dont la communicabiliténe fait aucun problème » et « la grande majorité de ces refus sont desrefus implicites, témoignant de l’inertie et, peut-être même, du méprisde l’administration pour ce domaine ».

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5. Il faut donc redresser la barre, du côté de l’État sans doute mais, plussûrement encore, du côté des collectivités décentralisées. Espéronsque le présent colloque soit l’occasion d’une prise de conscience etdonc de progrès dans le respect de la loi.

Cela dit, la « transparence » de l’administration trouve ses limites et jeterminerai par trois observations sur ce point.

En premier lieu, les exceptions à la libre communication qui ont étéposées par la loi de 1978, révisée en 2000, me semblent fondées et iln’y a pas lieu de restreindre la liste que l’article 6 de la loi a établie enses deux paragraphes.

En deuxième lieu, il existe des situations de fait qui appellent la vigilance,car on est probablement en face de détournement de l’objet de la loi.Dans l’article récent auquel je me suis déjà référé, Madame Boissard faitétat de la multiplication des demandes tendant à obtenir communica-tion sous forme numérique de fichiers volumineux, comme des listesélectorales ou des fichiers de permis de construire. Ces demandes sontprobablement formulées dans le but de retraiter les données ainsiobtenues pour les utiliser à des fins probablement commerciales.

L’auteur de l’article souligne justement que cette pratique porte engerme des risques de dérive et appelle de ses vœux des moyens decontrôle de l’utilisation qui est faite des informations communiquées.On comprend bien les raisons qui sont à la base de cette proposition ;mais on reste perplexe devant la solution préconisée, car elle va à l’en-contre d’un principe de base du droit de la communication des docu-ments administratifs, selon lequel le demandeur n’a jamais à justifierdu motif de sa demande d’accès.

Cela dit, la question soulevée est pertinente et appelle une réponse.

Je voudrais enfin dire qu’il faut prendre garde à ce que l’extension dudroit d’accès ne vienne pas appauvrir la substance des dossiers

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administratifs. Il est très probable que la communication peut tuer lacommunication, comme l’impôt tue l’impôt. Nous savons d’expérienceque lorsqu’un rapport est destiné à être publié, il est très fréquent qu’ilsoit expurgé de la partie la plus sensible des constatations faites ou desjugements portés, cette information sensible étant réservée à des com-mentaires oraux de l’auteur du rapport à l’autorité destinataire du rap-port. De même, les procès-verbaux de réunions peuvent être établisselon des termes qui masquent ou altèrent la réalité ou sous une formeà ce point synthétique que leur valeur informative s’en trouve affectée.

Il faut donc prendre garde à ces effets pervers du droit de communica-tion.

Finalement, une certaine dose de secret est inhérente à l’administra-tion. Elle fait partie de la nature des choses, pourrait-on dire. Dans sonétude sur « le mythe de la transparence administrative », le professeurJacques Chevallier relevait que le principe d’organisation de l’adminis-tration publique, à savoir le principe hiérarchique, est par nature unobstacle à la libre diffusion de l’information, car celle-ci ne peut circulerque verticalement au sein de la machine administrative.

« L’image d’une administration dialoguant avec les administrés sur unpied d’égalité, travaillant sous le regard du public et en phase avec lasociété est une image idéalisée, idyllique, une image d’Epinal... L’idéed’une transparence administrative complète n’est qu’un rêve, unmirage, dont la matérialisation est irrémédiablement vouée à l’échec ».

J’ajouterai pour ma part que cette impossible transparence n’est pasune fin en soi. Ce n’est qu’un moyen utilisé pour améliorer les relationsentre services publics et usagers. S’il fallait choisir entre une adminis-tration transparente mais inefficace et une administration efficace mais« opaque », personnellement, mon choix serait vite fait.

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Conception et élaborationde la loi du 17 juillet 1978

FRANCK MODERNE,professeur à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Sous le titre volontairement neutralisé et banalisé de « loi portant diversesmesures d’aménagement des relations entre l’administration et le public etdiverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal » 1, exemple

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1 Loi no 78-753 du 17 juillet 1978, JO 18 juill., p. 2851, modifiée par la loi no 79-587 du11 juillet 1979 (JO 13 juill., p. 1822), relative à la motivation des actes administratifs et àl’amélioration des relations entre l’administration et le public, puis par le décret no 88-465du 28 avril 1988, JO 30 avr., p. 5900, puis par la loi no 200-321 du 12 avril 2000, relativeaux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, JO. 13 avr., p. 5646,art. 7 ; J. Arrighi de Casanova et S. Formery, « Une nouvelle étape de l’amélioration desrelations entre l’administration et les citoyens : la loi DCRA du 12 avril 2000 », RFDA2000, p. 725 et s. Cette loi a fait l’objet de multiples commentaires parmi lesquels onretiendra, au titre des ouvrages : B. Lasserre, N. Lenoir et B. Stirn, La transparenceadministrative, PUF, Politique d’aujourd’hui, 1987 ; A.L. Mie, L’administration et ledroit à l’information, Berger-Levrault, L’administration nouvelle, 1985 ; R. Letteron,L’administration et le droit à l’information, Thèse Paris X, ronéo, 1987 ; La transpa-rence administrative (sous la direction de R. Letteron) ; Problèmes économiques etsociaux, Doc. Franç. 1992, no 679 ; H. Maisl, Le droit des données publiques, LGDJ,1996 ; H. Maisl, Le droit à l’information administrative, Cours FNSP, ronéo, 1982-1983,p. 38 et s. ; La transparence administrative, Ann. eur. adm. publ. 1989, Ed. CNRS, p. 7 ;J. Laveissière, Le silence de l’administration, Thèse, Bordeaux I, 1979, ronéo, p. 165 ets. ; D. Maillard Desgrées du Loû, Droit des relations de l’administration avec ses usa-gers, PUF, Droit public, 2000, p. 408 et s. ; B. Delaunay, L’amélioration des rapportsentre l’administration et les administrés, LGDJ, 1993, p. 525 et s. ; J.J. Gleizal, Figuresdu secret, Presses univers. Grenoble, 1986 - et, au titre des articles : A. de Laubadère,« Relations entre l’administration et le public », AJDA 1978, p. 495 et s. ; P. Dibout, « Laliberté d’accès aux documents administratifs », Rev. adm. 1979, p. 23 et s. ; J. Laveis-sière, « L’accès aux documents administratifs », in Information et transparence admi-nistrative, CURAPP, PUF, 1988, p. 11 et s. ; J. Laveissière, « Le pouvoir, ses archives etses secrets », D. 1984, chron. p. 63 et s. ; J. Laveissière, « En marge de la transparenceadministrative : le statut juridique du secret », in Etudes offertes à Jean-Marie Auby,Dalloz 1992, p. 181 et s. ; J. Laveissière, « La communication administration-adminis-trés », in L’État et les corporatismes, PUF 1988 ; J. Laveissière, « Le droit à l’informationà l’épreuve du contentieux. A propos de l’accès aux documents administratifs »,D. 1987, chron., p. 275 ; J. Lemasurier, « Vers une démocratie administrative : du refusd’informer au droit d’être informé », RDP 1980, p. 1239 et s. ; J.Y. Vincent, « Accès auxdocuments administratifs », JCA, fasc. 109-10 ; B. Lasserre, « La Commission d’accèsaux documents administratifs », Et. et doc. CE 1981-1982, p. 33 et s. ; B. Lasserre, « Sixans après le vote de la loi du 17 juillet 1978 : une administration plus transparente ? »,Et. et doc. CE 1983, no 35, p. 99 et s. ; Y. Gaudemet, « L’administration au grand jour :France », in Journées de la Société de législation comparée, 1983, p. 39 et s. ;G. Braibant, « Droit d’accès et droit à l’information », in Service public et libertés. Mélan-ges offerts au professeur Robert-Edouard Charlier, Ed. de l’Université et de l’enseigne-ment moderne, 1981, p. 703 et s. ; A. Holleaux, « Les lois de la troisième génération desdroits de l’homme : ébauche d’étude comparative », Rev. franç. adm. publ. 1980, no 15,p. 45 et s. ; A. Roux, « La transparence administrative en France », in Ann. eur.

topique de ces lois fourre-tout qui encombrent notre arsenal législatif,la loi du 17 juillet 1978 a introduit, sans le nommer, un principe nou-veau dans le droit administratif, le principe de transparence dans lesrelations entre l’administration et les administrés.

L’expression « transparence administrative », a connu un vif succès, eton la retrouve sous les meilleures plumes tant dans la doctrine univer-sitaire que dans celle des juridictions administratives 1 ou de l’adminis-tration elle-même. Il est vrai qu’elle est séduisante. Il est vrai aussi quecomme beaucoup d’autres concepts indéterminés, elle est relative-ment ambiguë et se prête à des interprétations nuancées. Certains évo-quent parfois, non sans quelque optimisme, « l’administration au grandjour » 2, dont la loi du 17 juillet 1978 et d’autres lois de la mêmepériode 3 officialiseraient l’avènement.

Dans la même veine, la transparence est rapprochée de la « démocratieadministrative » dont elle constituerait l’une des conditions 4 ; elle par-ticiperait du train des lois dites « de la troisième génération » 5 et s’ins-crirait dans le vaste débat contemporain sur la « lisibilité » de l’actionadministrative (et politique) 6 et sur « l’accessibilité » (aux documentsadministratifs, au juge, à la règle de droit, etc), qui a des résonancesconstitutionnelles en ce qu’il affecte la sécurité juridique elle-même etdonc l’État de droit.

Cela dit, l’expression n’apparaît nulle part in terminis dans le libellé destextes législatifs précités ; elle est donc induite des formules plusapproximatives utilisées par le législateur. Elle apparaîtra plus tard,

adm. publ. 1989, Ed. CNRS, p. 57 et s. ; D. Linotte, « Chronique des réformes adminis-tratives françaises », RDP 1978, p. 1417 et s. ; P. Sadran, « De l’efficacité des politiquessymboliques : l’accès à l’information et la transparence administrative », in Accès à l’in-formation et protection des renseignements personnels, Presses Univ. de Montréal,1984, p. 29 et s. ; P. Sadran, « Le miroir sans tain. Réflexions sur la communicationentre l’administration et les administrés », in Mélanges Jacques Ellul, PUF, 1983, p. 802et s. ; B. Even, « La notion de document administratif », AJDA, 1985, p. 521 et s.

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1 V. en particulier CE, « La transparence et le secret », Rapport public 1995, Et. et doc.CEn o 7, Doc. franç., 1996, p. 17 et s. ; CE, Pour une meilleure transparence de l’adminis-tration. Etude sur l’accès des citoyens aux données publiques, Doc. franç., 1998.2 Y. Gaudemet, « L’administration au grand jour : France », op. cit., eod. loc.3 Il s’agit pour l’essentiel de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, auxfichiers et aux libertés (JO 7 janv., p. 227), de la loi no 79-18 du 5 janvier 1979 sur les archi-ves (JO 5 janv., p. 43 ; rectif. JO 6 janv., p. 55) et de la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 sur lamotivation des actes administratifs, déjà citée.4 J. Lemasurier, « Vers une démocratie administrative : du refus d’informer au droitd’être informé », RDP 1980, p. 1239 et s.5 A. Holleaux, « Les lois de la »troisième génération« des droits de l’homme ; ébauched’étude comparative », Rev. franç. d’adm. publ. 1980, no 15, p. 527 et s. ; l’expressionaurait été empruntée à G. Braibant (Colloque Informatique et libertés, Fontevraud, mars1979, Doc. franç. 1979) ; elle figure également dans le Rapport sur l’informatique écono-mique et sociale présenté par MM. R. Lenoir et B. Prot (Doc. franç., 1979, p. 149).6 Y. Poirmeur, « Transparence et secret administratif dans le débat politique », in Infor-mation et transparence administratives, CURAPP, Doc. franç. 1988, p. 181 et s.

avec la loi n° 200-321 du 12 avril 2000, précitée, relative aux droitsdes citoyens dans leurs relations avec l’administration, dont le Cha-pitre II est intitulé « Dispositions relatives à la transparence adminis-trative ».

On la retrouvera dans d’autres contextes, ceux du marché, de l’entre-prise, des contrats, des circuits financiers, des médias ou encore de lavie politique 1. Pour certains, au demeurant, si la transparence adminis-trative est porteuse d’une « forte charge symbolique et affective » 2 et sielle est dotée d’une force agissante et légitimante, celles justement quiappartiennent aux mythes, elle en présente aussi les faiblesses chroni-ques : l’imprécision conceptuelle qui autorise les glissements sémanti-ques ou de comportement, sinon les dérives idéologiques, lasubstitution trop fréquente de l’imaginaire au réel (l’illusion promue aurang de réalité vécue), l’artifice et le trompe-l’œil masquant tant bienque mal la maigreur des résultats mesurables.

Comme on le voit, le débat n’est pas neutre et il ne sera pas clos facile-ment : le propre de la transparence c’est qu’elle n’est identifiée que parréférence à une situation antérieure, jugée plus opaque, et qu’elle esttoujours susceptible d’être améliorée.

En l’occurrence, il fallait partir d’une tradition à combattre, celle d’uneadministration se protégeant le mieux possible contre les regards exté-rieurs, agissant de préférence dans le secret de ses bureaux, refusant,sauf circonstances particulières – ordre de la loi ou du juge – d’ouvrirses tiroirs ou ses dossiers.

Sur cette base (juridiquement fragile, comme on le verra), s’est déve-loppé, avec un certain retard par rapport à d’autres pays, un processusrelativement lent, et en tout cas singulier, qui a conduit à la loi du 17 juil-let 1978 et à la reconnaissance d’un authentique droit d’accès auxdocuments administratifs.

Une tradition à combattre, cellede la confidentialité

Sur ce point, les observations sont unanimes : à la veille de l’adoptiondes grandes lois qui marquèrent la fin de la décennie 1970-1980, l’ad-ministration française restait fermement attachée à une tradition déjàancienne, celle de la confidentialité.

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1 J. Laveissière, « En marge de la transparence administrative : le statut juridique dusecret », in Etudes offertes à Jean-Marie Auby, Dalloz 1992, op. cit., p. 182.2 J. Chevallier, « Le mythe de la transparence administrative », in Information et transpa-rence administratives, op. cit., p. 239 et s., not. p. 241.

Les rares palliatifs envisagés par la jurisprudence ou par le gouverne-ment lui-même étaient loin de répondre aux revendications d’ouvertureet de transparence qui se faisaient de plus en plus pressantes.

La confidentialité comme élémentde la culture administrative

De culture à culte il y a certes une différence sémantique mais aussi unecertaine parenté des comportements : l’image de l’administration fran-çaise à la veille des réformes de 1978 en offre un nouvel exemple.

La tradition de confidentialité avait été en effet parfois poussée jusqu-’au secret pur et simple – et elle avait contribué à donner de l’adminis-tration cette image de forteresse bien gardée, vaguement hostile auxadministrés, protégeant ses documents et ses dossiers, entretenantavec les citoyens des relations de méfiance et de suspicion et préférantleur imposer ses décisions (ou leur accorder ses bienfaits) sans tenterde s’en expliquer 1.

Ainsi que l’observait le conseiller d’État Louis Fougère 2, à touterecherche d’information, l’administration opposait « un double barragelégal : le mutisme de ses agents et le secret de ses papiers ».

Le mutisme des agents

Les réticences traditionnellement manifestées par les agents publicsen matière de communication de documents administratifs s’abritaientvolontiers derrière des textes qui se rattachaient soit à l’éthique admi-nistrative soit à la protection d’intérêts spécifiques (de l’État lui-mêmeou de personnes privées), mais qui ne traitaient pas le problème danstoutes ses dimensions.

a) Un des arguments les plus souvent utilisés reposait sur l’obligationde discrétion professionnelle, imposée par l’article 10 de l’ordonnancedu 4 février 1959 portant statut de la fonction publique, dont il n’est pasinutile de reproduire les termes :

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1 Le diagnostic en a souvent été fait. V. notamment B. Lasserre, N. Lenoir et B. Stirn, Latransparence administrative, op. cit., p. 5 et s. ; J. Lemasurier, « Vers une démocratieadministrative : du refus d’informer au droit d’être informé », RDP 1980, p. 1239 et s. ;P. Sabourin, « La notion de maladministration dans le système juridique français », AJDA1974, p. 396 ; P. Sabourin, « Réflexions sur les rapports des citoyens et de l’administra-tion », D. 1978, chron., p. 61 ; G. Morange, « Le secret en droit public français », D. 1978,chron., p. 1 et s. ; J.C. Boulard, « Rapport sur le secret et l’administration française », in Lesecret et le droit. Travaux de l’Association Henri Capitant, Dalloz, 1974, p. 659 et s. ;J. Laveissière, Le silence de l’administration, Thèse Bordeaux I, 1979, p. 165 et s. ;L. Fougère, « Les secrets de l’administration », Bull. I.I.A.P. 1967, p. 21 et s. ; J. Ribs,« L’information des citoyens et le secret administratif », Gaz. Pal 1973.1, p. 408.2 « Les secrets de l’administration », op. cit., p. 21.

« Indépendamment des règles instituées dans le code pénal en matièrede secret professionnel, tout fonctionnaire est lié par l’obligation dediscrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les faits et infor-mations dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion del’exercice de ses fonctions.

« Tout détournement, toute communication contraire aux règlements,de pièces ou documents de service à des tiers sont formellement inter-dits.

« En dehors des cas expressément prévus par la législation en vigueur,le fonctionnaire ne peut être délié de l’obligation de discrétion ourelevé de l’interdiction édictée par l’alinéa précédent qu’avec l’autorisa-tion du ministre dont il relève. » 1

Quand on connaît la psychologie du fonctionnaire français, telle quel’analysait par exemple R. Catherine 2, et la propension de l’adminis-tration française à se réfugier dans cette fausse sécurité que paraîtlui apporter le secret 3, on se doute que telles autorisations étaientrarement sollicitées par les intéressés eux-mêmes – et à supposerqu’elles l’eussent été (notamment par des tiers), rarement accor-dées.

D’autant que le Conseil d’État n’avait guère hésité à interpréterextensivement la disposition statutaire. Dans un arrêt de Section du6 mars 1953, Delle Faucheux 4, il estime qu’en mentionnant « tout cequi concerne les faits et informations dont l’agent a connaissancedans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, le textevise tous les documents connus par le fonctionnaire dans le service,que cette connaissance soit liée ou non à l’exercice de ses fonc-tions » 5. Au surplus, une telle obligation joue également dans lesrelations internes entre les agents publics, nonobstant la coordina-tion souhaitable dans tout travail administratif et les inévitableséchanges d’informations et de documents qu’elle implique (mêmearrêt).

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1 H. Maisl, Le droit à l’information administrative, op. cit., p. 8 et s. ; une dispositionidentique figurait dans l’ancien code d’administration communale (art. 487), à l’intentiondes agents communaux.2 R. Catherine, Le fonctionnaire français, Sirey, 1973, p. 143 et s.3 P. Legendre, Histoire de l’administration, PUF, 1968, p. 521 et s. ; J.C. Groshens, « Laprotection du citoyen dans les procédures administratives », XIVe Congrès internationaldes sciences administratives, Cujas, 1970, p. 127 et s. ; Ch. Debbasch, Science admi-nistrative, Dalloz, 1976, n° 661 et s., p. 723 et s. ; sur cette obligation, v. J. Grosclaude,« L’obligation de discrétion professionnelle », Rev. adm. 1967, p. 127 et s. ; J.P. Didier,L’éthique du fonctionnaire civil. Son contrôle dans les jurisprudences administrative etconstitutionnelle françaises, LGDJ, 1999, p. 175 et s. ; M. Waline, « Le secret profession-nel des fonctionnaires », D.H. 1930, p. 65 et s.4 Rec., p. 123, concl. J. Chardeau.5 L’affaire portait sur la diffusion d’une circulaire administrative relative aux horaires detravail par un fonctionnaire, par ailleurs secrétaire d’un syndicat de personnel (v. lesconcl. J. Chardeau, précitées, p. 123 et s.).

Bien entendu, la rigueur du contrôle juridictionnel s’accentue lorsque lesecret détenu par l’administration est protégé par le droit pénal. On faitallusion au célèbre article 378 de l’ancien code pénal (aujourd’hui art.L. 226-13 nouveau c. pén., avec une autre rédaction), relayé, en ce quiconcerne les fonctionnaires, par l’article 10 de l’ordonnance statutairedu 4 février 1959, puis par l’article 26, § 1, de la loi du 13 juillet 1983 surles droits et obligations des fonctionnaires de l’État et des collectivitésterritoriales ou par l’article 18 de la loi du 13 juillet 1972 portant statutgénéral des militaires : l’article 26, § 1, de la loi du 13 juillet 1983, pré-citée, précise en effet que l’obligation de secret professionnel joue« dans le cadre des règles instituées dans le code pénal ».

Selon cette disposition, qui a donné lieu à une jurisprudence et à unelittérature juridique abondantes, « les médecins, chirurgiens et officiersde santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autrespersonnes dépositaires par état ou profession, ou par fonctions tempo-raires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le casoù la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, aurontrévélé ces secrets, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à sixmois et d’une amende de 500 F. à 8 000 F. ».

Certes le texte pénal ne concerne pas spécifiquement les agentspublics, mais il ne les exclut pas non plus. Destiné à protéger les admi-nistrés contre la divulgation des secrets qu’ils auraient été amenés àconfier à autrui et donc, éventuellement, à un fonctionnaire ou à unservice de l’administration, il sanctionne l’obligation au « secret pro-fessionnel » à laquelle sont soumis les intéressés – et plus spécifique-ment certaines catégories d’agents, tels les agents des douanes (art.54 bis code des douanes), des postes, télégraphes et téléphones(ultérieurement postes et télécommunications, puis La Poste etFrance-Télécom : décr. 10 nov. 1993), ceux des administrations fisca-les (art. L. 103 et s. c. proc. fisc.), de l’inspection du travail et du con-trôle du travail et de la main-d’œuvre (art. L. 611-11 et L. 611-12c. trav., les inspecteurs des établissements dangereux, incommodeset insalubres, devenus installations classées (décret-loi du 18 avr.1939), le personnel des services de l’aide sociale à l’enfance et de laprotection maternelle et infantile (art. 80 c. fam. et aide soc.), les assis-tantes et auxiliaires de service social (art. 225 c. fam. et aide soc.), lesfonctionnaires du contrôle économique et de la surveillance des prix(ord. 20 juin 1945), les agents affectés aux enquêtes statistiques (loidu 7 juin 1951), les personnels affectés au service de la justice etd’autres encore 1.

Sans doute, le secret « professionnel » n’est-il pas opposable à l’inté-ressé ni à l’autorité judiciaire dans ses fonctions de juge pénal ; sansdoute (s’agissant notamment du secret médical auquel sont tenus les

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1 V. la liste détaillée figurant dans le Rapport public 1995 du Conseil d’État sur « La trans-parence et le secret », op. cit., p. 90 et s.

médecins et le personnel hospitaliers) le secret protégé est-il large-ment partagé 1 : il n’empêche qu’il fait obstacle à la divulgation d’infor-mations ou de documents administratifs et que le Conseil d’État, enformation consultative 2, en a adopté une définition généreuse : il s’agiten effet des informations « qui se rapportent à des faits confidentielspar leur nature ou confiés sous le sceau du secret et que les agents desservices publics ont connus en raison de leurs fonctions ».

Tout aussi célèbre – et tout aussi controversé – est le « secret- défense »,qui protège spécifiquement les secrets dits de la « défense-nationale ».Pour reprendre les termes de l’article 413-9 du nouveau code pénal,« présentent un caractère de secret de la défense nationale... les rensei-gnements, procédés, objets, documents, données informatiques oufichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l’objet de mesures deprotection destinées à restreindre leur diffusion ».

« Peuvent faire l’objet de telles mesures les renseignements, procédés,objets, documents, données informatiques de fichiers dont la divulga-tion est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire àla découverte d’un secret de la défense nationale » 3. On ne saurait direque cette définition est un modèle de précision juridique.

Du secret de la défense nationale on rapprochera le « secret diploma-tique » dont le statut est très proche dans la loi du 17 juillet 1978,encore qu’il n’ait pas fait l’objet de précisions textuelles ou jurispruden-tielles significatives 4 – ou le secret des services d’information de lapolice 5.

Ces diverses modalités du secret trouvent leur justification dans lanature même des informations protégées qui intéressent directement

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1 F. Moderne, « Le secret médical devant les juridictions administratives et fiscales »,AJDA 1973. I, p. 404 et s. ; Conseil d’État, Rapport public 1995, op. cit., p. 118 et s.2 Avis du 6 févr. 1951, Grands avis du Conseil d’État, 2e éd., Dalloz, 2002, p. 183, noteG. Falala. L’avis concernait l’application du secret professionnel aux organismes desécurité sociale, mais il est rédigé en termes généraux et évoque « les agents des servi-ces publics ».3 L’article R. 413-6 du même code (décr. n° 94-167 du 25 févr. 1994) précise que lesniveaux de classification des informations couvertes par le secret de la défense natio-nale sont déterminés par le décret n° 98-608 du 17 juillet 1998 relatif à la protection dessecrets de la défense nationale (JO 14 juill.). Par ailleurs d’autres restrictions sont appor-tées, au nom de la protection du secret-défense, à la communication d’informations sus-ceptibles d’affecter la défense nationale (v. CE, Rapport public, 1995, op. cit., p. 64 et s.).Sur l’ensemble de la question, v. A. du Cheyron, « Les secrets de la défense nationale »,in L’information et le droit privé, LGDJ 1978, p. 572 ; M. Blaser, « Le secret de ladéfense », Rev. défense nat., mars 1990, p. 77 ; M. Watin-Augouard, « Défense etréforme du code pénal », Rev. Droit et Défense 1993, n° 1, p. 28 et s. ; M. Guillaume, « Laréforme du droit du secret de la défense nationale », RFDA 1998, p. 1223 et s. ;M. Guillaume, « Secret de la défense nationale et État de droit », in L’État de droit.Mélanges en l’honneur de Guy Braibant, Dalloz, 1996, p. 365 et s.4 Le Rapport public du Conseil d’État pour 1995 (p. 5 et s.) range le secret diplomatiqueparmi les secrets « voisins » du secret-défense, et en propose une définition assez vague(« tous les renseignements qui ont trait à la politique étrangère de la France »).5 Ibid., p. 66 et s. ; v. CE 18 déc. 1987, Ministre de l’Intérieur c. Manciaux, Rec., p. 420.

l’ordre public interne ou la défense du territoire. Elles n’appellent pasà cet égard d’observations particulières, mais l’efficacité des barragesainsi dressés contre la circulation d’informations et de renseigne-ments considérés comme « sensibles » dépend au premier chef desinterprétations officielles et de leur validation jurisprudentielle éven-tuelle.

Le « secret des papiers »

Le « secret des papiers » (on reprend ici la formule de L. Fougère, pré-citée) 1 n’est autre que le refus de communiquer les documents adminis-tratifs, refus affirmé comme position de principe jusqu’à la loi de 1978.

a) On chercherait en vain une base juridique précise à cette attitude, quiest pourtant fortement enracinée dans la mentalité administrative fran-çaise, au point que certains observateurs estimaient qu’elle concernaitl’ensemble des documents administratifs (sauf exceptions établies parla loi) et couvrait donc la totalité du champ administratif (sous réservedes secrets pénalement protégés, analysés ci-avant) 2.

On a songé parfois à se prévaloir de la formule utilisée par l’article 13 del’ancien statut général des fonctionnaires (loi du 19 oct. 1946, al. 2) :« Tout détournement, toute communication contraire aux règlements,de pièces ou documents du service à des tiers sont formellement inter-dits ». Mais cette disposition (qui a d’ailleurs été modifiée et complétéepar la loi de 1978) 3 ne donne aucune définition des documents ou piè-ces communicables ou non communicables – et se borne à renvoyeraux « règlements », sans autre précision, la mise en œuvre du dispositifde protection – ce qui a permis à certains auteurs d’évoquer « lessecrets » de l’administration 4, chaque service ayant en définitive, sousl’autorité de son ministre, sa propre interprétation de ce qui peut êtreou non communiqué aux tiers. D’autant que l’interdiction éventuelle-ment opposable à la demande d’un document ou d’un dossier confi-dentiel au sein du même service était susceptible d’être traitée demanière différenciée par le ministre compétent 5, au regard de chaquesituation concrète.

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1 Bull. I.I.A. P. 1967, p. 21 et s.2 En ce sens G. Morange, « Le secret en droit public français », D. 1978, chron., p. 1 ;J. Soubeyrol, « La communication des documents administratifs aux administrés »,AJDA 1958. I, p. 43 : « l’administration se présente comme une institution qui s’entoured’un mystère total ».3 Désormais le texte s’appliquera « sous réserve des dispositions réglementant la libertéd’accès aux documents administratifs ».4 C’est le titre, déjà mentionné, d’une étude de L. Fougère, publiée dans le Bulletin del’Institut international d’administration publique, en 1967 (p. 21 et s.).5 J. Lemasurier, « Vers une démocratie administrative : du refus d’informer au droitd’être informé », RDP 1980, p. 1239 et s., not. p. 1246 ; L. Fougère, « Liberté d’informa-tion et communication aux administrés des documents public dans la théorie et la pra-tique française », Colloque du Conseil de l’Europe, Graz, 21-23 sept. 1976, Problèmespolitiques et sociaux 1977, n° 306, p. 22 et s.

Le Rapport De Baecque 1 observait que la frontière n’était pas « facile àtracer entre la zone de secret établie par le droit positif, un champ deconfidentialité variable en fonction de la pratique qui le définit, et ledomaine de l’information publique. Cette frontière est, de surcroît,variable et mouvante dans l’espace et le temps ; ce qui hier était secretn’est aujourd’hui que confidentiel et sera demain peut-être à la une desjournaux ».

Faute d’assise juridique incontestable (les dispositions du code pénalne protègent que le droit au secret des personnes privées – ouconcernent certaines missions spécifiques de l’État mais ne tranchentpas la question de principe), le refus de communiquer les documentsadministratifs aux administrés ne pouvait guère s’appuyer que surl’absence de texte reconnaissant formellement à ces derniers un droità l’information 2. Ce fut au demeurant le raisonnement du Conseild’État qui relevait que, faute de texte le lui prescrivant expressément,l’administration sollicitée par l’intéressé n’était pas tenue de lui don-ner satisfaction 3.

b) La pratique administrative s’est trouvée donc confortée par lesilence des textes et la prudence des juges.

L’administration, toutes collectivités confondues, a usé et abusé de laconfidentialité de ses dossiers sous les prétextes les plus divers :nécessité, dans un souci de bonne gestion administrative, de conser-ver une liberté de manœuvre que la divulgation imprudente ou préma-turée des documents administratifs risquerait de lui faire perdre,efficacité de l’action administrative qui doit pouvoir bénéficier d’un

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1 Deuxième Rapport de la Commission de coordination de la documentation adminis-trative, créée par le décret n° 71-570 du 13 juillet 1971 (JO 16 juill., p. 7004), La coordina-tion documentaire. L’accès du public aux documents administratifs, Doc. franç., 1975,Annexe, p. 39 ; reproduit in Problèmes politiques et sociaux, 1977, n° 306, p. 8 et s.2 Rapport De Baecque, op. cit., Problèmes politiques et sociaux, 1977, n° 306, p. 10.3 V. à cet égard la formulation de l’arrêt du 14 mars 1951, Paraire, Rec., p. 156, à proposdu refus de communication d’une expertise médicale (« Considérant qu’aucune législa-tive ou réglementaire n’autorise les services publics à se dessaisir de documents admi-nistratifs au profit d’un particulier et ne confère à l’intéressé le droit de réclamer, pour lesconserver à titre personnel, des documents de cette nature »). Est souvent mentionné,également, l’arrêt du 12 mars 1954, Gauthier, Rec., tables, p. 821 – ou l’arrêtd’Assemblée du 18 novembre 1949, Carlier, Rec., p. 490 ; S. 1950.3.49, note R. Drago ;RDP 1950, p. 172, concl. F. Gazier, note M. Waline ; JCP 1950. II. 5535, note G.V. :« aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait à l’administration l’obliga-tion de délivrer à l’intéressé » une ampliation du document administratif qu’il réclamait(en l’occurrence un ordre administratif de saisie de plaques photographiques) ; v. aussiCE 15 juill. 1955, Société générale d’entreprises du Sud de la France, Rec., p. 448 (refusde communiquer les bases de calcul retenues par le Comité supérieur des transports) ;Sect., 14 nov. 1980, Secrétaire d’État aux PTT c. Collet, Rec., p. 431 ; AJDA 1981, p. 80,chron. M.A. Feffer et M. Pinault (à propos de la communication à un candidat du détail deses notes d’examen) – ou encore CE, Ass., 28 mai 1971, Ministre de l’Equipement et duLogement d. Fédération de défense des personnes concernées par le projet actuelle-ment dénommé « Ville nouvelle Est », Rec., p. 409, concl. G. Braibant ; Grands arrêts...,Dalloz, 14e. éd., 2003, n° 89, p. 601, obs. de MM. Long, Weil, Braibant, Delvolvé et Gene-vois, et les références citées, p. 601 (à propos de la communication du rapport d’un com-missaire-enquêteur dans une opération d’expropriation pour cause d’utilité publique).

effet de surprise, avant que la résistance ne s’organise du côté des inté-ressés, contraintes excessives que ferait peser sur les services l’obliga-tion de livrer des informations ou de communiquer des documentsutiles sur simple demande, crainte qu’une connaissance anticipée desintentions de l’administration ne développe chez les administrés desstratégies d’évitement ou de contournement nuisibles à la mise enœuvre rationnelle des politiques publiques, sauvegarde d’une certainequalité des relations de confiance au sein même de l’administration,qualité qui pourrait se voir affectée par les perspectives d’une diffusionmal contrôlée des informations à l’extérieur, appréhension des contrô-les juridictionnels ou autres que pourrait susciter ou faciliter laconnaissance des intentions affichées de l’administration sur tel ou telproblème sensible.

Une telle pratique du secret se heurtait toutefois à de sérieuses objec-tions, outre la méfiance et la suspicion qu’elle entretenait inévitable-ment dans les relations entre l’administration et les destinataires del’action administrative. « L’administration paraît, par ses silences, cou-vrir le plus souvent l’erreur, l’échec et l’incertitude », notait le rapportDe Baecque 1 – et parfois son incompétence, pourrait-on ajouter...

Le soi-disant secret n’est d’ailleurs assez souvent qu’un secret dePolichinelle et l’information finit par filtrer d’une manière ou d’uneautre, ce qui n’offre aucune garantie pour sa véracité et sa fiabilité.

La rétention d’informations est d’autant moins défendable qu’elle peutpriver l’administré de moyens de défense utiles devant l’administrationelle-même, ou devant le juge, notamment lorsque les droits fondamen-taux de personnes privées sont en cause 2.

Par ailleurs, la pratique du secret administratif que l’administration étaittentée de maintenir et de systématiser, en l’absence de textes la contrai-gnant à ouvrir ses dossiers, favorisait les traitements inégalitaires, neserait-ce que par la sélection plus ou moins arbitraire des bénéficiairesd’informations privilégiées. Le secret bien manié peut devenir une armeredoutable au profit des uns et au détriment des autres (le contentieuxde l’urbanisme ou celui de l’environnement en ont offert de multiplesillustrations).

Ces inconvénients étaient connus. Pourtant, les réactions ont été timi-des, sporadiques et, dans l’ensemble, peu appropriées.

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1 Op. cit., p. 11.2 L’affaire Carlier, précitée, en offre un témoignage : en refusant à l’intéressé la commu-nication de la décision qui le concernait, l’administration sollicitée affaiblissait nécessai-rement son droit au juge et à la justice.

Des palliatifs insuffisants

Comme le principe même du secret administratif, faute de fondementjuridique déterminant, était laissé dans une large mesure à l’apprécia-tion de l’administration, il est loisible d’imaginer que, dans la vie admi-nistrative courante, certains assouplissements lui ont été, en fait,apportés. Ils dépendaient, aurait dit Michel Crozier, du « bon plaisir »des bureaux mais contribuaient malgré tout à réduire les tensionsqu’une pratique aveugle et mécanique du secret aurait inévitablementsuscitées et entretenues.

L’image d’une administration bunkérisée, cuirassée de tous côtés, mul-tipliant ses dispositifs d’alarme et de protection, paraît quelque peucaricaturale et devrait à tout le moins être nuancée.

Quelques failles pouvaient en effet être décelées dans le mur du secretédifié dans les conditions que l’on vient de décrire.

On n’évoquera ici que pour mémoire l’hypothèse des litiges soumisau contentieux. Non seulement l’administration est tenue de porter àla connaissance des administrés, d’une manière ou d’une autre, lesdécisions qu’elle entend leur opposer (faute de publicité, les actesjuridiques réglementaires ou individuels créant des obligations à leurcharge – ou des droits à leur profit – ne pourraient devenir exécutoi-res) 1, mais les intéressés pourraient, par l’intermédiaire du juge quidirige l’instruction, la contraindre à produire (éventuellement par voiede référé) les documents ou les actes sans lesquels le procès ne pour-rait se nouer ni se poursuivre sur le mode contradictoire 2. Tout ceciest bien connu.

1°/ Il y avait d’abord des exceptions législatives – certes peu nombreu-ses, mais qui revêtaient à l’occasion une signification non négligeable.

On rappellera d’abord que, s’agissant des décisions à caractère disci-plinaire ou des mesures prises en considération de la personne, lesfonctionnaires (et de manière plus générale, les agents publics) ontdroit à la communication de leur dossier, aux termes d’un texte relati-vement ancien 3 et qui a été interprété avec un libéralisme certain par lejuge administratif.

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1 L’exigence de publicité est ancienne, comme chacun sait, et confirmée par une juris-prudence vigilante.2 L. Fougère, op. cit., Problèmes politiques et sociaux, 1977.3 Loi du 22 avril 1905, art. 65. Ce texte a été repris dans les divers statuts de la fonctionpublique qui se sont succédé au XXe siècle. On sait que ce dispositif éminemment pro-tecteur avait été mis en place devant l’émoi soulevé par « l’affaire des fiches »(le ministre de la Guerre de l’époque, le général André, utilisait des fiches confidentiellessur les officiers supérieurs, préparées par le Grand Orient de France, afin de vérifier leursconvictions républicaines) (v. sur les interprétations jurisprudentielles généreuses de cetexte, B. Lasserre, N. Lenoir et B. Stirn, op. cit., p. 18 et s.)

Cette obligation est directement liée au principe général des droits dela défense, lequel peut se prévaloir aujourd’hui, au surplus, d’uneconsécration constitutionnelle 1.

Un certain nombre de lois, de portée variable, ont également créé devéritables obligations de communication à la charge de l’administra-tion. C’était déjà le cas des textes révolutionnaires sur la libre commu-nication des documents cadastraux 2 ou sur la consultation desarchives 3.

C’est aussi le cas de lois plus récentes parmi lesquelles on détacheraun exemple considéré comme paradigmatique par nombre d’observa-teurs : celui de la communication des documents administratifs com-munaux et, au-delà, des documents relevant de l’ensemble descollectivités territoriales de la République 4. Selon la formule de l’article58 de la loi municipale du 5 avril 1884, ultérieurement codifiée dans lecode d’administration communale (art. 34), puis dans le code des com-munes (art. L. 121-9), puis dans le code général des collectivités territo-riales (art. L 2121-26 – v. aussi art. L. 2313-1, L. 3121-17, L. 3313-1 etart. L. 4312-1), « Tout habitant ou contribuable a le droit de demandercommunication sans déplacement, de prendre copie totale ou partielledes procès-verbaux du conseil municipal, des budgets et des comptesde la commune, des arrêtés municipaux ».

De cette disposition, le Conseil d’État fera une application nuancée 5

mais globalement favorable à la communication des documentslocaux.

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1 On fait allusion à la célèbre décision n° 86-224 DC, du 23 janvier 1987, relative au Con-seil de la concurrence, par laquelle le Conseil constitutionnel reconnaît « de manièreéclatante » la valeur constitutionnelle du principe des droits de la défense (v. Grandesdécisions..., 12e éd., Dalloz, 2003, n° 41 et s., p. 706 et s., – not. p. 718–, obs. L. Favoreu etL. Philip).2 Loi du 7 messidor an II ; CE 12 juill. 1995, Altimir, Rec., p. 307 ; D. 1995. IR. 231 ; Dr. adm.1995, p. 554.3 Décr. du 7 sept. 1790, Loi 7 messidor, an II (ces textes ont été abrogés par la loi n° 7918du 5 janvier 1979 sur les archives, JO 6 janv., p. 55).4 V. par ex. M. Gjidara, « Le droit général d’accès aux documents administratifs notam-ment au plan local et dans le cadre associatif », Quotidien juridique 12 mai 1983, p. 3 ets. ; 14 mai 1983, p. 3 et s.5 En ce qui concerne les titulaires du droit d’obtenir communication de certains docu-ments communaux, ce droit a été reconnu aux étrangers, aux personnes morales et auxconseillers locaux eux-mêmes (CE, Sect., 17 déc. 1971, Rousselot, Rec., p. 780 ; AJDA1972, p. 94, Chr. D. Labetoulle et P. Cabanes : association syndicale autorisée ; CE,7 nov. 1973, Commune de Pointe-à-Pitre, Rec., p. 631 ; RDP 1974, p. 1141, noteM. Waline ; CE 11 janv. 1978, Commune de Muret, Rec., p. 5 ; AJDA 1978, p. 219, concl.B. Genevois) ; la demande ce communication peut porter sur des documents qui, bienque non mentionnés par la loi, s’avèrent nécessaires pour que la démarche de l’inté-ressé produise tous ses effets utiles (CE 11 janv. 1978, Commune de Muret, préc., à pro-pos de contrats annexés aux délibérations du conseil municipal qui les autorisent). Ilappartient au maire d’organiser ses services en conséquence, sous réserve de ne pasporter atteinte au droit à communication lui-même (CE 23 mars 1962, Casabianca, Rec.p. 207). Par ailleurs la communication peut être sollicitée à tout moment (CE 11 janv. 1978,Commune de Muret, préc.).

Citons encore la communication des conclusions de l’enquêtepublique dans toute procédure d’expropriation pour cause d’utilitépublique 1.

2°/ Il y eut parallèlement de timides avancées jurisprudentielles quicontribuèrent à atténuer quelque peu la rigueur de la règle du secretadministratif.

Le Conseil d’État a ainsi interprété libéralement, dans l’ensemble, lesrares textes qui prévoyaient et organisaient un droit à la communica-tion de documents administratifs.

Il l’a fait notamment, ainsi qu’on l’a dit, à propos de la communicationde certains documents locaux. Certains évoquent même dans cecontexte, sa « lecture compréhensive » des dispositions légales etréglementaires 2.

Il a de même admis le droit des familles à prendre connaissance, souscertaines conditions, des dossiers médicaux des élèves scolarisés 3, ceque la loi n’avait pas spécifiquement prévu.

Il est vrai qu’il n’a pas consenti le même effort pour l’application desrègles statutaires relatives à l’obligation de discrétion professionnelledans la fonction publique (v. supra).

Parfois, il est allé jusqu’à accorder le droit d’obtenir communicationd’un document administratif sans appui textuel, à contre-courant de saposition de principe. Là encore, la communication des dossiers médi-caux lui a servi à l’occasion de banc d’essai 4.

Il a enfin accepté d’exercer un contrôle (restreint) sur les refus de com-munication de documents administratifs, réduisant par là-même le pou-voir discrétionnaire traditionnellement reconnu à l’administration 5.

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1 Loi n° 75-1328 du 31 décembre 1975 de réforme de la politique foncière (v. sur le déve-loppement des enquêtes publiques, B. Lasserre, N. Lenoir et B. Stirn, La transparenceadministrative, op. cit., p. 22 et s. ; A. Homont, « La réforme des enquêtes préalables à ladéclaration d’utilité publique », JCP 1976. I. 2806, n° 46 et s. ; V. Hagelstein, « La réformede l’enquête d’utilité publique », CJEG 1976, p. 38 ; B. Toulemonde, « La réforme de l’en-quête d’utilité publique », AJPI 1976, p. 765).2 B. Lasserre, N. Lenoir, B. Stirn, La transparence administrative, op. cit., p. 64 et s.3 CE 8 avr. 1975, Guilhaumé, Rec., p. 244.4 CE 6 avr. 1962, Ministre des Affaires étrangères c. Charrier, Rec., p. 259 (communica-tion à l’intéressé des résultats d’une visite médicale ordonnée par son administration) ;CE, Ass., 22 janv. 1982, Administration générale de l’Assistance publique à Paris, Rec.,p. 33 (droit d’une veuve d’obtenir communication du dossier hospitalier de son mari).On mentionnera également l’arrêt de Section du 17 décembre 1971, Rousselot et autres(Rec., p. 780 ; AJDA 1972, p. 94, chron. D. Labetoulle et J. Cabanes ; Rev. adm. 1972,p. 149, concl. G. Braibant) qui reconnaît aux propriétaires réunis en association syndicaleautorisée, en leur qualité de membres de cette association, « le droit d’obtenir communi-cation complète des documents détenus par cette association et dont la connaissancepeut leur être utile pour exercer leurs droits dans cet établissement public ».5 CE 24 juill. 1981, Cadon, Rec., p. 326 ; D. 1982, p. 592, note J.M. Auby.

On ne saurait dire pour autant que ces initiatives jurisprudentiellesaient bouleversé la matière...

C’est donc, à la veille de la grande loi du 17 juillet 1978, l’image d’uneadministration résolument fermée aux regards d’autrui – et notammentà ceux des administrés – qui prévalait tant dans l’opinion publique quedans la mentalité même des agents publics.

Toutefois cette image commençait à se fissurer, et une autre idée fai-sait parallèlement son chemin, celle d’une plus grande transparenceadministrative dont l’un des vecteurs serait précisément le droit d’ac-cès aux documents administratifs.

Une idée à promouvoir : l’accèsaux documents administratifscomme droit

La revendication d’un accès facilité aux dossiers et documents de l’ad-ministration n’est certes pas nouvelle. L’impatience, sinon l’exaspéra-tion des administrés devant les refus opposés par les services à leurslégitimes demandes d’informations et de renseignements, pour desaffaires qui les concernent personnellement ou qui concernent l’intérêtgénéral, trouvait déjà un fondement constitutionnel solide dans l’article15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Lasociété... a le droit de demander compte à tout agent public de sonadministration ».

La « société », c’est-à-dire les citoyens-administrés.

« Demander compte », c’est-à-dire d’abord et au minimum êtreinformé, donc avoir accès aux documents et aux dossiers de l’adminis-tration, ensuite, éventuellement, exiger des explications et obtenir, s’ille faut, des sanctions appropriées.

Nul n’a jamais contesté ce droit de « savoir » comme prélude au con-trôle de l’administration par les administrés.

Toute loi organisant ce droit bénéficie donc a priori d’une présomptionde constitutionnalité.

On conçoit alors l’indignation de Maurice Hauriou, au début du siècledernier 1 : « La conscience moderne exige que l’administration agisseau grand jour. On lui a, pendant très longtemps, toléré des décisionssecrètes. Maintenant, on veut que toutes ses décisions et toutes ses

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1 Note sous CE 27 mars 1914, Laroche, S. 1914.3.97.

actions soient publiques et l’on a le sentiment que ce qui n’a pas été faitpubliquement n’est pas régulier ».

L’appel n’avait guère été entendu six décennies plus tard, à en croire cequ’en disait un ministre de l’Information en 1974 1 : « La nature dusecret s’est abusivement étendue à l’action quotidienne et même à l’ac-tion administrative toute entière. D’où les protestations légitimes desélus, des journalistes et du public. La manie du secret est un état d’es-prit qui ne peut plus durer ».

La tardive prise de conscience des inconvénients de cette « manie dusecret » et directement à l’origine de la loi du 17 juillet 1978. Pour par-venir à ce résultat, il a fallu un environnement favorable et une interven-tion active du Parlement.

Un environnement favorable

Contre la pratique du secret administratif et les réflexes qu’elleengendrait du côté des administrations (notamment les administra-tions de proximité, au contact direct du public), de nombreuses voixs’étaient élevées tant dans l’ordre interne que dans l’ordreinternational.

Dans l’ordre interne

Un coup d’œil, même rapide, sur la réflexion juridique au lende-main de la deuxième guerre mondiale montre que l’on s’accommo-dait de moins en moins facilement de la situation qui vient d’êtreexposée.

a) La doctrine administrative, quasi-unanime sur ce point 2, condam-nait, parfois en termes sévères, la politique du secret obstinémentmenée par l’administration et invoquait volontiers les expériencesétrangères pour réclamer une plus grande transparence.

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1 La Nation, 11 févr. 1974, p. 1 (cité par le Rapport De Baecque, op. cit., Problèmes politi-ques et sociaux 1977, n° 306, p. 8).2 V. par ex. G. Morange, « Le secret en droit public français », op. cit., ; J. Soubeyrol, « Lacommunication des documents administratifs aux administrés », op. cit. ; L. Fougère,« Les secrets de l’administration », Bull. IIAP 1967, p. 21 ; P. Dibout, « Pour un droit à lacommunication des documents administratifs », op. cit., ; P. Sabourin, « Réflexions surles rapports des citoyens et de l’administration », op. cit., ; J.C. Boulard, « Rapport sur lesecret et l’administration française », in Le secret et le droit, Travaux de l’AssociationHenri Capitant, Dalloz, 1974, p. 659 et s. ; J. Ribs, « L’information des citoyens et le secretadministratif », Gaz. Pal. 1973.1, p. 408 ; P. di Malta, « Les renseignements administra-tifs », D. 1964, chron., p. 225 et s. ; A. de Laubadère, « Accès des citoyens aux docu-ments administratifs », AJDA 1977, p. 204 et s.

La grande presse était à l’occasion saisie du problème et assurait ainsila diffusion des revendications doctrinales 1.

b) Le gouvernement n’était pas resté totalement insensible devant lamontée des mécontentements.

Il lui était difficile de résister sur ce terrain alors qu’il prônait par ail-leurs une politique de participation des administrés à l’action admi-nistrative, que les interventions administratives s’étaient multipliéesau lendemain du conflit mondial, que les grands travaux d’infrastruc-ture conduits sous l’égide des administrations techniques appor-taient leur lot renouvelé de nuisances et de contraintes mal admisesparce que mal expliquées, que les intermédiaires habituels descitoyens auprès des administrations (les représentants politiques,les élus locaux) ne s’acquittaient plus avec la même efficacité de cetype de fonctions, que les associations de défense ou de protectionde la nature et de l’environnement (ou d’intérêts plus sectoriels)commençaient à prendre le relais et se montraient volontiers plusagressives dans leur quête d’informations et de renseignements etque les développements des techniques de communication rendaitplus aléatoire le maintien têtu des comportements administratifshabituels 2.

Quoi qu’il en soit, les signes positifs se succèdent dans les administra-tions centrales. Des services d’information ont été créés dans lesministères les plus souvent sollicités ; des revues et bulletins d’infor-mations de toutes sortes diffusent ou signalent les documents sus-ceptibles d’intéresser le public ; des groupes de travail se constituentça et là et associent aux fonctionnaires des représentants de la sociétécivile, etc.

Au cœur même de l’action gouvernementale, le problème de l’aban-don du secret administratif comme règle de conduite est officiellementposé avec le décret du 13 juillet 1971 3 qui crée une Commission decoordination de la documentation administrative. Celle-ci est chargéed’« étudier les moyens d’améliorer, dans un souci d’efficacité et de ren-tabilité, le travail de documentation des administrations publiques, deveiller à la coordination sur le plan technique des activités d’édition des

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1 G. Dupuis, « Secrets d’État, secrets de polichinelle », Le Monde, 13 juin 1973 ;R.G. Schwarzenberg, « Le droit de savoir », Le Monde, 5 mai 1975 ; R.G. Schwarzen-berg, « Le secret du Roi », Le Monde, 3 mars 1976 ; C. Lalumière, « Les fonctionnaireset le service public », Le Monde, 6 mars 1976 ; J. Ellul, « Le secret et l’exception »,Le Monde, 26 août 1977 ; H. Maisl, « Droit à l’information et droit au secret »,Le Monde, 13-14 févr. 1977, etc.2 V. sur ces points, le rapport de L. Fougère au Colloque de Graz (Autriche), « Libertéd’information et communication aux administrés des documents publics dans la théorieet la pratique française », 21-23 sept. 1976, in Problèmes politiques et sociaux 1977,n° 306, p. 22 et s.3 JO 16 juill., p. 7004.

divers services intéressés et à la diffusion la plus adéquate des publica-tions émanant des administrations publiques ».

Elle est également invitée à rechercher « les moyens d’assurer laconservation et la consultation des documents qui, sans être couvertspar le secret, ne peuvent faire l’objet d’une diffusion » 1, formulation quin’est pas d’une clarté totale...

Cette Commission, présidée par le Conseiller d’État De Baecque, aremis au Premier ministre deux rapports le 23 mai 1973 2 et le 10 juillet1974 3 qui joueront (notamment le second) un rôle décisif dans l’élabo-ration de la loi du 17 juillet 1978.

Le rapport De Baecque de 1974 préconisait la reconnaissance d’unvéritable droit à la communication des documents administratifs et seproposait d’en organiser l’exercice.

Il s’agit donc d’un renversement complet de perspective. Puisquel’absence de droit à la communication des documents administratifsservait au juge administratif de motif officiel (de prétexte ?) pour main-tenir le statu quo, il fallait affirmer ce droit : « L’instauration d’un droit àl’information permettrait d’accroître la protection de l’administrationcontre elle-même 4, de contrebalancer ses prérogatives 5 et de déve-lopper son contrôle 6. Elle contribuerait en conséquence à l’avènementd’un authentique »droit de citoyenneté« , dont l’article 15 de la Déclara-tion des droits de l’homme et du citoyen, peu exploité jusqu’alors, avaitjeté les bases.

La conclusion du Rapport était formelle : « L’ensemble de ces considé-rations conduit la Commission à proposer que soit instauré, au profitdu citoyen, un véritable droit à la communication dont les principesfondamentaux devraient être posés par le législateur » 7. La règledevait donc être désormais l’accessibilité des documents détenus parl’administration, sauf décision contraire du gouvernement.

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tifs1 L’expression est pour le moins maladroite et ambiguë comme l’a noté le Rapport De

Baecque (op. cit., p. 8). Il en ressort prima facie que les documents qui font l’objet d’uneprotection pénale, au nom du secret professionnel, médical, etc., sont exclus du champd’investigation de la Commission.2 Administration et documentation, Doc. franç. 1975.3 V. notamment le Rapport du Comité n° 3 de la Commission (présidé par LouiseCadoux, maître des requêtes au Conseil d’État) sur L’accès du public aux documentsadministratifs, Doc. franç. 1975, annexe II ; Problèmes politiques et sociaux 1977,n° 306, p. 8 et s.4 Allusion est ainsi faite aux pratiques douteuses qui fleurissent à l’ombre du secretadministratif.5 En renforçant les possibilités de défense des administrés (notamment dans les sec-teurs de l’urbanisme et de l’environnement, où les décisions unilatérales de l’administra-tion sont souvent mal acceptées).6 Contrôle hiérarchique, contrôle parlementaire, contrôle juridictionnel, contrôle finan-cier, etc.7 Op. cit., p. 12.

A la fin de 1975, le Premier ministre chargeait un groupe de travailprésidé par un autre conseiller d’État, L. Fougère, d’élaborer les textesconcrétisant les suggestions du Rapport De Baecque. Ce grouperemit effectivement, en février 1976, un projet de loi et un projet dedécret.

Le gouvernement choisit d’abord la voie réglementaire. Un décretn° 77-127 du 11 février 1977 1 institua à cette fin une nouvelle Commis-sion chargée de favoriser un plus large accès au public des documentsadministratifs.

Le Rapport du Premier ministre au Président de la République, qui pré-cède le décret, témoigne des hésitations du pouvoir exécutif. Certes, ilreconnaît que la matière était dominée jusqu’alors par le « principe deconfidentialité » et que le « maintien intangible de la loi non écrite » dusecret « ne se justifie plus », mais c’est pour ajouter aussitôt que ceprincipe « répond au souci de préserver la liberté d’action de l’État etdes autres personnes publiques » et de « protéger leurs agents contretoute mise en cause personnelle ». Il n’est donc pas possible « de poserune loi inverse » qui pourrait nuire aux intérêts nationaux en particulier– et qui compromettrait l’impératif d’efficacité qui doit guider l’actionadministrative.

Il est donc apparu plus sage de créer une Commission « pourvue d’uneautorité morale incontestable » qui, sur la base de critères objectifs,déterminerait les documents communicables, conseillerait les admi-nistrations intéressées et contribuerait au règlement des différends.

Cette Commission, présidée par un conseiller d’État (elle seradénommée Commission Ordonneau), sera l’ancêtre direct de la Com-mission d’accès aux documents administratifs.

Son rôle, en définitive, était des plus limités 2, puisqu’il ne s’agissaitque de « favoriser un plus large accès du public » aux documents admi-nistratifs, sans rompre avec le principe du secret, et de dresser des lis-tes de documents (ou de catégories de documents) communicables,« sous réserve d’approbation par arrêtés ministériels » 3 ce qui laissaitquasi-intactes les prérogatives de l’administration.

En cas de difficulté dans l’obtention d’un document, l’intéressé pouvaitla saisir pour avis, avis qui était adressé au ministre, seul compétentpour prendre la décision finale.

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1 JO 12 févr., p. 859 ; AJDA 1977, p. 204, chron. A. de Laubadère ; Problèmes politiqueset sociaux 1977, n° 306, p. 6 et s. Dans la déclaration de politique générale qu’il avait pré-sentée à l’Assemblée nationale le 5 octobre 1976, le Premier ministre Raymond Barreavait exprimé le vœu que le secret administratif ne serve plus « d’alibi ou de masque »aux décisions politiques, et qu’une « déontologie précise » soit rapidement élaborée àcet égard.2 V. chron. A. de Laubadère, AJDA 1978, p. 495 et s.3 Ou par arrêtés du Premier ministre, pour les « catégories » de documents (art. 1).

Rien de très révolutionnaire, comme on le constate, d’autant que lacompétence de la Commission ne s’étendait pas aux collectivités terri-toriales ni aux établissements publics.

La Commission Ordonneau entreprit malgré tout sans tarder uneconsultation des différents ministères susceptibles d’être concernés etconsigna le résultat de ses travaux dans son premier Rapport, remis enfévrier 1978 1.

Elle n’avait pas hésité à prendre position sur la tâche qui lui avait étéassignée, à en contester les limites et à présenter des propositionsconcrètes qu’elle estimait plus expédientes. En particulier, elle avaitjugé quasi impossible d’établir des listes de documents communica-bles, et elle s’interrogeait sur la pertinence de la distinction entre« documents » et « catégories de documents ». Il lui paraissaitopportun de reconsidérer sa mission en ce sens, c’est-à-dired’admettre le principe que tous les documents sont communicablesa priori à l’exception de ceux qui figurent dans des listes limitativeset qui pourraient rester confidentiels pour des raisons d’intérêtgénéral ou pour assurer la protection des tiers. C’était là une manièrede reconnaître, sans le dire, un véritable droit d’accès aux docu-ments administratifs.

c) Une autre autorité administrative (indépendante) soutenait active-ment les initiatives en faveur de la consécration du droit d’accès auxdocuments administratifs : le Médiateur de la République.

Dans son Rapport de 1974 2, il développait déjà des considérations ence sens. Son Rapport de 1975 3 souhaitait que le droit de tout adminis-tré à l’information soit reconnu comme « principe général » et que lerégime de la communication des documents administratifs soit orga-nisé de la manière « la plus libérale possible » 4.

Ces assauts répétés allaient avoir raison des timides résistances dugouvernement, d’autant que la pression internationale s’exerçait dansle même sens.

Dans l’ordre international

Les revendications en faveur d’une plus grande transparence admi-nistrative se sont faites plus insistantes dès la seconde moitié duXXe siècle.

On rappellera d’abord que l’article 10 de la Convention européenne desdroits de l’homme reconnaît formellement que le droit à la liberté

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1 Doc. franç. 1978.2 Doc. franç., p. 52 et s.3 Doc. franç., p. 92 et s.4 V. aussi, A. Paquet, « Le Médiateur et le droit à l’information », Gaz. Pal., 1977.1.9.

d’expression comprend à la fois la liberté d’opinion et « la liberté derecevoir ou de communiquer des informations, sans qu’il puisse yavoir ingérence d’autorités et sans considération de frontière » 1.

La libre communication des documents administratifs, sans êtreexpressément mentionnée, n’est pas pour autant réservée.

Cela dit, on ne saurait avancer que la Cour européenne des droits del’homme se soit avancée très loin dans cette direction 2.

Il reste que le Conseil de l’Europe lui-même avait manifesté son intérêtpour la reconnaissance d’un véritable droit d’accès aux documentsadministratifs, d’abord en organisant à Graz (Autriche) un Colloque surce thème, les 21, 22 et 23 septembre 1976 3, puis en adoptant diversesrésolutions mentionnant spécifiquement l’accès aux documents admi-nistratifs (résolution n° 7731 du 28 septembre 1977 relative à la protec-tion de l’individu au regard des actes de l’administration ; résolutionn° 81-19 du 25 novembre 1981 sur le droit d’accès aux documentsadministratifs) 4.

De son côté, mais à une époque plus tardive, le droit communautaires’est intéressé à la liberté d’accès à l’information, notamment enmatière d’environnement (directive n° 90/313 CEE du 7 juin 1990) 5.

Par ailleurs, des textes internationaux plus récents ont organisé, dansun cadre spécifique, l’exercice du droit à l’information en instituant

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1 V. par ex. les commentaires de G. Cohen-Jonathan sous l’article 10 de la Conventionin La Convention européenne des droits de l’homme, sous la direction de L.E. Pettiti,E. Decaux et P.H. Imbert, Economica 1995, p. 365 et s.2 Dans un arrêt du 26 mars 1987, Leander c. Suède (Rec., 1987, A, n° 116 ;v. F. Hondius, La liberté d’expression et d’information en droit européen, Conseilde l’Europe, 1984, p. 5 et s.), elle relève que « la liberté de recevoir des informa-tions... interdit essentiellement à un gouvernement d’empêcher quelqu’un de rece-voir des informations que d’autres aspirent ou peuvent consentir à lui fournir » ;mais qu’elle n’accorde pas à un individu « le droit d’accéder à un registre où figurentdes renseignements sur sa propre situation ni n’oblige le gouvernement à les lui com-muniquer » (§ 74). Il est vrai qu’il s’agissait en l’occurrence de renseignements intéres-sant la défense nationale, thème toujours réservé dans les législations nationales.Le raisonnement cependant a été repris, par exemple dans des arrêts du 7 juillet1989, Gaskin c. Royaume-Uni (Rec., 1989, A, n° 160), du 19 février 1998, Guerra etautres c. Italie (Rec., 1998. I, n° 64 ; Grands arrêts de la Cour européenne des droitsde l’homme, PUF, 2003, p. 404 et s., not. p. 409, obs. J.P. Marguénaud), et du 9 juin1998, Mc Ginley et Eygan c. Royaum-Uni (Rec., 1998, § 101). De manière générale, laCour évite de se prononcer sur un droit général à communication de données et ren-seignements personnels ; elle statue sur « le cas concret du requérant », espèce parespèce.3 L. Fougère, « Le Colloque de Graz sur l’accès à l’information (21-23 septembre 1976) »,Gaz. Pal. 1977.1.10.4 Sur ces résolutions, v. B. Lasserre, N. Lenoir et B. Stirn, La transparence administra-tive, op. cit., p. 172 et s.5 JOCE, L, 23 juin 1990, p. 56 ; R. Letteron, « Le modèle français de transparence admi-nistrative à l’épreuve du droit communautaire », RFDA 1995, p. 185 et s.

une obligation correspondante à la charge des pouvoirs publics 1.Certains ont même prévu, de manière plus générale, un « droit d’accèsde toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des inté-rêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et desaffaires » (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art.III, 41-2).

De leur côté, les expériences étrangères de mise en œuvre du droitd’accès à l’information ont été abondamment invoquées et commen-tées au cours des débats qui précédèrent le vote de la loi du 17 juillet1978. Il n’est évidemment pas question de les analyser dans le détailsauf à observer que les plus souvent citées, celle des États-Unis avecla loi sur la liberté de l’information du 4 juillet 1966, modifiée en 1974et en 1986 2 ou celles des pays scandinaves 3 ont su organiser l’exer-cice de ce droit, en assurer la protection et en fixer les limites sous lecontrôle du juge 4.

Les pressions internes et internationales se conjuguaient donc en vuede promouvoir le droit d’accès aux documents administratifs commeélément de la liberté d’information que le droit français reconnaît auxcitoyens et comme facteur déterminant de la transparence administra-tive.

Il fallait en définitive peu de choses pour que la réforme prenne corps.L’initiative vint du Parlement.

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1 Par exemple la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du publicau processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement des 23-25 juin1998 (M. Prieur, in « La Convention d’Aarhus », Rev. jur. envir., 1999, p. 9 et s.).2 P.F. Divier, « L’administration transparente : l’accès des citoyens américains aux docu-ments officiels », RDP 1975, p. 59 et s. ; G. Scoffoni, Le droit à l’information et l’adminis-tration aux États-Unis, Economica, 1992 ; R. Pérol, « La politique de l’administrationaméricaine à l’égard du public », Rev. adm. 1960, p. 1999 ; C. Bouvet, « Le Freedom ofInformation Act aux États-Unis », Bull. Econ. et Fin. 1971, n° 56.3 Suède, Constitution de 1766, ch. II (« Tout citoyen suédois aura libre accès aux docu-ments officiels » ; v. B. Cottier, La publicité des documents administratifs. Etude droitsuédois et suisse, Droz, Genève, 1982 ; B. Wennergren, « Le droit de savoir, l’approchescandinave », Colloque de Graz, préc., Conseil de l’Europe, 1976 ; K Holmgren, « Lapublicité des actes officiels en droit suédois », RDP 1968, p. 1019 et s.) ; Danemark, loin° 280 du 10 juin 1970 sur l’accès du public aux documents administratifs ; Norvège, loin° 69 du 19 juin 1970 et décret d’application du 11 juin 1972 sur l’accès aux documentsadministratifs (E. Smith, « La transparence administrative en Norvège », Ann. eur. adm.publ. 1989, p. 108 et s.) ; Finlande, loi du 9 février 1951 sur la publicité des documentsofficiels (Ph. Ardant, « Le droit à la communication des documents administratifs enFinlande », Rev. intern. dr. comp. 1976, p. 355 et s. ; T. Modeen, « La transparence admi-nistrative en Finlande », Ann. eur. adm. publ. 1989, p. 135 et s.).4 Institut international des sciences administratives, Le secret administratif dans lespays développés, Cujas 1977 ; M. Chr. Henry-Meininger, « Vers une administration decommunication : perspectives et limites des réformes engagées dans les pays occiden-taux », Rev. intern. sc. adm. 1984, n° 2, p. 107 et s. ; B. Lasserre, N. Lenoir et B. Stirn,La transparence administrative, op. cit., p. 178 et s.

Une intervention active au Parlement

Il n’est pas dans le style de la V° République de laisser se développer lesinitiatives législatives parlementaires dès lors que la réforme projetéerevêt une certaine importance – et que le gouvernement tente de lamettre sur les rails par voie réglementaire.

On peut donc considérer comme « exceptionnel » le processus suivi enl’occurrence sous l’égide du Parlement 1.

1°/ En quelques mois, les propositions de loi s’étaient accumulées tantsur le bureau de l’Assemblée nationale que sur le bureau du Sénat pourdénoncer la politique du secret administratif et tenter soit de constitu-tionnaliser, soit au moins de légaliser, le droit d’accès aux documentsadministratifs.

Elles émanaient – le fait mérite d’être noté – des principales formationspolitiques représentées au Parlement.

Une des plus anciennes fut sans doute la proposition de loi constitu-tionnelle déposée par le groupe communiste de l’Assemblée nationaleen décembre 1975. Son article 11 prévoyait la reconnaissance de « laliberté de recevoir ou de communiquer des informations »sans qu’ilpuisse y avoir de restrictions imposées par les autorités publiques » 2.

Quelques mois plus tard (24 juin 1976), c’est sous forme de propositionde loi que MM. Cot, Chandernagor, Forni et les membres du groupesocialiste et des radicaux de gauche de l’Assemblée nationale souhai-taient que la question soit posée aux chambres 3. Cette proposition,rédigée en termes très généraux, établissait « la liberté d’accès descitoyens aux documents administratifs » 4.

Une démarche parallèle était entreprise par A. Bolo et les membres dugroupe Union pour la défense de la République (UDR) de l’Assembléenationale ; déposée le 30 juin 1976, leur proposition de loi 5 entendaitconsacrer, à titre de principe, le droit des citoyens à l’information et laliberté d’accès aux documents administratifs, sur la base des articles 2,

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1 C’est le terme utilisé par B. Lasserre, N. Lenoir et B. Stirn, La transparence administra-tive, op. cit., p. 69.2 Doc. Ass. nat. 1975, n° 2128.3 Doc. Ass. nat. 1976, n° 2455.4 Selon P. Cot (« Le droit de savoir », Gaz. Pal. 1977.1.10), « l’objectif essentiel de la pro-position consiste à renverser le principe actuellement appliqué en stipulant que, dans ledomaine de la communication des documents déterminé par l’administration, tout cequi n’est pas expressément interdit devra être porté à la connaissance des citoyens quien font la demande. Ainsi sera institué un véritable droit à la communication des docu-ments et des informations dont disposent les administrations ».5 Doc. Ass. nat. 1976, n° 2463.

al. 3, et 34, al. 2, de la Constitution – ainsi que des articles 11 et 15 de laDéclaration des droits de l’homme et du citoyen 1.

Le 15 novembre 1977, les membres du groupe communiste àl’Assemblée nationale déposaient une proposition de loi 2 tendant àassurer l’accès du public aux documents administratifs. Le même textefut proposé au Sénat le 24 février 1978 3.

2°/ Ce ne fut pas toutefois par le biais d’une discussion parlementairede l’une ou l’autre de ces propositions, retenue et mise à l’ordre du jourpar le gouvernement, que le processus d’élaboration de la loi du 17 juil-let 1978 fut enclenché. L’occasion pour les Assemblées de se saisir deproblème fut offerte par le dépôt d’un projet de loi gouvernementalportant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’adminis-tration et le public 4.

De manière assez paradoxale, ce projet, au contenu hétéroclite, necontenait aucune disposition relative au droit d’accès aux documentsadministratifs et son exposé des motifs n’évoquait même pas le pro-blème. Bref, selon le mot du rapporteur de la Commission des lois consti-tutionnelles, de la législation et de l’administration générale de laRépublique, M. Aurillac, qui en fit la présentation à l’Assemblée nationale,il ne s’agissait pas, à proprement parler, d’un « monument législatif » 5.

Ce qui donne d’autant plus d’intérêt à la démarche de la susdite Com-mission, qui prit sur elle de discuter, avant même l’examen du titre pre-mier, deux amendements (l’un de M. Richard, l’autre de M. Villa) quiposaient dans toutes ses dimensions le problème du droit d’accès auxdocuments administratifs.

Ces deux amendements, bien qu’émanant de deux formations politi-ques différentes, convergeaient quant aux solutions proposées.

M. Richard et les membres du groupe socialiste de l’Assemblée natio-nale souhaitaient que la communication au public des documents etinformations détenues par l’administration devienne la règle et que l’in-terdiction ne puisse être opposée qu’à titre exceptionnel, pour ladéfense des intérêts fondamentaux de l’État (défense nationale, poli-tique extérieure) ou la protection de la vie et du secret des affaires.

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1 A. Bolo, « Administration et information du public », Gaz. Pal. 1977.1.11.2 Doc. Ass. nat. 1977, n° 3249.3 Doc. Sénat 1978, n° 272.4 A vrai dire, un premier projet avait été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationalele 13 novembre 1977 (Doc. Ass. nat. 1977, n° 3229) et il avait fait l’objet d’un rapport dudéputé Ch. Bignon (Doc. Ass. nat. 1977, n° 3286) ; mais il n’avait pu être discuté avant lafin de la législature. Il fut donc repris, dans les mêmes termes, le 6 avril 1978(Doc. Ass. nat. 1978, n° 9) et fut immédiatement mis en discussion.5 Doc. Ass. nat. 1978, n° 124, p. 4 ; le même parlementaire observait devant l’Assembléeque le regroupement dans un texte unique de dispositions disparates ne pouvait pré-tendre à « la beauté formelle d’une codification » (JO, Déb. Ass. nat. 25 avr. 1978,p. 1325.

Quant à M. Villa, suivi par ses collègues du groupe communiste, il pro-posait d’accorder à tous les citoyens le droit d’accéder aux dossiersnominatifs les concernant, d’en contester le contenu et d’être informésde leur utilisation. Seraient maintenus en dehors du champ de la com-munication certains documents, tels ceux intéressant la défense natio-nale ou ceux relevant du secret médical ou du secret des affaires 1.

Mais la Commission préféra, à la demande de J. Foyer, renvoyer l’exa-men de cette question à la séance de la chambre basse consacrée auxamendements 2.

Le débat s’organisa en effet sur ces bases à l’Assemblée nationale, le26 avril 1978 3. Le gouvernement ne s’y opposa pas vraiment. Repré-senté alors par le secrétaire d’État Jacques Dominati, il tenta simple-ment de réduire la portée de certaines propositions (par exemple, celled’un amendement de M. Villa visant à imposer aux autorités adminis-tratives, avant toute décision défavorable à une personne, de l’en infor-mer, de lui communiquer son dossier et de lui permettre d’organiser sadéfense) 4, qui lui paraissaient excessivement contraignantes pourl’administration 5. Mais il se rallia sans réserve apparente auxamendements synthétisés par M. Aurillac reconnaissant « la libertéd’accès aux documents administratifs » au nom du « droit des citoyensà l’information » 6 et organisant l’exercice de ce droit quant aux docu-ments concernés (dossiers, rapports, comptes-rendus, procès-ver-baux, statistiques, prévisions et décisions prenant la forme d’écrits,d’enregistrements sonores ou visuels, d’enregistrements de traite-ments automatiques d’informations), quant aux personnes assujettiesà l’obligation de communication (outre les personnes publiques latosensu étaient visés les organismes de droit privé chargés de la gestiond’un service public), quant au contenu de cette obligation (elle porteraitsur les rapports d’information, d’enquête, d’inspection, d’expertise oude contrôle, les circulaires « ayant un effet à l’égard des tiers » (sic), lesdécisions n’ayant pas un caractère individuel et les documents admi-nistratifs ayant servi – ou étant susceptibles de servir à l’élaborationd’un acte réglementaire) et quant aux modalités concrètes de la

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1 Rapport de M. Aurillac, au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de lalégislation et de l’administration générale, Doc. Ass. nat. 1978, n° 124, p. 7 et s.2 Ibid., p. 8.3 JO Déb. Ass. nat., 26 avr. 1978, p. 1378 et s.4 Ibid., p. 1378. Ultérieurement, devant le Sénat, le représentant du gouvernementreconnaîtra que l’initiative de l’Assemblée nationale avait été fructueuse et qu’elle avaiteu le mérite de développer le dialogue entre le Parlement et le gouvernement(JO Déb. Sénat, 1er juin 1978, p. 1091) – ce qui ne l’empêcha pas de présenter des amen-dements de dernière minute dont l’objectif à peine dissimulé était de vider le titre nou-veau d’une partie de son contenu. Par exemple, le gouvernement avait tenté d’imposeraux intéressés de justifier précisément de leur intérêt (ibid., p. 1094). Mais la manœuvrefit long feu... (JO Déb. Sénat, 1er juin 1978, p. 1094).5 Ibid., p. 1380.6 Ibid., p. 1379.

consultation (consultation gratuite, délivrance de copies, etc.). Selon laproposition de la Commission des lois, un certain nombre de docu-ments 1 échappaient à l’obligation légale, mais le refus de communica-tion les concernant devait être notifié et motivé.

Ces propositions furent ratifiées par l’Assemblée nationale, sansgrande discussion, un peu comme si l’affaire était entendue et n’appe-lait qu’un examen technique 2.

Transmises au Sénat, elles y furent accueillies avec grande faveur, notam-ment par la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suf-frage universel, du règlement et d’administration générale 3 qui y vit« l’une des réformes les plus importantes votées ces dernières années »et l’annonce d’une démocratie plus ouverte et mieux équilibrée. Pourmarquer son adhésion sans réserve, la Commission proposa d’exprimerde la manière la plus nette la communicabilité de plein droit des docu-ments administratifs et, en conséquence, de mettre en exergue le carac-tère limitatif des exceptions qui seraient apportées au nouveau principe 4.

C’est également la Commission sénatoriale des lois qui suggéra, pourdésigner les bénéficiaires du droit d’accès aux documents administratifs,de remplacer le terme « citoyens » par le terme « administrés », pluscompréhensif 5 – amendement qui fut adopté en séance plénière – etqui souhaitait que la liste des documents communicables soit allongéeen y incluant les directives, les instructions, les circulaires et les avis(quant bien même leurs effets juridiques ne seraient pas directs) 6.

Une autre disposition, imaginée par la Commission sénatoriale deslois, doit retenir spécialement notre attention. C’est en effet celle quicréa la Commission d’accès aux documents administratifs dont nouscélébrons le XXVe anniversaire (l’appellation qui est encore la sienne luifut attribuée à cette occasion) 7. Il est vrai que le rapporteur pour avis,

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1 Ceux qui risquent de porter atteinte au secret des délibération du pouvoir exécutif,ceux qui concernent la défense nationale, la politique extérieure, la monnaie, le créditpublic, la sûreté de l’État, la sécurité publique, ceux qui sont liés à des procédures juridic-tionnelles, ou au secret de la vie privée (par exemple les dossiers personnels, les dos-siers médicaux, etc.) ou au secret commercial ou au secret protégé par la législation surla propriété intellectuelle, etc.2 Sur le projet voté en première lecture, v. Doc. Sénat 1978, n° 341 ; on observera toute-fois que quelques initiatives ont été prises en séance plénière pour améliorer le texte,voire en étendre la portée. C’est ainsi qu’une nouvelle disposition du projet permet àtoute personne mise en cause dans un rapport d’information, d’enquête, d’expertise oude contrôle, d’exiger communication de cette partie du document et d’y répondre parécrit (sous peine de neutralisation du document suspect).3 Avis de J. Thyraud au nom de la Commission, Doc. Sénat, 1978, n° 378, p. 5.4 JO Déb. Sénat, 1er juin 1978, p. 1086 et s.5 Ibid., p. 1091 (il s’agissait de permettre aux personnes morales et aux étrangers debénéficier de la loi).6 Avis de la Commission des lois du Sénat, présenté par J. Thyraud, Doc. Sénat, 1978,n° 378, p. 22.7 Rapport J. Thyraud, op. cit., Doc. Sénat, 1978, n° 378, p. 25 et s.

J. Thyraud, était membre de la Commission chargée de favoriser unplus large accès aux documents administratifs, instituée par le décretdu 11 février 1977 (précité) et rapidement dénommée CommissionOrdonneau – encore que cette Commission n’ait pas eu le temps depublier son premier rapport lorsque la loi entra en discussion. Le rôlede la Commission Ordonneau avait été souligné au Sénat à diversesreprises, en Commission, alors qu’elle avait été pratiquement ignoréepar l’Assemblée nationale.

La mission première de la CADA serait de recueillir les plaintes des per-sonnes auxquelles la communication d’un document administratifaurait été refusée et de formuler des recommandations adéquatesauprès des autorités administratives en cause. Elle était égalementinvitée à conseiller ces autorités sur toute question relative à l’applica-tion de la loi, et à proposer toutes modifications utiles des dispositionslégislatives et réglementaires. Ses activités devaient être consignéesdans un rapport annuel rendu public.

L’intervention de la CADA dans le processus de communication desdocuments administratifs avait été envisagée et mise au point par lamême Commission 1.

En premier lieu, le refus de communication éventuellement opposé parl’administration devait être notifié à l’intéressé sous forme de décisionécrite motivée. Le silence de l’administration maintenu pendant plus dedeux mois équivaudrait à une décision de refus.

Il appartiendrait en second lieu à l’intéressé de solliciter l’avis de la CADA,à charge pour cette dernière de le transmettre à l’autorité compétente.Cette autorité devait à son tour informer la CADA, dans les deux mois sui-vant la réception de l’avis, de la suite qu’elle entendait donner à l’affaire.

Le délai de recours contentieux serait en conséquence suspendu, jus-qu’à ce que l’intéressé prenne connaissance de la réponse négativeéventuelle de l’administration.

On avait là tous les ingrédients d’un recours administratif, préalable aurecours contentieux en annulation, avec cette particularité que l’inté-ressé devait passer par l’intermédiaire d’un avis de la CADA avant d’ob-tenir une réponse définitive de l’administration. Encore que, dans laconception qui s’en dessinait, la haute institution ne disposât point à pro-prement parler d’un pouvoir de décision ni même d’une prérogative d’a-vis conforme, on pouvait imaginer que son intervention serait décisive etque l’administration y regarderait à deux fois avant de passer outre.

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1 Ibid., p. 38. On observera que la proposition de loi déposée le 30 juin 1976 par M. Boloet les membres du groupe UDR de l’Assemblée nationale (Doc. Ass. nat. 1976, n° 2463)envisageait de confier cette fonction au Médiateur (v. A. Bolo, « Administration et infor-mation du public », Gaz. Pal., 1977.1. Doct., p. 11 et s.).

Le Sénat fit siennes la plupart de ces propositions non sans que le gou-vernement ait marqué à l’occasion quelque réticence 1.

On notera au passage que le sort des avis du Conseil d’État (auxquelsseront associés ultérieurement les avis des tribunaux administratifs etceux des juridictions des comptes) a fait l’objet d’une controverse,d’ampleur toutefois limitée 2. Il a été décidé en définitive de les considé-rer comme échappant à l’obligation de communication, pour des rai-sons qui ont été jugées convaincantes.

On peut donc considérer que si l’Assemblée nationale a eu un rôledéterminant dans la proclamation du droit d’accès aux documentsadministratifs, et la détermination des limites susceptibles de lui êtreapportées, c’est le Sénat qui a pris l’initiative de confier à une commis-sion spécialisée la surveillance de la bonne marche du système, garan-tissant ainsi le caractère opérationnel de la réforme.

L’Assemblée nationale n’y trouva d’ailleurs rien à redire 3.

Le cheminement de la réforme au cours des dernières étapes du pro-cessus parlementaire ne donna lieu qu’à quelques escarmouches quine méritent pas d’être contées dans le détail 4.

Le texte définitif de la loi du 17 juillet 1978 ne fit pas l’objet d’un contrôlede constitutionnalité et fut publié au Journal officiel de la Républiquedès le 18 juillet 5. Il subira par la suite quelques modifications qui n’enont pas altéré fondamentalement la portée.

De cette gestation de la loi du 17 juillet 1978, dans son volet consacréau droit d’accès aux documents administratifs, il est loisible de tirerquelques enseignements.

Le premier est que l’intervention active (au forceps, pourrait-on dire) duParlement était entièrement justifiée. Elle avait été réclamée non seule-ment par les parlementaires eux-mêmes qui avaient déposé plusieurspropositions de loi en ce sens mais aussi par le Rapport De Baecque etplus tard par le Rapport Ordonneau.

Le rapport De Baecque, qui fut le rapport de référence tout au long desdiscussions parlementaires, s’était clairement prononcé en faveur d’untexte législatif ad hoc. Il s’agissait en effet de reconnaître un nouveaudroit, et d’en finir avec les pratiques du secret administratif complaisam-ment cultivées par une administration réticente à tout changement.

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1 JO Déb. Sénat, 1er juin 1978, p. 1098.2 JO Déb. Sénat, 1er juin 1978, p. 1092.3 JO Déb. Ass. nat., 27 juin 1978, p. 3518.4 L’intervention de la Commission mixte paritaire (rapport M. Aurillac, Doc. Ass. nat. 1978,n° 491, p. 2 ; rapport R. Schwint, Doc. Sénat 1978, n° 507, p. 2) ne porta que sur des détailsd’adaptation (JO Déb. Ass. nat., 1er juill. 1978, p. 3795 ; JO Déb. Sénat, 1er juill. 1978,p. 2016).5 P. 2851.

Seule une loi était susceptible de provoquer « le choc nécessaire aurenversement des habitudes administratives les mieux ancrées » 1 sou-lignait in fine ce document.

Les fondements constitutionnels de la loi n’appellent pas, à notre sens,d’objection particulière. Le droit d’accès aux documents administratifsest, de toute évidence, au cœur du droit de « demander compte à toutagent public de son administration », que l’article 15 de la Déclarationdes droits de l’homme et du citoyen reconnaît à « la société », lui offrantainsi un point d’ancrage constitutionnel difficilement contestable, ainsiqu’on l’a dit.

Au terme de sa démonstration, le Rapport concluait : « L’ensemble deces considérations conduit la Commission à proposer que soit ins-tauré, au profit du citoyen, un véritable droit à communication dont lesprincipes fondamentaux devraient être posés par le législateur » 2.

Outre l’article 15 de la Déclaration de 1789, l’intervention du législateurne pouvait-elle se prévaloir de l’une des dispositions les plus connuesde l’article 34 de la Constitution, qui réserve à la loi le soin de fixer lesrègles concernant « les garanties fondamentales accordées auxcitoyens pour l’exercice des libertés publiques » ? Ne s’agissait-il pasd’une « liberté publique » au sens de cette disposition constitution-nelle ?

On aurait pu être incité à le penser du seul fait que l’ensemble du pro-cessus législatif reposait manifestement sur cette interprétation.

La loi elle-même, dès son article 1er (modifié parla loi du 11 juillet 1979),n’affirmait-elle pas, non sans quelque redondance, que « le droit detoute personne à l’information est garanti par le présent titre en ce quiconcerne la liberté d’accès aux documents administratifs de caractèrenon nominatif » ?

Par ailleurs, le Conseil d’État, invité à étudier pour le compte du gouver-nement les moyens d’assurer une plus grande cohérence à l’ensembledes textes relatifs à l’accès aux documents administratifs – et de renfor-cer la protection des citoyens dans ce domaine – ne semble pas avoirenvisagé d’autres réformes que législatives 3.

Quant à la doctrine, elle avait accueilli ce droit comme une nouvelleliberté publique, qu’il convenait de rattacher au droit à l’information,lui-même constitutionnellement protégé parce que proclamé par la

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1 Rapport De Baecque, préc., Problèmes politiques et sociaux, 1977, n° 306, p. 12.2 Ibid., eod. loc.3 Conseil d’État, Pour une meilleure transparence de l’administration, Doc. franç., 1998,p. 69 et s ;

Déclaration révolutionnaire 1. A vrai dire, elle ne semble pas avoiréprouvé d’états d’âme particuliers sur ce point...

D’où vient alors le doute ?

On pourrait s’interroger sur le contenu exact de la qualification du droitd’accès aux documents administratifs comme liberté publique à la lec-ture d’une décision du Conseil constitutionnel en date du 10 mars1988 2 qui n’a reconnu un caractère législatif à l’obligation de motiver lerefus de communiquer un document administratif qu’en ce quiconcerne les collectivités territoriales (compte tenu du principe de libreadministration de ces collectivités) et les organismes privés chargés dela gestion de la sécurité sociale (eu égard à leur autonomie qui figureparmi les principes fondamentaux de la sécurité sociale) ; en revanche,poursuit le juge constitutionnel « dans les autres cas où elle reçoitapplication, l’obligation de motiver ne met en cause aucune des règlesnon plus qu’aucun des principes fondamentaux que la Constitutionréserve à la loi ». Le même raisonnement ne pourrait-il être repris pourd’autres dispositions du même texte ?

Quoi qu’il en soit, la consécration du droit d’accès aux documentsadministratifs comme garantie fondamentale de l’exercice des libertéspubliques a tardé quelque peu. Elle ne sera acquise qu’avec l’arrêt deSection du Conseil d’État du 29 avril 2002, Ullmann 3 dont on extraira lamotivation (significative) suivante : « les dispositions susmentionnées,relative à l’étendue du droit d’accès aux documents administratifsconcernent les garanties fondamentales accordées aux citoyens pourl’exercice des libertés publiques ;... elles portent ainsi sur des matièresréservées à la loi par l’article 34 de la Constitution ».

La cause est donc aujourd’hui entendue.

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1 En ce sens : H. Maisl, « Une nouvelle liberté publique : la liberté d’accès aux docu-ments administratifs » in Service public et libertés, Mélanges offerts au ProfesseurRobert-Edouard Charlier, Ed. de l’Université et de l’Enseignement moderne, 1981,p. 831 et s. ; G. Braibant, « Droit d’accès et droit à l’information », ibid., p. 703 et s. ;B. Lasserre, N. Lenoir et B. Stirn, « La transparence administrative, op. cit., p. 76(ces derniers auteurs évoquent la naissance de »droits nouveaux« : non seulement ledroit d’accès aux documents de caractère non nominatif, qui appartient à »toute per-sonne« , mais aussi le droit de prendre connaissance des documents nominatifs lesconcernant ouvert aux personnes qui la demandent, sans que puissent leur être oppo-sés des motifs tirés du secret de la vie privée, du secret médical ou du secret enmatière commerciale et industrielle dès lors que ces documents portent exclusive-ment sur des faits qui leur sont personnels (ce droit a été introduit par la loi n° 79-857du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l’améliorationdes relations entre l’administration et le public (préc. ; v. aussi le décret n° 79-834 du22 septembre 1979 – JO 29 sept., p. 2418 – portant application de l’article 9 de la loin° 78-753 du 17 juillet 1978 en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents admi-nistratifs) – ou le droit de prendre connaissance des informations nominatives conte-nues dans des documents administratifs dont le conclusions sont opposées àl’intéressé (art. 3 – ou encore le droit d’être informé de l’existence même de documentsadministratifs, droit qui se situe en amont des précédents (art. 9).2 Décis. n° 88-1542 du 10 mars 1988, Rec., 1988, p. 42.3 RFDA, 2003, p. 135, concl. D. Piveteau ; AJDA, 2002, p. 691, note Ph. Raimbault.

Il est évident qu’une telle consécration ne peut que renforcer les garan-ties juridictionnelles apportées à l’exercice d’une liberté publique 1.

Il n’était pas dans notre propos d’analyser la loi du 17 juillet 1978 dansle détail de ses dispositions techniques. Au demeurant, elle futmodifiée à plusieurs reprises 2 pour tenir compte des difficultés d’appli-cation qu’elle avait rencontrées sur le terrain 3, de la politique de laCADA et de la nouvelle jurisprudence du Conseil d’État.

On ne pouvait s’attendre à ce qu’un texte de cette nature, mis au pointpar le législateur de 1978 dans une certaine ambiguïté, inséré dans uncontexte de réformes administratives qui n’était pas préparé à le rece-voir et où il tranche, par la généralité de ses termes, avec les autresmesures ponctuelles adoptées dans la même loi, résolve à lui seul lesmultiples difficultés du droit d’accès aux documents administratifs.

Aussi bien a-t-il été accueilli parfois avec un certain scepticisme,au-delà de l’adhésion de principe que la considération d’une nouvelleliberté publique ne pouvait que susciter.

Certains 4 lui ont reproché une trop grande part d’indétermination, tanten ce qui concerne la définition des documents soumis au droit d’accèsque la détermination des bénéficiaires de la communication – ou celledes personnes assujetties à l’obligation de communiquer les documentsqu’elles déterminent – ou celle de la date à laquelle la communicationdevrait avoir lieu pour être utile 5.

On a regretté à l’occasion que la communication, premier pas vers latransparence, ne s’accompagne pas d’explications et de discussionsqui permettraient aux intéressés de participer plus utilement et plusétroitement à l’action administrative 6. On a contesté le système de ladouble énumération, des catégories de documents communicables et

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1 V. par ex. CE, Sect., 23 déc. 1988, Banque de France c. Huberschwiller, Rec., p. 464 ;RFDA, 1989, p. 973, concl. S. Daël ; AJDA 1989, p. 99, chron. M. Azibert et M. de Bois-deffre ; D. 1989. SC. 375, obs. F. Llorens et P. Soler-Couteaux ; CE 30 juin 1989, Ministrede l’Economie, des Finances et de la Privatisation c. David, AJDA 1990, p. 47, concl.M. Fornacciari ; CE, Sect., 1er déc. 1989, SARL Société nouvelle d’édition et de diffusion,Rec., p. 246.2 La première modification intervint quelques mois seulement après le vote de la loi(loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs,JO 12 juill., p. 1711). D’autres suivirent : décr. n° 88-465 du 28 avril 1988, relatif à la procé-dure d’accès aux documents administratifs, JO 30 avr., p. 5900 ; loi n° 2000-321 du12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administra-tions, JO 13 avr., p. 5646.3 V. par ex. B. Lasserre, « La Commission d’accès aux documents administratifs », EDCE1981-1982, n° 33, p. 49 et s. ; B. Lasserre, « Six ans après le vote de la loi du 17 juillet1978 : une administration plus transparente ? », EDCE 1983-1984, n° 35, p. 99 et s.4 A. de Laubadère, chron. de législation, AJDA 1978, p. 495 et s.5 Ont été évoqués ainsi les problèmes posés par la communication des contrats del’administration, des documents préalables, des documents préparatoires, etc.6 P. Dibout, « La liberté d’accès aux documents administratifs. Commentaire du Titrepremier de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 », Rev. adm., 1979, p. 23 et s., not. p. 26.

des documents exclus de la communication 1, ainsi que certainesimprécisions dans la définition et l’étendue des secrets administratifsautorisés. On a mis en doute la légitimité de l’intervention des ministè-res dans l’établissement des listes de documents communicables(ou de catégories de documents) et l’on a soupçonné le législateur defaire la part encore trop belle au pouvoir exécutif.

Les modalités d’exercice du droit d’accès sont apparues parfois tropcomplexes et dissuasives pour les intéressés ; l’intervention de laCADA, fût-ce à titre consultatif, a été considérée ainsi par certainscomme un élément de lourdeur supplémentaire du dispositif ; enjouant sur les délais et les mauvaises volontés accumulées, l’adminis-tration serait en mesure, sinon de paralyser le système, du moins d’enralentir la marche et d’en altérer fortement le fonctionnement. D’autresont estimé qu’en cantonnant la CADA à un rôle consultatif le législateurde 1978 avait rendu un mauvais service à la juste cause du droit d’accès :par rapport à des institutions chargées comme elle d’améliorer les rela-tions entre l’administration et les administrés, la Commission feraitpâle figure.

On a déploré aussi la coordination incertaine entre les grandes lois desannées 1978-1979, et les risques de confusion qu’elle engendrait(pare x. pour le traitement rationnel des informations« nominatives ») 2.

En toute hypothèse une amélioration des textes n’entraîne pas parelle-même une modification des comportements. Au-delà des lacuneset des insuffisances techniques de la loi du 17 juillet 1978 (dont certai-nes ont été d’ailleurs corrigées ou atténuées par la CADA ou par le jugeadministratif, voire par le législateur lui-même), on ne saurait avancerque les relations entre l’administration et les administrés aient été radi-calement réexaminées et réorganisées sur ce terrain 3. Il est vraisem-blable, soulignent les observateurs, que certaines administrations ontgardé la nostalgie du secret et se sont efforcées, par des biais divers, deprolonger leurs vieilles habitudes ; il n’est donc pas exclu que l’inertiedes services ait parfois, derrière le paravent des difficultés techniquesou des problèmes de personnel, retardé la mise en œuvre de la loi ou lebon fonctionnement du système, – et que des chausses-trappessavamment disposés sur le chemin des administrés les aient tenus àdistance quelque temps des gisements documentaires utiles. Peut-êtremême des besoins réels du public en informations administratives

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1 P. Dibout, ibid., p. 27.2 Ce thème a fait l’objet d’un rapport du Conseil d’État, Pour une meilleure transparencede l’administration. Etude sur l’accès des citoyens aux données publiques, Doc. franç.1998, p. 11 et s. – et la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyensdans leurs relations avec l’administration, JO 13 avr., jp. 5647 a tenté d’y porter remède.3 J. Chevallier, « Le mythe de la transparence administrative », in Information et transpa-rence administratives, CURRAP, PUF, 1988, p. 240 et s., not. p. 257 et s. ; A. Roux,« La transparence administrative en France », Ann. eur. adm. publ. 1989, T. XII, CNRS,p. 57 et s., not. p. 89 et s.

ont-il été surévalués – hormis les hypothèses où l’intérêt personnel ousemi-personnel des administrés est en cause.

L’administration, six ans après le vote de la loi du 17 juillet 1978, est-ellevraiment plus transparente ?, se demandait le Président B. Lasserredans une étude publiée dans Études et documents du Conseil d’État en1983 1. La réponse ne pouvait être à l’époque que nuancée et raisonna-blement optimiste ; mais, aujourd’hui, les choses ont-elles tellementchangé ?

Dans toute expérience de ce type, mettant en présence les agents et lesadministrés, les services et le public, il est évident que le temps et l’expé-rience jouent un rôle majeur. Savoir comment la loi de 1978 a étéconçue et élaborée ne nous informe pas nécessairement sur les straté-gies respectives des destinataires du message, sur la manière dontcelui-ci sera reçu et interprété, sur les effets induits et à long terme qu’ilsera amené à produire.

Vingt-cinq ans après la réforme de 1978, y voit-on plus clair ? Ce Col-loque nous le dira peut-être, mais il convenait d’abord de situer la loidans son contexte et de rappeler les intentions de ses auteurs. C’est ceque je me suis efforcé de faire devant vous.

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1 B. Lasserre, « Six ans après le vote de la loi du 17 juillet 1978 : une administration plustransparente ? », Et. et doc. CE 1983, n° 35, p. 99 et s.

Table ronde

La genèse de l’élaborationdu droit d’accès en France

Présidence : ROLAND DRAGO,membre de l’Institut

Ainsi que vous l’avez constaté, ce colloque comporte cinq tables ron-des portant sur les questions les plus importantes relatives à la loi de1978. C’est dire l’intérêt que les organisateurs attachent à la participa-tioon. Or le public est très nombreux mais il est essentiel que desdébats soient organisés pour que les uns et les autres puissent faireétat de leurs expériences et manifester leur opinion.

Le thème que nous allons aborder a pour titre : « genèse de l’élabora-tion du droit d’accès en France ». Il s’agit donc d’aborder les motifs etles précédents de la loi de 1978, ensuite du processus de décisionlui-même et enfin de la période 1978-2000 avec les réactions des parti-culiers, des juges et les autorités publiques. On parviendra alors à laréforme opérée par la loi de 2000 à partir des propositions figurantdans le rapport de M. Combarnous et à propos des débats au Sénat quiprésentent un grand intérêt.

Il conviendra aussi d’aborder des débats qu’on pourrait dire adjacents.D’abord, les rapports de la CADA avec les autorités administrativesindépendantes ayant des fonctions comparable, notamment avec laCNIL, d’où la présence de M. Gentot à ce bureau. Il conviendra égale-ment, au cours de ces débats, d’évoquer la jurisprudence administra-tive, une jurisprudence très significative et très originale qui a dû définirles droits résultant de la loi, clarifier les procédures et déterminer lescompétences des autorités intervenantes.

Je donnerai d’abord la parole à M. Aurillac en raison du rôle qu’il a jouéen 1978 à propos de cette loi qui avait un objectif modeste mais qui a vuapparaître, au cours de son adoption, un titre premier inattendu et quien est devenu la partie essentielle. D’où l’intervention du présidentForni qui pourra vous informer et vous faire réfléchir sur ce change-ment.

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Bien entendu, et en suivant la chonologie, la parole reviendra ensuite àM. Combarnous, à propos de son rapport mais aussi, si possible, unretour de M. Forni et l’intervention de M. Amoudry, chacun d’eux à pro-pos de l’orientation des débats parlementaires. M. Gentot prendraensuite la parole à propos des rapports avec la CNIL, ainsi que je l’aiindiqué. Enfin M. Lasserre cloturera la séance. Il parlera en tant quemembre du Conseil d’État, de la jurisprudence dont j’ai indiqué l’impor-tance mais aussi en tant que membre de la CADA.

Les rapports devront être brefs. Ensuite, les participants à la Tableronde pourront discuter entre eux et je m’efforcerai de faire participerle public de façon active en raison de son importance et de l’utilité quej’ai déjà signalée de ce débat.

En conclusion, je voudrais dire que la loi de 1978 a fait naître un droit àl’information, un droit nouveau qui s’exerce à l’égard des autoritéspubliques. On pourrait donc se demander si ce droit a une existenceconstitutionnelle. Quant à moi, je ne le pense pas mais j’estime qu’ilfaudra trancher la question.

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MICHEL AURILLAC,ancien ministre

Les origines parlementaires du droitd’accès

Le 6 avril 1978, le Gouvernement BARRE déposa sur le bureau del’Assemblée nationale un projet de loi portant diverses mesures d’amé-lioration des relations entre l’administration et le public.

Repris d’un projet non mené à terme sous la précédente législature, cetexte comprenait six titres et vingt cinq articles, complétant ou modi-fiant le droit en vigueur dans des domaines aussi divers que le servicenational, les pensions militaires d’invalidité, la sécurité sociale, le codedu travail, la fiscalité, le permis de chasser, l’autorisation de certainsspectacles. Le détail est encore plus pointilliste que la répartition partitres, souvent arbitraire n’aurait pu le laisser penser, vingt huit matiè-res, modifiant autant de codes et loi, un inventaire à la Prévert, dont leprécédent rapporteur, M. BIGNON, avait souligné le caractère limité ethétérogène.

Pas un mot sur le droit d’accès. Malgré quelques améliorations tangi-bles dans le maquis conservé des procédures administratives, pas dequoi marquer les relations entre l’État et les citoyens.

Trois mois et douze jours plus tard, le 18 juillet 1978, paraissait au jour-nal officiel, une loi datée de la veille « portant diverses mesures d’amé-lioration des relations entre l’administration et le public et diversesdispositions d’ordre administratif, social et fiscal ».

C’est la loi dont nous célébrons aujourd’hui le vingt cinquième anniver-saire. Pas pour son titre, aussi peu excitant que celui du projet d’avrilmais pour son contenu quelque peu révolutionnaire dans un contexteadministratif très conservateur en matière de rapports, oh combieninégaux, entre l’administration et les administrés, cette sous-catégoriede citoyens.

La loi a pris de l’ampleur, 64 articles, au lieu de 25, 19 de plus, neuf titresau lieu de six, s’efforçant de regrouper plus logiquement les simplifica-tions proposées, quelques dispositions nouvelles, un Titre IV du auprésident de la commission des lois, M. Jean FOYER, supprimant unegigantesque paperasserie relative à l’honorariat des fonctionnaires,attribué désormais de plein droit, sauf opposition de l’autorité investiedu pouvoir de nomination ou retrait pour indignité, au Titre VIII, unarticle 55 dont je revendique la paternité, supprimant une irrecevabilité,

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purement formelle pour le contribuable perdu entre les services d’as-siette et ceux du recouvrement.

Pour intéressantes qu’elles soient, ces modestes dispositions n’ali-menteraient pas un colloque, s’il n’y avait le Titre premier : « De laliberté d’accès aux documents administratifs »

Ce titre est entièrement nouveau, de construction purement parlemen-taire, sans aucune amorce dans le projet gouvernemental.

Après une définition extensive des documents administratifs, l’article 2pose le principe révolutionnaire : « les documents administratifs sontde plein droit communicables aux personnes qui en font la demande,qu’ils émanent des administrations de l’État, des collectivités territoria-les, des établissements publics ou des organismes, fussent-ils de droitprivé, chargés de la gestion d’un service public ».

On a pu soutenir que cette réforme était dans l’air du temps. A la suitedes travaux de la commission de coordination de la documentationadministrative présidée par Francis DE BAECQUE et du groupe de travailprésidé par Louis FOUGERE, un décret du 11 février 1977 créa une« commission chargée de favoriser l’accès aux documents administra-tifs ». Ce fut la commission ORDONNEAU, dont le rapporteur généralétait M. Renaud DENOIX DE SAINT-MARC. Très vite la commission réa-lisa qu’elle avait une mission impossible : elle devait déterminer, sousréserve d’approbation par arrêté du Premier ministre, les catégories dedocuments et, sous réserve d’approbation, par arrêtés interministériels,les documents communicables aux administrés, sur leur demande.

Dans son premier rapport d’activité, publié en juin 1978, la commissionORDONNEAU, devant les réticences évidentes des administrations éle-vées dans le culte du secret, suggérait de renverser le principe, toutserait communicable, à l’exception du petit nombre des documentsdont la communication porterait atteinte à l’intérêt général ou à desdroits des particuliers.

C’est précisément ce que le Parlement était en train de mener à bonport. Non sans avoir affronté des tempêtes.

Je vous raconterai cette histoire, à la façon d’un roman d’aventures...où tout est vrai. Trois chapitres : le complot, le miracle du consensus, le« deus ex machina »

Le complot : Trois comploteurs au sein de la commission des lois :Alain RICHARD, Jean FOYER, Président de la commission, moi-même,rapporteur ; un socialiste, deux gaullistes mais surtout deux membresdu conseil d’État, administrativistes, un professeur de Droit, éminentciviliste, quelque peu condescendant à l’égard d’une branche du droitqu’il tenait pour mineure mais bienveillant à notre initiative.

Pour camper le décor, il convient de préciser que nous étions, AlainRICHARD et moi, tous nouveaux parlementaires, quelque peu

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inconscients des limites du droit d’amendement lorsque le gouverne-ment c’est-à-dire les administrations dont les ministres, à peine entrésen fonction ont naturellement tendance à être les porte-parole, se mon-trent réticents pour des tas de bonnes raisons.

Nous arrivions tous deux de la section du contentieux du conseil d’Étatque nous avions quittée pour faire campagne dans des camps opposésmais étions d’accord pour saisir l’occasion de ce projet de loi peu appé-tissant pour y introduire, sans diktat de nos partis respectifs, cetteréforme, essentielle à nos yeux pour rendre l’administration napoléo-nienne plus moderne et, pour tout dire, vraiment démocratique. Outrele soutien et les conseils avisés de procédure parlementaire du prési-dent FOYER, nous avons reçu l’appui des membres les plus actifs etinfluents de la commission, Philippe SEGUIN et surtout RaymondFORNI, juriste lui-même, dont l’influence au sein du groupe socialiste abeaucoup fait pour que sur cette « réforme de société, le clivage droitegauche ne conduise pas à un blocage.

Le miracle du consensus, réalisé au sein de la commission des lois semaintint au cours des débats en séance publique qui se déroula les 25et 26 avril, moins de trois semaines après le dépôt du projet, délai brefqui dissimule, un quart de siècle plus tard, les fortes tensions entre lesadministrations et le Parlement, dont le secrétaire d’État JeanDOMINATI, chargé de la réforme administrative, soumis à la forte pres-sion des grands ministères, les finances en tête, était le passage obligé.

Le but évident était de disjoindre le Titre Préliminaire, aujourd’hui TitrePremier, pour le faire rejeter ou pour le dénaturer en renvoyant auxcalendes son application par décret.

En tant que rapporteur j’étais fort inquiet. Je le fus plus encore quandJean FOYER, paraissant entrer dans le jeu du ministre, proposa deréserver pour la fin l’examen du Titre litigieux. C’est alors que je mesu-rai son habileté manœuvrière. « Le gouvernement est représenté parun secrétaire d’État, certes auprès du Premier ministre mais le Premierministre lui-même ne s’est pas exprimé. Vous connaissez personnelle-ment M. Raymond BARRE, avez vous la possibilité de lui expliquer l’af-faire, mieux de le rencontrer ?

Avec l’outrecuidance du néophyte et la confiance que m’inspiraientdes relations d’amitié anciennes, nouées à la Cité universitaire et àl’Ecole pratique des hautes études, j’appelai Matignon et obtins un ren-dez-vous pour le soir même.

Le deus ex machina fut donc Raymond BARRE.

Je garde un souvenir précis et ému de cet entretien dans lademi-pénombre du bureau du Premier ministre, au premier étage del’hôtel de Matignon.

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Il m’écouta attentivement, sans regarder la petite note, une page maxi-mum, selon le bon usage appris dans les cabinets ministériels que j’avaispréparée.

« Vous savez aussi bien que moi que notre administration, malgré sabonne qualité d’ensemble, a le défaut d’être attachée à ses habitudesnées à une époque où la plupart des citoyens étaient illettrés. Elle acontinué après, bien après et ne peut accepter et encore moins conce-voir une réforme qui lui donne l’impression de perdre son imperium.Vous avez raison, veillez simplement aux exceptions ».

Nous avions gagné, on le vit, le lendemain, lorsque le secrétaire d’Étatleva la plus part de ses objections, on le vit aussi au Sénat où le rappor-teur M. SCHWINT, au nom de la commission des affaires sociales et lerapporteur pour avis, au nom de la commission des lois, M. THYRAUDs’impliquèrent dans l’amélioration du texte, notamment en ce quiconcerne la CADA.

Le texte définitif de la Commission mixte paritaire fut voté par les deuxassemblées le 1er juillet.

Depuis, la loi de 1978 a vécu sa vie de loi, elle s’est heurtée à la pratiqueadministrative, des administrations d’État et des collectivités locales,on s’est interrogé sur les limites qu’elles avait posées concernant la vieprivée et le secret de l’action gouvernementale, elle a été complétée etmodifiée par la loi du 12 avril 2000. L’essentiel de son objet demeure :la communicabilité en principe, la CADA pour en assurer l’exécutionpar une jurisprudence régulatrice.

Que retenir d’autre : un exemple trop rare de vraie création législativepar voie d’amendement dans un climat consensuel pour ce qui est,dans le monde moderne, un vrai sujet de société.

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RAYMOND FORNI,ancien président de l’Assemblée nationale

Mon témoignage va effectivement dans le sens de celui que je viensd’entendre de Michel Aurillac, tout simplement parce que ces périodesque nous avons vécues ensemble font partie des périodes de grandeintensité, où l’on a eu plaisir à siéger dans nos assemblées, que ce soitau Sénat ou à l’Assemblée nationale, et où le sentiment que l’on éprou-vait était d’être utile à son pays en légiférant dans le cadre qui est lenôtre. Je voudrais peut-être aller un tout petit peu plus loin que MichelAurillac dans la description du climat qui régnait à la Commission deslois dont j’ai la faiblesse de penser qu’elle est une des plus belles et desplus grandes commissions de l’Assemblée nationale. Ce climat étaitparticulier puisque présidé par Jean Foyer, après une longue périodede présidence de René Capitan. Il y avait à l’intérieur de cette commis-sion des spécialistes, des hommes et des femmes passionnés par ledroit, qu’ils soient privés ou publics, et qui avaient la volonté tout sim-plement de faire avancer les choses, d’aller en direction d’un Étatmoderne prenant en compte les préoccupations de nos concitoyens.

La loi de 1978 ayant déjà été évoquée par Michel Aurillac, je m’attarde-rai un instant sur un autre texte qui lui est concomitant : la loi du 6 jan-vier 1978 qui a créé la Commission nationale Informatique et Liberté,dans un pays moderne. Nous étions l’un des premiers pays au monde àcréer ce type d’institution, parce que nous nous étions rendus compte,tout simplement, que la puissance de l’État, de l’administration plutôt,pouvait être telle qu’elle mettait en cause les libertés de nos conci-toyens et peu importe finalement le clivage politique. Ce qui est essen-tiel, c’est la prise de confiance que l’on manifeste à un moment donnédu danger que peut présenter le développement d’une technologie et,au cas d’espèce, de l’informatique.

À cette époque, il était beaucoup question du caractère infalsifiable descartes d’identité, d’un fichier central situé au ministère de l’Intérieur,susceptible de contenir un nombre de données considérable sur lesFrançais et sur les autres. Dans ce document que l’on entendaitremettre à chacun d’entre nous comme un espèce de sésame qu’il fal-lait absolument détenir pour tout simplement aller et venir, on enten-dait donner des informations à l’Administration qui est quelque chosed’assez insaisissable – parce que l’Administration, dirigée par un gou-vernement, un gouvernement qui change, c’est en général assez incon-trôlable et sa puissance est telle que les gouvernements suivent plutôtqu’ils ne précèdent les administrations.

Par conséquent la discussion de la loi du 6 janvier 1978 a été pour moiun grand moment parlementaire. J’étais à l’époque relativement jeuneparlementaire puisque j’avais été élu en 1973, et si je déroule cette vie

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au Parlement, il y a eu des moments où j’ai eu le sentiment, dans l’op-position ou la majorité, d’être utile, dans une ambiance qui était convi-viale, contrairement à ce que l’on peut croire, d’hommes et de femmesqui se respectaient les uns les autres et qui, au terme d’une discussionde droit, même si nous étions en désaccord sur un certain nombre dedispositions, avaient le souci de faire avancer globalement les choseset donc convenaient ensemble, au sein de la commission, que sur teltexte nous allions nous abstenir, que sur tel autre nous allions voterpour, que sur telle disposition nous serions contre mais sans que celane préjuge d’une approbation finale de ce que nous proposait alors ungouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche.

C’est ainsi que la loi du 6 janvier 1978 a constitué un pas considérabledans la protection de nos concitoyens et que la loi dont parlait MichelAurillac créant la CADA et fixant les modalités des relations entre lescitoyens et l’Administration, ont permis, l’une et l’autre, de faire avan-cer l’approche que l’on peut avoir de l’État, du système qui est le nôtreet qui prévaut depuis déjà longtemps.

Il y a deux types de loi à mes yeux : celles qui précèdent l’opinion et quidemandent un peu de courage politique pour les mettre en œuvre – jepense à l’abolition de la peine de mort, au Pacs ou à des lois qui enquelque sorte précèdent l’évolution de la société ou, en tous les cas,essaient sur le plan du droit de devancer cette évolution pour éviter jus-tement que ces évolutions ne puissent nuire dans leur développementà nos concitoyens. En second lieu, il y a les lois, qui sont les plus nom-breuses, qui, en général, suivent plutôt l’évolution de la société,c’est-à-dire prennent en compte cette évolution et mettent en œuvre ledispositif législatif permettant d’encadrer en quelque sorte cette évolu-tion.

Entre 1978 et 2000, puisque j’ai pour mission de parler de la loi du12 avril 2000, il y a eu à l’évidence des évolutions. En résumé, les tech-nologies ont évolué, les moyens de l’Administration sont devenus deplus en plus importants, l’aspiration de nos concitoyens à un change-ment de comportement des administrations vis-à-vis d’eux est quelquechose que l’on ressent de plus en plus fortement. Bref, toutes ces évo-lutions ont été intégrées et ont conduit à cette discussion de la loi de2000 qui a permis de fixer une nouvelle étape. L’accumulation de cesinstances indépendantes, autorités indépendantes comme la CNIL oula CADA, a dans un premier temps quelque peu bouleversé les tradi-tions et les habitudes, et parfois conduit à des concurrences entre telleet telle commission. La rivalité entre la CNIL et la CADA a existé à unecertaine époque, il ne faut pas le nier. Et j’ai vécu ces rivalités de l’inté-rieur, puisque j’étais membre de la CNIL pendant un certain nombred’années.

Aujourd’hui les choses se sont apaisées, chacun me semble-t-il atrouvé la place qui a été fixée par le législateur, et même si nous

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aurions pu parfois nous dispenser de légiférer car beaucoup de chosespeuvent relever du simple domaine réglementaire, c’est tout simple-ment pour marquer la volonté du législateur dans l’évolution de notresociété. Il me semble que tout cela s’inscrit dans ce que l’on appelleaujourd’hui la modernisation de l’État, que cela fait partie de ces étapesqu’il faut absolument franchir le plus sereinement possible si l’on veutaller justement vers un État moderne correspondant à l’aspiration denos concitoyens.

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MICHEL COMBARNOUS,président de section au Conseil d’État

La loi de 1978 a échappé pendant une longue période, pratiquementjusqu’à 2000, au prurit législatif et n’a guère subi de modifications.Aujourd’hui, on le sait, le texte de la loi de 1978 résulte pour l’essentielde la loi du 12 avril 2000 même si en réalité, il s’agit très souvent d’uneréécriture. Si les différences de fond entre les deux textes, le texte d’o-rigine et le texte tel que modifié par la loi de 2000, ne sont pas négligea-bles, les modifications apportées par cette loi sont tout de même desmodifications un peu à la marge par rapport aux principes définis par laloi de 1978.

Sur l’origine et les conditions d’élaboration du projet de loi devenu laloi du 12 avril 2000, je n’aurai malheureusement rien de très imprévu nide très pittoresque à apporter, contrairement à ce qu’a raconté MichelAurillac sur l’élaboration de la loi de 1978 car ce projet a suivi des voiestrès classiques et très normales.

L’origine de cette loi du 12 avril 2000, ou plutôt, du chapitre 2 de sontitre Ier qui traite de la transparence administrative, se trouve essentiel-lement dans une réflexion de diverses instances, notamment de laCADA, sur les difficultés, les incohérences, les incertitudes, rencon-trées dans l’application de la loi du 17 juillet. Et je crois qu’on peut situerle point de départ du projet de loi lui-même dans différents rapports :rapport de la CADA, pour l’année 1988 rapport du Conseil d’État qui,dans ses considérations générales pour l’année 1995, avait présentéune vaste étude sur « transparence et secret ».

Parmi les nombreuses orientations que suggérait cette étude, il étaitnoté en particulier qu’il y avait dans ce domaine de l’accès aux docu-ments administratifs et à l’information administrative, des simplifica-tions et harmonisations nécessaires. Le rapport se référait en premierlieu à cet égard aux difficultés de combinaison entre la loi du 17 juillet1978 et les lois particulières qui continuaient à régir la communicationde toute une série de documents administratifs. Le deuxième pointsouligné par cette étude était le problème de la combinaison entre lesdeux lois dont vient de parler le président Forni, celle du 17 juillet etcelle du 6 janvier 1978 relative à l’informatique et aux libertés, avec leproblème en particulier de la communication à des tiers d’informationsnominatives, qui a été dans une large mesure le cœur du débat danscette affaire.

A la suite de cette étude du Conseil d’État, il y a eu en quelque sorte laréponse du berger à la bergère, sous forme d’une « commande » passéepar le Premier ministre qui, par une lettre du mois de septembre 1996, ademandé au Conseil d’État de réfléchir à ces problèmes d’harmonisationdes différentes dispositions législatives sur l’accès à l’information

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administrative et de proposer des solutions. Il s’agissait essentielle-ment des rapports entre les deux lois de 1978 et de ces deux lois avecla loi sur les archives 1979 et enfin des lois particulières régissantl’accès à différents types de documents ou d’informations administrati-ves. Cette commande a été reçue par le Conseil d’État dans les condi-tions habituelles. L’étude a été confiée à la Section du rapport et desétudes, dont c’est le métier. Celle-ci a elle-même confié la préparationdu travail à un groupe de travail que j’ai eu le plaisir de présider, ce quifait qu’on appelle le rapport issu de ces travaux le rapport Combar-nous, ce qui est tout à fait inexact : ce fut un travail collégial, et la plumea été tenue principalement par de talentueux rapporteurs. Une petiteannotation sur les conditions dans lesquelles le travail s’est déroulé : cefut un travail très consensuel dans lequel on n’a pas relevé d’opposi-tions de doctrine ni d’institutions. Je n’ai pas du tout senti ce à quoi leprésident Forni vient de faire allusion, à savoir une certaine rivalitéentre des institutions comme la CADA ou la CNIL, qui étaient fortementreprésentés au sein du groupe de travail.

Ce groupe de travail a donc préparé un rapport qui a été adopté sansgrande difficulté par l’assemblée générale du Conseil d’État et envoyéau gouvernement ; cela devait se passer à la fin du premier semestre1997. On avait été relativement vite, et en particulier parce que, – zèleou naïveté –, on pensait qu’il y avait une urgence à précéder les textesde transposition de la directive de 1995 des Communautés européen-nes sur la protection des données personnelles alors que, comme on lesait, les choses ont beaucoup tardé. Le texte a donc été remis au gou-vernement à cette époque et, si je ne me trompe, il y a eu un premierdépôt du projet de loi devant l’Assemblée nationale en 1998, qui a étéretiré pour des raisons d’encombrement parlementaire. Le texte futdéposé ensuite, six ou huit mois après, cette fois devant le Sénat.

Quelles ont été les principales conclusions de cette étude ? Elle s’estorientée essentiellement sur une articulation entre les différents textesqui régissent l’accès aux informations administratives et la protectiondes citoyens en ce qui concerne les fichiers informatisés. Je résumetrès rapidement ces conclusions avant de vous parler des évolutionsqui se sont produites entre l’étude et le projet de loi tel qu’il a étédéposé par le gouvernement quelques mois après.

Premier point, et c’est à beaucoup d’égards le point central : les rap-ports entre la loi du 6 janvier et celle du 17 juillet 1978. Il y a une disposi-tion-clef, qui n’est pas incluse dans la loi du 17 juillet mais dans celle du6 janvier. Elle permet une articulation entre les deux textes différente,sinon contraire à celle qu’avait fait prévaloir la jurisprudence : on ypose comme principe que les dispositions de la loi du 6 janvier ne fontpas obstacle à la communication à des tiers des informations nominati-ves dans les conditions et sous les limites prévues par la loi du 17 juil-let. Toutes les autres dispositions proposées sont pour l’essentiel

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induites par cette disposition-clef, en sont le corollaire : suppression dela notion « d’information nominative », distinction dans la non-commu-nicabilité entre une non-communicabilité absolue à l’égard de tous, etune non-communicabilité à l’égard des tiers ; définition des informa-tions ne pouvant être communiquées aux tiers, qui reprend pour l’es-sentiel la définition de la jurisprudence de la CADA et du Conseil pourl’application de la loi du 17 juillet.

Voilà l’essentiel des modifications proposées par la Section du rapportet des études et par le Conseil. Par ailleurs, il y avait également, pouréviter toute difféence de traitement suivant le support sur lequel setrouvent les informations, des précisions apportées tant sur la défini-tion matérielle du document, que sur les conditions de communication.

Le deuxième point avait été soulevé par le Conseil en 1995 : l’harmoni-sation entre la loi de 1978 et des lois particulières en matière de com-munication. Les conclusions ont été extrêmement prudentes, carfinalement on n’a proposé aucune modification de fond, la réflexionayant conduit à penser que l’existence de ces textes était justifiée, avecsoit une application exclusive, soit parfois une application alternativeou successive des différents textes. La modification proposée a été uni-quement de procédure : une extension de la compétence de la CADAen matière de communication d’informations prévue par différentesdispositions législatives énumérées dans le texte et que vous connais-sez : ce sont ces dispositions dont a parlé le professeur Moderne tout àl’heure.

Je passe complètement sur les autres conclusions du groupe d’étudequi n’étaient pas sans intérêt, mais qui, ou bien sont étrangères au sujettraité aujourd’hui, (en particulier en ce qui concerne les rapports entrela loi Archives et la loi Informatique et Liberté) ou bien – s’agissant desrapports entre la loi Archives et la loi du 17 juillet 1978 – ont abouti dansle projet de loi à une disposition de procédure, d’ailleurs importante,qui prévoit l’intervention de la CADA en matière de communication dedocuments lorsqu’ils revêtent le caractère d’archives et non plus dedocuments vivants.

Voilà quelles ont été les conclusions du Conseil, qui ont été quasi inté-gralement reprises dans le projet de loi déposé quelques mois après.Les différences de forme ne sont pas très importantes et correspon-dent dans certains cas à une amélioration du texte, parfois peut-être àune certaine redondance. Les seules modifications de fond intéressentla définition des documents administratifs qui est dans le projet de loiun peu plus restrictive que dans les propositions du Conseil, puisquene sont plus désormais des documents administratifs en principe com-municables certains rapports ou travaux des chambres régionales descomptes, ainsi que les documents d’instruction des réclamations aumédiateur de la République.

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Je termine avec une ou deux remarques générales : en premier lieu,l’ambition de ces avant-projets de texte et des travaux de la Section durapport et des études du Conseil peut apparaître modeste. On s’estinterrogé au début des travaux sur la question de savoir s’il était bienraisonnable de procéder par aménagements des textes existants, et sil’on ne devait pas s’orienter vers une grande loi qui traiterait de façongénérale du droit à l’information et du régime législatif des documentset informations administratives. Si on ne l’a pas fait, c’est d’abord parceque cela ne nous était pas demandé, et ensuite parce que les discus-sions que nous avons eues sur ce point ont montré qu’une telle ambi-tion aurait été extrêmement difficile à soutenir ; que personne n’avaitvéritablement réfléchi à l’élaboration d’une telle législation et chacunedes lois des années 1970 c’était développée avec ses pratiques, sesinstitutions, sa jurisprudence. Par conséquent on s’est limité à quelquechose qui respecte la logique des textes existants et qui constitue desmodifications un peu marginales de ces dispositions.

Deuxièmement, l’idée générale de ces propositions sur le fond a été defavoriser la transparence, et c’est un texte qui est incontestablementlibéral dans son inspiration, même si l’on reste dans un système trèséquilibré, comme l’était le texte d’origine de 1978.

Enfin dernière remarque et là c’est un regret que j’exprime, c’est que legouvernement a rédigé sur la base de nos propositions un texte à peuprès illisible. Je crois que c’était la rançon à payer pour avoir voulurégler simultanément des problèmes qui ressortissaient de différentstextes. La condition du succès de l’opération était effectivement quedans une même loi, on modifie les deux lois de 1978, la loi de 1979 etquelques autres textes. Cela supposait une série de dispositions quiprennent l’apparence de modifications très techniques, et je crois quesi les textes qui sont issus de ces modifications ont plutôt gagné enqualité, la loi de 2000 est elle-même malheureusement d’une lecturedifficile.

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JEAN-PAUL AMOUDRY,sénateur de la Haute-Savoie

Madame la Présidente,Mesdames et Messieurs les Professeurs, Conseillers,...Mesdames et Messieurs,

En ma qualité de rapporteur au Sénat de la loi du 12 avril 2000 relativeaux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, jerappellerai ici les travaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat dansl’élaboration de ce texte.

Ce projet de loi a été examiné en premier lieu par le Sénat (1ère lectureen séance publique le 10 mars 1999).

Après deux lectures dans chaque assemblée, qui se sont déroulées jus-qu’à l’automne 1999, une Commission Mixte Paritaire a été réunie enjanvier 2000.

A la suite de l’échec de la CMP, la navette a repris devant chaqueassemblée pour la nouvelle lecture et la procédure a été achevée avecune ultime lecture par l’Assemblée Nationale le 30 mars 2000.

Soit une procédure parlementaire qui s’est déroulée sur une année pleine.

Les travaux du Parlement

Rappelons tout d’abord les deux axes majeurs du volet consacré à latransparence dans la loi du 12 avril 2000 (articles 5 à 9 de la loi)

1°) Ce texte organise tout d’abord l’harmonisation des rôles de la CNIL etde la CADA, et la mise en cohérence des trois lois du 6 janvier 1978, du17 juillet 1978 et du 3 janvier 1979, traitant respectivement des fichiersinformatisés, de l’accès aux documents administratifs, et des archives.

2°) En second lieu, la loi étend le champ de compétence de la CADA enmatière de lois spéciales ou d’archives et la consécration de sa juris-prudence sur les notions de « document achevé ou de » document pré-paratoire « , sur la notion de » demandes abusives « et sur le principede la communicabilité du document par son détenteur effectif et pasnécessairement par son auteur.

Les principales modifications introduites dans le texteau cours des débats

– L’extension du champ de compétence de la CADA : un ajout à la listedes dispositions spéciales prévoyant un accès à des documents admi-nistratifs

A la liste qui figurait dans le projet de loi initial, faisant référence à unesérie de dispositions spécifiques prévoyant la communication de

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certaines catégories de documents, telles que l’article L 2121-26 duCode Général des Collectivités Territoriales (communication des pro-cès-verbaux du conseil municipal, des budgets et des comptes et desarrêtés du maire), l’article L. 28 du code électoral (communication de laliste électorale), l’article L. 104 du livre des procédures fiscales (accèsau rôle des contributions locales) ou encore l’article 5 de la loi du 1er juil-let 1901 relative au contrat d’association (communication des statuts etdéclarations des associations), a été rajoutée la référence à l’articleL. 111 du livre des procédures fiscales autorisant les créanciers d’alimentsà consulter la liste des personnes assujetties à l’impôt sur le revenu, à l’im-pôt sur les sociétés ou à l’ISF, détenue par la direction des services fiscauxdans le ressort de laquelle l’imposition du débiteur est établie.

– L’approfondissement des exigences en matière de transparence finan-cière

La loi a organisé l’extension des obligations de transparence financière(caractère communicable des budgets et comptes) aux servicespublics industriels et commerciaux et à tout organisme de droit privéayant reçu une subvention. Le débat parlementaire a permis de clarifierla portée des obligations et leur champ d’application, en particulier envisant expressément la compétence de la CADA.

• Un point particulier de débat entre l’Assemblée Nationale et leSénat : la question de savoir si la communication du document incom-bait à son auteur ou à son détenteur.

La loi a consacré en la matière la doctrine de la CADA en vertu delaquelle « il appartient à l’autorité qui détient matériellement le docu-ment demandé de le communiquer, alors même qu’elle n’en serait pasl’auteur » (avis du 17 mars 1994, Préfet des Bouches-du-Rhône).

Le Sénat a contesté cette consécration en faisant valoir que la commu-nication du document par son détenteur qui n’en serait pas l’auteur ris-quait de poser la question de sa responsabilité en cas de divulgationd’un document non communicable. Les sénateurs avaient estimé quel’auteur était le mieux placé pour apprécier le caractère communicableet faire respecter les secrets protégés par l’article 6 de la loi du 17 juillet1978.

Mais l’Assemblée Nationale a eu le dernier mot et a opté pour la com-munication par le détenteur effectif du document, n’en fût-il pas l’au-teur. Il serait intéressant de savoir si la pratique a révélé des difficultésdans l’application de cette nouvelle disposition.

– L’adjonction de trois nouvelles dérogations au principe de communi-cabilité des documents administratifs

Le projet de loi initial rendait non communicables un certain nombre d’ac-tes en les soustrayant à la catégorie des « documents administratifs » :

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– les avis rendus par le Conseil d’État et les autres juridictions adminis-tratives ;– les « mesures d’instruction, rapports et diverses communications »,de la Cour des Comptes ainsi que les « propositions, rapports et tra-vaux » des Chambres Régionales des Comptes (article L. 140-9 etL. 241-6 du Code des Juridictions Financières) ;– les documents d’instruction des réclamations adressées au Média-teur de la République.

De nouvelles exceptions au principe de la communicabilité ont étéintroduites au cours de la navette :– les actes des assemblées parlementaires (2° de l’article 7 de la loi2000 : amendement de M. COLCOMBET en 1ère lecture à l’AssembléeNationale adopté sans débat avec un avis de sagesse du Gouverne-ment) ;– les documents préalables à l’élaboration du rapport d’accréditationdes établissements de santé (2° de l’article 7 de la loi 2000, introduit parl’Assemblée Nationale en nouvelle lecture à l’initiative de M. ClaudeEVIN : Journal Officiel des débats de l’Assemblée Nationale du 3 mars2000, page 1491) ;– les rapports de vérification et avis des comités régionaux ou départe-mentaux d’examen des comptes des organismes de sécurité sociale(article 8 de la loi du 12 avril 2000). Cette exception a été justifiée par lefait que ces rapports et avis sont des mesures d’instruction destinées àla Cour des Comptes et doivent donc suivre le régime des documentsqui émanent de celle-ci.

Ces exceptions au principe de communicabilité des documents adminis-tratifs ont été introduites par l’Assemblée Nationale, l’une d’entr’elles à unstade ultime de la procédure, puisque c’était en nouvelle lecture. Ce futun sujet de débat entre les deux assemblées, la commission des Loisdu Sénat « regrettant l’accumulation des dérogations et soulignant quetoute énumération appelle l’exhaustivité » (rapport de la nouvelle lec-ture n° 268 (1999-2000) page 14 et Journal Officiel des débats du Sénatdu 21 mars 2000 page 1447). Notons que la liste des exceptions s’estencore allongée récemment avec l’ajout de la référence aux rapportsd’audit des établissements de santé par la loi de financement de lasécurité sociale pour 2003.

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MICHEL GENTOT,président de la CNIL

Y a-t-il, entre la CADA et la CNIL des relations de rivalité comme l’a sug-géré Raymond Forni tout à l’heure ? Peut-être dans un passé lointain.Un esprit de compétition entre deux nouvelles institutions a pu exister.Je me suis trouvé moi-même dans une situation à la fois heureuse etembarrassante : j’ai eu le bonheur de présider la CADA à deux repriseset depuis près de cinq ans, je préside la CNIL. Pendant un peu plus d’unmois, j’ai été simultanément président du CADA et de la CNIL. Malgrétous mes efforts pour échapper à la schizophrénie, je me suis demandéà un certain moment où je me situais ; il m’est même arrivé de m’adres-ser un courrier à moi-même, en transférant un courrier de la CADA à laCNIL, et je me suis trouvé très embarrassé de savoir quelle formule depolitesse utiliser...

C’est le vingt-cinquième anniversaire de la CADA que nous célébronsensemble, mais il ne faut pas oublier qu’il y a eu plusieurs lois en 1978et au moins deux très importantes : la loi du 6 janvier et celle du 2 juillet.Je vais essayer de projeter un regard peut-être un peu subjectif sur lacoexistence de ces deux belles institutions que le rapport du Conseild’État de 1995, dans ses « considérations générales », avait qualifié de« magistratures du secret » alors que le rapport portait le titre de« transparence et secret ».

Dans la période précédant la création de ces institutions l’État considéraitle secret comme un élément de son pouvoir, peut-être est-ce toujours unpeu vrai, mais surtout il voulait que les citoyens n’aient aucun secret pourlui et soient transparents et peut-être est-ce toujours aussi vrai.

Aujourd’hui les sociétés, et les législations ont inversé les valeurs.L’exigence de transparence des activités publiques est affirmée, parl’opinion et par la loi, et nos législateurs ont également consacré l’idéed’une sphère protégée, inviolable, de l’intimité des personnes, le droità la protection de la vie privée. L’élaboration des deux lois de 1978, àsix mois d’intervalle, traduit bien cette convergence des idées. Trans-parence d’activités des collectivités publiques mais secret maintenupour les informations relevant de la vie privée, qui doivent être sous-traites à la curiosité des tiers.

Je ne veux pas revenir sur ce qui a été dit sur les origines de la loi de juil-let, ainsi que sur celles de la loi de janvier. Il est frappant de voir que lesinitiatives ont été différentes. On nous a montré très clairement le rôle duParlement et de la commission des lois de l’Assemblée nationale dansl’élaboration de la loi de juillet, alors que la loi de janvier est issue de rap-ports, notamment de la commission dont Bernard Tricot était le rappor-teur général à la suite de la découverte du projet Safari en 1972. C’estdonc une initiative administrative et gouvernementale qui a précédé le

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vote de la loi de janvier 1978. Mais le rôle du Parlement a été décisif dansles deux cas, c’est évident. Et le rôle des membres du Conseil d’État l’aété aussi. Je crois qu’il me revient de rappeler que à l’origine de la loi dejuillet, il faut associer les noms de Louis Fougère, du président Ordon-neau et de Francis De Baecque, et de même que pour l’élaboration desprojets ayant précédé la loi du 6 janvier, il faut naturellement penser àBernard Chenot qui présidait la commission, connue aujourd’hui sous lenom de « commission Tricot », et à Bernard Tricot lui-même.

Mais il n’en reste pas moins que, quels que soient la convergence desidées, la convergence des origines, l’importance du travail parlemen-taire, nous avons affaire à deux institutions différentes, qualifiée l’uned’autorité administrative indépendante, la première dans notre droit ;l’autre n’étant pas qualifiée comme telle, mais je crois que les bonsesprits considèrent que c’en est une. Donc des institutions différentes,des concepts juridiques différents, la notion de document administratifdans un cas, la notion de fichier dans l’autre. Une autre notion trèsimportante – mais Michel Combarnous a tout dit sur ce point – est lanotion d’information nominative dont l’appréciation, l’interprétation vaêtre différente suivant la doctrine des deux commissions. Certes la loid’avril 2000 a pour l’essentiel gommé les difficultés qui pouvaient exis-ter entre les deux institutions sur l’interprétation des dispositions fai-sant problème, mais il reste des zones d’incertitude. Et l’on peut sedemander si ces incertitudes ne vont pas s’amplifier.

En premier lieu, l’on peut dire que la loi de 2000 a donné des réponsessatisfaisantes aux difficultés qui existaient du fait de l’insuffisanterigueur dans les frontières des compétences et dans les doctrines :octroi de nouvelles compétences exclusives à la CADA, ouverture dudroit d’accès et de communication des citoyens aux documents sursupport électronique – ce qui est quand même une révolution – et doncélargissement de la notion de document administratif vont dans lemême sens les dispositions qui ont pour conséquence que l’adminis-tration ne peut plus invoquer la loi CNIL pour faire obstacle à la commu-nication de documents communicables au sens de la loi CADA, parcequ’au fond, l’essentiel des problèmes résidait dans cette attitude decertains services.

Mais en second lieu, les difficultés n’ont pas totalement disparu et l’in-formatisation croissante va probablement devoir conduire à une nou-velle réflexion et, à cet égard, il faut se référer à l’article de BrunoLasserre et d’Aurélie Robineau, publié dans un numéro récent deL’Actualité juridique sous le titre « Administration électronique et accèsà l’information administrative ».

Comment les deux institutions coopèrent-elles actuellement ? Nousavons un protocole d’accord – qui indique très précisément à nos servi-ces ce qu’ils doivent faire quand ils ont une demande qui est à la margede la compétence des institutions. Quand nous estimons que nous

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sommes saisis à tort à la CNIL, nous transmettons à la CADA et la CADAfait la même chose. Les chiffres sont intéressants à cet égard et vousmontreront que le problème n’est pas capital : en 2000, la CNIL a trans-féré 22 dossiers à la CADA et en a reçu 18, respectivement 15 et 12 en2001, et en 2002, 9 dossiers ont été transmis par la CNIL et 13 dossiersont été reçus ; enfin aujourd’hui, au 30 septembre, nous avions reçu 7dossiers de la CADA et envoyé 5. Donc vous voyez que les difficultés,lorsque l’on considère que de part et d’autre nous sommes saisis decinq mille plaintes et réclamations émanant de citoyens mécontents,les difficultés de compétence sont extrêmement marginales. Maisnous avons des requérants d’habitude, dont les noms sont bien connusdans le contentieux, qui jouent au ping-pong avec les institutions. L’und’eux a saisi la CADA en demandant que la CNIL soit obligée de trans-mettre un dossier de droit d’accès indirect, c’est-à-dire un dossier parlequel la CNIL exerce son rôle d’accès au fichier de police, cet accèsn’étant pas directement ouvert aux citoyens. Le requérant nous ademandé de lui transmettre, au titre de la loi du 17 juillet, ce dossier,puis a saisi la CADA qui, très sagement, a répondu que le dossier n’étaitpas communicable. Mais l’affaire est devant le juge administratif etnous verrons ce qu’il dira.

Je ne voudrais pas insister davantage si ce n’est pour redire que lanotion de fichier opposée à celle de document est très loin d’être satis-faisante et que le développement de l’administration électronique vaévidemment multiplier les fichiers, et donc les demandes d’accès à desinformations qui seront contenues dans des fichiers. Il faudra que nousarrivions, de part et d’autre, à avoir une doctrine encore plus claire pourles intéressés. Comme l’a dit Michel Combarnous, les textes sont trèsdifficiles à comprendre même pour les spécialistes, sans même parlerdes citoyens. L’on peut donc naturellement se poser la question d’uneunification des procédures et des autorités.

Plusieurs pays ont fait le choix de l’unification des autorités chargéesde s’occuper de l’accès des particuliers aux documents quel que soitleur support. La Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays baltes, uncertain nombre de pays qui vont entrer dans l’Union européenne. AuQuébec, le système est unifié au niveau de la Province, mais il ne l’estpas au niveau fédéral, et les pouvoirs publics se demandent s’il neconvient pas de réaliser une unification des procédures.

Pour ce qui concerne notre pays, il convient d’être prudent. Avec leurhistoire spécifique, leurs institutions de contrôle différentes mais effi-caces, leurs objectifs cohérents, il me semble que les deux lois, et doncles deux institutions peuvent continuer à coexister. Des expériencesréussies doivent l’emporter, sur des conceptions qui seraient appa-remment plus rationnelles, mais peut-être trop théoriques.

Mais y aura-t-il lieu de célébrer, en 2028, un cinquantenaire des deuxinstitutions ? Sur ce point, je laisse la question ouverte.

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BRUNO LASSERRE,conseiller d’État, président suppléant de la CADA

Cette première table ronde est historique, elle est donc tout naturelle-ment le lieu des témoignages rétrospectifs. Je ne voudrais pas lesallonger en évoquant les souvenirs de ce qui me paraît être ma jeu-nesse, avec les débuts de la loi de 1978. J’ai eu en effet la chance d’enêtre le premier rapporteur général. La loi a été votée en juillet 1978. Elleavait laissé au pouvoir réglementaire le soin de définir la compositionde la CADA et c’est d’ailleurs ce qui peut faire douter de sa qualité d’au-torité administrative indépendante ; sa composition résulte d’un décretparu le 6 décembre 1978 et la CADA, que présidait à l’époque le prési-dent Ordonneau, s’est réunie dans les premiers jours de décembre1978.

On l’oublie peut-être, mais les premières réunions de la CADA, quiétaient contradictoires – car à la différence de maintenant où les chosesse font la plupart du temps par courrier, par échanges écrits, les direc-teurs des ministères, les administrations venaient, à l’époque, expli-quer pourquoi ils ne voulaient pas communiquer – furent extrêmementtendues, parfois explosives. C’était la conséquence de ce qu’ont trèsbien décrit les précédents intervenants. La loi venait d’une initiativeparlementaire, d’un « complot » en quelque sorte de quelques parle-mentaires qui avaient imposé à la haute administration une réformedont, franchement, cette dernière ne voulait pas. Donc aucune circu-laire ancienne de ces fameuses « circulaires interprétatives », n’avaitété publiée. La loi se passait également de décret. Ce fut, par consé-quent, un choc culturel. Les directeurs soutenaient qu’ils ne connais-saient pas la loi, qu’elle n’était pas faite pour eux, la découvraientdevant nous. Nous avions donc tout un travail de pédagogie pour leurrappeler que cette loi existait. Je me souviens – et cela peut vous sur-prendre aujourd’hui – que le principal argument utilisé par les direc-teurs qui venaient devant la CADA, qui siégeait comme aujourd’huidans la salle de la Section des finances du Conseil d’État, était : « Maisenfin vous n’allez pas quand même pas m’obliger à communiquer undocument interne ? » En effet, à l’époque, le pouvoir du directeur étaitde définir lui-même ce qui était communicable ou non au public.

Comment avons-nous fait ? D’abord je crois que cela a été une force,qui appartient en commun à beaucoup d’autorités administrativesindépendantes aujourd’hui mais qui était relativement neuf à cetteépoque : la CADA a fonctionné comme un « creuset d’expériences ».Les parlementaires et notamment Alain Richard, qui avaient travaillé àl’élaboration de la loi, étaient en quelque sorte, au sein de la commis-sion, les dépositaires de l’intention du législateur ; en faisaient partieégalement des universitaires – le professeur Rivero a été le premier

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d’entre eux –, des membres des juridictions, des grands corps de con-trôle, et s’est très vite forgé un consensus enthousiaste facilité par lefait que la loi nous laissait un espace très ouvert pour son interpréta-tion : elle était généreuse, libérale, moderne, mais finalement assezimprécise.

La deuxième chose que nous avons vite comprise, c’est que le fait quenous ayions un statut relativement dégradé par rapport à d’autres auto-rités plus prestigieuses, mieux dotées à la fois de pouvoir et demoyens, pouvait être une chance. Paradoxalement, le point fort de laCADA était que la loi ne lui donnait qu’un pouvoir d’avis, non contrai-gnant puisqu’il ne lie pas l’administration destinataire de cet avis. C’estune chance parce que si la commission peut éclairer l’administration, laguider, la conseiller, c’est cette dernière qui prendra la décision finaleet qui en assurera la responsabilité. L’administration ne va pas pouvoirfaire prendre la décision à sa place par une commission indépendante.

Nous avons mené cet exercice non seulement au travers des multi-ples avis sur les demandes individuelles dont nous avons été saisis,mais aussi au travers d’une mission qui a été complètement oubliéeaujourd’hui.

L’article 6 de la loi renvoyait à des arrêtés ministériels le soin de définirministère par ministère les documents qui pouvaient ne pas être com-muniqués au public. Chaque administration – et ce fut un exercice inté-ressant, même s’il s’est révélé finalement assez vain – a travaillé à fairel’inventaire de tous les secrets légitimes qu’elle pouvait opposer, aussibien dans les notes échangées entre le ministre et ses collaborateursdirects, les compte-rendus de réunions interministérielles que les mul-tiples documents détenus par chacun des ministères. La CADA a négo-cié pied à pied, par des avis, le contenu de ces arrêtés ministériels, enessayant de brider peut-être les initiatives audacieuses de certainesadministrations. Finalement l’exercice s’est révélé vain parce que cesarrêtés ne pouvaient que paraphraser les critères utilisés directementpar le législateur, mais sur le plan pédagogique, ils ont été le moyenpour ces ministères de s’approprier, d’une certaine manière, cette nou-velle législation.

Enfin, et c’est peut-être un point très trivial : à la différence d’autres ins-titutions qui étaient somptueusement logées et bien dotées, la CADAn’avait pas de moyens considérables. Elle était à l’origine logée dansune soupente de l’hôtel de Castries rue de Varenne et siégeait au Con-seil d’État parce qu’il n’y avait pas de salle de réunion qui lui soit dédiée.Le choix qui a été fait s’est finalement peut-être révélé judicieux : plutôtque de jouer la carte de l’autorité indépendante de l’exécutif comptantsur ses propres forces, nous avons décidé – et ce n’était pas vraimentuniquement pour des raisons d’économie – d’utiliser le timbre du Pre-mier ministre dans l’affranchissement des courriers. Ce qui peut sur-prendre pour une autorité baptisée « indépendante », mais je crois que

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cela a contribué d’une certaine manière à faciliter l’application de la loi.Quand un ministre recevait une lettre sous l’en-tête du Premierministre, peut-être faisait-il plus attention que si elle émanait d’unecommission obscure dont le nom n’était quand même pas très connu.

Je voudrais insister sur un autre point. Peut-être a-t-on trop raccourciles choses en disant que la loi de 2000 avait codifié la jurisprudence dela CADA. Il semble que finalement l’expérience née de l’application dela loi de 1978 a créé ce que j’appellerais un « cycle vertueux » entred’une part l’interprétation administrative d’une loi généreuse, bienveil-lante mais assez imprécise, interprétation qu’a faite la CADA avec desallers et venues ou des tâtonnements sur toute une série de notions :qu’est-ce qu’un document administratif ? qu’est-ce qu’un documentnominatif ? faut-il inventer la notion de document inachevé ou prépara-toire que la loi n’évoquait pas vraiment ?, et la jurisprudence du Conseild’État. Car mise à part la question, qui n’a finalement pas été capitale,de savoir si les informations nominatives contenues dans un fichierrelevait de telle ou telle loi, reconnaissons que le Conseil d’État, avectoute son autorité contentieuse a conforté la jurisprudence de la CADA.Sur tous ces sujets, le Conseil d’État a fait siens les critères qu’avaitretenus, parfois avec un peu d’audace la CADA.

Finalement nous avons eu un mouvement en trois temps : interpréta-tion par la CADA d’une loi relativement concise ; confort de cette inter-prétation par la jurisprudence du Conseil d’État ; et enfin le législateurvenant tirer les conséquences en codifiant, en quelque sorte, les zonesd’ombre ou d’incertitude de la loi dans le sens déjà donné par la CADAet le juge.

Comment faire le bilan ? Ce qui peut peut-être paraître le plus surpre-nant, c’est que nous fêtions aujourd’hui le vingt-cinquième anniver-saire de la CADA. Cela n’a pas été dit mais je crois que dans l’esprit debeaucoup de ceux qui l’ont conçue à l’époque, elle devait être une insti-tution de transition. Personne ne pensait qu’elle durerait aussi long-temps. Elle était faite pour aider au tout début de l’application de la loi,mais personne ne la voyait comme une institution pérenne, comme parexemple la CNIL. Le fait que l’on fête son vingt-cinquième anniversaire,d’une certaine manière, conduit à une interrogation : si elle apparaîttoujours nécessaire, n’est-ce pas parce que la loi n’a pas donné tous leseffets que l’on escomptait ?

En second lieu, contrairement à ce qu’on a pu penser, c’est vrai que lesutilisateurs de la loi de 1978 n’ont pas été exactement ceux que l’onattendait au départ. Le vice-président du Conseil d’État l’a dit : on atten-dait des citoyens intéressés par la chose publique, et on a surtout vudes personnes intéressées par les dossiers nominatifs les concernant.C’est ce qui a donc conduit parfois au raidissement de l’administrationqui a davantage vu dans la personne qui sollicitait l’accès moins uncitoyen intéressé qu’un futur adversaire contentieux.

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Mais finalement la loi n’a pas donné lieu à un afflux contentieux consi-dérable. Sur le plan quantitatif, Michèle Puybasset le disait dans sonarticle dans l’AJDA : entre 1990 et 2002, soit douze ans que l’on peutprendre comme échelle de temps, sur 420 000 affaires dont ont été sai-sis les tribunaux administratifs, seulement un millier concernent desrefus d’accès aux documents administratifs. Il semble que le phéno-mène s’accélère mais cela reste très raisonnable et surtout, on ne citepas tous les procès évités par un accès organisé aux documents admi-nistratifs. Beaucoup de procès étaient engagés parce que l’administréne connaissait pas les motifs réels qui avaient conduit à la décision, quiavaient été en réalité le soubassement caché de telle ou telle décisionopposée à l’intéressé. Le seul fait d’accéder finalement au documentqui justifiait la décision a peut-être pacifié la relation et évité un procèsinutile.

Enfin, je ne crois pas que cette loi a profondément transformé l’admi-nistration. Elle n’a pas mis en péril le principe hiérarchique, ni l’effica-cité de l’administration. Elle a finalement plutôt conforté cette dernièrevaleur à laquelle je crois. Ce qui me paraît finalement beaucoup plusactif dans cette transformation profonde de l’administration, c’estmoins la loi de juillet 1978 sur l’accès aux documents que l’utilisationd’Internet et des nouvelles technologies de l’information. Finalement leprincipe hiérarchique, est moins remis en cause par la transparencedes papiers que par la façon dont l’administration communique etdécide aujourd’hui. La loi de 1978 avait été conçue pour un circuitpapier, où les rapports, les projets cheminaient du bureau à lasous-direction puis à la direction, chaque cadre validant la propositionfaite par le subordonné, jusqu’au destinataire final. Et finalement, lepouvoir appartenait à celui qui détenait l’information et pouvait déciderà qui elle était communiquée. Ce qui change aujourd’hui, c’est juste-ment qu’avec les e-mails et Internet la hiérarchie est combattue par lefait que l’auteur de l’idée, jeune attaché ou jeune administrateur civildans un bureau, envoie directement sa proposition au directeur, aveccopie au chef de bureau ou au sous-directeur. L’information va ainsidirectement de celui qui en quelque sorte la crée à celui qui l’utilise. Jecrois que le bouleversement complet du circuit papier traditionnel parune communication beaucoup plus directe qui court-circuite les étapesintermédiaires, est beaucoup plus source de transformations, de remi-ses en cause de l’administration que, finalement, l’obligation assezbien digérée de l’accès aux documents administratifs.

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Débat avec la salle

ÉRIC TOUATI

Je voudrais apporter un témoignage en tant que directeur général deservice d’une petite collectivité de cinq mille à dix mille habitants etégalement avec ma casquette de citoyen et d’électeur. Je vais apporterun témoignage sur trois sujets qui sont très souvent soulevés au tra-vers de la CADA ou de la CNIL. Le premier sujet est simple, c’est la listeélectorale. Pour témoignage, je dirai que vingt-cinq ans après la miseen place de la loi du 17 juillet, voici ce qu’a écrit, il y a quelques jours, unmaire vice-président de conseil général en réponse à une demande deliste électorale – ça se passe de commentaire : « Pour autant, je doism’assurer au préalable de votre qualité d’électeur ou de membre d’unparti politique. À ce titre je vous serai gré de bien vouloir me trans-mettre un document attestant de cette position. » Voilà ce quevingt-cinq ans après la loi du 17 juillet et après la jurisprudence perma-nente de la CADA, je vous le dis bien, un maire vice-président d’unconseil général se permet d’écrire à un électeur quand il lui demandetout simplement la copie de sa liste électorale.

Deuxième point où je souhaiterais apporter un témoignage, sur un pro-blème particulier dans le cadre de la décentralisation très chère à notrePremier ministre : il s’agit des rapports que les établissements publicsintercommunaux doivent communiquer à toutes les collectivités loca-les avant le 30 septembre de chaque année de façon à ce que s’orga-nise en termes de communication et de documentation l’informationdu public dans chacune des communes. Je peux vous signaler quedans un département d’où je viens, la Mayenne, vous avez actuelle-ment – et le préfet qui a été saisi a rappelé qu’il ne peut rien faire –dix-sept EPCI qui refusent systématiquement de communiquer lesdocuments, et les contribuables ne peuvent pas les demander auxcommunes auxquelles ils ne sont pas fournis.

Dernier point dont la plupart des gens ici ont entendu parler l’annéedernière puisque la commune où je travaille a fait la une de la presse àce sujet : il s’agit des fameux documents demandés par les services fis-caux aux collectivités et des enquêtes qui sont faites par les services depolice dans les collectivités. Est-ce que oui ou non la CNIL et la CADAvont se saisir de ce problème des services fiscaux qui demandent auxcommunes de communiquer des documents qui sont couverts par lesecret de la vie privée puisque l’on sait très bien que dans une com-mune le CCAS, le service logement ou le service scolaire ont des infor-mations nominatives très précises ? Ces documents que possèdent les

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communes sont-ils couverts par les législations protectrices ou les ser-vices municipaux doivent-ils communiquer toutes les informations quedemandent les services du ministère des finances ?

Présidente de la CADA

Sur le troisième point, je crois qu’il vous appartient, si vous êtes saisid’une telle demande, ou si vous avez des hésitations sur l’attitude àadopter, de saisir la CADA d’une demande de conseil. La commissionqui est collégiale, se prononcera alors sur la question que vous luiposerez.

Un intervenant

Je suis conseiller maître honoraire à la Cour des comptes. M. Denoixde Saint Marc a insisté sur les limites du droit d’accès. Il a cité le cas desdocuments secrets de sécurité intérieure ou extérieure, et nous évo-quions pendant la pause déjà les difficultés que cela représente. Jevoudrais évoquer le cas des documents administratifs immatures dansle processus de préparation des décisions. Ces documents se rencon-trent d’une part dans les juridictions, d’autre part dans la généralité desadministrations. Dans le cas des juridictions, on peut assez bien établirdes règles et tout à l’heure, M. Amoudry rappelait les textes qui écar-tent effectivement du processus de communication les rapports d’ins-truction de la Cour des comptes notamment. Mais le terme« juridiction » peut peut-être s’appliquer à des organismes qui sont par-tiellement des juridictions comme les autorités administratives indé-pendantes. Je cite un exemple que j’ai vécu, celui de la commissiondes opérations de bourse, saisie par le Sénat, il y a neuf ans, d’unedemande de communication d’un rapport d’enquête. J’ai dû argumen-ter la réponse et nous avons refusé la communication au motif quenous engagions un processus effectivement de type juridictionnel surla base de ce rapport, mais que nous pouvions ne pas en retenir lesconclusions et même ne pas en valider les données. Dans le cas desdocuments administratifs, il y a des documents qui sont peu ou très liésau processus de décision, il y en a qui le seront peu, d’autres pas dutout. Certains n’engagent pas moins l’administration, n’en intéressentpas les citoyens, notamment en matière d’environnement.

Quels sont les progrès à attendre de la poursuite de l’effort de catégori-sation et de définition des documents à exclure par voie d’exception dudroit d’accès par les arrêtés ministériels rappelés par M. Bruno Lasserreou de façon générale par nature de documents ? Faut-il s’en remettreau pouvoir et à la sagesse des institutions en place ?

BRUNO LASSERRE

Je crois qu’il ne faut pas trop attendre de ces arrêtés. D’abord, ils neconcernent que les ministères, les administrations de l’État et on l’a vu,

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le droit d’accès concerne toutes les administrations, y compris locales,etc. Deuxièmement, la variété des documents est telle qu’il est un peuillusoire de figer dans une liste l’ensemble des documents qui peuventêtre concernés en tout ou partie par le secret. C’est donc plus un exer-cice encore une fois pédagogique que l’on a attendu des administrationsqu’une liste limitative. Encore une fois, sur le plan juridique, ces listes nepouvaient avoir qu’une valeur indicative puisque, par définition, les critè-res étant fixés par la loi, elles ne pouvaient que les recopier.

En ce qui concerne la question plus précise sur les rapports d’enquêtepar exemple de la COB, alors que ce n’est pas une juridiction mais uneautorité administrative indépendante, par conséquent ce sont à priorides documents administratifs, mais de deux choses l’une : soit vousparlez de documents immatures, le rapport est en cours de réalisation,et la loi a été interprétée comme n’imposant pas la communication desébauches, des esquisses, des brouillons, tant qu’ils ne sont pas ache-vés. Ça c’est la théorie du document inachevé, soit le documentlui-même est achevé, c’est-à-dire que le rapport est terminé, endossépar celui qui l’a réalisé. Là, il y a plusieurs cas de figure ; soit il prépareune sanction prise par la COB ou une décision de ne pas engager desanction, qui est une décision administrative, et dans ce cas-là, le rap-port d’enquête sera communicable dès la prise de cette sanction, soitle rapport d’enquête est transmis à une juridiction, notamment pénale,et dans ce cas-là, sa communication peut effectivement porter atteinteau déroulement de la procédure pénale devant le juge pénal, et l’article6 permet de ne pas le communiquer, en tout cas sans l’autorisation dujuge pénal : il sera communicable aux parties, mais pas au public.

Mais en tout cas ni la CADA ni le Conseil d’État n’ont jamais, pour l’appli-cation de la loi de 1978, assimilé ces autorités administratives de con-trôle à des juridictions.

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Deuxième demi-journéeQuelles sont les pratiquesdes administrations ?Sous la présidence de MICHÈLE PUYBASSET,

présidente de la CADA

Introduction

MICHÈLE PUYBASSET,présidente de la CADA

Cet après-midi se compose de trois temps importants

Le premier temps est consacré à la manière dont les administrationsrelevant de l’État ou des collectivités locales s’acquittent de leur devoirde transparence. Il comporte deux communications.

Le Professeur Jacques Chevallier, de l’Université de Paris II, directeurdu Centre d’études et de recherches de sciences administratives, qui afait travailler trois de ses étudiants de DEA sur ces sujets, va nous éclai-rer sur les pratiques des administrations relevant de l’État tandis que leProfesseur Bénédicte Delaunay de l’Université Rabelais à Tours,membre du laboratoire d’études des réformes administratives va vousparler des pratiques des collectivités locales, à partir d’une enquête deterrain faite dans la région Centre par un chercheur de son laboratoireM. Pierre Diatta.

(Les mémoires des étudiants et l’étude du chercheur sont déjà ouseront mises en ligne dans les jours qui viennent sur le site internet dela CADA.)

J’attends personnellement avec une grande impatience ces communi-cations, en espérant qu’elles pourront combler un peu l’ignorance danslaquelle se trouve la CADA, qui ne perçoit la réalité du comportementde l’administration qu’à travers le flux des saisines dont elle est l’objet,flux qui s’intensifie chaque année après refus (de 500 en 1980 à près de5000 en 2002), flux dont elle ne sait même pas à quel pourcentage dedemandes d’accès il correspond et dont elle peut seulement dire qu’ilrévèle sans aucun doute une grande inertie sinon un mépris des servi-ces puisque près des 2/3 des refus sont implicites et consistent dans lesilence gardé plus d’un mois après la demande de document, etpeut-être aussi une mauvaise connaissance de la loi puisque la grandemajorité des refus concernent des documents dont la communicabiliténe fait aucun doute.

Le deuxième temps est la table ronde sur les attentes des usagers queprésidera Mme Laetitia Van Eeckhout, journaliste au Monde et qui doitpermettre un dialogue entre un représentant des usagers,M. Jean-claude Bourqin, un chercheur en sociologie administrative,M. Philippe Warin et trois représentants de services administratifs par-ticulièrement attentifs aux besoins des usagers. Nul doute que cette

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table ronde débouche sur des propositions de meilleur fonctionne-ment non seulement des administrations, mais aussi de la CADA.

Le troisième temps est la table ronde présidée par M. Jean-Paul Costa,ancien président de la CADA, et actuellement vice-président de la CourEuropéenne des droits de l’homme. Cette table ronde va permettre decomparer notre système français avec les expériences de quelquespays étrangers dont certaines ont une grande ancienneté comme enSuède (M. le professeur Ulf Oberg) ou même une antériorité par rap-port à la France comme aux USA dont vous parlera Mme le professeurNicole de Montricher, et d’autres enfin sont plus récentes comme c’estle cas au Quebec dont nous entretiendra M. André Ouimet, ex directeurgénéral de la commission d’accès. M. le professeur Gérard Druesnenous parlera du système très récent de l’Union européenne, Mme le pro-fesseur Sandulli, de l’Italie et M. le Professeur David Capitant de l’Alle-magne qui attend encore une législation fédérale. Je ne doute pas quenous gagnerons beaucoup à connaître les réponses apportées dansces différents pays pour accroître la transparence de l’administration.

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Les pratiques administratives

JACQUES CHEVALLIER,professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II)

directeur du CERSA-CNRS

Le XXVe anniversaire de la CADA offre l’occasion de procéder à uneévaluation lucide du dispositif d’accès aux documents administratifsmis en place en 1978. Cette évaluation n’a de sens qu’éclairée au préa-lable par certaines données d’évidence. Il convient d’abord de rappelerque la loi du 17 juillet 1978 a constitué un tournant symbolique et pra-tique d’importance considérable, car rompant avec une certaine cul-ture administrative fondée sur le dogme du secret 1 : l’idée selonlaquelle les administrés disposent d’un droit d’accès aux documentsadministratifs, sous réserve des exceptions prévues par la loi, modifieen profondeur le sens de la relation administrative, en plaçant l’admi-nistration sous le regard du public ; et la dynamique ainsi créée s’esttraduite par d’autres avancées, notamment celles résultant de la loi du12 avril 2000. Corrélativement, le rôle joué par la CADA dans la mise enœuvre concrète de ce droit d’accès a été très positif : l’existence d’uneinstance de médiation était indispensable pour résoudre les difficultésd’application, surmonter les résistances des services et prévenir lecontentieux ; par sa jurisprudence, d’inspiration globalement libérale 2,la CADA a tendu à faire prévaloir une conception extensive du droitd’accès 3 et contribué par-là même à réduire l’opacité administrative 4.L’action de la CADA a incontestablement contribué à ce que, comme leconstatait déjà le second rapport de 1982, la loi soit « mieux connue,mieux utilisée, mieux appliquée » 5 Un ensemble d’indicateurs témoi-gnent de ce succès de la CADA : l’augmentation spectaculaire dunombre d’avis (de 450 au départ à près de 4 500 en 2002) et de conseils

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1 Rapport public du Conseil d’État, « Considérations générales : la transparence et lesecret » ? Etudes et documents, n° 47, La Documentation française, 1995.2 J.P. COSTA, « La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) », Revuefrançaise de droit administratif, 1996, n° 2, pp. 184 sq.3 D. MAILLARD DESGRÉES DU LOÛ, Droit des relations de l’administration avec sesusagers, PUF, Coll. Thémis « Droit public », 2000, p. 413.4 M. PUYBASSET, « Le droit à l’information administrative », Actualité juridique Droitadministratif, juillet 2003, p. 1308.5 Dans le même sens, B. LASSERRE, « Six ans après le vote de la loi du 17 juillet 1978 :une administration plus transparente ? », Etudes et documents du Conseil d’État, n° 35,1983-1984, pp. 99 sq. Pour le troisième rapport de 1984 aussi il était « indéniable » que laloi du 17 juillet 1978 était « de mieux en mieux connue des français et de moins en moinsignorée des administrations ».

(de 39 à 641), mais aussi de demandes de renseignements de la part dupublic (800 appels téléphoniques par mois, 20 à 30 demandes par mes-sagerie électronique par semaine) ; l’interprétation favorable auxdemandeurs (moins de 10 % d’avis défavorables – pourcentage cons-tant depuis l’origine) et le fait que les avis soient généralement suivispar les administrations (de 75 à 80 % d’après les rapports) et très rare-ment désavoués par le juge administratif, qui n’est de surcroît que trèsrarement saisi. Le bilan est donc globalement très positif : la CADAapparaît bien comme la garantie et le fer de lance de la transparenceadministrative.

Il convient cependant d’aller plus loin dans le diagnostic, comme y invi-tent d’ailleurs les responsables de la CADA eux-mêmes 1 qui, para-doxalement, expriment davantage d’insatisfaction que la doctrinejuridique 2. Les indicateurs précités ne suffisent pas à eux seuls à attes-ter de la réussite du dispositif : l’augmentation du nombre des saisinesmontre sans doute que la CADA est mieux connue du public mais ellepeut être interprétée aussi comme l’indice de la persistance de certai-nes résistances administratives ; le faible nombre d’avis défavorabless’explique en grande partie par le fait, préoccupant, que nombre derefus de communication concernent des documents dont la communi-cabilité ne posait pourtant aucun problème 3, ce qui témoigne au mieuxd’une méconnaissance par l’administration du contenu du texte, aupire d’une mauvaise volonté ou d’une indifférence qui semble êtreconfirmée par le fait que la grande majorité des refus sont implicites(70 %) ; enfin, si le taux de « non suivis » est apparemment faible(6,7 % en 2001), les non-réponses des services sont importantes(18 %) et la CADA ne dispose pas des moyens de vérifier si ses avis ontété effectivement et intégralement suivis. Ces indicateurs globaux sontdonc insuffisants pour analyser les pratiques effectives de communica-tion ainsi que le rôle joué par la CADA : tandis que l’idée d’une transfor-mation en profondeur des comportements administratifs est mise endoute 4, les conditions concrètes d’utilisation par les citoyens du droitd’accès qui leur a été reconnu suscitent une certaine perplexité ; toutse passe en fait comme si, malgré la qualité des informations conte-nues dans les rapports de la CADA, un déficit de connaissance existait,interdisant d’évaluer à sa juste mesure la portée du dispositif mis enplace en 1978.

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1 M. PUYBASSET, préc.2 L’opinion de D. Maillard Desgrées du Loû selon laquelle la CADA aurait acquis « pro-gressivement le respect des administrations et l’estime du public » (op. cit. p. 413) reflètebien le point de vue doctrinal dominant.3 « Il est manifeste que de nombreux avis favorables concernent des documents pourlesquels la communication devrait se faire automatiquement tellement elle paraît allerde soi » (rapport 2001, p. 12) -90 %, selon M Puybasset, préc.4 On n’hésite pas à faire état d’une « désinvolture », voire d’un « mépris » des servicesvis-à-vis du dispositif.

C’est à ce déficit de connaissance que trois mémoires de rechercheentrepris dans le cadre du DEA de Science administrative de Paris 2, àl’initiative et avec l’appui de la CADA, ont cherché à remédier, au moinsen partie : certaines données, telles que la proportion des refus oppo-sés par les administrations aux demandes d’accès dont elles sont sai-sies, restent inaccessibles, alors qu’il s’agit pourtant d’un paramètreessentiel, les recherches partielles susceptibles d’être effectuées surtelle administrtion ou sur telle collectivité locale 1 manquant de valeurprobante ; et les mémoires précités ne constituent qu’une premièreinvestigation, qui mérite d’être poursuivie. En dépit de ces limites, ilsfournissent un certain nombre d’éléments d’appréciation, qu’on s’ef-forcera ici de synthétiser. Le premier, élaboré par Philippe Berrached 2,a porté sur les correspondants de la CADA, fonction nouvelle qui estapparue dans un certain nombre de ministères et d’organismes publics(15) : après avoir cherché à prendre la mesure du rôle qu’ils jouent, àtravers l’étude des dossiers CADA, Philippe Berrached a pris contactdirectement avec eux, par voie de questionnaire et d’entretien. Lesecond, élaboré par Sophie Chevrolle 3, a porté sur les usagers de laCADA : il était évidemment impossible de procéder ici à une rechercheexhaustive ; l’étude a porté sur les usagers ayant fait des demandesd’avis en 2002, une enquête par questionnaire ayant été effectuéeauprès des 441 personnes privées dont les dossiers ont été examinéslors des séances d’octobre et novembre 2002 (52,4 % de réponses) etdes 496 personnes morales ayant saisi la CADA sans l’intermédiaired’un avocat en 2002 (30,9 % de réponses). Le troisième, élaboré parFlorence Boizard 4, a porté sur les suites réservées aux avis de laCADA : après étude des dossiers CADA, effectuée par coup de sonde àpartir des archives encore disponibles pour les années anciennes, ontété étudiés l’ensemble des dossiers ayant donné lieu à un avis favo-rable en 2001 et 2002 et pour lesquels l’administration n’a pas suivi l’a-vis de la Commission ; puis a été adressé un questionnaire auxpersonnes ayant eu recours à l’intervention de la CADA (850 envois,452 retours) et aux Tribunaux administratifs (40 envois, 27 retours). Deces recherches résultent un ensemble d’éléments concernant lesconditions de saisine (I), le déroulement de la procédure (II) et les suitesréservées aux avis (III), qui conduisent, on le verra, à une appréciationnuancée, montrant que des progrès restent encore à accomplir.

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1 En 1988, la CADA avait évalué à 50 le nombre de demandes introduites hebdomadai-rement dans une commune de 30 000 habitants.2 P. BERRACHED, Les correspondants de la CADA. Essai d’analyse institutionnelle d’unnouveau métier, Mémoire DEA Sciences administratives, Paris 2, Septembre 2003,113 pp. +annexes et biblio.3 S. CHEVROLLE, Les usagers de la Commission d’accès aux documents administratifs,Mémoire DEA Sciences administratives, Paris 2, Septembre 2003, 138 pp. +Biblio etannexes.4 F. BOIZARD, Les suites réservées aux avis de la Commission d’accès aux documentsadministratifs, Mémoire DEA Sciences administratives, Paris 2, 18 septembre 2003, 185 pp.

Les conditions de saisine

La consécration par la loi du droit à l’information administrative n’estpas à elle seule suffisante pour garantir son exercice effectif : celui-cidépend tout à la fois de l’aptitude des administrés à faire valoir ce droit,en entreprenant les démarches nécessaires, et de la coopération desservices, en vue de répondre aux sollicitations dont ils sont l’objet ; lerecours à la CADA apparaît dans cette perspective comme un pis-aller,voire comme un aveu d’échec, en témoignant de la persistance dedivergences d’interprétation quant à la portée de ce droit. La pérennisa-tion de la CADA, contrairement aux intentions initiales, montre quel’accès à l’information administrative reste un enjeu de luttes, un terrainde conflits et qu’il est dès lors indispensable de recourir à une instancede médiation pour tenter de les aplanir 1.

Les comportements administratifs

Faute de connaître le nombre de demandes d’accès aux documentsadministratifs dont les administrations sont saisies, il est impossibled’apporter une réponse claire à la question de savoir si la « révolutionculturelle » 2 a bien eu lieu et si les administrations jouent désormaispleinement le jeu de la transparence : les appréciations formulées surce point se présentent comme de simples impressions forgées à partirde cas particuliers et de ce fait difficiles généralisables. La tonalitédominante est que les administrations, au départ réticentes, se sontpour l’essentiel pliées à la logique nouvelle de la transparence, notam-ment en prenant les mesures indispensables pour assurer la mise enœuvre pratique du droit de communication (lieux d’accueil du public etfixation d’horaires pour la consultation, tarification et envoi de photo-copies, signalisation des documents etc...) : la CADA fait preuve à cetégard de souplesse, en admettant que les modalités de communica-tion soient ajustées pour tenir compte des impératifs du « bon fonction-nement des services ». Cependant, les pratiques administrativesresteraient marquées par une certaine « frilosité » 3, les demandes decommunication étant perçues au mieux comme une corvée dont il fauts’acquitter, au pire comme une source de complication, un facteur detension et un risque de contentieux ; dans tous les cas, il s’agirait d’une« préoccupation de second plan pour les administrations » 4.

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1 Comme le remarque Sophie Chevrolle, la CADA est un organisme bivalent « que lesusagers sont à la fois heureux de trouver de mécontents d’avoir à saisir ».2 Expression figurant dans le 8e rapport 1988-1989.3 J.P. COSTA, « La transparence administrative », Regards sur l’actualité, sept-oct.1998, pp. 37 sq.4 Rapport 2001, préc.

L’observation des pratiques administratives à partir de la CADA faussebien évidemment les perspectives, dans la mesure où elle présupposel’existence d’un problème de communication, d’une pathologie ; ellefournit cependant un certain nombre d’indications sur l’état d’esprit desadministrations. D’abord, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ledispositif légal n’est pas toujours bien connu des administrations : cer-taines d’entre elles se croient fondées à refuser la communication enl’absence d’un texte spécial l’autorisant, pensent qu’il faut un intérêtpour agir, ignorent les délais, méconnaissent l’étendue des compéten-ces de la CADA – quand elles ne découvrent pas à cette occasion sonexistence... ; cette méconnaissance est surtout le fait des petites com-munes, n’ayant pas jusqu’alors été saisies de demandes d’accès. LaCADA remplit donc, par ses avis, une fonction pédagogique, en favori-sant l’apprentissage de la transparence par les administrations. Ensuite,les administrations adoptent souvent un comportement attentiste, soiten s’abstenant de se prononcer sur la demande et en attendant que laCADA ait statué, si elle est saisie, sur le refus implicite de communica-tion, soit en renvoyant explicitement le demandeur vers la CADA 1 : qu’ilsoit sous-tendu par la volonté de transférer la responsabilité de la déci-sion à la CADA ou par la volonté de différer la communication, ce com-portement montre que l’administration concernée reste réfractaire à latransparence ; la procédure devant la CADA est ainsi, à son corps défen-dant, détournée de son objectif et mise au service des stratégies deretardement déployées par les administrations. Enfin, le silence observéconcernant des documents dont la communicabilité ne fait guère dedoute 2 indique un mauvais vouloir plus flagrant encore.

Cette passivité administrative, qui n’est pas sanctionnée, est souventpayante : elle transfère en effet à l’administré la charge d’agir, en fai-sant appel à la CADA ; or, beaucoup d’administrés se découragent faceà une inertie administrative qui paraît constituer un obstacle infranchis-sable. Bien entendu, l’inertie est variable selon les administrations 3 etelle ne saurait être considérée comme étant la règle : cependant cettepathologie de la communication atteste de la persistance de certainesrésistances administratives, qui prennent désormais des formes plusinsidieuses ; la saisine de la CADA n’apporte qu’un remède partiel,dans la mesure où elle s’inscrit dans le cadre des stratégies dilatoiresmises en œuvre par les administrations.

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1 F. Boizard cite quelques formules extraites des dossiers telles que : « J’attends quevous saisissiez la CADA pour qu’elle se prononce » ou « J’ai le regret de ne pouvoir accé-der directement à votre demande sans l’avis préalable de la CADA » – formule utiliséesouvent par les maires.2 Pour les trois premiers mois de 2003, F. Boizard dénombre sur 846 avis favorables(sur 1 705), 317 cas pour lesquels la communication ne faisait pas de doute.3 On compterait 96,3 de refus implicites pour le ministère de l’Intérieur en 2000.

L’accès à la CADALes conditions de saisine de la CADA favorisent à première vue unelarge ouverture sociale. Elles se caractérisent en effet par une trèsgrande simplicité et par une absence de formalisme tout à fait excep-tionnelles dans l’univers administratif : non seulement les administréspeuvent saisir directement la CADA, sans avoir besoin du ministèred’avocat, mais encore aucune forme précise ne leur est imposée ; ilsuffit que soit indiquée la nature du document dont la communication aété demandée et de fournir une copie du refus opposé par l’administra-tion, ou à défaut de la lettre par laquelle la communication a étédemandée. La consultation des dossiers révèle ainsi des lettres de fac-ture très différente, parfois écrites au crayon, et dont le degré de préci-sion est extrêmement variable ; la CADA admet de surcroît qu’ellepuisse être saisie par fax (procédure peu utilisée) ; en revanche, lasaisie par voie électronique n’est pas possible en l’état. Cette très fortehétérogénéité donne un travail important aux rapporteurs, notammentafin d’identifier le document demandé, et impose l’aide des servicesconcernés ; l’imprécision des demandes va être par ailleurs un desmotifs d’irrecevabilité (24,6 % en 2001, 25 % en 2002), au grand damdes intéressés qui se plaignent d’être tenus d’identifier des documentsqu’ils n’ont pas, par hypothèse, en leur possession et réclament unesignalisation. Cette absence de formalisme garantit apparemment l’ac-cès de tous à une instance qui peut être saisie sans difficulté.

Les choses ne sont cependant pas si simples : les usagers de la CADAforment toujours, comme par le passé, un public socialement res-treint ; s’il n’est pas exhaustif, le travail de Sophie Chevrolle n’enapporte pas moins un certain nombre de données à cet égard édifian-tes. On sait que les usagers relèvent de deux catégories différentes,dont les frontières ne sont d’ailleurs pas parfaitement étanches 1 : lespersonnes physiques et les personnes morales ; si elles étaient audépart peu nombreuses (11 % en 1980-81), au vif dépit la CADA quiregrettait qu’elle n’exploitent pas suffisamment les possibilités quileur étaient offertes 2, les personnes morales représentent désormaisenviron le tiers de l’effectif (30,7 % de statut privé, 1,5 % de per-sonnes publiques). Concernant les personnes physiques, les variablesles plus discriminantes concernent moins l’âge 3, le sexe 4, l’origine

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1 Les élus locaux sont rangés dans la seconde.2 3e rapport, 1984.3 79 % des usagers ont entre 35 et 65 ans.4 Globalement sous-représentées, les femmes qui saisissent la CADA sont jeunes, acti-ves, bien insérées socialement.

géographique 1 que le niveau de diplôme 2, le secteur d’activité profes-sionnel 3 et l’insertion sociopolitique 4 : les usagers de la CADA sontpour l’essentiel des « initiés », familiers des démarches administrati-ves, qui sont capables, de par leur position sociale, leur formation, leurprofession, d’utiliser les ressources que leur offrent les textes et qui necraignent pas d’affronter l’administration en se posant en quéman-deurs pugnaces et revendicatifs ; en revanche, l’absence d’un capitalsocial et/ou culturel suffisant pousse à fuir le contact avec une adminis-tration, qui apparaît comme un monde opaque et menaçant, et à éviterd’entrer en conflit avec elle. La simplicité de la procédure d’accès à laCADA n’est donc pas telle qu’elle efface les inégalités structurelles quicaractérisent les relations avec l’administration : la CADA fait partied’un univers administratif dont elle reproduit la logique de fonctionne-ment. La fréquence des contacts avec la CADA témoigne bien de cettepesanteur : les usagers de la CADA sont souvent des « récidivistes »,qui n’hésitent pas à la saisir de manière répétitive 5 ; tout se passe donccomme si la CADA pouvait compter sur une clientèle de fidèles, d’habi-tués – l’augmentation du nombre des saisines n’étant plus dès lors lesigne d’un élargissement de la sphère d’influence de la CADA. En cequi concerne les personnes morales, les demandes d’avis émanent enmajorité des associations (56 % des demandes), notamment de pro-tection de l’environnement, adeptes elles aussi de saisines multiples,mais aussi des collectivités locales, des syndicats de fonctionnaires,des entreprises. Les moyens utilisés par la CADA pour atténuer cettesélectivité sociale sont réduits : le rapport d’activité est connu des seulsinitiés et le Guide de l’accès aux documents administratifs, s’il estapprécié par eux, reste inaccessible au français moyen ; faute de res-sources suffisantes, la CADA abandonne en fait pour l’essentiel à d’au-tres, et notamment aux associations, la responsabilité d’information deses usagers potentiels, pour se consacrer à son public d’habitués.

Le type de documents demandés est différent selon le type de person-nes concernées. Comme toujours, les personnes physiques sollicitentavant tout la communication de documents à caractère personnel(45 %), notamment ceux dont c’est la première demande adressée à laCADA (61 %). Pour les personnes morales, les documents d’intérêtgénéral ne sont pas les seuls sollicités : les demandes des entreprisesvisent à satisfaire leur intérêt propre et les syndicats de fonctionnaires

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1 D’après l’enquête, le public serait davantage provincial (23 % des personnes physi-ques habiteraient l’Ile-de-France) et rural ou semi-rural (44 % habiteraient des agglomé-rations de moins de 20 000 habitants) que ne l’indiquent les rapports de la CADA.2 74 % ont un diplôme égal ou supérieur au baccalauréat.3 La fonction publique est sur-représentée.4 55 % ont des fonctions associatives, syndicales ou politiques.5 D’après Sophie Chevrolle, 35 % seulement des demandes émanent de nouveaux usa-gers ; les autres sont le fait d’usagers qui ont déjà saisi la CADA, et parfois à maintesreprises (31 % entre deux et dix fois, 14 % plus de dix fois en 2002).

cherchent à obtenir communication de documents que les responsa-bles administratifs leur refusent. Reste à savoir quelle est la motivationdes intéressés : l’enquête confirme qu’ils ont d’abord en vue un objectifcontentieux (70 %) ; ils cherchent à obtenir des armes afin d’étayer unrecours éventuel ultérieur au juge. Le constat sans illusion établi par laCADA dès ses premiers rapports, selon lequel la liberté d’accès est « lemoyen pour le justiciable de gagner des points dans le conflit quil’oppose à l’administration » plus que « l’instrument permettant aucitoyen d’améliorer de manière paisible son information sur la chosepublique », demeure donc toujours d’actualité.

La saisine de la CADA n’en crée pas moins une dynamique nouvelle, quimodifie les perceptions et les comportements des uns et des autres.

Le déroulement de la procédure

La saisine de la CADA constitue, on le sait, un préalable obligatoire avanttout recours contentieux : appelée à statuer sur les litiges de communi-cation sur la base du droit en vigueur, la CADA apparaît ainsi comme uneinstance pré-contentieuse ; sa fonction est de prévenir le recours aujuge, soit en incitant le service récalcitrant à communiquer, soit en dis-suadant l’administré de poursuivre son action. Cette fonction est cepen-dant exercée dans des conditions très particulières : la CADA n’a pas eneffet de pouvoir de décision, mais rend seulement des avis ; et elle esttenue de statuer dans des délais extrêmement brefs (un mois depuis ledécret du 28 avril 1988), alors même que la demande dont elle est saisieest souvent elliptique. Même si le délai d’un mois fixé est rarement res-pecté 1, l’instruction des demandes ne saurait être réduite qu’au strictminimum : tout l’effort de la CADA est tourné en direction des services,afin d’obtenir d’eux les informations indispensables pour lui permettrede statuer, et notamment les motifs du refus de communication ; enrevanche, les contacts avec les administrés sont réduits à leur plussimple expression. L’avis est rendu par la CADA au vu des informationsfournies par l’administration et à l’exclusion de tout débat contradictoire.

Les contacts avec les servicesLes contacts de la CADA avec les services sont exclusifs de tout élé-ment de contrainte : le statut consultatif qui est le sien a été retenu àdessein en 1978, la proximité avec l’administration ayant été jugéenécessaire pour permettre à celle-ci de faire l’apprentissage de la trans-parence ; même si le rattachement au Premier ministre dote la CADAd’une certaine « autorité », celle-ci n’est que morale et conquise

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1 Il ne l’est que dans 18 % des cas ; le délai moyen est de 42,9 jours.

d’abord par la cohérence et la continuité de sa jurisprudence. La CADAentend nouer avant tout des rapports de confiance avec l’administra-tion : aussi ne fait-elle jamais grief aux services de leurs retards, deleurs erreurs, de leur passivité ; et elle s’abstient de faire usage despouvoirs d’investigation qui lui ont été pourtant reconnus.

Au-delà de ces relations de confiance, elle ne peut pourtant exercer samission que si elle dispose d’instruments de contact avec les services,de relais auxquels elle fera appel pour obtenir les informations néces-saires. L’existence d’un interlocuteur attitré, par l’intermédiaire duquelpassent les rapports avec les services est un facteur essentiel du bondéroulement de la procédure et la CADA a insisté depuis les années1980 pour qu’il soit mis en place. Si existent bien dans la plupart desadministrations des fonctionnaires chargés de traiter des problèmesde communication et des relations avec la CADA, la fonction de « cor-respondant » a été officialisée dans des administrations encore peunombreuses 1. Généralement rattachés aux services juridiques, mais àquelques exceptions près 2 au simple niveau du bureau, les correspon-dants exercent souvent en parallèle d’autres attributions (traitement dedossiers, rédaction de commentaires juridiques...) ou les cumulentavec celles de correspondant de la CNIL et du Médiateur. Le cas del’Equipement doit être mis à part dans la mesure où la moitié des DDEdisposent d’un correspondant CADA. L’enquête montre que la fonctionest majoritairement confiée à des femmes (20/36) : dotés d’une forma-tion juridique, les intéressés disposent d’une solide expérience profes-sionnelle au sein du ministère dont ils relèvent (une dizaine d’années aumoins) ; ils n’ont bénéficié en revanche d’aucune initiation spécifique.

La fonction de correspondant est, en réponse à la demande de la CADA,de lui transmettre le document sollicité, accompagné de l’avis du serviceconcerné. Le correspondant n’est donc pas responsable de la communi-cation des documents, qui reste l’apanage des services, mais seulementde la communication avec la CADA : servant de « courroie de transmis-sion », il est chargé de faire circuler l’information entre la CADA et lesservices. Son rôle n’est cependant pas passif mais actif : ce n’est pas unesimple « boîte à lettres », qui se bornerait à recevoir les demandes decommunication en provenance de la CADA et à transmettre la réponsedes services, mais encore un « vaguemestre » ; ayant pris connaissancede la demande de l’usager, il doit identifier le service qui a refusé la com-munication, le contacter par téléphone, lui adresser une lettre rappelantla réglementation en vigueur et, après avoir reçu la réponse du service,la communiquer à la CADA. Toutes ces opérations doivent être

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1 Philippe Berrached a recensé quinze organismes – huit ministères, cinq entreprisespubliques, EDF, SNCF, RATP, La Poste, France Télécom), une collectivité locale (la Villede Paris) et l’Assistance publique de Paris – qui disposent d’un ou de plusieurs corres-pondants (cinq au ministère de l’Economie et des Finances, deux au ministère de l’Edu-cation nationale, deux pour la Ville de Paris).2 La fonction est tenue au ministère de la Défense par le directeur des services juridiques

effectuées dans un laps de temps extrêmement bref (une semaine à dixjours), ce qui, compte tenu de la complexité des circuits de communica-tion interne, tient souvent du prodige...

Si l’existence de cette « structure d’interface » constitue pour la CADAun levier d’action essentiel, en facilitant la communication avec les servi-ces, la position de correspondant reste fragile : non seulement elledépend, faute de texte général, de la bonne volonté des administrations,mais encore certaines équivoques subsistent. D’abord, le correspondantne dispose pas du monopole des relations avec la CADA : si la CADA s’a-dresse à lui pour recueillir les informations sur les affaires dont elle estsaisie, en revanche les services peuvent demander conseil directementà la CADA, sans passer par son intermédiaire, et la Commission acceptede répondre à ces demandes ; le correspondant n’est d’ailleurs pasdavantage obligatoirement saisi, plus en amont, des demandes de com-munication adressées aux services et n’est donc pas maître de la poli-tique suivie par le ministère en la matière. Sans doute a-t-il un rôled’alerte, par rapport au risque contentieux que ferait courir unenon-communication ainsi qu’une fonction de sensibilisation des servi-ces à la logique de la transparence ; mais cette fonction reste informelle.Ensuite, les relations avec la CADA sont empreintes de distanciation :non seulement les correspondants n’ont pas rencontré la CADA aumoment de leur désignation, mais encore ils déclarent, pour le regretter,n’avoir aucune relation directe avec elle, si ce n’est quelques contactstéléphoniques épisodiques avec le secrétariat général ; s’ils consultentle site de la CADA, ils utilisent avant tout la documentation qu’ils ont àleur disposition au ministère. Le correspondant se perçoit et agit ainsicomme un agent de son administration, en intériorisant sa rationalité.Enfin, le correspondant ne dispose pas d’un poids important au sein deson administration : à quelques exceptions près (défense), sa positionest subalterne et il est souvent géographique éloigné des centres dedécision – ce qui provoque des retards dans la transmission du courrier ;dans ses communications téléphoniques comme dans ses correspon-dances, il ne fait d’ailleurs jamais mention de sa qualité de « correspon-dant CADA », mais seulement de son appartenance à la direction desaffaires juridiques. Ce manque de reconnaissance explique que la fonc-tion soit peu recherchée : s’ils jugent leurs relations avec la hiérarchieexcellentes, les correspondants éprouvent un sentiment d’inutilité,comite tenu de la rareté des affaires ; et ils déplorent d’être contraints detravailler dans l’extrême urgence, en raison des délais impartis par laCADA. Une consolidation de leur statut apparaît dès lors indispensable.

Les contacts avec les usagersL’usager est le grand absent de la procédure : une fois la CADA saisie, ilest tenu d’attendre passivement le produit d’échanges et de délibérationsqui échappent totalement à son regard ; alors que l’administration est

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invitée par la CADA à présenter ses observations, par l’intermédiaire ducorrespondant voire par oral au cours de la séance où le dossier estexaminé, lui-même n’est pas admis à intervenir et à faire valoir sesarguments. Tout au plus peut-il appeler le secrétariat général poursavoir où en est son dossier, et éventuellement accéder aux rédacteursquand celui-ci n’est pas en mesure de répondre ; mais il s’agit d’unesimple information sur le suivi de la procédure, sans possibilité d’avan-cer des éléments nouveaux ; et tout contact direct avec les membresde la CADA est exclu. Cette absence de débat contradictoire, imposéepar les délais dans lesquels elle est tenue de se prononcer, est justifiéepar le fait que la CADA n’a pas le statut d’une juridiction ; par ailleurs,dans la mesure où il s’agit de déterminer si tel ou tel document relève,ou non, d’une des catégories de documents communicables au regardde la loi, l’invocation de circonstances particulières serait sans perti-nence : l’examen auquel la CADA procède serait purement objectif.

Les usagers vivent mal cette mise à distance 1 et surtout l’inégalité detraitement qu’ils subissent par rapport à l’administration. La CADA estperçue comme une entité lointaine 2, opaque, dont le fonctionnementreste entouré d’un mystère entretenu par la rédaction souvent très laco-nique des avis – situation paradoxale dans la mesure où la CADA a étéprécisément instituée pour promouvoir la transparence !... Les usagerssouhaiteraient pouvoir exposer leur problème dans les locaux de laCADA, nouer un contact direct avec un rapporteur dont ils ne connais-sent que les initiales, assister aux réunions de la Commission – toutespossibilités que les textes n’interdisent pas 3 ; et la qualité, trèsappréciée, des renseignements fournis téléphoniquement par la CADAne suffit pas à corriger cette impression de dépersonnalisation ressentiepar beaucoup. Quant à la différence de traitement, elle suscite une totaleincompréhension : les usagers se sentent tenus à l’écart, relégués ausecond plan ; ils souhaiteraient pouvoir répondre aux observations pré-sentées par l’administrtion. Cette frustration générée par le mode decontact et les méthodes de travail de la CADA est d’autant plus significa-tive que les usagers se déclarent par ailleurs globalement satisfaits durôle joué par elle, comme le montre le nombre des « récidivistes » : unefois l’apprentissage de la procédure effectué, on n’hésite plus à faireappel à la CADA ; les critiques essentielles portent, non sur le sens desavis, mais sur les délais requis pour les obtenir, ce qui explique lesappels téléphoniques destinés à connaître l’état du dossier. Mais cettecritique doit être elle-même relativisée : elle provient surtout des nou-veaux usagers personnes physiques ; l’insatisfaction est moindre chezles associations et les syndicats, davantage familiers des lenteursadministratives.

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1 28 % considèrent que la CADA les a traités « comme un numéro »2 Rappelons que la majorité des usagers habitent en province.3 Sénat, 3 juin 1985.

Le problème auquel les usagers s’avèrent le plus sensibles est celui dessuites réservées aux avis : le fait que l’avis favorable à la communica-tion obtenu de la CADA ne soit pas toujours suivi par l’administrtion, oufasse l’objet d’une application tronquée, suscite en effet une vivedéception, qui témoigne a contrario de l’importance des attentes dontelle fait l’objet 1 ; la prise de conscience soudaine des limites du rôle dela CADA entraîne par contrecoup la réévaluation de son image. Là sesitue sans doute pour la CADA l’épreuve de vérité.

Les suites

Le fait que, saisie par les administrés, la CADA ne rende que des avissur les demandes de communication de documents refusées par l’ad-ministration, crée une incertitude quant au sort final qui sera réservé àces demandes : si l’avis est favorable, il s’agit de savoir si les servicesadministratifs vont le suivre ; si l’avis est défavorable 2, il s’agit desavoir si l’administré va s’incliner. Dans les deux cas, la prévention ducontentieux, qui constitue l’objectif essentiel du dispositif, dépendapparemment de la force de persuasion de la CADA, de sa capacité àconvaincre ses interlocuteurs du bien-fondé de sa position, ainsi quede son autorité morale. D’autres paramètres entrent cependant enligne de compte : la signification qu’il convenait d’accorder au refus ini-tial de communication, l’instrumentalisation possible de la CADA parles services administratifs, l’enjeu que constitue pour l’administré lacommunication du document en cause, sa résolution à s’engager dansune procédure juridictionnelle ; le croisement de ces divers paramè-tres rend l’analyse des suites réservées aux avis complexe, en excluanttout schéma d’interprétation simple et univoque.

Les suites administratives

Les chiffres globaux tirés des rapports de la CADA témoignent à pre-mière vue d’un excellent suivi administratif : le pourcentage d’avis nonsuivis ne s’élèverait en effet, d’après le rapport 2001, qu’à 6,7 %. Ceschiffres appellent cependant une interprétation nuancée : non seule-ment ils témoignent paradoxalement de la persistance de résistances

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1 Comme le montrent un certain nombre d’appréciations à l’emporte-pièce formuléesen réponse au questionnaire de Sophie Chevrolle : « Je pensais que la CADA avait unvrai pouvoir » ; « La CADA, c’est nul ! » ; « Quelle est son utilité ? » etc...2 9 % selon le rapport 2001 : les deux tiers des demandes de communication rejetéestouchent à des informations protégées (notamment parce que les documents portentatteinte à la vie privée) ; le reste concerne les documents préparatoires (27,7 %) et lesdemandes abusives (5,6 %).

administratives face à la logique de la transparence, mais encore ilss’en tiennent à l’apparence des choses, sans analyser les conditionsconcrètes de communication ; d’où la nécessité d’enquêtes plusapprofondies, telles que celle qui a été menée par Florence Boizard.

Cette enquête confirme sans doute que les avis de la CADA sont pourl’essentiel suivis par l’administration. Plusieurs cas de figure doiventcependant être distingués. Ou bien, le refus de communication a été dûà une erreur des services, liée à une mauvaise connaissance des textes(circulaires ou notes de service plus restrictives, documents qualifiés àtort de nominatifs, exigence d’un intérêt pour agir, document qualifiéabusivement de document interne etc...) : l’indication par la CADA del’erreur commise conduit l’administration à la corriger ; l’avis remplitalors la fonction pédagogique précédemment relevée, en permettanten principe d’éviter pour l’avenir la répétition de telles erreurs. Demême, lorsque l’administration s’est réfugiée à tort derrière l’avis futurde la CADA, pour éviter d’avoir à se prononcer, le suivi est tout naturel.Ou bien, le refus de communication n’a été qu’implicite et résulte dusilence observé par l’administration sur la demande qui lui a étéadressée. Ces refus implicites, qui sont très largement majoritaires(70 %) ont des significations variées : parfois ils recouvrent unevolonté de non-communication, parfois ils ne sont que la produit de l’i-nertie ou de la lenteur administrative. La simple réception de la lettre dela CADA, avec la mention « Premier ministre », a alors pour effet deréveiller l’administration, ainsi que le montre le pourcentage importantde demandes « sans objet » (24,5 %), parce qu’elles ont été satisfaitesentre la saisine de la CADA et l’avis : comme le relevait la CADA en1999 1, « le fait même de savoir que la CADA a été saisie va amener lesservices administratifs à communiquer instantanément les documentsen litige, sans attendre que la Commission se prononce » ; 12 % desservices communiquent les documents dès réception de la lettre de laCADA. L’avis rendu ne fait que renforcer le mouvement : 65 % desrefus implicites initiaux seront, après l’avis favorable, corrigés – pour-centage qui comporte cependant des variantes selon les administra-tions 2. Ou bien enfin, le refus de communication a été explicite : là, lesréticences administratives sont plus importantes, les suivis explicitementnégatifs étant en effet presque trois fois plus nombreux quand il y a eurefus initial explicite ; et si elle suit l’avis, l’administration tient parfois àinformer la CADA des raisons qui l’amènent à être en désaccord avecelle. Le suivi est souvent « contraint », l’administration s’inclinantdevant l’autorité morale de la CADA ou craignant plus prosaïquementd’être mise en cause dans son rapport annuel. L’intervention de laCADA joue le rôle d’une « piqûre de rappel », en rappelant à

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1 Rapport, p. 100.2 70 % pour le ministère de l’Education nationale mais 43,6 % seulement pour le minis-tère de l’Intérieur.

l’administration les obligations qui lui incombent au titre de la transpa-rence. Il reste que le taux important de suivis positifs n’est obtenu qu’auprix de relances, provenant aussi bien de l’usager que de la CADA 1.Plus profondément, il atteste du fait que nombre des refus de commu-nication proviennent d’erreurs, de retards, voire d’une mauvaisevolonté de la part d’une administration qui intériorise mal la transpa-rence et recourt à des mesures dilatoires pour retarder le moment decommuniquer des documents qui pourtant ne posent aucun problème.Les taux élevés de suivis positifs ne sont donc pas en eux-mêmes unsigne de bonne santé de la transparence.

Par ailleurs, et surtout, ces taux comportent une part d’artifice. D’abord,le taux de « non-réponse » de l’administration concernant les suites del’avis est élevé (18 %) – particulièrement dans certaines administra-tions 2. Ensuite, l’enquête montre, tantôt une exécution tardive ou par-tielle 3, tantôt encore une absence effective d’exécution, en dépit desinformations transmises à la CADA ; il arrive aussi que l’administrationaffirme que le document ne peut être communiqué, parce qu’inexis-tant, détruit ou perdu, sans que la CADA soit à même de vérifier cesdires : l’analyse concrète des suites révèle ainsi la persistance d’unecertaine mauvaise volonté administrative, traduite par le silence, descomportements incohérents et aussi des refus catégoriques, variablesselon les administrations 4. On s’explique dès lors le point de vue cri-tique des usagers 5, dont le vécu ne coïncide pas avec les statistiquesglobales figurant dans les rapports. Aussi les suites administrativesdonnées aux avis ne suppriment-elles pas les suites contentieuses.

Les suites contentieusesOn connaît assez bien la jurisprudence du Conseil d’État en matièred’accès aux documents administratifs 6, beaucoup moins en revanchecelle des juridictions administratives inférieures ; d’où l’intérêt de l’en-quête effectuée par Florence Boizard. Le bilan établi par extrapolation,à partir des réponses au questionnaire envoyé aux Tribunaux adminis-tratifs (27 réponses), témoigne d’un contentieux en forte progres-

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1 Florence Boizard relève que pour les 1125 avis favorables donnés au cours du premiersemestre 2003, 641 premières relances ont été opérées et 234 deuxièmes relances ;dans 30 % seulement des cas, les services ont communiqué le document sans qu’unerelance ait été nécessaire2 Notamment l’Equipement, l’Agriculture ou l’Education nationale.3 Les 38,5 % de « oui et non » à l’enquête seraient l’indice d’une communication partielle.4 On compterait 8 % de refus de communication dans le secteur social mais 33 % danscelui de la sécurité.5 L’administration est jugée « récalcitrante » par plus de la moitié des intéressés.6 358 décisions rendues de 1978 à juillet 2003.

sion 1 : le pourcentage des annulations reste stable 2, alors que celuides rejets est en régression 3, les désistements et décisions de non-lieuaugmentant corrélativement.

L’interprétation de ces chiffres est délicate. La dernière variableconfirme que l’attitude négative adoptée par l’administration tend àcéder face à l’insistance du demandeur : déjà la saisine de la CADA, l’a-vis rendu par elle, puis les relances successives pour connaître des sui-tes incitent l’administration à ne pas persévérer dans son refus ; lerecours contentieux constitue le stade ultime de ces pressions, généra-lement couronnées de succès. Là encore, ce constat appelle uneappréciation nuancée : il montre que la transparence est plutôt subie etsuppose que des pressions insistantes soient exercées pour quel’administration s’y plie ; l’aiguillon de la CADA et la menace d’une cen-sure juridictionnelle restent nécessaires, contrairement à ce qui étaitespéré en 1978. Provenant des personnes morales dans les mêmesproportions que pour la saisine de la CADA (un tiers), le recourscontentieux est le plus souvent exercé ici encore contre les refus impli-cites (80 %) ; si l’avis de la CADA est favorable, il existe cependant descas contraires (un sixième) : le juge administratif confirme alors, dansla quasi totalité des hypothèses, l’avis défavorable de la CADA. Il existepourtant des exceptions : Florence Boizard en a relevé deux, dont uneaffaire particulièrement exemplaire concernant la communication d’unrapport établi par des fonctionnaires de l’Intérieur sur l’organisation etle fonctionnement des services des étrangers dans les préfectures :alors que la CADA avait considéré qu’il s’agissait d’un document prépa-ratoire, donc non communicable (avis défavorable du 17 mai 2000), leTribunal administratif (jugement du 2 février 2001) puis la Cour admi-nistrative d’appel (arrêt du 6 décembre 2001) auront un point de vuecontraire, avant que le Conseil d’État ne revienne à la position initiale dela CADA (arrêt du 9 juillet 2003). L’augmentation du contentieux peutêtre considérée comme la preuve que le dispositif est mieux connu etque les administrés n’hésitent plus à saisir le juge pour faire valoir leurdroit à la communication ; elle peut aussi être interprétée, de manièremoins positive, comme l’indice qu’un recours contentieux est plus quejamais nécessaire pour obtenir la communication de certains docu-ments ; dans tous les cas, nombre d’administrés renoncent à l’exercer,par découragement, sentiment d’impuissance ou en raison de la lon-gueur des délais – alors que certains récidivistes n’hésitent pas enrevanche à multiplier les recours abusifs. Une fois engagé sur le terraincontentieux, le demandeur tend à aller jusqu’au bout, comme l’attestaitle nombre important d’appels contre les jugements des tribunaux

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1 272 jugements en 1999, 266 pour les six premiers mois de 2003 – soit un quasi double-ment.2 Autour de 20 %.3 De 58 % en 1999 à 40 % en 2003.

administratifs : le décret du 24 juin 2003 a cherché à y répondre en sup-primant l’appel pour les contentieux qualifiés de « mineurs », dont celuiconcernant l’accès aux documents administratifs 1.

Si le juge administratif a une conception plus restrictive du droitd’accès, il exerce un contrôle plus strict que ne peut le faire la CADA surles allégations de l’administration, la matérialité de la communication,ainsi que sur les conditions de communication des documents 2.L’annulation d’un refus de communication n’est cependant pas tou-jours une garantie de succès : quelques jugements restent inexécutésou exécutés tardivement 3 ; la responsabilité de l’administration peutalors être engagée pour faute.

Les recherches dont l’essentiel a été ici restitué confirment l’apprécia-tion ambivalente qu’appelle le dispositif mis en place en 1978 : incon-testablement, la CADA a été un fer de lance irremplaçable pourpromouvoir l’accès aux documents administratifs et constitue toujoursun aiguillon indispensable pour surmonter certaines préventions ourésistances administratives ; il reste qu’en dépit de la souplesse de sesrègles de saisine et de sa proximité avec les services, son institution n’apas suffi à lever tous les obstacles et à placer la transparence adminis-trative sous le sceau de l’évidence 4. C’est sans doute du côté de l’orga-nisation administrative que les choses peuvent désormais progresser.Soulignant qu’une « mobilisation » des administrations est nécessairepour changer les comportements, Mme Puybasset suggère l’institutiond’un véritable service public d’accès aux documents administratifs,dotés de moyens appropriés 5. Au moins l’institution, sur le modèlequébécois, dans chaque service d’un responsable de l’accès aux docu-ments pourrait-elle améliorer la situation : ce responsable devrait êtrechargé, non seulement comme les correspondants actuels derépondre aux demandes de la CADA, mais directement aux demandesde communication des administrés, en étant doté d’un véritable pou-voir de décision, avec recours éventuel devant la CADA ; l’expériencequébécoise 6 semble attester de l’efficacité d’un tel dispositif.

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1 S. Boissard, « Vers un désencombrement des Cours administratives d’appel ? »,Actualité juridique droit administratif, juillet 2003, pp. 1375 sq. Voir aussi V. Corneloup,Les Petites Affiches, 24 septembre 2003.2 Une photocopie presque illisible équivaut par exemple à un refus de communication.3 5 sur 160 d’après les réponses au questionnaire.4 J. CHEVALLIER, « Le mythe de la transparence administrative », in Information ettransparence administratives, PUF 1988.5 Article précité.6 24 926 demandes d’accès par an et moins de 2,5 % des décisions contestées devant laCommission d’accès à l’information.

Le cas particulierdes collectivités locales :analyse à partir de l’exemplede la région centre

BÉNÉDICTE DELAUNAY,professeure à l’université de Tours (LERAD)

L’un des objectifs de ce colloque est de faire le bilan de l’application dela loi du 17 juillet 1978, 25 ans après qu’elle a été votée, et notammentd’en rechercher l’effectivité à travers l’étude des pratiques administrati-ves. La loi « est-elle entrée dans les mœurs administratives ? Y-a-t’ilencore des résistances à une raisonnable transparence de l’administra-tion. En l’affirmative de la part de qui et pourquoi ? » 1.

L’étude que nous avons menée est une contribution à cette recherche.Elle tente d’apporter quelques réponses à ce questionnement. Elle aété réalisée par l’Université de Tours 2, dans le cadre d’une conventionconclue avec l’IFSA et la CADA pour la préparation de ce colloque 3.

Cette étude porte sur le cas particulier des collectivités locales et desétablissements publics territoriaux. La mise en œuvre du droit d’accèsy présente en effet certaines particularités, qui justifient que le projec-teur soit mis quelques instants sur elles.

Elle est organisée par des dispositions spécifiques fort ancienness’agissant des principaux documents communaux (puisqu’elles sontissues de la loi du 5 avril 1884 sur l’organisation municipale et que leurorigine remonte à 1789), qui permettent d’avoir accès aux procès-ver-baux du conseil municipal, des budgets et comptes des communes et

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1 Programme du colloque.2 Le LERAD : Laboratoire d’Étude des Réformes Administratives et de la Décentralisation.3 L’enquête et le rapport ont été réalisés par M. Pierre Diatta, docteur en droit, sous notredirection. Le rapport est consultable sur le site de la CADA. : P. Diatta, La mise en œuvredu droit d’accès aux documents administratifs par les collectivités locales et les établis-sements publics territoriaux – Étude sur la Région Centre, juillet 2003.

des arrêtés municipaux 1. Depuis la loi du 6 février 1992, toutes les col-lectivités, ainsi que les établissements publics de coopération, sontsoumis à cette obligation 2. La loi du 17 juillet 1978, qui a une portéeplus générale, n’a pas abrogé ces dispositions. Et la loi du 12 avril 2000relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les adminis-trations 3 a étendu la compétence de la CADA aux refus de communica-tion prononcés sur ce fondement.

Avec le développement de la décentralisation, les demandes de com-munication des documents des collectivités locales ont augmenté, auxniveaux tant communal que départemental et régional. Les rapports dela CADA 4 notent ainsi la part importante des collectivités locales et desétablissements publics territoriaux parmi les administrations mises encause : 44 % des demandes en 2002, ce qui représente une hausse de4 % par rapport à l’année précédente 5. Si cette hausse concerne tou-tes les catégories de collectivités, ce sont néanmoins principalementles communes, puis les établissements publics territoriaux qui sontimpliqués 6. Les communes constituent, avec certains services del’État, l’un des deux principaux foyers de refus de communication.

Or les saisines de la CADA concernent, pour la plupart, des documentsdont le caractère communicable ne fait aucun doute, notamment enmatière d’urbanisme, qu’il s’agisse d’autorisations individuelles d’oc-cupation du sol (permis de construire) ou de documents plus générauxse rapportant soit à l’élaboration des plans locaux d’urbanisme, soit à

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1 L’article L. 2121-26 CGCT, dans sa rédaction issue de la loi du 6 février 1992 ATR,consacre le droit de toute personne physique ou morale de demander communicationet de prendre copie des procès-verbaux du conseil municipal, des budgets et des comp-tes de la commune et des arrêtés.En dehors du CGCT, des dispositions spécifiques permettent l’accès à certains docu-ments : art. 28 du code électoral, qui reconnaît à tout électeur, candidat, parti ougroupement le droit de prendre communication et copie de la liste électorale ;art. L. 213-13 et L. 332-29 du code de l’urbanisme, qui permettent à toute personne deconsulter ou d’obtenir un extrait du registre dans lequel sont inscrites toutes les acquisi-tions de la commune réalisées au titre du droit de préemption, et du registrre des contri-butions exigées dans le cadre des zones d’aménagement concerté.2 Art. L. 3121-17, al. 2 et L. 3313-1, al. 3 CGCT (pour les départements) ; art. L. 4132-16,al. 2 et L. 4312-1, al. 3 CGCT (pour les régions) ; art. L. 2121-26 CGCT (pour les établisse-ments publics a dministratifs communaux) ; art. L. 5211-46, al. 1 CGCT (pour les établis-sements publics de coopération).3 Loi n° 2000-321, JO, 13 avril 2000, p. 5646.4 Cf. Rapport d’activité de l’année 2002, www. cada. fr ; v. également S. Boissard, Accèsaux documents administratifs : du droit à la pratique, quelques réflexions sur les acquiset limites de la loi du 17 juillet 1978, Cahiers de la fonction publique, mars 2001, p. 8 ;S. Boissard, Le droit d’accès aux documents administratifs depuis la loi du 12 avril 2000,AJDA, 25/2003, p. 1309 ; M. Puybasset, Le droit à l’information administrative, AJDA,25/2003, p. 1307.5 47 % concernent l’État et ses établissements publics, mais elles sont en baisse de 7 %par rapport à 2001. 7,8 % mettent en cause des organismes privés chargés d’un servicepublic et 0,6 % d’autres organismes.6 Communes : 26,4 % ; Établissements publics territoriaux : 13,5 % ; Départements :4,1 % ; Régions : 0,6 %.

de grands projets d’aménagement. Ils sont la manifestation, selon laCADA, davantage d’une inertie que d’une volonté délibérée de ne pascommuniquer, comme en témoignent le nombre de refus implicites etle fait que la simple saisine de la CADA suffise souvent à provoquer lacommunication. Néanmoins la Commission constate, dans son dernierrapport, que les taux de non-réponse à ses avis de la part des collectivi-tés territoriales (plus de 15 %) et d’avis non suivis par les communes(près de 9 %) sont en hausse (alors que ce dernier pourcentagediminue pour les régions et les départements).

Pourtant, en 1984, M. Bruno Lasserre, alors rapporteur général de laCADA, évoquait, dans le 3e rapport de la commission 1, « les collectivi-tés locales où la loi du 17 juillet 1978 est, finalement, bien connue etacceptée », à l’inverse d’autres administrations...

Il importe donc d’essayer de comprendre les raisons cette situation.

Par ailleurs, la CADA n’a qu’une vision contentieuse de la mise enœuvre du droit d’accès. D’où l’intérêt des études de la pratique des col-lectivités, en dehors de tout contentieux.

De telles études ont été menées :– en 1983, par la Commission, s’agissant de l’accès aux documentscommunaux (un questionnaire avait été envoyé à 750 communes deplus de 10 000h) ;– en 1987, par le CURAPP (Centre Universitaire de Recherches Admi-nistratives et Politiques de Picardie), pour le Commissariat général duplan, sous la direction des Professeurs Rangeon et Laveissière 2.

Mais elles sont anciennes.

Il a donc paru intéressant à la CADA de nous confier une telle étude, àpartir de l’exemple de la Région Centre.

La Région Centre est une région « discrète », selon la commission,comme le Nord, par opposition à une France méridionale et/ou urbaineayant souvent recours à elle. 2,4 % seulement des demandes qui luisont adressées, émanent de cette région.

L’enquête a été menée au cours du premier semestre de l’année 2003,auprès de 329 collectivités locales et établissements publics territo-riaux. Elle a été réalisée au moyen de questionnaires adressés à ceux-ciet d’entretiens réalisés auprès d’une vingtaine d’entre eux. Le taux de

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1 3e rapport (1982-1983), Doc. fr., 1984.2 Cf. F. Rangeon, L’accès à l’information administrative et L. Laveissière, Réflexions surla pratique administrative, in CURAPP, Information et transparence administratives,PUF, 1988, p. 79 et 163.

réponse s’établissant à 40 %, ce sont au final 134 collectivités et éta-blissements publics qui ont été sondés 1.

Une des limites de ses résultats concerne le profil et les motivationsdes demandeurs, les collectivités ne tenant pas en général de statisti-ques à ce sujet.

Cette étude apporte néanmoins des informations intéressantes sur lapratique du droit d’accès. Les conclusions que l’on peut en tirer confir-ment en grande partie les observations de la CADA.

D’une part, l’utilisation restreinte du droit d’accès par les citoyens (I).D’autre part, l’insuffisante coopération des collectivités (II).

Une utilisation restreinte du droitd’accès par les citoyens

Loin de la crainte qu’avait suscitée dans l’administration le vote de la loidu 17 juillet 1978, l’enquête montre que les collectivités et établisse-ments publics territoriaux sont en fait peu sollicités (A).

Elle confirme que ce droit est utilisé plus à des fins personnelles queciviques (B).

Des collectivités et établissements publicsterritoriaux peu sollicités

Le constat

Seuls 68 % des collectivités et établissements interrogés ont été saisisde demandes de communication. C’est le cas de la région Centre, desdépartements, de la plupart des communes et des communautés d’ag-glomération. En revanche, seules la moitié des communautés de com-munes ont été saisies, ce qui peut s’expliquer par la récente création dela plupart d’entre elles. Quant aux syndicats, peu l’ont été.

De plus, l’analyse de la fréquence des demandes dont sont saisischaque collectivité et établissement, montre que celle-ci est faible.75 % déclarent être rarement saisis. Seule la fréquence des demandesadressées aux départements et aux communes chef-lieux de départe-ment et d’arrondissement est importante.

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1 La Région Centre, 4 départements, 60 communes de plus de 1000h, dont leschefs-lieux de département et d’arrondissement, 4 communautés d’agglomération, 34communautés de communes, 5 syndicats mixtes, 9 SIVOM et 17 SIVU. Les syndicatschoisis interviennent essentiellement dans les domaines de l’environnement, del’hygiène, de l’aménagement et du développement économique.

Au total, si on ajoute aux collectivités et établissements qui n’ontjamais été saisis, ceux qui ne l’ont été que rarement, voire très rare-ment, on constate que pour près de 83 % d’entre eux, la demande decommunication est inexistante ou très faible.

Les raisons invoquées

Les raisons invoquées par ceux-ci sont les suivantes, par ordredécroissant :

– pour 90 %, c’est d’abord la méconnaissance du droit d’accès 1. Cetteexplication est confirmée par l’étude du profil des demandeurs, quisont en partie des « initiés » : élus locaux, étudiants, généalogistes,agents administratifs, associations de défense... Pourtant la loi avingt-cinq ans, et divers moyens sont utilisés pour porter à la connais-sance des citoyens ce droit : Guide télématique des droits et démar-ches géré par la Documentation française, Guide d’accès auxdocuments administratifs sur le site Internet de la CADA, brochures surle droit d’accès et rapports publiés par la Commission. Mais cesmoyens d’information ne sont pas connus du grand public. Il faudraitnotamment qu’il soit informé par les bulletins d’information des collec-tivités et des établissements territoriaux et par la presse locale. La com-mune de Joué-lès-Tours a utilisé ces moyens pour informer seshabitants de la possibilité de consulter certains actes administratifs auxarchives municipales. D’autres le font par Internet. Mais l’informationne concerne en général que les délibérations et arrêtés, et n’esteffectuée que par un petit nombre de collectivités. Or, l’enquêtemontre que seuls 9 % des collectivités et établissements qui n’ontjamais été saisis, envisagent d’informer les citoyens sur le droit d’accès,sans doute par crainte d’être trop sollicités et de susciter des conten-tieux ;

– la seconde raison invoquée est le manque d’intérêt des citoyenspour les affaires locales ;

– la troisième, la méconnaissance des institutions administratives.Cette explication est avancée par l’institution régionale et les établisse-ments publics territoriaux. Il est vrai que la région souffre encore de sarelative jeunesse, de son éloignement et de son déficit d’identité. Sesefforts de communication et de rapprochement (cf. ouverture d ‘« Espa-ces Région Centre » dans les communes chefs-lieux de département)sont destinés à y remédier. Quant aux établissements publics de coo-pération, ils sont encore largement méconnus du public, d’autant plusque leurs organes ne sont toujours pas élus directement par la popula-tion ; la complexité de l’organisation intercommunale les rend de pluspeu accessibles ;

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1 L’enquête réalisée en 1999 par Pierre Diatta aboutissait au même constat (cf. P. Diatta,Le droit à l’information des administrés sur l’action municipale, thèse, Tours, 2001).

– une des dernières raisons est constituée par les difficultés de com-préhension des documents administratifs. On peut espérer que l’ac-tion du gouvernement en matière de simplifications administratives, etnotamment de simplification du droit et du langage administratif 1, per-mettra de rendre ces documents plus lisibles.

On est donc encore loin d’une « banalisation » de la mise en œuvre dudroit d’accès aux documents administratifs, comme cela peut être lecas dans les pays nordiques ou aux États-Unis.

Mais le niveau de la demande d’accès n’est pas sa seule faiblesse.

Un droit utilisé plus à des fins personnellesque civiques

L’enquête confirme à ce propos les données figurant dans les rapportsde la CADA concernant le profil des demandeurs, les documentsdemandés, les secteurs concernés et les motivations des demandes :– les demandeurs sont principalement des personnes physiques ;– les principaux secteurs concernés sont, par ordre décroissant, l’ur-banisme, l’environnement, l’économie et les finances, la fonctionpublique territoriale, les contrats et marchés, les archives se rapportantà la généalogie et à l’histoire, les élections (pour lesquelles les deman-des sont principalement formulées par les candidats et partis politi-ques) et la fiscalité ;– la demande porte sur des documents très variés ;– mais les fins poursuivies sont essentiellement personnelles.

Selon les collectivités, les bénéficiaires du droit d’accès s’intéressent d’a-bord aux documents détenus par celles-ci pour des besoins personnels etpour défendre des droits individuels, éventuellement devant le juge.

Les demandes formulées pour s’informer sur les affaires de la collectivitéémanent essentiellement d’associations de protection de l’environne-ment, notamment dans les domaines de l’urbanisme et de l’aménage-ment.

S’agissant des demandes destinées à des « recherches », elles concer-nent des recherches historiques, généalogiques, scolaires ou universi-taires. Quant aux demandes formulées pour des raisons politiques,elles sont le fait notamment d’élus minoritaires.

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1 Cf. loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit, etcréant un Conseil d’orientation de la simplification administrative (JO, 3 juillet 2003,p. 11192) ; circulaire du 26 août 2003 relative à la maîtrise de l’inflation normative et à l’a-mélioration de la qualité de la réglementation, JO, 29 août 2003, p. 14720 ; circulaire du30 septembre 2003 relative à la qualité de la réglementation, JO, 2 octobre 2003, p. 16824.

Le droit d’accès aux documents administratifs n’est donc pas encoreun outil permettant d’améliorer l’information des citoyens et de contri-buer au développement de la démocratie administrative.

Les raisons sont connues (développement de l’individualisme, perte dusentiment de citoyenneté, fracture sociale...), les remèdes le sont moins.

Il est toutefois certain que la faible portée des procédures participativessur les processus décisionnels ne les encourage pas à s’intéresser àces documents.

Or, la faiblesse de la demande conforte l’attitude « attentiste » des col-lectivités.

Une insuffisante coopérationdes collectivités et établissementsterritoriaux

L’enquête confirme que la mise en œuvre du droit d’accès ne susciteplus une hostilité et des résistances, mais qu’elle se heurte à une mau-vaise connaissance du dispositif législatif et à une inertie des services,pour lesquels elle constitue une préoccupation de second plan.

En témoignent des carences dans le traitement des demandes (A) etl’absence d’organisation matérielle de la communication des docu-ments (B).

Des carences dans le traitement des demandesLes collectivités ne respectent pas à la lettre leurs obligations légales,faute notamment de bien les connaître. Mais leur attitude traduit aussi cer-taines réticences à répondre aux demandes de communication du public.

Le respect partiel des obligations procédurales

Deux catégories d’obligations procédurales sont imparfaitement res-pectées par les collectivités :– d’une part, celles concernant les demandes mal dirigées. La loi du12 avril 2000 (art. 20) prévoit, lorsqu’une demande est adressée à uneautorité administrative incompétente, que cette dernière la transmet àl’autorité compétente et en avise l’intéressé. Seuls 31 % des collectivi-tés et établissements interrogés accomplissent ces deux formalités ;9 % transmettent la demande sans informer le demandeur ; 52 % secontentent d’informer le demandeur qu’ils ne sont pas en possession

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du document ; 3 % lui indiquent les coordonnées de l’autorité déten-trice ; et 5 % classent la demande sans suite ;– d’autre part, en cas de refus, les collectivités négligent en générald’indiquer au demandeur les délais et voies de recours, comme l’exigel’article R. 421-5 du Code de justice administrative. La plupart neconnaissent pas cette obligation et d’autres estiment inutile de l’accom-plir en raison de la connaissance qu’ont les demandeurs de ces infor-mations. Sans doute ont-elles peur également de susciter ainsi uncontentieux. Mais cette absence d’information fragilise la décision derefus, qui peut être attaquée à tout moment.

On doit par contre remarquer que les refus d’instruction sont peu fré-quents.

Ils sont motivés principalement par l’imprécision de la demande. Maisles collectivités essaient en général de la préciser avec leurs interlocu-teurs, afin de pouvoir y répondre, quitte à refuser la communication.

Des refus de communication parfois injustifiés

Les collectivités s’appuient en général sur des motifs légitimes,c’est-à-dire ceux prévus par la loi.

Mais leur utilisation peut parfois engendrer des abus.

Il en est ainsi de l’inexistence du document, qui constitue le premiermotif de refus invoqué par les collectivités.

La CADA 1 et le juge tiennent compte du sérieux et de la vraisemblancedes allégations respectives du demandeur et de l’administration. Maisil est parfois difficile de démasquer les comportements frauduleux.10 % des demandes déclarées sans objet par la CADA en 2002 sontfondées sur ce motif. Mais en Région Centre, ce sont le quart de sesavis défavorables (10 sur 42).

Le quatrième motif invoqué est le caractère abusif des demandes.

La CADA et les juridictions administratives ont cherché à encadrercette notion. Il faut que les intentions du demandeur ou que le nombrede documents auxquels il souhaite accéder témoignent d’un usage dela loi contraire à l’esprit de transparence administrative 2. Il convientdonc de refuser la communication lorsque le harcèlement ou la mau-vaise foi du demandeur sont manifestes et mettent les services dansl’incapacité de le satisfaire.

En 2002, 7,3 % des avis défavorables de la CADA sont justifiés par cemotif. En Région Centre, un seul avis défavorable.

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1 Sur la « doctrine » de la CADA, cf. notamment L. Laluque, La Commission d’accès auxdocuments administratifs – Contribution à l’étude de la transparence administrative,Thèse, Orléans, 2003.2 Cf. CAA Paris, 8 juin 2000, Cne de Charny, concl. V. Haïm, Petites affiches, n° 242, 5 déc.2000, p. 9 ; note V. H., Droit administratif, 2000, n° 199.

Au 9e rang, figurent les documents détruits ou perdus. Ce motif peutégalement être invoqué abusivement par les collectivités.

Seules 0,9 % des demandes déclarées sans objet par la CADA en 2002le sont pour ce motif. En Région Centre, un seul avis défavorable.

Mais les collectivités se fondent, de plus, parfois sur des motifs nonprévus par la loi.

Il en est ainsi de la notion de « document d’ordre intérieur », qui n’estaucunement un motif prévu par la loi et admis par la CADA. Il reposesimplement sur une jurisprudence isolée du Conseil d’État 1. Pourtantvingt-quatre collectivités et établissements territoriaux ont déclaré lorsde l’enquête s’être fondés sur un tel motif.

Neuf collectivités ont également fondé des refus sur l’usage commer-cial que le demandeur pourrait faire du document. Or, si la loi interditl’exploitation commerciale des documents, elle ne reconnaît pas pourautant aux administrations le pouvoir de refuser la communicationd’un document pour ce motif. Elles peuvent seulement rappeler audemandeur cette règle. Compte tenu des risques croissants d’une telleexploitation, avec la communication de fichiers numériques, il faudrait,toutefois, pouvoir contrôler l’utilisation des données diffusées.

Néanmoins, les refus de communication sont, d’après les collectivités,globalement assez peu fréquents, et, en général, fondés sur des motifslégaux. Ceci confirme que la loi est entrée dans les mœurs administrati-ves, et que l’administration cherche en général à l’appliquer.

Mais il s’agit d’une attitude passive. Elle subit la loi, au lieu d’en faciliterla mise en œuvre.

L’organisation du droit d’accès est en effet négligée.

Une organisation du droit d’accès négligéeLes collectivités locales, comme d’ailleurs la plupart des administra-tions, n’ont pas pris les mesures nécessaires pour assurer la pleineeffectivité du droit d’accès, tant en amont, en ce qui concerne la col-lecte et le traitement des documents, qu’en aval, s’agissant du disposi-tif permettant la consultation et la reproduction des documents.

Des carences dans la collecte et le traitementdes documents

– L’enquête confirme les constats alarmants de la Direction des archi-ves, quant à la mauvaise gestion de leurs archives par les petitescommunes.

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1 CE, 27 juin 1986, Association « SOS Défense », RFDA, 1987, p. 465, note J.-B. Auby.

À l’exception des communes les plus importantes, l’immense majoritédes communes et des établissements qui ont pris part à l’enquête (113 sur134) ne disposent pas d’un service d’archives, en raison principalementd’un manque de moyens. Les documents sont archivés de manièredésordonnée, ce qui rend difficile, voire impossible la recherche deceux-ci.

Un quart d’entre elles n’effectuent aucun tri. Et près d’un tiers ne procè-dent à aucune élimination. Pourtant une bonne gestion des archivesnécessite le tri et la destruction de ceux qu’il est inutile de conserver.À l’inverse, certaines les détruisent sans solliciter le visa de l’adminis-tration des archives.

– L’enquête confirme également que la grande majorité des collec-tivités ne procèdent pas à la signalisation de leurs documents, malgrél’obligation posée par la loi du 17 juillet 1978 (art. 9). Seules cinq com-munes déclarent le faire. Mais la signalisation ne concerne que certainsdocuments, notamment les délibérations et les autorisations d’occupa-tion des sols. De plus, les citoyens ne s’en servent pas, car, soit ils enignorent l’existence, soit ils n’y ont pas accès, cette signalisation étantdestinée au service.

Les collectivités qui ne procèdent à aucune signalisation, justifient leurattitude par le faible nombre de demandes de communication, laméconnaissance de cette obligation ou la difficulté de la mettre enœuvre. Il faut ajouter que cette obligation n’est pas sanctionnée.

Il est vrai que le niveau de la demande, tout comme la nature des docu-ments demandés (documents qui concernent personnellement lesdemandeurs et qu’ils sont donc en mesure d’identifier), ne les encoura-gent pas à le faire. De plus, la signalisation nécessite du personnel et dutemps. M. Bruno Lasserre estimait d’ailleurs que cette obligation étaittrop ambitieuse pour pouvoir être respectée. Mais l’informatique pour-rait permettre de l’effectuer. On peut en effet envisager une collecteinformatique des références documentaires et une diffusion sur Inter-net. La signalisation faciliterait l’accès aux documents d’intérêt général,d’autant plus que l’administration n’est pas obligée de procéder à desrecherches.

Un dispositif d’accès quasi inexistant

25 ans après le vote de la loi du 17 juillet 1978, on constate qu’aucunedisposition n’a été prise, en général, pour faciliter l’exercice du droitd’accès. La faiblesse de la demande est souvent invoquée par les col-lectivités pour justifier cette carence, comme l’insuffisance desmoyens financiers. Mais il manque également une volonté politique ence sens.

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Les moyens humains consacrésà la communication des documentssont inexistants

À l’exception de six d’entre elles, les collectivités n’ont pas de serviceou d’agents chargés de répondre aux demandes. En général, elles sonttraitées par les chefs de service, ou le directeur général des servicespour les demandes les plus délicates, et dans les petites communespar le maire.

Quatre collectivités seulement (un département et trois communesimportantes) ont désigné un correspondant CADA.

Pourtant il serait nécessaire que des agents spécialement forméssoient affectés dans chaque collectivité à cette tâche. Ou, tout aumoins, que des actions d’information et de formation soient entrepri-ses en leur direction, car la législation est très mal connue.

À l’heure actuelle, il n’y a pas de stages spécifiques organisés par leCNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) 1. Le pôlejuridique animé par la Préfecture d’Indre-et-Loire a commencé à orga-niser des sessions de formation sur ces questions pour les services del’État, en raison précisément des demandes des agents, confrontés deplus aux innovations introduites par la loi du 12 avril 2000. Il avait leprojet de les élargir aux agents des collectivités locales en collabora-tion avec le CNFPT, mais la direction du CNFPT Centre considère finale-ment ces actions comme non prioritaires pour 2004 et n’envisage doncpas de les programmer.

Peu de collectivités demandent des conseils à la CADA. Seules seize,parmi celles qui ont été interrogées, l’ont déjà fait. Pour obtenir des ren-seignements, certaines s’adressent à d’autres structures (services pré-fectoraux, maison des maires...), ou bien consultent les guides réaliséspar la CADA 2 ou d’autres ouvrages. Mais 9 collectivités et établisse-ments n’ont pas demandé conseil à la Commission par méconnais-sance de cette institution...

L’organisation matérielle est égalementnégligée

En général la communication a lieu dans les services détenteurs, oubien à l’accueil ou au secrétariat. Aucun espace n’est aménagé pour laconsultation. Aucun moyen de reproduction n’est spécialement prévu.En général il n’y a pas non plus d’équipements spécifiques pour la

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1 La réglementation de l’accès aux documents administratifs n’est abordée qu’accessoi-rement, dans le cadre des modules sur les techniques d’archivage.2 La CADA a consacré une partie de son rapport de 1988 à la communication des docu-ments d’urbanisme ; et de son 9e rapport (1995-1998) à la communication des docu-ments administratifs des collectivités territoriales et de leurs établissements publics.En outre, un guide est accessible sur son site (« Quels sont vos droits ? »).

consultation et la copie de documents sur supports informatiques ouaudiovisuels. La communication se fait le plus souvent sur supportpapier, malgré les dispositions de la loi du 12 avril 2000, qui permettentau demandeur d’exiger une copie sur un support identique à celui uti-lisé par l’administration 1.

La diffusion des documents

Quant à la diffusion des documents, suggérée par la CADA pour lesdocuments les plus fréquemment demandés, elle se limite en général àla publicité réglementaire traditionnelle. 15 % des collectivités interro-gées utilisent Internet, mais essentiellement pour diffuser les délibéra-tions des assemblées, les arrêtés et les budgets, parfois les planslocaux d’urbanisme.

On le constate. L’organisation du droit d’accès n’est toujours pas unepriorité pour les collectivités locales et les établissements publics terri-toriaux.

M. Bruno Lasserre écrivait dans le 3e rapport de la CADA 2, en 1984.« Il existe, en France, une tentation trop répandue : celle de croire quele problème est réglé lorsqu’ont été adoptés la loi et ses textes d’appli-cation. Les anglo-saxons ont une approche moins formelle : lesmoyens matériels, les conditions pratiques comptent autant que lecadre juridique. Il est grand temps, pour l’application de la loi du 17 juil-let 1978, de se préoccuper de ces conditions matérielles ».

Ce propos est toujours d’actualité....

Comme le constate une nouvelle fois la Commission dans son dernierrapport, « les meilleurs textes trouvent rapidement leurs limiteslorsque les services administratifs ne se donnent pas les moyens de lesappliquer » 3. Selon Mme Michèle Puybasset, sa présidente, « »l’Étattransparent« reste un objectif à atteindre » 4. Et, pour Mme Sophie Bois-sard, sa rapporteure générale, « seule une politique volontariste decommunication et d’information des usagers, développée service parservice, peut désormais permettre au système de progresser » 5.

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1 Cf. D. n° 2001-493 du 6 juin 2001 et arrêté du Premier ministre du 1er oct. 2001.2 Op. cit..3 Op. cit., p. 2.4 Op. cit., p. 1308.5 Op. cit., p. 1309.

Table ronde

Comment mieux satisfaireles attentes des usagers ?

Présidence : LAETITIA VAN EECKHOUT,journaliste au Monde

Nous sommes encore loin d’avoir, que ce soit dans les collectivitéslocales ou dans les services de l’État, un responsable de l’accès auxdocuments administratifs comme cela se passe manifestement auQuébec. Nous allons néanmoins essayer de réfléchir, au cours de cettetable ronde, à la façon d’essayer de mieux répondre aux attentes desusagers. Pour en débattre, nous avons un responsable de l’AssociationQue Choisir, Jean-Claude Bourquin, trois représentants de l’adminis-tration, M. Christian Comolet-Tirman du service juridique de la Direc-tion générale des impôts, M. Marc Dupont, qui travaille aujourd’hui à lamission de lutte contre le cancer mais qui jusqu’il y a peu s’occupait dudroit des malades à la Direction générale de l’APHP (les hôpitaux deParis), et Hélène Strohl, inspectrice à l’Inspection générale des affairessociales. Nous avons également un chercheur, directeur du CERAP del’IEP de Grenoble, Philippe Warin, dont les recherches portent sur lamise en œuvre des politiques publiques. Pour camper le décor, si laprogression constante des saisines de la CADA traduit certainementune meilleure connaissance du dispositif mis en place grâce à la loi du17 juillet 1978, elle témoigne manifestement aussi – les deux précé-dents intervenants s’en sont faits les porte-paroles – des difficultés per-sistantes que rencontrent les citoyens quand ils s’adressent à uneadministration pour obtenir un document. Je constate une chose : laCADA rend bien plus d’avis qu’elle ne rend de conseils aux administra-tions et aux collectivités. Le conseil représente à peine plus de dix pourcent de son activité, ce qui est quand même assez frappant. Il n’y a pasmanifestement une grande demande de la part de l’administration.L’année dernière les demandes de conseils ont même été plutôt enbaisse alors que le nombre de saisines concernant des avis, lui,continue à croître. On ne peut pas tirer de conclusions tranchées, maisun tel constat porte à s’interroger sur la frilosité, j’allais presque dire laréticence, dont persisteraient à faire preuve les administrations en

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matière de droit d’accès aux documents. Une chose est sûre, l’exis-tence de la CADA ne peut aujourd’hui être mise en cause. La CADA,joue toujours un rôle de fer de lance, elle est toujours aussi utile. Nousne sommes pas prêts de voir disparaître une telle instance de concilia-tion. Mais aujourd’hui, comme l’a laissé entendre Jacques Chevallier,c’est du côté de l’organisation administrative qu’il faut certainements’interroger pour essayer de faire avancer ce droit d’accès aux docu-ments administratifs. Certes l’administration a commencé à rompreavec une certaine culture du secret, mais de là à dire que la transpa-rence, la communication, l’information, soient naturelles pour elle, onen est encore loin. Essayer de mieux répondre aux usagers consistedéjà à partir de l’attente de ces usagers justement. C’est une questionde bon sens. En France on a trop tendance à partir du haut et à lancerdes idées sans se soucier finalement de leurs destinataires. Nous allonsdonc essayer de commencer par regarder quelles sont effectivementces attentes de ces usagers. Je vais, pour cela, me tourner vers leurreprésentant.

M. Bourquin, aussi étonnant que cela puisse paraître, si j’ai bien com-pris, votre association n’a pas eu souvent l’occasion finalement de sai-sir la CADA. Comment expliquez-vous cela ? Les rares fois où vousavez été amené à la saisir, de quelles attentes des usagers étiez-vousporteur ?

Madame Strohl, l’institution dont vous dépendez, l’IGAS, s’intéresseaux administrations puisqu’elle les inspecte. Elle produit des rapportsqui peuvent effectivement susciter les demandes. Quelle est la finalitédes demandes qui s’adressent à l’IGAS ? Ont-elles une finalité person-nelle ou plutôt civique ?

M. Comolet-Tirman, vous allez peut-être dire que je pousse un petitpeu, mais on a en tout cas à l’esprit l’administration fiscale qui est unedes administrations les plus marquée par la culture du secret. Elle l’estpeut-être moins aujourd’hui, mais elle l’a fortement été en tous cas.Cela fait maintenant vingt-cinq ans qu’existe ce fameux droit d’accèsaux documents administratifs. Avec le recul, est-ce que, finalementcette tradition du secret était vraiment fondée ? Comment aujourd’huivotre administration se « plie »-t-elle à cette exigence de diffusion desdocuments ?

M. Dupont, nous venons de parler du secret « fiscal ». Le secret médi-cal est également un sujet sensible. La loi du 4 mars 2002 sur le droitdes malades ouvre la possibilité aux patients d’avoir directementaccès, sans passer par un médecin, à leur dossier médical. Tout ledébat suscité par l’instauration de ce nouveau droit s’est effectivementcristallisé autour du principe du secret médical. L’existence de ce nou-veau droit est-elle foncièrement incompatible avec ce principe dusecret médical ?

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M. Warin, aujourd’hui, nul ne le conteste, il y a une attente très forte desFrançais à l’égard de leur administration. Dans le même temps, onconstate une désaffection même parfois assez marquée du servicepublic par certaines populations. Les rechertches présentées par Jac-ques Chevallier tout à l’heure, montrent que les usagers de la CADA,ont eux-mêmes un niveau de qualification relativement élevé, et sontsocialement intégrés, ayant en général une implication politique, asso-ciative, syndicale ou autre. La CADA serait ainsi réservée à un cercled’initiés relativement restreint.

* * *

L’information, n’est-elle pas finalement la première marche de l’accèsau service public tout simplement ?

Finalement l’enjeu n’est-il pas d’inverser en quelque sorte la relation.N’est-ce pas à l’administration de se rende accessible, d’aller au devantde l’usager, de prendre les devants, plutôt que ce soit le citoyen, l’usa-ger, le contribuable ou autre, qui soit amené à « quémander » l’infor-mation ? La Direction générale des impôts commence à se dire qu’elleva prendre l’initiative de diffuser des informations. Le premier enjeun’est-il pas là ?

Au-delà, il s’agit effectivement de regarder tout ce que ça change dansl’activité et dans le travail des agents au sein des services. Mme Strohlraconte par exemple que, dans la rédaction des rapports de l’inspec-tion, une telle démarche change profondément les choses.

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JEAN-CLAUDE BOURQUIN,représentant de l’association UFC/Que choisir ?

Au préalable, je dois vous faire une confidence. J’ai l’impression d’êtredans un milieu qui ne m’est pas familier. Dans cette salle remplie despécialistes du droit administratif en exercice dans la capitale de notrepays je suis un peu comme le consommateur de base de l’administra-tion, l’usager de base, celui qui hésite dans sa relation avec l’adminis-tration parce que, même si elle là pour le servir, elle a ses procédures,elle a son langage qui ne la rendent pas toujours accessible.

J’ai l’impression que vous connaissez tous la CADA alors que la plupartdes français, les usagers individuels de l’administration, nos conci-toyens, ne la connaissent pas. A ce sujet il faut reconnaître que nosassociations de consommateurs, et la nôtre en particulier, l’UFC/Quechoisir ?, n’ont pas été présentes sur le terrain du litige administratifpendant de nombreuses années. Depuis le début du consumérisme, ily a un peu plus de 50 ans, nos priorités étaient ailleurs. Notre champd’intervention, notre cœur de métier était plutôt orienté vers les pro-duits, quant aux services, le plus souvent notre attention était retenuepar les services marchands. Ce n’est que depuis quelques années quenous avons développé notre présence dans ce champ de réflexion.Après nos études et nos actions sur le produit, sur le prix du produit,sur le rapport qualité/prix, sur la qualité des services adjoints aux pro-duits, sur la consommation citoyenne, nous sommes engagés mainte-nant aux côtés des usagers du service public dans leurs difficultésrencontrées avec l’administration. La preuve en est notre présence, auniveau local, dans des comités d’usagers des services publics ou dansde nombreux conseils d’administration d’hôpitaux et, au niveau natio-nal, notre présence dans la Commission permanente de modernisationdes services publics.

Cette méconnaissance de la CADA est pour moi synonyme de malaise.Par ailleurs les propos que j’ai entendus il y a quelques instants enécoutant Madame Delaunay amplifient ce malaise. Elle nous a dit queseulement 2,4 % des demandes d’usagers de la CADA émanaient de larégion Centre. Or je viens d’Orléans, la capitale d’une région dont lapopulation s’élève à un peu moins de 2 500 000 habitants, qui est lacinquième région industrielle de France, et qui représente 4,2 % de lapopulation de notre pays. Cette constatation, 2,4 % au regard des4,2 %, met en évidence un vrai problème, celui du déficit de connais-sance de la CADA comme partout mais plus prononcé dans notrerégion.

Ceci dit, j’ai quand même la chance de connaître un peu, même habi-tant Orléans, la CADA. En effet je m’intéresse au fonctionnement desservices publics pour le compte de mon association et que je fais partie

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de la commission permanente de modernisation des services publics.Tout ce que j’ai entendu jusqu’à présent dans cette salle me donnequelques idées pour mieux intervenir dans cette commission.

Avant de venir ici, j’ai fait un mini sondage autour de moi, notammentauprès de membres du Conseil économique et social de ma région,représentatif de la société civile organisée. Je leur ai demandé s’ilsconnaissaient la CADA. Je n’ose pas vous dire la réponse qui m’a étéfaite. Elle n’était pas à la hauteur de ce qu’on peut attendre de person-nes informées. J’ai fait le même sondage dans mon association, àOrléans, lors de la réunion du dernier conseil d’administration. J’aiposé enfin la même question à des membres de l’association Je n’aipas obtenu une seule véritable réponse positive et précise. Ils neconnaissaient pas la CADA. Il y a là un vrai problème. Après cette dis-cussion, ils n’ont rien perdu puisque, après avoir découvert la CADA, ilsm’ont chargé de certains dossiers.

Quant à moi, j’ai donc appris, il y a peu de temps, au moment où j’ai étécontacté pour venir ici, que votre institution allait fêter ses vingt-cinqans. J’ai consulté le site Internet de la CADA, j’ai regardé votre dernierrapport annuel, j’ai vu qu’il y avait eu plus de 5 000 saisines écrites,15 000 appels téléphoniques et un millier de courriels. Je m’interrogepar rapport à ces quantités. Elles paraissent à la fois faibles et importan-tes. A titre de comparaison, dans mon association, à Orléans nous trai-tons 1 000 dossiers de litiges par an, ils ne sont pas administratifs biensûr, ils sont d’autre nature. Mais 5 000 dossiers, c’est peut-être beau-coup si la CADA n’est pas connue, mais c’est peut-être peu si elle l’est.Pour ma part je pense qu’il y a de nombreux besoins qui ne sont pasexprimés et que votre institution est méconnue. Je me demande si lecitoyen est bien informé pour se diriger, lorsqu’il en a besoin, vers laCADA.

Je me suis aussi interrogé quand j’ai lu dans le rapport annuel de laCADA que la progression des saisines n’était pas très importante cesderniers années, même si leur nombre a été multiplié par dix envingt-cinq ans, d’autant plus que le législateur a voté des lois de trans-parence. Je n’ai pas pu être présent ce matin, mais j’ai cru comprendreque les lois de 2000 et de 2002 ont été extrêmement importantes pourvous. Je m’interroge quand même sur la multiplication importante desdemandes en vingt-cinq ans alors que des lois ont été votées pour évi-ter d’avoir recours à votre institution.

J’ai compris également que tous les secteurs des administrations étaientconcernés notamment les affaires sociales, l’urbanisme, les impôts...Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est qu’un certain nombre de demandes,et c’est récurrent, portent sur des documents dits « évidemment com-municables ». Il y a là un dysfonctionnement important. Alors, quelle estl’efficacité de la CADA après vingt-cinq ans d’existence ? Si l’on qualifiecertains documents d’« évidemment communicables », il ne devrait pas

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y avoir de problème pour l’usager. L’administration ne devrait pas s’op-poser à la communicabilité de ces documents et la CADA ne devraitpas être encombrée par des dossiers de litige inutiles.

J’ai lu avec beaucoup d’attention vos avis et j’ai pu constater la grandequalité des travaux produits. Néanmoins je m’étonne que face à cettequalité il y ait des sollicitations de plus en plus importantes. Par ailleurs,il est souligné dans le rapport que l’application spontanée que l’admi-nistration semble faire de la communication des documents adminis-tratifs se développe. Et pourtant le nombre de dossiers s’accroît. Celasignifie-t-il que la multiplication des recours est le signe du développe-ment d’un caractère procédurier. Ou, cela signifie-t-il que l’on est face àun nouveau fait de société où, des habitués connaissent la CADA l’a sai-sissent régulièrement alors que de nombreux administrés, de nom-breux usagers, qui ne la connaissent pas, ne font pas valoir leur droit àl’accès aux documents administratifs ?

Il est vrai que si l’administration ne communique pas les documentsdemandés par l’usager il y a risque de conflit, mais à l’inverse si l’admi-nistration communique les documents demandés il y a aussi risque deconflit, mais des conflits d’une autre nature, ce qui peut expliquer laréticence dans certains cas à la communication.

La création de la CADA il y a vingt-cinq ans a été extrêmement impor-tante car il n’y avait rien pour informer les parties avant le contentieux,elle l’est toujours. Je vais vous le montrer en m’appuyant sur quelquesexemples que notre association a initiés dans une optique civique etcollective d’une part, et sur des exemples plus difficiles à trouver éma-nant de consommateurs ou d’usagers intervenant dans leurs actionsindividuelles d’autre part,

Au niveau collectif je citerai trois circonstances où l’UFC/Que choisir ? asaisi la CADA.

La première concernait une action sur les dioxines dans les années1990. Nous souhaitions faire constater les dangers pour le consomma-teur d’émission de dioxines, en fortes quantités, par certaines usinesd’incinération. A partir de cela nous voulions agir en jouant notre rôlede groupe de pression pour demander aux exploitants de respecter laloi. Nous étions dans une période où la loi française devait être mise enconformité par rapport à une directive européenne. Dans un premiertemps nous avons fait des études sur le lait maternel, et nous avonsdécelé la présence de cette dioxine. Nous sommes intervenus dans unpremier temps auprès du ministère de l’Environnement pour dire qu’ilfallait respecter la loi et qu’il fallait mettre en conformité la loi françaiseavec la directive européenne, puis nous avons voulu faire des enquêtesà partir de documents que les préfets devaient détenir. Nous avonsdemandé ces documents aux préfets et vingt-cinq préfectures nousont transmis ces analyses Je ne les citerai pas, mais les autres

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préfectures ne l’ont pas fait. C’est à ce stade qu’il a fallu avoir recours àla CADA. Ça c’est très bien passé, nous avons eu l’information sou-haitée et nous avons pu jouer notre rôle de groupe de pression et inter-venir auprès des ministères concernés pour faire respecter la loi. Celaallait dans le bon sens.

La deuxième expérience, la deuxième saisine, a été conduite par unede nos associations de l’Isère. Elle voulait avoir accès aux statistiquesde résultats des auto-écoles, c’est-à-dire savoir quels étaient les résul-tats des auto-écoles lors de la présentation des candidats au permis deconduire dans le département. L’idée était de construire et de publierune étude comparative sur le sujet. Le préfet s’y est opposé. C’est faceà cette décision que nous avons demandé l’avis de la CADA. Il nous aété répondu que nous étions tout à fait fondé à accéder à ces informa-tions. Le ministre n’a pas été d’accord et l’affaire a été portée devant leConseil d’État qui a conclu : « considérant.... que le ministre n’est pasfondé à soutenir que c’est à tort et par jugement attaqué que le tribunaladministratif de Grenoble a annulé la décision du préfet... » En fait leConseil d’État nous a donné raison. La CADA avait bien joué son rôle etnous avons pu réaliser notre étude

Le troisième exemple, recueilli auprès d’une de nos associations loca-les et rencontré aussi par le rédacteur en chef de notre revue QUECHOISIR, concerne l’accès aux résultats, en terme de statistiques, descandidats présentés au B.T.S. par les écoles commerciales, « hors con-trat » avec l’Education Nationale, présentes sur le marché de la forma-tion. Ils avaient été confrontés à la même réponse : un refus de fournirles statistiques. Après intervention et avis favorable pour l’accès à cesinformations de la CADA, l’Éducation nationale a donné les informa-tions et les travaux entrepris par notre association et notre revue ont puaboutir

Vous pouvez constater ainsi que nous connaissons quand même laCADA, que nous l’avons sollicitée, et que nous avons obtenu desrésultats.

Au niveau individuel, il est beaucoup plus compliqué de trouver desexemples. Le consommateur pense encore que nous ne sommes pré-sent que sur le champ traditionnel de la consommation, il ne pense pasque nous nous intéressons au sujet administratif. En ce sens il ne noussollicite guère lorsqu’il rencontre des difficultés avec l’administration ;Néanmoins nous en rencontrons quelques uns. J’ai demandé à desprésidents d’associations locales UFC-QUE CHOISIR de grandes villes,s’ils avaient eu connaissance de dossiers relatifs à des litiges entre lecitoyen et l’administration. Certains ont rencontré des consommateursdans ce cas. Le plus souvent, il s’agissait de dossiers personnels, deleur dossier social concernant l’Assedic ou l’ANPE. Et comme c’estsouvent le cas, après nous avoir rencontré, et après avoir rencontréd’autres structures, nous ne les avons pas revus. Nous ne savons pas si

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leur dossier a abouti. D’autres sont venus nous voir lorsqu’ils avaientdes difficultés pour accéder à leur dossier médical. Il est vrai que c’étaitavant la loi de 2002 qui a éclairci l’horizon dans ce domaine. Il y a euaussi des fonctionnaires qui, en même temps qu’ils saisissaient leursyndicat, sont venus nous voir pour savoir comment accéder à leurdossier personnel. Enfin nous avons surtout rencontré des consomma-teurs qui avaient des soucis à propos des permis de construire.

Dans tous les cas, aucun des présidents contactés n’a pu me dire si,après avoir conseillé le consommateur en le dirigeant vers la CADA, cedernier avait eu gain de cause, s’il avait eu une réponse, s’il avaitobtenu un avis, un conseil et qu’enfin il avait débouché sur l’accès audocument administratif ou s’il y avait eu contentieux avec l’administra-tion. Le retour d’information est un vrai problème pour nos associations,il n’est pas propre à la matière administrative, il se rencontre pour toutesles autres demandes de renseignements dans les autres domaines

Par contre, d’autres présidents m’ont dit avoir rencontré des responsa-bles de groupements, associatifs ou non, créés pour un fait précis,notamment lorsque des habitants d’un même lieu rencontrent des obs-tacles dans la recherche d’information à propos d’installations clas-sées, d’aménagements routiers ou de zones urbanisées. Il sembleraitque ces usagers viennent nous voir plus pour conforter une idée quepour chercher une véritable information. Ils semblent être informés etils viennent plutôt chercher une assurance chez nous pour poursuivreleur combat tout seul. Ils ont sans doute été vers la CADA et obtenu desréponses, mais nous n’avons pas eu d’information en retour sur lesrésultats de leurs éventuelles démarches.

Par contre, j’ai constaté que mes collègues responsables d’associa-tions naturalistes ou environnementalistes, eux, connaissent la CADA,l’ont sollicitée et ont pu obtenir satisfaction.

Je souhaiterais revenir plus tard dans le débat sur des propositions quenous pourrions vous faire.

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CHRISTIAN COMOLET-TIRMAN,sous-directeur à la direction générale des Impôts

Madame Van Eeckhout pose les questions suivantes àMonsieur Comolet-Tirman :1) la DGI est-elle vraiment transparente ? n’a-t-elle pas une traditiondu secret ?2) comment entend-elle améliorer le service rendu à l’usager ?

Sur la 1re question

Vous soulignez que, traditionnellement, la transparence n’était pas unenotion qui allait de soi lorsqu’était évoquée l’administration fiscale. Defait, c’est la loi de juillet 1978 qui a contribué à accroître la transpa-rence de l’administration fiscale.

Certes, durant les toutes premières années d’application de la loi, laDGI n’a pas été particulièrement « en pointe » sur la communicationdes documents. Mais, il y avait plusieurs raisons à cela.

La première raison, c’est que la loi elle-même prévoit des exceptionsdont plusieurs concernent la DGI. En effet, la loi prévoit notammentqu’il n’y a pas matière à communication lorsque cette dernière est sus-ceptible de porter atteinte :– à la recherche des infractions fiscales ;– à un secret protégé par la loi, au premier rang desquels figure lesecret professionnel qui est expressément mentionné par le livre desprocédures fiscales ; je rappelle d’ailleurs que le secret professionnel avocation à être protecteur de l’usager : c’est lorsque la demande estformulée par un tiers par rapport au document sollicité qu’il peut êtreopposé ;– au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ;– à divers secrets, et notamment le secret de la vie privée, le secretindustriel et commercial et le secret des délibérations des autoritésrelevant du pouvoir exécutif.

La deuxième raison, c’est qu’il était naturel de faire preuve d’une cer-taine prudence, eu égard à la diversité des personnes susceptibles deprésenter une demande à l’administration fiscale (la personne directe-ment intéressée par le document, l’un de ses proches, l’un de sesconcurrents...) et à l’hétérogénéité de leurs motivations (obtention d’in-formations sur les modalités d’élaboration d’une décision individuelleou sur les conditions de mise au point d’une mesure de portée géné-rale...).

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La troisième raison, c’est que la loi de 1978 fait partie des textes fonda-mentaux qui, touchant au fonctionnement même de l’administration,nécessitent un processus d’acculturation.

Cela étant, à partir du milieu des années 80, la DGI s’est engagée dansune démarche de communication de plus en plus large au profit desusagers. Pour illustrer les évolutions constatées, je ne mentionneraique la communication, depuis le début des années 1990, des rapportsde vérification de comptabilité (sous réserve des passages dont lacommunication porterait atteinte à la recherche des infractions fisca-les) et, plus récemment, la communication par la DGI d’évaluations duservice des domaines et de leurs modalités de réalisation.

La loi de juillet 1978 est aujourd’hui très bien maîtrisée par les servicesde la DGI et la transparence de l’action de l’administration fiscale estacquise : la communication de documents à la demande revêt uneportée très générale. Deux indices me paraissent en attester.

Le premier, c’est la très forte convergence de vues entre la CADA etl’administration fiscale sur le point de savoir si un document est com-municable ou non. Pour être totalement transparent – puisque c’est lethème du jour – je dirai que nous avons seulement une petite diver-gence en ce qui concerne la portée de la communication aux héritiersde documents relatifs à la situation fiscale d’un défunt.

Le second indice, c’est le très faible nombre de véritables litiges.Chaque année, les usagers de la DGI sont à l’origine d’environ 200 sai-sines de la CADA, ce qui est extrêmement faible comparé à l’activité del’administration fiscale : la DGI traite, par exemple, environ 3,5 millionsde réclamations contentieuses et de demandes gracieuses par an.

Bien entendu, un tel constat ne doit pas interdire à la DGI de continuer às’adapter aux besoins des usagers. D’abord, en considérant que la listedes documents communicables n’est pas figée. Ensuite, en veillant àtraiter dans les meilleurs délais toutes les demandes. En effet, sur les200 saisines que j’évoquais à l’instant, beaucoup ne résultent pas d’unedifférence d’appréciation sur le caractère communicable du documentdemandé, mais d’un délai de réponse du service jugé trop long par l’u-sager. Enfin, en évitant à l’usager d’avoir à formuler certaines deman-des, grâce à une mise à disposition spontanée de l’information. Mais,j’aurai sans doute l’occasion de revenir plus tard sur ce dernier pointqui est fondamental.

Phrase de lancement de la journaliste sur le thème : comment le minis-tère des finances et notamment la DGI entendent-ils améliorer le ser-vice rendu à l’usager ?

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Sur la 2e question

L’objectif de l’administration fiscale, désormais, c’est de mieux satis-faire les attentes des usagers par la mise à disposition spontanée del’information. La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyensdans leurs relations avec les administrations a accru les exigences detransparence de l’action administrative, mais la DGI entend aller plusloin encore : elle met en œuvre une stratégie d’amélioration du civismefiscal qui la conduit à se transformer en une véritable administration deservice. A cet effet, nous entendons faciliter l’accès à l’information, enutilisant trois leviers.

Le premier levier, c’est la transformation de nos structures. L’idée cen-trale, c’est que ce n’est plus à l’usager de s’adapter à la complexité desprocédures mais à l’organisation administrative de s’ajuster en fonc-tion des besoins des usagers. D’où le développement de la notion d’in-terlocuteur fiscal unique pour les grandes entreprises, pour les PMEmais aussi pour les particuliers, et la mise en place – qui est en cours –de conciliateurs départementaux communs à la DGI et à la directiongénérale de comptabilité publique. Il s’agit de porter un coup fatal à l’i-mage traditionnelle de l’usager se perdant dans les dédales de l’admi-nistration.

Le deuxième levier, c’est la modification des comportements. La DGI aainsi adopté des « standards de qualité » en 2001 et, tout récemment, laDGI et la DGCP ont pris en commun des « engagements de service ».L’amélioration de l’accueil, la garantie d’être rappelé, la réduction desdélais de traitement constituent autant de mesures concrètes qui per-mettent à l’usager d’avoir beaucoup plus facilement accès aux préci-sions dont il a besoin.

Le troisième levier, enfin, c’est l’usage des nouvelles technologies decommunication. Ces dernières permettent aux usagers d’accédereux-mêmes, par internet, aux documents qui les intéressent, sansqu’un agent ait à intervenir, et ceci 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Cesdocuments peuvent aussi bien revêtir une portée générale qu’avoirune portée individuelle. S’agissant des documents de portée générale,nous avons mis toute la documentation fiscale en libre accès sur inter-net, favorisant ainsi l’accès au droit qu’évoquait Patrick Warin tout àl’heure. Les contribuables peuvent également accéder en ligne à leursdéclarations de revenus et à leurs avis d’impôt sur le revenu et de taxed’habitation. La DGI projette de permettre, par la suite, aux usagers desuivre « en ligne » l’évolution de leur « compte fiscal » ainsi que le trai-tement de leurs demandes.

Ce dernier point est essentiel : depuis l’an dernier, les usagers peuventadresser par messagerie électronique des demandes de toute nature auxservices, ces derniers ayant été dotés de boîtes aux lettres électroniques

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dont les adresses figurent sur les documents adressés aux usagers. Ilspeuvent, ce faisant, formuler des demandes relatives à leur situationpersonnelle ou à des sujets de portée générale, avec un engagementde réponse dans des délai très brefs.

Cela étant, Internet ne doit pas être considéré comme une panacée. Dansson souci de faciliter l’accès à l’information, l’administration fiscalen’oublie pas, bien sûr, ceux de ses usagers pour lesquels les nouvellestechnologies ne constituent pas les instruments de communication lesmieux adaptés. C’est notamment par des voies plus classiques – cour-rier, accueil physique... – qu’elle s’attache à donner aux usagers suscep-tibles de bénéficier de la prime pour l’emploi toutes les informations denature à leur simplifier l’accomplissement des formalités nécessaires àla perception de cette prime.

Question sur le thème : quelle est l’incidence de la stratégie mise enœuvre par la DGI sur le volume du contentieux ?

L’idée qui sous-tend la stratégie en faveur du civisme fiscal, c’est l’ins-tauration de relations plus harmonieuses entre l’administration et lesusagers. Si les usagers satisfont spontanément à leurs obligations, lecontentieux ne peut qu’aller en diminuant. A cet effet, nous entendons,comme je l’ai dit, faciliter l’accès à l’information, mais aussi prendre lesoin de mieux expliciter le sens de notre action et de nos décisions.

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MARC DUPONT,membre de la mission interministérielle pour la lutte contre le cancer,ancien chef du département des droits du malade(AP-HP, direction générale)

Comment mieux organiserla communication des dossiersmédicaux ?

L’Assistance publique – hôpitaux de Paris (AP-HP, cet établissementgère près de 40 hôpitaux à Paris et dans sa périphérie) recensait aucours de ces dernières années un nombre annuel d’environ 650 récla-mations de patients ou de familles (soit près de 10 % de ses réclama-tions : environ 6500), pour des litiges concernant la communication dudossier médical. Il s’agissait, en nombre, du premier motif de réclama-tions. Il est probable que cette situation est comparable dans la plupartdes hôpitaux publics français.

Le mécontentement des patients et de leurs familles qui s’exprimeainsi et qui a été relayé avec force par les associations d’usagers, aconduit à faire de l’accès direct au dossier médical un leitmotiv princi-pal de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité dusystème de santé.

L’Assistance publique-hôpitaux de Paris a tenté dans le cadre desréflexions précédant cette loi de comprendre les raisons de ce dysfonc-tionnement, difficilement acceptable dès lors :– que sont acquis – au moins depuis la loi du 31 juillet 1991 – le droit dupatient à obtenir communication de son dossier médical (serait-ce parl’intermédiaire d’un médecin),– que cette dernière est souvent présentée comme un moyen légitimepour que les patients prennent en main leur santé,– que les professionnels s’accordent en principe pour vanter les vertusdes réseaux de soins qui s’appuient sur la continuité des soins et la cir-culation fluide de l’information.

Les raisons de ces difficultés sont en en fait plurielles. Leurs effets secumulent.

Tout d’abord, la communication des dossiers médicaux, pour s’effec-tuer de façon efficace, doit de nos jours s’appuyer sur une organisationlogistique performante. La médecine contemporaine produit de gran-des quantités de documents. Pour prendre l’exemple de l’AP-HP, cetétablissement multicentrique conservait en 2003 plus de 300 kilomè-tres de dossiers médicaux et ce stock considérable de documents,

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devant être conservé au moins 20 ans et dans certains cas indéfini-ment, s’accroît inexorablement, en raison d’abord des obligationsréglementaires ou médico-légales, du fait surtout du nombre croissantde malades chroniques et des quantités très grandes d’investigationset d’examens complémentaires pratiqués sur les malades. Les docu-ments concernés sont de moins en moins conservés dans les unitésmédicales et toujours davantage dans des services d’archives centra-les au sein des établissements ; ils sont par ailleurs de nature et de for-mats très divers (feuilles A4, chemises cartonnées, clichés d’imagerie,croquis, correspondances,...). Les dossiers sont parfois très volumi-neux, atteignant plusieurs dizaines de kilos de documents. L’informati-sation de toutes ces données – données à venir et données anciennes –n’a pour le moment trouvé que peu d’applications concrètes. Toutecette gestion documentaire nécessite – notamment pour répondre auxdemandes de communication – force secrétariats médicaux, photoco-pieuses, etc.

Un autre aspect de la question est aussi que les documents ont plu-sieurs fonctions et font l’objet de revendications de différente nature.Les praticiens les considèrent à juste titre comme leur outil de travail etd’une certaine façon comme leur œuvre intellectuelle. Les établisse-ments sont pour leur part attachés compte tenu de leurs obligations àen assurer une conservation diligente et pointilleuse, permettant le caséchéant de pouvoir justifier ultérieurement de la qualité des soins don-nés. Les patients y voient enfin, naturellement, le recueil d’informationsprécieuses sur leur propre personne et les considèrent comme leurpropriété. Tout ceci conduit souvent à une crispation lorsque les docu-ments sont demandés par un patient, ses ayants droit en cas de décèsou une autre équipe médicale.

La perception incertaine de la notion de secret en milieu de santé (« lesecret médical est absolu ») a eu longtemps tendance à laisser croireque le secret pouvait être opposé au patient lui-même. Certes, l’article35 du Code de déontologie médicale prévoit que le médecin peut« dans l’intérêt du patient » et en conscience laisser le patient dans l’i-gnorance d’un diagnostic ou pronostic grave, mais cette faculté dumédecin de ne pas annoncer brutalement des informations au patientne peut prendre un tour systématique. Or, sur le fondement de ces dis-positions mal comprises, bien des documents ont longtemps été refu-sés à des patients.

Enfin, les effets de la méconnaissance de la loi ne s’arrêtent pas là. Uneinterprétation longtemps dominante – et dénuée de tout support légal –a longtemps consisté à tort en ce que la communication des docu-ments devait être effectuée non pas par tout médecin librement dési-gné par le patient, mais par son médecin traitant (par hypothèse, unmédecin libéral de ville). Le terme de communication était lui-mêmesouvent réduit à une lecture des documents, sans remise de copies en

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mains propres. Le fait que l’hôpital est tenu de remettre des copies dudossier et non l’original des documents est demeuré longtemps incer-tain pour de nombreuses équipes médicales. Il ne faut pas sous-esti-mer non plus la crainte de nombreux praticiens d’une mise en cause deleur responsabilité personnelle : communiquer des documents estsouvent considéré comme la remise d’informations à l’adversairequ’est susceptible de devenir le patient devenu victime.

Des actions conduites avec méthode – et en recherchant d’abord l’ad-hésion des professionnels – peuvent permettre d’améliorer sensible-ment cette situation. Elles viennent en contrepoint des analyses quiprécèdent.

Un premier point – essentiel – est donc d’assurer une bonne logistiquede conservation et de circulation des documents. Rien n’est possible siceux-ci ne sont pas facilement disponibles. Toute une fonction nou-velle est certainement à promouvoir pour que cette gestion documen-taire de masse soit vraiment reconnue parmi les métiers hospitaliers,comme un élément indispensable à une bonne prise en charge desmalades. Elle nécessitera au cours des prochaines années des investis-sements importants – notamment en matière informatique – et des cré-dits de fonctionnement à leur mesure.

Un second point est de faire en sorte qu’ils soient établis de façon pro-fessionnelle. Des dossiers constitués avec désinvolture, mal classés,incomplets ne peuvent répondre correctement aux demandes des usa-gers et des médecins qui vont assurer ultérieurement la prise encharge. Les procédures d’accréditation des hôpitaux ont récemmentsouligné l’importance de la tenue des dossiers ; des recommandationsviennent aussi d’être publiées par l’Agence nationale d’accréditation etd’évaluation en santé (ANAES, « Dossier du patient : amélioration de laqualité de la tenue et du contenu », 2003). Il est désormais acquis que ledossier médical est un outil indispensable aux soins et que les profes-sionnels seraient blâmables à ne pas y retracer soigneusement leurcontribution et les informations qu’ils ont été amenés à recueillir.

Il convient ensuite d’organiser avec les équipes médicales les condi-tions de remise concrète des documents, en favorisant là aussi la flui-dité :– faire connaître aux médecins hospitaliers, avec toute la pédagogierequise, les règles applicables en la matière, et en particulier les quel-ques précautions indispensables (par exemple, en cas de demandedes ayants droits). L’AP-HP a ainsi diffusé à tous ses praticiens des« Recommandations pour la communication du dossier médical »(éd. AP-HP, 2002), à l’issue d’une concertation approfondie avec sacommunauté médicale ;– communiquer d’abord ce qui est nécessaire au patient, c’est-à-direles pièces essentielles du dossier, plutôt que, systématiquement, desdossiers complets souvent très volumineux et dont une grande partie

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des pièces présente a priori un intérêt très limité. Ceci ne s’oppose pasà la remise sans restriction des documents complets lorsque le patienten fait la demande ;– faire prévaloir l’intérêt du patient sur toute autre considérationlorsque des obligations contradictoires se rencontrent. Ainsi, lorsquele patient demande communication de clichés ou de pièces difficile-ment reproductibles, l’obligation de conserver l’original des docu-ments doit s’incliner devant les droits du patient à communication,quitte à demander au patient la signature d’un récépissé ;– prévenir les litiges en proposant systématiquement au patient la pré-sence d’un médecin pour lui commenter son dossier (cette dispositionest d’ailleurs désormais prévue par la loi, à l’article L. 1112-1 du Codede la santé publique) ou la rencontre d’un médecin conciliateur dansles mêmes conditions.

En définitive, et c’est là un des postulats des actions menées parl’AP-HP au cours des dernières années, la question de la communica-tion du dossier médical trouve en grande partie une résolution dansune dédramatisation, fondée sur l’idée que la remise des documentssans difficultés est à la fois un élément important d’une prise en chargenormale des malades (pour assurer la continuité des soins, en cas dedéménagement, de changement de médecin.... ; pour recueillir unsecond avis médical) et un élément de la confiance dans la relation thé-rapeutique.

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HÉLÈNE STROHL,inspectrice générale des affaires sociales

Qui sont les usagers ?

Qui demande des rapports d’inspection ?

Tout d’abord les contrôlés, mais en principe l’accès au rapport leur estgaranti par les procédures mêmes du contrôle, contradictoire en « troiscolonnes » et restitution orale avant la fin de la mission.

D’autres administrations, ainsi à l’intérieur du ministère des servicesintéressés par le rapport, des services déconcentrés. Si le ministre nes’est pas opposé à la diffusion du rapport, il est communiqué ; sinon, iln’y a guère de recours, la loi de 78 n’ayant pas pour objet de régler lacommunication à l’intérieur de l’administration.

Des associations ou des citoyens intéressés par les thèmes des enquê-tes de l’IGAS. Ce sont des personnes morales ou physiques qui défen-dent des intérêts particuliers, type parents d’enfants porteurs d’unhandicap, dyslexiques etc. En principe la communication de ces rap-ports est très large, ils sont mis en ligne sur Internet (site de la D.F., rap-ports publics, IGAS) rapidement. Expliciter et discuter lors decolloques et séminaires nos rapports auprès de ces publics fait partiede notre mission et nous le faisons beaucoup.

Il faut quand même regretter à cet égard, que la liste des rapports del’IGAS ne soit pas communiqué systématiquement, par exemple sur lesite Internet.

Des journalistes. Ils demandent souvent des rapports, il faut regretterque dans la grande tradition des corps de contrôle, les journalistessoient plus intéressés par les rapports qui révèlent des dysfonctionne-ments conjoncturels et de personnes que structurels. Or ces derniersrapports sont ceux que nous avons le plus de mal à communiquer,notamment en application de l’article 6 de la loi.

Il faut noter aussi que la communication est toujours un sujet compli-qué pour ce qui est des rapports entre les cabinets des ministres etl’inspection. C’est une communication spécialisée dont a besoin l’ins-pection, dans une presse spécialisée, c’est une communication pluspolitique qui est effectuée par les ministres quand ce sont eux qui ren-dent publics nos rapports.

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Effets de la communicabilitéde nos rapports.

Tout d’abord, écartons une objection souvent avancée : les rapportsd’inspection, dès lors qu’ils seraient destinés à la communicationseraient édulcorés, on y écarterait la mise en cause des administra-tions, des politiques, des associations. Je ne le crois pas, mais il est cer-tain qu’il faut être beaucoup plus rigoureux et sûr de ce qu’on avancequand le rapport est communicable. On peut constater à la lecture desrapports sur les comptes d’emploi/ ressource des associations recou-rant à la générosité du public qu’ils ne sont pas complaisants et mettenten cause, quand il le faut, les pratiques de ces organismes.

Mais il est clair que l’époque de « l’inspection autour d’une tasse dethé » est révolue.

La communicabilité des rapports est un rempart contre une politisationexcessive des décisions publiques. En effet, souvent un ministre faitappel à un rapport de l’IGAS pour légitimer une décision qu’il avait déjàdécidée de prendre. Ainsi de la délocalisation dans le fief du ministreou d’un proche politique d’un établissement public. Il est clair que ducourage et de l’indépendance des inspecteurs dépendra le contenu deleur rapport, mais que s’il est critique par rapport à la position ministé-rielle, seule sa communicabilité lui donnera le poids nécessaire pourinfluencer la décision.

Plus importante me semble l’évolution méthodologique qui résulte dela communicabilité de nos rapports. Traditionnellement un corps decontrôle tentait de savoir si les règles étaient bien appliquées, si la poli-tique publique contrôlée correspondait aux directives administratives.Maintenant nos rapports sont autant orientés par et pour les usagers etles professionnels que vers l’administration centrale. Si nous enquê-tons par et pour les utilisateurs d’une loi, les bénéficiaires et ceux quimettent en œuvre un dispositif, nous pouvons représenter une véri-table extériorité pour l’administration, la présence du tiers dans le dia-logue souvent difficile entre usagers et administrations.

D’ailleurs de plus en plus souvent, quand nous enquêtons sur la poli-tique de santé mentale en direction des adolescents, la prévention et laprise en charge des troubles de l’apprentissage, les dispositifs de luttecontre l’exclusion, la politique de prévention sanitaire pour ne citer quequelques sujets, nous entendons les points de vue des usagers au tra-vers de leurs associations, des professionnels au travers de leurs syn-dicats, mais aussi de personnalités reconnues par le milieu au mêmetitre que les experts et les administrations.

Un rapport d’inspection utile est celui qui livre à l’administration cen-trale et au ministre les voix de ceux qu’on n’entend que rarement dans

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les bureaux où s’élaborent les politiques publiques. Il pose autant dequestions qu’il n’apporte de préconisations, il s’intéresse plus à la miseen œuvre effective des politiques publiques qu’au renforcement d’unelégislation et d’une réglementation déjà pléthoriques dans notredomaine.

Le rapport d’inspection, parce qu’il est élaboré par et pour le public estalors non plus un moyen d’enterrer une question, mais d’en renouvelerl’approche.

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PHILIPPE WARIN,directeur de recherche au CNRS, directeur du CERAT (IEP de Grenoble)

Le chemin parcouru depuis trente ans permet de constater le renforce-ment et l’élargissement des droits des usagers. Dans ce domaine, l’ac-cès aux documents administratifs n’est certes pas toujours parfait,mais il faut reconnaître en même temps que les administrations et lesservices publics s’efforcent d’informer et de communiquer de mieuxen mieux. Beaucoup de choses ont joué dans ce sens, dont le travailcontinu, d’avis, de conseil et de proposition, de la Commission d’Accèsaux Documents Administratifs. Globalement, les fondements d’unecitoyenneté administrative sont maintenant posés. Mais il s’agit, tou-jours et encore, de monter plus haut l’édifice et de le consolider.

Le chantier de l’accès aux documents administratifs n’est effective-ment pas achevé ; peut-il l’être d’ailleurs ? Certainement pas, du fait del’évolution des besoins et des attentes qui oblige à renouveler sanscesse les réponses à apporter. Cette évolutivité nécessaire est fortedans une société où la gestion des risques occupe une place croissantedans l’organisation des rapports sociaux et oblige de passer d’unÉtat-providence à un État de précaution pour lequel la préventioncompte de plus en plus. L’avancée de nouveaux besoins de protection,aussi bien en matière d’environnement, de risques sanitaires ou ali-mentaires, que de précarité et d’exclusion, mais également larecherche de rapports plus directs entre gouvernants et gouvernés,parfois à la place des corps intermédiaires, contribuent fortement àcela. On assiste, par nécessité, à un accroissement de l’informationmise en circulation. Ce qui est vrai dans la production des politiquespubliques s’observe également au niveau fin de leur mise en œuvre,dans les relations de service entre agents prestataires et usagers.

Dans bien des cas, les besoins d’explication et de justification se trans-forment en activités permanentes pour les agents, lorsque l’accord ou leconsentement des usagers n’est pas directement recherché dans desdispositifs ad hoc. L’exemple de l’hôpital et celui des politiques socialesoffrent à cet égard de nombreuses illustrations. Le besoin de partager lesresponsabilités, comme la mise sous conditions de ressource et la con-tractualisation de certaines prestations sociales, induisent la création denouveaux « droits créance » : droit à l’information ; droit à accéder auxdossiers individuels, médicaux ou administratifs ; droit, parfois, àco-produire les décisions. La mise en œuvre de ces droits n’est pas unechose simple. Elle exige souvent une mobilisation politique mais aussides apprentissages organisationnels et professionnels souvent longs,exigeant parfois la création ou la réaffectation de ressources. Pour cetteraison déjà, la question de l’accès aux documents administratifs et éven-tuellement aux dossiers individuels reste en chantier.

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En même temps, l’évolution des politiques publiques rend l’accès àl’information administrative encore plus complexe. Lorsque les politi-ques mises en œuvre passent par des partenariats nombreux, commec’est souvent le cas maintenant, l’information administrative se dif-fracte. Chaque acteur dispose d’une partie, qu’il ne met pas toujours encirculation. Si à cela s’ajoute un renouvellement fréquent des régle-mentations qui déterminent l’éligibilité des demandeurs (ce qui est enparticulier le cas avec les politiques sociales), alors la probabilité s’ac-croît pour que des usagers aient non seulement du mal à accéder auxdocuments administratifs et à leurs dossiers, mais même, pour cer-tains d’entre eux, à recourir à leurs droits. La situation est d’autant plusparadoxale que sous couvert de principes de « bonne gestion » cespolitiques sont également tenues d’afficher des objectifs de simplicitéet de transparence pour leurs destinataires, quand elles ne s’inscriventpas aussi, de part leurs objectifs, dans une dynamique de renouvelle-ment des solidarités.

Dans ces conditions, le travail de régulation peut chercher aussi à clari-fier les circuits institutionnels dits « de proximité » qui se répandentaujourd’hui. L’enjeu est de taille si l’on considère que le droit d’accèsaux documents administratifs, et peut-être même aux dossiers indivi-duels, voire dans certains cas aux processus de décision, se construiraà ce niveau-là dans les prochaines années. C’est déjà l’attente de plu-sieurs politiques européennes et de leur traduction nationale. On peutprendre l’exemple du Plan national d’action pour l’inclusion sociale(2003-2005) 1, pour remarquer le souci des autorités européennes etfrançaises de mettre en cohérence les systèmes d’informations admi-nistratives, afin de promouvoir l’accès de tous aux ressources, auxdroits, aux biens et services. Il est notamment proposé dans le planfrançais de rapprocher et de simplifier les documents administratifs quiconditionnent l’accès aux droits, et de développer les procédures d’in-formation de façon à prévenir les ruptures. Des expérimentations vontdans ce sens, comme l’articulation des Permanences d’accès aux soinsde santé (PASS) avec les autres dispositifs et les professionnels libé-raux qui vise à assurer la continuité de la prise en charge des personnesdémunies (question majeure lorsqu’on sait que les renoncements auxsoins sont dus majoritairement à des raisons financières). Ce type departenariat suppose une mise en commun d’informations qui doiventêtre protégées et accessibles aux premiers intéressés, les usagerseux-mêmes.

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1 Politique lancée par les États membres à la suite des Conseils européens de Lisbonne(mars 200), Nice (décembre 2000) et Stockholm (juin 2001). Se reporter à la Communi-cation from the Commission of the Council, the European Parliament, the Economic andSocial Committee ans the Committee of the Regions. Draft Joint Report on Social Inclu-sion. Bruxels, October 2001 COM (2001) 565 final : http://europa.eu.int/comm/employ-ment_social/news/2001_en.html

De telles initiatives préfigurent probablement le futur champ d’inter-vention d’une autorité de régulation comme la CADA, et peut-être deses homologues européennes. Elles montrent en tous cas que le traite-ment conjoint du droit d’accès et de l’accès aux droits conditionne lemaintien effectif d’un principe d’égalité dans les rapports aux adminis-trations et aux services d’intérêt général.

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Table ronde

À propos de quelquesexemples étrangers

Présidence : JEAN-PAUL COSTA,vice-président de la Cour européenne des droits de l’homme

Je vais être très bref. Deux mots sur le passé, deux mots sur le présent.Je suis Jean-Paul Costa, j’ai été président de la CADA pendant plu-sieurs années. Le général De Gaulle disait, on lui a prêté cette parole,qu’il n’avait pas eu de prédécesseur et qu’il n’aurait pas de successeur,rassurez-vous je ne vais pas me comparer au général de Gaulle mais laparticularité a fait, et Michel Gentot y a fait allusion ce matin, que j’ai eule même prédécesseur que mon successeur, enfin plutôt que le prési-dent qui m’a précédé a été le même que celui qui m’a succédé. Jegarde de ces années à la CADA un souvenir particulièrement heureux,d’abord à cause de l’intérêt de la matière, et je crois que l’affluence à cecolloque et la qualité des interventions précédentes le montrent et lejustifient, mais aussi à cause du plaisir très vif que j’ai eu à travailleravec trois catégories de personnes auxquelles je voudrais rendre hom-mage : les autres membres de la CADA avec des origines très variées,les rapporteurs de la CADA, et enfin le personnel de la CADA. MichèlePuybasset a fait allusion au fait que les moyens budgétaires, financierset humains de cette petite administration sont particulièrement limités,et malgré tout le personnel de la CADA a fait et continue de faire un tra-vail considérable et remarquable, et je voulais l’en remercier.

Je suis actuellement à la Cour européenne des droits de l’homme quiapplique, comme vous le savez, la Convention européenne des droitsde l’homme. Est-ce que ce texte et cette Cour s’occupent d’accès auxdocuments administratifs ? Oui et non. Non en ce sens que la Conven-tion ne garantit pas en tant que telle un droit d’accès aux documentsadministratifs, il ne figure pas dans la Convention ni dans ses protoco-les. Oui dans la mesure où la jurisprudence et la Cour ont interprété cer-tains articles de la Convention dans un sens facilitant l’accès auxdocuments administratifs. Je pense à l’article 10 sur la liberté d’expres-sion, que la Cour a entendu comme englobant un droit à l’information.

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Et je pense à l’article 8 sur le droit au respect de la vie privée et familialeque la Cour n’a cessé d’étendre, par exemple dans le sens des obliga-tions positives des États. Cela étant dit, je ne vais pas pouvoir vous citerd’arrêts de la Cour, j’en ai bien sûr plusieurs présents à l’esprit, mais ilfaut que je sois bref, je dirai simplement que pour l’essentiel, la juris-prudence de la Cour européenne des droits de l’homme reflète assezfidèlement, par hasard sans doute mais pas seulement, la structure dela loi de 1978, en ce sens que l’accès aux documents est la règle et queles exceptions sont plutôt entendues de façon stricte, mais malgré toutces exceptions existent, qu’il s’agisse du secret de la défense, desdroits d’autrui et du respect de la vie privée dans certains cas, du secretmédical, etc. Mais je voudrais rappeler que la loi de 1978, cela a été ditpar certains participants, moi cela a été mon expérience de la pratiquede la loi de 1978, a été quand même une révolution copernicienne for-midable. Avant la loi de 1978, l’administration française était un peucomme était l’armée quand je faisais mon service militaire, il y a uncertain nombre de décennies, c’est-à-dire que tout ce qui n’était pasconfidentiel était secret. Depuis la loi de 1978, c’est quand mêmel’inverse ! c’est quand même que l’accès aux documents est la règle etqu’il y a des exceptions, et que ces exceptions sont entendues de façonlimitative.

Je ne voudrais pas qu’on l’oublie parce que ce serait faire un procèstrop facile à l’échelle humaine, un quart de siècle ce n’est pasgrand-chose après tout, et je crois qu’il y a eu une révolution impor-tante qui a été faite depuis un quart de siècle dans ce pays.

Nous allons pouvoir maintenant écouter et apprécier les expériencesétrangères.

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ULF ÖBERG,maître de conférence, université de Stockholm,ancien référendaire de M. le juge Hans Ragnemalmà la Cour de justice des Communautés européennes

L’exemple suédois

IntroductionLa Suède va bientôt célébrer les 250 ans de la Loi fondamentale sur laliberté de la Presse de 1766, une des lois fondatrices de la démocratiesuédoise. C’est par cette loi qu’a été institué, pour la première fois, undroit pour chacun de consulter et de publier, en règle générale, toutacte et mémorial administratif détenu par les autorités publiques. Ainsi,en Suède, le droit d’accès aux documents administratifs constitue unprincipe constitutionnel de la première génération, hérité de la philo-sophie des lumières.

À l’occasion du XXVe anniversaire de la loi française du 17 juillet 1978sur l’accès aux documents administratifs, force est de constater que lesconceptions française et suédoise de la transparence administratives’affrontent désormais au sein des institutions communautaires. Quelsenseignements pouvons-nous tirer de nos systèmes respectifs ?Sont-ils transposables à l’échelle européenne ? La nécessaire synthèseces deux conceptions du principe de publicité est-elle possible ?

Les origines et la systématique du principede publicité et du droit d’accès aux documentsofficiels en Suède

L’origine du principe de publicité et du droit d’accès aux documentsofficiels est principalement liée à un contexte politique particulier, à lafin du XVIIIe siècle. Toutefois, cette innovation constitutionnelle doitêtre replacée dans son contexte historique et philosophique.

En effet, deux antécédents historiques présagent la consécration dudroit d’accès aux documents administratifs. D’une part, l’assembléed’hommes libres, le « ting », qui remonte à la période des Vikings, était lelieu où étaient délibérées en public les affaires communes et les affairesde justice. Lors de la fondation du royaume et d’un pouvoir central, aumilieu du XIIe siècle, le « ting » a survécu en tant qu’administration pro-vinciale. Toutefois, la création d’un pouvoir central concorde avec l’avè-nement du secret administratif et gouvernemental par l’introduction du

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secret du délibéré du Conseil du roi. 1 D’autre part, la publicité juridic-tionnelle était déjà profondément ancrée dans l’ordre juridique sué-dois. Une première réforme en vue d’une publicité accrue estconstituée par l’autorisation, donnée en 1735, d’imprimer les pièces deprocédure ainsi que les arrêts dans des affaires juridictionnelles. 2

C’est toutefois un contexte politique particulier qui a permis la constitu-tionnalisation du droit d’accès aux documents administratifs. Pendantl’Ère de la Liberté (1712-1772), la Suède s’était dotée d’un système par-lementaire assez perfectionné. Deux partis politiques – les Chapeaux etles Bonnets – se disputaient le pouvoir. Le parti au pouvoir, les Cha-peaux, gardait le pouvoir sur la liberté de la presse, détenu auparavantpar le roi. Le « gouvernement des fonctionnaires » qui caractérisaitcette époque était propice à l’extension du secret administratif, à l’abusde pouvoir et à la corruption. En effet, les pouvoirs publics tentaient,par tous les moyens qui étaient à leur disposition, d’étouffer le débatpublic dans les œuvres imprimées.

Arrivés au pouvoir en 1765, les Bonnets ont aboli le secret administratifqui régnait auparavant, et ce afin de pouvoir exercer à l’avenir un con-trôle sur le gouvernement et l’administration au cas où ils se retrouve-raient de nouveau dans l’opposition.

Ainsi, le Parlement a adopté la Loi fondamentale sur la liberté de laPresse de 1766, qui a aboli la censure et établi la liberté de presse. Unedisposition considérée comme mineure à l’époque – l’article 10 decette Loi fondamentale – garantissait le droit pour chacun de consulteret de publier, en règle générale, tout acte et mémorial administratifdétenu par les autorités publiques

Les circonstances politiques propices à cette réforme n’expliquent pastout. Cette révolution culturelle est, du moins en partie, un héritage desLumières. En effet, la loi fondamentale de 1766 n’aurait sans doute pasvu le jour sans l’influence de la philosophie politique qui prédominait ledébat à cette époque. L’abolition de la censure était clairement inspiréede l’exemple anglais. En ce qui concerne l’établissement du principe de

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1 Un brevet du 2 juin 1668 prévoyait, sous peine de confiscation et autres poursuites,l’interdiction de d’imprimer les documents royaux, dont la publication incombait uni-quement à l’imprimerie royale. Par l’approbation du roi du 15 mars 1689 d’un acte decassation des protocoles et discours non appropriés relatifs au pouvoir royal, tous lesprotocoles parlementaires qui ne siaient pas au Roi devaient être détruits.2 Cette liberté était accordée aux parties à l’instance et comportait obligation de publiertoutes les pièces du dossier – y compris celles de la partie adverse – afin de garantir quele public obtienne une vision complète et non faussée de l’affaire. Les votes individuelsde chaque magistrat étaient toutefois exclus du droit d’impression, ainsi que les passa-ges des pièces de procédure qui, aux yeux de la censure, étaient diffamatoires ou com-promettants et qui ne se rapportaient pas à l’objet du litige. Ainsi, un devoir decommunication complet du dossier juridictionnel, en vue de sa publication, a été insti-tué. Le grand nombre d’actes de procédures qui ont été imprimés à cette époque témoi-gnent du succès de cette réforme. Quoique timide, cette évolution doit néanmoins êtrequalifiée de révolutionnaire, notamment au regard de la pratique actuelle de secret juri-dictionnel qui règne notamment dans la procédure juridictionnelle communautaire.

publicité en tant que pierre angulaire de la forme de gouvernement et lareconnaissance d’un droit d’accès aux documents administratifs, lesorigines philosophiques sont plus controversées.

L’influence décisive de la réforme revient sans aucun doute aux pèresdu libéralisme suédois et aux avocats de la liberté de la presse, de nosjours peu connus à l’étranger, tels Peter Forsskål (1732-1763), 1 AndersNordencrantz (1697-1772) 2 et Anders Chydenius (1729-1803). 3 PourNordencrantz, « la meilleure forme de gouvernement, c’est celle où quicomporte le moins de secrets derrière lequels la malveillance et laméchanceté des hommes peuvent se cacher.C’est la forme de gouver-nement qui doit décider quel type d’affaires ministérielles doivent êtrecouverts par le secret. Dans des régimes despotiques, tout est secret.Le fonctionnaire n’est responsable uniquement devant le despote. Celan’est pas le cas dans les gouvernements libres. » 4

D’autres ont également cru pouvoir attribuer cette évolution à uneécole de pensée parallèlle et quelque peu inattendue, celle des Physio-crates ou Économistes français – entre autres le Dr François Quesnay,Dupont de Nemours, le Marquis de Mirabeau, et Mercier de la Rivière. Ilest à cet égard illustratif qu’un compte-rendu de la loi de 1766 a étépublié dans le journal des physiocrates, Les éphémérides du citoyen.Malheureusement, le lien entre ces deux écoles de pensée suédois etfrançais n’a pas encore été clairement établi.

Quoi qu’il en soit, il existe en toutes circonstances une relation decause à effet indéniable entre l’influence des physiocrates et le main-tien, dans un premier temps, de la loi fondamentale sur la liberté de lapresse de 1766 par le Roi Gustav III, lors de son arrivée au pouvoir. 5 Leprincipe de publicité devait informer le public et lui permettre de s’ins-truire et de se former une opinion propre, afin de pouvoir exercer sa

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1 Philosophe, botaniste et explorateur, Forsskål fût un disciple de Carl von Linné. Sathèse, De Libertate Civili, soutenait la nécessité d’un pouvoir exécutif restreint et uneliberté de presse en principe illimité, et ce afin de garantir la paix civile. Sa thèse a étérefusé par l’Université d’Uppsala en 1759 et n’a pas reçu l’imprimatur de la part de lacensure. Dans sa classification des végétaux, Linné a par la suite donné le nom de Fors-skaolea tenacissima à la plante qat (Catha edulis Forsskål), découvert par Forsskål lorsd’une expédition en Egypte, où il trouva sa mort. Le nom fait apparement référence à laténacité tant de l’homme que de la plante.2 Député et éminent économiste, fortment marqué par les écrits de Motesquieu et deLocke, Nordencrantz est sans doute l’inspirateur principal de la Loi sur la liberté de lapresse de 1766. Pour Nordencrantz,3 Défenseur de la liberté de commerce, de l’industrie et de la presse, les écrits de AndersChydenius sont souvent comparés à ceux de Adam Smith (1723-1790), qu’il précède.Chydenius fût l’un des pères de la Loi sur la liberté de la presse de 1766 et publia lamême année Berättelse Om Chinesiska Skrif-Friheten, Öfversatt af Danskan sur laliberté de presse en Chine, voir http://www.chydenius.net/eng/index.asp.4 Nordencrantz, Anders, Tankar om hemligheter, tysthetseder, censurer, inquisitioner,urtima domstolar, klubbar, cabaler, picknicker, författat i förswar af Kongl. Maj :ts nådiga förordning af den 2. decemb. 1769 om friheten i tryck, Stockholm (1767-1770).5 Boberg, Stig, Gustav III och tryckfriheten 1774-1787, Stockholm (1951), avec unrésumé en français.

liberté d’expression. À cet égard, il s’insère parfaitement dans l’idée dudespotisme légal conçu par les physiocrates, où l’opinion publiqueéclairée et la liberté de la presse devaient servir de contre-pouvoirs audespote légal – le monarque – qui devait uniquement se laisser guiderpar l’évidence.

Par ailleurs, des arguments très similaires à ceux avancés en Suède en1735 pour justifier la publicité juridictionnelle ont été soutenus enFrance par le Dr Quesnay : « L’usage des mémoires publics soumettent(sic) les jugements des tribunaux à l’observation des citoyens, et con-trbuent par là à maintenir l’équité et la dignité dans l’exercice de la jus-tice ; combien la protection, la séduction, l’autorité auraient, peut-être,induit à l’injustice dans les grandes affaires sans l’exposition publiquedes contestations. » 1

Le Chapitre II, article I de la loi fondamentale sur la presse de 1949actuellement en vigueur, intitulée De la publicité des documents offi-ciels, est à cet égard illustratif de l’héritage des Lumières :

« Dans l’intérêt d’un libre-échange des opinions et d’une informationéclairant les différents aspects de la réalité, tout citoyen suédois aura ledroit de prendre connaissance des documents officiels. »

Néanmoins, le principe de publicité suédois ne se réduit pas au droit deprendre connaissance des documents officiels. Ce principe inclut éga-lement le droit de publier les documents officiels ainsi obtenus de lapart de l’administration, et se rattache donc, selon la conception sué-doise, à la liberté de presse. De plus, la constitution garantit aux fonc-tionnaires le droit fondamental de liberté d’expression et la libertéd’informer le public, c’est-à-dire le droit de communiquer certainesinformations couvertes par le secret en vue de leur publication dansl’intérêt supérieur d’en informer le public. De ce droit découle une inter-diction de principe, pour les pouvoirs publics, de rechercher la sourced’une telle fuite.

La systématique du droit d’accès aux documents en Suède se résumepar les éléments suivants. C’est un droit fondamental, dont le principeest prévu par l’une des quatre lois constitutionnelles qui forment laConstitution suédoise. L’accès aux documents est un droit relatif, dansla mesure où les exceptions possibles au principe d’accès sont égale-ment prévues par la constitution. Une législation détaillée et préciserégissent les cas où le secret l’emporte sur le principe général d’accès :ainsi la loi sur le secret de 1980 comporte plus de 300 articles ! Contrai-rement à une idée reçue, il n’est donc pas correct de prétendre quetous les documents administratifs sont accessibles sous le régime detransparence suédoise. En revanche, il en découle un pouvoir d’ap-préciation restreint pour l’administration, qui doit pouvoir se référer àune disposition précise de la Loi sur le secret pour refuser la

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1 Cité dans Cheinisse, Léon, Les idées politiques des physiocrates, Paris (1914), p. 124.

communication d’un document. Tout comme le système français, c’estun régime qui repose sur la notion d’accès aux documents et non pas àl’accès à l’information. Ainsi seuls les « documents officiels » sontvisés par le droit d’accès, ce qui laisse une marge de manœuvre pourles pouvoirs publics de travailler en paix. Les documents préparatoiresou inachevés ne deviennent publics qu’une fois la décision administra-tive adoptée. Enfin, le régime est soumis à un contrôle juridictionnelefficace et une application des dispositions constitutionnelles et de laloi sur le Secret qui est soumise au contrôle de l’Ombudsman.

Le principe de publicité et le droit d’accèsaux documents à l’épreuve du droit européen

Dans le débat public en Suède, le droit fondamental d’accès aux docu-ments administratifs a longtemps été considéré comme menacé par leprincipe du secret et la primauté du droit communautaire. Lors du réfé-rendum de 1994 sur l’adhésion de la Suède à l’Union européenne, cettecrainte a été largement exploitée par les opposants à l’intégration euro-péenne. En effet, le choc entre le principe de publicité suédois et leprincipe du secret régissant jusqu’à récemment le droit communau-taire a été rude. Il convient de rappeler que, lors de l’adhésion de laSuède à l’Union européenne, les règles d’organisation internes des ins-titutions communautaires étaient depuis l’origine de la constructioneuropéenne basées sur un principe du secret.

Par l’intervention de quelques journalistes irresponsables, l’impossibleréconciliation entre ces deux principes contradictoires a immédiate-ment été portée devant les juridictions communautaires dans l’affaireSvenska Journalistförbundet/Conseil. 1 L’effet psychologique de cetteaffaire ne peut être sous-estimé, dans la mesure où il en a résulté untraumatisme persistant et une méfiance réciproque au sein des institu-tions communautaires sur les questions de transparence.

La réception, en droit communautaire, du principe de publicité – ou du« principe d’ouverture », qui est désormais consacrée à l’article 1 UE – aété rapide. La réglementation interne de la majorité des États membresconsacre désormais de manière générale, à titre de principe constitu-tionnel ou législatif, le droit d’accès du public aux documents détenuspar les autorités publiques. Par contre, les juridictions communautairesainsi que la Cour de Strasbourg ont tardé à reconnaître un principe depublicité au niveau européen, préférant pour les premiers de se référer

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1 Arrêt du Tribunal du 17 juin 1998, Svenska Journalistförbundet/Conseil, T-174/95,Rec. p. II-2289.

à une « affirmation progressive du droit d’accès des particuliers auxdocuments détenus par les autorités publiques ». 1

C’est dans ce contexte qu’une bataille politique feutrée franco-sué-doise se déroule actuellement au sein du Conseil de l’Union euro-péenne, des conférences intergouvernementales successives etdevant le prétoire des juridictions communautaires pour tenter de trou-ver un point d’équilibre entre l’affirmation d’un droit d’accès pour lescitoyens et les exceptions nécessaires à cette règle générale.

Lors des Présidences successives française et suédoise de l’Unioneuropéenne, cette synthèse s’est concrétisée par l’adoption du règle-ment (CE) n° 1049 /2001 du Parlement européen et du Conseil, du30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlementeuropéen, du Conseil et de la Commission. 2 Ce règlement codifie àcertains égards le droit d’accès issu des réglementations internes desinstitutions, tels qu’interprétées par les juridictions communautaires.Sur certains points, il améliore ce droit d’accès. Toutefois, en incorpo-rant dans l’ordre juridique communautaire les principes fondamentauxdes réglementation de sécurité de l’OTAN et de l’UEO en matière desecret militaire et du secret défense, issus de la guerre froide, le règle-ment n° 1049/2001 est difficilement conciliable avec les exigences enmatière de transparence et d’accès aux documents administratifs dansune démocratie moderne. 3

À cet égard, l’influence de la conception française sur le traitement àaccorder aux documents classifiés, au regard de la loi du 17 juillet 1978sur l’accès aux documents administratifs, semble avoir été déterminant.Vue de l’extérieur, la discrétion accordée au pouvoir exécutif sur cesdocuments semble être le maillon faible du dispositif français : le fait desoustraire en bloc cette catégorie de documents au régime général d’ac-cès aux documents équivaut, nous semble-t-il, à créer un trou noir dansle régime de transparence administrative, et ouvre la porte à toute for-mes d’abus. De ce point de vue, le règlement n° 1049/2001 a au moins lemérite de soumettre les documents classifiés au jeu des exceptions durèglement n° 1049/2001 et à un contrôle juridictionnel. Autrement dit, endroit communautaire, la classification d’un document n’est pas en soi unmotif de refus de communication suffisant.

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1 Arrêt de la Cour du 30 avril 1996, Pays-Bas/Conseil, C-58 /94, Rec. p. I-2169. Dansl’affaire Guerra c. Italie (arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I), laCour de Strasbourg a pour sa part rappelé que la liberté de recevoir des informations,mentionnée au paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention Européenne de sauvegardedes Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ne saurait se comprendrecomme imposant à un État, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, desobligations positives de collecte et de diffusion, motu proprio, des informations.2 JO L 145, p. 43.3 Voir, à cet égard, National Security and Open Government : Striking the right balance,Campbell Public Affairs Institute, The Maxwell School of Syracuse University 2003.

Si la bataille franco-suédoise en matière de publicité et de secret continueau sein des institutions communautaires, le contraire est vrai pour les tra-vaux au sein du Conseil de l’Europe. La Recommandation Rec (2002) 2 duComité des Ministres aux États Membres sur l’accès aux documentspublics a été élaborée sous présidence suédoise, avec la participationactive de conseillers d’État français, rapporteurs à la CADA. C’est à lalumière de cette recommandation – non contraignante – que toute modifi-cation des législations internes en Europe devrait être envisagée.

Dans cette perspective, il n’est pas exclu que la modernisation du droitd’accès aux documents officiels – aussi bien en Suède qu’en France –pourrait désormais, par un effet de « fermentation réciproque », s’inspi-rer de l’évolution du droit européen et du droit public international enmatière de transparence administrative. En effet, la notion de « docu-ment officiel » en droit suédois paraît trop restreinte, notamment auregard de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matièred’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil. 1

De plus, la prolifération des dispositions prévoyant le secret dans la loisur le secret de 1980 risque tôt ou tard de battre en brèche le principe depublicité inscrit dans la constitution. Enfin, l’absence de recours juridic-tionnel contre les décisions de refus du gouvernement aux demandesd’accès aux documents paraît anachronique et semble incompatibleavec la convention CEE/ONU sur l’accès à l’information, la participationdu public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matièred’environnement (« convention d’Aarhus »).

ConclusionEn matière de publicité et de secret, l’exemple suédois est difficilementtransposable dans d’autres pays où à l’échelle européenne, notam-ment à cause de la complexité du système. En tant que modèle, c’estplutôt dans la formulation d’un principe général de publicité, assortid’exceptions strictes et limitées soumis à un contrôle juridictionnelextensif, qu’il peut servir de source d’inspiration.

Hérité de la philosophie des lumières, le principe constitutionnel dudroit d’accès du public aux documents détenus par les autorités publi-ques pourrait ainsi contribuer – aux côtés de l’institution du contrôle del’administration par le médiateur européen – à l’élaboration d’un droitadministratif plus proche des citoyens de l’Union européenne. Pour cefaire, il serait grand temps de puiser dans notre patrimoine philoso-phique et juridique commun, afin de mettre fin à la querelle franco-sué-doise qui règne sur les questions d’accès aux documents au sein desinstitutions communautaires.

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1 JOUE L 41, p. 26. Voir, à cet égard, arrêt de la Cour du 26 juin 2003, Commis-sion/France, C-233/00, Rec. p. I-06625

NICOLE DE MONTRICHER,CERSA, université de Paris II

L’exemple américain

Aux États-Unis, la transparence administrative est organisée par leFreedom of Information Act, dit FOIA.

FOIA a été promulguée le 4 juillet 1966 par le Président Johnson qui,comme ses prédécesseurs, était très réticent à l’égard de ce texteparce qu’il considérait le secret comme indispensable à l’efficacité duGouvernement, surtout lorsque le sujet était sensible politiquement.

En revanche son Ministre de la Justice estimait au contraire que lasécurité du pays était beaucoup plus gravement menacée par la pra-tique du secret que par l’obligation de transparence et il diffusa immé-diatement une circulaire pour l’application du texte.

Dès l’origine par conséquent, on voit s’affronter partisans et opposantsà la transparence.

Avant de présenter FOIA et sa mise en œuvre, je voudrais faire troisremarques pour éclairer les principes qui sous-tendent son application.

1) Tout d’abord, FOIA a été voté pour permettre aux journalistesd’informer le public sur l’action du Gouvernement. Il s’agit là d’unefonction qui est souvent considérée comme un quatrième pouvoirnécessaire à l’exercice de la démocratie. Par conséquent en 1966 latransparence est comprise non seulement comme une réponse aubesoin individuel de consulter des dossiers personnels, mais égale-ment comme un droit collectif permettant de savoir ce que fait le Gou-vernement.

2) Le second point découle du premier car c’est l’ensemble du pouvoirExécutif qui est concerné par FOIA, c’est-à-dire non seulement l’Admi-nistration, mais également les hommes politiques qui la dirigent.

3) Troisième point enfin, FOIA est une loi fédérale qui ne concerne quel’administration fédérale, sans aucune articulation institutionnelle avecles lois des États. Ce qu’on peut dire en revanche c’est qu’il y a une cer-taine osmose, comme c’est souvent le cas aux États-Unis, entre lalégislation et la jurisprudence aux échelons fédéral et fédéré. Naturelle-ment il peut y avoir homogénéisation des principes constitutionnelspar le biais de la Cour Suprême.

Ces précisions étant données, je vais rapidement décrire

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Les principales étapes du développementde FOIA

1) Quand elle est votée en 1966, la loi réalise un changement considé-rable puisqu’elle crée un droit d’accès à l’information, sous réserved’exceptions destinées à sauvegarder des intérêts publics ou privéslégitimes. Ces exceptions ont trait à la sécurité nationale, aux docu-ments préparatoires d’une décision qui n’est pas encore prise, à l’orga-nisation interne des services, etc.

Dans le principe au moins il s’agit d’une révolution puisque la chargede la preuve repose désormais sur l’Administration qui doit justifier sadécision de refus. Mais dans la réalité les difficultés vont venir de ceque la loi ne fixe aucun délai et ne prévoit aucune sanction.

2) La seconde phase commence après le scandale du Watergate quisuscite un amendement à FOIA, en même temps qu’est votée la loi surla protection de la vie privée, le Privacy act.

Les amendements à FOIA sont très importants sur plusieurs registres :– d’abord pour faciliter pratiquement l’accès aux documents, lesAdministrations se voient imposer un délai raisonnable pour répondreet elles ne doivent exiger qu’un prix raisonnable également pour lescopies des documents ;– ensuite pour limiter le nombre des refus arbitraires, les tribunaux sevoient reconnaître l’accès aux documents pour vérifier la pertinence dela qualification « confidentiel » et ils reçoivent la capacité de poursuivrel’Administration s’ils estiment qu’elle a opposé un refus non justifié à ladiffusion du texte ;– enfin pour augmenter la transparence, un document ne peut pas êtreclassé « confidentiel » en entier – sauf justification. Contrairement à lapratique antérieure, la partie non classé doit être diffusée.

3) A partir de 1980 les Présidents Reagan et Bush sont hostiles à FOIAet les tribunaux donnent souvent raison aux fonctionnaires lorsqu’ilsrefusent de transmettre un document. C’est à ce moment là que lesentreprises commencent à faire des recours contre l’Administrationpour divulgation de secrets industriels à des tiers. C’est ce qu’onappelle les poursuites anti foia (reverse foia suits).

4) Les choses changent avec la loi du 17 septembre 1996 dite « electro-nic freedom of information act » qui amende FOIA. Ce texte apporte unchangement considérable.

D’abord il confirme que les dossiers électroniques sont soumis à FOIA,mais surtout il impose une obligation positive. Désormais un certainnombre d’informations doivent être mises en ligne, même sans aucunedemande de la part du public. Les administrations doivent égalementconcevoir des indexes permettant de faire les recherches dans de bon-nes conditions.

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Les administrations se voient reconnaître un délai de 20 à 30 jours pourrépondre à une demande.

Par ailleurs une nouvelle avancée est réalisée dans le secteur qui cons-titue le « noyau dur » du secret de l’administration, à savoir l’informa-tion dite « sensible ». Dans ce cas la durée de l’interdiction estdésormais réduite à 10 ans et tous les documents qui sont actuelle-ment « confidentiel » depuis plus de 25 ans deviennent publics. D’unefaçon générale, c’est l’accès aux Archives qui est facilité.

Après ce rappel de l’évolution législative,

Concrètement, comment se fait une demandede document ?

1) La demande est faîte à l’Administration qui détient en principe ledocument, et elle dispose de 30 jours pour répondre.

Depuis quelques années le secteur s’organise. Si bien que l’on trouvesur internet des informations utiles et des conseils pertinents sur lafaçon de poser les questions qui ne doivent être ni trop larges ni tropfloues. On trouve également des formulaires destinés à augmenter leschances de réponse positive de la part des administrations. Il estconseillé, en particulier, de bien communiquer toutes les précisionsdont on dispose soi-même.

Les statistiques montrent que les réponses parviennent en moyenneau bout de 14 jours au Ministère des Anciens combattants. Mais ail-leurs les délais peuvent être considérables. On cite le cas d’uneréponse au bout de cinq ans au Ministère de l’Energie et au bout de dixans à la CIA.

2) En cas de réponse négative, l’intéressé doit faire un recours hiérar-chique devant la plus haute autorité administrative de l’Administrationconcernée par sa demande. C’est dire que s’il s’adresse à un serviceextérieur éloigné de Washington la réponse peut prendre un certaintemps avant de lui parvenir. C’est seulement à ce moment là qu’il peutprésenter un recours devant les tribunaux.

En fait, il semble qu’il y en ait relativement peu, ce qui peut s’expliquerpar les difficultés rencontrées. Mais bien sûr, les recours devant les tri-bunaux sont les plus importants qualitativement.

A quoi tiennent les délais :1) bien souvent au manque de personnel. Si l’on essaye de donner desordres de grandeur, c’est le Ministère de la Justice qui dispose de laforce de travail la plus importante avec 1070 emplois en équivalentplein temps par an. Il est suivi par le Ministère de la Défense (890emplois) et l’agence pour la protection de l’environnement avec

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630 emplois. Si l’on excepte le cas de ces bons élèves, la plupart desMinistères ne disposent que de 5 ou 6 emplois affectés à la mise enœuvre de FOIA ;2) les délais tiennent aussi aux réticences de l’Administration, maisc’est plutôt le personnel politique qui est hostile à FOIA parce quedepuis 1966 un milieu professionnel s’est créé. Il a acquis des savoirsfaire et une éthique qui ont rendu la mise en œuvre de la loi plus effec-tive. On admet en général que la transparence est désormais un prin-cipe admis dans l’Administration, mais il n’en va pas de même parmiles hommes politiques qui la dirigent ;3) enfin lorsque l’Administration produit le document, il reste à savoirce qu’il y a dedans et si la censure ne le vide pas de tout intérêt. A cetégard on se souvient qu’au mois de juillet dernier la Maison Blanche arefusé de lever la censure sur 28 pages d’un rapport d’enquête concer-nant la préparation des attentats du 11 septembre 2001. Du coupaucune information supplémentaire n’est issue de ce document.

Compte tenu de ces conditions concrètes,qui utilise FOIA ?

1) D’abord les individus puisque les statistiques officielles montrentque pour l’année 2000, il y a eu en tout plus de 2 millions 200 milledemandes à l’échelon fédéral, en augmentation de 13 % par rapport àl’année précédente. Et c’est le Ministère des Anciens combattants qui areçu le plus de demandes, 1 million 200 mille, suivi de loin par la Sécu-rité sociale avec 262 000.

2) Ensuite les journalistes. Bien que la loi ait été faîte pour eux, les délaisde réponse imposés par l’administration les empêchent souvent d’utili-ser FOIA. Ce sont donc surtout les journalistes d’investigation et leschercheurs, en particulier les historiens, qui utilisent ce texte.

Il existe des centres d’archives qui regroupent les travaux effectuésgrâce à FOIA, en particulier des recherches sur les interventions améri-caines à l’étranger effectuées à partir de documents obtenus du FBI oudu ministère des Affaires Etrangères. En ce qui concerne la CIA c’estsouvent plus difficile comme on l’a vu tout à l’heure, s’il faut attendre10 ans pour apprendre que l’administration refuse de diffuser le docu-ment.

3) Un troisième groupe utilise FOIA, c’est celui des défenseurs desdroits des citoyens, en particulier Ralf Nader qui est beaucoup inter-venu pour faire évoluer la loi de façon à la rendre plus efficace. Il utiliseFOIA par exemple pour savoir dans quelles conditions ont été accordésles agréments des médicaments ou des produits dangereux par laFood ans drug Administration.

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Ou encore il s’appuie sur FOIA pour tenter de savoir dans quellesconditions ont été signés certains gros contrats de la NASA parexemple. Dans un cas comme celui là, l’Administration prévient lafirme concernée qu’elle va communiquer le document tout en suppri-mant ce qui a trait au secret industriel.

4) Un dernier groupe est intéressant, c’est celui des entreprises. Eneffet, les entreprises privées utilisent FOIA pour se procurer des infor-mations concernant leurs concurrents, en particulier en ce quiconcerne les réponses aux appels d’offres pour ne pas travailler « enaveugle » comme le disent les hommes d’affaires. Pour faciliter l’obten-tion de ces documents, un certain nombre de cabinets conseil se sontspécialisées dans ce type de demandes. Ici encore, l’Administrationpréserve le secret industriel.

En conclusion, je voudrais insistersur quelques enjeux de FOIA

1) Des enjeux juridiques d’abord. Il semble que les tribunaux à domi-nante républicaine aient tendance à limiter l’application de FOIA auminimum par le biais d’une interprétation stricte du texte, alors que lesjuges démocrates considèrent que l’objet de FOIA est très large, qu’ilest de contrôler l’action du pouvoir Exécutif dans son entier.

2) Cette position nous conduit au second enjeu, qui est politique. Cer-taines associations de citoyens s’appuient sur FOIA pour obtenir lapublication d’un nombre toujours accru de documents. En 1993, parexemple, dans une affaire Armstrong contre Executive Office, Nader aobtenu que soient rendus publics les e-mails de la Maison Blanchedurant la Présidence Reagan. Quelques années plus tard, dans PublicCitizen contre Carlin, le juge a prononcé l’interdiction de détruire cesmêmes documents. Même si on peut douter de leur efficacité pratique,de telles décisions me semblent importantes car elles posent des prin-cipes nouveaux.

3) Troisièmement enfin, FOIA est utilisé pour promouvoir la transpa-rence dans les relations entre l’Administration et le secteur privé :– d’abord il y a aux États-Unis une règle générale d’après laquellel’Administration n’a aucun monopole sur l’information qu’elle diffuse. Ilest donc toujours possible pour une entreprise privée de procéder àl’utilisation commerciale des informations qu’elle obtient grâce àFOIA ;– ensuite certaines agences s’appuient sur FOIA pour renforcer leurpropre action. Ainsi la Securities and Exchange Commission (équiva-lent de la COB) interprète l’obligation de transparence en mettant surson site web le nom de toute personne ou de toute entreprise surlaquelle elle ouvre une enquête. Ici, FOIA est utilisé comme un moyen

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de régulation, la publicité étant parfois plus efficace qu’une amendefinancière ;– par ailleurs beaucoup de demandes émanent d’entreprises qui veu-lent savoir ce que proposent leurs concurrents aux appels d’offres. Onestime en général qu’il y a là un instrument qui contribue à restreindrela corruption.

* * *

Bibliographie :Etzioni Amitai (1999), thé limits of privacy, Basic books

Fœrstel Herbert N. (1999), Freedom of information and thé right toknow. The origins and applications of the freedom of information act.Greenwood press, Westport, Connecticut, London.

Gellman Robert (1994), les trois piliers de la politique de diffusion del’information publique aux États-Unis, RFAP (72) : 593-603

US Department of Justice, Office of information and privacy : summaryof annual FOIA reports for fiscal year 2000

Scoffoni Guy (1992), le droit à l’information administrative auxÉtats-Unis, Paris, Economica

Theoharis Athan G. ed. (1998), A culture of secrecy, the governmentversus the people’s right to know, University press of Kansas

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ANDRÉ OUIMET,directeur des affaires juridiques du commissaire au lobbyismedu Québec et ancien secrétaire général de la commission d’accèsà l’information du Québec

L’exemple québécois

Au début de ce nouveau siècle, on reconnaît le droit de savoir commefondement et préalable à l’exercice des autres droits dans une démo-cratie. Dorénavant, c’est l’État, dans toutes ses formes, qui doit rendrel’information accessible au citoyen, sans que ce dernier n’ait à faire dedémarches particulières.

Ces mots de la présidente de la Commission d’accès à l’information duQuébec donnent le ton au dernier rapport quinquennal de la Commis-sion d’accès à l’information du Québec déposé devant l’Assembléenationale du Québec en décembre 2002 1. Les deux cent vingt-cinqpages de ce rapport dressent d’abord un portrait de l’accès à l’informa-tion et de la protection des renseignements personnels au Québec etpropose, dans un second temps, les améliorations que la Commissionsouhaiterait voir apporter à la Loi.

À l’occasion de ma participation à ce colloque marquant les vingt-cinqans de la Loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administra-tifs, j’exposerai les règles qui guident l’accès aux documents adminis-tratifs au Québec ainsi que les plus récentes propositions transmises àl’Assemblée nationale, par la Commission québécoise, pour améliorerla transparence gouvernementale. Mais d’abord, vous me permettrezquelques mots sur le lien unissant démocratie et transparence.

Démocratie et transparence

Les progrès récents de la démocratie dans le monde amènent unnombre croissant de pays à faire preuve de transparence et à adopteren conséquence des lois favorisant l’accès à l’information sous toutesses formes. Référant aux données d’une étude réalisée annuellementpar Privacy International, il est évident que les gouvernements dumonde sont de plus en plus transparents 2.

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1 COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION DU QUÉBEC, Une réforme de l’accès àl’information : Le choix de la transparence, Québec, La Commission, 2002.2 David BANISAR, Freedom o f Information around the World Update 2002,http://www.privacyinternational.org et http://www.freedominfo.org

La constatation et l’affirmation reposent sur le plus récent recense-ment, réalisé en 2002, qui dénombre plus d’une cinquantaine de paysayant adopté une législation à cet effet 1.

Si l’on excepte la Suède, où la Constitution du pays, composée dequatre lois générales dont l’une porte sur la liberté de presse, reconnaîtdepuis 1766 le droit d’accès aux documents officiels 2, ces législationssont pour la plupart assez récentes. Ainsi, la Finlande fut la première en1951 à adopter une loi d’accès à l’information suivie, quinze ans plustard, par les États-Unis avec l’adoption de la Freedom of InformationAct 3. La France 4, on l’évoque à l’occasion du colloque, a introduit ledroit d’accès aux documents administratifs en 1978. Au Canada, leslois fédérale, provinciales et territoriales furent pour la presque totalitéadoptées au début des années 1980. La Loi de Nouvelle-Zélande 5 datede 1982 de même que celle de l’Australie 6. Ce n’est que tout récem-ment, et après maintes résistances, que le Royaume-Uni 7 a finalementsuivi le mouvement en adoptant sa propre loi. Sans dresser unenomenclature des lois, il faut, me semble-t-il, ajouter que l’adoption delois favorisant l’accès à l’information aussi bien en Afrique du sud qu’auMexique témoigne de la force du mouvement sur tous les continents.

Les progrès de la démocratie n’expliquent pas, à eux seuls, l’adoptionde ces lois. Il faut aussi signaler que les interventions d’organisationsinternationales comme le Conseil de l’Europe, la Banque mondiale oule Fonds monétaire international ne sont sans doute pas étrangères àl’adoption de telles législations.

Plus récemment, l’initiative du Comité des ministres du Conseil del’Europe, du 21 février 2002 d’adopter la Recommandation (2002) 2portant sur l’accès aux documents détenus par les autorités publiquesrenforce la tendance déjà bien engagée. Le préambule de ce texte sou-ligne « l’importance que revêt, dans une société démocratique

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1 Pour une étude comparative de certaines lois d’accès à l’information, voir : NicoleDUPLÉ, L’accès à l’information : examen critique de la loi québécoise sur l’accès à l’infor-mation à la lumière de quelques législations étrangères, Université Laval, 2002,www.cai.gouv.qc.ca/fra/docu/etude.pdf2 The Freedom of Press Act – Chapter II : On the Public Character of official documents.http://www.uni-wuerzburg.de/law/sw03000.html.3 The Freedom of Information Act (FOIA), 5 U.S.C. S.552, http://www.usdoj.gov./04foia/foiastat.htm.4 Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relationsentre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social etfiscal, http://www. admi.net/jo/loi78-753.html. telle que modifiée par la Loi n° 321 du12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations,J.O. n° 88 du 13 avril 2000, http://www. adminet.com/jo/20000413/ FPPX9800029L.html.5 Official Information Act 1982, http://www. rangi.knowledge-basket.co.nz/gpacts/reprint/text/1982/an/156.html.6 Freedom of Information Act 1982, http://www. austlii.edu.au/au/legis/cth/consol_act/foia1982222.txt.7 Freedom of Information Act 2000, http://www. hmso/gov.uk/acts/acts2000/20000036.htm.

pluraliste, une administration publique transparente et la disponibilitéimmédiate d’informations sur les questions d’intérêt public ».

La Recommandation du Comité résume fort bien le besoin et les objec-tifs, tout à la fois, des citoyens : Estimant qu’un large accès aux docu-ments publics, sur une base d’égalité et en application de règlesclaires :– permet au public d’avoir un aperçu suffisant et de se former une opi-nion critique sur l’état de la société dans laquelle il vit et sur les autori-tés qui le gouvernent, tout en favorisant la participation éclairée dupublic aux affaires d’intérêt commun ;– favorise l’efficacité de l’administration et contribue à maintenir sonintégrité, en évitant le risque de corruption ;– contribue à affirmer la légitimité de l’administration en tant que ser-vice public et à renforcer la confiance du public dans ses autorités ;– ...

Dorénavant, bonne gouvernance rime avec transparence.

De la bonne gouvernanceLa bonne gouvernance est intimement liée au développement et à lapaix et étroitement associée à la démocratie 1. Selon la Banque mon-diale, la transparence est une composante essentielle de la « bonnegouvernance » 2.

La transparence se caractérise d’abord par un environnement où leslois sont claires, faciles à comprendre et accessibles. Elle est aussi for-tement liée à la liberté de presse qui permet la transmission de l’infor-mation nécessaire à la participation du public aux prises de décisionsgouvernementales. Cette liberté de presse encourage la reddition decomptes par les fonctionnaires et les politiciens et, de ce fait, décou-rage la corruption. Enfin, une presse libre contribue à mettre en lumièreles pratiques incompatibles à l’éthique et à l’intégrité du gouverne-ment.

Dans le vaste secteur public, la transparence, qui se traduit notammentpar l’accès à l’information, permet d’améliorer le processus de prise dedécision en approfondissant le débat public, en favorisant la participa-tion d’experts dans l’élaboration des politiques, ce qui, soit dit en pas-sant, peut aider à clarifier les politiques gouvernementales, et enencourageant la société civile à s’impliquer dans le processus de prisede décision. En ce sens, elle aide au développement de programmesgouvernementaux mieux adaptés aux besoins des populations en

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1 Pierre de SENARCLENS, « Gouvernance et crise de mécanismes de régulation interna-tionale », (1993) 156 Revue internationale des sciences sociales 95 et 96.2 World Bank (1994), Governance : The World Bank’s Experience, Development in Practice,Washington, 65 p.

favorisant leur participation. En outre, la transparence augmente lanécessité pour les administrations publiques de rendre des comptes,ce qui contribue à maintenir la confiance de la population.

Comme le résume fort justement Donald C. Rowat 1, on ne peutdemander des comptes si le public n’a pas une connaissance suffisantede ce qui se passe et on ne peut non plus espérer prendre part au pro-cessus décisionnel ni contribuer à l’établissement de politiques géné-rales et des lois si ce processus est tenu secret.

La demande pour une plus grande transparence va probablementcontinuer à augmenter dans le futur. Dans ses recherches, Florini 2

indique que la globalisation et l’intensification des échanges entre lespays augmentent le besoin d’information. Elle soutient que la techno-logie, la démocratisation et le développement de la société civile mili-tent aussi en faveur de l’augmentation de la demande pour une plusgrande transparence.

D’une part, la technologie permet au volume d’information de circulerplus rapidement, et d’être utilisée à meilleur coût par plus de person-nes. Elle réduit donc le coût de la transparence. D’autre part, la démo-cratisation et le développement de la société civile ont pour effet desusciter l’émergence de groupes parallèles organisés et de plus en plusinterreliés qui font pression pour plus de transparence.

S’inscrivant dans cette mouvance moderne, le droit à l’information faitdonc partie des bases constituant toute société démocratique et estreconnu explicitement à l’article 19 de la Déclaration universelle desdroits de l’homme de 1948.

L’adoption de règles de transparence repose sur le postulat que ladémocratie va bien au-delà de l’exercice du droit de vote. Entre deuxpériodes électorales, les citoyens veulent connaître les faits et gestesde ceux qui les gouvernent. D’où un besoin de plus grande transpa-rence de l’État. Outre qu’elle favorise une meilleure reddition de comp-tes, la transparence de l’administration publique engendre aussil’adoption de meilleures politiques qui prennent en compte les besoinset opinions de la population.

Ces objectifs ont été rappelés par la Cour suprême du Canada, aumoment d’examiner la portée de certaines dispositions de la loi cana-dienne sur l’accès à l’information :

La Loi en matière d’accès à l’information a donc pour objet général defavoriser la démocratie, ce qu’elle fait de deux manières connexes. Elleaide à garantir, en premier lieu, que les citoyens possèdent l’information

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1 Donald C. ROWAT, « How much administrative secrecy ? » (1965) 31 Can. J. of Econ.and Pol. Sci. 480.2 Ann FLORINI, « Dœs the Invisible Hand Need a Transparent Glove ? The Politics ofTransparency » (1999), http://www.worldbank.org/wbi/governance/pdf/florini.pdf.

nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et,en second lieu, que les politiciens et démocrates demeurent compta-bles envers l’ensemble de la population 1.

On le constate, les valeurs qui sous-tendent les lois sur l’accès à l’infor-mation ont un caractère largement universel et associent étroitementdémocratie, transparence et reddition de comptes.

Des institutions québécoises transparentes

Les citoyens n’accordent pas une confiance aveugle aux institutions.Pour pallier cette crise de confiance, assurer la pleine participation descitoyens aux débats de société et sauvegarder l’intégrité des processusdécisionnels, le Québec, comme d’autres États, au demeurant, aadopté plusieurs lois visant à rendre transparente l’activité étatique.Ainsi a-t-on assisté tour à tour à l’adoption de la Loi électorale (notam-ment au chapitre du financement des partis politiques), de la Loi surl’accès aux documents des organismes publics et sur la protection desrenseignements personnels et, plus récemment, de la Loi sur la trans-parence et l’éthique en matière de lobbyisme. À la faveur de l’adoptionde ces lois, les Québécois savent qui finance les partis politiques, ils ontaccès aux documents des administrations et peuvent savoir, par laconsultation d’un registre, qui tentent d’influencer les décisions destitulaires de charges publiques.

Les fonctions de contrôle et de surveillance sont assurées par des per-sonnes indépendantes, nommées par l’Assemblée nationale : le Direc-teur général des élections, la Commission d’accès à l’information et leCommissaire au lobbyisme. Chacune des lois en cause, chacune desinstitutions mentionnées mériteraient qu’on s’y attarde. Elles partici-pent toutes, chacune à leur manière, au même objectif, soit rendrel’État transparent. Cette caractéristique les singularise dans l’ensembledes organes étatiques.

Dans ces cas, le Québec fait souvent figure de pionnier dans la fédéra-tion canadienne et même, quelquefois, sur le continent américain.L’audace du législateur québécois est motivée par le désir de parache-ver les institutions démocratiques au service de ses citoyens.

Toutefois, en raison même du thème du colloque, nous décrirons parti-culièrement le fonctionnement d’un de ces mécanismes : le régimequébécois d’accès aux documents administratifs. En puisant, sans tropde réserve, au rapport quinquennal de la Commission d’accès à l’infor-mation, je décrirai les principales modalités d’application de la Loi. Parla suite, vous me permettrez d’attirer votre attention sur les plus

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1 Dagg c. Canada (Ministre des Finances) [1997] 2 R.C.S. 403, 433.

récentes propositions formulées en vue d’améliorer le régime québé-cois d’accès à l’information.

L’accès aux documents des organismespublics : mode d’emploi

La reconnaissance du droit d’accès à l’information

Adoptée en 1982, la Loi sur l’accès aux documents des organismespublics et sur la protection des renseignements personnels du Québecscelle la reconnaissance du droit pour toute personne d’obtenir l’infor-mation détenue par l’administration publique québécoise.

Les organismes assujettis

Cette loi s’applique à plus de 2700 organismes publics. Ministères etorganismes gouvernementaux, municipalités et organismes qui enrelèvent, institutions d’enseignement et établissements du réseau de lasanté et des services sociaux y sont assujettis 1.

Le principe général

L’article 9 de la Loi sur l’accès énonce la règle générale : toute per-sonne qui en fait la demande a droit d’accès aux documents d’unorganisme public. Seule une exception énoncée expressément dans laLoi sur l’accès permet de passer outre à ce droit. Dans un souci desaine gestion, le législateur a inscrit à la Loi des restrictions qui permet-tent de protéger certains renseignements ayant des incidences sur lesrelations intergouvernementales, les négociations entre organismespublics, l’économie, l’administration de la justice et la sécuritépublique, les décisions administratives ou politiques et la vérification 2.

La prépondérance de la Loi

La Loi sur l’accès a un caractère prépondérant sur toutes les autreslois 3. Cette particularité lui confère un caractère quasi-constitutionnel.Pour restreindre l’accès à un document autrement qu’en la manièreautorisée par la Loi sur l’accès, une loi particulière devra donc intro-duire une disposition qui mentionnera expressément que la restrictionà l’accès à un document s’applique malgré la Loi sur l’accès.

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1 Les articles 3 à 7 de la Loi sur l’accès définissent la notion d’organismes publics.2 Loi sur l’accès, arts. 18 à 41.3 L’article 168 de la Loi sur l’accès prévoit que les dispositions de cette dernière prévalentsur celles d’une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moinsque cette dernière loi n’énonce expressément s’appliquer malgré la Loi sur l’accès.

En plus de sa prépondérance, la Loi sur l’accès constitue le seuil mini-mum en matière d’accès à l’information administrative. D’autres loispeuvent accorder au citoyen un droit plus généreux. De ce fait, les loisdu Québec recèlent de dispositions conférant expressément auxcitoyens un droit d’accès à des documents administratifs spécifiquesou à des renseignements personnels. Par exemple, depuis plusieursdécennies, tous les documents qui font partie des « archives » d’unemunicipalité sont accessibles sans qu’aucune restriction ne puisse êtreinvoquée. Sont aussi disponibles, sur demande du patient, les donnéescontenues à son dossier médical. Une seule réserve, cela ne doit pas êtrepréjudiciable à sa santé. Ce droit a été reconnu il y a plus de trente ans.

Les documents visés

La Loi s’applique quelle que soit la forme des documents : écrite, gra-phique, sonore, visuelle, informatisée ou autre 1. Toutefois, sont exclusde l’application de la Loi les documents suivants : les actes et registrede l’état civil, les registres et autres documents conservés dans lesbureaux de la publicité des droits à des fins de publicité, le registreconstitué en vertu de la Loi sur la publicité légale des entreprises indivi-duelles, des sociétés et des personnes morales et certaines archivesprivées 2. La raison de cette exclusion est fort simple, ces documentssont publics.

Le responsable de l’accès

Au sein de chaque organisme public, un responsable de l’accès auxdocuments doit voir à l’application de la Loi sur l’accès. Traduisant l’im-portance de ce rôle, la Loi prévoit que ce responsable est la personneayant la plus haute autorité au sein de l’organisme. Cette dernière pourratoutefois désigner comme responsable de l’accès un membre de sonpersonnel de direction et lui déléguer tout ou partie de ses fonctions 3.

La demande d’accès à un document

Pour assurer l’exercice du droit d’accès, le législateur a retenu une pro-cédure simple, rapide et peu onéreuse 4.

Pour aider le citoyen à s’y retrouver, la Loi oblige les organismespublics à classer leurs documents de manière à en permettre le repé-rage. Ils doivent donc établir et tenir à jour une liste de classement desdocuments. Cette dernière doit être suffisamment précise pour faciliter

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1 Loi sur l’accès, art. 1.2 Id., art. 2.3 Id., art. 8.4 La procédure d’accès est décrite aux articles 42 à 52.1 de la Loi sur l’accès.

l’exercice du droit d’accès. La liste de classement peut être consultéesur place ou encore à distance, par voie électronique.

Toute demande d’accès à un document doit être adressée au respon-sable de l’accès au sein de l’organisme public. Si une personne lerequiert, le responsable doit prêter assistance pour la formulation de lademande d’accès et l’identification du document demandé. Le respon-sable doit donner suite à la demande d’accès dans les vingt jours quisuivent. Si nécessaire, et après en avoir avisé le demandeur, un délaiadditionnel de 10 jours pourra être ajouté. Au terme de ces délais, lesilence du responsable est assimilé à un refus de communiquer ledocument.

La demande d’accès peut être verbale ou écrite. Toutefois, le deman-deur devra avoir formulé sa demande par écrit s’il souhaite demander àla Commission de réviser le refus d’un responsable de lui communi-quer le document demandé.

Le droit d’accès peut être exercé par consultation du document surplace ou encore par l’obtention d’une copie du document, le choix enétant laissé au demandeur. Tout à fait novatrice, la Loi sur l’accès pré-voit également que la consultation du document peut se faire à dis-tance 1. Ce mode de consultation implique évidemment un accès àl’information par voie électronique.

L’accès à un document est gratuit. Toutefois, des frais n’excédant pasle coût de la transcription du document, de sa reproduction ou de satransmission peuvent être exigés 2. Aucun frais ne peut être exigé pourla recherche du document. L’organisme doit informer le requérant dumontant approximatif qui lui sera chargé avant la transcription, lareproduction ou la transmission du document. Ces frais et les modali-tés de paiement de ces derniers sont prescrits par règlement du gou-vernement 3.

Le responsable de l’accès peut refuser de communiquer le document siune restriction au droit d’accès trouve application. Dans ce cas, il avisele demandeur de sa décision en la motivant et en précisant les disposi-tions de la Loi sur lesquelles il fonde son refus 4. Il doit également l’avi-ser qu’il peut demander à la Commission d’accès à l’information deréviser sa décision 5.

Une procédure particulière est prévue pour les demandes d’accèsconcernant des documents qui contiennent des renseignements qui

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1 Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, L.Q., 2001, cha-pitre 32, article 84.2 Loi sur l’accès, art. 11.3 Règlement sur les frais exigibles pour la transcription, la reproduction et la transmis-sion de documents et de renseignements nominatifs, R.R.Q., c. A-2.1, r. 1.1.4 Loi sur l’accès, art. 50.5 Id., art. 51.

ont été fournis par des tiers, comme par exemple des entreprises quidoivent fournir des renseignements pour obtenir diverses autorisa-tions. Le responsable de l’accès devra ainsi aviser le tiers de lademande d’accès et ce dernier pourra, dans les vingt jours suivants,signifier son accord ou son opposition à la communication du docu-ment. Si le responsable entend communiquer le document malgrél’opposition du tiers, ce dernier pourra s’adresser à la Commissionpour faire valoir son point de vue avant que le document n’ait été com-muniqué 1.

Nous disposons de peu de données inventoriant l’ampleur des deman-des présentées en vertu de la Loi. Toutefois, une recherche menée en2002 auprès de 80 ministères et organismes, par un professeur del’École nationale d’administration publique (ÉNAP), monsieurPaul-André Comeau, révèle que durant l’année financière 2001-2002,les responsables de l’accès de ces organismes ont reçu et traité 24 926demandes de documents ou de renseignements personnels. Les sta-tistiques tirées du même rapport indiquent que les auteurs des deman-des ont reçu, dans une proportion de près de 87 %, en tout ou enpartie, les documents administratifs ou les renseignements personnelsdemandés 2. Le premier chiffre n’est qu’un pâle reflet de la réalité. Unrecensement systématique auprès de tous les ministères et organis-mes donnerait des résultats plus précis et surtout très impressionnantssur l’utilisation de la Loi.

Quant aux documents demandés, la variété est infinie : liste des dossiersjudiciaires en délibéré, rapport sur une émeute survenue à Montréal,renseignements sur l’émission d’une matière polluante, dépenses desmembres de l’Assemblée nationale, etc.

Les motifs de refus d’accès aux documents

La « générosité » d’une loi d’accès à l’information se mesure aussi àl’aune de l’étendue des restrictions à ce principe inscrites dans la Loi. Ilappartient donc au législateur d’identifier ce qui relève ou non de l’inté-rêt public et de déterminer le point d’équilibre entre ce qui doit êtreaccessible et ce qui ne doit pas l’être. La détermination de ce que repré-sente l’intérêt public revêt alors toute son importance afin que puissentêtre maintenues transparence et démocratie.

Comme toutes les lois de même nature adoptées par d’autres législatu-res, la loi québécoise sur l’accès à l’information reconnaît que l’admi-nistration publique peut retenir, en certaines circonstances, undocument sollicité par un citoyen. Un responsable de l’accès ne pourratoutefois refuser de communiquer un document que si la Loi le prévoitexpressément.

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1 Id., arts. 25 et 49.2 http://www.mrci.gouv.qc.ca/publications/doc/demandes_acces_raport_ENAP021008.doc

Une demande d’accès pourra être rejetée pour certains motifs qui relè-vent davantage de la forme que du fond :– le document est inexistant. La Loi sur l’accès prévoit que le droit d’ac-cès ne porte que sur les documents dont la communication ne requiertni calcul, ni comparaison de renseignements (art. 15) ;– la demande d’accès relève davantage de la compétence d’un autreorganisme public ou elle est relative à un document produit par unautre organisme public ou pour son compte (art. 48). Dans ce cas, leresponsable de l’accès devra indiquer au demandeur le nom de l’orga-nisme compétent et celui de son responsable de l’accès ;– la demande d’accès n’est pas suffisamment précise pour permettrede trouver le document (art. 42). La Loi prévoit toutefois que le res-ponsable doit prêter assistance, pour la formulation d’une demande etl’identification du document, à toute personne qui le requiert (art. 44) ;– sur autorisation de la Commission, un organisme public peut ne pastenir compte de demandes d’accès qui sont manifestement abusivespar leur nombre, leur caractère répétitif ou leur caractère systématique(art. 126).

D’autres restrictions à l’accès, regroupées en six catégories, complè-tent le tableau.

Des restrictions établies par le législateur : c‘est sur ces dernières quele responsable de l’accès aux documents doit fonder son motif de refusde communiquer un document.

Peu importe la catégorie à laquelle appartient une restriction à l’accès,elle aura toujours un caractère obligatoire ou facultatif. Une restrictionobligatoire ne laisse aucune marge de manœuvre au responsable del’accès : le document ne doit pas être communiqué. Tel est le cas, parexemple, d’un renseignement relatif à un secret industriel, un rensei-gnement ayant une incidence sur l’administration de la justice et lasécurité publique ou encore un renseignement personnel n’ayant pasun caractère public conformément à la Loi

Contrairement à ces restrictions qui ont caractère obligatoire, d’autresrevêtent un caractère facultatif. Il appartiendra alors au responsable del’accès aux documents d’un organisme public de décider si un docu-ment peut être accessible ou pas. Ainsi, il pourra décider qu’une ana-lyse, un avis ou une recommandation ne pourront être transmis audemandeur d’accès avant l’écoulement d’un délai fixé par la Loi.

Certaines restrictions sont fondées sur l’existence d’un préjudice si ledocument est communiqué alors que d’autres restrictions s’appliquentdès que le document appartient à une catégorie particulière de rensei-gnements. Par exemple, un renseignement fourni par un tiers ne devrapas être transmis si sa communication risque de causer une perte à cetiers. Le préjudice à éviter est la perte causée à ce tiers. Par contre, si lerenseignement est un secret industriel appartenant à un tiers, le

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responsable devra en refuser l’accès dès qu’il aura fait le constat que lerenseignement demandé est un secret industriel. Il n’aura pas à évaluersi un préjudice peut être causé ou non par la communication du rensei-gnement.

Les catégories de restrictions sont les suivantes :a) les renseignements ayant une incidence sur les relations intergou-vernementales (articles 18 et 19) ;b) les renseignements ayant des incidences sur les négociations entreorganismes publics (article 20) ;c) les renseignements ayant des incidences sur l’économie (articles 21à 27) ;d) les renseignements ayant des incidences sur l’administration de lajustice et la sécurité publique (articles 28 à 29.1) ;e) renseignements ayant des incidences sur les décisions administrati-ves ou politiques (articles 30 à 40) ;f) les renseignements ayant des incidences sur la vérification (article 41).

La révision par la commission du refus de donneraccès à un document

La décision d’un organisme public de refuser de communiquer undocument peut faire l’objet d’une demande de révision devant la Com-mission d’accès à l’information 1. Une simple lettre rappelant les faitssuffit pour permettre l’ouverture du dossier à la Commission. Le requé-rant doit toutefois transmettre sa demande de révision dans les30 jours qui suivent la date de réception de la décision de l’organisme.La même étude réalisée par Paul-André Comeau nous permet de cons-tater que moins de 2,5 % des décisions rendues par les responsablesde l’accès ont été portées en révision devant la Commission d’accès àl’information durant l’année financière 2001-2002.

S’il nous est permis de constater qu’en général, les citoyens s’adres-sent aux organismes publics pour obtenir des renseignements person-nels, les demandes de révision portées à l’attention de la Commissionconcernent surtout des documents administratifs. Or, dans ces der-niers cas, les statistiques nous renseignent sur l’intérêt que les citoyensportent à la chose municipale. C’est dans ce secteur que se retrouve leplus grand nombre de demandes d’intervention auprès de la Commis-sion en ce qui concerne les documents administratifs.

Il faut aussi prendre note que c’est surtout le citoyen qui s’adresse à laCommission. Contrairement à une certaine croyance, les journalistesreprésentent moins de un pour cent des demandeurs. Ces derniers uti-lisent néanmoins régulièrement la Loi s’il faut se fier aux référencesexplicites dans les médias.

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1 Les articles 135 et suivants de la Loi sur l’accès décrivent la procédure de révisionsuivie devant la Commission.

Une fois le dossier ouvert, une médiation est alors entreprise par unmembre du personnel de la Commission. Présentement, cette média-tion permet de résoudre le litige dans près de 70 % des cas. Si cettemédiation échoue, le dossier est alors remis à un commissaire qui per-mettra aux parties de faire valoir leurs points de vue respectifs, trèssouvent à la faveur d’une audience. Ces audiences peuvent se déroulerpartout sur le territoire du Québec.

Après avoir pris connaissance du document en litige et des argumentsde chaque partie, le commissaire rend sa décision. Elle est exécutoire.Plus de 4000 décisions constituent la jurisprudence de la Commission.Le portrait serait incomplet si on omettait de souligner que toute déci-sion peut, dans les trente jours de sa date, faire l’objet d’un appeldevant la Cour du Québec mais uniquement sur une question de droit.Avant d’analyser le dossier à fond, la Cour devra dans un premiertemps accorder la permission d’en appeler.

Dans certains cas, plus rares toutefois, les décisions de la Commissionont été portées devant d’autres tribunaux supérieurs. L’an dernier, laCour suprême du Canada rendait sa première décision en rapport avecla loi québécoise.

Les décisions des tribunaux judiciaires contribuent à tisser, au fil desans, la jurisprudence en matière d’accès à l’information.

Améliorer le régime québécois d’accèsà l’information

On l’a dit, la loi québécoise prévoit qu’à tous les cinq ans, la Commis-sion d’accès à l’information doit remettre au gouvernement un rapportsur la mise en œuvre de la Loi, sur l’opportunité de la maintenir envigueur et, le cas échéant, de la modifier. Dans son dernier rapportdéposé devant l’Assemblée nationale en décembre 2002, la Commis-sion fait des recommandations audacieuses qui ont toutes pour butd’instaurer une véritable culture de transparence au sein de l’adminis-tration publique québécoise. Ce rapport fait présentement l’objet d’unexamen par une commission parlementaire. Au chapitre de l’accès auxdocuments, vous me permettrez d’attirer votre attention sur la recom-mandation qui m’apparaît la plus importante et qui suscite, vous l’aurezcompris, le plus de discussions.

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La communication automatiquede l’information 1

Des démarches qui constituent un frein à l’accès à l’information : laLoi sur l’accès à l’information reconnaît l’existence du droit à l’informa-tion et met en œuvre toute une série de mesures pour rendre effectif cedroit. L’approche retenue par le législateur force le demandeur d’accèsà entreprendre diverses démarches pour obtenir le document sollicité.

Bien souvent, la démarche préalable à l’obtention d’un document serésumera à peu de chose. Par exemple, le demandeur pourra s’adres-ser verbalement à un organisme public pour obtenir un document. Cedocument pourra être consulté sur place, dans une salle de lecture,électronique ou non, ou lui être transmis par la poste ou par courrierélectronique. On pourra également l’aviser de l’endroit où le documentpeut être obtenu ou de l’adresse d’un site Internet pertinent.

Par contre, si le document n’est pas de ceux qui sont publiés ou large-ment diffusés par l’organisme, il devra d’abord formuler sa demandeauprès du responsable de l’accès en identifiant correctement le docu-ment requis et ensuite attendre que l’on donne suite à sa demandeavant de pouvoir enfin obtenir ce qu’il cherche.

Pour diverses raisons, il est évident que cette façon de procéder enrebutera plus d’un. Bien souvent, le simple fait de devoir identifier leresponsable de l’accès à l’information d’un organisme auprès de qui lademande d’accès doit être formulée constituera un frein à toutedémarche. D’autres se sentiront mal à l’aise de solliciter directement del’information. Certains hésiteront à demander de l’aide pour identifiercorrectement l’information qu’ils souhaitent obtenir ou encore ils met-tront un terme à leur recherche en se disant que tout compte fait, ilspeuvent se passer de l’information. Et c’est sans compter tous ceux quine peuvent trouver le temps nécessaire pour entreprendre unedémarche d’accès à l’information.

De plus, le délai de traitement d’une demande d’accès aura parfoispour effet d’enlever tout intérêt à l’information recherchée. On peutfacilement comprendre qu’obtenir copie de l’ordre du jour d’uneséance d’un conseil d’administration d’un organisme public, plusieursjours après une séance publique, sera de peu d’utilité pour celui quiaurait souhaité assister à cette séance.

Les modes actuels d’accès à l’information prévus par la Loi doiventévoluer et tendre à une diffusion la plus large possible de l’informationdétenue par l’État. Il est temps, pense-t-on, d’imaginer d’autres façonsde procéder qui faciliteront l’exercice du droit à l’information et, du

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1 Le concept d’Automatic Routine Disclosure traduit le devoir d’une administration derendre l’information disponible, sans demande formelle.

même coup, une transparence encore plus grande des organismespublics. Une nouvelle génération de loi d’accès naîtra.

Selon la Commission, les organismes publics doivent maintenantrevoir leur façon de gérer leurs documents, avec l’objectif premier deles rendre plus facilement accessibles et de minimiser les démarchesque doivent entreprendre les demandeurs d’accès pour les obtenir.L’équation est évidente : moins il y aura de procédures pour obtenir undocument et mieux sera respecté le droit à l’information. L’idée n’estpas complètement nouvelle, administration électronique, sites Inter-net, les outils technologiques permettent déjà à l’administration derendre plus facilement disponibles renseignements personnels etdocuments administratifs.

Des technologies qui facilitent l’accèsà l’information

Les modes traditionnels de diffusion de l’information ne facilitent pasnécessairement l’accès à l’information. Bien sûr, les centres de docu-mentation des organismes publics et les bibliothèques publiques met-tent à la disposition des individus une quantité appréciabled’informations sur les activités de l’État. Et chaque organisme publicdoit offrir la possibilité de consulter sur place un document demandéen vertu de la Loi sur l’accès ou d’en fournir une copie, selon le choix dudemandeur.

Comme nous venons de l’exprimer, les nouvelles technologies de l’in-formation offrent des outils qui facilitent grandement des approchesnovatrices en matière d’accès à l’information. Par un simple clic, il estmaintenant possible d’avoir accès à une multitude d’informations. Lepotentiel de ces technologies doit être pleinement exploité au servicedes citoyens, particulièrement dans la perspective où, d’ici quelquesannées, la majorité aura accès à Internet.

Il ne fait plus aucun doute que l’accès aux documents des organismespublics se fera de plus en plus en ayant recours aux supports électroni-ques.

Le développement et la démocratisation des technologies de l’informa-tion, et plus particulièrement, l’avènement d’Internet, a amené unmode de diffusion de l’information qui permet à la fois d’accroîtreconsidérablement l’information disponible et de rejoindre facilementun plus vaste public. Grâce à ces nouveaux outils de communication,sont disparus des obstacles pratiques à la diffusion massive de l’infor-mation.

La très grande majorité des organismes publics possède maintenantun site Internet. Si, à l’origine, ces sites ne contenaient bien souventque l’information habituellement communiquée au moyen des outilsde diffusion traditionnels, on constate maintenant que certaines

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organisations introduisent dans leurs sites une information plus diver-sifiée. L’utilisation de salles de lecture électroniques, dans les centresde documentation des organismes ou encore dans les bibliothèquespubliques, assure une accessibilité à cette information qui ne se limitepas aux seules personnes ayant un accès direct à Internet.

Le potentiel qu’offrent les technologies pour favoriser un meilleuraccès à l’information doit être pris en compte dans l’élaboration denouvelles façons de faire. Bref, il faut avoir recours aux technologies del’information pour réduire les démarches préalables à l’obtention desdocuments publics.

Instaurer de nouvelles politiques et une nouvelleculture d’accès à l’information

En fait la proposition que formule la Commission se résume à l’atteintede deux objectifs : permettre au citoyen de savoir quelle informationest détenue par l’État et, sous réserve de l’application des restrictions àl’accès énoncées dans la Loi, pouvoir avoir accès à cette informationsans formalités.

Il s’agit ici de franchir un pas. Plutôt que d’attendre la demande d’accèsà un document, l’organisme devrait voir à la publication ou à la diffu-sion de l’information dès sa création. En fait, le principe général devraitêtre la communication automatique de l’information alors que lademande d’accès formulée auprès du responsable de l’accès devien-drait l’exception.

La communication automatique de l’information est de plus en plusconsidérée comme une bonne règle de pratique à appliquer dans lecadre de la gestion de l’information. Pour l’instant, cette pratique portedifférentes appellations. Ainsi, parlera-t-on de divulgation systéma-tique de l’information, de diffusion automatique de l’information 1, dediffusion active de l’information ou encore de communication sans for-malités de l’information 2.

Par cette proposition, la Commission ne nie pas l’existence de restric-tions à l’accès. Il ne s’agit pas non plus de mettre en ligne des rensei-gnements personnels ou des documents dont la nature confidentielleest reconnue par le législateur mais bien de diffuser activement de l’in-formation qui doit être accessible en vertu de la Loi sur l’accès.

On ne peut évidemment pas penser que l’ensemble des documentsdétenus par un organisme public deviendra accessible d’un seul clic.On peut croire toutefois que les documents dont l’intérêt public est évi-dent pourraient être du lot de documents facilement accessibles.

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1 Bureau du Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario et laDirection de l’accès à l’information et de la protection de la vie privée, secrétariat du Con-seil de gestion de l’Ontario, Divulgation systématique/Diffusion automatique, avril 1994.2 Gouvernement du Canada, Groupe d’étude de l’accès à l’information, p. 142.

Quelques exemples illustreront la proposition de la Commission. Cer-tains types de documents ont un caractère public en vertu de la Loi. Telest le cas, par exemple, des procès-verbaux des conseils municipauxou des établissements de santé et de services sociaux. Alors, pourquoine pas rendre ces documents automatiquement accessibles plutôt qued’attendre une demande d’accès écrite ?

Pourraient aussi, à titre d’exemple, être automatiquement communi-qués, comme cela est déjà commencé, pour chaque organisme public,les renseignements relatifs à son organisation et à sa structure, les ser-vices qui relèvent de sa mission, les noms et coordonnées et fonctiondes membres du personnel appelés à avoir des contacts avec le public.Devraient également être visés par la politique de communicationautomatique de l’information, les politiques, manuels, directives etautres principes qui sont appliqués dans l’organisme lorsqu’ils ont uneinfluence directe sur le rapport entre ce dernier et les administrés.

Pourraient aussi être automatiquement communiqués, les documentsqui ont déjà fait l’objet d’une communication en vertu de la Loi sur l’ac-cès ou qui font habituellement l’objet de nombreuses demandes d’ac-cès. Pour dresser l’inventaire des documents faisant l’objet d’unecommunication automatique, pourraient également être analysées lesdemandes d’information formulées auprès de l’organisme, les com-mentaires qui lui sont transmis par les citoyens ou toute autre façond’évaluer leurs besoins en terme d’information.

ConclusionEn somme, en 1982, le Québec s’est inscrit à la liste des États qui ontadopté une loi générale d’accès à l’information. De ce fait, dans unesociété qui priorise le savoir, la culture du secret devait laisser place à latransparence. Il est évident que la loi québécoise est largement utiliséeet qu’elle a entraîné, dans son sillage, un changement de mentalité. Letemps est venu, comme le suggère la Commission d’accès à l’informa-tion, d’évaluer la possibilité de rendre les institutions encore plustransparentes.

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MARIA ALESSANDRA SANDULLI

Professeur à l’université de Rome

L’exemple italien

Les prémisses d’un droit d’accès aux documents administratifs peu-vent être trouvés dans le recueil des lois communales et provincialesde 1934 qui reconnaît aux citoyens le droit de prendre connaissance detoutes les délibérations des autorités locales et d’en obtenir une copie.

La commission des études parlementaires pour la réforme de l’admi-nistration, instituée en octobre 1944 met en évidence la nécessitéd’une loi générale sur la transparence renforcée, mais ce projet, pasplus que ceux de la loi Scelba en 1954, de loi Moro en 1955 et de la loiLucifredi en 1963 n’auront de suite.

Cette résistance s’explique par une position de principe faisant dusecret la règle générale et de la communication l’exception. A défaut demesures plus générales, des textes particuliers se succèdent imposantpar exemple le droit de tout intéressé à prendre connaissance des pro-jets de plans d’urbanisme (loi du 23 décembre 1978), d’être largementinformé en matière d’environnement (décret du 23 juin 1988), de sevoir communiquer les avis du conseil d’État, sauf déclaration de confi-dentialité.

Les réformes importantes interviennent en 1990. La loi du 8 juin 1990sur la réorganisation des autonomies locales pose la règle d’une com-munication quasi généralisée aux citoyens des actes des autoritéslocales ; par ailleurs, les conseillers locaux ont le droit d’obtenir desbureaux toutes les informations utiles à l’exercice de leur mandat avecune obligation de garder le secret dans certains cas prévus par la loi.

La loi du 7 août 1990, est le premier texte de portée générale. Un de seschapitres est intitulé « Dispositions sur la procédure administrative etsur le droit d’accès aux documents administratifs ». L’obligation depublier concerne « les directives, les programmes, les instructions, lescirculaires et tout acte qui dispose en général sur l’organisation, sur lesfonctions, sur les objectifs, sur les procédures d’une administrationpublique ou bien dans lequel on établit l’interprétation de normes juri-diques ou on dicte des dispositions de celle-ci ». Des lois particulièressubsistent concernant certains secteurs auxquels s’appliquent des pro-cédures spécifiques de communication. Un projet e réforme de l’acti-vité administrative a été approuvée par le sénat en mars 2003 quidevrait modifier sensiblement la loi 241.

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La question de l’accessibilité aux documents administratifs est étroite-ment liée à celle de la participation du public à l’action administrative etaccède aux « niveaux essentiels des prestations concernant les droitscivils et sociaux ».

Accès « participatif et informatif »La loi 241 du 7 août 1990 fait la distinction entre deux procédures decommunication selon les destinataires.

La première hypothèse est celle de l’accès « participatif » ou « endo-procédural ». Selon l’article 10, l’accès est réservé aux personnes« intéressées » par le contenu du document c’est à dire les destinatai-res directs, ceux qui, selon la loi, doivent intervenir dans la procédure,ceux qui pourraient subir un préjudice ainsi que tout sujet défenseur dela procédure privés diffus, telles que les associations. L’accès de quoconsiste à prendre connaissance des actes de la procédure, ce quiexclut en principe les actes préliminaires mais s’étend à l’ensemble desactes et documents faisant partie de la procédure.

Contrairement à l’accès « informatif » ou « exoprocédural ». Selon l’ar-ticle 22 de la loi 241 le droit d’accès est ouvert à « quiconque a un inté-rêt au contrôle de situations juridiquement marquantes ». La demanded’accès aux documents doit être motivée et se fonder sur l’existencede conditions qui la légitiment. Sont intéressés « tous les sujets privés,y compris les porteurs d’intérêts publics ou diffus qui ont un intérêtdirect, concret et actuel, correspondant à une situation juridiquementprotégée et liée au document pour lequel on demande l’accès ».

La jurisprudence du Conseil d’État estime que l’intérêt juridiquementprotégé se définit comme « un intérêt sérieux, non émulatif ni recon-ductible à simple curiosité... rapportable à la personne du demandeurpar un lien spécifique qui ne coïncide pas nécessairement avec uneposition d’intérêt légitime ou de droit subjectif ». L’accès est reconnu àquiconque se trouve dans une situation aynt un rapport particulier avecl’affaire et qui pourra démontrer que les documents dont il demandecommunication peuvent avoir des effets directs ou indirects à sonégard, intérêt effectif et concret : Conseil d’État 18 mai 1998, no 840.Ces dispositions ont permis de circonscrire, en le limitant, le droit d’ac-cès des associations, dont l’accès n’est admis qu’en faveur de d’unintérêt objectif de la catégorie représentée et non pour les intérêts pro-pres de chaque associé : conseil d’État 29 avril 2002.

Le droit d’accès se présente ici comme une forme de contrôle distinctet autonome du contrôle juridictionnel. Il se fonde sur l’existence d’unesituation justifiant un droit de regard du citoyen, distincte d’une posi-tion de droit subjectif ou d’intérêt légitime et que le droit entend proté-ger : voir Chieppa : La transparenza come regola delle pubblica

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amministrazione, in Dir. Econ. 1994, 623). La doctrine se partage quantà l’interprétation de cette situation qui n’est pas exempte pour d’incerti-tude.

Les difficultés ont été surmontées en ce qui concerne l’accès enmatière environnementale car, en application de la Directive du conseilde l’Union européenne du 7 juin 1990, le décret législatif du 24 février1997 reconnaît le droit à l’information à « quiconque en fait lademande, sans qu’il ait à démontrer un intérêt personnel ».

Les documents soumis à la communicationLa doctrine italienne a engagé des débats subtils au sujet de la portéede l’expression « situations juridiquement marquantes » et du largepourvoir discrétionnaire laissé à la portée de l’administration pour lesconstater. La reconnaissance d’un droit d’accès considéré comme rele-vant de « l’intérêt légitime » et d’un droit subjectif permettrait derépondre de manière cohérente à la garantie de transparence qui faitparti de « nouveaux droits » du citoyen à l’égard des pouvoirs publicset les juristes italiens se montrent déçus des freins à la transparenceque l’incertitude actuelle engendre. Des projets de réforme sont encours.

Le recours contre les refus exprès ou tacites (silence de 30 jours) sontportés devant le juge administratif suivant une procédure spécialeaccélérée. Le recours doit être actionné dans un délai de 30 jours à par-tir de la connaissance effective du refus ou de l’inertie de solliciter ànouveau l’administration et, devant son refus, engager une nouvelleaction : Conseil d’État 27 mai 2003, no 2938.

Lorsque des tiers ont intérêt à la confidentialité du document dont il estdemandé communication le projet de réforme prévoit la notification durecours à leur égard, ce qui n’est pas le cas actuellement.

La notion de documents administratifs est ainsi définie par la loi 241 enson article 22 « toute représentation graphique, photo-cinématogra-phique, électronique et de tout autre genre, du contenu des actes,même internes, formés par les administrations publiques ou, de toutefaçon, utilisée aux buts de l’activité administrative ». Sont ainsi concer-nés l’ensemble des collectivités territoriales, les établissementspublics, les gérants de service public, même lorsque s’applique unrégime de droit privé. Quant aux actes internes de l’administration :Conseil d’État 9 décembre 1997, no 1489.

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Les limites au droit d’accèsElles sont évoquées à l’article 24 de loi de 1990. Outre des intérêts clai-rement identifiés un certain nombre de limites génériques intervien-nent. Il s’agit tout d’abord des « documents couverts par le secretd’État » aux termes de l’article 12 de la loi du 24 octobre 1977, c’est àdire des actes, documents, activités « dont la diffusion pourrait porterpréjudice à l’intégrité de l’État démocratique, même par rapport à desaccords internationaux, à la défense des institutions mises par la Cons-titution à sa base, au libre exercice des fonctions des organes constitu-tionnels, à l’indépendance de l’État par rapport aux autres États et auxrapports avec ceux-ci, à la préparation et à la défense militaire del’État ». La communication des actes couverts par le secret d’État estsusceptible de sanctions aux termes de l’article 262 du code pénal.

Les autres cas secrets ou de défense de divulgation auxquels l’article24 fait référence sont le secret militaire, le secret industriel, le secretcommercial, le secret professionnel, le secret épistolaire, le secret ban-caire, le secret de l’instruction, le secret statistique.

Outre ces limites législatives, le gouvernement s’est vu attribué la pos-sibilité d’introduire par voie réglementaire d’autres hypothèses d’ex-clusion au droit d’accès en relation avec certains intérêts majeursidentifiés par le législateur : a) politiques monétaires afin d’éviter lesspéculations ; c) ordre public et répression des crimes ; d) vie privéedes tiers, groupes et entreprises. Mais les intéressés ont le droit à lacommunication des actes concernant les procédures administrativesdont la connaissance est nécessaire à la défense de leurs intérêts juridi-ques même s’il s’agit de soi-disant données sensibles. L’intérêt doitalors avoir la consistance d’un droit subjectif ou d’un intérêt légitime.

Le projet de réforme, tout en confirmant la nécessité de garantir audemandeurs « l’accès aux documents administratifs dont la connais-sance est nécessaire pour garder ou défendre leurs propres intérêtsjuridiques » dispose que « dans le cas de documents contenant desdonnées sensibles et judiciaires, l’accès n’est permis que dans les limi-tes où il est strictement indispensable ». Le refus d’accès doit être obli-gatoirement motivé.

Une attention particulière a été apportée par le législateur aux donnéesconcernant la santé l’accès n’étant autorisé que si le droit à faire valoirou à défendre... est de rang au moins égal à celui de l’intéressé « desorte que »la révélation de la donnée n’est pas automatiquementimposée pour le seul fait qu’elle serait nécessaire à l’exercice du droitde demandeur. Elle implique, au contraire, une pondération compara-tive des droits antagonistes« : Conseil d’État, 18 février 2002.

Parmi les limites au droit d’accès, on retiendra la faculté laissée auxadministrations d’en différer l’exercice lorsque la connaissance des

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documents demandés pourrait empêcher ou gravement faire obstacleau bon déroulement de l’action administrative. Cette possibilité évite lerefus d’accès mais laisse à l’administration un large pouvoir pourapprécier la durée de la rétention provisoire des documents.

Le contrôle juridictionnelCe contrôle est exercé par le juge administratif qui a à sa dispositionune procédure spéciale. Le recours contre la décision administrative derefus d’accès sera présenté dans un délai de 30 jours (au lieu de droitcommun) devant le tribunal administratif qui se prononce dans les 30jours de l’échéance du délai de dépôt de la demande. Le tribunal peutordonner la communication selon les mêle modalités en respectant lesmêmes délais.

A coté du contrôle juridictionnel le législateur a prévu en 2000 (loino 340) la possibilité de saisir le Défenseur Civique qui, au cas où il esti-merait illégitime le refus ou le renvoi d’accès, peut inviter l’administra-tion à examiner à nouveau la demande, l’instance étant close sil’administration centrale, la requête puisse être expédiée à la commis-sion pour l’accès qui fonctionne au sein de la Présidence du Conseilavec des fonctions de vigilance et de propositions normatives.

On doit enfin évoquer la possibilité d’agir devant les tribunaux répres-sifs contre le silence injustifié sur une requête d’accès en application del’article 328, alinéa 2 du Code pénal punissant le responsable qui « dansles trente jours de la demande n’accomplit pas l’acte de son office et nerépond pas pour exposer les raisons du retard ». Le refus illégitimed’accès ouvre en outre la possibilité d’une action en indemnisation desdommages éventuellement subis.

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DAVID CAPITANT,professeur à l’université de Paris I

L’exemple allemand

L’Allemagne s’est illustrée par la modernité des modalités démocrati-ques d’exercice du pouvoir qu’elle a su mettre en œuvre de puis laseconde guerre mondiale : contrôle de constitutionnalité extrêmementdéveloppé, place de l’opposition dans les mécanismes parlementaires,large place que la vie politique réserve à l’initiative des citoyens parexemple. Dans le même temps, l’Allemagne est pourtant restée la lan-terne rouge de l’Europe en matière d’accès aux documentsadministratifs.

Ce retard en matière de communication des documents puise proba-blement à plusieurs sources. La première est certainement une fortetradition administrative du secret, tout à la fois protecteur et facteurd’efficacité de l’activité administrative. Le professeur Moderne a mon-tré ce matin que cela n’était pas une tradition uniquement allemandemais qu’une telle culture du secret avait longtemps caractérisé le fonc-tionnement de l’administration française et le président Denoix deSaint Marc a évoqué l’attachement qu’une partie de notre administra-tion lui témoigne aujourd’hui encore. On a rappelé ce matin commenten France, l’adoption de la loi de 1978 avait été largement rendue pos-sible par ce qu’on a qualifié « un complot parlementaire » ayant permisde dépasser les réticences de la Haute Administration ; un tel « com-plot » a probablement manqué en Allemagne, et il faut noter que le pro-jet de loi fédérale relatif à la communication des documentsadministratifs déposé en 2000 est toujours bloqué à l’heure actuelle parl’opposition d’un certain nombre de ministères qui voient d’un mauvaisœil une trop large transparence encadrer leur action.

Une seconde source à ce retard en matière de communication desdocuments administratifs peut être trouvée dans l’importance extrêmequi est accordée en Allemagne à la protection des données personnel-les. Cet attachement plonge ses racines dans l’histoire allemande duXXe siècle, qu’il s’agisse des exactions commises par le régime naziou, plus tard, par la dictature communiste dans l’Est du pays. L’expé-rience du régime totalitaire a conduit à limiter les possibilités pour l’ad-ministration de collecter des informations à caractère personnel et,dans les cas où une telle collecte se révèle indispensable, à limiter stric-tement l’accès aux données ainsi recueillies. Cette réticence à la com-munication des informations détenues par l’administration se nourritégalement aujourd’hui de la crainte de voir ainsi dévoilés des secretsindustriels et commerciaux. Peut-être d’ailleurs les dérives constatées

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à cet égard dans certains États européens renforcent-elles l’hésitationde l’Allemagne à se doter d’une législation similaire.

L’absence d’un droit général d’accèsaux documents administratifs au planfédéral

Aucun texte n’organise actuellement de droit général d’accès aux docu-ments administratif au plan fédéral. Et le principe jurisprudentiel envigueur réserve à l’Administration la faculté de décider discrétionnaire-ment d’autoriser ou de refuser l’accès à ces documents (BverwGE 68,300 ; BverwG DVBl. 1984, p. 1078). Dans un certain nombre de domai-nes particuliers, un droit d’accès existe cependant, par exemple enmatière d’accès au registre du commerce (Handelsgesetzbuch, art. 9),au registre des associations (BGB art. 79) par exemple ; cela n’est pas lecas pour le registre foncier puisque l’accès en est limité aux cas dans les-quels le demandeur peut démontrer que l’accès à ce document lui estnécessaire pour défendre ses intérêts (Grundbuchordnung, art. 12). Laloi sur les documents du service de sécurité de l’ancienne Allemagne del’Est prévoit un régime particulier qui ouvre un droit d’accès pour toutepersonne aux documents la concernant (Stasi-Unterlagengesetz du20 décembre 1991, art. 1er et 12 s.).

Mais en dehors de ces cas particuliers, aucun véritable droit d’accèsn’est garanti, et la loi du 25 mai 1976 qui réglemente la procédure admi-nistrative non contentieuse ne prévoit un droit d’accès aux administrésque dans la mesure où ceux-ci font l’objet d’une procédure administra-tive non contentieuse : soit qu’ils aient adressé une demande à l’Admi-nistration, soit qu’ils s’opposent à une demande qui a été adressée parun tiers à l’Administration, soit qu’ils soient potentiellement visés parune décision administrative unilatérale, soit encore qu’ils soient poten-tiellement des cocontractants de l’Administration (Verwaltungsverfa-hrengesetz, art. 13). Encore faut-il ajouter que dans ce cadre même, cespersonnes n’ont un droit d’accès que dans la mesure où elles peuventprouver qu’elles ont un intérêt juridique, et non pas un simple intérêtfactuel ou commercial, à accéder aux documents ; ceux-ci doivent leurêtre nécessaires pour éclaircir une situation juridique ou encore pourleur permettre de prendre la décision d’introduire un recours (Verwal-tungsverfahrengesetz, art. 29). C’est donc véritablement un intérêt ausens juridique dont il faut faire la preuve pour obtenir la communicationdu dossier. Bien entendu, le droit d’accès est restreint dans les cas où lavie privée d’autrui ou encore des intérêts publics seraient en cause.

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Plus que d’un droit général d’accès aux documents adminsitratifs, ils’agit donc d’un droit élargi à la communication du dossier qui s’inscritdans le cadre des droits de la défense, garantis à l’art. 103 de la Loi fon-damentale.

Il n’existe pas d’organisme comparable à la CADA et en cas de refus decommunication, ce sont les voies de recours classiques qui doiventêtre mises en œuvre afin d’obtenir une annulation du refus ou uneinjonction de communiquer. La jurisprudence a en outre développéune jurisprudence relativement restrictive quant à la recevabilité de telsrecours. Lorsque la décision administrative dans le cadre de laquelle lacommunication a été demandée a été adoptée, le recours peut êtreintroduit de manière indépendante contre le refus de communication(BverwG 27.2 1976, BverwGE 50, 255) ; en revanche, lorsque la déci-sion administrative n’est pas encore adoptée, les tribunaux considè-rent que le refus de communication n’est qu’un acte préparatoireinsusceptible de recours (BverwG 27.5 1981, NJW 1982, p. 120). Unetelle solution a été justement critiquée au motif qu’elle ne permet pas lacomplète information de l’administré et lui interdit notamment depeser les chances de succès d’une éventuelle action au fond.

Les facteurs d’évolution

Le droit communautaire commence d’imposer dans certains domainesl’organisation d’un droit d’accès aux documents administratifs. Parallè-lement, quatre Länder ont institué un droit général à la communicationde ces documents. Au plan fédéral enfin, sous l’impulsion des Vertsnotamment, un projet de loi a été déposé en décembre 2000.

Le droit communautaireLa directive 90/313/CEE du Conseil du 7 juin 1990 concernant la libertéd’accès à l’information en matière d’environnement a naturellementconduit l’Allemagne, dans le cadre de la transposition de cette direc-tive, à prévoir un régime d’accès général aux documents relatifs à l’en-vironnement (loi du 8 juillet 1994, Bundesumweltinformationsgesetz).Ce texte dispose que « chacun dispose d’un libre droit d’accès auxinformations relatives à l’environnement détenues par l’Administra-tion » (art. 4). Le champ d’application en est large puisqu’il concernetous les types d’informations quel qu’en soit le support et que toutesles personnes et groupements peuvent bénéficier du droit de commu-nication. Celle-ci doit avoir lieu dans les deux mois. Un éventuel refusdoit être notifié dans le même délai. Des limitations au droit d’accès

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sont prévues dans le cas où sont en cause les relations internationales, ladéfense nationale ou la sécurité publique, une procédure juridictionnelleou encore les droits de tiers, notamment leurs intérêts économique ou lesecret industriel (art. 7 et 8). En cas de refus de communication ce sont làencore les seules voies classiques de recours qui sont ouvertes.

Le droit des LänderQuatre Länder ont adopté récemment des lois garantissant un droitgénéral d’accès aux documents administratifs, sous réserve bienentendu de la protection des secrets de différentes natures dont il a étédéjà question en France et qui se retrouvent dans la législation alle-mande. C’est d’abord le cas du Brandebourg, un Land de l’ancienneAllemagne de l’Est, et cela probablement n’est pas complètement indif-férent dans la mesure où l’expérience communiste, si, comme on l’arelevé, elle a pu entraîner une certaine méfiance contre la détentiond’informations par l’État, a parallèlement mis en évidence le fait quel’accès de la population à ces informations permettait dans une cer-taine mesure de la contrôler. Le Brandebourg a donc été le premierLand à se doter d’une telle législation (Akteneinsichts – und Informa-tionsgesetz du 10 mars 1998). Il a en outre introduit dans son texteconstitutionnel un art. 21 (droit à la participation politique : Recht aufpolitische Mitgestaltung) aux termes duquel : « Chacun a droit, selonce que prévoit la loi, à l’accès aux dossiers et aux documents des auto-rités et des institutions administratives du Land et des communes,dans la mesure où des intérêts publics ou privés prépondérants ne s’yopposent pas ».

Le Land de Berlin a adopté une loi similaire le 15 octobre 1999, leSchleswig-Holstein le 9 février 2000, la Rhénanie du Nord-Westphaliele 27 novembre 2001, ce qui montre que l’Allemagne de l’Ouest n’estpas insensible à cette évolution. Cependant, ce mouvement sembledésormais tari et des projets similaires ont été rejetés dans de nom-breux Länder, notamment par les majorités ou coalitions dirigées par laCDU ou la CSU, donc par la démocratie chrétienne. Aucun texte nesemble avoir été discuté en Sarre, en Saxe et dans le Mecklem-bourg-Poméranie occidentale. Ces divers textes n’exigent plus que soitrapportée par l’auteur de la demande de communication la preuve d’unintérêt juridique à protéger ; c’est donc bien un droit général d’accèsqui se trouve ainsi organisé.

En cas de refus de communication, les voies normales de recours doi-vent être mises en œuvre, mais des institutions spécifiques de média-tion ont été mises en place qui peuvent adresser des recommandationsà l’administration. En tout état de cause, une opposition comparable àcelle à laquelle il a été fait allusion ce matin et qui peut-être a pu existerà une certaine époque entre la CNIL et la CADA, ne saurait exister en

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Allemagne puisque dans les Länder, c’est le service ou l’organismechargé de la protection des données contenues dans des fichiers quis’est vu attribuer en sus l’activité de contrôle de la bonne applicationdes législations permettant l’accès aux documents administratifs.

Le projet de loi fédéraleAu plan fédéral, un projet de loi sur la liberté de l’information (Informa-tionsfreiheitsgesetz) a été déposé le 20 décembre 2000 par l’actuellecoalition rouge-verte dirigée par le parti socialiste allemand (SPD). Ledépôt de ce projet de loi avait été inclus dans l’accord de coalition avecles Verts, mais celui-ci n’a pas abouti à l’heure actuelle, victime princi-palement de l’hostilité des ministères fédéraux, notamment des minis-tères de l’Intérieur, de la Défense et des Finances. Le parti écologiste acependant procédé à une relance politique de ce projet au mois de juin2003, de sorte qu’il est possible que ce projet aboutisse dans le cadrede la prochaine session parlementaire. Le modèle retenu par le projetest très proche de celui qui est en vigueur dans les quatre Länderprécités.

La pratique

Il est encore relativement difficile d’avoir une vision générale des prati-ques en matière de communication des documents administratifs enAllemagne en raison du caractère récent des organismes de contrôleexistant. Les rapports établis par ces organismes ne sont pas structu-rés de manière homogène, les informations sont parfois lacunaires.

Leur consultation laisse cependant apparaître les grandes caractéristi-ques de la question dans le cadre allemand.

Une étude menée par le Land de Schleswig-Holstein auprès des admi-nistrations locales et rapportée dans le rapport 2002 de l’autorité de con-trôle du Land (Unabhängiges Landeszentrum für DatenschutzSchleswig-Holstein) semble indiquer que ces administrations localesauraient répondu favorablement à plus de 90 % aux demandes de com-munication, et cela dans un délai inférieur à une semaine dans 90 % descas ; ces résultats semblent indiquer l’efficacité extrême des nouvellesdispositions organisant la communication des actes administratifs. Cesrésultats encourageant sont renforcés encore par l’analyse que contientle rapport 2002 de l’autorité de contrôle du Land de Brandebourg (Lan-desbeauftragte für den Datenschutz und für das Recht auf AkteneinsichtBrandenburg) : dans les cas de refus de transmission ayant donné lieu àune saisine de l’autorité, la communication a finalement eu lieu dans

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plus de la moitié des cas. Dans moins de 20 % des cas, les demandesse heurtaient effectivement à une impossibilité de communiquerprévue par la législation, ce qui laisse donc supposer que 30 % des avisrendus dans le sens de la communication n’ont pas été suivis par lesadministrations locales.

S’agissant des domaines dans lesquels les demandes ont été faites,aucun élément chiffré n’est disponible. Il apparaît cependant qu’il s’agitprincipalement du droit de l’urbanisme et du droit communal. L’objectifcontentieux qui a pu être mis en évidence pour la France semble égale-ment être l’objectif principal des personnes qui demandent communi-cation en Allemagne. Les rapports insistent sur le fait qu’il s’agitsouvent pour les administrés qui demandent communication de docu-ments d’évaluer les chances de succès d’une éventuelle action en res-ponsabilité dirigée contre l’Administration.

Enfin, il faut relever le fait que les questions qui sont traitées ou misesen évidence comme des décisions typiques dans les rapports de cesorganismes de contrôle institués au sein de certains Länder montrentla jeunesse de ces mécanismes ; il s’agit par exemple de savoir si desnotes manuscrites jointes à un dossier font partie des documents com-municables ou non ; ou encore de déterminer quels documents relatifsà un appel d’offre ouvert dans le cadre d’une procédure de passationde marché public sont communicables.

Ce bref tour d’horizon permet ainsi de conclure au retard de l’Alle-magne en matière de communication des documents administratifs auregard des autres États européens. Quatre Länder ont institué un droitgénéral d’accès garanti par des autorités indépendantes de contrôle ;au plan fédéral en revanche, l’opposition administrative est encoreforte et tient pour l’instant en échec la volonté politique qui sembles’affirmer d’étendre les obligations de communication. Cependant,l’influence du droit européen conduira certainement dans les annéesqui viennent à une évolution de la législation et à la mise en place d’undroit général d’accès aux documents administratifs.

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Professeur GÉRARD DRUESNE,directeur général de l’Institut européen d’administration publique (IEAP)à Maastricht (NL)

Le régime communautaire d’accèsaux documents

La transparence des travaux des institutions européennes et la recon-naissance au bénéfice des citoyens d’un véritable droit d’accès à leursdocuments sont aujourd’hui des nécessités largement admises, etfigurent en bonne place dans les documents politiques récents les plusimportants. Ainsi le projet de Traité établissant une Constitution pourl’Europe, adopté les 13 juin et 10 juillet derniers par la Convention pré-sidée par Valéry Giscard d’Estaing et qui est présentement soumis à laConférence intergouvernementale qui vient de s’ouvrir à Rome, com-porte un article 49 intitulé ‘’Transparence des travaux des institutionsde l’Union’’, aux termes duquel tout citoyen de l’Union ou toute per-sonne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dansun État membre dispose d’un ‘’droit d’accès aux documents des insti-tutions, des organes et des agences de l’Union, quelle que soit la formedans laquelle ils sont produits’’. Cette rédaction est reprise de la Chartedes droits fondamentaux, proclamée lors du Conseil européen de Nicede décembre 2000, et qui constitue désormais comme l’on sait la partieII du projet de Constitution européenne.

Cette notion de droit d’accès est pourtant récente, et elle est apparuesur la scène européenne il y a seulement une dizaine d’années, sous ladouble pression de pays comme le Danemark et les Pays-Bas, sou-cieux de rendre l’Europe plus proche des citoyens, et du Parlementeuropéen, qui n’admettait pas le relatif secret entourant le travail légis-latif du Conseil. Le point de départ du processus peut être fixé au Traitésur l’Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, ou plutôt àl’une des 31 ‘’Déclarations’’adoptées par la Conférence intergouverne-mentale. La Déclaration n° 17 est en effet relative au ‘’droit d’accès àl’information’’, et affirme que ‘’la transparence du processus décision-nel renforce le caractère démocratique des institutions ainsi que laconfiance du public envers l’administration’’. Elle fait donc recomman-dation à la Commission de soumettre au Conseil, au plus tard en 1993,un rapport sur des ‘’mesures visant à accroître l’accès du public à l’in-formation dont disposent les institutions’’. Un tel texte n’avait évidem-ment aucun caractère contraignant, les ‘’Déclarations’’ne faisant paspartie du Traité lui-même, mais l’impulsion politique était donnée : fin1993, le Conseil et la Commission adoptaient effectivement un ‘’codede conduite’’, ainsi que plusieurs décisions organisant la mise en

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œuvre du droit d’accès du public aux documents administratifs. Maisces textes allaient rapidement susciter un important contentieuxdevant les juridictions communautaires.

C’est d’abord le rédacteur en chef de la rubrique européenne du journal‘’The Guardian’’qui saisit le Tribunal de Première Instance, parce que leConseil lui avait refusé l’accès à des rapports préparatoires, comp-tes-rendus et détails des votes d’un certain nombre de réunions, etdans un arrêt du 19 octobre 1995, le Tribunal annule le refus du Conseil.Puis c’est la section britannique du Fonds Mondial pour la Nature – leWWF – qui se plaint de ce que la Commission lui a refusé l’accès à cer-tains documents relatifs notamment à l’utilisation des financementsdes Fonds structurels, et là encore le Tribunal de Première Instanceannule le refus de la Commission dans un arrêt du 5 mars 1997. Et il enva ainsi alors même que les documents réclamés touchent à laconduite des relations internationales, c’est-à-dire un domaine où lanécessité de la confidentialité paraît peu contestable. La présidente fin-landaise du Groupe des Verts au Parlement européen, Heidi HAUTALA,avait ainsi demandé au Conseil communication d’un rapport duGroupe de Travail sur l’exportation des armes conventionnelles, et leConseil avait refusé afin de protéger l’intérêt public lié aux relationsinternationales. Dans un arrêt du 19 juillet 1999, le Tribunal de PremièreInstance a bien rejeté l’argument selon lequel la communication dudocument ne porterait pas atteinte à l’intérêt public mais il a considéréqu’une communication partielle devait être faite après que le Conseilait supprimé les passages dans le rapport dont la divulgation pouvaitperturber la conduite des relations internationales. Le Conseil fit appel,mais la Cour de Justice confirma la solution de Première Instance dansun arrêt du 6 décembre 2001.

Sur le plan normatif, c’est le Traité d’Amsterdam qui devait fournir unebase juridique formelle en introduisant un nouvel article 255, qui confèreà tout citoyen un droit d’accès aux documents du Parlement européen,du Conseil et de la Commission. Il donne compétence au Conseil pourfixer, selon la procédure de codécision, les principes généraux et limitesqui, pour des raisons d’intérêt public ou privé, régissent l’exercice de cedroit, et invite chaque institution à élaborer dans son règlement intérieurdes dispositions particulières concernant l’accès à ses propres docu-ments. Parallèlement l’article 1 du Traité était modifié conformément àcette philosophie, pour indiquer que ‘’les décisions sont prises dans leplus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près pos-sible des citoyens’’. C’est donc sur la base de ce nouvel article 255 qu’aété adopté le règlement du Parlement européen et du Conseil du 30 mai2001, applicable depuis le 3 décembre 2001, qui détermine le régimeactuellement applicable à l’accès du public aux documents. Les trois ins-titutions devaient ensuite adapter en conséquence leur règlement inté-rieur, ce qu’elles ont fait en novembre et décembre 2001.

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Quelles sont les grandes lignesde ce régime ?

1. Le droit d’accès est reconnu à tout citoyen de l’Union et à toute personnephysique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre.

2. Il s’applique à tous documents quel que soit leur support (papier,message électronique, enregistrement sonore, visuel ou audiovisuel),détenus par le Parlement européen, le Conseil ou la Commission,c’est-à-dire non seulement ceux établis par une des institutions maisaussi ceux reçus par elle et en sa possession, dans tous les domainesd’activités de l’Union européenne.

3. Le principe est donc le droit d’accès, mais il supporte trois catégoriesd’exception :a. première catégorie : les institutions refusent l’accès à un documentdans le cas où la divulgation porterait atteinte à la protection : soit del’intérêt public, en ce qui concerne la sécurité publique, la défense etles affaires militaires, les relations internationales, la politique finan-cière, monétaire ou économique de la Communauté ou d’un Étatmembre ; soit de la vie privée et de l’intégrité de l’individu, notammenten conformité avec la législation communautaire relative à la protec-tion des données à caractère personnel (il s’agit d’une directive du24 octobre 1995 et d’un règlement du 18 décembre 2000). La référenceà l’intérêt public ou à la vie privée justifie donc la protection la plus fortede la confidentialité, puisqu’elle habilite l’institution à refuser purementet simplement l’accès à un document ;b. la deuxième catégorie d’exception vise la protection des intérêtscommerciaux des personnes physiques ou morales (y compris la pro-priété intellectuelle), les documents établis dans le cadre de procédu-res juridictionnelles, les avis juridiques reçus par une institution, ainsique la protection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête etd’audit. Mais le niveau de protection est ici moins élevé puisque si lesinstitutions peuvent refuser l’accès à un document, c’est ‘’à moinsqu’un intérêt public supérieur ne justifie sa divulgation’’ ;c. enfin la troisième catégorie d’exceptions concerne les documentsinternes à une institution, dont elle peut refuser la divulgation dès lorsque celle-ci porterait gravement atteinte au processus décisionnel del’institution. Mais il ne s’agit pas d’un pouvoir discrétionnaire de l’insti-tution puisque ici encore le document devra être divulgué si un intérêtpublic supérieur le justifie. Le règlement précise que le fait d’invoquer àbon escient une exception n’entraîne pas nécessairement le non-com-munication du document demandé : si une partie seulement de celui-ciest concernée par l’exception, les autres parties du document doiventêtre divulguées. La portée pratique de cette divulgation partiellesemble cependant limitée par la jurisprudence. Sur la base d’une dis-position comparable de l’ancien code de conduite, le Tribunal de Pre-mière Instance a jugé dans un arrêt Mattila du 12 juillet 2001 que si le

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retrait d’un certain nombre de dispositions du document entraînait unecharge administrative excessive, l’institution pouvait refuser l’accèssans pour autant méconnaître le principe de proportionnalité.

4. Le droit d’accès s’applique également – et c’est une innovationmajeure par rapport aux dispositions antérieures – aux documentsémanant de tiers, c’est-à-dire toute personne ou entité extérieure àl’institution concernée, ce qui inclut les États membres, les autres insti-tutions et organes communautaires ou non-communautaires, et lespays tiers. Lorsqu’un tel document est demandé, l’institution décide dele divulguer si elle considère qu’aucune exception n’est applicable,sauf si elle estime que la situation n’est pas claire auquel cas elleconsulte le tiers auteur du document. Mais même si l’auteur s’oppose àla divulgation, l’institution peut tout de même y procéder si elle a laconviction qu’aucune exception n’est applicable, à condition de l’infor-mer préalablement de son intention, le tiers pouvant alors engager uneprocédure pour s’opposer à cette divulgation. Un cas particulier estcelui du document émanant d’un État membre, que celui-ci peutdemander à l’institution de ne pas divulguer sans son accord préalable.

5. Quelle est la procédure à suivre pour avoir accès à un document ? Lademande doit être présentée sous forme écrite, y compris par desmoyens électroniques, et l’institution doit y répondre dans un délai de15 jours ouvrables, soit en octroyant l’accès au document, soit en indi-quant les motifs de son refus total ou partiel. Dans ce dernier cas (ainsiqu’en l’absence de réponse dans le délai requis), le demandeur peutadresser à l’institution une demande confirmative tendant à ce quecelle-ci révise sa position. Elle a à nouveau 15 jours seulement pourrépondre (l’absence de réponse étant ici encore considérée comme unrejet de la demande), et si elle confirme son refus, elle doit informer ledemandeur des deux voies de recours dont il dispose : soit former unrecours devant le Tribunal de Première Instance, soit adresser uneplainte au Médiateur. Afin de faciliter l’exercice du droit d’accès, lerèglement fait obligation à chaque institution de rendre accessible sousforme électronique un registre, qui contient pour chaque document unnuméro de référence. Lorsque l’accès direct n’est pas fourni par leregistre, celui-ci indique autant que possible où se trouve le document.D’une manière générale, la réalité du droit d’accès dépend aussi de labonne volonté de l’institution. En 2000, dans le cadre de la discussionde la proposition de directive sur le tabac, la société British AmericanTobacco a demandé à la Commission un certain nombre de docu-ments, relatifs à l’évaluation de la recherche scientifique internationale.Devant son peu d’empressement elle a saisi le TPI, et la Commission aalors fait preuve d’une singulière énergie. D’abord, elle retrouve etcommunique la veille-même de l’audience prévue pour l’audition destémoins les procès-verbaux pertinents des réunions du comité desexperts cancérologues, et après que l’un de ces témoins ait attesté par

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écrit de l’existence de ces documents. Ensuite la Commission varetrouver et communiquer à la requérante quelques minutes seule-ment avant le début de l’audience un document dont elle avait jusque làrégulièrement nié l’existence.

Dans un arrêt du 25 juin 2002 (British American Tobacco c/ Commis-sion), le Tribunal rejette le recours comme étant sans objet puisque lesdocuments ont finalement été communiqués, mais observe qu’euégard au comportement particulièrement regrettable de la Commis-sion, celle-ci devra supporter, outre ses propres dépens, ceux exposéspar la requérante. ‘’

6. Le règlement ne prévoit le droit d’accès qu’aux documents du Parle-ment, du Conseil et de la Commission, mais dans une Déclaration com-mune publiée au Journal Officiel du 27 juin 2001, les trois institutionsconviennent que le dispositif s’impose également aux différentesagences communautaires décentralisées. Le Conseil a adopté le 18 juin2003 quinze règlements (JO, n° L 245 du 29 septembre 2003), qui ren-dent le règlement de 2001 applicable aux agences et prévoient lesrecours contre un refus d’accès aux documents.

La Déclaration invite également les autres institutions et organes commu-nautaires à adopter les mêmes règles internes en ce qui concerne leurspropres documents ; c’est ce qu’ont fait par exemple en 2003 les deuxorganes consultatifs de l’Union : le Comité des Régions par décision du11 février, le Comité Economique et Social par décision du 1er juillet.

7. Le droit d’accès s’étend à ce qu’on appelle les ‘’documents sensi-bles’’, c’est-à-dire émanant des institutions ou agences communautai-res, des États membres, de pays tiers ou d’organisationsinternationales, et qui sont classés ‘’très secret, secret ou confidentiel’’,de manière à protéger les intérêts fondamentaux de l’Union euro-péenne ou des États membres dans le domaines déjà mentionnés tou-chant à l’intérêt public, en particulier la sécurité publique, la défense etles questions militaires. Un citoyen peut donc parfaitement demanderl’accès à un tel document sensible, et une institution ne peut le refuserque pour l’un des motifs prévus dans le règlement. En d’autres termes,elle doit réexaminer la confidentialité du document et si aucune desexceptions prévues n’est ou n’est plus applicable, elle doit le dé-classi-fier et le divulguer. Si un document sensible émane d’une tierce auto-rité, cependant, il ne peut être inscrit au registre de l’institution oudélivré qu’avec l’accord de l’autorité d’origine.

Quel bilan peut-on dresser de l’applicationdu règlement du 30 mai 2001 en 2002 ?

La Commission a reçu 991 demandes initiales (soit plus du double quel’année précédente), et 96 demandes confirmatives ; sur l’ensemble dela procédure, la proportion de réponses négatives est de 30 % en

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tenant compte des documents divulgués partiellement, mais monte àprès de 38 % si on ne retient que ceux dont la divulgation a été totale.Par domaine, les demandes les plus nombreuses concernent laconcurrence (12,7 % de l’ensemble) et les procédures d’infraction, sui-vies par la fiscalité et l’union douanière (10.6 %) et le marché intérieur(10,3 %).

Par profil professionnel des demandeurs, les cabinets d’avocats repré-sentent 22 %, la société civile 18 % (y inclus les milieux industriels etles lobbies), et les universitaires 12 %, tandis que les demandes éma-nant de citoyens ou de personnes n’agissant pas de manière expliciteau nom d’une organisation représentent 32 %. Enfin si on considère lesmotifs invoqués pour refuser l’accès, une forte proportion concerne laprotection des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit(36 % des refus de demandes initiales, 30 % des refus de demandesconfirmatives). La Commission indique par ailleurs que ne figure auregistre aucun document ‘’sensible’’au sens du règlement.

Au Conseil, ce sont 2491 demandes initiales qui ont été reçues (ce quireprésente comme à la Commission un doublement par rapport à2001), ainsi que 44 demandes confirmatives. Globalement, la propor-tion de réponses négatives est de seulement 11 % si on inclut les docu-ments divulgués partiellement, et de 22 % si on ne retient que ceuxdont la divulgation a été totale.

Par domaine la justice et les affaires intérieures concentrent 1/4 desdemandes, et le marché intérieur 14,5 %, les demandeurs les plusnombreux étant la société civile (milieux industriels et groupes de pres-sion : 27,5 %), suivie par le monde universitaire (26 %) et les avocats(10,5 %).

Le principal motif invoqué au Conseil pour refuser l’accès est la protec-tion du processus décisionnel du Conseil (28 % des demandes initia-les, 37 % des demandes confirmatives), suivie de la protection del’intérêt public en ce qui concerne les relations internationales et en cequi concerne la sécurité publique (respectivement 24 et 23 % desdemandes initiales). Il est intéressant d’observer qu’au stade desdemandes confirmatives la protection des procédures juridictionnelleset des avis juridiques vient au deuxième rang des motifs de refus(25 %). C’est un point clé de la philosophie du Conseil : il estime qu’iln’a pas à divulguer les avis de son service juridique, qui lui permettentde s’assurer de la conformité de ses actes au droit communautaire, etque s’il était privé de cet instrument, l’efficacité de ses travaux s’entrouverait compromise. Quant aux documents ‘’sensibles’’, le Conseilen a produit 250 (238 classés confidentiel, 12 classés secret et aucuntrès secret), dont 77 (tous classés confidentiel) font l’objet d’une men-tion au registre. Le Parlement européen enfin a reçu 637 demandes, etla communication n’a été refusée que dans 1 % des cas. La Commis-sion des libertés et des droits du citoyen du Parlement a examiné en

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juin 2003 un rapport d’initiative, dans lequel le rapporteur (britannique)formule un certain nombre de recommandations dont certaines assezsensibles :– d’abord que les documents du Conseil européen lui-même, réunis-sant les chefs d’État et de gouvernement, soient aussi couverts par lerèglement sur l’accès ;– s’agissant de la Commission, le droit d’accès devrait être étendu auxactes préparatoires à la législation déléguée, en particulier les docu-ments liés à la procédure de comitologie, c’est-à-dire ceux qui transi-tent par les nombreux comités associés au processus décisionnel de laCommission ;– toujours à propos de la Commission, le rapport juge inacceptable lefait que celle-ci justifie dans 38 % des cas son refus en invoquant des‘’exceptions diverses et exceptions non spécifiées’’ ;– quant au Conseil, il devrait permettre l’identification des positionsdes différentes délégations nationales à l’intérieur de son propreprocessus décisionnel (elles sont systématiquement supprimées, àl’exception des réserves d’ordre purement procédural ou linguistique).Il devrait également permettre l’accès aux avis juridiques ;– enfin le rapport recommande la mise en place d’un registre unique,commun à l’ensemble des institutions.

Le débat est donc lancé et pourrait prochainement faire évoluer le dis-positif puisque la Commission doit publier avant le 31 janvier 2004 unrapport sur la mise en œuvre du règlement et formuler des recomman-dations, y compris en vue de sa révision.

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Clôture de la première journée

Allocution de M. HENRI PLAGNOL,secrétaire d’État à la Réforme de l’État

Tous les citoyens en contact avec l’administration connaissent désor-mais la loi promulguée le 17 juillet 1978 par le Président Giscardd’Estaing, dont ils savent qu’elle a marqué une étape importante del’amélioration des relations entre l’administration et les citoyens.

Née d’une initiative parlementaire, cette loi a posé le principe généraldu libre accès des personnes aux documents qui les concernent,d’abord, et à l’ensemble des documents émis par l’administration,d’une manière beaucoup plus générale. C’est une date essentielle entermes de réforme de l’État : la naissance de l’un des pans de « la trans-parence administrative », pour reprendre le titre d’un ouvrage impor-tant publié à l’époque par trois de mes collègues du Conseil d’État.

Peu à peu, au gré des réformes successives (de la loi de 1979 à celle de2000), le dispositif légal s’est affiné et perfectionné, dotant la CADAd’un rôle majeur dans la définition du droit d’accès.

Parallèlement, et justement dans le prolongement des solutions ambi-tieuses et subtiles inventées par la CADA au fur et à mesure de ladécouverte de l’application concrète de la communication des docu-ments administratifs, la jurisprudence a peu à peu tracé les contours etles frontières de ces deux intérêts d’égale importance : la libertéd’accès des personnes, d’un côté, et le respect des secrets protégéspar la loi, de l’autre.

On peut raisonnablement estimer, notamment à l’écoute des très richestravaux de ce colloque, que les objectifs de transparence, de simplifica-tion et de protection des données personnelles ne sont aujourd’hui pasméconnus, même si l’on ne dispose pas toujours d’estimation assez pré-cise du nombre de documents demandés et transmis.

J’ai cependant le sentiment que certains aspects de la législation pour-raient encore être améliorés ou mieux adaptés à l’attente de noscitoyens. C’est ainsi que l’on peut, selon moi, envisager trois pistes deréforme, qui sont encore à l’état d’ébauche, et qui devront être discu-tées et affinées avec les principales parties prenantes de ces questionsde communication de documents.

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Je vous livre donc sans filet, en prenant par conséquent le risque dedevoir en modifier l’orientation, voire y renoncer, et en tous cas d’avoirà en étudier l’impact de manière plus approfondie.

1 – Une première piste serait d’aller encore un peu plus loin dans laconsécration législative de la jurisprudence du Conseil d’État, dont onsait qu’elle est le plus souvent reprise des solutions initiées par la CADA.

Cette rubrique mérite certainement d’être expertisée plus avant, maisje puis déjà en donner un exemple : lorsqu’un document est pour l’es-sentiel communicable, mais qu’il comporte des mentions couvertespar le secret, l’administration doit en donner communication partielle.Cette solution décidée de longue date par la CADA, et appliquée par lejuge, ne figure pas expressément dans la loi, ce qui nous a valu récem-ment d’être condamné par la Cour européenne (de Luxembourg), à torten ce qui concerne l’application du droit, mais sans doute à raison sil’on prend compte sa lisibilité, à laquelle nous devons nous attacherchaque jour davantage.

Cette consécration législative figurait dans l’élaboration dynamique dufutur code de l’administration, texte qui rassemblera les textes d’orga-nisation et de procédures administratives et dont la constitution offriraune occasion intéressante de toilettage et de mise en cohérence destextes en vigueur.

2 – Une deuxième piste de réflexion serait de simplifier et d’uniformi-ser les procédures législatives de communication des documents,qui échappent encore au dispositif de la loi du 17 juillet 1978.

La loi du 12 avril 2000 a déjà élargi sensiblement le champ d’applicationde la loi du 17 juillet 1978. Je peux citer les refus de consultation d’ar-chives publiques, la communication des documents communaux, lacopie de la liste électorale, l’accès au rôle des contributions.

Le bilan de cette réforme est positif, mais il semble aujourd’hui possibled’aller plus loin et de rechercher une intégration plus complète permet-tant d’aboutir à un accès plus simple et plus lisible pour l’usager.

Il conviendrait de mener, à partir de l’expérience des praticiens, uneétude rapide permettant de juger de la pertinence du maintien de cer-tains régimes dérogatoires, ou au contraire de la nécessité de leurfusion dans le régime général d’accès. Je sais que la CADA y travaille.J’attends de sa part des propositions précises et argumentées afin desaisir mes collègues du Gouvernement.

La loi d’habilitation permettant de simplifier le droit par ordonnancetrouverait là une application tout à fait opportune. Il conviendrait defaire entrer dans la compétence de la CADA les lois concernant les régi-mes spéciaux pour essayer d’unifier autant que faire se peut tant lesrègles de procédure que les règles de fond.

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3 – La troisième piste de réflexion porte sur la réduction des délais decommunication.

En dépit des améliorations et des clarifications apportées par les modi-fications successives de la loi de 1978, force est de constater que lesrègles fixées par cette loi sont encore souvent mal appliquées par cer-taines administrations et que le dispositif légal (saisine de l’administra-tion, puis de la CADA, puis du juge) reste lourd au regard des enjeuxparfois modestes des demandes de communication de documentsadministratifs.

Les délais ont certes été réduits pour faire naître la décision implicite derejet ; la commission rend son avis également en un mois, la saisine dujuge est possible très rapidement et, théoriquement le juge doit statuerdans un délai de six mois – ce délai en pratique respecté très inégale-ment.

Pour améliorer cette situation, il est nécessaire de trouver les moyensde rendre plus rapide et plus efficace le contrôle juridictionnel exercésur l’administration, lorsque celle-ci méconnaît les dispositions de la loide 1978. A cet égard plusieurs pistes de réformes peuvent être débat-tues :– on pourrait en premier lieu réduire encore le délai imparti au jugepour statuer. Par exemple en le ramenant de six à deux ou trois mois.Néanmoins une telle initiative n’aura un réel impact que si son applica-tion est effective, ce qui implique une réflexion sur les moyens juridi-ques et humains mobilisés à cette fin. Peut-on envisager par exempleun dessaisissement automatique du tribunal qui n’a pas statué ?– en second lieu, je crois que la réussite de la réforme de 2000 qui asubstitué un jeune et vigoureux référé à l’ancien sursis à exécution peutouvrir une autre voie à la réflexion. On pourrait ainsi réfléchir à l’ajoutau code de justice administrative d’une nouvelle procédure d’urgencespécifiquement adaptée à la communication des documents.

L’ensemble de ces mesures permettrait, à mon sens, de mieux fairerespecter le droit à la communication des documents administratifs, ledroit à la transparence.

Si le cadre juridique posé en 1978 s’est progressivement précisé sansbouleversement majeur – preuve de la justesse des choix initiaux et belexemple de réforme réussie alors qu’elle avait été déclarée « impos-sible » pendant de nombreuses années, en revanche le cadre tech-nique dans lequel s’exerce la diffusion des données administratives asensiblement changé depuis lors. Il y a d’ailleurs une contradictiongrave entre les principes qui régissent la diffusion (Loi CADA) et ceuxqui protègent les données personnelles des individus (loi Informatiqueet Libertés). Dans le premier cas, ils reposent sur le principe de transpa-rence alors que dans le second la confidentialité est la règle.

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En outre, l’utilisation des données publiques à des fins commercialespose de nombreux problèmes en matière de protection des donnéespersonnelles.

En voici quelques exemples :– exploitation et revente des données du Registre du commerce et dessociétés ;– exploitation des banques de données jurisprudentielles à des fins deconstitution de profils.

L’article 10 de la loi de 1978 interdit explicitement l’usage à des finscommerciales des documents communiqués. Toutefois la portée decette prohibition est limitée par l’absence de sanction et de contrôle.

Les restrictions à la communication des données posée par la loi du17 juillet 1978 ne couvrent toutefois pas toutes les atteintes aux person-nes qui peuvent en résulter et le principe de publicité qui s’applique auxdonnées publiques doit être concilié avec la protection des donnéespersonnelles assurée par la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier1978.

Je pense au droit de s’opposer à ce que des informations nominativesfassent l’objet d’un traitement – sauf traitement automatisé opéré pourle compte de l’État, d’un établissement public, d’une collectivité territo-riale ou d’une personne morale de droit privé gérant un service public.

L’utilisation à des fins commerciales des données publiques nominati-ves collectées à des fins administratives est aujourd’hui un détourne-ment de finalité du traitement.

En l’état, la loi Informatique et Libertés, qui doit être conciliée avec la loiCADA, ne permet pas de faire obstacle, « en amont », à l’exploitation desdonnées issues des registres publics par des sociétés commerciales. Deplus elle ne fait pas obligation au responsable du fichier, qui recueilleauprès de tiers des informations nominatives aux fins de traitement,

d’en avertir la personne concernée 1. Enfin, les dispositions de la loi nes’appliquent qu’aux personnes physiques et non aux personnes mora-les qui peuvent elles aussi, être « victimes » de telles exploitations.

A terme la transposition de la directive du 24 octobre 1995 en droitinterne devrait résoudre ce problème puisqu’elle prévoit pour toutepersonne le droit d’être informée avant que des données à caractèrepersonnel ne soient pour la première fois communiquées à des tiers ouutilisées pour le compte de tiers à des fins de prospection et de se voirexpressément offrir le droit de s’opposer, gratuitement, à ladite com-

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1 V. Crim 25 oct. 1995, Bull. crim.1995, no 320, p. 890.

munication ou utilisation 1. Cet article est à même de s’appliquer auxfichiers de prospects constitués à partir de données publiques et doncà l’insu des personnes concernées.

Le projet de loi de transposition reprend sans la modifier cette disposi-tion de la directive. Il a été examiné en première lecture par l’Assembléenationale et le Sénat.

Dans l’attente de la transposition de la directive, seules quelques solu-tions ponctuelles à ce problème sont envisageables, étant entendu quele contrôle a posterior des usagers de ces fichiers se révèle difficile :– la solution la plus simple serait de donner la possibilité aux person-nes concernées de s’opposer à ce qu’une utilisation commerciale ensoit faite au moment de leur enregistrement, en reprenant le systèmede la case à cocher préconisé par la CNIL dans le secteur privé. Par prin-cipe on peut considérer que les citoyens sont considérés comme « nonsollicitables » sauf accord explicite ;– il est également envisageable de prévoir des clauses contractuellesentre le cessionnaire d’une base de données publiques et le cédant parlesquelles ce dernier s’engage à ne faire certains usages des données ;– faut-il prévoir l’anonymisation de certaines données publiques tellesque les décisions de jurisprudence par exemple ? Cette anonymisationest actuellement demandée par la CNIL pour les sites publics d’infor-mation juridique, c’est le cas de Légifrance, mais elle est très coûteuse.L’arrêt Blanco deviendra peut-être l’arrêt B... ;– il serait également possible d’envisager à la charge de chaque ces-sionnaire de données publiques d’éditer une liste des sociétés ayantacquis la liste pour permettre aux personnes concernées d’exercerleurs droits d’opposition, d’accès et de rectification. (Nous sommes làdans le cas le moins contraignant, le plus contraignant serait de préve-nir les personnes directement...) ;– une interdiction prévue et sanctionnée par un texte plus général rela-tif à la communication des données publiques peut enfin être envisa-geable à plus long terme, mais il ne faudrait pas que cela interfère avecla transposition de la directive de 1995 ;– il convient enfin de porter une attention particulière, lors de la ces-sion des données, aux risques d’exploitation de celles-ci vers des paysn’assurant pas un niveau de protection adéquat au sens de la directivedu 24 octobre 1995 (Safe Harbour) ;– enfin, il convient de s’interroger sur l’autorité chargée de réguler cedispositif dont on voit bien qu’il comporte un enjeu déontologique,économique et culturel considérable.

L’accès ainsi que la modification des données issues des administra-tions est l’un des éléments clés de la confiance des citoyens. Or cetteconfiance est l’une des bases du développement de l’administration

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1 V. art 14 de la directive.

électronique ainsi que d’une manière générale du développement destransactions commerciales sur Internet. Nous devons veiller à concilierles intérêts de l’ensemble des acteurs qu’il s’agisse des citoyens maisaussi des entreprises.

Au terme de cette intervention, je voudrais dire à quel point ces25 années ont montré la permanence dans les objectifs et dans la mis-sion qui était confiée par le législateur à la CADA Mme la Présidente, eten même temps l’extraordinaire capacité d’adaptation fondée très lar-gement sur le génie d’une jurisprudence qui s’adapte aux cas d’espèce,et je crois qu’il faut résister en cette matière comme dans tellementd’autres dans un monde dans lequel les technologies et les mécanis-mes économiques se renouvellent sans cesse, à la tentation de légifé-rer trop vite et trop loin. Ne fabriquons surtout pas une usine à gaz,confortons ce qui marche, inspirons nous des acquis des 25 années dela jurisprudence, faisons confiance à l’adaptabilité du droit à celle deshommes et des femmes qui animent le service public et surtout faisonsmieux connaître l’œuvre considérable réalisée pour qu’elle se traduiseauthentiquement dans la vie quotidienne de nos concitoyens.

Merci.

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Prix du meilleur mémoire

MICHÈLE PUYBASSET

Présidente de la CADA

La CADA a bénéficié, pour éclairer les sujets étudiés lors du colloque« transparence et secret » organisé par l’IFSA, pour le 25e anniversairede la loi du 17 juillet 1978 des travaux de sept étudiants de Diplômed’Etudes Approfondies qui lui ont remis leurs mémoires.

Quatre étudiants ont fait leur recherche en 2001-2002 sous la houlettede Mme Roselyne Letteron, professeur de droit public à l’Université deParis XIII et directeur du centre d’études et de recherches administrati-ves et politiques.

Ce sont Sophie Bedu qui s’est intéressée au dossier médical, AnneLesur qui a travaillé sur l’accès aux origines, Aurélie Rives qui a étudiél’accès aux archives publiques non librement communicables et VirginieVendiamini qui a fait son mémoire sur l’accès aux documents du minis-tère de la Défense.

Trois étudiants ont fait leur DEA en 2002-2003 sous la direction deM. Jacques Chevallier, professeur à l’Uniservité Paris II et directeur ducentre d’études et de recherche en science administrative.

Ce sont Philippe Berrached qui a étudié les correspondants de laCADA, Florence Boizard qui s’est intéressée aux suites réservées auxavis de la CADA et Sophie Chevrolle qui a fait un mémoire sur les usa-gers de la CADA.

Il a été décidé par le comité de pilotage du colloque qu’un prix seraitattribué au meilleur mémoire, après étude par un jury composé de quatremembres de la CADA à savoir, la présidente Michèle Puybasset, lereprésentant de la Cour de Cassation M. Jean-Pierre Dintilhac, lereprésentant de la Cour des comptes M. Philippe Limouzin-Lamothe et ledirecteur de la Documentation française, Mme Sophie Moati.

Les sept mémoires nous ont beaucoup intéressés. Ils sont déjà ouseront mis en ligne sur le site internet de la CADA.

L’un d’eux a été distingué comme le meilleur, à l’unanimité des quatremembres du jury : c’est celui de Sophie Chevrolle sur les usagers de laCADA.

Sophie Chevrolle a fait un très bon travail, à la fois critique et constructiffondé sur une importante enquête qu’elle a elle-même conçue, réaliséeet exploitée -1000 questionnaires ont été envoyés aux cinq catégories

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d’usagers qu’elle avait déterminés. Chaque catégorie de questionnairescomportant entre 21 et 27 questions plus ou moins ouvertes, mais tou-tes pertinentes, et se terminant par la possibilité de formuler remar-ques et suggestions -500 questionnaires sont revenus remplis et ont puêtre exploités. Sophie Chevrolle a tiré parti du contenu des réponsespour faire dans une première partie de son mémoire, un tableau vivantet néanmoins critique des relations de la CADA avec ses usagers, poin-tant les difficultés ou les dysfonctionnements et suggérant les amélio-rations possibles, alors que dans une deuxième partie, elle s’estessayée à une sorte de psychanalyse de l’attitude des usagers et durôle de la CADA. Cette deuxième partie, si elle ne convaincra pas tousles lecteurs, a le mérite d’un regard très positif sur le rôle que joue laCADA pour permettre aux citoyens de « s’autonomiser » de s’affirmercomme adultes en face du tout puissant État. La CADA est caractériséecomme une instance de médiation qui permet de rétablir le dialogueentre les administrations et les citoyens et la transparence comme unmoyen de transformation de la nature de l’État.

Cet optimisme n’a pas déplu aux membres du jury qui ont trouvé lemémoire bien pensé et bien écrit. Ils ont pu regretter que toutes lesquestions contenues dans l’enquête n’aient pas été exploitées entière-ment et ils estiment que Sophie Chevrolle pourrait encore puiser dansles réponses la matière d’une véritable thèse.

Je dis donc à Sophie Chevrolle, avec les félicitations du jury, le plaisirque j’ai à lui remettre le prix du 25e anniversaire de la CADA.

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Troisième demi-journéeQuelles limites au droitd’accès ?Sous la présidence de HENRI LECLERC,

avocat à la Cour

Quelles limites au droitd’accès ?

HENRI LECLERC,avocat à la Cour

Le programme de cette matinée à pour thème : quelles limites au droitd’accès ? Le problème des limites est toujours essentiel quand on veutdéfinir un droit, surtout lorsqu’on parle d’un droit nouveau commecelui que la loi du 17 juillet 1978 a énoncé et dont le Conseil d’État a ditqu’il s’agissait là d’une liberté publique, c’est à dire un droit du citoyen.

Comme le rappelle l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme,les bornes des droits sont fixées par la loi. Mais, chacun le sait, celle-ciest parfois d’interprétation difficile et, puisque c’est au nom des autresdroits qu’un droit peut être limité, il est nécessaire de les confronter,d’en apprécier la valeur respective qu’il s’agisse des droits des indivi-dus ou des prérogatives de la communauté, de l’État en particulier. Direquelles sont les limites d’un droit c’est constater son existence enreconnaissant son étendue.

Où s’arrête donc ce droit ? Quelles sont ses frontières ? N’oublions pasque si la frontière est séparation, elle est aussi lieu d’équilibre. Pournous éclairer dans ces tâtonnement qu’il a bien fallu faire, nous avonsl’abondante jurisprudence de la CADA et celle des juridictions adminis-tratives. Nous avons aussi les précisions qui nous ont été données parla loi du 12 avril 2000, véritable loi d’ajustement.

Autour de quels principes peut-on déterminer les restrictions que l’onpeut apporter à cette liberté publique ? Il faut toujours revenir à la for-mule, exprimée pour la première fois dans l’article 29 de la Déclarationuniverselle des droits de l’homme, reprise par les articles 8, 9 et 10 de laConvention européenne qui, s’agissant de droits fondamentaux despersonnes, précisent que les restrictions, en tout état de cause, doiventêtre « des mesures nécessaires dans une société démocratique ». Et lajurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme se tricoteautour de cette notion qui est au cœur de toute réflexion sur ce que doi-vent être les limites d’un droit. Dès lors la question des limites se poseen termes plus clairs. Elles doivent être nécessaires dans un sociétédémocratique pour protéger des droit individuels ou des intérêts de lacollectivité et il convient alors de comparer les droits pour que lamesure restrictive reste proportionnée.

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Nous allons donc examiner quelque cas où le droit à communication seheurte à des droits depuis longtemps reconnus, dont les principes etles contours sont bien définis. Et d’abord la question de la communica-tion de documents au regard du droit de chacun au respect de sa vieprivée qu’abordera Madame Roseline Letteron, professeur de droitpublic et membre de la CADA. Le droit au respect de la vie privée s’esttrouvé confronté depuis longtemps en bien d’autres domaines avecd’autres droits, comme la liberté d’informer. Défini depuis longtempscomme un droit civil essentiel, protégé par l’article 8 de la Conventioneuropéenne, analysé par la jurisprudence de tous les ordres de juridic-tion et, bien sûr, par la Cour de Strasbourg, qu’en est il de sa confronta-tion avec le droit d’accès ?

Le deuxième sujet que nous aborderons concerne non plus un droit dela personne mais un droit régalien, celui du secret défense qu’aborderaMarc Guillaume, maître des requêtes au Conseil d’État et directeur desaffaires civiles et du sceau. La question du secret défense a une vie bienindépendamment de sa confrontation avec le droit d’accès, qu’il s’a-gisse des problèmes qu’il pose dans les investigations judiciaires ou end’autres domaines. Il a de surcroît été réglementé par le décret du17 juillet 1998, vingt ans jour pour jour après la loi sur la liberté d’accèsaux documents administratifs. Nécessaire exceptionnellement, n’est-ilpas trop souvent invoqué pour éviter le regard que les citoyens doiventporter sur le fonctionnement des services de l’État ?

Le troisième problème que nous aborderons, particulièrementconcerné par la loi récente du 12 avril 2000 concerne la confrontationdu droit d’accès avec le temps. Monsieur Antoine Prost, professeurhonoraire à l’université de Paris et membre de la CADA, nous parlerade « la fin du secret dans le temps : l’accès aux archives », sujet essen-tiel non seulement pour la recherche historique mais aussi pour le droitde chacun à connaître ses origines.

Enfin Bruno Lasserre, conseiller d’État et Président suppléant de laCADA, présidera la table ronde qui traitera de l’économie et de l’environ-nement. Nous aborderons, en ces domaines particulièrement présentsaux exigences de notre temps, la confrontation entre le secret et la trans-parence. Le monde économique, c’est évident, a besoin de secret. Quel-les sont les limites admissibles de ce secret ? J’attends d’ailleurs avecintérêt d’avoir une définition claire de la notion de secret des affaires quim’a toujours laissé perplexe. En matière d’environnement, la Cour euro-péenne des droits de l’homme a eu quelques difficultés à rattacher ledroit à l’environnement à un des droits protégés par la Convention. Elleinvoque à leur sujet le droit au respect de la vie privée prévu à l’article 8.Le secret en un tel domaine n’est il pas un obstacle difficilement accep-table à l’information indispensable des citoyens ?

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Accès aux documentset vie privée

ROSELINE LETTERON,professeur de droit public, membre de la CADA

La vie privée est incontestablement une idée moderne. On peut affirmeren effet que la distinction entre vie publique et vie privée n’existait pasavant la fin du XVIIIe siècle. Nul n’ignore en effet que les reines de Franceaccouchaient publiquement, et que la vie quotidienne de Louis XIV sedéroulait intégralement sous les yeux des courtisans, pour le plus grandplaisir du duc de Saint Simon et de ses lecteurs d’aujourd’hui.

Les travaux de Philippe Ariès et de Georges Duby ont montré que lanotion de vie privée est apparue à la fin du XVIIIe siècle, à une époquemarquée par la conjonction de deux phénomènes, d’une part unemontée de l’individualisme qui se traduit par la recherche d’un épa-nouissement personnel, d’autre part l’apparition d’une bourgoisieaisée, soucieuse du conforme matériel et attachée au libéralisme. Lavie privée devient alors l’espace de l’intimité. Elle définit autour del’individu une sorte de bulle protectrice à l’abri des intrusions de toutessortes.

C’est plus récemment encore que la vie privée est passée du langagecourant au langage juridique. On constate qu’elle a d’abord été appré-hendée de manière jurisprudentielle sous l’angle du contentieux de laresponsabilité, avant de devenir l’objet d’une liberté publique consacréepar la loi.

Le terme de « vie privée » apparaît pour la première fois dans ledomaine juridique par la voie jurisprudentielle en 1858 avec la célèbreaffaire Rachel, dans laquelle le tribunal civil a condamné la publicationd’un portrait de cette grande comédienne sur son lit de mort. La trèscélèbre loi sur la presse du 29 juillet 1881 a ensuite suscité le dévelop-pement d’une réflexion jurisprudentielle sur la notion de vie privée. Onsait en effet que la personne poursuivie pour diffamation, sur le fonde-ment de la loi de 1881, peut s’exonérer de sa responsabilité en démon-trant devant le juge l’exactitude de ses allégations, sauf justementlorsque les faits dévoilés touchent à la vie privée de la personne.

Si la notion de vie privée apparaît ainsi dès la fin du XIXe par la voiejurisprudentielle, elle n’est pas encore perçue comme objet d’uneliberté publique. Cette dernière étape n’est franchie que beaucoup plus

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tard, avec la loi du 17 juillet 1970 qui introduit dans le Code civil unarticle 9 qui affirme que « chacun a droit au respect de sa vie privée »,disposition d’ailleurs complétée par les dispositions très proches del’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui ontpénétré dans notre droit positif en 1974, lors de la ratification de cetteconvention.

Or, il est frappant de constater que dans la même décennie, huit ansaprès la loi du 17 juillet 1970, et l’ironie du calendrier a fait que c’étaithuit ans après jour pour jour, est votée la loi du 17 juillet 1978 dont nouscélébrons aujourd’hui le 25e anniversaire. D’une certaine manière, lesdeux dispositifs législatifs semblent définir deux libertés contradictoi-res. En consacrant un droit au respect de la vie privée, la loi de 1970organise en réalité un droit au secret de la vie privée, un droit de laconfidentialité. En consacrant une liberté d’accès aux documents admi-nistratifs, la loi du 17 juillet 1978 organise à l’inverse un droit à l’infor-mation, un droit à la transparence. L’opposition est pourtant artificielle,car il n’y a pas vraiment opposition entre secret et transparence, car lepremier concerne l’espace privé alors que la seconde concerne l’es-pace public. On peut alors considérer que le secret de la vie privée doits’imposer avec d’autant plus de force que la vie publique se déroule augrand jour.

La CADA, sous le contrôle du juge administratif, est finalement compé-tente pour gérer ces « incidents de frontières » entre l’espace privée etl’espace public, entre ce qui doit rester secret au nom de l’intimité de lavie privée, et ce qui peut être communiqué aux administrés au nom dela démocratie administrative. Sur cette question, on constate que laCommission a joué un rôle expérimental très important. Sa jurispru-dence en effet permis de dégager un certain nombre de grands princi-pes qui ont ensuite donné lieu à une consécration législative. Onconstate ainsi une sorte d’effet miroir : de même que la notion de vieprivée a d’abord été appréhendée par la voie jurisprudentielle avant dedevenir l’objet d’une protection par la voie législative, la confrontationentre vie privée et transparence administrative a d’abord suscité laréflexion de la CADA, avant de donner lieu à l’intervention du législateur.A ce titre, la CADA apparaît avant tout comme un « laboratoired’idées » ou plutôt un « laboratoire législatif ».

On se bornera, compte tenu de la brièveté indispensable de cette inter-vention, à prendre deux exemples de ce rôle d’expérimentation de laCommission. La loi du 12 avril 2000, qui a déjà été largement évoquéehier, prend directement acte de la jurisprudence de la CADA en matièrede vie privée. Elle conduit ainsi à faire de la vie privée un secret relatif,par opposition à d’autres secrets comme le secret de la défense qui euxapparaissent comme des secrets absolus (I). La loi du 22 janvier 2002,qui organise quant à elle l’accès aux origines des enfants nés sous X

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le premier avec la loi du 12 avril 2000 qui modifie la définition du docu-ment nominatif, le second avec la loi du 22 janvier 2002 qui organisel’accès aux origines des enfants nés sous X. Dans les deux cas, laCADA a contribué à donner deux figures du secret, en opposant d’a-bord secret absolu et secret relatif, en imposant ensuite un secret àgéométrie variable, une sorte de secret quasi contractuel, dès lors quece sont les titulaires du secret qui décident, au moins partiellement, deson intensité.

La loi du 12 avril 2000, la distinctionentre secret absolu et secret relatif

La loi du 17 juillet 1978, dans sa rédaction initiale, avait inscrit le secretde la vie privée dans la liste des secrets protégés figurant dans sonarticle 6. Elle se bornait alors à mentionner que le secret de la vie privéefaisait obstacle au droit à la communication des documents administra-tifs, sans davantage de précision. N’était donc pas résolue la questionessentielle de savoir si le secret de la vie privée était un secret absoluopposable à l’intéressé lui-même, ou s’il s’agissait d’un secret relatifseulement opposable au tiers. Par la suite, la loi du 11 juillet 1979 s’estefforcée de remédier à cette lacune en introduisant dans le dispositiflégislatif un nouvel article 6 bis qui précise que « les personnes qui ledemandent ont droit à la communication (...) des documents de carac-tère nominatif les concernant, sans que des motifs tirés du secret de lavie privée, du secret médical (...) puissent leur être opposés ».

Confrontée à ces dispositions, la CADA s’est heurtée à deux problèmesessentiels :

– le premier problème est la définition du document nominatif. Com-ment définir le document nominatif ? Deux interprétations étaient possi-bles. La première considère comme nominative toute informationpermettant l’identification d’une personne, définition adoptée par laCNIL qui a ainsi limité l’accès aux données identifiantes à la seule per-sonne intéressée. La CADA a quant à elle opté pour une définition pluslibérale, considérant comme nominatifs les seuls documents qui por-taient une appréciation sur une personne. C’est ainsi par exemple qu’undossier médical est considéré comme nominatif dès lors qu’il porte uneappréciation sur la santé du patient. Il n’est donc communicable qu’à l’in-téressé. Cette interprétation libérale a ensuite été confirmée par le Con-seil d’État dans arrêt Degorge Bœtte du 30 mars 1990. Le seul problèmeest que la CNIL avait quant à elle adopté une définition plus rigoureusede l’information nominative, la définissant comme celle qui permetd’identifier l’identité d’une personne, en l’absence même de toute

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appréciation sur celle-ci. Selon que la pièce demandée figurait dans unfichier ou dans un document, le demandeur se trouvait donc confrontéà deux définitions du « nominatif ». C’est ainsi qu’un répertoire com-portant des noms et des adresses pouvait être communiqué à toutdemandeur sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978, alors que cesmêmes données rigoureusement identiques mais stockées dans unfichier informatique n’étaient plus communicables qu’aux seuls inté-ressés sur le fondement de la loi du 6 janvier 1978. L’informatisation del’administration réduisait ainsi mathématiquement le nombre d’infor-mations communicables, et les difficultés rencontrées dans la combi-naison de ces deux textes provoquait une opacité juridique susceptiblede dissuader l’administré le plus persévérant. La loi du 12 janvier 2000est venue mettre fin à cette situation. D’une part, elle entérine l’inter-prétation libérale donnée par la CADA est supprimant purement et sim-plement la notion pour le moins ambiguë de document nominatif.D’autre part, elle fait de la loi du 17 juillet 1978 le fondement unique dudroit d’accès à l’information administrative, quel que soit son support,document ou fichier. La CADA détient ainsi la compétence de droitcommun en ce domaine ;– le second problème auquel s’est trouvé confrontée la CADA est ladistinction entre le tiers et l’intéressé. Dès lors que le document nomi-natif portant une appréciation sur une personne est communicable auseul intéressé, il convenait en effet de distinguer clairement entre letiers et l’intéressé. Très rapidement, la CADA a isolé les documentsadministratifs couverts par le secret de la vie privée, le secret médical,ou encore le secret des affaires et précisé que ceux là n’étaient accessi-bles qu’aux seuls intéressés, c’est-à-dire les personnes directementvisées par le document. C’est ainsi qu’un dossier médical n’est acces-sible qu’au seul patient auquel il est consacré.

La CADA s’est cependant trouvée confrontée à certaines incertitudessur cette question. La plus importante concerne en quelque sorte latransmission de la qualité d’intéressé. En cas de décès de la personne« intéressée » au sens de la loi du 17 juillet 1978, ses proches ou sesayants droit peuvent ils bénéficier du droit d’accès ? Le Conseil d’Étatavait sur cette question adopté une position relativement réservée. LaHaute Juridiction estimait en effet, dans un arrêt Chambre des notairesdu département du Cher du 29 juillet 1994, que la qualité d’intéressén’est pas transmissible aux ayants droit du défunt lorsque les informa-tions figurant sur les pièces du dossier risquent de porter atteinte à samémoire. La CADA n’a certes pas été l’encontre de la jurisprudence duConseil d’État mais on observe néanmoins le développement d’unejurisprudence relativement plus libérale. La Commission admet eneffet assez largement la transmission du droit d’accès, et elle utilisepour cela deux interprétations constructives. La première consiste enanalyse extensive de la notion de « proche » qui est préférée à celle,plus réductrice, d’« ayant droit ». Le second consiste à considérer

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comme « intéressés » les proches ou les ayants droit, dès lors que lesinformations dont ils souhaitent avoir communication sont indispensa-bles pour défendre leurs intérêts propres. C’est ainsi que la CADA a lar-gement admis que des documents relatifs à la situation fiscale d’unepersonne décédée peuvent être communiqués à ses héritiers, dans lebut de liquider la succession (CADA 9 novembre 2000, D.G.I.,Dir. Départementale des Pyrénées Orientales).

Là encore, cette interprétation libérale a directement inspiré les rédac-teurs de la loi du 12 avril 2000. Désormais, le législateur distingue trèsclairement entre les secrets absolus qui s’imposent à tous et interdi-sent toute communication (le secret de la défense nationale parexemple) et les secrets relatifs qui réservent la communication à laseule personne intéressée, à l’exclusion des tiers. Tel est le cas de la vieprivée qui est définie comme un secret relatif par la nouvelle rédactionde l’article 6. Par ailleurs, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits desmalades précise que l’accès au dossier médical peut être ouvert auxayants droit d’un patient décédé, sous deux conditions. La première estque ce dernier ne doit pas s’y être opposé de son vivant. La seconde estque cette communication du dossier médical doit être justifiée par lavolonté de connaître les causes du décès, de défendre la mémoire dudéfunt ou de faire valoir les droits des héritiers. On observera que cetexte est cependant un peu plus réducteur que la jurisprudence de laCADA, dans la mesure où l’accès au dossier médical est réservé auxhéritiers du défunt, les proches non héritiers ne pouvant utiliser ce droitd’accès (CADA 17 octobre 2002, Centre hospitalier de Longjumeau). Lajurisprudence libérale qui consistait à étendre la notion de proche audétriment de celle plus étroite d’héritier se trouve, dans ce cas précismais limité, battue en brèche.

L’évolution législative se traduit ainsi par une reprise pure et simple parle législateur des principes posés par la CADA en matière d’accès auxdocuments relatifs à la vie privée. La vie privée n’apparaît plus ainsicomme le fondement d’un secret, mais bien davantage comme le fon-dement de la communication d’un document à la personne intéressée.C’est parce que l’information touche à sa vie privée que l’intéressé a ledroit de la connaître. Elle est en fait la titulaire du secret.

Cette conception reposant sur l’idée qu’il existe un titulaire du secretest illustrée, de manière encore plus explicite par le droit positif relatif àl’accès aux origines.

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L’accès aux origines ou le secretcontractuel

La CADA a évidemment été au premier plan dans le débat récent surl’accès aux origines. Dans une premier temps, des personnes adoptéeset pupilles ou anciens pupilles de l’États ont utilisé la loi du16 décembre 1992 qui abroge l’ancien article 81 du Code de la famillequi faisait du secret des origines un secret protégé par la loi. Elles ontdonc demandé logiquement communication de leur dossier d’adop-tion à l’administration, en l’occurrence les DDASS et donc les départe-ments. Le nombre de demandes a bientôt été considérable.

Une enquête diligentée par la Direction générale des affaires socialesfait état de 13 244 demandes de consultation pour les années 1998 et1999. Ce chiffre considérable s’est traduit par une croissance compa-rable des demandes d’avis formulées auprès de la Commission d’ac-cès aux documents administratifs (C.A.D.A.). Pour la période1998-1999, les demandes d’avis concernant les « affaires sociales »sont passées de 5,5 % à 16, 5 %. Parmi ces dossiers, environ la moitiéconcernaient les demandes d’accès à leur dossier formulées par lespupilles de l’État.

La CADA s’est donc trouvée confrontée à des droits contradictoires.D’un côté, la liberté d’accès aux documents administratifs qui offre à lapersonne intéressée la possibilité d’avoir accès aux documents laconcerne. De l’autre côté, le droit à la vie privée de la mère biologiquequi s’est souvent construit une autre vie et qui ne désire pas nécessai-rement retrouver la trace de l’enfant abandonné.

Sur ce point la CADA a construit une jurisprudence libérale, qui a ins-piré directement le législateur de 2002.

Une jurisprudence libéraleDans un premier temps, la Commission s’est montrée fort prudente,admettant la communication des dossiers de pupilles, mais à la conditionque soient occultées les mentions permettant d’identifier le ou les parentsqui avaient demandé le secret (CADA 20 janvier 1994 Conseil, Cons.Général d’Eure et Loir). Seuls étaient donc accessibles les renseigne-ments non identifiants. Par la suite, la nouvelle rédaction de la loi du17 juillet 1978 issue de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 a permis à laCADA d’inverser complètement sa jurisprudence. Son article 6 précise eneffet que les documents dont la communication porterait atteinte ausecret de la vie privée et des dossiers personnels « ne sont communica-bles qu’à l’intéressé ». De cette disposition la CADA déduit un principegénéral de communication de son dossier de pupille à l’intéressé

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(CADA, 23 novembre 2000, Président du Conseil général de l’Allier. À laprésomption de secret succède ainsi une présomption de communication.

La mise en œuvre de cette jurisprudence libérale trouve cependant salimite dans l’existence d’une « demande expresse de secret » formuléepar les parents biologiques, ou par la mère seule 1. Cette demande peutseule conduire à protéger un secret dont la levée heurte la volontéd’une des parties. Mais en l’absence d’une telle demande, le principeest celui de la communication de son dossier à l’intéressé, sous réservede l’occultation de mentions dont la divulgation porterait atteinte à lavie privée de tiers. Dans un avis du 11 mai 2000, la Commission a ainsiadmis la communication du dossier d’un ancien pupille ayant fait l’ob-jet d’une adoption plénière, à l’exception toutefois des informationsrelatives aux résultats de l’enquête menée sur ses parents adoptifs aumoment de l’adoption 2.

D’une façon générale, la CADA se montre très rigoureuse sur l’exi-gence de cette demande expresse de secret formulée par un parentbiologique. Son existence ne saurait ainsi être déduite du simple faitqu’une femme ait accouché « sous X » 3, quand bien même elle auraitsigné un acte d’abandon revêtu d’une mention imprimée rappelant lapossibilité de demander le secret de son identité 4. Dans la plupart descas, la Commission constate l’existence de cette « demandeexpresse » lorsqu’elle résulte d’une mention manuscrite dans le procèsverbal d’adoption, voire d’une lettre annexée au dossier. Mais il arriveaussi que cette « demande expresse » de secret soit prouvée par d’au-tres moyens, et qu’elle soit par exemple déduite de l’attitude la mère,qui a préféré une rupture définitive après la remise de son enfant auxservices sociaux et a refusé tout contact ultérieur 5.

Au-delà des mentions figurant dans le dossier, la CADA s’efforce doncde rechercher la volonté des parents biologiques, et c’est finalementcette volonté qui détermine le sens de son avis. Même dans l’hypo-thèse où une demande expresse de secret a été rédigée par la mèrelors d’un accouchement « sous X », la CADAse réserve ainsi la possibi-lité de l’écarter, lorsque par exemple la mère a par la suite tenté unedémarche pour récupérer sa fille 6. Aussi infructueuse soit-elle, cettedémarche suffit aux yeux de la Commission à prouver l’existence d’unevolonté de la mère de divulguer son identité à son enfant.

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1 La demande formulée par la mère ne saurait s’étendre à la lettre de l’avocat d’une per-sonne décédée laissant entendre qu’il est le père de l’ancien pupille. CADA, Conseil20 janvier 1994, Cons. de Paris.2 CADA, 11 mai 2000, M. P..3 CADA, 9 janvier 1997, Président du Conseil général du Territoire de Belfort.4 CADA, 9 janvier 1997, Président du Conseil général de l’Yonne.5 CADA 28 mars 1996, Président du Conseil général de Loire Atlantique.6 CADA, 10 juillet 1997, Souty-Baum / Sauzay.

La CADA s’est toutefois toujours refusée à consacrer un véritable droitd’accès aux origines, alors même qu’elle y était invitée par la Conven-tion sur les droits de l’enfant de 1989 qui consacre « le droit deconnaître ses parents (art. 7) ou par la Convention sur la protection desenfants et la coopération en matière d’adoption de 1993 qui consacre »le droit de connaître ses parents « . Il est vrai que ces textes demeurenttrès largement déclaratoires. En effet les titulaires de ces droits nou-veaux ne peuvent les invoquer que » dans la mesure du possible « . LaConvention européenne s’est d’ailleurs refusée à consacrer un tel droitd’accès aux origines, dans la célèbre affaire Odièvre de février 2003.

La loi du 22 janvier 2002La loi du 22 janvier 2002 ne fait finalement que reprendre la jurispru-dence de la CADA. Elle refuse également de consacrer l’accès aux ori-gines comme un droit, mais se borne, selon ses propres termes, àorganiser une « procédure » d’accès aux origines.

Le législateur fait en réalité de l’accès aux origines la rencontre entredeux volontés. Sur ce point, la loi du 22 janvier 2002 s’inspire directe-ment de la jurisprudence développée par la CADA. C’est au désormaisau CNAOP de communiquer aux intéressés le dossier de pupille del’État « s’il dispose déjà d’une déclaration expresse de levée du secretde son identité » 1. C’est donc l’acte de volonté qui est à l’origine de laprocédure d’accès aux origines, acte de volonté qui peut figurer dans ledossier, ou être sollicité par le Conseil. Celui-ci est donc appelé à jouerun rôle actif de médiation entre parents biologiques et enfants adoptés.

Sur ce point, le législateur se montre plus rigoureux que la CADA enrendant délicate la mise en œuvre d’une présomption en ce domaine.Alors que la CADAprésume l’existence d’un accord des parents biolo-giques en l’absence de « demande expresse de secret », le C.N.A.O.P.devra le solliciter. En réalité, ce durcissement accentue une évolutionque la jurisprudence de la C.A.D.A. avait permis d’entrevoir. L’accèsaux origines n’est plus perçu comme une procédure particulière à l’in-térieur du dispositif français de transparence administrative, maiscomme l’élément essentiel d’une relation purement privée, reposantsur un accord de volontés. L’administration n’intervient plus pour défi-nir l’ordre public en cette matière, mais pour assister les personnes pri-vées dans des démarches qui ne pourraient aboutir sans l’aide de lacollectivité publique.

La nouvelle procédure d’accès aux origines témoigne de l’évolutiontrès perceptible vers la contractualisation du droit de la famille. La loin° du 15 novembre 1999 sur le pacte civil de solidarité organise ainsisur une base contractuelle les relations entre « deux personnes

1 Art. L 147-6 du Code de l’action sociale et des familles.

physiques majeures.. pour organiser leur vie commune » 1. Une cons-tatation identique s’impose pour la transmission du nom aux enfants,qui résulte aujourd’hui d’un accord de volonté de ses deux parents,l’État ayant renoncé à imposer la prédominence du nom du père 2,voire pour l’éducation des enfants dès lors que l’autorité parentale peutaujourd’hui être systématiquement « partagée », quelle que soit lasituation matrimoniale du couple 3. L’accès aux origines biologiques sesitue dans la droite ligne de cette évolution, et s’organise autour de larecherche de la volonté des parties. Dès lors, le rôle de l’administrationse trouve modifié. Sa mission n’est plus tant d’incarner la puissancepublique que d’assurer une médiation entre les citoyens et de prendreacte de leur volonté.

Ainsi alors même que la CADA est désormais dessaisie de sa compé-tence au profit du Conseil national de l’accès aux origines personnelles,c’est tout de même qui avait posé les bases de ce secret quasi contrac-tuel. Nous faisons ainsi la même constatation que nous avions faite àpropos de la loi du 12 avril 2002. Dans les deux cas, la CADA a joué unrôle expérimental, en créant une jurisprudence qui a in fine été reprisepar le législateur. Dans les deux cas aussi, la CADA a donné à la notionde vie une nouvelle définition. Désormais, la vie privée est considéréenon pas tant comme le motif d’un refus de communication, mais biendavantage comme l’expression d’une prérogative de l’individu. Lesecret de la vie privée se définit d’abord par le fait qu’il appartient à sontitulaire, qu’il existe un maître du secret qui peut en quelque sorte endisposer.

Cette évolution est tout à fait intéressante. On sait que dans des domainesparticulièrement sensibles comme l’IVG ou la législation bioéthique, lespremières lois votées par le Parlement se sont vues attribuer une natureexpérimentale, le législateur prévoyant dans la loi un processus de révi-sion à l’expiration d’un certain délai d’expérimentation. Tel n’était pas lecas de la loi du 17 juillet 1978 que le législateur a voulu au contraireasseoir définitivement dans les pratiques administratives. C’est donc à laCADA qu’est revenue, plus ou moins explicitement, ce rôle d’expérimen-tation et à ce titre c’est elle qui a constitué le moteur immobile de l’évolu-tion du texte qui l’avait instituée il y aujourd’hui 25 ans.

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1 Loi n° 99 -944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité,J.O. 16 novembre 1999, p. 169592 Loi n° 2002 -304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille, J.O. 5 mars 2002, p. 41593 Loi n° 2002 -305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, J.O. 5 mars 2002, p. 4161

Secrets régaliens :le cas du secret défense

MARC GUILLAUME,maître des requêtes au Conseil d’État,

directeur des affaires civiles et du sceau

Dans votre transition, vous pourriez laisser entendre qu’il y a une con-tradiction entre ce qui vient de nous être exposé et ce que je vais dire.Je ne le crois pas. Je vais essayer de vous dire que le secret de laDéfense nationale, comme les objectifs de transparence qui viennentd’être narrés, participent de la même compréhension de la défense desintérêts publics et privés, et qu’il ne convient pas de les opposer maisde voir que, dans une société complexe comme la nôtre, celle-ci abesoin d’assurer sa sécurité, sa défense, face à des menaces de plus enplus multiformes et que le secret de la Défense nationale répond à cesnécessités qui participent bien des intérêts publics.

Évidemment, les secrets de l’État sont vieux. Vous nous parliez tout àl’heure de la chambre du roi. A l’époque, ce qui était secret, c’était parexemple le montant de la dette publique. Aujourd’hui, on ne classifiebien sûr plus le montant de la dette publique. Mais on a toujours besoind’une conciliation entre le secret de la Défense nationale et d’autresintérêts.

Alors peut-être faut-il d’abord rappeler la définition du secret de laDéfense nationale. Le secret de la Défense nationale, n’a jamais pu êtreen droit français, correctement défini matériellement. On a pu essayerde définir les matières qui pourraient relever de ce secret particulier.Dès 1793, des efforts ont été faits en la matière, puis repris dans leCode pénal de 1810 sur des intelligences avec les puissances étrangè-res, et la loi de 1886. On a surtout fait cet effort juste avant la SecondeGuerre mondiale pour essayer de définir dans les lois de 1934 et de1939 ce que pouvait être la nature des informations qui, si elles étaientdivulguées, pourraient donner lieu à poursuite. A l’époque, on a essayéde dire, quels étaient les renseignements d’ordre militaire, diploma-tique, économique ou industrielle qui ne doivent que être connus despersonnes classifiées, et on essayait d’énumérer les catégories de ren-seignements. Évidemment cette liste est tout de suite apparue, dès lespremiers cas pratiques, lacunaires, parce qu’on n’avait pas pensé à toutet, à ce moment-là, il aurait fallu faire un catalogue sans fin.

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Donc dès les années 1950, on s’est interressé à cette question pouressayer de revenir à une définition formelle du secret de la Défensenationale et c’est ce qu’a fait l’Ordonnance du 4 juin 1960 et c’est sur-tout ce qu’a fait ensuite le nouveau Code pénal quand il a essayé desubstituer à la notion de crime et délit contre la sûreté de l’État la notiond’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et la notion corréla-tive du secret de la Défense nationale. Donc chacun sait qu’aujourd’huic’est l’article 413-9 du Code pénal qui prévoit la répression des attein-tes au secret de la Défense nationale ; je vous cite au moins ses deuxpremiers alinéas. L’article 413-9 dispose : « Présentent un caractère desecret de la Défense nationale au sens de la présente section les rensei-gnements procédés objets documents données informatisées oufichiers intéressant à la Défense nationale, qui ont fait l’objet de mesu-res de protection destinées à restreindre leur diffusion. Peuvent fairel’objet de telle mesure les renseignements procédés objets documentsdonnées informatisées ou fichiers dont la divulgation est de nature ànuire à la Défense nationale ou pourraient conduire à la découverted’un secret de la Défense nationale ».

Vous voyez donc que la définition du secret dans le nouveau Codepénal est formelle. Est un secret de la Défense nationale l’information,le procédé qui a fait l’objet d’une classification et le Conseil constitu-tionnel, lorsqu’il a eu à connaître cette disposition n’a pas censuré lerenvoi au point réglementaire qu’opère le troisième alinéa de l’article413-9. Troisième alinéa qui débouche donc sur la nécessité dans ledécret de définir ce que sont les niveaux de classification. Il y avait undécret du 12 mai 1981 qui avait fixé l’organisation et la protection dessecrets de la Défense nationale. ce décret a été remplacé par celui du17 juillet 1998 relatif à la protection des secrets de la Défense nationale.C’est un décret qui avait pour objet de durcir les conditions de classifi-cation. Grosso modo, classifier moins pour classifier mieux. Ce décretfixe les trois niveaux de classification : le très secret défense, le secretdéfense et le confidentiel défense. Le niveau très secret est réservé auxinformations ou supports protégés dont la divulgation est de nature ànuire très gravement à la Défense nationale ; le niveau secret à nuiregravement ; et le confidentiel aux informations dont la divulgation estde nature à nuire à la Défense nationale.

Vous notez à la fois la finesse de ces définitions et le fait que le décretde 1998 ne comporte plus, contrairement à celui de 1981, une qua-trième mention qui était la mention « diffusion restreinte », qui ne cons-tituait pas une classification réprimée par le Code pénal et qui figuraitpourtant dans le décret de 1981. C’était l’une des raisons qui condui-saient à des abus de classification, c’est contre ces abus qu’a cherché àlutter le décret du 17 juillet 1998.

À nouveau, vous voyez bien que le décret de 1998, conformément auCode pénal, et conformément à ce qui se fait dans toutes les législations

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étrangères ou en droit international pour les organisations internatio-nales telles que l’Otan, l’UEO ou même l’Union, se refuse à définirmatériellement les trois niveaux de classification. Là encore l’échec dudécret-loi de 1939 nous rappelait à la raison.

L’évolution importante bien sûr du décret de 1998 sur la nature dessupports, c’est en revanche l’inclusion des données informatisées oudes fichiers qui ne figuraient pas dans l’énumération de 1981.

Pour finir de bien comprendre ces textes, on pourrait se référer aux tex-tes qui sont sortis cet été, c’est-à-dire l’arrêté du 25 août 2003 relatif à laprotection du secret de la Défense nationale, qui renvoie à l’importanteinstruction du 25 août 2003 sur l’instruction générale interministériellesur la protection du secret. Juste quelques mots sur cette instructionpour dire qu’elle a visé à traduire l’idée d’inciter les administrations àune classification rare et opportune, et donc un certain nombre demesures ont été prises à cet effet, à la fois sur les délais des enquêtesd’habilitation des différents personnels administratifs et sur la maîtrisedu volume des informations classifiées. L’objectif est clair : mettre finaux abus de classification qui ne correspondent pas aux textes citéstout à l’heure.

Dans le cadre des accords internationaux qui régissent le secret notam-ment au sein des organisations militaires, l’instruction d’août 2003 viseégalement à permettre l’habilitation de personnel étranger à accéder,quand les accords de sécurité existent, à ces informations.

Voilà pour le cadre légal et réglementaire. Quelques mots sur l’inter-vention du juge. Vous savez que la décision de principe en matière decontrôle du secret est la décision du Conseil d’État de 1955, Ministre dela Défense c/ Coulon qui est au recueil p. 149 aux conclusions du prési-dent Grévisse, c’est une décision qui se situe dans le prolongementimmédiat de la décision Barel [id.] et qui reprend la même idée. Je citela décision : il est jugé que « le juge administratif a la faculté de convierl’autorité responsable à lui fournir toute indication susceptible de luipermettre, sans porter aucune atteinte, directe ou indirecte, au secretgaranti par la loi, de se prononcer en pleine conséquence de cause, quilui appartient dans le cas où un refus serait opposé à une telledemande, de joindre cet élément de décision en vue du jugement àrendre à l’ensemble des pièces fournies par le dossier ».

Les applications de la jurisprudence Coulon sont très peu nombreuses.C’est à la fois rassurant et peu aisé pour arriver à décrire cette jurispru-dence. On trouve cinq décisions depuis 1955 dont bien entendu la déci-sion de 1983 ministre des Affaires sociales aux conclusions duprésident Denoix de Saint Marc qui reprend l’ensemble de la jurispru-dence Coulon. Cette jurisprudence finalement a été résumée en 1974quand le Conseil d’État a été saisi pour avis, dans ses sections adminis-tratives, sur la communication de pièces couvertes par le secret de la

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Défense nationale. Et de ces avis ressortent deux points très clairs, quisont finalement les deux points les plus importants à retenir : première-ment, « quiconque est détenteur d’un secret de la Défense nationale nepeut le divulguer, et cette obligation doit évidemment être opposée àtoute juridiction » ; deuxièmement, c’est « à l’autorité responsable,l’autorité classificatrice, qu’il appartient de décider des communica-tions à faire et de désigner les cas échéants les personnes qui répon-dent aux convocations de justice ». Nous reviendrons sur lesapplications de ces deux principes, mais, en tout cas, ces deux princi-pes n’ont fait l’objet – sous les réserves de la création de la commissionconsultative du secret de la Défense nationale sur laquelle je vais reve-nir – d’aucune modification depuis lors, avec bien sûr l’existence d’uneinfraction pénale pour quiconque révélerait une information classifiéepar le secret et la révélerait même à un juge ou à la CADA.

Donc, lorsque la juridiction se trouve placée devant un refus de témoi-gnage ou de communication, elle peut s’assurer auprès du ministre dela légitimité de ce refus. On se souvient notamment du cas dans lequelle directeur de la sécurité du territoire avait été sollicité par un juged’instruction en 1987, avait opposé le refus, et le nouveau ministre en1988 avait levé le secret, le directeur de la sécurité du territoire témoi-gnant alors devant le même juge d’instruction. Donc c’est bien l’auto-rité classificatrice politiquement responsable qui a en charge cesquestions.

C’était donc la jurisprudence devant le juge administratif, mais je faisdéjà le lien avec la jurisprudence devant le juge judiciaire et c’est exac-tement celle-ci qui est appliquée, comme l’avait souligné en 1982 lacommission présidée par le premier président Schmelck, premier pré-sident de la Cour de cassation, qui avait évidemment conclu au fait queles principes dégagés par le Conseil d’État dans ces deux avis de 1974s’appliquent au juge judiciaire. Celui-ci, pas plus que le juge administra-tif, ne peut discuter l’opportunité du secret de la Défense nationale quilui est opposé. Il revient au seul ministre, d’apprécier les nécessitésqu’impose la Défense, et d’assurer au magistrat instructeur que l’infor-mation qu’il recherche est ou non protégée par le secret de la Défensenationale.

Je ne reviens pas aujourd’hui sur les très rares contentieux qui ont eulieu depuis cette époque. On y reviendra en regardant les trente-neufavis qu’a rendus la commission consultative du secret de la Défensenationale en quatre ans, mais on peut simplement souligner que lescontentieux en matière d’accès au secret sont aussi rares que médiati-ques, et que cette rareté comme ce caractère médiatique sont descaractéristiques peut-être liées à la nature même du secret, mais entout cas qui sont très rassurants sur le fait que l’essentiel de la jurispru-dence porte non pas là-dessus mais sur la répression de divulgation del’information. Finalement, le juge judiciaire intervient essentiellement

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pour condamner pénalement les personnes qui se seraient renduscoupables de divulgation de secrets de la Défense nationale, et l’his-toire nous rapporte bien des affaires en la matière. Le plus simple estpeut-être de se référer à des affaires lointaines comme celle de l’en-seigne de vaisseau Hulmo qui avait cherché à vendre à l’Allemagne lesdocuments de la défense côtière et qui avait été condamné par la Courde cassation en 1908.

Une fois que ce tableau a été dressé, il est nécessaire de revenir sur laloi du 8 juillet 1998 qui a institué une commission consultative du secretde la Défense nationale. La création de cette commission fait suite aurapport du Conseil d’État de 1995 qui avait décrit, dans son rapportpublic, les rapports entre le secret et la juridiction comme constituantl’un des angles morts des dispositifs de régulation des institutions. À lasuite de ce rapport, la loi du 8 juillet 1998 a été votée, sur laquelle jereviens en quelques mots avant de reprendre les descriptions rapidesdes avis qui ont été rendus depuis lors. Un point très important est debien rappeler que la saisine de la commission est au terme de la loilimitée à la demande de toute juridiction française, à qui le secret de laDéfense nationale est opposé, et non pas à la demande par exemple detout particulier. A la demande de toute juridiction, donc pas à lademande du Parquet non plus. Dans cette hypothèse d’opposition dusecret, la juridiction peut saisir la commission consultative du secret dela Défense nationale pour avis.

L’article 4 de la loi dit bien que l’autorité administrative saisit la com-mission consultative, elle est tenue de le faire quand elle reçoit cettedemande. Ainsi l’autorité administrative, ne va pas transmettre unique-ment à la commission les cas dans lesquels elle se dirait qu’elle ne vapas lever le secret : elle transmet toute demande, y compris celles pourlesquelles elle allait s’apprêter à le faire. Dans le cas contraire la com-mission serait transformée en instance d’appel des décisions de refusde lever le secret de l’autorité administrative. Donc toutes les deman-des qui sont adressées par les juridictions sont transmises à la commis-sion, toutes les demandes dès lors qu’elles répondent aux conditionsposées par la loi. Et bien entendu cette formule exclut comme je ledisais les saisines par des individus. Bien entendu ça ne reflète pas nonplus les situations, devant une juridiction internationale, par exemple letribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, ou la Cour pénale internationale.Ces hypothèses sont régies par les statuts propres de ces institutions,où on pourrait y revenir aussi par la cour de justice des communautéspuisqu’un article dans le traité, l’article 296, protège le secret de laDéfense nationale.

Voilà pour la saisine de la commission. La mission de la commissionest bien dite par la loi, elle reflète ce que nous disions au début sur lefait qu’elle doit prendre « en considération les missions du servicepublic de la justice, le respect de la présomption d’innocence et des

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droits de la défense, le respect des engagements internationaux de laFrance ainsi que la nécessité de préserver les capacités de défense etde sécurité, et la sécurité des personnels ».

Donc la loi organise précisément la mission de la commission. Elle doitprendre en considération deux séries d’objectifs, tout deux légitimes :d’un côté l’opposition du secret ne permet pas à la juridiction de conti-nuer son action et au contentieux de se dérouler dans des conditionssatisfaisantes, et d’autre part les informations en cause ont fait l’objetpar les autorités politiques d’une classification en application de l’ar-ticle 413-9 du Code pénal, et leur divulgation est, en tout état de cause,de nature à nuire à la Défense nationale. Elle pourrait mettre en jeu lasécurité des personnels, par exemple la sécurité des services de ren-seignements qui ont obtenu ces informations. Et donc c’est au vu deces considérations parfois contradictoires que la commission doitrendre un avis qui peut être, comme le dit la loi, « favorable, défavo-rable ou partiellement favorable à la déclassification ». Une fois qu’ellea rendu son avis, celui-ci est adressé à l’autorité administrative, le sensde l’avis est rendu public, publié au Journal officiel, et, dans un délairestreint, l’autorité administrative doit prendre la décision de déclassi-fier ou non l’information.

La composition de la commission, je n’y reviens que très rapidement.Trois membres du Conseil d’État, de la Cour de cassation, de la Courdes comptes, et un député, un sénateur. Composition finalementdésormais assez classique dans ce genre d’institution, même s’il n’estpas toujours retenu la présence de députés et de sénateurs dans uneinstitution qui est sensée contrôler les décisions de l’exécutif.

Les pouvoirs des membres de la commission sont très étendus pouraccéder à toutes les informations, Ils accomplissent toutes les investi-gations dont ils ont besoin pour leur mission. La fourniture des docu-ments, bien entendu, doit être opérée et le secret de la Défensenationale « ne leur est pas opposable ». Avec des pouvoirs, mais je n’yreviens pas, qui sont plus élevés pour le président que pour les mem-bres de la commission.

Un premier bilan peut être fait de l’action de la commission consultativedu secret de la Défense nationale. Je vous invite à vous référer à sesdeux rapports, celui pour l’année 2001, et celui pour la période2001-2003 qui est très important et passionnant. D’abord, à nouveau, ilfaut souligner le très faible nombre d’affaires. Je ne dis pas que c’estcomme l’acte du gouvernement, mais les questions de secret de laDéfense nationale sont des questions très importantes, qualitativement,mais quantitativement, non pas négligeables, mais enfin trente-neufaffaires en quatre ans dans le stock, donc moins de dix affaires par an,avec encore une fois le fait que le vote de la loi a conduit à ce qu’un cer-tain nombre d’affaires qui étaient anciennes, comme l’affaire Ben Barkaont conduit à ce que ces affaires soient immédiatement portées devant

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la commission. La commission a rendu une majorité d’avis favorables àla déclassification des informations, j’allais dire 22,5 parce qu’il y a eudes déclassifications partielles, 15 avis défavorables et une affaire sanssuite. La plupart des saisines viennent du ministère de la Défense : dixdu Premier ministre, notamment du fait de l’action de la commissiondes interceptions de sécurité, huit des Finances, cinq de l’Intérieur.

Que dire d’autre sur l’action de la commission consultative du secret dela Défense nationale si ce n’est que, finalement, le législateur a trouvé làun moyen de rassurer ceux qui auraient pu être inquiets sur les utilisa-tions abusives du secret. Parce que, depuis lors, l’autorité politique,quels que soient les gouvernements, s’est astreinte à respecter les avisde la commission, c’est-à-dire que cette commission composée detrois hauts magistrats et de deux élus du peuple rend des avis en touteindépendance et que ces avis, quelles que soient les affaires en cause,et Dieu sait que certaines – on regarde la liste publiée dans le rapportannuel – sont des affaires importantes, a conduit à ce qu’une garantiesoit offerte à tous les justiciables qu’une autorité administrative indé-pendante donnera un avis, dont le sens sera rendu public pour éviterles abus de classification.

Un dernier mot sur la CADA et le secret de la Défense nationale. Biensûr l’accès aux documents administratifs doit respecter le secret de laDéfense nationale puisqu’on a dit que même le juge ne pouvait passeroutre. Mais quand on regarde les bilans de la CADA, là aussi on est trèsrassuré : finalement on n’a quasiment pas d’affaires, on en trouvemoins d’une dizaine depuis la création de la CADA et au vu du colloqued’aujourd’hui, des travaux très importants ont été menés sur une annéepour arriver à déterminer combien d’affaires concernaient le secretdans les affaires concernant le ministère de la Défense. Si je vois bienles statistiques qui ont été réunies, d’abord on a trouvé que sur cinqmille affaires traitées par la CADA, moins de cent concernaient le minis-tère de la Défense et que sur l’ensemble des affaires concernant leministère de la Défense, sur trois cent onze avis étudiés, six concer-naient des documents classifiés. Donc, là encore, finalement, quantita-tivement cette question n’en est pas une, en tout cas elle est trèslimitée. Et, évidemment, chaque fois, depuis 1978, la CADA sait respec-ter la loi, c’est souhaitable, et a indiqué que les refus de communicationsur le fondement du secret qui lui a été soumis, elle ne pouvait que res-pecter la classification des documents.

Je dois vous avouer que, dans ce cadre, j’ai deux petites observations.La première, c’est une petite incompréhension d’une disposition del’instruction générale que j’ai citée tout à l’heure du 25 août 2003, et ladeuxième c’est sur la façon dont la CADA pense appliquer à la suite dela loi de 2000 le rapprochement des deux dispositifs. À la suite de la loide 2000 sur le cas particulier des archives, se pose la question de savoircomment la CADA intervient en cette matière. On sait très bien que la

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décision de l’administration sera discrétionnaire mais que la CADA vas’efforcer, elle, de rendre un avis motivé. Oui, mais en la matière,comme elle l’a bien dit dans certains de ses avis, elle est incompé-tente : elle ne peut pas accéder aux documents, et quelqu’un qui dit :« je suis Monsieur Untel, j’aimerais accéder au code des fusées nucléai-res et j’aimerais savoir quelles sont les villes ou les sites qui sont viséspar les fusées. » Il n’est pas question de s’interroger longuement poursavoir si le document va être donnée à la CADA pour savoir si celle-civa s’interroger pour savoir si c’est une bonne idée ou non d’avoir clas-sifié les endroits qui seraient visés dans l’éventualité d’un conflit. Donc,finalement, le ministère de la Défense ou le Premier ministre ne don-nent pas ces documents à la CADA quand quelqu’un les demande. Et,honnêtement, je ne vois pas très bien comment il pourrait en être autre-ment, et donc je suis très heureux d’avoir vu un certain nombre d’avisde la CADA qui rend un avis d’incompétence. Elle n’est pas compétentepour se prononcer sur ces questions. D’ailleurs le législateur est inter-venu dans la loi du 17 juillet 1998 pour dire que là où la question seposait vraiment devant une juridiction, il y avait un dispositif particuliergarantissant l’équilibre des droits des uns et des autres pour qu’onvérifie si c’est une bonne chose ou pas de ne pas rendre publics lescodes nucléaires.

Toujours dans ce cadre-là, il y a peut-être une petite imperfection dansl’instruction générale du 25 août 2003 qui cherche à se prononcer sur leversement, sur l’accès aux archives des informations classifiées.Celle-ci nous dit bien qu’une fois la demande d’accès reçue, il faut bienque l’autorité administrative s’interroge pour savoir si la classificationest méritée, toujours justifiée, parce qu’on peut imaginer qu’un docu-ment dont la classification était justifiée il y a vingt-cinq ans ne le soitplus aujourd’hui. Donc on voit bien, la première branche de l’alterna-tive est claire, que l’autorité administrative vérifie si le sens, la nécessitéde classification au regard des impératifs du Code pénal est toujoursjustifiée, si ça ne l’est pas, elle déclassifie le document et on va pouvoiry accéder dans les conditions de droit commun. Mais, bien entendu, sielle ne décide pas de déclassifier le document, on retombe sur le rai-sonnement binaire de tout à l’heure : nul ne peut y accéder excepté lesautorités habilitées, en raison de l’article 413-9 du Code pénal, et vousverrez que l’article 41 de l’instruction que je citais tout à l’heure est légè-rement ambigu puisqu’il dit : si sa classification est toujours justifiée, sacommunication est refusée sous réserve de la possibilité de dérogation« . Mais il n’existe pas de possibilité de dérogation puisque la possibi-lité de dérogation, c’est la déclassification de l’information.

Pour conclure, j’attire votre attention sur un contentieux intéressant quilà aussi repose bien la question de la portée du secret. J’ai surtout traitédes actes individuels qui sont classifiés ou des informations relativesau secret de la Défense nationale. A ce sujet, il est nécessaire pour une

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démocratie comme la nôtre de pouvoir disposer d’informations qui nesont accessibles qu’à certains, et tous ceux qui ont connu des jugesantiterroristes ou des personnels militaires s’occupant de la défense dela nation le savent bien. Mais il n’y a pas que des actes individuels quisont classifiés, il y a également des actes réglementaires qui sont par-fois classifiés. Et vous savez peut-être que, par exemple, au jour d’au-jourd’hui le statut des personnels de la direction générale de la sécuritéextérieure, la DGSE, est classifié : le décret est classifié. Tout simple-ment parce qu’il existe dans ce statut un certain nombre d’informationsqui n’ont pas à être connues sur les obligations des personnels de laDGSE. Toutes ces informations communiquées à ces personnels quisignent des engagements écrits lorsqu’ils s’engagent dans cette direc-tion particulière. Et alors il y a quand même un problème de ces actesréglementaires sur la façon dont ils entrent en vigueur et sont opposa-bles, parce que la jurisprudence du Conseil d’État nous a dit que finale-ment ces actes réglementaires ne peuvent entrer en vigueur et êtreopposables que s’ils font l’objet d’une mesure de publicité... Il y aquand même là une contradiction.

Pour conclure je ne résiste pas de nouveau à revenir sur cette questionde la quantité pour vous citer le président Fougère qui avec humourdisait : « à en croire le Lebon, les fonctionnaires abandonnent leurspostes, s’enivrent, insultent leurs supérieurs, signent ou distribuentdes tracts séditieux, mais ils ne trahissent jamais, ou à peu près jamaisles secrets du service ». C’est vrai que, quand on va regarder la juris-prudence comme je l’ai dit trop souvent, finalement ces questions sontrares et il faut s’en féliciter. Je vous redis, sous le contrôle vigilant à lafois du président Lasserre qui, dès le début des années 1980 dans sonouvrage sur la transparence, soulignait la nécessité d’ajuster sesangles morts, et du président Lelong, président de la commission dusecret de la défense nationale que c’est bien l’honneur de notre démo-cratie que d’arriver à combiner ces nécessités absolues de respect dela vie privée pour chacun de savoir ce qui est relatif à lui-même, maisaussi de permettre à notre démocratie d’assurer la sécurité collective,et il y a bien des intérêts qui sont de cette nature dans le secret de laDéfense nationale.

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Débat avec la salle

M. LELONG, président de la commission du secret défense

Je voudrais simplement ajouter deux observations. D’abord je medemande si nous n’avons tout de même pas maintenant l’embryond’une définition, dans une mesure où c’est possible, du secret de laDéfense nationale. Marc Guillaume a cité la loi de 1998 avec trois élé-ments : les engagements internationaux de la France, la capacité depréserver les capacités de défense et la protection des personnels. Cer-tes il y a d’autres éléments qui vont dans le sens de la transparence,mais nous avons tout de même, avec trois principes, notamment avecla notion de capacité de défense qui nous renvoie à l’ordonnance de1959, son article 1 qui définit la notion de défense qui inclut parexemple dans la notion de défense la préservation, la défense de lapopulation, nous avons une définition large de la notion de défense quin’est pas du tout limitée, contrairement à ce que parfois on lit dans lapresse, au secret militaire. Je me demande si on ne pourrait pas arriverà une certaine définition.

La deuxième observation, c’est une notation pratique, c’est que l’article4 demande au magistrat de motiver les raisons pour lesquels il consi-dère nécessaire une déclassification. C’est très important parce quedans la balance très délicate que la commission a à faire, si elle ne saitpas bien à quoi ça peut servir pour le magistrat, elle aura tendance à nepas bien faire jouer cette balance. L’intérêt de la juridiction ou l’intérêtdu juge d’instruction, c’est effectivement de motiver. Or, un certainnombre de magistrats, c’est une tendance qui heureusement est, jepense, en voie de diminution ou d’extension, sont réticents pour desraisons diverses à motiver ou ne motivent que de façon extrêmementsuccincte, en particulier la raison pour laquelle on ne doit pas motiverparce que ce se serait enfreindre le secret de l’instruction nous paraît ànous, commission du secret, y compris à celui d’entre nous qui estconseiller à la Cour de cassation, une raison discutable mais je nerentre pas dans le débat maintenant.

Dernière remarque : je pense que la présence de deux parlementairesdans la commission s’est révélée jusqu’à présent une bonne chose.Pourquoi ? Tout simplement parce que les présidents, qui sont nom-més par le président du Sénat ou le président de l’Assemblée natio-nale, ont toujours veillé à ce que ces deux parlementaires soient detendance politique opposée. M. Debré a nommé consciemment en juil-let 2002 Jean Glavany membre de la commission et M. Glavany aaccepté, ce qu’il n’était pas obligé de faire. Cela veut dire qu’il y a dansnotre démocratie, quels que soient les affrontements politiques, leur

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âpreté, la dose de mauvaise foi que nécessairement cela implique depart et d’autre dans ce débat politique, il y a tout de même, dans despérimètres bien limités, la possibilité d’essayer de construire un soclecommun de légitimité.

MONIQUE ATTELI

M. le directeur, je suis très néophyte en matière de Défense nationale.Quels conseils pourriez-vous donner à un ayant-droit de disparus duMinerve souhaitant avoir accès au dossier quarante ans après ?

Un intervenant

Une question rapide, ce sont surtout des questions parce que je neréussis pas à vous suivre à cause de ma langue maternelle. Mais lesquestions sont celles-ci : est-ce que la commission du secret de ladéfense a accès à tous les documents ou bien y a-t-il des documentstrès secrets où elle n’a pas accès ? Quel est le meilleur site Internet oùje puisse avoir plus de renseignements sur ce point et surtout de votreintervention ?

MARC GUILLAUME

Sur la seconde question, je vais vous offrir le rapport de la commissionau nom du président Lelong, vous y trouverez toutes les documents, etc’est à la Documentation française donc on peut télécharger sur le sitede la Documentation française.

Sur l’autre question, en réalité, même pour les affaires anciennes, jecitais Ben Barka, la commission consultative est bien entendu compé-tente. Donc si le secret dans des affaires qui ont pu, si je puis dire, fairel’objet d’instructions qui n’ont pas été clauses, elle peut tout à fait,comme cela a été le cas pour le juge d’instruction dans l’affaire de BenBarka, demander à ce que la commission accède à l’ensemble desdocuments classifiés et que celle-ci se prononce pour déclassifier par-tiellement, totalement, les documents en cause. Si vous voulez, cettegarantie est une garantie pour le stock et pour le flux en quelque sorte.

La dernière transition est parfaite entre ce que nous allons abordermaintenant et ce problème du secret de la Défense nationale parcequ’effectivement nous allons aborder le problème des archives et il estbien évident que dans le problème des archives, celui du secretdéfense se pose inéluctablement et qu’il y a là une articulation qui estabsolument nécessaire.

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La fin du secretdans le temps :l’accès aux archives

ANTOINE PROST,professeur émérite à l’université de Paris I,

membre de la CADA

Pour la CADA, l’accès aux archives est un sujet neuf : sa compétenceen matière de communication d’archives ne date que de la loi d’avril2000. Ce n’est pas, d’autre part, un sujet central. Les recours sont peunombreux : une cinquantaine par an, soit 1 % seulement des affairesqui lui sont soumises. Mais ils posent des questions assez différentesde celles auxquelles la CADA doit d’ordinaire répondre, ce qui leurdonne un intérêt particulier.

Archives et dérogations

Les archives constituent un univers à elles seules 1. Tout ce que produi-sent les administrations de toute sorte est appelé à devenir archive. Lesdocuments administratifs ne sont qu’une partie de cet ensemble beau-coup plus vaste et plus divers, qui s’étend des documents judiciairesaux minutes des notaires.

Laissons de côté les archives privées : elles appartiennent à des per-sonnes physiques ou morales qui décident comme elles l’entendent deleur consultation. La CADA n’a évidemment aucune compétence en cequi les concerne. Un risque de malentendu existe cependant du faitque la propriété et la conservation peuvent être dissociées. Certainesarchives privées sont conservées par leurs propriétaires eux-mêmes,comme celles de Saint-Gobain au château de Ménars. D’autres sontdéposées dans des services publics, Archives nationales ou départe-mentales. Nombre d’archives d’entreprises ou de syndicats sont ainsiconservées au Centre d’archives du monde du travail, à Roubaix, l’un

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1 Par convention, nous désignons dans cet article par archive (s) avec un a minuscule lesfonds conservés, et par Archive (s) avec un A majuscule les institutions responsables dela conservation et de la communication. Les archives sont aux Archives.

des centres des Archives nationales. Des archives d’associations d’é-ducation populaire ou de mouvements de jeunesse sont accueilliesaux Archives départementales du Val de Marne. Des particuliers ontconfié leurs papiers aux Archives, ou leur famille l’a fait après leur mort.Les Archives nationales ont ainsi un département d’archives privéesimportant, où l’on trouve aussi bien la correspondance de Marc Blochque les dossiers de Jules Moch et bien d’autres. La consultation de cesfonds peut poser des problèmes, mais ils ne sont pas d’ordre public. Ilsne sont pas régis par la loi, mais par la convention de dépôt signéeentre le déposant et les Archives de France au moment du dépôt. Pourm’être vu opposer des refus faute de l’accord du déposant, je puisattester que les Archives respectent scrupuleusement les conventionsde dépôt. La CADA ne peut interférer en rien dans d’éventuels conflits :le contrat est la loi des parties. Il n’y a pas lieu de le regretter : mieuxvaut que ces fonds privés soient provisoirement inaccessibles, maisconservés, que détruits ou dispersés, voire vendus à l’étranger.

Limitons-nous donc aux archives publiques, celles de l’État, des collec-tivités territoriales, des établissements publics et de leurs annexes.Deux cas se présentent, selon les modalités de conservation : ou bienelles sont conservées par les Archives de France et leur réseau : Archi-ves nationales, départementales et municipales. Ou bien elles sontconservées par l’administration ou le service qui les produit. En effet,pour des raisons historiques diverses, les Archives de France n’ont pasle monopole de la conservation des archives publiques. Le ministèredes Affaires étrangères, celui de la Défense, la Préfecture de police ontleurs propres services d’archives. Il y a même des archives publiquesdans des lieux privés : si l’on veut consulter le registre du commercepour étudier les effets de la crise des années trente, il faut aller au greffedu tribunal de Commerce, qui n’oublie pas de rappeler qu’il est unorganisme privé.

Quel que soit le lieu de conservation, la consultation de ces documentsest régie par la loi de 1979 sur les archives. Suivant leur nature, lesdocuments ne sont pas consultables avant un délai qui varie de 30 à150 ans. Cependant, les Archives peuvent en autoriser la consultationpar dérogation avant l’expiration de ce délai pourvu que l’administra-tion dont proviennent les documents donne son accord.

L’archivage ne saurait cependant avoir pour conséquence de rendreincommunicables des documents administratifs dont la communica-tion est de droit en application de la loi de 1978. Or c’est à quoi condui-rait l’application stricte du délai de 30 ans, et les administrationsn’auraient eu qu’à verser leurs papiers aux Archives pour se soustraireà leurs obligations légales de communication. Cette absurdité a étéreconnue, et les Archives n’appliquent plus le délai de 30 ans aux docu-ments administratifs consultables de droit. Pour que tous les servicesentrent dans cette logique nouvelle et communiquent sans formalités

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les documents administratifs de moins de 30 ans, il a fallu cependantun certain temps. J’ai dû ainsi demander une dérogation, qui m’a étérapidement accordée, pour consulter le compte-rendu d’un colloqueorganisé en 1975 par un ministère.

La dérogation n’est pas un droit. C’est une mesure individuelleaccordée à une personne donnée pour des documents déterminés.Elle est généralement soumise à des conditions plus ou moins restricti-ves de consultation, comme de ne pas photocopier les documents, dene pas les publier, ou de respecter l’anonymat des personnes. La déro-gation, comme la définition des conditions de consultation, relèvent dela compétence de l’administration ou du service qui ont versé les archi-ves. Quand elles sont conservées par les Archives de France, celles-ciinstruisent la demande de dérogation et la soumettent au service ver-seur, mais elles sont tenues de suivre son avis. Elles ont compétenceliée. Quand elles sont conservées par l’administration elle-même(Défense, Affaires étrangères, Préfecture de police etc...) celle-ci ins-truit directement les demandes. Dans un cas comme dans l’autre, si ledemandeur se voit opposer un refus de dérogation qu’il n’estime pasjustifié et s’il s’obstine, il peut saisir la CADA, dont l’avis est consultatif.

Les recours

Les recours possiblesQuelle est l’ampleur des refus de dérogation susceptibles d’être sou-mis à la CADA ?

Si la question est simple, la réponse est nécessairement approxima-tive. C’est en 2001 seulement, en effet, qu’a été mis en place l’observa-toire des dérogations qui permettrait de répondre en toute sécurité. En2002, le nombre de demandes de dérogation se situe au-dessus de3 200 pour les fonds conservés par les Archives de France, sans qu’onsache combien de ces demandes étaient en réalité sans objet parcequ’elles visaient des documents administratifs consultables en vertude la loi de 1978. Pour les fonds conservés par les ministères et la Pré-fecture de police, le nombre de demandes a été de 1 150 la mêmeannée. Au total, plus de 4 350 demandes de dérogation sont formuléesannuellement.

Ce nombre semble en augmentation sensible. Nous n’avons de chiffresque pour les demandes instruites par les Archives de France : ellesauraient doublé de 1985 à 1990, et triplé de 1990 à 2000 (voir le tableauci-joint), ce qui ne devrait pas surprendre. En effet, l’effectif des étudiantset chercheurs est en augmentation sensible, et l’histoire contemporaine

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bénéficie de cette croissance davantage que l’histoire moderne oumédiévale. D’autre part, l’explosion du troisième âge multiplie lesretraités actifs qui entreprennent l’histoire de leur village, de leur rue,de leur maison, sans compter les bataillons de généalogistes – les pre-miers clients des Archives départementales – qui passent de larecherche de leurs ancêtres à l’histoire de leur famille. L’intérêt crois-sant pour l’histoire proche est un fait de société ; il suscite un flot mon-tant de demandes de consultation d’archives par dérogation.

Les Archives ont bien conscience de cette demande sociale et elless’efforcent de la satisfaire. La plupart des demandes reçoivent unesuite favorable. Les refus, qui seuls sont susceptibles d’être déférés à laCADA, sont en nombre infime : 179 en 2002 pour les Archives deFrance, soit 5,5 % des demandes, 358 pour les demandes adresséesaux administrations qui gèrent elles-mêmes leurs archives, essentielle-ment le ministère de la Défense, soit deux fois plus. Cependant,comme le nombre de demandes adressées à ces administrations estbeaucoup plus faible, ce chiffre est en fait très élevé : il représente prèsde 31 % des demandes. La dissymétrie est choquante : un chercheurqui demande une dérogation pour consulter des fonds conservés auxArchives de France se heurte à un refus une fois sur vingt. C’est plus dedeux fois sur trois, s’il frappe à la porte du ministère de la Défense.

Les recours effectifsCette dissymétrie s’accentue aux étapes suivantes du processus quiaboutit à la CADA. Tous les refus, en effet, ne conduisent pas à sasaisie. Même si le nombre des recours augmente sensiblement -47 en2003, contre 36 en 2002 et 40 pour les dix-sept mois d’août 2000 à la fin2001 – il reste pour le moment de l’ordre d’une cinquantaine par an(voir le tableau ci-dessous).

Un examen plus attentif montre une différence sensible entre l’originedes recours. Alors que les Archives de France ont une pratique beau-coup plus libérale que la Défense 1, leurs refus de dérogation viennentbeaucoup plus souvent devant la CADA : 15,5 % en 2001-2001, 11,2 %en 2002, contre moins de 5 % des refus opposés par la Défense. Toutse passe comme si une pratique restrictive produisait en outre deseffets dissuasifs : plus une administration refuse de dérogations, plusles demandeurs s’y résignent. Il y a là un enchaînement bien connu.

Normalement, on peut s’attendre à ce que les refus, plus rares, desArchives de France, soient aussi mieux fondés, et de ce fait plus souvent

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1 Le nombre de refus émanant des autres administrations gérant elles-mêmes leursarchives est si faible (aucun recours contre des refus émanant de la Préfecture de policeou du ministère des Affaires étrangères pour la période août 2000-2001) que nous ne lesmentionnons pas.

confirmés par la CADA que ceux du ministère de la Défense. C’est eneffet le cas en 2000-2001 mais non en 2002 et 2003. En fait, même si lesArchives instruisent les dossiers de dérogation avec rigueur, objecti-vité et dans un esprit d’ouverture, elles sont liées par l’avis du serviceverseur et ne peuvent passer outre quand il refuse une dérogation.Dans le lot des refus que la CADA a désavoués, une analyse plus finefait apparaître notamment des dossiers concernant les archives del’Intérieur où la pratique du secret a des racines profondes.

En ce qui concerne les refus émanant du ministère de la Défense, laCADA les a jugés non fondés deux fois sur trois. C’est beaucoup. Leplus souvent il s’agit de dossiers classés « secret défense » pour desraisons qui pouvaient se justifier à l’époque, mais dont on ne voit pas, àl’examen, ce qui justifierait aujourd’hui le maintien de cette classifica-tion. Il semble que le ministère de la Défense utilise le « secretdéfense » comme un argument passe-partout et une arme absoluepour se défendre de curiosités dont il pourrait choisir au contraired’examiner si elles ne sont pas légitimes et recevables.

Les suitesL’avis de la CADA est purement consultatif, on le sait. Les administra-tions ne sont donc pas tenues de le suivre et elles peuvent parfaitementmaintenir leur refus lors même qu’elles ont été désavouées par laCADA. La jurisprudence sur ce point est sans équivoque. Un chercheurqui s’était vu refuser par les Archives Nationales des dossiers duministère de l’Intérieur datant de plus de quarante ans, a d’abordsaisi la CADA, qui a rendu un avis favorable à la dérogation,compte-tenu de la notoriété du demandeur, de la qualité de sespublications, de la nature et de la date des documents demandés.Malgré cet avis très argumenté, les Archives ont maintenu le refus dedérogation à la demande du ministère. Le chercheur a saisi le TribunalAdministratif de Paris en se fondant sur l’avis de la CADA : il a étédébouté et le refus a été confirmé sans la moindre hésitation du com-missaire du gouvernement.

Une différence apparaît pourtant dans le sort réservé aux avis de laCADA selon que les dérogations sont instruites ou non par l’intermé-diaire des Archives de France. Quand c’est le cas, une fois sur deuxenviron, un avis de la CADA favorable à l’octroi d’une dérogation primi-tivement refusée est suivi par l’administration verseuse. Dans le casdes demandes refusées par le ministère de la Défense, celui-ci main-tient presque toujours son refus malgré l’avis de la CADA. Faut-il pen-ser que la Défense est plus obstinée à maintenir fermés ses dossiersque les autres administrations ? Ou que les Archives de France exer-cent auprès des administrations qui leur ont versé leurs fonds unefonction de conseil et de médiation efficace ? Toujours est-il que la

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différence ne cesse de se creuser à toutes les étapes du processus : leministère de la Défense refuse les dérogations six fois plus que lesadministrations qui ont versé leurs fonds aux Archives ; ces refus sontdeux fois moins souvent déférés à la CADA ; quand celle-ci les invalide,la Défense persévère presque toujours dans son refus alors que lesautres administrations tiennent compte une fois sur deux de l’avis de laCADA s’il est favorable à la dérogation.

Insérer le tableau par ici. Tableau cada. xls excel 5.0

Les argumentations

L’attitude de la CADA dans l’examen des refus de dérogation n’est pasexactement semblable à ce qu’elle est dans le cadre de ses autres com-pétences. En matière d’accès aux documents administratifs, son rai-sonnement est dicté par le cadre juridique et elle examine 1/ si lesdocuments demandés sont bien de nature administrative et non judi-ciaire ou autre ; 2/ si leur communication est de nature à mettre en dan-ger le secret de la vie privée ou menace l’ordre public. C’est ladémarche classique quand il s’agit d’un droit. Une fois établi que ledocument dont la communication est demandé relève bien de la loi de1978, et qu’aucune des réserves édictées par l’article 6 de cette loi nepeut être retenue, la communication est de droit.

Mais une dérogation n’est jamais un droit. La CADA doit donc appré-cier au cas par cas le bien fondé des demandes refusées ; c’est trèsexactement faire de la casuistique. Certains ne s’y résignent pas et sou-haiteraient qu’on adopte des règles strictes et qu’on s’y tienne. Ce quireviendrait à modifier, dans un sens libéral, les règles d’ouverture desarchives et déplacer, en le réduisant sans doute, le domaine des déroga-tions possibles, sans changer fondamentalement celui-ci. On n’échappepas à la casuistique, parce que les demandeurs sont tous différents, dif-férentes leurs raisons de vouloir consulter les archives et les objectifsqu’ils poursuivent, et parce qu’il n’y a pas deux cartons d’archives sem-blables. Accorder ou refuser une dérogation, c’est inévitablementapprécier s’il convient d’ouvrir tel ou tel carton à tel ou tel demandeur.C’est juger la pertinence d’une demande déterminée en fonction ducontenu précis des dossiers demandés.

Les demandes

Dans ses appréciations, la CADA tient compte de la nature des deman-des plus que des personnes des demandeurs. Deux grandes séries de

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demandes lui semblent en principe légitimes : les demandes histori-ques et les demandes familiales.

Les historiens ne peuvent écrire l’histoire sans archives. Les déroga-tions leur sont indispensables pour faire par exemple l’histoire de laSeconde Guerre mondiale, de la Libération ou de la guerre d’Algérie.Dès lors que la nature scientifique de la demande lui paraît attestée, soitpar la personnalité du chercheur (professeur d’université, chercheur auCNRS, historien connu par des publications antérieures), soit par lecadre universitaire dans lequel s’inscrit la recherche (DEA, thèse dedoctorat, maîtrise même parfois quand elle est bien encadrée), laCADA a tendance à examiner la demande d’un œil favorable. Il en va demême quand elle émane d’un journaliste connu, ou encore d’un éruditlocal qui prépare une communication à une société savante. Maisencore faut-il que les dossiers demandés soient pertinents pour le sujetde la recherche : un doctorant qui prépare une thèse sur les préfets deVichy obtiendra la dérogation nécessaire pour consulter les dossierspersonnels de ces fonctionnaires. Mais, dans la même situation univer-sitaire, un chercheur dont la thèse porte sur le parti communiste à laLibération se verra refuser des dossiers de police de 1952-54. Le juge-ment croise toujours la nature des demandes ou le personnalité desdemandeurs et le contenu des dossiers visés.

Les demandes familiales sont très variées. Il s’agit souvent de person-nes qui ont entrepris l’histoire de leur père ou de leur grand-père : ilétait gendarme, ou douanier, et il a été en poste ici et là ; il a été mis à laretraite par anticipation. Ou encore il a été abattu en Algérie par uncommando de l’OAS. Les descendants veulent savoir pourquoi, et ilsdemandent à consulter le dossier individuel de leur aïeul, ou le pro-cès-verbal de gendarmerie établi après l’attentat. La CADA juge engénéral ces demandes légitimes, mais elle a une conception étroite dela famille : les neveux qui s’intéressent à des oncles lointains sont évi-demment moins légitimes que les fils qui se posent des questions surleur père ou leur mère. Quand le lien est encore plus lointain, lademande a peu de chances d’être satisfaite. La CADA a ainsi refusé ladérogation demandée par un historien amateur pour le dossier d’unami de sa famille, qui avait été témoin au mariage de ses parents. Detoute façon, dans ce type de demande, la CADA veille à ce que la déro-gation ne porte pas atteinte à la vie privée des tiers.

Les dérogations qui font l’objet d’un avis favorable sont souvent assor-ties de réserves. Les historiens qui obtiennent l’autorisation de consul-ter des séries de dossiers individuels ou judiciaires s’engagent en règlegénérale à ne pas faire d’utilisation nominative de ces informations.Dans d’autres cas, la CADA préconise de faire disparaître des docu-ments communiqués par dérogation les indications susceptibles decompromettre des personnes privées étrangères au sujet traité. Rien làque de très habituel.

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Les dossiers

L’avis de la CADA dépend aussi beaucoup de la nature des dossiersdemandés et de leur contenu. Son avis est plus facilement positif danstrois cas. D’abord, quand le dossier a déjà fait l’objet d’une communica-tion par dérogation à un autre chercheur. En second lieu, la dérogationest plus volontiers envisagée quand le délai restant à courir est relative-ment court avant que les dossiers en question ne soient communica-bles de droit. En matière de secret-défense, par exemple, le délai est desoixante ans : des dossiers de 1944-45, qui seront librement consulta-bles dans quelques années, n’ont évidemment pas le même statut quedes dossiers relatifs aux expériences atomiques des annéessoixante-dix. Enfin l’avis est souvent favorable quand les dossiers necontiennent pratiquement rien qui ne soit déjà connu ; la CADA a ainsidonné un avis favorable à la consultation par dérogation de dossiers depolice concernant l’attentat dont F. Mitterrand a été victime dans lesallées de l’Observatoire : ils ne contenaient rien qu’on ne pouvait liredéjà dans ses biographies. Les refuser aurait été alimenter la suspicionsans raison.

Inversement, l’avis est généralement négatif quand les dossiersdemandés mettent en cause des tiers encore vivants. Le cas n’est pasrare pour les dossiers relatifs à l’occupation ou à la guerre d’Algérie :permettre d’identifier l’auteur d’une dénonciation qui a envoyé quelqu-’un en camp de concentration, ou le chef d’un commando qui a com-mis plusieurs assassinats n’est pas envisageable si le demandeur est lavictime ou l’un de ses descendants, sauf si l’on peut anonymer toutesles indications relatives aux tiers en sorte qu’ils ne puissent être identi-fiés, ce qui retire à la communication beaucoup de son intérêt. Les pro-blèmes sont différents si la demande émane d’un chercheur dans lecadre d’une histoire générale pour laquelle il n’a pas besoin de ces pré-cisions et peut donc s’engager à respecter l’anonymat.

Les dossiers individuels soulèvent des difficultés parfois insolubles. Jus-qu’à quel point la vie des ascendants et leur mémoire doivent-ils êtreprotégés de la curiosité de leurs descendants ? peut-on permettre à unfils de découvrir, preuves à l’appui, les turpitudes dont son père décédés’est rendu coupable ? On ne peut répondre facilement à ces questions,car les dossiers demandés peuvent contenir soit des confirmations oudes précisions pour des faits que les descendants soupçonnent, soit devéritables révélations. Deux exemples feront sentir la différence, qu’ilimporte d’apprécier pour donner un avis fondé. Le premier est celui descours de justice de la Libération. Quand un descendant demande un teldossier, il sait déjà que son père ou son grand-père a été traduit devant lacour de justice et apprendre qu’il a collaboré, ou qu’on le lui a reproché,ne devrait pas le surprendre. En revanche, ouvrir à un descendant undossier personnel de fonctionnaire où il découvrira que son père ou

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grand-père était un ivrogne et un voleur, ou qu’il a été mis à la retraited’office pour des malversations, pose un problème très différent, et lerespect de la mémoire incite plutôt au refus de dérogation.

Devant ces difficultés, la tentation est grande d’adopter des règles stric-tes et de s’y tenir. Cette solution présenterait l’avantage d’exonérer lesArchives d’un examen attentif, qui exige du temps, et d’une prise dedécision qui peut toujours être soupçonnée d’arbitraire et qui, danscertains cas, peut s’avérer mauvaise. Mais la contrepartie serait deretarder l’ouverture de certaines archives aux historiens et de frustrerbeaucoup de familles dans leur curiosité légitime.

En conclusion, il est sans doute possible et même souhaitable dedéclassifier un certain nombre de documents souvent demandés ; onpeut envisager sur ce point une révision de la loi sur les archives ou desdérogations systématiques, quand la CADA aura pu établir son juge-ment sur un nombre suffisant de recours. En revanche, il ne paraît pasraisonnable de renoncer à la pratique des dérogations. Mais il est bonqu’elles soient examinées par une instance indépendante comme laCADA, afin de limiter le risque d’arbitraire inhérent à toute procédurede ce type. La justice ne consiste pas, en ce domaine, à imposer à tousdes règles uniformes, mais à apprécier dans chaque cas, en recher-chant les meilleures conditions possibles de sérénité et d’objectivité, lapertinence des décisions au regard des personnes et des documents.C’est à quoi la CADA s’efforce.

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Table ronde

Économie, environnement :entre secret et transparence

Présidence : BRUNO LASSERRE,conseiller d’État, président suppléant de la CADA

Je vais être très bref. Cette table ronde relie deux sujets, un peu artifi-ciellement : économie d’une part, environnement d’autre part avec unsous-titre qui est commun à l’ensemble de ce colloque, et reste finale-ment la question centrale : où est la bonne limite entre secret et trans-parence ?

L’économie tout d’abord. La CADA a finalement affaire à la vie écono-mique à la fois parce que l’État, les collectivités locales détiennent desdocuments sur les entreprises, que ce soit des rapports d’enquête, decontrôle, mais aussi lorsque ces collectivités contractent avec des per-sonnes privées, dans le cadre par exemple de marchés publics, ellesdétiennent toute une série d’informations qui leur sont données pardes entreprises privées. La loi s’applique, et c’est important aussi, ausecteur public marchand des grandes entreprises publiques commeEDF/GDF, la Poste, France Telecom qui entrent dans le champ de la loide 1978 en tant que personnes privées chargées de la gestion du ser-vice public. Sous ces deux angles, la CADA a eu à de nombreusesreprises à répondre à cette question : quelle est la bonne limite, quelest le bon équilibre entre transparence d’un côté, qui est l’objectif de laloi, et le secret en matière industrielle et commerciale qui est l’un dessecrets relatifs auxquels l’article 6 de la loi de 1978 fait référence ?

Vous avez posé la question en introduction : si ce secret n’est pas tout àfait le secret des affaires, il n’en est pas très loin. C’est une notion quin’est pas définie par la loi et que la CADA a dû interpréter elle-même.Cela n’a pas été aisé, car c’est un secret contingent, nuancé et il y aassez peu de jurisprudence judiciaire sur cette notion. Pour me résu-mer, je crois que cette notion recouvre trois éléments : le secret desprocédés, c’est-à-dire le secret de fabrique au sens classique du terme,le secret attaché à certaines données économiques et financières (il estclair par exemple que le montant de la trésorerie d’une entreprise, le

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taux de marge sur un produit est évidemment quelque chose qui nepeut être communiqué) et également le secret des stratégies commer-ciales. Et c’est un point dont il faudra discuter : dans cette recherche dubon équilibre, on comprend que finalement les personnes moralesn’ont pas un droit à l’intimité. C’est autre chose. Mais quel est le bonéquilibre, notamment du point de vue du bon fonctionnement du mar-ché ? Est-ce que la concurrence, qui est un objectif de fluidité du mar-ché, impose finalement une transparence totale ? Il se trouve que jesiège au Conseil de la concurrence, et nous avons souvent cette pro-blématique. Le consommateur veut savoir tout sur les entreprises et,dans certains cas, on peut se demander si cette transparence totalen’est pas contraire à l’objectif de concurrence. Je prends l’exemple desprix de l’essence. Vous rentrez sur l’autoroute, et on vous annonce àvingt, quarante, soixante kilomètres quel sera le prix du carburant.C’est très bon pour le consommateur qui va pouvoir choisir où s’arrê-ter. Mais on s’est aperçu que ce pouvait être un facteur d’entente impli-cite sur les prix : les entreprises connaissant à tout instant le nouveauprix pratiqué par le concurrent, elles ont tendance à s’aligner sur ce prixet donc à supprimer ce libre choix. Il y a une vraie question autour dubon équilibre entre secret et transparence, et c’est une notion débattueaujourd’hui : regardez le débat sur la publication des salaires despatrons, les revendications des petits actionnaires sur le devoir detransparence des entreprises. C’est un sujet de pleine actualité.

En ce qui concerne l’environnement, c’est un sujet intéressant du pointde vue la CADA à la fois par l’importance de la demande : 20 % environdes demandes adressées à cette institution tournent autour des ques-tions d’urbanisme ou d’environnement, donc c’est un sujet qui quanti-tativement occupe beaucoup la CADA, et qui est également intéressantparce qu’au-delà du droit national se dessine un consensus internatio-nal pour définir un certain nombre de normes. Je renvoie sur ce pointau très intéressant article du professeur Delaunay à l’AJDA de juilletdernier, qui montre bien que le droit national maintenant s’accom-pagne de toute une série d’initiatives au plan international : la déclara-tion de Rio, la convention d’Ahrus au plan européen ainsi que desdirectives communautaires, mais également au plan français, avec lafuture charte constitutionnelle sur l’environnement qui proclame undroit beaucoup plus étendu à l’information.

Deuxième chose intéressante, il faudra en parler : l’on voit bien que cequi est revendiqué, ce n’est pas seulement un droit de connaître, un droità l’information, c’est aussi un droit à débattre. C’est le problème de laconcertation préalable au projet. Les personnes intéressées ne deman-dent pas simplement à avoir accès aux documents, à l’information, maiségalement à être parties prenantes d’une certaine manière à la décision.

Pour débattre de tout cela, nous allons organiser notre table ronde endeux parties successives. Sur les questions économiques, nous allons

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d’abord donner la parole à Christian Garbar, qui est doyen de la facultéde droit de Tours et qui posera la question justement de la transpa-rence dans les entreprises publiques. Ensuite Bruno Delor, qui est res-ponsable de la politique des achats d’une grande entreprise publique,la Délégation générale à l’armement, essaiera de voir matériellementcomment concilier transparence et secret dans la politique des achatsavant que Noël Chahid-Nouraï, qui est avocat à la Cour mais après unelongue carrière au Conseil d’État et également un mandat à la CNIL,témoigne du point de vue du praticien finalement confronté à la fois aubesoin de secret et de transparence.

Ensuite nous aborderons plus particulièrement les questions d’envi-ronnement avec un exposé de Nicole Lerousseau, professeur à l’uni-versité François-Rabelais de Tours, qui centrera son intervention sur laquestion des OGM aujourd’hui très débattue, et nous terminerons avecle point de vue de Benoît Busson, responsable du service juridique dela fédération Nature-Environnement, qui nous dira comment un mili-tant associatif utilise aujourd’hui la loi de 1978, quelle est l’aide qu’ellepeut lui apporter mais aussi ses limites.

Noël Chahid-Nouraï n’est pas entrepreneur mais avocat, et il conseilledonc les entreprises, notamment dans leurs relations avec le mondeadministratif.

D’où la question que je lui adresse : utilisez-vous la loi de 1978, yavez-vous recours, notamment à la CADA ? Si oui, quel jugement por-tez-vous sur son efficacité aujourd’hui, sur le respect de la loi par lesadministrations dans le domaine économique ?

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NOËL CHAHID-NOURAÏ,avocat à la Cour

Je voudrais, tout d’abord, écarter quelques idées reçues concernantles avocats.

En premier lieu, les avocats ne font pas que du contentieux et lorsqu’ilsen font, ils n’ont pas nécessairement besoin de faire appel à la CADA. Ilexiste certainement des avocats qui sont souvent confrontés à des pro-blématiques CADA : ce sont notamment ceux qui consacrent leur acti-vité à la défense des personnes, devant ou contre l’administration,(surtout des étrangers) ceux qui ont des dossiers à traiter dans ledomaine de l’environnement, ceux qui ont à faire dans le domaine descontrats et marchés, ceux qui traitent des dossiers de concurrence.Premier point, donc, tous les avocats ne sont pas également concernéspar la CADA et il est très difficile de dire qu’il existe « un point de vuedes avocats » sur les procédures CADA et sur le fond du droit à la com-munication.

Deuxièmement, l’avocat n’est pas toujours contre l’Administration. Ilpeut être aussi de son côté, soit parce qu’il la défend – qu’il s’agissed’une administration centrale, d’une collectivité locale ou d’un établisse-ment public – soit parce que son client est aux côtés de l’administration,comme par exemple une société concessionnaire qui est à côté duconcédant dans un litige engagé par un usager ou par une association.

Je voudrais en donner un exemple simple et récent : la réouverture dutunnel du Mont-Blanc. Le problème posé était celui de la demande decommunication, par des associations de défense de l’environnement,d’un plan de sécurité. J’étais personnellement le défenseur de lasociété concessionnaire, donc à côté de l’État. Il était évident que nousavions un intérêt commun à ce que ce plan de sécurité ne soit pasdivulgué parce que communiquer un plan de sécurité d’un tunnel rou-tier, c’est faire le jeu des terroristes et autres candidats à des exercicespervers dans ce type d’ouvrage. J’ai rappelé cet exemple pour vousmontrer que le point de vue de l’avocat n’est pas univoque.

Troisième idée reçue : l’avocat ferait « là où on lui dit de faire » ; il feraitce pour quoi il est payé. Il s’agit là aussi d’une idée fausse : première-ment, l’avocat n’est pas toujours « à la botte » de son client, et deuxiè-mement, il n’est pas toujours complètement déraisonnable... Jeprendrai ici un exemple : tous les avocats savent parfaitement – ou entous cas devraient savoir – que les projets de décrets, ou les projets delois sont des documents qui ont un caractère confidentiel et qui doiventrester confidentiels parce que c’est le travail de l’administration et dugouvernement. Ainsi il ne me viendrait jamais à l’idée d’aller taper dupoing sur la table pour exiger qu’un projet de décret ou un projet de loisoit regardé comme communicable.

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J’en ai terminé avec ce préambule dans lequel je voulais simplementfaire le point très rapidement sur la profession d’avocat et ses rapportsavec la problématique du droit à communication pour montrer que leschoses sont peut-être un peu moins simples qu’on pourrait le penserau premier abord.

J’en arrive maintenant à la question posée, étant entendu que je n’aipas préparé quelque chose de formalisé, d’organisé et de structuré, etque compte tenu de ce que j’ai dit précédemment, mon point de vuesera impressionniste, fragmentaire, et un peu indiscriminé aussi, dansla mesure où il s’adressera non seulement à la CADA mais aussi auxautorités publiques, à tous ceux qui peuvent être intéressés.

Je distinguerai le fond et la procédure.

En ce qui concerne le fond, ce que les avocats – en tous cas moi per-sonnellement et quelques uns de mes confrères – attendent de laCADA, c’est du courage et de la sécurité juridique.

Le courage parce qu’il en faut parfois vis-à-vis de l’Administration. LaCADA en fait preuve mais je pense que parfois elle pourrait peut-êtreen faire preuve encore davantage en ce qui concerne ses investigationsau lieu d’en rester à une affirmation pure et simple de l’Administration.Il faut à tout prix que l’Administration sente qu’elle est sous contrôle,qu’elle est surveillée et qu’elle a des comptes à rendre.

Allons un peu plus loin ou, plutôt, davantage en profondeur.

On est toujours gêné quand on parle de la CADA et des documentsadministratifs parce qu’en réalité, il y a deux catégories de documentsen cause : les documents administratifs, qui concernent l’Administra-tion elle-même, et les documents personnels qui se trouvent être deve-nus administratifs parce qu’à un moment donné, ils ont été établis enrelation avec l’Administration. Le traitement à réserver à ces deux caté-gories de documents, la perception que l’on peut en avoir sont naturel-lement différents.

J’aurais tendance à penser que – sous réserve de ce que j’ai dit tout àl’heure sur la nécessité de protéger les secrets légitimes, que ce soit lessecrets de la Défense ou les besoins du travail du gouvernement et del’administration – la CADA a raison de vouloir communiquer le maxi-mum de documents purement administratifs. Je crois, notamment,que ce qu’elle a fait en matière de circulaires est tout à fait important etdécisif. Il ne faut pas se leurrer, en effet. Même s’il y a beaucoup dejuristes dans cette salle, ce n’est pas une raison d’ignorer que les circu-laires constituent du quasi-droit, en tout cas des quasi-normes qui sontregardées par tous, y compris et surtout par l’administration, commeapplicables même si elles ne le sont pas en droit. Il est donc absolu-ment nécessaire d’avoir connaissance de ces circulaires et instruc-tions.

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J’ai un petit passé de fiscaliste et la fiscalité – chacun le sait – est undomaine dans lequel on utilise beaucoup les circulaires. Elles y sontd’autant plus importantes qu’il y a un article législatif spécial, l’articleL. 80 A du Livre des procédures fiscales qui offre la possibilité aux con-tribuables de les invoquer. Mais, même en dehors de ce domaine, lescirculaires sont essentielles et il est indispensable qu’elles soient toutesconnues.

S’agissant des documents personnels ou nominatifs, on doit avoirnécessairement un point de vue plus nuancé, plus équilibré, puisqu’il ya le secret des personnes qui se trouve en cause. Il faut mettre enœuvre – comme l’a rappelé le professeur Prost tout à l’heure – une cer-taine casuistique et il faut faire preuve de beaucoup d’habileté danscette casuistique. Je crois que la CADA sait en faire preuve aussi...

La sécurité juridique – la seconde exigence – est très importante pourles entreprises et pour les professionnels : il faut que l’on sache où l’onva ; on ne peut pas changer de cap en permanence ; il faut que l’onpuisse raisonner sur des tendances, sur des lignes constantes, et à cetégard la CADA ne donne pas l’impression qu’elle fait des mouvementsun peu désordonnés. Je crois que c’est tout à fait à son honneur.

Cela dit, il y a un problème qu’on ne peut pas résoudre facilement – etsurtout par le discours, au surplus en s’adressant à la CADA exclusive-ment – et ce problème ou plutôt cette problématique est celle du chatet de la souris. Il est clair que plus la CADA, et plus la jurisprudenceiront dans le sens de la découverte d’un certain nombre de choses dansl’Administration, plus l’Administration aura tendance à trouver desparades. C’est la dialectique du glaive et du bouclier. Je donnerail’exemple des rapports de vérification en matière fiscale. La CADA d’a-bord, et ensuite la jurisprudence dans des arrêts (de section) du Conseild’Etat, Blanc et SNED du 1er décembre 1989 ont décidé que les rapportsde vérification des contribuables étaient communicables sous réserved’occultations rendues nécessaires par les nécessités du contrôle,pour ne pas « énerver » celui-ci, comme on dit, c’est-à-dire pour ne pasl’affaiblir et le rendre même impuissant. Quel est le résultat de cettejurisprudence aujourd’hui ? Le rapport de vérification ne contientpresque plus rien, et les notes manuscrites des vérificateurs – qui sontnon communicables – contiennent presque tout. Il y a là quelque chosequi ne va pas. Je l’avais pressenti, d’ailleurs, dans mes conclusions surces arrêts Blanc et SNED et j’avais dit qu’il appartiendrait, le caséchéant, aux autorités compétentes de faire tout ce qu’il faudrait pouréviter ou réprimer ce genre de travers... et je crois effectivement qu’il ya quelque chose à faire. Il faut éviter ce jeu du chat et de la souris, éviterque la dialectique du glaive et du bouclier aboutisse à ce que l’Adminis-tration établisse des contre-feux et s’arrange pour avoir des possibili-tés de riposte et de réaction, quitte à priver totalement d’effet desjurisprudences libérales de la CADA et du juge administratif.

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Un autre élément important du point de vue de la sécurité juridique : lanécessité, quand on a devant soi un arrêt, d’avoir accès aux conclu-sions du Commissaire du gouvernement qui en éclairent à la fois lesens et la portée. Actuellement le praticien est très gêné par l’absencede droit à la communication des conclusions des commissaires dugouvernement (qui sont communiquées à la discrétion de leursauteurs). Je pense qu’il y a là un vrai problème ; un problème de prin-cipe et doctrinal d’abord, puisque constitue une vraie question celle desavoir si les conclusions constituent vraiment la propriété des commis-saires, dès lors qu’elles ont été établies par eux dans l’exercice de leursfonctions, à la différence de leurs œuvres littéraires ou doctrinales s’ilsen produisent. On peut se demander aussi s’il est vraiment logique dedonner aux commissaires la possibilité de refuser la communicationalors que les conclusions ont été prononcées en public et que toute sté-nographe un peu habile arriverait à les retranscrire complètement etfidèlement. Et puis, surtout, il s’agit d’un matériau absolument indis-pensable pour l’explicitation d’un certain nombre de décisions juridic-tionnelles qui sont parfois concises – ce qui est nécessaire, mais exigeen contrepartie que l’on mette « un peu de chair » autour. Ceci nerelève pas de la CADA, mais du législateur, ou peut-être du juge parcequ’après tout, il lui suffit de décider du jour au lendemain que les con-clusions ne sont pas la propriété des commissaires. Quel que soit l’au-teur de cette réforme, je crois qu’elle serait extrêmement utile et tout àfait efficace, tant il est vrai qu’il est très difficile de travailler quand onn’a pas les données nécessaires.

Sur le plan de la procédure – et je m’excuse d’être aussi fragmentaireet impressionniste – je dirais qu’il y a trois choses que le praticienattend de la CADA et du système dans son ensemble : l’indépendance,la rapidité et le dialogue.

L’indépendance, je crois que le système l’assure objectivement, maisj’aime bien l’adage britannique qui dit qu’il ne suffit pas qu’on soit indé-pendant et qu’il faut aussi qu’on donne l’impression de l’être. Je croisque, sous ce rapport, il serait absolument indispensable d’avoir un sys-tème qui, par le mécanisme des nominations, garantisse absolumentune indépendance totale, étant entendu que, personnellement je nemets en aucune manière en cause l’indépendance de la CADA actuelle.

La rapidité. Je crois que la CADA regrette elle-même de ne pas traiterles affaires qui lui sont soumises dans les délais qu’elle voudrait parcequ’il y a un problème de personnel. Mais la question est essentielle carle « temps » des entreprises n’est pas le « temps » de l’Administration :ce sont des chronologies différentes. Une entreprise ne peut pasaccepter d’être jugée, au total, en neuf ans. J’ai participé à l’exercicedes deux côtés, et même des trois, dans ma vie – en tant que juge, entant que partie lorsque j’étais dans un établissement public, en tantqu’avocat – donc j’en connais tous les éléments, et je sais que la faute

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n’en revient pas nécessairement au juge ; elle incombe aussi beaucoupaux avocats, et également aux possibilités que laissent les règles deprocédure. Quoi qu’il en soit, neuf ans (trois à quatre ans en premièreinstance ; deux à trois ans en appel ; trois ans en cassation) c’estabsurde et aberrant... Personne dans le monde des affaires ne peuttenir neuf ans, sauf si l’on se désintéresse complètement du sujet oubien si c’est à ce point un problème doctrinal que finalement ce n’estpas grave qu’il soit traité à l’échelle de l’Histoire. L’observation vautdans une mesure un peu plus réduite pour la CADA : il faudrait vrai-ment qu’on puisse aboutir à des délais extrêmement rapides, desdélais qui soient ceux des référés pour donner parfaite satisfaction. Ace propos – et sur un autre plan – je précise que l’on est un petit peugêné par le fait qu’à partir du moment où on emprunte une voie, on nepeut plus emprunter l’autre : si l’on emprunte la voie CADA, on ne peutpas obtenir la communication dans le cadre du référé, ce qui est unpetit peu gênant.

Le dialogue. C’est là le troisième point et je voudrais adresser, à sonpropos, de très vives félicitations à la CADA : il est très important pourles professionnels d’avoir la possibilité de dialoguer. On n’est plus en2003 à une époque dans laquelle on peut accepter qu’une Administra-tion se borne à dire : « Vous êtes un administré (ou vous êtes un avo-cat... c’est encore pire) ; par conséquent on ne vous parle pas ». Cen’est pas admissible, ce n’est pas convenable, ce n’est pas de l’Admi-nistration moderne. Il faut que l’Administration – l’autre côté – acceptede dialoguer et de réfléchir avec l’autre partie : le citoyen ; l’entreprise ;le praticien qui les conseille. Il faut que les règles naturellement soientclaires, que l’on sache parfaitement du côté des praticiens comme ducôté des usagers qu’il ne faudra pas essayer systématiquement de« piéger » ensuite l’Administration ou la CADA sur ce qui aurait pu êtredit au cours d’un dialogue. Cela précisé, j’ai été frappé au cours desquelques rares et brefs échanges que j’ai eus avec les personnels de laCADA de voir à quel point ils étaient ouverts à la discussion. Je vou-drais leur rendre ici hommage. Je crois, d’ailleurs, qu’il s’agit là de l’unedes caractéristiques des autorités administratives indépendantes parrapport aux administrations classiques (sauf quelques-unes qui sontmodernes) ; les autorités administratives indépendantes, que ce soitl’ART, la CRE, le CSA, la CNIL, se montrent toutes et toujours disposéesau dialogue et, contrairement aux administrations classiques, à quel-ques exceptions près (DGI, DGCCRF notamment), elles essaient prati-quement toujours de voir la finalité des procédures et non pas deprocéder et de raisonner en terme de « pouvoir » (« Je suis le pouvoir,j’ai le pouvoir, et vous vous êtes un usager, un administré, et vousn’avez pas le pouvoir... »).

Je voudrais terminer sur ce très vif éloge de la capacité de dialogue dela CADA, et aussi sur l’importance du chemin parcouru. Je voudrais

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rappeler qu’on vient de très loin. Je me souviens, à cet égard, d’un pro-jet de texte que nous avions essayé de fabriquer en 1975. Il me sembleque l’on s’était efforcé de faire établir par les administrations une listelimitative des documents communicables. A l’époque cela s’était ter-miné en véritable catastrophe car les administrations n’avaient pasjoué le jeu et la liste, qui tenait de l’inventaire à la Prévert, tenait aussisinon sur un ticket de métro du moins sur une ou deux feuilles. J’exa-gère à peine : le résultat était si pitoyable que je crois bien que l’aven-ture s’est arrêtée là. Heureusement la loi est intervenue ultérieurement,mais il fallait bien commencer par quelque chose... On vient donc detrès loin, et pour ceux qui ont commencé leur vie administrativecomme moi à une époque où il n’y avait rien, c’est vraiment un miraclede voir ce qui existe aujourd’hui ! On est allé très loin mais je croisqu’on peut aller encore beaucoup plus loin. Naturellement c’est beau-coup plus difficile maintenant parce que beaucoup a été fait mais cen’est pas une raison suffisante pour s’arrêter.

Enfin je voudrais, en terminant, revenir sur ce thème de la casuistiquepour dire, que comme la guerre, l’exercice de la communication est unart qui est tout entier d’exécution. Je crois que la CADA le remplit trèsbien. Ce qu’on voudrait simplement c’est qu’elle le remplisse encoremieux et je suis certain qu’elle le veut aussi.

BRUNO LASSERRE

Pour illustrer très précisément ce thème, le témoignage rapide deM. Delor qui est au sein de la DGA, qui gère justement la politique d’a-chat. Il a donc besoin de transparence vis-à-vis des entreprises sou-missionnaires, mais aussi de protéger des secrets légitimes, commentfaites-vous ?

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BRUNO DELOR,ingénieur général de l’armement

Je vais situer en quelques mots ce qu’est la Délégation générale pourl’armement et ce qu’elle fait. La DGA fait partie du ministère de laDéfense. Notre ambition est de contribuer à doter la France de l’outil dedéfense dont elle a besoin et dans ce domaine-là, donc, de fournir auxarmées les équipements de défense, les systèmes d’armes dont ellesont besoin pour assurer leurs missions opérationnelles. Cela se traduitde façon schématique sur deux missions principales : une première quiconsiste à préparer le futur. Les programmes d’armement sont desprogrammes qui peuvent durer, au stade d’utilisation, jusqu’à cin-quante ans, donc nous sommes dans des logiques de réfléchir sur ceque l’on appelle des « plans prospectifs à trente ans ». Nous essayonsd’imaginer aujourd’hui les capacités technologiques qu’il nous faudramaîtriser dans quinze, vingt, trente ans pour être capables de cons-truire les systèmes d’armes dont nous aurons besoin à cette échéance.Donc un travail prospectif, qui se traduit par des contrats qui font lancerles travaux d’études amont pour disposer le moment venu des capaci-tés technologiques industrielles qui nous permettront de construirenos futurs systèmes d’armes.

Dans un avenir beaucoup plus proche, nous faisons ce qu’on appelle laconduite des programmes d’armement et des opérations d’armementqui permettent de doter les armées des équipements dont elles ontbesoin. Schématiquement, quand on dit « programme d’armement », ily a une liste qui est arrêtée par le ministre, il s’agit de 73 programmesd’armement ; quant aux opérations qui ne sont pas érigées en pro-grammes d’armement, il y en a environ 250. Un enjeu économiqueénorme.

Dans la DGA, nous sommes dans le faire faire, c’est-à-dire que nouspassons des marchés publics à l’industrie. Les enjeux pour 2002, c’est11,8 milliards d’euros de commandes passées à l’industrie – un enjeuéconomique énorme – avec six cents marchés, donc un montant uni-taire de marché énorme. Chaque marché en lui-même est donc unenjeu et il est important dans ce domaine d’avoir une politique d’acqui-sition claire et vous verrez que nous avons un certain nombre de con-traintes liées au fait que nous sommes dans la Défense.

Les contraintes. On a parlé tout à l’heure de la notion de secret sous lesaspects économiques et industrielles, préservation des savoir faire desindustriels. Nous avons un autre aspect de secret à prendre en comptequi est le secret-défense : les aspects qu’un certain nombre d’informa-tions que nous sommes amenés à véhiculer dans nos consultations etdans nos marchés sont à un niveau de confidentialité-défense. Parexemple, le niveau de performance que nous visons sur nos futurs

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systèmes d’armes. Un certain nombre de ces performances sont secrè-tes au sens défense puisqu’elles permettent d’accéder finalement auxcapacités dont on cherche à se doter.

Cette notion de secret-défense n’est pas dans notre esprit incompatibled’une certaine transparence et en particulier de publicité sur les consul-tations que nous menons. En fait, les cas où nous nous interdisons defaire la publicité sont extrêmement rares. Ce sont les cas où nousconsidérons que l’objet même du marché, ou ses principales caracté-ristiques sont secrètes. C’est ce qu’on appelle aux États-Unis un « blackprogram ». Nous n’avons pas d’opération d’armement de type blackprogram à la DGA.

Donc nous concilions les aspects de publicité, de transparence avec lesaspects de confidentialité-défense. Une autre notion importante àprendre en considération ce qu’on appelle la « préservation des inté-rêts essentiels de sécurité » qui, de façon schématique, s’illustrent pardeux volets : la notion de sécurité d’approvisionnement tout d’abord.Nous ne pouvons pas accepter dans le domaine de la défense de noustrouver dépendants à un instant donné du bon vouloir d’un autre État.L’actualité montre bien, avec les relations avec les États-Unis, qu’ilconvient d’être toujours vigilant dans ce domaine, ce qui ne veut pasdire là non plus qu’au nom de ce principe, on continue à systématique-ment acheter en national. Nous sommes actuellement dans le cadred’une construction d’un marché de la défense au niveau européen,donc nous avons une politique qui définit très clairement les endroitsoù nous considérons indispensable d’avoir une maîtrise nationale dece que l’on fait, qui sont des domaines extrêmement limités, parexemple pour certaines composantes nucléaires. En dehors de cela,nous sommes dans des logiques aujourd’hui d’ouverture de nos mar-chés mais dans des conditions réciproques avec nos partenaires auniveau européen, et sous certaines conditions, à un niveau plus large.

L’autre notion des intérêts essentiels de sécurité, c’est finalement danscette vision de construction de l’avenir d’être capable d’avoir et de maî-triser les capacités technologiques dont on aura besoin. C’est ce qu’onappelle « la base industrielle et technologique de défense ». Là encore,bien identifier les domaines où il est important qu’on conserve la maî-trise nationale, le limiter au strict minimum, définir les domaines où l’onpeut accepter une interdépendance avec un certain nombre d’États auniveau européen, etc.

Donc vous voyez, ces deux composantes, secret-défense, intérêtessentiel de sécurité, amènent à « revendiquer » un contexte régle-mentaire spécifique adapté à nos problématiques. Vous savez qu’il y aune réforme du Code des marchés publics qui est en cours, et cetteréforme va donner lieu à la mise en place d’un décret spécifique pourun certain nombre de marchés qui portent sur le domaine de ladéfense, des marchés pour lesquels les préoccupations que je viens de

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développer s’appliquent. En fait, on se situe dans le cadre des excep-tions de l’article 296 du traité d’Amsterdam, du traité de la Commu-nauté européenne, qui permet à chaque État de prendre lesdispositions qu’il juge nécessaires pour préserver ses intérêts essen-tiels de sécurité. Dans le domaine des marchés publics, le décret spéci-fique défense matérialisera les dispositions que l’État français prendpour préserver ses intérêts essentiels de sécurité mais dans unelogique d’ouverture de son marché au niveau européen.

Dans ce contexte, nous avons mis en place une démarche innovantequi permet donc de concilier ce que je viens d’expliquer avec unetransparence. Nous nous sommes fixés un objectif qui est de faciliterl’accès aux marchés publics, d’une part aux PME-PMI – qui trouventque nos procédures sont très opaques, que c’est très compliqué de tra-vailler avec la Défense, qu’en général il est très difficile de travailleravec l’Administration –, et d’autre part dans une vision d’ouvertureeuropéenne. Nous en attendons bien entendu que la concurrence jouemieux tout en étant vigilants sur nos notions essentielles de sécurité.

Le second aspect est de bénéficier des avantages des nouvelles tech-nologies d’informations et de la communication, en particulier destechnologies web, et donc en dématérialisant entièrement nos procé-dures de consultation. Dans ce contexte, nous avons mis en placedepuis novembre 2002, donc c’est effectif, une démarche e-achat quise traduit par l’ouverture de deux portails Internet qui sont connectés àune place de marchés service public défense, par analogie avec desplaces de marchés civils. Donc deux portails Internet : un portail ixarm.com qui couvre tous les achats de ce fameux périmètre armes-muni-tions-matériel de guerre, donc qui relève de l’article 296 pour lequel il ya un certain nombre de spécificités ; un autre portail qui s’appelleachats. defense. gouv. fr qui couvre la totalité des autres achats duministère de la Défense, c’est-à-dire dix mille consultations par an pourdes marchés. À travers ces deux portails, nous couvrons non seule-ment l’activité d’achat de la DGA mais la totalité de l’activité d’achats duministère de la Défense pour lesquels les enjeux financiers sont bienplus importants et qui représentent l’activité d’achats de deux cents enti-tés d’achats pour la totalité du ministère, dans des domaines d’achatsextrêmement variés.

La place de marché service public-défense permet de quoi faireaujourd’hui ? De dématérialiser entièrement les procédures de consul-tation, donc en particulier d’accéder à toutes les publicités avec unmoteur de recherche adapté aux problématiques, qui permet donc àune entreprise et en particulier les plus petites d’entre elles à partir decritères qu’elle aura prédéfinis, d’obtenir directement un accès tous lesjours ; dès qu’ils ouvrent le portail ils peuvent personnaliser leur paged’accueil et donc avoir directement accès aux nouvelles publicités quiont été publiées, que ce soit sur le BOAMP ou sur le JOUE, et puis nous

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mettons en ligne tous nos documents de consultation. Bien évidem-ment nous ne mettons pas la partie confidentiel-défense, ça n’estqu’une très petite partie qui fait l’objet d’une annexe traitée de façonparticulière. Mais tout le reste est mis en ligne, donc tous les docu-ments de consultation, avec des accès qui sont restreints pour les pro-cédures restreintes et des accès ouverts à tout internaute pour lesprocédures ouvertes d’appels d’offres ouverts.

Nous avons également tous les outils qui permettent de garantir lasécurité des informations alors cette fois vues sous l’angle informationindustrielle, donc la possibilité pour toute entreprise de transmettre sescandidatures et ses offres par voie électronique, avec un dispositif decertificat numérique qui permet de garantir l’authenticité de la signa-ture de l’offre, etc. Donc ces outils existent, c’est une démarche uniqueà ce stade en termes de couverture globale et même de totalité desoutils, unique à ce stade, notre ambition étant d’être pleinement au ren-dez-vous du 1er janvier 2005 qui est fixé par le Code des marchéspublics puisqu’à ce moment-là, toute entreprise aura le droit de procé-der de la sorte.

Donc ce témoignage était en fait une illustration très concrète de com-ment on peut concilier des aspects de secret avec une transparence.

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CHRISTIAN GARBAR,professeur de droit public à l’université François-Rabelais de Tours,doyen de l’UFR droit, économie et sciences sociales

Entreprises publiqueset transparence

Les entreprises publiques sont toujours un sujet difficile à traiter quelque soit l’angle d’attaque : on se heurte en effet immédiatement auredoutable problème de leur identification, et ce au double point de vuede leur définition et de leur forme juridique.

S’agissant d’abord de leur définition, il faut rappeler qu’elle n’est pas lamême en droit interne et en droit communautaire.

En droit interne, les textes ne donnant aucune définition générale del’entreprise publique (on trouve en effet, soit des textes généraux sansvaleur juridique, soit des textes juridiques à portée spéciale), c’est lajurisprudence qui s’est chargée de combler cette lacune. On observeratoutefois que si les deux ordres de juridiction s’accordent sur l’idéequ’une entreprise publique est dotée de la personnalité morale etqu’elle exerce une activité de nature industrielle et commerciale, ils dif-fèrent quelque peu sur le critère de l’appartenance au secteur public, leConseil d’État considérant, du moins pour les entreprises revêtant laforme de société, que c’est le contrôle majoritaire du capital par la puis-sance publique qui caractérise l’entreprise publique, alors que la Courde cassation, plus proche des conceptions du droit communautaire,semble se rallier au critère du contrôle effectif, ce qui n’implique pasnécessairement la détention majoritaire du capital.

Quant au droit communautaire (droit dérivé, et notamment directives« transparence » de la Commission, jurisprudence de la CJCE), il rejointsans doute le droit interne pour caractériser l’entreprise publique parson activité – une activité économique – mais s’en écarte doublementpar ailleurs, d’une part parce qu’une entreprise (et donc notammentune entreprise publique) n’a pas nécessairement la personnalitémorale, et d’autre part parce que l’appartenance au secteur public nese définit pas par un critère patrimonial, (comme le fait le Conseild’État), mais par un critère relationnel, celui de l’influence dominanteexercée par la puissance publique sur ses orientations économiques etses décisions commerciales.

S’agissant ensuite de la forme juridique des entreprises publiques, ilfaut souligner que la notion d’entreprise étant plus économique quejuridique, l’entreprise pour exister peut donc revêtir plusieurs formes

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juridiques : celle de la régie industrielle et commerciale (en droit com-munautaire seulement), mais aussi celle de l’établissement publicindustriel et commercial (voire de l’établissement public à doublevisage) et de la société publique, qu’elle soit entièrement possédée parune personne publique, ou que les capitaux publics soient simplementmajoritaires (SEM).

Et pour que le profil signalétique de l’entreprise publique soit complet,ajoutons que les entreprises publiques se divisent en deux catégories :celles qui gèrent un service public (ou un service d’intérêt économiquegénéral au sens du droit communautaire) et celles qui n’en gèrent pas(ce qui n’est pas anodin au regard des règles de transparence), laseconde catégorie étant comme on le sait appelée à progressivementdisparaître au gré des privatisations.

Le caractère hybride des entreprises publiques – qui fait coexister lestatut d’entreprise et l’appartenance au secteur public – explique sansdoute qu’il ait été aussi difficile dans notre droit interne de leur bâtir unstatut général, malgré quelques tentatives pour poser quelques princi-pes communs de direction et de gestion (Loi de démocratisation dusecteur public du 26 juillet 1983). Ces « commerçants publics » (pourreprendre l’expression de Georges Vedel, in « Le régime des biens desentreprises nationalisées », CJEG 1956, p. 185), obéissent donc endroit interne à des règles qui procèdent à la fois du droit privé et dudroit public. Si le droit privé est en principe applicable (droit du travail,fiscalité, gestion financière, relations avec les usagers, relations avecl’environnement économique), les entreprises publiques sont aussisoumises à des règles exorbitantes du droit commun, qu’il s’agisse derègles de gestion liées à la gestion d’un service public, au statut de per-sonne publique ou à la présence de la puissance publique commeactionnaire, ou qu’il s’agisse des contrôles internes et externesauxquels ces entreprises sont assujetties.

Ce caractère hybride se retrouve assez logiquement dans la probléma-tique de la transparence. Les entreprises publiques sont en effet dou-blement concernées par l’impératif de transparence : elles sontsoumises à « la transparence du marché » imposée à toute entreprisesintervenant sur un marché libéral et à « la transparence administrative »en tant qu’entités publiques (dépendant d’une façon ou d’une autre,d’une personne publique), surtout lorsqu’elles exercent une missionde service public.

La question qui se pose alors est de savoir si cette double exigenceaboutit à faire de ces entreprises des entreprises plus transparentes queles autres. Or l’observation de la réalité économique et juridique abou-tit à faire un constat plus nuancé, la transparence étant entravée à lafois par des règles juridiques et les pratiques des entreprises.

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Dans ce domaine comme dans d’autres sans doute, l’exigence de latransparence (1) plie peut-être devant la persistance du secret (2) :l’objet de ce bref exposé est bien évidemment, non pas d’apporter desréponses définitives et exhaustives à cette question, mais d’essayer deles poser.

L’exigence de transparenceLes entreprises publiques sont soumises à une double exigence detransparence : la transparence imposée aux entreprises, que l’on peutappeler « la transparence du marché » (A) et la transparence imposéeaux personnes publiques, surtout lorsqu’elles gèrent une mission d’in-térêt général, et que l’on peut appeler « transparence publique » (B).

La transparence du marché

Cette exigence est à la fois le fait du droit interne et du droit commu-nautaire.

En ce qui concerne le droit interne, les entreprises publiques en tantque commerçantes sont soumises à la transparence qui s’applique àtoutes les entreprises aux termes de l’ordonnance n° 86-1243 du1er décembre 1986 (qui prévoit expressément son application aux per-sonnes morales de droit public « qui exercent des activités de produc-tion, de distribution ou de service », art. 53, devenu article L. 410-1 duCode de commerce).

Considérée par les pouvoirs publics comme un corollaire du principede liberté des prix, la transparence du marché est inscrite dans cetteordonnance qui consacre son Titre IV à la transparence, ce dernier trai-tant également des « pratiques restrictives ». Il semble que cetteordonnance constitue d’ailleurs le premier texte à valeur législative quifasse référence à la notion de transparence (la transparence tarifaireavait bien l’objet de la circulaire « Delors » mais celle-ci n’avait pas deforce obligatoire). L’ordonnance aujourd’hui codifiée pour partie dans leCode de la consommation et pour partie dans le livre quatrième du Codede commerce a renforcé les règles relatives à la transparence aussi biendans les relations entre professionnels et consommateurs (extension del’information de ces derniers en prescrivant l’établissement d’une fac-ture dont les mentions sont minutieusement décrites et en obligeant lacommunication des barèmes des prix et des conditions de vente) quedans les relations entre les professionnels eux-mêmes, c’est-à-dire entreproducteurs et distributeurs (obligation de mentionner les rabais ou ris-tournes sur les factures et sur les conditions de vente, établissement parécrit des accords de coopération commerciale).

La transparence figure également dans d’autres titres de l’ordonnance.Il s’agit notamment des dispositions relatives à la restructuration et aux

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groupes de sociétés qui impose l’intervention de Conseil de la concur-rence. Cette instance examine si l’opération projetée porte atteinte ounon à la libre concurrence (ord. 1er déc. 1986, art. 38), pour toutes lesmodalités de prise de contrôle, même dans l’hypothèse d’une offrepublique d’achat. Le contrôle sur les concentrations a été élargi par laloi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques quia supprimé la référence au risque « de porter atteinte à la concurrence,notamment par création ou renforcement d’une position dominante ».Désormais toute opération de concentration, répondant à la définitionde l’article L. 430-1 du Code de commerce fait obligatoirement l’objetd’un contrôle. Seul le secteur bancaire échappe au contrôle desconcentrations (C.E. Ass. 16 mai 2003, Fédération des employés etcadres, AJDA 2003, p. 1330).

En ce qui concerne le droit communautaire, il faudrait rappeler que latransparence est un principe général du droit communautaire (consa-cré notamment pour les institutions communautaires à l’article 255 duTraité CE) 1. Ce principe a de multiples déclinaisons, et concernant lesentreprises (tant privées que publiques), on peut retenir l’applicationqu’en font les institutions communautaires à propos des aides d’État :la règle de transparence est double, à la fois quantitative et qualitative,c’est-à-dire qu’une aide doit être avant tout mesurable (calculée ensubvention nette) et qualifiable (on doit connaître son objet, son but,ses modalités).

Pour les entreprises publiques, à cette transparence du marché s’ajouteune transparence spécifique liée à la présence (l’ombre portée) de lapuissance publique.

La transparence « publique »

Cette transparence peut provenir là encore soit d’exigences du droitnational, soit d’exigences du droit communautaire, les deux se relayantle plus souvent (lois de transposition de directives par exemple). Ellepeut concerner plusieurs domaines, qui ne seront pas tous recensés ici.

D’abord, concernant les rapports avec les usagers, l’obligation faitepar la loi du 17 juillet 1978 de communiquer les documents administra-tifs, c’est-à-dire selon son article 1er, « tous dossiers, rapports, études,comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions,

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1 Article 255 TCE :1. Tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant sonsiège dans un État membre a un droit d’accès aux documents du parlement européen,du Conseil et de la Commission, sous réserve des principes et des conditions qui serontfixés conformément aux paragraphes 2 et 3.2. Les principes généraux et les limites qui, pour des raisons d’intérêt public ou privé,régissent l’exercice de ce droit d’accès aux documents sont fixés par le Conseil, sta-tuant conformément à la procédure visée à l’article 251, dans les deux ans suivantl’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam.3. Chaque institution visée ci-dessus élabore dans son règlement intérieur des disposi-tions particulières concernant l’accès à ses documents.

circulaires, notes et réponses ministérielles qui comportent une interpré-tation du droit positif ou une description des procédures administratives,

avis, prévisions et décisions, qui émanent de l’État, des collectivitésterritoriales, des établissements publics ou des organismes de droitpublic ou privé chargés de la gestion d’un service public », concernebien évidemment les entreprises publiques : la lecture des rapportsde la CADA le révèle clairement (nombreux dossiers concernant parexemple La Poste ou France Telecom). De même, les démarchesqualité, notamment les chartes – clients adoptées par certainesentreprises publiques de service public (EDF-GDF, France Télécom,SNCF) peuvent être considérées comme des manifestations de latransparence, dans la mesure où elles comportent des obligationsd’information.

Ensuite l’objectif de transparence est lié au phénomène de l’ouvertureà la concurrence de l’activité des personnes publiques (Cf. Rapportpublic du Conseil d’État 2002., Collectivités publiques et concurrence),suscitée tant par le droit communautaire que par le droit interne (qui enest bien souvent le prolongement).

Il se manifeste en premier lieu par la transparence des comptes, pouréviter les subventions croisées, que l’on peut trouver dans des textessectoriels communautaires (directives) et les lois qui les transposent(télécommunications [loi du 26 juillet1996], électricité [loi du 10 février2000] ou gaz [loi du 3 janvier 2003]), ou dans les directives « transpa-rence » de la Commission (directive du 25 juin 1980 / directive du26 juillet 2000). La transparence consiste notamment dans l’obligationfaite aux entreprises concernées (entreprises publiques, entreprisestitulaires de droits exclusifs et spéciaux, services d’intérêt économiquegénéral) de tenir des comptes séparés faisant apparaître les produits etcharges associés aux différentes activités ainsi que le détail de laméthode d’imputation ou de répartition de ces produits et chargesentre les différentes activités.

L’objectif de transparence concerne en second lieu l’obligation decommunication des informations par les gestionnaires d’infrastructu-res (cf. les obligations pesant sur le réseau de transport de l’électricité[RTE]) aux candidats à l’accès au réseau.

Il se caractérise enfin par la soumission des entreprises publiques auxexigences de publicité et de transparence pour les marchés et les délé-gations de service public posées par la loi Sapin du 29 janvier 1993.

Devant l’accumulation de ces règles imposant la transparence auxentreprises publiques, aussi bien parce qu’elles sont des entreprisesque parce qu’elles sont publiques, on pourrait être tenté de penser queles entreprises publiques sont plus transparentes que les autres. Or, ilfaut sans doute relativiser cette assertion.

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La persistance du secretLe secret est aussi bien le résultat de règles juridiques (A) que des prati-ques d’entreprise (B).

Le secret induit par les règles juridiques

Il existe plusieurs motifs de tenir des informations secrètes.

Ainsi, la transparence, élément de la libre concurrence, est limitée parla volonté de protéger l’entreprise d’actes de concurrence déloyalecomme l’espionnage industriel ou commercial. La production del’entreprise peut être protégée par un secret de fabrique dont l’appro-priation est pénalement protégée (en l’absence de brevet qui fait l’objetd’une protection plus efficace car il est sanctionné par l’action encontre-façon) ; s’il n’y a pas de secret de fabrique, l’appropriation de pro-cédés de fabrication, du savoir-faire et des informations privilégiées peutrelever de la concurrence déloyale ou de dispositions pénales spéciales.Il en est ainsi pour toute utilisation non autorisée du savoir-faire, et ceque l’utilisation des connaissances techniques soit concomitante à unerupture de pourparlers ou de contrat, liée à un débauchage ou indépen-dante de tout lien contractuel ou pré contractuel.

L’obligation pour les gestionnaires de réseau de communiquer desinformations aux candidats à l’ATR (accès des tiers au réseau), qui estfondée sur les principes de non discrimination et de transparenceconnaît ainsi une limite fondée sur la divulgation d’informations sensi-bles, c’est-à-dire selon la loi du 3 janvier 2003, relative aux marchés dugaz et de l’électricité et au service public de l’énergie 1, « les informa-tions dont la communication serait de nature à porter atteinte à uneconcurrence déloyale ». La liste de ces informations doit être préciséepar un décret, comme c’est le cas pour le secteur de l’électricité(D. 2001-630 du 16 juillet 2001, J.O. 19 juillet 2001). Certains organis-mes et personnes peuvent cependant obtenir communication de cesinformations confidentielles pour exercer leur mission de contrôle. Ils’agit des fonctionnaires et agents de l’État et des collectivités territo-riales et de la Commission de régulation de l’énergie. Il faut cependantnoter qu’ils sont eux-mêmes tenus au secret.

Et il peut aussi exister d’autres motifs d’atteintes à la transparence :secret-défense, etc....

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1 (J.O. 4 janvier 2003, p. 265 ; AJDA 2003, p. 223, La libéralisation du secteur gazier,S. Nicinski et P. Pintat ; D.A. février 2003 p. 6, La libéralisation du gaz, M. Long ; C.J.E.G.2003, n° 598, Le secteur du gaz entre liberté et contrôle, P. Lombart)

Le secret induit par la pratique

Malgré les règles juridiques imposant la transparence, sous réservedes exceptions mentionnées ci-dessus, les résultats ne sont pas tou-jours au rendez-vous.

Cela tient d’abord à l’inefficacité relative des contrôles pesant sur lesentreprises publiques, qui peuvent en principe contribuer à assurerune plus grande transparence puisqu’ils imposent une meilleureconnaissance des conditions de gestion des entreprises publiques. Onconnaît leur diversité : aux contrôles traditionnels (contrôles adminis-tratifs réalisés par les ministères de tutelle, contrôles a posteriori exer-cés par la Cour des Comptes et le Parlement [commissionsd’enquête]), se sont ajoutés non seulement les procédures contractuel-les successives (contrats de programme, contrats d’entreprise, con-trats de plan, contrats d’objectifs), mais aussi les contrôles exercés parles autorités chargées d’assurer à un titre ou un autre le respect desrègles de concurrence (Conseil de la concurrence, A.R.T. [Autorité deRégulation des Télécommunications] et C.R.E. [Commission de Régu-lation de l’Energie]), dont le rôle premier est de garantir un accès effi-cace aux infrastructures et de faire respecter les règles detransparence. Dans le domaine particulier de la transparence, ces auto-rités, et notamment la C.R.E., disposent de pouvoirs importantspuisque les comptes séparés des entreprises intégrées leur sont trans-mis annuellement et que c’est à elles qu’il revient d’approuver, aprèsavis du Conseil de la concurrence, « les règles d’imputation despérimètres comptables et les principes déterminant les relations finan-cières entre les différentes activités » faisant l’objet de la dissociationcomptable.

Et il faudrait également ajouter à cette liste les observatoires : Observa-toire national du service public de l’électricité et du gaz (art. 3 de la loidu 10 février 2000), ou Observatoire de la diversification des activitésd’EDF et de Gaz de France (art. 20 de la loi du 3 janvier 2003).

Cependant la mise en place de ces structures de contrôle ne permetpas d’assurer totalement une transparence des activités des entrepri-ses publiques.

En effet, si les contrôles exercés par les autorités administratives indé-pendantes, – puissamment relayés par les juges des deux ordres dejuridiction – peuvent donner de bons résultats en termes de transpa-rence, les contrôles traditionnels sont peut-être moins efficaces. L’im-pact des contrôles effectués tant par la Cour des comptes que par lescommissions parlementaires est relativement limité : ainsi les rapportsdénonçant les irrégularités et les pratiques abusives n’ont jamaisconduit à la mise en jeu de la responsabilité personnelle des dirigeantsdes entreprises publiques. Quant aux contrôles des ministères de

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tutelle, auxquels on reproche parfois un excès de rigueur, ils peuventse révéler assez inopérants (ex. la célèbre affaire du Crédit Lyonnais..).

La transparence peut aussi être entravée par les longues habitudes desecret qui continuent à entourer les prises de décision (faible rôle desreprésentants des salariés, rôle quasi-inexistant, en réalité, des repré-sentants des usagers dans les Conseils d’Administration). De même lesrémunérations des dirigeants des entreprises publiques restent trèsdifficiles à connaître. Il est un autre domaine – celui des filialisations –qui résiste assez largement semble-t-il à la transparence.

Enfin l’on peut rappeler que les obligations d’information contenuesdans les chartes-clients figurent dans des textes qui n’ont pas de valeurjuridique (cf. sur ce point Bénédicte Delaunay, « Chartes usagers etengagements de qualité dans le secteur public en France », in YvonneFortin (dir.), La contractualisation dans le secteur public des paysindustrialisés depuis 1980, L’Harmattan, Coll. Logiques Juridiques,1999, p. 147), à l’instar de nombre de « produits contractuels ».

Ainsi naviguent donc les entreprises publiques, entre une transparenceaccrue résultant de leur double soumission aux règles du marché etaux règles imposées aux structures dépendant de la puissancepublique, et plus spécifiquement à celles gérant des services publics, etun secret induit tant par des règles juridiques que par des pratiquessolidement établies. Faut-il modifier l’actuel équilibre ? On se garderaici de répondre en détail à cette délicate question, nous bornant àobserver qu’il ne faudrait pas, au nom de la transparence, qui pourraitconduire fort légitimement à accroître par exemple le rôle des usagerset du personnel dans leur gestion, les assujettir à tant de contrôles etd’obligations de toute sorte qu’elles en viennent à perdre leur auto-nomie – déjà limitée – face à l’État et leur capacité de résister à leursconcurrents privés.

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NICOLE LEROUSSEAU,professeur de droit public, université de Tours

Le cas des OGM :accès aux documents administratifset à l’information

Les organismes génétiquement modifiés, qui résultent des modifica-tions volontaires des organismes vivants et de l’application des bio-technologies, lancent un défi à la transparence administrative. Parmiles écrits des biologistes, il peut certes être rappelé qu’« adapter lesorganismes vivants est ce que l’on fait déjà avec un succès certain, etdepuis la nuit des temps, par sélection classique » 1. Il n’en demeurepas moins que les OGM, tels que développés depuis vingt ans, del’expérimentation en laboratoire à la dissémination dans l’environne-ment et à leur mise sur le marché ont suscité, suscitent encore, inquié-tudes, oppositions pour aller jusqu’à la violence 2. En France,périodiquement, depuis que les expérimentations de plantes transgé-niques ont dépassé le stade de l’étude en laboratoire pour donner lieu àcultures en plein champ, une part d’entre elles sont détruites 3. Ce refusextrême des OGM montre combien le sujet ne parvient pas à êtredépassionné.

Le droit s’est efforcé de réglementer spécialement la matière enincluant dès l’origine une part de transparence, sans doute lacunaire,qui a connu des avancées mais qui demeure en retrait des attentes descitoyens. Dans un secteur aux enjeux environnementaux et économi-ques éminemment complexes, ce sont à la fois les scientifiques, lesagriculteurs, les industriels, les consommateurs et plus généralementles citoyens qui sont concernés par cette évolution. Aussi, la Commu-nauté Européenne s’est-elle rapidement engagée dans l’élaboration

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t 1 L. – M. Houdebine, OGM le vrai et le faux, Le Pommier, 2003, 2e éd., p. 7.2 Quelques repères dans l’historique des OGM :-1983 aux États-Unis, des expérimentations relatives aux plants de tabac sont d’abordeffectuées en laboratoire, suivies en 1987 des essais en plein champ ;– décennie 1990, les OGM sont introduits en Europe, où le maïs génétiquement modi-fié en est l’exemple le plus connu. Cf. H. Kempf, La grande bataille des OGM, Le MondeDossiers et Documents, sept. 2003 ; M. Verdier, Faut-il avoir peur des OGM ? la Croix,Phosphore, Les Dossiers de l’Actualité, sept. 2003.3 Eté 2003, près de la moitié des cultures expérimentales ont été détruites (22 essais sur54, sachant que la superficie totale autorisée était de 17 ha), cf. H. Kempf, Des scientifi-ques inquiets des destructions d’essais d’OGM ont été reçus par le ministère de larecherche, Le Monde 11 octobre 2003. La dernière destruction a concerné un champ demaïs transgénique (15-16 août à Clémensat, Puy-de-Dôme), cf. M. Mennessier, Unchamp de « maïs médicament » détruit, Le Figaro, 2 sept. 2003.

d’une réglementation spéciale, par voie de directives, de réglementsen sorte, qu’aujourd’hui, les États de l’Union européenne sont en voiede disposer d’un véritable corpus de règles sur les OGM.

A un moment où les OGM en Europe en étaient encore à leurs « balbu-tiements », deux directives du 23 avril 1990 ont joué un rôle détermi-nant, distinguant les divers cas d’utilisation d’OGM : soit confinée 1 soitde dissémination volontaire dans l’environnement 2. La première esttoujours en vigueur bien que modifiée 3 tandis que la seconde a étéremplacée par un nouveau texte de mars 2001 4. Afin de transposer lesdirectives initiales, le législateur a adopté la loi n° 92-654 du 13 juillet1992 relative au contrôle de l’utilisation et de la dissémination des orga-nismes génétiquement modifiés, dont les dispositions ont été ultérieu-rement intégrées dans le code de l’environnement 5. Dès 1992, devantle Sénat, le ministre de l’environnement, Mme Ségolène Royal avait sys-tématisé la difficulté de la matière puisqu’il ne s’agissait pas moins de« garantir la transparence et la protection sans faille de notre environ-nement tout en préservant les avancées technologiques et industriel-les de notre pays » 6. Ce texte, passé à l’époque relativement inaperçu,a donné une définition de l’OGM : « organisme dont le matériel géné-tique a été modifié autrement que par multiplication ou recombinaisonnaturelles » (C. env. art. L. 531-1). Il a établi un système de contrôle desutilisations d’OGM incluant des règles sur l’information du public.Replacé dans l’évolution, ce régime particulier est créé dans unepériode où les principes généraux d’environnement, dont le principede précaution, sont introduits en droit communautaire par le traité deMaastricht (art. 130R) tandis que le principe d’information le sera plusmodestement dans une directive transversale 7. Dans cet ensemble, lamise sur le marché ensuite des produits OGM sous forme de semencesoccupe une place à part. Elle fait l’objet d’une procédure à la fois natio-nale et communautaire. Or les incertitudes, au sujet des risques encou-rus, ont conduit les États de L’Union européenne à adopter en juin 1999

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1 Directive no 90/219/CEE du Conseil, JOCE no L 117 du 8 mai 1990.2 Directive no 90/220 /CEE du Conseil, JOCE no L 117 du 8 mai 1990.3 Modifiée par la Directive no 98/81/CEdu 26 oct. 1998, JOCE no L 330 du 5 déc. 1998.4 Directive no 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001, JOCEno L 106 du 17 av. 2001 (art. 34 fixant l’expiration du délai de transposition au 17 oct. 2002).5 Livre 1, titre 2 « Information et participation des citoyens », chapitre V « Autres modesd’information », art. L. 125-3 ; Livre 5 « Prévention des pollutions des risques et des nui-sances », Titre 3 « Organismes Génétiquement Modifiés », divisé en sept chapitres,art. L. 531-1 et suiv.6 Sénat, 1èrelecture, 15 av. 1992, Recueil des analyses des discussions législatives et desscrutins publics, 1991-1992, p. 41.7 Directive n° 90/313/CEE du Conseil du 7 juin 1990, Liberté d’accès à l’information enmatière d’environnement, JOCE n° L 58 du 23 juin 1990.Pour une étude de la transparence en environnement, cf. B. Delaunay, De la loi du 17 juil-let 1978 au droit à l’information en matière d’environnement, AJDA 2003, Dossier Accèsaux documents administratifs, bilan et enjeux, p. 1316.

un moratoire prévu jusqu’à l’entrée en vigueur d’une réglementationun moratoire prévu jusqu’à l’entrée en vigueur d’une réglementationsur la traçabilité des produits contenant des OGM 1. Deux règlementsont ainsi été votés par le Parlement européen en juillet 2003, pour êtredéfinitivement adoptés à l’automne 2.

Dans les rapports des citoyens avec l’administration, la transparence aété traitée essentiellement à l’égard des utilisations confinées et de ladissémination par les essais en plein champ. Le droit à l’information setrouve certes reconnu, en prenant d’ailleurs la forme de l’accès à desdocuments administratifs, mais son effectivité a posé problème carl’administration a fait preuve de résistance dans sa mise en œuvre sur-tout pour la dissémination. La Commission d’accès aux documentsadministratifs puis le juge administratif ont eu à en connaître, spéciale-ment entre 1998 et 2002, pour parvenir à ce qu’il soit mieux respectémais sans résoudre définitivement la question. La montée en puis-sance du droit d’accès à l’information en environnement par la conven-tion d’Aarhus ratifiée par la France, consacré dans le projet de charteconstitutionnelle 3 et la demande des citoyens, de leurs associations ousyndicats, conduisent à développer dans l’immédiat, au-delà des régle-mentations procédurales, des modes d’information s’inscrivant dansl’objectif de dépassionner le sujet des OGM. Dans une matière évolu-tive, le cheminement part d’un droit à l’information (I) qui reste d’abordlargement théorique, gagne ensuite en effectivité dans la manière derésoudre les problèmes de sa mise en œuvre (II) fait, en outre, l’objetd’extension nouvelle (III).

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1 Présentation du moratoire, Année politique économique et sociale, 1999, éd. Evène-ments et Tendances, p. 217. OGM devient d’ailleurs à partir de 1999 un sujet de cetouvrage annuel.Le préalable de cette nouvelle réglementation constitue une garantie à l’égard desconsommateurs alors même que le juge communautaire a pu admettre que la procé-dure de mise sur le marché de semences OGM respectait le principe de précaution dansl’affaire Greenpeace :CJCE, affaire C-6/99, 21 mars 2000, Rec. p. 1651 (cf. p. 1698-1699), arrêt rendu sur renvoipréjudiciel en interprétation du CE (CE 11 déc. 1998, Rec. p. 469 et CE 22 nov. 2000, Rec.p. 548. Voir notamment J. Ferru, Les OGM, le juge administratif français et la CJCE,Dr. env. av. 2000, p. 11.2 Règlement n° 1829/2003/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 sept. 2003concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modi-fiés, JOCE n° L 268, du 18 oct. 2003, Règlement n° 1830/2003 du Parlement européen etdu Conseil du 22 sept. 2003 concernant la traçabilité et l’étiquetage des organismesgénétiquement modifiés et la traçabilité des produits destinés à l’alimentation humaineou animale produits à partir d’organismes génétiquement modifiés, et modifiant ladirective 2001/18, JOCE n° L 268, du 18 oct. 2003.Addenda : La publication de nouvelles études d’experts britanniques indépendantsdémontrant des effets des cultures transgéniques sur l’environnement devrait avoir uneincidence sur le moratoire, cf. H. Kempft, Les études britanniques font reculer la levéed’une perspective du moratoire européen, Le Monde 19-20 oct. 2003.3 Convention d’Aarhus du 25 juin 1998 (art. 4 et 5), décret de ratification, no 2002-1187du 12 sept. 2002, JO 21 sept., p. 15563. Projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte del’environnement, Assemblée nationale, no 992, 2 juill. 2003 (art. 7).

Le droit à l’information.

Lorsqu’il touche à l’environnement, l’accès à l’information oscille entreapplication du régime général et spécialité. Si la loi du 17 juillet 1978 étaitapplicable, Il faut attendre 2001 pour que le code de l’environnement yrenvoie expressément 1. De façon ponctuelle, sur des sujets éminemmentsensibles, lors de la création des régimes juridiques, le législateur peuts’employer à reconnaître le droit à l’information, ce qui servira à inspirer etencadrer les procédures dont les détails seront renvoyés au pouvoirréglementaire. S’il n’a pas paru nécessaire de procéder de manière aussicomplète à l’égard de l’utilisation confinée des OGM, en revanche, il l’a étéà l’égard de la dissémination volontaire des OGM.

L’utilisation confinée d’OGM

Pour l’essentiel, l’utilisation est soumise à agrément préalable duministre chargé de la recherche, avec accord du ministre de l’environ-nement, après avis de la commission du génie génétique, composéed’experts 2. L’information du public constitue ici une procédure supplé-mentaire, exigée en fonction des risques pour la santé et l’environne-ment, selon le classement général fixé par décret. L’exploitant est ainsitenu de constituer un dossier d’information mis à disposition du publicen mairie de la commune d’implantation de l’installation 3. L’informa-tion est descendante pour un public qui peut aussi être actif puisqu’ilpeut adresser des observations à la commission précitée qui en traitedans son rapport annuel.

La dissémination volontaire d’OGMdans l’environnement

L’hypothèse est plus remarquable. Elle a justifié d’introduire une dispo-sition de principe, devenue l’article L. 125-3 du code de l’environne-ment, avant d’établir la procédure d’autorisation préalable admettant

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1 Art.. L. 124-1, résultant de l’ordonnance no 2001-321 du 11avr. 2001 pris pour la trans-position de la directive no 90-313 préc. et l’application de la convention d’Aarhus préc..Le texte prévoit des limites supplémentaires ici au droit d’accès à l’information, permet-tant de « refuser la communication d’une information relative à l’environnement dont laconsultation ou la communication porterait atteinte :1° A l’environnement auquel elle se rapporte,2° Aux intérêts d’un tiers qui a fourni l’information demandée sans y avoir été contraintpar une disposition législative ou réglementaire ou par un acte d’une autorité adminis-trative, et qui ne consent pas à sa divulgation » (art. L. 124-1 II).2 C. env. art. L. 532-4 ; décret n° 93-774 du 27 mars 1993 fixant la liste des techniques demodification génétique et les critères de classement des organismes génétiquementmodifiés, JO du 30 mars ; circulaire du 16 av. 1996 relative aux utilisations d’organismesgénétiquement modifiés à des fins de recherche, de développement ou d’enseigne-ment, JO du 2 juin.3 Ce dossier est exigé pour les classes de risque 3,4, et comprend des informations surl’activité, le classement des OGM, le résumé le cas échéant de l’avis de la commission dugénie génétique, sauf protection du secret industriel et commercial.

l’accès à l’information. Dès 1992, le secteur des OGM a reconnu, pluslargement que le droit commun de l’accès aux documents administra-tifs, en vigueur alors, le droit de « toute personne d’être informé » nonpas sur les effets de tous les OGM mais sur ceux dont l’utilisation com-portait le plus de risques c’est-à-dire sur « les effets que la dissémina-tion volontaire d’OGM peut avoir pour la santé publique oul’environnement » 1. Il s’agit des effets en général, pas seulement « leseffets préjudiciables » comme prévu dans un autre cas particulier, celuides déchets (c. env. art. L. 125-1). L’information, face aux craintes sus-citées par la biogénétique, c’est aussi inclure les effets positifs, l’ab-sence d’effets négatifs, sans imposer pour autant la démonstration del’innocuité. Un droit n’étant pas absolu, le droit à l’information com-porte des limites puisqu’on retrouve une référence somme toute clas-sique au « respect de la confidentialité des informations protégées parla loi ». Toutefois, cette référence présente l’originalité d’être ensuitereprise au titre des autorisations de façon intéressante par l’articleL. 535-3 car elle est en partie explicitée. Ces autorisations qui peuventêtres annuelles ou pluriannuelles sont délivrées par le ministre l’agri-culture, après accord du ministre de l’environnement, et après avis dela commission d’étude de la dissémination des produits issus du géniemoléculaire 2. Cet organisme consultatif réunit non seulement desscientifiques pour au moins la moitié de ses membres mais aussi desreprésentants de la société civile (art. L. 531-4) 3.

Du point de vue de la transparence, le demandeur doit établir une« fiche d’information destinée au public » qui comprend un ensembled’éléments essentiels. Outre l’identification du demandeur, y figurent :« a) le but de la dissémination ;b) la description des OGM ;c) l’évaluation des effets et des risques pour la santé publique et l’envi-ronnement ;d) les méthodes et plans de suivi des opérations et d’intervention encas d’urgence « 4.

Tous éléments que d’ailleurs le législateur a placé hors confidentialité(art. L. 535-3) y incluant même « le lieu » de la dissémination, non reprisexplicitement dans le décret d’application. Comme limite, en est exclue« toute information couverte par le secret industriel et commercial, ouprotégée par la loi, ou dont la divulgation pourrait porter préjudice aux

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1 Dissémination volontaire au sens de la définition législative de l’article L. 533-2,c. env. : « toute introduction intentionnelle dans l’environnement à des fins de rechercheou de développement ou à toute autre fin que de mise sur le marché ».2 C. env. art. L. 533-3, décret n° 96-850 du 20 sept. 1996, JO du 27 sept., chap. Ier autorisa-tion de dissémination volontaire à toute fin autre que la mise sur le marché (art. 2 à17).3 Elle est plus simplement désignée commission du génie biomoléculaire.4 Décret préc., art. 3.

intérêts du responsable de la dissémination » 1. Pour sa diffusion 2, lafiche d’information doit être envoyée par le ministre de l’agriculture aupréfet du département et au maire de la commune de dissémination. Atitre complémentaire, il peut y être joint, un extrait de la décision. Lepublic est enfin informé du dépôt par un avis, affiché en mairie, dans ledélai de huit jours suivant la réception de la fiche. C’est grâce à cetenvoi que le maire est donc informé de la dissémination des OGM.Ensuite, l’accès des citoyens à la fiche elle-même est expressémentprévu à l’échelon central puisque le ministre tient ce document à dispo-sition du public au secrétariat de la commission du génie biomolécu-laire. Des observations pouvant être faites au ministre.

A lecture des textes, ce mode d’accès à l’information est complexe etnon dénuée d’ambiguïtés. L’information est possible pour toute per-sonne mais toujours a posteriori et si l’on pense simplement au citoyendans la commune de dissémination, il y a bien proximité de la dissémi-nation des OGM mais pas nécessairement de l’information correspon-dante. Selon une interprétation littérale des textes, seul l’avis de dépôtest local, la consultation de la fiche est centrale, auprès du ministre.L’accès à l’information se caractérise aussi parce qu’il est fragmenté.Pour les groupements associatifs défenseurs de l’environnement,qu’en serait-il de l’accès à une information plus globale ?

Les problèmes de mise en œuvre du droità l’information

La fiche d’information a été le principal nœud de discorde dans l’accèsà l’information de la dissémination des OGM. Dans l’ensemble, laperception initiale du système a été fort négative. Les problèmes susci-tés ont été soumis à la CADA et aux tribunaux administratifs dont ilconvient ici de retacer l’apport.

Les problèmes suscités

Si les fiches ont bien été réalisées, elles n’ont pas toujours été transmisesà l’échelon local, aux maires, comme prévu par les textes. Des maires sesont plaints de n’avoir été « prévenus du déroulement d’expérimentationde cultures d’OGM seulement après coup, voire jamais » 3. Lorsqu’il a yeu transmission et affichage d’un avis, les commentaires des non avertisont pu dénoncer de leur côté « le début d’un vrai jeu de piste pour tout

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1 Même disposition.2 Décret préc., art. 8.3 G. Dupont, Plusieurs élus s’opposent aux essais de cultures OGM, Le Monde 20 mai 2003.

citoyen curieux » 1. L’administration saisie de demandes, à différentséchelons : central, auprès du ministre ; départemental, auprès du pré-fet ou de la direction départementale de l’agriculture, a fait preuve derésistance en la matière opposant des refus d’accès aux fiches ou n’encommuniquant pas l’intégralité. Vu l’hostilité engendrée par la pers-pective du développement de l’agriculture employant des semencesOGM, et comme l’expérimentation en marque les prémices, la transpa-rence n’était pas sans risque, dont celui de destruction, pour laconduite de l’expérimentation elle – même. Dans ce contexte, un desenjeux majeurs a été pour les demandeurs de se faire communiquer unmaximum d’informations sur la localisation des cultures.

Face aux refus, qui ont pu être opposés, les citoyens, les associations, lesmouvements écologistes ou encore syndicats n’ont pas pour autantrenoncé. Afin que leur droit à l’information soit respecté, entre 1998 et2001, ils ont saisi la CADA qui a rendu de l’ordre de quinze avis significa-tifs 2. Puis, les problèmes n’étant pas totalement résolus, les tribunauxadministratifs ont rendu une série de jugements en 2001-20002. Ils ontété saisis d’un recours associatif et de trois recours du même requé-rant 3. L’observation se confirme, quel que soit le secteur des missionsde l’administration, le droit d’accès aux documents administratifs et àl’information est invoqué avant tout par « un public averti ». 4 L’adminis-tration de l’agriculture, quant à elle, a choisi de consulter la CADA ausujet de la rédaction de son guide d’accès aux documents administratifsdes services régionaux et départementaux, intégrant pour partie laquestion des OGM 5.

Du point de vue juridique, il a fallu trancher la question des rapports entrele droit commun de l’accès aux documents administratifs, c’est-à-dire laloi de 1978, et les dispositions particulières aux OGM. Sur l’accès à l’infor-mation, proprement dit, la CADA a fait montre d’une certaine prudence enabordant la matière. Bien que ses avis aient été favorables, ils l’ont été àl’origine avec des restrictions. Les tribunaux administratifs ont été, eux,

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1 D. Lecomte et D. Picot, Confidentiels OGM, Innova 2000 n° 6 p. 9 (Magazine-école,journalisme, IUT, TOURS : enquête sur les essais OGM en Indre-et-Loire).2 Sélection d’avis significatifs aimablement communiqués par J.-P. Lerendu, secrétairegénéral de la CADA que nous remercions.Il s’agit de huit saisines individuelles : quatre saisines associatives dont deux de Francenature environnement ; auxquelles s’ajoutent : une syndicale par la confédération pay-sanne et deux d’organisation politique, le Monvement écologique indépendant. Surl’ensemble, trois demandes ont été déclarées sans objet ou irrecevables.3 Quatre jugements publiés ou mentionnés dans les revues juridiques : TA Paris,1er mars 2001, Assoc. France nature, Dr. adm. 2001, n° 138 ; TA Melun, 5 juill. 2001,Laval, Dr. adm. 2001, n° 181 ; TA Amiens, 16 juill. 2002, Laval c/ Préfet de la Somme,Dr. nv., déc. 2002, Panorama de jurisp., p. III ; TA Lille, 12 déc. 2002, Laval c/ Directeurrégional et départemental de l’agriculture et de la forêt du nord, Dr. env., janv. févr. 2003,Panorama de jurisp., p. II.4 Voir travaux du présent colloque, journée du 16 octobre.5 Conseil 2 déc. 1999/guides d’accès aux documents administratifs des services régio-naux et départementaux, http://www.cada.fr/fr/conseils/resultat.cfm

partagés, pour que finalement l’interprétation la plus favorable à l’informa-tion l’emporte et se répercute sur l’activité de la CADA, fasse évoluer laposition de l’administration. Il n’y a plus d’ailleurs de saisine de la CADAdepuis 2002.

L’apport de la Commission d’accès aux documentsadministratifs et des tribunaux administratifs

L’ensemble constitue une étape positive en faveur de l’accès à l’infor-mation tant du point de vue du fondement que des modalités.

Fondement du droit à l’information

Au sujet de la loi du 17 juillet 1978 et des dispositions OGM issues de laloi précitée du 13 juillet 1992, de ses mesures d’application, étantdonné le large champ d’application et la vocation générale de la loi de1978, les dispositions sectorielles relatives aux OGM devaient-ellesêtre interprétées à la lumière de la lex generalis ou être considéréescomme dérogatoires ? Si la réponse n’a pas été unanime, c’est la pre-mière solution qui a tendu à l’emporter. Elle a été admise par la CADAet une part de la jurisprudence administrative, dont celle rendue par letribunal administratif de Paris.

La CADA, dès le premier avis favorable 1 à la demande d’une copie defiche réglementaire d’essai de plantes transgéniques sur une commune,fonde le droit à communication par référence à la loi du 17 juillet 1978alors que le droit de l’environnement ne lui avait pas encore renvoyé lamatière OGM. Comme en l’espèce, la fiche réglementaire était accom-pagnée d’une lettre dont il est permis de penser qu’elle faisait référenceaux dispositions applicables aux OGM, la CADA ne cite pas ces disposi-tions, mais considère, ensemble la fiche et la lettre qui l’accompagnepour estimer que cette lettre n’est pas « un texte spécial qui ferait obs-tacle à l’application de la loi du 17 juillet 1978 », ce qui permet de resterdans l’application du droit commun. Dès lors, La fiche, la lettreelle-même sont qualifiées de documents administratifs et en consé-quence « communicables de plein droit en application de l’article 2 de laloi du 17 juillet 1978 ». Toutefois, des limitations à la communicationsont susceptibles d’être examinées au titre du régime général. Le fonde-ment est l’article 6 qui sera expressément visé par la CADA dans ses avisultérieurs 2 avec référence expresse « à la protection du secret industrielet commercial, à la sécurité publique ou à la vie privée ».

Pour sa part, Le TA de Paris dans son jugement rendu le 1er mars 2001,Association France nature environnement fera également applicationde la loi de 1978, tout en développement une interprétation plus

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1 Avis du 5 février 1998, G. Pierre ; Auprès de : maire de Lusignan.2 Exemple, avis du 17 juin 1999, Deck/ Assoc. Alsace nature ; Auprès de : ministre del’agriculture/commission du génie biomoléculaire.

constructive. Les dispositions générales s’appliquent mais il faut tenircompte des dispositions propres aux OGM. La démarche va être favo-rable à l’accès à l’information à la différence de l’idée pure et simple dedérogation retenue par le TA de Melun le 5 juillet 2001, Laval.

Modalités du droit à l’information

Concernant les conditions d’accès à l’information, l’application du droitcommun permet d’admettre que le demandeur puisse s’adresser à l’unedes autorités administratives qui détient le document communicablepour en avoir copie. Ici, il peut donc s’agir du ministre mais aussi dupréfet, du directeur départemental de l’agriculture, du maire qui en ontnormalement reçu transmission. Lorsque les maires en ont eu effecti-vement communication, leur pratique a pu aller dans le sens de cetteinterprétation. Une demande, déclarée irrecevable par la CADA audébut de l’année 2000, concerne précisément une fiche ayant été com-muniquée par le maire 1. En revanche, se placer dans un régime consi-déré dérogatoire, conduit à estimer que la procédure particulière demise à disposition du public à l’échelon central de la fiche d’informationest exclusive de l’application de la loi du 17 avril 1978 et empêche dèslors de s’adresser ici à une autre autorité 2.

La question majeure n’en demeure pas moins celle des limitations pos-sibles à la communication du contenu des fiches. Dans sa premièreprise de position, la CADA a fait preuve de prudence en considérantcertes le document communicable de plein droit mais pas obligatoire-ment dans sa totalité puisqu’elle a réservé à l’administration la possibi-lité d’occulter « les mentions dont la communication pourrait porteratteinte au secret industriel et commercial, et notamment les indictionsdes emplacements de l’expérimentation des nouveaux végétaux » 3. Parla suite, les avis se réfèrent aux occultations justifiées par l’article 6 de laloi de 1978, et outre le secret précité, la question de la protection de lasécurité publique, de la vie privée 4. En la matière en effet, ce sont lesprocédés qui sont à protéger et l’expérimentation elle-même puisqu’ilfaut compter avec le risque de destruction. Cependant, ces référencesdemeurent très générales et sont donc à apprécier par l’administrationau cas par cas.

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1 20 janv. 2000, Azelvandre P. ; Auprès de : maire de Niederentzen.2 TA de Melun précité : « Considérant que les dispositions de la loi n° 78-753 du 17 juillet1978... ne peuvent faire échec aux règles particulières prévues par les dispositions préci-tées de la loi du 13 juill. 1992 et du décret du 18 octobre 1997 pris pour son applicationqui organisent une procédure spécifique d’accès aux fiches d’information destinées aupublic... que par suite M. Michel Laval ne peut utilement se prévaloir de la loi du 17 juillet1978 pour demander l’annulation de la décision du 25 septembre 2000 par laquelle ledirecteur départemental de l’agriculture et de la forêt de Seine-et-Marne a rejeté sademande de communication des fiches d’information destinées au public... »3 Avis du 5 février 1998, préc.4 Avis du 17 juin 1999, préc.

A partir des avis ainsi rendus, les demandes faites, en particulier, auministre de l’agriculture sur des séries de fiches ont donné lieu à leurcommunication mais en occultant le nom des communes. Or, le TA deParis a jugé cette occultation illégale, les fiches devant être accessiblesdans leur intégralité. Une telle occultation ne se justifie pas par l’excep-tion de la sécurité publique, selon le droit commun de l’accès aux docu-ments administratifs et les conditions de la légalité des mesures depolice administrative. La mesure n’étant pas proportionnée en l’espèceaux circonstances de temps et de lieu 1. De manière plus intéressante,la communication du nom des communes trouve enfin pour le juge unfondement dans les dispositions spécifiques aux OGM. Considérantl’esprit de la loi de 1992, le juge met en avant l’objectif de « large infor-mation du public » pour mieux démontrer que la confidentialité devientd’interprétation stricte. Le texte explicite en effet la confidentialité pourécarter expressément une série d’informations qui ne peuvent êtreconsidérées comme telles : dont le « lieu où la dissémination estpratiquée » (c. env., art L 535-3).

Suite à ces développements jurisprudentiels, il est possible d’observerque les demandes plus récentes traitées par la CADA le sont, sansréserve. La Commission ne fait plus référence qu’au principe de lacommunication, de plein droit 2. Enfin, dans un avis du 19 avril 2001,après que le code de l’environnement lui ait attribué expressémentcompétence dans cette matière, elle admet la communicabilité desfiches, cette fois, sur la base des dispositions propres aux OGM 3.

Parallèlement à la question des fiches d’information, un autre apportimportant est à ajouter. La CADA et la jurisprudence ont admis que lesdemandes relatives aux listes des communes d’expérimentation soientsatisfaites. Il n’est pas fait obligation à l’administration de tenir cetteliste, mais dès lors qu’elle y procède, c’est un document communi-cable 4. Il favorise la transparence puisqu’il permet de fournir une infor-mation globale sur les développements des essais de cultures deplantes transgéniques.

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1 TA de Paris 1er mars 2001, préc. : le ministre ne peut alléguer de précédents troubles àl’ordre public (précédents de manifestations, arrachages de plants destructions de par-celles). En l’espèce « le ministre n’établit pas que la divulgation des noms des commu-nes accueillant des cultures expérimentales soit susceptible de provoquer des atteintesà l’ordre public de nature et d’importance telle qu’elles constitueraient une menace pourla sécurité publique ; » en conséquence, le juge estime que le refus de communiquer lesnoms des communes ne peut être motivée par application de l’article 6 de la loi du17 juillet 1978 soit l’existence d’un risque d’atteinte à la sécurité publique.2 Avis du 9 nov. 2000, Laval M. (Mouvement écologiste indépendant) ; Auprès de :directeur départemental de l’agriculture et de la forêt du Calvados.3 Avis du 19 av. 2001, président de France nature environnement ; Auprès de : ministrede l’agriculture et de la pêche. (Rappelons la base nouvelle de la compétence de laCADA, en environnement, c. env. art. L 124-1).4 TA de Paris 1er mars 2001 précité ; CADA avis du 11 janv. 2001, D. Walter ; Auprès de :ministre de l’agriculture et de la pêche.

L’extension du droit à l’information

Le droit d’être informé, au service de la transparence n’est pas parvenu,dans le secteur considéré, à un stade qui réponde à sa fonction. Sonextension est nécessaire et les développements en cours y contribuentmême si l’évolution est loin d’être achevée.

L’extension nécessaire

Au-delà des procédures formelles de communication, l’accès à l’infor-mation sert à la légitimation de l’action publique. En matière d’OGM, etspécialement d’expérimentation par dissémination volontaire dansl’environnement, il n’a pas permis de désamorcer les oppositions. Enl’état actuel, l’information véhiculée ne surmonte pas ses contradic-tions. D’une part, elle donne des éléments pour empêcher l’expérimen-tation d’être conduite comme elle est autorisée. Les destructions sontnombreuses, ce qui aboutit à compromettre la recherche, à poser leproblème économique du développement d’une filière OGM. D’autrepart, elle n’a pas permis de fournir les arguments, qui en rapport avec leprincipe de précaution, démontreraient que le passage à l’expérimen-tation serait sans risque ou risque acceptable. A la suite de la dernièredestruction d’août 2003, la concertation engagée entre les ministères,en particulier agriculture, recherche, et les scientifiques, les industrielsn’a pas ouvert la perspective de prendre des mesures nouvelles. Laprésentation, qui en a été faite, a souligné « qu’il faut d’abord gagnerl’adhésion de l’opinion publique » 1.

Dans un contexte où la proximité est mise en avant, plus d’informationvaut pour le citoyen et aussi les communes et leurs élus. Les maires etles conseils municipaux, qui se sont plaints du manque d’informationsur les expérimentations de cultures ont en réaction enfreint la légalité,prenant des mesures d’interdiction. En particulier, des maires ont édicté,dans le cadre de leur pouvoir de police administrative, des arrêtés d’in-terdiction des cultures de plantes transgéniques sur le territoire de leurcommune. Devant de telles mesures, les préfets leur ont demandé de lesretirer. A défaut elles ont fait l’objet de déférés devant les tribunauxadministratifs qui les ont jugées illégales 2. Ainsi, un arrêté d’interdictiondurant une année, sur tout le territoire communal de toute culture trans-génique est une décision, générale, disproportionnée à ce qui estnécessaire au maintien de la tranquillité, de la sécurité de la salubritépublique et en conséquence annulée. L’utilisation de ces pouvoirs n’en

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1 H. Kempf, Le Monde 11 oct. 2003, préc. Cette concertation a fait suite à un pétitionlancée par des scientifiiques « contre les destructions d’essai au champ ».2 Exemple : TA Poitiers, ord. 22 oct. 2002, Préfet des Deux-Sèvres C/ Com. D’Ardin, pourune application du référé – suspension en raison du doute sérieux quant à la proportion-nalité de la mesure, Dr. env. déc. 2002, Panorama de jurisp. p. III.

demeure pas moins une stratégie employée aux fins de clairementmarquer son refus des OGM 1.

Enfin et surtout, l’extension du droit à l’information constitue une obli-gation puisque la nouvelle directive n° 2001/18 relative à la dissémina-tion volontaire d’OGM dans l’environnement a davantage intégré latransparence. Elle impose non seulement plus d’information par l’ac-cès aux avis que fournissent les organismes scientifiques mais aussi laconsultation du public. Le droit interne n’a pas encore été modifié et setrouve une nouvelle fois en défaut de transposition 2 mais diverses ini-tiatives anticipent en quelque sorte sur les changements normatifs.

Les développements en cours

Une évolution se dessine grâce à la mise en œuvre de pratiques nova-trices. La liste des essais en plein champ autorisés, les fiches d’informa-tion du public, les avis de la commission du génie biomoléculaire ontété mis en ligne sur le site du ministère de l’agriculture, à partir du 1er

juin 2001 et ce pour les essais de l’année 2000. Même si l’accès auxdocuments administratifs et à l’information n’est pas encore juridique-ment satisfait par la mise en ligne de documents 3, la transparence ygagne cependant puisque c’est un mode d’accès supplémentaire. Dansce registre, des progrès ont été réalisés avec la création d’un site intermi-nistériel sur les OGM depuis le 1er septembre 2003. L’interministérielmarque la diversité des compétences impliquées, au-delà de l’agricul-ture et de l’environnement 4. Le large éventail de sujets traités : expéri-mentations en France, réglementation, acteurs, mise sur le marché,questions fréquemment posées, en font un site d’information adminis-trative et à fonction pédagogique sur la connaissance des OGM.

De plus l’administration s’est engagée dans la voie du recours au débatsur le sujet, ouvert aux experts, aux différents acteurs : associations,représentants des intérêts économiques, aux consommateurs, auxélus locaux, aux citoyens, mais encore sous des formes qui se cher-chent. En 2000, à l’échelon local, sous l’égide du secrétaire d’État aux

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1 B. Hopquin ; Les petits maires saisis par la passion de l’environnement ; G. Dupont,Plusieurs élus s’opposent aux essais de cultures d’OGM., Le Monde 20 mai 2003.Voir également G. Dupont, Les mille maires qui veulent interdire les OGM, Le Monde24 janvier 2003 ; D. Van Sant, Le maire face aux OGM, Le courrier des maires, mai2002, p. 30.2 Directive précitée du 12 mars 2001, à transposer jusqu’au 17 oct. 2002. Voir spéc.l’article 9 « consultation et information du public ».Directive commentée par M. Blumberg-Mokri, Le régime modifié des organismes régle-mentairement disséminés, Petites affiches, n° 181,11 sept. 2001, p. 4.3 A. Robineau-Israêl et B. Lasserre, Administration électronique et accès à l’informationadministrative, AJDA 2003, Dossier accès aux documents administratifs, bilan et enjeux,p. 1325.4 Site interministériel sur les OGM : premier ministre, ministères de l’intérieur, de la justice,de la recherche, de l’économie et des finances, de l’écologie et du développement durable,de l’agriculture, de la santé, accessible par www.agriculture.gouv.fr/OGM/ogm.htm

petites et moyennes entreprises des « débats – citoyens » ont été orga-nisés, donnant eux-mêmes lieu à production de documents 1. La CADAa d’ailleurs été saisie de demandes de communication de ces élémentsen partie sous forme de vidéo, d’enregistrement audio. Selon la diver-sification des supports admis en matière de documents administratifs,elle s’est prononcée en faveur de leur communicabilité de plein droit 2.

En 2002, selon une autre méthode, « un comité des sages » s’est vuconfier, suite à une initiative Interministérielle, l’organisation d’un« débat public » qui a eu lieu au conseil économique et social les 4 et5 février 3. La synthèse a fait l’objet d’une publication à la documenta-tion française : « plantes transgéniques : l’expérimentation est-elleacceptable ? » 4. Si la réponse apportée à la question est positive, elleest assortie de demandes de plus de garanties sur la transparence dontl’information préalable à la délivrance des autorisations : comme lamise en ligne des dossiers suite à la consultation de la commission dugénie biomoléculaire, la consultation des maires 5.

Cette réflexion a influencé les pratiques plus récentes. En avril 2003une consultation du public a été ouverte par le ministère de l’agricul-ture, et faite par Internet sur les nouveaux projets d’implantation de cul-tures transgéniques. L’ensemble des informations : dossiers dedemande, fiches d’information, avis de la commission du génie biomo-léculaire étant consultables sur le site du ministère de l’agriculture pourpermettre au public d’exprimer son avis 6. La méthode a été critiquéepar les associations comme ne constituant pas une réelle consultation.Dans le même temps, le ministère de l’agriculture a pour la premièrefois mis en œuvre par l’intermédiaire de ses services déconcentrés,une information spécifique lancée en avril 2003 auprès des maires 7.

Si des avancées sont réalisées, les modes de débat restent largement àinventer. L’expérience des « débats citoyens » des pays du Nord de

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1 Documents divers : documents papiers distribués, compte-rendus, documents depublicité, documents financiers relatifs aux subventions, fonctionnement du comités depilotage, synthèse ; documents vidéo, enregistrements audio.2 Premier avis du 7 déc.. 2000, Azelvandre P., Auprès de : Chambre de consommationd’Alsace. Second avis du 11 janvier 2001, même demandeur, Auprès de : secrétaired’État aux petites et moyennes entreprises (demande sans objet : documents communi-qués et synthèse nationale non encore communiquée, mais devant être publiée).3 Désignation du comité par les ministres de l’aménagement du territoire et de l’environ-nement, de la recherche, de la santé, de la consommation. Comité réunissant Ch. Babu-siaux, J.-Y. Le Déaut, D. Sicard, J. Testart. Débat au Conseil économique et social ouvertà trente-six experts, deux-cent-trente personnalités de la recherche, des entreprises, desassociations, de l’agriculture, des collectivités locales.4 La documentation française, éd. 2003.5 Cf. p. 21.6 Consultation du 23 avril au 7 mai 2003, 565 courriels reçus, la plupart désapprouvant laculture des plantes transgéniques. Voir Bilan de la consultation nationale du public rela-tive aux nouveaux programmes de recherche 2003, site interministériel préc.7 Av. 2003, Le Monde, 20 mai 2003, préc.

l’Europe est à cet égard citée en exemple et influence certaines prati-ques ponctuelles. L’INRA a ainsi engagé une procédure de ce type en2002, 2003, pour un projet de culture expérimentale de vigne transgé-nique, dont le déroulement a été considéré comme encourageant 1.L’INRA prévoit un comité local de suivi facilitant une information encontinu et tente ainsi de dépasser l’opposition des citoyens et de la pro-fession, pour des essais envisagés en 2004 2.

La transparence sur un sujet, comme celui des OGM, est œuvre àlaquelle la la CADA a contribué en précisant les obligations de l’admi-nistration dans un long processus qui demeure conflictuel. Les infor-mations accessibles relèvent du droit tout en s’inscrivant dans larevendication d’un débat plus large, du ressort des avancées de lascience et du politique.

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1 Le Monde, 24 janv. 2003, H. Morin, L’INRA veut planter en plein une vigne transgé-nique en Alsace.En résumé, l’auteur explique que selon un « processus assez inhabituel en France », il aété constitué un groupe de quatorze membres : quatre chercheurs, six professionnelsde la vigne, quatre citoyens (sélection INRA). La méthode a été celle de d’évaluationtechnologique interactive comme au Pays-Bas avec sept journées de débats. Le bilan aété douze avis favorables avec conditions, dont celle de communiquer les résultats del’expérimentation en toute transparence, et deux non.2 Addenda, Des vignes OGM en suspens en Alsace, Le Monde 12 nov. 2003.

BENOIST BUSSON,juriste, responsable associatif

Transparence et environnement

Le droit d’accès à l’information en matièred’environnement est un droit fondamental

L’accès à l’information présente un intérêt essentiel en matière de pro-tection de l’environnement pour deux raisons principales : d’une part,à cause du lien qui unit la protection de l’environnement à la santépublique et la prévention des risques naturels et technologiques.

Dans ce cas en effet, l’objectif est la protection de la personne, de sonintégrité physique et celle-ci doit disposer d’un droit fondamental à l’in-formation sur les émissions et les dangers que présentent les activitéshumaines (installations classées, culture de plantes génétiquementmodifiées, rejets des transports polluants, construction dans des zonesà risque, etc.)

D’autre part, le principe d’information est nécessaire pour que les per-sonnes puissent exercer leur droit à la participation aux décisionspubliques qui concernent l’environnement : pour que le public donneson avis sur un projet qui le concerne, il doit d’abord être informé àtemps et complètement par l’administration.

En matière d’environnement, des textes sectoriels ont ainsi organisé ledroit à l’information qui déroge au droit commun de l’accès aux docu-ments administratifs prévu par la loi du 17 juillet 1978 modifiée, jusqu’àprévoir dans certain cas une obligation d’information de la part desexploitants d’installations classées ou de l’administration.

Le principe du droit à l’information est repris dans le projet de Charteconstitutionnelle, au Code de l’environnement – réécrit sur ce point àl’occasion de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proxi-mité – et dans l’importante convention signée à Aarhus le 23 juin 1998dans le cadre du conseil économique et social de l’ONU qui lie l’accès àl’information à la participation du public et à son accès à la justice (lestrois « piliers » de la convention).

Il faut faire mention encore des importantes directives CEE du 7 juin1990 et du 28 janvier 2003 relatives à l’accès à l’information en matièred’environnement ainsi que des directives CEE sectorielles et du Codede l’environnement qui déclinent le principe en matière de préventiondes pollutions, d’OGM, de risques majeurs...

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Cependant, si les textes sont foisonnants et en avance comparé audroit commun de l’accès aux documents administratifs, le bilan quel’on peut faire n’est guère satisfaisant pour deux raisons.

Le droit international et communautairerelatif à l’accès à l’information en matièred’environnement est méconnu par l’État

La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs rela-tions avec les administrations a pu paradoxalement apparaître commeen recul par rapport au droit antérieur, en autorisant la communicationdes seuls documents détenus par les autorités administratives men-tionnées à son article 1er qui ne vise pas les établissement publics àcaractère industriel et commercial ni les personnes privées chargéesd’un service public industriel et commercial.

Les ambiguïtés de la loi nationale tranchent avec les textes internatio-naux et communautaires qui prévoient explicitement la communica-tion des documents détenus par de telles autorités.

Il en va de même s’agissant du secret industriel et commercial quidemeure encore en droit national envisagé comme permettant de refu-ser la communication de tout document administratif.

Pourtant, la convention d’Aarhus et la directive CEE du 28 janvier 2003,qui devra être transposée en 2005, prévoient que cette exception nepeut être opposée quand les informations sont « pertinentes » (art. 4-4,d de la convention d’Aarhus) ou concernent des « émissions dans l’en-vironnement » (article 4 av. dern. al. de la directive) dont la divulgationprésenterait un intérêt pour le public.

On touche ici à un aspect essentiel qui est implicitement consacré parces textes : ce qui compte, c’est le critère matériel, la nature de l’infor-mation et non l’autorité qui la détient ou l’éventuelle atteinte au secretindustriel et commercial ; le riverain d’une usine polluante à un droit deconnaître la nature et l’importance de ses rejets dans l’environnement ;dès qu’une activité humaine entraîne des conséquences en dehorsd’une sphère privée, confinée, le secret industriel et commercial doitêtre écarté ; la protection de la santé des personnes doit primer surtout autre intérêt comme le consacre d’ailleurs tant le Conseil constitu-tionnel que la Cour européenne des droit de l’homme dans d’autrematières.

Malheureusement, le projet de Charte de l’environnement n’apporteaucun progrès à cet égard, son article 7 continuant à faire référence auxseules informations détenues par les autorités publiques, en référenceau seul critère organique.

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La pratique administrative ignore largementle droit à l’information en matièred’environnement

Il est fréquent pour une association de devoir encore aujourd’hui saisirla CADA pour demander à consulter les autorisations et plans d’urba-nisme d’une commune par exemple ; les collectivités locales et l’admi-nistration déconcentrée pratiquent encore trop souvent la règle durefus de principe, manifestement illégal, pour espérer un abandon de lademande.

Outre les pratiques locales, les différents ministères ne donnent pasnon plus l’exemple qu’il faut : on citera par exemple le refus longtempsopposé par le ministère en charge de l’équipement de communiquer leprocès-verbal de « l’instruction mixte à l’échelon centrale » qui précèdeles déclarations d’utilité publique ; il aura fallu un pourvoi en cassationrejeté par le Conseil d’État pour faire accepter ce droit (consacré depuispar la loi du 27 février 2002 précitée).

On doit encore citer le refus longtemps opposé par le ministère encharge de l’agriculture de communiquer les fiches d’information aupublic d’essais de plantes génétiquement modifiées.

Bien que la loi prévoit spécialement la communication de ces fiches aupublic justement, il aura fallu porter l’affaire à deux reprises devant letribunal administratif de Paris pour que ce droit devienne enfin effectif.

Enfin, dans un arrêt du 2 juin 2003, le Conseil d’État a considéré que lerefus opposé à une association par le préfet de communiquer le dos-sier d’enquête publique d’une DUP, en violation de la loi qui organisespécialement ce droit, n’emportait aucune conséquence sur la légalitéde la DUP. On est obligé ainsi d’en déduire que la portée du droit à l’in-formation, s’il ne peut être sanctionné, risque de rester lettre morte.

Quelles perspectives ?

Les principaux espoirs des associations résident assurément dans ledroit communautaire et la convention d’Aarhus ; même si l’effet directde cette convention porte à débat, les textes supranationaux permet-tront à n’en pas douter de faire avancer le droit à l’information enmatière d’environnement à l’avenir.

S’agissant de la Charte de l’environnement, la constitutionnalisation dudroit à l’information ne créera en soi aucune avancée notable : commenous l’avons exposé, sa définition matérielle demeure en retrait parrapport aux textes internationaux ; son apport sera donc limité et il fautmême souhaiter qu’elle ne constitue pas une régression.

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La reconnaissance enfin d’une obligation positive d’information parl’administration ou le pollueur est déjà consacrée par des textes secto-riels, à travers par exemple les commissions locales d’information ;peut-être en revanche le juge pourra reconnaître que le droit à l’infor-mation en matière de santé publique (concernant les émissions dansl’environnement) est une composante du droit à la sûreté plus généra-lement, comme l’a reconnu en partie déjà la Cour de Strasbourg.

En tout état de cause, il faut aussi rappeler que le droit pénal et de laresponsabilité civile permettront de sanctionner a posteriori un défautd’information : par le passé, un directeur d’une usine de retraitementde déchets nucléaires a pu ainsi être condamné par le juge pénal pouravoir « omis » de mettre en œuvre la procédure d’information du publicen cas d’incident dans ses installations ; l’incrimination de mise en dan-ger délibérée de la vie d’autrui pourrait aussi trouver à s’appliquer en casd’inertie d’un exploitant d’installation classée à prévenir la populationd’une émission polluante.

Enfin, il faut souligner que le recours au juge administratif pour sanc-tionner le refus de communication d’un document présente certainsinconvénients ; il n’est pas rare que l’administration invoque soninexistence pour refuser de le communiquer et, dans ce cas, il sera rareque le juge mette en œuvre de réels pouvoirs d’investigation, par unevisite sur place des services qui sont censés détenir le documentnotamment.

C’est pour cette raison que, dans les dossiers sensibles mettant encause le comportement de personnes ou de services entiers de l’admi-nistration, l’avenir consistera peut-être à recourir à des méthodes...déjà éprouvées : un juge d’instruction saisi par une association d’uneplainte avec constitution de partie civile pourra perquisitionner et saisirtout document de l’administration civile, sans limite.

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Débat avec la salle

BRUNO LASSERRE

Je voudrais d’abord répondre au dernier point évoqué par M. Buisson :

La saisine du juge des référés est tout à fait possible en matière de com-munication de documents administratifs, il suffit d’une part, de justifierl’urgence et elle peut tout à fait se comprendre, et d’autre part de faireétat d’un moyen qui crée un doute sérieux sur la légalité du refus. Doncdans cette matière comme dans les autres, le juge des référés peutordonner des mesures provisoires et statuer, il n’y a pas d’exclusion.

Cette intervention comme cette table ronde a été à l’image de ce col-loque, d’abord empreinte de franchise, ce que je trouve très bien, etpuis comme toujours ont été mis en valeur des progrès dans la trans-parence, mais aussi des limites, des insuffisances. Je crois que c’estl’occasion de faire état des questions. Je préfère des questions plusque des témoignages, c’est vraiment à interroger les intervenants, plusque de faire état d’expériences ou de récits personnels que doit servirle débat.

Un intervenant

Je m’adresse à Maître Chahid-Nouraï. Vous avez fait part de vos craintesémanant du manque de transparence concernant les vérifications fisca-les. Ne croyez-vous pas que depuis le décret d’avril 2002, qui a nomméM. Emmanuel Constance médiateur fiscal, directement rattaché auministre, vont être facilitées les relations entre les administrés et le fisc.Très complémentaire de la CADA, ce médiateur pourra agir directementsur le personnel de l’administration publique. Une mise en place d’opé-rations pilotes sur quinze départements, actuellement en cours, ira dansle même sens ; ce ne seront pas des médiateurs au niveau départemen-tal mais des conciliateurs tels que l’a présenté hier M. Comolet-Tirman ?

Deuxièmement, je m’adresse à M. Bruno Delor : aujourd’hui il y a énor-mément de logiciels d’intrusion, on ne peut que constater l’intrusion,on ne peut pas l’éradiquer sur Internet. Premièrement ne pensez-vouspas qu’il serait souhaitable au niveau international qu’il y ait une plusgrande sécurisation et, dans le cadre des offres de marchés publicsconcernant la défense nationale, avez-vous constaté des plaintes à cesujet ; deuxièmement, pensez-vous qu’on va pouvoir passer à la signa-ture électronique et quel est l’organisme certificateur de la signatureélectronique au sein de la défense ?

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Maître NOËL CHAHID-NOURAÏ

Très brièvement, comme je l’ai dit, c’est la dialectique du glaive et dubouclier : plus le glaive est acéré, plus le bouclier se perfectionne. C’estclair qu’il y a des mesures qui sont prises pour améliorer la situation, jecrois qu’on est quand même dans un processus qui est un processusde longue durée dans lequel il faut être extrêmement attentif à ce qu’iln’y ait pas de dérives des vérificateurs comme on a pu le constater par-fois, je ne peux pas en dire plus, vous ne pouvez pas en dire plus, maison sait tous de quoi on parle.

M. BRUNO DELOR

Rapidement, sur les aspects de sécurisation, ce que je peux dire c’estque c’est bien sûr, en particulier quand vous êtes du ministère de laDéfense il y a un risque sérieux effectivement de tomber sur certains« Plaisantins » qui cherchent non seulement à faire de l’intrusion maissurtout à vous introduire quelques dysfonctionnements. Nous avonspris un certain nombre de dispositions, nous n’avons depuis novembre2002 rien constaté. Pour ce qui est de la sécurisation des plis qui sonttransmis par les fournisseurs, ils sont traités avec la mise en place d’undispositif de sécurisation. Ce n’est pas l’aspect confidentiel-défensemais celui de protéger les fournisseurs sur la sensibilité des informa-tions qu’ils nous transmettent. Sur le deuxième point, la signature élec-tronique, l’option que nous avons prise, est en fait de définir unepolitique de certification qui nous permettra de qualifier les entreprisesde certification. Il y a des entreprises, il y a un marché, on n’est pas lesseuls à demander des certificats numériques, et il faut donc permettrede s’adresser à un panel le plus large possible d’entreprises dont c’estle métier de vendre des certificats ; sur leur demande nous qualifionsces entreprises par rapport à notre politique qui définit nos exigences,parce qu’il y a certificat numérique et certificat numérique...

Madame LOCHAK

Je m’excuse je ne vais pas répondre à votre injonction de poser desquestions parce que j’ai quand même envie de poursuivre sur cequ’ont dit M. Chahid-Nouraï et M. Busson. Je suis très contente queM. Chahid-Nouraï nous ait rappelé qu’après tout ce serait bien que lesconclusions des commissaires du gouvernement soient des docu-ments communicables. J’ai failli attraper une attaque d’apoplexiequand j’ai cru que je n’arriverai pas à les avoir, mais finalement on meles a données, les conclusions du commissaire du gouvernement dansune affaire où le Conseil d’État a jugé que la cour administrative d’appelavait dénaturé les pièces du dossier en estimant qu’un document étaitpréparatoire à une décision, alors qu’il y avait cinq pages pour démon-trer que c’était le contraire et que les conclusions du commissaire dugouvernement en appel étaient aussi très claires : ce n’était pas une

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décision préparatoire. La Cour avait quand même jugé dans l’autresens, suivant l’avis de la CADA qui devrait être un petit peu plus pru-dente déjà quand elle décide qu’un document, puisque c’était sa posi-tion, est préparatoire à une décision quand manifestement il n’y a pasune décision à venir mais une vague réforme envisagée du fonctionne-ment des préfectures en matière de réception des étrangers.

Ce que je voudrais, en prenant deux exemples, montrer comment laCADA, à mon avis, n’est pas suffisamment critique par rapport auxaffirmations des administrations. Premier exemple, l’instruction géné-rale sur les visas. C’est un document qu’on avait demandé une pre-mière fois, enfin que le GISTI avait demandé en 1987, et la CADA nousavait répondu : risque d’atteinte au secret de la politique étrangère, etje dois dire que le président d’alors avait dit à la présidente d’alors duGISTI : vous savez – je crois qu’il n’y croyait pas lui-même –, il y a desfac similé de visas dans cette instruction, dont certains moins bienintentionnés que le GISTI pourraient se servir pour faire des faux. Cetteposition a été réaffirmée ensuite par le Conseil d’État mais je voussignale que dans l’intervalle, la question des visas a fait l’objet d’uneinstruction générale, l’instruction générale sur les visas Sangatte, elleest publique, et publiée. Donc est-ce qu’il n’y a pas eu là un manque dediscernement de la part de la CADA ?

Autre exemple : un télégramme sur la protection des Algériens mena-cés par le FIS. On nous refuse la communication en disant : « atteintepossible à la protection de la sécurité publique ». Le ministère ayantdit : « sa communication serait de nature à affaiblir la protection despersonnes et des biens », alors que c’était une circulaire, un télé-gramme que nous avions d’ailleurs entre les mains et qui disait simple-ment : « si un Algérien menacé par le FIS vous demande un titre deséjour, vous le saisissez d’abord.

Autre exemple qui me pose problème, celui des fiches techniques quiexpliquent « interpellation sur le territoire, identification des étrangers,rétention », etc., donc des fiches techniques qui accompagnent une cir-culaire sur l’éloignement des étrangers, On nous dit aussi : « sécuritépublique », alors que notre argumentation c’est qu’en communiquantces documents qui décrivent à l’attention des autorités chargées d’exé-cuter les mesures d’éloignement, les actions qui peuvent être menéesen vue de faire échec aux tentatives de se soustraire à ces mesures, enréalité on indique simplement comment l’administration doit procéderpour faire des contrôles d’identité, en reprenant la réglementation. Et laCADA nous dit : « atteinte possible à la sécurité publique », alors queces étrangers sont simplement en situation irrégulière, et ne sont pasde ce fait des dangers pour la sécurité publique. Donc là il faudraitquand même que la CADA argumente un peu mieux. L’autre élémentest que les mesures que préconise l’administration – on avait les fichesentre les mains donc on le voyait bien – ne peuvent pas, par définition,

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être autre chose que des mesures conformes à la loi donc là, quand onnous dit « sécurité publique », on ne voit absolument pas pourquoi, etje terminerai par où j’avais commencé hier : c’est vrai que nous som-mes quand même beaucoup plus à l’aise pour argumenter devant laCADA d’abord et devant le juge ensuite quand nous avons déjà cesdocuments incommunicables entre les mains, ce qui suppose un petitpeu le problème résolu, et qui explique peut-être aussi ce qu’on a dittout à l’heure sur le fait que la CADA n’est pas beaucoup saisie contrel’administration parce qu’on sait bien que là, on n’arrivera pas àargumenter.

Juste une remarque sur ce qu’avait dit M. Prost en matière d’archivessur le fait que le juge administratif, puisque c’est dérogatoire, dit quec’était discrétionnaire. Il me semble me souvenir que du temps où j’en-seignais encore le droit administratif, le pouvoir de dérogation, mêmediscrétionnaire, est quand même un petit peu encadré, au moins par lecontrôle soit de la théorie du bilan soit de l’erreur manifeste d’apprécia-tion. Donc il me semble que là on pourrait quand même essayer de sebattre, y compris contre le ministère de la Défense.

BRUNO LASSERRE

Merci de ces éléments qui contribuent au débat, je crois qu’on ne peutpas revenir sur chacune de ces affaires parce que nous n’en avons pasle temps. Sur la question des conclusions des commissaires du gou-vernement, c’est une bonne question car le débat est ouvert : s’agit-ilvraiment de documents qui sont la propriété des intéressés ou pas ?C’est de toute façon une question étrangère à la CADA car si nousconsidérions qu’ils n’étaient pas la propriété de ceux qui les écrivent,ce seraient des documents qui font partie d’une procédure juridiction-nelle et donc qui n’entrent pas dans le champ de la loi de 1978 mais jeconsidère que aussi bien le débat qu’a lancé Noël Chahid-Nouraï quecelui que vous reprenez est un bon thème de discussion : il s’agit vrai-ment de conclusions réalisées avec les moyens du service public, dansle temps du service public, est-ce qu’elles n’appartiennent pas au ser-vice public et est-ce que les droits de propriété ne sont pas ceux duservice public ?

En tout cas moi quand j’étais commissaire du gouvernement, pendanttrois ans, j’ai remis au centre de documentation du Conseil d’État toutesmes conclusions, y compris celles devant les sous-sections, manuscrites,car ce n’était pas tellement le fait que je ne voulais pas communiquer,mais c’est que quand on vous demande cinq ans après, « pouvez-vousme communiquer vos conclusions dans l’affaire du 3 mars 1982 », il fautaller à la cave chercher dans un carton, etc., je trouvais beaucoup plussimple qu’on le fasse à ma place. Mais je crois que c’est un bon débat, quela CADA, en tout cas, n’est pas compétente pour trancher.

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Une intervenante

Je voudrais revenir sur les archives et précisément sur les archives dela cour de justice puisqu’Antoine Prost les a évoquées. Il existe, jepense que beaucoup d’entre vous l’imaginent, un dossier d’instructionouvert par la cour de justice du département de la Seine qui concerneun des grands dirigeants de la presse française sous l’Occupation. Si jesuis historienne, je demande l’accès à ce dossier, ma dérogation abou-tit puisque je suis historienne et je suis de ce fait qualifiée à l’étudier,l’interpréter de façon raisonnable. Je suis la petite-fille de l’individu,.Ma dérogation est refusée. La petite-fille rouspète, elle passe devant laCADA. La CADA se dit : la petite-fille n’est peut-être pas vraiment cons-ciente que son grand-père était non seulement un grand patron de lapresse parisienne, condamné, amnistié, mais tout de même d’unemoralité plus que douteuse. Je suis une petite-fille, mais je suis aussihistorienne, pourquoi pas, de la presse française ? La CADA estembêtée... Donc voilà ma question.

ANTOINE PROST

De toute façon, quand on fait de la casuistique, on est toujours embêté.Parce que la casuistique, c’est le domaine qui n’est ni blanc ni noir. Jecomprends très bien la position de certains procureurs généraux quirefusent systématiquement les dérogations à la communication desArchives avec des arguments qui sont proches de ceux que vous évo-quez, et je comprends très bien aussi le désir de satisfaire la curiositéde la petite-fille. Mais simplement il n’y a pas de réponse simple à ceproblème.

Un intervenant

C’est beaucoup plus simple de se fonder sur le contenu du dossier quesur la personne qui le demande.

ANTOINE PROST

On ne peut se fonder ni sur le contenu sur le dossier seul, ni sur la per-sonne qui demande seule, c’est le problème du rapport entre lademande et l’objet de la demande, et c’est pourquoi il faut faire de lacasuistique parce que si on devait se baser seulement sur la nature dudossier, alors je pense qu’il y a un certain nombre de dossiers et detypes de documents pour lesquels on pourrait faire des listes. Parexemple, les dossiers d’arianisation économique ont été tous ouverts.Dans les dossiers d’arianisation économique, la petite-fille peutapprendre aussi que son grand-père et son oncle étaient en mésen-tente totale et que c’est l’oncle qui a fait vendre le commerce par l’ad-ministrateur provisoire ; on peut aussi apprendre les turpitudes dansles dossiers d’AJ38. Mais là, on a dit, c’est tout ouvert, là c’est simple.

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Mais on ne peut pas prendre cette position pour des dossiers plusrécents parce que, là le grand-père est toujours vivant.

Mais on peut gérer ça j’en donne un exemple personnel. J’ai vu de leurvivant le dossier de pension de mon patron de thèse et du présidentCassin. Quand je suis allé voir le président Cassin, je savais tout sur sonservice militaire et j’avais lu son acte de naissance. Si on m’a donné unedérogation, c’est parce qu’on pensait que je pouvais gérer ça, mais onaurait pu se tromper. Et si on s’était trompé et si j’avais fait un impairavec le président Cassin, ça serait certainement retombé très fermementsur le sous-directeur des pensions qui m’avait accueilli dans son bureauet m’avait laissé consulter tous les jeudis une douzaine de dossiers depension, qui étaient des dossiers nominatifs. Et là on est dans le cadre dela consultation d’archives par dérogation à l’initiative du service verseuret à l’intérieur du service. Les archivistes ne le voient pas. Mais les pro-blèmes de déontologie et d’ouverture sont rigoureusement les mêmes.

Donc on ne peut ni décider que telle personne a droit parce que c’estelle, ni que tel dossier peut être ouvert, parce que c’est lui, non : c’est lajonction, l’emboîtement de la demande et du dossier, et c’est pourquoion ne peut pas échapper à une certaine dose de casuistique. Alors qu’ilfaille la réduire, j’en suis tout à fait d’accord, mais il y a un minimumincompressible, et si on veut que la casuistique soit bien faite, à monavis il est essentiel qu’il y ait une instance d’appel relativement indé-pendante parce que d’abord toute casuistique comporte un risque d’ar-bitraire et si on a deux détentes, on a un déclic, on a un cliquet, on a uneffet rappel, et d’autre part, quand on a à gérer ce genre de question...bon, la sous-directrice des pensions qui me laissait voir les dossiers,elle me connaissait depuis assez longtemps, et elle avait touteconfiance. Donc elle n’était pas angoissée. Elle aurait pris cette déci-sion pour un petit jeune qui arrivait, j’étais un petit jeune qui arrivaitd’ailleurs d’une certaine manière à l’époque, mais elle aurait pris cettedécision sans consulter, c’était très inquiétant pour elle : quel usage cethurluberlu allait en faire quand il verrait le président Cassin ? Donc il y aun risque, une angoisse à gérer, c’est pourquoi je dis : un, il fautessayer de réduire le champ de la casuistique ; deux, il y a un champ decasuistique irréductible ; trois, il faut une instance collégiale d’appel, derecours, de conseil, pour à la fois limiter le risque d’arbitraire, et ne pasfaire peser toute la charge sur celui qui donne l’autorisation.

Un intervenant

Je suis désolé de m’immiscer dans le débat précédent, mais il y a unechose qu’a dite le professeur Prost et qui m’a un peu interpellé : il acomparé les statistiques entre ce qui était contesté quand il s’agissaitde la Défense et quand il s’agissait des archives nationales. Juste c’estun peu bizarre quand même que les plus ouverts soient les plus criti-qués. Je voudrais revenir là-dessus trente secondes. Je crois si les faits

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sont incontestables, si les pourcentages sont incontestables, l’interpré-tation qui doit en être faite peut être un peu mesurée. Il se trouve quej’étais dans le temps président du conseil du patrimoine privé de la Villede Paris, j’ai d’ailleurs travaillé avec le professeur Prost là-dessus etavec le professeur Lessac, sur la spoliation à Paris pendant la guerre, etje dois dire avec beaucoup de modération que le traitement que macommission a eu du côté des Archives a été tout à fait différent de celuiqu’a eu la commission qui était présidée par le président du Conseiléconomique et social M. Matteoli. Donc il y a une attitude de la direc-tion des Archives qui est assez différente en réalité selon les person-nes, il y a des gens qui sont réputés inspirer davantage confiance queles autres, l’État inspirait davantage confiance que la Ville et pourtantDieu sait si les deux commissions étaient tout aussi indépendantes lesunes que les autres. Je voulais simplement dire ceci : je crois qu’il y ales pourcentages, mais il y a les réalités, et moi, ça ne m’impressionnepas du tout, il se trouve que j’ai côtoyé la Défense aussi dans mes fonc-tions à la CNIL puisque j’allais faire des enquêtes, et j’ai toujours trouvé,en tout cas en ce qui me concerne, une parfaite transparence du côtéde la Défense. et je crois qu’il faut être très attentif à l’interprétation despourcentages.

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Quatrième demi-journéeQuelles perspectives ouvertespar les nouvellestechnologies ?Sous la présidence de DIEUDONNÉ MANDELKERN,

président de section honoraire au Conseil d’État

Quelles perspectivesouvertes par les nouvellestechnologies ?

Présidence : DIEUDONNÉ MANDELKERN,président de section honoraire au Conseil d’État

Je crois qu’il est temps que nous reprenions notre séance. Nous avonscet après-midi un sujet qui n’a pas été du tout abordé jusqu’à présent,et qui est celui des données publiques. Le sujet est relativement nou-veau par rapport à ce que nous avons vu au cours des séances précé-dentes, et compte tenu de l’heure je crois qu’il faut y entrer trèsrapidement. Je donnerai d’abord la parole à Herbert Maisl, Conseillerd’État, qui, précisément, va faire cette jonction, indiquer quels sont lesrapports, qui sont évidents bien entendu, mais tout de même méritentd’être un peu explicités, entre le document administratif et la donnéepublique. Je lui passe sans attendre la parole.

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Du document administratifà la donnée publique

HERBERT MAISL,Conseiller d’État

L’objet de cette communication est moins de disserter sur la distinctiondu document et de la donnée – dans les deux cas, ne s’agit-il pas d’in-formation administrative ? que de mettre en valeur les conséquences,à côté du document papier, de l’irruption de la donnée numérisée.

Deux rappels sont nécessaires.

Lorsque la loi du 17 juillet instaure la liberté d’accès aux documentsadministratifs, on pense essentiellement aux traditionnels documentspapiers ; aujourd’hui, la loi, posant un principe de neutralité des sup-ports, précise que l’on peut avoir accès également à des documentssur support informatique ou obtenus par traitements automatisés.

Quant à l’expression « donnée publique », elle apparaît dans la circu-laire du Premier ministre, en date du 14 février 1994, relative à la diffu-sion des données publiques ; reprenant un arrêté de terminologie, elleprécise que la donnée est « une information formatée pour être traitéesur support informatique ». Cinq ans plus tard, le commissariat généraldu plan publie le rapport de l’atelier qu’avait présidé M. MANDELKERNet qui s’intitule « Diffusion des données publiques et révolution numé-rique » ; ce rapport esquisse les pistes des mutations en cours.

Au terme de ce colloque, il peut être opportun de s’interroger sur lesconséquences et les perspectives de la diffusion d’informations admi-nistratives, notamment sur internet ; la loi du 17 juillet ne peut certaine-ment pas les ignorer (voir le dossier de l’AJDA intitulé « Accès auxdocuments administratifs, bilan et nouveaux enjeux », notamment l’ar-ticle de B. LASSERRE et A. ROBINEAU : administration électronique etaccès à l’information administrative, 2003, n° 25, p. 1325).

Il semble que l’on passe d’une logique traditionnelle de demande d’in-formations à une logique d’offre par l’administration et que ces deuxlogiques s’inscrivent dans une certaine continuité.

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L’apparition d’une nouvelle logique

Les deux grandes lois de 1978 correspondent à cette 10g jq dedemande ponctuelle.

C’est d’abord la loi du 6 janvier « informatique, fichiers et libertés » quicrée le droit d’accès de chacun aux données détenues sur son comptepour pouvoir faire rectifier celles-ci et, le cas échéant, les faire effacer.Les menaces que pourrait faire peser l’informatique ont ainsi conduit àreconnaître ce que les anglo-saxons appelle un « habeas data ».

La loi du 17 juillet, six mois plus tard, crée une liberté nouvelle, la libertéd’accès aux documents administratifs, ouverte à tous sans qu’il soitbesoin de justifier d’un quelconque intérêt. Encore faut-il, cependant,que le demandeur identifie le document qu’il sollicite ; tâche délicateen l’absence de liste des documents détenus par l’administration, listepourtant prévue par la loi. Du fait de cette situation, beaucoup de docu-ments ne sont pas réclamés parce que leur existence est inconnue. Laliberté d’accès et, par voie de conséquence, la transparence sont, enquelque sorte, tronquées.

En 1996, à la question de savoir si l’on connaissait la nature et l’impor-tance des « gisements d’informations administrative », il me futrépondu avec franchise : « ni avec précision, ni approximativement »(Revue française d’administration publique, 1996, n° 72, p. 609)...

Avec les technologies de l’information, l’administration entre dans uneLogique d’offre A elle de prendre les initiatives. La transparenceamorcée en 1978 prend une nouvelle dimension.

Le programme d’action gouvernemental pour la société de l’informa-tion (PAGSI) et la circulaire du 7 octobre 1999 relative aux sites internetdes services et des établissements publics de l’État font entrer, àgrande échelle, le secteur public sur le réseau ; aujourd’hui, on peutrecenser environ 5 500 sites publics, certains étant très consultés(600 000 visites par mois pour le site « service public », 130 000 pour lesite du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie).

Cette situation nouvelle conduit à poser trois séries de questions.

1) Comme l’a fait remarquer le forum des droits sur Pinternet dans sonrapport sur la diffusion des données publiques (www.foruminternet.org),la constitution d’une base de données sur les informations administra-tives devient une nécessité pour connaître l’existant, pour savoir ce quiest accessible et exploitable.

2) Que doit « offrir » l’administration, du fait de ses obligations, au titrede ses missions de service public ? On pourrait distinguer trois catégo-ries d’informations.

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Dans une première catégorie, il y a, sans doute, des informations dontl’exploitation et la diffusion relèvent d’un monopole. Par exemple, lacour de cassation, dans un contentieux fameux engagé par une sociétéqui voulait, accéder, pour les diffuser, aux données météorologiquesréservées aux professionnels de la navigation aérienne, a pu releverque Météo-France « gérait, en application des dispositions de droitinternational et de réglementation interne, le service public de lamétéorologie aérienne et réservait aux seuls usagers de l’aviation civiledes messages propres à assurer leur sécurité et celle des passagers et,sans qu’il ait été constaté une commercialisation auprès du grandpublic, des informations recueillies dans le cadre de sa mission » ;cette activité ne relève pas d’une activité de production, de distributionou de service (cass. comm., 12 décembre 1995, AJDA 1996, p. 131,note BAZEX).

La deuxième catégorie est la plus vaste et la plus imprécise, c’est celle des« données essentielles » évoquées par le Premier ministre à Hourtin enaoût 1997 ; l’accès à ces données, fut-il précisé, devait être gratuit.

Mais reste encore à savoir ce qu’il faut entendre par données essentielles.

Le rapport MANDELKERN de 1999 avait estimé qu’il s’agissait des don-nées dont la mise à disposition était une condition indispensable àl’exercice des droits des personnes physiques résidant sur notreterritoire.

Le projet de loi sur la société de l’information essaya, en 2001, de res-serrer la définition en mentionnant : les informations, rapports et étu-des sur l’organisation et le fonctionnement des services publics, lesactes et décisions faisant l’objet d’une obligation de publication, lesactes et décisions publiés au Journal officiel ou dans des Bulletins offi-ciels, les informations économiques, sociales, culturelles desadministrations, les rapports.

En réalité, cette notion est aussi floue que celle de service public. IIappartient à l’État d’en définir le périmètre, sous le contrôle du juge.Une certitude, cependant : les données juridiques sont bien des « don-nées essentielles » puisque « nul n’est censé ignorer la loi ».

Reste à évoque une troisième catégorie de données qui, elles, ne peu-vent être qualifiées d’essentielles mais que les pouvoirs publics veulentdiffuser ; cette diffusion se fera alors en concurrence avec le secteurprivé et sera payante.

3) L’exploitation des données. L’exploitation des données peut se faireaussi bien par l’accès que par la diffusion. Elle n’a pas qu’une finalitécommerciale ; bien des associations ou des centre de rechercheexploitent des données publiques sans rechercher le profit.

Mais tout un champ nouveau s’ouvre, celui de l’exploitation des donnéesà des fins commerciales dès lors que l’on reconnaît qu’existe un marché

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de l’information. Les instances de Bruxelles insistent, depuis 1989, sur lanécessité de créer un marché de l’information européen face à la puis-sance de l’industrie américaine ; elles sont persuadées que les donnéespubliques peuvent contribuer à enrichir ce marché européen. Un projetde directive concernant la réutilisation et l’exploitation commerciale desdocuments du secteur public est maintenant prêt.

Les entreprises peuvent vouloir exploiter des données publiques pourleurs besoins propres ou bien pour rediffusion en enrichissant les don-nées publiques et en leur apportant une valeur ajoutée. Les licencesd’utilisation ou de réutilisation du répertoire des entreprises détenu parl’INSEE sous le nom de SIRENE constituent des exemplesparticulièrement topiques.

Les conditions de mise à disposition du secteur privé de donnéespubliques au regard, notamment, du droit de la concurrence ont pen-dant plusieurs années été l’objet de débats riches et conflictuels. Lasituation s’est quelque peu clarifié depuis que le Conseil d’Étatapplique le droit de la concurrence (cf. l’avis du 8 novembre 2000,société Bernard consultant, RFDA 2001, p. 106 avec les conclusions deC. BERGEAL) en posant le principe d’égale concurrence entre opéra-teurs publics et privés.

L’évolution du contentieux sur le répertoire Sirene avant et après 2000est, à cet égard, tout à fait caractéristique.

En 1996, le Conseil d’État, dans un arrêt d’assemblée « Direct Mail Pro-duction » (10 juillet 1996, AJDA 1997, P. 189, note H. MAISL), juge quel’INSEE est titulaire de droits privatifs sur les produits informationnelsissus de SIRENE, ce qui justifie le paiement d’une redevance mais lemontant de cette redevance ne fait l’objet que d’un contrôle d’erreurmanifeste d’appréciation, ce qui peut paraître comme insuffisant.

En 2002, le Conseil d’État est à nouveau saisi sur ce sujet par la CEJEDIM.Il se réfère d’emblée aux dispositions du code de commerce sur l’abus deposition dominante. Il consulte le Conseil de la concurrence et juge(29 juillet 2002, AJDA 2002, p. 1072, note S. NICINSKI) qu’il existe un mar-ché de ces fichiers vendus à des entreprises à des fins de prospection.L’INSEE intervient sur ce marché en commercialisant SIRENE ; desconcurrents comme CEJEDIM interviennent également en enrichissant lefichier d’origine. Le répertoire de L’INSEE est une ressource essentielle. Etil est jugé que la perception de droits privatifs excessifs constitue un abusde position dominante, la redevance empêchant, en l’espèce, les rediffu-seurs de dégager une marge bénéficiaire.

On voit le chemin parcouru.

Tout n’est pas encore clarifié au regard du droit de la concurrencenational et communautaire mais le juge administratif s’est doté desoutils d’un véritable contrôle.

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Ainsi, que les données publiques soient exploitées par le secteur publicou enrichies pour réutilisation par les entreprises privées, la logique del’offre vient se superposer à celle de la demande. Est-on, dès lors, dansune situation de rupture ou, au contraire, y a-t-il encore continuité ?

Les deux logiques sont pluscomplémentaires qu’antinomiques

Un auteur comme Jean-Michel BRUGUIERE a pu soutenir, avec grandtalent, qu’il y avait contradiction (cf. son ouvrage « Les données publi-ques et le droit », Litec, 2002).

Il y aurait, pour M. BRUGUIERE, en premier lieu, les données de gestion,de décision ou d’information du public qui seraient des données« moyen » de l’action du service public ; ce serait le champ de l’accès auxdocuments administratifs auxquels on pourrait accéder dans le cadre del’exercice d’une liberté publique ; ce droit d’accès étant qualifié d’« intel-lectuel » (p. 99) n’interdirait pas, pour autant, « un droit d’usage écono-mique ». Mais ces données n’ont pas vocation à être diffusées.

En second lieu, les données « objet » de l’activité du service public pouraccomplir ses missions, qu’il s’agisse des données de l’INSEE, del’Institut géographique national, des Journaux officiels ou de la Docu-mentation française, relèveraient d’une logique différente d’ordre éco-nomique ; les services en cause collectent, traitent, diffusent del’information ; on entre dans le champ de l’exploitation commerciale.

Si l’auteur nuance cette distinction, il affirme, en revanche, que « accé-der n’est point pouvoir commercialiser » (p. 28). C’est bien le sens del’article 10 de la loi du 17 juillet. Aux termes de cette disposition, l’exer-cice de ce droit à la communication exclut pour ses bénéficiaires oupour les tiers la possibilité de reproduire, de diffuser ou d’utiliser à desfins commerciales les documents communiqués.

On voit ainsi les limites du principe posé par la même loi selon lequell’accès aux documents est ouvert à tous sans avoir à justifier d’un inté-rêt. Mais, cet article 10 est, à ce jour, inapplicable puisqu’il ne comporteaucune sanction. Il devient urgent de définir les conditions de la com-mercialisation, que ce soit par la voie de l’accès ou de la diffusion.

Pour ma part, je crois qu’il existe continuum dans l’ensemble du pro-cessus de transparence administrative, même si les modalités de miseà disposition sont différentes ou si les finalités d’exploitation ne sontpas les mêmes (cf. « Le droit des données publiques », LGDJ, 1996).

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Dans le sens du continuum ou de la « filiation » pour reprendre l’ex-pression de Mme. BOISSARD, rapporteur général de la CADA, quatreséries d’observations peuvent être présentées :

1) d’abord, il est incontestable que l’article 6 de la loi du 17 juillet quidéfinit la ligne du communicable et du non communicable, ligne cla-rifiée par vingt cinq années d’avis de la CADA, vaut pour la diffusioncomme pour l’accès. Cette disposition est un « filtre », un pointd’entrée dans le domaine de la transparence. On ne peut exploiter, dif-fuser ce à quoi on ne peut accéder ;

2) ensuite, si la loi du 17 juillet précise que ce qui est diffusé sur supportpapier comme, par exemple, le Journal officiel, n’a pas lieu de fairel’objet d’une communication ponctuelle, la CADA, avec sagesse, aestimé qu’en l’état de l’utilisation d’internet cette règle ne pouvait pass’appliquer aux informations diffusées sur ce réseau, sauf à aboutir àun accès à deux vitesses. Le lien accès-diffusion est donc réel et sesmodalités seront appelées à évoluer ;

3) la CADA, par ailleurs, a à faire face, aujourd’hui, à des demandes nou-velles d’accès à des fichiers informatisés volumineux (S. BOISSARDdans le dossier de I’AJDA, p. 1312). Pourra-t-elle encore longtemps sedésintéresser du contrôle de l’aval ? Ne touche-t-on pas aux limitesd’un dispositif qui ne prévoit aucun contrôle de l’intérêt du deman-deur ? La finalité poursuivie pourrait devoir être précisée. On ne peutexclure le cas suivant : celui d’un opérateur contournant l’obligationd’obtenir une licence de diffusion et qui passerait directement par ledroit d’accès. Le lien accès, diffusion, exploitation commerciale estesquissé ; il est temps de lui donner un contenu ;

4) cette liaison entre l’accès et la diffusion se vérifie encore par deuxexemples. Beaucoup de données ne donneront sans doute pas lieu à dif-fusion mais il faut, bien sûr, maintenir la possibilité d’y accéder par la voiede la loi du 17juillet. En outre, la problématique « informatique et libertés »conduit à restreindre la diffusion de données nominatives. C’est en cesens que la commission nationale de l’informatique et des libertés, dansune recommandation du 29 novembre 2001, préconise l’anonymisationdes décisions de justice librement diffusées sur internet. Les moteurs derecherche permettent, en effet, il est vrai, de rechercher systématique-ment les décisions de justice relatives à une personne. Cette recomman-dation ne fait pas l’unanimité. Quoi qu’il en soit, la donnée nominativereste accessible, en tout état de cause, sur support papier.

Il apparaît bien que dans tout ce droit à l’information administrative,communiquée ou diffusée, à des fins commerciales ou non, dans tel outel secteur, pendant longtemps il faudra faire du cas par cas ; comme laCADA le fait, déjà, pour définir ce qui est et n’est pas communicable.

En conclusion, je voudrais formuler une conviction et faire deux propo-sitions.

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On ne peut laisser le règlement de ces questions à la seule jurispru-dence sans risquer de demeurer encore longtemps dans l’incertitude.

Il faut, d’abord, prendre l’exemple du comité du service public de diffu-sion du droit par l’internet pour en créer d’autres dans d’autres sec-teurs. Le mérite de tels comités est de se prononcer le plus en amontpossible, dans une réelle concertation, et de rechercher des solutionsadaptées.

Il faut ensuite revoir le rôle de la CADA et mesurer les modifications àapporter à la loi du 17 juillet ; les américains ont, pour leur part, modifiéleur Freedom of information act en 1996 par un Electronic Freedom ofinformation act.

Dans cette ligne, le Forum des droits sur l’internet préconise dans sonrapport sur la diffusion des données publiques de transformer la CADAen commission relative à l’accès et à la diffusion des donnéespubliques.

Pour ma part, il me semble qu’à partir de la CADA, il faut créer uneCommission de régulation de l’information administrative (CRIA) :dépasser la distinction accès-diffusion dès lors qu’il s’agit globalementd’informations administratives ; assurer dans ce domaine unevéritable régulation.

Cette Commission de régulation devrait avoir une composition origi-nale faisant place, à côté des représentants de l’administration à ceuxdes acteurs privés (producteurs, diffuseurs, notamment) et des utilisa-teurs ; également, à côté de membres du Conseil d’État, de la cour decassation et de la cour des comptes, le conseil de la concurrencedevrait être représenté.

La CRIA tiendrait la base de données des gisements d’informationsadministratives. En liaison, le cas échéant, avec le conseil de la concur-rence, elle rendrait des avis, répondrait à des demandes de conseil,ferait des propositions. Elle pourrait être saisie tant par les administra-tions que par les particuliers ou les entreprises.

Pendant ces vingt cinq dernières années, dans une première étape detransparence, la CADA a réussi à préciser ce qui était communicable etce qui ne l’était pas. Une certaine transparence est entrée dans lesmœurs ; pas seulement, loin de là, au profit de procéduriers dont lesdemandes auraient pour résultat indirect de gêner la bonne marche del’administration ; le bilan de cette législation dans l’amélioration de larelation entre les administrations et les usagers est largement positif.

Reste à adapter cette législation au tournant de la « révolution numé-rique » qui oblige l’administration à être elle-même à l’initiative de la trans-parence ; parions que chacun peut trouver des avantages à cette nouvelledémarche.

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La directive européennesur les données publiques

PIERRE-YVES MONJAL,professeur de droit à l’université de Franche-Comté.

Comme on le constatera, mon propos va s’inscrire dans la continuitédu rapport précédent, et sur cette question que vous posiez à l’instant,cette question de l’accès et de l’utilisation. On voit bien que la questiondes nouvelles technologies de l’information, car au fond c’est l’intituléde cette dernière demi-journée, pose un certain nombre de questionsen terme d’avenir, dont on sait qu’il est assuré. De point de vue-là, lemarché des nouvelles technologies de l’information, en termes deperspectives économiques, repose sur une logique de surenchère ence moment, en tout cas un pari qui est fait par la commission euro-péenne, les rapports parlementaires, les experts, pari selon lequel, aufond, l’économie européenne, le marché intérieur ne doit sa survie, entout cas sa relance, dans les mois, dans les années à venir grâce à cesnouvelles technologies de l’information : Internet, moteurs derecherche, ordinateurs, etc. Et parmi les éléments de réflexion, à la findes années 1980, au début des années 1990, on va s’interroger sérieu-sement, à l’échelon communautaire en tout cas, à la question de la réu-tilisation des données publiques, et plus spécifiquement à la questionde leur commercialisation. De ce point de vue, il y a une réflexion quisemble nous indiquer que la donnée publique, ce qu’on appelle ladonnée publique, ou l’information administrative qu’évoquait le pro-fesseur Maisl à l’instant, change progressivement et de manière assezradicale de statut. Ce changement de statut signifie que la donnéepublique, l’information administrative, devient une donnée, un élémentéconomique, un facteur d’enrichissement. Et, par conséquent, sonbasculement dans l’orbite du droit de la concurrence, de l’initiativeprivée, de la commercialisation prend corps. Et pour tout dire, on peutse demander si la donnée publique – en droit communautaire on parlede document du secteur public, on y reviendra un peu plus précisé-ment là dessus –, eh bien le document du secteur public –, n’apparaîtpas comme indétachable des nouvelles perspectives liées à cestechnologies de l’information.

Cette réflexion sur le statut commercial du document du secteur publicva prendre naissance dans un livre vert de la commission de 1999 qui

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lance un certain nombre de réflexions 1. D’ailleurs, à l’époque, on neparle pas de données ni même de documents, mais simplement d’in-formation administrative. Ce livre vert va provoquer un certain nombrede réactions, notamment de la part du commissariat général au plan 2.Cette base de réflexion va évoluer. Un an plus tard, le conseil européende Lisbonne se réunit, et les chefs d’État et de gouvernements sedemandent si, effectivement, le document public, la donnée publiquene pourrait pas être une source d’enrichissement et de relance écono-mique. Un an plus tard, la commission adopte une communication 3

qui jette à la fois les fondements économiques et juridiques de ce quiva devenir, le 5 juin 2002, la fameuse proposition de directive qu’onévoquait à l’instant, intitulée au départ « réutilisation des documents dusecteur public et commercialisation de ces données ». A partir du 5 juin2002, les choses vont relativement vite, pour ne pas dire très vite. Lespremiers amendements parlementaires, nous sommes dans le cadrede la procédure de codécision, interviennent en février 2003 ; l’accordpolitique au sein du Conseil en mai 2003, et la deuxième lecture du Par-lement européen, la validation en quelque sorte des choix quasi défini-tifs du conseil des ministres, le 25 septembre dernier 4. C’est-à-dire quecette directive « réutilisation des documents du secteur public » a étéadoptée en six mois, alors qu’en temps normal, une procédure decodécision, c’est quinze, dix-huit mois. Cela montre la volonté politiqued’aller vite dans ce domaine. C’est cette directive qui doit nous retenir.Je souhaiterais présenter ce texte sous deux aspects.

Il y a, à mon avis, tout d’abord, des justifications économiques très pro-fondes à l’origine de cette directive relative à la commercialisation ou laréutilisation des documents du secteur public. Ces justifications écono-miques sont principalement avancées par la commission.

Et, d’autre part, c’est évidemment ce qui nous intéresse de notre point,en tout cas du point de vue des juristes se pose la question du régimejuridique. Au fond, qu’est-ce que, la réutilisation ? Qu’est-ce qu’undocument du secteur public ? Quelles doivent être les règles de com-mercialisation ?

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1 20.01 1999, COM (1998) 585.2 D. Mandelkern, Diffusion des données publiques et révolution numérique. La Docu-mentation française, 1999.3 Communication du 23.10 2001, COM (2001) 607.4 C’est lors du Conseil des ministres du 27 octobre 2003 que les derniers amendementsparlementaires seront acceptés.

Justifications de la directive« réutilisation »

Tout d’abord, quelles sont les justifications économiques de la réutili-sation des documents du secteur public ? Il semblerait qu’au départ, lacommission ait eu une sorte de fascination pour le marché américaindes données publiques. En comparaison, la commission constate quele marché européen lui, est plutôt fragmenté. Il n’est pas unifié.

Un marché américain à imiterDans les documents que l’on obtient sur Internet notamment, le livrevert, la proposition de la commission et toutes les réflexions menéespar la commission européenne, y compris d’ailleurs par le Parlementeuropéen, il y a un constat très simple : l’économie américaine doit, aufond, non pas sa survie, en tout cas sa relance économique depuis dixou quinze ans, grâce aux nouvelles technologies, et en particulier grâceà la rediffusion des données publiques. Cela a constitué un élémentnon pas déterminant, mais un élément important de l’enrichissementde l’économie américaine. Et la commission, partant de ce premier élé-ment, observe également que la législation américaine est plutôtsimple. Un principe constitutionnel d’abord, qui est l’interdiction delimiter de quelque manière que ce soit la liberté de pensée et de parole.On peut estimer que ce fondement constitutionnel justifie la commercia-lisation et la diffusion des documents du secteur public ou des données.Cela participe à cette liberté de parole, à cette liberté d’expression.

À ce fondement idéologique et constitutionnel, il y a le free of informa-tion act de 1967 qui a été modifié et qui ouvre, et c’est là à mon avis lepoint le plus important, un droit d’accès bien aux données fédérales,aux documents publics. Mais surtout, il fonde en très grande partie laréutilisation, la commercialisation des données du secteur public. Lacommission y trouve le fondement juridique principal qu’on va exploi-ter tout à l’heure d’ailleurs : l’accès comme fondement de lacommercialisation.

Troisième élément, la commission observe que les documents publicsne sont pas frappés de copyright. En cela, ils peuvent circuler demanière plutôt aisée, grâce à la mise en place de tout un régime de tari-fication parfaitement profitable pour le secteur privé, fondé sur lanotion de coût marginal. C’est-à-dire que l’accès à un document ne doitpas être onéreux, surtout si c’est à des fins commerciales qu’il estsollicité.

Une conclusion, s’impose à l’esprit, en tout cas dans celui de la com-mission : le marché américain est prospère : l’économie numérique

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fonctionne, en particulier grâce à la réutilisation, ou à la commercialisa-tion de ces fameux documents du secteur public, et grâce aussi à unelégislation claire, précise, qui facilite cette commercialisation au profitdu secteur privé.

Un marché européen fragmentéLa commission, observant le modèle américain, si on veut admettreque ç’est un modèle, constate que le marché européen n’est pas unmarché tout à fait clair sur le terrain de ces règles juridiques, que lemarché économique est plutôt ralenti, et qu’en termes de réutilisationdes données publiques, il n’y a pas une seule législation nationale com-parable à une autre. Au fond, la commission va faire un triple constat, etfaire une proposition juridique.

Premier constat, la question même de l’accès aux données publiquesest problématique. On serait tenté de dire, quinze États, quinze législa-tions disparates. Qu’en sera-t-il dans un marché à vingt-cinq Étatsmembres ? Pourtant, la connaissance d’un certain nombre d’informa-tions économiques, liées par exemple aux marchés publics, liées autrafic routier, aux données météorologiques, sont des données fonda-mentales pour le commerce intracommunautaire. Elles constituent àpeu près 30 % des informations que doit avoir une entreprise qui sou-haite exporter, en tout cas produire et vendre au sein du marché inté-rieur. Autant dire que ces données sont économiquement importantespour le bon fonctionnement de ce marché. Or, à l’heure actuelle, ellessont plutôt difficiles d’accès, ce qui explique peut-être un ralentisse-ment, selon la commission, de l’activité économique.

Deuxième constat, et qui est lié au précédent, les législations desÉtats membres ne sont pas propices, ou favorables à l’émergence, àla création d’une industrie européenne spécialisée dans la réutilisa-tion des documents du secteur public. Ne peut-on pas imaginer desentreprises privées qui collecteraient toutes ces informations, met-traient en place des sites parfaitement identifiés, par types d’activités,afin de faciliter la vie des entreprises ? La commission constate que laplupart des États n’ont pas de législation claire, précise – le cas de laFrance est assez illustratif à mon avis – d’une réglementation qui per-mettrait de réutiliser, de commercialiser les documents, les donnéesdu secteur public.

Le troisième constat, est plutôt lié à une perspective. Quelles sont lespotentialités économiques de cette exploitation commerciale desdocuments du secteur public ? La commission nous abreuve de chif-fres. Par exemple, on sait que le marché de l’économie numérique,représente 400 milliards d’euros. On sait également que quatre mil-lions de personnes travaillent dans le domaine de l’économie

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numérique, et que le taux de croissance en termes d’embauche dansce secteur va de 10, 15, 20 % par an selon les secteurs. S’agissant enparticulier de l’exploitation commerciale des documents du secteurpublic, on chiffre à peu près quatre-vingts milliards d’euros de richessequi peut être générée chaque année. Quant à l’internet sans fil, quipourrait constituer un support supplémentaire pour la diffusion desdocuments du secteur public, c’est 20 à 30 milliards d’euros qui sontattendus chaque année. Au regard de ces trois constats, il restait à lacommission à faire une proposition juridique. Cette propositionconsiste à soutenir : le marché européen est fragmenté, les législationssont diffuses, le bon fonctionnement du marché intérieur est remis encause, la disposition normative dans le traité pour déclencher la com-pétence communautaire est dans ce cas l’article 95 du traité CE relatif àl’harmonisation des législations. La directive que l’on étudie, qui com-porte quatorze articles, se fonde exclusivement sur cet article 95 quirepose sur la codécision et une procédure de vote à la majorité qua-lifiée au sein du conseil des ministres. L’article 95 constitue le fonde-ment juridique qui découle des justifications économiques que j’aiprésentées à l’instant, même si on peut tout de même fonder uneréserve. En effet, on aurait pu penser que la commission s’appuie surd’autres bases juridiques, notamment les articles 43 et 49 en matièrede liberté d’établissement et de libre prestation de service pourconsolider vraiment, en termes de base juridique tout simplement, sadirective.

En réalité, on croit savoir pourquoi la commission se fonde unique-ment sur l’article 95. D’une part, le recours à une triple base juridiqueest toujours génératrice de contentieux, à la fois délicat et assez subtildevant la cour de justice ; d’autre part, la directive « réutilisation » s’ins-crit dans une continuité législative communautaire. La directive de1996 sur les bases de données, la directive de 2000 sur la société del’information (qui est en cours de transposition d’ailleurs), la directivede 2001 sur les droits d’auteurs, ou encore la directive de 2002 sur lavie privée en matière de télécommunication.

Or, la grande directive pivot en matière de nouvelle technologie, c’estcelle du 8 juin 2000 1, Elle repose précisément sur une triple base : mar-ché intérieur, liberté d’établissement, libre prestation de service. Celasignie que la directive « réutilisation » s’inscrira dans celle de 2000 ; etles entreprises disposeront de ressources juridiques communautairessuffisantes pour prester ou s’installer librement dans le domaine de lacommercialisation des documents du secteur public.

Qu’en est-il maintenant du régime juridique de cette directive ?

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1 Directive du 8 juin 2000, JOCE, L 178, 17 juillet 2000.

Régime juridique de la directive« réutilisation »

On connaît les tensions qu’il y a en ce moment entre Paris et Bruxelles :dossier Bull, dossier Alstom, les critères de convergence, le respect dupacte de stabilité, et on sait que ces tensions sont assez vives entre lacommission, c’est un euphémisme, et le gouvernement français. Parailleurs, il y a cette tentation assez récurrente des États de se poser sys-tématiquement en victime de la commission, comme si Bruxelles, et lacommission en particulier était l’institution qui décide de tout enEurope, comme si les États, au fond, devaient se soumettre au diktat dela commission européenne. La réalité, en particulier la réalité juridiqueet institutionnelle, est éminemment plus complexe, et en fait à frontrenversé. Si on prétend que la commission n’est qu’un organe d’exécu-tion, ou qu’un organe d’initiative, le propos peut paraître déplacé, carce n’est pas l’impression qui se dégage en ce moment. Et pourtant, lacommission, en tout cas pour ce qui nous intéresse, n’est qu’un organed’initiative. Elle ne formule que des propositions. Qui décide ? Ce sontles États, et en particulier le conseil des ministres. C’est parfaitementexemplaire dans cette directive.

La commission va dans un premier temps importer les règles américai-nes dans son projet initial en matière de réutilisation et de commerciali-sation des documents du secteur public. Elle fait des propositionsqu’on peut qualifier de très libérales. Or le conseil va combattre littéra-lement la commission sur des points extrêmement importants.

Autrement dit, les États vont résolument s’opposer, sur des questionscruciales, à la proposition de la Commission. Pour reprendre uneexpression assez fameuse en droit communautaire, et qui a étédégagée par la Cour constitutionnelle allemande en 1993, à propos dela ratification du traité de Maastricht : « les maîtres des traités et del’Union européenne sont les États ». Les maîtres du droit dérivé sonttoujours les États, institutionnalisés dans le conseil des ministres. Il nefaut pas perdre cela de vue. Il y a eu une opposition, des dialogues, trèsnourris, très importants entre les propositions libérales de la commis-sion d’un côté, et finalement les prises de position définitives arrêtéesen droit par le conseil de l’autre. La directive, s’agissant du régime juri-dique, en très grande partie, est l’œuvre d’un travail de correction duconseil des ministres, c’est-à-dire des États.

Deux points pour illustrer le régime juridique. On s’interressera toutd’abord aux principes directeurs de la réutilisation des documents.Dans un second temps, beaucoup plus brièvement, parce que cela aété largement évoqué tout à l’heure, on envisagera les principes direc-teurs de la transposition. Est-ce que la France va devoir transposer ounon cette directive ? C’est encore un débat compliqué et politique.

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Principes directeurs de la réutilisationdes documents

Quels sont les principes directeurs relatifs à la réutilisation des docu-ments du secteur public ? Qu’est-ce qu’un document ? Qu’est-ce que lesecteur public ? Qu’est-ce que la réutilisation ? Quel est le fondementde la réutilisation ? Quelles sont les obligations qui vont s’imposer ausecteur public en matière de réutilisation commercialisation desdocuments du secteur public ?

1) Un document, tout d’abord, ce n’est pas une donnée publique, cen’est pas une information administrative, c’est tout ça à la fois. La com-mission, et le Conseil au fond, donne une définition extrêmementgénérique : un document, c’est un contenant et un contenu. C’est toutcontenu, quel que soit son support, écrit, sur support papier ou stockésous forme électronique, enregistrement sonore, visuel ou audiovi-suel 1. Autant dire que la notion de document est hyper extensive et avocation à absorber les données publiques, les informations adminis-tratives. Le juriste français, à mon avis, ne sera pas tout à fait perturbépar cette notion de documents, puisque nous-mêmes, dans notre loi de1978 2, on emploie cette expression. Et certainement que dans l’opéra-tion de transposition de la directive, on pourra s’appuyer sur l’existantlégislatif de 1978 pour précisément calibrer, définir ce qu’on entend endroit français, par rapport à la directive, par le terme document.

Une interrogation tout de même : est-ce que tous les documents doiventêtre réutilisables ? Pour la commission et les fonctionnaires de la Direc-tion générale treize, la réponse est oui : tous les documents, tous lesfonds documentaires des administrations, de l’État, des établissementspublics devraient être exploitables. Et le grand regret de la commission,c’est de voir que les États, dans la directive, ont procédé à une liste dedocuments qui sont exclus de la réutilisation. Les documents sur les-quels il y a des droits de propriété intellectuelle, les documents qui tou-chent à la sécurité nationale, les documents qui, au regard deslégislations en matière d’accès, ne sont pas accessibles 3. Les docu-ments produits par les établissements publics d’enseignement supé-rieur ne sont pas des documents réutilisables, commercialisables.Pareillement, des documents, des photos, des rapports, des énormesfonds documentaires détenus par les musées nationaux. La commissiona formulé un certain nombre de regrets, au regard de cette exclusion.Mais elle ne désespère pas pour autant. La directive prévoit que, lorsqu-’elle entrera en vigueur, tous les ans la Commission devra s’interrogersur la portée de cette directive, et notamment sur la question des

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1 Article 2-3 de la directive.2 Loi du 17 juillet 1978 relative à l’accès aux documents administratifs.3 Article 1 de la directive.

exclusions prévues 1. Ce qui laisse entrevoir, peut-être, qu’un jour tousles fonds documentaires des musées, les fonds documentaires desétablissements d’enseignement, ceux également des radio-diffuseursbasculeront dans cette catégorie de documents réutilisables. Pour con-clure simplement sur cette notion de document, malgré tout il ne faut pasêtre naïf. Pour la commission, les documents véritablement « intéres-sants », sont plutôt des documents liés aux informations économiques,liés au commerce intracommunautaire : informations économiques, sta-tistiques, législations bien sûr, procédures, marchés publics, tout ce cor-pus de documents indispensable pour les entreprises.

2) Le secteur public (deux mots parce que c’est très connu en droitcommunautaire). La directive de 2003 qu’on aborde reprend tout sim-plement les définitions contenues dans la directive de 1995 sur les mar-chés publics. Le secteur public est entendu à la fois comme l’État, lescollectivités, d’une part, ou groupement de collectivités, et les organis-mes publics d’autre part 2. Un organisme public étant un organismecréé à des fins de satisfaction d’intérêt général, doté de la personnalitéjuridique, financé par des fonds publics.

L’État, les collectivités, les groupements de collectivités, les établisse-ments publics forment le secteur public et qui, comme tels, sont denature à pouvoir mettre à disposition ces documents à des fins decommercialisation.

3) La réutilisation c’est utiliser une seconde fois. Plus précisément, laréutilisation, c’est l’utilisation à des fins commerciales par des person-nes physiques et des personnes morales. Donc ce n’était pas la peined’employer l’expression « réutilisation à fins commerciales » 3, puisquela réutilisation implique, dans l’esprit du Conseil en tout cas, en trèsgrande partie, l’utilisation à des fins commerciales par des personnesphysiques et morales.

4) Quel est le fondement juridique de la réutilisation ? Pour la commis-sion, le fondement juridique, c’est l’accès aux documents. Et dans unpremier temps, le considérant n° 9 de la directive, ainsi qu’un projet d’ar-ticle de la directive, posait en substance la règle suivante : « tous lesdocuments accessibles sont commercialisables ». Autrement dit, le faitde pouvoir accéder, en vertu d’ailleurs des législations nationales et c’é-tait astucieux de la part de la commission, à tous les documents prévuspar les législations nationales suffisait à fonder l’exploitation commer-ciale, la valorisation commerciale de ces derniers. Et sur ce point, le Con-seil va opposer une logique totalement différente. Le considérant n° 9,d’abord, qui constitue à mon avis l’élément pivot qui explique bien la« philosophie » de cette directive (malheureusement il n’y a pas d’article

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1 Article 12 de la directive.2 Article 2 de la directive.3 Article 2-4 de la directive.

qui précise le fondement de la réutilisation) Il a été « ciselé » par leconseil des ministres en opposition à la commission. Il pose une règle àla fois simple et ambiguë : « en aucune manière, il n’y a d’obligation pourle secteur public de donner, de transmettre ces documents à des finscommerciales ». On est donc un peu surpris par cet ajustement du consi-dérant n° 9. On passe d’un fondement juridique fondé sur l’accès à un fon-dement très ambigu : il n’y a pas d’obligation pour le secteur public detransmettre, de confier ces documents, à des fins commerciales.

Deuxième point, toujours dans ce considérant n° 9, il est précisé quec’est à l’État, donc sous-entendu le législateur, ou à l’État en tant quedétenteur de documents publics, mais aussi aux établissementspublics, collectivités, de déterminer quels sont ces documents qui doi-vent être réutilisés à des fins commerciales. On voit que la logique d’ac-cès comme fondement juridique de la commercialisation pouvaits’imposer comme une logique d’obligation. Le correctif du conseil desministres consiste à dire, premièrement, il n’y a pas d’obligation detransmission de documents à des fins commerciales, et, deuxième-ment, c’est aux administrations, au secteur public, de dire quels sontles documents qui devront être diffusés à des fins commerciales.

Et toutes les questions qu’on a pu se poser jusqu’à présent, en termesde jurisprudence ou de droit administratif pour définir quand il y auraune obligation ou non de diffusion des documents du secteur public,risquent à mon avis de se poser.

5) Enfin, dernier point de ce régime juridique, évidemment présenté àgrands traits ; quelles sont les obligations des organismes du secteurpublic ? Elles sont assez nombreuses, il y a bien sûr celle de transpa-rence, c’est-à-dire que les documents en question qui sont susceptiblesd’être réutilisés doivent être en quelque sorte listés, de manière à ce queles entreprises puissent savoir exactement quel type de documents ellespeuvent se procurer. D’autre part, il est fortement conseillé et recom-mandé au secteur public de fournir les documents en question qu’ildétient, sous des formats informatiques, en particulier pour les bases dedonnées juridiques. Troisième point, et là c’est une alternative qui rejointce que je disais à l’instant, les organismes du secteur public, l’État, lors-qu’il est confronté en quelque sorte à une demande de réutilisation com-merciale, parce que ça va se présenter sous cette forme, ou bien lesorganismes du secteur public auront le choix : soit transmettre le docu-ment sans conditions, librement ; soit, au contraire, transmettre le docu-ment au secteur privé sous conditions. De ce point de vue, la licencesemble constituer un des procédés privilégié de la directive pour per-mettre la commercialisation, des documents du secteur public 1. Présci-sons que sont interdits les droits exclusifs 2 qui pourraient être instaurés

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1 Article 10 de la directive.2 Idem.

entre le secteur public et un concessionnaire privé. C’est-à-dire, et là onentre dans une logique tout à fait étonnante, que la commission et leConseil privilégient la notion de partage de fichiers, de partage dedocuments. Cela signifie qu’un même type de documents, parexemple les bases de données législatives, peuvent être transmises etcommercialisées par une quantité de diffuseurs privés qui pourrontensuite valoriser, commercialiser les données publiques.

Principes directeurs de la transpositionde la directive réutilisation

Quels doivent être les principes directeurs de la transposition de cettedirective ? La directive n’est pas encore en vigueur. Mais lorsqu’elle lesera, les États auront dix-huit mois, – dans le texte initial c’est prévucomme ça, pour transposer cette directive. En droit français, on doit seposer la question s’il existe un droit de la réutilisation, de la commercia-lisation des documents du secteur public ? Je crois que le professeurMaisl a parfaitement défini les éléments du propos : l’article 10 de la loide 1978 ne peut pas constituer un fondement juridique tout à fait fiable,parce qu’il est ambigu. Le droit de la diffusion est totalement, je crois,élaboré par la circulaire du 14 février 1994 qui définit un certain nombrede règles qui n’est pas utile d’exposer ici.

Toujours est-il, c’est qu’en droit interne on ne dispose pas, de règles enmatière de commercialisation. Se pose par conséquent la question desavoir si la France va devoir ou non transposer cette directive. Onconnaît d’ailleurs, sans provocation non plus, le grand talent de laFrance pour toujours transposer les directives hors délai.

Je crois qu’il y a eu un acte manqué dans cette affaire. Juridiquement,en tout cas en droit communautaire, il est envisageable de ne pas trans-poser une directive. L’Allemagne l’a démontré à plusieurs reprises.Lorsque l’état du droit national existant est déjà conforme, évidem-ment, aux objectifs de la directive, la transposition n’est pas utile. Àmon sens, je ne suis pas convaincu que la circulaire de 1994, ainsi quela loi de 1978 contiennent, les ressources juridiques suffisantes pourpermettre de répondre aux objectifs attendus de la directive. C’est tou-jours en termes d’objectif qu’il faut apprécier la transposition. C’estregrettable. La France aurait, pour une fois, éblouit ses partenaires etimpressionner la commission. Il y a eu un acte manqué. En effet, la loiSociété de l’information de 2001, qui malheureusement est devenuecaduque et qui a été en partie reprise par la loi qui est actuellement endiscussion sur la confiance dans l’économie numérique, introduisaitprécisément, dans la grande loi du 17 juillet 1978 un nouveau titre II,relatif à la diffusion / commercialisation des données publiques. Elleprévoyait, à peu de choses près, en termes de régime juridique, tout ce

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que l’on a abordé jusqu’à présent. Cette loi n’a pas vu le jour, et je necrois pas que la loi qui est actuellement en cours de discussion, qui doitintroduire la directive de 2000 « Société de l’information », prévoit unvolet commercialisation des documents du secteur public. La Francedevra donc transposer cette directive réutilisation.

Pour conclure, je ferai une proposition extrêmement naïve. On peut sedemander s’il n’est pas temps, pour des raisons à la fois d’accessibilité,qui sont des objectifs constitutionnels, de lisibilité de la norme juri-dique, et pour des raisons de clarté, que la France se dote d’un seuleloi, d’un seul texte, sur les nouvelles technologies de l’information. Ilabrogerait les anciennes lois et transposerait les directives à venir.

Évidemment le propos est naïf. Surtout que le gouvernement pourratoujours arguer que les nouvelles technologies, et au fond c’est notresujet, permettent sans difficulté, grâce à nos ordinateurs toujours pluspuissants, grâce à notre technologie ADSL, de s’y retrouver dans cemaquis inextricable de textes et de lois. Ce en quoi l’argument estpresque imparable ; et ce en quoi le gouvernement a peut-être raison.Mais je crois que la diffusion, ou la commercialisation, des documentsdu secteur public ne doit pas rimer pour autant avec confusion ; quandbien même cette confusion serait organisée par le secteur privé.

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Débat avec la salle

Un intervenant

Juste un témoignage. J’ai quelques années de plus que le professeurMonjal, et je dois dire que nous venons de très loin, à Bruxelles. Lespremières discussions auxquelles j’ai participé en 1989, le discoursétait : l’administration doit mettre toutes ses données à disposition dusecteur privé, et elle n’a pas, elle, à les diffuser, à les exploiter. Ensuited’autres discussions auxquelles j’avais participé à Luxembourg, c’étaitdes discussions où les Américains étaient peut-être plus nombreuxque les Européens, et au fond il fallait copier le système américain.Nous venons de très loin, et la directive à laquelle nous parvenonsaujourd’hui me semble assez satisfaisante, il me semble que c’est unevraie directive qui fixe des objectifs plus qu’elle ne réglemente, commecertaines directives qui vont beaucoup trop loin dans le détail, qu’elleest assez en phase avec nos réflexions françaises. Quant au considé-rant n° 9 que vous avez cité, je n’avais pas la même version.

Parce que moi, le considérant n° 9, un peu antérieur, que j’ai, c’est :« les organismes de secteur public doivent être encouragés à promou-voir la mise à disposition en vue de la réutilisation ». Il me semble quel’on va bien vers une sorte d’obligation, mais nous en discuterons toutà l’heure.

PIERRE-YVES MONJAL

Dans la version de la position commune, dans le projet initial,c’est-à-dire la version modifiée de la commission qui a été publiée auJO en juillet 2003.

Un intervenant

Pourquoi fait-on encore aujourd’hui une distinction entre documentpapier et document électronique, puisque le passage de l’un à l’autre,pratiquement n’importe qui peut le faire ? Est-ce qu’aujourd’hui la dis-tinction n’est pas dans la nature du document lui-même plutôt quedans l’exploitation qui en est faite ? Il est évident que le fait de numéri-ser un document permet son traitement automatique, et est-ce quefinalement il ne faut pas plus s’attacher au traitement et à l’exploitationdu document plutôt qu’à la nature du document à l’origine, sachant quen’importe qui aujourd’hui peut transformer un document électroniqueen document papier, et un document papier au document électro-nique ? Donc est-ce que la réflexion aujourd’hui qu’il faut avoir n’estpas dans l’exploitation réellement des données et non pas dans la

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nature ou l’origine du document ? Est-ce que ce n’est pas ça la vraiequestion ?

PIERRE-YVES MONJAL

Cette question a été posée dans les débats de la commission et laréponse est en fait très simple : la directive impose un certain nombred’obligations au secteur public, d’obligations de mettre à dispositiondes documents. Votre remarque est pertinente : on peut scanner,numériser absolument n’importe quel document. Le problème qui sepose pour l’Administration est double, à la fois en termes de disponibi-lité et en termes d’argent. Il faut en effet du temps et du personnel pourrécupérer un document qui est classé dans une archive. La numérisa-tion de vieux documents ou de rapports a également un coût, à la foisen termes de temps et en termes d’argent. Donc la réponse est quel’Administration met à disposition ces documents, soit papier lorsqu-’elle n’a ni le temps ni les moyens financiers pour le numériser. Lesdocuments les plus récents qui sont numérisés. Je crois que la distinc-tion reste pertinente de ce point de vue, même si, effectivement, onpeut fondamentalement se demander s’il n’y a pas interconnexion,interpénétration entre les deux types de documents. C’était ladiscussion au sein de la commission, du Parlement, etc.

Un intervenant

En fait, la question qui se pose aujourd’hui, c’est, à mon avis, de ne pasimposer au service public un travail qu’elle n’a pas à fournir. Je croisqu’effectivement ça ressort bien de votre exposé, c’est qu’il faut êtreattentif à ce que le domaine privé n’impose pas un travail supplémen-taire au service public, pour des raisons de coût. Mais ce qui m’inté-resse dans votre exposé, c’est que cette donnée économique est enfinprésente, c’est-à-dire qu’en fait, on commence à se rendre comptequ’effectivement, parler de données économiques, parler d’argentdans le service public, ce n’est pas du tout quelque chose de négatif,que effectivement il faut en parler ouvertement, il faut dire qu’effective-ment il faut être attentif à cet aspect économique pour le service publicparce qu’il ne s’agit pas d’avoir des services publics qui sont à la mercieffectivement du service privé. Il faut pouvoir exploiter effectivementles données publiques dans l’intérêt de tout le monde, mais sans que leservice public soit à la merci économique du privé, dans la mesure oùon a des lois qui imposent effectivement – vous avez donné unexemple de transcription de document, mais on pourrait parler de tra-vail de recherche, de travail de fourniture de documents –, systémati-quement la fourniture de documents, on risque d’imposer au servicepublic un travail qui n’est pas le sien : il n’a pas vocation à fournir desdonnées au privé. Qu’il le fasse de manière rémunérée, ça redevientlogique, c’est pour ça que la notion de licence me paraît tout à fait

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intéressante, parce que là revient effectivement l’intérêt public. On ades données qui sont intéressantes du point de vue marchand, trèsbien, vous voulez les utiliser, très bien, mais pour nous ça a un coût ;donc on peut vous fournir ces données, elles sont ouvertes, elles sonttransmissibles, mais elles ont un coût pour nous, donc on attend que cecoût soit payé. Là je pense qu’on rentre dans une logique qui redevientconstructive, qui redevient tout à fait logique.

PIERRE-YVES MONJAL

C’est l’article 5 de la directive.

La loi française pour un principe de neutralité des supports, libre accèsau document quel que soit le support. La question que vous posez :est-ce qu’on peut obliger l’Administration à communiquer sur un sup-port déterminé ? Non. Les documents étant sur papier, on ne peut pasobliger l’Administration à les numériser.

PASCAL PETITCOLLOT

Le professeur Monjal a rappelé que la directive considérait la transmis-sion sous licence comme un moyen privilégié de diffusion des don-nées publiques. Or il s’avère que, par expérience, ce système n’est pasparfaitement adapté aux données publiques déjà accessibles, je diraispresque déjà offertes dans la mesure où il est possible de venir se ser-vir massivement, presque sauvagement au moyen de robots ou d’in-termédiaires, et cela de s’affranchir totalement de tout contrat delicence avec le diffuseur. C’est un problème que je voulais souleverdans la mesure où ces moyens utilisés de manière un peu sauvagemonopolisent une grande partie de la bande passante, oblige l’État àélargir les tuyaux et c’est un appel incessant à plus de captation, decapture sauvage de l’information en ligne.

BRUNO MARTIN-LAPRADE

C’est un problème dont je ne peux pas dire que je le connaisse bien,mais rencontré très régulièrement au sein de ce comité des banques dedonnées juridiques publiques. Contrairement à ce qui a été dit, il existebien une législation qui protège les producteurs de banques de don-nées informatisées, qui sont en droit d’interdire, s’ils le souhaitaient, laréutilisation, pas seulement à des fins commerciales, toute réutilisationà l’égard du public, commerciable ou non, d’une partie substantielle,dit le texte, de leur banque de données, alors même qu’ils les mettenten ligne à la disposition de tout un chacun. Mais c’est normalement,pour une utilisation privée et, sauf s’ils en disposent autrement, ils peu-vent l’interdire. Ce sont les dispositions du titre IV du livre 3 du Code dela propriété industrielle.

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Dans le secteur des banques de données juridiques, où nous avonsconnu une mutation considérable ces dix dernières années, ce qui merend d’ailleurs très réticent à l’idée d’une grande loi sur les nouveauxprocessus technologiques, etc., ça évolue tellement vite que dès quel’on a arrêté les dispositions, elles sont déjà dépassées. Mais dansnotre secteur, en l’état actuel, le décret de 2002 qui, comme vous lesavez, a rendu gratuit l’ancien service Jurifrance qui était mis enconcession, sous maintenant le nom de Légifrance, donc Légifranceest gratuit pour tout le monde et le texte dit que les licences serontoffertes à un coût qui ne peut pas excéder le coût de mise à disposition.La tarification de ces licences est extrêmement raisonnable. On peutsiphonner légalement, avec une licence, la totalité du stock sur le ser-vice Légifrance, plus du flux annuel, pour à peu près cent cinquantemille francs ; en gros cent mille francs pour le stock, et cinquante millepour le flux annuel, vous prenez toute la base (textes, jurisprudences,etc.). Autrement dit, pour tous les éditeurs, qui d’ailleurs n’ont pas tousbesoin de la totalité des codes, des visios, etc., ce n’est rien. Ce qui jus-tifie qu’ils l’ont tous demandé alors que du temps de la concession,c’est-à-dire il y a encore deux ans, les licences étaient dissuasives, c’é-tait très cher puisqu’il fallait protéger les intérêts du concessionnaire.Le concessionnaire lui se payait, il fallait bien que les gens qui allaient leconcurrencer lui-même le fassent en payant quelque chose. Doncmaintenant on est dans un système où on ne veut pas du tout dissua-der, freiner par le système des licences la réutilisation de ces banquesde données. Au contraire, on veut inciter, et d’ailleurs nous sommesprêts à faire des licences gratuites pour autant que l’intéressé s’engageà n’utiliser qu’un nombre limité de données, qu’il a lui-même téléchar-gées. Mais on parle de l’ordre de quatre cents documents par an ;au-delà, c’est la licence, et la licence encore une fois, si on veut prendrele Code de commerce plus les mises à jour des nouveaux textes, on vaen avoir pour trois-quatre mille francs, ce n’est rien du tout.

M. Petitcollot fait allusion à un problème d’incohérence dans la mesureoù, au fond, c’est au bon cœur des internautes de savoir s’ils vont seplacer sous un régime de licence, sortir du bois en disant : « mais nousvoulons en effet tout cela légalement », ou bien s’ils vont tout simple-ment télécharger eux-mêmes des documents pour les réutiliser. C’estun problème de pédagogie que nous avons vis-à-vis du public car, biensûr, le petit avocat qui ne va pas aller siphonner toute la base de don-nées, il va chercher des arrêts dans le secteur qui l’intéresse, le cabinetd’avocat, la bibliothèque, etc., ne vont pas utiliser des robots de télé-chargement qui peuvent de manière totalement automatique faire lesopérations de téléchargement qui, en quelques heures, rassemblent ettéléchargent l’ensemble d’une banque de données. Or, la donnée rareen ce moment pour nos banques de données juridiques, c’est labanque passante. J’espère que vous avez tous vu la thrombose il y a unan lors de l’ouverture du service Légifrance gratuit, l’ex-Légifrance

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avait une bande passante à peu près d’un mégabit/seconde, on s’étaitdit : lors de l’ouverture gratuite, on double. On avait mis en place lesmoyens. Dans la semaine, on a été multiplié par quatre. Donc, on aramé pour faire mettre en place les gros tuyaux pour que France Tele-com donne les lignes dédiées permettant d’élargir la bande passante,nous venons de passer à 10 mégabits/seconde depuis une quinzainede jours, nous pensons passer à 12 mégabits/seconde au mois de marsprochain. Or, les téléchargements sous licences ont le gros avantaged’être faits sur une bande passante différente de celle qui est offerte aupublic : on indique aux gens d’aller se brancher sur tel ordinateur donton vous donne l’adresse, d’ailleurs pour le stock on va vous remettredes cédéroms, donc ça c’est aucune bande passante du tout, et pourles approvisionnements, vous seriez gentils de faire ça pendant leweek-end ou le soir, et donc ça ne gêne pas... Actuellement c’est çanotre jeu : il ne s’agit pas de freiner la réutilisation, mais par le biais deslicences, d’essayer d’éduquer les réutilisateurs avec une menace dontnous reconnaissons qu’elle est un petit peu sabre de bois, ce code depropriété industrielle qui théoriquement menace celui qui opère sanslicence d’une amende de cent cinquante mille euros et de deux ans deprison. Il faudra peut-être faire un ou deux exemples bien choisis pourémouvoir un petit peu les pilleurs qui, en pleine journée, à midi, vontbloquer la bande passante du public pour forcer le service public àpasser à 15 mégabits/seconde ou s’arrêter.

Un intervenant

Une question qui sera rapide : vous avez dit que les documents quiseraient susceptibles d’être réutilisés étaient ceux qui étaient accessi-bles au terme de la législation de chacun des États membres. Est-ceque vous ne pensez pas que la notion de document accessible va évo-luer progressivement dans la mesure où d’une part elle est le fruitd’une interprétation jurisprudentielle, disons qui s’est dégagé progres-sivement des travaux de la CADA en particulier, et puis dans la mesureaussi où elle n’est pas la même dans tous les États membres et dans cecas, on est un petit peu en contradiction avec les objectifs d’homogé-néisation du marché intérieur qui sera un des objectifs de la directive ?

PIERRE-YVES MONJAL

D’abord la directive fait une nette distinction entre commercialisationet accès. Elle précise bien que son objet et son champ d’applicationn’ont strictement rien à voir avec toutes les législations en matièred’accès. C’est-à-dire que la directive, au fond, respecte le droit de tousles États membres, lorsque ce droit existe, lorsque les législations entermes d’accès aux documents, d’accès à la donnée publique, existe.Donc il y a déjà une nette distinction à faire. Ce que j’ai précisé tout àl’heure, c’est que parmi les documents qui ne sont pas réutilisables, il ya des exceptions, notamment, précise la directive, celles qui sont

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prévues déjà dans les législations en matière d’accès. C’est-à-direqu’on ne peut accéder à tous les documents. Ces documents qui nesont pas accessibles au terme des législations nationales, ne sont pasdes documents réutilisables. Donc, effectivement, on risque certaine-ment d’avoir, peut-être pas de contradictions, en tout cas des champsde documents accessibles et non accessibles, différents d’un État àl’autre. En revanche, je ne sais pas quel est l’état des législations desÉtats membres mais je pense qu’il y a certainement une convergence.La question des données nominatives, par exemple, ou des secretsmilitaires ou commerciaux, fait partie, je suppose, dans la plupart desÉtats, des données qui ne sont pas accessibles. Évidemment, ce quevous dites est juste, c’est que les jurisprudences de la CADA, des juri-dictions administratives vont à chaque fois définir des catégories dedocuments non accessibles, par le biais des législations nationales (loide 1978), et qui par voie de conséquence ne seront pas réutilisables.

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Table ronde

De l’informationdes usagersà l’exploitationcommerciale des donnéespubliques

Présidence : DIEUDONNÉ MANDELKERN,président de section honoraire au Conseil d’État

Je crois qu’il va falloir que nous passions à la « table ronde », à la suitede laquelle un débat avec la salle est prévu : donc ceux qui ont encoredes questions sur le cœur pourront les poser. Je souhaiterais qu’inter-viennent maintenant, dans l’ordre alphabétique qui est celui retenudans le programme qui vous a été distribué, les participants à la tableronde, à commencer par le professeur Chérot à qui je donne la parole.

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JEAN-YVES CHÉROT,professeur à l’université de droit,d’économie et des sciences d’Aix-Marseille

L’accès aux données publiquesà des fins de réutilisation commerciale.Les apports et les limites du droitde la concurrence

Les informations issues du secteur public représentent un potentieléconomique considérable. Pourtant les « gisements » de donnéespubliques sont très largement sous-exploités. Une véritable politiquepublique doit être pensée, à la mesure de l’importance à venir du mar-ché de l’information et à la mesure de l’importance du gisement écono-mique que constituent les données et bases de données détenues parle secteur public. Il doit s’agir d’une politique publique qui favorise ledéveloppement du marché de l’information en facilitant l’accès auxdonnées publiques et en sécurisant les investissements tout en assu-rant la protection des données personnelles et les intérêts générauxattachés à la collecte et à la diffusion de certaines catégories dedonnées.

Les initiatives industrielles dans ce domaine sont entravées par l’ab-sence de cadre réglementaire. On ne peut s’en remettre à des pratiquesadministratives nécessairement partielles et tâtonnantes, ce qui freineles investissements sur un marché de toute première importance.L’absence de cadre réglementaire cohérent, au plan national et com-munautaire, constitue un obstacle dirimant à l’essor d’un secteur d’ac-tivité, porteur d’innovations, de profits et d’emplois.

Fort heureusement d’importants chantiers législatifs ont été ouverts etun cadre réglementaire est en train de naître autour de la directive com-munautaire « concernant la réutilisation des documents du secteurpublic » qui vient être adoptée dans les mêmes termes par le Parlementeuropéen et le Conseil 1 et des textes de transposition en préparation.

L’accès des entreprises aux informations détenues par le secteur publicdans le but d’en assurer leur exploitation commerciale appelle desnotions et des règles qui ne figurent pas dans la loi du 17 juillet 1978. Lesconcepts et les règles du droit de la concurrence sont sous-jacents à toutle droit économique et le cadre réglementaire à venir ne pourra pas s’endétacher. Il est donc utile de rappeler les apports du droit de la

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1 Le Conseil de l’Union européenne a approuvé le 23 octobre 2003 le texte voté enseconde lecture par le Parlement européen

concurrence à la construction du marché de la réutilisation commercialedes informations émanant du secteur public. L’importance du droit de laconcurrence ne doit pas cacher non plus ses limites et donc la nécessitéd’un cadre réglementaire.

On peut compter pour fonder cette réflexion sur les avis, décisions etarrêts rendus en matière d’accès aux données publiques puisque denombreuses affaires ont été portées devant le Conseil de la concur-rence 1, puis ensuite souvent devant la cour d’appel de Paris et parfoisdevant la Cour de cassation.

Les apports du droit de la concurrenceLe droit de la concurrence donne d’abord les termes et les qualifica-tions utiles pour aborder le nouveau marché de l’exploitation des don-nées publiques. Les bases de données publiques sont des biens dont lacession peut constituer un marché. L’accès à ces données peut êtreutile pour entrer sur un autre marché dérivé. Il existe ainsi un marché« amont » (le marché de la cession des données publiques brutes) et unmarché « aval » (le marché de la réutilisation de ces données avecvaleur ajoutée). Ainsi le fichier des données de l’annuaire téléphoniquepeut être réutilisé pour offrir des produits et des services sur le marchéde l’édition des annuaires et celui de la vente d’espaces publicitaires 2,pour créer des fichiers sur le marché du marketing direct et desservices sur le marché des informations téléphonées.

Le droit de la concurrence permet de comprendre que l’enjeu de lacommercialisation des données publiques dépasse la politique admi-nistrative de la diffusion des données publiques. Les licences d’accèsaux bases de données peuvent, pourquoi pas, s’inscrire dans une tellepolitique de diffusion des données publiques. Mais fondamentale-ment, ce n’est pas de cela dont il s’agit. Il s’agit pour les opérateursprivés qui demandent l’accès aux données publiques de créer de nou-veaux produits ou de nouveaux services, souvent éloignés de touteidée de diffusion de l’information du secteur public. Le droit de la

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1 Pour les avis et les décisions les plus récents, voy : Avis 97-A-10 du 15 février 1997« relatif à une demande d’avis présentée par le Groupement des éditions et de la pressenautiques portant sur des questions de concurrence soulevées par la politique éditorialedu service hydrographique et océanographique de la Marine » ; Décision 98-D-60 du29 septembre 1998 relative à la commercialisation des listes d’abonnés au téléphone etDécision 02-D-41 du 26 juin 2002 relative au respect de l’injonction prononcée à l’en-contre de la société France Télécom par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 29 juin1999 ; avis 01-A-18 du 28 décembre 2001, relatif à des pratiques de l’INSEE concernantles conditions de commercialisation des informations issues du répertoire SIRENE ;décision 02-MC-02 du 19 février 2002, relative à une saisine au fond et à une demandede mesures conservatoires de la société mabalde. com à l’encontre de pratiques misesen œuvre par l’IGN ; Avis 01-A-05 du 26 avril 2001 « relatif à une demande d’avis duGouvernement concernant le projet de loi sur la société de l’information.2 La création de ces marchés fait déjà l’objet d’un cadre réglementaire, voir article L. 35-4du Code des postes et télécommunications.

concurrence doit contribuer à faire comprendre aux administrations,au législateur et à la doctrine que la politique de diffusion des donnéespubliques et la politique de la création de marchés de l’informationsont deux choses différentes.

Mais la politique de diffusion des données publiques peut à son touraffecter l’application du droit de la concurrence.

Le droit de la concurrence permet encore de prendre conscience que laquestion de la création de nouveaux marchés de l’information posesimplement mais d’une façon nouvelle la question de l’accès aux docu-ments administratifs.

Le droit de la concurrence peut contribuer à la création et la régulationdes marchés dérivés en facilitant l’accès aux données publiques et enpermettant d’en contrôler la tarification. La théorie des facilités essen-tielles est de nature à permettre de jouer un rôle non négligeable dansle marché de l’information émanant du secteur public. Il a vocation éga-lement à régler les problèmes de concurrence sur les marchés « aval »de la réutilisation des données, spécialement lorsque le secteur publicentre sur ces marchés « aval » en réutilisant lui-même sur les marchésdérivés les données qu’il détient (cas de France télécom, présent sur lemarché du marketing direct à travers des filiales ou de l’NSEE) (inter-diction des prix prédateurs notamment). Il faut noter que dans les affai-res portées devant le Conseil de la concurrence, le secteur publicapparaît toujours dans une situation de concurrence sur le marchédérivé avec les opérateurs privés qui se plaignent de pratiques anticon-currentielles. La présence du secteur public sur les marchés dérivésn’est pas non plus sans conséquences sur l’application du droit de laconcurrence à la question de l’accès aux données du secteur publiccomme le montrent toutes les affaires citées (application du principede non-discrimination, application de la théorie de l’effet ciseau 1).

Il convient de bien retenir que le refus d’accès par une entreprise auxressources qu’elle contrôle ne constitue pas un abus et, cela, même sil’entreprise est en position dominante sur le marché de la vente decette ressource. La condition mise par la Cour de justice des Commu-nautés européennes à la qualification d’abus pour un refus de vented’un produit (CJCE, 6 mars 1974, affaire Commercial Solvent, 6/73 et7/73, Rec., p. 223) ou d’un service (CJCE, 3 octobre 1985, affaire CEBM,311/84, Rec., p. 3261) est que le produit ou le service soient indispensa-bles à l’exercice d’une activité économique. Dans l’affaire Magill (CJCE,6 avril 1995, C-241/91 et C-242/91, Rec., I., p. 743), la Cour a confirméque le refus de licence d’exploitation d’information de la part du titu-laire d’un droit de propriété intellectuelle, alors même qu’il serait le fait

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1 Le secteur public ne peut pas céder ses données à ses concurrents à un prix qui nepeut que les conduire à vendre à perte sur les marchés dérivés compte tenu du prix pra-tiqué par le secteur public sur le marché dérivé concurrentiel.

d’une entreprise en position dominante, ne saurait constituer un abusen lui-même, mais que l’exercice du droit exclusif par le titulaire de cedroit peut, dans des circonstances exceptionnelles donner lieu à uncomportement abusif. Dans cette affaire, ces circonstances étaientconstituées par le fait que le refus concernait un produit dont la livrai-son était indispensable pour l’exercice de l’activité en cause ; que lerefus faisait obstacle à l’apparition d’un produit nouveau pour lequelexistait une demande potentielle de la part des consommateurs ; qu’iln’était pas justifié par des considérations objectives et qu’il était denature à exclure toute concurrence sur le marché dérivé. Pour décidersi le produit ou le service dont la livraison est indispensable pour l’exer-cice d’une activité économique, il faut que le produit ou le service encause soit non duplicable de façon objective et non au regard despotentialités ou des critères de l’opérateur qui demande l’accès à laressource essentielle (CJCE, 26 novembre 1998, Oscar Bronner,C-7/97). Le caractère indispensable d’une ressource ne résulte cepen-dant pas d’une impossibilité absolue de la dupliquer. Mais il ne suffitpas qu’il y ait difficulté de créer un produit ou un service équivalent. Ilfaut que la création du produit ou du service soit économiquement etfinancièrement non rentable 1.

Certaines bases de données publiques ont été considérées comme desressources essentielles pour l’accès à un marché. Cela a été le cas pourles données de l’annuaire téléphonique (décision 98-D-60 du 29 sep-tembre 1998 relative à la commercialisation des listes d’abonnés au télé-phone), comme pour le fichier SIRENE de l’INSEE (avis 01-A-18 du28 décembre 2001) 2.

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1 La théorie des facilités essentielles « , bien que souvent appliquée ces dernièresannées par les autorités communautaires et par les autorités nationales de concurrence,n’est pas encore pleinement arrêtée. On peut ainsi de demander si toutes les conditionsénoncées par la CJCE dans l’affaire Macgill sont nécessaires. Si elles doivent pas jouerque dans les hypothèses où la ressources essentielle font l’objet d’un droit de propriétéintellectuelle ou encore si d’autres conditions ne facilitent-elles pas l’application de lathéorie, notamment la présence de l’entreprise contrôlant la ressource essentielle sur lemarché ou les marchés dérivés situés en aval (dans toutes les affaires dont a eu àconnaître le Conseil de la concurrence, c’est cette situation qui a été rencontrée, voy. parexemple la décision 96-D-51 du 3 septembre 1996, pratiques de la SARL Héli-Inter Assis-tance : » considérant que lorsque l’exploitant monopolistique d’une infrastructureessentielle est en même temps le concurrence potentiel d’une entreprise offrant un ser-vice exigeant le recours à cette facilité, cet exploitant peut restreindre ou fausser le jeude la concurrence sur le marché aval du service en abusant de sa position dominante oude la situation de dépendance dans laquelle se trouvent ses concurrents à son égard enétablissant un prix d’accès injustifié à cette facilité « ).2 Le Conseil de la concurrence a été d’avis que le fichier SIRENE peut être considérévis-à-vis des producteurs de fichiers de grande taille comme une facilité essentielle.« L’élaboration de fichiers de prospection exhaustifs de grande taille à partir d’autres res-sources demanderait des efforts considérables et le produit fini serait vraisemblable-ment trop coûteux pour être acheté par les demandeurs. Au contraire, l’extraction degros fichiers à partir du fichier SIRENE est une opération relativement facile et peu coû-teuse, dans la mesure où l’extraction est d’autant plus aisée que le fichier obtenucontient une plus grosse part des informations du fichier d’origine. Non duplicable à uncoût raisonnable, le fichier peut être considéré comme une facilité essentielle au sens dudroit de la concurrence »

Dans la décision Lectiel, du 4 décembre 2001, la Cour de Cassation ditque « si le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle sur une base dedonnées peut légitimement prétendre à une rémunération, il ne peut,lorsque cette base de données constitue une ressource essentiellepour des opérateurs exerçant une activité concurrentielle, subordon-ner l’accès à cette base de données au paiement d’un prix excessif ».En tout état de cause, l’organisme du secteur public a l’obligation de nepas établir de discriminations dans les conditions de cessions des don-nées à elle-même et à ses concurrents sur le marché « aval ». Le Con-seil de la concurrence recommande à ces fins que les activitésconcurrentielles de l’administration soient bien séparées sur le plancomptable, voire même sur le plan juridique, de l’activité de servicepublic.

Le droit de la concurrence ne donne pas de critères précis du prix tropélevé. Dans l’affaire Lectiel, la cour d’appel de Paris a enjoint (à Francetelecom) de céder sa base annuaire à toute personne qui en fait lademande à des conditions objectives et notamment à des tarifs objec-tifs et orientés vers les coûts (cour d’appel de Paris, 29 juin 1999).Mais, en la matière, l’obligation de pratiquer une cession des donnéesde l’annuaire universel à un tarif orienté vers les coûts découle de laréglementation communautaire des télécommunications. C’est ceque constate la Cour de cassation dans son arrêt du 4 décembre 2001rendu dans la même affaire : « dès lors qu’en vertu de l’article L. 35-4du Code des PT, la société France télécom est tenue de mettre à la dis-position de toute personne qui lui en fait la demande la liste conso-lidée comportant, sous réserve des droits des personnes concernées,les informations contenues dans l’annuaire universel à un prix reflé-tant les coûts, la Cour d’appel a pu prononcer l’injonction visée aumoyen qui seule était de nature à mettre un terme aux pratiquescondamnées ».

Mais, je ne pense pas que, sauf texte spécial de régulation, comme il enexiste dans le domaine des communications électroniques, le Conseilde la concurrence puisse déduire des principes généraux du droit de laconcurrence l’obligation pour les entreprises détentrices de facilitésessentielles de pratiquer pour l’accès à ces facilités des tarifs orientésvers les coûts. Il suffit que le tarif soit objectif, non discriminatoire et

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transparent. Dans la décision 02-MC-04 du 11 août 2002 1, le Conseil dela concurrence a bien cru pouvoir imposer aux entreprises de pratiquerpour l’accès à leurs ressources commandant l’accès à un marché« aval » un tarif « orienté vers les coûts ». Mais dans son arrêt du 21 mai2002, TDF, relatif au recours formé contre la décision 02-MC-04 du11 avril 2002, la cour d’appel de Paris réforme sur ce point la décisiondu Conseil en considérant que « dans l’attente des résultats de l’ins-truction, TDF ne peut être tenue d’orienter mécaniquement ses tarifsvers les coûts ». La cour, en distinguant l’orientation vers les coûts et la« prise en considération des coûts », souligne cependant que « la priseen considération des coûts constitue une précaution indispensablepour s’assurer que les tarifs sont en conformité avec le droit de laconcurrence, c’est-à-dire, s’agissant d’une société en positiondominante, proportionnels à la valeur du service ».

Les prix devant être objectifs et proportionnés et donc « prendre enconsidération » les coûts, encore faut-il déterminer les coûts pertinents.Il y a deux modèles de référence aux coûts pour la cession de licenced’utilisation de base de données : soit la prise en compte des seuls coûtsde mise à disposition de la base, soit la prise en considération des coûtstotaux. Le droit de la concurrence ne peut pas à lui seul imposer un choixentre ces deux méthodes. Mais, à supposer que les détenteurs de labase de données décident de répercuter les coûts totaux, le droit de laconcurrence impose que les coûts de référence soient pertinents etqu’ils ne comportent pas la facturation de frais qui ne sont pas propres àla constitution de la base de données. Cela risque de poser problèmelorsque la collecte des données et la constitution de la base de donnéeen cause n’est pas entièrement dissociable de la constitution de docu-ments que le secteur public doit de toute façon produire 2.

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1 voy décision 02-MC-04 du 11 avril 2002 « relative à une demande de mesures conserva-toires présentée par la société Antalis » dans laquelle elle enjoint à TDF de « communiquer àtoute entreprise qui en fait la demande une offre de prestation d’accueil » des sites de diffu-sion hertzienne qu’elle détient en « intégrant des conditions tarifaires établies de manièreobjective, transparente et non discriminatoire, à un prix en rapport avec les coûts directs etindirects des prestation offertes, y compris une rémunération raisonnable du capitalengagé ». Voy. encore décision 96-D-51 du 3 septembre 1996, pratiques de la SARLHéli-Inter Assistance où, après avoir fait référence de façon très surprenante à la réglemen-tation spéciale qui est mise en place dans le domaine des télécommunications pour inter-préter le droit général de la concurrence, le Conseil considère que « en application de cesprincipes (ceux qui inspirent la régulation des télécommunications) et des principes géné-raux du droit de la concurrence, constituerait une pratique ayant pour objet ou pouvantavoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence (...) le fait pour l’exploitant d’une structureessentielle, de refuser de façon injustifiée l’accès de cette dernière à ses concurrents ou dene leur permettre cet accès qu’à un prix abusif, non proportionné à la nature et à l’impor-tance des services demandés, non orientés vers les coûts et non transparent. »2 Pour un exemple voy. la décision 02-D-41 du 26 juin 2002 « relative au respect de l’in-jonction prononcée à l’encontre de la société France Télécom par la cour d’appel de Parisdans son arrêt du 29 juin 1999 ». L’annuaire de France télécom étant constitué à partir dufichier commercial de ses clients que France Télécom doit nécessairement constituer parailleurs pour la gestion de son activité principale, il convient pour établir les coûts techni-ques d’établissement de l’annuaire de ne retenir au titre des coûts pertinents que les coûtsrésultant d’opérations supplémentaires nécessaires pour établir l’annuaire.

La dialectique entre le droit de la concurrenceet le cadre réglementaire

Le droit de la concurrence contribue ainsi à une analyse en terme écono-mique des problèmes de la création et de la régulation des nouveauxmarchés nés de la commercialisation des données publiques. L’ap-proche concurrentielle développée dans de nombreuses affaires cons-titue un substrat indispensable pour la conception d’une réglementationnouvelle. Mais, précisément, elle ne peut permettre de faire l’économiede la construction d’un cadre réglementaire. Le droit de la concurrencene peut pas à lui seul jouer pleinement le rôle de créateur d’un nouveaumarché aussi complexe.

Comme l’expérience récente dans de nombreux secteurs de réseauxnouvellement ouverts à la concurrence l’a montré, il est impossiblepour créer les marchés, d’attendre que cas par cas les autorités deconcurrence aient pu déterminer les règles applicables au marché. Ilsuffit ici de souligner la difficulté de la qualification des bases de don-nées comme « facilités essentielles ». L’établissement de cette qualifi-cation passera nécessairement par des contentieux à répétition dontles solutions ne pourront être données qu’après plusieurs années dediscussions et de recours. La solution acquise pour une base de don-nées pourra difficilement être étendue à d’autres bases.

Le Conseil de la concurrence agit plus comme un juge que comme unrégulateur des marchés, ne donne pas naturellement, à l’occasion d’uncas, toutes les clefs qui pourraient servir aux investisseurs et aux admi-nistrations. Il pratique volontiers des méthodologies ponctuelles et aucas par cas, sans chercher à donner une vision d’ensemble des règleset méthodes comme le ferait plus volontiers un vrai régulateur dumarché.

D’où l’importance d’un cadre réglementaire établissant clairement àl’avance les règles de construction du marché de l’information éma-nant du secteur public. C’est ce que relevait la Commission dans l’ex-posé des motifs de sa proposition de directive sur la réutilisation desinformations émanant du secteur public (2002, 207 final) en soulignantque « la poursuite des cas d’infractions aux règles actuelles du traitén’offre pas à elle seule la sécurité que réclame l’ensemble du secteurpour investir dans de nouveaux produits et services. Elle n’offre quedes voies de recours limitées et ne serait pas nécessairement appli-cable dans d’autres cas. L’essai des limites des recours juridiques exis-tants dans le cadre d’une série d’affaires déterminées prendra, dureste, beaucoup de temps, s’agissant d’instances portées devant lesjuridictions nationales, et sera une opération coûteuse pour les entre-prises concernées ».

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Mais, le cadre réglementaire permettant de faire émerger les marchésnés de la réutilisation des informations du secteur public ne conduirapas à écarter l’application du droit de la concurrence. Il ne le pourraitd’ailleurs pas s’agissant du droit communautaire de la concurrence ins-crit directement dans le traité. Le droit de la concurrence aura doncencore vocation à être invoqué ; il permettra à la Commission de veillerà ce que des cas significatifs ne soient pas mal traités par les autoritésnationales compétentes.

Le droit de la concurrence pourra jouer d’autant plus qu’il pourrait dansles cas où les bases de données sont des facilités essentielles per-mettre d’aller plus loin que les solutions prévues par le cadre régle-mentaire tant pour ouvrir l’accès à ces données que pour les critères decontrôle des tarifs.

Nous ne connaissons pas encore le cadre réglementaire gouvernantl’accès aux documents administratifs à des fins de réutilisation commer-ciale, puisque le gouvernement s’est à peine engagé à le définir dans unavant-projet de loi et qu’en l’état actuel nous n’en connaissons pas leséquilibres. Mais ce texte législatif à venir sera la transposition de la direc-tive communautaire « concernant la réutilisation des documents du sec-teur public ». Or il est facile de montrer que le texte de cette directivereste très frileux. La directive va régir les délais de traitement desdemandes de réutilisation, la forme ou le « format » de la mise à disposi-tion du document et les principes de tarification. Elle ne touchera ni lesconditions de l’accès aux documents administratifs dans les États mem-bres 1, ni les règles relatives à la protection de données personnelles 2, niles règles en matière de propriété intellectuelle 3. Elle précise que le faitque les données soient accessibles en fonction des règles d’accès nedonne pas automatiquement droit à ce qu’elles puissent être réutilisées.Il est précisé que les règles posées par la directive ne jouent que »lorsque la réutilisation des documents détenus par des organismes dusecteur public est autorisée « (article 3).

Par ailleurs, la directive n’impose pas des contraintes tarifaires que ledroit de la concurrence ne pourrait pas déjà imposer. En première lec-ture, le Parlement européen avait considéré en fonction de l’importance

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1 L’article 1, §3 précise que « la directive s’appuie sur les règles d’accès en vigueur dansles États membres et ne modifie pas les règles nationales en matière d’accès aux docu-ments détenus par des organismes du secteur public. Elle ne s’applique pas aux casdans lesquels, conformément aux règles d’accès, les citoyens ou les entreprises doiventdémontrer un intérêt particulier pour obtenir l’accès aux documents2 » La présente directive laisse intact et n’affecte en rien le niveau de protection des per-sonnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel garanti par les dispo-sitions du droit communautaire et du droit national et, en particulier, ne modifie en rienles droits et obligations prévus dans la directive 95/46/CE « .3 » les obligations imposées par la présente directive ne s’appliquent que dans lamesure où elles sont compatibles avec les dispositions des accords internationaux sur laprotection des droits de propriété intellectuelle, notamment la convention de Berne etl’accord TRIPS. «

de l’enjeu que représente la création d’un marché de l’information queles informations du secteur public devaient être accessibles aussi lar-gement que possible à des fins de réutilisation et que la meilleuremanière d’atteindre cet objectif consistait à ne percevoir à titre de rede-vance que le coût de reproduction et de diffusion. Le Conseil n’a passuivi cette position en raison de ce que « certains organismes du sec-teur public sont tenus de s’autofinancer en tout ou en partie et dépen-dent des recettes provenant de la vente de leurs documents pourremplir efficacement leurs missions de service public ». Le texteadopté permet dès lors aux organismes du secteur public de récupérerle coût total de la collecte, de la production, de la reproduction et de ladiffusion des documents, tout en permettant un rendement satisfaisantde l’investissement 1. La directive ajoute cependant que le plafond tari-faire est sans préjudice du droit des États membres ou des organismesdu secteur public d’appliquer des tarifs inférieurs, voire de pratiquer dagratuité totale, et que les États membres devraient inciter lesdits orga-nismes à proposer les documents à des prix qui n’excèdent pas lescoûts marginaux de reproduction et de diffusion.

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1 « lorsque des redevances sont prélevées, le total des recettes provenant de la fourni-ture et des autorisations de réutilisation de ces documents ne dépasse pas leur coût decollecte, de production, de reproduction et de diffusion, tout en permettant un retour surinvestissement raisonnable. Les tarifs doivent être fixés en fonction des coûts pendant lapériode comptable appropriée et calculés en concordance avec les principes compta-bles applicables aux organismes du secteur public concernés ». L’exposé des motifsprécise que la référence aux principes comptables a été ajoutée « afin de tenir comptede la pratique des organismes du secteur public consistant à amortir les investissementssur plusieurs années ». Il est également précisé que les conditions et redevances appli-cables sont fixées à l’avance et publiées.

XAVIER LECLERC,Experian, Data Protection manager

De l’information des usagersà l’exploitation commercialedes données publiques

Avant d’apporter ma contribution à cette table ronde, je souhaitais don-ner quelques précisions sur la société à laquelle j’appartiens : Experian.Spécialiste international dans les domaines du traitement de l’informa-tion et de la gestion de la relation client, nous sommes, avec plus de3400 collaborateurs, présents dans 33 villes à travers la France.

C’est donc en représentant du secteur privé que j’interviens, lourdetâche qui m’incombe en étant le seule représentant de ce secteur, et jesouhaiterais en profiter pour sortir du débat sur la tarification de l’infor-mation, les données étant soit trop chères soit pas assez, sujet que leprofesseur Chérot a d’ailleurs parfaitement traité précédemment, pouraborder l’enjeu que représente aujourd’hui l’exploitation commercialedes données publiques. Comme nous avons pu le comprendre, le mar-ché des données publiques représente un fort potentiel de développe-ment, ce que soulignait il y a quelques années le rapport Pira, remis à laCommission : la valeur du contenu numérique était à cette époqueestimée à 5 % du PIB européen, soit un marché plus important que lemarché des télécommunications. Il paraît donc logique que les acteursdu secteur privé soient intéressés par ce marché et y trouvent unintérêt économique.

Pour l’industrie de l’information, la question est avant tout celle de l’ac-cessibilité de l’information publique, qualifiée par le rapport Mandelkernen 1999 de « matière première », Monsieur le Président avait mis à l’é-poque un point d’interrogation que je n’hésiterais pas à enleveraujourd’hui. Je suis en effet persuadé que les données publiques repré-sentent de la matière première à partir de laquelle le secteur privé peutdévelopper de nouveaux services.

A titre d’exemple, je peux vous citer ce que nous proposons aujourd-’hui à partir de l’exploitation de l’annuaire téléphonique, que nousavons évoqué précédemment. Nous n’avons pas vocation à rediffuserl’information telle quelle mais nous l’utilisons comme référence pourdes services à valeur ajoutée que nous avons développés. Ainsi, nousproposons aux établissements financiers de comparer les numéros detéléphone déclarés dans les formulaires de demande de crédit avec lesdonnées de l’annuaire. En cas d’erreur (numéro n’existant pas, erroné,

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correspondant à une cabine publique...), une alerte est générée auprèsde l’organisme financier, qui reste libre ensuite de vérifier ou non l’in-formation auprès de son client ou prospect afin de s’assurer que ce n’é-tait qu’une erreur de saisie par exemple. Pour nous, l’annuaire est unfichier de référence, sur lequel nous pouvons établir des détectionsd’incohérences.

Dans toutes les réflexions menées jusqu’à présent, ont principalementété évoqués l’usage commercial des données publiques et leur réutili-sation. Mais qu’entendons-nous par usage commercial ? Il peut existerdifférentes utilisations de la donnée publique : vous avez parlé de redif-fusion, il y a là commercialisation de la donnée. L’exemple de l’an-nuaire précédemment cité nous donne une autre utilisationpotentielle : les bases de données publiques comme fichier de réfé-rence, permettant de valider ou de qualifier d’autres informations.Doit-on dans ce cadre parler de diffusion ? De commercialisation ? Ence qui nous concerne, les données ne sont pas diffusées ; elles restenthébergées et protégées chez Experian.

Il est par ailleurs intéressant de souligner ici que la loi sur la protectiondes données du 6 janvier 1978 oblige les détenteurs de fichiers àmettre à jour les données contenues dans leurs fichiers. La mise à jouret la qualité des données détenues sont très importantes, et par consé-quent les fichiers références également. Vous faisiez allusion à l’Europeauparavant. Dans d’autres pays, il existe beaucoup d’exemples de« fichiers références », notamment des fichiers qui ne sont pas disponi-bles en France. M. Mails soulignait tout à l’heure que toutes les infor-mations n’étaient certainement pas ‘intéressantes’. Mais commentqualifier une information d’intéressante ? A partir du moment où ellen’est pas accessible, évidemment elle ne peut pas être intéressante !De même, il n’est pas dit que l’on puisse systématiquement mettre enplace des services intéressants dès lors qu’une base de donnéepublique est accessible !

J’ai un métier assez original puisque je suis le défenseur de la vie privéeau sein de mon entreprise. En tant que Data Protection Manager, je suisle garant de la protection des données personnelles. L’utilisation, parune entreprise privée, de données publiques, n’est donc pas antino-mique du respect de la vie privée et des libertés de chacun et nousnous attachons à protéger les données que nous hébergeons ou quinous sont confiées.

Par ailleurs, le Forum des droits sur Internet, tout comme la CNIL, acommencé à lancer quelques pistes de réflexion autour de ces problé-matiques. On peut citer notamment l’anonymisation des décisions dejustice. L’anonymisation est une piste sur laquelle nous pouvons réflé-chir pour certaines bases de données publiques. On peut penser égale-ment à la création de répertoires, à l’image des listes rouge et orangedans le secteur des télécommunications. Pourquoi ne pas demander

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au consommateur, et j’en reviens là au principe de finalité repris dans laloi Informatique et Libertés, l’autorisation d’utiliser ses données à desfins autres que celles pour lesquelles elles ont été collectées ? Selon saréponse, il pourrait être inscrit sur une ‘liste’orange ou rouge des don-nées publiques, listes qui peuvent d’ailleurs être déclinées à discrétion...

Je vous remercie de votre attention.

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BERTRAND LÉVY,ingénieur général des ponts et chaussées, directeur général de l’IGN

Le cas de l’IGN

L’Institut national géographique, établissement public administratif, aune mission confiée par la puissance publique : celle de mettre à dispo-sition des données géographiques permettant la gestion des territoiresou des problématiques en lien avec ceux-ci.

L’IGN a une expérience de diffusion de données de l’information géo-graphique de plusieurs dizaines d’années au profit de l’État, dans sescomposantes civiles et militaires, des collectivités locales, des gestion-naires de réseaux, des particuliers et les entreprises privées.

Les données géographiques produites par l’établissement constituentdes données publiques qui sont éditées par l’IGN sous forme de cartesou diffusées sous licence en ce qui concerne les bases de donnéesnumériques, à toute personne qui en fait la demande.

Progressivement avec les évolutions des modalités de financementdécidées par l’État, l’établissement a du développer une exploitationcommerciale des données publiques géographiques. En terme de dif-fusion, l’État fixe à son établissement public une obligation : les don-nées doivent être financièrement et techniquement accessibles.

L’établissement est passé de la cartographie manuelle à la carto-graphie numérique. 2003 a été marquée par la parution de la dernièrecarte manuelle.

En quelques chiffres l’IGN, c’est :– 2 000 titres de cartes sur rayon ;– 4 700 000 exemplaires de cartes vendus par an ;– 10 000 points de vente en France ;– 100 000 points géodésiques sur le territoire français ;– 400 000 repères de nivellement ;– 8 000 Gigaoctets pour sa BD phare : BD ORTHO (r) France entière ;– 10 Téraoctets correspondants, chaque année, aux prises de vuesaériennes : matière première permettant la fabrication et la mise à jourdes cartes et des bases de données.– 2 400 micro ordinateurs, 100 serveurs et ordinateurs.

Il convient de noter que les données géographiques sont des donnéespubliques qui obéissent à une réglementation stricte, et qui relèventd’un financement mixte : État – utilisateur. Quand aux supports de dif-fusion, ils évoluent au rythme des révolutions techniques.

L’IGN a donc deux contraintes fortes :

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– le respect du cadre juridique ;– la commercialisation et la transparence.

1. Le cadre juridique de la diffusion des données publiques :– les règles de la propriété intellectuelle : droit d’auteur ; directiveeuropéenne sur la protection des bases de données ;– les règles de diffusion des données publiques et le droit de la concur-rence : pratiques non discriminatoires ; transparence des finance-ments ; transparence tarifaire ;– la circulaire du Premier ministre sur l’édition publique : l’IGN adressechaque année un rapport au médiateur de l’édition publique qui nourritle rapport du médiateur de l’édition publique.

2. L’État a retenu le principe d’une couverture partielle du finance-ment par les fonds publics des données et donc celui d’une contribu-tion des utilisateurs.

L’établissement public doit :– respecter le cadre réglementaire, ci-dessus décrit ;– équilibrer son budget ;– respecter les volontés d’apport différenciées de l’État sur la produc-tion des différents produits et services.

En conséquence de quoi, chaque utilisateur devient acheteur et parti-cipe à l’équilibre financier de la mission de service public confiée à l’é-tablissement en contribuant :– à la quote-part des coûts de production non couverte par l’État ;– aux coûts de diffusion.

Des comptes d’exploitation par produit permettent de déterminer lescoûts de revient.

La politique tarifaire appliquée par l’IGN répond aux principes simplesretenus par tout vendeur :– la cohérence de prix entre produits d’une même gamme ;– la nature des droits d’utilisation concédés. 1

Le Conseil d’administration adopte chaque année les tarifs et barèmesqui sont alors applicables à tous nos clients quelque soit leur statut :public ou privé.

Toutes les données produites par l’IGN ont pour vocation la diffusion. Ace titre l’IGN propose des licences permettant le développement de

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1 Exemple de droits concédés différents :1. une carte affichée dans une mairie ou installée sur le site Internet représentant un terri-toire dans le cadre d’une consultation,2. l’acquisition d’une carte par un randonneur pour préparer ses vacances,3. la mise à disposition d’un fond de carte pour enrichir un guide de randonnée vendu àde très nombreux exemplaires,4. la mise en ligne d’une base de données sur plusieurs sites avec des utilisateurs multiples.des usages différents avec dans certains cas la volonté de développer de la valeurajoutée (des droits concédés différents (une tarification différente.

« données métiers » par les utilisateurs ou par des sociétés de serviceau profit d’utilisateurs finaux.

3. Des aspects TIC à l’IGN dans le secteur de la diffusion des donnéespubliques :– l’IGN met progressivement en place une organisation industrielle dediffusion de données basée sur les standards Internet. Aujourd’hui lee-commerce permet les commandes, demain les livraisons seronteffectués par ce vecteur ;– L’IGN participe activement aux travaux de normalisation dans le sec-teur des SIG (système d’information géographique) ;– L’IGN a inscrit à son programme de recherche, dans l’un de sesquatre laboratoires (COGIT) le thème de l’accès aux données géogra-phiques.

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BRUNO MARTIN LAPRADE,conseiller d’État, président du comité du service publicde diffusion du droit par l’internet

Le service public de diffusiondu droit par internet

Bien que créé par le décret du 7 août 2002, le comité du service publicde l’accès au droit par l’internet que je préside existe en fait, sous uneforme à peine différente depuis plus d’une dizaine d’années (il s’est d’a-bord appelé « commission de coordination de la documentation admi-nistrative, puis, à partir de 1999 » comité du service public des banquesde données juridiques) : il s’agit de réunir autour d’une même table,afin de conseiller le Premier ministre sur le fonctionnement et l’évolu-tion des banques de données juridiques de l’administration, la direc-tion des journaux officiels, les principaux autres producteurs de cesbanques (juridictions, ministères), un représentant des producteursdes banques privées concurrentes (le syndicat national des éditeurs),des représentants des utilisateurs (bibliothécaires, services de docu-mentation, associations d’internautes), le prestataire du portailinformatique.

L’évolution en la matière est extraordinairement rapide : ainsi, à peinel’encre du contrat de concession conclu pour l’application du décret du31 mai 1996 était-elle sèche que ce système apparaissait dans son prin-cipe largement dépassé : ce décret, conçu du temps du minitel, avantl’apparition des moteurs de recherche et le développement de l’internet,prévoyait que l’investissement intellectuel et matériel de l’administrationserait rémunéré par les redevances versées par un concessionnaire,lequel ne permettrait la consultation des banques de données juridiquesqu’à un public restreint d’abonnés payants ! A l’été 1997, un discoursdu Premier Ministre jetait les bases d’un service minimum accessiblegratuitement, et le concessionnaire, exploitant le site payant « juri-france », était invité à gérer en parallèle un site gratuit « légifrance »,lequel allait progressivement donner accès à un nombre croissant d’in-formations. Ce dédoublement était difficilement gérable, si bien que,sous les feux croisés des propositions d’un rapport d’une commissiondu plan présidée par M Mandelkern et du comité que je préside, le Pre-mier Ministre a mis fin de manière anticipée à la concession et mis enplace, par le décret du 7/8/2002, le service public gratuit que vousconnaissez.

Le champ de ce service porte sur « l’essentiel du droit », ce qui est déjàtrès large (codes, lois, décrets, principaux arrêtés réglementaires,

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conventions collectives obligatoires, conventions internationales,traité européen et droit dérivé (règlements et directives), jurisprudenceeuropéenne et nationale (exhaustive pour le conseil constitutionnel, lesdeux cours suprêmes) mais ce qui exclut normalement les « services àvaleur ajoutée », réservés au secteur privé. Mais il n’est pas très facilede faire la part entre le produit brut et la valeur ajoutée : par exemple, la« consolidation » qui consiste à intégrer toutes les modifications suc-cessives d’un texte pour n’en faire qu’un seul, à jour, est évidemmentune importante valeur ajoutée par rapport à la simple récollection dutexte initial et de tous ses modificatifs ; il en est de même de la présen-tation, en tête d’un arrêt, d’un « abstract » permettant de le situer dansun plan de classement logique, et d’un « résumé » décrivant le sens dela solution retenue. Ces valeurs ajoutées ont été cependant retenues,eu égard à leur caractère indispensable pour l’accès aux textes et pourleur intelligibilité. En revanche restent en principe exclues toutes lescorrélations entre texte normatif et jurisprudence y afférente, ainsi queles croisements entre texte, arrêts et doctrine, ce qui a par exempleconduit notre comité à s’opposer à la mise en ligne des bases de don-nées constituées par la direction générale de la concurrence ou par leministère du travail (base « Poséidon »), qui auraient fait une concur-rence déloyale à des éditeurs privés. De telles corrélations ne sontadmises qu’à titre exceptionnel, lorsqu’un débat au sein de notrecomité confirme que les éditeurs privés ne sont pas vraimentintéressés par le secteur concerné, comme cela s’est produit pour labanque relative au droit de la fonction publique.

Nous essayons aussi d’introduire un minimum de discipline dans lapartie juridique des différentes banques de données des administra-tions (fussent-elles limitées à des intranet), afin notamment d’éviterqu’un même texte soit présenté dans des versions différentes ou queplusieurs services dupliquent le même travail. Ainsi, notre comité a-t-ilœuvré pour que la DGI ne procède plus à la consolidation informatiquedes textes fiscaux pour son propre compte ou que le ministère de l’envi-ronnement se borne, pour sa base des textes sur « l’eau », à reprendreles textes de Légifrance.

Du point de vue technique, après la période de thrombose qui a corres-pondu à l’ouverture du service en septembre 2002, où les consulta-tions ont été brutalement multipliées par quatre ou cinq, là où n’étaitattendu qu’un doublement (il a fallu, dans la précipitation, doubler labande passante du service, en la portant à 8 mégabits ; elle est actuel-lement de 10, et devrait passer à 12 en avril prochain), la qualité du ser-vice a retrouvé un niveau très honorable : chaque jours s’ouvrentenviron 60000 « sessions », d’une durée moyenne de 20mn, donnantlieu à la consultation de 80000pages écran, et impliquant 5 millions de« hits » (clic de la souris).

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Certes tout n’est pas encore parfait : par exemple, nous sommes bienconscients que la mise en ligne des arrêts de cour d’appel est encorebien trop faible (et c’est un euphémisme). Il paraît que la cause princi-pale de l’incapacité actuelle des cours à alimenter notre service de pro-duction réside dans l’obligation, pour satisfaire la CNIL, de procéder àl’anonymisation préalable de tous les arrêts. La position prise par cetteautorité nous a beaucoup gênés et déçus, tant il nous semblait dispro-portionné de procéder à l’anonymisation générale des décisions dejustices, dont la loi impose pourtant la publicité, alors qu’il aurait paruplus adapté de traiter le problème par l’exception, en facilitant l’anony-misation des seuls arrêts pour lesquels les intéressés l’ont demandée.

Mais cette ombre ne doit pas noircir le tableau : je peux par exempleconfirmer que, dès le début de l’année 2004, le service de consultationdes textes sur légifrance va bénéficier d’un progrès considérable : ils’agit de la mise en ligne du thésaurus de la direction des journaux offi-ciels pour rechercher les textes, autrement que par la seule vertu d’unmoteur de recherche détectant des mots du titre ou du texte. C’est unoutil analytique d’une efficacité remarquable, que vous trouverez dans lapage d’accueil, sous l’onglet « accès thématique » (entre la recherchesimplifiée et la recherche experte). Nous réfléchissons aussi à mettre à ladisposition des internautes de nouveaux services, tels que la possibilitépour eux de laisser des « fils » leur permettant d’être avertis lors de laparution de textes ou données concernant tel domaine de leur choix,par l’envoi automatique dans leur boite aux lettres d’un lien actif.

Il me reste à dire un mot des licences de réutilisation des données quisont mises en ligne par Légifrance.

En vertu du titre IV du livre III du code de la propriété intellectuelle (arti-cles L341-1 et suivants), le producteur d’une base de données, entenducomme la personne qui prend l’initiative et le risque des investisse-ments correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de labase, lorsque la constitution, la vérification ou la présentation decelui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain subs-tantiel (et nous avons la faiblesse de penser que tel est le cas pour labase légifrance). Cela implique le droit d’interdire l’extraction, partransfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualita-tivement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base dedonnée, ainsi que sa réutilisation par la mise à la disposition du public.Celui qui procèderait à ces extractions ou mises à disposition enméconnaissance de ces droits, c’est à dire sans avoir préalablementobtenu une licence, s’expose à deux ans de prison et 150 000 eurosd’amende.

Le gouvernement a décidé que les licences seraient accordées à titregracieux, le bénéficiaire ne supportant que le coût de la mise à disposi-tion des données (article 4 du décret du 7/8/2002) : pour fixer les idées,une licence portant sur l’intégralité du stock des données de légifrance

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coûte environ 14000 euros, et le coût du flux annuel est d’environ 7 000euros. C’est extrêmement bon marché, comme en témoigne l’empres-sement de tous les éditeurs à obtenir cette licence. En outre des licen-ces gratuites sont très libéralement consenties lorsque les demandesportent sur des parties très ponctuelles de la base (un nombre limité dedocuments que l’internaute télécharge lui-même sans recourir au ser-vice ad hoc offert pour les gros transferts). Le licencié s’engage alors àindiquer ses sources ainsi que la date de leur mise à jour, et à ne pasdéformer le texte cité. Dans ces conditions, tous les producteurs nor-malement constitués ont réalisé l’énorme avantage qu’ils avaient àdemander une licence.

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ANDRÉ SANTINI,ancien ministre, député-maire d’Issy-les-Moulineaux

Les nouvelles technologiesdans une commune

Monsieur le président vous m’avez chargé de réguler le débat et ja vaisessayer d’être discriminant de façon négative pour une fois. Votre objetest d’examiner les perspectives ouvertes par les nouvelles technolo-gies. D’abord il ne faut plus dire les nouvelles technologies, mais lestechnologies de l’information. Je suis navré de commencer par uneincongruité.

Je pars du principe que rien ne peut être caché. A Issy, le conseil muni-cipal comporte cinq opposants. Lorsque l’un d’entre eux demande undossier, je souhaite que tous les élements d’information soient com-muniqués. Je pense que la surinformation est la meilleure desinformations.

Nous avons mis par exemple en place un conseil municipal interactifdepuis 1997. Pourquoi un conseil municipal interactif ? Parce que con-trairement à ce que l’on peut entendre, la commune est une des basesde la démocratie. Quand est apparue la télévision numérique, j’ai sou-haité diffuser les séances du conseil sur le câble et permettre aux per-sonnes de poser des questions. Ça c’était le concept.

Il nous a fallu l’autorisation du Préfet car on n’a pas le droit d’inter-rompre un conseil municipal. Alors, on suspend la séance du conseiltoutes les heures et demie et on répond aux questions posées. Il nous aégalement fallu l’autorisation de la CNIL, du CSA (à qui nous lie uneconvention) et de la commission de contrôle des comptes de cam-pagne (car en période électorale, il n’y a pas de séance retransmise afinde respecter l’équité entre les candidats).

Avant chaque séance, on diffuse sur la web-tv (Internet et câble) desreportages sur les sujets et les projets débattus. Ensuite, on lance laséance à l’heure prévue. Concernant le temps de parole, on a adoptéune règle : celle du nombre de voix obtenues. Comme on fait 70 % aupremier tour, j’ai pris 70 % et la liste de gauche (l’extrême-gauche etl’extrême-droite ayant été éliminées) se trouve avec 30 %, le tout souscontrôle d’un compteur.

Comment se passe une séance ? les habitants reçoivent dans leur boîteà lettres, huit jours avant, un prospectus annonçant l’ordre du jour avecl’horaire théorique. Ils posent leurs questions pendant la séance parInternet ou par téléphone vert. Je signale que depuis la diffusion sur le

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câble, il n’y a jamais eu autant de gens dans la salle... qui peuvent aussiposer des questions en les déposant dans la salle de presse. Durant lasuspension de séance au bout d’une heure et demie, il y a un médiateurextérieur à la Ville, non rémunéré (exigence du CSA) qui tire au sort lesquestions et on répond. Au bout d’un certain temps, on reprend laséance. Seules les questions portant sur l’ordre du jour sont traitées :c’est une exigence du CSA. En revanche, lorsque la séance est levée,on répond à toutes les autres questions. Nous communiquons à lamajorité et à l’opposition les questions avec l’adresse de celui qui l’aposée.

Je signale que la diffusion du Conseil municipal est suivie par 44 %d’Isséens et que l’on reçoit environ 80 questions par séance, ce quin’est pas mal. Les habitants se sentent mieux informés et trouventcette démarche très intéressante.

Par contre il y a un tas d’effets pervers qu’on n’avait pas prévus : lesconseillers ont découvert qu’il fallait venir, qu’ils avaient intérêt à setenir bien pendant la séance, à s’habiller correctement.

Autre exemple : le panel citoyen. Nous avons sélectionné 750 person-nes représentatives de l’ensemble de la population, qui sont consul-tées sur leurs positions pour les sujets d’intérêt local, les solutions pouraméliorer la vie quotidienne. Ce panel a été mis en place par un institutd’études spécialisées constitué d’universitaires, OPINION WAY qui col-lecte, analyse en toute rigueur et impartialité et nous donne la repré-sentativité statistique des résultats. Chaque membre du panel estsollicité par un e-mail qui comporte un lien vers le site des liens au ques-tionnaire. Ne peuvent y répondre que les membres identifiés du panel,pour vérifier la fiabilité. Le questionnaire, trente questions, des indica-teurs stables, pour mesurer leur évolution et les questions d’actualité, ilsne se rendent pas compte, ça c’est pour vérifier que le panel fonctionne,les informations sont communiquées par les internautes et leurs répon-ses sont bien entendu anonymes et confidentielles, dans le cadre de laloi Informatique et Libertés. Les réponses du panel citoyen ne se substi-tuent pas aux décisions du conseil municipal : c’est le conseil municipalqui est légitime par suffrage universel. C’est un outil d’alerte, de déci-sion, un outil d’aide à la décision qui permet d’interroger les habitantssur les projets et les initiatives de la Ville.

Le règlement du panel citoyen est sur le site de la ville, avec les clausesconcernant les règles de confidentialité, conformément aux disposi-tions de la loi du 6 janvier 1978 Informatique et Liberté. Les réponsessont anonymes et confidentielles. Les résultats des consultations sonttraités de façon globale et non individuelle, avec la possibilité d’arrêterla participation du panel citoyen à tout moment, la non-obligation derépondre à toutes les questions, le droit d’annulation et de rectificationdes données personnelles, l’assurance contractuelle que ce panel ne

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servira jamais à vendre quoi que ce soit, que les données personnellesne seront jamais divulguées.

Les résultats sont publiés sur le site internet de la Ville. Nous avonsdemandé aux Isséens leur perception de la qualité des services munici-paux du 24 avril au 12 mai dernier. Ils se sont déclarés satisfaits. C’é-taient les objectifs d’une démarche qualité.

Aujourd’hui on parle beaucoup du service public, il est souvent criti-qué. Est-ce que nous au moins nous sommes capables d’offrir, locale-ment, un service public de qualité ? Au cours des derniers mois parexemple, 48 % des personnes interrogées se sont rendues au centreadministratif de la Ville ; deux ou trois fois, 27 % plus de trois fois. Monobjectif c’est de faire en sorte que les gens n’aillent plus au centreadministratif. On a beau ouvrir même le samedi matin, qui a le tempsaujourd’hui d’aller perdre une heure au moins aller-retour pour unpapier absolument ridicule ? Les Isséens ont donné 7,5 sur 10 enmoyenne à leurs services. Je voudrais être sûr que pour l’État onpuisse atteindre un tel score. Mais c’était courageux car on ne savaitpas où on partait et ils sont satisfaits de la rapidité, de la disponibilité,de la courtoisie, le temps d’attente est à améliorer, un temps d’attentequi n’est que de six minutes en moyenne au service État civil. Ce sontdonc des normes industrielles que nous appliquons.

Parmi les actions prioritaires, nous avons appris que l’accélération desprocessus de démarche arrive en tête : aujourd’hui, 26 % des person-nes interrogées déclarent être revenues plusieurs fois pour effectuerune même démarche. Cela signifie qu’elles n’ont pas trouvé l’informa-tion utile. Avec le développement des services en ligne, nous allonspouvoir réduire ces démarches.

Nous avons aussi beaucoup travaillé sur l’accueil téléphonique grâce àInternet. Nous avons mis d’abord en place un centre d’appel municipal.La plupart des questions, (80 %) peuvent être traitées par un centred’appel avec des fonctionnaires formés qui bloquent en amont et quilaissent travailler les fonctionnaires.

Nous avons ensuite mis en place, grâce à Internet, un numéro uniquepour les 1 200 postes avec reconnaissance vocale. Il n’y a plus de stan-dard. L’image déplorable du service public, ce sont les cinq ou six son-neries. En janvier 2003, 53 375 appels... et janvier n’est pas une périodeaiguë puisqu’il y a les réveillons. 14 228 ont été traités directement parle centre d’appel. On a calculé qu’on en traitait aujourd’hui 2 300 etavant, on en traitait 1 600. Cela veut dire qu’avant, il y avait à peu près500 à 600 appels perdus par jour ! Est-ce qu’une société se permettraitde perdre autant ? En tout cas une mairie ne peut se le permettre. Lesgens sont très sensibles au fait qu’on décroche très vite. Ils se disentque c’est moderne.

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Le site Internet est aujourd’hui très utilisé puisque c’est 450 000 visites,3,8 millions de pages enregistrées en 2002, 55 % des membres de notrepanel déclarent avoir consulté le site plus de trois fois au cours del’année, et une forte majorité (88 %) s’est dite intéressée par le dévelop-pement des téléprocédures administratives. Mes administrés notentmême 8 sur 10 cette éventualité.

Nous avons mis en place, et ça a été très apprécié, le portail qui permetpar SMS de prévenir les gens de l’arrivée d’un document administratif.Il suffit de donner son nom.

Un SMS coûte moins cher qu’une lettre !

Enfin les téléprocédures. Je rentre de Corée où j’ai pu encore voir àSéoul que là-bas on est équipé à 95 % sur Internet, à la suite d’uneoffensive gouvernementale, 85 % sont sur haut débit. Ils intègrent labiométrie tout de suite avec l’empreinte digitale, même dans des kios-ques. Vous tapez votre adresse, vous mettez votre doigt et vous avezaccès à tous les papiers que vous souhaitez. On peut même consulterla liste des voitures en infraction, le paiement des infractions au Codede la route, ou ils peuvent faire des propositions par Internet sur desprojets concernant le district, les projets sont après proposés aux habi-tants par Internet et on peut même obtenir des copies de permis deconstruire. C’est ce que je suis en train de préparer, il ne reste plus biensûr qu’à avoir les textes.

Un dernier mot, plutôt une bonne nouvelle : Nicolas Sarkozy a annoncéau forum de la ville et démocratie à Issy-les-Moulineaux l’arrivée de lacarte d’identité électronique et la mise en place du vote électronique.La France est en train de rattraper son retard. Tout comme nous avonsconscience que les nouvelles technologies servent de plus en plus àaméliorer la qualité de la vie. J’en fais l’expérience avec la créationd’une cité numérique dans le fort de la ville d’Issy, avec mille apparte-ments équipés de domotique.

Alors je crois que les nouvelles technologies, c’est un moyen d’infor-mation et que nous en sommes à ses premiers balbutiements.

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Synthèse

JACQUELINE MORAND-DEVILLER,professeur à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

Dans un article publié en 1980 (« Études et documents du Conseild’État »), notre maître Georges Vedel s’interrogeait sur « le Conseild’État et l’incommunicabilité ». Il évoquait la jubilation intellectuelleque procure la lecture d’un arrêt : « scruter l’implicite », « écouter lesilence », « se laisser aller aux plaisirs délicats de l’énigme ».

Et s’il ne mettait pas en cause la légitimité démocratique de cet art de laconcision, réflexe de prudence – on dirait désormais de précaution–, ilse permettait de critiquer, au nom de la démocratie, son caractèresecret.

Les mystères de la jurisprudence administrative ne manquent ni decharme, ni d’efficacité : c’est la victoire du doute accompagnant la vic-toire sur le doute – le juge doit trancher mais les choses restent incertai-nes mais ce Colloque ne s’intéresse pas à ces subtiles controverses, ilconcerne le secret administratif qui ne manque pas non plus deséduction intellectuelle.

Les organisateurs de la célébration de ce XXVe anniversaire ont choiside présenter une confrontation entre la transparence et le secret. Leterme de transparence a suscité quelques réserves, certains allant jus-qu’à douter de son existence, querelle de mots, car s’il est évidentqu’elle ne peut être absolue, il est non moins certain qu’elle est de plusen plus souvent consacrée par les textes, ainsi du projet de constitutioneuropéenne.

Il ressort des analyses qui ont été faites que ces deux protagonistes, loinde s’opposer, poursuivent des objectifs communs. L’un et l’autre cher-chent à protéger les libertés individuelles du citoyen : la transparenceprotège son droit à la connaissance, le secret protège son anonymat – cequi explique l’attachement de l’Allemagne au secret. L’un et l’autredéfendent l’intérêt général : la transparence ouvre la voie à une démo-cratie de concertation et de participation, le secret préserve la raisond’État et la bonne marche de l’administration. L’une et l’autre peuventêtre vertueux, « transparence, vertu de l’âme », disait Jean-JacquesRousseau, secret protecteur de l’intimité et de la discrétion mais aussi sepervertir : secret au service de la dissimulation et du mensonge, transpa-rence qui devient tyrannique, verse dans un « doux » despotisme,

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douceur qu’Alexis de Tocqueville appliquait à certaines formes desrégimes démocratiques

On n’opposera donc pas transparence et secret mais on les étudiera deconcert, comme deux complices et non comme deux ennemis.

Pour tenter de ramener à l’unité et à l’épure un ensemble de communi-cations d’une grande diversité et richesse et pour vaincre l’épreuveredoutable du rapport de synthèse qui doit se mesurer, de surcroît, à ladifficulté que signalait la marquise de Sévigné : « Faire court prend dutemps », les conclusions pourraient s’ordonner autour des trois cons-tats suivants : le secret légitimé : les limites de la transparence ; lesecret dévoilé : les progrès de la transparence ; le secret retrouvé : lesrésistances à la transparence.

Le secret légitime : les limitesde la transparence

Le plus bel hommage rendu au secret fut celui de Renaud Denoix deSaint Marc avouant sa préférence pour « une administration efficacemais opaque » plutôt que pour une « administration transparente maisinefficace ». Et certes le secret dans l’administration reste omniprésent,couvert par la loi, considéré par les agents publics comme un devoirautant que comme un pouvoir.

Il est nécessaire au bon gouvernement : secrets diplomatiques, secretsdes communications – les « cabinets noirs » n’ont pas disparus –secrets de la défense nationale où, a-t-on ironisé – « tout ce qui n’estpas secret est confidentiel ». Il est nécessaire à la bonne administrationde la justice : secret de l’instruction, secret du délibéré, nécessaire à lavie des affaires, secrets parfois poétiques protégés par des brevets,comme les parfums qualifiés « secret de femme », « secret d’arô-mes » ; il est nécessaire au respect de la vie privée : secrets des origi-nes, secret de l’être, secret de l’avoir (patrimoine), secret du paraître(l’image).

On rappellera, à titre anecdotique la condamnation par la Cour d’appelde Paris en I897 du peintre Whistler qui, par attachement soit aumodèle, soit à son œuvre, refusa de livrer le portrait qu’il avait fait delady Eden. La Cour lui interdit de faire un usage quelconque du tableausauf à avoir rendu le visage entièrement méconnaissable.

Le secret peut enfin prétendre au sacré lorsqu’il y a secret des dieux.

Il a été rappelé qu’à la veille de l’adoption de la loi du 17 juillet 1978 lesecret était une tradition bien ancrée dans la mentalité administrativefrançaise, l’administration donnant l’image d’être résolument fermée

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au regard d’autrui – et l’on sait l’importance des apparences – et avan-çant sereinement l’argument selon lequel aucun texte ne lui imposantla transparence, elle n’était pas tenue de communiquer. Le même rai-sonnement était tenu à propos de la motivation.

Et soudainement, voici que s’avance, sans tambours ni trompettesmais irrésistible, le droit d’accès, alias droit à la transparence : c’est laloi du 17 juillet 1978.

Le secret dévoilé : les progrèsde la transparence

Si la transparence était une nécessité, elle a été consacrée par hasard.La loi du 17 juillet 1978, même annoncée par de nombreux rapports etpropositions, n’a vu le jour qu’à la suite d’un « complot » entre troiscompères parlementaires déterminés, toutes sensibilités politiquesmêlées : la transparence fut promue par le secret, ce qui n’a riend’illogique.

Préparation désordonnée, insertion au dernier moment d’un Titre Ier

qui consacre le principe de la liberté d’accès – et où la CADA n’a droitqu’à un article – titre perdu dans une loi fourre-tout portant, selon uneformule éprouvée, « dispositions diverses » et traitant de l’éternel pro-blème de l’amélioration des relations entre l’administration et lesadministrés.

Combat d’arrière-garde du gouvernement, naissances aux forceps, pasvraiment désirée par lui mais qui résulta de l’accouplement de lasociété civile et des représentants élus de la nation, ce qui est la meil-leure manière de traiter un projet de loi et d’assurer sa longévité.

Sans doute influencée par la longue tradition de prudence de la Hautejuridiction du Palais-Royal, d’où sont issus son président et son rappor-teur général, la CADA alla ensuite son train de sénateur, connaissantcependant, en se débuts, ne certaine fébrilité. L’administration se trou-vait en état de « choc culturel », ses directeurs habitués à trancher de la« confidentialité » des documents voyaient s’effondrer des prérogati-ves qu’ils présentaient comme une mission quasi sacrée au service del’efficacité.

La modestie des pouvoirs de la CADA, simple donneur d’avis, aura étéune chance, a-t-on dit, la garantie de son indépendance et de soninfluence (sous couvert du timbre du Premier ministre) et l’unanimitése constate quant au caractère libéral et nuancé de sa jurisprudence, aucourage de certaines prises de position pour épouser l’évolution des

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mentalités, pousser à l’évolution de l’administration, pacifier lestensions.

La loi du 12 avril 2000, élaborée dans des conditions beaucoup moinspittoresques, fut qualifiée d’« illisible », ce qui n’est pas une rareté – oùes-tu « forme servante du fond ? ». Elle parvient à régler les difficultésqui s’étaient élevées quant aux tracés de frontière entre la CADA et laCNIL, au traitement des archives, à certaines interprétations. Le « docu-ment nominatif » disparaît et le secret revient sur le devant de la scène,désormais susceptible de degrés : secret absolu et secret relatif,secret-très secret, secret tout court, secret confidentiel.

La loi prend acte de l’existence au-delà d’un droit « de » la transparenced’un droit « à » la transparence que consacrera, deux ans plus tard, leConseil d’État (arrêt « Ullmann »).

La question reste posée de qualifier le droit à l’information au regarddes principes constitutionnels. Les dispositions existantes, notammentl’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, offrentun socle déjà solide mais qu’il convient de moderniser.

La France se trouve ainsi à mi-chemin entre des pays soit plus avancés,soit en retard par rapport à sa législation et sa pratique. Certains payssont plus précoces : ainsi de la Suède dont la législation, née de« l’Association des hommes libres » fêtera bientôt 25O ans d’existence,soit disposant de procédures plus énergiques : ainsi du Québec obli-geant ses administrations à « classer » leurs documents afin derépondre plus facilement aux demandes, le dialogue, souvent oral,étant facilité par la mise en place de responsables de l’accès aux docu-ments administratifs, ainsi des États-Unis où le Freedom informationAct (FOIA), en dépit des résistances, fait respecter un droit collectif,relayé par la presse, à connaître les projets et les actes dugouvernement.

Certains pays sont moins avancés : ainsi de l’Allemagne dont la législa-tion – sauf en matière environnementale – est encore attachée ausecret au nom, on l’a dit, de la protection des données personnelles etde la vie privée, ainsi de l’Italie, du fait d’un filtrage fondé sur desnotions ambiguës : « situations juridiquement marquantes », « droitsjuridiquement protégés ».

Doit-on souhaiter une harmonisation forte par Bruxelles des droitsd’accès des différents pays ou admettre une certaine diversité, justifiéepar de longues traditions dans le comportement des administrations etla divergence des réactions des administrés plus discrets au Nord et auCentre qu’au Sud, selon une étude faite dans la région Centre ?

Doit-on souhaiter un regroupement CADA-CNIL ? Ne serait-ce pas don-ner la préférence à des constructions intellectuelles – même rationnel-les – sur des expériences réussies ?

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Doit-on améliorer le fonctionnement du droit d’accès ? Sans aucundoute car les résistances à la transparence ont la vie dure. Les proposcritiques et les propositions qui ont été faites sont l’aspect dynamiqueet créatif de cette rencontre.

Le secret retrouvé : les résistancesà la transparence

L’une des traditions de l’administration française, encouragée par desstructures adéquates, est sa prédilection pour l’autocensure. Les com-munications ont insisté sur le fait que les critiques portées au fonction-nement du droit d’accès sont venues davantage de la CADA elle-mêmeque de l’extérieur, doctrine ou usagers. Ces critiques portent sur lecomportement non seulement des services administratifs mais surcelui des administrés.

Mutisme, inertie, culte de l’ignorance, attitude condescendante, tousces griefs ont été reprochés, avec des nuances, aux services adminis-tratifs quant à la mise en œuvre du droit d’accès. Les premières Instruc-tions du Ministère des Finances sont significatives, comme l’est larésistance du corps médical qui, on peut le comprendre, éprouve desdifficultés pour passer du colloque singulier au colloque collectif.

« Désenchantement », regrette la présidente de la CADA, qui appelle àun : devoir de vigilance « à l’égard de comportements inadmissibles :attentisme évident lorsque l’on sait que 8O % des refus implicitesconcernent des actes dont la communication ne pose aucun pro-blème ; abus de la notion de mesures d’ordre intérieur, communica-tions incomplètes qu’il s’agisse de procès-verbaux tronqués, ou del’omission de l’indiction des voies de recours ; grand désordre dans leclassement des documents, mission, il est vrai, délicate : n’a-ton pasfait allusion aux 300 kilomètres de dossiers de l’administration de laSanté, des 1 200 CD Rom de l’IGN, du » gigantisme « des archives.

Quant à la résistance des administrés, on ne peut que constater ledécalage entre le citoyen idéalement épris de connaissance dans lapoursuite du Bien commun et le comportement, souvent égoïste etintéressé des usagers de la CADA. Si la demande de documents n’acessé de croître, elle resterait limitée à une clientèle d’initiés, souventrécidivistes, qui rechercheraient des armes pour un contentieux ulté-rieur ou, ce qui est pire, poursuivraient – impunément car il n’y a pas àmotiver la demande – des fins exclusivement commerciales.

Le procès n’est pas vain mais il convient de partager les responsabilitéset ne pas faire grief au citoyen moyen de son ignorance que les

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représentants des associations ont avoué avec ingénuité. La CADAmanquerait de savoir-faire en matière de communication, sa relationavec les administrés demeure impersonnelle, elle gagnerait à êtremieux connue du grand public. Il a été observé que sa qualification estpeu attractive à la différence de la CNIL qui inclut le mythe mobilisateuret médiatisable de « liberté ».

Plus généralement, il faut inverser le sens du dialogue, remplacer ladémarche volontariste de l’administré vers l’administration par uneinformation venant directement et automatiquement de l’administra-tion vers l’administré.

Ce sont les perspectives offertes par les nouvelles technologies qui,n’étant plus désormais très nouvelles, s’appellent tout simplement« technologies de l’information ». La logique d’accès est remplacée parcelle de la diffusion, celle de l’offre remplace celle de la demande, l’in-formation n’est plus « quérable » mais « portable ». Le document admi-nistratif est distancé par la « donnée publique » et la CADA pourrait êtrerebaptisée CADOP ou être relayée par une CRAI, Commission de régu-lation de l’information administrative.

Perspectives séduisantes, mises au service du confort « de l’usager,mais perspectives à haut risque. Il faudra préciser les modalités de dif-fusion, éviter l’amateurisme autant que le somptuaire, telle cette repré-sentation coûteuse (70 000 frs) sur CD-Rom d’une liste électorale : laCADA (avis de juillet 2000) n’a pas hésité à l’assimiler à un refus decommunication !

Il faudra sélectionner les données obligatoirement mises en ligne etcerner, notamment, la notion de « données essentielles ». Il faudra con-trer le risque d’un droit d’accès à deux vitesses et il faudra surtout pré-server les atteintes à la vie privée : le risque est tellement évident quecertaines entreprises disposent désormais d’un « défenseur de la vieprivée ».

Que Paul Valéry me pardonne si je me permets de compléter un de sespropos. Il s’agit de ce célèbre constat ironique autant qu’excessif : « Lapolitique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui lesregarde. »

Nos travaux sur le droit d’accès étant restés scrupuleusement fidèles àune réflexion sur l’accès au « droit », nous proclamerons que « le droitest l’art d’inciter les gens à se mêler de ce qui les regarde ».

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