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1 LA TRANSITION EN AFGHANISTAN 2011-2014 Cinq études parlementaires Assemblée parlementaire de l’OTAN

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LA TRANSITION EN AFGHANISTAN

2011-2014

Cinq études parlementaires

Assemblée parlementaire de l’OTAN

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Fondée en 1955, l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) sert d’organisation interparlementaire consultative auprès de l'Alliance atlantique. Parce qu’elle rassemble des parlementaires venus des quatre coins de l’Alliance, l’AP-OTAN forme un lien essentiel entre l’OTAN et les parlements de ses pays membres, contribuant à l’édification d’un consensus parlementaire et public autour des politiques alliées. En même temps, elle introduit plus de transparence dans la politique de l’OTAN et aide a sensibiliser les milieux parlementaires aux questions de sécurité d’une importance majeure et à les comprendre. Par ailleurs, elle joue un rôle crucial dans la préservation et la consolidation de la relation transatlantique qui sous-tend l’Alliance. Depuis la fin de la Guerre froide, l'Assemblée assume de nouvelles fonctions en associant à ses travaux les parlementaires de pays d’Europe centrale et orientale et au-delà, qui désirent se rapprocher de l’OTAN. Cette démarche apporte une assistance politique et pratique et va dans le sens d’un renforcement de la démocratie parlementaire dans toute la région euro-atlantique, complétant et consolidant les programmes de partenariat et de coopération de l'OTAN. Le siège du Secrétariat international de l'Assemblée, composé de 30 personnes, est situé au centre de Bruxelles.

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TABLE DES MATIERES

Déclaration 392 sur Le soutien à la transition en Afghanistan présentée par Hugh Bayley 7 Les défis liés à la gouvernance en Afghanistan : Une mise à jour Vitalino Canas 13 Transition en Afghanistan : Bilan de l’effort de maintien de la sécurité Sven Mikser 65 Trouver des solutions viables en Afghanistan : Les efforts de la communauté internationale pour construire une économie et une société afghanes qui fonctionnent Jeppe Kofod 109 L’Afghanistan : contexte régional John Dyrby Paulsen 163 Lutte contre l'insurrection en Afghanistan : menaces de faible niveau technologique, solutions de haut niveau technologique Pierre Claude Nolin 197

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Préface

par

Karl. A LAMERS (Allemagne)

Président de l’AP-OTAN

Tout au long des 56 dernières années, l'Assemblée parlementaire de l'OTAN (AP-OTAN) a constitué un forum sans équivalent pour les représentants parlementaires de tous les pays de l'Alliance. Ce forum leur a permis d'échanger points de vue et opinions sur les principales questions touchant à la sécurité transatlantique, et de débattre des priorités et des défis que comporte notre défense collective. Tout en étant distincte de l'OTAN au plan institutionnel, l'AP-OTAN fait aujourd’hui autorité dans le débat portant sur la défense et la sécurité transatlantiques. Les parlementaires, en leur qualité de représentants élus du peuple, sont investis de la tâche importante qui consiste à expliquer à leurs concitoyens les exigences de la sécurité collective. Aujourd'hui, cette tâche est plus importante et plus ardue que jamais. Alors que l'Alliance se trouve engagée dans plusieurs opérations difficiles, nos concitoyens ont besoin de comprendre pourquoi nous envoyons nos soldats combattre dans des terres étrangères. Et il nous incombe d'expliquer pourquoi nous devons continuer d'investir dans la sécurité et dans la défense - particulièrement en période d’austérité. J'espère que le recueil que nous présentons ici contribuera à cet effort nécessaire. Centré sur l'Afghanistan, qui constitue la principale priorité opérationnelle de l'OTAN, il réunit tous les documents de politique traitant de l'Afghanistan adoptés par l'AP-OTAN en 2011. Cette année a été une année cruciale pour l'Afghanistan. Elle a marqué le début de la transition, processus par lequel les autorités afghanes en viendront à

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assumer progressivement la responsabilité première pour la sécurité du pays tout entier. Si les conditions le permettent, ce processus devrait être achevé d'ici la fin de 2014. La décision d'évoluer vers ce passage de responsabilité représente un pas décisif pour l'Afghanistan, de même que pour la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) mandatée par l’ONU et dirigée par l'OTAN. Après dix années de présence internationale en Afghanistan - dont huit sous la direction de l’OTAN - la transition trace une perspective claire pour nous et pour nos amis afghans. Il nous appartient à présent d'emprunter cette voie sans fléchir et de la parcourir côte à côte. Les cinq commissions de l'Assemblée, conscientes de l'importance de ces développements, ont décidé d'établir des rapports passant en revue les différents aspects de la transition en Afghanistan. La Commission sur la dimension civile de la sécurité explore les questions de gouvernance ; la Commission de la défense et la sécurité axe son travail sur la sécurité ; la reconstruction et le développement sont au cœur de l’attention de la Commission de l'économie et de la sécurité, tandis que la Commission politique se penche sur la dimension régionale ; enfin, la Commission des sciences et des technologies examine les dimensions technologiques des opérations militaires en Afghanistan. Ces rapports ont été débattus et adoptés à la Session annuelle de l'AP-OTAN, qui s'est tenue à Bucarest du 7 au 10 octobre 2011. C'est également au cours de la session de Bucarest que l'Assemblée a adopté une déclaration intitulée "Le soutien à la transition en Afghanistan", qui contient les recommandations des parlementaires sur les mesures nécessaires à une transition réussie et irréversible en Afghanistan. Tels sont les six textes reproduits dans ce livre, et je saisis l'occasion pour exprimer ma gratitude aux rapporteurs de ce travail important. L'AP-OTAN continuera de suivre les développements en Afghanistan au cours de l'année à venir, et à s’acquitter de sa mission en alimentant en informations les discussions publiques et les débats parlementaires nationaux sur cette mission cruciale. L'Assemblée poursuivra également les consultations avec les parlementaires de l'Afghanistan – ainsi que du Pakistan - dans le cadre de ses discussions, et elle continuera de les appuyer dans leurs efforts pour bâtir un Afghanistan stable, prospère et démocratique. Il incombe sans conteste aux membres de l'AP-OTAN, en leur qualité de parlementaires nationaux, d’expliquer à leurs concitoyens les raisons du maintien de la présence de l’OTAN en Afghanistan. Ils partagent également avec leurs gouvernements le devoir de veiller à ce que la transition soit mise en œuvre de façon coordonnée, et à ce que les décisions prises dans un pays ne nuisent pas à notre effort collectif. Jour après jour, les hommes et les femmes de nos forces armées dépêchés en Afghanistan continuent de risquer leur vie pour protéger celle des autres et pour défendre notre sécurité, notre Alliance et les valeurs dont elle est porteuse. Je souhaite rendre ici hommage à leur courage, à leur professionnalisme et à leur sens du devoir. Nous leur devons de faire en sorte que leur sacrifice ne soit pas consenti en vain. Karl A. Lamers

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DECLARATION 392

sur

LE SOUTIEN A LA TRANSITION EN AFGHANISTAN

adoptée par l’Assemblée plénière le lundi 10 octobre 2011 à Bucarest, Roumanie

présentée par

Hugh BAYLEY (Royaume-Uni)

(2010 - ) Vice-président de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN (2008 - 2011) Président de la Commission de l'économie et de la sécurité

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L’Assemblée,

1. Réaffirmant que, dix ans après les tragiques attentats perpétrés le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et planifiés par al-Qaida depuis l’Afghanistan, la sécurité de ce pays demeure directement liée à la nôtre ;

2. Soulignant que la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan, mandatée par l’ONU et conduite par l’OTAN, joue un rôle crucial dans la lutte contre le terrorisme et dans la prévention de l’utilisation de ce pays comme sanctuaire pour terroristes internationaux ;

3. Saluant l’action et le dévouement du personnel civil et militaire de la FIAS comme du personnel civil et militaire afghan et rendant hommage à ceux qui ont perdu la vie ou qui ont été blessés ;

4. Se félicitant des progrès accomplis dans l’amélioration des techniques et des moyens de lutte contre les engins explosifs improvisés (EEI) mais notant que les EEI demeurent la principale cause des pertes subies en Afghanistan ;

5. Rappelant que les pays de la FIAS ont convenu de chercher à mettre un terme à leurs opérations de combat d’ici la fin de 2014 et ont déjà engagé le processus de transition par lequel les autorités afghanes assumeront la responsabilité première de la sécurité sur l’ensemble du territoire ;

6. Convaincue qu’une pression militaire forte sur les insurgés demeure essentielle pour consolider les gains engrangés sur le plan de la sécurité mais soulignant aussi que la stabilité à long terme de l’Afghanistan ne peut être atteinte que par une solution politique conduite par les Afghans ; et par conséquent,

7. Approuvant les efforts consacrés par les autorités afghanes à une réconciliation avec les factions d’insurgés qui font le serment de respecter la Constitution afghane - y compris les droits des femmes - déposent les armes et renoncent à entretenir tout lien avec des organisations terroristes ; et,

8. Faisant valoir qu’une transition durable et irréversible requerra la poursuite de la mise en place d’institutions de sécurité nationales efficaces rendant compte de leurs actes et d’autres progrès tangibles dans les secteurs de la gouvernance et du développement économique ;

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9. Soulignant que les plans de transition doivent prendre en compte le fait que la fin prévue pour le processus de transition coïncidera avec une élection présidentielle d’une grande importance ;

10. Soulignant qu’il sera nécessaire de maintenir l’assistance internationale au-delà de 2014 pour assurer la viabilité et la pérennité des institutions afghanes ;

11. Reconnaissant en particulier qu’il faudra atténuer les retombées néfastes sur l’économie de la réduction progressive de la présence internationale ;

12. Convaincue qu’un Afghanistan stable, démocratique et prospère est dans l’intérêt de tous ses voisins ; et,

13. Rappelant que, dans la Déclaration de Kaboul de 2002 et dans des documents ultérieurs, les voisins de l’Afghanistan se sont engagés à entretenir avec ce dernier des relations bilatérales constructives et fructueuses fondées sur les principes de l’intégrité territoriale, du respect mutuel, des relations amicales, de la coopération et de la non-ingérence dans les affaires intérieures ;

14. Affirmant son appui à la poursuite des initiatives trilatérales et multilatérales visant à contribuer au développement de la coopération entre l’Afghanistan et ses partenaires régionaux et, dans cette veine, se félicitant de la Déclaration d’Istanbul sur l’amitié et la coopération au cœur de l’Asie, adoptée au Sommet d’Istanbul du 26 janvier 2010 ;

15. Reconnaissant et rendant hommage au rôle joué par les autorités pakistanaises et par le peuple pakistanais et aux sacrifices qu’ils ont consentis pour lutter contre l’extrémisme et améliorer la situation en matière de sécurité, notamment dans les régions limitrophes de l’Afghanistan ;

16. Reconnaissant que les activités transfrontalières que mènent les terroristes en Afghanistan et au Pakistan menacent la sécurité des civils et du personnel militaire des deux pays ;

17. Persuadée que les prochaines conférences internationales d’Istanbul et de Bonn donneront à l’Afghanistan et à ses partenaires internationaux une occasion majeure de réaffirmer leur attachement à un Afghanistan stable, démocratique et prospère et de fixer les conditions propices à une transition durable et irréversible ;

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18. INVITE INSTAMMENT les gouvernements et les parlements des pays membres de l’Alliance atlantique et des pays non membres contributeurs de troupes à la FIAS :

a. à intensifier leurs efforts pour expliquer à leurs citoyens le besoin actuel d’une présence militaire internationale en Afghanistan et la nécessité de maintenir l’assistance internationale au-delà de 2014, date prévue pour la fin de la mission de combat ;

b. à coordonner les décisions nationales relatives aux retraits de troupes en tenant compte de la persistance des besoins opérationnels ;

c. à combler les déficits actuels en instructeurs et en personnel d’encadrement pour les Forces nationales de sécurité afghanes (ANSF) et à réaffirmer leur volonté d’aider et de soutenir celles-ci au-delà de 2014, dans le contexte du Partenariat durable OTAN-Afghanistan ;

d. à continuer à appuyer la recherche et le développement et le partage de leur expérience et de leurs connaissances opérationnelles en matière d’EEI en priorité, et d’accélérer la formation des ANSF à la lutte contre ces engins ;

e. à intensifier l’aide internationale au développement et au fonctionnement, au niveau central et local, de structures de gouvernance durables capables de servir la population ;

f. à continuer d’augmenter la part de l’assistance internationale redistribuée par le biais des institutions afghanes, à la condition que les autorités du pays avancent dans la réalisation des réformes requises et, plus particulièrement, dans la lutte contre la corruption ;

g. à accroître leur soutien au parlement afghan et leur coopération avec ce dernier ;

h. à chercher à conclure, à la prochaine conférence de Bonn, un accord sur une assistance économique durable pour l’Afghanistan et, notamment, sur des mesures destinées à atténuer les retombées négatives sur l’économie d’une réduction progressive de la présence internationale et à favoriser le développement de sources de revenus durables pour le pays ;

i. à renforcer le dialogue politique avec les voisins de l’Afghanistan, en particulier avec le Pakistan, en vue de promouvoir l’adoption de mesures de confiance à l’échelon régional ;

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19. INVITE le gouvernement et le parlement afghans :

a. à éliminer les sources de tension qui persistent entre les branches exécutive et législative ;

b. à intensifier leurs efforts d’explication des bienfaits de la présence militaire internationale pour la population afghane ;

c. à poursuivre l’élaboration de solides mécanismes de responsabilisation des ANSF ;

d. à accélérer la mise en œuvre du programme ambitieux de réformes défini lors des Conférences de Londres et de Kaboul, en 2010 ;

e. à procéder en priorité à une réforme électorale qui remédiera aux manquements mis en évidence lors de l’élection présidentielle de 2009 et lors des élections législatives de 2010 ;

f. à redoubler d’efforts dans leur lutte contre la corruption et à protéger les entités chargées de cette lutte contre toute interférence politique ;

g. à favoriser l’intégration de la société civile afghane dans les sphères politique et institutionnelle du pays, ainsi que le développement de médias indépendants ;

20. INVITE le gouvernement et le parlement pakistanais :

a. à poursuivre les efforts entrepris pour lutter contre le terrorisme et pour renforcer la coordination opérationnelle avec la FIAS et les forces afghanes ;

b. à intensifier davantage leur coopération avec l’Afghanistan dans la recherche d’une solution politique ;

c. à appuyer sans réserve les initiatives visant à promouvoir la confiance, la sécurité et la coopération à l’échelle régionale, y compris les mesures destinées à régler les différends bilatéraux en suspens ;

d. à intensifier encore le dialogue politique avec l’OTAN pour compléter la coopération militaire existante ;

21. INVITE les gouvernements et parlements afghans et pakistanais à empêcher les mouvements transfrontaliers illicites des terroristes entre leurs deux pays.

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LES DEFIS LIES A LA GOUVERNANCE EN AFGHANISTAN : UNE MISE A JOUR

Rapport spécial

par

Vitalino CANAS (Portugal)

(2009 - ) Rapporteur spécial de la Commission sur la dimension civile de la sécurité

Ce rapport a été élaboré pour la Commission sur la dimension civile de la sécurité

en août 2011 et adopté à la Session annuelle de l’AP-OTAN à Bucarest, Roumanie en octobre 2011.

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TABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION 17 II. LA MISE EN PLACE D’INSTITUTIONS POLITIQUES :

PROGRES ET DIFFICULTES 19 A. LE GOUVERNEMENT CENTRAL 19

1. Les élections législatives 19

2. La situation post-électorale 22

3. Les partis politiques 24 B. LE SYSTEME JUDICIAIRE 28

C. LES DEFIS DE LA GOUVERNANCE LOCALE 31

D. LA FORMATION DES FONCTIONNAIRES AFGHANS 33 III. LES MESURES DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION 35 IV. LA LUTTE CONTRE LA PRODUCTION DE DROGUE ET LES

MOYENS DE SUBSISTANCE ALTERNATIFS 41 V. PROMOUVOIR LA RECONCILIATION ET LA

REINTEGRATION 44 VI. CONSTRUIRE UNE SOCIETE CIVILE AFGHANE 49

A. LES ORGANISATIONS DE LA SOCIETE CIVILE (OSC) 49

B. LES MEDIAS 54

C. LES POLITIQUES EN MATIERE D’EDUCATION ET D’ALPHABETISATION 56

VII. CONCLUSIONS 60

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I. INTRODUCTION

L’année 2011 est une année charnière pour l’Afghanistan. Outre le début du retrait de la communauté internationale, elle marque également la transition vers une prise en charge totale de la sécurité du pays par les Afghans, dont l’échéance est fixée à 2014. Ce retrait survient toutefois à une période mouvementée. La mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a décrit le premier semestre 2011 comme le plus meurtrier1 pour la population civile afghane2. En juillet 2011, peu avant le début du transfert de responsabilité, une série de meurtres visant les proches alliés du président Hamid Karzaï ont apporté la preuve que la situation sécuritaire en Afghanistan était encore fragile. Par ailleurs, neuf mois après les deuxièmes élections législatives démocratiques organisées en Afghanistan depuis 2001, le système politique du pays se trouve confronté à une grave crise, caractérisée par des frictions entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Cela dit, l’année 2011 est également celle où nous pouvons commencer à dresser le bilan de la mise en œuvre des décisions prises lors des deux événements marquants que furent les conférences internationales de Londres le 28 janvier 2010 et de Kaboul le 20 juillet 2010, au cours desquelles la communauté internationale a réaffirmé sa volonté d’aider l’Afghanistan dans sa transition vers un Etat sûr, prospère et démocratique sous administration totalement afghane. Pour atteindre ce but, la consolidation des instances de gouvernance locales et nationales doit rester au centre des préoccupations. La conférence Bonn II, "De la transition à la transformation", qui doit se tenir le 5 décembre 2011, a pour but de mobiliser la communauté

1 Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), Afghanistan:

Midyear Report 2011 – Protection of Civilians in Armed Conflict, 2011 (Kaboul: MANUA, juillet 2011).

2 D’un autre côté, bien que les insurgés continuent de représenter une menace durable et changeante, les responsables de la FIAS ont indiqué aux délégués de l’Assemblée qui se sont rendus en Afghanistan en juin 2011, que leurs capacités semblaient, d’après certains premiers signes, avoir été mises à mal, notamment grâce aux efforts de la coalition pour bloquer les axes d'approvisionnement et viser les chefs des insurgés.

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internationale pour continuer à soutenir l’Afghanistan. Cependant, le règlement des questions en suspens concernant le scandale de la Banque de Kaboul, qui s’est soldé par des pertes de plusieurs centaines de millions de dollars provoquées par une série de prêts irréguliers est l’un des facteurs susceptibles d’influencer la poursuite de l’engagement de la communauté internationale envers l’Afghanistan. La Commission sur la dimension civile de la sécurité de l’AP-OTAN s’intéresse à la question de la gouvernance afghane depuis 2010. Son rapport spécial de l’an dernier arrivait à la conclusion que malgré la bonne disposition du gouvernement afghan à assumer la pleine responsabilité de la conduite future du pays, les élections de 2009 et 2010 ont montré que la situation était toujours fragile et que le défi consistant à mettre en place en Afghanistan des structures de gouvernance durables était immense. Ce rapport reconnaissait en outre que le plus grand danger aujourd'hui est un désengagement prématuré des Alliés. Ces derniers doivent en effet laisser le temps à la stratégie actuelle de porter ses fruits, et le transfert des responsabilités aux Afghans doit être géré avec une grande prudence. Le rapport mettait en évidence deux aspects essentiels devant bénéficier d’une attention particulière de la part du gouvernement national afghan : d’une part, l’intensification des efforts en matière d’éradication de la corruption ; d’autre part, l’amorce d’une révision en profondeur de la législation sur les élections. Il faut, d'un autre côté, que les membres de l'OTAN intensifient leur soutien, de manière à améliorer la capacité du gouvernement afghan à fournir des services à sa population, en particulier dans le domaine de la justice, de la fonction publique et de l’administration, des finances publiques et de la gouvernance locale. L’année 2011 reste une année très difficile en ce qui concerne la question de la gouvernance en Afghanistan. Les récentes élections législatives et les événements qui ont suivi, ont été entourés d’allégations de fraude et d’accusations mutuelles entre le président et ses opposants. Malgré la promesse faite par le président Karzaï en 2010 concernant l'organisation d’élections

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dans les districts et les municipalités, aucune date n’a encore été fixée, et les instances de gouvernance au niveau local sont toujours à la traîne. L’Etat de droit demeure un sujet de préoccupation majeur dans toutes les provinces afghanes et plus particulièrement dans le sud, où les insurgés sont encore très présents. La réforme de la justice ne progresse que lentement, tandis que la corruption et le trafic de drogues illicites – alimenté par la hausse considérable du prix de l’opium – continuent de déstabiliser le pays. Le présent rapport donne un aperçu de certaines des difficultés que connaît actuellement l’Afghanistan en matière de gouvernance. Outre l'actualisation des volets relatifs au système judiciaire, à la lutte contre la corruption et la lutte antidrogue, il inclut également de nouveaux chapitres sur la composition du nouveau Parlement afghan et la crise post-électorale – toujours d’actualité –, les partis politiques du pays, le rôle des ONG et de la société civile dans l'instauration de la gouvernance, ainsi que les politiques en matière d'éducation et d'alphabétisation. Ce rapport a également pour but de formuler des recommandations susceptibles d'aider le gouvernement national afghan et la communauté internationale à améliorer la gestion des affaires publiques en Afghanistan et à assurer une transition en douceur vers une prise de responsabilité totalement assumée.

II. LA MISE EN PLACE D’INSTITUTIONS POLITIQUES : PROGRES ET DIFFICULTES

A. Le gouvernement central

1. Les élections législatives Sur le plan national, l'événement le plus important a sans doute été l'entrée en fonction du second Parlement depuis la chute des talibans. L’expérience, de 2005 à 2010, de la première Assemblée nationale afghane librement élue n'a pas été sans difficultés, même si cette institution a réussi à améliorer ses performances et à montrer qu’elle pouvait être un corps

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législatif efficace et indépendant. Elle a néanmoins été critiquée pour un certain nombre de problèmes, comme par exemple, le vote de confiance accordé aux ministres en place, malgré leurs mauvaises prestations au sein du gouvernement. Les qualités démocratiques des parlementaires ont par ailleurs été remises en question après qu'un certain nombre d’entre eux aient été accusés de corruption. En termes de capacités administratives, le Parlement de 2005-2010 était en situation de sous-effectifs et ne comportait qu’un petit groupe d’étude. Cela voulait donc dire que les membres du Parlement étaient très tributaires des informations que pouvaient leur fournir les institutions de l’Etat qu’ils étaient précisément sensés contrôler. Les élections législatives tenues le 18 septembre 2010 en Afghanistan ont permis de tester l’engagement du pays à l’égard des principes démocratiques, ainsi que sa capacité à assurer la sécurité des Afghans qui ont décidé d’aller voter. Selon le président de la Commission électorale indépendante (CEI), près de 5,6 millions de votes ont été enregistrés, dont 23 % étaient invalides. Les 33 % d’Afghans qui sont allés voter ont fait leur choix parmi une liste finale de 2 577 candidats (dont 406 femmes), pour un total de 249 sièges à la Wolesi Jirga. Parmi les nouveaux parlementaires, presque deux tiers n'avait jamais siégé au sein de cette institution, et nombre d'entre eux ont la réputation d’être d’anciens seigneurs de la guerre, des personnalités influentes ou des proches de l’ancienne élite du pays. Ni le président Karzaï ni le chef de l’opposition, M. Abdullah, n’a réussi à obtenir une majorité confortable à la Chambre. Les élections législatives de 2010, financées pour une part importante par des pays étrangers, ont été considérées comme légitimes par la communauté internationale. Celle-ci a toutefois reconnu qu’un vaste climat de fraude avait plané sur le processus électoral. Des allégations d'urnes électorales artificiellement remplies, de citoyens contraints de voter sous la menace d'une arme, de responsables électoraux corrompus et de forces de sécurité complices des candidats corrompus ont été rapportées, en particulier dans les régions du sud du pays,

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où la population est à majorité pachtoune. Après les élections de 2010, la CEI a procédé à des inspections, vérifications et opérations de recomptage des votes, et a ensuite renvoyé les candidats suspects ou coupables devant la Commission des plaintes électorales (ECC). Après avoir vérifié et recompté les bulletins de 38,39 % des 17 744 bureaux de vote ouverts le jour des élections3, cette commission a finalement disqualifié près d’un élu sur dix (parmi ces disqualifiés figuraient un cousin d’Hamid Karzaï et sept membres du Parlement sortant). Selon les observateurs internationaux, les performances de la CEI se sont considérablement améliorées en l’espace de peu de temps sur le plan de la transparence ainsi que de la planification et des procédures. Cette commission a tenu des réunions ouvertes à tous, diffusé publiquement ses décisions et publié les résultats des bureaux de vote. Elle a également renvoyé 6 000 membres du personnel qui avaient été liés de près ou de loin à des manipulations et des fraudes lors de l’élection présidentielle de 2009, et a mis en place un nouveau système de recrutement4. Outre la CEI, l’ECC a également été saluée pour son rôle de plus en plus pertinent. Après l'annonce des résultats préliminaires, cette commission a traité 5 860 plaintes, dont 47 % étaient des allégations sérieuses pouvant influer sur les résultats des élections. L’ECC a disqualifié 27 candidats, principalement pour des faits de fraude (en tout, 118 candidats ont été exclus pour des raisons diverses). Les résultats des élections de 2010 ont profondément modifié la composition ethnique de la Wolesi Jirga. Les Pachtounes ont perdu plus de 20 sièges en raison des faibles scores obtenus dans le sud et l’est du pays, principalement à cause de l'insécurité qui y règne ainsi que de la fragmentation politique de la représentation pachtoune au niveau local. Dans le nouveau

3 Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), La situation en

Afghanistan et ses conséquences pour la paix et la sécurité internationales (10 décembre 2010), Rapport du Secrétaire général, A/65/612-S/2010/630.

4 Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH, ODHIR), Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Islamic Republic of Afghanistan: Parliamentary Elections, 18 September 2010 (Varsovie: OSCE/ODIHR, 26 novembre 2010), OSCE/ODIHR Election Support Team Report.

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Parlement, les Pachtounes occuperont 92 sièges5 sur 249. La baisse de la représentation pachtoune dans la prochaine Wolesi Jirga s'est traduite par une augmentation disproportionnée du nombre de sièges attribués à la minorité hazara. Ce dernier point n’est pas sans inquiéter le président Karzaï, considéré par beaucoup comme un représentant de la minorité pachtoune qui a de tout temps été un oppresseur de la minorité hazara.

2. La situation post-électorale Malgré le fait que, selon la Constitution et le droit électoral afghans, la CEI et l’ECC soient les seuls organes habilités à traiter les résultats des élections, deux autres acteurs sont entrés en jeu peu après le vote. Deux semaines après que les résultats aient été annoncés, le bureau du procureur général a ouvert un certain nombre d’enquêtes et a secrètement mis en accusation l'ensemble des membres afghans des deux commissions pour des faits de fraude et d’abus de pouvoir. La CEI a vu dans cette démarche une tentative directe et illégale de modifier les résultats des élections6. En décembre 2010, le président Karzaï, à la demande de la Cour suprême, a utilisé ses prérogatives en matière de prise de décrets pour instituer un tribunal électoral spécial composé de cinq juges, dont la tâche était d'enquêter sur les faits rapportés par les candidats non élus. Ce tribunal a affirmé que les élections de septembre 2010 avaient été ternies par des fraudes généralisées, et a fait pression sur le président pour qu’il reporte l'entrée en fonction du nouveau Parlement jusqu'à ce que les juges rendent leur verdict. La légitimité et la légalité du tribunal ont été remises en question par l'ensemble des autorités officielles chargées des élections ainsi que par l'organisme de surveillance des élections, Free and Fair Election Foundation of Afghanistan. La mise en place de ce tribunal a en outre été considérée par l’opposition comme un moyen pour le président Karzaï de faire un usage abusif de ses prérogatives pour annuler

5 Le nombre de sièges alloués aux Pachtounes est compris entre 92 et 99. 6 Secrétaire général de l’ONU, La situation en Afghanistan et ses conséquences pour

la paix et la sécurité internationales (9 mars 2011), Rapport du Secrétaire général, A/65/783-S/2011/120.

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ou modifier les résultats des élections en faveur de lui-même et de ses partisans. Sous la pression de la communauté internationale et des membres de l’opposition afghane, le président Karzaï a finalement été contraint d’inaugurer le Parlement le 26 janvier 2011. Le tribunal a néanmoins poursuivi son travail d'investigation et aurait procédé à des recomptages dans presque toutes les 34 provinces du pays7. En juin, le tribunal électoral spécial est parvenu à la conclusion que 62 des parlementaires en poste devaient être remplacés. En réaction à cette décision, le Parlement a aussitôt voté le renvoi du procureur général et de six membres de la Cour suprême pour avoir soutenu le tribunal ou approuvé son action. La crise politique s’est ensuite aggravée lorsque le Parlement a commencé à envisager de destituer le président Karzaï pour sa soi-disant ingérence dans les résultats des élections. D'après les médias afghans, cette crise aurait convaincu les parlementaires de se rendre aux sessions en se munissant d'une arme, et a entraîné des agressions physiques entre les membres du Parlement8. Toutefois, à la date de rédaction du présent rapport, un compromis était en train d’être trouvé, le président afghan ayant reconnu que la CEI était compétente pour statuer en dernier ressort sur cette question, et décidé la dissolution du tribunal électoral spécial. Suite à cela, la CEI a annoncé le remplacement de neuf parlementaires. Il n’est pas sûr cependant que ces décisions contribuent à la résolution du conflit, car un grand nombre de parlementaires considèrent que le renvoi de certains de leurs collègues, fussent-ils seulement neuf, est inacceptable9. Cela étant, le Parlement n’est pas la seule institution gouvernementale à avoir été paralysée à cause de cette crise politique. Neuf mois après les élections, le gouvernement

7 Dion Nissenbaum, “Afghan Legislators Pick Leader,” The Wall Street Journal,

28 février 2011. 8 Jed Ober, “Karzai’s Court,” AfPak Channel, Foreign Policy, 7 juillet 2011, http://afpak.foreignpolicy.com/posts/2011/07/07/karzais_court. 9 Rod Nordland et Abdoul Waheed Wafa, “Seeking a Functioning Parliament, Afghan

Panel Upends Vote Results,” The New York Times, 21 août 2011.

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permanent n'est toujours pas complet, et les pouvoirs exécutif et judiciaire sont assurés par un certain nombre de ministres par intérim et de magistrats faisant fonction de juges près la Cour suprême. Le pays est régi principalement par des décrets présidentiels10. Le Parlement a reporté ses vacances et fait une "grève du silence" pour protester contre l'incapacité du gouvernement à lui soumettre des nominations de fonctionnaires afin qu’il les approuve. Lors de sa visite dans le pays en juin 2011, la délégation de l’AP-OTAN a été informée que la ratification de l’accord entre l’Afghanistan et les Etats-Unis concernant l’instauration d’un partenariat à long terme était un autre sujet de dissension entre le gouvernement et le Parlement afghans. Le Parlement soutient qu’il est le seul habilité, de par la Constitution, à ratifier des traités internationaux, et rejette toute idée que cette fonction puisse être confiée à une Loya Jirga traditionnelle. Ces affrontements entre le gouvernement, les parlementaires et le pouvoir judiciaire sont appelés à durer jusqu’à ce que des règles constitutionnelles claires soient mises en place et respectées. Dans le cas contraire, il est peu probable, lors des prochaines élections organisées en Afghanistan, que les candidats respectent l’autorité d’une commission électorale dont ils savent que les décisions peuvent être annulées par des tribunaux ad hoc. Il est, par conséquent, indispensable que le pouvoir exécutif cesse d’entraver la capacité d’action des institutions constitutionnelles afghanes et, pour éviter qu’une crise similaire ne se répète, que le Parlement afghan fasse de la réforme électorale sa première priorité11.

3. Les partis politiques

Les partis politiques afghans peuvent globalement être classés en divers courants reflétant les différentes époques qu’a connues le pays : les islamistes (par exemple l’Organisation pour

10 Alissa J. Rubin, “Brawl Erupts During Impeachment Talks in Afghan Parliament,”

The New York Times, 5 juillet 2011. 11 Ober, “Karzai’s Court.”

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l’appel islamique d’Afghanistan, le Front national islamique d’Afghanistan et le Front national de libération de l’Afghanistan), les nationalistes ethniques et de gauche (le Parti national uni d’Afghanistan ou le Parti du Congrès national afghan), et enfin les "nouveaux partis démocratiques" (le Parti pour les travailleurs et le développement de l'Afghanistan, le Parti de solidarité nationale de la jeunesse afghane, ou le Parti républicain). Les points de clivage entre ces courants sont au nombre de trois : la position à l’égard du rôle de l’islam dans le gouvernement (Etat laïque contre Etat islamique), le fait d’avoir participé au régime afghan allié aux Soviétiques ou au contraire de s’y être opposé, et enfin la préférence pour le fédéralisme (ce qui est le cas de la plupart des partis des minorités ethniques) ou la centralisation. Le centre du spectre politique est cependant inoccupé12. La plupart des partis ont une organisation descendante, sans stratégie cohérente et avec plusieurs personnalités phares13. Leurs programmes ne jouent pas un rôle très important et continuent de répéter les grands slogans que sont "l’indépendance", "l’unité nationale" ou "la démocratie"14. L’article 35 de la Constitution afghane interdit la formation de partis « sur le critère de l’appartenance tribale, de l’esprit de clocher, de la langue ainsi que du sectarisme religieux », et les autorités y sont très attachées car les groupes de minorités ethniques sont ceux qui, au Parlement, sont les mieux organisés dans leur opposition au gouvernement15. Suite à l’adoption de la nouvelle loi sur les partis politiques en septembre 200916 (qui obligeait les partis à se réenregistrer), sur les 110 partis

12 Thomas Ruttig, Islamists, Leftists – and a Void in the Center: Afghanistan's Political

Parties and where they come from (1902-2006) (Kaboul: Konrad Adenauer Stiftung, 2006).

13 Anna Larson, “Afghanistan’s New Democratic Parties: A Means to Organise Democratisation?,” Briefing Paper Series, Afghanistan Research and Evaluation Unit (mars 2009). Voir aussi note 12.

14 Ruttig, Islamists, Leftists – and a Void in the Center: Afghanistan's Political Parties and where they come from (1902-2006).

15 Larson, “Afghanistan’s New Democratic Parties: A Means to Organise Democratisation?”. Voir aussi note 12.

16 Cette loi interdit aux partis politiques de s’opposer à l'islam, d’utiliser la force ou de se livrer à la discrimination ethnique, raciale, religieuse ou régionale, d’enfreindre les droits et les libertés des citoyens, de troubler l'ordre public et la sécurité, de s’affilier à des organisations armées ou militaires, et de recevoir des fonds de sources étrangères.

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préexistants, cinq seulement ont satisfait aux conditions de réenregistrement et ont pu présenter des candidats aux élections législatives de 2010. Globalement, sur les quelque 2 500 candidats en lice pour obtenir un siège au Parlement, seuls 31 appartenaient à un parti. Les nouveaux partis démocratiques sont très attachés à la démocratisation ; ils s’opposent au fondamentalisme, appellent à la justice et aspirent à une collaboration avec la communauté internationale. Ils sont cependant confrontés à trois problèmes de fond : en tant que représentants de l’élite instruite, ils n’ont pas de contact avec le peuple ; ils manquent de mécanismes démocratiques en interne ; enfin, ne disposant pas de leur propre aile armée, comme c’était le cas pour les anciens partis, l’insécurité ambiante les empêche de faire campagne dans une grande partie du pays17. Les experts ont également relevé d’autres obstacles à la mise en place d’un système solide de pluralisme politique en Afghanistan :

Lors des décennies de guerre qu’a connues l’Afghanistan, les partis politiques ont souvent été tenus pour responsables du conflit et associés à différents groupes ou factions ethniques, communistes ou islamistes18. Sous l’effet de cet héritage, le gouvernement et la population adoptent trois types d’attitudes : ils ignorent les partis politiques, s'y opposent au motif qu'ils font partie du nouveau paysage démocratique de l'Afghanistan, ou les discréditent.

Le dispositif électoral afghan s’appuie sur le système du vote unique non transférable (SVUNT). Ce système n’est utilisé dans aucune démocratie car il porte préjudice aux partis politiques en ne leur garantissant pas un nombre équitable de sièges au sein du Parlement. Dans un SVUNT, le parti enregistrant la majorité des votes ne bénéficie pas automatiquement de la majorité des sièges parlementaires ;

17 Ashley Elliot, Political Party Development in Afghanistan: Challenges and

Opportunities (Washington, DC: School of Advanced International Studies (SAIS), printemps 2009).

18 Elliot, Political Party Development in Afghanistan: Challenges and Opportunities.

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le nombre de sièges qui lui est attribué dépend des performances de chacun des candidats du parti. Ce sont donc les candidats qui rapportent des votes aux partis, et non l'inverse. D’autre part, le système SVUNT allonge considérablement les procédures législatives du fait que chaque parlementaire est son propre représentant et s'exprime en son nom. Le gouvernement et le président Karzaï lui-même se sont systématiquement opposés à la modification de ce système, sous prétexte qu’il permet de protéger le Parlement contre les partis politiques dangereux. L’opposition du président aux partis politiques et son cautionnement du système actuel sont très compréhensibles, car le SVUNT favorise la fragmentation de l’opposition et du corps législatif19.

Il n’existe pas de système de suivi du vote des textes par les parlementaires, ce qui empêche la cohésion entre les membres des partis et ne permet pas à leurs partisans de leur imputer la responsabilité des décisions qu'ils ont prises20.

Les difficultés auxquelles doivent faire face les partis politiques afghans dans le contexte politique et législatif actuel déstabilisent davantage la démocratie afghane, déjà fragile. Il est primordial, si l‘on veut parvenir à réformer la situation actuelle à l'égard des partis politiques, que la communauté internationale fasse pression pour que des changements aient lieu. Concrètement, il convient d’exercer une pression sur le gouvernement et le président, de fournir des fonds et de former les représentants des partis politiques. S’agissant de la représentation ethnique et religieuse, le fait de reconnaître que l’Afghanistan est composé de groupes aux identités distinctes et de leur accorder la liberté de parole au sein du Parlement est sans doute moins dangereux que de lisser les différences entre ces groupes. Les partis afghans, et en particulier les nouveaux partis démocratiques, doivent trouver de nouveaux membres et accroître leurs capacités, mais aussi envoyer un message clair au

19 Elliot, Political Party Development in Afghanistan: Challenges and Opportunities. 20 Larson, “Afghanistan’s New Democratic Parties: A Means to Organise

Democratisation?”

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sujet de leur mission. Ils doivent trouver des intérêts communs et créer des coalitions de manière à pouvoir concurrencer les anciens partis, plus conservateurs. Ils doivent aussi développer leurs activités publiques, par exemple en encourageant les votants à adhérer à leur parti et en organisant leurs propres actions d’incitation au civisme. Il faut également que le gouvernement supprime les obstacles à l'enregistrement des partis politiques, qu’il fournisse des fonds publics pour financer les activités légitimes de ces partis et ainsi réduire la corruption, qu’il mette en œuvre un programme national de sensibilisation sur les partis politiques, et interdise les partis ayant des liens avec des factions armées21. Cela étant, le plus important encore est de remplacer le SVUNT par une sorte de représentation proportionnelle ou par un système de scrutin de liste, de manière à favoriser le développement des partis22.

B. Le système judiciaire

Dans le dernier rapport de l’International Crisis Group, le système judiciaire afghan est décrit comme étant « dans un état de délabrement catastrophique», la majorité de la population afghane n’ayant qu'un accès limité – voire aucun accès – aux institutions judiciaires, qui sont soit en situation de terrible sous-effectif soit tout simplement incapables d'effectuer leur travail. Le personnel manque de formation et est faiblement rémunéré23, ce qui entraîne une désaffection des personnes travaillant dans le secteur et favorise la persistance de la corruption. Les programmes de renforcement des capacités créés à l'intention des juges et des avocats, ainsi que les programmes de formation destinés à la police ne font l’objet d’aucun suivi ni contrôle pour en évaluer la qualité. Les prisons, placées sous la responsabilité du ministère de la Justice, ont été réformées pour répondre aux normes humanitaires, mais un grand nombre d’entre elles hébergent encore des innocents, y compris des centaines de femmes emprisonnées pour des

21 Elliot, Political Party Development in Afghanistan: Challenges and Opportunities. 22 Larson, “Afghanistan’s New Democratic Parties: A Means to Organise

Democratisation?” 23 La délégation de l’Assemblée qui s’est rendue en Afghanistan en juin 2011 a été

informée que le traitement des juges et des procureurs s’élevait à environ 75 dollars par mois, soit la moitié moins que les policiers.

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"atteintes à la moralité" qui ne figurent pas dans le droit afghan24. L’un des exemples les plus louables de l’assistance internationale est la décision prise en juin 2011 par les ministres de la Défense de l'OTAN de mettre sur pied une mission d’instauration de l’Etat de droit, dont la tâche consistera à fournir aux juges et aux procureurs de quoi remplir leur fonction, comme par exemple des moyens de transport, des équipements de communication et une protection. Selon les estimations, les systèmes traditionnels de règlement des conflits – qui associent le droit coutumier et la loi islamique – traiteraient actuellement jusqu’à 80 % de l’ensemble des affaires judiciaires, au civil ou au pénal. Ces conseils locaux et tribaux créés au niveau local (parfois connus sous le nom de "chouras" ou "jirgas") existent en Afghanistan depuis des siècles et se composent des anciens du village et d’autres membres respectés des collectivités. La plupart des affaires traitées par ces conseils ont un caractère civil (elles ont trait à la famille, à l’eau, à la terre, ou à la collectivité)25. Cette forme de justice traditionnelle est pratiquée dans tout le pays mais plus particulièrement dans les régions placées sous le contrôle des insurgés et où ni l’Etat, ni les systèmes traditionnels ne fonctionnent. Certains la surnomment la "justice des talibans" car dans de nombreuses provinces, ces dispositifs judiciaires transitoires sont généralement gérés par des membres ou sympathisants des talibans26. Cela étant, les mécanismes de justice traditionnelle ne sont pas toujours administrés par les talibans. Leurs partisans prétendent qu’ils offrent une alternative efficace au système judiciaire étatique, actuellement défaillant27. Qui plus est, la population y est habituée, et ils sont moins coûteux, plus rapides et plus

24 Nader Nadery, “Getting Serious About Justice,” Parliamentary Brief Online,

23 juillet 2010, http://www.parliamentarybrief.com/2010/07/getting-serious-about-justice.

25 Elizabeth Lee Walker, Culturally-Attuned Governance and Justice in Helmand Province (St. Petersburg, Florida: International Media Ventures, avril 2010).

26 John Dempsey et Noah Coburn, “Traditional Dispute Resolution and Stability in Afghanistan,” Peace Brief, no. 10, US Institute of Peace (février 2010).

27 Carolyn Dubay, “Rule of Law Reform in Afghanistan and the Improvement of Women’s Rights,” International Judicial Monitor (été 2010).

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accessibles que les tribunaux28. Il n’en reste pas moins que les procès organisés par les conseils locaux (y compris ceux n’ayant pas nécessairement de lien avec les talibans) ont fait l’objet de critiques, tant de la part des Afghans que des représentants de la communauté internationale. Ceux qui s’y opposent indiquent qu’ils ne font qu’embrouiller et qu’entraver le processus de construction d'un système judiciaire officiel. On leur reproche également de porter atteinte aux droits humains – du fait que leurs membres sont exclusivement masculins – et de prendre leurs décisions sur la base des coutumes locales et des interprétations de la loi islamique. On sait ainsi que les femmes, les pauvres et les individus désavantagés par leur appartenance familiale ou tribale y sont traités de façon inéquitable29. Cela dit, une étude récente de l’Unité de recherche et d’évaluation afghane révèle que dans les zones les plus stables, les infractions graves sont de plus en plus jugées devant un tribunal d’Etat. La preuve est donc que le système judiciaire officiel acquiert progressivement une légitimité auprès de la population30. La conclusion est que l’instauration de l’Etat de droit doit figurer parmi les priorités essentielles du gouvernement afghan et de la communauté internationale, et s'inscrire dans le cadre de leur stratégie de lutte contre l'insurrection, qui consiste à défendre les droits autant qu’à protéger des vies. Seules la création d’un système judiciaire démocratique et efficace, ainsi que des mesures favorisant la formation juridique, la gestion des affaires, la collecte de données et l’aide juridique garantiront la stabilité à long terme de l'Afghanistan31. Une autre condition indispensable pour que ce processus aboutisse est de travailler en collaboration avec les Afghans, de manière à répondre à leurs besoins en respectant leurs traditions.

28 Dempsey and Coburn, “Traditional Dispute Resolution and Stability in

Afghanistan.” 29 Nadery, “Getting Serious About Justice.” 30 Douglas Saltmarshe et Abhilash Medhi, Local Governance in Afghanistan – A View

from the Ground (Kaboul: Afghanistan Research and Evaluation Unit, juin 2011). 31 International Crisis Group, “Reforming Afghanistan’s Broken Judiciary,” Asia

Report, no. 195 (novembre 2010).

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C. Les défis de la gouvernance locale

La Constitution afghane définit l’Afghanistan comme un Etat unitaire et très centralisé, et confie à son gouvernement la tâche de « préserver les principes du centralisme ». Le pays est divisé en 34 provinces et quelque 400 districts. Les gouverneurs des provinces et des districts sont nommés par le président, alors que les membres des conseils de province, de district, de village et de municipalité sont désignés par des élections directes. Les conseils de district et de province peuvent avoir beaucoup d’influence sur les affaires législatives nationales car ils ont le pouvoir de sélectionner les membres de la Chambre haute du Parlement. Les seules élections qui ont eu lieu pour l’instant sont celles des conseils de province en 2005 et 2009. En 2010, le président Karzaï a indiqué que des élections de conseils de district seraient organisées dans tout le pays au printemps 2011. Or, à ce jour, aucune élection n’a été annoncée dans les districts ou les municipalités (en raison de désaccords persistants quant à la délimitation des districts). Il n’en reste pas moins que la situation en matière de gouvernance locale s’est progressivement améliorée depuis dix ans. En 2007, une Direction indépendante pour la gouvernance locale (DILG) a été créée, avec pour tâche de procéder au contrôle de tous les principaux candidats aux instances locales. Les responsables de l’OTAN ont fait savoir à la délégation de l’Assemblée qui s’est rendue en Afghanistan en juin 2011 que 75 % des gouverneurs adjoints des provinces seront nommés avant la fin 2011, en utilisant comme critère de base celui du mérite. Des conseils de développement communautaire (CDC) élus ont également été mis en place dans le cadre du Programme de solidarité nationale (PSN). Leur rôle consiste à fixer des priorités en matière de développement pour chaque collectivité (après consultation au niveau local) et de soumettre une demande de financement au Fonds pour le développement

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national. On dénombrait en mars 2007 plus de 16 000 CDC32, sur un total de 30 000 prévus. Le PSN a été jugé globalement efficace et rentable33. Une autre étape dans le processus d’amélioration de la gouvernance locale est l’adoption en 2010 de la politique de gouvernance infranationale pour 2010-2014. L'objectif de cette politique est de renforcer le pouvoir de supervision des conseils de province et de leur donner compétence pour approuver les projets de développement et les budgets des provinces avant qu'ils ne soient soumis au gouvernement central. Les résultats de cette politique sur le terrain ne sont pas encore connus. Les critiques la jugent déjà trop modeste pour décentraliser le pouvoir en Afghanistan, et prétendent que Kaboul continue de détenir tous les pouvoirs en matière politique, budgétaire et de création de revenus34. Malgré toutes ces avancées, la gouvernance locale en Afghanistan doit encore faire face à de grosses difficultés. La DILG, qui jouit de liens directs avec le cabinet présidentiel, reste une institution très politisée, et ses méthodes de travail ont tendance à renforcer plutôt qu’à réduire la centralisation du pouvoir35. Les conseils locaux ont des pouvoirs très limités et mal définis ; ils ont très peu d’influence sur les budgets locaux et ne peuvent donc jouer correctement leur rôle d'organes décisionnels au niveau local. Qui plus est, les autorités locales ne cessent d’être en concurrence avec d’autres structures parallèles au niveau local, comme par exemple les traditionnels "chouras" et "jirgas", les CDC (dont le rôle devra être redéfini une fois que les conseils locaux élus seront vraiment en place), ou encore les institutions soutenues par les talibans et les

32 Eldis, Community Development Councils in Afghanistan – Implementation and

Impacts (avril 2009), http://www.eldis.org/id21ext/s8chn1g1.html. 33 Stephen Biddle, Fotini Christia et J. Alexander Thier, “Defining Success in

Afghanistan,” Foreign Affairs (juillet-août 2010). 34 Biddle, Christia and Thier, “Defining Success in Afghanistan;” et Rapport de la

Commission sur la dimension civile de la sécurité (2010) de l’AP-OTAN, “Les défis de la gouvernance en Afghanistan,”

http://www.nato-pa.int/Default.asp?SHORTCUT=2085 35 Saltmarshe and Medhi, Local Governance in Afghanistan – A View from the

Ground.

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systèmes judiciaires alternatifs. Les autorités locales manquent également de capacités et de ressources adéquates, qui pourraient être obtenues en remplaçant le système de taxation institué par les talibans par un système légal. Un grand nombre de gouverneurs et autres responsables locaux nommés par le président Karzaï ont assis leur autorité sur le réseau local dont ils disposent en matière de sécurité et de puissance économique, réseau qui opère en toute illégalité mais avec l’assentiment tacite de Kaboul. Dans certaines provinces (Balkh et Nangarhar), cette méthode a apporté une paix relative et entraîné la baisse de la culture du pavot. Dans d’autres régions, ces hommes forts ont au contraire généré de l’instabilité. A Helmand, par exemple, le régime de corruption institué pendant plusieurs années par Sher Mohammad Akhundzada s’est aliéné d’importants groupes de la province et a provoqué la montée en flèche de la culture du pavot, alimentant ainsi l’insurrection. Un renforcement de l’autonomie au niveau local pourrait peut-être permettre de convaincre les Afghans qui n’ont pas confiance dans le régime de la lointaine Kaboul. La sécurité intérieure doit cependant rester sous la responsabilité du gouvernement central, afin d'empêcher que les territoires – même les plus autonomes – n'apportent soutien et refuge aux terroristes ou ne prêtent assistance aux insurgés.

D. La formation des fonctionnaires Afghans

L’appauvrissement en ressources humaines résultant de trente ans de conflit est un problème majeur pour la gestion administrative du pays, que ce soit au niveau national ou infranational. D’après le PNUD, moins de 10 % des fonctionnaires afghans possèdent un diplôme de l’enseignement post-secondaire, et 60 % approchent l’âge de la retraite36. Par

36 Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Outcome of the

Conference on Public Sector Capacity Development Assistance in Afghanistan (Kaboul: PNUD, avril 2009).

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ailleurs, les émoluments dans la fonction publique demeurent peu attractifs (quelque 200 dollars par mois en moyenne)37. Il y a donc une grave pénurie de bureaucrates suffisamment formés, motivés et honnêtes, capables de mettre en œuvre les politiques de l’Etat sur le terrain et d’assurer la conduite des affaires ainsi que la prise d’initiatives au niveau local. Les pouvoirs publics ont également de grosses difficultés à pourvoir tous les postes administratifs, en particulier dans les régions où règne l’insécurité : ainsi, dans la province et la ville de Kandahar, moins d’un tiers des postes de l’administration sont pourvus. Il en est de même dans la province voisine d’Helmand, raison pour laquelle les experts et fonctionnaires internationaux sont souvent réquisitionnés pour exécuter les tâches administratives38. Un certain nombre de programmes ont été mis en place pour régler ce problème, principalement sous la forme d'une aide internationale substantielle aux institutions afghanes telles que la Commission indépendante de la réforme administrative et de la fonction publique. Le PNUD, par exemple, l’un des principaux bailleurs de fonds dans ce domaine, finance le Projet de renforcement des institutions nationales (PRIN), lancé en janvier 2010 pour une période de trois ans pour remplacer deux précédents projets du PNUD. Le PRIN a pour objet de développer les capacités organisationnelles aux niveaux national et infranational et de renforcer les moyens de l’Institut afghan de la fonction publique. Son coût est de 115 millions de dollars, mais pour l’heure seuls quelque 9 millions ont été versés ou promis par les bailleurs de fonds39. Selon Paul D. Miller, directeur pour l’Afghanistan au National Security Council des Etats-Unis de 2007 à 2009, en l’absence d’un

37 Kenneth Katzman, “Afghanistan: Politics, Elections and Government

Performance,” CRS Report for Congress, RS21922, Congressional Research Service (21 janvier 2011).

38 Katzman, “Afghanistan: Politics, Elections and Government Performance.” 39 PNUD, National Institution Building Project (NIBP) (avril 2010), http://www.undp.org.af/whoweare/undpinafghanistan/Projects/sbgs/prj_nibp.ht

m.

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financement suffisant, "la communauté internationale demande en fait à des va-nu-pieds afghans de se relever en tirant sur les lacets de leurs chaussures"40. Bien que l’aide financière apportée par la communauté internationale pour le renforcement des capacités judiciaires et administratives en Afghanistan ait plus ou moins doublé depuis 2006, elle demeure extrêmement faible par rapport à d’autres domaines de l’engagement international. Pour citer un exemple, en 2010, les Etats-Unis – l’un des principaux bailleurs de fonds – ont consacré 85 millions de dollars pour des programmes consacrés à la formation et au perfectionnement des fonctionnaires afghans41, alors qu’ils dépensent plus d’un milliard de dollars par mois pour la seule formation des forces de sécurité afghanes. L’un des aspects positifs est que la communauté internationale et les autorités afghanes s’efforcent d’être créatifs et de faire le maximum avec les ressources disponibles. Pour citer un exemple, le programme des expatriés afghans a favorisé le retour au pays d'Afghans qualifiés pour occuper des postes de hauts conseillers. Dans la province de Ghor, les diplômés de l'enseignement secondaire ont été invités à rejoindre les administrations publiques pour une période d'apprentissage. Les organismes de formation de la fonction publique ont, pour leur part, instauré une collaboration étroite avec des partenaires asiatiques (en Inde, au Japon et à Singapour). Des progrès sont également à noter dans le domaine des capacités techniques, tout au moins au niveau du gouvernement central : la plupart des ministères sont en effet équipés d’ordinateurs et autres systèmes de communication42.

III. LES MESURES DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION

L’aspect le plus étonnant du débat sur la corruption en Afghanistan est le décalage qu’il y a entre le discours et les actes. La corruption est de plus en plus reconnue comme le problème

40 Paul D. Miller, “Finish the Job: How the War in Afghanistan Can Be Won,” Foreign

Affairs (janvier/février 2011). 41 Katzman, “Afghanistan: Politics, Elections and Government Performance.” 42 Katzman, “Afghanistan: Politics, Elections and Government Performance.”

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central que connaît l'Afghanistan, avec des conséquences négatives sur le plan de la sécurité, du développement et de la gouvernance. Pour 59 % des Afghans, la corruption et la malhonnêteté des instances publiques sont le premier problème du pays, dépassant même l’insécurité (54 %) et le chômage (52 %). Pour son second mandat, le président Karzaï a placé la lutte contre la corruption au premier rang de ses priorités. Les mesures anticorruption ont occupé une place prédominante lors des conférences de Londres et de Kaboul de 2010. Le président Obama a également fait de cette lutte l'un des principaux axes de son action en Afghanistan. Le sénateur Kerry, président de la Commission des relations extérieures au Sénat des Etats-Unis, a indiqué que pour de nombreux législateurs américains, la corruption et la mauvaise gouvernance sont un problème beaucoup plus grave que l’incapacité à remporter une victoire militaire contre les insurgés43. Le caractère généralisé de la corruption – qui infiltre toutes les couches de la société et du gouvernement afghans – est en soi énorme. On estime que près de 2,5 milliards de dollars de pots-de-vin ont été versés en Afghanistan sur une période d’un an, ce qui représente environ un quart du PIB du pays. La corruption touche l’ensemble de l’élite politique afghane, y compris les responsables du gouvernement et les membres du Parlement : d’après les enquêtes qui ont été menées, les Afghans ont été contraints de verser un dessous-de-table dans 40 % de leurs contacts avec des hauts fonctionnaires44. La corruption est un moteur de l’insurrection, non seulement parce que les ressources financières qui en résultent bénéficient à des individus peu scrupuleux et rémunèrent des groupes de délinquants assurant une mission de protection, mais aussi parce qu’elle porte atteinte à la légitimité de l’administration Karzaï, qui est comparée au régime soi-disant intègre des talibans. D’après les sondages d’opinion, le principal argument invoqué par ceux qui considèrent que le pays s’engage dans la

43 Karen DeYoung and Joshua Partlow, “Congress Growing More Wary about

Corruption in Afghanistan, Sen. Kerry Says,” The Washington Post, 15 août 2010. 44 Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), Corruption in

Afghanistan: Bribery as Reported by Victims, (Kaboul: UNODC, janvier 2010).

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mauvaise direction est celui de la corruption45. Il est clair que, sans des avancées majeures sur ce plan, on ne peut espérer de réussite durable en Afghanistan. On dit souvent que la corruption active et le népotisme sont profondément ancrés dans la société afghane et qu’il est pratiquement impossible d’éradiquer la culture du « bakchich ». En fait, seuls 9 % de la population urbaine ont déjà signalé un fait de corruption aux autorités, alors que les Afghans font l’expérience de la malhonnêteté presque quotidiennement. Cela étant, les récentes enquêtes montrent que l’attitude de la société afghane à l'égard de la corruption est en train de changer, et que les gens attendent du gouvernement qu’il prenne des mesures énergiques pour relever cet immense défi. Les résultats obtenus sont malheureusement peu satisfaisants, en dépit des nombreux projets et initiatives lancés dans ce domaine. Cette absence de progrès s’explique par le fait qu’en plus de mener une politique de lutte contre la corruption, le gouvernement afghan doit penser aux éventuelles conséquences. Le système constitutionnel actuellement en place en Afghanistan, associé à la tradition du tribalisme, implique l’existence d’une structure hiérarchique extrêmement centralisée – tout en étant fragile – où l’autorité centrale s’appuie dans une large mesure sur les hommes forts des régions et est contrainte de tolérer leur corruption en échange de leur loyauté. Les dirigeants régionaux et locaux sont quant à eux nommés directement par le président ; ils ne sont pas responsables devant leurs administrés et se maintiennent au pouvoir grâce à leurs liens avec des personnes affiliées au gouvernement central. Ce système crée des conditions propices à la corruption et rend son éradication très difficile, car le fait de poursuivre des fonctionnaires corrompus peut avoir comme corollaire la perte d'influence sur une région donnée et l'augmentation de l'insécurité.

45 The Asia Foundation, Afghanistan in 2010: A Survey of the Afghan People

(San Francisco: The Asia Foundation, novembre 2010).

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Les institutions afghanes de lutte contre la corruption reçoivent de la communauté internationale du personnel d’encadrement ainsi que des ressources financières et technologiques. Plutôt que d’en créer de nouvelles, il est primordial de renforcer les institutions existantes. Sur le plan politique, la Haute autorité de contrôle de la lutte contre la corruption, créée en 2008, est amplement félicitée pour son audace et son anticipation. Ses réalisations sont notamment les suivantes : simplification de certaines procédures administratives (comme par exemple l’immatriculation de véhicules, qui favorise la corruption) ; mise en place d’une ligne téléphonique gratuite pour signaler des faits de corruption ; demande de mise en œuvre de règles de droit obligeant les hauts fonctionnaires à déclarer leurs revenus et leurs avoirs ; et enfin, organisation de campagnes de sensibilisation à l’intention du grand public46. Sur le plan opérationnel, les institutions de lutte contre la corruption les plus connues sont la Cellule spéciale sur les infractions majeures (MCTF) et l’Unité spéciale d'enquête (SIU), qui disposent de tous les moyens nécessaires pour traiter les affaires de corruption, y compris celles conduisant aux échelons les plus élevés du gouvernement. Formées aux méthodes occidentales et utilisant des technologies de pointe (comme, par exemple, les écoutes téléphoniques), ces deux unités inspirées du FBI enquêtent sur des centaines d'affaires de corruption très médiatisées, et leurs actions ont conduit à l’arrestation de plus d’une cinquantaine de personnes, dont dix étaient de hauts responsables. Le problème est que le zèle des services de lutte contre la corruption a suscité un vif mécontentement chez les responsables politiques du pays, notamment lorsque l'un des bras droits du président Karzaï, Mohammed Zia Salehi, a été arrêté pour corruption passive sur la base des informations recueillies par ces services. Le président est intervenu pour faire libérer son collaborateur, et a accusé la MCTF et la SIU d’enfreindre les lois et la Constitution afghanes et d’être

46 The Asia Foundation, Afghanistan (2011),

http://asiafoundation.org/country/overview/afghanistan.

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instrumentalisées par les puissances étrangères. On a craint que l’administration puisse tout simplement démanteler ces services. Il n’en fut rien, mais l’incident a refroidi les relations entre le président Karzaï et ses homologues occidentaux ; il a également eu un effet négatif sur la coopération, empêchant ainsi les progrès dans le domaine de la lutte contre la corruption. Le climat de tension entre le président afghan et les pays occidentaux est également lié à d'autres allégations de corruption à l’encontre de ses proches – dont son frère Mahmoud Karzaï et son demi-frère Ahmad Wali Karzaï – ainsi que de Mohammad Haseen qui est le frère du premier vice-président Mohammad Quasim Fahim. La communauté internationale doit comprendre le dilemme dans lequel se trouvent les dirigeants afghans et s'abstenir d’acculer le président Karzaï. Elle doit toutefois, parallèlement, continuer à exercer une pression raisonnable sur le gouvernement afghan pour qu’il progresse petit à petit dans le domaine de la lutte contre la corruption en remplaçant progressivement, voire en poursuivant devant la justice, les fonctionnaires corrompus. Le rapporteur ne partage pas le point de vue selon lequel il faudrait se concentrer exclusivement sur la corruption au bas de l’échelle – qui soi-disant dérange le plus la population. Les sondages d’opinion montrent en fait que les Afghans sont plus préoccupés par la corruption qui touche l’ensemble du pays que par celle qui est de faible envergure47. Cela veut donc dire que des poursuites occasionnelles contre de hauts fonctionnaires corrompus enverraient un signal fort à la société afghane. La communauté internationale doit aller encore plus loin dans son assistance à l’Afghanistan, que ce soit dans le renforcement des institutions de lutte contre la corruption, la consolidation du contrôle législatif ou la mise en place de capacités en matière d’enquête, de poursuites judiciaires et de jugement. Elle doit

47 Selon une enquête réalisée par Asia Foundation, la corruption est un problème

majeur : au niveau du voisinage pour 50 % des Afghans ; au niveau des autorités locales pour 56 % de la population ; au niveau du gouvernement de la province pour 65 % des habitants ; et au niveau national pour 76 % de la population afghane.

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également revoir les politiques d'appels d'offres et de sous-traitance de ses projets, car l’argent qui alimente la corruption provient principalement de l’étranger. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a soumis en particulier un certain nombre de propositions concrètes, dont les suivantes :

La probité des fonctionnaires doit être vérifiée à l'aide d'un détecteur de mensonge ;

Des règles obligeant les hauts fonctionnaires et les hommes politiques à faire état de leurs revenus et de leurs avoirs doivent être mises en place ;

Les procédures des administrations et des services publics doivent être encore simplifiées et rendues plus transparentes et plus pratiques ;

Une totale transparence doit être assurée dans les processus d’appels d’offres et d’adjudication ainsi que dans les campagnes politiques ;

Les médias et les organisations de la société civile doivent être encouragés à participer plus activement à la mise au jour des affaires de corruption et à leur prévention ;

Le niveau des traitements des fonctionnaires de l’Etat doit, si possible, être relevé de manière à dissuader la corruption active ;

Le produit des infractions doit être confisqué. Des mesures doivent être prises par la communauté internationale pour que soient mises en application la Convention des Nations unies, ainsi que l'initiative de la Banque mondiale/l'ONUDC pour la restitution des avoirs volés, afin de lutter contre le blanchiment des fonds issus de la corruption dans les banques étrangères.

Le gouvernement afghan serait en train d'élaborer de nouvelles lois sur la vérification des comptes et la lutte contre la corruption. Le rapporteur espère que cela inclura certaines des mesures énoncées ci-dessus. Bien qu’il ne soit pas réaliste

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d’espérer une totale éradication de la corruption dans le pays, la vraie réussite serait de la ramener à un niveau où elle ne permettrait plus de financer l’insurrection.

IV. LA LUTTE CONTRE LA PRODUCTION DE DROGUE ET LES MOYENS DE SUBSISTANCE ALTERNATIFS

Le lien entre la production de stupéfiants et la gouvernance est indéniable : l’augmentation fulgurante de la production de pavot dans la période qui a suivi la chute des talibans en 2001 (multiplication par dix de la production entre 2001 et 2002) a contribué à la création d’une élite régionale riche et puissante qui a pris ses distances par rapport à Kaboul et a refusé de coopérer avec la communauté internationale. En Afghanistan, le trafic de stupéfiants représente près de 30 % du PIB48. En 2010, la surface totale de culture de pavot était la même qu'en 2009, soit 123 000 hectares. La production d'opium a en revanche diminué de 48 % en 2010 en raison d'une maladie de la plante qui s'est propagée dans les principales régions productrices, Helmand et Kandahar. Malgré cette baisse de la production d’opium, le revenu total engrangé par les producteurs est passé de 438 millions de dollars en 2009 à 604 millions en 201049. Selon le directeur exécutif de l’ONUDC en Afghanistan, cela est dû au fait que le prix de l'opium s'est considérablement accru au cours des derniers mois. Cette hausse, associée à la baisse du prix du blé, est dangereuse car elle encourage les fermiers soit à se lancer dans la culture du pavot, soit à accroître leur niveau actuel de production. L’augmentation du prix de l'opium pourrait entraîner une extension de la surface des plantations de pavot en 201150.

48 Caucus du Sénat des Etats-Unis sur le contrôle international des stupéfiants

(International Narcotics Control), U.S. Counternarcotics Strategy in Afghanistan, (Washington, DC: Sénat des Etats-Unis, juillet 2010).

49 UNODC, Afghanistan Opium Survey 2010: Summary Findings (Kaboul: UNODC Country Team, septembre 2010).

50 Pour ce qui est des aspects positifs, l’évaluation rapide publiée par l’ONUDC début 2011 prédit que la culture globale ne va pas s'accroître en 2011 mais peut-être même diminuer, et ce malgré la hausse du prix de l’opium (UNODC, Afghanistan

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Selon l’ONUDC, il faut, pour empêcher ce phénomène, que l’aide internationale soit renforcée et que des moyens de subsistance alternatifs soient proposés. En juin 2009, le représentant spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan et le Pakistan, Richard Holbrooke (décédé depuis lors), a annoncé la « suppression progressive » des mesures d’éradication des plantations de pavot qui faisaient partie de la stratégie américaine de lutte contre les stupéfiants. La raison de cette décision était qu'en éradiquant le seul moyen de subsistance des producteurs de pavot sans le remplacer par une source de revenus licite, on ne faisait qu'inciter ces cultivateurs à se tourner vers les groupes d'insurgés, voire même à les rejoindre. Depuis cette date, l’accent a été mis principalement sur l’offre de cultures alternatives aux fermiers, l’investissement dans le système judiciaire, les campagnes d’information du public et l’aide financière51. Les mesures d'éradication n’ont toutefois pas été complètement abandonnées : bien que la Force d’éradication du pavot, qui dépend d’une unité gérée de façon centralisée, ait arrêté son activité (en partie à cause de l’arrêt du soutien des Etats-Unis), le programme d’éradication dirigé par les gouverneurs est toujours en vigueur. Son efficacité a cependant légèrement diminué ces dernières années en raison de la situation en matière de sécurité dans certaines provinces. Dans l’ensemble, le nombre d’hectares éradiqués en 2010 a chuté de 57 % par rapport à l’année précédente52. Depuis 2008, le programme Food Zone mis sur pied dans la province d’Helmand pour aider les cultivateurs à substituer la production de pavot par des cultures licites, a utilisé une approche plus globale du problème et a bénéficié du soutien de plusieurs ministères afghans. Les cultivateurs ont reçu divers intrants agricoles (notamment des semences de blé et des

Opium Survey 2011: Winter Rapid Assessment All Regions, Phases 1 and 2, (Vienne: UNODC, avril 2011).

51 Caucus du Sénat des Etats-Unis sur le contrôle international des stupéfiants (International Narcotics Control), U.S. Counternarcotics Strategy in Afghanistan

52 Bureau international des stupéfiants et de l’application de la loi (Bureau Of International Narcotics And Law Enforcement Affairs), Département d’Etat des Etats-Unis, 2011 Narcotics Control Strategy Report (Washington, DC: Département d’Etat des Etats-Unis, 3 mars 2011).

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engrais), et une campagne d'éradication ciblée – concernant uniquement ceux qui avaient accès à des moyens de subsistance alternatifs, à des marchés et à une terre agricole fertile – a été lancée. Quelque 50 000 cultivateurs bénéficieront de ce programme en 2011, et près de 150 000 y ont pris part depuis sa mise en œuvre53. Il convient toutefois de préciser que ces programmes ont été mis en place principalement dans le centre d’Helmand, considéré comme l’une des régions les plus sûres de la province. Les cultivateurs installés dans des localités telles que Sangin sont au contraire beaucoup plus difficiles à atteindre54. Le directeur des services de renseignement américains, James Clapper, est en revanche plus sceptique quant à la réussite des programmes visant à mettre en place des moyens de subsistance alternatifs. Selon lui, ces programmes ne réussiront pas en 2011 à décourager vraiment les paysans afghans de cultiver du pavot, car le manque de sécurité empêche leur mise en œuvre efficace55. Le rapporteur est cependant convaincu que les pays participant à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) devraient intensifier leurs efforts dans ce domaine, notamment en fournissant aux Equipes de reconstruction provinciale (PRT) des experts civils en agriculture. Il est par ailleurs important de déployer des efforts dans toutes les régions, plutôt que de se concentrer excessivement sur les régions à problèmes. Il serait également préférable d’accorder la priorité aux projets à long terme axés sur la promotion des changements structurels et les créations d'emplois plutôt qu'aux programmes de "travail contre rémunération" menés sur le court terme. Avant que des moyens de subsistance alternatifs soient disponibles et rentables pour les paysans afghans, des projets de lutte antidrogue originaux

53 L’unité de stabilisation (Stabilisation Unit) du Royaume-Uni, Eighteen Months in

Helmand: Complexities, challenges and (No) Complacency (11 janvier 2011), http://ukun.fco.gov.uk/en/news/?view=News&id=532380882. 54 Charlotte Cross, “Afghanistan’s Opium Trade,” British Forces News, 26 août 2010,

http://bfbs.com/news/afghanistan/afghanistans-opium-trade-38538.html. 55 Anna Mulrine, “Who is Winning Afghanistan War? US Officials Increasingly

Disagree”, The Christian Science Monitor, 16 mars 2011.

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doivent être envisagés à brève échéance. Le projet pilote Poppy for Medicine (P4M) (pavot pour la médecine), dont le but est d’examiner si la production légale de médicaments à base d’opium serait une option réaliste pour l'Afghanistan sur le court terme, en est un exemple. Ce projet devait être mis en place au premier semestre 201156. Il va sans dire, cependant, que la production licite d’opium est un sujet qui doit être traité avec la plus grande prudence afin d’éviter tout abus, en particulier compte tenu du niveau de corruption qui règne en Afghanistan.

V. PROMOUVOIR LA RECONCILIATION ET LA REINTEGRATION

La question de la réconciliation57 et de la réintégration58 revêt manifestement la plus grande importance pour l’ensemble de la mission de stabilisation et de reconstruction en Afghanistan, en particulier lorsqu’il est question de l’amélioration de la situation sécuritaire et de la finalisation de la campagne de lutte contre l’insurrection. Le problème est que le processus de réconciliation et de réintégration a également des conséquences directes sur la gouvernance, puisque son objectif est d’accroître la légitimité du gouvernement afghan et de réunir l’ensemble des groupes ethniques, politiques et idéologiques d’Afghanistan dans un seul cadre politique et constitutionnel. Une fois que ces différents groupes commenceront à utiliser les structures et procédures constitutionnelles existantes plutôt que la lutte armée, la mission internationale en Afghanistan sera quasiment terminée. Pour ce qui est de la réconciliation avec les chefs des insurgés, l’idée générale est globalement bien accueillie. Chacun s’accorde en outre à reconnaître que c’est un processus qui doit être conduit par les Afghans eux-mêmes. En revanche, les avis

56 The International Council on Security and Development (ICOS), Afghanistan

Transition: Dangers of a Summer Drawdown (Londres: ICOS, février 2011). 57 La réconciliation fait référence à l’amorce de dialogue visant à trouver un

arrangement politique entre le gouvernement du président Karzaï et les chefs des insurgés.

58 La réintégration désigne les efforts engagés pour persuader les combattants talibans d’abandonner l’insurrection pour retourner à la vie civile.

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divergent quant aux conditions sur lesquelles il s’appuierait. Le président Karzaï semble être prêt à faire d’importantes concessions en direction des talibans. Dans son discours inaugural de 2009, la réconciliation a été présentée comme l’une de ses grandes priorités. Le président a utilisé publiquement l'expression "chers frères talibans", et exhorté la communauté internationale à retirer de la "liste noire" des Nations unies les noms des grands chefs de l’insurrection. Hamid Karzaï est également favorable à la libération de nombreux insurgés détenus dans des prisons afghanes, et ne manque pas de faire savoir qu’il est déterminé à limiter l’influence étrangère en Afghanistan. Selon les sondages d’opinion, les efforts de réconciliation recueillent un large soutien à l’intérieur du pays : plus de 80 % des Afghans soutiennent les initiatives prises par le gouvernement pour amorcer une réconciliation avec les factions armées rebelles59. Les pays participant à la FIAS ainsi que la plupart des responsables afghans n’appartenant pas à l’ethnie pachtoune sont favorables à la réconciliation mais à plusieurs conditions, dont la plus importante est la volonté des talibans de renoncer à la violence et de respecter les droits humains universels, et en particulier les droits des femmes. Une autre condition est que les groupes d’insurgés rompent leurs liens avec al-Qaïda et prêtent allégeance à la Constitution afghane60. Nombreux sont ceux qui considèrent que la campagne actuelle de lutte contre l’insurrection n'est pas incompatible avec le processus de réconciliation. On pense au contraire que les insurgés, soumis à une pression militaire croissante, seront plus enclins à négocier. Cela étant, à mesure que la campagne militaire tarde à produire des résultats convaincants, signes de sa réussite, le nombre de voix appelant à un dialogue avec les talibans est en augmentation, y compris dans les pays occidentaux. Un rapport récent établi par le Parlement britannique – l’auteur, Richard Ottaway, est président de la Commission des affaires étrangères – indique que les mesures de lutte contre

59 The Asia Foundation, Afghanistan in 2010: A Survey of the Afghan People. 60 Ces conditions doivent cependant être considérées comme un aboutissement et

non comme des préalables à l'amorce des pourparlers.

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l’insurrection mises en place en Afghanistan ne fonctionnent pas, et préconise donc l’invitation des talibans à la table des négociations. Le représentant spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan et le Pakistan, l’ambassadeur Marc Grossman, a reconnu que la réconciliation était une voie d’avenir pour l’Afghanistan. Les tentatives d'entrée en contact avec les talibans ont jusque-là été peu fructueuses, principalement parce que leurs chefs ne consentent à démarrer les discussions qu’après le retrait des forces étrangères d’Afghanistan. Les talibans, ainsi que les groupes d’insurgés tels que Hezb-i-Islami, ont boycotté la Jirga consultative nationale de paix qui avait été convoquée par le président Karzaï du 2 au 4 juin 2010 à Kaboul dans l’intention de réunir les représentants de toutes les régions et de tous les courants de la société afghane. Le Haut Conseil pour la paix (HCP), dirigé par l'ex-président afghan, Burhanuddin Rabbani, a été créé par l’actuel président en octobre 2010 dans le but de légitimer les contacts avec les talibans et de les rendre transparents. Bien que des conseils pour la paix aient été mis en place à l'échelle des provinces dans l'ensemble du pays, ce Haut Conseil tarde à donner des résultats tangibles sur le plan intérieur. L’aspect positif est en revanche que ses efforts menés en matière de relations extérieures ont été couronnés d’un certain succès : le Conseil a en effet conclu un accord avec le Pakistan concernant l'organisation d'une Jirga de la paix conjointe ; par ailleurs, le Représentant permanent de l'Iran auprès des Nations unies, Mohammad Khazaei, s'est félicité de la création de ce Conseil et a indiqué que son pays était prêt à accueillir des réunions rassemblant l’ensemble des groupes politiques afghans. La délégation de l’AP-OTAN qui s’est rendue en Afghanistan en juin 2011 a été informée que le rôle du HPC allait en s’intensifiant, mais que son caractère représentatif était de plus en plus menacé. Certains groupes ethniques et politiques, ainsi que des représentants de la population féminine, craignent que les efforts déployés par le HPC – et parallèlement par le président – n’aboutissent à des concessions excessives en faveur de certains groupes. Cela risquerait en effet de provoquer l’hostilité des autres groupes,

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de menacer le fragile équilibre ethnique et politique de l'Afghanistan, et de restreindre les droits des femmes. S’agissant de la réintégration des insurgés, un ambitieux Programme pour la paix et la réintégration en Afghanistan (APRP) a été lancé en 2010. Ce programme, dirigé par le gouvernement afghan, est financé par la FIAS et d’autres acteurs internationaux. Il part du principe que moins de 20 % des insurgés sont des djihadistes fanatiques, et que les 80 % restants peuvent être réintégrés. Une compensation financière est donc versée aux combattants qui reprennent une vie normale dans leurs villages (le programme offre l’amnistie politique, pas l’impunité). Tant que les besoins financiers, sociaux et sécuritaires de ces combattants sont satisfaits et qu'ils acceptent de respecter les droits humains fondamentaux, leur réintégration est possible. Il faut en retour qu’ils rendent leurs armes et prêtent allégeance à la Constitution afghane. Les groupes d’insurgés ont commencé à adhérer au processus de paix en août 2010. L’APRP est aujourd’hui mis en œuvre dans 16 provinces, et il le sera prochainement dans cinq à huit autres. L’APRP n’est pas la première tentative faite pour ramener les insurgés vers des activités pacifiques : il succède au programme Peace Through Strength, qui n’a pas été très concluant, principalement en raison de son manque de financement et de personnel61. L’APRP est à première vue beaucoup plus prometteur. Tout d’abord, son budget pourrait atteindre plus de 230 millions de dollars selon les promesses de dons de plusieurs pays (notamment le Japon, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et l’Allemagne). D’autre part, il accorde beaucoup plus d'attention aux facteurs culturels et à la spécificité de chaque communauté. Bien qu’il soit encore tout récent, ce programme a obtenu d’assez bons résultats. Selon le général Petraeus, commandant de la FIAS, quelque 700 insurgés ont suivi l’ensemble des procédures prévues par l’APRP et ont été réintégrés, tandis que 2 000 autres environ en sont à des étapes

61 Heinrich Böll Stiftung, Afghanistan: Reconciliation and Reintegration in Loya Paktia

(janvier 2011), http://www.boell.de/worldwide/asia/asia-reconciliation-and-reintegration-in-loya-paktia-10925.html.

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diverses du processus. D’après cette même source, plusieurs milliers de combattants auraient quitté l'insurrection et regagné leurs villages sans participer officiellement au programme62.

Selon l’APRP, à la mi-juin 2011, le gouvernement afghan négociait avec 40 à 50 autres groupes d’insurgés, ce qui représentait environ 2 000 combattants63. Cela étant, un certain nombre de problèmes subsistent : tous les Afghans n’ont pas connaissance du programme et de ses avantages ; souvent, les insurgés ne savent pas quelles sont les personnes à contacter ; la sécurité des combattants réintégrés n’est pas toujours assurée ; enfin, dans certains cas, les combattants n’ont adhéré au programme que par motivation financière et ont ensuite rejoint l’insurrection. Il est extrêmement important, pour que l’initiative de réintégration porte ses fruits, que l’on comprenne la mentalité de la population afghane. Comme nous l'avons noté, l'APRP peut compter sur d’importants moyens budgétaires, mais le fait d’acheter les insurgés – ni plus ni moins – est loin d'être une solution durable. Premièrement, un dispositif de « rémunération en échange de la paix » est quasiment impossible à gérer dans les zones de conflit64. Deuxièmement, les experts comme Waliullah Rahmani, directeur exécutif du Centre d’études stratégiques de Kaboul, prétendent qu’acheter la loyauté des insurgés n’est pas la bonne méthode, car les Pachtounes – en particulier – considèrent comme honteux d’accepter des sommes d’argent. Waliullah Rahmani suggère plutôt de créer un système de prêts à court terme qui aideraient les Afghans à financer leurs projets. Un tel système serait bien accueilli par toutes les communautés65. 62 Général David Petraeus, Discours au Royal United Services Institute (RUSI), Londres

(23 mars 2011). 63 ISAF, Afghanistan Peace and Reintegration Program (juin 2011), http://www.isaf.nato.int/article/focus/afghanistan-peace-and-reconciliation-

program.html. 64 Fabrice Pothier, “Afghanistan: Shifting from a State of War to a Political State,”

dans éd. European Security Forum, Working Paper (The Political Future of Afghanistan), No. 34 (octobre 2010).

65 Rahmani Waliullah, “Afghanistan’s Political-Military Crises and Future Prospects,” dans éd. European Security Forum, Working Paper (The Political Future of Afghanistan), No. 34 (octobre 2010).

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Dans le contexte du présent rapport, il est également important de noter que l’un des principaux obstacles au processus de réconciliation et de réintégration est la fragilité et le manque d’efficacité des administrations afghanes. Des entretiens réalisés en 2010 auprès des habitants de l’une des régions de l'est du pays révèlent que si les institutions publiques demeurent aussi corrompues et impuissantes qu'elles le sont aujourd'hui, aucun insurgé ne voudra s’adresser à elles, et ceux qui seront mis en contact avec elles seront vite incités à rejoindre l’insurrection66.

VI. CONSTRUIRE UNE SOCIETE CIVILE AFGHANE

« Les trois plus grands fléaux qu’ait connus l’Afghanistan au cours de son

histoire sont le communisme, le terrorisme et les ONG. » 67 président Hamid Karzaï

A. Les Organisations de la société civile (OSC)

Bien que l'esprit communautaire afghan ait été mis à mal par des décennies de conflit, la chute du régime des talibans en décembre 2001 a ouvert la voie aux programmes d’aide humanitaire et de développement mis en œuvre par les ONG internationales, ainsi qu'à l’émergence d’une société civile purement afghane68. Les organisations professionnelles, telles que l'Association des avocats afghans, ont été rétablies, tandis que des groupes d’études, associations d’intellectuels et différentes organisations de défense des droits des femmes ont

66 Heinrich Böll Stiftung, Afghanistan: Reconciliation and Reintegration in Loya

Paktia. 67 David Moore, “Civil Society Law Reform in Afghanistan,” The International Journal

of Not-for-Profit Law, vol. 8, no. 1 (novembre 2005). 68 Il n’existait pas jusqu'à présent de définition standard de l’expression « société

civile afghane ». Dans le présent rapport, les OSC désignent toutes les organisations qui constituent cette société civile : ONG afghanes et internationales, médias, organisations de défense des droits humains, sages tribaux, chefs religieux, syndicats, groupements de femmes ou de jeunes, et tout groupe à tonalité sociale, ethnique, religieuse ou artistique.

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commencé à se multiplier69. Selon Elizabeth Winter, qui a réalisé de nombreuses études de terrain sur la société civile afghane, en comparaison avec "[…] des pays similaires, l'Afghanistan compte un grand nombre et une grande variété d'organisations de la société civile qui mènent des actions collectives sur des valeurs et des intérêts communs"70. Il n’en reste pas moins que les relations de la société civile avec les principaux hommes forts de l’Afghanistan sont peu développées. La principale raison en est que les luttes politiques et idéologiques qu’a connues l’Afghanistan pendant des décennies ont politisé le système de l’aide. En raison de leur attitude pendant la guerre civile et la Guerre froide, les ONG sont aujourd’hui considérées par les autorités et la population afghanes comme des agents au service de l'expansionnisme occidental, dont le but est d'exercer une emprise sur la société afghane et de faire échouer les activités du gouvernement71. Les ONG travaillant dans le domaine du développement et de l’aide humanitaire sont probablement les représentantes les plus visibles de la société civile actuelle en Afghanistan. Leurs principales attributions – pour n’en citer que quelques-unes – sont le développement des villes et des villages, la responsabilisation de la société civile, la défense des droits humains, l’assistance aux femmes et la protection de leurs droits, les systèmes de santé et d’éducation, la réintégration des combattants et la formation des fonctionnaires de l’Etat72. De 46 ONG internationales en 1999, leur nombre est passé à près de 2 000 ONG et organismes privés afghans/internationaux en

69 Jude Howell et Jeremy Lind, “Civil Society with Guns is Not Civil Society: Aid,

Security and Civil Society in Afghanistan,” Non-Governmental Public Action Working Paper Series (London School of Economics and Political Science), no. 24 (juillet 2008).

70 Elizabeth Winter, Civil Society Development in Afghanistan (London: London School of Economics and Political Science, juin 2010). (L’étude a été réalisée dans des zones urbaines et rurales : Kaboul, Farza et la région de Ghor.)

71 Šárka Waisová, “Post-war Reconstruction in Afghanistan and the Changing NGO-Government Relationship,” China and Eurasia Forum Quarterly, vol. 6, no. 3 (2008).

72 Šárka Waisová, “Post-war Reconstruction in Afghanistan and the Changing NGO-Government Relationship.”

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200373. Les activités des ONG sont aujourd’hui régies par une loi de 2005 qui, bien qu’ayant profondément modifié le statut de ces organisations, contient encore des dispositions problématiques qui compliquent les relations entre les ONG et les pouvoirs publics. Cette loi interdit par exemple aux ONG de prendre part aux projets de construction, ce qui les empêche d’intervenir sur un certain nombre de projets74. Comme le dénote la citation du président Karzaï reproduite plus haut, les organisations de la société civile – et plus particulièrement les ONG – opèrent en Afghanistan dans un climat de grande méfiance et de grande suspicion. Selon Human Rights Watch, "menaces, violence et intimidation sont régulièrement utilisées pour museler […] les militants de la société civile, en particulier ceux qui s'expriment ouvertement sur l'impunité, les crimes de guerre, les responsables du gouvernement ou les personnalités influentes au niveau local". La réaction en demi-teinte du gouvernement à l’égard de certaines attaques violentes perpétrées contre le personnel des ONG ne fait qu’exacerber la tension des relations. Les représentants de l’Etat considèrent les ONG d’un mauvais œil, critiquant leurs rémunérations soi-disant élevées et le fait qu'elles attirent vers elles le personnel des administrations publiques ; le gouvernement les a d’ailleurs accusées de "[…] corruption, grand train de vie, conduite immorale et soumission aux intérêts étrangers"75. Il n’empêche que certains de leurs militants ont fini par intégrer le gouvernement ou un ministère, ce qui signifie que les représentants des OSC peuvent quand même compter sur un minimum de coopération de la part des dirigeants76. Depuis l’instauration du volet civil en Afghanistan à la fin 2009, la FIAS s’est tournée vers les OSC afghanes pour conquérir "le cœur et l’esprit" des Afghans. En acceptant de coopérer, les

73 Howell et Lind, “Civil Society with Guns is Not Civil Society: Aid, Security and Civil

Society in Afghanistan.” 74 Moore, “Civil Society Law Reform in Afghanistan.” 75 Howell et Lind, “Civil Society with Guns is Not Civil Society: Aid, Security and Civil

Society in Afghanistan.” 76 Winter, Civil Society Development in Afghanistan.

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OSC afghanes et étrangères se sont mises elles-mêmes dans une situation difficile77. Elles se sont pour l’essentiel alliées avec des partenaires – le gouvernement et la FIAS – qui sont perçus par une grande partie de l'opinion publique comme illégitimes et responsables des pertes civiles. Les OSC ont le sentiment qu’en se dissociant de la FIAS et des forces de sécurité afghanes, elles pourraient agir plus librement et entrer en contact avec des Afghans de tous bords, mener des projets en fonction des besoins humanitaires et non des objectifs à court terme des militaires et des hommes politiques, et protéger les civils contre les attaques des groupes d'opposition. Un groupe de contact entre la société civile et les militaires a été créé, avec pour tâche de renforcer la coopération entre la FIAS et les responsables de plusieurs ONG (principalement) internationales ; ce groupe organise d’ailleurs régulièrement des réunions avec le commandant adjoint de la FIAS. L’objectif prioritaire de ce groupe est aujourd’hui de mettre fin à la violence qui a pénétré l’espace humanitaire78. Une meilleure coordination entre les militaires et les OSC/les civils est donc nécessaire pour garantir le succès des deux volets (civil/militaire) de la mission en Afghanistan79. Les organisations humanitaires internationales injectent des sommes d’argent non négligeables dans la société civile afghane. Le principal bailleur de fonds étranger œuvrant pour renforcer ce secteur est l’USAID, qui a mobilisé 15 millions de dollars dans son programme Counterpart International créé en 2006. L’objectif de cette démarche est de promouvoir et de mettre en place une société civile démocratique là où "[…] des citoyens créent volontairement des associations pour répondre à leurs besoins divers"80. S’appuyant sur le programme de 2006, 77 Howell et Lind, “Civil Society with Guns is Not Civil Society: Aid, Security and Civil

Society in Afghanistan.” 78 Sippi Azarbaijani-Moghaddam, Mirwais Wardak, Idrees Zaman and Annabel Taylor,

Afghan Hearts, Afghan Minds: Exploring Afghan Perceptions of Civil-Military Relations (Londres: European Network of NGOs in Afghanistan (ENNA) et le British and Irish Agencies Afghanistan Group (BAAG), 2008).

79 Spiegel Online International, “A New Look at Afghanistan: 'Civil Society is Very Much Alive',” Spiegel Online International, 1er janvier 2010 (entretien en ligne avec le spécialiste de l’Afghanistan Almut Wieland-Karimi).

80 Howell et Lind, “Civil Society with Guns is Not Civil Society: Aid, Security and Civil Society in Afghanistan.”

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l’USAID a lancé en décembre 2010 une autre initiative sur le thème de la construction d’une société civile en Afghanistan, qui financera les OSC afghanes jusqu’en août 2013. Les relations entre les OSC afghanes et les bailleurs de fonds étrangers ne sont cependant pas épargnées par les critiques. Selon Mary Kaldor, professeur à la London School of Economics (LSE), la communauté internationale n’a pas réussi à se rapprocher de la société civile afghane ni à créer un espace pour que les représentants de cette dernière puissent prendre part au débat public. Les conférences internationales sur l’Afghanistan n’ont pas permis aux représentants des OSC compétentes de participer aux débats de fond sur les questions touchant à leurs conditions de vie et de travail81. Cet avis est également partagé par les représentants des OSC afghanes, qui déplorent que peu de bailleurs de fonds consultent la société civile pour savoir quels secteurs de la vie des citoyens devraient être ciblés par leurs programmes d'aide. Selon certains analystes, la dépendance à l’égard des sources de financement étrangères a créé en Afghanistan "une société civile aux allures de rentière", qui lutte pour conserver son indépendance et définir ses propres priorités, objectifs et attributions82. Des signes d’évolution positive ont toutefois été relevés à cet égard : les femmes se font de plus en plus entendre pour la défense de leurs droits ; elles ont également participé à des réunions à Kaboul ainsi qu’à des conférences de la Commission européenne et de l’European Network for NGOs in Afghanistan (réseau européen d’ONG en Afghanistan) en Europe. Il est indispensable, pour se rendre compte de l’ampleur de la société civile en Afghanistan, de créer une base de données répertoriant l’ensemble des OSC afghanes en activité. Des consignes plus claires devraient également être mises au point à l'intention des bailleurs de fonds ainsi que des bénéficiaires de

81 London School of Economics and Political Science, Afghanistan Civil Society

Meeting at LSE Leads to Criticism of Conference (janvier 2010), http://www2.lse.ac.uk/newsAndMedia/news/archives/2010/01/Afghanistan%20c

onference.aspx. 82 Howell et Lind, “Civil Society with Guns is Not Civil Society: Aid, Security and Civil

Society in Afghanistan.”

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l'aide83. Les OSC devraient s’engager activement dans l'amélioration de la gouvernance afghane et, plus précisément, dans la réforme électorale qui semble inévitable. Elles devraient également être encouragées à jouer un rôle actif dans les missions d’observation des élections.

B. Les médias

Depuis la reprise des radio/télédiffusions à Kaboul en novembre 2001, le paysage médiatique afghan s’est considérablement étendu. Alors que le pays comptait en 2002 une seule station de radio privée, on y dénombre aujourd'hui plus de 75 chaînes de télévision, 175 stations de radio FM et 800 publications pour informer la population afghane. Le taux de pénétration du téléphone est de 61 % avec quatre opérateurs de téléphonie mobile, et des réseaux Internet de fibre optique sont en cours de construction. L’Afghanistan a connu jusque-là quatre lois sur les médias, dont l'objectif était de libéraliser le secteur84. La plus récente (septembre 2008) accordait une certaine indépendance aux médias publics, ce qui ne l’a pas empêchée d’être critiquée pour les différentes restrictions qu’elle instaurait comme, par exemple, l'obligation pour les nouveaux médias écrits et électroniques d'être approuvés par le gouvernement85. Dans un récent rapport, le Département d’Etat des Etats-Unis a établi la synthèse des données recueillies par les différentes organisations effectuant un travail d’observation sur la situation des médias dans le pays ; sa conclusion est qu'en dépit des nombreux obstacles, "les médias indépendants ont continué à se développer en Afghanistan et sont devenus de plus en plus complexes"86. Selon le rapport 2009 sur l’Afghanistan de Freedom House, les représentants du secteur des médias afghans ont fait l’objet de

83 Winter, Civil Society Development in Afghanistan. 84 USAID/Altai Consulting, Afghan Media in 2010: Synthesis Report (Washington, DC:

13 octobre 2010). 85 Katzman, “Afghanistan: Politics, Elections and Government Performance.” 86 Bureau pour la démocratie, les droits de la personne et le travail (Bureau of

Democracy, Human Rights, and Labor), Département d’Etat des Etats-Unis, 2010 Human Rights Report: Afghanistan (Washington, DC: Département d’Etat des Etats-Unis, 8 avril 2011).

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menaces accrues telles que des attaques physiques et des actes d'intimidation. Certains médias indépendants ont été critiqués par des religieux conservateurs pour leurs émissions "irrespectueuses de l’islam et des valeurs nationales", ou condamnés par une amende pour les mêmes raisons par les autorités. D’après le rapport complet de l’USAID sur les médias, "[…] la pression, l’autocensure et l’insécurité sont le lot quotidien du monde des médias". La notion de "média indépendant" est également remise en question du fait que la plupart des médias sont financés par des partis politiques, des groupes ethniques, l'armée, des pays voisins ou des bailleurs de fonds internationaux. En juillet 2010, le gouvernement a même fermé une chaîne de télévision privée sous prétexte qu’elle menaçait l’unité nationale. En ce qui concerne le manque d’objectivité médiatique, les médias publics se sont vus reprocher d’avoir fourni des informations erronées sur les nouveaux partis politiques de l’opposition, ce qui ne fait qu’aggraver la confusion qui règne déjà dans le pays sur le plan politique. Les médias gouvernementaux et les correspondants internationaux ont en outre une plus grande facilité d’accès aux différentes régions et situations (couvrant ainsi les questions de sécurité, les talibans) que les journalistes locaux87. Les médias et les journalistes ont clairement été exclus du débat civilo-militaire sur la méthode à adopter pour gagner "le cœur et l'esprit" des Afghans, mais leur aveu est qu’ils n’y participeraient probablement pas même s'ils y étaient invités, par peur des représailles88. Le conservatisme des mœurs aidant, le nombre de femmes journalistes est toujours insignifiant89.

87 Cillian Donnelly, “Afghan Media Growing in Difficult Conditions,” New Europe

Online, 31 octobre 2010, https://www.neurope.eu/article/afghan-media-growing-difficult-conditions.

88 Azarbaijani-Moghaddam, Wardak, Zaman and Taylor, Afghan Hearts, Afghan Minds: Exploring Afghan Perceptions of Civil-Military Relations.

89 Bureau pour la démocratie, les droits de la personne et le travail (Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor), Département d’Etat des Etats-Unis, 2010 Human Rights Report: Afghanistan.

56

C. Les politiques en matière d'éducation et d'alphabétisation

Le rapporteur estime que les politiques en matière d’éducation et d’alphabétisation représentent une part importante de l’effort global visant à faire de l’Afghanistan un Etat dynamique et efficace. Les progrès dans ce domaine sont une condition essentielle pour permettre l’émergence d’une société responsable et d’une bureaucratie performante. Après la chute du régime des talibans, l’éducation est devenue la première priorité du gouvernement afghan, ainsi que des bailleurs de fonds étrangers qui ont, depuis lors, injecté près de 1,9 milliards de dollars dans le système éducatif afghan. En 2002, la campagne Back to School, menée conjointement par le gouvernement afghan et les Nations unies, a été lancée dans le but d’accroître la scolarisation des enfants, en particulier dans l’enseignement primaire. Le nombre d’inscriptions d’enfants afghans a ainsi considérablement augmenté, atteignant le chiffre de 6,7 millions en 2009, contre près de 900 000 en 2000. Le cas des filles a été encore plus spectaculaire puisque leur nombre est passé de 5 000 avant 2001 à 2,4 millions aujourd’hui. Au cours des deux dernières années seulement, 2 281 écoles ont été construites à travers le pays90. Le nombre d’universités a lui aussi augmenté, passant de une avant 2001 à dix aujourd’hui dans l'ensemble du pays91. Pour autant, selon un récent rapport rédigé par plusieurs ONG (datant de février 2011), les efforts pour développer l’enseignement en Afghanistan ont commencé à s’essouffler en 2006 sous l’effet de la pauvreté, de l’insécurité croissante, du manque d’investissement dans l’infrastructure et de la formation insuffisante du personnel. Malgré l’amélioration impressionnante attestée par les chiffres ci-dessus, il existe un écart important entre les effectifs inscrits et le nombre d’élèves

90 All Afghan Women Union et al., “High Stakes: Girls’ Education in Afghanistan,”

Joint NGO Briefing Paper (février 2011); Annie Kelly, “Afghan Girls' Education Backsliding as Donors Shift Focus to Withdrawal,” The Guardian, 24 février 2011.

91 John Lyman, “Education in Afghanistan,” Foreign Policy Digest, 1er mai 2009, http://www.foreignpolicydigest.org/2009/05/01/education-in-afghanistan/.

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se rendant effectivement en classe. Pour ce qui est des filles, dont la question de la scolarisation était le sujet principal du rapport, leur fréquentation scolaire est nettement plus faible que les effectifs dont il est fait état (2,4 millions). Pour la seule année 2009, près de 22 % (soit quelque 446 682 élèves) des filles scolarisées étaient absentes de manière prolongée92. Globalement, 7 millions d’enfants afghans ne vont toujours pas à l'école, et dans certaines zones rurales, pas moins de 92 % des filles n’ont pas accès à l’éducation. Les restrictions imposées aux femmes – un héritage des traditions socioculturelles et de la religion – n’ont pas encore été abolies (voir le tableau ci-après) et se sont traduites par un faible taux de scolarisation des filles93. Notons que la politique des talibans à l’égard de l’éducation des filles a récemment évolué. Un « revirement culturel » a été opéré, et les talibans auraient décidé de ne plus s’opposer à la scolarisation des filles94. Il faudra cependant beaucoup plus qu'une décision des chefs des talibans pour contrebalancer le déséquilibre entre les sexes, dont l’existence et l’ancrage dans les mœurs du pays remontent à plusieurs décennies.

92 Kelly, “Afghan Girls' Education Backsliding as Donors Shift Focus to Withdrawal.” 93 Global Campaign for Education, Back to School? The Worst Places in the World to

be a School Child in 2010, (Saxonwold, South Africa: Global Campaign for Education, 2010); et le Programme alimentaire mondial (PAM), Education (2011), http://foodsecurityatlas.org/afg/country/socioeconomic-profile/copy_of_introduction.

94 AFP, “Taliban 'to Allow Girls Education',” AFP, 14 janvier 2011.

58

TABLEAU – LES PRINCIPAUX OBSTACLES A L’EDUCATION DES FILLES

Source : High Stakes: Girls’ Education in Afghanistan, Joint NGO Briefing

Paper, février 201195

.

Concernant les universités, le principal problème dont souffre le pays est vraisemblablement la grave insuffisance des moyens de financement. Les universités sont donc incapables de former un nombre suffisant de fonctionnaires qualifiés. Les établissements d’enseignement supérieur afghans ont besoin d'environ 35 millions de dollars par an, et l’USAID est déterminée à leur apporter une aide substantielle en demandant que 20 millions de dollars y soient affectés en 2012 sur le budget national des Etats-Unis96.

95 Légende (de gauche à droite) : Pauvreté, Mariage précoce et/ou forcé, Insécurité,

Absence de soutien familial, Absence de femmes enseignantes, Distance entre le domicile et l’école, Mauvaise qualité de l’enseignement, Absence d’écoles réservées aux filles, Harcèlement, Absence de soutien de la collectivité (All Afghan Women Union et al., “High Stakes: Girls’ Education in Afghanistan.”).

96 Katzman, “Afghanistan: Politics, Elections and Government Performance.”

59

Selon l’UNICEF, le taux d’alphabétisation des jeunes (15 - 24 ans) en Afghanistan s’inscrit parmi les plus bas d’Asie, avec 50 % chez les garçons et seulement 18 % chez les filles. Pour résoudre ce problème, le ministère afghan de l’Education a lancé un vaste programme d’alphabétisation destiné aux personnes (âgées de 15 à 45 ans) qui n’avaient jusque-là pas eu accès à l’éducation. De 2002 à 2007, ce programme a appris à lire et à écrire à un nombre d’Afghans compris entre 300 000 et 400 000 par an, en faisant appel à quelque 400 enseignants. L’analphabétisme est toutefois un problème majeur lorsqu’il s’agit des membres de la police et de l’armée afghanes, qui seront chargés d'assurer la sécurité du pays à partir de 2014. Avant que la mission OTAN de formation en Afghanistan (NTM-A) ne lance son programme d’alphabétisation, seuls 14 % des forces de sécurité afghanes savaient lire et écrire. Depuis octobre 2009, la NTM-A a dispensé un enseignement à plus de 28 000 soldats et policiers, et près de 34 000 autres sont actuellement en formation. Malgré ces gros progrès, l’OTAN reconnaît elle-même que son programme présente d’importantes lacunes. Les principales raisons sont le manque d'enseignants instruits et qualifiés, ainsi que la sécurité insuffisante apportée aux formateurs97. Ces derniers se plaignent également que les sessions d'alphabétisation de six semaines sont trop courtes. Aussi, à partir de juillet 2011, les cours dispensés par la mission OTAN à la police afghane comprendront deux semaines supplémentaires98. Les établissements scolaires sont eux aussi devenus une cible de l’action à grande échelle des insurgés. Selon les statistiques de l'UNICEF, entre 2007 et la mi-2009, près de 697 incidents (incendies criminels, attaques à main armée ou attentats à l’explosif) ont eu lieu à travers le pays, tuant et blessant des centaines d'élèves et d'enseignants. Malgré la fréquence des attaques et les mises en garde des ONG, plus de 2 700 bureaux

97 Lt. Gen. William B. Caldwell, IV with Capt. Nathan K. Finney, Security, Capacity, and

Literacy, Military Review (janvier-février 2011). 98 Amie Ferris-Rotman, “NATO Beefs Up Afghan Police Training as 2014 Looms,”

Reuters, 22 mai 2011.

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de vote ont été installés dans des établissements scolaires lors de l’élection présidentielle de 2009. Le jour du scrutin, au moins 26 attaques ont été perpétrées dans les bureaux en question. Des écoles ont également été attaquées par des groupes d’opposition pour avoir exposé des affiches du président Karzaï ou des slogans progouvernementaux. Toutes ces pratiques doivent être stoppées si l'on veut que les écoles afghanes soient considérées comme des lieux d’apprentissage et non comme des instruments progouvernementaux99. L'augmentation des inscriptions mise à part, l'autre défi qui devra être relevé par les établissements scolaires et les autorités de l’éducation afghans concerne la qualité de l’enseignement. Les programmes scolaires demeurent extrêmement partiaux, opposant par exemple les sunnites aux musulmans chiites. De surcroît, les manuels scolaires, rédigés en pachtoune et en dari, ne reflètent pas la grande diversité culturelle de la population afghane100.

VII. CONCLUSIONS

Dans l’immédiat, la priorité du gouvernement national afghan et de la communauté internationale doit être d'asseoir une gouvernance locale et nationale en Afghanistan, en faisant en sorte d’y consacrer des ressources suffisantes. Sur les trois piliers de la mission de reconstruction et de stabilisation en Afghanistan (sécurité, développement et gouvernance), celui de la gouvernance ne bénéficie encore que de trop peu d'attention, en dépit des quelques progrès enregistrés ces dernières années. Le rapporteur préconise une approche plus équilibrée, où la gouvernance aurait le même degré d’importance que les deux autres piliers. Jusque-là, on avait tendance à penser que la sécurité était la principale condition préalable à une bonne gouvernance. Or, l'inverse est également vrai.

99 Ajmal Samadi, “Education Policy Today Will Determine What Afghanistan is in

2020,” Radio Free Europe/Radio Liberty, 31 août 2009. 100 Morten Sigsgaard, Education and Fragility in Afghanistan: A Situational Analysis

[Paris: Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO)/Institut International de Planification de l’Education (IIEP), 2009].

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Certains experts suggèrent d’abandonner l’idée de mettre en œuvre un modèle de gouvernance laïque et constitutionnel à l’occidental, et de confier le pouvoir politique au système des jirgas, les responsabilités en matière de sécurité aux seigneurs de la guerre, et le pouvoir judiciaire aux anciens et aux chouras. Toutefois, bien qu’il convienne de faire preuve de prudence et de souplesse sur le plan tactique, le modèle constitutionnel/laïque doit rester l'objectif final. Les "printemps arabes" montrent qu’aucune nation ne doit a priori être considérée comme non préparée pour la démocratie. Jusque-là, toutes les expériences réussies de gouvernance en Afghanistan (par exemple celle du gouverneur de la province d'Helmand, Ghulab Mangal, ou du ministre de l’Agriculture, Asif Rahimi) ont reposé dans une large mesure sur l'intégrité et l’efficacité d’individus en chair et en os. Cela étant, pour garantir la durabilité de la bonne gouvernance, la communauté internationale et le gouvernement afghan doivent adopter une approche plus globale et mettre en place un système qui autorise la participation d’une société civile dynamique, qui libère les initiatives partant de la base, encourage l’ouverture et la transparence, favorise l'alphabétisation et l'éducation pour tous, garantisse l'équilibre entre les différentes branches du gouvernement et assure un financement suffisant. En ce qui concerne les domaines d’action plus spécifiques, le Rapporteur souhaiterait mettre en avant les propositions suivantes :

La communauté internationale et les organes interparlementaires en particulier doivent fournir assistance et conseils au nouveau Parlement afghan, de sorte qu’il joue un rôle indépendant mais constructif au sein du système politique afghan ;

Des efforts soutenus doivent être consentis pour décourager les dirigeants afghans de mettre en place des institutions ambiguës telles que le tribunal électoral spécial,

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qui menacent l'autorité des organes électoraux indépendants ainsi que l'indépendance du Parlement ;

Le système du vote unique non transférable doit être remplacé par un dispositif favorisant le pluralisme politique ;

Le gouvernement doit supprimer les critères imposés pour l’enregistrement des partis politiques et participer au financement des activités légitimes de ces partis, afin de réduire la corruption ;

Des efforts redoublés doivent être déployés pour régler les problèmes qui empêchent l'organisation d'élections aux niveaux local et municipal, afin que ces scrutins aient lieu le plus tôt possible ;

Les autorités locales et régionales doivent progressivement acquérir plus de responsabilités, en particulier sur le plan des ressources financières, et faire reposer leur légitimité plus sur les administrés que sur le gouvernement central ;

Le système judiciaire doit progressivement – mais résolument – évoluer d’un modèle « traditionnel » vers un modèle constitutionnel ;

Les programmes de formation à l’intention des fonctionnaires doivent bénéficier d’une attention et d'un financement accrus ;

Les institutions de lutte contre la corruption faisant preuve d’audace et d’anticipation doivent être protégées de la pression politique ;

Pour porter leurs fruits, les politiques de lutte contre la drogue doivent inclure à la fois des opérations de saisie d’opium, des interventions d’éradication ciblées, la mise en place de moyens de subsistance alternatifs et l’amélioration de la sécurité. La préférence doit plutôt être accordée aux projets à long terme de promotion des changements structurels et de création d’emplois plutôt qu'aux programmes de "travail contre rémunération" menés sur le court terme ;

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La réconciliation et la réintégration doivent certes être encouragées, mais pas au détriment des droits et des valeurs universels ;

Les organisations de la société civile doivent être épaulées afin de pouvoir prendre progressivement leur indépendance par rapport aux acteurs étrangers. Elles doivent également jouer un plus grand rôle dans l’amélioration de la gouvernance en Afghanistan ;

Les programmes d’éducation et d’alphabétisation doivent bénéficier d’un soutien accru de la part de la communauté internationale, notamment par le renforcement du volet éducatif de la mission de formation des forces de sécurité afghanes.

Nous devons nous rendre à l'évidence : la pacification de l'Afghanistan sera un processus très long qui nécessite de la patience et un engagement à long terme pour créer de façon viable et durable une situation de stabilité. La gouvernance doit être considérée comme faisant partie de la "transformation" de l’Afghanistan, et non de l’étape de "transition" – dont l’échéance est fixée à 2014. Plutôt que des mesures de rafistolage à court terme, c’est une stratégie complexe et de longue durée qu'il convient de concevoir et de mettre en œuvre pour améliorer tous les niveaux de gouvernance en Afghanistan. Comme l’indique ce rapport, le soutien et la responsabilisation des organisations de la société civile locales sont essentiels pour que la gouvernance afghane puisse fonctionner. Ces politiques devront être appliquées et évaluées en permanence bien après l'échéance de 2014. L’Assemblée parlementaire de l’OTAN doit poursuivre son travail de dialogue et d’assistance auprès des parlementaires afghans, en utilisant au mieux les mécanismes de coopération interparlementaire existants. L’Assemblée doit également prendre une part active dans le débat sur l'élaboration du cadre qui sera utilisé sur le long terme pour définir la transformation de l’Afghanistan et le rôle de l’OTAN après 2014.

65

TRANSITION EN AFGHANISTAN :

BILAN DE L’EFFORT DE MAINTIEN DE LA SECURITE

Rapport général

par

Sven MIKSER (Estonie)

(2010 - ) Rapporteur général de la Commission de la défense et de la sécurité

(2008 - 2010) Vice-président de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN Chef adjoint de la délégation de l'Estonie auprès de l'AP-OTAN

Ce rapport a été élaboré pour la Commission de la défense et de la sécurité en

septembre 2011 et adopté à la Session annuelle de l’AP-OTAN à Bucarest, Roumanie en octobre 2011.

66

67

TABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION 69 II. EVALUATION DE LA CAMPAGNE : RESSOURCES ET

STRATEGIE 72 III. BILAN ET EVALUATION DES PROGRES ACCOMPLIS AU

NIVEAU REGIONAL 76 IV. BILAN GENERAL DE LA CAMPAGNE 87 V. LA MISSION OTAN DE FORMATION EN AFGHANISTAN88 VI. L’INITIATIVE DE POLICE LOCALE AFGHANE 94 VII. LE CIBLAGE DES CHEFS ENNEMIS 95 VIII. LE ROLE DES ENTREPRISES DE SECURITE PRIVEES 100 IX. LES ACTIONS DE LUTTE ANTIDROGUE 102 X. CONCLUSIONS 104

68

69

I. INTRODUCTION

Lors du Sommet de Lisbonne de novembre 2010, les Etats membres de l’OTAN ont clairement réaffirmé leur engagement à long terme à l’égard de la création en Afghanistan d’un Etat souverain, indépendant, démocratique, sûr et stable. Ils ont également pris un engagement à l’égard de la population afghane et promis que l’Afghanistan ne serait plus jamais un refuge pour les terroristes et le terrorisme. La déclaration du Sommet de Lisbonne rappelle que la mission de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) dirigée par l’OTAN sous mandat des Nations unies demeure "la priorité essentielle de l’Alliance", et salue les progrès importants qui ont été accomplis jusque-là. Sur le plan stratégique, cette déclaration établit un lien entre la sécurité future de l’Alliance et la sécurité future de l’Afghanistan en indiquant que "la sécurité de l'Afghanistan est directement liée à notre propre sécurité". Elle salue en outre les contributions accrues et précieuses des partenaires de l’OTAN au sein de la FIAS1. La mission de la FIAS est entrée dans une nouvelle phase de transition (ou Inteqal en langue dari). Dans le contexte de la souveraineté de l’Afghanistan, l’objectif du cadre de transition est de "renforcer la responsabilité et l’autorité de l’Afghanistan dans toutes les fonctions de l’Etat et sur tout le territoire afghan"2. Ce processus de transition a déjà permis en 2011 de confier aux Afghans l'entière responsabilité et initiative de la sécurité dans sept provinces et districts, ce qui représente 21 % de la population afghane3. Les hauts responsables de l’OTAN ont été clairs sur le fait que la transition aura lieu non pas selon une date butoir ou un calendrier politique, mais en fonction de la situation sur le

1 OTAN, Déclaration du Sommet de Lisbonne (20 novembre 2010), communiqué de

presse, PR/CP(2010)0155. 2 Le gouvernement de la République islamique d’Afghanistan et les participants,

Communiqué de la conférence internationale de Kaboul sur l’Afghanistan (20 juillet 2010).

3 ISAF Strategic Transitions and Assessment Group, Situational Awareness Brief on Transition, visite de l’AP-OTAN en Afghanistan, 8 juin 2011.

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terrain, après évaluation et décision conjointes des autorités afghanes et de l'OTAN/la FIAS. Les Etats membres ont exprimé le souhait que les forces afghanes prennent la responsabilité principale de la sécurité dans l’ensemble du pays d’ici à la fin 2014. Après la transition, il est prévu que les forces de l’OTAN continuent d’assurer un rôle de soutien4. L’élimination du chef d’al-Qaida, Oussama Ben Laden, a obligé un grand nombre des pays de l'OTAN à réévaluer le délai dans lequel ils pourraient et devraient se retirer d'Afghanistan. L’allocution prononcée en juin 2011 par le président des Etats-Unis, Barack Obama, – dans laquelle il annonce le retrait progressif des troupes américaines, dont les effectifs avaient été préalablement renforcés – a recentré le débat sur la stratégie de la transition et sur la question de la capacité des Afghans à assurer eux-mêmes leur sécurité et la gouvernance de leur pays à l'horizon de 2014. Elle a également incité d'autres Etats membres de l'OTAN à annoncer la date de leur propre retrait/la fin de leur propre mission de combat. Il convient de préciser qu'en dehors de ses répercussions stratégiques et politiques, la mort de Ben Laden a eu peu d’incidence sur les opérations menées au jour le jour en Afghanistan. Ce débat survient par ailleurs dans le contexte de l’insécurité croissante en Afghanistan : l’année 2010 a été la plus meurtrière pour la population afghane et pour le personnel de l’OTAN, et c’est au cours des six premiers mois de 2011 que l’on a enregistré le plus de victimes civiles depuis le début du conflit5. Les données recueillies récemment par le Bureau de sécurité des ONG en Afghanistan (ANSO) indiquent qu’entre janvier et mars 2011, le nombre d’attaques commises par les insurgés a été de 51 % supérieur à celui de l’année précédente. L’augmentation du nombre d’attaques d’une campagne à l’autre est également plus élevée qu'en 2010 à la même période. En mars 2011, 1 102 attaques ont été comptabilisées, ce qui

4 OTAN, “L’OTAN et l’Afghanistan lancent la transition et amorcent un partenariat à

long terme,” Nouvelles de l’OTAN, 20 novembre 2010, http://www.nato.int/cps/fr/SID-6CF47ADF-04483055/natolive/news_68728.htm. 5 BBC, “Afghanistan: ‘Deadliest Six Months’ for Civilians,” BBC News, 14 juillet 2011,

http://www.bbc.co.uk/news/world-south-asia-14149692.

71

équivaut à 35 par jour en moyenne, un record dépassant celui enregistré en août 2009 aux alentours de l'élection présidentielle6. Par ailleurs, le fait que les insurgés prennent pour cibles des personnalités afghanes de renom engagées dans le processus de transition est un autre gros problème. Compte tenu de ces éléments, le présent rapport, élaboré pour la Commission de la défense et de la sécurité de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, est sensiblement différent de la précédente version présentée en mai à la Commission. Son but est d’évaluer – dans la mesure du possible compte tenu des ressources disponibles – l’évolution de la situation sécuritaire en Afghanistan. Son champ d’observation est volontairement limité car les autres commissions de l’Assemblée abordent dans leurs rapports d'autres aspects essentiels tels que la gestion des affaires publiques, le développement et le rôle des pays voisins. Ce rapport abordera les questions qui ont le plus clairement trait à la sécurité. Par conséquent, les aspects de la stratégie de la FIAS qui seront examinés sont les suivants : les opérations militaires en cours ainsi que leur impact sur l’ennemi et l'établissement de zones de stabilité ; les efforts visant à poursuivre le perfectionnement des forces de sécurité nationales afghanes (ANSF) – principalement par l’intermédiaire de la mission OTAN de formation en Afghanistan (NTM-A) –, ainsi qu’à mettre en place des forces de sécurité locales ; la controverse actuelle sur le rôle des entreprises de sécurité privées ; et enfin, les initiatives axées sur la lutte antidrogue.

Il convient de préciser dès le départ un point essentiel : les effets des renforts militaires qui ont été envoyés en Afghanistan entre décembre 2009 et novembre 2010 sont encore incertains. Bien que la situation sécuritaire se soit nettement et indubitablement améliorée dans le sud et le sud-ouest du pays, et malgré les progrès impressionnants des forces de sécurité afghanes, l'insécurité est suffisamment persistante pour en

6 The Afghanistan NGO Safety Office, ANSO Quarterly Data Report Q1. 2011

(Kaboul: The Afghanistan NGO Safety Office, 2011), p.8.

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conclure qu'un effort soutenu demeurera nécessaire si l’on veut consolider les acquis. Pour résumer, les avancées obtenues laborieusement par les forces internationales au nom du peuple afghan et de nos propres populations sont certes réelles, mais fragiles.

II. EVALUATION DE LA CAMPAGNE : RESSOURCES ET STRATEGIE

En 2010-2011, la campagne en Afghanistan a surtout été menée selon une stratégie de lutte anti-insurrectionnelle (COIN). Aidées par un renfort de plus de 30 000 hommes – dont les derniers sont arrivés en novembre 2010 –, la FIAS et les ANSF ont lancé des opérations de combat pour nettoyer et prendre le contrôle de nouvelles zones à travers le pays. Comme l’avaient prévu les planificateurs militaires7, une poussée de violence liée en grande partie à ces opérations a éclaté en 2010 du fait que les forces internationales – en nombre plus important – investissaient de nouvelles zones et entraient donc plus fréquemment en contact direct avec les insurgés8. Les grandes lignes du plan stratégique de ces opérations sont présentées ci-dessous. Les paragraphes suivants fournissent un aperçu des endroits où ont eu lieu les principales opérations de la FIAS/des ANSF, ainsi qu’une évaluation de la situation sécuritaire actuelle dans ces zones. La campagne de la FIAS vise trois grands objectifs9 :

Parvenir à l’aboutissement de la mission en protégeant la population dans les zones densément peuplées où les insurgés ont eu une grande influence ;

7 Channel Four News, “Petraeus: No Change in Afghan Strategy,” Channel Four

News, 2 juillet 2010, http://www.channel4.com/news/articles/world/asia_pacific/briton%2Bkilled%2Bi

n%2Bafghan%2Bsuicide%2Battack/3698417.html. 8 Reuters, “Afghan Violence in 2010 Kills Thousands: Government,” Reuters,

3 janvier 2011. 9 Ces objectifs sont poursuivis simultanément sur tout le territoire afghan (FIAS,

Plan d’opération de la FIAS 38302, rév. 4 (2009)).

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Protéger la population de l’influence des insurgés et aider les structures infranationales du gouvernement afghan à instaurer l'Etat de droit et à assurer la fourniture des services de base ;

Mettre en œuvre des mesures de protection de la population qui établissent un lien entre les corridors économiques voisins, favoriser le développement des villages et créer des emplois.

Un aspect primordial de cette stratégie de lutte contre l’insurrection est le transfert de responsabilité des tâches de maintien de la sécurité aux forces de sécurité afghanes, qui s'effectuera sous conditions. En septembre 2010, la commission conjointe de transition Afghanistan-OTAN (ou JANIB – Joint Afghan-NATO Inteqal Board) s’est réunie pour la première fois pour parler de la transition10. Les premiers résultats de ses travaux, publiés en mars 2011, ont donné une idée des perspectives de démarrage du processus de transition dans certaines régions dès cette année11. Ce processus a eu lieu sur la base d’un accord entre l’OTAN et les autorités afghanes, y compris les chaînes de commandement respectives, la décision finale incombant au président Karzaï. Le général Petraeus, ex-commandant de la FIAS, a précisé qu’il s’agissait "d’un processus, pas d'un événement ponctuel", et que plusieurs étapes étaient nécessaires à la réussite de la transition12. En juin 2011, on dénombrait environ 90 000 soldats américains et près de 42 381 membres des forces internationales en

10 La JANIB, composée de ministres afghans et de membres de la communauté

internationale, est chargée de mettre au point les critères, les systèmes de mesure et les données de référence permettant d’évaluer le degré de préparation d’une province à la transition.

11 NATO, “Secretary General’s Monthly Press Conference,” NATO News, 7 février 2011,

http://www.nato.int/cps/en/natolive/opinions_70427.htm. 12 NATO, “Interview with General Petraeus, Commander ISAF for NATO TV,” NATO

News, 9 février 2011, http://www.nato.int/cps/en/SID-00070168-

FDEBFCED/natolive/opinions_70492.htm.

74

Afghanistan13. Le renfort par les Etats-Unis de 30 000 hommes supplémentaires en 2010 se composait de trois ensembles de forces distincts, chacun constitué de manière à fournir des capacités spécifiques indispensables pour atteindre les principaux objectifs du plan de campagne, en particulier au commandement régional Sud (RC-South) et au commandement régional Est (RC-East). Le renfort de troupes américaines a pris fin en novembre 2010. L’OTAN a d’autre part accueilli avec satisfaction les engagements de forces émanant de 40 pays pour toute une série de capacités, y compris dans le domaine opérationnel, tactique et de la formation. Depuis le discours du président Obama en décembre 2009, la FIAS a bénéficié de la contribution de 9 700 hommes supplémentaires provenant des membres de l’OTAN et de pays partenaires non membres, et le général Petraeus a indiqué que, globalement, la FIAS était suffisamment pourvue14. Le concept d’opérations de la FIAS est représenté sur le graphique 1. Le plus gros effort opérationnel reste centré sur la vallée d’Helmand, au centre de la province, où un ensemble d’actions civilo-militaires sont menées pour améliorer la gouvernance, le niveau de développement et la sécurité pour les 500 000 Afghans au moins vivant dans ces six districts.

13 FIAS, International Security Assistance Force (ISAF): Key Facts and Figures (Kaboul:

FIAS, 6 juin 2011), http://www.isaf.nato.int/images/stories/File/Placemats/Revised%206%20June%2

02011%20Placemat%20(Full).pdf. 14 CBS News, “Petraeus Outlines ‘Significant’ but ‘Fragile’ Progress in Afghan War,”

CBS News’ Political Hotsheet, 15 mars 2011.

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GRAPHIQUE 1 : CONCEPT D’OPERATIONS DE LA FIAS15

Légendes : Concept of Military Operations (October 2010 – March 2011) : Concept d’opérations militaires (octobre 2010 - mars 2011) Clear Baghlan-Kunduz : Nettoyer Baghlan-Kunduz Expand security in Badghis : Renforcer la sécurité à Badghis Deny safe havens : Empêcher la création de sanctuaires Expand security in Kabul and solidify conditions for transition : Renforcer la sécurité à Kaboul et consolider la situation en vue de la transition Expand security gains in central Helmand river valley : Poursuivre les améliorations en matière de sécurité dans la vallée d'Helmand, au centre de la province Clear Maiwand : Nettoyer Maiwand Expand security in Kandahar : Renforcer la sécurité à Kandahar Legend : Légendes Operational Main Effort : Principal effort opérationnel Supporting Effort : Effort de soutien Shaping Effort : Effort de préparation Afghan Local Police Site : Site occupé par la police locale afghane Border Coordination Center : Centre de coordination des frontières

15 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces (Washington, DC: Département américain de la Défense, avril 2011), rapport au Congrès des Etats-Unis, p. 56.

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III. BILAN ET EVALUATION DES PROGRES ACCOMPLIS AU NIVEAU REGIONAL

Commandement régional Est (RC-East) Le RC-East comprend 14 provinces (Bamiyan, Ghazni, Kapisa, Khost, Kunar, Laghman, Logar, Nangarhar, Nuristan, Paktika, Paktiya, Panjshir, Parwan et Wardak) et s’étend sur près de 120 000 km². C’est le plus peuplé des cinq commandements régionaux d’Afghanistan puisqu’il compte entre 7 et 10 millions d’habitants environ16. Les principales opérations visaient à entraver l’activité des insurgés dans cette zone. Le RC-East a également contribué à l’amélioration des conditions de sécurité à l’occasion des élections législatives de septembre 2010, et protégé les accès méridionaux à la ville de Kaboul par les provinces de Wardak et Logar. Les avancées tactiques obtenues par le RC-East se traduisent par des progrès importants sur le plan stratégique, deux provinces (Bamiyan et Panjshir) et une capitale de province (Mehta Lam) ayant enregistré des résultats suffisants en matière de sécurité, de gouvernance et de développement pour que la transition puisse commencer en juillet. La forme d'attaque la plus courante des insurgés a en outre accusé une baisse de 18 % dans cette région. Le programme visant à donner aux forces locales les moyens d’assurer la sécurité – appelé "initiative de police locale afghane (ALP)" (décrite au chapitre VI) – a également été étendu à 13 districts17. Les chiffres de novembre 2010 montraient qu'à cette époque, les opérations du RC-East étaient menées à près de 95 % en partenariat avec les ANSF, ces dernières exerçant le commandement dans quelque 18 % des cas18.

16 Institute for the Study of War, Regions: Regional Command East (2011), http://www.understandingwar.org/region/regional-command-east. 17 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 58.

18 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan (Washington, DC: Département américain de la Défense, novembre 2010), rapport au Congrès des Etats-Unis, p. 45-46.

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Evaluation de l’action du RC-East Dans les provinces de Nangarhar, Kunar et Laghman, le RC-East a mis l’accent sur l’amélioration du service public, les programmes de formation à l'intention des civils et les projets de stabilisation dans les principaux centres de population. Une enquête réalisée fin 2010 a montré que 50 % des Afghans vivant dans l’est du pays considéraient que la situation était globalement en train de s'améliorer, ce qui représentait l'un des pourcentages les plus élevés en Afghanistan19. Cela étant, la province de Kunar, qui se trouve à la frontière avec le Pakistan, est connue pour servir de refuge aux partisans d'al-Qaida et des talibans ; des chefs affiliés à al-Qaida sont soupçonnés d’être à l’origine d’une vague d’attentats-suicides et d’enlèvements20. La situation à Laghman et Nangarhar est meilleure, et les militaires ont déjà passé la main dans la capitale de la province de Laghman21. Si l’on y ajoute le transfert des provinces de Bamiyan et Panjshir, cela voudra dire que "40 % de la population se trouvant sous la responsabilité du commandement régional Est pourra être placée sous contrôle afghan", a indiqué le commandant des forces américaines dans la région22. Des progrès militaires considérables sont également à noter, 70 % des chefs talibans régnant sur cette zone d’opérations ayant été probablement capturés ou tués en 2010. Toutefois, des désaccords entre les habitants de la région et le gouvernement continuent de faire obstacle à l'amélioration de la gouvernance23.

19 The Asia Foundation, Afghanistan in 2010: A Survey of the Afghan People

(San Francisco: The Asia Foundation, November 2010), p.18. 20 Bill Roggio, “Al Qaeda Leader Kidnaps 21 Afghan Tribal Leaders in Kunar,” The Long

War Journal, 31 janvier 2011, http://www.longwarjournal.org/archives/2011/01/al_qaeda_leader_kidn.php. 21 Donna Miles, “NATO – Afghan Security Transition Represents Milestone,”

American Forces Press Service, 26 juillet 2011. 22 Jake Lowary, “Halfway Through Afghanistan: While Frustrating, Tour Has High

Points,” Leaf Chronicle (Clarksville), 23 janvier 2011. 23 Lowary, “Halfway Through Afghanistan: While Frustrating, Tour Has High Points.”

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Commandement régional Sud (RC-South) Le RC-South a officiellement été scindé en deux – le RC-South et le RC-Southwest – en juin 2010, afin de pouvoir améliorer le commandement et le contrôle de ce qui était auparavant une zone d’opérations très active et de grande ampleur. Cette amélioration de l’unité de commandement et d’action a permis d’adopter une approche plus rationnelle et plus efficace pour une lutte anti-insurrection en partenariat avec l’ANSF, à la fois dans les provinces d’Helmand et de Kandahar. Le RC-South inclut désormais les provinces de Daykundi, Kandahar, Uruzgan et Zabul, ce qui représente une population globale d’environ 2 millions d’habitants et une superficie de quelque 155 000 km²24. Le RC-South a apporté son soutien à l’opération Hamkari en menant des actions dans les environs de Kandahar, deuxième ville la plus importante d'Afghanistan. Parce que cette ville représente un pôle essentiel pour les activités culturelles, commerciales et institutionnelles du sud du pays, le RC-South s’inspire pour ses opérations de celles menées avec succès à Kaboul par le Commandement régional Capitale (RC-Capital). Fin 2010 et début 2011, le RC-South a continué à privilégier le renforcement de la gouvernance afghane, au détriment des opérations militaires contre les insurgés25. Le RC-South mène la totalité de ses opérations en partenariat avec les ANSF, qui en exercent le commandement dans 44 % des cas26.

Evaluation de l’action du RC-South De violents combats accompagnés d’une vive résistance ont éclaté lorsque les forces de l’OTAN ont lancé un assaut dans la ville de Kandahar – bastion traditionnel des talibans – et ses

24 Institute for the Study of War, Regions: Regional Command South – Nimruz

Province (2011), http://www.understandingwar.org/region/regional-command-south-0#Nimruz.

25 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 58.

26 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan, p. 47.

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environs à l'automne 201027. Suite à l’opération Hamkari menée fin 2010, les Afghans et les partenaires de la coalition se sont engagés dans des opérations visant à consolider les progrès laborieusement accomplis en matière de sécurité et à les étendre à d'autres zones. Les ANSF ont notamment beaucoup progressé dans leur faculté à planifier et à mener des opérations par elles-mêmes28. La Highway One (autoroute n°1), qui joue un rôle important pour les échanges et les communications, est désormais relativement sûre29. Malgré cela, il faudra encore du temps pour pouvoir évaluer le succès de l'opération Hamkari, ainsi que la mise en œuvre dans plusieurs localités de l’initiative de police locale afghane, destinée à assurer la sécurité au niveau local. Un certain mieux est à noter dans la perception qu’ont les habitants de Kandahar de l’amélioration de leurs conditions de vie et du recul de l’activité des talibans30. Pour autant, une récente vague d’assassinats, d’attentats-suicides et d’attaques a fait craindre un changement de tactique des insurgés dans la région, après que leurs moyens d’action habituels aient été considérablement mis à mal par les opérations de la FIAS31. Ces attaques ciblées ont notamment causé la mort du frère du président Karzaï, Ahmed Wali, qui était une personnalité très influente dans la ville de Kandahar et aidait, semble-t-il, les Alliés dans leurs efforts pour parvenir à un accord politique avec les talibans32.

27 Miles Amoore, “NATO’s Fight for Highway One,” The Sunday Times,

3 octobre 2010. 28 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 58.

29 Carl Forsberg, “Counter-Insurgency in Kandahar: Evaluating the 2010 Hamkari Campaign,” Afghanistan Report 7, Institute for the Study of War, December 2010.

30 ABC News/BBC/ARD/Washington Post, Afghanistan: Where Things Stand (6 décembre 2010), p. 12.

31 BBC News, “Kandahar Deputy Governor Killed in Suicide Attack,” BBC News, 29 janvier 2011, http://www.bbc.co.uk/news/world-south-asia-12314646; et BBC News, “Deadly Taliban Attack on Kandahar Strikes Police HQ,” BBC News, 12 février 2011, http://www.bbc.co.uk/news/world-south-asia-12440178.

32 The Daily Telegraph, “Hamid Karzai’s Brother Killed in Afghanistan,” The Daily Telegraph, 12 juillet 2011; et Aryn Baker, “The Assassination of Ahmed Wali Karzai: Careful What You Wish For,” Time, 12 juillet 2011, http://globalspin.blogs.time.com/2011/07/12/the-assassination-of-ahmed-wali-karzai-careful-what-you-wish-for/.

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Commandement régional Sud-ouest (RC-Southwest) Le RC-Southwest a été mis en place par la FIAS en juin 2010. Le nouveau quartier général, qui était auparavant en charge de certaines portions des anciennes zones d’influence du RC-South, supervise aujourd’hui les opérations dans les provinces de Helmand, Nimruz et certaines parties de Farah. Cette zone représente une population globale d'environ 1,3 million d’habitants, et une superficie totale de quelque 100 000 km²33. Cette nouvelle architecture de commandement et de contrôle a par ailleurs permis aux forces du RC-Southwest de se soutenir mutuellement dans les zones reculées de la province d’Helmand ainsi que vers l’ouest et le sud, mais aussi d’étendre le regroupement des districts "nettoyés-contrôlés-construits" le long de la Highway One, d’ouest en est. Le principal effort auquel se consacre le RC-Southwest – et en fait la FIAS – reste l’opération Moshtarak menée dans la vallée d'Helmand, au centre de la province. Cette opération a essayé d‘étendre l'autorité du gouvernement afghan au district de Nad-e-Ali (qui n’était jusque-là soumis à aucune autorité), y compris la ville de Marjah. Des opérations ont été menées en 2010-2011 pour nettoyer la zone, capturer et éliminer des insurgés et favoriser le développement et l'instauration d’un gouvernement légitime. Des opérations de lutte contre les engins explosifs improvisés (EEI) ont également été organisées dans le nord de la province d'Helmand. Des mesures visant à lutter contre le trafic de substances et drogues illicites ont été mises en œuvre par le RC-Southwest, et ces opérations de répression ont permis la destruction de drogues illicites évaluées à quelque 135 millions de dollars. Les opérations du RC-Southwest ont été menées à 77 % en partenariat avec les ANSF, qui en ont assuré le commandement dans 8 % des cas34.

33 Institute for the Study of War, Regions: Regional Command South – Nimruz

Province. 34 Institute for the Study of War, Regions: Regional Command South – Nimruz

Province.

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Evaluation de l’action du RC-Southwest La situation en matière de sécurité au sein du RC-Southwest a été jugée globalement "satisfaisante" par le général Richard Mills, commandant du RC-Southwest, en février 201135. Les provinces clés de Helmand et Nimruz ont clairement assisté à une nette amélioration de la sécurité depuis la fin de la campagne militaire de 201036. Les forces multinationales placées sous le RC-Southwest ont réussi à réduire les poches d’insurgés réfugiés autrefois dans la vallée d’Helmand. Malgré des débuts difficiles, l’opération Moshtarak – très médiatisée – a permis des améliorations durables de la sécurité autour des villes de Garmsir, Nawa, Nad-e-Ali et Marjah37. Le commandant du RC-Southwest a indiqué que les insurgés avaient "essuyé des défaites consécutives sur le champ de bataille » dans ces régions et qu’il considérait « qu’ils avaient été battus"38. Dans d’autres régions comme Sangin, en revanche, malgré quelques progrès, la situation sécuritaire ne s'est pas beaucoup améliorée39. L’une des avancées de 2010 est que le niveau d’approbation générale de l’OTAN a beaucoup progressé au cours de l’année à Helmand, signe de l’engagement croissant de l’Alliance dans cette province40. Dans la partie inférieure de la vallée d’Helmand, un nombre croissant d’éléments attestent l’amélioration de l’activité commerciale, ainsi que l’arrivée accrue de l’aide provenant des plans d'approvisionnement des districts. Les améliorations en matière de sécurité, ainsi que les progrès accomplis dans le domaine de la gouvernance et du développement, ont permis à la capitale de la province,

35 Reuters, Interview with Major General Richard Mills, Reuters, 14 février 2011. 36 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 58.

37 Ministère de la Défense du Royaume-Uni, “Afghan-led Operation Puts Insurgents under Pressure,” UK Ministry of Defence News, 19 janvier 2011; et Jeffrey Dressler, “Counter-Insurgency in Helmand: Progress and Remaining Challenges,” Afghanistan Report 8, Institute for the Study of War, janvier 2011.

38 Jim Michaels, “General: Heart of Afghanistan Insurgency Beaten,” USA Today, 15 février 2011.

39 Ben Anderson, “Someone Watched Us, Poised to Detonate a Daisy Chain of Bombs,” The Times, 25 janvier 2011; et BBC, “Return to Helmand’s Bomb Alley with US Marines,” BBC Panorama, 31 janvier 2011.

40 ABC News/BBC/ARD/Washington Post, Afghanistan: Where Things Stand, p. 10-12.

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Lashkar Gah, d’opérer sa transition en 201141. Cela étant, malgré un gouverneur compétent et relativement énergique dans la province d’Helmand, le développement durable de la gouvernance et les initiatives de lutte anticorruption y sont toujours insuffisants et peu homogènes.

Commandement régional Ouest (RC-West) Le RC-West regroupe quatre provinces (Herat, Farah, Badghis et Ghor), ce qui représente environ 3 156 000 habitants. Situé à la frontière avec l'Iran, le RC-West s’étend sur 160 319 km²42. Ses opérations ont surtout été consacrées à la consolidation des progrès obtenus en matière de sécurité lors de la campagne d'hiver, ainsi qu’à l’amélioration de la sécurité dans les zones où aura lieu la future construction de la Highway One. La situation sécuritaire dans les grandes villes de Bala Murghab, Qala-e-Naw, Herat et Farah s’est améliorée, et Herat a pu commencer son processus de transition en juillet43. Les forces du RC-West ont mené 67 % de leurs opérations en partenariat avec les ANSF, qui en ont assuré le commandement dans 8 % des cas44.

Commandement régional Nord (RC-North) Le RC-North se compose de neuf provinces : Badakhshan, Takhar, Kunduz, Baghlan, Balkh, Samangan, Jawzjan, Sar-e Pul et Faryab. Il possède des frontières avec le Pakistan, le Tadjikistan, la Chine, le Turkménistan et l’Ouzbékistan. Le RC-North s’étend sur une superficie de 162 151 km² et compte 6 751 000 habitants45. Les opérations qui ont été menées en 2010 par ce commandement étaient surtout des actions de 41 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 59.

42 Institute for the Study of War, Regions: Regional Command West (2011), http://www.understandingwar.org/region/regional-command-west.

43 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 59.

44 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan, p. 48.

45 Institute for the Study of War, Regions: Regional Command North (2011), http://www.understandingwar.org/region/regional-command-north.

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"préparation/contrôle/construction" dans les districts clés de la province de Baghlan. L’action la plus importante du RC-North consiste à assurer la liberté de mouvement de la population, à déstabiliser les chefs des insurgés, ainsi qu'à favoriser le développement et la mise en place d’une gouvernance aux niveaux local et régional. L’amélioration des conditions de sécurité – pour permettre la construction du dernier tronçon de la Highway One – demeure une priorité46. Les opérations du RC-North sont menées à 75 % en partenariat avec des unités des ANSF, qui en assurent le commandement dans 25 % des cas47.

Evaluation de l’action du RC-West et du RC-North Comme dans d’autres régions d’Afghanistan, les récents attentats visant des personnalités afghanes de renom ont eu des répercussions relativement importantes sur la situation sécuritaire dans ces provinces48. Il convient à cet égard de citer l’exemple de l’attaque de mai 2011, qui a causé la mort du général Daud – chef de la police du nord du pays jouissant d’une certaine réputation – et de deux soldats allemands, et blessé le général Markus Kneip, commandant de la FIAS dans le nord de l’Afghanistan49. Ces événements montrent la difficulté à assurer la protection des fonctionnaires de l'Etat de premier plan, et met en évidence l’utilisation accrue par les insurgés de la technique des assassinats pour déstabiliser le processus de transition. Dans la zone du RC-West, les provinces de Farah et Badghis continuent de subir l’activité des insurgés, malgré les progrès accomplis en 201050.

46 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 60.

47 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan, p. 49.

48 Laura King, “Afghanistan Suicide Bomber Kills District Governor, 6 Others,” Los Angeles Times, 11 février 2011.

49 Ben Farmer, “General Daud and At Least 2 German Soldiers Killed By Suicide Bomber,” The Daily Telegraph, 28 mai 2011.

50 ISAF Joint Command, “Security and Development Are Key Issues in Bala Murghab Shura,” ISAF Joint Command Courtesy Story, 13 janvier 2011, http://www.dvidshub.net/news/63507/security-and-development-key-issues-bala-murghab-shura#.Tpa60N7lbUC.

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Les instances de commandement indiquent que le RC-North a toujours été l’une des zones les plus sûres du pays51 et que des progrès ont été réalisés depuis les 12 derniers mois. Malheureusement, un sondage de décembre 2010 a révélé que la population du nord du pays avait le sentiment que ses conditions de vie étaient en nette dégradation et que les talibans devenaient de plus en plus actifs52. Les commandants ont dit craindre d’être en perte de vitesse et de ne pas pouvoir empêcher le retour des insurgés dans ces zones sécurisées au cours du printemps/de l’été 201153. La plus grosse difficulté à surmonter est de faire en sorte que les progrès récents soient consolidés et étendus au corridor de Baghlan-Kunduz, un effort essentiel pour encourager la population locale à soutenir le gouvernement et les forces de sécurité54.

Commandement régional de la capitale (RC-Capital) Le RC-Capital englobe la ville de Kaboul ainsi que 14 districts de sa province. Il s’étend sur 4 462 km² et compte une population de 3 450 000 habitants55. Le RC-Capital continue de définir les normes de sécurité pour l’ensemble du pays. Les Afghans situés au sein du RC-Capital ont de plus en plus confiance dans la capacité du gouvernement national et des ANSF à maintenir un environnement relativement sûr pour les habitants de la zone. Le RC-Capital mène la totalité de ses opérations en partenariat avec les ANSF, qui en assurent le commandement dans tous les districts sauf un56.

51 Institute for the Study of War, Regions: Regional Command North (2011). 52 ABC News/BBC/ARD/Washington Post, Afghanistan: Where Things Stand, p. 10-12. 53 Karen Perrish, “Brigade Commanders Provide North Afghanistan Update,”

American Forces Press Service, 8 février 2011. 54 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 59.

55 Institute for the Study of War, Regions: Regional Command Capital (2011), http://www.understandingwar.org/region/regional-command-capital. 56 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 59.

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Evaluation de l’action du RC-Capital L'action menée en collaboration avec les ANSF à Kaboul pour encadrer la Jirga de la paix en avril 2010, la Conférence internationale de Kaboul en juillet 2010 et les élections législatives en septembre 2010 a été extrêmement efficace. Bien que les insurgés aient tenté de commettre des attaques à l’occasion de ces manifestations, la sécurité y a été jugée globalement irréprochable. Les opérations dans la province de Kaboul sont menées en collaboration avec l’armée nationale afghane (ANA) et la police nationale afghane (ANP), grâce à la planification et la coordination des différents ministères et des services de sécurité. Les opérations de préparation de la FIAS et de la coalition permettent de contrecarrer et d’empêcher la planification d’actions et la menace d’attaques contre la capitale par le réseau des insurgés. A l’image de ce qui se passe ailleurs dans le pays, on note depuis peu à Kaboul une recrudescence des attentats à la bombe et des attaques, signe d’un changement de tactique des insurgés qui prennent désormais pour cibles les fonctionnaires jouant un rôle clé dans le processus de transition. Il convient à cet égard de citer le cas de Jan Mohammed Khan qui, proche associé et allié du président Karzaï, a été assassiné à Kaboul en juillet57.

57 Julian Borger, “Afghan Government Under Threat After Second Assassination in a

Week”, The Guardian, 18 juillet 2011.

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GRAPHIQUE 2 : BUREAU DE SECURITE DES ONG EN AFGHANISTAN (ANSO) – EVALUATION DE L’INSECURITE DANS LES PROVINCES EN MARS 201158

Légendes : ANSO : Evaluation de l’insécurité dans les provinces au premier trimestre 2011 (Cette évaluation s’appuie sur une étude analytique et pas seulement sur le nombre des incidents. Le nombre total d’attaques perpétrées par les groupes d’opposition afghans en 2011 est indiqué sur la carte. L’absence d’attaques peut vouloir dire que ces groupes sont présents sans être nullement inquiétés.) AOR Peshawar : Zone de responsabilité de Peshawar AOR Miramshah : Zone de responsabilité de Miramshah AOR Quetta : Zone de responsabilité de Quetta Extremely Insecure :Très grande insécurité Highly Insecure : Grande insécurité Moderately Insecure : Insécurité modérée Deteriorating : Situation instable Low Insecurity : Faible insécurité

58 The Afghanistan NGO Safety Office, ANSO Quarterly Data Report Q1. 2011, p. 10.

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IV. BILAN GENERAL DE LA CAMPAGNE

Le graphique 2 représente la structure de commandement de la FIAS dans les provinces afghanes et permet de voir l'évolution de la situation en matière de sécurité dans ces zones de commandement régional. Comme on peut le voir, la situation sécuritaire en Afghanistan a globalement peu progressé depuis la montée en puissance des forces militaires. Le graphique montre aussi que la sécurité ne s’est guère améliorée dans les zones du RC-South et du RC-Southwest, malgré les avancées réalisées depuis l’an dernier. Bien que des succès tactiques aient été enregistrés localement en matière de sécurisation, les résultats ne sont toujours pas au rendez-vous sur le plan stratégique59. Des défis majeurs et de grande ampleur subsistent dans de nombreuses régions en ce qui concerne la sécurité et la gouvernance. Les insurgés conservent toujours de l’avance dans certaines zones et s’attaquent à des cibles importantes de la sphère non militaire, comme par exemple des hôpitaux, des hôtels et des hauts responsables60. La violence a atteint son paroxysme entre mars et septembre 2010, les attaques des insurgés ayant augmenté de près de 55 % par rapport au trimestre précédent, et de 65 % par rapport au troisième trimestre 200961. Plus de 25 attaques ont également été commises par des membres des ANSF ou par des usurpateurs d’identité de membres des ANSF à l’encontre des soldats de l’OTAN et des responsables afghans depuis les deux dernières années62.

59 Voir la citation du colonel Dan Williams dans l’article de David Woods, “The

Afghanistan War: Tactical Victories, Strategic Stalemate?,” Politics Daily, mars 2011.

60 BBC News, “Afghanistan: Logar Hospital Blast Victims Buried,” BBC News, 26 juin 2011, http://www.bbc.co.uk/news/world-south-asia-13919636; et Alissa J. Rubin, “Attack at Kabul Hotel Deflates Security Hopes in Afghanistan,” The New York Times, 29 juin 2011.

61 Données provenant du système Afghanistan Mission Network (AMN), de CIDNE et de la base de données CIVCAS de la FIAS à la date du 2 octobre 2010, citées dans le rapport du Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan, p. 53.

62 Exposé du général William Caldwell au Brookings Institution, 6 juin 2011, http://www.c-span.org/Events/Brookings-Institution-Discussion-on-

Afghanistan/10737422057-1/.

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Les planificateurs militaires prétendent depuis longtemps que l’action qui aura été menée par les insurgés à l’été 2011 sera un indicateur des capacités qui leur resteront63. Il semble malheureusement, d’après les premiers éléments dont on dispose, que les attaques se soient poursuivies à un rythme inquiétant tout au long de la campagne d'été. Le mois de mai 2011 a été l’un des plus violents, les insurgés ayant commis 1 571 attaques. Ce chiffre n’a ensuite baissé que de 2 % en juin64. Le mois de mai a également été le plus meurtrier pour les civils afghans, avec un bilan de 368 morts selon les Nations unies (82 % de ces morts étant liés à l’action des insurgés et 12 % à celle des forces de l’OTAN)65.

V. LA MISSION OTAN DE FORMATION EN AFGHANISTAN

Comme le soulignait l’an dernier le rapport général de la Commission de la défense et de la sécurité, intitulé "Préparer les forces de sécurité afghanes à la transition", les progrès réalisés par la mission OTAN de formation en Afghanistan (NTM-A) ont été la grande réussite de la FIAS en 2010. Les paragraphes suivants font le point sur la situation, les objectifs pour 2011 et les défis qui sont à relever par la mission de formation. En mars 2011, les ANSF comptaient près de 285 000 hommes répartis comme suit : 159 363 pour l’armée afghane (ANA) et plus de 125 589 pour la police (ANP). Les effectifs supplémentaires de l'armée et de la police (92 000 hommes) représentent donc une augmentation de plus de 42 % des ANSF entre novembre 2009 et mars 2011, dont une hausse de plus de 57 % pour l’ANA seule au cours de cette période. Il est actuellement prévu que les ANSF soient portées à

63 Tom Coghlan, “Soldiers Die in Fire at Helmand Base,” The Times, 15 février 2011. 64 The Afghanistan NGO Safety Office, The ANSO Report: Issue 76 (Kaboul: The

Afghanistan NGO Safety Office, 16-30 juin 2011). 65 Alyssa J. Rubin, “Afghan Civilian Deaths Set a Monthly Record, UN Says,” The New

York Times, 11 juin 2011.

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305 000 hommes d’ici à octobre 201166. Cela sera facilité par le fait que 58 000 policiers et soldats suivent aujourd’hui quotidiennement une formation. D’après les éléments recueillis en juillet 2011, le contingent des ANSF sera porté à 352 000 hommes d’ici à l’été 201267. De gros progrès ont également été réalisés dans le domaine de la qualité des ANSF. L’alphabétisation est une étape indispensable pour former des leaders et gérer les équipements. L’an dernier, une initiative visant à accroître le niveau d’alphabétisation des forces afghanes a été lancée avec succès. En 2008, le taux d’alphabétisation était de 14 % ; aujourd'hui, 85 % des nouvelles recrues des forces afghanes possèdent des compétences de base lorsqu'elles quittent la formation68. Entre mars 2010 et mars 2011, le nombre de membres des ANSF ayant suivi un apprentissage de la lecture et de l'écriture s'est accru de 136 %69. D’autre part, 80 % des policiers et 95 % des militaires perçoivent aujourd’hui leur salaire par virement électronique – ce qui réduit considérablement les risques de corruption –, et les membres de ces deux corps ont désormais une rémunération qui leur assure un niveau de vie supérieur ou égal à la moyenne nationale. Un soin particulier a également été accordé à l’équipement des ANSF. Une enveloppe de 7,7 milliards de dollars a été consacrée à ce poste de dépense depuis novembre 2009. L’armée et la police sont désormais dotées d’armes de qualité, de matériel tactique et d’équipement technique incluant radios, appareils biométriques et vêtements de protection. Les chaussures et les uniformes des forces afghanes sont

66 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 13.

67 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 13 et p. 51; et AP-OTAN, Rapport de mission de la visite spéciale en Afghanistan, du 8 au 11 juin 2011 [] (2011),

http://www.nato-pa.int/default.asp?SHORTCUT=2499. 68 Regional Command Southwest, Communiqué de presse, 16 février 2011. 69 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 20.

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aujourd’hui tous fabriqués en Afghanistan, ce qui crée des débouchés industriels au niveau local. Compte tenu de l'enveloppe supplémentaire de 4,9 milliards de dollars qui doit être consacrée à l’équipement, les responsables laissent entendre que les progrès accomplis en matière d'éducation devront être à la hauteur, afin de garantir la bonne gestion des équipements et la protection de l’investissement correspondant70. Les autres progrès réalisés concernent le ratio formateur-recrue. La mission OTAN de formation en Afghanistan a comblé aujourd’hui 73 % de ses besoins en effectifs, ce qui représente une hausse de 25 % par rapport à l’an dernier. Durant cette période, le ratio entre instructeur et membre de l’armée afghane dans le domaine de la formation de base est passé de 1 pour 79 à 1 pour 29. Des initiatives ont également été lancées pour offrir aux ANSF une meilleure qualité de vie, comme par exemple l’amélioration de la nourriture, le roulement des unités opérationnelles et des conditions de permission personnalisées. Ces initiatives, ainsi que la responsabilisation accrue des membres de l'ANA, permettent d'accroître les effectifs en attirant de nouvelles recrues et en les fidélisant. A l’heure actuelle, 74 % des recrues qui terminent leur contrat de deux ans signent pour une prolongation de service71. Les responsables de l’OTAN n’ont cessé d’encourager les pays pour lesquels le processus de transition entraînera un rappel des forces militaires de réinvestir leurs efforts en attribuant les ressources correspondantes à la mission de formation. Lors de la récente visite de la délégation de l’Assemblée, la NTM-A a annoncé une pénurie prévisible de 470 formateurs en mars 2012, ainsi qu'une insuffisance persistante de 450 policiers pour les équipes opérationnelles de mentorat et de liaison. "Au sein de la NTM-A/CSTC-A (Combined Security transition Command), le Commandement OTAN pour la formation Air en Afghanistan (NATC-A) a pour objectif de renforcer la

70 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 20.

71 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan, p. 25-26.

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puissance aérienne du pays dans quatre directions : constitution d'une flotte aérienne, composition d’une force aérienne, construction d’une infrastructure et mise en place de capacités opérationnelles." Le développement institutionnel de la force aérienne afghane, dont le but est de créer une institution professionnelle autonome, s’opère selon ces quatre directions. En janvier 2011, la force aérienne afghane était dotée de 56 avions, ce qui correspond à près de 38 % de la flotte prévue de 146 avions. Ses effectifs étaient de quelque 4 728 hommes en mars 2011, soit une augmentation de 1 239 hommes (quelque 40 %) par rapport aux 3 389 membres de la flotte en mars 201072. La NTM-A a conscience que la croissance ne suffira pas à asseoir les bases d'une transition irréversible. C’est pourquoi la formation de formateurs et d’instructeurs afghans a été placée au premier rang de ses priorités pour 2011. La mise à disposition de formateurs et d’instructeurs afghans de qualité – capables de commander et d'entraîner leurs forces, et à terme d'avoir la responsabilité de la formation – est l'élément indispensable pour permettre l’autonomie institutionnelle et au final la transition. La mise au point en 2011 d’un système de formation des formateurs de qualité constituera le fondement des efforts axés sur la création d’une force afghane capable de continuer à se constituer et de se gérer elle-même73. Les quatre autres domaines dans lesquels il conviendra de travailler en 2011 sont les suivants : formation accélérée de personnel de commandement, renforcement continu de l’alphabétisation et des compétences professionnelles, inculquer la notion de bonne gestion, et mise en place d’institutions, de systèmes et de facilitateurs sur le long terme. Afin de combler rapidement le manque de compétence en matière de leadership

72 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan, p. 32-33; et Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 29.

73 Lt. Gen. William B. Caldwell, Memorandum for NTM-A: Commander’s Vision for 2011, 10 février 2011,

http://www.aco.nato.int/resources/10/documents/Commander's%20Vision%20for%202011%20-%20Accelerating%20Progress.pdf.

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au sein de l’ANA et de l’ANP, ainsi que de former des sous-officiers et des officiers professionnels, de nouvelles écoles militaires seront ouvertes au printemps 2011 pour former les nouveaux chefs des deux branches des ANSF. En matière d’alphabétisation, l'objectif de la NTM-A est que 100 000 membres des ANSF soient en formation avant l'automne 2011, l'accent étant mis actuellement sur la poursuite de l'alphabétisation et l'acquisition de qualifications professionnelles, notamment dans le domaine de la logistique, des communications et de l'ingénierie. L’enseignement aux forces afghanes de la notion de bonne gestion consiste à leur inculquer l’importance de la responsabilité, de la responsabilisation et d’une gestion avisée à tous les niveaux de formation et d'éducation. Enfin, le renforcement des capacités des services de sécurité servira de base et de soutien aux progrès enregistrés au sein des ANSF grâce à la mise en place d'une planification stratégique, à l'établissement d’un budget et la recherche de ressources, et à l’amélioration des systèmes nationaux nécessaires pour soutenir à long terme les ANSF74. Le taux d’attrition est probablement l’obstacle le plus important à la NTM-A. En juillet et août 2010, sous l'effet de la vague de violence qui a éclaté durant cette période, ce taux a dépassé la moyenne mensuelle en atteignant respectivement 3 et 2,4 %. En mai 2011, il était encore trop élevé, de l’ordre de 2,3 % par mois soit environ 30 % par an75. Si le taux d’attrition se maintient au niveau où il est depuis cinq mois, on estime que l’objectif de croissance de l’ANA fixé pour octobre 2011 est "gravement menacé"76. Malgré les initiatives précédemment décrites, les progrès sont lents et le taux d’attrition n’a pas diminué assez vite, même s’il a évolué à la baisse dernièrement. Pour que l’ANA puisse atteindre ses objectifs en matière d’effectifs, il faut que ce taux se stabilise au-dessous des 2 %. Du côté de

74 Lt. Gen. William B. Caldwell, Memorandum for NTM-A: Commander’s Vision for

2011. 75 Exposé du général William Caldwell au Brookings Institution. 76 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 22.

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l’ANP, son taux d’attrition annuel s’élevait en juin 2011 à 18 %, soit un niveau acceptable77. Bien qu’un soin particulier soit accordé à la composition ethnique de l’ANA en particulier, le recrutement de Pachtounes du sud du pays s’est avéré jusque-là difficile. En Afghanistan, 44 % de la population appartient à l'ethnie pachtoune, proportion qui se reflète dans la composition de l'armée. Cependant, 3 % des soldats seulement sont des Pachtounes du sud. Grâce à un recrutement mieux ciblé et aux progrès accomplis en 2010 dans le centre de la province d’Helmand, des améliorations ont été constatées en ce qui concerne le recrutement de soldats pachtounes, mais l’équilibre ethnique n’est pas atteint et il reste donc encore à faire. A noter qu’en mars 2011, 201 Pachtounes du sud du pays ont été recrutés au sein de l’ANA, ce qui représente une légère baisse par rapport à février et correspond à 80 % de l’objectif mensuel78. La composition ethnique des ANSF a d'importantes implications, non seulement pour ce qui est de sa crédibilité sur l’ensemble du territoire afghan, mais aussi dans la mesure où elle détermine la loyauté des forces en question. Des dispositifs de départ à la retraite ont par ailleurs été mis en place à l’intention des hauts gradés, afin de permettre aux chefs militaires plus professionnels et moins patriarcal d’occuper des postes de haut niveau. Un autre sujet de préoccupation est la viabilité à long terme, après la transition, de la NTM-A et des ANSF. A l’heure actuelle, la NTM-A reçoit chaque mois une enveloppe de plus de 1 milliard de dollars des Etats-Unis et une autre de 400 millions de dollars de l'Alliance. Toutefois, lorsque l’on compare ces sommes au total des dépenses annuelles encourues en Afghanistan (plus de 110 milliards de dollars), le constat est que le budget de la NTM-A est relativement faible. Selon les prévisions du commandant de cette mission, il faudra aux ANSF entre 6 et 8 milliards de dollars par an pour fonctionner

77 Exposé du général William Caldwell au Brookings Institution. 78 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 25.

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avec des effectifs au grand complet après la transition. Sachant que le PIB annuel de l’Afghanistan est évalué à 15,51 milliards79, le problème qui se pose est évidemment de déterminer si les Afghans pourront subvenir aux besoins de leurs ANSF sans l’aide financière massive et prolongée des Etats membres de l’OTAN une fois la transition terminée.

VI. L’INITIATIVE DE POLICE LOCALE AFGHANE

En septembre 2010, l’Initiative de police locale afghane a remplacé plusieurs programmes de sécurité mis en place localement par les Afghans, la plupart par la force publique de protection afghane80. Le lancement expérimental de cette initiative – qui fait appel à des milices locales pour assurer la sécurité dans la province de Wardak – a été relativement concluant. Ce programme ALP temporaire (d'une durée de deux à cinq ans) axé sur les villages vient compléter les efforts de lutte contre l’insurrection et les opérations de stabilisation des villages en ciblant des zones où les ANSF sont peu présentes – voire pas du tout –, afin de préparer le terrain à l’amélioration de la sécurité, de la gouvernance et du développement. L’Initiative de l’ALP apporte donc un soutien au travail de la FIAS en renforçant la sécurité et la stabilité sur un plus large périmètre au moyen d’opérations de stabilisation des villages dans des zones reculées. Le ministère afghan de l'Intérieur a sélectionné 68 endroits où seront déployés 250 à 350 hommes, et les huit premiers sites ont été mis en place en septembre 201081. L’Initiative de l’ALP permet à ses membres remplissant les conditions requises d'être transférés vers les ANSF régulières ou vers d’autres types d'emplois. Elle n’est donc pas un obstacle à la croissance des ANSF mais aide à combler un vide dans le domaine de la sécurité. L’ALP, dont le personnel est formé et

79 CIA, The World Factbook: Afghanistan (2011), https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/af.html. 80 Julian E. Barnes et Adam Entou, “US, NATO Look to Use Local Police in

Afghanistan,” The Wall Street Journal, 15 septembre 2010. 81 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan, p. 68.

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organisé en patrouilles de surveillance des villages, bénéficie du soutien des forces d’opérations spéciales de la FIAS et servira de poste avancé d’alerte et de défense contre les insurgés. L’ALP ne rentre pas en ligne de compte dans les effectifs définitifs qui ont été approuvés pour l’ANP. En avril 2011, 34 districts avaient été validés ou étaient opérationnels, 29 étaient en attente de validation et 14 en attente d’être approuvés pour une intervention d’éléments de l’ALP. Le nombre total de membres de l’ALP devant intervenir dans la région a été fixé à 30 00082. Il est encore un peu tôt aujourd'hui pour évaluer avec précision la viabilité et l'efficacité de cette initiative. Comme l’a indiqué l’OTAN, de nombreuses mesures de contrôle seront mises en œuvre pour rassurer le gouvernement afghan dans ses craintes que cette police locale ne ressuscite les anciennes milices des seigneurs de la guerre qui semaient autrefois la terreur dans le pays, n'exacerbe les déséquilibres ethniques ou tribaux, ou ne menace l’autorité de l’Etat. Or, d’après les faits observés récemment, il semblerait que ce soit effectivement ce qui se passe dans les zones où des forces de l’ALP ont été déployées, et que les habitants ont souvent le sentiment que cette police ne vaut pas mieux que les talibans83. En fin de compte, l’utilisation d’une stratégie tribale ne pourra réussir que dans le cadre d’une appropriation nationale du volet de la sécurité par les Afghans, et c’est sous cet angle que l’Initiative de l’ALP doit être envisagée84.

VII. LE CIBLAGE DES CHEFS ENNEMIS

Un nombre croissant d’éléments montre que la campagne menée en 2010 contre les chefs des insurgés (des échelons

82 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 62-63.

83 Joshua Partlow, “US Initiative to Arm Afghan Villagers Carries Some Risks,” The Washington Post, 6 février 2011; et Rod Nordland, “Some Police Recruits Impose ‘Islamic Tax’ On Afghans,” The New York Times, 12 juin 2011.

84 Greg Bruno, Afghanistan’s National Security Forces (19 août 2010), Council on Foreign Relations Backgrounder, http://www.cfr.org/afghanistan/afghanistans-national-security-forces/p19122.

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intermédiaire et supérieur) dans l’ensemble du pays a été globalement une réussite. Ces opérations ayant été conduites conjointement par les forces d’opérations spéciales (FOS) et des forces terrestres conventionnelles, une grande partie des données sont classifiées. Toutefois, d’après les autorités militaires, 2010 a été la pire année pour les insurgés depuis 2001-2002. Avec l’appui de renseignements de qualité, le rythme des opérations des FOS et des forces terrestres s’est nettement accéléré depuis un an. En 2010, la multiplication par trois du nombre de raids a fait plus de 1 200 victimes du côté des insurgés, dont environ 300 que l’on supposait occuper des postes de commandement (selon la FIAS)85. Au cours des trois premiers mois de 2011, les FOS de la FIAS ont mené 1 600 opérations – soit une moyenne de 18 par nuit – au cours desquelles près de 3 000 insurgés ont été tués ou capturés86. Ces opérations semblent avoir eu un impact important sur les capacités des insurgés. Le général Petraeus a indiqué que "la marche des talibans a été interrompue dans une grande partie du pays, et a même été inversée dans des zones importantes"87. Dans le sud de l'Afghanistan, les combattants ont été éliminés « en masse », ce qui conforte les responsables afghans et ceux de la FIAS dans l’idée que "le vent a réellement tourné"88. Cette priorité croissante qui est accordée à l’élimination ou la capture de chefs des insurgés des échelons intermédiaires et à la désorganisation des groupes d’insurgés semble également avoir porté ses fruits au sein du RC-Southwest et du RC-East89. Bien que confiants quant aux actions militaires, les responsables continuent à appeler à la prudence car un échec de la gouvernance afghane pourrait mettre en péril ces nombreuses avancées. Le principal point d’échec pourrait être le fait que le gouvernement de Kaboul cesse d’exercer son autorité dans les

85 International Institute for Strategic Studies, “Clear, Hold, Handover: NATO’s

Afghan Transition Plan,” Strategic Comments, vol. 17, comment 10, mars 2011. 86 Carlotta Gall, “Petraeus Sees Military Progress in Afghanistan,” The New York

Times, 8 mars 2011. 87 Gall, “Petraeus Sees Military Progress in Afghanistan.” 88 Anthony Loyd, “Taliban on Verge of Collapse Allies Insist,” The Times, 8 octobre 2010. 89 Forsberg, “Counter-Insurgency in Kandahar: Evaluating the 2010 Hamkari

Campaign;” Michaels “General: Heart of Afghanistan Insurgency Beaten;” et Lowary, “Halfway Through Afghanistan: While Frustrating, Tour Has High Points.”

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zones périphériques. On voit donc que l’absence d’alternative crédible à l’insurrection – à savoir des instances de gouvernance locales – continue de faire obstacle au programme de réintégration à de nombreux égards. Le maintien d’une pression durable sur les insurgés est l’un des principes clés de la stratégie de lutte contre l’insurrection, dont le but est de séparer les combattants récupérables des extrémistes. En juin 2010, une Jirga de la paix a confié au président Karzaï la mission de poursuivre les négociations de paix afin de mettre un terme au conflit. Des efforts de réconciliation et de réintégration ont été entrepris par le Programme pour la paix et la réintégration en Afghanistan, sous la direction d’un Haut Conseil pour la paix d’envergure nationale. Bien que l’on ait la preuve que ces initiatives ont localement porté leurs fruits, à ce jour, seules des avancées "modestes" ont été enregistrées dans l’incitation des combattants à quitter l’insurrection et à réintégrer la société, a indiqué le général Petraeus90. L’insurrection se compose d’un certain nombre d’acteurs. Le réseau Haqqani est un groupe puissant de composition tribale, dirigé par Sarajudin Haqqani et localisé dans les zones tribales administrées au niveau fédéral (FATA) du Pakistan ainsi que dans l'est de l'Afghanistan. Considéré depuis longtemps comme un client des services de renseignement pakistanais et un hôte d'al-Qaida, le réseau Haqqani est le groupe le plus engagé idéologiquement auquel doivent faire face les forces de la FIAS en Afghanistan. Il conserve également une proximité idéologique avec al-Qaida, et représente donc le plus grand groupe d'insurgés le moins ouvert aux initiatives de paix de Kaboul91. Le réseau Haqqani a tissé des liens avec la fédération Tehrik-I-Taliban Pakistan (TTP), qui rassemble des groupes d’insurgés unis contre le gouvernement pakistanais et ses récentes actions de lutte contre l’insurrection dans les FATA. Selon les analystes, les membres de la TTP sont eux aussi

90 Gall, “Petraeus Sees Military Progress in Afghanistan.” 91 Thomas Ruttig, “The Haqqani Network as an Autonomous Entity,” dans Decoding

the New Taliban, éd. Antonio Giustozzi (New York: Columbia University Press, 2009).

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considérés aujourd’hui comme des "irréconciliables"92. Le constat est le même pour le groupe Lashkar-e-Taibi (LeT) d’origine pakistanaise, qui est responsable des attentats de Mumbai en novembre 2008 et opère également dans la région jouxtant l’Afghanistan et le Pakistan93. Le groupe Hezb-I-Islami Gulbuddin (HiG), dirigé par Gulbuddin Hekmatyar, est peut-être le moins important des principaux groupes d’insurgés d’Afghanistan94. Il a eu autrefois des liens avec les talibans, al-Qaida et l’ISI (Inter-Services Intelligence)95. Sa première zone d’opération est le nord-est de l’Afghanistan, c’est-à-dire les provinces de Kunar, Laghman et Paktia. Bien qu’il soit peu probable que Hekmatyar lui-même puisse un jour servir dans le gouvernement afghan, son organisation reste celle que l'on considère comme la plus ouverte à une éventuelle réconciliation avec Kaboul. Plusieurs éléments en apportent la confirmation, notamment les déclarations passées de Hekmatyar montrant sa prédisposition à d'éventuelles négociations avec le gouvernement afghan96, ses liens possibles avec des membres du parti Hizb I Islami Afghanistan (HiA) appartenant au gouvernement de Kaboul97, et le fait que le HiG ait déjà perdu certains de ses membres98. On recense également en Afghanistan des réseaux criminels se livrant au trafic de drogues, à des enlèvements et à l'exploitation minière illicite, ainsi que des acteurs locaux de ce que l'on appelle la "guérilla accidentelle". En théorie, ces deux groupes

92 Claudi Franco, “The Tehrik-E Taliban Pakistan,” dans Decoding the New Taliban,

éd. Antonio Giustozzi (New York: Columbia University Press, 2009), p. 280. 93 Ashley Tellis, Bad Company – Lashkar E-Tayyiba and the Growing Ambition of

Islamist Militancy in Pakistan, témoignage devant la Commission des affaires étrangères de la Chambre des réprésentants des Etats-Unis, Sous-commission sur le Moyen-Orient et l’Asie du Sud, 11 mars 2010.

94 David W. Barno et Andrew Exum, Responsible Transition in Afghanistan: Securing American Interests (decembre 2010), Report for the Center for a New American Security, p.13.

95 Institute for the Study of War, Themes: Hizb-i-Islami Gulbuddin (HIG) (2011), http://www.understandingwar.org/themenode/hezb-e-islami-gulbuddin-hig.

96 Janullah Hashimzada, “Hekmatyar Offers Conditions for Talks,” Pajhwok Afghan News, 14 octobre 2008.

97 Institute for the Study of War, Themes: Hizb-i-Islami Gulbuddin (HIG). 98 Daily Times, “Hizb-e-Islami Militants Fight Taliban, Defect to Afghan Govt,” Daily

Times, 8 mars 2010.

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disparates et de grande ampleur pourraient tout à fait être réintégrés, au vu des initiatives de qualité qui sont prises au niveau local. Le constat est le même pour les seigneurs de la guerre et les fonctionnaires corrompus, dont le principal objectif est de conserver leurs appuis localement. Comme nous l'avons vu plus haut, il existe bien des perspectives de réconciliation, mais elles sont menacées par l'absence de cohésion entre les insurgés, leurs divergences idéologiques et leurs commanditaires. Comme l’a noté un observateur : les Afghans "peuvent tout à fait se battre en même temps qu’ils parlementent"99. Ragaillardis par l’annonce d’une réduction des troupes à partir de juillet, la plupart des groupes semblent se satisfaire de ne pas prendre position pour le moment100. Les frappes de drones, à la fois dans le cadre des missions de la FIAS en Afghanistan et des missions unilatérales dans les régions frontalières avec le Pakistan, ont également causé de fortes pertes parmi les insurgés et les cellules terroristes opérant dans ces zones. Selon une estimation, le nombre de missions menées par la CIA à l'aide de drones dans les régions tribales du Pakistan a doublé entre 2009 et 2010, et s’est élevé à une centaine101. En raison du caractère classifié des données et des différents chiffres, le nombre exact d’insurgés abattus et le ratio entre pertes parmi les insurgés et pertes civiles restent des sujets très controversés ; un ratio d'environ 65 pour 35 a toutefois été avancé par des observateurs avertis102. D’après des données empiriques fiables, outre le fait qu’il y ait eu à n’en pas douter de nombreux dégâts collatéraux, ces missions ont bien un impact direct sur les attentats terroristes contre les membres de

99 Andrew Exum, “Smoke and Mirrors in Kabul,” Foreign Policy, 22 octobre 2010,

http://www.foreignpolicy.com/articles/2010/10/22/smoke_and_mirrors_in_kabul?page=0,0.

100 Rudra Chauduri et Theo Farrell, “Campaign Disconnect: Operational Progress and Strategic Obstacles in Afghanistan 2009-2011,” International Affairs, vol. 87, no.2 (2011), p. 290-291.

101 Daily News, “Tribesmen Rally Against US Drones,” Daily News, 22 janvier 2011. 102 Peter Bergen et Katherine Tiedeman, The Year of the Drone: An Analysis of US

Drone Strikes in Pakistan, 2004-2010 (24 février 2010), Counterterrorism Strategy Initiative Policy Paper for the New America Foundation; et David Kilcullen et Andrew McDonald Exum, “Death From Above, Outrage Down Below,” The New York Times, 16 mai 2009.

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l'OTAN103. Si les drones jouent un rôle quelque peu différent en Afghanistan en raison du caractère plus conventionnel des combats qui y sont menés, ils ont néanmoins été utiles pour éliminer des chefs de groupes d'insurgés et d'organisations terroristes ; l’estimation du nombre de membres d’al-Qaida encore présents dans le pays aujourd'hui se limite en effet à une fourchette comprise entre 50 et 100104.

VIII. LE ROLE DES ENTREPRISES DE SECURITE PRIVEES

Répondant au souhait du gouvernement de Kaboul de réformer les entreprises de sécurité privées (PSC) – tant occidentales que locales – opérant en Afghanistan, le président Karzaï a fait savoir qu’il allait interdire à toutes les entreprises de sécurité privées d'exercer leur activité dans un délai de quatre mois suivant la signature de son décret d'août 2010105. Au beau milieu de l'agitation et de l'incertitude suscitées par cette annonce à l’échelle internationale – ne serait-ce qu’à cause du rôle primordial que jouent les 50 000 agents employés par des entreprises privées dans le maintien de la sécurité en Afghanistan –, la fermeture immédiate de ces sociétés a été ajournée, le temps de réaliser une enquête sur leurs activités. L’enquête menée par le gouvernement afghan a conduit à la mise en cause de 16 entreprises pour des infractions diverses telles que l’embauche d’un trop grand nombre d’agents de sécurité, le non-paiement des impôts pendant une durée allant jusqu’à deux ans, ainsi que la détention d’armes et de véhicules blindés non déclarés. Si les Etats membres de l’OTAN soutiennent généralement les projets du président Karzaï, ils ont également besoin des agents

103 Richard Norton-Taylor et Owen Bowcott, “‘Mumbai Style’ Terror Attack On UK,

France and Germany Foiled,” The Guardian, 29 septembre 2010. 104 Reuters, “How Many Al Qaeda Can You Live With?,” Reuters, 15 septembre 2010,

citation des chiffres de la CIA par l’ex-directeur de la CIA, Leon Panetta. 105 CNN Wire Staff, “Karzai issues decree disbanding private security firms,” CNN

World, 17 août 2010, http://articles.cnn.com/2010-08-17/world/afghanistan.security.firms_1_private-

security-companies-security-contractors-security-challenge?_s=PM:WORLD.

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de sécurité employés par les sociétés privées pour accomplir des tâches qui seraient sinon confiées à des unités militaires. Des négociations ont par conséquent été engagées pour tenter d’obtenir le droit de conserver des gardes privés dans les ambassades et sur les bases militaires, ainsi que pour surveiller les projets de construction financés par des fonds étrangers (notamment des routes et des centrales électriques). Le principal sujet de préoccupation n’était donc pas le processus de démantèlement des activités mais plutôt son calendrier et sa portée106. En février 2011, la communauté internationale et le gouvernement afghan sont tombés d’accord sur une stratégie de transition d’une durée de 12 mois pour réformer les activités des PSC. Cette stratégie consiste à autoriser la poursuite des activités de ces entreprises pendant un an, tout en développant les compétences et les moyens de la force de protection publique afghane (APPF) qui dépend du ministère de l'Intérieur, ainsi qu'en réduisant – mais sans le supprimer – le rôle des sociétés privées dans la sécurisation du pays107. Un centre de formation de l’APPF, qui devrait former 1 000 agents par mois, est actuellement en cours de construction108. Les informations dont on dispose laissent entendre que l’accord qui a été conclu permettra aux entreprises de sécurité privées occidentales de continuer à assurer la sécurité des ambassades et des bases militaires. D'autre part, il restera possible de faire appel à des agents et des services de sécurité privés pour les projets de construction, et ce sans limitation dans le temps. Selon le nouveau plan, les entreprises chargées des projets de reconstruction seront autorisées à disposer de leurs propres agents, dans une limite de 500 ; ce nombre pourra être étendu à un millier si elles s’acquittent d’une amende spéciale. Pour les

106 CNN Wire Staff, “Karzai issues decree disbanding private security firms.” 107 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 63.

108 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 63.

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contrats nécessitant plus de personnel, les entreprises devront recruter, former, armer et rémunérer de nouveaux gardes provenant de la force de protection publique afghane qui reprendra ensuite les rênes du contrat au bout de 12 mois. Si cette force n’est pas capable d'assumer ses responsabilités, l'entreprise privée restera aux commandes109.

IX. LES ACTIONS DE LUTTE ANTIDROGUE

La stratégie de la FIAS en matière de lutte antidrogue poursuit deux grands objectifs : "1) casser le lien entre drogue et insurrection et réduire massivement les revenus procurés aux insurgés par le trafic de stupéfiants ; et 2) s’en prendre au lien qui unit le trafic de drogues, la corruption et l’insurrection, et renforcer le gouvernement afghan."110 Sur le plan tactique, cela veut dire que la FIAS, en partenariat avec les ANSF, ignorent les cultivateurs de pavot et les petits fournisseurs pour se concentrer uniquement sur les gros trafiquants. Cet aspect est jugé essentiel dans la stratégie de lutte anti-insurrectionnelle qui est mise en œuvre actuellement, c’est-à-dire qui place la population au cœur des préoccupations. Au sein du RC-South et du RC-Southwest, où la culture du pavot, le trafic de drogues et l’activité des insurgés sont les plus développés, la FIAS continue de centrer ses efforts sur l'action militaire. Pour 2011, les autorités des Nations unies prévoient une légère diminution de la culture de pavot en Afghanistan, la forte hausse enregistrée dans le nord et le nord-est étant contrebalancée par une baisse dans les provinces de Helmand et Kandahar, grâce au programme d’éradication mis en place par le gouverneur111. Les chiffres de la production totale de pavot et d’opium ont en fait chuté de presque 50 % en 2010, mais cela était dû davantage à la présence de maladies qu’à la diminution

109 Jon Boone, “Afghanistan Lets Blackwater Stay Despite Shakeup of Security

Contractors,” The Guardian, 7 mars 2011. 110 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan, p. 83. 111 Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Afghanistan Opium Survey

2011: Winter Rapid Assessment All Regions, Phases 1 and 2, (Vienne: Office des Nations unies contre la drogue et le crime, avril 2011), p. 2.

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des cultures ; une hausse des prix s'en est alors suivie, qui a elle-même entraîné une augmentation des cultures dans les provinces du nord et du nord-est112. Un rapport plus ancien de l’Office des Nations unies conte la drogue et le crime (ONUDC) indique également que « statistiquement parlant, il existe un lien étroit entre l’insécurité et la culture du pavot ». Le pavot est cultivé dans la quasi-totalité des villages où règne une grande insécurité et dans la majorité de ceux où la sécurité n'est pas bonne. En règle générale, les villages se trouvant dans des zones peu sûres ont une forte probabilité de cultiver du pavot, alors que ceux situés dans des zones où il n’y a pas de problème sont moins susceptibles de le faire. La sécurité est un sujet de préoccupation générale dans la plupart des régions du sud du pays (les provinces de Helmand, Uruzgan et Kandahar). L’insécurité règne également à l’ouest de l’Afghanistan, dans les provinces de Badghis, Nimroz et Farah113. Entre septembre 2010 et mars 2011, les forces de sécurité afghanes ont, avec le soutien de la FIAS, saisi plus de 49 000 kg d’opium, d’héroïne et de morphine114. Au cours de cette période, la FIAS a continué à se doter de capacités supplémentaires et à mieux cibler ses actions. Pleinement opérationnelle, elle continue d’apporter son soutien aux enquêtes de police et aux opérations militaires en fournissant une analyse des principaux réseaux de trafiquants. Pour mettre ces réseaux hors de combat, la FIAS cible son action sur leur fonctionnement (lieux de refuge, déplacements, communications et financement) plutôt que sur leurs seuls

112 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 99; Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Afghanistan Opium Survey 2011: Winter Rapid Assessment All Regions, Phases 1 and 2, pp. 7-10.

113 Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Afghanistan Opium Survey 2011: Winter Rapid Assessment for the Central, Eastern, Southern and Western Regions (Vienne: Office des Nations unies contre la drogue et le crime, janvier 2011), p. 2.

114 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan and United States Plan for Sustaining the Afghanistan National Security Forces, p. 99.

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membres. Un renforcement des actions de ce type est nécessaire. Pour mettre les chiffres précédents en perspective, on estime que 750 000 kg d’opium brut non raffiné ont été produits en 2008 dans les zones contrôlées par les insurgés. La FIAS n’a pas encore réussi à chiffrer avec précision ce que rapporte financièrement le trafic de drogues aux insurgés, mais les revenus annuels de ce trafic sont estimés dans la région à un total de 430 millions de dollars115.

X. CONCLUSIONS

Il est extrêmement difficile, dans une situation aussi complexe que le conflit actuel en Afghanistan, de dresser un bilan définitif. Les paragraphes qui suivent feront la synthèse de ce que votre rapporteur considère comme les signes les plus importants des progrès accomplis à ce jour. Entre le début de l’année 2010 et la mi-2011, les progrès réalisés par la campagne militaire ont été clairs : des succès tactiques ont indéniablement été obtenus de façon visible dans les régions d’Afghanistan où la FIAS et les forces américaines ont centré leur action, d’intenses efforts civils et militaires y ayant été déployés au prix d’énormes sacrifices humains et financiers. Pour citer des exemples, les villes de Nawa, Garmsir, Lashkar Gar, Nad-e-Ali et Marjah qui, au centre de la province d’Helmand, ont bénéficié d'une action ciblée, sont aujourd’hui relativement sûres. Les efforts en matière de développement et de gouvernance ont également porté leurs fruits dans ces régions. Des succès militaires sont en outre visibles dans le bastion traditionnel des talibans, c’est-à-dire les districts de Panjwai, Zhari et Arghandab, dans la province de Kandahar, où les zones contrôlées auparavant par les insurgés ont été nettoyées et reprises après d’intenses combats au cours desquels les talibans ont subi toute une série de défaites tactiques.

115 Gretchen Peters, “The Taliban and the Opium Trade,” Decoding the New Taliban,

éd. Antonio Giustozzi (New York: Columbia University Press, 2009), p. 19.

105

Lors de leurs affrontements avec les forces terrestres de la FIAS, les insurgés ont essuyé des défaites tactiques et opérationnelles, et subi de lourdes pertes. Il est important de noter que les raids des forces spéciales de la coalition et les attaques de drones ont éclairci les rangs des chefs de l’insurrection des échelons intermédiaires. Un autre aspect tout aussi important est que les efforts qui ont été fournis au cours de la même période pour former et équiper les forces nationales de sécurité afghanes ont continué à porter leurs fruits, en grande partie grâce à l'action de la mission OTAN de formation en Afghanistan. Malgré les pertes, les effectifs de ces forces devraient atteindre les 305 000 hommes en octobre 2011, et augmenter jusqu'à un objectif de 352 000. La qualité des nouvelles recrues s'améliore (en particulier sur le plan de leur alphabétisation), et il en est de même pour leur équipement. La force aérienne afghane a également continué à se développer en termes de capacités. Le nombre de formateurs des forces afghanes a été considérablement accru. Bien que ces forces ne soient pas encore autonomes, elles parviennent de plus en plus souvent à apporter elles-mêmes des réponses efficaces aux problèmes de sécurité. Les actions de lutte antidrogue se sont poursuivies, et la culture du pavot a légèrement diminué dans l’ensemble du pays en 2010 et au premier semestre de 2011. Les saisies de drogues ont presque doublé entre septembre 2010 et mars 2011, mais la difficulté est de parvenir à développer les capacités afghanes de lutte antidrogue. Les avancées obtenues dans les domaines précités sont toutefois à nuancer. Les succès remportés dans les combats contre les insurgés ont poussé ces derniers à changer de tactique, notamment en lançant des attaques contre les responsables afghans les plus en vue et contre les symboles de la communauté internationale. Les progrès accomplis dans la création de zones de sécurité ne se sont pas suffisamment accompagnés d’un rapport direct entre les responsables afghans et les populations locales en matière de prestation de services.

106

Les membres les plus influents de l’insurrection continuent de bénéficier sanctuaires où ils peuvent planifier leurs actions et reconstituer leurs forces. Sur le plan intérieur, les pays contributeurs attendent avec impatience que l’opération arrive à son terme. Depuis la précédente version du présent rapport, plusieurs annonces d’une grande importance stratégique ont été faites concernant le retrait futur d’Afghanistan des contingents nationaux. En juin 2011, le président Obama a donné un aperçu du retrait progressif des troupes américaines qu'il avait envoyées en renfort en Afghanistan (soit plus de 30 000 hommes) : 10 000 soldats rentreront aux Etats-Unis à la fin 2011, et 23 000 en septembre 2012. En 2010, les Pays-Bas ont mis fin à leur mission de combat et retiré la plupart de leurs 1 900 hommes. Concernant le Canada, ses 3 000 soldats ont achevé leur mission de combat à Kandahar en juillet, mais un grand nombre d’entre eux ont été affectés à la mission de formation. Du côté de l’Allemagne, un vote a été émis en janvier par le parlement pour que le retrait des 4 900 soldats allemands commence fin 2011 : c’est la première fois que le troisième plus gros contributeur de la FIAS fixe un calendrier pour le rappel de ses soldats. Le Royaume-Uni, qui a déployé le deuxième plus gros contingent (9 500 hommes), rappellera 450 soldats fin 2011 et 500 autres en 2012116. Les Britanniques ont également indiqué qu'ils retireraient toutes leurs unités de combat d’ici 2015. La France rappellera quant à elle un millier de ses 4 000 hommes avant la fin 2012117. La Pologne a fait savoir qu’elle allait rapatrier ses 2 600 hommes d’ici 2014. Enfin, la Belgique a annoncé que son contingent de 600 soldats présents en Afghanistan serait réduit de moitié début 2012118.

116 Elisabeth Bumiller, “Gates Faults U.S. Allies on Afghan War,” The New York Times,

11 mars 2011; et Nick Hopkins, “Afghanistan Withdrawal: 500 Troops to Leave Next Year, Says David Cameron,” The Guardian, 6 juillet 2011.

117 Nadege Puljak, “France to Pull 1,000 Troops From Afghanistan: Sarkozy,” AFP, 11 juillet 2011.

118 AFP, “Belgium to Halve Afghan Troop Numbers From January,” AFP, 26 juin 2011; et Agence Europe, “NATO/Afghanistan: Series of First Withdrawals,” Europe Diplomatie et Défense, no. 427, (28 juin 2011).

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Un autre sujet de préoccupation tout à fait justifié est la baisse de soutien de la population afghane locale à l’égard de la présence de la FIAS en Afghanistan, une tendance aggravée par des incidents ayant coûté la vie à des civils et par des événements savamment exploités par les talibans à des fins de propagande (comme par exemple l’autodafé d’un Coran par un pasteur fondamentaliste américain). Ceux qui espéraient que la "montée en puissance" des forces militaires commencée il y a plus d’un an apporterait la solution aux problèmes de l’Afghanistan doivent de toute évidence être déçus. En fait, même les partisans de ces renforts ont reconnu que les progrès qui ont été obtenus sont fragiles et réversibles. Pour autant, ces difficultés ne doivent pas faire oublier le contexte dans lequel a eu lieu l’engagement de l’OTAN ainsi que les progrès globaux réalisés jusque-là. Pour n’en citer que quelques-uns, l’un des plus importants à tous points de vue est qu’il y a dix ans, seuls 9 % des Afghans avaient accès à des soins médicaux de base, alors qu’ils sont aujourd’hui près de 85 %. Sous le régime des talibans, 1 million d’enfants allaient à l’école ; ils sont désormais 7 millions, dont un tiers de filles119. L’Afghanistan s’est également doté d'un secteur des médias libre et dynamique, et plus de 5 millions de réfugiés afghans ont regagné leur pays. L’engagement actuel de l’Alliance n’est pas seulement un élément important pour la réussite passée et future de l’Afghanistan, mais aussi une nécessité au regard de la sécurité des Etats membres de l’OTAN. En vérité, la nécessité d’empêcher que l’Afghanistan ne redevienne un lieu de refuge pour le terrorisme international est toujours d’actualité. D’où l’importance que le processus de transition se déroule en fonction de la situation sur le terrain plutôt que sur la base des impératifs politiques des pays contributeurs de forces. Même si l’élimination d’Oussama Ben Laden a fait dire à un haut représentant des Etats-Unis que la défaite stratégique d’al-Qaida

119 Peter Bergen, “The Crossroads: Can We Win in Afghanistan?,” The New Republic,

26 mai 2011, pp. 12-15.

108

était "toute proche"120, on ne connaît pas encore très bien le lien entre, d'une part, la capacité des Etats-Unis et de ses alliés à éliminer ou capturer les chefs d’al-Qaida et, d’autre part, l’état de préparation de l’Afghanistan à la transition en termes de conditions de sécurité. Pour ce qui est de l’avenir, selon la vision à long terme du président Karzaï, la poursuite des efforts de l'Alliance favorise la transformation de son pays en un "Etat stable, prospère et démocratique » qui conduira son « peuple de la pauvreté à la prospérité et de l'insécurité à la stabilité"121. L’Afghanistan du futur pourrait occuper une place centrale dans la coopération économique régionale, jouant un rôle à part entière au sein de la communauté internationale avec des droits et des devoirs dignes d’un Etat du XXIe siècle122. Les membres de l’Alliance devront s’assurer que le peuple afghan est capable de poursuivre les avancées, certes fragiles mais bien réelles, qui ont été obtenues dans leur pays. Cela devra passer par un partenariat énergique, ainsi que par une conclusion délibérée, bien préparée et conjointe des opérations de combat, lorsque le moment sera venu. Les sacrifices que nous avons endurés collectivement, et les progrès que ces sacrifices ont permis, n’en exigent pas moins.

120 Phil Stewart, “Leon Panetta Says Al Qaeda’s Defeat ‘Within Reach’,” Reuters,

9 juillet 2011. 121 Hamid Karzai, Discours du président Karzaï à la conférence internationale de

Kaboul sur l’Afghanistan, 20 juillet 2010, http://www.afghanistan-un.org/wp-content/uploads/2010/07/president-karzai-

speech.pdf. 122 Hamid Karzai, Discours du président Karzaï à la conférence internationale de

Kaboul sur l’Afghanistan.

109

TROUVER DES SOLUTIONS VIABLES EN AFGHANISTAN :

LES EFFORTS DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE POUR CONSTRUIRE

UNE ECONOMIE ET UNE SOCIETE AFGHANES QUI

FONCTIONNENT

Rapport

par

Jeppe KOFOD (Danemark)

(2009 - 2011) Rapporteur de la Sous-commission sur les relations économiques transatlantiques

Ce rapport a été élaboré pour la Commission de l’économie et de la sécurité en

août 2011 et adopté à la Session annuelle de l’AP-OTAN à Bucarest, Roumanie en octobre 2011.

110

111

TABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION 113

II. RELEVER LE DEFI HUMANITAIRE ET DU DEVELOPPEMENT EN PLEIN COEUR D’UN CONFLIT ARME 117

III. EFFORT MILITAIRE ET DEVELOPPEMENT 125

IV. BILAN DU DEVELOPPEMENT EN AFGHANISTAN 137

V. PROJETS COMMUNAUTAIRES 143

VI. CORRUPTION ET TRAFIC D’OPIUM 145

VII. INSUFFISANCE DES CAPITAUX AFFECTES AUX INVESTISSEMENTS 150

VIII. CONCLUSIONS 152

112

“La guerre est toujours un mélange d’histoires contradictoires, racontées différemment selon que l’on se trouve terré dans un trou sur le terrain, ou savourant une tasse de thé dans le palais présidentiel.” Ahmed Rashid, journaliste “La guerre en Afghanistan est un exercice d’édification de la nation par la voie des armes ; celui qui le nie est tout simplement un idiot ou un menteur.” Anthony Cordesman, analyste des questions de défense, Centre pour les études stratégiques internationales “Pouvoir et vouloir servir en réaction à des situations d’urgence est une chose. Devoir toujours être celui qui commande le tir en est une autre, bien différente.” Amiral Mike Mullen, Chef d’état-major des armées des Etats-Unis “Les pessimistes ne comprennent pas à quel point l’Etat afghan a failli en 2001 et ne se rendent dès lors pas compte de tous les progrès réalisés depuis dans de nombreux domaines, notamment en matière de reconstruction économique et politique.” … “Bien que l’Afghanistan reste un pays pauvre, mal gouverné et en proie à la violence, il est plus riche, plus libre et plus sûr qu’il ne l’a jamais été en une génération.” Paul D. Miller, ex-directeur pour l’Afghanistan au Conseil de Sécurité nationale des Etats-Unis “Face aux graves difficultés qui affectent tous les éléments de l’actuelle politique américaine en Afghanistan, se montrer optimiste quant à l’aptitude de cette stratégie à atteindre ses objectifs me fait penser à la Reine Blanche dans « De l’autre côté du miroir » : ‘Ainsi, parfois je parvenais à croire jusqu’à six choses impossibles avant le petit déjeuner’." S.E. l’ambassadeur Robert D. Blackwill, ancien Ambassadeur américain en Inde.1

* * * *

1 Ahmed Rashid, “The Way Out of Afghanistan,” The New York Review of Books,

13 janvier 2011; Anthony H. Cordesman, "How to Lose a War - and Possibly How to Win One," Afghan Metrics of the Center for Strategic and International Studies, 12 janvier 2010, http://csis.org/publication/afghan-metrics; Adm. Mike Mullen, dans Max Hastings, “Heroism Is No Substitute for an Afghan Strategy,” Financial Times, 21 décembre 2010; Paul D. Miller, “Finish the Job: How the War in Afghanistan Can Be Won,” Foreign Affairs (janvier/février 2011); et Robert D. Blackwill, “Plan B in Afghanistan: Why a De Facto Partition is the Least Bad Option,” Foreign Affairs (janvier/février 2011).

113

I. INTRODUCTION

Il arrive que des gens sérieux, qui partagent les mêmes valeurs et les mêmes aspirations, parviennent, lorsqu’ils sont confrontés à des défis relevant des affaires publiques, à des conclusions radicalement différentes quant à la façon de traiter un problème donné. C’est le cas en ce qui concerne la guerre en Afghanistan. Il suffit de se pencher sur les articles publiés récemment par divers théoriciens expérimentés, experts en stratégie, pour constater rapidement combien les perspectives divergent non seulement quant aux conditions qui prévalent dans ce pays, mais aussi quant à la panoplie de mesures à prendre afin de trouver une issue acceptable pour tous. Un tel constat n’est pas vraiment encourageant, car il traduit l’éclatement de l’opinion d’une élite sur une question de politique de sécurité fondamentale, ainsi qu’un scepticisme croissant quant au résultat final du conflit. A bien des égards, la guerre en Afghanistan commence à "nous" diviser. Pour certains observateurs, l’Afghanistan suscite aujourd’hui un pessimisme pesant, alimenté par l’instabilité et la pauvreté désespérantes d’un pays confronté à la violence insurrectionnelle, aux rivalités tribales, à la corruption et à la production de narcotiques. Un pays qui doit faire face, de surcroît, à une présence internationale pas vraiment cohérente, qui apparaît souvent comme "déboussolée". Pour d’autres, les changements de politique survenus récemment commencent au contraire à inverser la tendance. Comme c’est souvent le cas, la vérité se situe probablement à peu près à mi-chemin entre ces deux perspectives divergentes. S’il y a bien un point sur lesquels les acteurs occidentaux semblent d’accord à propos de l’Afghanistan, c’est l’aveu d’avoir commis, entre 2001 et 2008, des erreurs fondamentales en matière de stratégie politique et militaire occidentale, ce qui expliquerait, en partie du moins, la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Nos gouvernements, notre alliance et la communauté internationale ont mené des politiques fondées sur le plus petit dénominateur commun, poursuivant

114

des intentions exagérément ambitieuses. Ces politiques ont souffert d’un manque de coordination, d’une insuffisance de ressources et d’une approche tactique inadaptée dans la pratique. In fine, ces lacunes ont ré-ouvert la voie de l’insurrection aux talibans, dont les méfaits n’ont cessé de se multiplier au fil du temps à un point tel qu’aujourd’hui, certaines régions du pays sont quasiment ingouvernables. Pour beaucoup, pareilles défaillances alimentent un dilemme cauchemardesque lorsqu’il s’agit de définir les dimensions de la politique à mener au plan militaire, politique, diplomatique, humanitaire, économique, de la gouvernance et du développement. Toutes ces dimensions doivent aujourd’hui être considérées dans une approche "globale" qui se résume, dans les faits et sans en porter le nom, à un projet armé d’édification de la nation. Cependant, c’est la reconnaissance collective des graves manquements du passé et de l’échec de la campagne militaire qui a amené récemment la communauté internationale à revoir ses objectifs et à changer de tactique. En décembre 2009, les Etats-Unis et leurs partenaires de la coalition se sont embarqués dans une correction de trajectoire à mi-course. Celle-ci impliquait un brusque accroissement des effectifs civils et militaires, une stratégie militaire visant à contrer l’insurrection (assortie d’un objectif de protection des populations civiles même si la dimension de lutte contre le terrorisme n’était pas abandonnée), une nette augmentation de l’aide étrangère accompagnée d’un engagement renouvelé à mieux coordonner cette aide et à mieux cibler les ressources (financières et humaines) vers l’édification d’une capacité institutionnelle. L’accroissement de la présence militaire occidentale en Afghanistan devait hypothétiquement – et peut-être paradoxalement – mieux préparer la société afghane et ses institutions encore sous-développées à assumer la responsabilité de la sécurité du pays dans son ensemble. Parallèlement cependant, les dirigeants occidentaux se sont efforcés de calmer les attentes. Lors des conférences consacrées au sort du pays, les mises en garde spécifiant que personne ne doit s’attendre à

115

l’avènement d’une démocratie de type suisse en Afghanistan sont fréquentes. Modérer les attentes s’avère particulièrement important alors que les Etats-Unis et leurs Alliés s’apprêtent à retirer graduellement leurs troupes d’Afghanistan. En juin 2011, le président Barack Obama a annoncé le retrait de 10 000 soldats d’ici la fin de l’année. Le retrait des 20 000 soldats résultant du renforcement des forces en 2009 interviendra pour l’été 2012. Dans le cadre de ce calendrier, les Etats-Unis souhaitent transférer la sécurité du pays aux autorités afghanes pour la fin 2014.1 Peu après que la décision américaine ait été rendue publique, la France a annoncé un plan de retrait "progressif" et "proportionnel", suivant un calendrier à peu près similaire à celui des Etats-Unis. L’Allemagne a, elle aussi, annoncé son intention de réduire sa présence en Afghanistan, tandis que début juillet, le Canada a achevé sa mission de combat dans le pays.2 Ces retraits prévus interviennent toutefois à un moment où la situation sécuritaire en Afghanistan semble se détériorer. D’après la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), les six premiers mois de 2011 ont été marqués par le plus grand nombre de tués parmi les civils afghans depuis le début de la guerre.3 En juillet 2011, peu avant le début du transfert aux autorités afghanes, une série d’attaques visant les plus proches alliés du président Hamid Karzaï a démontré l’extrême fragilité de la situation sécuritaire dans le pays. Début août, les troupes américaines ont, quant à elles, connu leur journée la plus meurtrière d’une guerre longue de dix ans, lorsque les talibans ont abattu un de leurs hélicoptères de transport. Trente soldats américains et huit Afghans ont été tués au cours de cette attaque. Il s’agit-là d’exemples parmi d’autres d’une série de revers essuyés par les forces de la

1 Mark Landler et Helene Cooper, “Obama Will Speed Pullout from War in

Afghanistan,” The New York Times, 22 juin 2011. 2 Elaine Ganley et Jamey Keaten, “Europeans Hail US Drawdown from Afghanistan,

as French Jump on Board, Others Mull Pullouts,” AP, 23 juin 2011. 3 Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), “Shifting Tactics

Drive Record High Afghan Civilian Death Toll in First Half of 2011,” UNAMA News, 14 juillet 2011,

http://unama.unmissions.org/Default.aspx?tabid=1741&ctl=Details&mid=1882&ItemID=14449.

116

coalition, dont les effectifs sont appelés à diminuer au cours des prochains mois.4 Par ailleurs, nombreux sont actuellement ceux qui s’accordent à reconnaître qu’il n’y a pas de solution exclusivement militaire aux nombreux défis auxquels l’Afghanistan doit faire face. La réussite se mesurera probablement à l’aune de plusieurs facteurs : amélioration de l’appareil de gouvernance, de sorte que la plupart des citoyens reconnaissent la légitimité de l’Etat ; limitation (dans une certaine mesure) de la corruption, qui demeure largement omniprésente et qui fait des ravages considérables ; économie qui fonctionne et qui offre un niveau de vie adéquat à la plupart des Afghans ; et enfin, amélioration de la sécurité des populations, qu’il convient de protéger non seulement contre les attaques des talibans, mais aussi contre les déprédations commises par des criminels, en particulier par certains seigneurs de la guerre locaux, souvent alliés à des éléments du gouvernement, et qui agissent en toute impunité contre les intérêts du peuple afghan. Il convient également d’être conscient qu’aucun de ces objectifs ne sera probablement pleinement atteint et que certains d’entre eux peuvent être contradictoires. Le but ultime de cette évolution est de tracer la voie de la réconciliation nationale – un processus qui impliquera probablement des négociations avec toutes les parties, hormis les plus intransigeantes (à savoir, al-Qaida et des groupes qui coopèrent avec lui). La reconnaissance des échecs passés a donc contribué à ouvrir un débat plus honnête et plus réaliste quant à la nature des défis auxquels sont confrontés à la fois la FIAS et les Afghans, et quant aux critères à adopter pour mesurer le taux de réussite. La bonne nouvelle est qu’une stratégie appropriée dépend, en fin de compte, d’évaluations honnêtes de ce genre. De toute évidence, les Etats-Unis et leurs alliés ont réajusté leurs attentes et leur démarche après avoir évalué en toute franchise les politiques menées précédemment. La mauvaise nouvelle est que nombreux sont les sceptiques qui doutent des chances de

4 Kevin Sieff et Greg Jaffe, “22 Navy SEALs among 30 U.S. Troops Killed in

Afghanistan as NATO Helicopter is Shot Down,” The Washington Post, 6 août 2011.

117

réussite réelles de cette nouvelle stratégie, voire même de la mise en œuvre d’une approche aussi tentaculaire étant donné les contraintes évidentes - et croissantes – qui pèsent sur les fonds publics, la volonté politique et les véritables leviers que peuvent actionner des parties externes sur une population afghane traumatisée et profondément divisée. En fait, le débat a déjà commencé sur ce qu’il conviendrait de faire au cas où les nouvelles stratégies de l’OTAN/FIAS, des Etats-Unis et de la communauté internationale n’aboutiraient pas, dans l’ensemble, à des résultats acceptables. L’utilisation du terme “stratégies” fait d’emblée partie du problème. Elle équivaut d’ailleurs à reconnaître qu’il existe encore de réelles divisions entre les différents acteurs. Il ne fait aucun doute que les pays membres de l’OTAN perçoivent les défis cruciaux que pose la coopération avec le gouvernement afghan, avec d’autres alliés, avec des partenaires et des quasi-partenaires comme le Pakistan et l’Inde, avec des rivaux comme l’Iran, des organisations internationales et des ONG. Aujourd’hui, la coalition compte sur une multitude d’acteurs pour "ramer en cadence". Non seulement les rameurs sont nombreux sur chaque bateau, mais le nombre de bateaux engagés est, lui aussi, très élevé. Le problème vient (en partie) du fait que ces bateaux ne voguent pas tous dans la même direction et que certains ne changeront probablement jamais de cap. Ce seul fait suffit à suggérer que nous nous dirigeons vers une solution peu satisfaisante de la crise.

II. RELEVER LE DEFI HUMANITAIRE ET DU DEVELOPPEMENT EN PLEIN COEUR D’UN CONFLIT ARME

L’on ne peut débuter le présent rapport sur les défis humanitaires et liés au développement en Afghanistan sans un constat relativement sombre : malgré l’apparente courtoisie qui règne entre les Etats membres de l’OTAN, définir avec précision comment la politique de développement s’inscrit dans l’équation de la sécurité fait toujours l’objet d’un débat intense

118

parmi les experts. Un premier point en discussion concerne l’utilisation du mot « développement » : pour certains spécialistes des questions de développement, il serait préférable de ne pas utiliser ce terme dans un contexte marqué par un conflit qui n’est pas terminé, car le développement proprement dit ne peut vraiment débuter que s’il existe un minimum de stabilité. A cet égard, notons que – depuis le renversement des talibans – 90 % de l’aide internationale sont attribués au secteur de la sécurité et que, sur les 10 % restants, 70 % vont à des acteurs ne relevant pas des pouvoirs publics. Cela pourrait expliquer l’échec de la mise en place d’une capacité au sein d’un Etat afghan en guerre.5 Il est extrêmement rare qu’un comportement de marché normal fasse son apparition dans un climat de guerre civile présentant des risques considérables ; dans pareilles circonstances, les calculs pour garantir sa survie à court terme ont généralement tendance à l’emporter sur une vision à long terme. Le vrai développement présuppose l’existence d’un certain degré de paix sociale. Les défis auxquels l’Afghanistan doit faire face en matière de développement sont gigantesques et ils le seraient tout autant en temps de paix. L’Afghanistan est l’un des pays les plus pauvres au monde et ses indicateurs sociaux figurent parmi les pires de la planète. A l’échelle mondiale, il présente le taux de mortalité infantile le plus élevé, le deuxième taux en importance de mortalité puerpérale et c’est le seul pays de la planète où l’espérance de vie des femmes est plus courte que celle des hommes. Le niveau d’accès à l’eau potable, aux installations sanitaires, à l’électricité et aux services sociaux est l’un des plus bas au monde. Le degré d’alphabétisation est inférieur à 30 % et seuls 25 % des enfants des campagnes vont à l’école. L’Afghanistan occupe l’avant-dernière place sur l’indice des Perceptions de la Corruption de Transparency International et souffre de niveaux particulièrement élevés de violence, de violations systématiques des droits humains et de discrimination

5 Masood Aziz “Effective Initiatives towards Local Economic Development and

Empowerment,” dans Afghanistan 2011-2014 and Beyond: From Support Operations to Sustainable Peace, ed. Luis Peral et Asheley Tellis (Paris: European Union Institute for Security Studies et Carnegie Endowment for International Peace, février 2011).

119

des genres. Ce pays est également très vulnérable aux catastrophes naturelles car il ne possède pratiquement aucune institution, aucune politique et aucune infrastructure capables d’en atténuer les risques. Le pays est enclavé et son accès aux marchés mondiaux est limité en raison de liaisons internationales inexistantes et d’un climat d’insécurité persistant et omniprésent.6 L’absence de sécurité n’est pas de bon augure pour les perspectives de développement à long terme de l’Afghanistan. Ce pays est aujourd’hui le seul à présenter une situation de crise complexe, où pratiquement tous les grands Etats donateurs sont aussi parties prenantes au conflit – ce qui engendre un ensemble particulier de défis pour le pays, pour les donateurs et pour la communauté internationale dans son ensemble. Ce n’est pas un hasard si cette guerre est aussi la seule situation de crise complexe où le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) de l’ONU ne parvient pas à négocier avec les deux camps. Les insurgés perçoivent une collusion directe entre l’ONU et la FIAS et assimilent donc les représentants de la première à l’ennemi. Cette perception complique énormément les choses pour l’ONU, qui ne peut dès lors pas remplir sa mission humanitaire comme elle le souhaiterait. A l’opposé, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a réussi à préserver des contacts avec les groupes d’insurgés, mais uniquement parce qu’il s’est engagé à respecter rigoureusement les principes de neutralité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) utilise les couloirs du CICR pour mener, dans tout le pays, des campagnes de vaccination qui portent leurs fruits. Il s’agit-là d’une des avancées humanitaires les plus impressionnantes enregistrées ces dernières années. En dix ans de crise, l’on a également eu tendance à classer l’Afghanistan dans la catégorie des sociétés d’après-conflit alors que ce n’était pas du tout le cas. C’est pour cette raison

6 Mohammad Ehsan Zia, “Afghan Aid That Works,” The Christian Science Monitor,

18 mai 2008; et Antonio Donini, Afghanistan Humanitarianism Unraveled, (Boston: Feinstein International Center of Tufts University, mai 2010), Briefing Paper.

120

précisément que le BCAH a fermé ses portes en 2002 et ne les a rouvertes qu’en 2009, lorsqu’il est devenu incontestable que le conflit en Afghanistan avait empiré. Le BCAH souffre dès lors d’un manque de relais sur le terrain et de données insuffisantes quant à la gravité et à l’étendue de la crise humanitaire.7 Il s’efforce aujourd’hui de combler ces lacunes. En général, les groupes humanitaires fonctionnent selon cinq principes de neutralité fondamentaux :

• Le principe de l’humanité, qui désigne l’engagement à sauver des vies, à alléger la souffrance humaine et à préserver la dignité de l’être humain ;

• Le principe de l’impératif humanitaire, qui désigne le droit qu’a la communauté internationale d’apporter une aide humanitaire partout où elle s’avère nécessaire ;

• Le principe de l’indépendance, c’est-à-dire la liberté des organisations humanitaires par rapport à des objectifs ou idéologies politiques. Les ONG prennent leurs propres décisions et développent leurs propres programmes, calendriers et stratégies ;

• Le principe de l’impartialité, qui désigne la distribution de biens et de services quelle que soit l’identité des personnes à secourir ;

• Le principe de la neutralité, qui désigne l’engagement des ONG à ne prendre parti pour aucune cause dans des conflits politiques ou militaires.8

De nombreuses associations humanitaires parmi les plus importantes considèrent que, si on les présente comme travaillant de concert avec la FIAS ou le gouvernement afghan, elles ne pourront plus se profiler de manière à répondre aux besoins humanitaires du pays. Des travailleurs humanitaires ont été attaqués par les insurgés, notamment parce qu’ils étaient assimilés à l’aile civile de l’effort déployé par le gouvernement/la FIAS. Selon une croyance très répandue en

7 Donini, Afghanistan Humanitarianism Unraveled. 8 Lisa Schirch, “The Civil Society-Military Relationship in Afghanistan,” Peace Brief

56, United States Institute of Peace, 24 septembre 2010.

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Afghanistan, les missions de développement auraient un lien avec l’OTAN parce que les forces de l’OTAN sont (désormais) impliquées dans le jeu du développement. Cela complique énormément la vie des agences de développement qui opèrent dans le pays. Le CICR a récemment fait savoir que l’accès aux équipes d’aide humanitaire n’avait jamais été aussi limité depuis 30 ans en Afghanistan et a lancé une mise en garde à ce sujet.9 Et pourtant, l’OTAN, les gouvernements des pays membres de la coalition et la MANUA en appellent tous à une meilleure coordination entre les missions militaires, humanitaires et de développement.10 Il existe donc une réelle contradiction, trop souvent passée sous silence plutôt que débattue ouvertement. Pour faire face au problème, le BCAH cherche actuellement à élargir le périmètre des opérations humanitaires. Certains indices autorisent à penser qu’une fraction des talibans pourrait se montrer plus conciliante en la matière. Parmi les idées avancées, les deux parties seraient invitées à adopter des mesures visant à renforcer la confiance sur le plan humanitaire, afin que les populations les plus vulnérables puissent en tirer parti sans délai. Le ministère afghan de la Santé reconnaît également qu’il faut s’engager aux côtés de l’opposition armée pour assurer le succès des campagnes de vaccination. Sur ce plan également, les talibans font preuve de plus de souplesse depuis quelque temps. Des progrès dans ce domaine pourraient contribuer à ouvrir la voie d’un dialogue élargi, que beaucoup considèrent comme inéluctable pour mettre fin au conflit. Au cours des dernières années, des combats intenses ont meurtri de nombreuses régions du Sud et de l’Est de l’Afghanistan. De toute évidence, les civils concernés dans ces régions cherchent davantage à survivre qu’à essayer d’adopter le type de comportement économique nécessaire à un développement et à une croissance économique durables. En d’autres termes, les individus ne sont pas en mesure d’investir dans leur avenir lorsqu’ils sont victimes de graves traumatismes.

9 Matthew Green, “Afghans Resist IMF Pressure to Sell Off Bank,” Financial Times,

2 février 2011. 10 Schirch, “The Civil Society-Military Relationship in Afghanistan”.

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En fait, l’occupation talibane isole pratiquement les populations de ces régions du reste du pays et de la majeure partie de la communauté internationale. Etant donné l’intensité du conflit, les équipes affectées à l’aide humanitaire et au développement voient leur liberté de circulation de plus en plus limitée dans tout le pays. Les talibans et d’autres groupes d’insurgés ont déjà tué des centaines de travailleurs courageux ces dernières années, ce qui entrave sérieusement la mobilité de ces équipes. Les attaques perpétrées contre des équipes d’aide humanitaire ont pour effet de réduire fortement l’espace dans lequel ceux-ci peuvent déployer leurs efforts.11 De plus en plus contraints de s’abriter derrière des murs pare-souffle à Kaboul et dans d’autres villes, les organismes internationaux d’aide au développement estiment aujourd’hui qu’il est très difficile de travailler sur le terrain et d’entreprendre les types de projets qui seraient envisageables dans un climat de paix et de stabilité accrues. Ils consacrent les maigres ressources dont ils disposent à leur propre protection plutôt que d’apporter l’assistance voulue aux populations ; seul du personnel local peut accomplir une grande partie du travail sur le terrain.12 Par ailleurs, au cours des dernières années, la zone d’insécurité n’a cessé de s’étendre. L’infiltration des talibans jusqu’aux extrémités septentrionale et occidentale du pays, où les forces de la coalition sont nettement moins concentrées, sème le trouble dans des régions qui étaient autrefois présumées stables et intouchables par les insurgés, et qui avaient commencé à mettre en place les prémices d’un développement durable. Les combattants talibans ont également envahi des villes comme Kandahar où ils mènent des campagnes d’intimidation pour dissuader les citoyens de collaborer avec les autorités locales ou le gouvernement national.13 Un développement économique et social durable nécessite également des institutions publiques relativement fiables, un niveau minimum d’aptitude à la gouvernance, des structures judiciaires et policières appropriées, et une certaine capacité à

11 Donini, Afghanistan Humanitarianism Unraveled. 12 Donini, Afghanistan Humanitarianism Unraveled. 13 Yaroslav Trofimov, “Afghan Push Sends Taliban into City,” The Wall Street Journal,

3 novembre 2010.

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limiter la corruption. Depuis ces 30 dernières années, aucune de ces conditions n’est remplie en Afghanistan. Selon Paul D. Miller de la National Defense University (NDU), sous le régime des talibans, l’Afghanistan a souffert de syndromes “d’anarchie typique de la Somalie, d’une pauvreté typique de Haïti, de problèmes institutionnels typiques du Congo, d’un comportement réfractaire typique des Balkans et d’un style de gouvernance typique de la Corée du Nord”. Bien sûr, certaines améliorations ont été enregistrées depuis le renversement du régime taliban sinistrement réputé pour sa cruauté et son dysfonctionnement. Aujourd’hui, la question est de savoir si ces améliorations sont suffisantes pour promouvoir la consolidation de la sécurité et une loyauté accrue envers l’Etat afghan. A ce jour, la réponse à cette question est "non", même si les conditions qui prévalent dans la majeure partie du pays sont meilleures qu’à l’époque du joug des talibans. Cela dit, certains Afghans considèrent avec nostalgie le régime révolu des talibans et regrettent le soi-disant ordre que ces derniers imposaient. En soi, il s’agit-là d’un signe indiquant que la gouvernance doit être améliorée. Il n’est dès lors pas surprenant que les talibans se targuent fréquemment d’être incorruptibles et louent les mérites d’une justice aveugle et sans compromis rendue par les tribunaux de la Sharia dans les régions qu’ils contrôlent. Depuis très peu de temps, la stratégie de l’OTAN en Afghanistan repose sur une démarche de “préparation/nettoyage/contrôle et construction”. En résumé, cette approche séquentielle du défi à relever signifie que la coalition doit façonner le champ de l’engagement militaire, éradiquer les insurgés de la région, tenir cette région et empêcher toute ré-infiltration, et commencer ensuite le processus de réhabilitation et de développement.14 Il s’agit d’une stratégie qui reconnaît à la fois que le véritable développement n’est possible que si la sécurité a été (r)établie, et que la reconstruction et le développement sont

14 Steve Bowman et Catherine Dale, “War in Afghanistan: Strategy, Military

Operations, and Issues for Congress,” CRS Report for Congress, R40156, Congressional Research Service, décembre 2009.

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indispensables à la consolidation de la sécurité. Il va de soi que la sécurité requiert bien plus que cela : elle exige également un Etat qui fonctionne et dont la légitimité élémentaire est reconnue. En Afghanistan, le défi réside non seulement dans l’absence manifeste de capacité gouvernementale, mais aussi dans la nécessité d’édifier cette capacité dans un climat qui a dégénéré en guerre civile et qui impose d’autres contraintes à sa capacité limitée. La stratégie en vigueur aujourd’hui tient compte du fait que les dimensions militaire et non militaire de ce défi sont interdépendantes et implique donc que l’Alliance s’acquitte d’une mission herculéenne consistant à construire un cadre propice à une sécurité autosuffisante dans une région du monde qui est, fondamentalement, non sécurisée. De plus en plus cependant, des voix s’élèvent dans les milieux où se forge la stratégie américaine pour suggérer de revoir radicalement les ambitions à la baisse. L’Ambassadeur Robert Blackwill, ancien conseiller adjoint à la Sécurité nationale pour l’Iraq sous l’administration Bush, a récemment préconisé que la FIAS se retire purement et simplement des régions pashtounes parce qu’il pense qu’il est impossible d’y gagner la guerre. Selon lui, l’OTAN devrait plutôt consacrer ses efforts à la défense du Nord et de l’Ouest du pays, tout en faisant de l’amélioration de la gouvernance et des institutions dans ces régions et à Kaboul même une priorité absolue afin que l’Etat ne succombe pas, lui aussi, à une rébellion qui plonge ses racines dans une profonde frustration. Il souligne que « la qualité de votre action se mesure à celle du gouvernement que vous soutenez » et n’hésite pas à dire que le gouvernement afghan gère un "Etat gangster".15 En réalité, la FIAS s’est retirée de certaines vallées plus exposées et plus isolées afin de défendre les centres où se regroupe la population, mais rien n’indique que les dirigeants de la coalition sont prêts à emboîter le pas à M. Blackwill et à suivre des suggestions qui sont assurément controversées. Ahmed Rashid, entre autres, a laissé entendre qu’aucun Afghan n’accepterait que son pays soit divisé et que toute tentative visant à permettre une division de facto

15 Blackwill, “Plan B in Afghanistan: Why a De Facto Partition is the Least Bad

Option.”

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conduirait à un bain de sang et à l’instabilité.16 De nombreux autres critiques suggèrent tout simplement, qu’en fin de compte, il revient à l’Afghanistan de forger son avenir étant donné que l’intervention occidentale n’engendre que des réactions négatives.17 L’édification d’une nation a le plus de chances de réussir lorsque le processus est l’aboutissement d’une longue série d’avancées historiques discrètes qui, ensemble, forgent une prise de conscience à l’échelon national et un cadre institutionnel gouvernemental étroitement lié à une identité nationale émergente. Ce que l’on tente de faire en Afghanistan, c’est d’édifier une nation par la voie des armes, un processus où des acteurs externes de tous types aspirent à jouer un rôle moteur et où des acteurs internes poursuivent toute une série de priorités conflictuelles. Cela pose évidemment une foule de problèmes que des démocraties développées, comme le Royaume-Uni, ont mis des siècles à résoudre. En ce qui concerne l’Afghanistan, le temps est un luxe que ni le gouvernement ni la communauté internationale ne peuvent se permettre. En fait, le temps presse et chaque seconde compte : l’échéance de 2014 n’est pas très éloignée et rien ne garantit que la situation sur le champ de bataille et dans les couloirs du gouvernement afghan respectera le calendrier de l’OTAN.

III. EFFORT MILITAIRE ET DEVELOPPEMENT

L’idée selon laquelle le développement ne peut réellement commencer sans un minimum de stabilité est devenue l’un des principaux axiomes des responsables du développement qui opèrent en Afghanistan et dans d’autres régions du monde confrontées à des conflits. Dans ce pays, la guerre s’est aggravée depuis 2005, nourrissant un pessimisme marqué parmi les spécialistes du développement. La coalition dirigée par l’OTAN cherche naturellement à résoudre le problème. Le 1er décembre 2009, le président des Etats-Unis annonçait que 30 000 soldats

16 Ahmed Rashid, “We Divide Afghanistan at Our Peril,” Financial Times, 4 août 2010. 17 Heinz Theisen, “Exit Strategy for a Cultural War,” IP Global Edition (janvier/février

2010).

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américains de plus seraient déployés en Afghanistan en 2010 et que la protection de la population constituerait l’une des priorités absolues de la mission.18 Cette décision s’écartait résolument de l’approche "light footprint" (légère empreinte) qui avait ciblé l’effort militaire sur la lutte contre le terrorisme, et engendré le manque de ressources pour financer les efforts de gouvernance et d’édification de la confiance - un point qu’USAID s’était quasiment refusé à reconnaître lorsqu’il avait fait le bilan de ses propres efforts en 2007. La guerre en Iraq avait concentré la majorité des ressources et de la puissance militaire américaines au Moyen-Orient alors que le théâtre afghan avait été relégué au second plan. Bien que cette "légère empreinte" fût principalement conditionnée par les obligations onéreuses des Etats-Unis en Iraq, elle s’avéra largement insuffisante pour apporter la sécurité en Afghanistan. En réalité, elle ne parvint même pas à préserver le niveau de sécurité existant. Au cours des cinq dernières années, les insurgés sont parvenus à élargir leur théâtre d’opérations, défiant le gouvernement central et les pouvoirs publics locaux, créant leurs propres gouvernements et tribunaux régionaux parallèles et sapant le climat de sécurité globale. Aujourd’hui, ils mènent aussi toutes sortes d’activités criminelles et n’hésitent pas à attaquer des dirigeants locaux ainsi que ceux qu’ils considèrent comme des collaborateurs du gouvernement et de la coalition. Ils détruisent les bâtiments des pouvoirs publics et les écoles et violent gravement les droits humains en se rendant coupables d’exécutions sommaires, de rapts, de recrutement d’enfants et d’abus sexuels.19 L’action de l’OTAN a, en outre, été perturbée et cette dernière a rencontré des difficultés à s’adapter aux conditions sans cesse changeantes sur le terrain. Les opérations de la coalition ont été plutôt hétéroclites : vu le nombre de contingents nationaux impliqués, les missions ont fait l’objet de restrictions au point de rendre l’effort global incohérent et,

18 David A. Gordon, Andrew C. Kuchins et Thomas M. Sanderson, “Afghanistan:

Building the Missing Link in the Modern Silk Road,” The Washington Quarterly (avril 2010).

19 Afghanistan Rights Monitor, ARM Annual Report on Civilian Casualties of War January-December 2010 (Kaboul: Afghanistan Rights Monitor, février 2011).

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souvent, contre-productif. Les schémas de rotation entraînaient souvent le retrait de troupes du théâtre, alors qu’elles commençaient à peine à comprendre les conditions sur le champ de bataille, les mœurs locales et la nature du défi collectif. Les problèmes n’étaient bien sûr pas seulement de nature militaire. Le terme “légère empreinte” était en partie un euphémisme utilisé pour masquer la réticence politique et le manque de moyens pouvant être affectés au renforcement des institutions afghanes. En 2006, l’ONG Afghan Research and Evaluation Unit laissait entendre que la réforme de l’administration publique avait été "superficielle, se limitant à une restructuration des ministères et à l’octroi, en priorité, de hausses de salaires plutôt qu’à l’introduction de réformes profondes."20 A un moment donné, le gouvernement afghan avait calculé, par exemple, qu’il lui faudrait 600 millions de dollars pour mettre en œuvre sa stratégie de réforme de la justice nationale. Or, à la fin de l’année 2006, les donateurs n’avaient versé que 38 millions de dollars pour soutenir ce projet. Cela reflète le manque d’engagement de la communauté internationale. Le manque d’imagination et l’absence de volonté politique ont ainsi ouvert une brèche dans laquelle les talibans se sont engouffrés après 2005. Depuis, la sécurité n’a cessé de se dégrader dans le pays. Toutefois, l’Alliance a le mérite d’avoir reconnu l’erreur et la coalition cherche à présent comment elle peut redresser la situation. Au tout début de son mandat, le président Obama avait annoncé un renforcement de la présence des effectifs militaires et civils (en Afghanistan) et, lors du Sommet de Lisbonne de décembre 2010, les Alliés se sont engagés à contribuer à la consolidation de l’Etat afghan, de son armée et de sa police afin qu’ils puissent jouer des rôles croissants dans la défense de la sécurité nationale, afin de les aider à assumer son contrôle intégral en 2014. Qui plus est, des responsables américains ont fait savoir qu’ils étaient prêts à maintenir des troupes dans le pays au-delà de cette échéance si nécessaire,

20 Miller, “Finish the Job: How the War in Afghanistan Can Be Won.”

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rappelant que la décision prise par les Etats-Unis représente un engagement à long terme. Ils ont également laissé entendre que le retrait promis, entamé en juillet 2011, pourrait être nettement moins important que prévu21 La crise budgétaire aux Etats-Unis et en Europe pourrait toutefois faire changer d’avis les gouvernements de l’OTAN qui sont soumis à des pressions croissantes pour réaliser des économies. A brève échéance, le renforcement des effectifs militaires doit permettre de créer l’espace de sécurité indispensable aux autorités afghanes pour renforcer les institutions gouvernementales tout en stimulant la capacité de l’Etat à répondre aux exigences du pays sur les plans sécuritaire et économique. Le but est de faire en sorte que l’Etat afghan soit en mesure d’assumer de plus en plus de responsabilités durant la "transition" annoncée. Dans certaines provinces, le transfert de leadership aux Afghans devait commencer début 2011 ; idéalement, les Forces afghanes de sécurité nationale (ANSF) devraient contrôler intégralement la sécurité sur l’ensemble du territoire afghan d’ici fin 2014. L’Armée afghane devrait compter environ 300 000 hommes d’ici fin 2011 mais leurs capacités opérationnelles et leur autosuffisance sur le terrain continuent de susciter de vives inquiétudes, même si des progrès ont été accomplis dans la création d’une force cohérente prête au combat.22 Le problème est que la situation sécuritaire dans le pays demeure très précaire et l’on ne peut toujours pas dire avec certitude si, d’ici 2014, les force afghanes seront prêtes à jouer le rôle moteur dans le conflit, avec le soutien des forces de la coalition - soit une situation diamétralement opposée à la manière dont la guerre a été menée jusqu’à présent. Aujourd’hui, 48 pays contribuent à la présence de la communauté internationale en Afghanistan. L’effectif total de la FIAS s’élève à quelque 132 381 soldats, dont 90 000 Américains, 9 500 Britanniques, 4 812 Allemands,

21 Daniel Dombey et Matthew Green, “US Troops Set for Longer Afghan Stay,”

Financial Times, 18 février 2011. 22 Cordesman, "How to Lose a War - and Possibly How to Win One."

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3 935 Français, 3 880 Italiens, 2 922 Canadiens et 2 560 Polonais. Vingt sept Equipes de reconstruction provinciales (PRT) – des unités qui symbolisent sans doute le mieux l’intégration entre la mission de sécurité et de développement de la FIAS – sont à l’œuvre dans tout le pays. Selon la nouvelle argumentation, il est temps aujourd’hui, alors que le conflit entre dans sa 10ème année, que les Etats-Unis et leurs alliés en Afghanistan affectent enfin des ressources à la consolidation de l’Etat afghan et l’assoient sur des bases solides et sûres. Début 2010, le général Petraeus, alors commandant des forces américaines et OTAN en Afghanistan, déclarait disposer des forces militaires, des systèmes de renseignement et des programmes civils nécessaires pour mener et réussir une campagne globale contre les insurgés. Cela n’était pas nécessairement encourageant à l’aube de la 10ème année de guerre, mais l’on constate toutefois désormais une reconnaissance explicite que de graves erreurs ont été commises durant les premières années du conflit.23 Le général Petraeus avait souligné que la sécurité s’était améliorée à Kaboul et dans les environs ; plus récemment, la coalition a regagné du terrain dans les provinces de Helmand et de Kandahar. Les forces spéciales américaines mènent aussi des missions ciblées, qui visent les chefs de l’insurrection de part et d’autre de la frontière afghano-pakistanaise. Le raid du 2 mai 2011 contre la cache d’Oussama Ben Laden à Abbottabad, au Pakistan, a montré l’intérêt potentiel d’opérations de ce genre. Parallèlement cependant, le chiffre des pertes de la coalition demeure substantiel, confirmant la persistance d’un niveau de violence très élevé.24 D’après un analyste, "une insurrection pleinement active" fait toujours rage, "non seulement dans le pays, mais également au niveau de l’ensemble de l’éventail des activités des insurgés, depuis les attaques terroristes et la guérilla jusqu’à la dimension politique et à la gouvernance parallèle […] En fin de compte, il s’avère très difficile d’évaluer les réussites locales dont parle l’OTAN. Par ailleurs, d’une façon plus

23 Matthew Green, “Petraeus Sets Afghan Triumph in His Sights,” Financial Times,

8 février 2011. 24 Icasualties.org, Operation Enduring Freedom (2011), http://icasualties.org/OEF/index.aspx.

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générale, les résultats restent au mieux mitigés et sujets à interprétation. Que les conditions sur le terrain s’améliorent ou se détériorent, une chose est sûre : la guerre n’a pas substantiellement changé (de nature) et elle se poursuit".25 La mission d’entraînement de l’OTAN en Afghanistan consacre, elle aussi, davantage de ressources et d’effectifs à la formation des soldats et des policiers afghans. Cet effort massif doit aider les dirigeants afghans tant à assumer de plus grandes responsabilités quant à la sécurité interne et externe du pays qu’à prendre le contrôle total sur le territoire d’ici 2014. De l’avis général cependant, les progrès réalisés sont plus importants du côté de l’armée que des forces de police. Celles-ci sont victimes de la corruption et de l’analphabétisme et les prédations qu’elles ont l’habitude d’effectuer portent gravement préjudice à la primauté du droit dans le pays. Sur le plan du développement, pallier cette déficience majeure représente un fameux défi, car le faible niveau d’alphabétisation de la police de même que la loyauté douteuse de certains de ses membres suffisent à traduire le problème bien plus vaste que posent la capacité sociale, ainsi que la fragmentation politique et tribale en Afghanistan. Cette nouvelle démarche semble déjà porter ses fruits, comme le montrent certains signes tangibles. Les troupes de la FIAS et leurs homologues afghans ont réussi à percer certains bastions talibans dans le Sud du pays, y compris dans des régions situées à l’Est de Kandahar. Plutôt que d’abandonner ces positions avancées, elles s’efforcent à présent de consolider leurs positions en des endroits stratégiques pour empêcher toute ré-infiltration des insurgés. On espère que le retour à la stabilité derrière ces lignes de défense permettra d’entamer un certain développement économique. Une stabilité accrue et un minimum d’activité économique devraient à leur tour contribuer à retourner l’opinion des Afghans de ces régions contre les insurgés. C’est pourquoi tout est actuellement mis en

25 Etienne De Durand, “Is There a Transition Taking Place in Afghanistan?” dans

Afghanistan 2011-2014 and Beyond: From Support Operations to Sustainable Peace, éd. Luis Peral et Ashley Tellis (Paris: European Union Institute for Security Studies et Carnegie Endowment for International Peace, février 2011).

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œuvre pour promouvoir l’assistance dans les régions libérées, et apporter une compensation à ceux dont les biens ont été endommagés ou détruits lors des combats. Un programme “argent contre travail” (Cash for Work) a été lancé dans ces régions essentiellement pashtounes et est actuellement étendu à l’ensemble du pays. Dans les provinces de Balakh et de Jawjan, le Humanitarian Aid Office (ECHO) de la Commission européenne soutient le programme Cash for Work d’ActionAid. Dans la province de Kunar, la PRT de Kunar mène le programme Cash for Work. Ce programme est financé par l’Emergency Response Program du Commandement. L’USAID assure également la gestion des programmes Cash for Work dans le pays. Il n’en demeure pas moins que, d’après le plus récent rapport de l’International Crisis Group (ICG) intitulé Aid and Conflict in Afghanistan, en dépit des milliards de dollars investis dans l’aide, les institutions publiques afghanes demeurent fragiles et incapables d’assurer une bonne gouvernance, de fournir les services de base à la majorité de la population ou de garantir la sécurité des citoyens. Ce rapport affirme en outre que, en dépit des progrès réalisés dans la zone méridionale (ou à cause d’eux), l’insurrection se répand dans des régions autrefois considérées comme relativement sûres. Le Pakistan continue à faire partie intégrante de ce casse-tête, mais la coopération avec ce pays essentiel s’avère plus que jamais compliquée, depuis que les forces spéciales américaines ont tué Oussama Ben Laden sur le territoire pakistanais. Le Pakistan reste le refuge des talibans et les militaires pakistanais ont vu d’un très mauvais œil le choix de l’administration Obama d’agir unilatéralement lors de l’opération contre Ben Laden. Or, les Américains ne pouvaient être sûrs de pouvoir faire confiance à certains éléments des services de renseignement et de l’armée pakistanais pour soutenir cette opération et il existait une possibilité réelle que Ben Laden fût prévenu avant le lancement de l’attaque. En tout état de cause, cette décision a eu un impact négatif sur la coopération avec le Pakistan. La présence de sanctuaires dans les régions tribales éloignées du Pakistan le

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long de la frontière afghane constitue un problème persistant. Aucune transition ne sera possible aussi longtemps que le gouvernement afghan ne sera pas parvenu à renforcer son efficacité et que le Pakistan continuera d’inciter les talibans à rejeter toute tentative d’ouverture d’un dialogue avec le gouvernement de Kaboul.26 Cela ne sera pas facile, d’autant que la capacité de l’armée pakistanaise à contrôler sa frontière avec l’Afghanistan demeure une inconnue, le gros de ses forces étant depuis toujours massé le long de la frontière avec l’Inde.27 Depuis que le Pakistan a pris la décision de soutenir les Etats-Unis et l’OTAN dans la guerre en Afghanistan, du moins en théorie, la principale voie d’approvisionnement (assurant l’acheminement d’équipements létaux et non létaux) traverse son territoire. Plus de 700 gros camions assurent la liaison entre le port de Karachi et l’Afghanistan, via la passe de Khyber. En raison de la recrudescence de l’insurrection sur la frontière pakistano-afghane et des tentatives des autorités pakistanaises d’utiliser cette voie comme monnaie d’échange, la FIAS a entamé, en 2006, des négociations pour établir d’autres voies d’approvisionnement éventuelles avec les voisins de l’Afghanistan. Deux ans plus tard, le Northern Distribution Network (NDN) était créé. Il s’agit d’une nouvelle voie d’approvisionnement qui part de la Lettonie ou de la Géorgie et traverse la Russie, puis l’un des Etats d’Asie centrale jouxtant le Nord de l’Afghanistan. Jusqu’à présent, cette voie n’est utilisée que pour l’acheminement d’équipements non létaux.28 Cet arrangement devra peut-être être renégocié dans un proche avenir, si les relations avec le Pakistan continuent à se détériorer.

26 Julian E. Barnes, Matthew Rosenberg et Habib Khan Totakhil, “Pakistan Urges On

Taliban,” The Wall Street Journal, 5 octobre 2010. 27 Gilles Dorronsoro, “A Negotiated Agreement with the Taliban Must Entail

Proactive Pakistani Engagement,” dans Afghanistan 2011-2014 and Beyond: From Support Operations to Sustainable Peace, éd. Luis Peral et Ashley Tellis (Paris: European Union Institute for Security Studies et Carnegie Endowment for International Peace, février 2011).

28 Shanthie Mariet D’Souza, “Northern Distribution Network (NDN) and the Afghan Insurgency,” Al Arabiya, 20 juillet 2011,

http://english.alarabiya.net/articles/2011/07/20/158541.html.

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La situation sur le plan sécuritaire demeure très préoccupante en Afghanistan. Le nombre de victimes – tant parmi les combattants que parmi les non-combattants – a atteint un niveau record en 2010. Selon le ministère de l’Intérieur afghan, on a enregistré en 2010 pas moins de 6 716 incidents de sécurité, incluant embuscades, attentats sur les voies de communication, attentats-suicides à la bombe et attaques à la roquette.29 Toujours l’an dernier, quelque 2 421 civils afghans ont été tués et plus de 3 270 ont été blessés (on compte en moyenne 6 à 7 civils tués et 8 à 9 blessés par jour) en raison de la dégradation de la situation sécuritaire dans tout le pays.30 Les groupes d’opposition armée de l’Afghanistan (les "AOG" qui désignent les talibans, le groupe Hezb-e-Islami et le groupe Haqqani) sont la cause de la plupart de ces décès (63 %), tandis que 21 % ont été le fait d’opérations menées par les Etats-Unis/l’OTAN. Douze pour cent des morts ont été attribués aux groupes du gouvernement afghan et à leurs alliés des milices locales. Selon les Nations unies, les attaques des insurgés ont augmenté de 66 % en 201031 et le nombre de victimes civiles a progressé de 20 % par rapport à 200932. Les pertes militaires dans les rangs de la coalition en Afghanistan sont, elles aussi, en augmentation ; elles sont passées de 295 en 2008, à 521 en 2009 et à 711 en 201033. Pas moins de 380 soldats de la coalition ont été tués au cours des huit premiers mois de 2011, ce qui indique que la bataille est loin d’être gagnée.34 Dans son Rapport semestriel sur la protection des civils dans les conflits armés, la MANUA signale la perte de 1 462 civils durant le premier semestre 2011, ce qui représente une augmentation de 15 % par rapport à la même

29 Michelle Nichols et Hamid Shalizi, “Afghan Violence in 2010 Kills Thousands:

Government,” Reuters, 3 janvier 2011. 30 Afghanistan Rights Monitor, ARM Annual Report on Civilian Casualties of War

January-December 2010 31 Yaroslav Trofimov, “U.N. Maps Out Afghan Security,” The Wall Street Journal,

26 décembre 2010. 32 Nichols et Shalizi, “Afghan Violence in 2010 Kills Thousands: Government.” 33 Icasualties.org, Operation Enduring Freedom (2011). 34 Icasualties.com, Coalition Deaths by Year (2011), http://icasualties.org/OEF/ByYear.aspx.

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période de 2010.35 Qui plus est, d’après une estimation de l’agence des réfugiés des Nations unies, 150 000 Afghans ont été déplacés en 2010, soit une augmentation de 68 % par rapport à l’année précédente. Au total, l’on enregistre désormais environ 437 810 Afghans déplacés qui vivent dans le pays.36 Ces personnes déracinées et souvent désespérées représentent une cible de recrutement pour les talibans. Enfin, le nombre d’attaques perpétrées contre des agents de l’ONU a augmenté de 133 % en 2010 et au moins une centaine de travailleurs humanitaires ont perdu la vie en 2010 en Afghanistan. Il s’agit-là d’un chiffre record à ce jour dans le cadre de ce conflit.37 La plupart des victimes travaillaient pour des agences d’aide employées par des pays de l’OTAN. Le nombre de victimes parmi les associations d’aide traditionnelles sans but lucratif est moins important.38 L’affectation de militaires à des fonctions d’administration de l’assistance a également fait l’objet de vives critiques. Même si la conquête des cœurs et des esprits constitue une noble cause politique, les militaires sont essentiellement structurés et formés pour apporter des solutions "cinétiques". Bien qu’ils reçoivent des briefings agrémentés de magnifiques dias pour illustrer leurs missions sur le plan du développement, ils ne sont généralement pas structurés pour pouvoir mener à bien ces missions avec fruit39 - même s’ils peuvent apporter et qu’ils apportent réellement une contribution majeure en cas d’urgence humanitaire. Les militaires occidentaux jouent à présent un rôle moteur dans la définition et la mise en œuvre de la politique en Afghanistan, et ce jusque dans le domaine de l’aide au

35 UNAMA, Afghanistan: Midyear Report 2011 – Protection of Civilians in Armed

Conflict, 2011 (Kaboul: UNAMA, juillet 2011). 36 Jack Healy, “In Afghanistan, a Village is a Model of Dashed Hopes,” The New York

Times, 9 août 2011. 37 Rod Nordland, “Killing of Afghan Relief Workers Stirs Debate,” The New York

Times, 13 décembre 2010. 38 Nordland, “Killing of Afghan Relief Workers Stirs Debate;” et Holly Fox, David

Levitz et Martin Keuebler, “Merkel Condemns Deadly Attack on German Aid Worker in Afghanistan,” Deutsche Welle, 25 décembre 2010, http://www.dw-world.de/dw/article/0,,14735707,00.html.

39 Hastings, “Heroism Is No Substitute for an Afghan Strategy.”

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développement.40 Les pays de l’OTAN doivent réfléchir de manière plus rigoureuse à cette tendance au vu de la faible aptitude des militaires dans ces secteurs spécialisés. L’Emergency Response Program du commandement militaire américain autorise par exemple les chefs de bataillon à utiliser l’aide et l’assistance au développement dans leurs campagnes de lutte contre les insurgés – ce qui a récemment fait l’objet de vives critiques. Selon les propres rapports du gouvernement américain, un grand nombre des 16 000 projets humanitaires mis en place ces six dernières a rapidement été négligé lorsque ceux-ci sont passés sous contrôle afghan, ce qui en dit long sur le peu d’attention accordé à la durabilité des projets. Selon un rapport de l’inspecteur spécial, les Afghans ont rencontré d’immenses difficultés pour conserver un droit de regard sur la moitié des 69 projets dans la province orientale de Lagham. L’Accountability Office du gouvernement américain a pointé le manque de surveillance de la part du Pentagone, notamment une fois que les projets sont transférés aux Afghans. Cela va à l’encontre des bonnes pratiques du développement et risque de faire naître, à l’égard de l’Etat, des sentiments de mépris et de frustration plutôt que de légitimité et de soutien.41 Un rapport d’Oxfam a indiqué sans détours qu’une partie bien trop importante de l’aide est acheminée par le biais des forces militaires, et que cette aide a tendance à être utilisée principalement pour répondre à des besoins immédiats afin de gagner les cœurs et les esprits, plutôt qu’à des actions de transformation susceptibles de produire des effets à long terme. En 2007, les autorités afghanes estimaient que les forces militaires internationales avaient, à cette date, acheminé de l’aide humanitaire et au développement à concurrence de 1,7 milliard de dollars. Une part importante de cette assistance a été canalisée via les 27 PRT, le Combined Security Transitional Command for Afghanistan et l’Emergency Response Program du

40 Daniel Dombey et Matthew Green, “US Focuses on 2010 Handover,” Financial

Times, 15 décembre 2010. 41 Josh Bock, “U.S.-Funded Infrastructure Deteriorates Once Under Afghan Control,

Report Says,” The Washington Post, 5 janvier 2011.

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commandement.42 Par ailleurs, Oxfam et d’autres ONG acceptent difficilement l’idée que l’aide puisse être considérée comme une "arme non létale", comme le suggère un manuel militaire américain. Cela implique un degré de politisation, et même de militarisation, qui pourrait avoir un effet inverse. Qui plus est, une telle assimilation confère, à leur insu, aux équipes d’aide au développement un rôle de quasi-belligérant. Les non-Afghans, notamment ceux qui ont une formation militaire plutôt que d’aide au développement, ne sont pas bien placés pour évaluer les types de projets potentiellement autosuffisants au niveau local. Les perspectives de jugement des donateurs militaires étrangers sont souvent altérées par ce que pourrait signifier la notion d’autosuffisance dans leur propre pays et ils cherchent à identifier quel projet est susceptible de produire un avantage militaire à court terme plutôt que de contribuer au développement à long terme du pays bénéficiaire. C’est précisément la raison pour laquelle il est si important d’avoir une véritable contribution afghane et une véritable administration afghane, même si cela pose d’autres problèmes, dont le risque pérenne de corruption et les pressions qui pèsent sur les ressources financières et humaines limitées du pays. Il faut reconnaître que même les agences de développement expérimentées rencontrent, elles aussi, des problèmes en Afghanistan. Depuis 2002, les Etats-Unis ont déjà dépensé quelque 732 millions de dollars pour améliorer le réseau électrique de l’Afghanistan. Si la centrale de Kaboul (qui a coûté 300 millions de dollars) ne fonctionne pas à plein régime, c’est tout simplement parce que le gouvernement central n’a pas les moyens d’acheter le carburant nécessaire pour la faire tourner. L’année dernière, l’inspecteur général de l’USAID a déclaré que des retards et des problèmes de sous-traitance avaient coûté près de 40 millions de dollars sur un budget total de 300 millions de dollars. La centrale de Kaboul est souvent à l’arrêt, car le prix actuel du carburant diesel acheminé dans une zone de guerre entraîne un coût de fonctionnement d’environ

42 Ministère de Finances, République Islamique d’Afghanistan, Donor Financial

Review (Kaboul: Ministère de Finances, novembre 2009).

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40 cents par KWh, alors que le KWh importé du Turkménistan, de l’Ouzbékistan ou du Tadjikistan revient à 6 cents.43 Le manque de connaissance de la culture locale et la méconnaissance de la géologie afghane posent également des problèmes. Certains villages nouvellement construits pour les réfugiés et financés par des pays donateurs et les Nations unies sont situés trop loin des points d’eau et les maisons ne sont pas entourées de murs. Il est donc difficile pour les femmes de sortir, en raison des spécificités culturelles très différentes de celles de l’Occident.44 Une fois de plus, ces problèmes soulèvent des questions évidentes quant à l’autosuffisance des projets et à leur adéquation culturelle et économique.45 Ces échecs ont un coût politique. Retards et hausses des coûts sapent de nombreux projets inscrits au programme en partie à cause d’une supervision et d’une planification médiocres et en partie à cause de l’absence de sécurité et de la corruption qui règnent dans le pays, comme le souligne le Bureau américain de l’inspecteur spécial général pour la Reconstruction de l’Afghanistan (dont la création ne remonte, malheureusement, qu’à 2008). D’autres problèmes se posent avec des entreprises privées, dont beaucoup agissent dans un but purement lucratif et sont structurées de manière à optimiser leur propre profit, sans chercher à maximaliser l’impact de leur travail sur le développement du pays. Alors que des conditions de guerre difficiles prévalent, les contrats souvent attribués sans processus de soumission renforcent encore la tendance aux dépassements des budgets.

IV. BILAN DU DEVELOPPEMENT EN AFGHANISTAN

Malgré les milliards de dollars injectés ces dernières années, l’Afghanistan demeure l’un des pays les plus pauvres au monde, avec un revenu par habitant estimé à 500 dollars par an. La

43 Glen Zorpette, “Struggling for Power in Afghanistan,” The New York Times, 5

juillet 2011. 44 Healy, “In Afghanistan, a Village Is a Model of Dashed Hopes.” 45 Marisa Taylor, “U.S. Spending in Afghanistan Plagued by Poor U.S. Oversight,”

McClatchy Washington Bureau, 15 janvier 2010.

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croissance fluctue considérablement depuis quelques années, puisqu’elle a atteint 3 % en 2008/09 pour passer à 21 % l’année suivante. Cette augmentation spectaculaire était due à des récoltes record, ainsi qu’à un boom du secteur des services et de l’aide étrangère. L’inflation est passée de 5 % en 2010 à 18,4 % en janvier 2011, en raison de l’envolée des prix des denrées alimentaires et du relâchement de la politique monétaire. Entre 2006 et 2008, les revenus de l’Etat, atteignant 8 % du PNB, se rangeaient parmi les plus bas au monde. Ce chiffre est passé à 11 % en 2010/11, en raison en partie de l’amélioration de la perception des taxes et impôts. Les dépenses publiques se situent toutefois à 20 % du PNB et la différence est comblée par l’aide (étrangère), l’un des nombreux signes indiquant que l’Etat ne peut pas encore prétendre à un fonctionnement soutenu dans le temps. La réforme des entreprises publiques ne progresse que lentement et le manque de confiance du marché engendré par la corruption a provoqué une prise d’assaut des banques46. La faiblesse de l’économie afghane est étroitement liée à la situation sécuritaire et aux capacités excessivement faibles de l’Etat. L’OTAN vient d’adopter une nouvelle stratégie, suivant laquelle l’Afghanistan devrait, d’ici 2014, assumer elle-même la responsabilité de sa propre sécurité – ce qui implique un renforcement considérable de la capacité de l’Etat. A maints égards, cette évolution risque de poser un défi bien plus grand que la mission militaire visant à déloger les talibans de leurs positions dans les régions pashtounes du pays. Ce calendrier a notamment eu pour effet d’accélérer un effort déployé par la MANUA en vue de mieux aligner l’aide multilatérale et bilatérale sur les priorités afghanes et de veiller à ce que cette aide soit structurée de façon à aider l’Etat à assumer une part sans cesse croissante de charges et de responsabilités. Une nouvelle conférence est prévue à Bonn en novembre 2011 pour lever des fonds supplémentaires au bénéfice de cet effort.

46 International Monetary Fund (IMF), The Islamic Republic of Afghanistan

(Washington, DC: FMI, 5 avril 2011), IMF Program Note.

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Parmi les raisons les plus souvent avancées pour expliquer la détérioration du climat sécuritaire en Afghanistan figure la lenteur extrême du processus qui vise d’une part à consolider les institutions de gouvernance et, d’autre part, à s’assurer que ces dernières assument la responsabilité de leurs actes envers les citoyens dont elles sont censées servir les intérêts. Le clientélisme et la corruption sont, incontestablement, au cœur des rouages étatiques afghans, mais ils sont aussi à l’origine d’un sentiment marqué d’aliénation et de colère dans les populations, tant en Afghanistan que parmi les contribuables dans les pays membres de la coalition. En Afghanistan, la perception de l’Etat est de plus en plus marquée par l’hostilité et par la peur. On retrouve des fonctionnaires corrompus à tous les niveaux de pouvoir, l’appareil judiciaire est proche du dysfonctionnement, les policiers sont mal formés et mal payés, souvent analphabètes et perçus comme très corrompus ; ils sont généralement détestés et craints à la fois. Cette piètre performance et ces comportements ‘parasites’ contribuent largement à saper la loyauté envers l’Etat. Une gouvernance lacunaire constitue à la fois un signe de sous-développement et une entrave au progrès. Le problème est encore exacerbé par les divisions tribales en Afghanistan et les efforts déployés par le gouvernement pour les surmonter. Cherchant à étendre son rayon d’action, le gouvernement a coopté des seigneurs de la guerre régionaux dont certains jouent le double rôle de barons de la drogue et de narcotrafiquants – ce qui leur vaut dans certains cas d’occuper des positions de haute responsabilité au sein du gouvernement. Forts de ces responsabilités publiques nouvellement acquises, ces individus peuvent mener des opérations criminelles et lever des milices privées en toute impunité, tout en puisant dans les fonds publics pour servir leurs intérêts personnels. Leur démarche envers le “gouvernement” va toutefois à l’encontre de la primauté du droit, de la sécurité nationale et d’un système judiciaire national digne de ce nom. A Kaboul même, on ne compte plus les palais des barons de la drogue, des seigneurs de la guerre et des fonctionnaires corrompus, qui n’hésitent pas à investir leurs profits personnels sur les marchés immobiliers

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locaux plutôt que dans des industries productives. Leurs palais criards sont largement considérés comme des symboles de décadence de l’Etat et de trahison de la confiance publique. Il ne fait aucun doute que cet argent volé, initialement affecté à l’assistance, a aidé certains de ces individus à se remplir les poches. En fait, l’absence de responsabilisation et de transparence au sein de l’Etat a fait de l’Afghanistan un paradis pour les candidats rentiers en tous genres. Les fonctionnaires corrompus peuvent écumer les ressources à tous les niveaux des transactions officielles – sapant l’efficacité de l’Etat, provoquant la colère des donateurs, et entachant gravement la réputation de l’Etat aux yeux du peuple afghan et des contribuables des pays donateurs. Cela a évidemment eu toute une série de répercussions négatives, incitant par exemple certains donateurs à recourir à des entreprises non afghanes pour mener à bien des projets locaux. Mais une fois de plus, ce genre de comportement limite inévitablement les retombées desdits projets, du fait que les intervenants occidentaux ne connaissent pas suffisamment la région pour prendre des décisions difficiles sur le plan culturel et viables sur le plan économique. Qui plus est, ces entreprises étrangères sont souvent stimulées par la recherche de profit pour leur compte personnel, et non par le développement du pays où elles opèrent, et rapatrient donc systématiquement leurs bénéfices ce qui, à son tour, affaiblit l’effet de levier de l’aide internationale. Enfin, l’exécution des projets étant confiée à des étrangers, plus rares sont les Afghans qui ont la possibilité d’apprendre à gérer et à mener à bien de tels projets. Une fois de plus, faire appel à des organisations occidentales semble être une réponse paradoxale à l’absence de capacité, mais cela contribue aussi à pérenniser le problème dans le pays. Face à un tel dilemme, la communauté internationale a fait pression pour promouvoir un élargissement de l’engagement local dans les projets de développement, tout en encourageant les donateurs à œuvrer dans le cadre du budget de l’Etat afghan, conformément aux priorités définies dans la Stratégie du développement national afghan (ANDS). Cette stratégie inscrit

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à l’agenda du développement trois domaines prioritaires : 1) gouvernance, paix et stabilité, 2) moyens d’existence durables, et 3) services sociaux élémentaires, sur fond de problèmes tels que les droits humains, l’égalité des genres, l’environnement, le déminage et la lutte contre les narcotrafiquants.47 On pense en effet que le fait de canaliser l’aide par le biais du budget de l’Etat permettra aux Afghans eux-mêmes de définir les priorités de développement qu’ils considèrent comme les plus appropriées pour répondre à leurs besoins à long terme. Cela leur fournira aussi les moyens de mener à bien ces projets et d’acquérir une certaine expérience de la gouvernance. Nombreux sont les Afghans et les experts en développement qui pensent que l’Afghanistan est victime d’une pléthore de projets dirigés par des organismes nationaux, internationaux et des ONG, mal coordonnés et pas toujours adaptés aux conditions locales - ce qui, au bout du compte, porte préjudice à la faculté même de l’Etat afghan et de la société afghane d’en faire bon usage pour soutenir le développement. La communauté internationale ne cesse de réclamer une solution au problème et il est vrai que des efforts non négligeables ont été déployés pour améliorer la coordination. Mais il n’en reste pas moins que le problème est toujours là. Le président Karzaï exige à présent que son gouvernement puisse exercer un contrôle financier sur tous les projets de développement dans le pays. Lors de la conférence sur la Sécurité qui s’est tenue à Munich en février 2011, il a avancé comme argument que les projets d’infrastructure, l’aide aux autorités régionales et les travaux de développement entrepris par les PRT constituent "une entrave pour le gouvernement afghan" lorsque ces programmes et leur financement ne passent pas d’abord par le budget du gouvernement fédéral. M. Karzaï a demandé que ces structures parallèles soient interdites, faisant valoir qu’elles sapent l’autorité de l’Etat.48 Il préconise

47 MANUA, United Nations Development Assistance Framework: In support of the

Afghanistan National Development Strategy 2010-2013 (Kaboul: MANUA, 2009). 48 Patrick McGroarty, “Karzai Seeks Broader Financial Oversight,” The Wall Street

Journal, 7 février 2011.

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également de ne plus faire appel à des sociétés de sécurité privées pour assurer la défense des projets de développement. Le gouvernement des Etats-Unis s’est fermement opposé à cette dernière revendication, estimant que ces sociétés de sécurité sont indispensables pour assurer la protection des agents affectés à l’aide au développement, des infrastructures construites récemment et des projets de développement en cours. En 2009, l’aide étrangère représentait 90 à 95 % du budget de l’Etat afghan.49 De toute évidence, il faudra encore beaucoup de temps avant que l’Etat afghan puisse assurer le financement de ses opérations. Le budget militaire accapare aujourd’hui la moitié du PIB et ne serait pas viable sans l’appui des pays occidentaux. L’une des priorités majeures de la communauté internationale consiste, en fait, à consolider l’aptitude de l’Etat à générer des recettes publiques pour parvenir, à terme, à réduire sa dépendance envers l’aide étrangère. La première mesure visant à édifier cette capacité a été un engagement à canaliser un pourcentage accru des fonds d’aide au développement via le budget de l’Etat afghan afin d’asseoir la légitimité de ce dernier, de lui octroyer une plus grande marge de manœuvre dans la définition et la mise en œuvre de ses propres priorités de dépenses, et d’aider les gestionnaires à apprendre à gérer des fonds publics. La plupart des fonds d’aide au développement continuent cependant à être fournis par des canaux parallèles, sans passer par le gouvernement. De 2001 à juillet 2009, les trois-quarts (77 %) de l’aide étrangère ont été acheminés par des canaux sur lesquels le gouvernement afghan n’avait aucun droit de regard, notamment en raison de soupçons de corruption et du fait que certains donateurs désiraient poursuivre leurs propres priorités dans l’affectation de ces fonds. La politique britannique d’aide à l’Afghanistan constitue une exception, car près de 80 % des fonds alloués par le gouvernement britannique passent par les canaux de l’Etat afghan.

49 Astri Suhrke, “Upside-down State-building: The Contradictions of the International

Project in Afghanistan [draft],” chapitre préparé pour une anthologie sur l’Etat de droit en Afghanistan, éd. Whit Mason et Martin Krygier (Cambridge: Cambridge University Press, à paraître), http://www.cmi.no/publications/file/3684-upside-down-state-building.pdf.

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Récemment, l’administration Obama a décidé de faire passer la quasi-totalité de son aide par le budget géré par les autorités afghanes. Parallèlement toutefois, un tel processus exige une plus grande responsabilisation et une plus grande transparence du côté afghan.50 Les gouvernements de la coalition sont confrontés à un dilemme de taille. Leurs propres contribuables leur demandent de s’assurer que les fonds d’aide au développement sont utilisés de manière adéquate et efficace. Lorsque les institutions du gouvernement bénéficiaire ne peuvent offrir de telles garanties, il est logique que l’on tente d’acheminer l’aide sans passer par ces institutions. Mais ce qui est véritablement en jeu ici, c’est une sorte de “Catch 22” (situation sans issue). Tant que les donateurs opèrent en dehors des institutions de l’Etat bénéficiaire, ils empêchent le gouvernement central d’assumer pleinement ses responsabilités, ralentissent sa capacité à tenir ses promesses envers la population et sapent donc la légitimité de l’Etat aux yeux du peuple.

V. PROJETS COMMUNAUTAIRES

L’un des volets de l’aide étrangère relativement épargné par ces critiques est celui du financement de projets communautaires, où des conseils composés d’élus locaux participent directement à la gestion des projets et sont directement responsables de leur exécution. Le Programme de solidarité nationale (PSN) part du principe que le développement rural doit être dirigé par la communauté (locale). Cette démarche a déjà porté ses fruits, comme en attestent les pouvoirs confiés à la population et le renforcement de sa participation au processus décisionnel local. Dans le meilleur des cas, ces programmes contribuent aussi à forger des liens vitaux avec le gouvernement central, les communautés et les citoyens. Mais surtout, c’est la communauté locale – et non le gouvernement central – qui, in fine, développe et met en œuvre ses propres projets. Cela contribue à

50 Colin Cookman et Caroline Wadhams, Governance in Afghanistan: Looking Ahead

to What We Leave Behind (Washington, DC: Center for American Progress, mai 2010).

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un sentiment d’appropriation des projets et permet de s’assurer que ces derniers répondent efficacement aux besoins locaux. Comme les principales décisions sont prises directement par les conseils de développement communautaire (CDC) élus, le PSN contribue à créer des conditions propices à la prise de décisions solidaire par la voie démocratique. Il est également très important de souligner que les femmes sont bien représentées dans ces Conseils et qu’elles apportent une vision essentielle aux projets de développement local. Notons par ailleurs que la corruption est plus rare lorsque les décisions se prennent au travers de conseils locaux, le sens des responsabilités étant plus facile à développer lorsque les processus d’administration et de décision se situent à l’échelon local et que la population prend un engagement direct envers les projets.51 Le PSN bénéficie largement de l’appui de la Banque mondiale et contribue à créer un lien positif entre la population et le gouvernement central dans un climat où la perception de l’Etat par les citoyens n’est, globalement, pas positive. Les membres de la Commission de l’économie et de la sécurité ont pu observer les résultats spectaculaires de programmes similaires à Tigray, en Ethiopie. Malgré les innombrables difficultés et les revers subis sur le plan de la sécurité auxquels la communauté du développement est confrontée depuis ces 10 dernières années, l’Afghanistan a enregistré certains progrès. La plupart des indicateurs du développement humain témoignent d’améliorations. En 2008, 80 % de la population avait accès aux services de santé de base, comparativement à 8 % en 2001. En 2008 également, les enfants afghans étaient vaccinés à un rythme plus rapide que dans le reste du Sud de l’Asie. Le taux de mortalité infantile a baissé d’un tiers et l’espérance de vie s’est quelque peu allongée. Le nombre d’inscriptions dans les écoles est passé de 1,1 million en 2001 à 5,7 millions en 2008 – dont un tiers de filles. Ce chiffre pourrait entraîner un triplement du taux d’alphabétisation du pays durant la prochaine décennie et aider l’Afghanistan à combler ses lacunes sur le plan de la capacité. Le

51 Zia Ur Rehman, “Afghan Economic Improvements Lures Back Refugees,” Central

Asia Online, 14 décembre 2010, http://centralasiaonline.com/en_GB/articles/caii/features/pakistan/2010/12/14/feature-02.

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dernier sondage d’opinion, et le plus complet, mené par l’Asia Foundation montre qu’aujourd’hui, près de la moitié du peuple afghan - contre 38 % en 2008 - estime que le pays est sur la bonne voie en raison d’une amélioration (perçue) de la sécurité, des projets de construction et de réhabilitation et de l’ouverture de plusieurs écoles. Mais l’enquête révèle également une reconnaissance marquée de défis considérables qui restent à relever sur le plan de la sécurité, du chômage et de la corruption.52 Malgré d’innombrables revers, l’infrastructure de l’Afghanistan s’est, elle aussi, améliorée. L’USAID seul a construit 2574 km de routes, et les trois-quarts de l’autoroute principale reliant Herat à Kaboul ont été remis en état. En 2008, 33 % de l’ensemble des routes du pays étaient carrossables contre 13,3 % en 2001. Le taux d’accès aux télécommunications en Afghanistan est identique à celui de la plupart de ses voisins et le taux d’accès à l’eau saine est maintenant de 27 %.53 Tous ces changements ont des répercussions importantes, mais une fois de plus, ils doivent être resitués dans un contexte marqué par l’intensification de la violence et de l’insécurité dans le pays, et par des problèmes persistants au niveau de la gouvernance, de la corruption, de la production d’opium, du gaspillage de nombreux efforts de développement et, en particulier, des manquements flagrants dans la fourniture d’énergie à un pays qui en a désespérément besoin.

VI. CORRUPTION ET TRAFIC D’OPIUM

Dans l’indice 2010 des Perceptions de la Corruption de Transparency International, l’Afghanistan occupe l’avant-dernière place (numéro 176) des classements mondiaux, aux côtés du Myanmar. Selon des sondages, la population afghane considère la corruption comme le troisième défi le plus important pour le pays, après l’insécurité et le chômage. Soixante-dix pour cent des Afghans hésitent à reconnaître que la corruption est le prix

52 Karl F. Inderfurth et Theodore L. Eliot, “How the Afghans See it,” The International

Herald Tribune, 19 novembre 2010. 53 Miller, “Finish the Job: How the War in Afghanistan Can Be Won.”

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à payer pour traiter affaires avec l’Etat et assurer la cohésion des divers groupes tribaux qui le soutiennent. Cela autorise à penser que la population est fondamentalement résignée face à ce défi. Pour les Afghans, l’appareil de sécurité (la police), le système judiciaire et les municipalités sont les institutions publiques les plus corrompues de l’Etat. La corruption sape sans aucun doute la légitimité de l’Etat, elle fomente l’insurrection et les conflits sociaux. La moitié du peuple afghan est convaincu que la corruption explique en grande partie la montée en puissance des talibans qui, étonnamment, bénéficient aujourd’hui parmi de nombreux Afghans d’une image bien plus pure que lorsqu’ils dirigeaient de force le pays. Les talibans tirent parti de cette perception en faisant appel aux tribunaux islamiques pour juger des cas de corruption. Les insurgés exploitent aussi avec habileté la corruption des fonctionnaires dans leur propre propagande et dans leurs campagnes de recrutement. Les Afghans pointent du doigt trois grandes causes de la corruption : des systèmes de responsabilisation personnelle lacunaires (63 %), des salaires insuffisants pour les fonctionnaires (57 %) et des volumes considérables de capitaux en circulation (49 %). La corruption se développe dans des sociétés déchirées par la guerre ainsi que dans des climats d’après-conflit. L’afflux d’aide étrangère et les dépenses massives pour la sécurité offrent d’immenses opportunités aux actes de malversation, notamment lorsque les institutions publiques sont faibles et les systèmes de responsabilisation personnelle quasi inexistants. Il existe évidemment d’innombrables liens entre la production d’opium, la corruption et la crise institutionnelle en Afghanistan. Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), la plupart des pavots cultivés aujourd’hui en Afghanistan le sont dans les provinces de Helmand et de Kandahar, ravagées par la guerre. Ce n’est pas un hasard si ces régions sont également les plus sujettes aux opérations des insurgés et aux interventions militaires actives de la FIAS ; c’est dans ces provinces également que le déficit de l’autorité de l’Etat central est le plus profond. Il subsiste donc une forte corrélation entre insécurité et culture de l’opium. La superficie

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totale des terres consacrées à la culture du pavot était, en 2010, égale à celle de 2009 – soit 123 000 hectares. Mais la production d’opium a chuté de 48 % à la suite d’une maladie qui a ravagé les cultures dans les provinces de Helmand et de Kandahar. Par ailleurs, comme la demande reste très forte, les recettes totales engendrées par la culture du pavot à la sortie de l’exploitation sont passées de 438 millions de dollars en 2009 à 604 millions de dollars en 2010.54 La hausse des prix de l’opium, combinée à la chute des prix des céréales l’an dernier, a incité un plus grand nombre d’agriculteurs à opter pour la culture du pavot ; la différence de gain entre les deux cultures est passée de 3 contre 1 à 6 contre 1.55 L’opium demeure donc une culture de rente intéressante, surtout lorsqu’on sait que les trafiquants viennent chercher le produit aux portes mêmes de l’exploitation. La détérioration du climat sécuritaire pousse les agriculteurs à exercer une des très rares activités qui semblent florissantes alors que la sécurité se dégrade. L’opium reste dès lors un pilier de l’économie afghane, à l’origine, probablement, d’un tiers du PIB afghan. Pour les Nations unies, près d’un demi-million d’agriculteurs afghans est directement impliqué dans le commerce de l’opium. Le problème le plus grave réside dans le fait que de nombreux capitaines de cette industrie entretiennent des liens étroits avec l’Etat et, dans certains cas, opèrent à partir des rouages mêmes de cet Etat. S’en prendre à ces leaders régionaux et nationaux risquerait de les faire basculer à nouveau dans le camp des insurgés, ce qui représente un vrai dilemme pour la coalition.56 Une fois de plus, le choix n’est pas facile pour la coalition. Une répression pourrait saper encore plus le soutien des populations rurales au gouvernement, car les courtiers du pouvoir régionaux impliqués dans le commerce de l’opium sont des alliés instables, qui peuvent facilement changer de camp et rejoindre les talibans.

54 Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), Afghanistan Opium

Survey 2010: Summary Findings (Kaboul: UNODC Country Team, septembre 2010). 55 Ted Galen Carpenter, “U.S. Can’t Stop Afghanistan’s Opium Economy,” The

National Interest, 11 octobre 2010. 56 Carpenter, “U.S. Can’t Stop Afghanistan’s Opium Economy.”

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Il n’est pas exclu que l’explosion actuelle des cours des produits alimentaires sur les marchés mondiaux incite les agriculteurs à en revenir à ce type de culture. Cela dépendra largement de la mesure dans laquelle les efforts du gouvernement et de la coalition aboutiront à une stabilisation des provinces de Kandahar et de Helmand et de l’aptitude du gouvernement à favoriser la participation à l’économie légale et la capacité de développer des infrastructures et des institutions destinées à créer des marchés de produits alimentaires viables. Une fois de plus, la condition essentielle réside dans la sécurité et la stabilisation. La production d’opium se développe dans des régions en proie au conflit tout simplement parce que ces régions se caractérisent le plus souvent par un déficit global sur le plan de la justice et de l’ordre. Toutes ces raisons expliquent pourquoi la lutte contre le commerce de l’opium pourrait passer au second rang des priorités de la coalition, même si les liens entre cette activité et des questions de gouvernance et de sécurité sont incontestables. Sans doute serait-il nettement préférable de proposer des stimulants positifs pour inciter les agriculteurs à se tourner vers des cultures légales, et à contribuer notamment au développement de débouchés extérieurs pour les produits alimentaires afghans. La corruption touche également le secteur bancaire de l’Afghanistan. La Kabul Bank, la plus grande institution financière du pays, a octroyé des crédits inconsidérés à des hommes d’affaires et des politiciens sur la base de leurs prétendues “relations” et a ensuite presque fait faillite. Plusieurs ministres et ex-ministres auraient, selon la rumeur, reçu de la banque des sommes indécentes et indues. La Banque centrale a pris le contrôle de cette institution et le FMI a insisté pour que le gouvernement place la Kabul Bank sous séquestre.57 Le gouverneur de la Banque centrale, Abdul Qadir Fitrat, a toutefois démissionné lors d’une visite en juin 2011 aux Etats-Unis, affirmant que sa vie était menacée en raison de son témoignage devant le Parlement au sujet des problèmes de la Banque. Les autorités ont par la suite lancé un mandat d’arrêt à

57 Green, “Afghans Resist IMF Pressure to Sell Off Bank.”

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l’encontre de l’ancien gouverneur, voyant en lui le responsable de la crise.58 En 2010, la New Ansari Exchange Hawala a été impliquée dans un autre scandale financier. Les enquêteurs ont découvert des preuves indiquant que cette banque conventionnelle participait en réalité au blanchiment des profits issus du commerce de l’opium et de l’argent extorqué par les talibans. En remontant la filière, il est apparu que, dans les deux cas, plusieurs créanciers politiques et commerciaux influents, y compris des proches du président Karzaï, sont probablement impliqués dans des opérations financières entachées de corruption. De nombreux Afghans et observateurs étrangers pensent que l’enquête menée par la Sensitive Investigative Unit afghane n’était qu’une couverture. De janvier 2007 à février 2010, des coursiers travaillant pour la New Ansari Exchange ont transporté 2,78 milliards de dollars à l’étranger, avec Dubaï comme destination principale. Selon des enquêteurs américains, une partie de ces fonds proviendrait du détournement de l’aide occidentale et des fonds affectés par les pays occidentaux à la logistique, des profits du commerce de l’opium et des réserves financières des talibans. On pense que les capitaux ainsi "exportés" sont, en fait, beaucoup plus importants que le montant cité, un scandale qui a conduit le Congrès américain à geler toute aide non urgente fournie à l’Afghanistan.59 La corruption représente donc un problème de taille en Afghanistan et est étroitement associée aux marchandages politiques qui constituent en quelque sorte le "ciment" du pays. Les moyens de pression de l’Occident à l’encontre de cette corruption sont limités, en dépit des innombrables efforts visant à promouvoir la probité des autorités. Il s’agit-là d’un paradoxe fondamental et il convient de prendre conscience que la présence internationale dans le pays constitue également un facteur de la propagation de la corruption. Une étude allemande indique que, sur les 80 millions d’euros d’aide au

58 Rupert Cornwall, “Whistleblower or Fraudster? Afghan Bank Chief Flees to

America,” The Independent, 29 juin 2011. 59 Matthew Rosenberg, “Afghanistan Money Probe Hits Close to the President,” Wall

Street Journal, 13-15 août 2010.

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développement accordés par l’Allemagne à l’Afghanistan en 2006, moins de 25 millions d’euros ont effectivement été affectés à des projets ; le solde a disparu en salaires et "frais d’administration".60 L’argent de l’aide au développement est très fongible et contribue à alimenter la corruption malgré les appels de l’Occident. Il semble probable que la présence massive d’Occidentaux dans le pays constitue en soi un incitant à cette corruption. Si tel est le cas, la communauté internationale se doit, dans le cadre de sa réévaluation, de repenser les dimensions de cette présence. Il convient en outre de signaler que les plus grandes réussites de l’aide au développement ont lieu au niveau des villages, lorsque les citoyens participent directement aux décisions relatives à l’affectation des fonds et supervisent directement les dépenses. Il s’agit peut-être là d’une piste essentielle pour résoudre ce paradoxe ou, du moins, pour apprendre à vivre avec lui.

VII. INSUFFISANCE DES CAPITAUX AFFECTES AUX INVESTISSEMENTS

On ne dispose pas, à l’heure actuelle, de statistiques fiables concernant les investissements étrangers directs (IED) en Afghanistan, pour la simple raison qu’il n’y a pas de collecte de données organisée et appropriée. Selon le rapport 2009 des Nations unies sur les investissements dans le monde, les IED en Afghanistan représentaient environ 11,3 % du PIB en 2008.61 Selon ce même rapport 2010 sur les conditions d’investissement en Afghanistan publié par le Bureau américain EEB (Bureau of Economic, Energy and Business Affairs), le gouvernement a adopté de nouvelles politiques commerciales et d’investissement impliquant la réforme de la monnaie, la rationalisation du régime des droits de douane et la simplification du code fiscal, précisément pour offrir des conditions plus favorables aux investisseurs. Mais soutenir les

60 Theisen, “Exit Strategy for a Cultural War.” 61 Bureau des affaires économiques, énergétiques et commerciales, Département

d’Etat des Etats-Unis, 2010 Investment Climate Statement – Afghanistan (mai 2010), http://www.state.gov/e/eeb/rls/othr/ics/2010/138776.htm.

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investissements domestiques et étrangers dans le pays constitue un immense défi et l’on ne peut nier l’existence d’un gouffre considérable entre ce qui est écrit dans la loi et ce qui est pratiqué sur le terrain. Les investisseurs, tant étrangers que nationaux, cherchent à pallier l’incertitude et n’investiront donc pas là où le climat politique, juridique et sécuritaire est source d’incertitude. Un pays entravé par un Etat faible et pris dans l’engrenage d’une guerre civile et, dans une certaine mesure, d’une guerre régionale n’est guère susceptible de figurer sur la liste des destinations les plus attrayantes pour les investisseurs. Il existe aussi toute une série d’obstacles formels et informels aux injections de fonds dans des secteurs qui, idéalement, pourraient susciter l’intérêt des investisseurs. L’exploitation minière et les hydrocarbures sont deux exemples de secteurs où les investissements sont largement insuffisants, mais qui offrent néanmoins un gigantesque potentiel ; les barrières qui se dressent à l’entrée de ces marchés sont colossales. Les obstacles bureaucratiques qui entravent les investissements en Afghanistan sont phénoménaux et les règles du jeu sont loin d’être claires. Le droit commercial est nettement sous-développé et l’appareil judiciaire est sujet aux interférences politiques et à la corruption, ce qui sape la protection de la propriété. Les chefs d’entreprises locaux entretiennent souvent d’étroites relations avec des seigneurs de la guerre et des milices et font jouer ces relations pour bloquer la concurrence dans des domaines tels que le transport de carburant ou la construction. En plus de ces obstacles de taille, le taux extraordinairement élevé d’analphabétisme parmi la population afghane adulte (seuls 28 % des Afghans de plus de 15 ans sont alphabétisés) constitue un handicap réel à la disponibilité de main-d’œuvre qualifiée. De nombreux travailleurs parmi les plus qualifiés sont en effet déjà largement sollicités et employés par la communauté internationale en Afghanistan ou ont, de leur propre initiative, décidé d’adopter un comportement non productif et frauduleux en vue de faire du profit. Le potentiel offert par l’industrie minière en Afghanistan est considérable, car le pays dispose apparemment de certains des

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principaux gisements de fer et de cuivre au monde, ainsi que de terres rares telles que le lithium, utilisé dans les téléphones mobiles.62 Les gisements de minerai de fer de la région d’Hajigak sont totalement sous-exploités en raison des risques et des coûts de commercialisation. Le pays possède également d’importantes réserves d’or, de cobalt, et de pierres précieuses ; dans tous ces secteurs, l’Afghanistan recherche des investisseurs pour aider le pays à exploiter ses richesses. Une fois encore, le problème réside dans le climat d’incertitude profonde qui entoure la situation militaire, les actes de violence perpétrés par les insurgés, la corruption, et l’absence d’infrastructure critique indispensable pour transporter ces minerais et les acheminer jusqu’au marché. Plusieurs sociétés occidentales, chinoises et indiennes cherchent néanmoins à devenir des acteurs sur ce marché, mais les soupçons de corruption ralentissent les préparatifs visant à débuter l’exploitation minière dans la région de Hajigak, où – en 2008 – la Chine a promis d’investir 3,5 milliards de dollars pour le développement de la mine de cuivre d’Aynak. L’exportation du minerai extrait posera par ailleurs toute une série d’autres problèmes, peut-être plus grands encore. La société chinoise MCC s’est engagée à construire une ligne de chemin de fer (représentant un budget de 6 milliards de dollars) pour transporter le cuivre extrait des mines d’Aynak mais ici aussi, des problèmes de sécurité entravent sérieusement ce projet.63

VIII. CONCLUSIONS

La transmission de la responsabilité de la sécurité aux Afghans pour la fin 2014 représente un objectif réaliste, mais elle exigera non seulement un niveau plus élevé de sécurité dans le pays, mais également des progrès beaucoup plus rapides et profonds en matière de gouvernance. Celle-ci constitue pour sa part un préalable essentiel comme catalyseur du développement économique et social en Afghanistan. Les obstacles à

62 Aziz “Effective Initiatives towards Local Economic Development and

Empowerment.” 63 Matthew Green, “Kabul Pins Hopes on Vast Iron Deposits,” Financial Times,

11 octobre 2010.

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l’amélioration de la capacité de l’Etat demeurent toutefois considérables. Il n’y a pas si longtemps, les efforts de guerre et de développement souffraient systématiquement d’un manque de ressources. Aujourd’hui, des mesures ont finalement été prises pour faire face à ces problèmes, ce qui est une bonne nouvelle. Malheureusement, cette initiative vient sans doute un peu tard car l’insurrection s’est renforcée, l’Etat est encore plus corrompu qu’il ne n’était auparavant, le Pakistan est plus instable et plus hostile, tandis que la très médiocre coordination entre donateurs, gouvernement et société civile a entraîné d’immenses gaspillages au niveau de certains projets de développement. Qui plus est, la crise économique et budgétaire en Occident menace de priver les efforts d’aide de ressources essentielles à l’accomplissement de la mission. A ce jour, il n’y a pas d’autre alternative que de tirer les leçons des erreurs commises et de corriger le tir mais ceci peut s’avérer extraordinairement difficile. La coalition doit se préparer à faire face à des résultats peu satisfaisants, alors que – dans les pays membres de l’OTAN – les politiques intérieures et les réalités budgétaires incitent simultanément à une réduction de la présence en Afghanistan. Les Alliés et leurs partenaires doivent faire preuve de réalisme quant à ce qui est faisable dans ce pays. Cela dit, si la communauté internationale devait se retirer précipitamment d’Afghanistan, cela entraînerait une véritable tragédie humaine et une catastrophe sur le plan stratégique. Il appartient à tous les acteurs de veiller dès à présent à ce que les choses s’améliorent, de façon à offrir à l’Afghanistan l’opportunité de connaître une paix relative. Faute de quoi, les rivalités régionales, la nature transfrontalière de l’insurrection, les profondes divisions ethniques et tribales, la faiblesse des institutions du pays et le commerce de stupéfiants omniprésent se conjugueront pour annihiler tout effort visant à promouvoir une plus grande sécurité, une stabilité accrue et un développement économique digne de ce nom. Les attentats du 11 septembre illustrent amplement les enjeux alliés quant à l’issue finale.

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Il faudra prendre des mesures pour s’assurer que les groupes humanitaires bénéficient d’un maximum d’espace pour opérer sur tout le territoire afghan. Ce besoin est encore plus impérieux depuis le renforcement récent des forces de la coalition. Dans toute action humanitaire, il est essentiel que ceux qui fournissent une assistance puissent travailler en toute neutralité. Cela leur permet d’œuvrer en faveur de toutes les parties prenantes d’un conflit et d’apporter une aide vitale aux personnes qui en ont besoin. Cet impératif doit être respecté et il serait opportun de considérer les négociations avec des groupes d’insurgés comme un moyen de bâtir un consensus humanitaire élargi afin de créer davantage d’espace au profit des équipes d’aide. Cela pourrait également s’inscrire dans le cadre de la création d’un climat de confiance, première étape possible d’un processus plus difficile et plus complexe visant à explorer des solutions politiques potentielles à la crise. A ce sujet, il convient de noter qu’en juin 2011, le secrétaire à la Défense Robert Gates a révélé l’existence de contacts préliminaires avec les talibans. Des efforts complémentaires sont également nécessaires pour collecter des données sur la crise humanitaire en Afghanistan. Ce point ne figure pas parmi les priorités des acteurs militaires. Les Nations unies, qui disposent de la capacité voulue pour mener ce genre de travail vital, doivent aujourd’hui combler cette lacune. Il est crucial de disposer de plus d’informations sur le niveau et sur les emplacements précis des crises humanitaires si l’on veut élaborer une réponse appropriée. Par ailleurs, les forces de la FIAS doivent mieux comprendre la situation humanitaire sur le terrain et prendre des mesures pour atténuer la crise humanitaire, faute de quoi cet échec non seulement représenterait une défaillance morale mais il porterait aussi un coup fatal à l’argumentation politique que tente de développer la FIAS. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) de l’ONU devrait diriger les efforts visant à améliorer les conditions humanitaires en Afghanistan. Une telle responsabilité ne devrait pas être confiée à la MANUA, car

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celle-ci apparaît aujourd’hui comme trop proche du gouvernement afghan et de la FIAS. En d’autres termes, ce sont les Nations unies elles-mêmes qui seront sans doute appelées à édifier un dispositif dit ‘muraille de Chine’ entre leurs opérations humanitaires et leurs opérations politiques en Afghanistan. Un consortium d’ONG à vocation humanitaire pourrait aussi être constitué pour que leurs efforts soient mieux harmonisés, pour les différencier d’autres acteurs plus étroitement apparentés aux belligérants et pour souligner la nature humanitaire de leur mission ainsi que leur neutralité à l’égard des parties prenantes au conflit et de la population afghane.64 La démilitarisation du processus d’aide et de développement constitue un impératif plus large. Les forces armées ne peuvent être très efficaces comme pourvoyeurs d’aide ; dans toute la mesure du possible, elles devraient être déchargées de leurs responsabilités en matière de gestion des projets d’assistance. Il va de soi que, dans des situations d’urgence impliquant des civils, elles peuvent jouer un rôle capital dans la fourniture d’une aide humanitaire, mais, d’une façon générale, les opérations liées au développement proprement dit devraient être confiées à d’autres acteurs. Les forces armées ne sont pas structurées pour gérer des projets d’aide : elles n’ont pas de véritables systèmes d’évaluation des projets, elles n’ont pas davantage la connaissance des particularités locales nécessaire pour garantir l’autosuffisance des projets et elles font inévitablement l’objet de vives critiques lorsque des projets basés au départ sur de bonnes intentions se transforment en "éléphants blancs" et s’avèrent finalement être davantage une charge qu’un soulagement pour les populations locales. L’amélioration de la gouvernance et de la capacité de l’Etat afghan à garantir la sécurité et le développement revêt une importance cruciale dans le succès de la transition de la responsabilité au gouvernement afghan. Des victoires militaires sur le terrain ne permettront que de gagner du temps, sans apporter toutefois des solutions aux vrais problèmes qui sont à

64 Donini, Afghanistan Humanitarianism Unraveled.

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l’origine de l’insurrection. Les efforts consentis au titre de l’aide doivent donc être nettement mieux ciblés et coordonnés. Dans toute la mesure du possible, les donateurs internationaux devraient canaliser leur aide par le biais du budget du gouvernement afghan. Des efforts sont nécessaires pour aider l’Afghanistan à conférer à terme une base durable à son budget, afin de le rendre moins dépendant du soutien financier étranger. Il s’agit-là d’une dimension fondamentale - bien que rarement abordée - du processus de transition. Pour illustrer ce problème, l’on estime qu’il faut 8 milliards de dollars par an pour couvrir le coût des forces de sécurité nationale de l’Afghanistan, ce qui représente 50 % du PNB du pays et constitue une charge que l’Afghanistan n’est manifestement pas en mesure de supporter. Ce dilemme reflète parfaitement l’interdépendance existant entre la sécurité et le développement. Des revenus devront être générés à terme par le biais des échanges commerciaux, de l’exploitation minière, de l’agriculture, de la construction et de l’adoption de méthodes considérablement améliorées de perception des taxes et impôts. Il existe des secteurs critiques pour lesquels l’Afghanistan a besoin d’aide, mais il appartient aux Afghans eux-mêmes de définir leur voie vers le développement, en collaborant étroitement avec la Banque mondiale et le FMI en particulier.65 Certains des donateurs parmi les principaux (dont les Etats-Unis) ont l’habitude de travailler avec de nombreuses agences, y compris certaines cellules de l’armée impliquées dans la fourniture d’un soutien au développement. Pour ces pays, il est logique de n’avoir qu’une seule agence de reconstruction afin d’éliminer toute redondance pouvant prêter à confusion et d’éviter des rivalités entre agences qui, finalement, ne peuvent que pénaliser l’Afghanistan. En Iraq, par exemple, pas moins de 62 agences différentes dont le département de la Défense, le département d’Etat et l’USAID ont participé aux efforts de reconstruction déployés par les Etats-Unis – un immense gaspillage qui a en outre imposé un lourd fardeau à l’Iraq.

65 Claire Lockhart, “Only the Afghan Economy Can Make Afghanistan Self Sustaining,”

dans Afghanistan 2011-2014 and Beyond: From Support Operations to Sustainable Peace, ed. Luis Peral et Asheley Tellis (Paris: European Union Institute for Security Studies et Carnegie Endowment for International Peace, février 2011).

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Malgré cela, les tentatives visant à centraliser le processus de reconstruction rencontrent une forte résistance au sein du département de la Défense et du département d’Etat.66 C’est sans doute aux Etats-Unis que ce problème est le plus grave, mais d’autres pays également pourraient améliorer les résultats de leur aide en coordonnant mieux leurs efforts. L’OTAN et, surtout, les détachements militaires des pays membres de l’OTAN doivent donc améliorer leur aptitude à être dirigés par d’autres dans des domaines tels que l’édification de l’Etat, où les armées nationales n’ont que peu d’expérience et un savoir-faire limité. Les soldats occidentaux et leur mentalité "oui, on peut le faire" ont tendance à être affectés à des opérations relevant du développement et de l’édification de l’Etat, alors qu’il serait préférable de confier de telles activités aux autorités locales et aux organismes de développement. De même, il est crucial de travailler au niveau des districts et des municipalités et de ne pas concentrer tout l’effort d’édification de la capacité sur la seule capitale du pays. Réussir le processus de développement institutionnel implique une approche ascendante plutôt que descendante et la collaboration au niveau local permet de réduire considérablement le risque de corruption. La communauté internationale devrait continuer à se focaliser sur le développement économique et social en tenant compte des aptitudes propres aux hommes et aux femmes. Cela va peut-être à l’encontre de certains mœurs dans la culture afghane traditionnelle mais il ne faut pas oublier qu’évincer les femmes de l’échiquier économique et politique du pays est précisément ce qu’ont fait les talibans – ce qui s’est avéré catastrophique sur le plan sociologique et économique. La communauté internationale doit donc trouver des partenaires locaux pour faire évoluer une vision qui respecte les traditions et garantisse en même temps des améliorations radicales des conditions prévalant dans le pays. L’oppression des femmes ne fera qu’entraver le développement de l’Afghanistan dans les

66 Timothy Williams, “Report Seeks Sole Agency to Rebuild War Zones,” The New

York Times, 22 février 2010.

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domaines les plus divers. L’éducation en général et celle des femmes en particulier devraient figurer en priorité à l’agenda du soutien international au développement. Trente quatre pour cent seulement de la population est alphabétisée, mais à peine 12 % des femmes de plus de 15 ans savent lire et écrire.67 L’Afghanistan demeure particulièrement vulnérable aux catastrophes naturelles et ne dispose que de peu de ressources et d’une infrastructure insuffisante pour y faire face. Ces catastrophes peuvent être d’autant plus dévastatrices que la population est déjà très vulnérable. Même si la gouvernance est une priorité essentielle pour l’ensemble des donateurs, améliorer l’aptitude de l’Afghanistan à faire face aux sinistres devrait être considéré également comme un domaine prioritaire apparenté. Le commerce de l’opium est profondément ancré dans l’économie afghane et prospère particulièrement dans un climat d’instabilité. C’est pourquoi il conviendrait d’aborder ce problème en le traitant comme une priorité auxiliaire, et non une priorité de premier plan : en effet, les agriculteurs doivent se voir proposer des alternatives à la culture du pavot, ils ont besoin des moyens et des infrastructures pour acheminer leurs produits vers les marchés locaux et internationaux, et l’Etat lui-même doit être renforcé avant d’être en mesure de relever toute la panoplie des défis liés à la production d’opium. Il conviendrait par ailleurs de tempérer quelque peu les attentes quant à l’évolution escomptée dans ce domaine car des changements radicaux devront d’abord être introduits ailleurs avant que l’on puisse aborder globalement ce défi spécifique. Faisant preuve de sagesse, l’Ambassadeur Richard Holbrooke avait reconnu combien il est important de développer la capacité agricole de l’Afghanistan comme le meilleur moyen de lutter contre le fléau de l’opium. La communauté internationale serait bien avisée de s’inspirer de cet avis. L’exploitation du potentiel agricole de l’Afghanistan est d’ailleurs fondamentale

67 Shannon Scribner, “Achieving Long-term Development in Afghanistan with Low

International Dependence,” dans Afghanistan 2011-2014 and Beyond: From Support Operations to Sustainable Peace, éd. Luis Peral et Asheley Tellis (Paris: European Union Institute for Security Studies et Carnegie Endowment for International Peace, février 2011).

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pour le bien-être de ses habitants, étant donné que 80 % de la population en dépend comme moyen de subsistance.68 Cela rend la transition dans ce domaine particulièrement délicate, car les intérêts des personnes les plus vulnérables doivent également être protégés. La réforme agricole devrait être liée au développement de filets de sécurité sociale de base. Une stratégie plus globale pour lutter contre la corruption, partiellement mais étroitement liée au commerce de l’opium, doit être élaborée en parallèle. Il convient toutefois de faire preuve de réalisme quant aux résultats qu’il sera possible d’engranger dans ce domaine. La corruption est l’un des éléments du maquignonnage politique de la myriade de groupes qui soutiennent à tout le moins de manière formelle l’Etat afghan. Un analyste définit ainsi le problème : "L’émergence d’un système multipartite dans des cultures claniques ne fait que renforcer la corruption. Aussi longtemps que celle-ci peut être financée, un certain niveau de satisfaction s’installe, ce qui explique les premiers succès en Afghanistan jusqu’en 2006. Dès que les ressources ont commencé à diminuer, le pluralisme politique a généré la corruption et la guerre. "69 Parallèlement, nombre des problèmes sécuritaires en Afghanistan dérivent de l’absence de loyauté des citoyens envers un Etat considéré comme incompétent et corrompu. Ces problèmes doivent être résolus si l’on veut donner une chance à la transition d’aboutir. Or les moyens de pression de l’Occident dans ce domaine sont franchement limités et la meilleure chose qu’il puisse faire consiste à veiller à ce qu’au moins les fonds qu’il affecte au développement soient dépensés de façon adéquate et utilisés à bon escient. L’Occident peut monter aux Afghans les meilleures pratiques, mais – en fin de compte – ce sont les Afghans eux-mêmes qui seront responsables de leur adaptation à leur propre environnement culturel, ou de leur rejet en tant que concept imposé par l’étranger. Les Occidentaux estiment que des réformes positives et une meilleure gouvernance faciliteront les efforts de réconciliation, essentiels à la stabilisation de

68 Scribner, “Achieving Long-term Development in Afghanistan with Low

International Dependence.” 69 Theisen, “Exit Strategy for a Cultural War.”

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l’Afghanistan. Mais cela ne servira à rien si les Afghans eux-mêmes ne se rallient pas à cette logique. Quoiqu’il en soit, ils devront adapter les termes du fragile édifice qui assure la cohésion du pays et créer un minimum de stabilité. Les termes en question ne plairont peut-être pas à l’Occident, mais il s’agit-là de décisions qui appartiennent aux Afghans et non à la communauté internationale. Bien que le cadre de référence opérationnel de la transition indique que les principales responsabilités en matière de sécurité doivent être aux mains de l’Etat afghan d’ici à 2014, il ne faut pas oublier qu’en réalité, ce pays a encore largement besoin du soutien de la communauté internationale. Nos gouvernements et nos peuples doivent donc s’engager à long terme envers ce pays, même après la réduction des troupes de la FIAS. Parallèlement, la communauté internationale et le gouvernement afghan ne doivent pas ménager leurs efforts pour stimuler au niveau national un véritable dialogue et une authentique réconciliation en Afghanistan car il n’y a pas de solution purement militaire à cette insurrection. Les problèmes politiques qui alimentent ce soulèvement doivent être abordés sans détours. Mais, même cela risque de ne pas être suffisant vu la dimension fondamentalement régionale de ce conflit. L’instabilité et l’isolement croissants du Pakistan continuent d’ailleurs à offrir un refuge à des éléments clés de l’insurrection et certains éléments des services de sécurité pakistanais estiment qu’un Afghanistan stable constitue, d’une manière ou d’une autre, une menace pour leur pays. Les services militaires et de sécurité pakistanais utilisent les talibans et des groupes comme le réseau Haqqani dans la région septentrionale de Waziristan et de Lashkar-e-Taiba comme mandataires pour mener leur propre lutte d’influence dans la région – une lutte dont l’origine principale doit être recherchée dans la rivalité de longue date qui oppose le Pakistan à l’Inde à propos du Cachemire. Confronté à une très grave tourmente intérieure, le Pakistan doit donc être impliqué lui aussi dans la solution et il faudra mettre tout en œuvre pour lui démontrer qu’un engagement positif dans la recherche d’une solution servirait aussi ses propres intérêts. Ceci ne sera assurément pas une sinécure, car

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les leviers dont disposent les pays occidentaux dans ce pays sont limités et les relations avec les Etats-Unis se sont dégradées depuis que les forces spéciales américaines ont tué Oussama Ben Laden sur le territoire pakistanais, sans consultation préalable des responsables de ce pays, démontrant ainsi la profonde méfiance des Etats-Unis à l’encontre de l’Inter-Service Intelligence (ISI) pakistanais. Pour le meilleur ou pour le pire, la crise budgétaire que traversent de nombreux pays alliés s’est muée en facteur central de la manière dont les Alliés abordent les questions de sécurité nationale. Dans de nombreux pays, l’on enregistre des appels à un retrait d’Afghanistan et les autorités seront contraintes de défendre leurs engagements en faveur de ce pays, même si une réduction de leur présence représente désormais un objectif affiché de la politique. Il est toutefois vital que l’Alliance n’abandonne pas un Afghanistan pauvre et instable, même en cas de retrait des forces militaires et d’une révision à la baisse des attentes quant à ce qui peut être accompli dans ce pays lointain. Abandonner l’Afghanistan à son sort menacerait de miner davantage encore la sécurité dans une partie du monde très dangereuse. Signalons enfin qu’il convient de réfléchir très sérieusement aux enseignements tirés de dix ans d’expérience en Afghanistan. Cette réflexion doit inclure une réévaluation des limites de la puissance occidentale, la relation adéquate entre valeurs et politiques de sécurité et des attentes souvent déraisonnables imposées aux forces armées occidentales. Enfin, nous devons réévaluer également ce qui peut être accompli par le biais d’une intervention militaire dans des pays comme l’Afghanistan.

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L’AFGHANISTAN : CONTEXTE REGIONAL

Rapport

par

John Dyrby PAULSEN (Danemark)

John Dyrby PAULSEN

(2010 - ) Rapporteur de la Sous-commission sur les relations transatlantiques

(2007 - ) Chef adjoint de la délégation danoise auprès de l'AP-OTAN

Ce rapport a été élaboré pour la Commission politique en août 2011 et adopté à la

Session annuelle de l’AP-OTAN à Bucarest, Roumanie en octobre 2011.

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165

TABLE DES MATIERES

CARTE DU PAKISTAN 166 PAKISTAN : CARTE DES CONFLITS 167

FLUX MONDIAUX DE CIRCULATION DE L’HEROÏNE D’ORIGINE ASIATIQUE 168

I. INTRODUCTION 169 II. AFGHANISTAN ET PAYS VOISINS 172

A. PAKISTAN 172

B. IRAN 177

C. REPUBLIQUES D’ASIE CENTRALE 179

D. RUSSIE 182

E. INDE 184

F. CHINE 186 III. CONCLUSION : UNE STRATEGIE REGIONALE POUR

L’AFGHANISTAN 189

166

CARTE DU PAKISTAN

Source : Service de recherches du Congrès des Etats-Unis

167

PAKISTAN : CARTE DES CONFLITS

Source : BBC News, http://news.bbc.co.uk/2/hi/south_asia/8046577.stm

168

FLUX MONDIAUX DE CIRCULATION DE L’HEROINE D’ORIGINE ASIATIQUE

Source : Rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) pour 2011

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I. INTRODUCTION

La conviction grandissante, telle qu’elle se reflète dans l’évolution des politiques des deux côtés de l’Atlantique, selon laquelle il est impossible de mettre un terme au conflit en Afghanistan sans prendre en considération les relations complexes qui existent entre les Etats de la région demande une analyse approfondie de la question afghane selon une perspective régionale. Cette partie du monde est une mosaïque façonnée par les multiples forces qui y sont présentes depuis des décennies. La démarcation entre sunnites et chiites, les vestiges des allégeances de la Guerre froide, la révolution islamique, l’invasion soviétique de l’Afghanistan, le djihad afghan et la montée en puissance des talibans sont quelques-uns des faits et des facteurs qui ont laissé leur empreinte sur la région, alors que le pays est devenu une arène où s’affrontent des camps rivaux. Compte tenu du transfert imminent de la responsabilité de la sécurité aux autorités afghanes, il est d’autant plus urgent d’adopter une approche régionale que les puissances régionales se disputeront, selon toute vraisemblance, leur propre espace sur le territoire afghan, après le retrait progressif des forces armées internationales et, singulièrement, de celles des Etats-Unis – dont la première phase doit s’achever d’ici au mois de décembre 2011. Incontestablement, tous les Etats de la région ont intérêt à ce que l’Afghanistan se porte bien ; l’avenir de ce pays influera vraisemblablement sur la région dans son ensemble. Dans la Déclaration de Kaboul, signée en 2002, des pays voisins – Chine, Iran, Pakistan, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan – ont réaffirmé leur attachement à des relations bilatérales constructives et fructueuses reposant sur les principes de l’intégrité territoriale, du respect mutuel, des relations amicales, de la coopération et de la non-ingérence dans les affaires intérieures. De la même manière, la Déclaration d’Istanbul du 26 janvier 2010 sur « le cœur de l’Asie » fait obligation à chacun des pays signataires – Afghanistan, Pakistan, Turquie, Iran, Chine et Tadjikistan – de respecter la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité territoriale et l’unité

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nationale afghanes ainsi que celles des autres parties. L’importance de solutions régionales endogènes est de plus en plus reconnue, comme on l’a vu, plus récemment, à la Conférence de Londres du 30 janvier 2010. Toutefois, la situation reste complexe et en proie à de nombreuses tensions. En dépit d’un recours accru à des organisations régionales comme l’Association sud-asiatique pour la coopération régionale, l’Organisation de coopération économique ou l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), des problèmes en souffrance, tel celui du Cachemire, empêchent ces organisations d’utiliser tout leur potentiel. La communauté internationale doit donc trouver une stratégie régionale dûment ajustée, qui prenne en compte les pays et les acteurs concernés et leurs préoccupations, qui s’efforce d’aplanir leurs différends et exploite les possibilités communes. Le renforcement des forces de sécurité et des institutions afghanes doit faire partie intégrante de cette stratégie, qu’il sera très malaisé, voire impossible de mettre au point sans un gouvernement en état de fonctionner. S’il existe diverses interprétations de ce qu’implique une stratégie régionale, un aspect leur est commun : la volonté de rassembler tous les voisins de l’Afghanistan et les parties prenantes d’importance cruciale dans une structure coopérative fondée sur la lutte contre le terrorisme et le trafic de stupéfiants, ainsi que sur la reconstruction et l’édification de l’Etat, l’objectif ultime étant l’avènement d’un Afghanistan stabilisé. Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Barack Obama demande instamment l’élaboration d’une telle stratégie et a publiquement annoncé, en mars 2009, l’application d’une nouvelle politique américaine à l’égard de l’Afghanistan et du Pakistan. Elément prééminent de cette politique : "réunir tous ceux qui (…) ont intérêt à l’instauration d’un climat de sécurité dans la région – à savoir les Alliés de l’OTAN et ses autres partenaires, mais aussi les pays d’Asie centrale, les pays du Golfe et l’Iran, la Russie, l’Inde et la Chine"1. Un effet notable de cette politique nouvelle

1 Jesse Lee, “A New Strategy for Afghanistan and Pakistan,” The White House Blog,

27 mars 2009, http://www.whitehouse.gov/blog/09/03/27/A-New-Strategy-for-Afghanistan-and-Pakistan/.

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est que, sur le terrain, l’Afghanistan et le Pakistan forment actuellement un seul et même théâtre d’opération. Une expansion similaire s’est produite sur le plan politique et a entraîné l’apparition des institutions et structures pertinentes. Par exemple, peu après la nomination de Richard Holbrooke au poste de représentant spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan et le Pakistan, d’autres pays concernés ont créé des postes semblables pour former ce que le président Obama a qualifié de "Groupe de contact pour l’Afghanistan et le Pakistan". Si ce groupe est une entité informelle vouée au dialogue et aux discussions sur l’Afghanistan, selon les spécialistes (dont Ashley J. Tellis), sa taille constitue un désavantage en termes d’efficacité. Ces démarches fournissent des indications sur la position de la communauté internationale au sujet de l’Afghanistan. Néanmoins, les tentatives d’apaisement des rivalités majeures n’ont donné que peu de résultats, essentiellement en raison de l’incompatibilité des intérêts nationaux dans la région et de l’existence de dilemmes en matière de sécurité qui transcendent tout le reste et poussent certains pays voisins dans une impasse. Ashley J. Tellis et d’autres spécialistes estiment que de récentes déclarations de membres de l’OTAN sur des retraits de troupes d’ici à 2014 ont peut-être contribué à un durcissement des positions des Etats voisins : convaincus du départ imminent des Alliés, ces pays pourraient, en fait, se concentrer plus encore sur la défense de leurs propres intérêts. Le calendrier annoncé pour le départ des forces armées internationales, et singulièrement des troupes américaines qui forment le gros de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), est susceptible d’inciter toutes les parties en présence à réajuster leurs intérêts et remodeler leurs alliances, ce qui compliquera d’autant la définition d’une stratégie régionale et lui conférera une importance sans cesse accrue. Si l’élimination des sources de conflits dans la région est une entreprise herculéenne à court terme, l’incitation à l’intégration économique peut être un moyen efficace de concilier les divers intérêts en jeu. Plusieurs spécialistes, dont Frederick Starr et

172

Haroun Mir, ont avancé des projets et des programmes axés sur la résurrection de l’ancienne route de la soie ou sur la mise en place d’un mécanisme régional de gestion commune des eaux, puisque l’Afghanistan peut faire office de principal fournisseur en eau du Pakistan, de l’Iran et des Républiques d’Asie centrale. Parmi les autres questions économiques communes aux pays de la région et caractérisées par leur immense potentiel, on peut citer l’électricité, les ressources minérales, le pétrole et le gaz, ainsi que leur exploitation et leur acheminement. De telles initiatives peuvent très utilement servir à renforcer la confiance. C’est avec ses voisins que l’Afghanistan procède à la majorité de ses échanges commerciaux ; cela a créé une interdépendance économique qui, malheureusement, n’a pas encore encouragé les pays concernés à se concentrer sur l’engrangement de bénéfices économiques absolus plutôt que sur l’accumulation de bénéfices politiques relatifs. Au contraire, de nombreux pays sont plus enclins à utiliser l’Afghanistan comme un pion censé leur procurer un avantage politique relatif sur leurs rivaux. Il semble évident que la coopération économique régionale ne saurait fonctionner en l’absence des garanties de sécurité nécessaires.

II. AFGHANISTAN ET PAYS VOISINS

A. Pakistan

Parmi les pays voisins, le Pakistan est celui dont le sort est le plus étroitement associé à celui de l’Afghanistan : les régions tribales sous administration fédérale (FATA), le Khyber Pakhtunkhwa – l’ancienne Province de la Frontière du Nord-Ouest (NWFP) – et le Baloutchistan servent en effet de principal sanctuaire aux insurgés et de première route d’approvisionnement de ceux-ci en territoire afghan. Environ 1,7 million de réfugiés afghans officiellement enregistrés vivent actuellement au Pakistan ; la plupart d’entre eux sont installés dans le Khyber Pakhtunkhwa, les FATA et au Baloutchistan. On estime par ailleurs qu’il faut ajouter à cela un million de réfugiés afghans non enregistrés. Le Pakistan joue un

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rôle crucial pour le ravitaillement logistique de la FIAS : il demeure la principale voie d’acheminement de fournitures et de carburant à destination de l’Afghanistan, même si une proportion grandissante des livraisons destinées à la FIAS empruntent désormais le Northern Distribution Network (NDN). Puisque les extrémistes continuent à utiliser la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan comme sanctuaire, la coopération d’Islamabad aux efforts alliés pour en venir à bout et permettre éventuellement la conclusion d’un règlement entre les insurgés et le gouvernement afghan conserve une très grande importance. Or, dans le passé, l’attitude du Pakistan en matière de lutte contre le terrorisme a été tout sauf constante. Si le gouvernement pakistanais a formellement condamné l’extrémisme religieux et les groupes terroristes islamistes, certains dont le Premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron, lui ont notamment reproché une certaine ambiguïté vis-à-vis du terrorisme2. Le fait qu’Oussama ben Laden se soit caché au Pakistan pendant plusieurs années a suscité des interrogations sur la volonté des autorités d’Islamabad de combattre al-Qaida et l’insurrection. Des éléments des services de sécurité pakistanais sont soupçonnés d’aider en secret les divers groupes de terroristes et d’insurgés qui s’en prennent aux forces afghanes et aux troupes de la FIAS. En outre, les mêmes éléments sont accusés de soutenir des militants extrémistes au Cachemire et en Inde proprement dite. Les hauts responsables pakistanais, dont le Premier ministre, Youssouf Raza Gilani, réfutent régulièrement ce genre d’accusations. Si le Pakistan a souvent fermé les yeux sur la présence de certains groupes extrémistes sur son territoire, il tend à reconnaître de plus en plus que l’insurrection fait peser une menace croissante sur son existence même. Certes, le nombre d’attentats a diminué en 2010 mais, dans l’ensemble, la sécurité continue à se détériorer dans le pays ; depuis les zones frontalières du nord-ouest, la violence s’étend vers le Baloutchistan, le Pendjab et les principales villes pakistanaises.

2 Alex Barker, James Lamont et Farhan Bokhari, “Cameron Warns Pakistan Over

Terror,” Financial Times, 28 juillet 2010.

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Récemment, Islamabad a commencé à prendre des mesures plus radicales contre les extrémistes. Par exemple, il a lancé en 2009 des offensives militaires contre les talibans à Bajaur, dans la vallée de Swat et dans le Waziristan méridional. Les résultats ont toutefois été mitigés et, dans ces régions, les rivalités tribales persistent. Les autorités pakistanaises n’y exercent qu’un contrôle indirect, essentiellement par l’intermédiaire des anciens. Il n’empêche que, depuis 2006, pas moins de 1 000 chefs tribaux ont été pris pour cibles et assassinés par les insurgés et les talibans pakistanais, restreignant encore le contrôle du gouvernement sur les régions frontalières. Si l’Afghanistan et le Pakistan ont de nombreuses similitudes, leurs relations bilatérales sont souvent difficiles. A de multiples reprises, les responsables afghans ont accusé leurs homologues pakistanais de se livrer à des ingérences dans leurs affaires intérieures et de soutenir ouvertement les talibans et autres extrémistes. De plus, les deux pays s’accusent mutuellement de ne pas faire tout ce qu’il faut pour empêcher les insurgés de passer la frontière. Dans une large mesure, les tensions bilatérales sont enracinées dans le différend territorial qui oppose Kaboul à Islamabad depuis longtemps : ni le Pakistan ni l’Afghanistan n’ont formellement ratifié le tracé de la Ligne Durand, longue de 2 640 km, qui leur sert de frontière commune. La question est encore compliquée par le fait que les tribus pachtounes vivent des deux côtés de cette frontière poreuse. Les Pachtounes constituent 40 % de la population afghane, mais ils sont considérablement plus nombreux à vivre au Pakistan, où ils représentent 15 % de la population. Les litiges subsistent, mais les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan se sont améliorées dernièrement. Lors d’une récente visite du Premier ministre Gilani à Kaboul, les deux pays ont marqué leur accord sur la création d’une commission conjointe chargée de faire progresser le processus de paix. En juin 2011, Hamid Karzaï a effectué une visite de deux jours dans la capitale pakistanaise pour parler des efforts de réconciliation. En même temps, le début du passage du relais aux autorités afghanes et les relations tendues entre Islamabad et Washington

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depuis le raid contre Oussama ben Laden suscitent de sérieuses interrogations quant à la stabilité même du Pakistan même et à la politique qu’il observera à l’avenir envers l’Afghanistan. Les deux pays sont étroitement liés sur le plan économique : le Pakistan est le partenaire commercial numéro un de l’Afghanistan, lequel est le troisième importateur de produits pakistanais, après les Etats-Unis et la Chine. Pour promouvoir leurs échanges, les deux pays ont mis sur pied une chambre de commerce commune en novembre 2010. En juillet de la même année, ils avaient signé l’Accord sur le commerce de transit entre l’Afghanistan et le Pakistan (APTTA), qui succédait à l’Accord sur le commerce de transit de l’Afghanistan (ATTA). Le nouvel accord autorise l’acheminement des exportations afghanes à destination de l’Inde par la frontière terrestre entre celle-ci et le Pakistan, encore que les camions afghans ne puissent pas transporter des marchandises indiennes et doivent revenir à vide. De plus, l’accord prévoit le transit par le territoire afghan des échanges commerciaux entre le Pakistan et les pays d’Asie centrale. Il est entré en application en juin 2011. Le "Processus de Doubaï", mené par l’entremise du Canada et qui visait à instaurer entre les deux pays un climat de compréhension et de coopération dans un certain nombre de secteurs clés, dont l’infrastructure, le commerce, les douanes, la lutte contre le trafic de stupéfiants ou encore la répression de la criminalité, a ainsi enregistré une grande victoire. Les responsables pakistanais ont émis des critiques à l’encontre des membres de l’OTAN (et du reste de la communauté internationale) pour leur inaptitude supposée à définir l’Etat afghan souhaité et, a fortiori, la stratégie à suivre pour bâtir un tel Etat. Le principal objectif du Pakistan est depuis longtemps de limiter l’influence de l’Inde en Afghanistan et d’installer dans ce pays un régime pro-pakistanais. Il y a longtemps que le Pakistan regarde l’Afghanistan à travers le prisme de sa propre rivalité avec New Dehli. Redoutant un encerclement par l’Inde et l’Afghanistan, il considère avec méfiance l’aide et la présence croissante de New Delhi dans ce

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pays. La perception aiguë de la menace indienne remonte à la partition du sous-continent indien en 1947, scission qui a engendré beaucoup d’amertume et de soupçons. L’Inde et le Pakistan se sont livré trois guerres : en 1947-1948, en 1965 et en 1971. Les tensions ont une nouvelle fois monté après les attentats contre l’Assemblée du Cachemire et le Parlement indien fin 2001, et après les attaques de Bombay en 2008. Chacun de leur côté, New Delhi et Islamabad cherchent à s’assurer de l’installation à Kaboul d’un gouvernement qui leur soit favorable après un éventuel retrait de la FIAS. Si les relations entre le Pakistan et l’Inde se sont améliorées, les tensions qui subsistent entre les deux pays ont pour résultat un gonflement disproportionné du budget de la défense pakistanais. Le Pakistan souffre aussi d’une croissance maussade, d’une inflation et d’un chômage élevés, d’une corruption omniprésente et d’un système de perception de l’impôt peu efficace, autant de facteurs qui restreignent l’aptitude des autorités à fournir à la population les services élémentaires et qui posent en retour au gouvernement de multiples problèmes. De nombreuses familles dépendent de l’argent que leur envoient les travailleurs émigrés, dont la plupart se trouvent dans les Etats du Golfe et dans d’autres pays musulmans. L’augmentation de la population complique encore la situation intérieure. Près de la moitié des Pakistanais ont moins de 20 ans, selon une étude du British Council de 2009. La population devrait augmenter de 85 millions au cours des 20 prochaines années. En outre, l’urbanisation croissante du pays exacerbe les tensions ethniques, offrant ainsi aux mouvements radicaux d’amples occasions de recruter de nouveaux partisans parmi les classes défavorisées. Dans l’Indice du développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Pakistan est tombé de la 120ème place (1991) à la 138ème place (2002), puis à la 141ème place (2009), derrière le Congo (136ème) et le Myanmar (138ème). On constate un sous-financement considérable de l’éducation. Selon un spécialiste indépendant, Stephen P. Cohen, "les mouvements extrémistes

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ont supplanté l’armée dans le recrutement des jeunes hommes3. Il s’ensuit une radicalisation toujours plus forte de la société, comme l’attestent, entre autres choses, les assassinats de représentants de minorités et d’autres personnalités politiques. Le séisme de 2005 au Cachemire et les conséquences catastrophiques des inondations de 2010 ont encore aggravé la situation. En résumé, le Pakistan considère avant tout ses relations avec l’Afghanistan à travers le prisme de ses relations avec l’Inde et de ses efforts pour éviter un "encerclement" stratégique. Il a donc un intérêt fondamental dans le maintien à Kaboul d’un gouvernement faible qu’il peut manipuler aisément pour servir ses propres intérêts de politique étrangère. Sa coopération serait cruciale pour l’obtention d’un règlement négocié avec les talibans. Dans cette perspective, sa réputation, ternie par l’épisode du raid contre ben Laden, doit être restaurée et des mesures de confiance être prises.

B. Iran

De très solides liens économiques, historiques et culturels unissent l’Iran à l’Afghanistan. Les deux pays partagent une frontière de près de 1 000 km. Ils entretiennent de fréquents contacts de haut niveau et de très bons rapports économiques depuis 1979, année charnière pour leurs relations bilatérales, avec l’essor de la révolution islamique et l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. Téhéran a apporté un appui massif à la résistance antisoviétique et accueilli des millions de réfugiés afghans. Farouchement opposés à la présence de l’URSS en Afghanistan, le Pakistan et l’Iran se sont associés pour la constitution du gouvernement provisoire afghan après le départ des communistes et le retrait de l’Armée rouge. Mais leurs allégeances ont ensuite vite divergé, lorsque les Pakistanais se sont rangés du côté des communautés pachtounes et des talibans. Au contraire, les Iraniens, qui voyaient une menace dans le sunnisme militant des talibans, ont apporté leur soutien

3 Stephen P. Cohen, The Future of Pakistan (Washington, DC: The Brookings

Institution, janvier 2011).

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à l’Alliance du Nord, qui allait devenir le bastion anti-taliban dans la partie septentrionale du pays. Des litiges récurrents ont opposé Islamabad et Téhéran au sujet de l’approvisionnement en eau à partir de la province du Helmand, mais leurs relations actuelles sont bonnes. Cependant, un certain nombre d’observateurs critiquent le fait que l’Iran étouffe l’expansion de la partie occidentale de l’Afghanistan entre autres par le biais d’exportations bon marché, et ce, afin de conserver une emprise économique sur son voisin oriental. L’Iran a été directement touché par la hausse vertigineuse de la consommation de stupéfiants dans les couches jeunes de sa population, le principal itinéraire d’acheminement de la drogue afghane à destination des pays occidentaux passant par son territoire. Aussi partage-t-il les préoccupations des Alliés en la matière. De la même façon, l’installation à Kaboul d’un régime stable et inclusif serait dans son intérêt. Cependant, on rapporte que les autorités iraniennes ou des éléments de leurs services de sécurité tentent d’empêcher la Coalition d’atteindre ses objectifs en Afghanistan et essaient d’entraver les opérations de cette dernière. Bien que Téhéran redoute l’émergence en Afghanistan d’un gouvernement anti-chiite, il semblerait que l’Iran ou une partie de ses services de sécurité entraîne des groupes d’insurgés, dont des talibans, et les approvisionne en armes non létales. Des observateurs indépendants estiment que ce soutien tactique aux talibans, qui sont, pour la plupart, des Pachtounes, contrarie nettement les intérêts à long terme de l’Iran et trouve sa principale motivation dans les relations tendues entre Iraniens et Américains. L’Iran a joué un rôle constructif dans le renversement du régime des talibans en 2001. Depuis le début de l’opération "Liberté durable", il a accueilli plus de deux millions de réfugiés afghans, imposant ainsi un lourd fardeau à un régime de sécurité sociale déjà précaire. Il s’est engagé à verser plus d’un milliard de dollars d’aide à l’Afghanistan, mais cet engagement n’a été honoré que dans une très faible mesure. Il a cependant investi des sommes considérables dans l’agriculture, les infrastructures et d’autres activités de reconstruction, de même

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que dans des projets de développement général, dont la majeure partie se situe dans la province de Herat. Il conserve des rapports économiques et culturels avec des minorités farsiphones et chiites et entretient d’étroites relations avec l’ayatollah Mohammad Mohseni, personnalité chiite de premier plan, mais il prend soin de dissimuler ses positions vis-à-vis de tous les groupes politiques, ethniques et religieux, dans l’éventualité d’un changement soudain de pouvoir. De surcroît, il a publié conjointement avec l’Inde des déclarations sur la coopération et la stabilisation en Afghanistan, sur son propre engagement dans la lutte contre le terrorisme et sur sa participation à des partenariats dans le domaine des transports, de l’infrastructure et de l’énergie. Des visites de haut niveau ont eu lieu entre Téhéran et Kaboul en 2011 pour discuter de la lutte contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée. Fin juin, une rencontre au sommet entre l’Afghanistan, le Pakistan et l’Iran s’est tenue dans la capitale iranienne ; le renforcement de la coopération dans les secteurs de la politique, de la sécurité et de l’économie figurait à l’ordre du jour. Même si l’Iran a intérêt à ce qu’un régime stable et inclusif s’installe à Kaboul, ses relations avec les Etats-Unis sont le moteur de sa politique à l’égard de son voisin oriental et de la région dans son ensemble.

C. Républiques d’Asie centrale

Les répercussions du conflit afghan – singulièrement sur le trafic de stupéfiants – posent de graves problèmes de sécurité aux pays d’Asie centrale (Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan, Kazakhstan et Kirghizistan). Les frontières entre ces pays et l’Afghanistan sont dangereusement poreuses et laissent donc la voie libre aux trafiquants en direction de la Russie et de l’Europe. Qui plus est, lesdits trafiquants ont acquis une forte emprise sur les institutions publiques, notamment dans les deux Etats les plus fragiles de la région : le Tadjikistan et le Kirghizistan. Autre grand problème : le fondamentalisme religieux et, entre autres, l’influence déstabilisatrice des talibans pakistanais. Tout indique qu’un nombre croissant d’extrémistes d’Asie centrale reçoivent un

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entraînement au Pakistan avant d’être envoyés en Afghanistan, puis de disparaître chez les voisins centre-asiatiques de ce dernier. La sécurité et la stabilité de l’Afghanistan sont vitales pour la sécurité des cinq Républiques d’Asie centrale. Si leurs intérêts et leurs préoccupations concernant ce pays diffèrent entre eux, certains thèmes, certaines menaces, mais aussi certaines opportunités présentent un dénominateur commun. Quoi qu’il en soit, leurs positions varient autour de trois questions fondamentales largement liées entre elles : la perception des menaces principales et des intérêts nationaux vitaux, les relations avec la Russie, et l’engagement au côté des Etats-Unis et de la FIAS. Les cinq pays sont préoccupés par les menaces que font peser al-Qaida, le terrorisme et, à des degrés divers4, le trafic de stupéfiants. Mais, comme le font remarquer des experts, ils font une distinction entre la menace d’al-Qaida et celle des talibans : si la première les préoccupe profondément, la seconde ne leur semble pas exiger des mesures immédiates. En revanche, ces mêmes pays redoutent beaucoup plus la perspective d’un retrait de la FIAS, retrait qui serait, à leur sens, prématuré5. A des degrés divers, les Républiques d’Asie centrale – à l’exception du Turkménistan qui observe une « neutralité bienveillante » – aident les Alliés en Afghanistan, y compris en participant au NDN (Northern Distribution Network), lequel constitue pour la FIAS une voie d’approvisionnement de substitution dont l’importance va grandissant. Pour l’instant, la moitié du fret terrestre destiné aux troupes américaines opérant en Afghanistan est acheminée via le NDN. De plus, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, et le Kirghizistan ont permis à la FIAS d’utiliser leurs terrains d’aviation. L’association avec les Américains et la FIAS a été soigneusement échelonnée et

4 Le trafic de stupéfiants pose un problème bien plus grave au Tadjikistan, qui se

préoccupe, lui aussi, de l’avenir de l’Afghanistan, compte tenu du grand nombre de Tadjiks de souche présents dans ce pays.

5 Martha Brill Olcott, “Central Asian Republics,” dans Ashley J. Tellis et Aroop Mukharji (éd.), Is a Regional Strategy Viable in Afghanistan? (Washington, DC: Carnegie Endowment for International Peace, 2010), p. 58.

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calibrée pour tenir compte des relations avec la Russie. Cette dernière conserve dans la région une forte influence grâce, plus spécifiquement, à ses liens avec les milieux politiques et les services de sécurité. Pourtant, son prestige diplomatique a été terni par le conflit géorgien de 2008 et, notamment, par sa reconnaissance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Les Républiques d’Asie centrale restent en effet méfiantes quant aux objectifs visés par la diplomatie russe dans cette partie du monde. Jusqu’à présent, le Kazakhstan est le seul pays de la région à apporter une aide extérieure à l’Afghanistan. Les Républiques d’Asie centrale participent à diverses initiatives régionales sur le contrôle des frontières et le maintien de l’ordre, telles que la Caspian Sea Initiative (Violet Paper) et la Security Central Asia Borders (Yellow Paper). Dans l’ensemble, la coopération entre les cinq pays reste limitée et les accords régionaux demeurent souvent lettre morte. Par exemple, malgré des accords sur la libre circulation des biens, les autorités ouzbèkes ont imposé une fermeture permanente de leur frontière avec le Tadjikistan, alléguant des raisons de sécurité. Dans l’ensemble, la contribution des Républiques d’Asie centrale à la stabilisation de l’Afghanistan a été, jusqu’ici, essentiellement motivée par le souci de préserver les intérêts économiques des régimes au pouvoir ; ces pays n’ont pas vraiment tenté d’aider l’Afghanistan ou d’œuvrer à son développement. Aux problèmes posés par l’Afghanistan vient s’ajouter le problème de la nature même des régimes d’Asie centrale. La répression des mouvements d’opposition par un pouvoir autocratique – qui prétexte souvent, à cet effet, de la menace terroriste – crée une situation dans laquelle l’opposition islamique est la seule force structurée et compétente face à ce pouvoir. De plus, l’absence de perspectives pour la jeunesse (notamment en Ouzbékistan, où quelque 70 % de la population ont moins de 30 ans) fournit un terrain fertile pour les recruteurs fondamentalistes. Selon Alain Délétroz, vice-président du Groupe de crise international pour l’Europe, la combinaison de la ligne dure prônée par les régimes centre-

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asiatiques, du trafic de stupéfiants et d’armes, de l’absence de restrictions à la circulation des extrémistes et du fort taux de chômage chez les jeunes pourrait renverser n’importe lequel de ces régimes, ce qui aurait des conséquences catastrophiques pour tous les pays concernés. Tout en faisant la différence entre la menace que représente al-Qaida et celle des talibans, les Républiques d’Asie centrale partagent une profonde préoccupation à l’idée d’un retrait prématuré des pays occidentaux de l’Afghanistan. Elles redoutent l’instabilité qui pourrait suivre et se montrent vivement intéressées par l’établissement de liens économiques dans la région, mais elles entendent aussi moduler leur engagement en vue de contrebalancer l’influence de la Russie dans la région.

D. Russie

Depuis le milieu du XIXe siècle, les relations entre l’Afghanistan et la Russie oscillent entre coopération et confrontation. Pour ce qui concerne l’époque contemporaine, elles ont connu leur point le plus bas en 1979, lors de l’invasion soviétique et durant la décennie de guerre qui a suivi. Invasion et guerre sont encore présentes dans la mémoire des Russes comme des Afghans, et ce souvenir empêche Moscou de se montrer plus actif à l’égard de Kaboul, mais les relations bilatérales se sont progressivement améliorées, ces dernières années, comme l’a prouvé en particulier la première visite de Hamid Karzaï dans la capitale russe en janvier 2011. De même, une première visite de Dmitri Medvedev à Kaboul est prévue d’ici à la fin de l’année. L’une des explications à cette amélioration est que la Russie a compris qu’un éventuel échec de la coalition internationale en Afghanistan finirait par déstabiliser l’Asie centrale et par saper sa propre sécurité. Aussi a-t-elle inscrit la question afghane en tête de ses priorités. L’un des résultats de cette prise de conscience a été la signature, en 2009, de l’Accord sur le transit aérien vers l’Afghanistan, qui autorise la traversée de l’espace aérien russe aux fins de ravitaillement des forces de l’OTAN et qui offre ainsi une

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solution de substitution d’une importance vitale pour l’approvisionnement de la FIAS. Les cargaisons transportées via le NDN sont essentiellement non létales ; elles se composent de denrées alimentaires, de carburant et d’autres fournitures et représentent la moitié de l’ensemble des cargaisons acheminées par voie terrestre en Afghanistan. Cependant, des discussions sont en cours entre la Russie, les Républiques d’Asie centrale et l’OTAN au sujet de l’inclusion éventuelle d’armes dans la liste des fournitures admises au transit. La Fédération de Russie a également livré 24 hélicoptères aux forces aériennes afghanes, transaction financée par les Etats-Unis. A la réunion du Conseil OTAN-Russie qui s’est tenue à Berlin à la mi-avril 2011, l’OTAN et la Russie sont convenues de créer un fonds d’affectation spéciale pour l’entretien des hélicoptères, fonds destiné à fournir des pièces de rechange et des outils pour les hélicoptères afghans et à former leurs équipages. En outre, la Russie s’est engagée à s’occuper de l’entraînement de la police et des forces armées afghanes et a proposé son aide pour la reconstruction d’infrastructures et d’installations industrielles construites par des ingénieurs russes dans les années 80. Elle s’est dite prête à participer au financement et à la réalisation d’importants projets régionaux dans le domaine énergétique, tels que le Central Asia-South Asia (CASA-1000), projet de transfert d’électricité du Tadjikistan au Pakistan. Au nombre de ces projets pourrait également figurer le gazoduc Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde (TAPI), mais un certain nombre d’observateurs font remarquer que ce projet ne saurait intéresser la Fédération de Russie puisqu’il offrirait aux Républiques d’Asie centrale d’autres débouchés économiques, ce qui affaiblirait l’emprise politique et économique que Moscou exerce sur ces dernières. La Russie tente de limiter la présence occidentale en Asie centrale et d’en inverser la dynamique, cette partie du monde relevant, selon elle, de sa sphère d’influence. Cette démarche transparaît dans la tenue des deux "sommets quadrilatéraux" (Pakistan, Russie, Afghanistan et Tadjikistan) sur la lutte contre le trafic de stupéfiants et la contrebande, deux sujets très préoccupants pour Moscou, qui reproche à l’OTAN de ne pas

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s’attaquer avec assez d’efficacité à la production de drogue en Afghanistan. Mais, tout en essayant d’endiguer la puissance américaine, la Russie reconnaît que les intérêts des Alliés et de la FIAS en Afghanistan coïncident avec les siens. La stabilisation de l’Afghanistan lui apparaît comme une condition indispensable à la sécurité de sa frontière méridionale. Pour remédier à cela, la Russie s’est engagée à entraîner des unités afghanes et centre-asiatiques de lutte contre les stupéfiants ; plus de 1 000 hommes ont ainsi été formés au Centre international de formation à la lutte contre le trafic de drogue de Domededovo depuis 2005. La création à Saint-Pétersbourg d’un second centre de formation a été approuvée par le Conseil OTAN-Russie à l’occasion du Sommet de Lisbonne. Tout récemment, des agents d’unités antidrogue russes ont participé à des opérations qui ont permis de détruire quatre laboratoires clandestins en territoire afghan. En somme, la Fédération de Russie a progressivement renforcé sa contribution à la stabilisation de l’Afghanistan, mais il semble peu probable qu’elle soit désireuse ou capable de participer militairement à la lutte contre l’insurrection. En résumé, la position actuelle de la Russie vis-à-vis de l’Afghanistan et de la région dans son ensemble doit être mise en regard des douloureux souvenirs qu’elle garde de l’Afghanistan, de son aspiration à exercer une influence en Asie centrale et des efforts qu’elle déploie pour manifester un soutien à tout le moins symbolique à l’OTAN et aux Etats-Unis. Ceci étant dit, la Russie est véritablement intéressée par un Afghanistan stable et a renforcé sa contribution à la FIAS.

E. Inde

L’Inde partage les intérêts de toutes les parties prenantes de la région, exception faite du Pakistan. L’attention qu’elle accorde à l’Afghanistan est sous-tendue par sa volonté de prévenir la montée du fondamentalisme islamique dans cette partie du monde. Elle refuse donc la perspective d’un retour des talibans au pouvoir et a consenti des investissements considérables dans

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le relèvement des capacités des institutions, des entreprises et des ressources humaines afghanes. Ses relations avec le Pakistan expliquent sa réticence à contribuer au développement des forces de sécurité afghanes, bien qu’elle soit consciente de leur importance vitale pour la stabilité interne du pays. Sur le front économique, elle souhaite renforcer sa position dans la région et étendre son influence à l’Asie centrale, où elle est à la traîne derrière sa principale rivale économique, la Chine. L’Inde entretient des contacts de haut niveau avec Kaboul et a réaffirmé son attachement à un partenariat avec l’Afghanistan. Elle occupe la cinquième place sur la liste des Etats qui contribuent à la reconstruction de ce pays et s’est engagée à consacrer 1,2 milliard de dollars à des projets de développement civil, de construction d’infrastructures et de développement économique. Elle entreprend actuellement des travaux sur le barrage hydro-électrique de Salma, dans la province de Herat, et a créé avec l’Iran un partenariat en vue de l’aménagement d’une autoroute reliant la route circulaire afghane aux ports iraniens, contournant ainsi le monopole du Pakistan sur les accès aux voies maritimes. Elle a ouvert des consulats dans plusieurs grandes villes afghanes majoritairement peuplées d’hindous et de sikhs à proximité de la frontière pakistanaise, poussant ainsi Ie Pakistan à l’accuser de vouloir utiliser ces consulats contre Islamabad. En mai 2011, le chef du gouvernement indien a effectué sa première visite en Afghanistan depuis 2005 et a promis une augmentation de l’aide économique. La question du Cachemire est probablement la plus délicate de celles qui se posent à l’Inde. Cette dernière est farouchement opposée à toute médiation internationale dans le litige, à l’origine duquel se retrouvent des revendications contradictoires sur cette région. Les relations entre Islamabad et New Delhi sont tendues, en particulier depuis les attaques de Bombay en 2008. Un dégel s’est toutefois produit, comme l’atteste une récente rencontre entre le Premier ministre Gilani et son homologue indien, Manmohan Singh, rencontre qui s’est déroulée en Inde à l’occasion d’un match entre les deux pays durant la Coupe du monde de cricket.

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Désireuse de prévenir la montée du fondamentalisme islamique, l’Inde concentre ses efforts sur le renforcement de capacités en Afghanistan et sur la consolidation de ses relations économiques avec ce dernier. La rivalité stratégique et politique qui l’oppose au Pakistan, d’une part, et sa rivalité économique avec la Chine, d’autre part, jouent invariablement un grand rôle dans ses calculs politiques.

F. Chine

L’implication de la Chine en Afghanistan est étroitement liée aux intérêts supérieurs que représentent pour elle le Pakistan et l’Asie centrale, à la lutte contre le terrorisme intérieur, aux relations avec les Etats-Unis et à l’acquisition de marchandises, d’énergie et de ressources minérales d’origine étrangère. Géographiquement parlant, la Chine partage une frontière avec cette mince bande de territoire afghan, dans le nord-est du pays, connue sous le nom de « corridor du Wakhan ». Le col du Wakhjir, lieu stratégique, relie la Région autonome ouïghoure du Xinjiang chinois (RAX) à ce corridor. L’attention de la communauté internationale se concentrant une nouvelle fois sur l’Afghanistan, et compte tenu aussi de cette frontière commune, l’intérêt de Pékin pour ce voisin a grandi au cours de la dernière décennie. Mais, jusqu’ici, les Chinois se montrent réticents à participer dans quelque forum multilatéral que ce soit et préfèrent s’en tenir à une démarche bilatérale. La Chine déploie des efforts concertés pour préserver une coopération avec d’autres acteurs régionaux, parmi lesquels le Pakistan et l’Inde6, de manière à soutenir sa croissance économique. Dans l’ensemble, toutefois, elle ne s’intéresse à l’Afghanistan que dans l’optique d’une alliance plus large avec le Pakistan et de ses relations avec sa rivale économique, l’Inde. Elle ne souhaite pas que sa politique afghane nuise aux relations privilégiées qu’elle entretient depuis longtemps avec Islamabad. Des observateurs indépendants – et notamment ceux qui se

6 People’s Daily, “China-India Relations Maintain Healthy, Steady Momentum of

Development,” People’s Daily, 14 décembre 2010.

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trouvent en Inde – perçoivent le soutien de la Chine au Pakistan comme un élément clé de la politique chinoise d’« encerclement » de l’Inde. Selon eux, il s’agit donc d’une manière d’empêcher cette dernière de contester l’influence régionale de Pékin ou de retarder le moment où New Dehli sera en mesure de le faire7. Le climat de méfiance qui entoure les relations entre l’Inde et la Chine et la montée en puissance géopolitique qu’ont connue les deux pays au cours de la dernière décennie viennent conforter la crédibilité de ce point de vue. Comme les pays occidentaux et l’Inde, la Chine est profondément préoccupée par l’expansion du militantisme islamiste au Pakistan et par l’existence de camps de formation à l’usage des musulmans chinois. De surcroît, la menace du terrorisme islamiste qui pèse de plus en plus lourdement sur elle confère un caractère prioritaire au renforcement de la coopération en matière de sécurité avec le Kirghizistan, le Kazakhstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan au sein de l’OCS. Par ailleurs, Pékin crée des partenariats économiques avec les Républiques d’Asie centrale, et la région est un marché de plus en plus grand pour les biens de consommation chinois8. Un Afghanistan très déstabilisé est une menace pour la sécurité chinoise. Pékin redoute les périls grandissants que représentent l’insurrection intérieure, le trafic de stupéfiants et d’autres activités criminelles via les rapports qu’entretiennent leurs auteurs opérant en Afghanistan et dans la RAX. Comme la Russie, la Chine ne veut pas que l’Afghanistan serve de base à une présence politique, économique et militaire durable des pays occidentaux en Asie centrale. De nombreux observateurs chinois estiment qu’une présence durable des Etats-Unis cimenterait l’"encerclement stratégique" de la Chine par Washington et affaiblirait l’influence de Pékin auprès d’autres pays centre-asiatiques, de la même manière que l’Inde redoute un encerclement par la Chine. Cependant, compte tenu des

7. Jamal Afridi, China-Pakistan Relations (6 juillet 2010), Council on Foreign Relations

Backgrounder, http://www.cfr.org/china/china-pakistan-relations/p10070. 8 Edward Wong, “China Quietly Extends Footprints into Central Asia,” The New York

Times, 2 janvier 2011.

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intérêts économiques considérables qu’il détient en Afghanistan, Pékin ne souhaite pas que la FIAS (et avec elle la communauté internationale) échoue dans ce pays. Quoi qu’il en soit, les intérêts économiques et autres que les autorités chinoises détiennent en Afghanistan ne les ont pas incitées, pour l’instant, à œuvrer (et à contribuer financièrement ?) davantage à la stabilisation de ce pays. La Chine n’apporte qu’une contribution limitée à la formation des Forces de sécurité afghanes (FSA). En mars 2010, les relations militaires bilatérales ont été consolidées après une série de rencontres entre le ministre de la Défense Liang Guanglie et son homologue afghan. Liang Guanglie a promis que "les forces armées chinoises continuer[aient] à aider les forces armées afghanes (FAA) à améliorer leur capacité de sauvegarder la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale et la stabilité intérieure". Les polices des deux pays entretiennent d’étroites relations, notamment dans les domaines de la lutte contre la drogue et contre le terrorisme. De nouvelles preuves montrent que la Chine aménage des voies d’accès frontalières, des réseaux de communication et des dépôts de fournitures près du col de Wakhjir, de manière à faciliter une éventuelle intervention de plus grande ampleur en Afghanistan9. Si le déploiement de policiers chinois en Afghanistan reste envisageable, celui de l’Armée populaire de libération est plus douteux10. Il n’empêche que les efforts consentis par la Chine pour moderniser et améliorer les infrastructures situées le long du corridor du Wakhan montrent de plus en plus clairement que Pékin juge bon de préserver sa position dans la région, d’autant que ses intérêts stratégiques et économiques en Afghanistan prennent de l’ampleur. L’implication de la Chine en Afghanistan doit être analysée dans le contexte des objectifs plus larges qu’elle vise au Pakistan et

9 Russell Hsiao et Glen E. Howard, “China Builds Closer Ties to Afghanistan Through

Wakhan Corridor,” China Brief of The Jamestown Foundation, vol. 10, no. 1, http://www.jamestown.org/single/?no_cache=1&tx_ttnews[tt_news]=35879. 10 Geoff Dyer, “Obama to Press China on Afghanistan,” Financial Times, 12 novembre

2009.

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en Asie centrale. Les principaux domaines intéressant les autorités chinoises sont la lutte contre le terrorisme et les questions de sécurité, leurs relations avec les Etats-Unis, les relations commerciales et les ressources énergétiques et minérales.

III. CONCLUSION : UNE STRATEGIE REGIONALE POUR L’AFGHANISTAN

Indépendamment des questions soulevées ci-dessus, la production et le trafic de stupéfiants à partir de l’Afghanistan continuent à poser un problème majeur qui demande une solution régionale. Le trafic de drogue en provenance de ce pays a d’immenses répercussions sur les pays voisins. Avec 1,2 million de toxicomanes, l’Iran est l’un des pays les plus gravement touchés au monde : le nombre de consommateurs de produits opiacés représente 2,26 % du groupe d’âge des 15 à 64 ans. Au Pakistan, le nombre de toxicomanes atteint 628 000 personnes, dont 77 % d’héroïnomanes chroniques11. Il se pourrait qu’au Tadjikistan le nombre de toxicomanes s’élève jusqu’à 75 000 personnes, dont 80 % d’opiomanes. En Ouzbékistan, on estime que la proportion de toxicomanes par injection dans la population adulte atteint 0,5 %. Quant au Kazakhstan et au Kirghizistan, ils comptent à eux deux plus de 60 000 toxicomanes enregistrés. En Chine, le chiffre estimatif de toxicomanes enregistrés est de 2,3 millions de personnes, dont 80 % d’héroïnomanes. Compte tenu du fait qu’en 2010 l’Afghanistan est intervenu à hauteur de 74 % dans la production mondiale d’opium – avec 380 tonnes, soit 83 % du volume total d’héroïne –, la réduction des flux de stupéfiants dans les pays voisins est une priorité régionale. De nombreuses initiatives régionales de lutte contre la drogue sont en cours. Le Pacte de Paris institue un partenariat international destiné à combattre le trafic et l’usage des produits

11 Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Illicit Drug Trends in Pakistan

(Pakistan: Office des Nations unies contre la drogue et le crime Country Office, avril 2008).

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opiacés d’origine afghane ; conformément à ses dispositions, l’ONUDC est le chef de file de l’initiative éponyme, qui facilite les consultations périodiques au niveau des experts et des acteurs de terrain et qui vise à renforcer les moyens de collecte et d’analyse d’informations à l’intérieur comme au voisinage de l’Afghanistan. Cette initiative permet également aux partenaires d’utiliser un instrument en ligne automatisé et sûr pour la coordination technique de la lutte contre les stupéfiants. L’Initiative triangulaire est un autre projet conçu pour améliorer, toujours dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants, la coopération transfrontalière entre l’Afghanistan, le Pakistan et l’Iran. Elle a largement aidé les hauts responsables de ces trois pays à convenir des mesures à prendre pour améliorer la coopération transfrontalière dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et l’importation clandestine de précurseurs chimiques en Afghanistan. Citons encore la Stratégie de l’arc-en-ciel, pour une association constructive avec les protagonistes régionaux, et le Centre d’information et de coordination régionale d’Asie centrale (CARICC), qui coordonne le partage des informations disponibles pour les opérations antidrogue. Le CARICC assure également la coordination d’un certain nombre d’opérations bilatérales et multilatérales entre les Etats membres et ses propres partenaires, opérations qui ont débouché sur des saisies de stupéfiants12. Malgré ces efforts d’ampleur internationale, les résultats n’ont pas entraîné de réduction significative de la production d’opium en Afghanistan. La production et le trafic de drogue continuent à poser un grave problème aux pays de la région, certes, mais aussi à la communauté internationale dans son ensemble. Selon les estimations, la production d’héroïne d’origine afghane a chuté de 40 % en 2010 – en raison, essentiellement, d’une maladie13 – et devrait rester relativement stable pour la période 2011-201214, mais le fait que l’Afghanistan continue à fournir 74 % des

12 Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Central Asia (2011), http://www.unodc.org/unodc/en/drug-trafficking/central-asia.html. 13 Office des Nations unies contre la drogue et le crime, World Drug Report 2011

(Vienne: Office des Nations unies contre la drogue et le crime, 2011), p. 61. 14 Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Afghanistan Opium Survey

2011: Winter Rapid Assessment All Regions, Phases 1 and 2, (Vienne: Office des Nations unies contre la drogue et le crime, April 2011), p. 2.

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produits opiacés dans le monde indique qu’il reste du chemin à parcourir pour résoudre le problème. Les efforts internationaux consentis pour combattre la production et le trafic de stupéfiants doivent donc se poursuivre et gagner en efficacité. Une coopération régionale et internationale plus étroite est essentielle à tout progrès dans ce domaine. Si la présence militaire de l’OTAN en Afghanistan reste cruciale, il faut cependant faire observer qu’il ne saurait y avoir de solution purement militaire au problème de la stabilisation du pays. L’OTAN applique donc une méthode globale qui privilégie l’intégration des efforts civils et militaires, le renforcement de capacités et le développement économique, de même que la formation des FSA. Toutefois, on ne sait pas encore avec certitude si le retrait des forces alliées et le transfert des responsabilités aux autorités afghanes pourront avoir lieu comme prévu d’ici à 2014, et l’on ne connaît pas non plus la taille des forces qui resteront sur place. Nous nous trouvons à un stade critique de l’intervention internationale en Afghanistan et le raid contre Oussama ben Laden aura vraisemblablement des répercussions sur le cap que suivra cet engagement. Des experts comme Shahrbanou Tadjbakhsh envisagent plusieurs scénarios : 1) une empreinte militaire légère pour combattre des groupes terroristes comme al-Qaida ; 2) le maintien d’une présence américaine en Afghanistan pour conserver une position stabilisatrice dans la région ; 3) un éventuel accord négocié avec les talibans et la réintégration de ceux-ci dans la vie politique15. Toutefois, ces scénarios ont en commun la nécessité de poursuivre le processus diplomatique et le processus de réconciliation dans la région pour éviter une fragmentation ethnique accrue de l’Afghanistan. Il s’ensuit logiquement qu’il faut insister encore sur la coopération avec les voisins de l’Afghanistan. Les Alliés reconnaissent la nécessité de recourir à une stratégie régionale pour la stabilisation du pays. Depuis la fin de 2001, un certain

15 Pour de plus amples informations : Sharbanou Tadjbakhsh, Post-war On Terror?

Implications from a Regional Perspective (Oslo: Norwegian Peacebuilding Resource Centre, 2011).

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nombre de décisions et de déclarations de l’OTAN sont venues souligner l’importance d’un approfondissement des relations avec les pays partenaires limitrophes de l’Afghanistan, dont, avant tout, la Russie, les Républiques d’Asie centrale et le Pakistan. Si l’OTAN a systématiquement mis l’accent sur le besoin d’une coopération régionale pour l’Afghanistan, la mise en pratique de ce principe s’est révélée plus que difficile. Parfois, la coopération a pris de l’ampleur et s’est améliorée, comme dans le cas de la Russie, mais la progression est inégale en ce qui concerne des pays clés, tels que le Pakistan. Les relations avec ce dernier se sont encore détériorées au printemps 2011, lorsque les autorités d’Islamabad ont une nouvelle fois exigé des Etats-Unis qu’ils limitent les bombardements par drones dans les régions frontalières du Pakistan ou qu’ils y mettent carrément un terme. En outre, en tant qu’alliance, l’OTAN n’entretient qu’un dialogue politique restreint avec la Chine et n’a aucun point de contact avec l’Iran, voisin occidental de l’Afghanistan. Il faut préciser que tous les Etats limitrophes tireraient certes profit de l’avènement d’un Afghanistan sûr et stable, mais que l’aide qu’ils fournissent à la FIAS est sporadique et n’est pas sous-tendue par un véritable désir de voir l’OTAN réussir. Au niveau politique et diplomatique, l’Alliance a abordé le contexte régional de la question afghane dans de nombreux forums, dont le Conseil OTAN-Russie, le Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) et la Commission tripartite, et aussi lors de multiples rencontres avec les pays affectant des troupes à la FIAS. Ces initiatives suscitent certes une dynamique utile, mais le rôle de l’OTAN dans la facilitation d’un consensus politique entre voisins de l’Afghanistan est, dans le meilleur des cas, limité, surtout eu égard à la transition prochaine. Ces voisins ont, par rapport à ce pays, des intérêts différents et parfois divergents, et certains d’entre eux se méfient de l’OTAN.

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Malgré un temps de réaction prolongé, l’Union européenne (UE) démontre de plus en plus tangiblement que l’Afghanistan et le Pakistan forment pour elle une zone d’engagement légitime. La Stratégie européenne de sécurité de 2003 indique explicitement que l’Union a des intérêts en dehors de son voisinage immédiat et affirme que les menaces les plus graves pour le monde émanent d’endroits éloignés d’elle, comme l’Afghanistan et le Pakistan. A ce jour, l’UE a investi plus de 8 milliards d’euros dans l’effort de reconstruction de l’Afghanistan, ce qui fait de ce pays le premier bénéficiaire de l’aide que verse la Commission européenne à l’Asie. Pour l’instant, les effectifs au sol de la FIAS comptent notamment 30 000 hommes affectés par les Etats membres de l’UE. Pourtant, la présence européenne en Afghanistan est chaotique, ne s’appuie sur aucune stratégie claire et souffre d’une piètre coordination entre les différents acteurs de l’Union. Le rapporteur espère que cette dernière mettra à profit les "enseignements obtenus" et qu’elle utilisera de manière plus effective l’expertise considérable qu’elle possède dans le domaine de la reconstruction, du développement et de la consolidation de la paix. En vertu de sa composition quasi universelle, l’ONU est, dans ce contexte, un protagoniste de tout premier plan. Elle apporte le cadre juridique de la mission qu’accomplit l’OTAN en Afghanistan et a tenu de multiples conférences destinées à affiner la forme et les modalités de l’engagement international dans ce pays. La Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) et la Turquie président conjointement, désormais, le Groupe de travail régional, où siègent des représentants des pays voisins et des parties prenantes et qui entend promouvoir la coopération sur le double plan politique et économique ainsi qu’en matière de sécurité ; les activités de ce groupe doivent déboucher sur une conférence qui se tiendra à Istanbul au début du mois de novembre 2011. Par ailleurs, la MANUA s’occupe activement de consolidation de la paix au sein du Groupe de soutien Salaam, qui travaille au côté du Haut Conseil pour la paix tant au niveau stratégique qu’à la base, par l’intermédiaire de divers représentants de conseils, de

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chefs religieux et de personnalités laïques, l’objectif étant de prendre contact avec des groupes d’opposition, de concevoir des mesures de confiance et d’obtenir des résultats sur le plan civil. En outre, l’ONU supervise le programme gouvernemental afghan destiné à la réintégration des insurgés ; les responsables du programme font état d’une augmentation du nombre de personnes inscrites. Compte tenu de la complexité de la tâche et des intérêts, et des projets différents – et partiellement divergents – des pays limitrophes, l’élaboration par eux d’une stratégie commune et positive à l’endroit de l’Afghanistan sera un processus lourd et de longue haleine. Qui plus est, les faiblesses des structures étatiques des pays concernés restreindront vraisemblablement l’efficacité d’une stratégie régionale. Ici aussi, l’ONU peut, grâce à ses diverses sous-structures, être le chef de file des démarches visant à aider les pays de la région à développer leurs infrastructures et à améliorer les conditions d’existence de leurs populations, ce qui pourrait, avec le temps, surmonter les antagonismes et les rivalités existantes. De surcroît, elle peut jouer un rôle important dans un rapprochement entre Washington et Téhéran. Si l’on se tourne vers l’avenir, il semble parfaitement logique que l’ONU joue un rôle plus important encore après le retrait des troupes de la FIAS. Elle doit aussi prendre la tête des efforts destinés aux voisins de l’Afghanistan. Une étape serait franchie dans cette direction si elle lançait une initiative pour régler le litige frontalier qui oppose l’Afghanistan et le Pakistan. Le rapporteur espère que le gouvernement afghan cessera de se servir de ce litige comme d’un instrument de marchandage dans ses relations avec le Pakistan et qu’il se montrera plus disposé à aboutir à un accord sur ce point. Dans un contexte plus large, il serait bon que la conférence que doit tenir à Istanbul le Groupe de travail régional adopte un document semblable à la Déclaration de Kaboul sur les relations de bon voisinage. En outre, un mécanisme conçu pour instaurer un climat de confiance dans les domaines de la sécurité régionale, des relations commerciales, du développement, de l’économie et

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des relations culturelles constituerait un nouveau grand pas en avant. Il serait toutefois crucial que les autorités appliquent les accords conclus. Malheureusement, si les discours sont abondants, les gestes, eux, sont très rares, voire inexistants. Les voisins de l’Afghanistan ont exprimé de manière réitérée leur volonté de coopérer et d’aider ce pays à se stabiliser, mais ils n’ont guère agi dans ce sens sur le plan pratique. Voilà qui souligne bien la nécessité d’une intervention internationale. Il est important de faire comprendre à ces Etats que l’interdépendance est bénéfique pour toutes les parties concernées. Or ils semblent considérer jusqu’ici qu’il s’agit d’un jeu à somme nulle : s’il y a un gagnant, il doit forcément y avoir un perdant. Le rapporteur espère que la conférence internationale sur l’Afghanistan qui doit avoir lieu à Bonn au début du mois de décembre 2011 contribuera à dissiper les soupçons et débouchera sur une coopération internationale plus fructueuse, notamment entre les pays voisins de l’Afghanistan. La mise au point d’une stratégie régionale viable pour l’Afghanistan est compliquée par de nombreux facteurs, parmi lesquels le conflit du Cachemire, le programme nucléaire de l’Iran, ou encore des litiges frontaliers, pour n’en citer que quelques-uns. Comme indiqué ci-dessus, le mandat de l’OTAN ne prévoit pas la coordination des politiques des voisins de l’Afghanistan. Dans ce contexte, l’OTAN devrait élargir ses partenariats avec les voisins en question. L’Alliance devrait ouvrir un dialogue politique avec les pays avec lesquels elle n’a actuellement aucun contact formel. Cette démarche est cruciale pour l’obtention d’un règlement politique durable et pour la consolidation de bénéfices politiques durement acquis. Il appartient aux gouvernements de se mettre en quête des voies les plus appropriées et des organisations les mieux placées pour formuler une stratégie diplomatique et politique cohérente en ce qui concerne les voisins de l’Afghanistan. Les relations que les membres de l’OTAN entretiennent sur un plan bilatéral avec des pays de la région conserveront leur importance, mais leurs gouvernements devraient faire de l’Alliance le principal forum de consultation et de coordination en ce qui concerne les

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politiques relatives à l’Afghanistan et à la région. L’Assemblée parlementaire de l’OTAN a ici un rôle capital à jouer. Son statut de forum d’échanges parlementaires entre hauts représentants des pays alliés et de leurs partenaires revêt une pertinence croissante pour la sensibilisation, l’édification et l’instauration de la confiance et, enfin, pour l’obtention d’un consensus. En outre, en surveillant de près l’évolution des événements de portée internationale qui ont des répercussions sur la sécurité des membres et des partenaires de l’OTAN, l’Assemblée apporte – grâce, essentiellement, à ses membres et aux parlements nationaux auxquels ils appartiennent – une contribution significative au processus décisionnel des pays membres. L’Afghanistan et la stabilité de cette partie du monde continuant à poser un problème majeur pour notre sécurité, notre institution continuera à concentrer ses activités sur cette question.

.

197

L'INSURRECTION EN AFGHANISTAN : MENACES DE FAIBLE NIVEAU

TECHNOLOGIQUE, SOLUTIONS DE HAUT NIVEAU TECHNOLOGIQUE

Rapport spécial

par

Pierre Claude NOLIN (Canada)

(2010 - ) Rapporteur spécial de la Commission des sciences et des technologies

(2004 - 2006) Vice-président de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN (2007 - ) Trésorier de l'AP-OTAN

Ce rapport a été élaboré pour la Commission des sciences et des technologies en

août 2011 et adopté à la Session annuelle de l’AP-OTAN à Bucarest, Roumanie en octobre 2011.

198

199

TABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION 203 II. MENACE LIEE AUX ENGINS EXPLOSIFS IMPROVISES EN

AFGHANISTAN 203 A. MOTIVATIONS DERRIERE L'UTILISATION DES

ENGINS EXPLOSIFS IMPROVISES 205 B. TYPES COMMUNS D'EEI 207

1. EEI filocommandés 208 2. EEI radiocommandés 208 3. EEI déclenchés par la victime 209 4. EEI portés par des kamikazes 209 5. EEI passifs à infrarouges (ir) 210

C. TENDANCES GENERALES EN MATIERE D'EEI 211 D. LUTTE CONTRE LE EEI – EFFORTS EN COURS ET ACTIONS POSSIBLES 214

1. Renforcement des mesures OTAN de lutte contre les EEI 215 2. Perturbation des réseaux EEI 216 3. Détection et survivabilité 217

III. SYSTEMES SANS PILOTE SUR LE THEATRE AFGHAN 221

A. SYSTEMES SANS PILOTE EN CONTEXTE 221 B. SYSTEMES AERIENS SANS PILOTE EN AFGHANISTAN 227 C. VEHICULES TERRESTRES SANS PILOTE EN

AFGHANISTAN 232 D. ATTAQUES DE DRONES AU PAKISTAN 234

IV. CONCLUSION 242

200

201

I. INTRODUCTION

Avec des effectifs de plus de 132 000 hommes venant de 48 pays, la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan est l’effort opérationnel le plus important mené par l’OTAN actuellement. La mission de la FIAS s’articule autour de trois grands axes : réduire la capacité et la volonté des insurgés, soutenir le développement des capacités et des compétences des Forces de sécurité nationales afghanes (ANSF) et faciliter l’amélioration de la gouvernance et le développement socio-économique, afin de fournir un environnement sûr pour une stabilité durable qui est observable pour la population. C’est la première et la plus traditionnellement militaire de ces tâches, à savoir la lutte contre l’insurrection, qui est au centre de ce rapport. Comme dans n’importe quelle campagne militaire, il faut surmonter une multitude de défis. Un des problèmes les plus sérieux est la menace que constituent les engins explosifs improvisés (EEI), qui sont la principale cause de victimes au sein de la FIAS, de l’ANSF et parmi les civils. Outre les victimes qu’elle fait, la campagne d’attaques au moyen d’EEI, menée par l’insurrection dans de larges segments du pays, a eu un profond impact psychologique sur les hommes de la FIAS et de l’ANSF, et sur la population civile afghane, et a influencé la façon dont la population perçoit les pays de l’OTAN et les pays partenaires. Les EEI, souvent fabriqués pour une poignée de dollars, représentent une importante menace de faible niveau technique pour les opérations de la FIAS et, à plus large échelle, pour les activités de lutte contre l’insurrection, ce qui pourrait saper les objectifs globaux de l’OTAN en Afghanistan. Comme on pouvait s’y attendre, de nombreux moyens ont été mobilisés afin de contrer la menace des EEI. L'organisation américaine Joint IED Defeat Organization (JIEDDO, organisation conjointe contre les EEI) dispose, à elle seule, d’un budget annuel de plus de 3 milliards de dollars et on estime que depuis sa création, en 2006, elle a dépensé 20 milliards de dollars pour

202

les activités de lutte contre les EEI (Counter-IED, C-IED)1. Même si aucune avancée technologique ne peut fournir de remède miracle contre les EEI, les efforts en matière de technologie sont toutefois essentiels pour surmonter cette menace. Plus important à noter peut-être, on a de plus en plus souvent recours à des systèmes sans pilote pour lutter contre la menace EEI en Afghanistan. Les véhicules aériens sans pilote

(UAV) souvent appelés drones, patrouillent les airs, et les véhicules terrestres sans pilote (UGV) fouillent le sol à la recherche d'EEI. Toutefois, les UAV et les UGV ne sont pas seulement une arme de haute technologie de lutte contre les EEI (C-IED), ils solutionnent aussi d’autres problèmes sur le champ de bataille. A ce jour, les UAV font partie intégrante des unités de combat déployées, utilisés pour des missions de renseignement, de surveillance, d’acquisition de cible et de reconnaissance (ISTAR) ou en tant que moyens de frappe à part entière. Quant aux UGV, ils sont utiles pour localiser, reconnaître et désarmer les EEI sur le terrain, mais leur impact pour d’autres tâches sur le champ de bataille, telles les patrouilles et les activités logistiques, ne se fait ressentir que lentement. Le présent rapport donne un aperçu de la menace que les EEI représentent pour les hommes de l’ANSF et de la FIAS ainsi que pour les civils afghans. Il met aussi l’accent sur les contre-mesures prises pour les neutraliser et étudie le rôle des UAV et des UGV dans le cadre des efforts déployés en vue de perturber et de contrer l’insurrection qui s’oppose au gouvernement afghan. En outre, le rapport aborde un point qui ne fait pas partie de la mission de la FIAS mais y est intimement lié : la campagne clandestine et controversée des américains d’attaques de drones au Pakistan, au cours de laquelle des UAV sous commandement de la CIA prennent pour cible des rebelles soupçonnés de participer à l’insurrection en Afghanistan ou de lui apporter leur aide. Alors que l'état des relations entre les

1 Rowan Scarborough, “Congressman Lauds Tactic to Snuff IEDs in War Zones,” The

Washington Times, 17 septembre 2010; et Craig Whitlock, “IED Casualties in Afghanistan Spike,” The Washington Post, 26 janvier 2011.

203

Etats-Unis et le Pakistan se sont fortement dégradées suite au raid mené par les forces spéciales américaines contre la résidence d'Oussama ben Laden à Abbottabad le 2 mai 2011, cette question a pris encore plus d'importance. Ce rapport a été préparé en tant que rapport spécial pour la Commission des sciences et des technologies pour la Session annuelle de l’AP-OTAN à Bucarest, Roumanie, en 2011. Comme il traite aussi bien des défis que des solutions, qu’ils soient rudimentaires ou perfectionnés, qui se présentent pour atteindre les objectifs clés de l’Alliance et des pays partenaires, le rapport apporte sa contribution au thème principal de l'AP-OTAN pour l’année 2011 à savoir la mission en Afghanistan. De cette façon, il éclairera les débats des membres de la STC et de l’AP-OTAN dans son ensemble, sur les aspects technologiques de la campagne menée contre l’insurrection en Afghanistan. Il permettra également aux membres de faire remonter ces discussions dans leurs propres débats nationaux. Le rapport a été mis à jour tout au long de l’année de manière à refléter l’évolution de la situation et à tenir compte des contributions des membres de l’Assemblée à la Session de printemps tenue à Varna (Bulgarie).

II. MENACE LIEE AUX ENGINS EXPLOSIFS IMPROVISES EN AFGHANISTAN

Les EEI sont de loin ce qui provoque le plus grand nombre de victimes au sein de la FIAS et de l’ANSF en Afghanistan. Selon la définition du Département américain de la Défense, un EEI est un "dispositif mis en place ou réalisé de façon improvisée qui contient des produits chimiques destructeurs, mortels, nuisibles, pyrotechniques ou incendiaires. Il peut être utilisé pour détruire, handicaper, harceler ou détourner l'attention".2 Bien que des éléments militaires puissent entrer dans la composition des EEI, ils sont habituellement construits avec des composants non militaires. Ce sont les militaires

2 Département américain de la Défense, DOD Dictionary of Military and Associated

Terms (Washington, DC: Département de la Défense, 2011), p. 171.

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britanniques qui ont créé le terme EEI dans les années 70 en réponse à l’utilisation très répandue de bombes artisanales à base d’engrais agricoles et de plastic utilisées par l’IRA. C'est au cours de la guerre d’Iraq de 2003 à 2010 cependant, que le terme a acquis une notoriété mondiale, lorsque l’utilisation généralisée et létale d’EEI par divers groupes terroristes et rebelles prit une telle ampleur qu'elle représentait une "surprise stratégique" pour les forces militaires participant aux opérations dans le pays, les forçant alors à revoir en profondeur leurs orientations en matière de stratégie, d'opérations et de ressources.3 Au cours des trois dernières années, les EEI ont été la cause de 60 % des victimes de l’OTAN en Afghanistan.4 Entre 2008 et 2010, les incidents causés par des EEI en Afghanistan ont augmenté de plus de 300 %.5 Depuis le début des opérations internationales en Afghanistan, plus de 1 000 soldats ont été tués par des EEI.6 Rien qu’en 2010, 268 soldats américains ont été tués par des attaques EEI, une augmentation de 60 % par rapport à l’année précédente, et 3 360 soldats américains ont été blessés, chiffre qui a presque triplé.7 Sur l’ensemble de la coalition, en 2010, les EEI ont fait 7 800 blessés et 368 morts.8 Les responsables de la FIAS ont toutefois souligné que le nombre des soldats tués et gravement blessés au combat est en baisse – l'exception étant le nombre de blessés légers qui continue à augmenter. Etant donné que des ateliers rudimentaires d’EEI peuvent produire une EEI toutes les 15 minutes9, il est clair que le problème des EEI, un partage des connaissances et une plus grande coopération en matière de

3 Andrew Smith, Improvised Explosive Devices in Iraq, 2003-09: A Case of

Operational Surprise and Institutional Response (Carlisle, PA: Strategic Studies Institute, 2011).

4 Icasualties.org, Operation Enduring Freedom (2011), http://icasualties.org/OEF/index.aspx. 5 Sean Rayment, Bomb Hunters (Londres: Harper Collins, 2011), p. 62. 6 DefenceIQ, IED Chief Gives the Full Story on the British Army Experience in

Afghanistan (2011), http://www.defenceiq.com/amoured-vehicles/videos/ied-chief-gives-the-full-story-on-the-british-army/.

7 Whitlock, “IED Casualties in Afghanistan Spike.” 8 Tom Vanden Brook, “US Cuts Afghan IED Toll By 37%,” USA Today, 17 février 2011;

et Icasualties.org, Operation Enduring Freedom. 9 Rayment, Bomb Hunters, p. 7.

205

lutte contre les EEI, restent une priorité de premier plan pour les pays membres de l’OTAN et les pays partenaires. Cette section du rapport examine donc les raisons pour lesquelles les EEI sont utilisés, comment ils fonctionnent, les tendances et développements, de même que les solutions possibles.

A. Motivations derrière l'utilisation des Engins explosifs improvisés

En termes militaires, la plupart des EEI, qu’ils soient létaux ou non, ont une action dite de "blocage" par laquelle les rebelles tentent d’empêcher les hommes de la FIAS ou de l’ANSF d’accéder à des zones clés ou d’avancer dans certaines directions. Utilisés ainsi, les EEI perturbent et ralentissent localement les manœuvres et l’avancée des opérations contre l’insurrection, ce qui peut, à terme, avoir une incidence stratégique. Souvent, les EEI rendent inefficaces les tactiques militaires conventionnelles telles que la tactique de tir ou de manœuvre des troupes de contact. Les EEI sont souvent utilisés pour « fixer » les troupes à un certain endroit avant que d’autres formes d’attaques ne soient utilisées, comme des embuscades avec des armes de petit calibre ou des attaques par des tireurs embusqués. L’impact important qu’ils peuvent avoir collectivement sur le rythme des opérations a des conséquences de grande envergure pour les opérations de la FIAS et de l’ANSF en termes de planification, de ressources et d’exécution. Par exemple, les EEI placés en ceinture, de manière semblable aux champs de mines à haute densité, ont fortement influencé la planification pendant l’Opération Moshtarak menée dans la province du Helmand en février 2010, la plus importante opération de la FIAS depuis la chute des talibans. L’utilisation croissante des EEI par les rebelles mine également le moral des troupes. La bonne nouvelle à cet égard est que les forces internationales parviennent à sauver la vie de plus en plus de soldats blessés par des EEI. Selon les instances militaires, de meilleurs traitements sur le champ de bataille et des évacuations sanitaires aéroportées plus rapides ont pratiquement divisé par deux le nombre de morts provoqués par les EEI. Par exemple, en septembre 2010, 180 explosions d’EEI ont provoqué la mort

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de 24 hommes, alors que l’année précédente, au même mois, 131 attaques avaient provoqué la mort de 46 hommes.10 Toutefois, certains indices semblent indiquer que, récemment, le nombre d'amputations, notamment de plusieurs membres, de même que les blessures aux parties génitales et à l’appareil urinaire, ont fortement augmenté. Quoiqu’il en soit, les responsables militaires font parfois observer que l’augmentation de l’utilisation des EEI signifie que le renforcement des troupes donne des résultats car cela montre que, sous la pression des forces de la coalition ou des forces afghanes, les rebelles ont besoin de gagner du temps pour récupérer et se regrouper. Le lieutenant-colonel Michael Manning, qui commande un bataillon de Marines dans la province du Helmand, l’explique ainsi : "Plus vous créez de diversions, plus [les talibans] essaient de trouver comment perturber ce que vous faites".11 Bien que cela puisse être vrai, d'autres soulignent qu'il ne faudrait pas se baser sur ce seul indicateur pour évaluer la réussite des opérations de lutte contre l'insurrection menées par l'OTAN. Les EEI n’ont pas seulement des incidences importantes en termes militaires, leurs effets se font également ressentir dans les efforts déployés visant à aider l’Afghanistan à avancer vers une démocratie stable et prospère. Les EEI blessent, mutilent et tuent des Afghans ordinaires et entravent leur liberté de mouvement, mettant directement en difficulté les activités de lutte contre l’insurrection qui mettent l’accent sur les améliorations réelles dans la vie quotidienne des Afghans. A ce jour, 80 % des victimes civiles sont causées par les groupes rebelles.12 Ainsi, les Nations unies et les groupes de défense des droits de l’Homme, après avoir blâmé le nombre de victimes civiles faites par les forces internationales et l’ANSF,

10 Tom Vanden Brook, “More troops surviving IEDs,” USA Today, 20 octobre 2010. 11 Gregg Zoroya, “IEDs Show Troop Surge Working, US officers,” USA Today,

27 septembre 2010. 12 Rod Nordland, “Rights Groups Press for War Crimes Investigation of the Taliban,”

The New York Times, 10 février 2011; et le Secrétaire général de l’ONU, The Situation in Afghanistan and its Implications for International Peace and Security (23 juin 2011), rapport du Secrétaire général, A/65/873-S/2011/381.

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responsables de 10 % des victimes civiles, ont reporté leur critique sur les victimes provoquées par la campagne d’attaques EEI menée par les rebelles. En effet, pour les Nations unies, les talibans utilisent "des moyens de guerre illégaux en se servant d’une utilisation accrue d’EEI, d’attaques suicides et d’assassinats qui violent le droit fondamental à la vie des Afghans et les principes de droit humanitaire internationaux".13 En continuant à provoquer de nombreuses victimes au sein des forces internationales, les rebelles visent à saper le soutien national de la mission dans les pays de la FIAS. Alors que le soutien du public par rapport à la participation au sein de la mission de la FIAS reste faible dans un certain nombre de pays de l’Alliance et de pays partenaires, un nombre constant de victimes militaires et civiles pourrait éroder encore plus le soutien existant. Par exemple, aux Etats-Unis, un sondage effectué au mois de juin 2011 par le New York Times et CBS indiquait que 59 % des Américains estimaient que les Etats-Unis ne devraient pas être impliqués en Afghanistan. Fin 2009, ce chiffre était d'environ 40 %.14

B. Types communs d'EEI

Le simple fait que les EEI soient fabriqués de manière improvisée veut dire qu'il existe de nombreux types d'EEI. Sur le plan général, les descriptions peuvent porter sur le type de charge utilisée – par exemple des EEI à explosif, nucléaire, chimique, biologique, radiologique ou incendiaire – ou sur le vecteur utilisé pour les amener à leur cible – les EEI peuvent être transportés par des véhicules, des bateaux, des kamikazes ou des civils que l'on oblige à transporter sous la menace. Ils peuvent aussi être utilisés sous forme de fusées improvisées ou de projectiles formés par explosifs.

13 Cité dans Rod Nordland, “Afghan Rights Groups Shift Focus to Taliban,” The New

York Times, 9 février 2011. 14 Brad Norington, “US Must Hold Its Nerve in Afghan Conflict: Petraeus,” The

Australian, 17 mars 2011; Lucy Madison, “Poll: Four in 5 Approve of Obama’s Plan for Afghanistan Drawdown,” CBS News’ Political Hotsheet, 29 juin 2011; et Pollingreport.com, Afghanistan (2011),

http://www.pollingreport.com/afghan.htm.

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Bien que, jusqu'à présent, le type de charge utilisé en Afghanistan pour les EEI soit resté entièrement conventionnel, les modes de livraison et les mécanismes de mise à feu sont très variés et évoluent en permanence, ce qui présente de nouveaux défis pour les hommes sur le champ de bataille. Les types suivants de mécanismes de mise à feu sont ceux que l'on voit le plus fréquemment en Afghanistan, cependant cette liste est loin d'être exhaustive.

1. EEI filocommandés Un EEI filocommandé est un EEI amorcé au moyen d'un câble électrique de mise à feu, ce qui donne à l'opérateur un contrôle absolu sur l'engin jusqu'au moment de la détonation. En Afghanistan, le câble d'amorçage est souvent enfoui sous les routes, les murs ou les bâtiments et est donc fort difficile à repérer. L'engin est habituellement déclenché à l'aide d'une petite batterie fixée au câble et envoie une impulsion électrique à l'engin explosif. Ces câbles sont souvent très longs pour que l'opérateur soit protégé de l'explosion, on emploie donc souvent des guetteurs, appelés "dickers", pour surveiller le site d'un EEI de ce type et avertir l'opérateur à l'approche des hommes de la FIAS ou de l'ANSF. Ces guetteurs sont souvent des enfants, ce qui complique grandement la situation en termes de règles d'engagement militaire.

2. EEI radiocommandés Les EEI radiocommandés sont initialisés par une connexion radio. L'engin contient un récepteur connecté à un circuit électronique de mise à feu. L'opérateur actionne le dispositif de transmission à distance et le signal venant de l'émetteur est transmis au récepteur déclenchant une impulsion qui active un commutateur. Souvent ce commutateur déclenche l'amorce mais il peut également servir à armer un dispositif à distance. Ces EEI peuvent être déclenchés par un certain nombre de mécanismes, notamment des alarmes de voiture, des mécanismes télécommandés d'ouverture de garage, des téléphones portables, des bipeurs et des talkies-walkies cryptés.

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La plupart des EEI radiocommandés ont besoin d'une visibilité directe entre l'émetteur et le récepteur. Ce type d'EEI est le moins utilisé en Afghanistan car sa fabrication et son installation exigent une formation et des matériels plus sophistiqués. Toutefois, la menace que représentent les EEI radiocommandés a évolué rapidement et est devenue intense dans certaines zones.

3. EEI déclenchés par la victime Certains EEI sont conçus pour s'activer au contact de leur victime. Le système d'amorçage des EEI déclenchés par la victime est souvent bien dissimulé ou à la forme d'un objet du quotidien tels des bouteilles d'huile ou des ustensiles de cuisine. Lorsqu'un objet est déplacé, le système d'activation de l'EEI est déclenché. Parmi les mécanismes d'activation, on trouve des fils de détente, des plaques de pression, des mécanismes de déclenchement à ressort ainsi que des systèmes d'amorce déclenchés quand on les pousse, les tire ou les penche. Ils sont souvent enfouis sous des routes pour détruire des véhicules ou sont utilisés contre les patrouilles d’infanterie. Ce sont les EEI les plus communément utilisés en Afghanistan, représentant d'après les responsables militaires britanniques, environ 70 % des EEI. Un modèle particulièrement commun d'EEI déclenché par les victimes fonctionne avec un système de plaque de pression. Le système d'amorce comporte souvent deux lames de scie à métaux séparées à l'aide d'un écarteur. Le fait de marcher ou de rouler sur les lames ferme un circuit électrique et déclenche l'explosion.

4. EEI portés par des kamikazes Bien qu'il s'agisse principalement d'une façon de faire parvenir l'EEI à la cible, les EEI portés par des kamikazes méritent d'être mentionnés pour plusieurs raisons. Premièrement, dans le contexte d'une stratégie de lutte contre l'insurrection qui accorde une grande attention à la population, l'existence de la menace d'un attentat suicide peut avoir des conséquences importantes. En forçant les troupes de la FIAS à se protéger au

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lieu d'établir des rapports avec la population, les EEI portés par des kamikazes peuvent inverser la dynamique des opérations de lutte contre l'insurrection. Deuxièmement, les kamikazes sont souvent mis en place et entraînés par des responsables. Les réseaux qui s'occupent des EEI portés par des kamikazes sont donc souvent différents et fonctionnent séparément des réseaux EEI normaux. Enfin, les EEI ne sont pas toujours activés par le porteur. Certains gilets d'explosifs comportent des EEI radioguidés secrets appelés "chicken switches" (déclencheurs à poule mouillée) que le responsable ou l'intermédiaire peut déclencher si le kamikaze renonce à la dernière minute. Les EEI portés par des kamikazes, de même que les assassinats et les enlèvements, sont devenus une tactique de plus en plus utilisée par les rebelles en 2011, ceux-ci visant des personnalités afghanes clés et des objectifs peu protégés dans le but de déstabiliser le processus de transition.

5. EEI passifs à infrarouges (IR) Les EEI passifs à IR se servent d'un faisceau infrarouge comme mécanisme de mise à feu, ce qui les rend pratiquement indécelables. Ils génèrent des projectiles formés par explosion et se sont avérés d'une redoutable efficacité en Iraq, y compris contre les véhicules les plus lourdement blindés. Ils ont également été développés par les rebelles pour neutraliser l'efficacité grandissante des technologies utilisées par la coalition en vue de bloquer les fréquences radio. En 2005, le Royaume-Uni a accusé l'Iran d'avoir fourni aux rebelles la technologie pour ce type d'engins.15 Cependant, bien que l'on ait des preuves que des composants pour la fabrication de bombes de base et des techniques de formation à leur utilisation proviennent d'Iran et du Pakistan,16 les EEI passifs à IR ne sont pas encore apparus en Afghanistan.

15 BBC News, “Iran ‘Behind Attacks on British,” BBC News, 5 octobre 2005, http://news.bbc.co.uk/2/hi/middle_east/4312516.stm. 16 Rayment, Bomb Hunters, p.62; et département américain de la Défense, Report on

Progress Toward Security and Stability in Afghanistan (Washington, DC: département de la Défense, novembre 2010), p. 89.

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C. Tendances générales en matière d'EEI

Comme on l'a déjà noté, les EEI sont responsables de près de 60 % des victimes au sein de la FIAS et de la moitié des victimes au sein de l'ANSF en Afghanistan.17 Ils font également de nombreuses victimes au sein de la population civile afghane. En 2010, les attaques aux EEI ont tué 1 859 civils, soit 75 % de plus qu'en 2009.18 Les EEI déclenchés par la victime et les EEI filocommandés restent les plus meurtriers pour les troupes de la FIAS en raison de leur conception simple mais efficace.19 L'utilisation d'engins secondaires ou tertiaires dans les attaques EEI, comme les EEI posés de manière à exploser quand les premiers intervenants ou les troupes arrivent sur les lieux, est également en augmentation, ce qui signifie que les troupes de la FIAS sont confrontées à un mode d'attaque EEI complexe conçu pour tuer des membres des équipes de lutte anti-EEI et le plus de soldats possible. Comme toutes les activités cinétiques en Afghanistan, l'utilisation des EEI fluctue selon les saisons comme on peut le voir dans le graphique 1 ci-dessous.20 Au printemps et en été 2010, l'augmentation des opérations de sécurité par la FIAS pourrait bien avoir contribué à la croissance générale des incidents EEI. Il y a eu deux fois plus d'attentats au printemps 2010 que sur la même période en 2009. De manière générale, les attaques EEI ont représenté environ 25 % des attaques subies entre janvier 2009 et septembre 2010. Malheureusement selon les données les plus récentes même si le nombre d'EEI découverts et désamorcés augmente fortement, leur utilisation augmente également. En effet, le nombre total d'EEI trouvés et détruits en 2010-2011 pendant les mois d'hiver, habituellement plus calmes, était supérieur à celui de tout l'été 2009. 17 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan, p. 54. 18 Tom Vanden Brook, “IEDs Kill More civilian Afghans in 2010,” USA Today,

5 août 2010. 19 Paul Richfield, “Innovative Tools Advance Fight against IEDs”, Defence Systems,

19 janvier 2011, http://defensesystems.com/articles/2011/01/24/c4isr-1-counter-ied-tools-and-techniques.aspx.

20 Tous les chiffres dans ce paragraphe et le suivant sont basés sur le rapport du département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and Stability in Afghanistan, p. 54f.

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GRAPHIQUE 1. INCIDENTS EEI ENTRE AVRIL 2009 ET MARS 201121

IED and Mine Found & Cleared: EEI et mines trouvés et désamorcés IED and Mine Explosions: Explosions d’EEI et de mines

Dans l'ensemble, l'activité EEI reste élevée (voir graphique ci-dessus). Du côté positif, le taux d'identification et d'élimination d'EEI reste supérieur à 60 % de l'ensemble des incidents EEI. Il s’agit du taux le plus élevé depuis que l'on a commencé son recensement en 2007. La zone du commandement régional du sud-ouest reste celle où le niveau d'activité EEI est le plus élevé, avec 40 % de toutes les attaques, même si c'est légèrement inférieur à sa part totale de violence à l'échelle du pays (45 %). Le nombre élevé d'incidents EEI pour le commandement régional sud (33 %) est disproportionné par rapport à la proportion d'incidents violents qu'elle subit à l'échelle du pays (20 %). Les attaques menées récemment à Kaboul au sein du commandement régional du centre ont fortement fait augmenter ses chiffres cette année. L'évolution et le déplacement de la menace sont d'autres tendances clés en matière d'EEI en Afghanistan. A mesure que la FIAS déploie différentes technologies et tactiques pour limiter et vaincre la menace EEI, la production et le

21 Département américain de la Défense, Report on Progress Toward Security and

Stability in Afghanistan, avril 2011, p.69

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déploiement d'EEI gagne également en complexité. De manière générale, les tendances en matière de fabrication des EEI semblent aller dans deux grandes directions : vers des bombes plus simples fabriquées à partir de matériaux que l'on peut se procurer facilement, et vers le développement de technologies de détonateurs de nouvelle génération, comme les EEI radiocommandés et passifs à IR.22 Pour faire obstacle à l'équipement de brouillage des ondes radio, les rebelles se sont tournés vers des EEI qui utilisent à la fois des câbles de commande et des systèmes de déclenchement par radio. Des EEI dits "en guirlande", qui consistent en de nombreux EEI connectés les uns aux autres, ont été utilisés de manière à provoquer de nombreuses victimes au sein des patrouilles d'infanterie. Les EEI déclenchés par les victimes ont récemment été déployés de telle façon que le mécanisme de mise à feu est placé à distance de l'engin, ce qui permet aux rebelles de cibler des éléments de commandement. On constate aussi que les rebelles ont une plus grande capacité à fabriquer des EEI comportant peu ou pas de métal ce qui le rend, en grande partie, indécelables par les détecteurs de métaux actuellement utilisés par les troupes de la FIAS. On enregistre toutefois des signes encourageants dans les efforts de lutte contre les EEI en Afghanistan. Avec le renforcement actuel des troupes, les forces de la coalition ont apparemment perturbé les réseaux EEI, dans une certaine mesure. Au cours du printemps 2011, elles ont découvert environ quatre fois plus d'armes et d'explosifs qu'en temps normal, selon le général David Petraeus.23 La FIAS pense en effet qu'elle trouve maintenant plus d’EEI que ce que les rebelles sont en mesure de fabriquer actuellement. Avec plus de 900 chefs talibans tués entre mai 2010 et mars 2011, les rebelles éprouvent des difficultés grandissantes dans le recrutement d'experts capables de fabriquer des EEI. De plus, certains ingrédients clés des EEI sont de plus en plus difficiles à

22 Brooks Tigner et Nathan Hodge, “Rising to the Challenge: Counter-IED Technology

Looks to the Skies,” Jane’s International Defence Review, vol. 41, février 2009, p. 42.

23 Carlotta Gall, “Petraeus Says Coalition Has Stymied Taliban in Much of Afghanistan,” The New York Times, 9 mars 2011.

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trouver. Le prix du nitrate d'ammonium, par exemple, a décuplé car les réseaux d'approvisionnement en Afghanistan et au Pakistan sont perturbés. Ceci est également lié à l'interdiction d'engrais en Afghanistan, même si la plupart des experts estiment que cela ne marche pas à cause de la nature perméable des frontières afghanes et du fait que l'agriculture a besoin d'engrais.24 Récemment, les Etats-Unis ont réussi à convaincre le Pakistan d’interdire l'exportation d'engrais à destination de l’Afghanistan.25 L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime a également mis en place des programmes afin d'aider à interdire l'accès de nouveaux produits chimiques entrant dans la composition d’engrais en Afghanistan. La FIAS estime que les effectifs de la police des frontières afghane et ses capacités augmentent lentement mais régulièrement.26 Toutefois, l'efficacité de telles initiatives reste à prouver. Il faut cependant se souvenir que, dans certaines régions, comme à Sangin, dans la province du Helmand, la menace EEI est tellement présente que la marge de manœuvre est fortement limitée et les taux de victimes ont atteint jusqu'à 50 %.

D. Lutte contre les EEI : efforts en cours et actions possibles

Avec une menace EEI omniprésente, il n'est pas surprenant que les pays de la FIAS et l'OTAN en tant qu'Alliance aient pris des mesures pour remédier à la situation. Cette section du rapport présente les efforts nouvellement mis en place par l'OTAN en matière de lutte contre les EEI (C-IED), l'accent étant mis sur la perturbation des réseaux EEI et sur les développements dans les domaines de la détection et de la survivabilité.

24 Peter Beaumont, “Taliban Running Short of Deadly Roadside Weapons,” The

Guardian, 3 novembre 2010. 25 Iftikhar A. Khan, “Fertiliser Export to Afghanistan Banned: US Wants IED Smuggling

Materials Stopped,” Dawn, 6 juillet 2011. 26 Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Law Enforcement and Border

Control (Vienne: Office des Nations unies contre la drogue et le crime, 2011).

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1. Renforcement des mesures OTAN de lutte contre les EEI

En 2010, l'OTAN a fait des progrès importants en vue de créer une stratégie globale C-IED qui aborde le problème sous plusieurs angles mais suivant deux grands axes : perturber les réseaux EEI et améliorer leur détection. Un nouveau centre d'excellence de lutte contre les EEI, que la Commission aura visité à l'automne 2011, s'est ouvert à Madrid au mois de juin 2010. Ce centre met l'accent sur les méthodes utilisables pour vaincre les systèmes EEI, s'appuyant spécifiquement sur les mesures technologiques et sur la formation et l'entraînement d'experts. Au mois d'août 2010, l'OTAN a lancé un plan d'action multinational de lutte contre les EEI qui vise l'achat stratégique et la livraison efficace de technologies C-IED. En octobre 2010, la Conférence des directeurs nationaux des armements a donné un nouvel élan avec la création d'un Fonds alimenté par des contributions volontaires à l'appui du plan d'action conçu pour coordonner les efforts C-IED à l'échelle de l'Alliance. Le Fonds facilite la coopération multinationale en combinant les contributions financières et non financières des pays à l'appui de projets précis. Le premier projet utilisant ce nouveau mécanisme soutient l'entraînement d'équipes de renseignement spécialisées venues des pays alliés et des pays partenaires, avant leur déploiement en Afghanistan. En mars 2011, le 7e Commandement unifié multinational de formation en Allemagne a inauguré une formation pour les pays partenaires en vue d'entraîner les soldats et les unités à mener des opérations dans des environnements EEI et d'améliorer les capacités d'entraînement dans leur propre pays. Bien qu'il ne tombe pas sous les auspices de l'OTAN, ce nouveau programme comble un manque au sein des efforts actuels des pays de l'Alliance et des pays partenaires. De même, l'Agence européenne de défense coordonne la coopération entre pays membres de l'UE sur l'entraînement et les technologies grâce au projet de lutte anti-EEI. L'initiative OTAN de C-IED est également appuyée par l'Agence OTAN de Consultation, de commandement et de

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contrôle (NC3A), qui a pour tâche de livrer une technologie de pointe capable d'appuyer les missions de l'OTAN et de faciliter la prise de décision. L'actuel plan d'action fournit aux pays participants une plateforme commune pour travailler sur les dernières technologies ainsi qu'une approche élargie qui cible les réseaux EEI. La NC3A doit permettre de coordonner l'acquisition conjointe de technologie et les activités conjointes de recherche et de développement afin de favoriser l'échange d'informations entre les pays OTAN, d’éviter la répétition inutile d’efforts et de tirer parti des économies d'échelle. En outre, la NC3A aidera les pays qui pourraient manquer d'expérience pour l'achat de ce type d'équipement, par exemple en effectuant des évaluations techniques.27 La NC3A a organisé un premier atelier de coordination technique en matière de lutte contre les EEI en novembre 2010 et un second en mars 2011

2. Perturbation des réseaux EEI Une stratégie essentielle à la réussite de lutte contre les EEI consiste à s'attaquer aux réseaux périphériques aux EEI, qui, comme cela était le cas dans d'autres théâtres, ne constituent pas un réseau distinct mais font partie intégrante des forces de la rébellion : les financeurs, les fournisseurs, les transporteurs, les fabricants, les planificateurs, les poseurs et les opérateurs. Les éléments de renseignement jouent un rôle important pour l'identification et la déstabilisation de ces réseaux par l'interception des communications, tout comme l'examen des EEI après qu'ils ont été désarmés ou détruits. Avec ces moyens, la FIAS est mieux à même d'interdire des matériaux entrant dans la fabrication d'EEI et d’empêcher les rebelles de participer à leur fabrication.28

27 Agence OTAN de Consultation, de commandement et de contrôle, “NATO

Launches Multi-National Counter-IED Initiative,” NATO C3 Agency News, 12 août 2010,

http://www.nc3a.nato.int/news/Pages/20100812-CIED.aspx. 28 Tania Reid, “Counter IED Efforts Try o Get “Left of the Boom” in Afghanistan,” ISAF

News, juillet 2010, http://www.isaf.nato.int/article/news/counter-ied-efforts-try-to-get-left-of-the-boom-in-afghanistan.html.

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Les systèmes de surveillance aérienne se sont révélés particulièrement efficaces pour détecter les EEI, observer la façon dont ils sont mis en place et voire d’empêcher leur mise en place, ce qui a pour effet de perturber les réseaux EEI. Cette approche est traitée plus en détails dans la partie relative aux systèmes sans pilote utilisés sur le théâtre afghan. Des équipes d'investigation spécialisées ont largement été utilisées en Afghanistan. Leur tâche consiste à exploiter des engins désamorcés ou détruits afin d'obtenir des informations sur ceux qui les fabriquent. D'octobre 2008 à septembre 2009, on a relevé environ 5 000 empreintes digitales sur des EEI ou ce qu'il en restait.29 Selon le JIEDDO cela a "permis d'identifier et d'incarcérer des centaines de suspects".30 Toutefois les critiques s'interrogent sur l'utilité de cette exploitation compte tenu du fait que le système judiciaire afghan est peu développé. De ce fait, certains pays leaders dans le domaine de la C-IED ont récemment arrêté d’essayer d’exploiter ces engins.31 Les récents succès et l'optimisme relatifs aux efforts visant à neutraliser les réseaux EEI ont conduit certains à penser que ces réseaux peuvent être mis hors d'état de nuire avec une efficacité relativement rapide. Cependant, pour mettre les réseaux en échec de façon stratégique, il faut prévoir des efforts à long terme. Ainsi, le général Michael L. Oates, directeur du JIEDDO, estime que "globalement, l'idée n'est pas de détruire les réseaux, ce qui pourrait bien être impossible. L'objectif est de les déstabiliser".32 D'autre part, la détection et la survivabilité deviennent encore plus essentiels pour atténuer le défi posé par les EEI.

3. Détection et survivabilité

29 Walter Pincus, “Taliban bombs are killing fewer troops,” The Washington Post,

26 septembre 2010. 30 Pincus, “Taliban bombs are killing fewer troops.” 31 Sean Rayment, “Commanders to Change Bomb Disposal Tactics,” The Daily

Telegraph, 12 février 2011. 32 Whitlock, “IED Casualties in Afghanistan Spike.”

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Un entraînement bien fait et utilisant les dernières techniques est au centre de la détection réussie des EEI, tant pour la FIAS que pour l'ANSF. Des entraînements formels et informels des unités régulières de la FIAS et de l'ANA en matière de lutte anti-EEI ont lieu à travers tout le pays, entraînements prodigués par exemple par des équipes de formateurs le groupe spécial de lutte anti-EEI de la FIAS, Task Force Paladin.33 A dire vrai, les responsables militaires soulignent souvent que le succès des activités anti-EEI dépend à 60 % d'une bonne formation, alors que 30 % dépend de la technologie et 10 % est lié au hasard. À court terme, le transfert rapide des connaissances, l'analyse de l'évolution de la menace et la coordination des entraînements C-IED entre militaires sont essentiels pour sauver des vies. La mise en commun des tactiques, des techniques et des procédures utilisées entre les unités et les commandements a déjà eu un effet positif sur les activités C-IED. Un certain nombre de mesures techniques conçues pour détecter et neutraliser les EEI ont été développées ces dernières années. Selon certaines estimations, le JIEDDO a investi environ 10 milliards de dollars rien que dans cette technologie depuis 2006.34 La NC3A a divisé le soutien en matière de lutte contre les EEI en trois domaines principaux : brouilleurs contre les EEI radiocommandés, scanners pour inspecter véhicules, chargements et piétons afin de détecter les EEI dissimulés dans ces véhicules ainsi que sur les kamikazes ; technologies de surveillance pour améliorer le renseignement sur la provenance des EEI et prévenir les attentats. Des dispositifs portatifs de détection plus performants, notamment les UGV évoqués dans la prochaine section, seraient également un multiplicateur de force pour les troupes terrestres. L'installation de caméras de surveillance en circuit fermé dans les bases opérationnelles avancées a augmenté la sécurité pour les troupes du front en fournissant également une couverture de leurs zones

33 Ministère britannique de la Défense, “British-Trained ANA Soldier Becomes Bomb

Disposal Hero,” Defence News, 1er février 2011; et rédacteur de Soldier of Fortune, “ANA Soldiers Successfully Complete Counter-IED Training,” Soldier of Fortune, 28 mars 2011.

34 Shaun Waterman, “General: K-9 Teams Sniff Out IEDs Better,” The Washington Times, 21 octobre 2010.

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d'opération en temps réel 24 h/24. Le recueil de données biométriques aurait également une incidence positive sur les activités de lutte anti-EEI.35 Les radars à pénétration du sol sont une autre option technologique de détection des EEI enterrés mais une solution exploitable reste à trouver. Bien qu'il s'agisse d'un point très sensible sur lequel les Etats membres restent particulièrement discrets, le développement de systèmes de brouillage des fréquences radio se poursuit, tout comme l'utilisation de systèmes à impulsion électromagnétique pour la destruction d'EEI radiocommandés.36 Selon certains experts, d'autres voies semblent également prometteuses mais on est encore loin de pouvoir les mettre en pratique : algorithmes de détection automatique pour les UAV ou pour véhicules terrestres, spectroscopie Raman et systèmes à micro-ondes de grande puissance, entre autres. Le Groupe consultatif industriel OTAN (NIAG) étudie également le potentiel qu'offrent les moyens aériens, mieux capables de repérer les EEI. Qui plus est, d'autres mesures basiques de détection ont été utilisées en réponse à la menace EEI. Certains responsables militaires considèrent que des chiens renifleurs spécialement entraînés restent la méthode de détection d'EEI la plus efficace. Bien que des facteurs comme la chaleur et une durabilité limitée pour les patrouilles soient un des inconvénients des brigades cynophiles, la demande pour les chiens renifleurs de bombe a quand même fortement augmenté. Les Marines américains, par exemple, vont augmenter le nombre de chiens utilisés en Afghanistan de 150 % en 2011, passant de 170 à environ 280 chiens.37 Selon Bill Childress, responsable du Working Dog Program (Programme de chiens d’utilité), "le flair du chien est l'équipement le plus adapté et le plus mobile dont nous disposions".38 En termes de survivabilité, le travail de conception de véhicules de nature à lutter contre la menace EEI évolue en permanence.

35 UPI, “Biometric System Working in Afghanistan”, UPI, 14 juillet 2011. 36 Tigner et Hodge, “Rising to the Challenge: Counter-IED Technology Looks to the

Skies.” 37 Tony Perry, “The Most Loyal Kind of Marine,” Los Angeles Times, 8 février 2011. 38 Perry, “The Most Loyal Kind of Marine.”

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Les véhicules les plus sûrs utilisés actuellement en Afghanistan sont communément équipés de caisses flottantes en forme de V, mieux blindés et mieux conçus ; c'est le cas par exemple des véhicules de patrouille blindés comme le MRAP, le Mastiff et le Ridgeback. Des systèmes de rouleaux ainsi que des brouilleurs ont été adaptés aux véhicules pour réduire l'efficacité des EEI déclenchés par pression ou par les victimes et préserver la mobilité des troupes. D'importantes améliorations enregistrées au niveau des systèmes médicaux et de la technologie des équipements, comme la présence d'équipes médicales dans les hélicoptères d'extraction des victimes, un meilleur appareillage médical de prévention des hémorragies et des temps de vol plus courts entre le champ de bataille et l'hôpital le plus proche, ainsi que les améliorations apportées aux protections corporelles légères, continuent à réduire la létalité des attaques EEI réussies. Récemment, la FIAS a adopté une tactique C-IED qui pourrait aussi être préjudiciable aux efforts que la communauté internationale mène contre l'insurrection. Face au piégeage de bâtiments ou même de villages entiers avec des EEI par les rebelles, les forces internationales répondent parfois en détruisant tout. A titre d'exemple, le village de Tarok Kalache a été entièrement détruit à l'aide de plus de 20 tonnes d'explosifs car il était considéré comme une base tactique des talibans.39 Ces tactiques sont peut-être moins dangereuses pour les troupes et la population locale est remboursée pour les dégâts occasionnés, mais elles provoquent souvent des sentiments de plus en plus négatifs au sein de la population. Selon les déclarations d'une source diplomatique, cette tactique est "déplaisante mais nécessaire", puisque les talibans concentrent "tous leurs efforts à transformer des villages en pièges géants de manière à tuer le plus possible de soldats de la coalition".40 En outre, la Commission afghane indépendante des droits de l'Homme à Kandahar n'a encore reçu aucune plainte de la part de la population au sujet de ces pratiques.

39 Tom Coghlan et Michael Evans, “Scorched-Earth Tactic Loses Hearts and Minds in

Battle with Taleban,” The Times (Londres), 24 janvier 2011. 40 Coghlan et Evans, “Scorched-Earth Tactic Loses Hearts and Minds in Battle with

Taleban.”

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Les EEI représentent un danger mortel en Afghanistan et le resteront longtemps du fait qu'ils sont peu onéreux et relativement faciles à fabriquer. Jusqu'à présent, aucun progrès décisif n'a été enregistré en matière de C-IED même si les pays de la FIAS suivent certaines pistes prometteuses. Deux éléments importants pour surmonter ou limiter au moins en partie la menace EEI sont les UAV et les UGV, dont les capacités sur le théâtre ne cessent d'augmenter. La prochaine section du rapport examine leur contribution aux activités C-IED de même que leur incidence à plus large échelle sur la mission de la FIAS.

III. SYSTEMES SANS PILOTE SUR LE THEATRE AFGHAN

Les systèmes sans pilote, qu'ils soient aériens ou terrestres, font partie intégrante des efforts de la FIAS en Afghanistan. Les drones et les robots terrestres, toujours plus sophistiqués, sont à la pointe technologique de la mission. Par conséquent, cette section du rapport se penche sur le rôle des systèmes sans pilote en Afghanistan. On y traite, en outre, de la campagne clandestine de drones au Pakistan voisin, campagne externe à la FIAS, car elle est très controversée – surtout au moment où les relations entre les Etats-Unis et le Pakistan sont à leur niveau le plus bas depuis dix ans, suite au raid mené contre Oussama ben Laden – et a des conséquences directes pour les activités des alliés et des partenaires en Afghanistan.

A. Systèmes sans pilote en contexte

Les systèmes sans pilote font partie des secteurs à forte croissance au sein de l'industrie de la défense. Le marché des UAV notamment qui devrait atteindre 70 à 80 milliards de dollars d'ici dix ans, croît très rapidement.41 En fait, l'ancien secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, pense que la future génération d'avions de chasse F-35 sera la dernière à

41 IISS, The Military Balance 2011 (Londres: Taylor and Francis Group, 2011), p. 23.

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avoir un pilote à bord.42 La production et le déploiement de systèmes sans pilote s'accélère rapidement et prolifère, tant au niveau du nombre global de systèmes que du nombre de pays qui en possèdent. A ce jour, plus de 50 pays disposent d'UAV ou prévoient soit d'en acheter soit d'en construire.43 L'armée américaine dispose du stock le plus important. Sa flotte d'UAV compte actuellement plus de 7 000 unités, par rapport à tout juste 167 en 2001.44 Les UAV jouent également un rôle important dans les opérations en Libye visant à appliquer la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies, et à protéger les populations civiles, opérations actuellement menées par l'OTAN avec l'aide de la Jordanie, du Qatar, de la Suède et des Emirats arabes unis. Depuis 2001, plus de 6 000 UGV ont été déployés à travers le monde.45 Les médias ont porté une grande attention aux frappes d'UAV mais, à vrai dire, une grande majorité d’UAV et d’UGV jouent un rôle moins agressif, plus particulièrement en matière de surveillance et de neutralisation d'explosifs et de munitions. Par exemple, les deux systèmes les plus utilisés actuellement sont les aéronefs de surveillance et les robots de neutralisation d'explosifs et de munitions. En effet, en 2009, 97 % des vols d'UAV avaient une fonction ISTAR,46 et les UGV armés remplissant des missions de surveillance des frontières ne sont utilisés que par Israël et la Corée du Nord.47 Il convient également de se souvenir que toutes les frappes de drones sont

42 Nic Robertson, “How Robot Drones Revolutionized the Face of Warfare,” CNN,

27 juillet 2009, http://edition.cnn.com/2009/WORLD/americas/07/23/wus.warfare.remote.uav/. 43 Patrick M. Miller, Mini, Micro, and Swarming Unmanned Aerial Vehicles: A

Baseline Study (Washington, DC: Division de la recherche fédérale de la Bibliothèque du Congrès, 2006), p. 1.

44 Gerhard Dabringer, “Ethical Challenges of Unmanned Systems,” in Ethica Themen: Ethical and Legal Aspects of Unmanned Systems Interviews, ed. Gerhard Dabringer (ed.) (Vienna: Institut für Religion und Frieden, 2010), p. 8.

45 Michael W. Isherwood, “Unmanned Systems and the Joint Team,” Joint Forces Quarterly, no. 58, troisième trimestre 2010, p. 58.

46 Joe Pappalardo, “4 Forgotten Facts About UAVs,” Popular Mechanics, 8 septembre 2009.

47 Prof. Patrick Lin (directeur, Ethics and Emerging Sciences Group à Cal Poly, San Luis Obispo), dans une interview accordée à l'émission NPR’s Talk of the Nation, 4 octobre 2010,

http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=130329148.

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télécommandées, depuis l'intérieur du théâtre ou bien à distance, ce qui fait donc entrer le facteur humain dans l'équation. En fait, les missions sans pilote requièrent encore un nombre important de personnes – souvent quelque 180 - même si les militaires essaient de réduire l'effectif de soutien utilisé pour ce type de missions. L'avantage clé des systèmes sans pilote réside dans leur coût peu élevé et leur adaptabilité. Par exemple, les UAV en configuration simple sont relativement peu onéreux. Ainsi, selon le responsable du budget au Parlement canadien, une unité Predator de base coûte 4,5 millions de dollars alors qu'un chasseur F-35 Joint Strike Fighter sans options ni améliorations peut coûter jusqu'à 128 millions de dollars.48 Toutefois, dans une note de doctrine interarmées publiée récemment par le ministère britannique de la Défense, l'opinion exprimée est que compte tenu des prévisions actuelles, "il est vraisemblable que pour les aéronefs sans pilote complexes, le coût va monter pour converger rapidement avec celui des aéronefs pilotés".49 Un autre avantage clé est une autonomie que les pilotes humains ne peuvent pas atteindre. Alors que les hommes en mission ISTAR ne sont plus efficaces, en général, au bout d'un certain nombre d'heures, une unité Predator peut rester dans les airs jusqu'à 40 heures. Ainsi, les drones peuvent rester des heures en vol stationnaire au-dessus de cibles acquises. La précision est un autre élément essentiel. Les missiles Hellfire, souvent employés avec les modèles Predator et Reaper, très répandus, ont une plus grande précision de frappe que les attaques aériennes effectuées par des bombardiers pilotés. Toutefois, ils provoquent souvent des dommages collatéraux et, l'industrie de la défense œuvre donc avec acharnement à l'élaboration de missiles plus petits et précis conçus pour être utilisés en zone urbaine, comme par exemple le Scorpion, qui pèse environ 16 kg (35 livres) pour un

48 Peter W. Singer, Wired for War, (New York: Penguin Press, 2009), p. 32; et

Peter Weltman and Tolga Yalkin, Comparing PBO and DND Cost Estimates on Canada’s Proposed Acquisition of the F-35 Joint Strike Fighter: Some Preliminary Questions and Answers on Key Issues (Ottawa: Bureau du directeur parlementaire du budget, 2011).

49 Centre du développement, des concepts et de la doctrine, ministère britannique de la Défense, “The UK Approach to Unmanned Aircraft Systems,” Joint Doctrine Note, 2/11, 2011, p. 1-2.

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diamètre de 11 cm ou encore le Small Tactical Munition, encore plus petit qui ne pèse que 6 kg (13 livres). Malgré tous leurs avantages, cependant, il ne faut pas oublier que les systèmes sans pilote restent toujours très sujets à des défaillances. Une fois lancés, il arrive que les UAV soient perdus et s'écrasent. Il arrive souvent qu’on ne puisse plus contrôler les UGV en présence d'interférences dans les fréquences radio. En fait, la technologie des années 50 suffit à mettre en échec la technologie du XXIe siècle. De simples brouilleurs à portée réduite peuvent être fabriqués en quelques heures avec l’équivalent de 200 dollars en matériel électronique que l'on peut se procurer facilement.50 Lors des missions en Iraq et en Afghanistan, les Etats-Unis ont connu environ 80 accidents liés aux UAV. Le taux de pertes en termes de milliers d'heures de vol pour les UAV reste encore comparable à celui des aéronefs pilotés.51 Les UAV armés sont désormais un élément standard des opérations mais le développement des UGV est encore en retard par rapport aux attentes. En 2001, le Congrès américain voulait qu'un tiers de la flotte des véhicules de combat terrestres soient commandés à distance.52 Cela ne s'est pas concrétisé. A ce jour, la grande majorité des UGV est toujours utilisée pour des besoins de neutralisation d'explosifs et de munitions. Toutefois, l'intérêt que suscitent les UGV armés reste élevé. De nouveaux concepts en matière d'UGV envisagent leur utilisation pour le transport de matériel, par exemple sous la forme de camions sans pilote, introduits récemment en Afghanistan par le Royaume-Uni, qui suivraient les véhicules de tête des convois, et en tant qu'unités médicales mobiles. Il n’est pas surprenant que le projet le plus controversé soit celui qui prévoit d'équiper des plateformes robotisées avec des armes et d'en faire des unités mobiles, autonomes et capables d'appliquer une force létale avec une grande précision. Les Etats-Unis, par

50 Singer, Wired for War, p. 199f. 51 Centre du développement, des concepts et de la doctrine, ministère britannique

de la Défense, “The UK Approach to Unmanned Aircraft Systems,” p. 1-4. 52 Paul McLeary et Sharon Weinberger, “Free The Bots,” Defense Technology

International, 1er mars 2011.

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exemple, ont testé un certain nombre d'UGV armés et souhaitent vivement les introduire sur le champ de bataille. Les UGV armés sont extrêmement précis. Lors d'essais menés récemment, un prototype développé par l'armée américaine a fait mouche à chaque fois avec différents types d'armement, à une distance pouvant aller jusqu'à 2 000 mètres.53 S'ils étaient équipés des nouveaux types de capteur radar, les UGV seraient pratiquement capables de voir à travers les murs.54 En fait, trois prototypes armés ont été envoyés en Iraq en vue d'effectuer des missions de patrouille de base, mais l'armée américaine s'est vue contrainte d'abandonner le projet pour des raisons juridiques car on craignait que les robots ne respectent pas les règles en matière d'engagement comme, par exemple, le fait d'avertir les intrus avant de faire feu ou d'utiliser des gaz lacrymogènes avant de tirer à balles réelles.55 La "robotisation" croissante de la guerre a déclenché de nombreux débats éthiques et juridiques. Les partisans estiment que par rapport à d'autres types d'armement, la précision de ciblage des UAV, par exemple, réduit les dommages collatéraux. En outre, l'absence d'émotions humaines telles que la haine ou le désir de vengeance, diminue le risque d'erreur. A long terme, les avancées en matière d'intelligence artificielle pourraient effectivement aboutir à des systèmes sans pilote qui respecteraient le droit international, les conventions humanitaires et les règles d'engagement plus efficacement que des soldats ne pourraient jamais le faire. Toutefois, les détracteurs pensent que la "robotisation" établit une distance entre les attaquants et leurs cibles, distance qui rend la violence moins tangible et plus facile à accepter. Une réduction des risques liés à l'acte de guerre pourraient ainsi faire de l'utilisation de la force dans les relations internationales une option plus facile à choisir, repoussant les limites qui veulent que la violence

53 GlobalSecurity.org, TALON Small Mobile Robot (2011), http://www.globalsecurity.org/military/systems/ground/talon.htm. 54 David Axe, “There’s No Hiding From New Breath-Detecting Robot,” Wired,

7 février 2011, http://www.wired.com/dangerroom/2011/02/theres-no-hiding-from-new-breath-detecting-robot/.

55 John Markof, “War Machines: Recruiting Robots for Combat,” The New York Times, 27 novembre 2010.

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ne soit vraiment utilisée qu'en dernier recours. La note de doctrine interarmées britannique citée plus haut aborde la question du comportement acceptable d'une machine à l'avenir, s'inquiétant du fait que les politiques sont à la traîne par rapport à ce qui se passe dans le monde réel : "Le risque est que nous pourrions être pris de court – avons-nous encore la possibilité de débattre et de développer des politiques, ou la technologie n'a-t-elle pas déjà dépassé le cadre éthique nous embarquant tous progressivement sur la voie d'une réalité à la Terminator ?".56 Les inquiétudes en matière juridique portent sur la question de la responsabilité des actions, par exemple en rapport avec les victimes civiles ou les crimes de guerre, et de l'utilisation spécifique des UAV. En fait, à des degrés divers, les Nations unies, Amnesty International, Human Rights Watch ont tous critiqué l'utilisation de systèmes sans pilote en raison par exemple de leurs défaillances quand il s'agit de distinguer les combattants des non-combattants, et du fait que l'on s'en sert pour mener des guerres non déclarées avec peu de risque de représailles. A l'issue d'une enquête sur l'utilisation de frappes de drones, Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a mis en garde sur le fait que les UAV pourraient "être exploités dans un cadre qui pourrait bien aller à l'encontre du droit international humanitaire et des droits de l'Homme internationaux" et a demandé que les Etats-Unis prouvent que les frappes de drones ne constituent pas des exécutions extrajudiciaires illégales.57 Cependant, les Etats-Unis maintiennent qu'ils respectent les lois internationales et nationales. Tout nouveau système d'arme doit être approuvé par le Corps du procureur général militaire, la branche juridique des forces armées américaines. En outre, le département d'Etat américain estime que puisque al-Qaida est en conflit armé avec les Etats-Unis, il est légal de prendre ses chefs pour cibles au nom de la légitime défense.

56 Centre du développement, des concepts et de la doctrine, ministère britannique

de la Défense, “The UK Approach to Unmanned Aircraft Systems,” p. 5-11/12. 57 Mir Adnan Aziz, “Drones Fuel the Fire,” The News (Pakistan), 6 juin 2010.

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B. Systèmes aériens sans pilote en Afghanistan

La première frappe par un UAV armé en Afghanistan a eu lieu le 14 novembre 2001, lorsqu'une attaque utilisant à la fois un F-15 et un Predator a tué plusieurs combattants d'al-Qaida et des talibans, notamment Mohammed Atef, membre du haut commandement d'al-Qaida et un des planificateurs clé des attentats du 11 septembre 2001. Depuis, les UAV sont devenus un élément à part entière des activités militaires dans le pays. Particulièrement à l'aube du retrait des troupes d'Iraq, un nombre croissant d'UAV venant d'Iraq est redéployé sur le théâtre afghan. Même si l'opération en Afghanistan repose essentiellement sur les forces terrestres, elle comprend également un élément aérien non négligeable. Le rôle principal des UAV sur le théâtre afghan est la conduite de missions ISTAR, domaine dans lequel leurs capacités de détection à distance sont utilisées à leur maximum. Toutefois on voit aussi beaucoup d'UAV armés. Souvent utilisés en coordination avec les troupes au sol, ils détruisent les infrastructures de l'insurrection et éliminent ses chefs. Bien entendu, les drones peuvent facilement passer d'une capacité ISTAR à une force de frappe si on les équipe d'armement. Au moins neuf pays de la FIAS utilisent ou prévoient de déployer bientôt des drones en Afghanistan : Australie, Canada, France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Espagne, Suède, Royaume-Uni et Etats-Unis. Le type de modèle utilisé va du petit UAV tactique pour effectuer des mission de reconnaissance "par-dessus la colline" aux modèles de surveillance à haute altitude comme le Global Hawk, en passant par les véhicules de frappe initiale comme le Predator ou le Reaper. Les UAV sont réellement très efficaces lorsqu'ils sont déployés parallèlement aux troupes terrestres ou aux hélicoptères d'attaque ou de reconnaissance armés en Afghanistan. Tous les types d'UAV sont utiles aux troupes sur le terrain, qu'il s'agisse de ceux qui observent le champ de bataille depuis une altitude élevée ou de ceux qu'elles emportent

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avec elles en opération pour faire des missions de repérage dans la zone avoisinante. Ainsi que le présentait le commandement d'un bataillon canadien déployé dans la province de Kandahar en 2008, les UAV "[nous] ont permis de garder un contact virtuel avec l'ennemi et de maintenir un rythme opérationnel soutenu par l'intermédiaire d'activités de surveillance et de frappes dans des zones précises du champ de bataille".58 L'efficacité de cet outil signifie que les troupes sur le terrain peuvent dédier plus de ressources et de temps pour établir des contacts avec la population afghane, ce qui est un objectif clé de l'actuelle stratégie de lutte contre l'insurrection. N'étant pas gênés par la défense aérienne, les UAV peuvent également pénétrer loin en territoire rebelle où il est difficile de faire parvenir des troupes terrestres. En outre, les frappes sur les forces rebelles créent un sentiment de crainte et d'incertitude et limitent leur liberté d'action. Bien entendu, la mise en œuvre d'une approche conjointe terrestre et aérienne dans le domaine des opérations de lutte contre l'insurrection en Afghanistan présente un certain nombre de difficultés, cette démarche étant relativement nouvelle sur le champ de bataille. De plus, les rebelles s'adaptent à la tactique d'utilisation des UAV par la coalition en se déplaçant par petits groupes et en se dissimulant sous des couvertures sur des rochers chauffés par le soleil de manière à ne pas être détectés. Le bataillon canadien mentionné plus haut, par exemple, cite aussi plusieurs besoins dans le domaine opérationnel :

développer et maintenir des lignes de commandement claires de même que de bonnes relations à un niveau informel ;

comprendre les meilleures pratiques d'utilisation sur le terrain, notamment la synchronisation efficace des

58 Luther S. Turner, D. Corbould, Jason T. Adair et Louis Hamel, “Optimizing Deadly

Persistence in Kandahar: Armed UAV Integration in the Joint Tactical Fight,” The Canadian Army Journal, vol. 13, no. 1 (2010), p. 120.

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manœuvres terrestres et aériennes, et suivre correctement les règles d'engagement ;

établir une image claire des forces alliées et ennemies, notamment une méthode de ciblage précise.59

Les UAV jouent un rôle particulièrement important dans le cadre des efforts déployés par la coalition pour déjouer la menace EEI. Ils contribuent aux activités C-IED de trois manières tangibles : localisation et attaque du réseau EEI déployé, détection et neutralisation des équipes de mise en place ; et détection des EEI déjà posés Dans leur fonction ISTAR, les UAV permettent à la FIAS d'avoir une image plus précise du fonctionnement et de l'évolution du réseau EEI déployé en Afghanistan. Par exemple, avec la technologie Gorgon Stare qui peut consister en plus de 65 flux vidéo différents et a récemment été déployée sur le théâtre, l’armée de l’air américaine peut désormais effectuer une surveillance élargie sur des villes entières. Toutefois, jusqu'à 2 000 analystes sont nécessaires pour pouvoir utiliser pleinement cette plateforme. A mesure que la FIAS acquiert des renseignements, les UAV peuvent être utilisés pour cibler des individus ou des infrastructures essentielles à la production et à la dissémination des EEI dans le pays. Idéalement, les attaques d'UAV peuvent perturber considérablement la circulation d'EEI. Avec les vols d'UAV, on tente aussi de repérer les rebelles au moment où ils posent les EEI. Par exemple, l'armée américaine a actuellement 25 patrouilles de surveillance aérienne opérationnelles 24h/24 contre seulement neuf en 2008.60 Les itinéraires de passage des convois constituent des cibles de choix pour la pose d'EEI. Des pays comme l'Australie contrôlent les routes essentielles au moyen de drones de surveillance non armés, et des UAV britanniques et américains

59 Turner, Corbould, Adair et Hamel, “Optimizing Deadly Persistence in Kandahar:

Armed UAV Integration in the Joint Tactical Fight,” p. 120ff. 60 Tom Vanden Brook, “Spy Balloons Go Into High Demand in Afghanistan,” USA

Today, 28 septembre 2010.

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équipés de missiles neutralisent les poseurs de bombes quand ils les repèrent. Une unité de l'armée américaine déployée en Iraq en 2006 et baptisée Task Force ODIN (pour Observation, Détection, Identification et Neutralisation) est devenue la norme de référence pour l'organisation des missions conjointes utilisant des vecteurs avec pilote et sans pilote dans la lutte contre les EEI. Au moyen de systèmes de détection traditionnels, comme des capteurs électro-optiques et infrarouges, les UAV s'attachent à détecter les équipes d'insurgés qui profitent de la nuit pour poser des EEI. Ce concept est arrivé plutôt tardivement en Afghanistan. Une force opérationnelle nommée Falcon Strike a été déployée dans la province de Ghazni, dans l'est du pays, à la suite du renforcement des troupes de la FIAS. Dès septembre 2010, elle avait tué 43 poseurs d'EEI, réduisant de près de moitié par rapport à l'année précédente le nombre d'engins posés le long des itinéraires suivis par les convois.61 Certains UAV ont également des équipements qui leur permettent de repérer les EEI déjà en place en détectant les changements au niveau de l'environnement ou les signaux électromagnétiques. Au cours de l'année écoulée, les Etats-Unis ont fait passer le nombre d'équipes chargées de repérer les EEI posés le long des routes d'environ 10 à 75.62 Ces équipes disposent souvent d'UAV "portatifs" pour les opérations de surveillance sur une courte distance. Ces drones peuvent avoir la taille d'un modèle réduit et on prévoit d'en faire de plus petits. En effet, les Etats-Unis financent de nouveaux programmes de développement d'UAV de petite taille à voilure tournante de détection d'EEI, qui ne seraient pas contrôlés par un opérateur mais fonctionneraient de manière autonome. Selon le modèle, ces UAV pourraient être équipés de capteurs électro-optiques haute définition, détecter les émissions non intentionnelles de rayonnements électromagnétiques, être utilisés pour escorter des convois, voler à l'avant des convois et surveiller la route, ou être équipés de systèmes de

61 Bill Gertz, “Inside the Ring,” The Washington Times, 30 septembre 2010. 62 Whitlock, “IED Casualties in Afghanistan Spike.”

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reconnaissance des textures grâce auxquels leurs caméras pourraient déterminer si le sol a été fraîchement remué et recenser ainsi les zones où des objets ont été enterrés. Des sources militaires ont cependant fait observer le faible taux de réussite de ces vols de détection à l'heure actuelle et ont émis des doutes sur la viabilité de cette approche. Une autre difficulté majeure à cet égard est qu'il faut trouver comment faire pour que ces UAV fonctionnent correctement malgré les fréquences de brouillage émises par les convois pour neutraliser certains types d'EEI. Bien qu'ils ne soient pas vraiment considérés comme des UAV, il convient de mentionner les ballons d'observation, car ceux-ci jouent un rôle semblable aux UAV et parce qu'un nombre croissant est déployé en attendant que de nouveaux UAV soient achetés. Selon Ashton Carter, sous-secrétaire américain à la Défense pour les achats, la technologie et la logistique, et actuellement désigné comme futur secrétaire adjoint à la Défense, la demande en matière de matériel de surveillance par les commandements en Afghanistan est 20 fois supérieure au rythme d'approvisionnement, ce qui engendre un besoin pour ces ballons.63 Leur coût est un autre facteur de popularité. Avec un prix unitaire de 10 millions de dollars environ, matériel et personnel nécessaires compris, ils coûtent à peu près moitié moins cher qu'un UAV équipé pour remplir les mêmes tâches.64 A ce jour, plus de 60 ballons sont en vol stationnaire dans l'espace aérien afghan et les Etats-Unis prévoient de doubler leur nombre en 2011.65 Volant à environ 600 m d'altitude, les ballons peuvent surveiller les activités sur de larges zones, la portée de leurs capteurs étant d'environ 32 km. Bientôt ils pourront également focaliser plusieurs capteurs sur différents villages simultanément.66 A l'instar des UAV, ces "dirigeables" fournissent une bonne idée de la situation, mais ils ont en plus l'avantage d'avoir un effet dissuasif, car visibles aux yeux des rebelles, et de rassurer la population locale qui, normalement, devrait se sentir plus en sûreté avec ce mode de surveillance.

63 Vanden Brook, “Spy Balloons Go Into High Demand in Afghanistan.” 64 Vanden Brook, “Spy Balloons Go Into High Demand in Afghanistan.” 65 Whitlock, “IED Casualties in Afghanistan Spike.” 66 Whitlock, “IED Casualties in Afghanistan Spike.”

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C. Véhicules terrestres sans pilote en Afghanistan

A l'heure actuelle, plus de 2 000 UGV sont opérationnels en Afghanistan.67 A l'origine, pratiquement tous les UGV étaient déployés dans les zones de conflits pour effectuer des tâches de neutralisation d'explosifs et de munitions. Aujourd'hui, cependant, environ un tiers des robots déployés en Afghanistan sont utilisés à d'autres tâches telles que les missions de reconnaissance, de surveillance, de patrouille et autres fonctions classifiées.68 Bien que de nombreux experts soient d'avis que les développements en matière d'UGV ne répondent pas encore aux attentes, il est clair que ceux-ci jouent un rôle important au sein des opérations en Afghanistan. L'utilisation la plus répandue des UGV est la neutralisation d’explosifs et de munitions, ce qui est une tâche relativement simple. La plupart des UGV de ce type ressemblent au célèbre "rover" utilisé pour la mission de la NASA sur Mars en 1998, c'est-à-dire un petit véhicule monté sur chenilles du sommet duquel sort un bras articulé qui peut être adapté selon la tâche à accomplir. Bien souvent, ces modèles peuvent être détruits par explosion, réassemblés et renvoyés sur le terrain où ils continueront à obtenir un taux de réussite impressionnant de 90 %.69 Ceci étant dit, les détracteurs soutiennent qu'avec la chaleur, leurs poids et les facteurs tactiques, l'utilisation d'UGV est, en réalité, considérée peu pratique sur le théâtre. En vérité, comme le fait remarquer un observateur, "ce n'est pas parce que l'on peut faire quelque chose qu'il faut le faire, et la prochaine génération d'UGV devra clairement prouver son utilité aux commandements militaires".70 Ainsi, en Afghanistan, la plupart

67 David Axe, “One in 50 Troops in Afghanistan Is a Robot,” Wired, 7 février 2011, http://www.wired.com/dangerroom/2011/02/1-in-50-troops-robots/. 68 Stew Magnuson, “’Robot Army’ in Afghanistan Surges Past 2,000 Units,” National

Defense, 2 février 2011, http://www.nationaldefensemagazine.org/blog/Lists/Posts/Post.aspx?ID=300. 69 Magnuson, “’Robot Army’ in Afghanistan Surges Past 2,000 Units.” 70 Huw Williams, “War of the Robots: Transforming the Future of Ground Combat,”

Jane’s International Defence Review, vol. 44, août 2011, p. 42.

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des équipes de déminage continuent à désamorcer les engins manuellement. Plusieurs types de véhicules sans pilote sont utilisés pour localiser, identifier et désarmer les EEI, et les débris sont ensuite récupérés comme preuves scientifiques.71 La liste qui suit recense certains des modèles d'UGV utilisés communément pour la neutralisation d'explosifs et de munitions en Afghanistan :

Le MarcBot, un UGV de 11 kg utilisé pour inspecter des véhicules ou des sites par exemple. Son coût de 8 000 dollars en fait aussi une unité peu chère ;

Le Mini-EOD est un petit UGV portatif qui pèse environ 16 kg et peut effectuer des opérations en terrain urbain, accidenté ou étroit, comme des tunnels ou des grottes. Il est très demandé en Afghanistan. On compte environ 300 unités sur le terrain actuellement72 ;

Le Talon, disponible en deux tailles : environ 30 kg ou 55 kg. La version plus lourde notamment est appréciée des troupes en raison de son bras et de son mécanisme de manipulation puissants73;

Le PackBot pèse 30 kg lui aussi. Il peut être équipé d'une variété de kits, notamment de systèmes de détection acoustiques permettant de localiser des tireurs embusqués ;

Le M-160 (MV4B), plus grand, est un robot de la taille d'une voiture monté sur chenilles. Il déblaie les champs de mines en frappant le sol au moyen de fléaux métalliques montés sur un rouleau à l'avant du véhicule.

Une autre catégorie d'UGV utilisés en Afghanistan est ce qu'on appelle les robots largables. Souvent utilisés eux aussi pour des missions de neutralisation d'explosifs et de munitions, ils sont

71 Jeff Jaczkowski, “Equipping Joint Warfighters Through Modernization of

Unmanned Ground Systems (UGS),” Army AL&T, juillet-septembre (2010), p. 18. 72 Jaczkowski, “Equipping Joint Warfighters Through Modernization of Unmanned

Ground Systems (UGS).” 73 Magnuson, “’Robot Army’ in Afghanistan Surges Past 2,000 Units.”

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conçus pour être largués d'une hauteur de plusieurs mètres ou peuvent être lancés à l'horizontale. Ils peuvent alors explorer la zone ciblée et transmettre à l'opérateur les données relevées par leurs capteurs, par exemple sous la forme d'images vidéo, ce qui permet d'ajouter une distance appréciable lors de missions de neutralisation d'explosifs et de munitions, ou de passer facilement inaperçu en cas de mission de reconnaissance. Le Dragon Runner, par exemple, est monté sur quatre roues d’un poids total de 4 kg et est utilisé par les Marines. L'équipe de combat de la 5e Brigade Stryker de l'armée américaine utilise déjà le Dragon Egg, une caméra en forme de balle de baseball qui peut être lancée et se remet automatiquement d'aplomb.74 Les robots largables se miniaturisent également, comme par exemple le Recon Scout qui ne pèse que 500 grammes. En définitive, les UGV utilisés en Afghanistan sont encore technologiquement peu sophistiqués, c'est du moins le cas pour les produits commerciaux standard non secrets. L'armée américaine continue à donner la priorité aux robots terrestres mais on ne voit pas clairement quand des prototypes pour les nouveaux modèles, comme les véhicules tout terrain sans pilote ou les groupes d'UGV semi-autonomes en réseau contrôlés par un seul opérateur, pourraient être déployés sur le terrain en quantité appréciable.

D. Attaques de drones au Pakistan

Sous l'impulsion du président Obama, les Etats-Unis ont largement intensifié les frappes secrètes et controversées effectuées au Pakistan par des drones contre des membres présumés de l'insurrection. Ces frappes ont à nouveau été étudiées avec attention et fait l'objet de nombreuses critiques après le raid contre Oussama ben Laden à Abbottabad. Il convient de noter que l'opération ne s'est pas faite au moyen d'une attaque de drone mais a été menée par des forces spéciales américaines au sol, avec un RQ-170 Sentinel furtif fournissant une surveillance et un flux de données en continu à la Maison Blanche. Depuis sa prise de fonction en 2009, on

74 McLeary et Weinberger, “Free The Bots.”

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croit savoir que le président a ordonné ou approuvé jusqu'à 223 frappes de drones, selon la New America Foundation, un groupe de réflexion américain non politisé qui surveille étroitement la campagne d'UAV au Pakistan, sachant que les Etats-Unis ne confirment ni n'infirment officiellement qu'ils effectuent ces frappes.75 Au moment de la rédaction du présent rapport, 52 frappes ont déjà été effectuées en 2011. Par comparaison, l'administration Bush n’a ordonné qu'une cinquantaine d'attaques en huit ans.76 Avec l'arrivée de Leon E. Panetta, l'ancien directeur de la CIA, au poste de secrétaire à la Défense et du général David Petraeus, qui le remplace au poste de directeur de la CIA, cette tendance devrait se poursuivre ; tous deux sont en effet considérés comme d'ardents partisans des frappes de drones par les américains. Le département de la Défense a déjà demandé une augmentation de 75 % pour le financement des opérations de drones au Pakistan.77 Alors que certains au sein de l'administration Obama considèrent qu'al-Qaida est actuellement dans une situation délicate, Panetta déclarant que les Etats-Unis sont "sur le point d'abattre stratégiquement al-Qaida"78, ces "frappes chirurgicales" sont susceptibles de prendre encore plus d'ampleur dans le cadre de la mission des Etats-Unis visant à abattre al-Qaida. En effet, une attaque menée récemment en Somalie a fait de ce pays le sixième à enregistrer ce type d'attaque, après l'Afghanistan, l'Iraq, la Libye, le Pakistan et le Yémen. Après le raid d'Abbottabad, contre lequel les autorités pakistanaises ont protesté avec véhémence considérant que c’était une enfreinte grave à leur souveraineté, les critiques contre les frappes de drone au Pakistan ont enflé. Au mois de mai, le Parlement pakistanais a condamné officiellement les frappes récurrentes et a exigé leur arrêt. Le Premier ministre

75 New America Foundation, The Year of the Drone: An Analysis of US Drone Strikes in

Pakistan, 2004-2011 (août 2011), http://counterterrorism.newamerica.net/drones. 76 Brinkbäumer et John Goetz, “Taking Out the Terrorists by Remote Control.” 77 Jemima Khan, “The Things You Say Sound Great, Mr President. So Why Do You End

Up Disappointing Us?,” The Independent, 25 juin 2011. 78 Elisabeth Bumiller, “Panetta Says Defeat of Al Qaeda Is ‘Within Reach’,” The New

York Times, 9 juillet 2011.

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Youssouf Raza Gilani a fait de même. Des représentants pakistanais et états-uniens ont indiqué que les frappes de drones américains basés au Pakistan avaient cessé quelques semaines avant le raid mené contre Oussama ben Laden. Toutefois, les frappes en territoire pakistanais probablement effectuées à partir de l'Afghanistan se sont poursuivies. Début juin, par exemple, une frappe de drone aurait tué Ilyas Kashmiri, un agent d'al-Qaida qui était impliqué dans l'attentat terroriste de Bombay en 2008 et était une cible très recherchée à la fois par le Pakistan et par les Etats-Unis. La campagne de drones au Pakistan ainsi qu'en dehors du Pakistan a soulevé un certain nombre de critiques. Ainsi le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Philip Alston, a demandé plus de transparence, l’instauration de garde-fous plus efficaces et l’établissement de règles mieux définies, la publication du nombre de victimes civiles et la preuve que cette démarche n'est utilisée qu'en dernier ressort. Alors que les missions d'UAV en Afghanistan sont effectuées par des forces armées sous mandat des Nations unies, les frappes au Pakistan sont des opérations clandestines dirigées par la CIA et, comme le font observer plusieurs critiques, sans mandat juridique clairement défini pour mener des opérations létales. Notamment, fait exceptionnel, l'amiral (à la retraite) Dennis C. Blair, directeur du Renseignement national jusqu'en 2010, a émis des critiques à l'égard de l'administration Obama, dépeignant les frappes de drones comme un acte qui est contre-productif et agit comme un catalyseur dans le recrutement de terroristes. Bien entendu, la CIA n'évoque pas les opérations secrètes, mais elle a indirectement reconnu ces frappes au moins une fois lorsque Panetta, alors directeur de la CIA a qualifié ces frappes de « la seule façon de faire face et de tenter de perturber les dirigeants d'al-Qaida ».79 Conformément à l’ordre exécutif du président Ford, qui interdit "…à toute personne travaillant pour le gouvernement américain …à

79 Leon E. Panetta, Remarks of Director of Central Intelligence Agency, Leon E.

Panetta, at the Pacific Council on International Policy, 18 mai 2009, https://www.cia.gov/news-information/speeches-testimony/directors-remarks-at-pacific-council.html.

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participer ou à planifier…" un assassinat politique 80. Toutefois, l'argument des administrations Bush et Obama est que l'interdiction ne s'applique pas aux leaders d'al-Qaida ou des talibans, qui sont considérés comme des commandants ennemis. Le conseiller juridique du département d'Etat, Harold Koh, a ainsi mis en avant que "les lois en matière de guerre n'interdisent pas l'utilisation de systèmes technologiquement avancés – comme les aéronefs sans pilote ou ce qu'on appelle les bombes intelligentes – tant que cette utilisation rentre dans le cadre des lois applicables en la matière"81. Pour sa part, le Pakistan n'a pas officiellement autorisé les frappes américaines sur son territoire, mais des responsables de haut niveau des deux pays ont indiqué, sous le sceau de l'anonymat, qu'il existe un accord tacite entre les deux pays.82 De fait, certaines de ces frappes sont dirigées depuis des bases situées en territoire pakistanais.83 Les documents publiés par Wikileaks corroborent également cette interprétation. La situation actuelle concernant l'entente entre les autorités pakistanaises et américaines sur cette question reste floue, compte tenu des protestations actuelles émises par le public, les politiciens et les responsables militaires. Les directives précises des Etats-Unis relatives à l'usage d'une force létale au cours de missions UAV au Pakistan sont bien entendu classifiées. Toutefois, Amitai Etzioni, un expert des questions de sûreté nationale à l'université George Washington, a indiqué sur la base d'entretiens confidentiels, qu'un système de points était utilisé, par lequel on attribuait aux civils dans une zone ciblée un chiffre plus élevé, et un chiffre plus bas pour les combattants ennemis – plus la cible est importante, plus le chiffre est bas.84 Plus le nombre total de points est élevé, moins

80 Président Gerald Ford, Ordre exécutif 11 905, 18 février 1976. 81 Newsweek, “Obama Administration Official Publicly Defends Drones,” Newsweek,

26 mars 2010, http://www.newsweek.com/blogs/declassified/2010/03/26/obama-

administration-official-publicly-defends-drone-attacks.html. 82 Karen DeYoung et Joby Warrick, “Pakistan and US Have Tacit Deal On Airstrikes,”

The Washington Post, 16 novembre 2008. 83 FoxNews.com, “Feinstein’s Blurt Leads to US Confirmation That It Uses Pakistani

Air Base,” FoxNews.com, http://www.foxnews.com/politics/2009/02/19/feinsteins-blurt-leads-

confirmation-uses-pakistani-air-base/. 84 Amitai Etzioni, “The Secret Matrix,” The World Today, vol. 66, no. 7, 2010.

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il y a de chances que la frappe soit approuvé et plus le niveau auquel la prise de décision est prise est élevé. Des sources connaissant les procédures indiquent que l'ambassadeur des Etats-Unis au Pakistan doit autoriser chaque frappe. Il peut formuler des objections auprès du département d'Etat à Washington, qui peut les transmettre à la CIA. L'actuel ambassadeur ainsi que la secrétaire d'Etat Hillary Clinton ont soulevé des objections au moins une fois.85 Au delà d'un certain seuil apparemment ces décisions sont prises au niveau présidentiel. Le nombre de morts provoquées par les attaques de drones au Pakistan est grandement contesté. Sous couvert d’anonymat, des responsables américains ont indiqué que selon la CIA en tout 30 civils, y compris les femmes et les enfants de rebelles, ont été tués depuis que le programme a été intensifié en juillet 2008.86 Les responsables pensent que ce bilan est basé sur les analyses vidéo de chaque attaque et de ses suites ainsi que sur d'autres renseignements. De fait, selon John Brennan, conseiller à la Maison Blanche en matière de lutte contre le terrorisme, au cours de l'année écoulée "il n'y a pas eu une seule victime collatérale grâce aux compétences et à la précision exceptionnelles des capacités que nous avons pu développer".87 Les membres du Congrès, informés de ces opérations clandestines, ont confirmé ce chiffre très faible de victimes civiles. Des analystes indépendants estiment toutefois qu'on en dénombre beaucoup plus. La New America Foundation estime que depuis 2004, les attaques de drones ont fait entre 293 et 471 victimes parmi les non-combattants et qu'elles ont au total tué entre 1 628 et 2 561 personnes.88 Un rapport fréquemment cité, élaboré par un journal pakistanais sur la base des annonces de décès et des rapports de médias locaux, donne un bilan global moins élevé mais une plus grande proportion de victimes

85 AP, “Timing of Drone Strike Questioned,” CBS News World, 2 août 2011. 86 Ken Dilanian, “CIA Drones May Be Avoiding Pakistani Civilians,” Los Angeles Times,

22 février 2011. 87 Ken Dilanian, “U.S. Counter-Terrorism Strategy to Rely On Surgical Strikes,

Unmanned Drones,” Los Angeles Times, 29 juin 2011. 88 Dilanian, “CIA Drones May Be Avoiding Pakistani Civilians” ; et New America

Foundation, The Year of the Drone: An Analysis of US Drone Strikes in Pakistan, 2004-2011.

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civiles, indiquant que 14 terroristes et environ 700 civils avaient été tués.89 Une difficulté importante dans l'estimation du véritable chiffre est la façon dont on fait le comptage. Par exemple, les responsables gouvernementaux américains incluent les chauffeurs et les gardes du corps dans leur décompte comme représentant des cibles légitimes alors que d'autres ne le font pas. S’il fut un temps où les réactions face aux attaques de drones au Pakistan étaient plus difficiles à jauger, elles sont devenues négatives cette année étant donné que les relations entre les Etats-Unis et le Pakistan sont au plus bas. Compte tenu du fait qu'au moins 59 % des Pakistanais perçoivent les Etats-Unis comme la plus grande menace pesant sur leur pays,90 il n'est guère surprenant que lorsque des civils sont tués par erreur l'indignation soit à son comble. Dans ces cas-là, même s'il soutient peut-être en partie la campagne aérienne, le gouvernement pakistanais se doit, de réagir avec force même si c'est à regret (encore que cela ait pu changer compte tenu de la situation actuelle) sous peine de perdre tout soutien et toute crédibilité. Occasionnellement, l'armée pakistanaise a laissé entendre qu'il pourrait y avoir des représailles. Bien que cela n'ait pas été causé par des frappes de drones, le gouvernement a effectivement coupé les lignes d'approvisionnement vers l'OTAN en Afghanistan en 2010 après qu'une intrusion par un hélicoptère venu d'Afghanistan se soit soldée par la mort de plusieurs soldats pakistanais – situation qui pourrait se reproduire si les relations entre les Etats-Unis et le Pakistan devaient empirer. Ceci dit, il est arrivé que des rapports contradictoires émanent du Pakistan sur l'opinion publique à propos de cette question. Une organisation, l'AIRRA (Aryana Institute for Regional research and Advocacy), a effectué une enquête auprès des habitants des FATA, zones dans lesquelles la plupart des attaques ont lieu, et a rapporté que la majorité des habitants sont favorables aux

89 David Kilcullen et Andrew McDonald Exum, “Death From Above, Outrage Down

Below,” The New York Times, 16 mai 2009. 90 Issam Ahmed, “Pakistan Likes Al Qaeda More than America,” The Christian Science

Monitor, 30 juillet 2010.

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frappes car ils sont mécontents du nombre croissant de rebelles talibans armés présents chez eux.91 Toutefois, la validité des résultats est largement mise en doute et, à titre de comparaison, selon un sondage al-Jazeera/Gallup seuls 9 % des Pakistanais sont favorables aux raids d'UAV.92 Un autre sondage effectué directement au sein des FATA a montré que 80 % des résidents n'y sont pas favorables.93 Selon le sondage Pew le plus récent, 97 % des Pakistanais sont contre les frappes d'UAV.94 Les raisons invoquées pour justifier la stratégie américaine de frappes meurtrières ciblant des membres d'al-Qaida et autres rebelles au Pakistan sont que ces frappes contribuent à déstabiliser les réseaux terroristes : les repaires peuvent être perturbés, les alliances menacées, les activités doivent se concentrer sur l'auto-préservation plutôt que sur l'exécution d'attentats, des tensions et des rivalités peuvent se développer à la suite du vide laissé par les chefs tués et les nouveaux leaders peuvent ne pas avoir autant d'expérience ou d'entraînement. En fait, Dennis Blair, ancien directeur du Renseignement national, et désormais critique à l'égard de la politique en matière de drones, a témoigné devant le Congrès que "le remplacement de chefs clés tués, depuis 2008, au sein des FATA, s'était avéré difficile pour al-Qaida. "95 Cet argument semble être corroboré par des documents découverts là où se cachait d'Oussama ben Laden à Abbottabad.96 En effet, les responsables américains ont indiqué que sur les 30 membres senior d'al-Qaida dans la région

91 Sam Black, “Striking the Right Balance: The Utility of Drone Attacks in AfPak,”

Huffington Post, 4 mai 2009, http://www.huffingtonpost.com/sam-black/striking-the-right-balanc_b_196463.html.

92 NPR, “Drone Attacks Up Along Afghan-Pakistan Border, NPR, 28 septembre 2010, http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=130180992.

93 Al Jazeera English, “Pakistan: State of the Nation,” Al Jazeera English, 13 août 2009, http://english.aljazeera.net/focus/2009/08/2009888238994769.html.

94 Issam Ahmed, “How Pakistani Minutemen Are Fighting the Taliban 'False Muslims',” The Christian Science Monitor, 1er août 2011.

95 Peter Bergen et Katherine Tiedemann, “The Drone War,” The New Republic, 3 juin 2009.

96 Greg Miller, “Bin Laden Files Show al-Qaeda Under Pressure,” The Washington Post, 2 juillet 2011.

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afghano-pakistanaise, 20 ont été tués depuis début 2010, la plupart au cours d'attaques de drones.97 Les détracteurs ont avancé que même si les attaques de drones sur les leaders rebelles ont eu quelques effets sur leurs organisations, cela ne suffira jamais car les réseaux rebelles et terroristes sont souples et sont capables de s'adapter. Par exemple, il est vraisemblable que les leaders se sont éloignés des FATA pour se rendre dans des zones fortement urbanisés dans d'autres régions du Pakistan.98 Ceux qui succèdent aux leaders tués sont probablement encore plus radicalisés et essaieront sans doute de faire leurs preuves en montant des attaques encore plus destructrices.99 La perception selon laquelle l'utilisation de drones est une façon peu honorable de combattre pourrait avoir un impact négatif sur les espoirs de voir les tribus locales rester neutres ou éprouver des sentiments amicaux envers les Etats-Unis ou le gouvernement pakistanais. En fait, il semble que les membres des tribus locales soient en train de se rapprocher des talibans et des rebelles étrangers à cause des morts de civils dans leur région.100 Il est largement reconnu que les frappes d'UAV sur des personnes clés ne peuvent être qu'un des instruments de la lutte contre les terroristes et les groupes rebelles. Les attaques de drones ne vont pas interrompre le recrutement mais provoquent plutôt une recrudescence des recrutements ce qui pourrait affaiblir les efforts de réintégration et de réconciliation et déstabiliser encore plus un Pakistan déjà fragile. En Afghanistan, la FIAS a un visage humain et aide sensiblement à la reconstruction du pays. Au Pakistan, en revanche, les forces américaines ne peuvent obtenir les mêmes résultats malgré les aides fournies en très grande quantité au gouvernement pakistanais, dont 800 milliards de dollars mis en suspens ou

97 Mark Landler et Helene Cooper, “Obama Will Speed Military Pullout From Afghan

War,” The New York Times, 22 juin 2011. 98 Bergen et Tiedemann, “The Drone War.” 99 David Wood, “Obama’s Drone War: Does the Killing Pay Off?,” Politics Daily, 2010,

http://www.politicsdaily.com/2010/02/12/obama-s-drone-war-does-the-killing-pay-off/.

100 Bobby Ghosh et Mark Thompson, “The CIA’s Silent War in Pakistan,” Time, 1er juin 2009.

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supprimés suite au mécontentement face aux politiques menées par le Pakistan.101 Les rapports entre les Etats-Unis et le Pakistan sont en effet à la croisée des chemins et à ce point il faut agir avec la plus grande circonspection pour ne pas déséquilibrer les relations stratégiques entre les deux pays, relations qui s’avèrent vitales pour les deux pays. En somme, que l'on soit d'accord avec la nécessité des frappes de drones au Pakistan ou pas, il est clair que la campagne ne peut être qu'un élément de la solution pour lutter contre l'insurrection en Afghanistan.

IV. CONCLUSION

Le présent rapport a abordé deux des aspects technologiques les plus importants de la mission de la FIAS en Afghanistan ; premièrement la menace de niveau technologique faible que représentent les EEI posés par les rebelles dans de grandes parties du pays, menace la plus importante qui pèse sur les troupes internationales et les troupes afghanes ainsi que sur la population civile ; deuxièmement, les systèmes aériens et terrestres sans pilote, qui ont profondément changé la nature du champ de bataille du XXIe siècle. Les deux sujets méritent l'attention constante de l'AP-OTAN et devront faire l'objet de débats approfondis au sein de la Commission des sciences et des technologiques. L'année 2011 marque le début de la transition en Afghanistan. Depuis le mois de juillet, le gouvernement afghan assume seul la sécurité dans les sept premières zones de transition : une grande partie de Kaboul, le Panshir, le Bamiyan, certaines parties de Herat, la ville de Lashkar Gah, Mazar-e Sharif et Mehtarlam. Le déroulement du processus de transition présente des difficultés particulières pour les troupes internationales et afghanes, l'une d'entre elles étant que l'ANSF n'est pas aussi bien entraînée aux opérations de C-IED que les troupes de la FIAS et est donc particulièrement vulnérable face à la menace

101 Ben Arnoldy et Issam Ahmed, “US Cuts Aid to Pakistan: Six Key Questions,” The

Christian Science Monitor, 2011.

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que représentent les EEI. Alors que certains programmes sont déjà en place, l'OTAN et ses partenaires vont donc devoir intensifier la formation de l'ANSF, et en fait de toute la structure gouvernementale dans ce domaine, notamment les forces responsables des opérations dans les zones de transition. A long terme, la menace EEI dans tout le pays doit être ramenée à un niveau que les forces afghanes seront capables de gérer toutes seules. La stratégie C-IED est donc intimement liée à la transition réussie en Afghanistan. Les activités C-IED de l'OTAN et des partenaires de la coalition ont, quant à elles, connu un nouvel élan en 2010. Des progrès importants ont été enregistrés en matière de coordination pour les achats et les entraînements et pour le développement d'une approche C-IED stratégique qui vise les réseaux aussi bien que les engins. Le renforcement des troupes américaines, qui a amené plus de mille techniciens spécialisés dans le domaine C-IED en Afghanistan, commence à faire sentir ses effets sur le terrain.102 Le partage des connaissances opérationnelles et le développement continu des bases de données recensant les types d'EEI et les modes d'attaque sont aussi les bienvenus et doivent être encouragés. Toutefois, on peut faire plus. Un élément essentiel est le financement et le développement d'appareils de détection portatifs plus performants, notamment des UGV de plus petite taille, pour permettre aux troupes à pied de repérer les engins avant qu'ils n'explosent. A court terme, s'ils sont utilisés conjointement à d'autres activités C-IED de la FIAS, cela permettra de réduire le nombre d'attaques EEI réussies à un niveau qui permettra de poursuivre les activités de reconstruction et de développement de la société civile. En réduisant le nombre de victimes, cela allégera la pression politique qui s'exerce pour que l'OTAN et les partenaires quittent le terrain. A moyen et à long terme, il faut que les capacités des pays de l'OTAN en matière de lutte contre les EEI passent d'une capacité à laquelle on recourt pour couvrir des besoins opérationnels actuels urgents à une capacité

102 Reid, “Counter IED Efforts Try to Get ‘Left of the Boom’ in Afghanistan.”

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fondamentale, de manière à conserver les enseignements tirés des opérations en Iraq et en Afghanistan ; en effet les EEI joueront vraisemblablement un rôle dans des environnements opérationnels futurs. Les UAV se sont révélés être des instruments très efficaces pour les opérations de lutte contre l'insurrection en Afghanistan. Ils apportent une "valeur ajoutée" considérable en terme de renseignement, de surveillance, d'acquisition de cible et de reconnaissance tant pour les troupes sur le terrain que du point de vue stratégique. Leur intégration réussie dans les tactiques utilisées par les troupes sur le terrain a révolutionné les choses, et leur efficacité pour éliminer les chefs de l'insurrection et l'infrastructure essentielle à leurs activités est sans précédent. Toutefois, la Commission des sciences et des technologies devrait continuer à suivre les conséquences de cette intégration, car elle pose un certain nombre de questions éthiques et juridiques. Quant à la campagne controversée de drones au Pakistan, il importe que les Etats-Unis respectent scrupuleusement la législation internationale et le droit international humanitaire. Pour autant qu'elles soient justifiées, légitimes et efficaces, il convient de veiller également aux effets que les frappes de drones ont sur la stabilité du Pakistan. Rappelons que les relations entre les Etats-Unis et le Pakistan sont à un point critique. Elles sont essentielles stratégiquement pour les deux parties et des mesures précipitées par l'un ou l'autre pays pourraient avoir des répercussions graves et nuisibles sur la dynamique en matière de sécurité à l'échelle régionale, voire même mondiale. Le Rapporteur souhaite souligner qu'il est d'avis que le maintien de liens étroits entre les Etats membres de l'OTAN et le Pakistan sont d'une extrême importance pour chacun. Les UGV sont utiles dans la lutte contre les EEI mais de manière générale leur développement est à la traîne par rapport aux plateformes UAV. Même en matière d'EEI, la plupart des soldats sur le terrain comptent plus sur leur concentration, leur vue et leurs mains que sur les UGV pour rester en vie. Les défis scientifiques et technologiques à surmonter avant d'obtenir de

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réels progrès sont importants mais la Commission devrait continuer à suivre ces développements avec attention, car les avantages pratiques et les possibilités intéressantes que pourraient apporter ces véhicules à l'avenir, comme par exemple des UGV armés, suscitent des interrogations particulièrement ardues en termes pratiques mais également d'un point de vue éthique et juridique. Le présent rapport n'a pas seulement montré que le phénomène des EEI pose un défi essentiel en Afghanistan et que les systèmes sans pilote répondent aux besoins sur le terrain dans un tel théâtre d’opérations. Ainsi, les questions abordées dans le présent rapport vont bien au delà des opérations en cours dans le pays. Premièrement, l'utilisation des EEI ne va pas cesser à court terme mais est plutôt susceptible de se répandre en tant que tactique bon marché et efficace pour les mouvements de rébellion et les terroristes dans le monde entier. Les pays membres et les pays partenaires doivent donc garder une capacité de réponse au défi des EEI à l'avenir. En outre, les prochaines avancées scientifiques et technologiques permettront de repousser les limites de ce qu'il est possible de faire avec la technologie des systèmes sans pilote. Cela ouvrira de nouvelles possibilités à l'OTAN et aux pays partenaires. L'utilisation de systèmes sans pilote continuera toutefois de soulever des questions juridiques, éthiques et morales qui devront être débattues de manière urgente mais réfléchie et faire l'objet de politiques proactives avant que l'évolution du monde réel ne dépasse les prises de décisions de politiques.

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octobre 2011