tommayo, l’hommedehawaïactuellement la coutellerie industrielle. concernant justement le sebenza,...

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60 Tom Mayo, l’Homme de Hawaï P AR TUAN LUONG Cela fait déjà quelques années que je souhaitais partager mon enthousiasme et mon admiration pour le travail unique d’un coutelier que je perçois comme un artisan à l’ancienne plongé dans l’environnement du pliant high-tech où son art inspire la plupart des talents émergents des nouvelles générations. Lorsqu’en 2005 j’ai acheté mon premier Mayo, ce fut comme une révélation, bien vite transformée en une forte addiction (car ce premier bébé fut suivi de nombreux autres depuis). Ce phénomène touche la plupart de ceux qui font l’expérience d’avoir en main et d’utiliser un Mayo.Ils ne peuvent résolument pas se contenter d’un seul. Tel est le cas par exemple de mon ami Anton Oey,collectionneur sérieusement atteint de mayonite aigüe et qui m’a beaucoup aidé dans la préparation de cet article ; je l’ai connu à l’époque de son tout premier Mayo et au cours de l’année qui a suivi il en avait déjà acquis près de deux douzaines !… Quelles sont les raisons d’un si radical engouement ? Voici ce qu’Anton me confiait en guise d’explication : « J’admire Tom en tant que personne tout comme son travail. Il a les pieds sur terre et c’est un homme franc. Ces traits de caractère se reflètent dans ses œuvres, c’est pour cela que je l’apprécie. À l’époque j’étais assez novice en matière de couteaux custom et j’ai d’abord acheté quelques pièces un peu au hasard. L’une d’entre elles était un pliant de Mayo, avec un manche flammé et une lame en damas. Lorsque je l’eus en main, je fus émerveillé par les ajustements et la finition. L’ouverture et la fermeture étaient d’une fluidité extrême. Dès lors, je me mis en chasse après tous les mayo qu’il m’était possible de trouver. Pour moi leurs designs sont merveilleusement simples, fonctionnels et intemporels. » PORTRAIT Mon premier Mayo, sans les perçages du manche qui sont habituellement sa signature. Pièce particulièrement rare, un petit linerlock talonite. Collection Anton Oey. Tom, photographié par Cindy Chiang. Collaboration avec Jerry Hossom, il n’existe que 2 exemplaires de ce linerlock. Collection Anton Oey. P60-64_Portrait_Mayo:HS5 1/12/09 17:59 Page 60

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Page 1: TomMayo, l’HommedeHawaïactuellement la coutellerie industrielle. Concernant justement le Sebenza, Tom ne manque pas de rappeler que son inspiration pour le TnT lui vient du modèle

60 Tom Mayo,l’Homme de Hawaï

PAR TUAN LUONG

Cela fait déjà quelques années que je souhaitais partager monenthousiasme et mon admiration pour le travail unique d’uncoutelier que je perçois comme un artisan à l’ancienne plongédans l’environnement du pliant high-tech où son art inspire laplupart des talents émergents des nouvelles générations.Lorsqu’en 2005 j’ai acheté mon premier Mayo, ce fut commeune révélation, bien vite transformée en une forte addiction(car ce premier bébé fut suivi de nombreux autres depuis). Cephénomène touche la plupart de ceux qui font l’expérienced’avoir en main et d’utiliser un Mayo. Ils ne peuvent résolumentpas se contenter d’un seul.

Tel est le cas par exemple de mon amiAnton Oey, collectionneursérieusement atteint de mayonite aigüe et qui m’a beaucoupaidé dans la préparation de cet article ; je l’ai connu à l’époque

de son tout premier Mayo et au cours de l’année qui a suivi ilen avait déjà acquis près de deux douzaines !… Quelles sont lesraisons d’un si radical engouement ? Voici ce qu’Anton meconfiait en guise d’explication : « J’admire Tom en tant quepersonne tout comme son travail. Il a les pieds sur terre et c’estun homme franc. Ces traits de caractère se reflètent dans sesœuvres, c’est pour cela que je l’apprécie. À l’époque j’étais asseznovice en matière de couteaux custom et j’ai d’abord achetéquelques pièces un peu au hasard. L’une d’entre elles était unpliant de Mayo, avec un manche flammé et une lame en damas.Lorsque je l’eus en main, je fus émerveillé par les ajustementset la finition. L’ouverture et la fermeture étaient d’une fluiditéextrême. Dès lors, je me mis en chasse après tous les mayoqu’il m’était possible de trouver. Pour moi leurs designs sontmerveilleusement simples, fonctionnels et intemporels. »

PORT

RAIT

Mon premier Mayo, sans les perçagesdu manche qui sont habituellement

sa signature.

Pièce particulièrement rare,un petit linerlock talonite.Collection Anton Oey.

Tom, photographiépar Cindy Chiang.

Collaboration avec Jerry Hossom, il n’existeque 2 exemplaires de ce linerlock.Collection Anton Oey.

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Le père de Tom Mayo était médecin des Armées dans l’U.SNavy. Sa famille déménageait d’un endroit à un autre tous lestrois ans. L’intérêt deTom pour les couteaux lui est venu de songrand-père, qui lui était médecin dans une petite ville duTennessee.C’était un chasseur assidu, et il donna plusieurs couteauxde poche à son petit-fils tout au long de sa jeunesse.Tom se souvientd’un jour où arrivant chez son grand-père chez qui il allaitchaque été et souvent pour Noël, celui-ci lui tendit un couteaufait à la main à partir d’une lime. Ce couteau fut un trésor queTom conserva précieusement durant de longues années avantqu’il ne disparaisse dans un incendie.

Lorsqu’il déménage à San Diego en 1963, Tom commenceà surfer. Pour Tom, qui a beaucoup pratiqué le ski, c’est unerévélation, et d’évidence pour lui le meilleur sport au monde.Cette grandissante passion le conduit à choisir d’aller étudier àSanta Barbara, sur la côte, puis à s’envoler pour Hawaï en 1971

pour aller se frotter aux grandes vagues de la North Shore.Après ça il est définitivement mordu et planifie dès son retourson déménagement à Hawaï. En 1972 il s’y installe et se marie.

«L’endroit le plus intéressant où j’ai jamais vécu est celui où je visaujourd’hui. Le surf ici est comme nulle part ailleurs au monde. J’ai sou-vent ramé en me demandant si j’arriverais réellement à décoller de cesmontagnes d’eau ! Et j’ai surfé quotidiennement durant de longuesd’années.

C’est en arrivant ici que j’ai commencé aussi à collectionner des cou-teaux industriels ; j’aimais particulièrement les couteaux Al Mar. Al Marétait de Maui, et quelques-uns de mes amis l’avaient connu lorsqu’ilsétaient gamins. Il était devenu chef designer chez Gerber avant de fon-der sa propre compagnie. J’aime ses designs.J’ai fait des planches de surf durant mes vingt-cinq premières annéespassées à Hawaï. Pendant un bon bout de temps j’ai eu aussi comme

Small et medium flat « Covert ».Les pliants de la gamme Covert sonttotalement a-magnétiques etnon-oxydables : lames en taloniteou stellite, manche et visserietitane, bille de rétention du frameen céramique.

TnT Tantoavec pinsmosaïque.CollectionAnton Oey

Mon deuxième small wharny :un de mes EDC favoris.

Une autre pièce d’exception : Dr. Death Jr.Timascus (damas de titane)

réalisé en collaboration avec JL Williams,l’un des tout premiers flippers Mayo.

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hobby la fabrication de meubles, et quelque part en chemin j’ai décidéque j’avais envie de faire un couteau ou deux. Les premiers furent réali-sés avec les outils avec lesquels je travaillais le bois mais par la suite jeles revendis et achetai du matériel pour bosser les métaux. Mon premierbackstand était une Wilton Square Wheel à une vitesse : rapide ! »Avec cet équipement je commençai à faire de l’affûtage d’outils pourl’ébénisterie. j’ai fait ça pendant dix ans avant de glisserprogressivement sur l’activité de coutelier à plein temps. »

LorsqueTom commença à faire des couteaux sur Oahu (la pluspeuplée des îles de l’archipel d’Hawaï, sur laquelle se situe sacapitale Honolulu), il n’y avait pas d’autres couteliers dans larégion ; il y avait bien eu un gars qui jadis avait fait des couteaux,mais il avait déménagé sur « la grande île » (l’île d’Hawaii, quicomme Oahu est l’une des huit principales parmi un total decent vingt-deux îles qui composent l’archipel), et des problèmesde santé l’avaient amené à stopper toute production.Tom lisaitalors beaucoup d’ouvrages sur les couteaux. Puis il fit un jourpar téléphone la connaissance de Glenn Hornby, un couteliercalifornien qui à l’époque vendait des matériaux et des fournitures

pour les couteliers. Il prit l’habitude de l’appeler pour lui passerdes commandes mais aussi discuter parfois plus d’une heure autéléphone et lui poser toutes sortes de questions.Glenn finit parl’inviter à passer une semaine chez lui juste avant le CaliforniaCustom Knife Show (l’Anaheim Show) que Dan Delavan, lepatron de Plaza Cutlery, organisait chaque année et qui devintpar la suite le BladeWest Show.Tom se rendit régulièrement à cesalon ainsi qu’à quelques autres en Californie du Sud en compagniede Glenn, jusqu’au décès prématuré de ce dernier il y a 14 ans.Aprèscela,Tom arrêta de participer aux shows pendant presque 6 ans.

Sous l’influence de Glenn,Tom Mayo aura d’abord développéun style qu’il avoue lui-même très directement inspiré de BobLoveless, mais au fil des ans il sera de plus en plus séduit par letype de couteaux traditionnels de la famille Randall, en particulierle clip point et le trailing point. Aujourd’hui Tom sait qu’il atrouvé son propre style, mais il se rappelle toujours combien ila emprunté à ces deux pionniers de la coutellerie.

PORT

RAITMayo TNT : 001, le prototype.Photo courtesy of Michael McLaurin – NCBlades.

Buck Mayo TNT, dans sa configurationoriginale manche tout titane, et sa

plus récente version plaquette fibre decarbone.

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LLEE MMAAYYOO TTNNTT Le TnT est sans aucun doute le couteau qui a fait la réputationde Tom auprès des professionnels et des amateurs de pliants customs les plus exigeants. Il lui a aussi apporté une renommées’étendant à un large public au niveau international, notammentgrâce à la diffusion qu’en a assuré la marque Buck qui a égalementproduit plusieurs autres designs Mayo (les modèles Northshore,Cutback, Hilo, Waimea et Kaala). La célèbre firme propose leTnT dans sa version standard manche tout titane et dans uneédition limitée titane et fibre de carbone. Les lames sont enS30V avec un traitement thermique effectué par Paul Bos.C’est avec le Sebenza l’un des meilleurs framelocks qu’offreactuellement la coutellerie industrielle. Concernant justementle Sebenza, Tom ne manque pas de rappeler que son inspirationpour le TnT lui vient du modèle phare de Chris Reeve, qui estselon lui, avec le SMF de chez Strider, le pliant le plus solide dumarché industriel.

LLAA GGEENNÈÈSSEE DDUU TTOOUUTT PPRREEMMIIEERR TTNNTT De l’avis de Tom, Chris avait fait du framelock un standardincontournable de l’industrie des pliants. Un jour, un de sesclients en Autriche lui demanda de réaliser deux pliants tantod’après un design qu’il a imaginé (le retro TnT – le manche enparticulier - est très similaire à ce design), en utilisant d’épaisseslames en Talonite. Ce fut le premier framelock Mayo. Tom utilisaitdéjà la Talonite depuis quelques temps ; Rob Simonich et luiétaient de proches amis – il faut savoir que Rob, aujourd’huiprématurément disparu, fut le pionnier de la Talonite en coutellerie ;la marque Camillus a d’ailleurs produit plusieurs de ses designsavec des lames de cet alliage.Après avoir vu ce premier framelock, un de ses amis, JohnFisher, lui demande de lui monter une lame en Talonite sur sonSebenza. « Tom est un type vraiment extraordinaire, autant quele sont ses couteaux. Il m’a répondu qu’il pouvait faire mieuxque ça, qu’il avait un peu de titane et qu’il pouvait me faire un

Le TMX. Modèle semi-custom dont Tom faitdécouper les pièces en CNC puis assure à la mainles émoutures, le montage, les ajustages et lesfinitions des lames comme des manches.

L’artiste à l’oeuvredans son atelier.

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pliant « sympa ». Après une réflexion longuement mûrie, il aabouti à ce design. Pour l’ouverture de lame j’ai beaucoup insistépour un avoir un ergot, tandis que Tom me répondait qu’untrou serait plus ergonomique ; il s’est finalement plié à mes volontés,mais je dois avouer a posteriori qu’il avait raison, le trou étaitune bien meilleure option. Le nom de « TnT » qui à l’originesignifie « Talonite and Titanium » est venu progressivement aucours de nos longues conversations. »

Tom était très excité avec ce prototype 001 qu’il avait surnommé« large JF model » en l’honneur de John. « Ce design, commetous mes designs, est simplement l’expression de mon désird’obtenir un couteau pliant bien réalisé, sans fioritures et avecles meilleurs matériaux disponibles. Un couteau qu’on a bienen main et qui assure la tâche qui lui est assignée. J’ai réuni leséléments pour en faire un outil vraiment solide tout en restantsimple et épuré, j’utilise une certaine épaisseur de talonite pourla robustesse, et une bonne épaisseur de titane afin de pouvoirbien arrondir la surface du manche ainsi que les contours et laface intérieure. »

C’est sans doute ce qui fait qu’un Mayo offre en main une sensationparticulière. C’est un indéfinissable sentiment de confort quiallie une douceur presque sensuelle à une solidité sans faille ;l’aspect de la finition de la lame - ce très beau tiré en long à lamain, renforce encore l’élégance classique qui se dégage de cespièces où le métal n’est jamais brutal et froid, mais au contrairesuave et chaleureux. C’est une expérience visuelle et tactile, quivient harmonieusement compléter les qualités irréprochablesd’une mécanique parfaitement ajustée auxquelles s’ajoutentégalement les propriétés spécifiques de la talonite en termes de

performance et de durabilité de coupe (dues la présence de carbures dans cet alliage cobalt-chrome) de non-corrosion, derésistance à la chaleur et à l’abrasion, et paradoxalement uneétonnante facilité de réaffilage.

Pour réaliser les couteaux au degré de finitions qui a fait saréputation, Tom dispose d’un atelier sérieusement organiséautour d’équipements qu’il a réunis petit à petit au fil de ces 27dernières années. Il dispose de trois backstands, une ponceuse àbande, une fraiseuse, deux scies à rubans – une à bois une pourle métal, un vieux tour et quatre perceuses à colonnes qu’il utilisechacune pour une tâche dédiée (taraudage, lamage, perçage destrous, la dernière servira à la réalisation des pivots à roulementà billes). Mais l’homme de l’art n’a pas de CNC (machine àcommande numérique) comme en utilisent désormais de plusen plus les couteliers produisant du pliant high-tech. Ce qui estextraordinaire à ce niveau de qualité d’exécution, c’est que l’essentieldu travail et des ajustages est réalisé à la main. Et si ses couteauxpossèdent la presque perfection de mécaniques réglées aumicron et qu’il en assure une production assez nombreuse (jusqu’à150 couteaux par an), Tom reste avant tout un véritable etauthentique artisan.

Tom Mayo67-412 Alahaka St. - Waialua, HI 96791

[email protected]

NNOOTTEE ::Tom ne prend désormais plus de commandes

mais on peut toujours se procurer ses couteaux auprès de certains revendeurs américains.

SSPPEECCIIAALL TTHHAANNKKSS TTOO :: Anton Oey, John Fischer and Kenneth Chu.

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Quelques pliants en cours de finition.Photo Cindy Chiang.

Petits et grands. Tom propose ses pliants dansune gamme variée d’aciers, de profils et de tailles

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