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La question de l’apport de la marque Bretagne aux stratégies marketing des produits ou des entreprises est plus que jamais d’actualité et doit être regardée par grands univers « produit ». Plusieurs attitudes peuvent être observées. Ici, c’est la distance par rapport à la Bretagne P remier constat: la mention Bretagne est peu présente dans les produits élaborés (plats cuisinés, salaisons..), si l’on excepte la marque « Paysan breton », qui propose des légumes surgelés. Au sein même du groupe Coopagri, ce positionnement Bre t a- gne semble faire exception, puisque pour ses autre s p roductions (toujours dans l’élaboré) les marques distribuées ne se réfèrent pas à la Bretagne (Valtéro, R o n s a rd..). Cette distance à la Bretagne se re t ro u v e chez les autres grands noms de l’agro a l i m e n t a i re b reton qui s’affichent essentiellement sur leur savoir- f a i re ou sur le bénéfice apporté au consommateur : D’Aucy « cultive la vie », Jean Stalaven signe « le savoir- faire du charcutier traiteur »; le groupe Doux re v e n- dique praticité et convivialité au travers de ses produits de snacking ou sa gamme enfant « Mordicus »; Larzul, pour qui « l’important c’est de bien manger, et que ce soit bon » a, quant à lui, remisé au magasin des B r e t a g n e s 5 2 La Bretagne en question [ s ] Le Breizh business vend la Bretagne texte : PASCALE WAKEFORD • ilustrations : JULIEN COURTIAL QU’Y A-T-IL DE COMMUN ENTRE UNE ENTREPRISE DE DÉMÉNAGEMENT, UNE MARQUE DE BEURRE, UNE ASSOCIATION DE PRODUCTEURS DE PORCS ET UN FORFAIT DE TÉLÉPHONIE MOBILE? PEU DE CHOSES, SAUF LEUR RÉFÉRENCE COMMUNE À L’IDENTITÉ RÉGIONALE. PAYSAN BRETON, LE COCHON DE BRETAGNE, LES DÉMÉNAGEURS BRETONS, PRINCE DE BRETAGNE, BREIZH COLA, BREIZH MOBILE… AUTANT DE MARQUES QUI FLEURISSENT DANS LES LINÉAIRES DES GRANDES SURFACES OU S’AFFICHENT DANS LES CAMPAGNES PUBLICITAIRES.

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TMO Régions - Le Breizh Business vend la Bretagne

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Page 1: TMO Régions - Le Breizh Business vend la Bretagne

La question de l’apport de la marque Bretagne auxstratégies marketing des produits ou des entre p r i s e sest plus que jamais d’actualité et doit être regardée pargrands univers « produit ». Plusieurs attitudes peuventêtre observées.

Ici, c’est la distancepar rapport à la Bretagne

P remier constat : la mention Bretagne est peuprésente dans les produits élaborés (plats cuisinés,salaisons..), si l’on excepte la marque « P a y s a nb re t o n », qui propose des légumes surgelés. Au seinmême du groupe Coopagri, ce positionnement Bre t a-gne semble faire exception, puisque pour ses autre sp roductions (toujours dans l’élaboré) les marq u e sdistribuées ne se réfèrent pas à la Bretagne (Va l t é ro ,R o n s a rd..). Cette distance à la Bretagne se re t ro u v echez les autres grands noms de l’agro a l i m e n t a i reb reton qui s’affichent essentiellement sur leur savoir-f a i re ou sur le bénéfice apporté au consommateur :D’Aucy « cultive la vie », Jean Stalaven signe « le savoir-f a i re du charcutier traiteur » ; le groupe Doux re v e n-dique praticité et convivialité au travers de ses pro d u i t sde snacking ou sa gamme enfant « M o rd i c u s » ; Larzul,pour qui « l’important c’est de bien manger, et que cesoit bon » a, quant à lui, remisé au magasin des

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La Bretagne en question[s]

Le Breizh businessvend la Bretagnetexte : PASCALE WAKEFORD • ilustrations : JULIEN COURTIAL

QU’Y A-T-IL DE COMMUN ENTRE UNE ENTREPRISE DE

DÉMÉNAGEMENT, UNE MARQUE DE BEURRE, UNE ASSOCIATION DE

PRODUCTEURS DE PORCS ET UN FORFAIT DE TÉLÉPHONIE MOBILE?

PEU DE CHOSES, SAUF LEUR RÉFÉRENCE COMMUNE À L’IDENTITÉ

RÉGIONALE. PAYSAN BRETON, LE COCHON DE BRETAGNE, LES

DÉMÉNAGEURS BRETONS, PRINCE

DE BRETAGNE, BREIZH COLA,

BREIZH MOBILE… AUTANT DE

MARQUES QUI FLEURISSENT

DANS LES LINÉAIRES DES

GRANDES SURFACES OU

S’AFFICHENT DANS LES

CAMPAGNES

PUBLICITAIRES.

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a c c e s s o i res la célèbre bigoudène illustrant ses packs. Iln’y aurait guère que Tipiak qui, depuis 1993, commu-nique par l’intermédiaire de ses ambassadrices bigou-dènes, mais dans une totale ambiguïté puisque le« p i r a t e » leur a justement volé leur savoir- f a i re eta ffirme bien clairement que « tout est dans lare c e t t e »: couscous, noix de Saint-Jacques, taboulé etbrandade de morue confondus. À l’évidence, sur lem a rché des produits élaborés, la Bretagne ne fait pasrecette. Sans doute parce qu’elle n’est pas associée àun patrimoine gastronomique fort et parce que lesplats traditionnels bretons sont souvent en décalagepar rapport aux exigences culinaires contemporaines.

Là, c’est l’utilisationde l’imaginaire

Deuxième constat, la mention « Bretagne » estbeaucoup plus présente sur les produits non transfor-

més, c’est-à-dire les produits non transformés (légu-mes frais, viande fraîche) ou dans des activités dont lavaleur ajoutée n’est pas forcément très identifiée. L’ex-plication voudrait que, pour des produits qui ne fontpas fondamentalement rêver, la marque Bre t a g n eapporte un imaginaire qui leur fait défaut. Dans ceti m a g i n a i re, la caractérologie bretonne est trèsprésente : qui n’a pas entendu parler du breton têtu,mais aussi dur à la tâche, fiable et digne de parole? LesDéménageurs bretons ne s’y sont pas trompés enadoptant pour signature « la confiance a un nom » ,transformant ainsi l’image de gros bras (souvent asso-ciée aux déménageurs) en une image de collabora-teurs solides et sérieux, bien au-delà des fro n t i è re srégionales. En appui, ou en complément de cettec a r a c t é rologie, c’est aussi et surtout toute l’imagetraditionnelle de la Bretagne qui est véhiculée. De l’au-thenticité des paysages à celle des produits, de la fidé-lité aux traditions à la permanence d’un savoir-faire, iln’y a qu’une nuance sur laquelle professionnels dumarketing et publicitaires n’hésitent pas à jouer – surfond de tempêtes et de côtes sauvages.

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La réinventiond’une Bretagne

Si cette pre m i è re approche sur les référents tradi-tionnels de la Bretagne est assez évidente, la stratégiemarketing des marques et des entreprises apparaîtplus aboutie qu’il n’y paraît, et surtout, beaucoup plusambivalente. L’utilisation de la signature Bretagne surdes productions non transformés a en effet pour inci-dence de démarquer ces produits, non seulement deceux des autres régions, mais aussi de leurs concur-rents bretons. On pourrait ainsi cro i re que Prince deB retagne ou Le Cochon de Bretagne contribuent àp romouvoir l’ensemble de la filière régionale. Celareste à prouver. La mention « de Bretagne », souventassimilée par les consommateurs à une AOC (lorsquel’on se trouve hors Bretagne) ou à un label (lorsquel’on est breton), tendrait en réalité à segmenter l’offrerégionale, non sans perversité.

Pour bien compre n d re le phénomène, il convientde rappeler que l’image associée par le grand publicaux productions agricoles bretonnes reste marq u é epar la production intensive. Lisiers, pollution par lesnitrates et algues vertes ont marqué les esprits, quelsqu’aient été les efforts réalisés pour les résoudre .Face à ces perceptions, des marques comme Princede Bretagne ou Le Cochon de Bretagne prennent lec o n t re-pied en communiquant justement sur leurd i ff é rence avec les modes de productions dominantsen Bretagne (ou identifiés comme tels).

Basées sur le principe de groupements de pro f e s-sionnels, partageant un projet qualitatif commun ets’engageant sur des chartes de productions pro p re s ,elles se veulent diff é rentes, plus vertueuses, plussoucieuses de l’environnement et de la qualité deleurs produits. En d’autres termes, loin de fonction-ner comme étendard de leur filière respective, cesm a rques s’en désolidarisent au contraire, en « s ’ a u-t o l a b e l l i s a n t ». Alors marques bretonnes certes,mais pas de n’importe quelle Bretagne. Les straté-gies développées réinventent en réalité une autreB retagne, une Bretagne sélective, où tout le monden’a pas sa place. Tout le paradoxe réside donc en ceque la référence à la Bretagne, dans le cadre de cesm a rques commerciales, fonctionne sur l’aff i r m a t i o nd’une diff é rence par rapport au produit de l’autre ,c ’ e s t - à - d i re celui qui n’appartient pas au cercle dug ro u p e m e n t .

L’usure de l’identitaire?Les crêpes et galettes, les palets au beurre salé, le

cidre et le chouchen sont des produits que l’on pour-rait dire ethniques tant ils sont associés à la Bretagnetraditionnelle et, maintenant, au marché touristiquede la tradition. Surfant sur le dynamisme culturel de laBretagne et son marché touristique, les produits signésBretagne se multiplient au point que la grande distri-bution leur dédie des « corners » (au même titre quepour les produits italiens ou asiatiques), où l’on trouvede nombreuses références de biscuits, de confiture s ,de conserves ou de boissons.

Ces dern i è res ont une place privilégiée en Bretagne oùl’on compte un nombre élevé de brasseries pro p o s a n tprès de 80 bières diff é rentes avec des off res identitaire s( b i è re aux algues, au sarrasin, à l’eau de mer) et desnoms très codés : Lancelot, Cervoise, Duchesse Anne,Blanche Hermine, To n n e r re de Brest, Bonnets rouges. LaC o re ff, la plus ancienne (lancée en 1985) se déclaremême « p roduit identitaire bre t o n » tout en se récla-mant d’un savoir- f a i re transmis par l’anglais PeterAustin. Dans plusieurs cas, la captation du pays de Gallesou de l’Irlande légitime de nouvelles signatures régiona-les, notamment dans le cas de la bière ou du whisky.

On voit aussi apparaître des produits plus décalés,v o i re surprenants, comme le pastis Kenavo. Bre i z hCola s’avance comme un autre exemple mais dans uneversion militante, puisque les promoteurs associentleur marque à un manifeste politique développé surleur site Intern e t : « Depuis plusieurs années, la prisede conscience s'est faite de l'importance de la diversitédes cultures. Ne parle-t-on pas, par exemple, de l'im-portance de sauver les langues régionales? Et dans ledomaine de l'environnement, nul ne conteste aujour-d'hui l'absolue nécessité de maintenir la diversité (labiodiversité) des espèces animales et végétales, seulesolution pour envisager un développement durable…le cola est devenu un standard mondial et (…) plaîtaux jeunes. En Bretagne, depuis quelques mois, ceux-ci peuvent en même temps boire un cola et créer del'emploi près de chez eux. »

Mais cette inflation de produits identitaires seheurte, ou risque de se heurter, aux limites desmarchés de niches et des marchés régionaux et touris-tiques. La référence à la Bretagne n’est pas une garan-tie de succès car les réalités de marché renvoient à uneconcurrence dure où les enjeux s’appellent notoriété,qualité des produits, avantages consommateur, prix,

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présence distributeur. Au final, l’univers de la consom-mation est un univers ludique où les références identi-t a i res peuvent s’user comme des clins d’œil tro pappuyés ou hors de propos.

Le renouveau : vers uneéthique de production

L’apport de la Bretagne au marketing nécessite derenouveler le sens de la référence identitaire afin de luiassocier des valeurs où producteurs, consommateurset citoyens peuvent se re n c o n t re r. C’est l’enjeucompris notamment par les entreprises qui font existerl’association « Produit en Bretagne ».

Longtemps perçu comme un label, le célèbre logojouait sur la fibre affective suscitée par certains pro d u i t sa l i m e n t a i res typiques : crêpes, galettes mais aussi pâtéH é n a ff ou kouign amann. Le risque était toutefois denourrir une ambiguïté (« P roduit en Bre t a g n e » ou« P roduit de Bre t a g n e »?), délicate à maintenir comptetenu du caractère trans-sectoriel de l’association( c u l t u re, transports, banques, automobile …). Cons-

ciente de cette limite, l’association a développé une prisede parole plus institutionnelle (au travers de sest rophées, de son soutien à l’innovation, de ses engage-ments éthiques et environnementaux), la re p o s i t i o n n a n tsur une logique de clubs d’entre p reneurs, fiers d’êtreb retons et engagés dans le développement économiquede leur région. En passant d’une communication néo-touristique essentiellement portée par les produits à unecommunication sur l’association, ses valeurs et sesactions, Produit en Bretagne a ainsi évité le risque de lalabellisation qui l’aurait involontairement entraîné dansle schéma des marques commerciales évoqué précé-demment. Finalement, plus qu’elle ne promeut la Bre t a-gne, l’association vend un projet d’entreprises où tousles Bretons peuvent se re t rouver (le respect de l'emploiet des salariés, l'existence pour chaque société d'uned é m a rche qualité avérée, le souci de l’enviro n n e m e n tdans les actions).

C’est justement ce passage de la promotion dep roduits typiques à une éthique de production, inté-grant produits non transformés, produits élaborés etservices qui paraît être l’enjeu associé à l’utilisation dela marque Bretagne, et cela afin de promouvoir l’éco-nomie bretonne en lui associant des valeurs à hauteurdes défis politiques d’aujourd’hui. ■

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