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ECOLE NATIONALE VETERINAIRE DE LYON Année 2009 - Thèse n° …… LA POSITION DE L’HOMME ET DE L’ANIMAL DANS LA FINALITE CHEZ ARISTOTE THESE Présentée à l’UNIVERSITE CLAUDE-BERNARD - LYON I (Médecine - Pharmacie) et soutenue publiquement le 17 décembre 2009 pour obtenir le grade de Docteur Vétérinaire par Agnès LAVIROTTE Née le 19 Août 1955 à Villefranche sur Saône

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Page 1: THESE - VetAgro Sup UR UMR 1233 INRA/ENVL/ISARA Mycotoxines et toxicologie comparée des xénobiotiques BERNY Philippe PR2 UP Biologie fonctionnelle - Dpt Industrie UR UMR 1233 INRA/ENVL/ISARA

ECOLE NATIONALE VETERINAIRE DE LYON

Année 2009 - Thèse n° ……

LA POSITION DE L’HOMME ET DE L’ANIMAL

DANS LA FINALITE CHEZ ARISTOTE

THESE

Présentée à l’UNIVERSITE CLAUDE-BERNARD - LYON I

(Médecine - Pharmacie)

et soutenue publiquement le 17 décembre 2009

pour obtenir le grade de Docteur Vétérinaire

par

Agnès LAVIROTTE

Née le 19 Août 1955

à Villefranche sur Saône

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ENVL DEPARTEMENT ET CORPS ENSEIGNANT DE L'ENVLDirecteur : Stéphane MARTINOT

Mise à jour : 24/11/2009

Nom Prénom GradeALOGNINOUWA Théodore PR1 UP Pathologie du bétail - Dpt Production animale

ALVES-DE-OLIVEIRA Laurent MC Classe NormaleUP GEGAZS (Gestion des élevages : génétique, alimentation, zootechniqe et santé) - Dpt Production animale

ARCANGIOLI Marie-Anne MC Classe NormaleUP Pathologie du bétail - Dpt Production animaleUR UMR ENVL AFSSA Mycoplasmose des Ruminants

ARTOIS Marc PR1UP Santé Publique Vétérinaire - Dpt Production animaleUR UMR 5525 CNRS EJF EPHE INP ENVL TIMC-IMAG

AVISON Timothy PCEA UP GEGAZS (Gestion des élevages : génétique, alimentation, zootechniqe et santé)

BECKER ClaireMC Classe Normale Stagiaire

UP Pathologie du bétailUR UMR ENVL AFSSA Mycoplasmose des Ruminants

BELLI Patrick MC Contractuel UP Pathologie Morphologique et Clinique - Dpt Analyses de Laboratoire

BELLUCO SaraMC Classe Normale Stagiaire

UP Pathologie Morphologique et Clinique

BENAMOU-SMITH Agnès MC Classe NormaleUP Equine - Dpt EquineUR UMR 1233 INRA/ENVL/ISARA Mycotoxines et toxicologie comparée des xénobiotiques

BENOIT Etienne PR1UP Biologie fonctionnelle - Dpt IndustrieUR UMR 1233 INRA/ENVL/ISARA Mycotoxines et toxicologie comparée des xénobiotiques

BERNY Philippe PR2UP Biologie fonctionnelle - Dpt IndustrieUR UMR 1233 INRA/ENVL/ISARA Mycotoxines et toxicologie comparée des xénobiotiques

BERTHELET Marie-Anne MC Classe Normale UP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie,Soins intensifs)

BONNET-GARIN Jeanne-Marie PR2

UP Biologie fonctionnelle - Dpt CarnivoresUR UMR UCBL ENVL ERI 22 (INSERM) Agression Vasculaire Réponse tissulairePT Logistique Bureau de la Pédagogie et de la Vie EtudianteDirection Adjoint au directeur - Chargée de la Vie étudiante

BOULOCHER CarolineMC Classe Normale Stagiaire

UP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs)Dpt Carnivores - UR UMR UCBL ENVL Réparation tissulaire, interaction biologique et biomatériaux

BOURDOISEAU Gilles PR1UP Santé Publique Vétérinaire - Dpt CarnivoresUR Thématique LeishmanioseDirection Adjoint au Directeur

BOURGOIN Gilles MC Classe Normale PT Laboratoires d'analyses Parasitologie

BRUYERE Pierre MC Contractuel UP Reproduction

BUBLOT Isabelle MC Contractuel UP Médecine des Carnivores - Dpt Carnivores

BUFF Samuel MC Classe Normale

UP Reproduction - Dpt CarnivoresUR UPSP ENVL ISARA Cryoconservation des ressources génétiques par la voie femellePT CERRECPT Formation continue

BURONFOSSE Thierry MC Hors ClasseUP Biologie fonctionnelle - Dpt Analyses de LaboratoireUR UMR 271 INSERM Hépatites virales

CADORE Jean-Luc PR1UP Médecine des Carnivores - Dpt EquineUR UMR 754 INRA - UCBL - ENVL - EPHE Rétrovirus Pathologie comparéeDirection Adjoint au directeur - Chargé de missions

CALLAIT-CARDINAL Marie-Pierre MC Classe NormaleUP Santé Publique Vétérinaire - Dpt IndustrieUR UMR 958 Protozoaires entéricoles des volailles

CAROZZO Claude MC Classe NormaleUP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs) - Dpt CarnivoresUR UMR UCBL ENVL Réparation tissulaire, interaction biologique et biomatériaux

CHABANNE Luc PR2UP Médecine des CarnivoresDpt CarnivoresUR UPSP 5203 Pathologie Comparée des cellules dendritiques et présentatrices d'antigènes

CHALVET-MONFRAY Karine MC Classe NormaleUP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs)Dpt IndustrieUR UMR 5525 CNRS EJF EPHE INP ENVL TIMC-IMAG

COMMUN Loic MC ContractuelUP GEGAZS (Gestion des élevages : génétique, alimentation, zootechniqe et santé)Dpt Analyses de Laboratoire

DELIGNETTE-MULLER Marie-Laure PR2UP Biologie fonctionnelle - Dpt IndustrieUR UMR CNRS 5558

DEMONT Pierre PR2 UP Santé Publique Vétérinaire - Dpt Industrie

DESJARDINS PESSON Isabelle MC Contractuel UP Equine

EGRON-MORAND Germaine MC Classe NormaleUP GEGAZS (Gestion des élevages : génétique, alimentation, zootechniqe et santé)Dpt Production animale

ESCRIOU Catherine MC Classe NormaleUP Médecine des CarnivoresDpt CarnivoresUR UMR UCBL ENVL Réparation tissulaire, interaction biologique et biomatériaux

FAU Didier PR2UP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs)Dpt Carnivores - UR UMR UCBL ENVL Réparation tissulaire, interaction biologique et biomatériaux

FLEURY Catherine PR2 UP Equine - Dpt Equine

FOURNEL Corinne PR1UP Pathologie Morphologique et Clinique - Dpt CarnivoresUR UPSP 5203 Pathologie Comparée des cellules dendritiques et présentatrices d'antigènes

FRANCK Michel PR1UP GEGAZS (Gestion des élevages : génétique, alimentation, zootechniqe et santé) - Dpt Production animale -

FRIKHA Mohamed-Ridha MC Classe Normale UP Pathologie du bétail - Dpt Production animale

GANGL Monika MC Contractuel UP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs) - Dpt EquineGARNIER François PR1 UP Biologie fonctionnelle - Dpt Carnivores

GENEVOIS Jean-Pierre PRX UP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs) - Dpt Carnivores

GILOT-FROMONT Emmanuelle PR2 UP Biologie Fonctionnelle

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ENVL DEPARTEMENT ET CORPS ENSEIGNANT DE L'ENVLDirecteur : Stéphane MARTINOT

Mise à jour : 24/11/2009

Nom Prénom Grade

GONTHIER Alain MC Classe NormaleUP Santé Publique Vétérinaire - Dpt IndustrieUR UMR 958 Protozoaires entéricoles des volailles

GRAIN Françoise PR2

UP GEGAZS (Gestion des élevages : génétique, alimentation, zootechniqe et santé)Dpt Analyses de LaboratoirePT Logistique Bureau de la Pédagogie et de la Vie EtudianteDirection Adjoint au directeur - Chargée de la Pédagogie

GRANCHER Denis MC Hors Classe

UP GEGAZS (Gestion des élevages : génétique, alimentation, zootechniqe et santé) - Dpt Production animaleUR UMR 1233 INRA/ENVL/ISARA Mycotoxines et toxicologie comparée des xénobiotiquesDirection Adjoint au directeur - Chargé des relations intérieures

GREZEL Delphine MC Classe Normale UP Santé Publique Vétérinaire - Dpt Industrie

GUERIN Pierre PR2UP Reproduction - Dpt Production animaleUR UPSP ENVL ISARA Cryoconservation des ressources génétiques par la voie femelle

GUERIN-FAUBLEE Véronique MC Classe NormaleUP Santé Publique Vétérinaire - Dpt Analyses de LaboratoireUR UMR CNRS 5558

HUGONNARD Marine MC Classe NormaleUP Médecine des Carnivores - Dpt CarnivoresUR UMR 5557 UCBL CNRS ENVL INRA Ecologie Microbienne

JAUSSAUD Philippe PR1UP Biologie fonctionnelle - Dpt IndustriePT Laboratoires d'analyses Laboratoire LEPS

JUNOT Stéphane MC Classe NormaleUP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs)Dpt CarnivoresUR UMR UCBL ENVL ERI 22 (INSERM) Agression Vasculaire Réponse tissulaire

KECK Gérard PR1UP Biologie fonctionnelleDpt IndustrieUR UMR 1233 INRA/ENVL/ISARA Mycotoxines et toxicologie comparée des xénobiotiques

KODJO Angeli PR2UP Santé Publique VétérinaireDpt IndustrieUR UMR 5557 UCBL CNRS ENVL INRA Ecologie Microbienne

LACHERETZ Antoine PR1UP Santé Publique VétérinaireDpt Industrie

LAMBERT Véronique MC Classe NormaleUP GEGAZS (Gestion des élevages : génétique, alimentation, zootechniqe et santé)Dpt Analyses de Laboratoire

LE-GRAND Dominique MC Hors Classe UP Pathologie du bétail - Dpt Production animale

LEBLOND Agnes PR2UP Santé Publique VétérinaireDpt Equine UMR INRA EPIA - UR 346

LEFRANC-POHL Anne-Cécile MC Classe NormaleUP Reproduction - Dpt EquineUR UPSP ENVL ISARA Cryoconservation des ressources génétiques par la voie femelle

LEPAGE Olivier PR1 UP Equine - Dpt EquineLOUKIADIS Estelle ISPV UR UPSP 5201 Microbiologie alimentaire et prévisionnelle

LOUZIER Vanessa MC Classe Normale UP Biologie Fonctionnelle

MARCHAL Thierry MC Hors ClasseUP Pathologie Morphologique et Clinique - Dpt CarnivoresUR UPSP 5203 Pathologie Comparée des cellules dendritiques et présentatrices d'anti

MARTIN Gillian PCEA PT Logistique LANGUESMIALET Sylvie ISPV UP Santé Publique Vétérinaire - Dpt Industrie

MOUNIER Luc MC Classe NormaleUP GEGAZS (Gestion des élevages : génétique, alimentation, zootechniqe et santé) - Dpt Production animaleUR UMR INRA URH

PIN Didier MC Classe Normale UP Pathologie Morphologique et Clinique - Dpt Carnivores

PONCE Frédérique MC Classe NormaleUP Médecine des Carnivores + Dpt CarnivoresUR UPSP 5203 Pathologie Comparée des cellules dendritiques et présentatrices d'antigènes

PORTIER Karine MC Classe Normale UP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs) - Dpt Equine

POUZOT Céline MC Contractuel PT CHEV CHEVAC - SIAMU

PROUILLAC Caroline MC Classe Normale PT CHEV UMR 1233 Mycotoxines et toxicologie comparée des xénobiotiques

REMY Denise PR2 UP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs) - Dpt Carnivores

RICHARD Yves PRX

UP Santé Publique Vétérinaire - Dpt IndustrieUR UMR 5557 UCBL CNRS ENVL INRA Ecologie MicrobiennePT Logistique Bureau de la RechercheDirection Directeur scientifique

ROGER Thierry PR1

UP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs) - Dpt IndustrieUR UMR UCBL ENVL Réparation tissulaire, interaction biologique et biomatériauxPT ICLBPT Formation continue

SABATIER Philippe PR2UP Biologie fonctionnelle - Dpt Production animaleUR UMR 5525 CNRS EJF EPHE INP ENVL TIMC-IMAG

SAWAYA Serge MC Classe NormaleUP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs)Dpt EquineUR UMR UCBL ENVL Réparation tissulaire, interaction biologique et biomatériaux

SERGENTET Delphine MC Classe Normale UP Santé Publique Vétérinaire - Dpt IndustrieUR UPSP 5201 Microbiologie alimentaire et prévisionnelle

THIEBAULT Jean-Jacques MC Hors Classe UP Biologie fonctionnelle - Dpt Carnivores

VIALARD Jacquemine MC Hors ClasseUP GEGAZS (Gestion des élevages : génétique, alimentation, zootechniqe et santé) - Dpt Analyses de Laboratoire -

VIGUIER Eric PR1UP ACSAI (Anatomie, Chirurgie, Anesthésiologie, Imagerie, Soins intensifs) - Dpt CarnivoresUR UMR UCBL ENVL Réparation tissulaire, interaction biologique et biomatériaux

VIRIEUX-WATRELOT Dorothée MC Contractuel UP Pathologie Morphologique et Clinique - Dpt Analyses de LaboratoireZENNER Lionel PR2 UP Santé Publique Vétérinaire - Dpt Production animale

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REMERCIEMENTS

Aux membres de notre jury, et particulièrement à Monsieur le Professeur Claude GHARIB, qui nous

font l’honneur de prendre le temps de nous écouter.

A Erwan, Loïc et Armelle, mes trois enfants, pour ce qu’ils sont et ce qu’ils deviendront.

A mes chers parents.

A Henri, mon grand frère.

A mes très chers frères et sœurs et toute leur famille pour leur présence chaude et constante.

A Jérôme, Brigitte, Joséphine et Théo, pour … tout et la façon dont ils l’ont donné.

A tout mes amis du Berry et d’ailleurs, qu’ils ne changent rien.

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Sommaire

Introduction

ARISTOTE : VIE ET OEUVRE

I) SA VIE

II) SON ŒUVRE

a. Œuvre exotérique et œuvre ésotérique

b. Chronologie et authenticité

c. Classification

LE MIRACLE GREC : DU MYTHE A LA PENSEE RATIONNELLE

ARISTOTE ET SES PREDECESSEURS

I) LES SOPHISTES

II) SOCRATE

III) PLATON

a. L’école

b. La théorie platonicienne des idées

c. Une genèse idéale

d. La théorie de la connaissance

LE PRINCIPE DE NON CONTRADICTION

I) « Ce qu’il faut nécessairement connaître[…] »

II) RESPECT DE LA COHERENCE INTELLECTUELLE

III) LE SOPHISME DU VOILE

LES TROIS DISTINCTIONS CARDINALES

I) SUBSTANCE ET ATTRIBUT

II)ACTE ET PUISSANCE

a. La puissance

b. L’acte

c. L’acte est antérieur à la puissance

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III) FORME ET MATIERE

LA NATURE, LE MOUVEMENT ET LES ETRES VIVANTS

I) LES ETRES NATURELS

a. Corps simple, homéomère et anhoméomère

b. La nature (physis)

II) LA THEORIE DES TROIS PRINCIPES

III) LES DIFFERENTES ESPECES DE DEVENIR

a. Métabola : génésis et kinésis

b. Le mouvement en tant que tel

c. Le moteur

d. Les notions de lieu, vide, temps et d’infini

IV) LES ETRES VIVANTS

a. L’âme végétative

b. L’âme végétative et sensitive

c. L’âme végétative, sensitive et intellective

d. La fonction motrice de l’âme : le mouvement autonome

LA FINALITE

I) LA THEORIE DES QUATRE CAUSES

a. La cause matérielle

b. La cause formelle

c. La cause finale

d. La cause motrice

e. Quelques exemples

II) HASARD ET SPONTANEITE

a. Le hasard

b. La spontanéité

III) L’HOMME N’EST PAS LA FIN DE LA NATURE

a. Genèse du singulier

b. La conservation de soi (soteria)

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IV) COMMENT L’HOMME PEUT-IL ETRE CONSIDERE COMME LA FIN DE LA NATURE

a. Le nom d’animal

b. Unité dans le monde animal

c. Anthropomorphisme, anthropocentrisme et logocentrisme

V) POSITION DE L’HOMME ET DE L’ANIMAL DANS LE COSMOS

a. Logocentrisme

b. Position de l’animal

CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE 84

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LA POSITION DE L’HOMME ET DE L’ANIMAL DANS LA FINALITE CHEZ

ARISTOTE

« Aristote a pénétré la nature entière et tous les aspects de l’univers réel, dont il a assujetti au

concept la richesse et la diversité ; la plupart des sciences philosophiques lui sont redevables de

leur différenciation et de leur début.»

Hegel, Leçons sur l’histoire de la philosophie, trad. Garniron, t.3 p.499

Dans la pratique courante, le vétérinaire praticien doit être à l’écoute des discours tenus par les

propriétaires des animaux qu’il aura à soigner. Il est souvent confronté à des phrases telles que :

« Mon chien mange comme nous » ou bien « je l’aime comme mon enfant ».

Nous avons pensé qu’interroger l’anthropomorphisme contenu dans ces propos pourrait nous aider

à trouver une réponse adaptée et recevable. Notre désir est de faire entendre que les animaux de

compagnie doivent être aimés pour ce qu’ils sont, et quels qu’ils soient, ce ne sont certainement

pas des enfants. Même s’ils sont considérés importants dans notre vie et que nous les aimons, une

égalité de considération n’équivaut pas à une égalité de traitement.

S’occuper d’un animal nécessite de le connaître pour appliquer les règles qui lui conviendront le

mieux. Cela implique également de se positionner par rapport à lui.

Pour définir l’anthropomorphisme qui semble sous-jacent à la relation homme-animal et pour nous

aider à nous situer par rapport à lui et par rapport à l’animal, nous avons convoqué Aristote et sa

philosophie, bien que celle-ci date du quatrième siècle avant Jésus- Christ.

Aristote est l’un des fondateurs de la pensée occidentale. L’ampleur et la multiplicité de ses centres

d’intérêts sont remarquables. L’importance de ses écrits zoologiques et biologiques nous a conduits

à une étude plus approfondie.

Il a développé un ensemble de thèmes qui embrasse tous les types de savoir et toutes les activités

humaines de son temps. De la logique à la science des mœurs, il a inventé, nommé et systématisé

toutes les sciences.

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Dans chaque domaine, il montre un grand souci du détail avec une recherche d’exhaustivité.

L’observation est le point de départ de sa réflexion. Avec cette phrase relevée dans le livre Z de sa

Métaphysique : « Et en vérité, l’objet de toutes les recherches, présentes et passées, la question

toujours posée : qu’est-ce-que l’Etre ? » [8, Z, 1, 1028b 3-4], nous avons trouvé un fil conducteur.

Il nous est apparu qu’Aristote aborde tous les sujets en métaphysicien. La métaphysique est la

science de l’Etre en tant que tel. Il ne faut pas se poser la question du « pourquoi » la chose est ce

qu’elle est, mais bien celle du « comment ». Notre premier travail a donc été de définir l’intuition

philosophique globale de son œuvre, fortement marquée par son souci de noter les différences qui

individualisent et identifient chaque être.

D’autre part, Aristote se montre toujours soucieux de se rattacher à une tradition. Il passe en revue

les différents systèmes de pensée de ses prédécesseurs pour continuer leur œuvre et étayer sa

propre philosophie. Pour réaliser cette entreprise, il utilise la méthode diaporématique qui consiste

à poser les impasses ou apories, c’est-à-dire « la mise en présence de deux opinions, contraires et

également raisonnées, en réponse à une même question » [26, p. 233]. Après avoir développé les

apories, il nous offre sa façon de les résoudre. Il a donc été nécessaire de replacer sa philosophie

dans les courants de pensée en vigueur dans la Grèce Antique. Ceci nous est apparu d’autant plus

nécessaire que beaucoup de temps s’est écoulé, les façons de penser, les mœurs et les sciences ont

bien-sûr notablement évolués.

Sa théorie de la causalité est encore célèbre aujourd’hui. L’existence d’une cause finale peut être

dérangeante. Elle génère beaucoup de questions, notamment : peut-on considérer que l’homme

est la fin de la nature ?

C’est par le biais de l’étude de la finalité que nous nous efforcerons de définir les positions

respectives de l’homme et de l’animal.

Nous pensons que sa conception philosophique de l’animal par rapport à celle de l’homme peut

nous éclairer sur les positions qu’ils occupent actuellement et être une aide à notre propre

positionnement.

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ARISTOTE : VIE ET ŒUVRE

I) SA VIE

Aristote est né en 384 avant notre ère, à Stagire, ville proche du mont Athos. À cette époque,

Stagire est la colonie d’une ville grecque et restera longtemps sous son contrôle avant d’être

intégrée en 346 au royaume macédonien. Son père, Nicomaque est médecin au service du roi à la

cour de Macédoine. Il meurt alors que son fils est encore jeune.

À dix-sept ans, Aristote se rend à Athènes la métropole culturelle. Délaissant l’école d’orateurs

politiques d’Isocrate, le stagirite rejoint l’Académie de Platon fondée vingt ans plus tôt. Il est

disciple avant de collaborer à l’enseignement qui y est dispensé. Il y a tout lieu de penser que ce

long séjour à Athènes dans l’entourage de Platon constitue l’étape initiale de son développement

intellectuel. Platon le surnomme « le liseur ».

347 avant Jésus-Christ est l’année de la mort de Platon et de la destruction de Stagire par Philippe

II roi de Macédoine. Aristote quitte Athènes sans doute à la fois déçu de ne pas succéder au Maître

à la tête de l’école et inquiet des sentiments antimacédoniens qui se développent dans la Cité.

Répondant probablement à l’invitation d’Hermias, ancien condisciple de l’Académie devenu tyran

en Troade, Aristote se rend à Assos où sont installés de nombreux cercles platoniciens. Pendant

trois ans, le stagirite affirme de plus en plus fortement son indépendance à l’égard du platonisme. Il

entreprend de nombreuses recherches biologiques donnant libre cours à son intérêt pour les

sciences de la nature.

Le philosophe est probablement contraint de quitter Assos quand Hermias est mis à mort. Il

s’installe alors à Mytilène puis dans l’île de Lesbos et poursuit ses nombreuses enquêtes

scientifiques.

En 343, Philippe II confie à Aristote l’éducation de son fils Alexandre âgé de quatorze ans.

L’enseignement porte essentiellement sur la littérature (Homère), base de l’éducation

traditionnelle grecque. Il semble que le Professeur n’ait eu qu’une influence négligeable sur son

élève. En effet, Aristote a toujours été certain de la nature particulière du Grec comme homme

destiné à vivre libre dans une Cité-État indépendante, véritable institution politique. Il paraît très

improbable qu’il ait pu concevoir la moindre sympathie pour les conquêtes et le cosmopolitisme

d’Alexandre le Grand. Au cours de ces années à la cour macédonienne, Aristote se marie pour la

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seconde fois (sa première femme est morte) ; il a un fils Nicomaque, dédicataire de l’Ethique

éponyme, et une fille.

Alexandre devient roi en 336 à la mort de son père. Son précepteur quitte la Macédoine pour

rejoindre la cité attique. Il faut noter qu’Aristote n’a jamais eu le statut de citoyen athénien. Il a

toujours été un « métèque » c’est-à-dire un citoyen résidant sans possibilité de jouer un rôle

politique ni d’acheter une propriété foncière. Vers 335, il fonde sa propre école, sur un terrain

proche du temple d’Apollon Lycien acheté par un ami. Le philosophe restera à sa tête pendant plus

de douze ans. Dès l’Antiquité, cette école est appelée l’école péripatéticienne parce qu’Aristote

donne une partie de son enseignement en se promenant. Le Lycée est organisé comme un véritable

institut de recherches. C’est en fait la première véritable université. Aristote s’entoure de

collaborateurs spécialisés. Théophraste (son principal disciple et futur successeur) s’occupe des

études de botaniques et du recueil des opinions touchant la physique, Eudème de Rhodes

entreprend l’histoire des mathématiques.

À la mort d’Alexandre le Grand, la révolte gronde en Grèce. Pour Aristote, sa qualité de métèque

et son amitié avec Antipatros nouveau régent de Macédoine le rendent suspect de

« macédonisme ». Une accusation d’impiété aurait été portée contre lui sous des motifs futiles. Le

philosophe préfère partir à Chalcis dans une propriété qu’il tient de sa mère. Il aurait dit vouloir par

son exil, éviter à Athènes un nouveau crime contre la philosophie, le premier ayant été la

condamnation à mort de Socrate. C’est là qu’il finira ses jours à la fin de l’année 322 avant Jésus-

Christ à l’âge de soixante-deux ans, non sans avoir appris l’affrontement d’Athènes et d’Antipatros

puis l’écrasement de la Cité. Son impuissance à comprendre le déclin de l’hellénisme classique

explique peut-être sa fin relativement solitaire loin de ces milieux de recherche et d’enseignement

qui ont constitué le cadre de sa vie depuis son adolescence.

II) SON ŒUVRE

a. Œuvre exotérique et œuvre ésotérique

La production fut considérable et très diversifiée. Le catalogue le plus complet dont nous

disposons est la « table des matières » qu’Andronicos, le premier éditeur d’Aristote aurait établi au

premier siècle av. J.-C. pour accompagner son édition.

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Y figurent les titres dont nous disposons ainsi que beaucoup d’autres. Ceci nous donne une idée

de l’étendue de l’œuvre complète du philosophe, seulement un cinquième est parvenu jusqu’à

nous. Ce sont essentiellement des traités.

L’œuvre complète se composait de deux parties distinctes :

L’œuvre exotérique : Aucun de ses textes n’est parvenu jusqu’à nous. Le qualificatif exotérique signifiait pour l’auteur

« qui appartient au domaine commun » ou « qui circule ». C’étaient certainement des textes non

techniques et accessibles qui ont été largement diffusés du vivant de l’auteur. Nous ne la

connaissons que sous formes de « fragments » et de citations extraites d’œuvres moins anciennes.

Cicéron au premier siècle av. J.-C. les lisaient, Jamblique les retranscrit au IIIe siècle apr. J.-C. Les

auteurs anciens ont vanté la beauté du style. Cicéron compare l’éloquence d’Aristote à un fleuve

d’or.

L’œuvre ésotérique : La totalité des textes que nous connaissons en font partie. Aucun ne fut publié du vivant d’Aristote.

Mais ces traités ont circulé à l’intérieur du Lycée. Ce sont eux qu’Andronicos a édités. Ils se

caractérisent par une grande sècheresse d’expression et l’emploi constant de l’Analytique. Il s’agit

d’aide-mémoire et de notes rédigés par Aristote en vue de discussions ou d’un enseignement. La

lecture et la compréhension de ces traités sont ardues. Ils ont donné lieu à des lectures fluctuantes

et ont été source de nombreuses polémiques, et ce dès l’Antiquité.

b. Chronologie et authenticité.

Elles sont encore sujettes à débats. Certains textes ont même été déclarés apocryphes (Histoire

des animaux, livres VIII et IX). Ce vaste ensemble n’est pas exempt de contradictions et de

divergences internes tant sur le fond que sur la forme. Certains ont tenté de les étaler dans un

développement chronologique de l’œuvre. Les œuvres d’Aristote ont été recopiées, classées de

nombreuses fois avant de parvenir jusqu’à nous. Il est donc difficile d’évaluer le cheminement de la

pensée du philosophe. De ces débats, nous ne retiendrons que la conclusion de François Châtelet

*24, p.89+. L’œuvre d’Aristote comporte une réelle dimension de recherche ce qui implique un

dynamisme. Son unité tient aussi bien à la façon dont Aristote surmonte ou tente de surmonter ses

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propres tensions qu’à la « mise en forme du Sage qui sait le tout sans tout savoir » [8, A, 2, 982a 7-

9].

L’œuvre d’Aristote, bien qu’incomplète, nous livre la pensée entière du philosophe sur de

nombreux sujets.

c. Classification

Les traités dont nous disposons se rapportent à la totalité des sciences connues dans l’Antiquité.

Ils reflètent les distinctions que l’auteur lui-même établit dans les sciences.

1- Les sciences poïétiques étudie l’ensemble des savoirs productifs, c’est-à-dire de la fabrication

(poïesis) d’objets artificiels, non naturels. La fin de telles actions productives est dans l’objet

fabriqué et non pas dans le fabricant. La rhétorique et la poétique (au sens propre d’art de la

composition) en font partie.

2- Les sciences pratiques traitent de l’action. En langage aristotélicien, l’action se distingue de la

production en ayant sa fin en elle-même. Cette fin est le Bien. Ce sont l’Ethique et les Politiques

qui définissent les moyens dont l’homme dispose pour intervenir sur le cours des choses.

3- Les sciences théorétiques ont pour objet la connaissance en tant que telle sans lien avec l’action.

Il en existe trois genres différents : les Mathématiques, la Physique et l’ontologie dont la forme

suprême est la théologie. Ces deux derniers sont regroupés dans la Métaphysique.

On isole habituellement cinq grands ensembles à l’intérieur du corpus conservé :

L’ensemble des œuvres de logique est regroupé sous le titre d’Organon (littéralement : outil, instrument). Cet ensemble comprend les Topiques (sur les modes de discussion), De l’Interprétation (sur les jugements), les Premières Analytiques (sur le syllogisme), les Seconds Analytiques (sur la démonstration), et les Réfutations sophistiques. Les Catégories ont aussi été rangées dans l’Organon malgré leur position ambiguë entre langage et ontologie. À cet ensemble, il faut également ajouter la Rhétorique et la Poétique.

De nombreux écrits d’Aristote sont consacrés à la physique. Comprise au sens grec, la physique est l’étude de la nature, c’est-à-dire l’étude de l’origine, du développement et du statut de toutes les réalités sensibles. Ce sont les huit livres de la Physique, La Génération et la Corruption, Du ciel et les Météorologiques (l’étude des corps célestes).

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La collection d’œuvres biologiques d’Aristote est considérable. Cet ensemble constitue le tiers du corpus conservé. Il comprend en particulier Histoire des animaux (histoire a ici le sens d’enquête), Les parties des animaux, Le mouvement des animaux, La génération des animaux ainsi que des opuscules comme notamment De la sensation et des sensibles, De la mémoire et de la réminiscence, De la respiration, De la jeunesse et de la vieillesse regroupés sous le titre de Petits traités d’histoire naturelle. Est à rajouter dans cette catégorie le traité De l’âme qui nous livre l’essentiel de la psychologie d’Aristote.

La Métaphysique est ainsi nommée parce qu’elle rassemble les livres qui viennent après la Physique dans le catalogue d’Andronicos. Ces textes viennent « après » dans l’ordre de la pédagogie et « au-delà » en dignité. Cette science étudie l’être en tant que tel et constitue pour cela la philosophie première [8, E, 1, 1026a 27-33). Dans les Catégories, Aristote définit les différentes acceptions du terme « être », dans les livres de la Physique, il étudie les êtres naturels appartenant au monde sublunaire qui est notre monde sensible, la Métaphysique définit l’être en tant que tel comme la substance et distingue la substance divine qu’il estime première.

Le cinquième ensemble est composé des œuvres ayant trait à la philosophie pratique ou au domaine de l’action humaine comme l’Ethique à Eudème, l’Ethique à Nicomaque et les Politiques.

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LE MIRACLE GREC : DU MYTHE A LA PENSEE RATIONNELLE

Au début, il y a le mythe, la religion, la poésie. Dans la Grèce archaïque des siècles dits

« homériques », les récits s’organisent autour de personnages divins. Les cosmogonies sont de

types mythiques et décrivent l’histoire des créations du monde, de l’homme et du peuple comme

une lutte entre des entités divines personnifiées. Les personnages humains sont laissés en état de

quasi-dépendance.

Puis les genres culturels changent de forme et de style. De fondamentalement religieuse, la

tragédie devient cérémonie civique, la comédie critique politique. En histoire géographie, les

descriptions légendaires et les généalogies mythiques font place aux paysages et aux mœurs

précisément décrits au cours d’enquêtes (historia). La médecine fait appel à la recherche des causes

plutôt qu’à la divination. La physique passe des spéculations magiques à l’étude des phénomènes.

La rhétorique devient le moyen dont tout homme dispose au moins en droit pour faire valoir ses

opinions et ses intérêts. C’est dans la cité la conquête politique d’un statut de l’ordre de la

citoyenneté dans lequel le destin de chacun est défini par rapport à un principe abstrait, la loi, et

non plus par sa proximité avec les dieux, son appartenance à une famille ou son allégeance à un

chef. Chaque citoyen est en droit, sinon en fait, dans la capacité de participer au gouvernement

démocratique de la cité. Peu à peu la conception de l’homme et du monde se sécularise, l’univers

des dieux s’efface devant les actions des hommes.

La pensée, au cours du IVe siècle avant notre ère, passe de la régence du mythe à la puissance de

la logique philosophique. Des hommes ont contribué à la naissance de cet ordre rationnel en

élaborant un discours universel ayant comme double fin d’instituer un savoir et de définir une

sagesse. Le miracle grec n’est pas la naissance de la raison qui elle va de paire avec l’humanité.

C’est l’émergence de ce discours philosophique qui érige la rationalité en moyen, norme et critère

de vérité. Comme le répète Heidegger : la philosophie parle grecque.

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ARISROTE ET SES PREDECESSEURS

Dans toute son œuvre, Aristote se montre soucieux de se rattacher à une tradition et de continuer

l’œuvre de ses prédécesseurs pour établir sa propre doctrine. Aussi, avant de l’étudier, il nous

semble nécessaire de le situer dans son contexte historique. Aristote a lui-même effectué une

prodigieuse mise en forme des systèmes de pensée existants [8, A, 4, 5, 6, 7].

Nous avons parlé d’un passage du mythe à la pensée rationnelle. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une

progression linéaire tranquille, il est classiquement reconnu que le changement débute avec

Socrate.

Le problème essentiel alors est celui de l’éthique. C’est la recherche du Bien pour l’homme. Le

Bien est identifié au bonheur. Les sophistes « beaux parleurs », Socrate le « Sage », Platon le

« Maître », et Aristote le « Professeur » empruntent des chemins différents.

I) LES SOPHISTES

Dans Athènes du V et IVe siècle av. J.-C., les institutions démocratiques consacrent les pouvoirs de

l’orateur. Pour accéder au pouvoir et jouer un rôle dans la Cité, deux types de compétences sont

nécessaires. Il faut à la fois, posséder une grande culture générale pour impressionner et séduire

l’auditoire, et posséder l’art du discours oratoire pour argumenter et persuader. Diogène Laerce

écrit sur Protagoras, sophiste notoire, qu’il est « le premier qui déclare que sur toute chose, on

pouvait faire deux discours exactement contraires et il usa de cette méthode ».

Sur tout sujet, deux thèses contraires peuvent être légitimement soutenues, la seule chose qui

importe, c’est d’emporter la conviction de l’auditoire grâce à une parfaite technique oratoire. Une

telle technique s’acquiert par le travail. Les sophistes sont aussi des professeurs de rhétorique

capable d’enseigner les techniques permettant de soutenir victorieusement une thèse quelle

qu’elle soit. La jeunesse grecque lorsqu’elle est riche (car le sophiste est cher) se presse aux leçons

des maîtres.

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Ainsi la contradiction indéfinie n’est pas de fait mais de droit. La première conséquence est la

substitution d’une problématique du pouvoir à celle de la vérité. Il faut, non pas être le plus

véridique mais le plus habile, le plus brillant.

Aristote écrit à propos de Protagoras « Ce philosophe prétendait en effet que l’homme est la

mesure de toute choses, ce qui revient à dire que ce qui paraît à chacun est la réalité même » [9, K,

6, 1062b 14-15+. Pour Aristote, la vérité est dans l’objet, il faut aller de l’objet, de l’être au discours.

Le mot devient ainsi comme un geste verbal qui désigne la chose. Nous aborderons à nouveau ce

thème dans notre étude du fameux principe de non-contradiction.

II) SOCRATE

Socrate a instauré la pratique du dialogue à des fins maïeutiques. Tout d’abord, il n’y a pas de

discussion possible sans détermination préalable de l’objet de la controverse. Puis le dialogue ne

doit être ni justification ni réfutation mais « enfantement intellectuel ». Dialoguer, c’est mettre à

jour une solution et la meilleure solution est assurée par l’établissement de la définition d’une

notion. Il ne s’agit pas de persuader mais de convaincre.

L’idéal socratique est d’ordre moral. Le choix philosophique fondamental est l’amour du Bien,

c’est une tendance innée chez l’homme.

Nous tirons l’opinion d’Aristote de sa Métaphysique :

« Socrate, dont les leçons portaient exclusivement sur les choses morales et nullement sur la nature

entière, avait pourtant, dans ce domaine, cherché l’universel et fixé, le premier, la pensée sur les

définitions. »[8, A, 6, 987b 1-3].

Pour Aristote, l’éthique reste un problème essentiel. Mais il unit la science et le bonheur. « Tout

les hommes ont, par nature, le désir de connaître » ouvre le premier livre de la Métaphysique. Il

s’intéressera à tous les types de science. La science vise bien l’universel qui s’énonce par la

définition. Aristote schématisera les procédés d’accès à la définition en donnant une définition de la

définition *18+, qui impose de s’attacher à la recherche des différences pour atteindre la plus

profonde en métaphysique.

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III) PLATON

La fin du IVe siècle avant notre ère voit la défaite d’Athènes, la mort (l’assassinat) de Socrate et la

reprise des guerres. Pour Platon, la démocratie athénienne reste, comme pour les sophistes le point

de référence. Mais elle est un problème pour lui. L’œuvre du philosophe est une méditation sur cet

échec et sur cette nouvelle culture que sont la conquête de connaissances, la recherche de plaisir et

la volonté de puissance. Le choix initial de Platon est d’ordre politique : changer la vie politique par

l’éducation des hommes influents dans la Cité pour qu’à la lumière de la philosophie, ils puissent

reconnaître où est la justice dans la vie publique comme dans la vie privée. Le maître écrit dans la

République qu’il faudrait forcer les philosophes à être roi pour remplacer les « portes gourdins ». Le

discours est un moyen de pacifier l’existence, la sienne et celle des autres.

Du platonisme nous n’aborderons que les points qui constituent pour Aristote des apories, des

impasses sur la voie de la connaissance.

a. L’école

Platon fonde à Athènes, en 387 av. J.-C., son école : l’Académie. C’est un lieu où l’éducation

philosophique est donnée gratuitement à qui le désire. Elle implique, comme pour les écoles qui

existeront par la suite, de vivre au sein de la communauté qui est en fait un cercle d’amis. À défaut

de gouverner Athènes, chacun s’y gouverne selon les normes d’une cité idéale. La formation

dialectique y est fondamentale. Il faut acquérir une parfaite maîtrise de la parole et du

raisonnement. Une stricte discipline du discours est nécessaire pour parler vrai et être capable

d’agir. Pour Platon, le bonheur est dans la pratique de la vertu (comme excellence) dans la Cité ; on

le trouve dans la vie politique active.

Le Lycée, fondé par Aristote est, comme l’Académie une institution durable, d’accès libre qui

suppose une certaine vie commune et une égalité du statut des membres. Mais là s’arrête la

ressemblance. Le Lycée est avant tout un lieu d’enseignement de toutes les sciences et un lieu de

recherches scientifiques. La Cité doit fournir le « vivre », mais aussi le « bien vivre » car le bonheur

se trouve dans la vie selon l’esprit. Seule cette vie donne des plaisirs stables et durables qui ne sont

pas soumis aux intermittences de l’action et ne produisent pas de lassitude. Elle ne peut se vivre

que dans le loisir et le détachement des conditions matérielles. Un tel mode de vie théorétique

correspond à l’acquisition de connaissances avec comme but le savoir pour lui-même. Cette vie

théorétique correspond à une éthique du détachement et de l’objectivité *6, X].

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b. La théorie platonicienne des Idées

Le platonisme se maintiendra comme une philosophie bien que le Maître se soit également

intéressé aux sciences de la nature, renouant en cela avec les présocratiques. Platon et Aristote

unissent les notions de sagesse et de science en définissant la science comme la connaissance vraie,

certaine et rationnelle dont la parfaite stabilité doit s’opposer aux fluctuations de l’expérience

immédiate et des opinions. La science vise l’universel. La principale question est : en quoi consiste

la réalité des choses ?

Le problème est le mouvement et les changements qui affectent toutes ces choses dans notre

monde sensible.

Aristote expose la théorie de Platon avant de souligner l’impasse dans laquelle elle conduit.

« Dès sa jeunesse, Platon, étant d’abord devenu ami de Cratyle et familier avec les opinons

d’Héraclite, selon lesquelles toutes les choses sensibles sont en flux perpétuel et ne peuvent être

objet de science, demeura par la suite fidèle à cette doctrine.» [8, 6, 987a 31-35].

Platon a bien suivi l’enseignement de Socrate en recherchant l’universel, mais il n’a pas pu le

trouver dans le monde sensible, celui que nous percevons directement.

« Platon suivit son enseignement [de Socrate], mais il fut amené à penser que cet universel devait

exister dans des réalités d’un autre ordre que les êtres sensibles ; il ne peut exister, en effet,

croyait-il, une définition commune des objets individuels, de ceux du moins qui sont en perpétuel

changement. À de telles réalités, il donna alors le nom d’Idées, les choses sensibles étant distinctes

d’elles et toutes dénommées d’après elles ; c’est, en effet, par participation qu’existe la pluralité

sensible, univoque à l’égard des Idées. » [8, A, 6, 987b 4-9].

Pour Platon, les réalités sensibles sont dotées d’une pseudo-réalité et sont simplement matière à

opinion. Les Idées recouvrent à elles seules tout ce qui est réel.

Pour Aristote, la science vise bien l’universel, mais elle doit le chercher dans ce monde-ci et non

dans la fiction d’un second monde distinct de notre monde sensible.

« Quant à dire que les Idées sont les paradigmes et que les autres choses en participent, c’est

prononcer des mots vides et faire des métaphores poétiques. Où travaille-t-on en fixant les yeux sur

les Idées ? » [8, A, 9, 981a 20-23].

La théorie des Idées ne permet pas de penser les conditions de la réalité. Ces conditions doivent

rendre intelligible (connaissable) l’individualité de toute existence particulière et expliquer le

changement.

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Nous verrons plus loin comment le stagirite sortira de l’aporie crée par cette théorie du Maître en

établissant sa propre théorie de l’hylémorphisme. Nous pouvons noter dès à présent que maître et

disciple utilisent le même mot grec eidos. Il signifie Idée pour l’un et Forme pour l’autre. Eidos vient

du verbe voir.

« Le commencement de toutes les sciences, avons-nous dit, c’est l’étonnement de ce que les

choses sont ce qu’elles sont. » [8, A, 2, 983a 13].

c. Une genèse idéale

Pour Platon, le monde, avec toute la diversité que l’on observe dans le sensible, ne renferme pas

en lui-même son propre sens. Pour le comprendre, il faut en dériver la constitution d’un principe

supérieur transcendant. La genèse est une procession à partir d’une unique source absolue

supérieure, imposant à une indétermination radicale des déterminations hiérarchisées de

précisions décroissantes. Il doit faire appel à un démiurge pour expliquer les mouvements ordonnés

du cosmos.

Pour Aristote, l’ordre du monde est une donnée première en soi, nécessaire en son immuabilité et

évidente. La question des origines est de trop, « chercher pourquoi une chose est elle-même, c’est

ne rien chercher du tout » *8, Z, 17, 1041a 14+. Il n’est jamais question de cosmogonie mais de

cosmologie. Avec Aristote, l’éthique, de théonome devient autonome même s’il convient de tenter

de se rapprocher des dieux. Le monde se suffit. Il referme en lui-même son propre sens, et bien

plus, c’est chaque partie, chaque niveau du monde qui est une donnée première, sans raison d’être

extérieure, impossible à faire dériver de quoi que ce soit.

Le monde et en particulier le monde animal, possède une unité profonde due à une continuité

hiérarchique sous-jacente à la diversité apparente des phénomènes. Il n’y a aucun rapport de

genèse entre les niveaux, mais transcendance des niveaux supérieurs sur les niveaux inférieurs.

Cette indépendance de chaque niveau sauve tous les niveaux. Aristote nous le prouve en

s’intéressant avec une grande liberté aux réalités les plus humbles. En citant Héraclite « Il y a des

dieux aussi dans la cuisine » [13, 5, 645a 18-20], il veut nous dire que le monde des vivants est

digne d’étude au même titre que celui des êtres éternels. Si l’on veut comprendre quelque chose à

la nature, il faut accepter de rentrer dans la cuisine et y mener une enquête serrée sur tous les

êtres qui la peuplent.

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d. La théorie de la connaissance

Elle énonce les rapports entre le sujet qui connaît et l’objet à connaître. La sensation recouvre une

forme d’opinion très éloignée de la science. Ce sont les Idées qui recouvrent à elles seules tout ce

qui est susceptible de connaissance. Une partie de la réalité, les êtres sensibles et concrets, n’est

pas intelligible, il est donc impossible de la connaître. La connaissance, selon Platon, peut être

définie comme le souvenir d’un état antérieur où l’âme possédait en vue directe des Idées. Ce

souvenir, qui n’a aucun fondement dans la réalité sensible est créé par la réminiscence. C’est elle

qui rend les Idées connaissables. Le Maître refuse l’existence d’une connaissance empirique

indépendante.

Aristote refuse de recourir à un tel innéisme. Pour lui, la réminiscence consiste à rapporter

rapidement les uns aux autres des souvenirs qui peuvent être plus ou moins éloignés. C’est un

mouvement de recherche, à la fois mental et corporel, d’une image antérieurement constituée à

partir d’êtres individualisés et concrets. Le point de départ est toujours la chose, l’être, que l’on

aille vers la vérité, la connaissance et la science ou vers le discours. « Ce n’est pas parce que nous

pensons d’une manière vraie que tu es blanc, que tu es blanc, mais c’est parce que tu es blanc,

qu’en disant que tu l’es, nous disons la vérité. » *9, Θ, 10, 1051b 7-8].

C’est une novation importante dans la méthode philosophique obligée désormais de passer par

l’observation des phénomènes et l’analyse du langage dans lequel nous l’exprimons.

La théorie des Idées ne permet pas de penser les conditions de la connaissance. La connaissance

débute par la sensation dans la pensée aristotélicienne : « Il est clair que, si un sens vient à faire

défaut, nécessairement une science disparaît, qu’il est impossible d’acquérir. » [18-I, 18, 81a 38]. La

science débute par la connaissance des objets perceptibles par les sens. Ce point de vue qui est

celui d’Aristote, le conduit à distinguer fermement la sensation de la pensée.

Le mythe de la caverne repris par les deux philosophes nous éclaire sur leurs théories de la

connaissance. Platon incite l’homme à sortir de la caverne où il vit en esclave misérable avec une

vision gouvernée par le monde sensible. La sortie pour adopter une vision gouvernée par un monde

intelligible est pénible. La sensation n’est pas source de connaissance, il n’y a pas de science

possible dans la « caverne ». La sortie de la caverne fait passer l’homme de l’illusion à la vérité.

La caverne d’Aristote est une luxueuse demeure, rien ne pousse les habitants à tenter de s’en

évader sauf le désir d’élargir leur expérience. Les hommes ne sortent que parce que le sol s’ouvre

devant eux. Le bonheur allant de paire avec la connaissance et le savoir, il est donc accessible dans

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notre monde sensible que figure la caverne d’Aristote. Les objets de sensation (les sensibles) sont

source de science malgré leur mobilité. La position récurrente dans toute la philosophie d’Aristote

est qu’au fond du changement il y a de la stabilité, au fond du singulier de l’universel. Nous verrons

plus loin comment Aristote « immobilisera » les sensibles pour arriver à ce résultat, c’est-à-dire

pour affirmer qu’ils sont intelligibles.

En conclusion de ce chapitre, nous pouvons mettre l’accent sur des traits fondamentaux de la

philosophie d’Aristote, étant entendu que la nature et le monde animal en particulier sont

connaissables et dignes d’intérêt.

L’universel, entendu comme la définition ou la notion, n’est pas séparé de l’individu, c’est-à-dire de l’objet concret tel que la sensation nous le laisse voir. La science vise l’universel et l’existant et doit les chercher dans le monde sensible. La connaissance démarre par la sensation, c’est ce qu’Aristote appelle l’induction. Elle repose sur une contiguïté du visible et de l’invisible. Il faut rechercher l’universel dans le singulier, l’unité dans la diversité. On prouve l’universel par le fait que le particulier existe, étant admis que le particulier, objet de la sensation, est en puissance l’universel, objet de la science.

L’ordre du monde est une donnée première, évidente et nécessaire en son immobilité. Il n’y a pas de place pour l’évolution dans le monde selon Aristote. Cet ordre est hiérarchisé en niveaux autonomes. Cette hiérarchie des niveaux implique, en l’absence de toute idée de genèse, une multiplicité de degrés transcendants les uns par rapport aux autres dans l’unité du monde. Le problème est de rechercher un équilibre entre l’unité du monde et de la notion, et la diversité des phénomènes observables. La philosophie d’Aristote est d’emblée pluraliste, son unité est recherchée.

L’association de processus empiriques et de la recherche d’intelligibilité est un des traits les plus marquants de la personnalité d’Aristote. La sensation a trait aux qualités singulières des individus concrets et bien qu’Aristote précise *18, I, 31, 87b 28+ qu’il n’est « pas possible d’acquérir par la sensation une connaissance scientifique », elle est la condition nécessaire de la science qui porte sur l’universel. Il est possible de vaincre l’illusion de la caverne sans s’évader dans un autre monde.

Il convient d’établir des sciences qui ne portent pas sur les Idées supra-sensibles mais sur les êtres naturels dont l’existence individuelle révèle une essence universelle. Ces êtres sont accessibles à l’observation. L’office de la science est de retrouver l’identité fondamentale du sensible et de l’intelligible. Cette identité nous est cachée par la limitation de nos sens et l’équivocité de notre langue. Le scientifique dispose de trois armes. La logique est nécessaire pour juguler la puissance trompeuse du discours en nous donnant une recette formelle. C’est un instrument mais il peut s’accommoder du faux si le faux est lui-aussi cohérent. L’induction en

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dégageant l’universel à partir de l’observation répétée de phénomènes, crée l’expérience avec l’aide de la mémoire. Et enfin, pour s’élever jusqu’à la science, il faut l’intuition intellectuelle (nous), pour saisir les principes, les causes ou liaisons nécessaires. L’intellect effectue la synthèse de la logique et de l’expérience. L’induction peut être sujette à l’erreur, l’intuition intellectuelle est toujours véridique mais peut être dans l’ignorance.

La science en acte acquiert une sorte d’immobilité. Sa parfaite stabilité s’oppose aux fluctuations immédiates de l’expérience et des opinions. C’est la connaissance rationnelle, vraie et certaine du nécessaire. Elle dépasse les constats contingents et démontre le pourquoi des choses : « puisque nous disons que nous connaissons chaque chose, seulement quand nous connaissons sa première cause. » [8, A, 3, 983a 25].

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LE PRINCIPE DE NON-CONTRADICTION

« Il est impossible que le même attribut appartienne et n’appartienne pas en même

temps, au même sujet et sous le même rapport. »

I) « ce qu’il faut nécessairement connaître pour connaître n’importe quoi, il faut

aussi le posséder nécessairement déjà avant tout. » [8, Γ, 3, 1005b 17]

Le livre Δ de la métaphysique est une sorte de lexique philosophique. Il figure dans le catalogue de

Diogène Laërce sous le titre Des acceptions multiples. Aristote s’y réfère souvent dans ses traités.

Nous y trouvons une explication du mot principe : « Le caractère commun de tous les principes,

c’est donc d’être la source, d’où l’être, la génération, ou la connaissance dérive. » [8, 1, 1013a 14-

15+. Le chapitre 5 de ce livre définit aussi le sens premier (c’est-à-dire celui dont tous les autres

dérivent) du nécessaire : « Quand une chose ne saurait être autrement qu’elle n’est, nous disons : il

est nécessaire qu’il en soit ainsi. » [8, 5, 1015a 34]. Le principe de non-contradiction fait partie de

ces choses qui « sont elles-mêmes source de nécessité dans d’autres choses » (1015b 11).

Le savoir, pour Aristote, repose sur des connaissances antérieures dont la possession est

indispensable à qui veut apprendre n’importe quoi. Le principe de non-contradiction est antérieur à

toutes connaissances, il est nécessairement connu par soi et non déduit d’un autre principe.

Demander une démonstration de ce principe est l’effet de l’ignorance de la Logique : « C’est de

l’ignorance de ne pas distinguer ce qui a besoin de démonstration et ce qui n’en a pas besoin. » [8,

Γ, 4, 1006a 7+. Il est impossible de tout démontrer : « on irait à l’infini, de telle sorte qu’il n’y aurait

encore pas de démonstration.» *1006a 9+. Mais il n’est pas une hypothèse : il est nécessairement

vrai et ce quelque soit la science que l’on étudie. « Toute démonstration se ramène à cet ultime

principe, car il est naturellement principe, même pour tous les autres axiomes.» *8, Γ, 3, 1005b 32-

34). En langage aristotélicien, nous pouvons dire qu’il est un principe premier. Un tel principe est le

plus certain de tous.

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II) LE RESPECT DE LA COHERANCE INTELLECTUELLE

« Il n’est pas possible de concevoir jamais que la même chose est et n’est pas, comme certains

croient qu’Héraclite le dit : car tout ce qu’on dit, il n’est pas nécessaire qu’on le pense. » [8, Γ, 3,

1005b 24-25].

Le principe se fonde ici sur l’impossibilité absolue qu’éprouve la pensée comme telle de

s’effectuer dans la contradiction. La pensée dans son intimité est fondamentalement, cohérente. La

possibilité de l’incohérence est absence de pensée plutôt que pensée perverse. Pour Aristote, la

pensée, à travers le langage est capable de viser adéquatement les choses. En conséquence, en

refusant le principe, le sophiste qui prétend passer à sa guise du pour au contre et avancer

n’importe quelle assertion, supprime tout son sens au dialogue et à la pensée qui est dialogue avec

soi-même. S‘il n’est pas question de le démontrer puisque on commettrait une pétition de principe,

il est possible de le légitimer. C’est ce qu’entreprend Aristote avec le sophisme du voilé dans les

Réfutations sophistiques, en étudiant les attaques qui consistent à l’accepter en apparence tout en

le dénaturant.

III) LE SOPHISME DU VOILE

« Devant un homme voilé, j’affirme ne pas le connaître ; mais une fois le voile enlevé, je suis

obligé d’admettre que je le connais, car c’est Coriscos ; donc je connais et je ne connais pas le

même homme.» [23, p.149-150].

Ce discours est cohérent pour qui accepte l’unicité absolue de l’être parménidien en

reconnaissant deux êtres différents, l’un voilé et l’autre non. Pour Aristote, son incohérence est

manifeste car il suppose une conception trop simple de l’être et de la notion de contradiction. Ce

qu’on dit de l’homme ne dit pas l’homme : « Nous n’établissons pas d’identité entre les

expressions : « signifier un sujet déterminé », « signifier quelque chose d’un sujet déterminé » ; s’il

en était ainsi, le musicien, le blanc et l’homme signifieraient aussi une même chose, et tout les êtres

seraient par suite un seul être, car ils seraient univoques. » *8, Γ, 4, 1006b 15-17]. Réduire toutes

choses à une unité génétique oblige à transgresser le principe et à tolérer des contradictions dans la

pensée et dans l’être.

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La thèse la plus antiplatonicienne d’Aristote est cette équivocité de l’être. Il est important de

souligner que musicien, blanc, voilé et homme sont des êtres aussi bien que Coriscos. Il convient

alors d’établir comment réunir, voilé, musicien, homme et Coriscos, tout en rendant intelligible le

changement. L’ontologie du stagirite est une élucidation de l’être en mouvement du monde

sublunaire afin que l’étude de la nature toute entière ne soit pas ruinée *8, A, 9, 992b 8+ comme

elle peut l’être par la théorie des Idées de Platon ou par les paroles creuses des sophistes qui

illustrent leur absence de pensée.

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LES TROIS DISTINCTIONS CARDINALES

I) SUBSTANCE ET ATTRIBUT

La proposition exprime toujours l’inhérence d’un prédicat à un sujet. Le discours qui exprime la

vérité doit être de type attributif : le prédicat appartient ou n’appartient pas au sujet.

L’impossibilité logique d’affirmer et de nier en même temps le prédicat du sujet se fonde sur

l’impossibilité ontologique de la coexistence des contraires. Coriscos ne peut à la fois être voilé et

être tête nue. Le principe de non-contradiction est avant tout une loi ontologique (car il est vrai que

Coriscos est et que je le connais) et d’une manière dérivée seulement, une loi de l’esprit, une loi

logique qui structure le langage.

« Il est impossible que le même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps au

même sujet et sous le même rapport » [8, Γ, 3, 1005b 20-21].

Le principe formulé en termes d’attribution éclaire la pratique spontanée du langage et sépare

formellement le vrai du faux. Le pluralisme non contradictoire de l’être fonde l’attribution vraie. De

même, deux jugements contradictoires sont deux attributs incompatibles dans l’unité d’une même

pensée.

Les Catégories étudient l’équivocité du terme être en établissant des distinctions entre les

différents prédicats : tout attribut appartiendra nécessairement à l’une d’elles. Être signifie à la fois

l’évidence unique qu’il y a être et la multiplicité indéfinie de ce qu’est être. Chacune de ces

catégories correspond à un mode ontologique d’attribution. L’être peut ainsi signifier la substance,

la quantité (le fait d’avoir telle dimension), la qualité (être blanc où lettré), la relation (double,

moitié, plus grand), le lieu (au Lycée, à l’Agora), le temps (hier, l’année dernière), la position (il est

assis, il est couché), l’état (il est dans telle condition), l’action (il coupe, il brûle) et la passion (il est

coupé, il est brûlé).

La substance est la catégorie principale de ce qui est : « L’être appartient à toute les catégories,

mais non au même degré, car il appartient à la substance d’une manière primordiale et aux autres

catégories d’une manière dérivée.» [8, Z, 4, 1030a 20-22].

Ousia est un substantif formé à partir du participe présent du verbe être : l’étant. La tradition

latine en propose deux traductions concurrentes : substance et essence. Essence nous semble plus

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proche de l’expression « substance première » qu’Aristote utilise pour qualifier l’être concret (par

exemple Coriscos, ce chien), individualisé et un numériquement, correspondant au statut du ceci

(tode ti). La substance première, par le fait qu’elle est le substrat de tout le reste et que tout le

reste en est affirmée, est la substance par excellence. Elle est singulière et n’est prédicat d’aucun

sujet ; elle admet un nombre indéterminé de prédicats.

Essence et attribut (Coriscos et le voile) ne sont pas distincts comme l’essence l’est d’une autre ou

comme un attribut l’est d’un autre attribut. Il n’y a pas contradiction entre essence et attribut car ils

n’appartiennent pas au même genre de l’être. La catégorie de l’essence s’oppose aux autres. Les

autres catégories donnent accès à la substance à partir de ce que la substance n’est pas mais qui se

dit d’elle. « L’être se prend en de multiples acceptions, mais, en chaque acception, toute

dénomination se fait par rapport à un principe unique. Telles choses, en effet, sont dites des êtres

parce qu’elles sont des substances, telles parce qu’elles sont des affections de la substance » [8, Γ,

2, 1003b 5-7].

Parmi ces affections de la substance, Aristote distingue les propriétés essentielles et les propriétés

accidentelles. Les substances secondes sont des attributs essentiels. Elles expriment la nature

essentielle et la réalité substantielle immanente au sujet. Elles dérivent nécessairement et en

permanence de l’essence. Elles sont prédicats de la substance et répondent à la question : « qu’elle

est-elle ? ». Ce sont d’abord les espèces qui sont affirmées des substances individuelles puis les

genres prédiqués à la fois des espèces et des substances premières. Pour reprendre l’exemple

donné par Aristote dans les Catégories, l’individu Socrate est substance première, mais Socrate est

homme : « homme » est ainsi substance seconde ou attribut essentiel définissant l’espèce qui

contient l’individu Socrate, comme le sont de façon moins marquée, les genres « animal » et

« vivant » qui contiennent à la fois l’individu et l’espèce. Le terme « substance seconde » est plus

général : « Pour les substances secondes aussi, on pourrait croire qu’elles signifient un être

déterminé. Et pourtant ce n’est pas exact : de telles expressions (homme, animal) signifient plutôt

une qualification, car le sujet n’est pas un comme dans le cas de la substance première ; en réalité,

homme est attribué à une multiplicité et animal également. » [11, 5, 3b 10-18). Les substances

secondes correspondent aux Idées de Platon.

A côté des substances secondes, les attributs non-essentiels dits accidentels sont des attributs

dans la substance et répondent à la question : « comment est-elle ? ». D’après la définition que

donne le livre Δ de la Métaphysique l’accident « se dit de ce qui appartient à un être et peut en être

affirmé avec vérité, mais qui n’est pourtant ni nécessaire ni constant ». L’attribut est lié de façon

contingente (ici opposé à nécessaire) et temporaire à l’essence. Dire que Socrate est lettré

n’exprime pas une détermination nécessaire et permanente de son essence. « Il n’y a donc pas de

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cause déterminée de l’accident, il n’y a qu’une cause fortuite, autrement dit indéterminée » [8, Δ,

30, 1025a 13-25].

L’essence est une et indivisible face à la multiplicité de ses attributs essentiels et accidentels. C’est

faute de distinguer l’être de l’essence et l’être de l’attribut, que le sophiste, en réduisant toutes

choses à une unité génétique, transgresse le principe de non contradiction et doit se résigner à

tolérer des contradictions dans la pensée et dans l’être.

« Et, en vérité, l’objet éternel de toutes les recherches, présentes et passées, la question toujours

posée : qu’est-ce que l’Etre ?, revient à ceci : qu’est-ce que la substance ? » [8, Z, 1, 1028b 2-3]. La

problématique suivante s’inscrit dans l’ordre de l’un et du multiple et établit l’unification de

l’essence et de l’attribut pour aboutir à une unité (numérique, spécifique, générique ou analogique)

grâce au couple acte et puissance.

II) ACTE ET PUISSANCE

Les attributs ne peuvent exister séparés de l’essence. Qu’il soit essentiel ou accidentel, un attribut

n’existe que lorsque qu’il est prédicat d’une essence : c’est un être subordonné. Nous ne

rencontrerons jamais le camus sans le nez : « C’est en effet par leur relation avec la substance que

les autres catégories sont appelées être » [9, Θ, 1, 1045b 28-29+. Le mode d’être de l’essence est la

subsistance par soi, puisqu’une substance est nécessaire comme substrat de tout prédicat possible

et comme condition d’intelligibilité de toutes ses modifications. Il doit donc bien exister un lien, une

identité et une unité même, entre l’essence et ses multiples propriétés.

Ce lien est assuré par la distinction dans l’être, en sus de l’essence et de l’attribut qui composent

l’être au sens premier, de la puissance (dunamis) et de l’acte (energeia). Cette nouvelle distinction

va permettre d’expliquer toute relation entre deux êtres, l’un agissant et l’autre subissant, ainsi que

tout changement en chacun. L’ambition explicative de ce couple apparaît plus clairement à travers

un exemple : la graine possède la potentialité d’une plante. Elle est potentiellement la plante

parvenue à maturité, c’est-à-dire qu’elle est en puissance ce que la plante est en acte.

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a. La puissance

Toutes les puissances cadrent avec la définition suivante : « On appelle puissance le principe du

mouvement ou du changement, qui est dans un autre être ou dans le même être en tant qu’autre »

[8, Δ, 12, 1019a 15-16].

Il faut cependant distinguer deux types de dunamis bien distincts, quoique souvent confondus. Ce

terme signifie puissance de produire un effet dans une chose (potentia ou puissance active), et

possibilité pour une chose de passer d’un état à un autre (possibilitas ou puissance passive).

Un effet déterminé à pour condition une réceptivité appropriée dans le sujet « patient » qui subit

l’action ; il faut aussi du côté de l’agent, avant même qu’il agisse, la capacité de produire cet effet.

Ces dispositions, celle d’accueillir l’effet et celle de le produire, sont des puissances. Un sujet pâtit,

sa puissance est passive, c’est une puissance orientée vers l’acte sans aucun pouvoir de réalisation.

Il existe donc une possibilité de non actualisation ; la possibilitas exprime la potentialité indifférente

d’un substrat réel vis-à-vis de prédicats opposés. L’autre sujet agit, sa puissance est active, virtualité

qui passe à l’acte s’il n’existe pas d’obstacle extérieur. La puissance active est plus proche de l’acte.

Active ou passive, une puissance est une capacité à devenir autre. L’être est par avance porteur

d’une détermination qu’il ne possède pas effectivement. Les deux sortes de puissances donnent un

statut au changement, au devenir et à la composition. Ce sont des intermédiaires entre identité et

altérité : Corsicos tête nue est en puissance Corsicos voilé. « C’est qu’il n’y a pas identité entre du

faux et de l’impossible : il est faux que tu sois debout maintenant, mais ce n’est pas impossible. »

[9, Θ, 4, 1047b 13-14+. L’essence est l’accident en puissance ; la composition de l’essence n’entre

plus en contradiction avec son unité, ses diverses déterminations entrant dans des rapports d’acte

à puissance. C’est en ne distinguant pas la puissance de l’acte que les Mégariques en sont arrivés à

anéantir mouvement et devenir. L’être assis sera toujours assis puisque ce qui n’a pas la puissance

de se lever sera dans l’impossibilité de se lever.

Par ailleurs, dans la mesure où ces principes de changement existent soit dans des êtres inanimés

soit dans des êtres animés (au sens de dotés d’une âme), il faut distinguer entre les puissances

irrationnelles des premiers et les puissances rationnelles que seuls certains des seconds possèdent.

Les puissances irrationnelles sont caractérisées par leur pouvoir à ne produire qu’un seul effet ; la

chaleur n’est puissance que de l’échauffement et ne peut jamais être puissance de refroidissement.

En revanche, les puissances rationnelles sont puissances des deux contraires (de la même espèce) ;

la médecine est puissance aussi bien de la santé que de la maladie.

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La notion d’acte est conceptuellement liée à la notion de puissance. «C’est ce dont il y a puissance

qui sera fait de la façon dont il y a puissance » [9, Θ, 5, 1048a 24+.

b. L’acte

« L’acte est l’existence d’un objet, mais non pas de la façon que nous avons exprimé par

puissance. » *9, Θ, 6, 1048a 30+. C’est par l’acte que nous connaissons la chose.

Cette notion peut être connue par induction à l’aide d’exemples concrets. Mais puisque, selon un

trait récurrent de la philosophie d’Aristote, « il ne faut pas chercher à tout définir, mais il faut savoir

se contenter de saisir l’analogie », nous retiendrons quelques exemples concrets donnés par le

stagirite dans le livre Θ de sa Métaphysique.

« L’acte sera donc comme l’être qui bâtit à l’être qui a la faculté de bâtir, l’être éveillé à celui qui

dort, l’être qui voit à celui qui a les yeux fermés mais qui possède la vue, ce qui est séparé de la

matière à la matière, ce qui est élaboré à ce qui n’est pas élaboré. Donnons le nom d’acte au

premier terme de ces diverses relations, l’autre terme, c’est la puissance. » *9, Θ, 6, 1048b 1-6]. La

notion d’acte peut être définit par analogie avec la notion de puissance.

En faisant l’analyse de la sensation *3, II, 5, 417a 23-28], Aristote propose de distinguer les

différents sens d’être en puissance et être en acte en prenant l’exemple du savant. C’est un thème

récurrent dans tout son corpus. L’homme est savant en puissance parce que son genre et sa

matière sont d’une telle nature ; il a la capacité de recevoir la science en tant que membre de

l’espèce humaine. Mais, ce type de puissance se dit aussi de l’homme qui a déjà la science et qui est

capable de l’exercer ; la puissance se réfère alors à la disposition de l’homme qui a étudié la

science, d’en appliquer les règles. Il en découle deux actualisations différentes.

Dans le premier cas, l’actualisation se réfère à la capacité ; le changement est le fait d’apprendre

et le passage de l’ignorance à la science se fait par l’enseignement. Lorsque l’actualisation se réfère

à la disposition de l’homme déjà savant, le changement consiste en l’exercice de ce savoir. Aristote

utilise le terme d’entéléchie pour désigner l’acte arrivé à son achèvement. Alors que l’acte

(energeia) est l’action, l’entéléchie, terme forgé à partir de telos qui signifie fin, désigne l’état

parfait de ce qui est parvenu à son achèvement, ne renfermant alors plus aucun devenir. De même

que l’acte, l’entéléchie se dit en deux sens : « elle est tantôt comme la science, tantôt comme

l’exercice de la science » [3, II, 1, 412a 22-23+. L’entéléchie est seconde lorsque la science est

possédée ; elle est première si elle est possédée puis exercée.

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c. L’acte est antérieur à la puissance

Les différentes acceptions de l’antérieur sont définies au chapitre 11 du livre lexical de la

Métaphysique. L’antériorité de l’acte sur la puissance peut se dire en trois sens différents.

L’acte est antérieur selon la notion ou la connaissance (ou le logos). C’est par l’acte que nous

connaissons la puissance. La graine est la plante en puissance mais, il faut que la graine ne soit plus

pour connaître la plante. Une graine de maïs ne donne pas un plant de vigne ; la potentialité est

ainsi organisée selon des manières et des degrés divers. La pure potentialité n’existe pas, c’est

pourquoi nous parlons de couples acte-puissance.

L’acte est antérieur chronologiquement : « Je veux dire que, à cet homme déterminé, qui est déjà

en acte, au froment, au sujet voyant, sont respectivement antérieures selon le temps, la matière, la

semence, la faculté de voir, *…+. Mais à ces puissances sont antérieures selon le temps d’autres

êtres en acte dont elles procèdent, car d’un être en puissance, un être en acte est toujours

engendré par un autre être en acte. » *9, Θ, 8, 1049b 19-23+. Aristote dénonce ici l’éternité du

couple acte et puissance.

L’acte est antérieur sous le rapport de la substance parce que ce qui est postérieur dans l’ordre de

la génération est antérieur dans l’ordre de la forme ; l’homme est antérieur à l’enfant et l’homme

est antérieur à la semence. Il l’est aussi parce que l’acte est la fin. Nous approfondirons ce propos

dans l’étude de la finalité.

L’antériorité de l’acte a pour conséquence la nécessité d’un premier moteur qui soit toujours en

acte, nous l’étudierons avec le mouvement.

Aristote insiste sur le fait qu’exister en acte n’a pas toujours le même sens si ce n’est par

analogie : « Car l’acte est pris, tantôt comme le mouvement relativement à la puissance, tantôt

comme la substance formelle relativement à quelque matière. » *9, Θ, 6, 1048b 8-9]. Le couple

substance formelle et matière est la troisième de nos distinctions cardinales.

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III) FORME ET MATIERE

Dans le chapitre des Catégories, Aristote définit la substance au sens le plus fondamental de

substance première, comme un sujet dont tout le reste s’affirme mais qui n’est affirmé d’aucune

chose, qui est définit comme un individu et en lequel se succèdent les attributs. Le caractère propre

de la substance réside dans le fait qu’elle soit apte à recevoir les contraires tout en restant

identique et numériquement une. Une même action ne peut à la fois être ou ne pas être, en

revanche, le même homme, Coriscos, peut être voilé puis non voilé, non lettré puis lettré. L’être en

puissance ne s’abolit jamais dans la détermination qui l’actualise, il demeure un substrat pour cette

détermination sans lequel elle ne pourrait pas s’actualiser. La substance est nécessaire comme

substrat de tout prédicat possible et condition d’intelligibilité de toutes ses modifications.

Le livre I de la Physique, et le très important livre Λ de la Métaphysique cherche à pénétrer la

nature de l’individu en entrant pour ainsi dire dans la structure intime de la substance. Aristote

propose de concevoir la substance comme une réalité première en laquelle on puisse saisir la cause

immanente du changement en même temps que son principe d’intelligibilité. La substance est un

substrat composé de deux principes, la matière et la forme. L’ousia est un sunolon, c’est-à-dire un

composé concret de matière et de forme. Cette théorie est généralement désignée par le terme :

« hylémorphisme » (hyle : matière et morphos : forme). Nous la retrouverons dans les rapports de

l’âme et du corps.

Dans le chapitre 1 du livre Λ, le stagirite définit trois espèces substances, l’une est immobile, les

deux autres sont sensibles. Dans ce groupe, Aristote opposent les substances éternelles et les

substances corruptibles, naturelles ou artificielles, puis précise : « Sur la substance corruptible, tout

le monde est d’accord : ce sont, par exemple, les plantes et les animaux. » *9, Λ, 1, 1069a 31+. Ces

dernières sont l’objet de la physique car elles sont sujettes au mouvement (kinésis) et d’une façon

plus générale au changement (métabola). « Or si le changement a lieu à partir des opposés ou des

intermédiaires, non pas certes de tous les opposés (car le son est non blanc) [donc le son ne peut

pas se changer en couleur], mais seulement à partir du contraire, il y a nécessairement un

substratum qui change du contraire au contraire, car ce ne sont pas les contraires qui se

transforment l’un dans l’autre. » [1069b 2-6].

Le chapitre 2 du livre Λ établit à partir de la nécessité d’un substrat et de la non-permanence des

deux contraires, l’existence d’un troisième terme, la matière : « Et nécessairement donc, la matière

qui change doit être en puissance des deux contraires. » *9, Λ, 2, 1069b 14+. Le permanent est la

matière, substrat des contraires dont elle est puissance. Elle n’a « par soi » aucune existence

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déterminée, n’est dotée d’aucune des catégories par lesquelles l’Être est déterminé. Elle tend vers

l’Être.

Ce désir d’existence est un moteur pour rechercher le plaisir d’être et dénote un manque de

perfection de la matière : il est préférable d’être que de n’être pas. L’Être, en tant que terme

ultime, meut comme un objet de désir : « En effet, le rapport de l’airain à la statue ou du bois au lit,

ou en général de la matière et de l’informe à ce qui a forme, antérieurement à la réception et à la

possession de la forme, tel est le rapport de la matière à la substance, à l’individu particulier, à

l’être » [15, I, 7, 191a 7-9). Et, un peu plus loin : « Mais le sujet du désir c’est la matière, comme une

femelle désire un mâle et le laid le beau » [15, I, 9, 192a 25-27+. La matière représente l’ensemble

des conditions qui doivent être réalisées pour que la forme puisse apparaître. Elle est l’élément

sensible du composé.

Mais la matière ne reçoit que ce qu’elle est faite pour recevoir. Comme Aristote le souligne

souvent, toute matière ne reçoit pas toute forme : « la matière fait partie des choses relatives, car

à forme différente matière différente. »*15, II, 2, 194b 9+, ou de façon plus imagée, l’art de

l’ébéniste ne saurait descendre dans ses flûtes *3, I, 3, 407b 25+.

Tous les êtres sensibles, naturels ou artificiels ont une matière. La matière « prime » est celle dont

« on ne peut plus affirmer d’une autre chose comme étant de cela » [9, Θ, 7, 1049a 25-25+. C’est la

matière première au sens absolu, sans aucune détermination. L’indétermination attachée à la

matière n’est pas une indétermination absolue ou « en soi » ; elle est toujours relative à

l’actualisation par la forme. La matière première, comme élément sensible d’un composé, a une

existence relative, relative à une forme et relative à la matière prochaine qu’actualisera la

détermination formelle. La matière ne peut pas être prise dans un sens général autrement que de

façon abstraite ou comme le dit souvent le philosophe de façon « logique ».

Elle est l’être en puissance : « De plus, la matière est en puissance parce que elle tend vers sa

forme, et lorsqu’elle est en acte, c’est alors qu’elle est dans sa forme. » [9, Θ, 8, 1050a 15+. Ici

encore le couple acte et puissance permet l’unification d’un composé par l’action d’un moteur qui

fait passer de la puissance à l’acte. Ce moteur permet la rencontre d’une matière et d’une forme, le

composé « formé » est une entité déterminée. De plus, la matière fait partie des choses

relatives : « à forme différente matière différente » [15, II, 2, 194b 9].

La forme est donc ce qui caractérise toute chose définit, ce qui en fait une entité déterminée à

partir de la matière indéterminée. La forme n’existe pas à l’état pur, elle n’existe que dans la

pensée (de façon « logique ») où elle est antérieure à la matière qu’elle guide. La forme est

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l’élément intelligible du composé. Aristote se sert de la notion de forme pour définir le principe

d’intelligibilité de l’être individuel sans faire de ce principe un universel, il n’y a pas de forme en soi :

il y a la forme de Socrate différente de celle de Callias. « Ta matière, ta forme, ta cause efficiente ne

sont pas les miennes, elles ne sont les mêmes que dans leur notion générale. » [9, Λ, 5, 1071a 28-

29].

La forme aristotélicienne contient l’Idée selon Platon dans le sens de spécificité de la chose en lui

rajoutant une morphologie puisque toute forme est toujours liée à une matière.

« Tout objet naturel vient de l’union de la matière et de la forme : c’est ce qui se passe pour les

animaux et leurs parties. » *8, Δ, 4, 1015a 5+. La forme est à la fois condition de l’individu et du

particulier dans l’ordre du réel et condition de l’universalité dans l’ordre du savoir. Le couple forme

et matière n’est pas sans analogie avec la dualité des réalités artificielles : la morphologie et le

matériau.

Le premier chapitre du livre II du traité De l’âme, résume parfaitement notre propos : « Nous

disons que l’un des genres de l’être est la substance. En un premier sens, c’est la substance en tant

que matière, ce qui, par soi, n’est pas désignable ; en un second sens, c’est la figure et la forme,

grâce à quoi dès lors on peut parler d’une réalité désignable ; en un troisième sens, c’est le

composé des deux.» [3, II, 1, 412a 6-11].

Le couple acte/puissance donne les conditions d’un passage, les pôles d’une relation. Le couple

forme/matière exprime, de façon statique, la constitution de l’être complet et concret.

Telles sont les trois distinctions cardinales de l’aristotélisme : essence-attribut, acte-puissance,

forme et matière. Elles servent de cadre pour expliquer un monde sensible composé de réalités

distinctes et autonomes en devenir. Elle prévaut pour l’étude de la nature (physis) en expliquant

qu’une réalité soit ce qu’elle est et présente telle forme réalisée dans telle matière. Il nous faut

maintenant préciser comment ce cadre s’y applique.

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LA NATURE, LE MOUVEMENT ET LES ETRES VIVANTS

La première occurrence du mot philosophe semble remonter au Ve siècle avant J.C. et désigne

Hérodote. Aujourd’hui, nous qualifierions Hérodote d’historien et d’explorateur. Thalès et

Pythagore sont des philosophes dont nous n’avons retenu que les travaux purement

mathématiques. La philosophie regroupait toutes les sciences.

En opposition avec Platon, il n’y a pas pour le stagirite de science universelle. Aristote est le

premier à avoir défini un objet spécifique à chaque science. Cette pluralité de sciences est

hiérarchisée, certains savoirs sont plus dignes que d’autres. La première distinction sépare les

sciences pratiques qui aboutissent à une action et les sciences poïétiques responsable des

productions, des sciences théorétiques qui amènent à la connaissance pour elle-même, au savoir en

tant que tel. De ces dernières, Aristote en dénombre trois : la Métaphysique, la Physique, les

Mathématiques et s’il n’y avait pas d’Être supérieure aux Êtres sensibles, la Physique serait la

première de celles-ci.

Il ne faut pas chercher de filiation entre la physique des Grecs Anciens et la nôtre, elles ne sont

toutes deux « physique » que par homonymie. Notre physique se définit comme science des

propriétés générales de la matière et des lois du monde naturel. La physique des Grecs anciens est

la philosophie de la nature ; elle exprime leur conception du monde toujours envisagée

relativement à l’homme qui sent et qui pense, et dans laquelle il s’agit aussi de prendre partie dans

un débat métaphysique pour répondre à la question : « Qu’est-ce-que l’Etre ? ».

La physique d’Aristote s’enracine largement dans les physiques proposées par les philosophes

antérieurs qu’elle critique ou reprend. Le premier reproche formulé à l’encontre de ses

prédécesseurs est d’ordre pratique : il suffit de regarder ce qui nous entoure pour éviter bien des

erreurs. Dans toute sa philosophie, Aristote exprime toujours ce souci d’un accord immédiat avec

l’observation. Il faut débuter l’étude par ce qui est le plus connu par la sensation.

Ce caractère empirique de sa physique est avéré par la multitude d’exemples concrets et masqué

par la manière métaphysique dont elle est exposée. Les traités regroupés sous le nom de Physique

étudient le monde sublunaire, c’est-à-dire le monde sensible et les étants naturels qui l’habitent.

Notre expérience quotidienne dans ce monde nous met constamment en face du changement. Or

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la connaissance source de science exige un principe d’identité et de stabilité. La question directrice

peut se formuler différemment : « Qu’est-ce qui perdure à travers le changement ? ».

Deux types de positions ont été adoptés par les philosophes antérieurs avec d’une part ceux,

comme Héraclite et l’école ionienne, qui se soumettent à l’expérience en déclarant que

l’entendement a tort et, d’autre part ceux qui comme Parménide et les Eléates, se soumettent à la

logique contre ce qui se passe dans l’expérience.

Pour Aristote, les conditions de la réalité et de la connaissance sont les mêmes ; elles doivent être

celles qui rendent intelligible l’individualité des êtres et expliquent les changements qui les

affectent. Le philosophe distingue finalement trois domaines de recherche : le premier concerne

les substances immobiles (philosophie première), le second, celles qui sont mues et impérissables

(mathématiques et substances du monde supralunaire) et le troisième les substances qui sont

mobiles mais périssables. Ce dernier domaine est celui de la physique ; puisqu’elle étudie le monde

sublunaire en devenir, elle est la science des formes engagées dans une matière.

Nous étudierons en premier lieu ce qui constitue les êtres comme naturels avant d’aborder

l’étude du mouvement puis la spécificité des étants naturels vivants.

I) LES ÊTRES NATURELS

« Parmi les étants, les uns sont par nature, les autres sont du fait d’autres causes : nous disons

que sont par nature les animaux ainsi que leurs parties, les plantes, les corps simples comme la

terre, le feu, l’air, l’eau – de ces choses en effet, et des choses semblables nous disons qu’elles sont

par nature » [15, II, 1, 198b 8-12]. Cette définition concerne la constitution des choses.

a. Corps simple, homéomère et anhoméomère

Corps simples Dans le traité Parties des Animaux Aristote appelle « principe des éléments » ou « forces

fondamentales » les contraires sec, chaud, humide et froid. A partir des ces contraires, quatre

combinaisons seulement sont possible donnant les quatre qualités élémentaires : chaud-sec,

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chaud-humide, froid-sec et froid-humide. Ces quatre qualités sont fondamentales car se sont des

qualités tangibles qui concernent le toucher, présenté par ailleurs comme le sens primordial [3, III,

13, 435b 2].

Deux de ces qualités sont actives (le chaud qui dessèche l’humide et le froid qui expulse la

chaleur) ; elles mettent en forme. Le sec et l’humide sont des qualités passives ; elles sont mises en

formes et relèvent de la matière. Ces quatre combinaisons aboutissent aux corps simples. « Ceci

est l’explication logique de l’existence des corps qui apparaissent simples. » [1, II, 3, 330a-b].

Ces quatre corps simples sont les éléments fondamentaux de la matière, incontournables

premiers niveaux de construction de tous les êtres naturels. Ils peuvent se transformer les uns dans

les autres, la corruption de l’un est la génération de l’autre. La génération des corps simples s’opère

en cycle fermé car « ils peuvent d’après leur nature, se transformer réciproquement. » [1, II, 4, 331a

1]. Ce sont :

Le feu : chaud et sec ; l’air : chaud et humide ; l’eau : froid et humide ; la terre : froid et sec.

Air et eau sont des intermédiaires, feu et terre sont les extrêmes. Chaque élément a un

mouvement et un lieu naturel. Le feu va vers le haut et trouvera sa place d’équilibre à l’extrême

bord de l’univers ; la terre va naturellement vers le bas et cherche à rejoindre le centre de

l’univers ; l’air et l’eau trouvent leur place au milieu.

Ils sont les constituants de base, quantité ultime, de tous les corps réels. Ils se soumettent aux

corps mixtes de premier niveau, les homéomères.

Homéomère Tous les corps mixtes sont des mélanges des quatre corps simples dans des proportions définies

qui donnent ses qualités à chacun d’entre eux. Ce n’est pas une simple juxtaposition mais un

mélange assuré par la redistribution des qualités fondamentales.

Toutes les parties d’un homéomère ont la même nature ; aussi finement qu’on le divise, il garde

ses qualités. On les différencie par leur aptitude ou leur inaptitude à pâtir, responsable de leur

capacité passive à affecter les sens et particulièrement le sens du toucher. « Chez tous, il <le

toucher>survient dans des parties homéomères » [7, I, 4, 489a 27].

Tous les objets inanimés naturels sont des homéomères. Le tissu osseux, le sang en font parti.

Bien qu’ayant leur propre spécificité, ils se soumettent aux anhoméomères dont ils sont les parties.

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Anhoméomère « Toutes les parties anhoméomères sont constituées d’homéomères, par exemple la main, de

chaire, de tendons et d’os. » [7, I, 1, 486a 14].

Leurs qualités ne suffisent plus à les identifier : « Les parties anhoméomères sont caractérisés par

leur aptitude à accomplir quelque chose, par exemple la langue et la main » [2, II, 18, 722b 30]. Ces

parties sont le siège des puissances actives.

Ce sont les corps animés (au sens de possédant une âme) et leurs parties. Ils ont une morphologie,

perdent leurs qualités quand on les divise. Les seuls objets inanimés du monde sublunaire qui

parviennent à ce stade sont les objets artificiels fabriqués par un être vivant.

La distinction entre homéomères et anhoméomères équivaut à celle que nous faisons entre les

tissus et les organes. Il est remarquable de constater qu’Aristote fait ainsi de l’anatomie générale.

Il nous semble important de souligner plusieurs points à ce niveau de notre réflexion. Aristote ne

s’intéresse pas à la genèse, ce qui l’intéresse est de comprendre de quoi sont faites les

choses : « Chercher pourquoi une chose est elle-même, c’est ne rien chercher du tout. *…+, mais le

fait qu’une chose est elle-même est l’unique raison et cause à donner, en réponse à toute question

telle que : pourquoi l’homme est homme *…+. Mais ce qu’on pourrait demander avec plus de vérité,

c’est pourquoi l’homme est un animal de telle espèce » [8, Z, 17, 1041a 14-22].

Nous avons vu trois niveaux de constitution (corps simple, homéomère et anhoméomère) par

ordre croissant de complexité. Il n’y a pas seulement addition des qualités : les niveaux supérieurs

intègrent les niveaux inférieurs. A chaque passage il y a une nouvelle mise en forme (prise au sens

d’eidos), à chaque niveau une nouvelle unité de forme et de matière.

b. La Nature (physis)

La notion de nature chez Aristote implique particularités et différences et se rapporte au

mouvement : « Or toutes ces choses se montrent différentes de celles qui ne sont pas par nature.

Chacune de celles-là, en effet, possèdent en elle-même un principe de mouvement et d’arrêt, les

uns quant au lieu, d’autres quant à l’augmentation et la diminution, d’autres quant à

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l’altération. *…+ parce que la nature est un certain principe, à savoir une cause du fait d’être mû et

d’être au repos pour ce à quoi elle appartient immédiatement par soi et non par accident » *15, II,

1, 192b 12-24]. La nature définit comme principe immanent de mouvement entre dans le même

genre que la puissance : « J’entends par puissance en général tout principe de mouvement ou de

repos. » *9, Θ, 8, 1049b 8+.

Un lit, un manteau ne possèdent aucune impulsion innée au changement ; ils n’ont pas de nature

à titre essentiel mais ils en ont une par accident, en tant que bois ou laine. Ont une nature à titre

essentiel les corps simples, les corps composés comme la pierre ou le bois qui existent sans

intervention extérieure, les organes des vivants et enfin les organismes vivants. Nous trouvons leur

définition lignes 199b 16 à 17 du chapitre 8 du livre II [16] : « Sont par nature toutes les réalités qui,

étant mues par un principe qui leur est intérieur, parviennent à une fin ». L’immanence est un des

traits fondamentaux de la nature aristotélicienne.

La notion de nature doit s’entendre comme relative à chaque niveau de construction, « nous

disons que sont par nature les animaux ainsi que leurs parties, les plantes, les corps simples comme

la terre, le feu, l’air, l’eau *…+. Chacune de celles-là, en effet, possède en elle-même un principe de

mouvement, les unes quant au lieu, d’autres quant à l’augmentation et à la diminution, d’autres

quant à l’altération. » [15, II, 1, 192b 10-16]. Ceci est claire par induction, ce serait faire preuve de

faiblesse intellectuelle d’en demander la démonstration *193a 3-9].

Le chapitre « physis » du livre Δ débute par les différents sens qu’il est acceptable de donner au

mot « nature ». C’est d’abord le processus de développement des choses qui croissent et ceci est

vraisemblablement le sens étymologique du terme. C’est ensuite la matière première en tant que

point de départ du développement ; c’est encore le moteur du développement et, en tant que tel,

la nature est une réalité formelle. Et enfin, elle est le résultat de ce processus de développement,

elle est alors la fin du devenir ce qu’on appelle couramment la nature des choses.

En conclusion, la nature est définit comme l’essence des êtres qui ont en eux-mêmes le principe

de leur mouvement. La matière ne prend le nom de nature que parce qu’elle est susceptible

d’accueillir une telle puissance et qu’elle est nécessaire pour que la chose soit mue. Aristote

reconnait plus loin que le mouvement est la réalisation de la forme, et c’est seulement quand la

chose est informée qu’elle est en possession de sa nature. La nature est donc la forme et non la

matière ; mais la forme en relation soit avec une matière à informer, elle est alors principe de

mouvement soit avec une matière informée, elle est dans ce cas principe de repos. Cette dualité se

répercute sur la forme elle-même qui est tantôt puissance active, tantôt acte en exercice. Elle est

une force tendant vers son propre épanouissement qu’elle atteint lorsqu’il y a adéquation entre la

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détermination intelligible et la matière sensible qu’elle doit informer. L’indétermination attachée à

la matière est toujours relative à l’actualisation par une forme.

Ainsi définie, la nature est à la fois naturante et naturée : nature naturante comme passage à la

nature proprement dite ou naturée. Ces deux notions ne sont pas séparables ; la nature en même

temps inachevée et s’achevant, est toujours en acte pour subsister et finalement durer

éternellement. Il nous semble important, en vue de l’étude de la finalité, d’insister sur l’immanence

de la nature naturante.

« Sont par nature les étants qui, mus de façon continue à partir d’une origine qui leur est

intrinsèque, arrivent à une certaine fin. Or, à chacune de ces origines correspond une fin qui n’est

pas la même pour chacun des étants, et qui n’est pas soumise au hasard ; c’est toujours vers la

même fin que se porte chaque étant si rien ne l’empêche. » [15, II, 8, 199b 16-19].

Il s’ensuit que : « la nature est une cause, et qu’elle est ainsi une cause au sens de ce en vue de

quoi. » [199b 33]. En ce sens, la nature, toujours immanente, est naturée.

La nature est par définition, pour Aristote comme pour ses prédécesseurs, éternelle et non créée ;

ce dont tout vient et à quoi tout retourne. Le stagirite refuse cependant d’en faire le tout de l’être.

L’homme est considéré comme un « étant naturel » (phusei on) produit et engendré par la nature.

La position récurrente dans tous les domaines de la philosophie d’Aristote est qu’il y a immanent

aux phénomènes du monde sublunaire une nature perceptible par l’observation d’une stabilité au

fond du changement, de l’universel au fond du singulier, du nécessaire au fond du contingent. Cette

nature est dégagée par l’observation des phénomènes dont nous avons l’expérience puis par

l’induction qui tire les notions générales à partir des données particulières. L’induction repose en

quelque sorte sur le lien existant entre l’essence et le phénomène, entre l’invisible et le visible.

L’hylémorphisme aristotélicien a ainsi une forte valeur sémantique.

Lorsqu’il s’agit d’un animal ou d’une plante, ce principe interne de mouvement s’appelle âme. Elle

est individualisée par le corps très déterminé où elle a son siège. L’immanence avec

l’hylémorphisme sont les caractéristiques fondamentales de l’étude de la nature dans la physique

aristotélicienne.

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II) LA THEORIE DES TROIS PRINCIPES : matière, forme et privation

Cette théorie est exposée dans le premier livre de la Physique et dans le livre Γ de la

Métaphysique.

Nous prendrons comme point de départ l’évidence de la pluralité en mouvement qui justifie une

recherche des principes du devenir et l’évidence pour qui sait regarder que ce devenir n’est pas

désordonné ; il comporte toujours deux pôles, un point de départ et un point d’arrivée.

En s’inspirant en partie de l’analyse de ses prédécesseurs, Aristote établit que ces pôles sont des

contraires qui vont par paire : le chaud et le froid, le sec et l’humide, le blanc et le noir. Les deux

pôles du changement font partie du même couple de contraires. Tout ne devient pas n’importe

quoi, le devenir est ordonné ainsi « le son n’est pas blanc » [le son ne peut se changer en couleur]

*9, Λ, 1 1069b 4+.

Le devenir implique donc un couple de contraires dont chacun des éléments est un pôle du

mouvement. Mais le changement n’est pas une substitution d’un être ou d’un état par un autre :

c’est un passage entre les deux bornes. Changer, c’est devenir autre ; ce n’est pas faire place à

autre chose.

On comprend dès lors la nécessité d’un substrat car ce ne sont pas les contraires qui se

transforment l’un dans l’autre. Tout mouvement nécessite la mise en présence de deux

déterminations contraires et d’un substrat qui ne soit aucun des deux contraires. Les contraires

n’ont besoin que d’un substrat, cela suffit à les mettre en rapport et le substrat n’a besoin que des

contraires au nombre de deux pour être marqué par le changement.

Le substrat, ce quelque chose de permanent qui assure l’unité entre les deux pôles du

changement, est la matière qui manifeste la puissance des contraires.

Mais dans un couple, les deux contraires ne se valent pas, l’un se dit d’une détermination positive

comme si la matière était pré-ordonnée à la réalisation d’une forme tandis que l’autre n’est que

l’absence de détermination positive dont la matière est initialement privée. Les deux contraires

sont « forme » et « privation ». L’étant de départ se convertit en substrat ou sujet du devenir qui

cache en lui la spécificité de ce qui adviendra mais au sens de l’absence d’une présence, c’est-à-dire

comme privation. Aristote qualifie la privation d’une certaine spécificité ce qui laisse la possibilité

de la problématique de l’être en acte et de l’être en puissance que nous avons abordé

précédemment.

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Ainsi, dans chaque couple de contraires, l’un des états consiste en une détermination et l’autre en

une privation. C’est pourquoi le philosophe parle de deux principes, détermination et privation,

pour définir la forme. Chacun de ces principes varie selon le genre du devenir considéré. Pour les

changements de couleur, la matière est la surface, la forme le blanc et la privation le noir qui est

absence de couleur ; pour l’alternance jour et nuit, la matière est l’air, la forme est la lumière et la

privation l’obscurité.

« La privation elle aussi en un sens est forme » *15, II, 1, 193b 21+, il s’en suit que : « Tout

mouvement est continu et va de la privation à la forme » [15, IV, 11, 219a 12]. La forme est à la fois

terme et but du mouvement. La matière la plus prochaine et la forme sont une même chose, sauf

que l’une est en puissance et l’autre en acte.

La théorie des trois principes immobilise en quelque sorte le mouvement permettant ainsi une

science de ce qui est en flux perpétuel, un principe aristotélicien étant défini comme « la source

d’où l’être, ou la génération, ou la connaissance dérive ».

III) LES DIFFERENTES ESPECES DE DEVENIR

Le devenir n’est pas un flux universel, il concerne chaque être en particulier, il est borné par des

déterminations stables. Nous définirons les différentes espèces de devenir en fonction des pôles

d’arrivée et de départ puis nous envisagerons en lui-même le passage d’un pôle à l’autre pour finir

avec le moteur. Nous terminerons avec les notions du temps, de l’infini, du lieu et du vide, notions

en rapport étroit avec la question du mouvement.

a. Métabola : génésis et kinésis

Le mot devenir n’a plus de nos jours la totalité des sens qu’il recouvrait dans l’Antiquité. Le terme

grec employé à cette époque était métabola dont la meilleure traduction semble être changement

qui nous paraît suffisamment imprécis pour recouvrir les différents genres et espèces de devenir

considérés par le Stagirite.

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« Puisque tout changement se fait de quelque chose vers quelque chose (ce que montre aussi le

mot <métabola>, car il montre quelque chose après quelque chose d’autre, c’est-à-dire l’un venant

d’abord, l’autre ensuite), *…+. J’appelle sujet ce qui est indiqué dans une affirmation. De sorte qu’il

est nécessaire qu’il y ait trois changements : celui d’un sujet à un sujet, celui d’un sujet à un non-

sujet, celui d’un non-sujet à un sujet. » [15, V, 1, 225a sq.].

Pour identifier le sujet, il tient compte de la polysémie du terme être exprimée dans ses

Catégories : « Il n’y a pas de mouvement à part des choses. En effet, ce qui change change toujours

soit selon la substance, soit selon la quantité, soit selon la qualité, soit selon le lieu, *…+. De sorte

qu’il n’y aura ni mouvement ni changement de quoi que ce soit à part des catégories qu’on a dites,

du fait que rien n’existe à part de ces catégories. » [15, III, 200b 32sq].

L’être sujet du changement est soit la substance en ce qu’elle peut apparaître ou disparaître, soit

un de ses attributs appartenant seulement aux trois catégories de la qualité, de la quantité ou du

lieu.

Génésis : d’un non-sujet à un sujet Le changement le plus essentiel pour le monde sublunaire est celui affectant la substance, la

première des Catégories. C’est le passage d’un non-étant à un étant. Il constitue ce qu’Aristote

appelle la génération (ou engendrement) et la corruption (ou dépérissement). Le philosophe définit

« physiquement » la génésis comme suit : « … la condensation et la raréfaction sont un assemblage

et une dissolution, selon lesquelles on dit qu’ont lieu la génération et la corruption des

substances. » [15, VIII, 7, 260b 12-15]. Nous approfondirons avec la notion de vide.

Lorsqu’il y a passage du non-sujet au sujet (ou du sujet au non-sujet), la génération (ou la

corruption) s’effectuent entre des contradictoires. Aristote parle alors de génération absolue.

Il parle de génération « déterminée » lorsque quelque chose devient quelque chose de

déterminée dans laquelle une substance existante reçoit une propriété qu’elle n’avait pas. La

distinction entre la génération déterminée et l’altération que nous aborderont plus loin n’est pas

claire.

Kinésis : d’un sujet à un sujet Les autres genres de changements regroupent les mouvements. Nous réservons habituellement

ce mot au changement de lieu ou mouvement local, on doit l’étendre à tous les genres d’être

admettant la contrariété, c’est-à-dire aux catégories de qualité et de quantité aussi bien que de

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lieu. Ces trois genres de mouvement sont irréductibles à un genre commun. Mais tous les

mouvements partagent certaines propriétés communes à savoir le continu, le fait d’exister en un

temps et en un lieu. Pour les deux genres qui affectent la substance dans sa qualité ou sa quantité,

nous reprendrons les définitions du livre Δ de la Métaphysique.

Les mouvements selon la quantité sont appelés accroissement s’il y a augmentation et

décroissement s’il y a diminution. La quantité est un être en tant qu’elle est une détermination ou

un état de la substance « par exemple le beaucoup et le peu, le long et le court, le large et l’étroit,

le haut et le bas *…+ et autres modes de ce genre. » *8, Δ, 13, 1020a 19-22].

Les mouvements selon la qualité sont appelés altérations. Elles sont décrites comme suit : « La

qualité se dit encore des propriétés des substances en mouvement, comme la chaleur et la

froidure, la blancheur et la noirceur, la pesanteur et la légèreté, et autres propriétés de ce genre, en

vertu desquelles, quand elles changent, les corps sont dits subir une altération. » [1020b 9-12].

Aristote ajoute que le vice et la vertu font en quelque sorte partie de ce mode puisqu’ils

manifestent des différences de mouvement ou d’activité d’après lesquels les êtres en mouvement

accomplissent, ou éprouvent le bien ou le mal. Mais ceci ne concerne pas tous les vivants « C’est

surtout dans les êtres animés que le bien et le mal signifient la qualité, et, parmi ces êtres,

principalement dans ceux qui sont doués du libre choix. » [1020b 24-25]. Tous les êtres animés ne

sont donc pas identiques, nous approfondiront ce propos en étudiant la finalité.

Les mouvements selon le lieu sont les translations. Ils vont d’un endroit à un autre et plus

précisément d’un contraire à l’autre dans la catégorie du lieu. « Posons qu’il porte le nom commun

de transport, bien que ce mot s’applique proprement aux seules choses qui changent de lieu sans

avoir en soi le pouvoir de s’arrêter et aux choses qui ne se meuvent pas par soi selon le lieu. » [15,

V, 2, 226a 31-226b 1]. Le terme transport ne concerne donc pas à proprement parler les êtres

vivants. Pour eux, l’expression mouvement local serait plus appropriée.

C’est l’espèce de mouvement où la chose mue ne s’écarte pas de son essence. La modification

l’affecte en dehors d’elle-même. Le mouvement local se retrouve sous toutes les autres espèces de

mouvement en leur servant de condition de base ; l’altération peut être considérée comme le

transport d’une qualité, l’accroissement est le transport de la quantité et la translation est celui de

la substance.

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Le Stagirite fait également la distinction entre le mouvement naturel et le mouvement forcé.

Comme pour les éléments, chaque corps mixte (homéomère et anhoméomère) a un lieu naturel qui

est fonction de sa composition : « Chacun a sa place dans le lieu qui lui est approprié. » (12, De la

respiration, 13, 477a 32).

Si nous avons les pieds sur terre, c’est que la terre est la composante majeure de notre corps.

Tout mouvement naturel rapproche de l’équilibre et du repos ; tout mouvement forcé en éloigne.

Ces mouvements sont principalement des mouvements locaux. Cependant, Aristote considère aussi

le développement et la guérison des êtres vivants comme des mouvements naturels. La maladie est

quant à elle, un mouvement forcé. Il nous semble possible d’en déduire qu’il est plus naturel de

vivre que de mourir. A ces deux sortes de mouvements, s’ajoute le mouvement autonome que nous

étudierons avec l’âme.

b. Le mouvement en tant que tel

Nous venons de définir le mouvement à partir de ses bornes. Il nous faut maintenant envisager ce

qui se passe entre ces bornes. C’est l’objet du chapitre 1 du livre III de la Physique mais il existe

également une analyse du mouvement dans les livres K et Θ de la Métaphysique. Aristote y

approfondit sa définition du mouvement.

« Etant donnée la distinction, en chaque genre, de ce qui est en puissance et de ce qui est en

entéléchie, l’acte de ce qui est en puissance en tant que tel, je l’appelle mouvement. » [9, K, 1065b

15-16+. Le passage entre les deux bornes est l’intervalle entre la puissance comme pure puissance

et l’acte complet et parfait qui lui correspond. Dans cet intervalle où la puissance entre en acte, elle

reste présente tant que l’actualisation n’est pas achevée mais elle cesse d’être pure puissance dès

que l’actualisation a commencé.

Si l’on considère sa fin, une action peut être immanente ou transitive. L’action immanente

correspond à la praxis. Elle a sa fin en elle-même : l’action de voir a sa fin dans le fait même de voir.

« Seul le mouvement dans lequel la fin est immanente est une action (praxis). C’est ainsi qu’en

même temps, on voit et on a vu, on conçoit et on a conçu, on pense et on a pensé » *9, Θ, 6 1048b

22-24]. Rien n’est engendré en dehors de l’acte ; l’acte réside alors dans l’agent lui-même et sa fin

se confond avec l’exercice. Il s’en suit que la praxis est toujours achevée et parfaite. Elle est l’acte

au sens plein du terme.

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L’action transitive est appelée poiésis ; sa fin est dans l’objet produit, elle est donc toujours

extérieure à l’action. C’est la production au sens large. Apprendre et guérir sont de ce type ; ils se

font l’un en vue de la science, l’autre en vue de la santé. De telles actions sont inachevées et

imparfaites : « Tout mouvement est imparfait, comme l’amaigrissement, l’étude, la promenade, la

construction : ce sont là des mouvements et certes incomplets. On ne peut pas, en effet, en même

temps, marcher et avoir marcher, bâtir et avoir bâti, devenir et être devenu, recevoir un

mouvement et l’avoir reçu. Mais c’est la même chose qui, en même temps, voit et a vu, pense et a

pensé. Un tel processus, je l’appelle acte, et l’autre, un mouvement. » *9, Θ, 6, 1048b 28-34]. Nous

retiendrons que le mouvement est un acte imparfait et que ceci se détermine en convoquant sa

finalité.

Aristote utilise le terme entéléchie pour désigner l’acte parfait et achevé (dont la praxis est un

représentant). Nous avons vu dans notre chapitre concernant l’acte et la puissance, que

« l’entéléchie se prend en double sens ; elle est tantôt comme la science, tantôt comme l’exercice

de la science. » [3, II, 1, 412a 22-23+. Il s’agit d’une entéléchie première quand la science est

possédée et d’une entéléchie seconde lorsqu’elle est possédée et exercée. Apprendre est un

mouvement qui est déterminé en fonction de l’acte réel qu’est la science sur lequel il s’achève. Le

fait de connaitre contient la possibilité d’exercer.

Aristote insiste sur le fait qu’exister en acte n’a pas toujours le même sens si ce n’est par

analogie : « Car l’acte est pris, tantôt comme le mouvement relativement à la puissance, tantôt

comme la substance formelle relativement à quelque matière. » *9, Θ, 6, 1048b 8-9]. Le

mouvement est la forme de la matière en tant que celle-ci est puissance et sujet du mouvement. La

forme est en acte lorsque la matière est informée. Le couple acte-puissance s’adapte aux êtres

naturels pour leur constitution aussi bien que pour leur fonctionnement.

L’enseignement est l’action du moteur tandis que le fait d’apprendre est une action du mobile ;

nous retrouvons les deux aspects des puissances actives et passives. Pour que l’actualisation se

fasse, il faut qu’il n’y ait qu’un seul acte commun au moteur et au mobile : « Pour parler en termes

généraux, nous dirons que ni l’enseignement et l’étude, ni l’action ni la passion, ne sont une même

chose ; la seule chose identique ici, c’est le mouvement auquel ces différentes propriétés se

rapportent ».

Il faut donc que l’acte d’un certain genre qu’est le mouvement soit un et commun tant au moteur

qu’au mobile, ainsi l’action d’une chose sur une autre peut être pensée. Il faut aussi, pour que le

mouvement s’accomplisse, un moteur ou un mobile en acte.

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c. Le moteur

« Il y a toujours un moteur premier et le moteur existe déjà en acte » *9, Θ, 8, 1049b 25+.

L’établissement de l’antériorité chronologique de l’acte par rapport à la puissance permet à

Aristote d’affirmer l’existence d’un premier moteur qui soit toujours en acte. La nature n’est

principe de mouvement que du point de vue d’une analyse interne du devenir ; elle n’est pas

source absolument première de mouvement.

Un mouvement quel qu’il soit, nécessite à la fois un moteur, un mû et quelque chose qui

transmette le mouvement du moteur au mobile. Il n’y a pas d’action à distance, le mouvement

nécessite la contigüité entre le moteur et le mobile. Aristote ignore l’inertie : ne pouvant pas

continuer par lui-même, le mouvement doit être sans cesse entretenu. Pour ne pas remonter à

l’infini, il doit exister un premier moteur qui possède le principe du mouvement sans être mû par

quelque chose d’autre : « Puisqu’il faut que le mouvement existe toujours et n’ait pas

d’interruption, il est nécessaire qu’il y ait quelque chose d’éternel qui meuve en premier, soit une

seule soit plusieurs, et que le premier moteur soit immobile. » [15, VIII, 6, 258b 10-13].

Ce premier moteur immobile est assimilé à dieu ; il est situé à la périphérie du monde, assure le

mouvement circulaire, parfait et éternel de la voûte céleste qui, elle, transmet le mouvement au

monde sublunaire. Le soleil se trouvant tantôt plus éloigné, tantôt plus rapproché de la terre,

assure l’éternelle alternance de la génération et de la corruption.

« Dieu paraît bien être une cause de toute chose et un principe » [8, A, 2, 983a 8]. Les corps

célestes et le Premier Moteur sont de nature divine et tout ce qui est divin a pour fonction propre

d’exercer et de mettre en acte son intellect : « les astres sont des dieux et le divin embrasse la

nature toute entière » *9, Λ, 8, 1074b 2+. Le Premier Moteur est une intelligence divine,

perpétuellement en acte.

« L’intelligence suprême se pense donc elle-même, puisqu’elle est ce qu’il y a de plus excellent, et

sa Pensée est la Pensée de la Pensée » *9, Λ, 9, 1074b 33-34]. Notre pensée discursive a un objet

toujours différent d’elle-même.

L’existence de ce Premier Moteur a deux conséquences majeures. Il y a toujours eu et il y aura

toujours une matière indéterminée qui tendra et atteindra sa forme. La « creatio ex nihilo » est

inenvisageable dans l’univers d’Aristote : « La Nuit et le Chaos n’ont pas existé pendant un temps

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infini, mais les mêmes choses ont toujours existé » *9, Λ, 6, 1072a 7-10+. Les choses sont ce qu’elles

sont et ne changerons pas : Aristote ne peut pas envisager l’évolution de son monde.

Dieu est « pensée de la pensée », tourné uniquement vers lui-même. Il est à l’origine de tous les

mouvements ; il agit à titre de cause finale. Nous étudierons cette conception très particulière dans

notre dernière partie.

d. Les notions de lieu, vide, temps et d’infini

Le lieu (topos) n’appartient pas au corps dont seules la forme et la matière sont constitutifs. Sa

définition est à trouver dans le chapitre 4 du livre IV de la Physique [15]. Il est « la limite du corps

enveloppant à l’endroit où il touche le corps enveloppé ; j’entends par corps enveloppé celui qui

change par transport » [212a 6-7]. De plus, le lieu est « censé être immobile », de sorte que « la

limite immobile première de l’enveloppant, voilà ce qu’est le lieu » [212a 20], le corps enveloppé

étant celui qui est mobile par transport. Le lieu est une sorte de négatif de la forme (dans le sens de

morphologie), la limite du contenant immobile et contigüe à ce qu’elle renferme.

Lorsqu’un corps se déplace, il n’abandonne pas derrière lui une portion d’espace vide puisque

d’autres corps viennent aussitôt occuper cette place. Le lieu d’un corps est la délimitation de la

place que lui laissent ceux qui l’environnent comme un vase qu’on ne pourrait pas déplacer. Il en

résulte que toute chose au monde est toujours en un lieu sauf le monde lui-même que rien ne vient

jamais enveloppé. Le monde d’Aristote tend vers le repos et l’ordre. La tendance de chaque corps à

aller vers son lieu naturel se comprend comme une tentative vers l’équilibre. Chaque corps est

parfaitement intégré dans l’ordre du monde et n’aurait plus de raison de bouger. Il est naturel pour

la terre de tendre vers le bas et pour le feu de tendre vers le haut. La terre est au centre du monde

où elle est au repos. Copernic, en ruinant le géocentrisme détruit toute les bases de la physique

aristotélicienne.

La physique aristotélicienne est une physique du plein, tout lieu est occupé. Si pour les atomistes

le vide est considéré comme une condition nécessaire du mouvement, selon Aristote, le

mouvement peut se faire par tourbillon dans le plein ; dans le vide au contraire, rien ne peut

orienter ou achever le mouvement. Condensation et raréfaction ne requièrent pas d’espace vide, ce

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sont des variations d’intensité dans le plein. Le vide ne peut pas exister à moins qu’on le considère

comme la matière du lourd et du léger : « car le dense et le rare, selon leur contrariété, sont

facteurs de transport, *…+, c’est-à-dire non pas de transport mais plutôt de modification. » [15, IV,

9, 217b 24-27]. Le vide est non seulement facteur de génération et de transport mais aussi facteur

de tous les mouvements non locaux.

Les chapitres 10 à 14 du livre IV *15+ sont consacrés à l’étude du temps. Le temps ne peut être

identifié au mouvement, mais aucune perception du temps n’est possible s’il n’y a perception d’un

changement : « quand nous ne changeons pas de pensée, ou quand nous ne voyons pas que nous

changeons, nous ne sommes pas d’avis que du temps s’est écoulé » [218b 23], ceci parce que nous

joignons le «maintenant» antérieur au «maintenant» postérieur. Le temps n’est ni un mouvement

ni sans mouvement. Un laps de temps se reconnait à la distinction dans le mouvement d’un avant

et d’un après, qui sont deux «maintenant» limitant un intervalle. Il y a toujours un maintenant qui

exprime sa potentialité par des évènements différents et c’est leur succession qui assure la

continuité du temps. Le temps rythme le devenir de l’être et peut se définir comme « le nombre du

mouvement selon l’antérieur et le postérieur, il est continu car il appartient à un continu.» *220b

25-26].

De la notion d’infini (apeiron), nous retiendrons que dans l’Antiquité, pour les Grecs, quelque

chose d’illimité qui n’a donc pas de forme, reste quelque chose d’inachevé qui n’a pas

complètement accédé à l’être. L’infini n’est pas un tout dont toutes les parties existent

simultanément. Il existe en puissance car tous les continus, le temps, l’espace, la quantité et le

mouvement, sont divisibles à l’infini : « l’infini n’est pas en puissance dans un sens tel qu’il doive

ultérieurement exister en acte à titre de réalité séparée. » *9, Θ, 6, 1048b 14+.

En conclusion de ce paragraphe, nous donneront des constatations générales sur la physique

aristotélicienne. Les changements, dont les mouvements, ne peuvent être que des intermédiaires

entre deux pôles. Seul le mouvement circulaire échappe à ce statut puisqu’il ramène toujours au

même point. Le changement n’est pas un sujet, il est dans un sujet. Ce statut du mouvement

interdit de concevoir un mouvement de mouvement, autrement dit une accélération qui lui

donnerait une véritable existence indépendante des deux pôles qu’il relie. En vertu du principe

d’inertie, la physique galiléenne donne au mouvement une existence en soi, en tant que

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mouvement. Ignorant l’inertie, Aristote doit se poser le problème de l’origine principielle du

mouvement, du moteur. Cette théorie du mouvement profondément marquée par un caractère

dynamique et vitaliste ne s’avise pas de subordonner le mécanisme.

Le terme très général de devenir inclut, en plus des étants naturels, toute autre forme de devenir,

y compris la production, l’action et le mouvement spontané. Pour les êtres naturels uniquement,

les pôles des métabola sont immanents, le devenir a toujours un but qui correspond à la nature des

êtres : la finalité est un caractère récurrent de la philosophie d’Aristote.

IV) LES ETRES VIVANTS

Ce sont parmi les étants naturels les êtres les plus complexes, les plus richement déterminés.

Tous les étants naturels sont des composés de matière et de forme. La matière n’est pas une

réalité désignable tant qu’elle n’est pas habitée par une forme qui lui apporte sa spécificité. Mais

tous les étants naturels ne possèdent pas la vie.

L’âme (psyché) caractérise l’être vivant. Aristote pose ensuite que le vivant a pour matière le

corps et pour forme l’âme. La matière est puissance et l’âme est la forme. L’hylémorphisme se

transpose dans l’unité du corps et de l’âme ; l’âme ne se distingue pas du corps à la manière d’un

être numériquement distinct d’un autre. Les états d’âme seront reconnaissables dans tous les

phénomènes de la vie.

L’âme comme forme n’est pas seulement une configuration de la substance ; elle est aussi un

principe de vie, une entéléchie : « L’âme est substance au sens de forme d’un corps naturel

possédant la vie en puissance. Or la substance formelle est entéléchie : l’âme est donc l’entéléchie

première, d’un corps naturel de cette sorte.». Un tel corps est un corps que nous dirions organique,

qui a tous les instruments nécessaires à l’âme pour exercer ses fonctions. L’âme donne la vie en

acte.

Un cadavre ne répond pas à cette définition ; il faut au corps une intégrité anatomique et

physiologique. Une main n’est vivante que lorsqu’elle est capable d’accomplir sa fonction et plus

encore quand elle l’accomplit : l’âme est une entéléchie, mais une entéléchie première comme le

fait de posséder la connaissance est entéléchie première de la science possédée et exercée.

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Aristote établit même une analogie entre, d’une part la veille et l’activité intellectuelle, d’autre part

le sommeil et la possession de la science sans l’activité. « Tous les corps naturels sont des

instruments de l’âme ; c’est le cas des corps des animaux, c’est aussi le cas pour ceux des plantes,

en sorte qu’ils existent en vue de l’âme. » [3, II, 4, 415b 18-21]. Ici encore, la finalité est présente.

L’âme est l’aptitude à fonctionner, le principe vital qui « anime » le corps si rien d’extérieur ne l’en

empêche ; l’âme n’exerce pas ses fonctions pendant le sommeil de l’animal. Mais, l’idée principale

de la définition réside dans le fait que l’âme soit la forme, ce qui éclaire sur sa nature et ses

rapports avec le corps. Aristote rompt avec tout matérialisme puisque la forme n’est pas une chose

matérielle. L’âme partage les affections du corps comme toute forme partage les affections de sa

matière. Si elle ne fait qu’un avec le corps, c’est néanmoins par les affections du corps que nous

aurons accès à la nature de l’âme ; nous retrouvons la valeur sémantique de l’hylémorphisme.

De même que la forme et la matière ne peuvent être séparées sinon logiquement, l’âme et le

corps ne sont pas séparables. Il n’y a pas d’âme en soi mais l’âme de tel corps organique.

N’importe quelle âme ne peut pas habiter n’importe quel corps ; ce serait là encore, faire

descendre l’art de l’ébéniste dans les flûtes qu’il fabrique.

Ce principe vital, immanent aux corps naturels est aussi un principe de mouvement. La nature

lorsqu’il s’agit d’un animal ou d’une plante s’appelle âme. Si celle-ci disparaît, le corps retourne à sa

matérialité : « L’œil est la matière de la vue, laquelle disparaissant, il n’y a plus d’œil sinon par

homonymie, comme pour l’œil de pierre ou l’œil dessiné. » [3, II, 2, 412b 20-22].

L’animé se distingue de l’inanimé par la vie. Force est de constater que la vie se dit en plusieurs

sens : « et même si une seule de ces choses est présente en un sujet, l’intelligence, par exemple, le

mouvement et le repos selon le lieu, ou encore, le mouvement lié à la nutrition, la croissance et le

dépérissement, nous disons qu’il vit » [3, II, 2, 413a 23-25].

Aristote définit l’âme par ses facultés. Sa psychologie, en définissant les grandes fonctions de la

vie, est une physiologie générale. Il admet trois types d’âmes : végétative, sensitive et raisonnable

ou intellective. Quelques êtres possèdent toutes les facultés de l’âme, d’autres certaines facultés

seulement. Ce ne sont pas pour lui trois entités séparées ou superposées. Ce sont trois degrés

d’une même hiérarchie. Les termes inférieurs peuvent exister seuls, mais les termes supérieurs

supposent, en puissance, ce qui est au-dessous d’eux. Les fonctions psychiques (au sens de

fonctions de l’âme) ne sont, à chaque degré de la hiérarchie, que les manifestations coordonnées

d’une seule et même âme.

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a. L’âme végétative

« Par vie nous entendons le fait de se nourrir, de croître, de dépérir par soi-même. » [3, II, 1, 412a

15]. Le fait de se nourrir est le caractère le plus élémentaire et le plus indispensable : « Le vivre

appartient aux vivants grâce à ce principe » *413b 1+. C’est par elle que les plantes vivent ; elles ont

uniquement la capacité de croissance et de dépérissement.

L’âme végétative a une fonction nutritive. La digestion est une coction ; la chaleur vitale est cause

adjuvante tandis que l’âme est cause véritable et sans doute cause efficiente. En situant le principe

premier de la vie dans l’âme, Aristote est un animiste : « Il est donc nécessaire que tout être vivant

possède l’âme nutritive, et qu’il ait une âme de sa naissance à sa mort. » [3, III, 12, 434a 23-24].

L’âme des plantes ne possède qu’une faible unité. D’ailleurs, leur constitution est imparfaite :

chacune est comme une pluralité de plantes juxtaposées et possèdent en puissance plusieurs âmes,

cela est manifeste quand on les bouture.

Cette fonction peut être séparée des autres, tandis qu’il est impossible que les autres existent

sans elle chez les êtres mortels.

b. L’âme végétative et sensitive

« Les êtres qui ne se meuvent pas et qui ne changent pas de lieu, mais qui possèdent la sensation,

nous les appelons animaux, et nous ne disons pas seulement qu’ils vivent. » [3, II, 1, 413b 3-4]. Il est

important de noter que ce n’est pas le mouvement local qui caractérise l’animal ; certains sont

fixes, il est même parfois bien difficile de définir s’il s’agit de végétaux ou d’animaux.

Aristote précise ensuite que tous les animaux possèdent au moins un sens. Le plus important des

tissus des animaux est la chaire, organe du tact qui est le fondement de la vie animale. Dès le livre I

de l’Histoire des animaux, dans le chapitre 4 traitant de l’humeur vitale et de son support, Aristote

aborde ce sujet : « chez tous il <le toucher> survient dans des parties homéomères. » [489a 27]. Il

oppose ce sens de base aux puissances actives comme l’exercice du mouvement local, qui se

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produisent dans les parties anhoméomères. Un faible niveau d’organisation est donc suffisant pour

avoir la sensation tactile.

Les sensations n’existent pas de la même manière chez tous les animaux : « chez certains elles

sont toutes, tandis que chez d’autres elles moins nombreuses » [7, IV, 8, 532b 29-31].

La sensation est définie comme l’acte commun du sensible et du sentant, l’actualisation

dépendant de l’identité de l’acte dans le moteur et dans le mû. Elle établit un rapport entre une

cause physique et un état psychique.

Aristote propose une définition générale de la sensation : « De manière générale, pour tout sens,

il faut comprendre que la sensation est ce qui est capable de recevoir les formes des sensibles, sans

leur matière, à la façon dont la cire reçoit l’empreinte de l’anneau sans le fer ni l’or. *…+ le sens

correspondant à chaque sensible pâtit sous l’action de l’objet qui possède couleur, saveur ou son,

mais non pas en tant que chacun est dit tel objet particulier, mais en tant qu’il a telle qualité

déterminée et selon sa forme (eidos) » [3, II, 12, 424a 17-24].

La même analyse est développée à la faveur de l’étude du son : « L’acte du sensible et du sens

sont un seul et même acte, bien que leur essence soit différente. J’entends par là par exemple le

son en acte et l’ouïe en acte. Il est possible en effet, tout en possédant l’ouïe, de na pas entendre,

et ce qui possède le son ne produit pas toujours du son. Mais quand ce qui est capable d’entendre

passe à l’acte, et quand ce qui est capable de produire du son émet un son, alors ensemble et l’ouïe

devient en acte, et le son devient en acte, et l’on pourra dire qu’il y a d’une part l’audition, d’autre

part la résonance. » [3, III, 2, 26-32].

Le nombre de qualités sensibles est tel qu’il y a cinq sens propres et qu’il ne peut y en avoir plus.

Le mouvement, le repos, le nombre, la figure et la grandeur sont des sensibles communs. Il existe

un sens commun qui a trois fonctions : sentir les sensibles communs, assurer l’unité des sensations

propres et surtout procurer au sentant la conscience de sa sensation. Le sens commun siège dans le

pneuma ou souffle vital, lui-même situé dans le cœur ; il n’utilise pas à un organe spécifique. La

sensation des sensibles propres est toujours vraie tandis que celle des sensibles communs risquent

fortement d’être fausse.

L’âme se définit aussi par le mouvement *3, II, 2, 413b12+, et : « aucun corps qui n’est pas fixe ne

possède une âme sans avoir la sensation. » [3, III, 12, 434b 8].

« Qui possède la sensation éprouve aussi plaisir et peine, ressent l’agréable et le pénible, et ceux

qui éprouvent cela ont aussi l’appétit, car l’appétit est désir de l’agréable. » [3, II, 3, 414b 3-5+. C’est

la faculté désidérative de l’âme ; elle est subordonnée à la fonction sensitive et provoque des

mouvements.

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« Tous les animaux ont le désir de la nourriture parce qu’ils ont la sensation du plaisir qu’elle

procure. Car le désir s’attache à l’agréable. » [12, II, 17, 661a 7-8]. Ce désir est un moteur qui peut

générer des mouvements de recherche de nourriture. Ce sont les plus humbles des mouvements

autonomes des animaux.

Il est moteur car « si elle <l’âme> possède la sensation, elle possède aussi la représentation » [3, II,

2, 413b 23]. Le mot employé est phantasia ; représentation nous semble une traduction plus juste

que imagination puisque la phantasia est semblable à la sensation. La seule différence réside dans

l’immatérialité des images nées de la représentation. Elles résultent d’un mouvement du sens

commun. La représentation a un rôle pratique. Dépendant du sens commun, elle peut être fausse.

Toutes les bêtes ne la possèdent pas ; certains ont la sensation sans avoir de mouvement

autonome.

La sensation est un plaisir : « Tous les hommes ont, par nature, le désir de connaître ; le plaisir

causé par les sensations en est la preuve, car, en dehors même de leur utilité, elles nous plaisent

par elle-même, et, plus que toutes les autres, les sensations visuelles. » [8, A, 1, 980a 21-24].

Il est nécessaire pour vivre (zôion), d’avoir une âme végétative. Les autres facultés de l’âme

concernent le genre de vie (bios) et présupposent l’âme végétative. De même, l’intelligence

suppose une âme sensitive et la totalité de ses fonctions. Elle sera responsable de genres de vie

différents.

c. L’âme végétative, sensitive et intellective

L’intellection Aristote s’attache à montrer que la sensation prépare la pensée et que la connaissance sensible

peut ouvrir sur la connaissance intellectuelle : « Mais puisque de l’avis général, aucun objet n’existe

séparé des grandeurs sensibles, c’est dans les formes sensibles que les intelligibles existent, comme

tout ce qu’on appelle les abstractions et tout ce qui est états ou affections des objets sensibles. »

[3, III, 8, 432a 4-6+. L’image sensible contient l’intelligible en puissance. L’intellection suit un

processus similaire à celui de la sensation à savoir un acte commun à l’intellect passif et l’image

sensible. La capacité de l’intellect à avoir une intellection et la capacité de l’objet à être objet

d’intellection s’actualise ensemble. La cause efficiente est l’intellect agent.

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Statut et immortalité Le statut de l’âme intellectuelle de l’homme est assez ambigu. Dans le traité De anima, l’âme est

plus souvent considérée comme « ce par quoi nous vivons et nous sentons ». L’intellect ne réside

pas dans un organe et n’a aucune nature si ce n’est d’être en puissance. Son action n’est pas un

mouvement corporel.

Lorsqu’il aborde le processus de l’intellection, Aristote écrit que l’intellect humain ne reçoit les

intelligibles qu’en les dégageant du sensible ; il est « capable devenir toutes choses ». L’agent, lui,

est « capable de produire toutes choses » ; lui seul est incorruptible.

Dans les textes de la Génération des animaux [2, II, 3, 736b 27], il semble affirmer que l’âme

intellectuelle vienne « du dehors » et non de la semence mâle. L’Ethique à Nicomaque [6, X, 7,

1177b 27-34] suggère que l’intellect est immortel grâce à sa parenté divine. Nous pensons que

cette affirmation fait partie d’un discours d’exhortation, l’intellect n’est que « quelque chose de

divin par comparaison avec l’homme ».

Il est intéressant de constater les liens qui relient les affections invisibles de l’âme et les

phénomènes sensibles du corps ont été utilisés aussi bien pour démontrer l’immortalité de l’âme

humaine et la corruptibilité de celle des bêtes que la corruptibilité de l’âme humaine.

Les facultés L’enchaînement des mouvements liés à l’intellection est exposé dans le chapitre 1 du premier livre

A de la Métaphysique. Aristote y fait état d’une échelle des facultés psychiques qui est caractérisée

surtout par sa progression continue d’étape en étape. Chacune est subordonnée à la totalité de

celles qui la précède. La faculté intellective suppose en premier lieu l’existence des facultés

sensitives.

« Par nature, assurément, les animaux sont doués de sensation, mais, chez les uns, la sensation

engendre la mémoire, tandis qu’elle ne l’engendre pas chez les autres. C’est pourquoi les premiers

sont plus intelligents et plus aptes à apprendre *…+ Les animaux autres que les hommes vivent donc

réduits aux images (phantasia) et aux souvenirs ; à peine possèdent-ils l’expérience, tandis que le

genre humain s’élève jusqu’à l’art et jusqu’au raisonnement (logos). C’est de la mémoire que naît

l’expérience chez l’homme ; en effet, de nombreux souvenirs d’une même chose constituent

finalement une expérience ; *…+ la science (épistémè) et l’art (techné) viennent aux hommes par

l’intermédiaire de l’expérience » [8, A, 1, 980a 29-981a 3].

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La première étape est la sensation. La deuxième étape est la représentation. La fonction

imaginative peut avoir un rôle cognitif, elle précède alors le raisonnement : « Pour l’âme rationnelle

les représentations sont comme des objets sentis. Quand l’objet est bon ou mauvais, elle affirme ou

nie, et fuit ou poursuit. C’est pourquoi l’âme ne pense jamais sans représentation. » [3, III, 7, 431a

24-17]. La phantasia introduit la possibilité d’erreur dans le processus.

La troisième est la mémoire (mnèmès). La mémoire, « même celle des intelligibles, n’existe pas

sans image et l’image est une affection de la sensation commune. Dès lors, elle doit appartenir par

accident à l’intellect, mais elle appartient par soi à la faculté sensible première. » [14, De la

mémoire et de la réminiscence, 1, 450a 12-15+. La mémoire est à la fois l’empreinte et la

reproduction d’une sensation ou d’un savoir antérieur. Elle relève de la sensation commune parce

qu’elle est une espèce de phantasia et parce qu’elle s’accompagne de la sensation du temps. Le

mouvement de recherche d’une image antérieurement constituée est la réminiscence

(anamnèseôs).

La quatrième étape va de la mémoire à la faculté de comprendre (phronesis). Phronesis est

également traduite par intelligence pratique ou par prudence. Aristote l’attribue à certains des

autres animaux. Elle se rapporte à la gestion des faits et aux mouvements autonomes de la vie

biologique, ceux qui correspondent à la soteria que nous étudierons plus loin.

De l’entendement naît l’expérience qui aboutit au raisonnement (logismos). Le raisonnement est

un acte de l’intelligence théorétique. Cette intelligence n’a rien de pratique et ne peut pas générer

de mouvement local « même si l’intelligence l’ordonne et que la réflexion dit de fuir ou de

rechercher une chose, il n’y a pas de mouvement. » [3, III, 9, 433a 2-3+. L’homme est le seul des

êtres vivants à atteindre ce niveau dans la hiérarchie des âmes et de ses fonctions.

Aristote ne veut certainement pas dire que l’expérience engendre l’intelligence mais il insiste sur

le fait que la saisie des intelligibles contenus dans les images sensibles est rendue possible par la

sensation aidée de la représentation et de la mémoire.

d. La fonction motrice de l’âme : le mouvement autonome

Elle fait intervenir plusieurs facultés psychiques. Cette fonction génère les mouvements locaux

autonomes. « Le moteur premier est quelque chose d’unique : le désirable. » [3, III, 10, 433a 21].

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Nous avons déjà remarqué que la fonction désidérative doit être accompagnée de la fonction

représentative (phantasia) pour être motrice.

Il y a trois espèces de désir. La première, le vouloir, est issu de la délibération et dépend de la

partie rationnelle de l’âme. Les deux autres espèces sont irrationnelles. Ce sont l’appétit qui est

désir de bonne nourriture et la fougue ou le courage qui est désir de mouvements.

La fonction désidérative est motrice via l’intelligence. L’intelligence théorétique meut car son

principe est le vouloir et l’intelligence pratique avec la représentation meut par fougue ou appétit.

La psychologie d’Aristote est essentiellement immanentiste ; elle est associée, par l’intellect à une

certaine forme de transcendance : « La pensée est séparable, non mélangée, essentiellement

actualité… et quand elle est séparée, elle est juste ce qu’elle est : immortelle et éternelle. » [3, III,

5, 430a 17-18, 22-23+. Mais, séparée, elle n’est plus véritablement humaine.

Les âmes se distribuent sur une échelle hiérarchisée de la plus simple à la plus compliquée. Chaque

niveau intègre les niveaux inférieurs.

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LA FINALITE

Cette partie de notre étude débutera par la célèbre théorie aristotélicienne de la causalité qui sera

immédiatement suivie par l’examen du hasard et de la spontanéité.

Notre étude de la finalité se poursuivra en essayant de répondre à deux questions : comment peut-

on et comment ne peut pas parler de l’homme comme fin de la nature ?

Les réponses à ces questions nous aiderons à définir les places respectives de l’animal humain et

des autres animaux dans la philosophie d’Aristote.

I) LA THEORIE DES QUATRE CAUSES

L’importance de cette théorie est indéniable puisque l’on a la connaissance scientifique d’une

réalité, au sens aristotélicien du terme, quand on en connaît la cause [18, I, 2, 71b 9 sq.]. Aristote

prend soin, dès les premiers chapitres de la Métaphysique, de souligner que ses prédécesseurs

n’ont pas su trouver la totalité de ces principes nécessaires pour expliquer la nature des choses. Les

quatre causes prévalent pour l’étude de la nature (physis) en justifiant qu’une réalité soit ce qu’elle

est en présentant telle forme réalisée dans telle matière et en étant en mouvement.

Le terme cause est pris au sens très général de liaison explicative, c’est ce à quoi on peut imputer

la responsabilité de quelque chose. Le terme grec aitia, traduit généralement par « cause », signifie

la responsabilité qu’a une chose ou une personne dans une action ; il signifie aussi « accusation ».

L’adjectif aitios se traduit à la fois par « responsable » et par « coupable ». De nos jours, la notion

de cause est associée à l’action d’un objet sur un autre ; elle est distincte de l’effet. Il n’est même

pas sûr qu’Aristote considère que ces quatre causes doivent précéder leurs effets. Elles se

ramènent à la forme et à la matière.

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a. La cause matérielle

Elle correspond à la réceptivité de la matière. C’est aussi à la matière qu’Aristote assimile la cause

nécessaire ; la nécessité dont il s’agit est une nécessité hypothétique, c’est-à-dire une nécessité qui

n’existe que si le résultat du processus causal est tout d’abord posé. La cause matérielle envisagée

selon sa nécessité est condition de la finalité. La nécessité hypothétique va du conséquent à

l’antécédent. Comme l’explique la note de Pierre Pellegrin au chapitre 9 du livre II de la Physique, le

nécessaire c’est que la scie soit en fer pour qu’il y ait une scie et sa fonction de couper (une scie en

laine ne saurait le faire) ; cela est hypothétiquement nécessaire à la scie, mais la scie n’est pas faite

en vue d’être en fer. Sa raison d’être est de couper et cette raison d’être doit être connue pour

choisir la matière dont sera faite la scie. La véritable finalité est ici la raison d’être assimilable à la

fonction.

La matière est cause nécessaire, mais cette nécessité qui lui vient du dehors, la matière la reçoit à

sa façon. Lorsqu’une matière reçoit une détermination, elle ne l’emploie pas uniquement à réaliser

la fin : « Certaines choses étant telles, une foule d’autres surviennent nécessairement parce que ces

choses sont telles. » [12, IV, 677a 18+. Pour reprendre l’exemple de la scie, elle doit être en fer pour

couper ; mais le fer apporte également à la scie son aptitude à rouiller et il pourrait arriver que la

scie soit détruite précisément parce qu’elle est en fer. Il y a donc quelque chose comme un

déterminisme propre à la matière qui se pose à côté de celui imposé par la forme. Un conflit entre

ces deux déterminismes peut expliquer l’imperfection du déterminisme global.

De plus la matière en restant toujours partagée entre deux puissances contraires, introduit dans la

nature une irréductible part de contingence. Des effets attendus ne se produiront pas et d’autres

inattendus se produiront. La rigueur mathématique est inapplicable à la physique car toute la

nature contient de la matière.

Les trois autres types de cause correspondent à différents aspects de la forme.

b. La cause formelle

La cause formelle s’identifie à la forme en tant qu’elle permet l’expression des propriétés qui en

découlent nécessairement. Son conséquent est la spécificité de la chose. Aristote lui donne le nom

de modèle [15, II, 3, 26). Il nous semble que la cause formelle peut être considérée comme la

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définition de la chose qu’elle vise. Elle est contenue dans la forme initiale qui regroupe, avant le

changement, la forme déjà actualisée et la privation qui représente la nature du changement.

c. La cause finale

La cause finale est la forme en tant que but, c’est-à-dire la forme initiale remaniée par

l’actualisation de la privation. Ce terme « final » ne signifie pas que le processus se termine, il met

surtout l’accent sur la nature du but atteint et donne ainsi un sens au processus.

La fin est « ce en vue de quoi » auquel il faut attribuer deux sens : « la cause finale est l’être pour

qui elle est une fin et c’est aussi le but lui-même, en ce dernier sens la fin peut exister dans les êtres

immobiles, mais non dans le premier sens » [9, Λ, 1072b 2-3].

Le changement dans un être suppose que celui-ci offre une certaine indétermination, un certain

inachèvement. Il faut que les choses « puissent être autrement », ce qui signifie soit pouvoir

devenir autre et concerne les choses en mouvement par rapport aux choses immobiles, soit pouvoir

être actuellement autrement qu’elle n’est. La dernière alternative exprime le concept de

contingence opposé à celui de la nécessité. La contingence laisse la place au mouvement spontané.

Parmi les êtres immuables, le Premier Moteur est nécessaire et « en tant que nécessaire, il est le

Bien, et ainsi il est principe du mouvement » [9, Λ, 7, 1072b 10-11+. Le bien n’est pas immanent au

monde, il émane de Dieu qui est la source du Souverain Bien. C’est à ce titre que Dieu agit comme

cause finale : « la cause finale, prise en ce sens, meut donc comme objet de l’amour » *9, Λ, 1072b

4+. L’homme est le seul être vivant à rechercher le Souverain Bien parce que son intelligence

théorétique l’impose.

d. La cause motrice

La cause efficiente ou motrice est la forme en tant qu’agent, cause principielle du mouvement.

L’action consiste en ce que l’agent qui est en possession de la forme, informe le patient soit en lui

transmettant la forme soit en réveillant en lui la forme qui y sommeille à l’état virtuel. L’activité

motrice n’est donc rien d’autre que la réalisation de la forme. Cette dernière cause est la plus

proche de la cause au sens moderne du terme.

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Nous avons vu que Dieu, comme Premier Moteur, est à l’origine de tous les mouvements du

monde sublunaire via les corps célestes. Il faut insister sur le fait qu’il est ainsi à l’origine d’une mise

en place qu’il ignore totalement. Chaque être naturel utilise ce mouvement d’une façon qui lui est

propre comme l’atteste l’immanence de son âme. Dieu ne donne aucune orientation au devenir. Le

monde sublunaire n’est ni une émanation, ni une copie du divin, il possède une réalité et une

intelligibilité qui lui sont propres.

e. Quelques exemples

Il est plus facile d’isoler ces quatre causes dans les substances artificielles. Pour une maison, les

matériaux sont cause matérielle, la construction ou art de construire, cause efficiente,

l’arrangement des matériaux est cause formelle et le but du constructeur, fournir un abri est la

cause finale. La cause motrice est toujours extérieure à l’objet et la cause finale est le but que se

fixe la délibération de l’artisan. Les êtres artificiels n’ont des causes que parce qu’il existe des êtres

naturels ; la cause matérielle de la table est l’être naturel qu’est l’arbre, sa cause motrice l’être

naturel qu’est le menuisier. L’artisan doit réunir dans sa pensée la fin recherchée, la spécificité par

laquelle peut se manifester cette fin, la matière la plus adaptée et les mouvements requis pour

réaliser cette forme. Une fois l’objet réalisé, si on retire la cause efficiente, les trois autres se

retrouvent en lui. Si Aristote compare fréquemment l’activité de la nature avec celle de l’artisan, il

ne fait jamais l’hypothèse d’un esprit divin construisant la nature « de l’extérieur ». Dieu est sans

matière, immuable et n’a d’autre fin que lui-même.

Pour la génération d’un homme, la mère est cause matérielle, le caractère spécifique est cause

formelle, le père est cause motrice et l’exemplaire humain achevé (voire la perpétuation de

l’espèce) est cause finale. Dans l’être vivant parvenu à maturité, on comprend que les causes

motrice, formelle et finale ne font qu’une *15, II, 7, 198a 24+. Elles sont toujours immanentes à

l’être individuel.

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II) HASARD ET SPONTANEITE

« Mais on dit aussi que le hasard et la spontanéité sont parmi les causes, et que beaucoup de

choses existent aussi bien qu’elles adviennent par hasard et du fait de la spontanéité. » [15, II, 4,

195b 30-33].

Cette théorie est exposée dans les chapitres 4 à 6 du livre II de la Physique. Pour plus de clarté, nous

avons choisi la position de Couloubaritsis [16] qui traduit automaton par mouvement spontané et

tychè par hasard. Nous nous efforcerons de montrer comment Aristote intègre ce concept dans sa

notion de finalité de la nature.

« Aussi bien le hasard que le mouvement spontané, sont deux causes par accident, dans le

domaine des choses qui ne peuvent se produire ni de façon absolue ni la plupart du temps, et parmi

elles, de toutes celles qui peuvent devenir en vue d’une fin. » [16, 5, 197a 34-35].

Il s’attache d’abord à défendre l’existence de telles causes. Aristote se montre toujours soucieux

d’exprimer la régularité des changements naturels tout en reconnaissant que cette régularité n’est

pas absolue. L’expérience laissant apparaître un réel complexe et varié, il ne peut se limiter à la

réduction des principes explicatifs des choses aux quatre causes et doit les étendre dans deux

directions opposées, le hasard et la spontanéité.

Puis il établit qu’elles ne sont pas les causes de l’univers car elles ne peuvent être antérieures à la

nature dont le devenir doit être compris selon un processus qui arrive toujours ou le plus souvent.

Ce qui arrive par hasard n’appartient ni à ce qui arrive nécessairement et toujours ni à ce qui arrive

le plus souvent. « Aucune des choses qui est par hasard n’advient comme si elle était toujours ou

fréquemment. » [16, 5, 197a 32]. Les faits dus au hasard adviennent en dehors de toute régularité.

Qu’un phénomène se produise par hasard ou par mouvement spontané, il faut d’abord que ce qui

arrive soit susceptible d’être une fin. Il faut ensuite que ce fait susceptible d’être une fin soit arrivé

sans avoir effectivement été pris pour fin. Capable de relever d’une activité téléologique, il n’a pas

été produit par une telle activité ; ce qui revient à dire que l’activité productrice d’un fait de hasard

ou de mouvement spontané n’est téléologique que par accident. Toute activité étant

reconnaissable à sa fin, automaton et tychè doivent être rangés dans le type des causes

accidentelles. Telle, l’arrivée spontanée d’un cheval qui lui évite l’accident, alors qu’il n’est pas venu

dans ce but : il est sauvé accidentellement. De même, il arrive que le constructeur d’une maison

soit musicien.

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Quant au mode de la cause, ils appartiennent tous les deux « aux causes au sens de ce d’où

s’amorce l’origine du mouvement » [16, 5, 198a 2-3]. Dans les deux cas, il convient de rapporter ce

type de causalité à la cause efficiente.

Nous devons à ce stade, expliciter la différence entre le hasard et le mouvement spontané.

a. Le hasard

« Le hasard est une cause par accident concernant celles parmi les choses en vue de quelque

chose qui relèvent du choix réfléchi. Voilà pourquoi la pensée et le hasard concernent le même

objet, c’est qu’il n’y a pas de choix réfléchi sans pensée. » *15, II, 5, 197a 5-9].

Il concerne l’activité humaine et même en particulier l’activité raisonnée. Il est cause par

accident ; l’intellect est cause par soi. Ceci justifie pour Aristote que « n’ayant pas l’activité de

choisir, aucun étant inanimé, ni aucune bête, ni aucun enfant ne produisent rien par hasard ; ni la

chance, ni la malchance ne leur appartiennent davantage, si ce n’est par une ressemblance » [15, II,

6, 197b 7-10].

Le hasard est réel en tant qu’il signifie l’absence d’une activité téléologique là où la présence

d’une telle activité semble requise. C’est ce rapport avec une fin qui fait que le hasard, bien que

cause accidentelle, ait sa place dans les traités scientifiques.

b. La spontanéité

Le hasard et la spontanéité diffèrent en ce que la spontanéité a plus d’extension. Tout ce qui se

produit spontanément ne se produit pas par hasard et tout ce qui se produit par hasard se produit

spontanément. Le mouvement spontané ne relève pas du choix et de la pensée, il est tributaire

d’une cause intérieure et concerne tant les phénomènes contre-nature que les phénomènes

naturels. La spontanéité est cause par accident ; la nature est cause par soi.

Le mouvement spontané appartient également aux autres animaux et à beaucoup d’étants

inanimés : ainsi, le trépied qui retombe spontanément sur ses pieds alors qu’il n’est pas tombé en

vue de servir de siège.

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Le mouvement spontané arrive également aux choses qui sont en vue d’une fin mais peuvent

néanmoins la transgresser. Leur domaine est donc celui de l’indéterminé, les monstres et la

génération spontanée en font partie. La fin elle-même est ici considérée comme étant un accident.

La génération spontanée est reconnue possible pendant toute l’Antiquité. « Il advient un

caractère commun aux animaux et aux plantes. Certaines plantes proviennent de la semence

d’autres plantes, mais d’autres naissent d’elles-mêmes, *…+. Ainsi, parmi les animaux, les uns

naissent d’animaux en vertu de la parenté de leurs formes, les autres naissent d’eux-mêmes et non

pas d’animaux du même genre, et parmi ceux-ci, les uns naissent de la terre et des plantes en

putréfaction, comme c’est le cas de nombreux animaux à entailles, les autres naissent dans les

animaux mêmes, de résidus qui sont dans certaines parties. » [7, V, 1, 539a 16-25]. Aristote invoque

une « chaleur psychique » pour expliquer l’apparition spontanée d’une âme. Les animaux

engendrés spontanément sont parmi les plus imparfaits : « En général, tous les animaux recouverts

d’une coquille naissent d’eux-mêmes, dans la boue, différents à proportion des différences de la

boue ; » [7, V, 15, 547b 18-24].

Si la génération spontanée est une fin accidentelle, elle sert néanmoins la fin ultime de la nature

en produisant la vie, assurant de ce fait la conservation de l’espèce : « Parmi les choses qui sont

engendrées, les unes sont des productions de la nature, les autres, de l’art, les autres du hasard. »

[8, Z, 7, 1032a 12]. Aristote veut certainement ici, impliquer la génération spontanée.

Il est fréquent de trouver dans les traductions, le mot fortune pour désigner le hasard dans les

actions humaines, le mot hasard dans un sens plus large désignant alors le mouvement spontané.

Dans le livre Λ, fortune et hasard sont considérés comme des privations de l’art et de la nature *3,

1070a 8].

La variété des phénomènes du réel ne s’oppose pas à une organisation selon les quatre espèces de

causes si l’existence du hasard et du mouvement spontané est reconnue comme cause accidentelle.

De telles causes expriment la contingence qui affecte les processus naturels comme une propriété

négative.

Le plus souvent pour les êtres vivants, la finalité reste déterminante dans les rapports entre les

différentes causes puisque toutes contribuent à ce qu’elle manifeste, étant entendu que leurs

actions sont nettement contraintes par celle de la nécessité hypothétique matérielle.

Le monde sublunaire, où règne-le : « dans la plupart des cas » avec le mouvement et la

contingence, s’oppose au monde supralunaire, domaine de la nécessité absolue et de l’immobilité.

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III) L’HOMME N’EST PAS LA FIN DE LA NATURE

a. Genèse du singulier

Nous avons vu que l’acte est antérieur à la puissance en étudiant les trois distinctions cardinales ;

nous avons également vu que la nature est dans le même genre que la puissance. Il s’en suit que

l’existence ne peut être donnée que sous la forme d’une substance actuelle, déterminée : « la

substance, ou forme est un acte. » *9, Θ, 8, 1050b 2+. L’indétermination relative à la matière n’est

jamais absolue ; elle est toujours relative à l’actualisation par la forme.

L’acte est antérieur à la puissance « sous le rapport de la substance ». Tout s’achemine vers ce

principe formelle, c’est-à-dire vers une fin : « or la fin, c’est l’acte et c’est en vue de l’acte que la

puissance est conçue. » *9, Θ, 8, 1050a 8+. Lorsque la matière est en acte, elle est dans sa forme :

« L’œuvre est, en effet la fin, et l’acte, c'est l’œuvre ; c’est pourquoi aussi le mot acte qui est dérivé

d’œuvre, tend vers le sens d’entéléchie. » *9, Θ, 8, 1050b 20-23+. L’acte peut être considéré comme

un processus de génération dont le terme final est l’entéléchie. De même que l’acte est antérieur à

la puissance, la cause finale est première dans l’ordre de la connaissance, car elle est identifiée avec

ce que sont les choses.

Ainsi, cause formelle et cause finale se confondent lorsqu’Aristote fait référence à la genèse du

singulier, c’est-à-dire à sa constitution comme quelque chose de précis ; le telos (but, fin) s’identifie

avec la forme. La nature signifie alors la tendance de la matière indéterminée à se transformer en

une chose concrète et singulière. La fin est la forme en tant qu’essence ou quiddité comme « tode

ti », cette chose déterminée, ceci ou cela. C’est le plein épanouissement de la forme comme

détermination essentielle. Le telos est alors l’extrême (eschaton) selon la quiddité. Ce point

culminant ne sera pas dépassé ; il annonce déjà le mouvement inverse, la corruption qui est le

retour vers l’indéterminé, l’eschaton selon le temps.

La notion de fin se situe dans le changement du non-être à l’être comme constitution ontologique

propre au monde sublunaire. Elle est non seulement immanente mais n’a rien d’extérieur à la

chose. Cette finalité n’a de sens que lorsque les choses ne sont pas ce qu’elles doivent être ; elle

renvoie ainsi à la privation de la matière non encore informée. Elle ne concerne pas les étants qui,

selon Aristote, sont déjà et depuis toujours ce qu’ils sont : les étants du monde supralunaire. Elle

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concerne les êtres faits de cette matière qui est sujet du désir d’être (qui est privation), désir qui

sera assouvit en recevant une détermination concrète (qui est forme).

Grâce à ces deux facteurs fondamentaux, un principe hylétique d’indétermination et un principe

eidétique de détermination, le singulier atteint de façon autonome une fin qui lui est propre et

intrinsèque. Il nous semble que ce principe hylétique d’indétermination est suffisant pour exclure

toute possibilité de « creatio ex nihilo » et que le principe eidétique de détermination suffirait à

ôter toute idée de démiurgie ou d’intervention de l’extérieur.

Un même type de fin est réalisée pour chacun par des moyens différents et cette fin est vivre

« pour les êtres qui ont la vie en puissance » *15, II, 2, 194a+. La finalité concerne l’auto-

détermination et l’auto-constitution de l’individu en explicitant le processus interne selon lequel la

nature est naturante.

« La nature ne délibère pas » [15, II, 8, 199b 34]. Aristote se réfère au fait, attester par

l’expérience, que la nature se montre essentiellement comme une tendance à réaliser des choses

singulières bien définies ; il ne renvoie à aucune forme d’intentionnalité. Ceci n’exclut pas une

téléologie. L’eschaton visé par la nature est toujours, de fait, le meilleur « En effet, tout terme

extrême ne prétend pas être un but, c’est seulement l’<extrême> qui est le meilleur. » [15, II, 2,

194a 33].

Alors que Zeus fait pleuvoir par nécessité car « ce qui a été porté vers le haut doit se refroidir,

étant devenu de l’eau <doit> retomber » [15, II, 8, 198b 20], la croissance du blé étant seulement

accidentelle, la nature, elle, fait les choses en vue de quelque chose et parce que c’est le meilleur.

Le contraire est impossible : « Quant à ceux pour qui il n’en a pas été ainsi, ils ont été détruits et

<continuent d’être> détruits, comme Empédocle le dit des bovins à face humaine. » [15, II, 8, 198b

33-34].

Si l’affection eidétique est ratée, des fulgurations aléatoires apparaissent, tel le mouvement

spontané. C’est une réalité physique : une privation dans la détermination et sa régularité à se

reproduire, ici encore, sans aucune forme d’intentionnalité extérieure : les choses peuvent « être

autrement ».

En produisant des êtres inanimés ou animés la nature produit des êtres dans un horizon de

finalité, mais n’importe lequel de ces produits satisfait pleinement cette tendance : le caillou, la

plante ou l’éléphant aussi bien que l’homme. La nature ne vise rien ; elle produit des choses

uniquement pour exprimer sa tendance à réaliser des choses concrètes. La fin de la nature ne se

réfère jamais à ce pourquoi et en vue de quoi la chose est, mais seulement au fait qu’une chose

soit. Aucun des produits naturels n’a de valeur spécifique en tant que ceci ou cela.

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Il nous semble pouvoir dire que l’homme n’est pas la fin de la nature « naturante ». L’étant naturel,

quel qu’il soit, n’existe que comme entéléchie lorsque la nature est « naturée ». Il possède alors la

vie et son but sera de la conserver. La finalité ne détermine pas le contenu concret du monde, mais

seulement le fait qu’il y a des choses concrètes.

b. La conservation de soi (soteria)

Le vivant se prend en charge de lui-même. Chaque être vivant a en lui-même sa fin : se sauver du

non-être, nous entendons par là, vivre. Mais la conservation de soi peut s’entendre à deux niveaux.

Conservation de l’espèce : conservation « eidétique » Nous avons noté précédemment que l’âme végétative, la seule présente chez les plantes, est

responsable en ce qui concerne la nutrition, de l’autonomie de l’être qu’elle anime. Elle identifie la

vie.

« La même faculté de l’âme est à la fois nutritive et reproductrice » [3, II, 4, 416a 20]. La nutrition

permet non seulement la croissance puis la conservation de l’individu en tant que matière

déterminée mais aussi sa conservation « eidétique » par la procréation c’est-à-dire la conservation

de l’espèce. Chez les plantes, les fonctions et les organes sexuels sont réunis dans le même individu.

Une plus grande différenciation n’a pas lieu d’être, puisque la plante a atteint tout son but et

exercé toute son activité, lorsqu’elle s’est reproduite.

Ceci nous amène à une grande idée aristotélicienne : tous les êtres terrestres sont sujets de la

corruption mais certains imitent l’éternité des choses du ciel. Les plantes et les animaux, en

produisant d‘autres êtres semblables à eux participent à l’éternité. La finalité de chacun s’élargit

ainsi en s’étendant au-delà de la vie individuelle pour atteindre l’éternité de la nature.

Dans ce dernier sens où pour ainsi dire, la soteria ne concerne plus l’individu mais l’espèce

considérée comme partie de la nature, tous les vivants sont au même niveau puisque les plus

humbles, les plantes, s’y soumettent tout autant que les plus richement déterminés : « La plus

naturelle des fonctions, pour les vivants, tous ceux du moins qui sont complets et non mutilés, ou

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qui ne possèdent pas la génération spontanée, c’est de produire un autre être semblable à eux-

mêmes, un animal produisant un animal, une plante une plante, afin de participer, autant que

possible, à l’éternel et au divin. Tous en effet tendent à cela, et c’est en vue de cela qu’ils agissent

dans toutes leurs activités naturelles. *…+, parce qu’aucun être corruptible ne peut demeurer

identique à lui-même, *…+, et que ce qui demeure, c’est non point lui, mais un semblable à lui ; il n’y

a pas unité numérique, mais unité spécifique. » [3, II, 4, 415a 27- b 8].

Aristote insiste, cette fois dans le traité sur l’âme, sur le fait que le « en vue de quoi » a deux sens :

« ce pourquoi » et « le sujet en faveur de quoi » [3, II, 415b 21]. Lorsque nous avons écrit dans le

chapitre concernant les êtres vivants que les corps naturels existent en vue de l’âme, il nous semble

pouvoir considérer que le « en faveur de quoi » est l’être entier composé de matière et de forme,

tandis que le but lui-même est la vie. Nous avons déjà noté le désir de la matière de rencontrer sa

forme ; le corps simple joue déjà le rôle de matière indéterminée à la recherche d’une forme

supérieure qui, « finalement », lui donnera la vie. Ceci nous paraît attester du désir de vivre des

corps naturels et pouvoir ainsi considérer la vie comme fin ultime de la nature.

De la même façon qu’il est meilleurs d’être que de n’être pas, il est meilleurs de vivre que de ne

pas vivre. Mais tous les corps naturels ont ce même désir, les plantes, les animaux autant que les

hommes. Toutes les espèces de vivants ont le même but, vivre ; chacune le poursuit de façon

autonome grâce à l’immanence des principes.

Si Aristote voit dans l’ensemble de la nature une unité de plan, il est universellement reconnu qu’il

n’y a pas pour lui de filiation entre les diverses formes vivantes. Il est un partisan résolu de la fixité

et même de l’éternité des espèces. Aucune espèce n’existe en vue d’une autre, pas plus l’homme

que la fourmi où l’hirondelle.

Conservation de l’individu : conservation hylétique C’est la soteria au sens strict. L’immanence du principe de vie est un des traits fondamentaux de la

philosophie aristotélicienne. Ce principe, qu’on l’appelle âme ou nature, vaut aussi bien pour

l’ontologie, constitution de l’être, que pour le devenir. Développement et guérison sont, nous

l’avons vu, des mouvements naturels contrairement à la mort et à la maladie. De plus, tout vivant

poursuit son autoconservation en adoptant un comportement vital dans un horizon où il est lui-

même sa propre fin.

« Le simple fait d’exister constitue, pour tout le monde, une chose appréciable et digne d’amour ;

or si nous existons, c’est par un acte, c’est du fait que nous vivons et agissons » [6, IX, 7, 1168a 5-6].

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Même si Aristote constate que « nous <les hommes> nous servons de tout ce qui existe comme si

cela existait pour nous (car nous aussi sommes d’une certaine manière un but) » [5, II, 2, 194a 35],

ceci ne concerne pas l’homme en tant qu’être raisonnable, mais en tant que vivant. La soteria

comme finalité appartient à la vie en tant que telle ; elle est guidée par un principe que nous

pouvons dire physiologique et non rationnel. Si l’homme traite toutes choses comme fin pour lui, il

ne se comporte pas de manière foncièrement différente que l’éléphant, le dauphin ou la poule.

Il est évident que ceci ne peut pas être le dernier mot du philosophe. Aristote ne pense

certainement pas que l’homme ne pourrait pas manquer au cosmos, comme certains des animaux

pourraient lui manquer, sans en altérer le sens.

« Le simple fait de vivre est, de toute évidence, une chose que l’homme partage en commun même

avec les végétaux ; or ce que nous cherchons, c’est le propre à l’homme. Nous devons donc laisser

de côté la vie de nutrition et la vie de croissance. Viendrait ensuite la vie sensitive, mais celle-ci

encore apparaît commune avec le cheval, le bœuf et tous les animaux. [6, I, 6, 1097b 34-1098a 3].

IV) COMMENT L’HOMME PEUT-IL ÊTRE CONSIDERE COMME LA FIN

DE LA NATURE

Ces notions vont nous permettre, dans une perspective purement philosophique, de considérer

les places de l’homme et de l’animal dans le monde selon Aristote. Il nous semble au préalable

nécessaire d’attirer l’attention sur les définitions respectives de ces deux mots. Nous verrons

ensuite comment Aristote perçoit l’unité du monde animal puis comment il le considère hiérarchisé

en recherchant l’anthropomorphisme, l’anthropocentrisme et enfin le logocentrisme exprimés dans

ses traités.

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a. Le nom d’animal

Le terme « zôion » est traduit aussi bien par animal que par vivant. Il était d’extension bien plus

grande que notre concept d’animal compris comme s’opposant à l’homme. Il nous semble

intéressant de remarquer que dans tous les dictionnaires de langue française, « animal » s’oppose à

« végétal » et respecte ainsi l’usage aristotélicien. Zôion vient de verbe zên qui signifie vivre. Son

sens premier est donc vivant et englobe les plantes. Cependant, Aristote, dans sa zoologie,

l’emploie pour désigner les animaux, humains compris, par opposition aux végétaux. Lorsqu’il

entend exclure les humains, il emploie l’expression « les autres animaux », sous-entendu, « autres

que les hommes ».

Pour les Grecs, les hommes font partie des animaux. Pour Aristote, animal est un genre auquel

participe l’homme aussi bien que les « autres animaux ». Les végétaux, autant que les animaux,

sont des êtres « animés », au sens de possédant une âme.

Aristote écrit sur les animaux dans la plupart de ses traités. Il paraît néanmoins nécessaire de

distinguer les traités purement scientifiques, des traités d’exhortation à la vie philosophiques. Par

ces derniers, nous entendons les écrits traitant des sciences pratiques dont le but est de définir les

moyens dont dispose l’action humaine sur la suite des évènements. Ce sont la Politique, les

Ethiques et la Protreptique. Ces derniers valorisent les qualités de l’animal pour faire ressortir le but

que doit atteindre l’homme pour être véritablement homme.

b. Unité dans le monde animal

Chacun des traités biologiques d’Aristote privilégie une perspective différente. Génération des

animaux étudie les causes efficientes, Parties des animaux abordent les causes finales et formelles

tandis que Histoire des animaux met en avant la cause matérielle. Nous nous devons de les utiliser

tous.

Des neuf livres composant Histoire des animaux, deux exposent la morphologie interne et externe

de l’animal, trois traitent de la reproduction et les deux derniers abordent l’étude des mœurs et des

caractères. Tous expriment des connaissances fondées sur des enquêtes ou des observations. Ce

sont des recueils d’informations visant à comprendre scientifiquement les êtres naturels.

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Aristote annonce dés le début du livre I le projet global de son Histoire des animaux : « Les

différences des animaux tiennent aux genres de vies (bios), aux caractères et aux parties, nous en

parlerons d’abord d’une manière générale et par la suite nous le redirons à propos de chaque

genre. » [7, I, 1, 487a 10-14]. Il est le premier philosophe qui ait dénombré les multiples critères

permettant de différencier les animaux. Ces critères se manifestent de façon évidente à qui sait

observer.

Un seul critère n’est pas suffisant pour définir un animal ; chacun donne une classification

différente : animaux sanguins et non sanguins, animaux vivipares et ovipares, bipèdes quadrupèdes

ou ailés : « L’homme donc, les animaux qui donnent naissance à des animaux et qui vont sur la terre

et en plus ceux qui sont pourvus de sang et qui donnent naissance à des œufs, possèdent

manifestement tous toutes les sensations, exception faite de quelque genre qui aurait subi une

mutilation, comme celui des taupes » [7, IV, 8, 533a 1-4+. Aristote, dans toute sa zoologie, s’efforce

de rechercher les différences pour établir l’unité du monde animal.

Unité spécifique Le plus fort degré d’unité est l’unité spécifique. « Certaines des parties sont identiques par la forme

(le nez, l’œil de l’homme est identique au nez et à l’œil de l’homme, la chaire, à la chaire, l’os à l’os ;

et il en va de même pour le cheval et les autres animaux que nous disons identiques les uns aux

autres par l’espèce) » [7, I, 1, 486a 15-20]. Cette unité se manifeste par la ressemblance des parties.

La différence spécifique est une variation singulière qui affecte seulement une matière dans

laquelle la détermination formelle d’un genre passe de la puissance à l’acte ; elle échappe au

domaine de l’intelligible.

Unité générique Un genre regroupe des espèces : « Le genre est ce qui est attribué essentiellement à des choses

multiples et différentes spécifiquement entre elles. » [19, I, 5, 102a 31-32].

Le genre est la matière des différences, « par exemple, dans animal bipède, animal est le genre, et

l’autre terme, la différence » [7, Z, 12, 1038a 4]. Chaque différence sera la matière de la différence

suivante.

La différence générique est ramenée à une différence par excès ou par défaut : « D’autres parties

sont identiques, mais elles diffèrent selon l’excès et le défaut : ce sont celles des animaux dont le

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genre est identique. J’appelle genre, par exemple l’oiseau, le poisson, car chacun de ces deux

termes se différencie selon le genre car il existe de nombreuses espèces d’oiseaux et de poissons. »

[7, I, 1, 486a 21-26+. Elle s’exprime par la présence ou l’absence d’une partie (ergot, crête), par des

variations dans la catégorie de la qualité (chaire molle ou dure différenciant les deux genres d’orties

de mer) ou encore par des variations dans la catégorie de la quantité (nombres de plumes, taille ou

poids).

Unité analogique Les deux précédents types d’unité impliquaient une unité de nature, on ne compare que ce qui est

comparable. L’unité analogique est un degré plus faible : « Certains animaux ont des parties qui ne

sont identiques ni par la forme ni selon l’excès et le défaut, mais qui le sont suivant l’analogie, c’est

le cas si on compare l’os à l’arête, l’ongle au sabot, la main à l’extrémité en forme de pince et

l’écaille à la plume. En effet, ce que la plume est dans l’oiseau, cela même, l’écaille l’est dans le

poisson. Telle est donc la façon dont les animaux, du point de vue des parties que chacun possède,

sont différents et sont les mêmes. » [7, I, 486b 18-23].

Une seule et même fin se trouve réalisée par des moyens différents. L’unité repose sur la similitude

de fonction. L’analogie permet de tenir le même discours sur des objets en apparence hétérogène

mais elle implique une différence de nature : « Ce qui est un selon le genre ne l’est pas selon

l’espèce, il l’est seulement par analogie ; enfin, ce qui est un par analogie ne l’est pas toujours selon

le genre » [8, Δ, 6, 1017a 2+.

Aristote explique ce qu’est un organe en décrivant ce à quoi il sert. Et même, la fonction définit

mieux l’organe que son anatomie : « Ce qu’est la tête pour les animaux, ce sont les racines pour les

plantes, puisqu’il convient d’exprimer différence et identité des organes par leurs fonctions » [3, II,

4, 416a 4-5+. Dans certains cas limites, l’analogie permet d’utiliser un terme homonyme ;

l’attribution aux autres animaux de caractères proprement humains semble relever de ce cas.

Aristote s’est efforcé de classer les animaux en recherchant les différences qui les identifient au

sein de la même unité, en apparence hétérogène, qu’est la vie. Nous allons à présent rechercher

comment Aristote situe les hommes et les autres animaux les uns par rapport aux autres au sein de

cette unité.

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c. Anthropomorphisme, anthropocentrisme et logocentrisme

Etude des parties externes Aristote compare l’homme à une monnaie de référence : « En premier lieu il faut prendre les

parties de l’homme. En effet, de même que nous estimons les monnaies, en les rapportant, chacun

à celle qui nous est la plus familière, ainsi devons-nous faire dans les autres domaines. L’homme

nous est nécessairement le plus connu des animaux. Ces parties ne sont pas inapparentes à la

sensation » [7, I, 6, 491b 20-23+. L’homme sert de référence pour l’étude des parties visibles de

l’animal car il est un objet plus familier ; étant nous-mêmes des hommes nous avons une

connaissance plus directe de la cause des parties du corps.

Etude des parties internes « Pour les parties de l’intérieur du corps, c’est le contraire. Car celles de l’homme sont au plus haut

point inconnues, si bien qu’il faut les examiner en se référant à celles des autres animaux, dont la

nature est proche <presque égale> de l’homme.» *7, I, 16, 494b 22-24+. L’estomac de l’homme est

semblable à celui du chien, son foie à celui du bœuf. C’est la répugnance à la dissection des

cadavres humains qui crée un obstacle extérieur à l’observation, mais l’ordre d’étude n’est pas

bouleversé puisque Aristote commence par les animaux dont la nature est la plus proche de

l’homme. L’homme comme référence est accidentellement indisponible.

Etude de la reproduction Au début de l’étude de la reproduction, Aristote écrit : « Nous avions pris <pour l’étude des parties

externes> pour point de départ l’examen des parties de l’homme, désormais on parlera de lui en

dernier lieu en raison de l’importance du sujet » [7, V, 1, 539a 6-8+. C’est l’homme qui pose les

problèmes les plus ardus : il est biologiquement l’animal le plus complexe. Si l’homme reste la

référence, c’est au sens où la référence désigne un modèle de perfection.

Qualités psychologiques Lorsqu’il étudie les caractères de l’âme de façon générale, Aristote écrit que les animaux se

distinguent par les traits suivants : indolent et non rétif comme le bœuf, irascible comme le

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sanglier, pudique et méfiante comme l’oie ou doux et facile à apprivoiser comme l’éléphant *7, I, 1,

488b 11-25].

Le chapitre VIII de l’Histoire des Animaux décrit sur quel plan a lieu l’attribution de facultés

proprement humaines aux animaux : « Il existe chez la plupart des autres animaux des traces de ces

manières d’être de l’âme qui se différencient très manifestement chez l’homme, car la civilité et la

sauvagerie, la douceur et le caractère ombrageux, le courage et la timidité, la crainte et l’assurance,

l’impétuosité et la fourberie et une intelligence impliquant le raisonnement sont, en nombre

d’entre eux, des similitudes, à la manière de ce que nous disions à propos des parties du corps. » [1,

588a 16-24].

Il s’agit d’une similitude dans la terminologie qui se fonde sur des traces et des ressemblances :

« Pour certains, ils diffèrent selon le plus et le moins, de même que l’homme, comparé à beaucoup

d’animaux (car certaines de ces manières d’être existent à un plus haut degré chez l’homme et

certaines, à un plus haut degré chez les autres animaux), mais pour d’autres, la différence est

d’analogie, car comme sont chez l’homme l’art, la sagesse, l’intelligence, ainsi chez certains autres

animaux quelque autre capacité du même genre. » [1, 588a 25-32]. Les autres animaux ne font pas

« comme » les hommes ; ils se comportent « comme si » ils étaient des hommes. Ces similitudes

sont du même ordre que l’analogie ; elles impliquent une différence de nature.

Parole et rationalité « La voix et le bruit sont deux choses et la parole en est une troisième » [7, 534a 29].

Dans le chapitre 8 du livre II du De anima, la voix est définit comme le son des êtres animés ; les

êtres inanimés n’émettent que des sons inorganisés qui peuvent être qualifiés de voix uniquement

par ressemblance.

La voix est un son articulé impliquant un contrôle de l’émission d’air et produit en vue d’une

signification « la voix est bien un son chargé de signification. » [3, II, 8, 420b 34]. Certains animaux

possèdent une voix ; l’homme parce qu’il est l’animal ayant la voix la plus articulée, est un animal

plus parfait que les autres.

La voix est capable de signifier. Elle devient véritablement parole ou langage par ce qu’elle signifie :

« Car, comme nous le disions, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l’homme a

un langage. Certes la voix est le signe du douloureux et de l’agréable, aussi la rencontre-t-on chez

les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusqu’au point d’éprouver la sensation du

douloureux et de l’agréable et de se les signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de

manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite le juste et l’injuste. Il n’y a en effet qu’une chose

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qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception

du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres notions <de ce genres>. » [17, I, 2, 1253a 9-18].

« Ainsi la nature se sert du souffle à la fois pour la chaleur interne, en tant qu’elle est chose

nécessaire, et pour la voix, pour qu’au vivant appartienne le bien vivre. » [3, II, 8, 420b 21-23], la

nature ne fait rien en vain.

Les animaux privés de logos sont irrationnels. Mais cela ne signifie pas qu’ils sont privés de toute

forme d’intelligence. Doués de la sensation, de la représentation et de la mémoire, ils ont la

phronesis. C’est une forme d’intelligence pratique conçue par Aristote. Elle correspond à une

capacité de prévoyance ou de prudence et permet d’agir en vue de ce qui est bon pour soi ; elle

semble correspondre à l’instinct de survie et être responsable de la soteria dans son sens le plus

large [6, VI, 7, 1141a 25-28].

L’anthropomorphisme était chez les Grecs anciens une tendance à concevoir la divinité à l’image de

l’homme. Nous disons maintenant qu’il est une tendance à concevoir l’animal à l’image de

l’homme.

L’anthropocentrisme fait de l’homme le centre du monde et du bien de l’humanité la cause finale

de toutes choses.

Le mieux connu ou le plus complexe des êtres vivants, l’homme gouverne l’étude des phénomènes

biologiques en tant qu’étalon de référence. Si l’anthropomorphisme est incontestable dans l’étude

des parties externes, il est plutôt le résultat de l’emploi d’un langage anthropomorphique.

Quand l’ordre de la perfection dirige les recherches, il nous semble plus juste de parler

d’anthropocentrisme. L’hétérogénéité du monde animal est évidente ; elle conduit le philosophe à

rechercher l’unité par le biais de l’analogie.

De plus nous avons vu que la nature ne vise rien, sa cause finale ne concerne pas particulièrement

le bien de l’humanité mais la totalité des étants qui la constitue, chacun ayant même en lui sa

propre cause finale et, bien que chacun utilise des moyens différents, cette fin est la même pour

tous : vivre. Lors de l’étude des qualités psychologiques, nous pensons pouvoir considérer qu’il

s’agit seulement d’un langage anthropocentrique exigé par une attitude théorétique nécessaire à

l’acquisition de toute connaissance. Ce langage traduit la recherche d’unité dans le monde des

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vivants. Une telle attitude ne privilégie aucun des objets qu’elle étudie. L’homme, à titre de cause

finale, n’est cause de rien.

La parole en tant que logos ou expression de la raison est le propre de l’homme ; son support est

biologique, mais ce qu’elle supporte ne l’est pas : « Tel est le genre humain. Seul parmi les êtres

que nous connaissons, ou tout du moins plus que tous ces êtres, il a une part de divin. » [12, II, 10,

656a 7-9].

La raison se situe à la limite de la vie et de ce qui transcende la vie. C’est en tant que possédant

cette forme d’intellect qui n’est pas seulement pratique mais aussi théorétique, que l’homme peut

être compris comme fin ultime de la nature aristotélicienne. Et, c’est lorsqu’il l’exerce que l’homme

est véritablement homme : « Pour qui ferait un tel choix <de vivre pour les seuls plaisir de la

nourriture et de l’amour>, c’est évident, il n’y aurait aucune différence entre être né animal ou

homme : par exemple, le bœuf qu’en Egypte on vénère sous le nom d’Apis dispose de ces biens

plus que bien des monarques. » [5, I, 5, 1215b 34- 1216a 2+. L’Ethique à Nicomaque précise que la

vie non bestiale et proprement humaine est « une certaine vie pratique qui dépend de la partie

rationnelle de l’âme. » [6, I, 6, 1098a 3].

Ce serait donc en tant que seul être possédant le logos que l’homme peut être considéré comme la

fin de la nature. Cette finalité concerne l’ordre de la complexité et vise un état de fait et non de

droit.

V) POSITION DE L’HOMME ET DE L’ANIMAL DANS LE COSMOS

Le monde animal est une unité hiérarchisée dont le sommet est le logos. C’est la célèbre échelle

aristotélicienne des êtres dont chaque échelon, étant admis l’immanence des principes, est

autonome en devenir. Nous allons interroger comment ce logocentrisme peut définir les positions

respectives de l’homme et des autres animaux.

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a. Logocentrisme

Le bas de l’échelle La limite entre le vivant et l’inanimé reste flou : « La nature passe peu à peu des êtres inanimés

aux êtres doués de vie, de sorte que cette continuité empêche d’apercevoir la frontière qui les

sépare, et qu’on ne sait auquel des deux groupes appartient la forme intermédiaire. *…+ Et c’est

toujours en vertu d’une petite différence que les animaux se montrent différents les uns des autres

et qu’ils possèdent davantage de vie et de mouvement. Et en ce qui concerne les actions de la vie,

c’est la même chose. » [7, VIII, 1, 588b 4-24].

Le flou de la limite entre vivant et inerte empêche, il nous semble, de considérer que c’est la

complexité croissante de l’inerte qui finit par donner du « vivant », puis de « l’intelligent ». C’est

plutôt l’inerte qui est mal nommé car d’une certaine façon, tout est vivant. L’activité des qualités

fondamentales, le chaud et le froid, réalise la toute première « mise en forme » qui aboutit aux

quatre éléments. Elle est pour nous la première manifestation de la vie dans le monde sublunaire

d’Aristote. De même, si les éléments n’agissaient pas les uns sur les autres, chacun s’arrêterait dans

son lieu propre, le mouvement disparaîtrait du monde sublunaire et la vie n’existerait pas.

La présence de la vie dans l’inerte est également attestée par la génération ; la chaleur comme

principe actif de la reproduction, que celle-ci soit spontanée ou sexuée, est nécessaire au moins

comme cause efficiente, l’humidité est un principe passif. *14, 466a 20-b 4 ; 478b 22-479a 1]. La vie

pour apparaitre et se poursuivre, implique de la chaleur : «Toutes les parties ainsi que l’ensemble

du corps possèdent une certaine chaleur naturelle connaturelle <congénitale>. *…+ La vie et la

sauvegarde de cette chaleur, coïncident et ce qu’on appelle la mort est la destruction de cette

dernière. » [14, 469b 7-19]. Cette chaleur ne vient pas du feu.

« Cette chaleur <du sperme> n’est ni du feu ni une substance de ce genre, mais le gaz

emmagasiné dans le sperme et l’écumeux, et la nature inhérente à ce gaz et qui est analogue à

l’élément astral. C’est pourquoi le feu n’engendre aucun animal *…+ Au contraire, la chaleur solaire

a le pouvoir d’engendrer ainsi que la chaleur animale, non seulement celle qui se manifeste dans le

sperme, mais s’il se produit quelque autre résidu naturel, il ne possède pas moins lui aussi un

principe vital » [2, II, 3, 736b 36-737a 5+. Cette chaleur nous rappelle l’action des forces

fondamentales dans la mise en force des éléments.

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Le haut de l’échelle « Reste donc une certaine vie pratique de la partie rationnelle de l’âme, partie qui peut être

envisagée, d’une part au sens où elle est soumise à la raison, et, d’autre part, au sens où elle

possède la raison et l’exercice de la pensée. » [6, I, 6, 1098a 4-5].

L’homme est une incarnation physique de la pensée, du « νούς » ; il serait plus juste de dire que

l’homme a en lui l’instrument nécessaire pour être rationnel. De même que l’œil de pierre n’est œil

que par homonymie, l’homme n’est véritablement homme que lorsqu’il exerce l’activité

raisonnable qu’il possède en puissance et l’acte vaut mieux que la disposition. Notre question peut

maintenant être posée plus précisément : comment l’homme en tant qu’incarnation physique de la

pensée, peut-il être l’objet spécifique de la finalité ?

La sagesse est définie comme la plus honorable des sciences [7, A, 2, 983a 5] ; elle est présentée

aussi dans le même passage non seulement comme la source du véritable bonheur mais aussi

comme la « plus divine » des sciences, et c’est « à bon droit qu’on pourrait estimer plus

qu’humaine » sa possession.

« Toutes les substances premières sont des dieux » [9, Λ, 8, 1074b 9+. Les corps célestes et le

premier moteur sont de nature divine de sorte que « bien que nous pensions à eux comme à ces

corps <qui montrent de l’ordre mais non de la vie>nous devons penser qu’ils participent à l’action

et à la vie. Nous devons penser que les actions des étoiles sont comme celles des animaux et des

plantes » [4, II, 12, 292a 19 ; b 2].

Ce qui est divin a pour fonction de mettre en acte son intellect : « La vie aussi appartient à Dieu, car

l’acte de l’intelligence est vie, et Dieu est cet acte même ; cet acte subsistant en soi, telle est sa vie

parfaite et éternelle. Aussi appelons-nous Dieu un Vivant éternel parfait » [9, Λ, 7, 1072b 26-28].

Dieu est vivant puisque l’acte de l’intelligence est vie et plus encore vie parfaite et éternelle. Dès

lors, « l’homme n’est pas ce qu’il y a de plus excellent dans Monde » [6, VI, 7, 1141a 21]. Si Dieu est

toujours et éternellement un acte parfait, nous ne le sommes qu’à certains moments et seulement

certains d’entre nous, les philosophes compris comme les « sophoi » *6, Λ, 7, 1072b 24-25].

« Il en est éternellement de la Pensée divine comme il en est, pendant quelques moments fugitifs,

de l’intelligence humaine (ou plutôt de tout intellect qui a pour objet des composés de matière et

de forme) : cet intellect ne possède pas son bien à tel moment ou à tel autre, mais c’est dans un

instant indivisible qu’il saisit ce souverain Bien, qui lui est extérieur, tandis que la Pensée divine

pense aussi, mais se pense elle-même, pendant toute l’éternité. » *9, Λ, 10, 1075a 6-10].

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L’homme est le seul des êtres vivants du monde sublunaire à posséder l’intelligence rationnelle. Il

est donc de son devoir, car « les divinités ne sont pas jalouses », de l’actualiser autant que faire se

peut. A la perfection des êtres célestes, correspond la tendance vers le mieux des êtres naturels. Il

n’y a pas identité entre l’intelligence divine et l’intellect humain ; le Premier Moteur agit à titre de

cause finale comme le désirable, la notion de finalité vise ici l’excellence éthique de l’homme.

L’eidos est le principe d’intelligibilité des choses concrètes. Nous avons déjà noté que la matière

désire la forme. Quand elle la atteinte, elle devient une réalité concrète et désignable : elle est

intelligible. Il nous semble pouvoir considérer que la nature de la même façon aspire à

l’intelligibilité. Ce désir s’exprime grâce aux trois principes que sont matière, forme et privation et

au couple d’attributs, en puissance et en acte. Ces principes immanents constituent la nature sous-

jacente, et sont conditions de l’intelligibilité des réalités naturelles soumises aux changements.

« C’est en effet pour cela que nos prédécesseurs s’écartent à ce point de la voie de la génération et

de la corruption et, en général, de tout changement. Car, s’ils avaient vu cette nature, cela les

auraient libérés de leur ignorance. » [15, I, 8, 191b 33-34].

La nature est intelligible ; sans l’homme, cette intelligibilité serait pure potentialité sans aucune

effectivité. La nature ne fait rien en vain et sa fin est la meilleure. Une nature qui réalise des entités

intelligibles ne serait pas finie et achevée si elle ne produisait pas des êtres capables de réaliser

effectivement cette intellection. Ceci établit la position de l’homme dans une hiérarchie physico-

cosmique. Le logocentrisme a un pouvoir clôturant.

La nature se réalise déjà dans la formation de choses singulières pour aboutir à la production

d’êtres vivants et finalement d’êtres vivants capables de penser et plus précisément capables de la

penser. C’est en tant qu’être usant de la raison que l’homme peut endosser le statut d’eschaton de

la nature. Cette position a une visée herméneutique.

Aristote ne pense pas la vie comme un phénomène autonome et séparé du monde de l’inerte et du

monde céleste. Il n’empêche que la vie se déroule, avec une complexité croissante jusqu’à l’homme

pour rejoindre les êtres du monde supralunaire. Nous examinerons dans ce qui suit, quelles en sont

les conséquences quant au statut de l’animal relativement à celui de l’homme.

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b. Position de l’animal

Malgré les différences, Aristote pense la vie et l’intelligence dans une même unité. Il n’y a pas

d’âme « en soi », c’est-à-dire en général : « Formulerait-on pour les figures une définition commune

à toutes, elle ne serait propre à aucune figure ; de même aussi en ce qui concerne les âmes

mentionnées. » [3, II, 3, 414b 24-25].

Les différentes espèces d’âmes retrouvent une unité grâce à une convergence hiérarchisée de

l’inférieur vers le supérieur. « Chaque fois, en effet, c’est dans ce qui dérive que se trouve en

puissance ce qui est antérieur, aussi bien dans le cas des figures que dans les cas des êtres animés ;

par exemple, dans le quadrilatère il y a le triangle, dans la faculté sensitive il y a la nutritive. » [3, II,

3, 414b 29-35].

Toutes les différences sont organisées selon un rapport d’antérieur et de postérieur : l’âme de

l’animal est en puissance une âme de plante. L’animal récapitule mieux le vivant que la plante et,

même si cela n’est qu’implicite chez Aristote, l’intelligence avec le logos qui est sa fonction

suprême, accomplit les différents degrés de la vie. Cette association entre la vie et l’intelligence

peut être transposée en une association entre l’animal et l’homme.

L’échelle exprime des degrés de complexité croissante. Tous les degrés sont dignes du même

intérêt. Chaque degré est autonome en devenir. La conservation de soi et de l’espèce est une fin

similaire quelque soit l’être considéré. Rien dans la philosophie d’Aristote n’autorise à penser que

l’homme vaut mieux que n’importe lequel des autres animaux même si sa situation d’eschaton

selon la quiddité lui impose le devoir de se rapprocher des dieux par le biais de la philosophie. Tous

les barreaux de l’échelle sont, au contraire, absolument nécessaires puisque chacun contient en

puissance celui qui lui est immédiatement inférieur. Ceci signifie pour nous que la disparition d’une

espèce détruirait l’équilibre de l’ensemble.

La recherche du bonheur est le principe organisateur de l’éthique humaine ; ce devoir coïncide

avec la sagesse : « De toutes les activités humaines celle qui est la plus apparentée à l’activité divine

sera aussi la plus grande source de bonheur. Un signe encore, c’est que les animaux autres que

l’homme n’ont pas de participation au bonheur, du fait qu’ils sont totalement démunis d’une

activité de cette sorte. » [6, X, 8, 1178b 23-25].

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C’est parce qu’ils n’ont pas accès à la praxis que les animaux ne participent pas à la recherche de

l’eudaimonia : « La sensation n’est principe d’aucune action <praxis>, comme on peut le voir des

bêtes, qui possèdent bien la sensation mais n’ont pas l’action en partage. » [6, VI, 2, 1139a 20-21].

Les animaux atteindrons une autre espèce de bonheur : « Sain et bon est une chose différente pour

des hommes et pour des poissons » [6, VI, 7, 1141a 23].

Les animaux, du moins certains, peuvent prévoir et agir sur ce qui touche à leur vie grâce à cette

forme d’intelligence qu’est la phronesis : « Certaines bêtes sont qualifiées de prudentes : ce sont

elles qui, en tout ce qui touche à leur propre vie, possèdent manifestement une capacité de

prévoir. » [6, VI, 7, 1141a 26-27].

La phronesis permet la conservation de soi au sens le plus large du terme. Si les animaux la

possèdent et puisque la nature ne fait rien en vain, la conservation de chaque espèce animale peut

être considérée comme aussi importante que la conservation de l’homme.

Globalement, l’intelligence des animaux se manifeste aux travers des actes accomplis pour trouver

la nourriture, en vue de la reproduction et dans le domaine des soins donnés à leurs petits. Dans

tous ces domaines aussi, Aristote recherche les différences.

Alors que le poulpe est estimé stupide parce qu’il laisse échapper son encre par peur, la seiche est

plus rusée parce qu’elle utilise son encre pour se cacher « feignant un mouvement vers l’avant, elle

retourne vers son encre. » [7, IX, 37, 622a 1]. On accordera une forme d’intelligence à la seconde

mais pas à la première.

Le dauphin fait comme s’il calculait « Car si le poisson s’enfuit, ils le suivent en profondeur, à cause

de la faim, et si le retour est trop long, ils retiennent leur souffle, comme s’ils faisaient un calcul et

en se ramassant sur eux-mêmes, ils se portent comme un trait, voulant parcourir la longueur à

toute vitesse pour leur respiration » [7, IX, 48, 631a 26-31].

L’intelligence laborieuse facilite la vie sociale mais ce n’est pas toujours le cas. L’animal « politique »

se définit : « Vivent en groupe organisés ceux dont l’œuvre de tous est chose une et commune, ce

qui n’est pas le cas de tous les grégaires. Tels sont l’homme, l’abeille, la guêpe, la fourmi, la grue. »

[7, I, 1, 488a 8-10].

La position de l’animal par rapport à celle de l’homme se définit plus en fonction de l’excellence

éthique de ce dernier que par une différence de nature ; cette excellence n’est pas accessible à tous

et, lorsqu’elle l’est, elle ne l’est qu’à de rares moments. Les animaux sont certes différents des

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hommes mais, rien, si ce n’est ce type d’excellence que se doit d’atteindre l’homme, ne permet de

soutenir que dans la philosophie d’Aristote, les uns soient plus la fin de la nature que les autres.

Bien qu’il existe des analogies entre l’homme et les autres animaux, les différences de nature sont

évidentes. Seul l’homme a les dispositions pour les détecter, il doit en faire état en actualisant les

puissances correspondantes.

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Conclusion

• Une question est sous-jacente dans toute la philosophie d’Aristote : « Qu’est-ce-que l’être tel que nous le percevons

dans une nature en mouvement perpétuel ? »

Tous les êtres vivants sont constitués de forme et de matière. Ainsi la connaissance est possible puisque les intelligibles

sont dans les formes sensibles. La forme elle-même est composée de la forme comme spécificité actuelle et de la

privation en tant que forme prochaine ou celle qui sera atteinte après le changement. L’être est donc, en un sens

toujours le même (forme et matière), en un autre sens toujours différent (actualisation de la privation).

• La finalité est omniprésente dans tous les traités du philosophe. Nous nous sommes demandé si Aristote tenait les

hommes comme fin de la nature pour éclairer mutuellement les définitions respectives de l’homme et de l’animal.

Nous avons vu qu’il faut enlever à la finalité toute forme d’intentionnalité qui viendrait de l’extérieur ; c’est

l’immanence et la réunion des cause finale, formelle et motrice dans les êtres vivants. Cette finalité n’est responsable

que « dans la plupart des cas » puisque le hasard et la spontanéité sont des causes et puisque la cause matérielle

amène une nécessité hypothétique. La finalité première est la vie ; elle concerne toutes les formes de vie sans

distinction ni préférence.

• Dans l’univers (cosmos) qui englobe le monde où ils évoluent, les êtres vivants forment une unité. Cette unité est une

échelle hiérarchisée. La différence entre l’inerte et le vivant étant floue, le bas de l’échelle est bien difficile à nommer.

Le haut de l’échelle avec le logos, sort du monde sublunaire pour atteindre le cosmos et rejoindre le monde des dieux.

Cette notion d’unité implique que vie et intelligence sont comprises comme un tout indissociable.

• Chaque barreau est autonome en devenir mais chacun contient en puissance le barreau immédiatement inférieur.

Ainsi toute forme de vie est nécessaire pour assurer l’équilibre de l’ensemble ce qui interdit de penser que la disparition

d’une espèce n’aurait pas de conséquences graves. Toute forme de vie est respectable et provoque d’ailleurs le même

émerveillement à qui sait regarder. En ce sens, aucune ne peut être la fin de la nature. Chacun doit avoir une place,

plantes, animaux et humains. Les connaissances scientifiques ont heureusement progressé. La génétique, l’évolution

des espèces sont mieux connues. Mais, plus nous avançons dans la connaissance, plus nous nous rapprochons de cette

notion où l’équilibre de l’ensemble nécessite la présence de tous les « barreaux » de l’échelle. Nous pensons pouvoir

considérer que la philosophie d’Aristote contient les bases de l’écologie pour un univers où chacun aurait une place

qu’il lui faut défendre en respectant l’équilibre qui régit l’ensemble.

• Le logos a une place hiérarchisante et clôturante dans l’échelle de la vie. L’homme est le seul vivant à le posséder. Il se

doit pour être véritablement homme de l’exercer. En le faisant, il se rapproche de Dieu et atteint le bonheur. Le logos

implique des exigences dans le domaine de l’éthique. Aristote rapproche fréquemment les animaux des esclaves au

sujet desquels il écrit : « si les navettes tissaient d’elles-mêmes et les plectres jouaient <tout seuls> de la cithare, alors

les ingénieurs n’auraient pas besoin d’exécutants ni les maîtres d’esclaves. » (Politiques, I, 4, 1235b 34-1236a 2). Il place

l’utilisation de ces êtres sur le plan de la nécessité hypothétique ; il est envisageable qu’une telle nécessité ne soit plus.

D’autre part cette utilisation est basée sur un intérêt commun qui implique le respect mutuel. Aujourd’hui, il est bien

heureusement plus question d’esclavage du moins de cet esclavage présent dans L’Antiquité. Les enfants ne sont plus

rapprochés des bêtes et l’homme cherche à donner un statut aux animaux. Nous avons appris que l’homme pour être

véritablement homme doit exercer son logos. Ce qui revient à dire que son humanité réside dans le logos ; s’il ne

l’utilise pas, il retourne à la bestialité qu’il a en puissance. L’éthique est un travail de chaque jour, l’homme a les

dispositions nécessaires et il se doit d’en faire un état : « une hirondelle ne fait pas le printemps, ni non plus un seul

jour » (Ethique à Nico. X, 6, 1098a 18). Ceci a-t-il changé ? Nous ne le pensons pas.

• Aristote n’aurait très certainement pas compris que les humains établissent une liste des droits des animaux et si nous

admettons avec lui que le logos est bien le propre de l’homme ces droits des autres animaux sont difficiles à concevoir.

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Plutôt que de considérer les animaux comme des victimes, il nous semble plus juste et profitable pour les deux parties

de demander aux hommes d’être des hommes puisque chacun d’eux a le choix.

• Dans tous les domaines, Aristote recherche les différences pour arriver à la connaissance. Après ce travail, nous

espérons pouvoir replacer les affirmations « Je l’aime comme mon enfant, mon chien mange comme moi » dans un

contexte à la limite d’homonymie ou même seulement d’analogie sans oublier que celle-ci implique une différence de

nature. Il revient à l’homme de connaître et de respecter cette différence en prenant conscience que l’égalité de

considération n’équivaut pas à une égalité de traitement.

• Les écrits d’Aristote ont été interprétés par saint Augustin, saint Thomas d’Aquin et Averroès. Ils ont ainsi fortement

influencé les doctrines chrétienne et musulmane. L’étude de cette influence complèterait notre travail.

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BIBLIOGRAPHIE

ARISTOTE

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3- De l’âme, Ed. Gallimard Paris France 2005, Trad. Thillet, 414 pages.

4- Du ciel, Ed. GF Flammarion Paris France 2004, Trad. Dalimier et Pellegrin, 452pages.

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6- Ethique à Nicomaque, Ed. Vrin Paris France 1990, Trad. Tricot, 539 pages.

7- Histoire des animaux, Ed. Gallimard Paris France 1994, Trad. Bertier, 586 pages.

8- Métaphysique, tome 1, Ed. Vrin Paris France, 2000, Trad. Tricot, 309 pages.

9- Métaphysique, tome 2, Ed. Vrin Paris France, 2004, Trad. Tricot, 314 pages.

10- Météorologiques, Ed GF Flammarion Paris France 2008, Trad. Groisard, 385 pages.

11- Organon I-II, GF Flammarion Paris France 2007, Catégories trad. Pellegrin et Crubellier ; Sur

l’interprétation trad. Dalimier, 368 pages.

12- Parties des animaux, Ed. Les Belles Lettres Paris France 2002, Trad. P. Louis, 360 pages.

13- Parties des animaux Livre I, GF Flammarion Paris France 1995, Trad. Le Blond, introduction

Pellegrin, 123 pages.

14- Petits traités d’histoire naturelle, Ed. GF Flammarion Paris France 2000, Trad. Morel, 226 pages.

15- Physique, Ed. GF Flammarion Paris France 2000, Trad. Pellegrin, 476 pages.

16- Sur la nature (Physique II), Ed. Vrin Paris France 1991, Trad. Couloubaritsis, 159 pages.

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18- Secondes Analytiques, www.renacle.org.

19- Topiques, www.renacle.org.

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AUTRES AUTEURS

20- P. Aubenque, La prudence chez Aristote, Ed. Presses Universitaires de France Paris 1963, 183

pages.

21- J-C Bailly, Le versant animal, Ed. Bayard Paris France 2007, 149 pages.

22- H. Barreau, Aristote et l’analyse du savoir, Ed. Seghers Paris France 1972, 176 pages.

23- éd. M. Canto-Sperber, Philosophie grecque, Ed. Presses Universitaires de France Paris 1997,

pages 3-439.

24- éd. F. Châtelet, La Philosophie de Platon à St Thomas, Ed. Marabout Verviers Belgique 1979,

pages 84-139.

25- éd. B. Cassin et J-L. Labarrière, L’animal dans l’Antiquité, Ed. Vrin Paris France 1997, pages 227-

280.

26- O. Hammelin, Le système d’Aristote, Ed. Librairie Félix Alcan Paris France 1936 (deuxième

édition), 410 pages.

27- J-L. Labarrière, Raison humaine et intelligence animale dans la philosophie grecque, Terrain,

Numéro 34 – Les animaux pensent-ils ? (mars 2000), Mis en ligne le 9 mars 2007.

http://terrain.revues.org/documents996.htlm. Consulté le 8 novembre 2007.

28- J-L. Labarrière, Aristote penseur de la différence entre l’homme et l’animal, Anthropozoologica

N°33-34 2001, pages 105-111.

29- éd. Merleau-ponty et Baleaudé, Les philosophes de l’Antiquité au XXe siècle, Librairie Générale

Française Paris 2006, pages 121-287.

30- P-M. Morel, Aristote, GF Flammarion Paris France 2003, 279 pages.

31- P. Pellegrin, Le vocabulaire d’Aristote, Ed ellipses Paris France 2009, 116 pages.

32- A. Pichot, Histoire de la notion de vie, Ed. Gallimard Paris France 1993, pages 35-127.

33- P. Trotignon, Aristote l’analytique : textes choisis, Ed. Presses Universitaires de France Paris

1968, 225 pages.

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NOM PRENOM : LAVIROTTE Agnès

TITRE : LA POSITION DE L’HOMME ET DE L’ANIMAL

DANS LA FINALITE CHEZ ARISTOTE

Thèse Vétérinaire : Lyon, 17 décembre 2009

RESUME : Pour interroger l’anthropomorphisme entendu par le vétérinaire en consultation, nous avons

étudié la philosophie d’Aristote. Elle organise sa pensée autour des trois distinctions cardinales

que sont la substance et ses attributs, l’acte et la puissance, la forme et la matière. Ses

différentes parties s’établissent selon une hiérarchie de complexité croissante, de la plante

jusqu’à l’homme. Ceci nous a permis d’établir les principales différences qui qualifient

l’homme par rapport aux autres animaux. La théorie des quatre causes introduit la notion de

finalité dans la nature. Si l’on considère la genèse et la conservation des individus aussi bien

que celle des espèces, la finalité de la nature est la vie en tant que telle. Le propre de l’homme

est le logos en tant que raison. Nous devons parler d’un logocentrisme plutôt que

d’anthropomorphisme. L’homme se doit d’exercer ce logos : il atteint alors l’excellence éthique

et peut se dire «fin de la nature ».

MOTS CLES :

- Philosophie

- Aristote

- Finalité

- Homme

- Animal

JURY : Président : Monsieur le Professeur GHARIB Claude

1er Assesseur : Monsieur le Professeur GRANCHER Denis

2ème Assesseur : Monsieur le Professeur BENOIT Etienne.

DATE DE SOUTENANCE :

17 décembre 2009

ADRESSE DE L’AUTEUR :

456 chemin du petit Corgenon

01310 BUELLAS