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  UNIVERSITÉ PARIS I (PANTHÉON-SORBONNE) ÉCOLE DOCTORALE DE SCIENCE POLITIQUE CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE LA SORBONNE LES CHANGEMENTS D’UNE ORGANISATION. LE PARTI SOCIALISTE, ENTRE CONFIGURATION PARTISANE ET CARTELLISATION (1971-2007). Thierry Barboni Thèse pour l’obtention du doctorat de science politique sous la direction de M. le Professeur Jean-Claude Colliard.  Jury : Dominique Andolfatto, maître de conférences à l’Université de Nancy II. Jean-Claude Colliard, professeur à l’Université de Paris I. Gérard Grunberg, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Rémi Lefebvre, professeur à l’Université de Reims. Frédérique Matonti, professeure à l’Université de Paris I.    t   e    l      0    0    4    8    5    9    4    1  ,   v   e   r   s    i   o   n    1      2    3    M   a   y    2    0    1    0

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UNIVERSIT PARIS I (PANTHON-SORBONNE) COLE DOCTORALE DE SCIENCE POLITIQUE CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE LA SORBONNE

LES CHANGEMENTS DUNE ORGANISATION.tel-00485941, version 1 - 23 May 2010

LE PARTI SOCIALISTE, ENTRE CONFIGURATION PARTISANE ET CARTELLISATION (1971-2007).

Thierry Barboni

Thse pour lobtention du doctorat de science politique sous la direction de M. le Professeur Jean-Claude Colliard.

Jury : Dominique Andolfatto, matre de confrences lUniversit de Nancy II. Jean-Claude Colliard, professeur lUniversit de Paris I. Grard Grunberg, professeur lInstitut dEtudes Politiques de Paris. Rmi Lefebvre, professeur lUniversit de Reims. Frdrique Matonti, professeure lUniversit de Paris I.

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LUniversit Paris 1 (Panthon-Sorbonne) nentend donner aucune approbation ou improbation aux opinions mises dans cette thse. Ces opinions doivent tre considres comme propres leur auteur.

I

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II

Remerciements

Lcriture dune thse ne saurait se rduire un travail individuel. En loccurrence, cette thse naurait pu tre mene bien sans le concours de nombreuses personnes. Ma reconnaissance va dabord mon directeur de thse, M. Jean-Claude Colliard. Par son accompagnement tout la fois souple et exigeant, la qualit de ses relectures et de ses critiques et ses encouragements, il a contribu au premier chef laboutissement de ce travail. Je tenais remercier ensuite le Dpartement de science politique de lUniversit de Paris I (Panthon-Sorbonne) qui, en 2003, ma attribu lallocation de recherche qui ma permis de conduire ma recherche dans de bonnes conditions ; ainsi que lcole doctorale de science politique de lUniversit Paris I et le Centre de recherches politiques de la Sorbonne, qui ont pris en charge une partie des frais occasionns par les colloques et congrs o jai pu exposer les premiers rsultats de ce travail. Ce soutien matriel na pas t des moins importants dans la ralisation de ce travail. Cette thse sappuie fortement sur des ressources documentaires. Merci donc aux archivistes du sige du Parti socialiste, de la Fondation Jean-Jaurs et de lOffice Universitaire de Recherche Socialiste qui mont permis dy accder et, plus particulirement Frdric Cpde, pour ses avis et ses conseils toujours clairs. Une thse est, bien des gards un travail collectif, notamment travers la confrontation des points de vue. Je tiens ainsi remercier lensemble des doctorants, docteurs et enseignantschercheurs avec lesquels jai eu la chance de pouvoir changer, pour les discussions que nous avons pu avoir, propos de la recherche, mais pas seulement. La phase dcriture de la thse est une tape toujours difficile de la recherche. Que tous ceux qui ont accept de relire les premires versions du manuscrit soient donc ici remercis pour leur disponibilit, leurs commentaires et remarques toujours clairants. Merci plus particulirement Laurent Olivier, Marc-Olivier Dplaude et Ludivine Vanthournout : chacun dentre eux a grandement contribu amliorer ce travail. Je ne me serais jamais lanc dans laventure de la thse sans le soutien, la disponibilit et les encouragements constants de celui qui fut alors mon professeur de matrise en science politique, M. Laurent Bouvet. Quil veuille bien trouver dans ce travail lexpression de toute ma gratitude. Merci galement mes amis, qui ont toujours t prsents quand il le fallait, spcialement Alexandre et Thomas et, bien videmment, Christophe. Enfin, cette thse a t aussi une affaire de famille . Durant ce travail, mes parents dabord mont toujours soutenu et encourag. Quils sachent que leur soutien a toujours constitu une source de motivation pour moi. Pour terminer, je voudrais ici exprimer toute ma reconnaissance ma compagne, Cline. Elle a dabord pleinement accept mon projet de raliser cette thse et ma toujours pouss le concrtiser, quelles que soient les circonstances. Tout au long de ces annes, elle a partag les joies mais aussi les affres de la recherche. Ce travail est donc galement le sien. Quelle y trouve toute ma reconnaissance, et bien plus encore !

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III

INTRODUCTION. INTRODUCTION

Le 6 mai 2007, Sgolne Royal, la candidate du Parti socialiste, est nettement dfaite au second tour de llection prsidentielle. Pour la troisime fois conscutive, le PS perd cette lection. Immdiatement, des voix slvent au sein du parti pour pointer les responsabilits de ce nouvel chec. Classiquement, les critiques les plus vives sont adresses la candidate elle-mme. Lorganisation de la campagne est galement montre du doigt : inefficacit ou bien encore rapports trop distants entre la candidate et le parti sont notamment mis en avant pour expliquer lchec. De manire plus inattendue, lorganisation du parti est elle aussi mise en cause : choix du candidat trop tardif, absence de leadership, imprparation idologique sont les principaux arguments mobiliss pour tayer la thse dune dfaillance collective. Le constat simpose alors, rsum par un des reprsentants de laile

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gauche du parti, J-L. Mlenchon : lorganisation tait lUMP . Constat paradoxal pour un parti o le modle dorganisation a longtemps t celui du parti de masse et qui continue de se penser encore comme un parti de militants. Constat problmatique pour un parti qui na jamais t aussi bien implant dans les excutifs locaux : le PS dirige depuis 2004 vingt rgions sur vingt-deux ; pour la premire fois, depuis 2005, il dtient la majorit des conseils gnraux ; jamais, jusquau soir des lections municipales de mars 2008, il navait dirig autant de ville de plus de 100 000 habitants : 25 contre 12 pour la droite. Constat surprenant enfin : le PS na-t-il pas intgr dans son mode de fonctionnement la centralit de llection prsidentielle dans la comptition politique franaise ? Nest-il pas devenu un parti de gouvernement, une force dalternance incontournable puisque dominante gauche ? Na-t-il pas fait depuis longtemps son Bad-Godesberg 1, renonant explicitement, comme tout bon parti social-dmocrate, la rvolution pour mieux se consacrer la rforme ? Surtout, ses luttes internes ne sont-elles pas organises autour des prsidentiables , ces dirigeants habilits prtendre la fonction de chef de lEtat ? Ces jugements frquents invitent sinterroger sur ce parti, tant ils en sous-entendent la spcificit. Il y aurait donc un problme au PS, un problme du PS : faonn pour conqurir le pouvoir lchelon national, ce parti ne serait plus capable que de lexercer au niveau local. Incidemment, les lments communment admis pour expliquer les checs du PS renvoient ce quest ce parti. Tout semble se passer comme si, y compris pour ses membres, le PS tait lui-mme la source des maux qui le frappent de manire rcurrente : na-t-il pas perdu en 2007 une lection imperdable car la campagne na pas t prpare comme il laurait fallu2 ? Si la dfaite de 2002 nest quun accident , la sortie de route nest-elle pas lie au fait que le PS a perdu le peuple en cours

1 Pratiquement ds 1983, soit moins de deux aprs son arrive au pouvoir, avec le virage de la rigueur ; dun point de vue doctrinal en 1990, modifiant en ce sens sa dclaration de principe au congrs de lArche. 2 Cf. Bartolone (C.), Une lection imperdable. Entretiens avec Grard Leclerc, Paris, LArchipel, 2007.

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de trajet3 ? Dailleurs, si le PS ne parvient plus simposer que localement, nest-ce pas parce quil se sfioise , autrement dit quil retombe dans les travers dune SFIO rgente par les intrts de ses lus locaux, SFIO dont il a conserv dans une large mesure la structure aprs le congrs de la refondation Epinay en 1971 ?

Il convient donc de rinscrire ltude de ce parti dans un temps suffisamment long pour en apprcier les changements. Lenjeu nest pas en effet proprement parler de savoir pourquoi le PS a gagn ou perdu une lection en particulier, mais bien de comprendre comment, plus globalement, un parti lectoralement exsangue au dbut des annes 1970 a pu devenir parti dalternance, de telle sorte que justement lchec lectoral apparaisse aujourd'hui comme un problme . Comment, autrement dit, le PS dEpinay est devenu cette machine lectorale rgulirement enraye ( loccasion de llection prsidentielle) mais le plus souvent trs efficace ? Quil sagisse de ses modes de fonctionnement, de sa stratgie lectorale ou bien encore des

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rapports au parti de ses adhrents et dirigeants, ces diffrentes facettes sont lies par un dnominateur commun : lorganisation du PS. Dans cette perspective, il faut sinterroger sur ce quest prcisment cette organisation, sur ce quelle dit des faons dtre et de vivre ensemble des socialistes, sur leurs pratiques et leurs usages, sur leurs manires dinvestir et de sinvestir dans le parti. Ce questionnement simpose dautant plus quil nest que trop rarement envisag en tant que tel, y compris du point de vue de la science politique. Et pourtant, et cest en tout cas une hypothse qui structurera la recherche, saisir le PS dans sa complexit impose danalyser sa forme, son organisation : celle-ci, reflet des contradictions qui le traversent, rend compte de la singularit dun parti dont on pourrait dire quil est la fois jeune de son renouveau entam aprs 1971 et vieux dune tradition socialiste sculaire qui continue maints gards peser encore sur lui.

En outre, parmi les transformations qui ont affect le Parti socialiste depuis sa refondation, il convient de sinterroger plus spcifiquement sur le rapport quentretient le PS aux institutions. Parti accdant au gouvernement en 1981, le PS est aujourd'hui un parti de gouvernement. Cette volution, politiquement vidente ds 1983, supposait nanmoins une adaptation trs importante des structures du parti son nouveau statut. Cette adaptation na t rendue possible quau prix dajustements parfois douloureux de sa culture, de sa doctrine, des relations entre ses membres et entre les diffrentes instances qui le composent. En dautres termes, le PS a d devenir un parti de gouvernement. Sinterroger sur les changements de lorganisation socialiste permet alors denvisager les modalits pratiques qui ont fait du PS un parti dalternance, tout en permettant de se demander galement ce que lEtat fait au parti . De par son histoire, le PS offre en effet un terrain empirique particulirement adapt ce dernier questionnement : accder aux responsabilits tatiques impliquait

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Baumel (L.), la recherche peuple perdu , Revue socialiste, n11-12, 2003, pps. 105-111.

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pour les dirigeants socialistes dintgrer un nouveau rapport lEtat, rapport dont les volutions organisationnelles du PS rendent compte en ce quelles synthtisent les ajustements problmatiques qui en dcoulent ncessairement. En outre, plus gnralement, lEtat ne reprsente plus seulement un pouvoir conqurir pour le Parti socialiste. Dsormais, en vertu des lois de financement de la vie politique, lEtat finance largement ce parti, hauteur actuellement de 40 % de son budget. Surtout, la professionnalisation des lites socialistes sinscrit trs largement autour de ses lus, de telle sorte quaujourd'hui, de nouvelles filires de recrutement se dessinent sur cette base et que lconomie du parti se recompose autour de cet ancrage institutionnel. Si le socialisme nest pas encore compltement soluble dans les institutions, il ne saurait donc se penser indpendamment delles. Autrement dit, sinterroger sur lorganisation du Parti socialiste cest, dans une large mesure, questionner les effets des interactions entre les institutions publiques et ce parti.

Cette recherche est donc structure autour dun pivot thorique, une approche

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organisationnelle des partis politiques, et dune interrogation analytique : comment mesurer les effets de linscription institutionnelle dun parti ? Avant denvisager les matriaux empiriques mobiliss et le bornage temporel de la recherche, il convient de prsenter lappareillage thorique qui articule les deux prsupposs de ce travail, manire de plaider pour une analyse organisationnelle renouvele du PS. Il faut donc de revenir sur la mobilisation de cette approche dans le cadre de ce travail. De l, il faudra ensuite prsenter les raisons qui justifient le recours au modle dorganisation partisane qui sera sollicit tout au long de la recherche, savoir le modle du parti cartel labor par Richard Katz et Peter Mair. Ceci dit, si lon sappuie sur ce modle, lappareillage thorique mobilis ne se rsume pas celui-ci. On verra en effet que, pour saisir les changements du parti socialiste, les seules analyses organisationnelles sont finalement insuffisantes et doivent tre compltes par les apports des approches socitales.

A. De la construction de lappareil thorique.Comme tout objet, le PS possde ses propres particularits. Sil sagit den analyser prioritairement lorganisation et de saisir les liens quil entretient avec les institutions, la recherche ne saurait se limiter la confrontation du PS au modle du parti cartel. Il importe en effet davantage de sinterroger sur le cheminement qui a conduit faire du PS ce quil est aujourd'hui. Dans ce but, cest bien une analyse processuelle du changement partisan quil faut se livrer ; une analyse qui insiste donc sur ce qui fait la singularit du parti, davantage que sur la recherche dans son organisation dun dcalque forcment imparfait du modle du parti cartel. Afin dviter de retomber dans un

comparatisme sclrosant entre le modle et lobjet, entre le parti cartel et le PS, la dmarche analytique sappuiera alors sur le programme de recherche nonc par F. Sawicki ; programme enjoignant de dvelopper des passerelles thoriques entre approches organisationnelles et socitales des partis

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politiques. Cette injonction semble en effet particulirement pertinente ds lors que lon sinterroge sur le processus de changement du PS. Il sagit, par consquent, il dans un premier temps de prsenter les lignes directrices qui fondent la dmarche thorique de ce travail. En premier lieu, il faut justifier de lusage de lapproche organisationnelle en gnral et du modle du parti cartel en particulier. A partir de l, on verra comment enrichir lappareillage thorique partir des apports des approches socitales. Cette dmarche suppose toutefois des arbitrages thoriques que lon prsentera ici et qui forment les soubassements du modle dvelopp dans la thse. Autrement dit, il sagit de donner corps linjonction de F. Sawicki partir dune tude processuelle du changement du parti, tude qui permettra denvisager, travers les transformations de lorganisation socialiste, les changements qui ont ncessairement touchs ceux qui la composent.

1. Approche organisationnelle et modle du parti cartel.

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Ainsi que laffirme J. Charlot, on ne peut pas tudier un parti de tous les points de vue la fois . En dernier ressort, et lon suit par l F. Sawicki, les analyses des partis politiques peuvent tre distingues en deux types dapproche selon quelles mettent laccent sur leur htronomie ou sur leur autonomie par rapport au social 5. Les premires, les approches socitales, dinspiration marxienne, envisagent les partis comme le reflet des clivages sociaux, tandis que les secondes, les approches organisationnelles, dinspiration wbrienne, soulignent leur autonomie organisationnelle. F. Sawicki invite au dpassement de ces clivages thoriques, manire datteindre une comprhension moins fragmente du fait partisan6. La dmarche suppose pourtant toujours un choix initial ontologique entre organisation et reflet social : le rapprochement des points de vue ne peut masquer la divergence premire des perspectives. En lespce, il sagit donc de partir de lorganisationnel pour aller vers le socital .4

Or, aprs avoir constitu le cur de lanalyse des partis politiques, les analyses organisationnelles ont connu partir de la fin des annes 50, une clipse dune trentaine danne, au profit dautres problmatiques, comme celle par exemple des clivages socioculturels7. Cette clipse sest poursuivie avec la remise en cause du rle des partis, ceux-ci apparaissant comme un objet

Charlot (J.), Thorie des partis politiques , Etudes et Recherches, Universit de Lige, 2, 1975, p. 14. Lauteur distingue sept type dapproches: historique, organisationnelle, idologique, fonctionnaliste, socio-conomique, tactique et stratgique et, enfin, typologique, cette dernire devant malgr tout sanalyser partir dun critre principal, choisi parmi les six approches prcdentes. 5 Sawicki (F.), Les rseaux du Parti socialiste, Paris, Belin, Col. Socio-histoire, 1997, p. 7-17. Pour une analyse du mme ordre en langue anglaise, voir Sartori (G.), The sociology of parties : a critical review in Mair (P.) (dir.), The West European Party System, Oxford, Oxford University Press, 1990. 6 Sawicki (F.), Les partis politiques comme entreprises culturelles , in Cefa (D.) (dir.), Cultures politiques, Paris, PUF, col. La politique clate, 2001, p. 197. 7 Cf. Lipset (S. M.), Rokkan (S.), Cleavage Structures, Party Systems, and Voters Alignments: an Introduction in Lipset (S. M.), Rokkan (S.) (Dir.), Party system and voters alignments: cross-national perspective, New York, The Free Press, 1967, p. 1-64.

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perdu 8, dont lorganisation semblait perdre de sa substance et dont lexistence mme posait problme. En tmoigne lmergence dune littrature centre sur le dclin voire lanachronisme des partis, limage des trois D identifis par John Aldrich : dcadence des partis, dclin et dcomposition. Aux trois D ont pourtant succd les trois R : rmergence, revitalisation, renouveau9. Signe de ce renouveau, de nouvelles typologies sont labores : parti cartel10, modern catch-all party 11 ou bien encore parti lectoral-professionnel12, pour ne citer que les principales. Preuve cependant de la permanence de la dichotomie entre approches organisationnelles et socitales, ces contributions restent avant tout centres sur lorganisation des partis, ignorant trs largement lapproche socitale. Le modle du parti cartel reproduit cette dichotomie. Il convient donc den prsenter non seulement les proprits mais galement lusage qui peut en tre fait, dans le cadre de la dmarche thorique esquisse prcdemment.

Soucieux de renouveler lanalyse des partis politiques, Katz et Mair ont propos, au milieu des

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annes 1990, un modle particulirement stimulant13. Il sagissait pour eux de rompre avec lide selon laquelle les partis de gouvernement, penss sur le modle duvergerien du parti de masse, seraient des organisations en crise et en voie de dpassement. Hier partis de masse puis partis attrape-tout, les partis politiques seraient donc aujourd'hui devenus partis cartels, autrement dit des agences semi tatiques entretenant peu de liens avec la socit civile 14, matrisant de manire oligopolistique le march lectoral et conduites par des professionnels de la politique. Leur modlisation a t brillamment synthtise par Yohann Aucante : le parti cartel est une fuse deux tages : le premier, explosif, inverse la tendance primordiale suppose entre partis et socit ou un groupe social et postule un rapprochement croissant entre ces organisations et lEtat, la sphre publique. Une des conditions essentielles de cette transformation serait la mise en place de

Perrineau (P.), Un objet perdu : les partis politiques in Guillaume (M.) (dir.), Ltat des sciences sociales en France, Paris, La dcouverte, 1986, pps. 281-285. 9 Aldrich (J. H.), Why parties ? : The Origin and Transformation of Political Parties in America, Chicago, University of Chicago Press, 1995. Pour une autre tude de ce passage des trois D aux trois R , voir Daalder (H.), Parties : Denied, Dismissed, or Redundant ? A Critique in Gunther (R.), Montero (J. R.), Linz (J. J.) (dir.), Political Parties. Old Concepts, New Challenges, Oxford, Oxford University Press, col. Comparative politique, 2002, pp. 39-57. 10 Katz (R. S.), Mair (P.), Changing Models of Party Organization and Party Democracy. The Emergence of the Cartel Party , Party Politics, vol. 1 (1), 1995, pps. 5-28. 11 Koole (R.), The Vulnerability of Modern Cadre Party in Netherlands in Katz (R. S.), Mair (P.), (dir.), How Parties Organize: Change and Adaptation in Party Organization in Western Democracies, London, Sage, 1994. 12 Panebianco (A.), Political Parties. Organization and Power, Cambridge, Cambridge University Press, 1988. 13 Cf. Katz (R. S.), Mair (P.), Changing Models of Party Organization and Party Democracy. The Emergence of the Cartel Party , op. cit. Pour une prsentation critique du modle, voir Aucante (Y.), Dez (A.) (dir.), Les systmes de partis dans les dmocraties occidentales. Le modle du parti cartel en question, Paris, Presses de Science Po, 2008. 14 Lexpression socit civile sera toujours utilise entre guillemets en raison de sa plasticit extrme. Sur le contenu de cette notion selon eux, cf. Katz (R. S.), Mair (P.), Cadre, Catch-all or Cartel ? A Rejoinder , Party politics, vol. 2 (4), 1996, p. 528-529, en rponse largumentation de R. Koole qui conteste lide quEtat et socit civile puissent senvisager de manire indpendante : society itself became more and more penetrating by the State , cf. Koole (R.), Cadre, Catch-all or Cartel ? A Comment on the Notion of the Cartel Party , Party politics, vol. 2 (4), 1996, p. 510. Pour une mise au point thorique soulignant les limites dutilisation de cette expression par Katz et Mair, cf. Kitschelt (H.), Citizens, politicians and party cartelization : Political representation and state failure in post-industrial democracies , European Journal of Political Research, 2000, 37, p. 149-179. Plus gnralement, voir le numro coordonn par M. Offerl, La socit civile en question , Problmes politiques et sociaux, 2003, n888.

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systmes de financement public de lactivit politique assez gnreux pour permettre une autonomie plus ample. Le lien avec les forces sociales et les intrts ne disparat pas, il va dans le sens dune modification structurelle et dun affaiblissement [i.e. les partis deviennent des courtiers entre lEtat et la socit]. Le deuxime est largement effet du premier, savoir que le contrle des ressources publiques, laccs privilgi aux mdias avantagent les partis installs dans la comptition lectorale. Cette dernire nest pas abolie mais encadre et un degr important de collusion entre lites devient presque naturel entre des forces politiques en contact troit et permanent [i.e. le cartel] 15.

Le modle est particulirement ambitieux. Il souffre nanmoins dune tendance volutionniste implicite. Ainsi, chaque tape du dveloppement des dmocraties, correspondrait un modle de parti : le parti de cadres avec le suffrage censitaire ; le parti de masse aprs lavnement du suffrage universel ; le parti attrape-tout aprs la seconde Guerre mondiale ; le parti cartel enfin, partir des annes 1970. Chaque type dorganisation tant le reflet dune tape du fonctionnement dmocratique

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des socits occidentales, le parti cartel serait la forme partisane convenant une dmocratie pacifie, o les impratifs de gouvernance simposeraient, le fonctionnement des dmocraties contemporaines exigeant, plutt que le changement, la stabilit que des partis cartels doivent permettent politiquement dobtenir. Le parti cartel par son ancrage lEtat, ne ferait donc que reprsenter une volution des systmes dmocratiques selon laquelle la dmocratie cesse dtre considre comme un moyen de contrle ou de limitation de lEtat par la socit, pour devenir un service fourni par lEtat la socit 16.

Sils estiment que leur modle rend compte dune nouvelle tape du dveloppement dmocratique, Katz et Mair nen donnent toutefois pas de dfinition prcise, en prsentant seulement les principales proprits (cf. Tab. 1). Or, une difficult du modle consiste en la combinaison dune dimension systmique et dune dimension individuelle des partis politiques.

Aucante (Y.), L'hgmonie dmocratique : institutionnalisation des partis sociaux-dmocrates sudois et norvgien comme partis d'Etat, Thse pour le doctorat de science politique, IEP de Paris, 2003, p. 57. 16 Cf. Katz (R. S.), Mair (P.), Changing Models of Party Organization and Party Democracy. The Emergence of the Cartel Party , op. cit., pps. 22. Cette dimension du travail de Katz et Mair est peut-tre la plus stimulante de part les questionnements quelle pose relativement au rle des partis politiques dans le fonctionnement des dmocraties contemporaines. Si le fonctionnement de ces dmocraties ne sera pas directement envisag dans ce travail, il sera nanmoins abord indirectement partir de lintroduction de nouvelles techniques de mobilisation des adhrents des partis, techniques prcisment prsentes par leurs instigateurs comme une dmocratisation . Sur la ncessit mais aussi les difficults de lier analyse des partis politiques et fonctionnement des dmocraties, cf. van Biezen (I.), Saward (M.), Democratic Theorist and Party Scholars : Why They Dont Talk to Each Other, and Why They Should , Perspectives on Politics, 2008, vol 6 (1), pps. 21-35. Les auteurs soulignent la ncessit de dpasser les cloisonnements disciplinaires qui empchent danalyser conjointement ces deux phnomnes pourtant invitablement lis.

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Epoque Caractristiques Degr de participation politique Degr de distribution des principales ressources politiques Principaux objectifs de la politique Fondements de la comptition politique Type de comptition lectorale Nature des campagnes et du travail partisans Principaux canaux de ressources Relations entre les membres ordinaires et les cadres

19e sicle Parti de cadres Suffrage censitaire

1880-1960 Parti de masse Suffrage universel

1945Partis attrape-tout Suffrage universel

1970Parti cartel Suffrage universel

Trs restreint

Relativement Concentr

Moins concentr

Relativement diffus

Distribution des privilges Statut social

Rforme sociale (ou Professionnalisation Amlioration sociale opposition celle-ci) politique Capacit de reprsentation Mobilisation Efficacit politique Capacit managriale Matrise

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Contrle

Comptition ouverte Travail intensif de terrain et investissement en capital Contributions diverses Top down . Les adhrents sont des relais pour les lites

Sans objet

Travail intensif de terrain Cotisation et contributions Bottom up . Les lites sont responsables devant les membres Elargie et homogne, recrute activement et intgre ; adhsion identitaire et accent sur le droits et obligations

Investissement en capital Subventions publiques Stratarchie et autonomie

Contacts personnels Les lites sont les membres ordinaires

Caractristiques de l'adhsion

Limite et litiste

Adhsion ouverte et Ni droit ni obligations encourage importantes (faible (htrogne) ; accent distinction entre sur les droits plutt que membres et non les obligations ; membres) ; accent sur adhsion moins les individus plutt que importante pour le collectif ; l'identit des individus contribution une lgitimit artificielle

Canaux de communication

Rseaux interpersonnels

Organes du parti

Comptition entre partis pour l'accs aux media non partisans

Accs privilgi des canaux de communication rguls par l'Etat Partis intgrs dans l'Etat

Position du parti entre socit civile et Etat Style de reprsentation

Frontires floues Le parti appartient entre lEtat et les la socit et dabord Partis comme ses segments courtiers concurrents strates politiquement pertinentes de la politiquement entre socit et Etat socit mergents Grant Dlgu Entrepreneur17

Agent de l'Etat

Tab. 1. Caractristiques des modles de partis selon Katz et Mair .

Schma tir de Katz (R. S.), Mair (P.), Changing Models of Party Organization and Party Democracy. The Emergence of the Cartel Party , op. cit., p. 18, extrait de Aucante (Y.), Dez (A.) (dir.), Les systmes de partis dans les dmocraties occidentales. Le modle du parti-cartel en question, Paris, Presses de Science Po, 2008. pps. 54-55.

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Ainsi, lorsquils voquent le cartel, Katz et Mair raisonnent en terme de systme partisan (les partis de gouvernement formant le cartel sentendant pour exclure les nouveaux entrants), le cartel gnrant lmergence dun type particulier dorganisation partisane, le parti cartel. Ainsi une proprit gnrale du systme partisan se traduirait individuellement dans la forme de chaque parti. La combinaison de proprits propres aux organisations partisanes et dautres relatives aux systmes partisans rend la mobilisation du modle malaise. Plus prcisment, le modle de Katz et Mair peuttre divis en deux sous modles , lun centr sur les partis pris individuellement ; lautre sur les interactions de ces partis entre eux. A cet gard, la description de Y. Aucante est dautant plus pertinente quelle indique bien ces deux niveaux. Dans le cadre dune recherche centre sur un seul parti, cest donc le premier tage de la fuse qui sera mobilis en priorit, davantage que linterrogation quant lexistence dun cartel de partis en France. Le cur de largumentation de Katz et Mair repose sur lide que les partis de gouvernement, pour assurer leur prennit dans un environnement qui leur est dfavorable (cf. notamment laugmentation de la volatilit lectorale, de

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labstention, lmergence de concurrents politiques, laffaiblissement des effectifs militants), sappuient sur lEtat conu comme un dispensateur de ressources, notamment conomiques, cet ancrage tatique induisant des modifications substantielles tant des organisations partisanes, que des proprits de leurs dirigeants. Cest donc ce rapport lEtat qui sera analys en premier lieu ici18.

Les proprits individuelles du parti cartel peuvent alors se ranger en deux catgories : celles relatives lorganisation ; celles relatives au personnel politique. Pour les premires, llment central est bien linstauration des financements publics. Introduits pour compenser lrosion des effectifs militants mais galement pour contrer les drives lies aux dons des entreprises, ces financements sont dsormais une des principales ressources des partis politiques. Le parti cartel est donc dabord un parti financ par lEtat, consquence dont on verra quelle dpasse le strict cadre financier. Vient ensuite la stratarchie. Cette notion est tire des propositions de Samuel Eldersveld. Pour cet auteur, les diffrents chelons dun parti fonctionnent dabord en fonction de leur inscription dans le niveau correspondant du systme politique : niveau national pour les instances centrales des partis ; niveau local pour leurs chelons dcentraliss. Par l, les chelons du parti tendent fonctionner dans un isolement relatif les uns vis--vis des autres19. Katz et Mair reprennent cette ide en insistant sur lindpendance croissante entre les chelons national et local du parti. Troisime proprit, la participation des adhrents, avec notamment lintroduction de procdures de consultation directe de ceux-ci et de modalits dadhsion simplifies. Cette individualisation de la participation interne, qui renvoie une conception atomistique de

Dailleurs, Katz et Mair avaient initialement dvelopp ce seul aspect de leur modle, rajoutant le deuxime tage de la fuse , lide de cartellisation du systme partisan, dans leur article de 1995. Cf. Katz (R. S.), Mair (P.), The Evolution of Party Organizations in Europe: the Three Faces of Party Organizations , in Crotty (W.) (dir.), Political Parties in a Changing Age , Special Issue of The American Review of Politics, 14, 1993, pps. 593-617. 19 Cf. Eldersveld (S. J.), Political Parties : A Behavioral Analysis, Chicago, Rand Mc Nally, 1964, pps. 7-12.

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lengagement, doit permettre aux leaders nationaux du parti de bnficier dune marge de manuvre supplmentaire vis--vis des chelons intermdiaires. Cette dmocratisation rend plus floue la distinction entre adhrents du parti et non-adhrents, lide tant de favoriser un contact renouvel avec la socit civile , manire de compenser lrosion de lancrage social des partis. Dernier lment, les partis conduisent des campagnes lectorales ncessitant un investissement financier dautant plus important quils doivent faire face des modes de communication politique toujours plus complexes (du fait de la mdiatisation de la vie politique) et quils doivent composer avec un capital militant dautant moins important que le nombre dadhrents lui-mme diminue. Aux transformations de lorganisation rpondent alors celles du profil de leurs dirigeants. Ceux-ci deviennent des professionnels de la politique part entire, qui cherchent sassurer un contrle le plus complet possible sur les ressources matrielles du parti et sur les positions lectives. Ces professionnels sont entours de staffs toujours plus toffs. Or, la croissance des staffs sexplique par la technicisation de lactivit politique, ce quoi Katz et Mair renvoient quand ils voquent la

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capacit managriale des dirigeants : les objectifs de la politique sont du moins temporairement davantage auto-rfrentiels ; lactivit politique devient une profession part entire [...] o il faut pouvoir dmontrer ses capacits de gestionnaire public 20. Les dirigeants ne sont plus alors seulement les reprsentants de la socit auprs de lEtat, ils sont aussi les reprsentants de lEtat auprs de la socit .

Pour cette raison, les partis dpendant financirement de lEtat, deviennent des agences semi tatiques, des courtiers entre la socit et lEtat. Le parti cartel est une sorte de Janus. Dun ct les partis agrgent et transmettent des demandes de la socit vers la bureaucratie de lEtat tandis que de lautre, ils forment les agents de cette bureaucratie dont ils dfendent les options politiques face lopinion publique 21. La recherche permettra de revenir sur lensemble de ces proprits brosses ici grands traits et de prciser les notions dEtat et de socit civile que lapproche macroscopique des deux auteurs rend floues. De mme, la proprit principale qui fonde le modle, lide dune collusion entre partis de gouvernement contingentant la comptition politique, sera voque incidemment, puisquil faudra sinterroger sur lampleur et les effets du financement public sur le PS, interrogation qui ne prendra tout son sens qu partir dune mise en perspective du cas franais.

Ce modle repose donc sur des hypothses thoriques fortes. Pour ses auteurs dailleurs il est une abstraction radicale 22. De cette abstraction radicale, il faut retenir avant tout les deux20

Katz (R. S.), Mair (P.), Changing Models of Party Organization and Party Democracy. The Emergence of the Cartel Party , op. cit., p. 19. 21 Ibid., p. 13. 22 Cette abstraction a suscit de nombreuses critiques, sur lesquelles nous reviendrons et dont on signalera ici les principales. Ainsi Ruud Koole pointe lambigut du terme mme de cartel : sagit-il du systme politique qui est cartellis ou des partis pris individuellement? Cf. Koole (R.), Cadre, Catch-all or Cartel ? A Comment on the Notion of the Cartel Party , op. cit. Herbert Kitschelt, lui, relve la difficult quil y a considrer lide de coupure entre la socit civile et les partis

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prsupposs qui la fondent, savoir lide que comprendre les organisations partisanes contemporaines exige de saisir les relations que celles-ci entretiennent avec lEtat, ce quindique explicitement la mise en place des financements publics ; et lide que lactivit politique connat une intense rationalisation, qui se marque travers la professionnalisation des lites partisanes. Ces deux points seront ainsi plus particulirement mis en vidence dans la recherche.

Abstraction radicale enfin, car Katz et Mair envisagent leur modle dun point de vue idaltypique, ce qui invite en user comme tel. Cet usage doit alors tre prcis. Katz et Mair laborent en effet une typologie pour rendre compte, travers un type dorganisation partisane unique, des volutions du systme politique dans son ensemble. Dans ce but, dans le sillage d Eldersveld et Sorauf23, ils dcomposent les organisations partisanes en trois faces ; les transformations de chacune delles et des rapports quelles entretiennent les unes par rapport aux autres dans le parti explicitant les volutions gnrales du systme24. Une analogie est donc ralise entre la comptition

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interne au sein des partis et lintgration de ceux-ci aux systmes politiques. Les partis politiques sont donc dcoups entre le party in the public office (le parti au pouvoir : au parlement ou au gouvernement) ; le party on the ground (le parti sur le terrain : adhrents, activistes) et le party in the central office (les instances dirigeantes du parti : lorganisation centrale proprement dite)25. En mettant en exergue les tensions entre les trois faces des partis comme moteur de leur volution organisationnelle, Katz et Mair proposent un cadre permettant de mieux apprhender lide de changement partisan26. Si pour eux, ce changement est essentiellement dpendant de variables exognes, proposition invitable puisque lorganisation du parti doit reflter des volutions systmiques, il nen demeure pas moins soumis galement des variables endognes dont tmoigne lquilibre qui stablit entre les faces du parti27. Les deux auteurs, sils nexcluent donc pas lide des variables endognes au changement partisan, ne proposent toutefois que des indicateurs permettant de rendre compte des relations internes entre les faces (i.e. le pourcentage dlus dans les instances centrales, le financement public). Ce faisant, ils sempchent de mettre vritablement en vidence lapolitiques. Il pointe, par exemple, le hiatus quil y aurait considrer que les lus du parti, sorte de managers de la politique, iraient dlibrment lencontre de la volont des membres de leur parti pour mieux satisfaire aux exigences gestionnaires de lEtat. Il indique par l un point aveugle de lanalyse propose par Katz et Mair, en sinterrogeant ensuite tout fait logiquement sur le fait de savoir si les leaders du parti violent deux-mmes la volont de leurs militants ou sils obissent en cela ladministration tatique, cf. Kitschelt (H.), Citizens, politicians and party cartellization : Political representation and state failure in post-industrial democracies , European Journal of Political Research, 2000, 37, p. 149-179. Klauss Detterbeck, enfin, constate que lmergence ou non de ce contingentement de la comptition politique nest pas ncessairement corrl avec lexistence de partis cartels en tant que tels, cf. Detterbeck (K.), Cartel Parties in Western Europe , Party politics, 2005, vol. 11, n2, pps. 173-191. 23 Cf. Elsderveld (S. J), op. cit. et Sorauf (F. J.), Political parties in the American System, Boston, Little & Brown, 1964. Pour une critique, voir Schlesinger (J. A.), Political Parties and the Winning of the Office, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1991. Lauteur pointe les limites dans lapprhension du phnomne partisan de ce quil qualifie de piece meal approach . 24 Katz (R. S.), Mair (P.), The Evolution of Party Organizations in Europe: the Three Faces of Party Organizations , op. cit., p. 594 : we believe it to be possible to identify subsystems within parties that, by virtue of their location in the party and the wider political system, will interact with one another in understandably patterned way . 25 Ibidem. La dfinition de ces faces se rvle parfois approximative, cf. pour le party in the public office, infra p. 181. 26 Ibid., p. 595. 27 Ibid., p. 601.

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singularit de chaque parti, pour mieux insister sur les tendances gnrales des changements partisans. Ce choix illustre leur volont de constituer le parti cartel en idal-type et renvoie mcaniquement llaboration de propositions thoriques marques par leur caractre abstrait. Ainsi pour eux, il importe prioritairement surtout de constater, partir dindicateurs gnraux, la supriorit du party in the public office sur les deux autres faces du parti, supriorit exemplifiant linscription croissante des partis de gouvernement dans lEtat.

Ce choix thorique prte alors ncessairement le flanc aux critiques dnonant lvolutionnisme des taxinomies organisationnelles. Aussi Katz et Mair indiquent bien que leur modle nest quun idal-type dont les partis actuels tendent se rapprocher sans toutefois se confondre avec lui28. Leur thorie repose donc en premier lieu sur la comparaison didaux types, au dtriment dune analyse concrte et situe des partis politiques. Pour sortir de cette impasse thorique, il conviendra donc de concilier approche idal-typique des partis politiques et analyse processuelle du

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changement partisan. Les volutions apportes au modle invitent dailleurs orienter la recherche en ce sens.

2. Evolution du modle des partis cartels.En effet, si lon compare larticle fondateur de Katz et Mair avec celui publi conjointement une dcennie plus tard par Katz et Marc Blyth29, lvolution thorique est incontestable. Les titres euxmmes illustrent ce basculement, le premier utilisant le terme parti cartel tandis que le second recourt celui de cartellisation . Larticle de Katz et Blyth tmoigne dune relle prise en considration des critiques du modle, tout en en conservant la matrice initiale, notamment le jeu entre les faces des partis, et en continuant de sinscrire dans un effet de priode30. Il propose de nombreux enrichissements qui en renforcent une lecture processuelle. Le choix du terme cartellisation nest pas indiffrent : il favorise en effet une lecture davantage comprhensive du changement partisan. En effet, la comparaison entreVoir par exemple Katz (R. S.), Mair (P.), Cadre, Catch-all or Cartel ? A Rejoinder , op.cit., p. 525-534. Pour eux, les partis, mme sils sorientent vers lEtat, nen conservent pas moins des traits distinctifs relevant de modles antrieurs, notamment du type des catch-all parties . 29 Blyth (M.), Katz (R. S.), From Catch-all Politics to Cartelization : The Political Economy of the Cartel Party , West European Politics, vol. 28 (1), 2005, pps. 33-60. 30 Il convient de signaler que si lon se rfre prioritairement ici la thorie des partis cartels, cest justement en raison de cet effet de priode, lequel est indispensable dans le cadre du modle thorique envisag dans le cadre de ce travail. Cela ninduit cependant pas que lon se refuse envisager les analyses organisationnelles relevant de leffet de gnration. En revanche, il parat plus conforme la dmarche de se situer dans le cadre des thories relevant de leffet de priode. Benot Rihoux distingue effets de priode et effets de gnration, les premiers identifiant un modle une priode temporelle dtermine, les seconds marquant lorganisation partisane sa cration (i.e. la notion de patrimoine gntique dveloppe par A. Panebianco) et produisant le maintien de la multiplicit des formes partisanes, cf. Rihoux (B.), Les partis politiques : organisations en changement, le test des cologistes, Paris, LHarmattan, col. Logiques politiques, 2001, p. 85. Si les effets de gnration semblent plus conformes la ralit du dveloppement des formes partisanes, il faut remarquer quun assouplissement des thories relevant des effets de priode (telle celle des partis cartels) conduit in fine un rsultat presque similaire : celui de la diversit des formes partisanes. Cest ce que proposent en tout cas Katz et Mair, lorsquils indiquent, par exemple, que le modle des partis cartels nest pas un aboutissement des formes politiques.28

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un modle et son objet empirique se rduit trop souvent, selon une dmarche inductive, une confrontation entre les proprits thoriques du modle et le parti. Cest justement cet cueil que la notion de cartellisation permet, dans une certaine mesure, dviter. En dsignant un processus, la cartellisation permet denvisager des alternatives une volution alors moins systmatique. Il devient possible, par l, de passer dun volutionnisme thorique un volutionnisme empirique31.

La notion de cartellisation est ensuite prcise. Alors que dans les versions antrieures du modle, la mise en place du cartel tait postule principalement partir de la part des financements publics dans le budget des partis politiques, Katz et Blyth sattachent l, expliciter les lments empiriques pouvant contraindre les dirigeants dun parti de gouvernement agir de la sorte. Ils analysent alors les politiques publiques conduites, ainsi que les discours politiques des leaders32, afin de mettre en vidence lexistence du cartel33. Pour mieux dfendre du modle, Katz et Blyth ont ainsi dpass la rigidit du cadre initial en lenrichissant par lanalyse de matriaux nouveaux et des outils

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thoriques adquats. Significativement, ils crivent : we do feel that for the concept of the cartel party to move beyond that of descriptive ideal-type some discussion of the logics of the cartels and the applicability of this to the political world is necessary 34.

Cest ensuite la manire dapprhender les organisations partisanes partir de catgories gnralisantes tant en ce qui concerne lorganisation elle-mme (les faces des partis) que les individus qui la composent (les lus, les adhrents) qui volue. Les auteurs ne partent plus en effet du modle tel qulabor mais des changements quils considrent comme des contraintes auxquelles lorganisation doit sadapter, pour identifier, par l, les stratgies qui soffrent aux lites partisanes pour y faire face. Ainsi, les acteurs partisans retrouvent alors une relative centralit absente dans la version antrieure du modle tandis que, et de manire dcisive, les relations entre les trois faces des partis sont envisages en termes dopportunits stratgiques, comme une solution parmi dautres pour faciliter ladaptation aux nouvelles formes de la comptition politique35. Larticle de Katz et Blyth doit se comprendre ainsi comme le prolongement et laccentuation de la volont de dcentrer thoriquement le modle des partis cartels dune analyse organisationnelle rifiante.

Ces apports proposent une lecture enrichie du modle des partis cartels, lecture fonde sur une volution dcisive propose par larticle. Lusage du terme de cartellisation prend tout son sens ici siOn se permet ici de reprendre trs librement la distinction opre par N. Heinich, en rponse aux critiques des postulats liassiens, cf. Heinich (N.), La sociologie de Norbert Elias, Paris, La dcouverte, col. Repres, 2002, p. 26. 32 Il faut y voir un prolongement des travaux de M. Blyth, cf. Blyth (M.), Great Transformation : Economic Ideas and Institutional Change in the Twentieth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 2002. 33 Ils reconnaissent quun cartel peut exister sans que cela ne suppose ncessairement dentente collusive explicite entre les dirigeants des partis de gouvernement. 34 Blyth (M.), Katz (R. S.), From Catch-all Politics to Cartellisation : The Political Economy of the Cartel Party , op. cit., p. 38, soulign par nous. 35 Ibid, p. 45.31

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lon admet que le modle idal-typique passe au second plan, sans disparatre, tandis que cest ladaptation des membres des partis aux volutions quils peroivent, plus ou moins consciemment, qui passe au premier. Cependant, bien quils notent que la cartellisation est un processus multidimensionnel 36, Katz et Blyth ne semblent pas avoir tir profit de lensemble des potentialits ainsi ouvertes : ils ne formalisent pas thoriquement le glissement opr par la notion de cartellisation. Leur article montre toutefois que si le parti cartel renvoie prioritairement lorganisation des partis politiques, la cartellisation dpasse largement ce strict cadre. Autrement dit, cet article dmontre que la thorie des partis cartels peut tre mobilise sans risquer de tomber dans le pige dune dmarche de recherche inductive, ds lors que lon accepte de lutiliser dans sa perspective dynamique et que lon croise les approches thoriques. Cest cette piste de recherche que cette analyse du PS voudrait emprunter. Or, si la notion de cartellisation appelle indubitablement un largissement des outils thoriques sollicits, la sociologie franaise des organisations partisanes offre alors un vaste rservoir dans lequel il convient de puiser.

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3. Etat des travaux franais et perspectives de recherches.Faisant exception au renouveau des approches organisationnelles au niveau international, la France est reste largement trangre ce mouvement37, non sans que soient dveloppes dautres approches des partis politiques susceptibles denrichir lusage du modle des partis cartels38. Ainsi, une analyse des partis politiques en tant que construits sociaux merge aujourd'hui, analyse dont lorigine se situe au niveau socital.

Ibid, p. 53 : cartelisation is a multi-dimensional process . Cf. Haegel (Fl.), A la recherche de la densit des phnomnes organisationnels : lexemple du RPR in Andolfatto (D.), Greffet (F.), Olivier (L.), Les partis politiques, quelles perspectives ?, Paris, LHarmattan, Col. Logiques politiques, 2001, p. 83. Un des exemples les plus frappant de cette lacune reste sans nul doute louvrage collectif dirig par Katz (R.S.), Mair (P.), Party organizations : a data handbook on party organizations in Western democracies, 1960-90, London, Sage, 1992, lequel est issu dun programme de recherche centr sur une dizaine de pays europens et sur les Etats-Unis, et partir duquel les deux auteurs proposeront ultrieurement leur modle des partis cartels. Or, dans cet ouvrage, le cas de la France nest significativement pas tudi. Ce retard tend tre combl, cf. Haegel (Fl.) (dir.), Partis politiques et systme partisan en France, Paris, Presses de Sciences Po, 2007 et Aucante (Y.), Dez (A.) (dir.), Les systmes de partis dans les dmocraties occidentales. Le modle du parti-cartel en question, op. cit.. 38 Parmi les contributions les plus rcentes cf. Massart (A.), UDF : naissance et organisation dun regroupement de partis, Thse pour le doctorat en science politique, Lille 2, 1997 ; Sauger (N.), Les scissions de lUDF (1994-1999). Unit et dissociation des partis, mcanismes de transformation de loffre partisane, Thse pour le doctorat de science politique, IEP de Paris, 2003 ; Fretel (J.), Militants catholiques en politique. La Nouvelle UDF. Thse pour le doctorat de science politique, Universit Paris I, 2004 ; Sawicki (F.), Les rseaux du Parti socialiste, op. cit. ; Lefebvre (R.), Le socialisme saisi par linstitution municipale. Jeux dchelles, Thse pour le doctorat en science politique, Lille 2, 2001 ; Verrier (B.), Loyaut militante et fragmentation des partis. Du CERES au MDC, Thse pour le doctorat de science politique, Universit Robert Schuman Strasbourg III, 2003 ; Faucher-King (Fl.), Les habits verts de la politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1999 ; Garcia (X.), Analyse dune transition partisane : Le parti travailliste britannique depuis 1979, Thse pour le doctorat de science politique, Universit de Nice Sophia-Antipolis, 2003 ; Aucante (Y.), LHgmonie dmocratique : institutionnalisation des partis sociaux-dmocrates sudois et norvgiens comme partis dEtat, Thse pour le doctorat en science politique, IEP de Paris, 2003 ; Combes (H.), De la politique contestataire la fabrique partisane : le cas du Parti de la rvolution dmocratique au Mexique, Thse pour le doctorat de science politique, Paris 3, 2004.37

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Les travaux de Michel Offerl ont vritablement ouvert la voie ce type dapproches39. Selon lui, un parti politique doit tre considr comme un espace de concurrence entre des agents, comme une entreprise politique dun type particulier 40. Laccent est donc port prioritairement sur les membres du parti et les ressorts de leur participation cette sociation. Ce qui renvoie, par suite, la notion dentreprise politique. Par ce terme, M. Offerl intgre la notion de march politique, sur lequel sinsre cette entreprise dont le but est alors de produire des biens politiques. Le parti politique nest plus envisag abstraitement mais au contraire analys partir de laction de ses membres, agents [qui] investissent des capitaux pour recueillir des profits politiques en produisant des biens politiques 41. La forme du parti importe peu ici : le parti est apprhend alors comme un champ de forces, c'est--dire un espace de concurrence objectiv entre des agents ainsi disposs quils luttent pour la dfinition lgitime du parti [...] dont ils contribuent par leur comptition entretenir lexistence 42. Ds lors que lon considre quun parti est un espace de concurrence, il importe de saisir les frontires de cet espace et les relations qui stablissent entre les agents contribuant le faire

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exister. Les structures dorganisation constituent, par l, une source de ressources collectives. En revanche, la forme de lorganisation nest pas tudie. Ce choix renvoie au postulat selon lequel envisager lorganisation per se conduirait tablir une vision du parti qui ne correspondrait pas aux usages sociaux dont il est lobjet. Or, si la focale permet dclairer et de dtailler les contours sociologiques du parti, elle en pixellise limage organisationnelle, de telle sorte que lon obtient une reprsentation fidle de ceux qui le composent, mais plus du parti lui-mme.

Dans le prolongement des travaux de M. Offerl, ceux de F. Sawicki mettent en exergue la ncessit denvisager non plus seulement le parti mais le milieu partisan et les rseaux qui le composent, ce qui doit permettre de mieux souligner la manire dont les partis politiques agrgent des groupes divers dots de dispositions contrastes tout en apprhendant la manire dont les formes du militantisme et dorganisation qui prvalent en une situation donne refltent ces dispositions et cette diversit 43. Mais l encore, si lon peroit mieux qui sont les membres du parti et la manire dont les agencements relationnels stablissent entre eux, on perd une vue densemble du parti, ce qui est renforc par la perspective localiste adopte44.

Ce type dapproches permet donc moins de savoir ce quest lorganisation quil ne renseigne sur ceux qui la font. Deux lments doivent alors tre souligns. Ceux-ci permettront de prciser la39 40

Cf. Offerl (M.), Les partis politiques, Paris, PUF, Col. QSJ, 2002 (4me d.). Offerl (M.), Les partis politiques, op. cit., p. 5. 41 Ibid, p. 12. 42 Ibid, p. 15. 43 Sawicki (F.), Les rseaux du Parti socialiste, op. cit., , p. 32. 44 Voir en ce sens louvrage prcurseur de Lagroye (J.), Lord (G.), Mounier-Chazel (L.), Palard (J.), Les Militants politiques dans trois partis franais : Parti communiste, Parti socialiste, Union des dmocrates pour la Rpublique, Bordeaux, Pdone, 1976. Du reste, si F. Sawicki a privilgi lchelon local, sa mthode est aisment transposable lchelon national, ainsi quil a pu le dmontrer par ailleurs, cf. Sawicki (F.), La structuration du Parti socialiste. Milieux partisans et production didentit, Thse pour le doctorat de science politique, Universit de Paris I, 1994.

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manire dont on entend dpasser la dichotomie entre organisations et reflet social. Premier constat, le choix denvisager le parti comme relation sociale, sil nempche pas dtudier lorganisation, ne permet pas de rendre compte de ce quelle est intrinsquement. Or, sinterroger sur ce quest lorganisation partisane, autrement dit sur sa forme, ncessite de replacer celle-ci au premier plan. Il convient par consquent de comprendre comment les membres dun parti sassocient et organisent leur action pour la faire fonctionner. Ds lors que lon envisage de dterminer pourquoi un parti change, il convient de sappuyer sur ses formes pour situer ce changement, avant de pouvoir, dans un second temps, apprhender ceux qui en sont les acteurs. Deux tapes apparaissent ainsi : dabord identifier le changement luvre travers les modifications subies par lorganisation partisane ; identifier ensuite les acteurs de ce changement et, par l, larbitrage ralis durant cette phase entre leurs ressources mobilisables, les contraintes qui psent sur leur action et les rsultats attendus de cet arbitrage. M. Offerl crit juste titre que, derrire le mme sigle, des ralits trs diffrentes peuvent coexister. Mais, toutes choses gales par ailleurs, la proposition inverse peut aussi tre valable : derrire le mme

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personnel, diffrentes formes de parti peuvent coexister.

Si lon en revient, dans le sillage de la dfinition de Max Weber, une apprhension du parti en fonction de la finalit de la sociation, savoir la conqute des suffrages pour parvenir au pouvoir, la ncessit de sinterroger en premier lieu sur les moyens que les membres du parti communalisent pour y parvenir passe au premier plan, puisquelle invite analyser le produit collectif de cette sociation, savoir lorganisation qui devra permettre la ralisation de cet objectif. Ce qui ne veut pas signifier que les membres de la sociation nont par exemple pas dintrts particuliers la ralisation de lobjectif collectif mais que lorganisation partisane transcende ces intrts divers par la ralisation de ceux qui lui sont collectivement assigns. On peut alors sinterroger sur les modalits de ralisation de cette ambition collective et, pour ce faire, envisager lorganisation, les formes quelle prend, les biens quelle produit et les transformations quelle subit en fonction de la ralisation ou de la modification des objectifs collectifs qui lui ont t assigns. Dans cette perspective, les agents partisans ne peuvent tre ignors, mais doivent tre envisags en tant quindividus sociologiquement situs dans un second temps. Ce second temps devra permettre de saisir comment larticulation des fins de lorganisation est travaille par ceux qui la composent.

Choisir de se placer du point de vue organisationnel suppose donc denvisager ce quest structurellement le parti sans toutefois ngliger que sa forme, et par suite lvolution de celle-ci, est troitement corrle aux proprits et faons de jouer le jeu interne de ceux qui la composent. Mettre en vidence les changements qui affectent lorganisation partisane suppose alors de parvenir articuler ltude de lorganisation dans un modle qui laissera toute sa place aux membres du parti. On propose alors de fixer comme cadre de dpart la construction thorique la proposition suivante :

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envisager les changements luvre dans une organisation partisane implique danalyser les transformations subies par lentreprise partisane.

Affirmer ceci, cest vouloir mettre en vidence trois points. Cest, dabord, prciser la notion de changement partisan en dpassant la perspective organisationnelle qui nenvisage ce phnomne que comme une variable dajustement alors que le propre dune organisation partisane est de subir de perptuelles modifications, dans sa forme ou travers les individus qui y participent. Cest, deuximement, refuser de tomber dans lillusion typologique des organisations partisanes. Dlice de lapproche organisationnelle45, recourir aux typologies partisanes porte en germe le risque, on la vu, de devenir une fin en soi46. En revanche, la typologie permet dinterroger les moyens par lesquels les membres dun parti cherchent raliser le but collectivement fix lorganisation. Ainsi, se fonder sur les typologies partisanes constitue un outil thorique pertinent pour apprhender les transformations des partis politiques, condition toutefois dviter deux cueils. Il

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faut dabord, dconstruire le processus transformationnel, c'est--dire intgrer dans lanalyse non seulement les transformations telles quelles se sont produites, mais galement les possibles non raliss47. Il ne sagit pas de refaire lhistoire , mais de saisir en quoi les solutions proposes par les acteurs taient dtermines par les circonstances et pourquoi, en fin de compte, telle solution a t privilgie plutt que telle autre48. Garder lesprit les alternatives qui jalonnent le processus transformationnel permet, en outre, dviter le second cueil li lutilisation dune typologie partisane. Il sagit donc, ensuite, de ne pas renverser la perspective et de conformer lobjet au modle. Identifier les tapes du dveloppement de lorganisation et les alternatives possibles au changement que chacune dentre elles offre permet par consquent dadopter une dmarche distancie par rapport au modle partisan. Cest la raison pour laquelle il est ncessaire de conserver une dmarche soucieuse de considrer le parti comme relation sociale. Le changement nest plus un phnomne abstrait dans ces conditions, mais un processus ralis et incarn par des individus dont les intrts contradictoires saffrontent et trouvent sexprimer ncessairement durant ce processus. Cela suppose, enfin, troisime point, de dpasser la distinction classique des analyses organisationnelles entre dirigeants/lus et adhrents, pour insister sur la fluidit des positions de chacun et les regroupements qui soprent et qui transcendent cette distinction.

Cf. le nombre de types partisans rpertoris par D-L. Seiler dans la classification des organisations partisanes quil tablit in Seiler (D-L)., Les partis politiques, Paris, A. Colin, col. Compact, 2000 (2me d.), p. 175. 46 Pour une discussion sur ce thme, voir Gunther (R.), Diamond (L.), Species of Political Parties. A New Typology , Party Politics, 9, 2003, pp. 167-199. Plus gnralement, sur la pense typologique, voir Rowell (J.), Le totalitarisme au concret : les politiques du logement en RDA, Paris, Economica, col. Etudes politiques, 2006. 47 Sur la notion de possibilit avorte , voir Veyne (P.), Comment on crit lHistoire, Paris, Seuil, 1996 (1re d, 1971), p. 145. 48 Lide de solution labore pour absorber le changement ne doit pas laisser croire que les solutions proposes ne peuvent tre que des actions positives. Au contraire, les membres dun parti peuvent trs bien dcider de ne rien dcider ni de faire, privilgiant le statu quo.

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Ces prcisions pralables savrent dautant plus ncessaires quelles doivent tre considres comme les soubassements partir desquels une modlisation combinant approches organisationnelles et socitales et visant rendre compte des changements partisans, sera propose. La notion de changement semble alors pouvoir constituer le pont reliant ces deux types dapproches. A condition toutefois dtre dbarrasse de ses oripeaux systmiques et, notamment, de ne plus tre considre comme tant une simple variable.

4. Apprhender les organisations partisanes partir de la notion de changement.Interroger les volutions dune organisation partisane conduit invitablement rechercher, dune part, ce qui la fait changer et examiner, dautre part, les manires dont elle change49.

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Le changement au prisme des approches organisationnelles.

La sociologie des organisations partisanes apprhende le changement essentiellement selon deux acceptions diffrentes. La premire lenvisage comme une srie de variables : endognes ou exognes ; incrmentales ou discontinues ; ncessaires ou contingentes ; intentionnelles ou non50. La seconde renvoie lide de processus : un parti passe dune forme dorganisation une autre. Les deux sont cependant rgulirement confondues, notamment quand une typologie partisane est labore.

Les approches organisationnelles qui insistent sur la construction de ces typologies tendent analyser le changement en tant que processus, tandis que celles qui insistent plus spcifiquement sur le changement en tant que variables laborent des modles danalyses permettant de les interprter51. La construction de typologies entrane alors leurs auteurs considrer lorganisation de manire dautant plus abstraite que leur analyse accorde une influence importante aux variables externes. Cest le cas par exemple pour Katz et Mair pour qui, in fine, le changement du parti est dtermin par son environnement52. En revanche, ceux qui sattachent davantage aux changements en tant que variables proposent des modles tenant la fois compte de la structure relle de lorganisation et des relations quentretiennent entre eux leurs membres. Cependant, mme les auteurs les plus soucieux dviter le pige volutionniste, limage de Koole ou de Panebianco, sont conduits construire un modle enPour une approche gnrale de la notion de changement, voir Dupuy (F.), Sociologie du changement : pourquoi et comment changer les organisations, Paris, Dunod, 2004. 50 Cf. Rihoux (B.), Les partis politiques : organisations en changement, le test des cologistes, op. cit., pp. 99 107. 51 Cf. Harmel (R.), Janda (K.), An Integrated Theory of Party Goals and Party Change , Journal of Theoretical Politics, vol. 6 (3), 1994, pps. 259-287. 52 And while the reasons for this change are myriad, with the immediate source being usually found in the internal politics of the party, the ultimate source can often be traced back to the environment in which the party operates : Katz (R. S.), Mair. (P.), The Ascendancy of the Party in the Public Office in Gunther (R.), Montero (J. R.), Linz (J.), Political Parties, Old Concepts and New Challenges, op. cit., p. 130.49

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deux temps leur permettant dapprcier dabord les changements au sens de variables puis, ensuite, le changement, au sens de processus, ce qui renvoie la forme de lorganisation. Le changement des partis politiques est donc bien un problme pour les analyses organisationnelles. Identifier ce problme permet de dfinir cette notion selon un troisime sens.

Des sens du changement au changement de sens.

Les approches organisationnelles ne permettent pas de penser les interactions entre lorganisation et ses membres autrement quen termes de primaut de lun sur lautre. Ainsi, le changement est considr comme un lment qui simpose au parti, lment face auquel soit lorganisation considre comme un tout, soit ses membres, apportent une solution. Dans cette perspective, le changement nest le plus souvent que la preuve dun dysfonctionnement de lorganisation. Cest la raison pour laquelle il est envisag gnralement sur le mode dune crise

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rsoudre, dont lorigine est la plupart du temps lectorale.

On peut toutefois envisager une conception diffrente du changement qui renvoie lide de processus, mais sans vise tlologique, donc lide de processus dadaptation permanent. Lanalyse socitale sapproche davantage de cette conception du changement, en insistant sur lide de lutte concurrentielle que se livrent les membres du parti. On peut ainsi considrer que lorganisation objective dans sa forme et son fonctionnement le pouvoir dindividus qui ont su sy imposer. La notion de changement peut par consquent tre aussi comprise dans un troisime sens, celui de processus dadaptation permanent visant tablir un quilibre entre des forces en perptuelle comptition, et donc en perptuel mouvement, au sein du parti53. Tel quenvisag, ce troisime sens rompt avec lide dun changement-variable et dpasse lopposition entre lorganisation et ses membres54. En outre, cette approche du changement doit permettre de comprendre galement ce qui ne change pas, en dpassant lide selon laquelle ce qui ne change pas, cest ce qui marche .

Ce troisime sens implique une approche constructiviste des partis politiques, approche qui justement permet de dpasser lopposition systme-individus en se centrant sur les relations entre individus, ainsi que les univers objectivs quelles fabriquent et qui leur servent de supports, en tant quils sont constitutifs tout la fois des individus et des phnomnes sociaux 55. Norbert Elias a parfaitement rsum les enjeux mthodologiques impliqus par ces diffrents sens donns au changement : Le concept de changement social est souvent utilis comme sil sagissait dun tat donn. On passe en quelque sorte de ltat statique conu comme tat normal, au mouvement conu53 54

La notion dquilibre des forces est entendue ici au sens quen donne N. Elias, cf. infra p. 58 et svtes. Ce troisime sens renvoie et prolonge, en ralit, lapproche de la relation sociale. Cf. sur ce point Lagroye (J.), Change and Permanence in Political Parties , Political Studies, 37, 1989, p. 365. 55 Corcuff (P.), Les nouvelles sociologies, Paris, Nathan universit, col. Sociologie 128, 2002, p. 16.

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comme tat exceptionnel. On dominerait bien mieux les donnes du problme si lon ne faisait pas abstraction du mouvement, du caractre de processus des socits. [...] La forme actuelle des analyses sociologiques permet de dcomposer intellectuellement des complexes en lments isols, en variables ou facteurs par exemple, sans que lon cherche comprendre quelle relation peut exister entre les diffrents aspects isols de cet ensemble. Cette relation apparat tout au plus comme un aspect secondaire et annexe. [...] On tiendrait mieux compte de lordre spcifique de linterpntration et de ses formes relationnelles, si la dmarche de la pense sociologique partait des relations pour aboutir lobjet mis en relation 56. Par consquent, le parti nest plus une bote noire coupe du tissu social, mais bien un lment parmi une somme de relations sociales qui dpassent son cadre et dont il fait partie. Ds lors, le changement nest plus cette variable extrieure qui simpose de manire ponctuelle lorganisation partisane, mais devient consubstantiel au parti en ce que le parti est le reflet permanent des changements luvre dans lensemble des relations sociales considres et dont les individus sont

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porteurs. Le parti est alors une ralit sociale objective qui traduit par sa forme un tat des relations sociales et simpose de par son existence aux individus comme une contrainte pesant sur leur action. Cest galement une ralit sociale intriorise, c'est--dire qui sinscrit dans des mondes subjectifs et intrioriss, constitus notamment de formes de sensibilit, de perception, de reprsentation et de connaissances 57 propres aux individus qui forment cette formation sociale.

Sil est vrai que dans le cadre dune approche constructiviste, la notion de changement organisationnel est dilue dans la perspective englobante du changement social et ne peut tre apprcie qu partir de lide de transformation de la forme objective que reprsente le parti, le changement organisationnel ne peut, linverse, se concevoir sans tenir compte des quilibres prcaires et fluctuants qui relient les membres du parti entre eux. Un arbitrage thorique savre donc ncessaire pour concilier lobjet danalyse, lorganisation partisane, et la mthode de recherche, lapproche constructiviste. En outre, il est dautant plus difficile de recourir une approche constructiviste en tant que telle que lobjet de recherche tant seulement lorganisation partisane, il est impossible de faire limpasse sur les thories qui permettront justement den dterminer la forme. Pour cette raison, il est demble prfrable duser de lexpression perspective constructiviste , de manire bien signifier que lobjet dtude est lorganisation partisane et que cette dernire sera analyse prioritairement en tant que telle, partir des approches organisationnelles. Evoquer une perspective constructiviste, cest cependant postuler que les organisations partisanes sont, in fine, une objectivation des contraintes multiples affrontes par les membres du parti et que, pour pouvoir saisir les modalits de changement de la forme partisane, deux dmarches sont ncessaires. Dune part, il convient denvisager les membres du parti non pas comme de simples56 57

Elias (N.), Quest-ce que la sociologie ?, Paris, Pocket, col. Agora, 2004, p. 138. Corcuff (P.), op. cit., p. 18.

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stratges mais galement en tant quindividus socialement situs. Dautre part, il faut considrer lorganisation comme une forme objective des relations que ses membres entretiennent entre eux, mais aussi avec lextrieur. En effet, comprendre les transformations de lorganisation partisane ncessite de reprendre les deux premiers sens du terme changement, savoir changement en tant que variable et processus. Mais lusage du troisime sens, c'est--dire en tant que processus dadaptation permanent permet, dune part, de nuancer la dtermination exogne du changement pris comme variable, et dautre part, de rompre avec le caractre univoque du changement et de rendre compte prcisment des modalits particulires du dveloppement dun parti. En tenant compte du changement au troisime sens voqu, il sera possible de montrer que le dveloppement organisationnel dun parti repose sur les modalits de lutte entre individus en son sein.

Pour autant, comprendre empiriquement les volutions de la forme partisane suppose de

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disposer dun point de comparaison, dune image fixe de lorganisation. Cette ncessit renvoie alors la question de lutilisation de modles idal-typiques des organisations partisanes.

Changement et modle idal-typique des organisations partisanes.

Au risque que le moyen devienne une fin, le recours un idal-type dorganisation partisane est incontournable dans la prsente dmarche. Sans cela, il serait particulirement problmatique dordonner la perception du changement organisationnel et, tout le moins, den vrifier empiriquement les particularits. Ce faisant, affirmer quun parti nest pas devenu comme , cest tablir implicitement un point de comparaison entre une reprsentation, une abstraction thorique et la forme du parti telle que la recherche permet de ltablir empiriquement. Pour cette raison, il est indispensable de pouvoir sappuyer sur une modlisation abstraite qui guidera lanalyse empirique. Ce nest en effet pas tant la notion didal-type qui constitue un obstacle que la manire dy recourir58. Aussi, il importe de constater avec A. Panebianco que the advantage of the weberian methodology of the ideal type is that it allows us to establish a standard with respect to which we can measure differences and deviations due to concrete historical developments 59.

Etudier lvolution dune organisation partisane sur une priode donne exige donc de sappuyer sur une reprsentation idal-typique de ce que cette volution pourrait tre rellement. N. Elias estimait que : Lusage sest tabli de parler de changement social sans tenir compte du fait

58

En ce sens voir Gunther (R.), Diamond (L.), op. cit., p. 172. Leur article est dautant plus intressant, quil souligne par lexemple le caractre incontournable du recours aux typologies : aprs avoir dnonc les travers dune telle approche et les manques des principaux idaux-types partisans existants, Gunther et Diamond en viennent proposer eux aussi, une typologie. 59 Cf. Panebianco (A.), op. cit., p. 17.

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que, si certains dentre eux peuvent entraner une diffrenciation et une complexit plus grandes, dautres peuvent agir en sens inverse 60. Envisager les possibles non raliss ou les changements sociaux en sens inverse doit permettre dviter lcueil volutionniste. La perspective constructiviste doit aussi y aider car elle suppose un moment de d-construction c'est--dire dinterrogation de ce qui se prsente comme donn , naturel , intemporel [...] elle appelle ensuite des investigations sur les processus de construction de la ralit sociale (moment de reconstruction) 61.

Analyser lvolution dune organisation partisane implique donc de dfinir la fois la manire dapprhender les liens entre lorganisation et ses membres et, ensuite, dadopter un cadre danalyse permettant de saisir les transformations dans le temps de la forme partisane. Il sagit par consquent dlaborer un modle thorique articulant une approche idal-typique du dveloppement organisationnel et une perspective constructiviste des organisations partisanes

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En sappuyant sur les travaux de N. Elias, on envisagera alors les partis comme des configurations partisanes. Lide est ici de comprendre comment les membres dun parti en comptition les uns avec les autres, sassocient pour donner corps ce parti dont la forme et dtermine par son organisation ; organisation qui en retour les contraint dans leur manire de jouer le jeu de la comptition intra partisane . Sinterroger sur le processus dadaptation permanent dune configuration partisane suppose de disposer, par suite, dun modle idal-typique permettant denvisager les volutions possibles du terrain de jeu , savoir lorganisation. Ce modle sera celui des partis cartels. Autrement dit, les volutions de la configuration partisane socialiste serviront de support la comprhension des transformations de son organisation apprcies sur la base du modle du parti cartel. Ces transformations seront systmatises partir de la notion de cartellisation entendue comme la traduction dans la forme dun parti des volutions qui affectent sa configuration. Postuler la cartellisation du PS revient donc analyser, partir des transformations de la configuration partisane socialiste, celles de son organisation.

Il convenait, dans un premier temps, de prsenter les soubassements du modle thorique dvelopp dans cette recherche. Celui-ci sera prcis dans les prochains chapitres, raison pour laquelle les principales notions qui le structurent ne sont ici quvoques. Limportant tait bien, dans le cadre de cette introduction, dexpliciter la dmarche qui a guid llaboration du modle : complter lanalyse de lorganisation socialiste en dpassant la dichotomie entre approches socitale et organisationnelle. Il fallait pour cela dfinir le changement partisan et expliciter lusage du modle du parti cartel comme idal-type, tout en indiquant les raisons qui conduisent considrer que, pour

60 61

Elias (N.), op. cit., p. 191. Corcuff (P.), op. cit., p. 19.

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comprendre lorganisation du PS et user convenablement de ce modle, il faut envisager lorganisation et ses membres et donc sinterroger sur la configuration partisane qui en dcoule. Quels sont alors les traits de cette configuration ? Comment apprhender la singularit du PS ?

B. Le Parti socialiste, objet de recherche.Parmi les grandes dates qui jalonnent lhistoire du PS, celle du 10 mai 1981 est sans doute une des plus importantes. Ce jour-l, F. Mitterrand accde aux fonctions de prsident de la Rpublique. Dans la foule, le PS emporte la majorit absolue lAssemble nationale. Pour la premire fois sous la Vme Rpublique, la France connat lalternance. Cette date marque bien les deux temps de

lvolution du parti. Avant 1981, le PS aspire au pouvoir. Aprs, il deviendra un parti de gouvernement. Comment cette russite a-t-elle t rendue possible ? La cause est souvent entendue : la russite du PS est surtout celle de F. Mitterrand. Cette illusion hroque, sur laquelle il faudra revenir,

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masque pourtant lessentiel. En effet, considrer, comme lheure actuelle, que lincapacit des socialistes remporter nouveau llection prsidentielle est un problme sous-entend que ce parti a acquis une vocation gouvernementale indiscutable. Or, quest-ce qui a rendu possible cette acquisition ? Et, si lon renverse la perspective, le problme nest-il pas li justement la naturalisation de cette ide que le PS est ncessairement un parti de gouvernement, un parti en quelques sorte condamn lalternance au pouvoir ?

1. Le PS, entre tatisation et professionnalisation.En 1969, Gaston Defferre est le candidat socialiste llection prsidentielle62. Il ralise un score historiquement bas de 5 %, trs loin des 21 % du candidat communiste, Jacques Duclos. Cet chec prcipite la fin de la SFIO. Au congrs dAlfortville (4 mai 1969), la SFIO devient le Nouveau parti socialiste (NPS). Alain Savary remplace Guy Mollet la tte dun parti lectoralement exsangue, sociologiquement affaibli et structurellement diaphane. Lentreprise de rnovation est lance. Il sagit de fdrer les diffrents mouvements se revendiquant du socialisme dans un seul parti. LUGCS de Jean Poperen avait donn la premire impulsion en rejoignant le nouveau parti au congrs dIssy-lesMoulineaux (11-13 juillet 1969). La rnovation sacclre en 1971 : la Convention des Institutions Rpublicaines de F. Mitterrand rejoint elle aussi le mouvement. Au terme dun congrs dEpinay (1113 juin 1971) extrmement ouvert, le Parti socialiste voit le jour et F. Mitterrand sempare finalement de la tte du parti, port par une alliance autant htroclite quimprobable allant de la gauche du parti (le CERES) sa droite (la fdration du Nord, derrire P. Mauroy, et celle des Bouches-du-Rhne, derrire G. Defferre). Le rassemblement des socialistes sachve lorsque les transfuges du Parti

62

Il forma cette occasion un ticket avec Pierre Mends France.

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socialiste unifi, emmens par M. Rocard63, rejoignent le PS en 1974, loccasion des Assises du socialisme des 12-13 octobre 1974.

Le congrs dEpinay devient vite le congrs de la refondation : ceux qui en sortent vainqueurs vont sappliquer le prsenter comme lacte de naissance dun nouveau parti qui se veut le miroir invers de la SFIO. A la stratgie de Troisime force doit succder la recherche dune vritable Union de la gauche avec le PC. Au parti dlus et de clientle, doit succder un parti de militants dirig par les militants. La rupture affiche avec lavant 1971 est un enjeu de luttes entre les dirigeants alors en comptition. A ce titre, elle se veut donc symbolique (nouveau nom), stratgique (changement dalliances lectorales) et structurelle (parti de militants). Mais Epinay nest quun moment de refondation, pas de fondation. Lorganisation du parti change finalement peu : le PS, comme la SFIO, est une organisation dcentralise, qui fonctionne autour de ses fdrations dpartementales, ellesmmes divises en sections. Les fdrations conservent une large autonomie, et le parti continue de

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vivre sur les principales dentre elles, dernier rservoir dlus, notamment sur les Bouches-duNord , c'est--dire les fdrations des Bouches-du-Rhne et du Nord, mais aussi du Pas-de-Calais et de la Gironde. Dailleurs, ces fdrations ne sont-elles pas surnommes les faiseuses de roi ? En outre, les lus locaux conservent un pouvoir central dans le parti, de telle sorte que la direction centrale du parti compose bien davantage avec ceux-ci quelle ne leur impose son autorit. Aux lendemains du congrs dEpinay, lorganisation socialiste nest pas fondamentalement transforme : si de nouvelles pratiques mergent, si de nouveaux leitmotivs simposent, les lments centraux de la structure de lancienne SFIO perdurent, tandis que le dfi lectoral reste encore gagner. Pourtant la cause est entendue : dsormais le PS est et sera un parti de militants rsolument de gauche. Quelle que soit la ralit de ce quest le parti, il devra tre un parti de militants. Il paraissait donc bien improbable de voir dans le Parti socialiste ce futur parti de gouvernement, solidement camp sur ses positions locales. Un des acteurs de lpoque confia dailleurs en entretien : Quand on sest engag au dbut, le pouvoir nous paraissait tellement loin. On ny croyait pas vraiment, ctait un peu un doux rve, cela ne nous paraissait pas vraiment possible 64. Le doux rve a cependant pris rapidement forme : en une dcennie, le PS est devenu le premier parti de France, a remport dimportants succs lectoraux, llection de 1981 achevant de consacrer ce qui est devenu une priode mythifie de la vie du parti.

Ce succs peut alors se lire comme le produit de la tension entre les exigences du renouveau et les pesanteurs du pass proche, tension dont merge progressivement un parti aux modes de fonctionnement singulier, rigeant la nouveaut et linvestissement militant en normes mais continuant

63 Des membres dautres organisations issues de la mouvance autogestionnaire rejoignent galement le PS cette occasion, comme ceux des Groupes dAction Municipale, dObjectif Socialiste ou de Vie Nouvelle. 64 P. Joxe, entretien personnel du 16 fvrier 2005.

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de sappuyer sur larmature dune SFIO officiellement voue aux gmonies. Toute la spcificit du PS rside peut-tre en effet dans la capacit de ses dirigeants sappuyer sur un renouvellement partisan ingal fond sur les points forts de lorganisation laquelle le PS succde. Certes, le succs lectoral est avant tout la russite dune stratgie dUnion de la gauche enfin ralise et dun renouvellement militant impressionnant. Mais il rside aussi dans la capacit du PS sappuyer sur un ancrage institutionnel que ses dirigeants nauront de cesse dapprofondir.

Les russites lectorales nationales ont en effet t construites sur laffermissement de limplantation du parti sur lensemble du territoire. A ce titre, les succs lectoraux fondamentaux du PS sont avant tout ceux raliss notamment lors des cantonales de 1976 et, surtout, des municipales de 1977. Au terme de ces dernires, le PS conquiert 40 villes de plus de 30 000 habitants et en dirige alors 81. La conqute du pouvoir au niveau national devient alors pleinement envisageable. Tandis que le socialisme municipal prend de nouvelles formes, le parti connat alors une transformation dcisive.

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La squence 1977-1978 enclenche un processus irrversible de professionnalisation des lites socialistes. Cette professionnalisation induit invitablement une recomposition de lorganisation du parti. Cette recomposition est dautant plus incontournable que le PS peut dsormais compter sur les positions locales quil dtient mais aussi, bientt, sur les positions gouvernementales quil va conqurir. De nouveaux enjeux structurent dsormais le parti : lconomie partisane professionnalise a ses propres exigences quil faut concilier avec des pratiques et des modes de fonctionnement qui ne sy prtent pas ncessairement (comment se dire encore un parti de militants par exemple ?) ; de nouveaux questionnements apparaissent : quoi doit servir lorganisation quand le parti est au pouvoir (que faire et que faire faire au sige du parti aprs 1981 ?), comment donner toute leur place aux lus dans lorganisation sans faire de celle-ci seulement lantichambre du pouvoir (les fdrations ne doivent-elles tre quune plate-forme logistique au service des lus ?) ?

Ainsi, dire du PS quil est un parti de gouvernement, implique de considrer avant tout que, confronts aux effets de leur propre professionnalisation et une inscription institutionnelle croissante65, ses dirigeants sont parvenus adapter de manire suffisamment efficace les structures, les modes de fonctionnement, les pratiques et les rfrences du parti. Comme toute adaptation, celle du PS ne sest pas ralise sans difficults. De mme, cette adaptation a t progressive mais aussi soumise aux vnements. Entre autres exemples, on citera la dbcle lgislative de 1993. Au soir de cette dfaite, les dirigeants eux-mmes envisagent srieusement de fonder un nouveau parti, pour finalement conserver la vieille maison PS quils vont rafrachir : loutil socialiste na-t-il pas dj dmontr toute son efficacit ? Mieux vaut alors ladapter quen changer. Or, chaque tape de la vie du parti, les changements qui y ont pris corps sont troitement lis ltatisation de lorganisationLe terme tatisation sera utilis de manire synonyme. Ce processus sera apprhend ici partir de la notion de cartellisation.65

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et la professionnalisation de ses lites. Par un effet cumulatif, ces deux lments rendent possible le changement du parti ; le changement les renforant par rtroaction. Cest par consquent ce lien entre professionnalisation et tatisation et changement partisan quil faudra tablir prcisment. En effet, cest cette condition que le PS a pu surmonter, parfois douloureusement, gnralement plus aisment, les dfis quen tant que parti de gouvernement, il a invitablement rencontrs.

Le paradoxe tient alors dans le fait que ces transformations, pour autant quelles soient ncessaires et perues comme telles par les membres du parti, ne peuvent voir le jour qu la condition de respecter certains fondamentaux : la dsignation des dirigeants ne saurait se penser indpendamment dune reprsentation proportionnelle, le renouvellement des modalits de consultation des adhrents ne saurait tre contraire la culture militante pourtant largement formelle du parti, les fdrations doivent rester llment cl de lorganisation socialiste quand dans le mme temps cest loccupation des excutifs locaux qui dtermine lactivit des chelons dcentraliss du

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parti. Ces fondamentaux sexpriment travers un ensemble de reprsentations du parti qui structurent la comptition intrapartisane, produisant un fonctionnement collectif marqu par le souci constamment ritr de ses dirigeants de se conformer, malgr tout, la nature postule du PS telle quelle a t dfinie Epinay. Tout changement du parti, quelle quen soit la ncessit, nest alors rendu possible qu la condition de ne pas interprt comme une remise en cause de la nature intrinsque du PS, de ce quil doit tre.

Ladaptation du PS se ralise donc par une alchimie improbable : la prservation de la nature postule du parti doit tre obtenue en conciliation avec le processus de professionnalisation des lites et ltatisation de lorganisation du parti. Lalchimie est russie lorsque les dirigeants peuvent dire alors, chaque nouvelle tape de la vie du PS, que le parti est fidle lui-mme mais il change . Elle reprsente un idal qui ne peut pourtant t