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Techniques de mobilisation des ressources en eau et pratiques d’utilisation en zones arides : bilans, e ´volutions et perspectives Patrick Le Goulven 1 Guillaume Lacombe 2 Julien Burte 3 Alain Gioda 4 Roger Calvez 1 1 Institut de recherche pour le développement IRD UMR GEAU (gestion de leau, acteurs, usages) Whymper 442 y Coruña Apartado postal 17 12857 Quito Équateur <[email protected]> <[email protected]> 2 International Water Management Institute PO Box 4199 Nongviengkham - Xaythany district Vientiane Lao P.D.R <[email protected]> 3 Fundação Cearense de Meteorologia e Recursos Hídricos - FUNCEME Av. Rui Barbosa 1246 Fortaleza/CE 60115-221 Brazil <[email protected]> 4 Institut de recherche pour le développement, IRD UMR hydroSciences Montpellier Calle Teruel n o 357 Miraflores Lima 18 Pérou <[email protected]> Cet article fait suite à une conférence donnée par le premier auteur à lAcadémie dagriculture dans une séance commune avec lAcadémie des sciences dOutre-Mer organisée le 21 mars 2007 sur lutilisation optimale de leau par lagriculture en zones arides. Tirés à part : P. Le Goulven Résumé Comme dans la plupart des régions, les zones arides ont bénéficié de plusieurs vagues daménagements hydroagricoles durant la seconde moitié du XX e siècle pour ralentir, stocker et rendre accessibles des écoulements sporadiques et violents peu utilisables par des ouvrages au fil de leau. Cette succession daménagements superposés est souvent mal valorisée comme le montrent divers bilans réalisés dans des bassins du Centre tunisien et du Nord Mexique où les retenues collinaires favo- risent, avant tout, les pertes évaporatoires. Sur la base de ces constats, les gouverne- ments ont cherché à améliorer la gestion technique des ouvrages en favorisant les transferts deau vers les réservoirs souterrains et cherchent à mobiliser les ressources en eau non conventionnelles avec quelques succès, mais seulement dans des situa- tions spécifiques en raison de leurs coûts élevés (désalinisation), dune difficile acceptation (réutilisation des eaux usées) ou de leur volume peu important (eau atmosphérique). Toutes ces initiatives nont pas arrêté la surexploitation des nappes phréatiques, et peu à peu se mettent en place plusieurs initiatives pour diminuer la demande en eau tout en augmentant la production alimentaire. Cette nouvelle poli- tique finance linstallation des techniques dirrigation économes (aspersion, goutte- à-goutte, polymères gonflants, conduites verticales, etc.) pour remplacer lirrigation gravitaire majoritairement utilisée. Après quelques années, il faut bien reconnaître que limpact de ces nouvelles techniques est moins important que prévu soit à cause dune utilisation inadéquate, soit par le fait de nouveaux comportements quelles ont suscités. Actuellement, les pouvoirs publics testent des outils complémen- taires économiques et réglementaires pour rendre plus efficaces ces changements techniques. Mots cle ´s : gestion de leau, ressources en eau, zones arides. Abstract Water resources development techniques and water use practices in arid regions: Balances, evolution and prospects As most regions, arid zones benefited from waves of hydro agricultural structures during the second half of the XXth century. They were organized to slow down, stock and render certain sporadic and violent flows accessible to works along the rivers. This succession of superposed structures is far from being optimally valued as shown in different reports on the catchments in the centre of Tunisia and the north of Mexico. In both regions, the reservoirs favour mainly evaporation flows. On the basis of such observations, governments have tried to improve the technical management of the structures favouring water transfer towards groundwater sto- rage. They also try to mobilize unconventional water resources with some success, but only in specific situations due to high costs (desalinization), difficulty of gaining acceptance (reusable waste water) or low volume (atmospheric water). All of these initiatives have failed to stop the overexploitation of phreatic water tables. Some doi: 10.1684/sec.2009.0166 Article de recherche Sécheresse 2009 ; 20 (1) : 17-30 Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009 17

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Techniques de mobilisation des ressourcesen eau et pratiques d’utilisation en zonesarides : bilans, evolutions et perspectives

Patrick Le Goulven1Guillaume Lacombe2Julien Burte3Alain Gioda4Roger Calvez11 Institut de recherche pour le développementIRD UMR GEAU(gestion de l’eau, acteurs, usages)Whymper 442 y CoruñaApartado postal 1712857 QuitoÉquateur<[email protected]><[email protected]>2 International Water Management InstitutePO Box 4199Nongviengkham - Xaythany districtVientianeLao P.D.R<[email protected]>3 Fundação Cearense de Meteorologia eRecursos Hídricos - FUNCEMEAv. Rui Barbosa1246 Fortaleza/CE 60115-221Brazil<[email protected]>4 Institut de recherche pour le développement,IRDUMR hydroSciences MontpellierCalle Teruel no 357MirafloresLima 18Pérou<[email protected]>

Cet article fait suite à une conférence donnée par lepremier auteur à l’Académie d’agriculture dans uneséance commune avec l’Académie des sciencesd’Outre-Mer organisée le 21 mars 2007 sur l’utilisationoptimale de l’eau par l’agriculture en zones arides.

Tirés à part : P. Le Goulven

RésuméComme dans la plupart des régions, les zones arides ont bénéficié de plusieursvagues d’aménagements hydroagricoles durant la seconde moitié du XXe sièclepour ralentir, stocker et rendre accessibles des écoulements sporadiques et violentspeu utilisables par des ouvrages au fil de l’eau. Cette succession d’aménagementssuperposés est souvent mal valorisée comme le montrent divers bilans réalisés dansdes bassins du Centre tunisien et du Nord Mexique où les retenues collinaires favo-risent, avant tout, les pertes évaporatoires. Sur la base de ces constats, les gouverne-ments ont cherché à améliorer la gestion technique des ouvrages en favorisant lestransferts d’eau vers les réservoirs souterrains et cherchent à mobiliser les ressourcesen eau non conventionnelles avec quelques succès, mais seulement dans des situa-tions spécifiques en raison de leurs coûts élevés (désalinisation), d’une difficileacceptation (réutilisation des eaux usées) ou de leur volume peu important (eauatmosphérique). Toutes ces initiatives n’ont pas arrêté la surexploitation des nappesphréatiques, et peu à peu se mettent en place plusieurs initiatives pour diminuer lademande en eau tout en augmentant la production alimentaire. Cette nouvelle poli-tique finance l’installation des techniques d’irrigation économes (aspersion, goutte-à-goutte, polymères gonflants, conduites verticales, etc.) pour remplacer l’irrigationgravitaire majoritairement utilisée. Après quelques années, il faut bien reconnaîtreque l’impact de ces nouvelles techniques est moins important que prévu soit àcause d’une utilisation inadéquate, soit par le fait de nouveaux comportementsqu’elles ont suscités. Actuellement, les pouvoirs publics testent des outils complémen-taires économiques et réglementaires pour rendre plus efficaces ces changementstechniques.

Mots cles : gestion de l’eau, ressources en eau, zones arides.

AbstractWater resources development techniques and water use practices in arid regions:Balances, evolution and prospects

As most regions, arid zones benefited from waves of hydro agricultural structuresduring the second half of the XXth century. They were organized to slow down,stock and render certain sporadic and violent flows accessible to works along therivers. This succession of superposed structures is far from being optimally valuedas shown in different reports on the catchments in the centre of Tunisia and thenorth of Mexico. In both regions, the reservoirs favour mainly evaporation flows.On the basis of such observations, governments have tried to improve the technicalmanagement of the structures favouring water transfer towards groundwater sto-rage. They also try to mobilize unconventional water resources with some success,but only in specific situations due to high costs (desalinization), difficulty of gainingacceptance (reusable waste water) or low volume (atmospheric water). All of theseinitiatives have failed to stop the overexploitation of phreatic water tables. Some

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Article de recherche

Sécheresse 2009 ; 20 (1) : 17-30

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initiatives are now progressively starting to reduce water demand and to increasefood production at the same time. This new policy is financing the development ofmore efficient irrigation techniques (sprinkling, dripping, swelling polymers, verticaldrainpipes, etc.) to replace the mostly gravitating irrigation. However, after a fewyears of use the impact of these new techniques appears less impressive than initiallyexpected either due to inadequate use or to new patterns of behaviour they created.At present the authorities are testing complementary economical tools and regula-tions to make the technical changes more efficient.

Key words: arid zones, water management, water resources.

Selon le dictionnaire françaisd’hydrologie1, l’aridité se manifestesurtout par ses conséquences éda-

phiques (dénuement de la végétation etrareté des êtres vivants), hydrologiques(faiblesse et irrégularité des écoulements,dégradation des réseaux) et géomorpho-logiques (processus d’érosion, pauvretédes sols). Elle peut se quantifier par desindices empiriques dont la plupart décou-lent de simples rapports hydrothermiquesavec une distinction en seulement troisdegrés :– les régions hyperarides où les précipi-tations sont exceptionnelles (inférieuresà 50 mm/an) et les écoulements rares,épisodiques et inorganisés ;– les régions arides reçoivent de faiblespluies (50-150 mm/an) irrégulières etgroupées sur une saison avec des écoule-ments intermittents assez violents, mais decourte durée ;– en région semi-aride, les pluies répartiessur quelques mois sont suffisantes pourassurer un rythme saisonnier à lavégétation et aux écoulements, avec descrues isolées parfois soudaines et violentes.Si l’on fait exception des cas particuliersgénérés par des cours d’eau allogènes(Niger moyen, basse vallée du Sénégal),les régions arides ont donc en communun climat qui ne permet pas d’assurer lesbesoins des cultures et un régime hydro-logique caractérisé par des écoulementssporadiques, souvent violents et chargésde sédiments, et difficilement utilisableslors du passage de la crue.De tout temps, les populations ruraleslocales ont su s’adapter à cet environne-ment contraignant en développant destechniques chargées de ralentir les vitessesde ruissellement et d’écoulement pourdiminuer les phénomènes érosifs et defavoriser le stockage de l’eau dans depetits ouvrages construits sur les versantsou dans les divers réservoirs souterrainsdu sol (zone aérée, nappes phréatiques).

Les systèmes de production traditionnelscorrespondants combinaient une concen-tration des moyens de production agricolesur des espaces limités où l’eau était acces-sible et l’exploitation extensive de ressour-ces pastorales dispersées [1].Ces techniques anciennes imaginées,construites et gérées par les populationsconcernées sont peu à peu tombées endésuétude avec l’évolution des civilisationset des technologies ou après des change-ments sociétaux plus rapides comme lespériodes de colonisation. Les systèmes deproduction ont évolué au même rythme queles ouvrages. Cette communication n’a pasla prétention d’aborder cette évolutionhistorique, déjà décrite dans de nombreuxouvrages [2], mais simplement d’examinercomment, après la phase de décoloni-sation, les populations des zones aridesont mobilisé leurs ressources en eau parvagues successives, comment ces différentsouvrages sont utilisés et, finalement, com-ment se mettent en place les nouvelles stra-tégies d’économie d’eau.

Developpement et gestiondes ressources en eauconventionnelles

Mise en placede la grande hydraulique

Après la période de décolonisation et avecl’émergence d’« espaces nations », lesnouveaux États, à travers des instancescentralisées, ont pris en charge la gestionde la ressource en construisant toute unesérie de grands aménagements pour mobi-liser, transférer et allouer la ressource enfonction de choix stratégiques multiples etraisonnés sur des équilibres nationaux.Cette intervention peut s’esquisser en troisphases [3] suivies d’une période deréflexion.

• Phase d’investissement techniqueLa construction des grands ouvrages obéità une logique de meilleure répartition del’eau entre régions et/ou à des valorisa-

tions multiples qui doivent accélérer ledéveloppement des pays, en augmentantla production agricole des régions enaval, puis en transférant les surplus pouralimenter les grands centres de population,l’industrie touristique et les zones d’irriga-tion à haute valeur ajoutée.

• Phase d’accompagnement legalet structurelEn parallèle, les pouvoirs publics mettent enplace des cadres législatifs et réglementai-res d’accompagnement (codes des eaux)qui transforment le statut juridique de laressource en eau (publique, inaliénable etimprescriptible), établissent des nouveauxdroits d’usages sans toujours tenir comptedes droits anciens et confient leur applica-tion à des ministères chargés du développe-ment. Des institutions centralisées sontcréées pour appliquer, au niveau régional,les stratégies définies au niveau national :directions générales sectorielles, officesrégionaux multisectoriels de mise en valeur.L’investissement technique s’accompagned’incitations à l’intensification des usages,en proposant un accès facile et bon marchéà la ressource avec des objectifs nationauxprioritaires.

• Phase d’economieLa mobilisation des ressources se ralentit,car le coût de construction devient plusélevé, et les pouvoirs publics renforcentleurs gestions réglementaires (interdiction,recouvrement des coûts) et techniques(connexions entre ouvrages, usages multi-ples, optimisation). Il faut satisfaire aumieux des demandes plus nombreuses ettrès diversifiées, mais il n’est pas encorequestion de remettre en cause l’utilisationqui est faite de la ressource.Le relèvement des taux de recouvrement estl’objectif principal assigné aux gestionnai-res, et les difficultés rencontrées à ceniveau sont à l’origine de la création denouvelles institutions régionales ou locales.Ces nouvelles associations sont amenées àremplacer peu à peu l’État et doiventcouvrir les frais de fonctionnement et demaintenance des infrastructures hydrauli-ques dont la gestion leur est déléguée, lesrecettes proviennent des cotisations des

1 Le dictionnaire français d’hydrologie est rédigé parla commission de terminologie du Comité nationalfrançais des sciences hydrologiques (http://hydrolo-gie.org).

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adhérents, des subventions et de la vented’eau. Cette phase de désengagement estlargement appuyée par la Banque mon-diale.

• Periode de reflexionIl y a actuellement 45 000 grands barra-ges dans le monde principalement répartisentre la Chine (22 100), les États-Unis(6 390), l’Inde (4 000), le Japon (1 200)et l’Espagne (1 000). Ces grands aména-gements ont accompli une bonne partiedes objectifs qui leur étaient assignés,mais avec des impacts écologiques etsociaux non prévus et mal maîtrisés : lesdéplacements importants de populations(60 M d’habitants), l’inondation de super-ficies considérables (400 000 km2), ladégradation de la biodiversité des rivières,l’augmentation des maladies tropicales,l’endettement des pays pauvres, etc. Unvaste courant de contestation s’est déve-loppé, au début des années 1990, contrele développement de nouveaux aménage-ments, jugés non durables, au grand damde nombreux pays en voie de développe-ment. La Banque mondiale qui avaitfinancé activement les grands projetshydrauliques s’est donc imposée unepériode de moratoire (1990-2000) avantde reprendre ses financements, mais assor-tis de conditions beaucoup plus drastiquesconcernant les études et la maîtrise desimpacts.Les régions arides ont subi les mêmes pha-ses avec quelques particularités. Les grandsouvrages ont également été conçus poursécuriser et protéger les populations urbai-nes des crues exceptionnelles, ce qui aconduit au surdimensionnement notablede nombreux ouvrages par rapport auxécoulements moyens annuels et à desplans d’eau très étalés favorisant l’évapora-tion. Les États comptaient également fixerles populations nomades en leur octroyantdes périmètres irrigués alimentés par lesgrands barrages, ils avaient oublié queces populations nomades n’avaient aucunetradition d’irrigation, et que les mauvaisespratiques d’épandage ont provoqué gas-pillage et salinisation d’une partie des ter-res. Enfin, les grands ouvrages ont été cons-truits avec très peu d’études de transportssolides, et le comblement rapide des rete-nues dans les régions arides et semi-aridespose problème quant à la viabilité de leurfonctionnement. Ces points sont évidem-ment analysés de très près pour la construc-tion des nouveaux aménagements (bassindu Niger notamment).

Petite et moyenne hydrauliquede complement

Les petites retenues prolifèrent depuis 20-25 ans sous différentes appellations : Inde

(plus de 90 000 small multi-purpose reser-voirs), Nordeste du Brésil (70 000 açu-des), Burkina-Nord Côte d’Ivoire-NordGhana (5 000 petits barrages), Tunisie(1 000 lacs et retenues collinaires). Enzone aride, ces retenues sont générale-ment complétées par des ouvrages deconservation des eaux et des sols : ban-quettes végétales ou empierrées sur lehaut des versants pour lutter contre l’éro-sion en diminuant les vitesses de ruisselle-ment et augmenter l’infiltration dans lazone aérée.

• Petites retenuesEn Tunisie, la construction de centaines deretenues collinaires depuis les années1990 vise d’abord à contrôler les eauxde ruissellement pour éviter l’envasementdes grands barrages aval, puis à fixer lespopulations rurales autour de ces pointsd’eau ; l’implantation est choisie essentiel-lement sur la base de critères techniques.Les lacs collinaires sont des ouvrages rusti-ques modestes (capacité inférieure à0,5 hm3), à courte durée de vie et sanspossibilité de gestion technique (1 000prévus, plus de 400 construits en 2000),les barrages collinaires sont plus impor-tants (capacité comprise entre 0,5 et1 hm3) avec des ouvrages de transferts etde connexions (203 prévus, plus de 100achevés en 2000), le prix de constructionvarie entre 15 000 et 90 000 €.Dans le cadre du programme européenHYDROMED, des chercheurs de l’Institutde recherches pour le développement(IRD) et de l’Institut national de recherchesen génie rural, eaux et forets de Tunis (INR-GREF) ont étudié le rôle de ces retenuescollinaires et leur fonctionnement, leur évo-lution et leur rôle dans la recharge de nap-pes phréatiques aval.Les eaux des retenues collinaires sont utili-sées localement pour l’irrigation, le bétailet les besoins domestiques. Malheureuse-ment, elles subissent des pertes importan-tes par évaporation, ce qui n’est pas le casdes nappes phréatiques. De ce fait, lespopulations locales sont incitées à creuserdes puits captant l’eau souterraine plutôtque d’utiliser l’eau des lacs artificiels, etle gouvernement à choisir des sites favora-bles à une recharge éventuelle.À partir de bilans hydriques réalisés sur12 retenues, il apparaît qu’en moyenne,seuls 11 % du volume stocké sont utiliséspour l’irrigation, 35 % s’évaporent et lereste s’infiltre, parfois jusqu’à une nappe,sinon cette part regagne la surface du solen aval de l’ouvrage où elle est reprise parl’évaporation.Avec ses 70 000 açudes d’une superficiesupérieure à 1 000 m2, le Nordeste brési-lien est, après l’Inde, la deuxième régionau monde par la densité de ses petits réser-

voirs. Connus sous le nom d’açudes, ilsconstituent la principale ressource en eaupendant les périodes de sécheresse, trèsfréquentes et aux conséquences souventdramatiques dans cette région. Comptetenu des faibles précipitations, les açudestrès peu profonds (moins de 10 m enmoyenne) et riches en éléments nutritifs semaintiennent en général à 10 % de leurcapacité et atteignent rarement leur niveaumaximum [4]. Alimentés par des rivièrestemporaires quelques jours par an, ilssubissent une évaporation intense (3 m/an) pouvant provoquer une salinisationde l’eau qui les rend impropres à touteexploitation, voire les assécher totalement.Les populations utilisent les açudes pourleur usage domestique, l’élevage du bétail,l’irrigation ou les cultures de décrue quisont à même d’apporter, en pleine époquede sécheresse et de disette, une alimen-tation fraîche pour les hommes et leurbétail [5]. Les paysans utilisent les partiesen faible pente des marges inondées desretenues, plantant au fur et à mesure quel’eau se retire. Depuis quelques années,des équipes de l’IRD et de l’université duPernambouco essaient d’y développer lapêche artisanale, l’aquaculture et la poly-culture en combinant des poissons auxrégimes alimentaires différents, afin d’amé-liorer l’exploitation encore assez faible deces açudes qui ont un effet non négli-geable sur les écoulements aval [6].En zone semi-aride du Nord-Mexique,sous une pluviométrie moyenne interan-nuelle de 420 mm, la faible productionvégétale des pâturages constitue le princi-pal facteur limitant de l’élevage avec unecharge maximale d’une unité animale(vache de 400 kg) pour 7 ha [7]. Pouralimenter ce bétail, les éleveurs installentdes abreuvoirs alimentés par le pompaged’eaux souterraines ou construisent despetites retenues (presones) pour le stoc-kage des eaux superficielles. Des étudesquantitatives ont été menées sur le ranchAtotonilco pour examiner en détail lesimpacts et la valorisation de ces retenuestrès rustiques et qui suscitent un certainengouement (figure 1).Le ranch Atotonilco est une vaste haciendade 450 km2 avec un effectif de 3 540 têtesde bétail adultes réparties dans 102enclos.À l’intérieur du ranch, environ 300 abreu-voirs sont alimentés à partir de puits creu-sés dans les parties hautes du relief, et oncompte plus de 50 petits barrages dont lacapacité de stockage varie de 3 000 à30 000 m3. Dans la majorité des cas, leseaux ne s’y maintiennent que trois à quatremois après la saison des pluies (de novem-bre à février).Les besoins en eau du ranch pour abreuverle bétail sont estimés à 100 000 m3/an, et

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les bilans effectués montrent que les preso-nes, tels qu’ils sont gérés, ne couvrent que1 % de ces besoins et sont donc notoire-ment sous-exploités.À la suite de cette étude, plusieurs solutionsont été proposées pour diminuer l’évapo-ration en surcreusant les cuvettes, en im-perméabilisant le fond des retenues parbentonite et en connectant les retenuesau réseau de distribution.

• Amenagements de versantsL’aménagement de versants par banquet-tes antiérosives est très répandu dans leszones arides et semi-arides, notammentdans les pays proches du pourtour méditer-ranéen.Ces aménagements se composent delevées de terre édifiées sur un versant àintervalles réguliers en suivant les courbes

de niveau et d’un canal qui retient les eauxde ruissellement et les sédiments en prove-nance de l’espace interbanquettes(figure 2).Elles sont construites sur des pentes in-férieures à 25 % pour intercepter le ruissel-lement, favoriser l’infiltration et doncréduire l’érosion sur les versants.Une étude expérimentale sur le fonctionne-ment et les impacts de ces banquettes a étémenée en Tunisie sur le bassin-versant d’ElGouazine, d’une superficie de 1 750 hadont 43 % aménagés en banquettes etfermés par un lac collinaire [8].L’effet des banquettes est spectaculairepuisque :– combinées à un travail du sol, elles per-mettent de réduire de 90 % la lame ruisse-lée pour des pluies inférieures à 60 mm et

de 40 à 70 % pour les pluies supérieures à60 mm ;– sur les parties laissées en jachère, ellesréduisent le ruissellement de 50 à 90 %pour les pluies inférieures à 60 mm et de20 à 40 % au-delà.En revanche, huit ans après leur construc-tion, ces aménagements ont perdu les troiscinquièmes de leur capacité de stockage,les coefficients de ruissellement sont remon-tés, et surtout les taux d’envasement de laretenue aval sont revenus aux valeursmesurées avant aménagement. Enl’absence d’entretien et de réhabilitation,les banquettes sont endommagées pardes brèches qui, automatiquement, vontprovoquer une autre brèche dans la ban-quette immédiatement en aval et ainsi desuite. Cette succession de ruptures accen-tue la concentration du ruissellement surdes axes d’écoulement qui se transformentalors en ravines.Enfin, l’eau stockée dans le sol est en réa-lité très peu valorisée. Dans la plupart descas, les terres aménagées en banquettessont choisies pour leur facilité d’accès :les bulldozers doivent pouvoir manœuvrersans abîmer les cultures déjà en place.Les plantations, pourtant les plus aptes àvaloriser le surplus hydrique provoqué,sont donc délaissées au profit de terrescéréalières ou de terres de parcours, plusfaciles à terrasser. Pourtant, la faible pro-fondeur d’enracinement des graminéesvalorise mal les eaux retenues par les ban-quettes, lesquelles peuvent même réduireles rendements céréaliers en cas d’immer-sion prolongée des jeunes pousses. Par ail-leurs, le parcours est de plus en plus réduitdans les zones aménagées, car le passagefréquent du cheptel sur les levées de terreest l’une des principales causes de la des-truction prématurée de ces aménagements.

• Conclusions sur la petite et moyennehydrauliqueCes aménagements de petite et moyennehydraulique, étagés le long des bassins-versants, proposent une meilleure réparti-tion de la ressource en eau, soit demanière ponctuelle dans les retenues colli-naires, soit en augmentant la capacité destockage du sol. Malheureusement, les res-sources stockées sont peu valorisées, etune grande partie se perd par évapora-tion, à défaut d’être utilisée. Les raisonsen sont diverses, mais deux prédominent :– la durée de vie utile de ces aménage-ments est courte et n’incite pas les agri-culteurs à investir dans des exploitationsintensives ;– les ouvrages ont été construits sansconcertation avec les populations localeset ne sont pas toujours adaptés à leursbesoins.

Déversé68 %

V stockés : 1 % utilisés, 59 % infiltrés, 40 % évaporés

Pourcentages volumes d'eau année 1996

Pastelero, El MuertoOso negro, El Molino

CarbonerasEl Tullido, El Viejo

Évaporé11 %

Évaporé14 %

Utilisé1 %

Utilisé0,3 %

Infiltré85 %

Infiltré20 %

Figure 1. Bilans hydriques de sept presones du ranch Atotonilco en 1996.

0,4 m

1,5 m

0,8 m

5,7 m4,3 m

Figure 2. Schéma de banquette antiérosive.

20 Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009

Certes, ils ralentissent bien les phénomènesd’érosion et protègent les grands ouvragesen stockant une partie des sédiments trans-portés, mais, en même temps, ils diminuentles écoulements parvenant aux grands bar-rages qui sont bien mieux valorisés.La recherche de l’optimum entre petitsouvrages et grande hydraulique reste unobjectif complexe, mais d’importancequant à la durabilité des systèmes locauxde production et donc des niveaux de viedes populations concernées [9].

Utilisation des reservoirs souterrains

Conscients de ces problèmes, les institutionsse sont penchées sur une meilleure utilisa-tion et sur la gestion des réservoirs souter-rains renouvelables (nappes phréatiques).Comme toujours dans une optique degestion de l’offre en eau, les premièresmesures se sont concentrées sur des solu-tions techniques permettant d’augmenter lacapacité de stockage et la recharge de cesaquifères.L’idée n’est pas nouvelle, puisque déjà,dans les années 1970, le gouvernementallemand aidé par des chercheurs del’ORSTOM construisait des barrages sou-terrains sur les socles verrouillant les oasisde l’AIR au Niger (Iférouane, Timia, Tabe-lot) pour augmenter les volumes stockés etsurtout remonter le niveau piézométrique,afin de faciliter l’exhaure.Désormais, toute construction de grandbarrage prévoit dans son fonctionnementdes procédures de recharges programméesdes aquifères en aval, et les sites desretenues collinaires sont désormais choisisen fonction de connexions structurelles avecdes nappes proches. Dans ce dernier cas,l’eau reste très peu de temps dans laretenue, et tout est fait pour assurer soninfiltration.De manière concomitante, les droits d’eaune sont plus octroyés sur la retenue, maistransférés sur les nappes souterraines au-dessus desquelles les États ont construitdes périmètres irrigués alimentés par desforages et délivré des concessions d’ex-traction pour alimenter en eau potabledes populations urbaines et satisfaire lesdemandes nouvelles de l’industrie touris-tique très exigeante en matière de qualité.Les résultats ont dépassé les prévisions, carles populations des milieux arides ont tou-jours été situées à proximité des aquifèresavec une expérience très ancienne dansles pratiques d’exhaure. Par ailleurs, lesnouvelles pompes à bas prix sont appa-rues sur le marché au début des années1970, et de nombreuses techniques artisa-nales se sont développées pour construiredes forages rustiques à des profondeurssuffisantes pour la plupart des nappesphréatiques.

Cette conjoncture favorable a multiplié lesnouveaux points d’exhaure échappant àtout contrôle des États, ce qui, dans unsens économique, a bien augmenté lavalorisation de l’eau stockée, mais pro-voque une surexploitation inquiétante deces réservoirs, comme le souligne lerapport mondial sur la gestion des nappesd’eau souterraine2 qui note des baissesgénéralisées dans toutes les zones aridessans distinction de niveau de développe-ment : Arizona, Mexique, Espagne, Inde,Maghreb et Moyen-Orient.Quelques deux milliards de personnes etenviron 40 % de l’agriculture dépendentau moins en partie de ces réservoirscachés qui, de plus, sont susceptiblesd’être pollués par les intrants et autres pro-duits phytosanitaires qui percolent depuisles systèmes d’irrigation ou par des intru-sions d’eau marine rendues possibles parla baisse des niveaux piézométriques.

Bilan d’amenagements superposes

Le bassin du Merguellil, situé en milieusemi-aride dans le centre de la Tunisie,est l’exemple type d’application des diffé-rentes politiques successives de mobilisa-tion des ressources superficielles et souter-raines. D’une superficie d’environ1 200 km2, il débouche sur la grandeplaine de Kairouan. L’aquifère correspon-dant était alimenté à travers le lit de l’oued,et les écoulements venaient mourir dansune dépression en aval de la plaine.Seuls les événements exceptionnelsarrivaient à la mer.Il faut attendre 1989 pour voir la miseen eau du grand barrage d’El Haouarebqui ferme le bassin productif du Merguelliljuste avant l’arrivée de l’oued dans laplaine de Kairouan. Ce barrage, sur-dimensionné pour protéger la ville de Kai-rouan des crues catastrophiques (inonda-tions de 1969), alimente le périmètreirrigué d’El Haouareb (4 000 ha) et ré-alimente la nappe aval par des infiltrationscontinues souterraines et latérales(figure 3).Les droits d’usages sont attribués sur cettenappe où l’État a également créé une quin-zaine de périmètres publics alimentés pardes forages pour fixer les populationsnomades. Mais on assiste à une proliféra-tion des puits depuis 1974 malgré les inter-dictions. Les puits sont prolongés par desforages rustiques (forages à bras) poursuivre la baisse de la nappe, sans que lapolice des eaux puisse intervenir réellement.À partir de 1990, le ministère de l’Agri-culture, par l’intermédiaire de sa directionde la Conservation des eaux et des sols

(CES) conçoit une stratégie décennale(1991-2000) concentrée essentiellementsur le traitement des versants et la réalisa-tion des retenues collinaires. Actuellement,17 % du bassin sont occupés par des ban-quettes en pierres sèches ou mécaniques àrétention totale.On compte également une quarantaine delacs collinaires (de capacité inférieure à0,5 hm3), construits et gérés par la CESet qui reçoivent une moyenne de2,5 hm3/an, et six barrages collinairesconstruits par la Direction des grandsbarrages et gérés par la CES. D’une capa-cité supérieure à 1 hm3, les barragescollinaires reçoivent des apports moyensannuels de 2,8 hm3.Ces retenues sont, d’abord, construitespour stopper les transports solides, et cen’est que dans un deuxième temps queles pouvoirs publics essaieront de valoriserles volumes stockés en sélectionnant lessites d’implantation près des terres exploi-tables.Dans le bassin-versant du Merguellil, lessurfaces aménagées en banquettes sontdes terres céréalières ou de parcourspour le bétail. Mechergui [10] montrequ’en accroissant la réserve utile du solde plus de 20 %, les banquettes pourraientaugmenter le rendement des céréales de10 à 15 quintaux/ha. Toutefois, cettehausse est limitée aux terrains jouxtant lesbanquettes, soit 15 % de la surface amé-nagée. Ces gains potentiels sont compen-sés par les pertes en surfaces cultivables(fossés, bourrelets, horizons décapés àl’aval des banquettes) évaluées à 5-15 %en fonction de la pente. À cela, il convientd’ajouter les éventuelles pertes en rende-ment induites par la difficulté accrue à trai-ter et récolter les cultures lorsque les plates-formes de circulation sont trop étroites pourpermettre le passage des machines agri-coles. À l’échelle du versant, les gainsagronomiques liés à la présence desbanquettes sont donc très probablementnuls [11].Dans la plupart des cas, la recharge denappes à partir des banquettes est nulle,car les infiltrations excèdent rarement 1 m,et l’eau, stockée dans la zone insaturée, estreprise par évapotranspiration [12].À l’amont du barrage d’El Haouareb,47 % des 46 retenues collinaires sontexploitées par 270 agriculteurs irriguant669 ha de cultures : maraîchage (2 %),olivier (69 %), amandier (14 %) et autresarbres (15 %), soit une moyenne de 5,9agriculteurs par retenue et de 12,5 parretenue exploitée.Dans 63 % des cas, l’eau est prélevéedans les retenues à l’aide de motopompesdont le nombre varie entre 0 et 11 parretenue. Sans pompe, l’irrigation se faitpar écoulement gravitaire direct depuis la

2 Programme des Nations unies pour l’environnement,2003.

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retenue ou par bidons remplis. L’eau estacheminée jusqu’à la parcelle soit pardes tuyaux en polyclorure de vinyle(PVC), soit par des citernes.Du fait de rendements faibles, l’irrigationdes oliviers à partir des retenues est doncsurtout pratiquée en période de sécheressepour sauver les jeunes plants. La valorisa-tion agronomique des retenues collinairesne peut donc s’apprécier qu’en termes devolumes prélevés et destinés à l’irrigation.Les volumes d’eau apportés sont faibles,notamment pour les amandiers et lesoliviers, l’utilisation des citernes est contrai-gnante et coûteuse, ce qui diminue encoreles doses apportées par cette technique.Les différentes analyses réalisées dans leprogramme MERGUSIE [13] montrentque retenues et banquettes, qui drainentrespectivement 11 et 17 % de la surfacedu bassin-versant du Merguellil, contri-buent cependant à réduire de 42 et de58 % les écoulements arrivant au barraged’El Haouareb (figure 4). Elles montrentaussi que les retenues sont peu utilisées etque la majeure partie du stockage s’éva-pore. Les résultats obtenus permettentd’élaborer un bilan global du bassin encomparant la situation actuelle avec celledu bassin sans aménagements [11].Les aménagements réduisent de 30 % leruissellement à l’échelle du bassin, et lesretenues collinaires stockent 42 % du

volume total retenu par les aménagementsCES, le reste étant collecté par les banquet-tes. Ces résultats permettent de répartir lesécoulements collectés entre le barrage ElHaouareb (70 %), les banquettes (25 %)et les retenues collinaires (5 %).Même avec les imprécisions de laméthode, force est de constater quel’impact des aménagements se traduit pardes réductions des flux infiltrés et pompés,respectivement égales à 14 et 5 points, etune augmentation de 19 points desflux évaporés qui sont perdus pour touteutilisation.Sur la base d’une production annuelle enécoulement de 20 hm3/an dans le bassin-versant, les aménagements en amont in-duisent donc une perte de ressource eneau de 3,8 hm3/an par évaporation.Ce volume permettrait d’irriguer entre374 et 910 ha de cultures maraîchèresavec une récolte estivale et une récoltehivernale.En revanche, si toutes les banquettesétaient plantées en arboriculture, onobtiendrait une augmentation de 25 % dela valorisation agricole de l’eau par rap-port à la situation actuelle. Par conséquent,des études complémentaires sont en cours[14] pour tester un certain nombre demesures incitatives et réglementaires per-mettant d’améliorer la valorisation éco-nomique de l’eau dans la partie amont.

Developpement des ressourcesen eau non conventionnelles

Toutes les analyses précédentes montrentles difficultés de valoriser correctementdes ouvrages hydrauliques pas toujoursconstruits dans cette optique. Pourtant, lesgouvernements font des efforts notablespour apporter des correctifs et mettent enplace des gestions plus complexes d’amé-nagements en connectant, désormais,ressources superficielles et souterraines.Cependant, les nappes continuent debaisser, et les États se tournent vers laproduction de ressources alternatives eneau pour alimenter des populations cibléeset diminuer les tensions.

Desalinisation des eaux saumatreset salees

Dans le monde, 42 villes de plus d’unmillion d’habitants sont situées sur lacôte, et 39 % de la population mondiale(environ 2,4 milliards d’habitants) viventà moins de 100 km de la mer, sanscompter la plus grande partie de la popu-lation touristique de masse, non perma-nente, mais très exigeante en la matière.Ces facteurs font du dessalement deseaux de mer et des eaux saumâtres une

Barrage el Haouareb

Retenues collinaires

Forages

Puits

Périmètres publics irrigués

Aménagements en banquettes

10 5 0

N

W

S

E

10 km

Figure 3. Les aménagements dans le bassin du Merguellil, Tunisie centrale.

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vraie ressource alternative qui utilise unematière première presque inépuisable.Il existe deux familles de techniques de des-salement :– la distillation utilise l’évaporation pourséparer l’eau des sels. Elle est gourmandeen énergie (100 tonnes de pétrole pour100 m3) et donc en vogue dans les paysproducteurs. Le distillat obtenu possèdeune très faible salinité, mais doit être miné-ralisée avant consommation ;– la filtration membranaire utilise l’osmoseinverse sous forte pression (80 bars)pour retenir 99 % des sels contenus dansl’eau. L’efficacité et la rentabilité de ceprocédé dépendent beaucoup des pré-traitements appliqués avant contact avecles membranes.Mais une nouvelle approche hybride, cou-plant les deux technologies, est en train des’imposer par sa souplesse. Elle permetd’utiliser la distillation pendant les heurescreuses de consommation électrique, demélanger les eaux distillées avec cellesproduites par osmose et de partager lesinfrastructures de prise et de rejet en mer.Les prix du dessalement ont fortementbaissé grâce au développement del’osmose inverse. Selon la zone d’im-plantation, la nature de l’eau brute et lecoût de l’énergie, le coût du mètre cubeproduit oscillait, en 2006, entre 0,5 et1 € pour l’osmose inverse et entre 0,65et 1,7 € pour la distillation.De par son coût, le dessalement est surtoutdestiné à l’alimentation en eau potable(60 %) et à l’industrie (25 %), le reste est

utilisé par l’agriculture à très forte valeurajoutée.Le marché du dessalement s’est beaucoupdéveloppé au début des années 2000 et,en 2005, il produisait environ 1 % del’eau potable utilisée dans le monde, soit25 hm3 à travers 12 500 unités de dessa-lement. Le Qatar comme le Koweït utilisentpresque 100 % d’eau dessalée, l’ArabieSaoudite environ 50 %, par distillation etpar couplage à des centrales thermiques.Les Baléares et les Canaries font appel audessalement pour satisfaire l’afflux touris-tique, vital pour leur économie, de mêmeque le sud de l’Espagne (Andalousie) quitient en réserve un certain nombre d’usinespour éviter tout conflit entre activités touris-tique et agricole3. Le dessalement apporteune réponse concrète à certains manqueschroniques ou saisonniers, tout en évitanttoute dépendance envers un autre pays(Israël, Arabie Saoudite). Il peut soulagerla surexploitation des aquifères situésdans les zones côtières.Les deux techniques rejettent dans le milieumarin la saumure résultant du dessalement,saumure dont la plus grande concentrationen sel peut affecter les écosystèmes marins.La distillation provoque des rejets de grosdébits réchauffés de trois à cinq degrés etlégèrement plus salés (3 à 6 g/L) que lemilieu, tandis que les effluents provoquéspar l’osmose ont une température peu

modifiée, mais une salinité double decelle du milieu de prélèvement. Ces rejetsont un impact certain sur la flore et la faunedu milieu marin, mais dans les cas les plusdéfavorables, seulement dans une zonelimitée à moins de 500 m. De nombreusesétudes sont en cours pour réduire lesimpacts des rejets.Les techniques de dessalement sont bienmaîtrisées, et celle de l’osmose inversepossède un fort potentiel d’évolution,notamment dans la durée de vie des mem-branes. Le dessalement est donc promis àun bel avenir dans les zones arides pro-ches des côtes. Malheureusement, les rai-sonnements se sont opérés sans tenircompte des hausses prévisibles de l’éner-gie, ce qui rend l’avenir de cette ressourcealternative plus sombre que prévu. L’éner-gie solaire est peut-être la solution (Baléa-res) avec la multiplication de petites unitésindépendantes.

Reutilisation des eaux usees

La réutilisation des eaux usées consiste,par un traitement total ou partiel, à rendreà l’eau une qualité acceptable pourl’usage qui en sera fait. Les usages nonpotables comprennent :– l’irrigation des terres agricoles, desespaces verts et des golfs ;– les usages industriels comme les eaux deprocédés ou de refroidissement ;– les usages urbains comme le lavage desrues, des sanitaires et des bus, l’arrosagedes parcs.Les usages potables peuvent être directsaprès un traitement poussé ou, le plussouvent, indirects, après passage dans lemilieu naturel par réalimentation denappes phréatiques par exemple.Depuis la fin des années 1990, la réutili-sation des eaux usées connaît un fort déve-loppement et, actuellement, les 2 % desvolumes réutilisés produisent 7,1 milliardsde mètre cube, soit 0,2 % de la demandemondiale4. C’est l’irrigation des golfs quise développe le plus vite dans les zonesarides et semi-arides à cause de la fortedemande en eau : un golf de 18 trousconsomme autant d’eau qu’une ville de15 000 habitants ! Toutes les études demarché prévoient une forte croissancedans les prochaines décennies, notammentpar la hausse du niveau de vie dans despays comme la Chine. Plusieurs pays,notamment du Maghreb, ont inclus la ré-utilisation dans leur politique nationaleavec l’objectif de satisfaire par ce biais20 à 30 % de leurs demandes en eau[15].

Bilan global 89-96

LACH : 1 %IRRIG : 18 %EVAP : 27 %INFIL : 54 %

BarrageEl Haouareb

PRODUCTION DU BASSIN-VERSANT DU MERGUELLIL : 20 Mm3/an

5 %

Bilan global 1997-2005

LACH : 1 %IRRIG : 13 %EVAP : 46 %INFIL : 40 %

70 % 25 %

IRRIG : 13 %EVAP : 35 %INFIL : 52 %

EVAP : 100 %

LACH : 1 %IRRIG : 18 %EVAP : 27 %INFIL : 54 %

Retenuescollinaires

BanquettesTabias

BarrageEl Haouareb

Figure 4. Répartition des écoulements avant aménagement (période 1989-1996) et après(1997-2007), dans le bassin du Merguellil.EVAP : évaporation ; INFIL : infiltration ; IRRIG : irrigation ; LACH : lâchers.

3 Asociación Española de Desalación y Reutilización(AEDYR) www.aedyr.com. 4 Global Water Intelligence, 2005.

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Le coût de production de la réutilisation estinférieur à celui du dessalement, même siles procédés sont parfois les mêmes, car lasalinité des eaux usées est inférieure. Unefois les eaux traitées à la stationd’épuration, le traitement complémentaire(fonction de l’usage prévu) est réalisé parfiltration, désinfection ou osmose inverse,ce qui apporte une fiabilisation de la filièrede traitement. Pour une désinfection del’eau destinée à l’irrigation urbaine, le sur-coût est d’environ 0,02 à 0,07 €/m3. Pourla production d’eau de bonne qualité, lescoûts de production se situent entre 0,5 et0,7 €, sans tenir compte des frais de pom-page, de stockage et de distribution [15].Les pays leaders dans la réutilisation sontavant tout les pays développés : Japon(usages urbains), États-Unis, Israël,Mexique, Australie, Afrique du Sud (irriga-tion). L’Espagne et Chypre sont les plusactives en Europe, suivies de loin par laGrèce, la France et l’Italie.En 2006, l’OMS a révisé ses normes dequalité pour chaque usage alimenté parréutilisation, et l’Environmental ProtectionAgency (EPA) des États-Unis a réactualiséles siens, en 2004, de façon plus drastiquesurtout en ce qui concerne l’irrigation desproduits directement destinés à la consom-mation. On l’aura compris, la sécurité dela filière de traitement est fondamentaledans ce cas, et de nombreux pays sonten train d’adopter des réglementationstrès strictes sur les procédés (Australie,Afrique du Sud, Japon, Espagne etFrance). En plus des normes de qualité, ilfaut aussi mettre en place des pratiques deréutilisation appropriées afin d’assurer uneprotection sanitaire complémentaire : typed’irrigation autorisé, réseau de distributionparallèle, contrôle de l’accès public, sélec-tion des cultures irriguées, éducation desouvriers agricoles, des agriculteurs et dupublic. C’est donc toute une successionde normes et de pratiques qu’il s’agit defaire respecter pour aboutir à l’absence derisques sanitaires. Selon Mujeriego [16],dans les pays développés, on peut obtenirune eau d’une qualité sanitaire compa-rable à celle de l’eau potable. Mais dansles autres pays ?Tant que la réutilisation concerne l’irri-gation et les autres usages non potables,elle est assez bien perçue et acceptée. Dèsqu’il s’agit d’usages potables, même indi-rects, les opinions sont partagées et contro-versées. Il existe encore une réelle barrièrepsychologique liée à la perception deseaux usées comme dangereuses ou aumanque de confiance dans le respect desnormes et des pratiques prévues dans lafilière de réutilisation.Pour augmenter les volumes de la réutili-sation, les recherches se penchent non seu-lement sur les éléments techniques, mais

aussi sur les aspects sociopsychologiquesà même de lever la méfiance actuelleenvers cette technique. Contrairement audessalement qui privilégie la proximitédes côtes, la réutilisation peut s’effectuerdans n’importe quelle ville (station d’épura-tion du Caire avec un potentiel de3 hm3/j).

Capture de l’eau atmospherique

Même si le phénomène était connu aupa-ravant, il faut attendre 1957 pour voir, àAntofagasta au Chili, la construction desystèmes artificiels pour condenser l’humi-dité atmosphérique à l’aide de filets verti-caux alimentant des villages en eaupotable. Cette réussite suscite un regaind’intérêt des scientifiques pour mieux com-prendre les précipitations horizontalesdans diverses parties du monde (Oman,Sénégal, Philippines, Maroc, Chili, Pérou,etc.).En 1999, un chercheur espagnol met aupoint des équipements capables de ré-cupérer la brume et la pluie et résistantsau vent. Ces nouveaux appareils sont bre-vetés par une PME des Canaries5 qui ainstallé une série de stations expérimenta-les, couplées à des stations météorologi-ques automatiques, avec mesures de ladensité de brume et du volume d’eau cap-turé en temps réel. Financées par l’Unioneuropéenne, ces recherches ont permisd’améliorer les capteurs et de définir diffé-rents types d’emplacements en fonctiondes usages prévus.Actuellement, les équipements permettentde condenser l’eau présente dans labrume et les nuages bas et de la dirigervers un réservoir avant usage. L’eau obte-nue est pure avec une conductivitémoyenne de 0,2 μS/cm et une duretéd’environ 3,2 mg/L de CaCO3. Il existedifférents modèles de capteurs : des équi-pements plans pour faire face à des ventsdominants violents ou des équipementspolyédriques dessinés spécialement pourdes zones à brume intense et vents faibles.Dans de bonnes conditions, les nouveauxéquipements produisent entre 15 et 20 L/jpar mètre carré, c’est-à-dire qu’un modulede base est capable de collecter au mieux300 L/j, et qu’une station courante peutdonc produire 3 m3/j. Ces quantités netiennent pas compte des pluies éventuellesque le module collecte de la mêmemanière qu’une surface plane équivalentede 14 m2 au sol. En 2006, le module ins-tallé revenait à peu près à 1 200 euros HTavec très peu d’entretien.

Recolte de la rosee

On estime la ressource en eau contenuedans l’atmosphère à 12 900 km3, dont98 % sous forme de vapeur et seulement2 % sous forme de nuages. Une partie decette eau se condense au petit matin enrosée, soit de fines gouttelettes qui se dé-posent sur des objets plus froids que l’airambiant. Des chercheurs du CNRS6 ont eul’idée de favoriser le refroidissement destoits et des talus dès la tombée de la nuitpour récolter l’eau condensée. Les surfacessont traitées avec des peintures et des filmsradiatifs qui favorisent la condensation del’eau atmosphérique et permettent une« récolte » de 0,6 L/nuit et par mètrecarré de surface peinte, avec un seul impé-ratif : un ciel dégagé. C’est donc unprocédé idéal pour les zones arides.Les peintures et les films sont élaborés avecdes produits du commerce dopés de micro-billes d’oxyde de titane et de sulfate debaryum qui émettent naturellement desradiations infrarouges. Cette perte d’éner-gie abaisse la température du supportpeint, mais pas suffisamment pour com-penser celle amenée par les rayons dusoleil. La récolte de rosée est doncnocturne.Le procédé est déjà appliqué en Croatie,en Israël et à Tahiti et, en Inde, un systèmede 15 000 m2 est en construction qui per-mettra de condenser jusqu’à 8 m3 chaquenuit. L’eau recueillie est potable selon lesanalyses de centaines d’échantillons ré-coltés dans différentes aires géographi-ques et passés au crible d’études chimi-ques et bactériologiques. Prochainement,le Maroc devrait tester l’équipement detoits terrasses avec ces techniques et leurcouplage avec des cellules photovoltaï-ques pour apporter eau et électricité auxpopulations isolées.L’eau atmosphérique et la rosée peuventassurer la survie de populations isolées(eau potable, irrigation de jardins) ayantdes revenus extra-agricoles, car les quanti-tés extraites sont faibles. Le dessalementest confronté à la montée du prix de l’é-nergie et devra trouver des solutions tech-niques utilisant l’énergie solaire. La réutili-sation des eaux usées est moinsgourmande en énergie, mais devra fiabili-ser toute sa procédure de traitement etd’utilisation pour lever les barrières psy-chologiques qui freinent actuellement sonutilisation.

5 Natural Aqua: [email protected].

6 Laboratoire CNRS, université de Corse Pascal-Paoli« Systèmes physiques de l’environnement », labora-toire CNRS-PCI, universités Paris-VI- et VII « Physiqueet mécanique des milieux hétérogènes ».

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Vers une gestionde la demande en eau

La mobilisation des ressources conven-tionnelles est de plus en plus coûteuse,car les sites favorables sont déjà équipés.Pour le moment, il s’agit avant tout demieux utiliser les ouvrages déjà construitsen favorisant les transferts vers les réser-voirs souterrains pour diminuer les pertespar évaporation. Mais cela ne suffira paspour répondre aux besoins pressants etvariés d’une population mondiale en crois-sance continue. L’utilisation des ressourcesnon conventionnelles constitue une solutionalternative intéressante, mais ne résoudrapas non plus toutes les tensions actuellessur la ressource, notamment sur les aquifè-res. Il s’agit d’éléments parmi d’autres pouressayer de rétablir les équilibres offre-demande en pratiquant une gestion opti-misée de la ressource, des infrastructureset des réseaux de distribution.Face à la multiplication des situations desurexploitation et de compétition lorsquela ressource est rare et face à l’augmen-tation du coût marginal de l’accès aux res-sources en eau, les gestionnaires, les cher-cheurs et les institutions internationales ontpris conscience de l’intérêt d’une gestionde l’eau par la demande, notamment surle pourtour méditerranéen où le déséquili-bre se fait déjà cruellement ressentir [17].

Differents instruments de la gestionde l’eau par la demande

Un instrument de gestion de la demandedoit être susceptible de modifier lademande de manière directe (autoritaireou consensuelle) ou indirecte (incitative).Il est évalué selon sa pertinence : sonefficacité, son acceptabilité par les usagerset la faisabilité de son application. Les prin-cipaux instruments de gestion de lademande en eau sont de trois ordres.

• Instruments techniquesCe sont des outils visant à une utilisationplus efficiente de l’eau ou encourageantl’économie d’eau :– au niveau d’une exploitation agricole :utilisation de cultures peu consommatricesd’eau et de micro-irrigation, installation decompteurs volumétriques, électrificationdes pompes, le nivelage du sol (au niveaud’un foyer domestique, pose decompteurs, réseau interne plus efficient,utilisation d’appareils électroménagersmoins consommateurs, etc.) ;– au niveau d’un périmètre d’irrigation : letracé d’un canal de distribution, un réseaubasse pression ou sous-pression pourréduire l’évaporation et les pertes par per-colation, une adaptation de l’offre à lademande (au niveau d’un réseau urbain,

le tracé du réseau et la détection des fuites,etc.) ;– au niveau d’une région : l’utilisation demodèles de gestion qui permettent aux ges-tionnaires de mieux allouer l’eau (SIG,modèles de simulation, etc.).La mise en place de ces divers équipe-ments est souvent permise par des sub-ventions ou des prêts bonifiés accordéspar le gestionnaire, ou encore par un sys-tème de normes accompagné de moyensde contrôle. Dans les deux cas, ils doiventnécessairement s’accompagner d’un effortde vulgarisation.

• Instruments economiquesLes instruments économiques sont de typeindirect, il s’agit d’influencer le comporte-ment des usagers par des incitationsfondées sur les mécanismes de marché,comme une mesure de tarification, uneredevance, une taxe, un droit d’accèspayant, un marché de l’eau.Tarifications, redevances et taxesLes tarifications, les redevances et les taxesfont payer à l’usager le prix de la rareté,les frais de gestion et les frais annexes,considérant l’eau comme un bien éco-nomique. Le tarif correspond au paiementd’un bien ou d’un service, à l’unité consom-mée, la redevance (paiement d’un servicepublic ou d’une concession proportionnel-lement à son utilisation) et la taxe (impôtautoritaire non proportionnel à un service)s’appliquent plus facilement dans le casd’usages captant directement la ressource.Paiement d’un droit d’accèsLe paiement d’un droit d’accès peut être unmoyen de diminuer l’usage de l’eau, sil’enregistrement des droits d’accès est réel-lement effectué et le prix de la concessiondissuasif. Cette mesure soulève des ques-tions d’équité si seuls les nouveaux arri-vants y sont soumis, et n’influence évidem-ment en rien le taux de consommation descaptages une fois construits.Marché de l’eauUn marché de l’eau est un lieu d’échangede l’eau (bien matériel ou droit à prélever)entre des individus ou des collectivités.Pour qu’il fonctionne, trois conditions aumoins doivent être réunies :– la ressource en eau doit être inférieureaux besoins ;– le droit d’eau doit être entièrement défini(reconnu, exclusif, transférable et pro-tégé) ;– une allocation initiale doit être réalisée(selon une priorité de proximité, chrono-logique ou au plus offrant).

• Autres instrumentsLes autres instruments pour gérer lademande en eau comportent essentielle-

ment l’éducation, les règles qui détermi-nent les droits d’accès, d’usage et de par-ticipation à la gestion.Éducation et informationL’éducation et l’information peuvent inciterles usagers à l’économie et à une gestionplus efficiente, mais l’effet réel se fait sentirau-delà d’une génération.Règles d’accès et d’usageLes règles d’accès et d’usage peuvent êtreimposées par une autorité centrale ou êtreétablies par un groupe local de gestion,dans le cadre d’un consensus plus oumoins formalisé entre usagers : prescriptionde normes ou de droits d’eau, établisse-ment de quotas ou de droits d’usages par-ticuliers, définition de zones d’accès, etc.Règles de gestionLes règles de gestion par la demande peu-vent être définies dans le cadre d’uncontrat local entre usagers, établi plus oumoins formellement. Ces contrats fixent demanière concertée les objectifs à atteindrepour chaque acteur ; ce sont des règlescommunes, qui peuvent s’appuyer sur desdroits locaux d’accès, de quotas oud’échanges.

• Choix d’un outil de gestionLes instruments de gestion peuvent êtrecomplémentaires, concurrents ou contra-dictoires. Par exemple, la tarification et lesystème de quotas peuvent être con-currents face à un objectif de répartitionde la ressource en eau, et leur choix peutêtre imposé par les caractéristiques du sys-tème ou dépendre des préférences du ges-tionnaire (équité, équilibre budgétaire,répartition efficiente). Pour la plupart desauteurs, une gestion de l’eau par lademande efficace doit reposer sur unecombinaison de différentes approchespour être acceptée par les usagers, mais,à l’inverse, une combinaison d’outils tropdiversifiés peut conduire à des incohéren-ces, à des incompréhensions et à desproblèmes de communication.Enfin, le gestionnaire doit tenir compte dufait qu’une économie d’eau effective à uneéchelle peut avoir un effet nul à une autreéchelle : par exemple la micro-irrigationpermettant d’utiliser moins d’eau à l’hectareirrigué peut entraîner une extension de lasurface irriguée, le bilan sur la ressourceétant inchangé, voire aggravé si les pertespar les techniques traditionnelles resti-tuaient l’eau au système par percolation.

Irrigation et techniques d’economied’eau

En tant que plus grand utilisateur et plusgrand consommateur, l’irrigation est laprincipale accusée des tensions sur la res-

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source en eau. Cependant, l’irrigation estamenée à produire plus pour suivre lademande alimentaire mondiale, et les gou-vernements se sont donc engagés à amé-liorer l’efficacité de leurs systèmes irriguésafin d’augmenter leur production globale,tout en maintenant ou diminuant les volu-mes consommés. Les premières solutionsexplorées sont techniques.L’irrigation gravitaire est la plus anciennetechnique d’épandage de l’eau et restemajoritairement utilisée dans le mondemalgré des efficiences à la parcelle nedépassant pas les 60 % et des efficiencesglobales de 35 à 40 % selon les péri-mètres. Elle concerne environ 80 % dessuperficies irriguées à l’échelle mondiale(70 % aux États-Unis), car c’est une tech-nique très simple à mettre en place et peuexigeante en termes de moyens à l’échellede la parcelle. En outre, comme pour toutetechnique traditionnelle, le savoir-faire apu se transmettre entre générations.

• Amelioration de l’irrigation gravitaireDe nombreuses études ont été et sont tou-jours consacrées à l’amélioration de l’irri-gation gravitaire et, notamment pourmieux homogénéiser l’épandage de l’eaudans la parcelle en proposant un nivelle-ment laser, une partition des mains d’eaupour une meilleure conduite, des améliora-tions sur la longueur des raies en fonctiondes caractéristiques locales, la mise enplace de débits d’attaque pour mieuxrépartir l’eau dans les raies, l’installationde petits ouvrages (rampes à vannettes,siphons, revêtement des canaux, etc.).Si la mise en place de ces techniquessemble se faire avec succès dans un pre-mier temps, les agriculteurs reviennentassez rapidement à ce qui fait l’intérêt decette technique, une rusticité qui demandepeu d’investissements, adaptée à de peti-tes exploitations complexes et évolutives,exigeante en main-d’œuvre, mais peu qua-lifiée.Beaucoup de raisons peuvent expliquerl’abandon progressif des techniquessophistiquées mises en place lors de l’ins-tallation ou de la rénovation des périmè-tres. L’irrigation gravitaire engage une

infrastructure hydraulique importante etfigée, peu adaptée à l’évolution des cultu-res et au morcellement progressif des par-cellaires, inévitable pour des raisonsd’héritage. Le morcellement vient égale-ment allonger le tour d’eau.Par ailleurs, la faible participation desagriculteurs dans les processus de réhabi-litation technique de leurs parcellesn’encourage pas ces derniers à entretenirles équipements dont ils ont dorénavant lacharge. Ils considèrent, en effet, que lesréseaux d’irrigation, de drainage etd’assainissement restent la propriété exclu-sive de l’État et que les redevances consti-tuent le paiement des services rendus.

• Irrigation par aspersionL’irrigation par aspersion fait l’objet d’étu-des scientifiques et techniques très pous-sées tant sur le plan théorique que sur leplan expérimental. En France, ces étudessont, en grande partie, menées etcoordonnées par l’équipe Lermi (Labora-toire d’essais et de recherche sur les maté-riels d’irrigation) du Cemagref d’Aix enProvence. Cette équipe travaille en étroitecollaboration avec des scientifiques duMaghreb pour approfondir les bases théo-riques des flux d’air et d’eau sortant desasperseurs et de leurs trajectoires dansl’atmosphère avant de retomber sur le sol[18, 19].Ces travaux touchent tant la mécaniquedes fluides que la structure des sorties decanon qui va conditionner la forme del’aspersion. Ils sont menés sur la stationexpérimentale du Merle (figure 5).Les études ainsi que les évaluations desperformances sont orientées vers l’ob-tention d’une uniformité d’aspersion surune surface donnée quelles que soient lesconditions de vent. Pour obtenir des effi-ciences de l’ordre de 80 % en zones ari-des, l’irrigation par aspersion se doitd’être technique et donc réservée à desingénieurs et techniciens seuls capablesde maîtriser le processus technique. Celaest assez flagrant au Maghreb où l’irriga-tion par aspersion est surtout pratiquéedans les grands périmètres publics(Gharb au Maroc, Basse vallée de la Mer-

jerda en Tunisie) sous le contrôle desoffices régionaux.Dans les exploitations privées, le matérield’aspersion est souvent placé en dispositifmobile ou semi-mobile pour assurer unecouverture totale de la parcelle cultivée àmoindre coût. La mise sous-pression duréseau n’est pas du tout régulée, et lescharges en sel généralement élevées vien-nent obstruer ou modifier la diffusion desjets d’eau par les asperseurs. Dans cesconditions d’exploitation, le recouvrementuniforme des surfaces irriguées n’est plusdu tout assuré, et l’efficience réelle des-cend fortement. L’observation montre queles agriculteurs délaissent la techniqued’aspersion pour essayer l’irrigation pargoutte-à-goutte qu’ils maîtrisent beaucoupmieux [20].

• Irrigation localisee par goutte-a-goutteL’irrigation localisée, par goutte-à-goutte(comme l’irrigation enterrée), est en forteprogression depuis l’arrivée des matériauxde pompage et de distribution éco-nomiques dans les années 1970-1980.Elle devrait progresser encore avec lesmesures incitatives et l’augmentation duprix de l’eau. Outre l’économie de ressour-ces, ces techniques permettent d’utiliserdes eaux saumâtres, puisque les dosessont appliquées au niveau racinaire sanscontact avec le feuillage, même s’il subsisteun danger de salinisation ou de sodisationdes sols.L’irrigation par goutte-à-goutte utilise unsystème sous pression pour forcer l’eaudans des tuyaux perforés posés au-dessusdu sol avec un débit variant de 1 à 10 L/het par goutteur. Malgré la simplicité de latechnologie, la méthode nécessite à la foisun investissement de départ et un entretiensérieux, car les goutteurs se bouchent faci-lement.Selon des études de la FAO7, menées dansplusieurs pays arides et semi-arides, lesagriculteurs qui passent de l’irrigation gra-vitaire ou de l’aspersion au goutte-à-gouttepeuvent diminuer leur consommation de30 à 50 %. Souvent, les rendements aug-mentent en même temps, car les plantesbénéficient d’apports directs au niveaude leurs racines de doses d’eau et de ferti-lisant (fertirrigation). Là encore, on rencon-tre, pour une même technique, deux prati-ques analysées en Tunisie dans les années2000 :– des réseaux goutte-à-goutte, équipés degoutteurs régulateurs de pression situés aupied de chaque plant dont la valeur oscilleautour de 1 670 € l’hectare ;– des tuyaux plastiques très bon marché,que l’on déplace de ligne de culture en

Figure 5. Banc d’asperseurs, station expérimentale du Merle, Lermi, Cemagref Aix en Provence.7 FAO, eau et agriculture, produire plus avec moinsd’eau, 2002.

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ligne de culture, prépercés sans goutteurs,avec des écarts de perçage standards sanscorrespondance avec la culture pratiquéeet d’une durée de vie courte, voire trèscourte, mais dont le coût d’installation sesitue autour de 280 euros l’hectare.Dans des pays en voie de développementoù la main-d’œuvre est abondante et lescapitaux rares, la première pratique nepeut se faire sans incitation financière, etseulement pour des cultures à rendementéconomique élevé. C’est donc la pratiquerustique qui tend à s’imposer dans lespetites et moyennes exploitations, mais,là, les rendements sont bien inférieurs àceux annoncés dans les études théoriques.C’est d’autant plus vrai que les pratiquesd’irrigation par goutte-à-goutte sont malconduites par des populations mieux habi-tuées au gravitaire et qui appliquent desdoses massives trop espacées dans letemps, selon leurs habitudes antérieures.Le goutte-à-goutte rencontre un fort succèsau Maghreb, car il permet de cultivermelons, pastèques et tomates qui sont trèsappréciés par la population touristique, cequi provoque une forte progression desrevenus.

• Irrigation enterreeCertains systèmes d’irrigation enterréerelèvent de techniques simples qui nenécessitent pas d’achats coûteux d’équipe-ment, mais exigent beaucoup de main-d’œuvre. L’une des plus anciennes métho-des consiste à placer des pots en terreporeux dans le sol autour des arbres frui-tiers et le long des lignes de culture.Les tuyaux poreux ou perforés enterrésont la même fonction avec quelquesincertitudes sur les débits d’applicationsdifficiles à contrôler.La technique des pots en terre a été revisi-tée récemment par Mathieu [21] qui a misau point un système original d’irrigationadapté à la fois aux ressources en eautrès limitées des zones semi-arides et auxméthodes de culture à espacement des agri-culteurs du Sahel. Cette méthode conduitrapidement l’eau à une profondeur de0,5 à 1 m où elle échappe à l’évaporationet constitue une réserve d’humidité auniveau des racines. Dénommée Irrigasc8,cette technique a été validée par leCemagref.Le dispositif consiste à enterrer une gaineplastique d’1 m, le long d’un plant d’arbre,ou de 50 cm, près de plantes vivrières.Cette gaine, en forme de manchon, est per-cée de très petits orifices et remplie de terreou de compost. Au niveau du sol, cettegaine est surmontée d’un récipient sans

fond dans lequel est versée l’eau d’arro-sage.La méthode d’irrigation par semi-conduiteverticale semble rencontrer un certainsuccès dans les pays sahéliens et, particu-lièrement, au Sénégal.

• Economie d’eauet valorisation economiqueLes techniques décrites précédemment sontcensées produire plus avec moins d’eaumore crop per drop, ce qui est générale-ment le cas, même si les performancesattendues sont loin d’être réalisées sur leterrain. En revanche, leur mise en placepeut provoquer une augmentation des pré-lèvements à des niveaux d’échelle plusamples que la parcelle.Ainsi, par une étude de simulation, S. Feuil-lette [20] a montré que la politique gouver-nementale tunisienne favorisant l’implanta-tion du « goutte-à-goutte » provoquait uneaugmentation sensible des prélèvementsglobaux sur la nappe de Kairouan.Les résultats de cette simulation, qui sontprésentés dans le paragraphe suivant, ontété ensuite validés par un retour d’expé-rience auprès des irrigants.

Passage a l’irrigation localiseeen Tunisie : impacts et consequences

Le bassin du Merguellil a déjà été choisipour analyser l’impact et la valorisationdes aménagements hydrauliques (cf. §1.4), il servira également d’exemple pourillustrer les modes d’utilisation des outils degestion de la demande et simuler le com-portement des usagers. On s’intéresseraparticulièrement à la partie aval du bassinderrière le barrage d’El Haouareb(figure 3).

• ProblematiqueLa nappe de Kairouan, qui constitue la res-source en eau souterraine la plus impor-tante de la Tunisie centrale, subit un rabat-tement continu depuis une vingtained’années. L’abaissement se fait sentir surl’ensemble de la zone et s’est accru cesdernières années (figure 6) provoquant unrisque de contamination des nappes pro-fondes par les eaux de l’aval, dont la sali-nité est élevée [22].Les prélèvements sont destinés à l’irrigationà hauteur de 80 %, et les irrigants reçoi-vent l’eau soit dans des périmètres publicsdesservis par forages collectifs, soit pardes puits individuels. Ces derniers sontles plus gros préleveurs et demeurent trèsmal connus.Pour tenter d’enrayer la surexploitation, lesautorités sont d’abord intervenues surl’offre à travers la gestion des barrages,puis sur la demande, en instaurant une« zone de sauvegarde » censéecontraindre la construction de nouveaux

captages. Mais dans les faits, la nappede Kairouan demeure une ressource collec-tive en accès libre : la réglementation res-trictive n’est pas respectée, et les puitscontinuent de proliférer. L’outil réglemen-taire est d’autant plus difficile à appliquerque la police des eaux est assurée par l’ins-titution chargée du développement régio-nal [3].Les autorités s’interrogent sur les outils degestion de la demande efficaces et accep-tés par les usagers, pour enrayer la surex-ploitation. L’étude porte sur la réaction desagriculteurs face à différentes mesuresenvisagées par le gouvernement, et notam-ment des incitations financières, pour pas-ser du gravitaire au goutte-à-goutte.

• Modelisation des comportementspar simulation multi-agents (SMA)Dans le cas de la nappe de Kairouan, lemodèle de simulation doit représenter lesinteractions offre-demande, mais aussi lesstratégies d’investissement des agriculteurs(l’accroissement des prélèvements pro-venant surtout de l’apparition des puits) etles interactions entre agriculteurs (du faitde leur impact sur la demande en eau).Les modèles classiques de fonctionnementde la demande en eau agricole ne repré-sentent que les décisions tactiques d’irriga-tion ou les stratégies d’assolement des agri-culteurs. De plus, ils représentent rarementles processus régissant l’offre et lademande conjointement, ce qui est pour-tant nécessaire à la prise en compte deleurs liens dynamiques. Au contraire, lessystèmes multi-agents (SMA) issus de l’intel-ligence artificielle distribuée et basés sur leprincipe de la distribution des interactionssont tout à fait adaptés à la représentationdes interactions ressources-sociétés et per-mettent de tenir compte des comportementsdans leur diversité.Le modèle Sinuse (simulations des inter-actions entre nappe et usages de l’eau)représente les interactions entre agri-culteurs et nappe, aux échelles de tempssaisonnières et interannuelles. Sinusereprésente un schéma réduit du systèmeétudié (25 000 ha), tout en respectant lesproportions des paramètres essentiels.La définition de l’espace du modèle sefait sur une grille rectangulaire de2 400 cellules, chacune d’elles représen-tant 1 hectare [23].Le modèle comporte trois types d’entités :– des entités sociales, les exploitants ;– des entités spatiales comme les zones dela nappe, les parcelles, les périmètres col-lectifs d’irrigation ;– des entités passives (et situées) commeles puits.Le pas de temps adopté pour la descriptiondes interactions entre ces entités estl’année, découpée en deux saisons de8 www.irrigasc.com.

Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009 27

culture. Les décisions d’investissements’opèrent à une échelle interannuelle.Les apports pluviométriques pour chaquetype de culture reposent sur la chroniquelocale des 20 dernières années.Les exploitants prennent plusieurs types dedécisions pour assurer le fonctionnement etla progression du système d’exploitationfamilial : assolement saisonnier, échangesfonciers annuels, construction de puits,ventes/achats et locations de terre. La des-cription des règles qui régissent ces com-portements repose sur un important travaild’enquêtes sur le terrain (approfondies etstatistiques).

• Introduction du goutte-a-goutteDans ce scénario, tous les agriculteurs doi-vent s’équiper du goutte-à-goutte pro-

portionnellement à la surface qu’ils irri-guent en été, moyennant une aidepublique importante. Cet équipementn’est utilisé que pour l’irrigation du maraî-chage d’été et de l’arboriculture fruitière ;les irrigations de l’olivier, des céréales etdu maraîchage d’hiver de plein champdemeurent traditionnelles (à la planche età la raie). L’irrigation de l’olivier estsuspendue dès que leur marge brute estnégative.L’investissement dans un équipementgoutte-à-goutte est réalisé chaque foisqu’un nouveau puits est créé. L’efficiencemoyenne de la distribution de l’eau augoutte-à-goutte est estimée en fonction desobservations faites sur des situations simi-laires dans d’autres régions de Tunisie.L’augmentation du rendement est très

importante grâce à une meilleurefertilisation.Ce scénario d’intervention (en noir dans lafigure 7) est simulé plusieurs fois en raisondes paramètres stochastiques sur unepériode de 30 ans et comparé au scénariode référence (en grisé dans la figure 7) quiconsiste à simuler, également plusieursfois, l’évolution du système sans aucuneintervention, sur la même période de30 ans.Les résultats issus de la mise en œuvre dumodèle reflètent une accélération assezforte de la baisse de la nappe (figure 7C),soit une augmentation régulière des pré-lèvements globaux confirmée par l’aug-mentation concomitante des puits (figu-re 7A) qui viennent également envahir lespérimètres publics comme l’indique la figu-re 7B.On note également une baisse assez mar-quée des exploitations endettées (figu-re 7D). Les agriculteurs s’enrichissent dèsla première année, parce que le passageau goutte-à-goutte est financé, à hauteur de60 %, par le gouvernement, et que cettetechnique leur permet de cultiver pastèqueset melons qu’ils vendent à très bon prix auxhôtels de la côte situés à 100 km seulementde cette zone.Les années suivantes, ils vont donc cher-cher à augmenter leur production partous les moyens : augmentation des surfa-ces irriguées et locations de nouvelles ter-res, augmentation des puissances de pom-page avec changement de pompes oucreusement de nouveaux puits. Le marchétouristique est suffisamment fort pour

Niveau piézométrique moyen (m)

100

102

104

106

108

110

112

114

1975 1978 1981 1984 1987 1990 1993 199698

116

1969 1972

Figure 6. Baisse du niveau piézométrique moyen dans la nappe de Kairouan en aval du barraged’El Haouareb.

Profondeur moyenne de la nappe

Volume prélevé par les PPI

Nombre d’exploitants non endettés

Nombre de puits

Scénario de référenceoliviers en sec si MB < 0

Introduction goutte à goutteoliviers en sec si MB < 02e jeu d’hypothèses

0

20

40

60

80

100

120

140

t (années)

nb d

'exp

loit

ants

20

40

60

80

100

120

140

160

1 4 7 10 13 16 19 22 25 28 31

t (années)1 4 7 10 13 16 19 22 25 28 31

t (années)

nb d

e p

uits

0,0E+00

5,0E+06

1,0E+07

1,5E+07

2,0E+07

2,5E+07

3,0E+07

vol.

(m3 )

-85-80-75-70-65-60-55-50-45-40

1 4 7 10 13 16 19 22 25 28 31 1 4 7 10 13 16 19 22 25 28 31

t (années)

pro

f. (m

)

A

C

B

D

Figure 7. Introduction généralisée du goutte-à-goutte pour l’irrigation et comparaison avec le scénario de référence.

28 Sécheresse vol. 20, n° 1, janvier-février-mars 2009

absorber cette augmentation de produc-tion sans que les prix chutent.En conclusion, ce passage à une irrigationlocalisée, appliqué sans mesure d’accom-pagnement, produit des effets inverses àceux voulus par l’administration tuni-sienne. Le goutte-à-goutte provoque bienune meilleure valorisation de l’eau, mais,en revanche, il augmente les prélèvementsglobaux sur la nappe et accélère donc labaisse de son niveau. Ces résultats desimulation, reçus avec scepticisme par lesautorités, ont été agréés par les agri-culteurs qui ont validé ces comportementslors d’un retour d’expérience.

• DiscussionDes simulations complémentaires ont mon-tré que l’introduction du goutte-à-goutte,combinée avec la mise en place d’unquota et avec une facturation très fortedes dépassements, donne les meilleursrésultats : enrichissement raisonnable desagriculteurs par une meilleure valorisationde l’eau et diminution assez nette des pré-lèvements globaux. L’administration tuni-sienne étudie les possibilités d’applicationde ces mesures à partir d’une électri-fication de l’ensemble des pompes, del’installation systématique de compteursélectriques triphasés et de l’implication del’Entreprise nationale d’électricité pourrecouvrer les paiements.La littérature montre que l’utilisation desinstruments de gestion de la demandedoit être combinée pour être efficace etrépondre clairement aux questions posées.

Conclusion

Parmi les nombreux pays en développe-ment à posséder des territoires arides etsemi-arides, certains subissent une fortecroissance démographique, tandis qued’autres sont soumis à des afflux saison-niers de population (tourisme estival enMéditerranée par exemple).Dans ces territoires, l’accès à l’eau est déjàun problème pour certains usagers, avecparfois de graves crises d’approvisionne-ment. Par ailleurs, les modèles climatiquesglobaux semblent concorder pour y pré-dire une diminution des précipitations.Produire plus, pour suivre la demande ali-mentaire de leurs populations croissantes,mais en consommant moins d’eau, poursatisfaire également les autres demandes,tel est le défi proposé à ces territoires pourfaire face aux tensions actuelles et auxconflits annoncés.Les gouvernements ont d’abord proposé lamise en place d’aménagements hydrau-liques de tailles différentes, échelonnés sui-vant leur fonction dans tout l’espace du

bassin, avec un objectif de conservationdes eaux et des sols. Le stockage de l’eauest réalisé dans la zone aérée du sol (l’eauverte, en termes de gestion) ou dans lesréservoirs superficiels et souterrains (l’eaubleue). Toutes les études montrent unefaible valorisation de ces ouvrages àl’exception des aquifères.Ils se sont dirigés ensuite vers la productionde ressources non conventionnelles oualternatives qui ont du mal à se développersoit par leur coût (dessalement), soit du faitde barrières psychologiques (réutilisationdes eaux usées).Enfin, la tendance actuelle se dirige vers lamise en place de pratiques d’usages éco-nomes en eau telles que l’irrigation loca-lisée. Mais là encore, les techniqueséprouvées en stations expérimentales ouen laboratoire ne sont pas d’une réelle effi-cacité sur le terrain si elles ne sont pascouplées avec d’autres outils de gestion,de formation et de vulgarisation.La définition des principes de gestion inté-grée, leur dissémination à travers lesgrands congrès internationaux consacrésà l’eau et l’effort qui est fait au niveau inter-national pour les mettre en applicationtiennent compte des diagnostics antérieurs.D’après le deuxième principe de Dublin9,le développement et la gestion de l’eaudevraient être fondés sur une approcheparticipative impliquant usagers, plani-ficateurs et décideurs à tous niveaux. Il estcertain que l’application de ce principeaurait évité la construction de banquettessur des terres de parcours ou la construc-tion de retenues collinaires dans desendroits déserts, éloignés de tout utilisateurpotentiel.Selon le quatrième principe, pour tous sesdifférents usages, souvent concurrents,l’eau a une dimension économique et doitêtre considérée comme un bien écono-mique et social. En clair, ce principerappelle l’efficacité du couple subvention-réglementation pour amener les usagersà appliquer les pratiques d’usageséconomes en eau.C’est donc une gestion complexe qui est entrain de se mettre en place, dans laquelleles techniques de mobilisation et d’usagesde l’eau sont un élément parmi d’autres.■

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