table des matièresdieumaintenant.com › pouruneeglisehumaine.pdfor ce qui est attendu comme une...

33
1

Upload: others

Post on 05-Jul-2020

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

1

2

Table des matières

Présentation

Christine Fontaine p 3

Prélude

Joseph Moingt p 5

Entretien avec Christine Fontaine

L’enfance et les années de formation

1948 – 1974 p 11

Permanente laïque dans une paroisse

1974 – 1986 p 15

Inventer une vie d’Église

1986 – 2020 p 20

Regard sur l’Église p 24

« Le chant des troubadours » p 31

3

Présentation Christine Fontaine

J’avais vingt ans en mai 68. J’achevais des études de philosophie à la Sorbonne avant

d’entreprendre un cycle de théologie à l’Institut Catholique de Paris. À l’issue de ces études, je

rencontrais Monseigneur Delarue, évêque du diocèse de Nanterre pour qu’il m’aide à trouver une

place où exercer mes nouvelles compétences. Il me conseilla de travailler dans une paroisse dont

Michel Jondot venait de prendre la charge. D’entrée de jeu, je lui dis : « Si vous attendez que je

vienne vous faire la vaisselle ou si vous voulez vous décharger sur moi de ce que vous n’avez pas

envie de faire, vous faites erreur… » Il pouvait me repousser… Depuis nous n’avons jamais cessé

de travailler ensemble : un prêtre et une laïque réunis dans un même service et un même amour

de l’Église, sans aucune supériorité de l’un sur l’autre ni confusion des fonctions.

Aujourd’hui un grand nombre de catholiques réclament que la place des laïcs et en particulier

celle des femmes soit enfin reconnue. Or ce qui est attendu comme une nouveauté était possible

dans le passé. Pendant 12 ans, j’ai partagé la responsabilité d’une paroisse avec Michel Jondot,

nommé curé de cette paroisse par l’évêque de Nanterre quelques mois avant. J’ai prêché en

alternance avec lui au cours des messes dominicales. Mais notre collaboration aurait été stérile

si elle n’avait éveillé le désir des autres baptisés. A la séparation entre clercs et laïcs s’en serait

seulement substituée une autre : celle des « savants » (prêtres ou théologiens) s’opposant aux

« ignorants ». Or, dans une paroisse, les personnes les plus diverses se rencontrent. Elles ont

chacune une compétence professionnelle, humaine ou spirituelle. Elles composent le terreau

humain qui permet de faire ensemble l’Église. Joseph Moingt 1, pendant 12 ans, est venu avec

nous travailler cette terre. À la fin du mandat de Michel, des équipes bien rôdées étaient en place.

Nous étions prêts à continuer l’aventure. Mais les temps avaient changé. Le refus de la part de la

hiérarchie fut total. Depuis, rien ne s’est arrangé dans l’Église catholique de France. Au contraire.

Ce qui était possible hier dans une paroisse de base l’est si peu aujourd’hui qu’on a même oublié

que cela fut une réalité.

Si le Magistère n’a pas souhaité que demeure cette coresponsabilité entre prêtres et laïcs, il n’a

eu aucun pouvoir sur la fraternité née de cette collaboration. Je ne parle pas seulement de Michel

et de moi mais de tous ceux qui étaient et sont restés nos amis – ainsi que de tous ceux qui le

sont devenus par la suite. Nous avons souffert d’être incompris mais nous avons aussi considéré

1 Joseph Moingt, né en 1915, est un théologien jésuite français. Spécialiste en christologie, il est également l’auteur de nombreux ouvrages accessibles à un large public et dans lesquels il formule le christianisme en tenant compte des évolutions de la pensée contemporaine.

4

cette marginalisation comme une chance. Sur les marges, nous avons pu inventer, créer des

relations nouvelles, nous engager dans les combats de la société.

Si l’on assimile la vie chrétienne avec l’appartenance à une institution, force est de constater que l’Église se réduit comme peau de chagrin. Ceux qui sont encore pratiquants ont vu la plupart de leurs amis quitter l’Église et ce mouvement est probablement loin de s’achever. Mais beaucoup d’entre ceux qui sont partis n’ont pas perdu la foi pour autant. Une autre manière de « faire Corps », à la suite du Christ, n’est-elle pas en train de naître ? N’est-ce pas, comme l’écrit Michel de Certeau, « ce christianisme éclaté qui est en train de se propager sous les décombres d’une institution désertée… » Pour ma part, avec mes amis pratiquants ou non, c’est dans cette aventure que nous désirons nous inscrire… dans l’espérance que d’autres nous rejoindrons sur un chemin dont on ne sait pas où il va… Mais, comme l’écrit Grégoire de Nysse : « Abraham partit sans savoir où il allait. Mais c’est parce qu’il ne savait pas où il allait qu’il savait être dans la Vérité »…

En quoi consiste les feuillets « Pour une Église humaine » ?

En 2010, des chrétiens ont demandé, à Michel Jondot et à moi-même, de susciter un espace de

réflexion et de liberté de parole. Nous avons alors construit avec eux et mis en ligne le site « Dieu

maintenant ». Ils m’ont alors suggéré de me présenter. Je l’ai fait – en répondant à leurs questions

– dans l’article « A la porte » que l’on trouve sur le site. En 2020, ils m’ont demandé de compléter

cette présentation en donnant mon point de vue… dix ans après sur l’Église. Ces feuillets

regroupent dans un même ensemble les deux entretiens. Ils sont précédés d’un « Prélude » de

Joseph Moingt qui a travaillé avec Michel Jondot et moi-même pendant les 12 ans où nous étions

en paroisse.

Christine Fontaine

Photo de couverture « Chemin de Croix » de Dominique Penloup

5

Prélude Joseph Moingt

Si fort que la théologie m’intéressât au temps où je l’étudiais (à supposer que j’aie cessé de le

faire), je n’envisageais pas d’y faire carrière, je ne me suis pas proposé pour l’exercer. Un jour,

tout à la fin de ce qu’on n’appelait pas encore le “second cycle” des études ecclésiastiques, mon

supérieur provincial jésuite me convoqua pour m’annoncer qu’il me destinait à être professeur

dans notre faculté (on disait alors “scolasticat”) de théologie, et il le fit à peu près en ces termes :

“Il n’y a pas là de quoi vous affoler ni vous flatter : tout ce qu’on vous demandera, c’est de répéter

l’enseignement de l’Église.” Comme les presbytres des premiers siècles, qui n’étaient pas tournés

vers l’autel mais vers le peuple, le théologien était censé se tenir entre le Magistère de l’Église et

ses futurs ministres, qui répéteraient plus tard aux fidèles ce qu’ils auraient appris, pour leur

transmettre les vérités de l’Écriture et de la Tradition telles qu’elles avaient été interprétées,

énoncées et fixées par le Magistère au cours des siècles. Ce que je fis (à ma manière !) durant de

longues années où je n’avais pas l’audace de me considérer comme un théologien qui expose sa

propre pensée, mais comme celui qui enseigne ce qu’il tient d’une source autorisée.

Mais un temps vint où le théologien changea de place et de posture, c’était à peu près à l’époque

où Michel me fit venir à Sainte-Bathilde 2 : il ne restait plus cantonné dans un séminaire à

enseigner à des clercs, il allait en paroisse, pas seulement parler, mais aussi écouter les fidèles,

les interroger, et il se retournait vers la hiérarchie de l’Église, non bien sûr pour l’enseigner, mais

pour lui faire connaître la pensée du peuple chrétien, ses sentiments, ses interrogations, ses

souhaits, et même ses doléances sur des questions relevant de la vie de l’Église, des pratiques

liturgiques, des règles de morale et aussi du dogme, – il se faisait le porte-parole du peuple

chrétien, il prêtait sa voix (ou sa plume) à ce qui commençait à devenir une “opinion publique”

de catholiques français. Oserai-je dire que les (des) théologiens commençaient à se “séculariser”,

à se “laïciser” ? Ils quittaient l’enceinte sacrée, ils n’enseignaient plus exclusivement la “doctrine

sacrée” à un auditoire présélectionné, ils n’enseignaient même plus vraiment là où ils allaient en

mission, mais ils se prêtaient aux questions d’un public laïc, majoritairement croyant mais

pourtant rétif aux arguments d’autorité, parfois agressif, et ces théologiens acceptaient de se

2 Saint Bathilde est une paroisse du diocèse de Nanterre (Hauts-de-Seine). Située sur Chatenay-Malabry, son territoire regroupe pour partie les communes de Sceaux, Chatenay-Malabry, Fontenay-aux-Roses et Le plessis-Robinson.

6

remettre en question,– eux-mêmes et la façon d’exercer leur charge, et la source et l’étendue de

leur autorité, et même la doctrine qu’ils colportaient,– ils entraient en dialogue et en recherche

sur bien d’autres sujets, étrangers à leur “profession”, qui émanaient de la vie dans le “siècle” et

de la marche du siècle.

Je fis à Sainte-Bathilde, bien que je n’y fus pas appelé pour les besoins du culte, l’expérience

heureuse de célébrations sacramentelles dont le sens pour la foi et pour l’expérience humaine

s’exprimait d’autant mieux qu’elles faisaient une large part à la parole et facilitaient la circulation

de l’Évangile, lu et expliqué par le célébrant, dans la communication croyante et fraternelle qui

s’établissait entre les participants, à quelque degré qu’ils fussent impliqués dans la cérémonie.

J’y fis une autre expérience, innovante et insolite, rafraîchissante, celle d’une jeune femme,

dûment mandatée par son évêque pour cela, d’ailleurs théologienne diplômée, qui, en alternance

avec le prêtre, lisait les textes des messes dominicales et prononçait l’homélie. Que quelqu’un,

homme ou femme, soit habilité, sans être prêtre, à prendre la parole dans l’assemblée

chrétienne, cela n’infirme pas la thèse que le prêtre est essentiellement l’homme de la parole,

cela prouve seulement, mais c’est capital, qu’il n’en a pas le monopole.

On aurait pu le savoir depuis longtemps, étant donné que les communautés des temps

apostoliques, qui avaient des présidents mais pas de prêtres, abondaient en ministres de la

parole, par exemple d’une parole inspirée par l’Esprit (on les appelait “prophètes”) ou mandatée

par la communauté (on les appelait “docteurs”). La parole fut retirée aux laïcs quand fut instituée

la distinction des clercs ordonnés et des laïcs ; longtemps ils ne parurent pas en souffrir, car la

plupart étaient illettrés, ce qui permettait de les traiter en personnes “mineures” ; il n’en va plus

de même aujourd’hui où presque tous les fidèles sont instruits en quelque domaine et à quelque

degré, voire à très haut degré, où beaucoup aspirent à être traités en chrétiens “majeurs”,

responsables de leur foi et de leur vivre en Église, où plusieurs sont familiers des Écritures et très

capables de discuter de sujets de foi, où quelques-uns et quelques-unes ont même fait des études

théologiques certifiées par des grades “canoniques” : rien n’empêcherait donc que l’exercice de

la parole au sein de la communauté soit rendu aux laïcs, sans que le ministère du prêtre en soit

diminué ni dévalorisé, et rien ne serait plus profitable à la vie de l’Église, car la foi est d’autant

plus vivante et dynamique qu’elle est “confessée” par le partage et la communication de la parole.

Admettons cependant que la reconnaissance aux fidèles du droit à une parole responsable

modifierait profondément l’exercice du ministère presbytéral et le paysage de l’Église. En vertu

du principe, posé plus haut, que le prêtre est avant tout l’homme de la parole, un partage de

celle-ci entraînerait un partage, non une amputation, mais une répartition de ses prérogatives et

responsabilités entre plusieurs autres personnes, et ce qui était considéré naguère comme sa

propriété exclusive pourrait être délégué ou exercé de façon collégiale : ainsi pour l’organisation

de la catéchèse des enfants. On pouvait aussi confier à des laïcs certaines fonctions liturgiques,

par exemple la proclamation de la parole de Dieu à la messe, ou la distribution de la communion.

7

Dans le cas de ministères sacramentels complexes ou accordant la plus large part à la relation de

parole, par exemple quand il s’agit de la préparation d’un adulte au baptême ou d’un malade à la

réconciliation avec Dieu, il était envisageable de conférer au laïc chargé de cette préparation une

participation, sous une forme appropriée, à l’acte sacramentel qui en est la conclusion.

Oui, bien des choses étaient envisageables dès lors que le droit à la parole dans l’Église serait

reconnu aux laïcs. L’une ou l’autre de celles que je viens d’évoquer a pu se pratiquer, à l’époque

où j’évoluais à Sainte-Bathilde, là-même et en d’autres lieux, mais cela provoquait des remous, et

de hauts-responsables s’en inquiétaient : l’image du prêtre était brouillée aux yeux du public, le

prêtre perdait la conscience de son identité, puisque des laïcs se mettaient à faire ce qui était

censé relever du seul pouvoir sacerdotal,– où tout cela conduirait-il ? On voyait se profiler, au

terme, la prise du pouvoir par les laïcs, la revendication de l’ordination par des hommes mariés,

et même par des femmes, quelle horreur ! La hiérarchie de l’Église ne tarda pas à y mettre bon

“ordre” : on revenait de loin.

Quel rapport entre le partage de parole qui se fait à l’intérieur de la communauté chrétienne et

la mission dans le monde ? Ce rapport tient au changement que ce partage opère dans

l’atmosphère de la vie en Église et dans son visage public. Les fidèles qui venaient à la messe se

saluaient et se parlaient, pareillement en sortant ; souvent l’entretien commencé au-dehors se

poursuivait quelque temps au-dedans, et ce qu’on avait entendu ou dit à l’intérieur se prolongeait

à l’extérieur ; il n’y avait pas de coupure entre la vie qu’on avait menée et qu’on allait reprendre

et ce qui se passait et se disait dans le lieu et le temps de la célébration, où la “prière universelle”,

d’ordinaire composée par des laïcs, mêlait à l’action eucharistique les soucis des uns et des autres,

les intentions de la communauté, la vie de la cité, les grandes affaires du monde. Le rendez-vous

dominical était un temps heureux de ressourcement individuel et de fraternité, temps

d’humanisation où chacun partageait la vie des autres. L’Église offrait au monde un visage

humain, et la rumeur d’Évangile qui prenait naissance en elle allait se répandant dans le monde

environnant. Ainsi lit-on dans les Actes des Apôtres que la parole de Dieu, l’Évangile de Jésus,

indépendamment même des discours et des missions des apôtres, croissait et se répandait tout

à l’entour des communautés et de ville en ville, comme se propage une bonne nouvelle : le

royaume de Dieu s’approchait sous le visage d’une humanité réconciliée.

Si j’ai participé à la vie de cette paroisse, indépendamment de la forte et amicale pression de

Michel et de Christine, c’est - sous l’impulsion de Vatican II et sans doute aussi de l’air du temps -

pour la même raison que l’ont fait, au même moment, de nombreux collègues théologiens qui

ont éprouvé le besoin, comme je l’ai dit, de changer de place et de posture. Les théologiens, pour

la plupart, menaient alors une vie recluse, vouée principalement à l’étude, entre enseignants et

séminaristes, et c’était surtout vrai pour les religieux qui n’avaient pas d’attaches diocésaines. Il

y avait encore, mais pas pour longtemps, assez de prêtres pour que les théologiens ne soient pas

surchargés de tâches pastorales, comme c’est le cas depuis de nombreuses années, et les religieux

n’étaient guère appelés en paroisse que pour des besoins spécifiques (prédications, retraites,

8

confessions), des temps brefs et sans revenir au même lieu de façon habituelle. Si donc je voulais

me rendre compte de ce qui se passait dans l’Église, de l’attitude des fidèles, des pratiques

pastorales, des mutations en cours, de l’évolution des mentalités religieuses, il n’y avait pas de

meilleur observatoire qu’un séjour habituel et de longue durée en paroisse. À plus forte raison, si

je voulais quitter ma chaire doctorale, de temps à autre, pour regarder, écouter, sentir le nouveau

cours des choses, des opinions, des sentiments et comportements, dans les milieux chrétiens et

dans la société civile, pour me changer moi-même, mes idées, ma manière de penser et

d’enseigner, peut-être même de croire, mon regard sur l’Église et sur le monde, bref, pour me

situer autrement, j’avais besoin de changer de lieu et d’entourage. Voilà pourquoi j’ai acquiescé

à la demande de Michel Jondot et de Christine Fontaine, à l’appel de Sainte-Bathilde, d’un lieu

qui promettait d’être lieu d’expérimentations.

Je n’ai pas l’intention de m’étendre sur ce que j’y ai fait. En toute sincérité, ma mémoire infidèle

ne me rappelle rien de saillant en ce qui concerne mes activités, et je n’ai pas souvenir d’y avoir

fait grand-chose, hormis être là, mais y être intensément, tout à l’écoute de ce qui se disait et

se faisait, surtout de ce qui s’y cherchait, non en observateur inerte, mais en partenaire de ce

qui se disait, se faisait et se cherchait. Je n’étais pas requis pour le culte, mais j’ai assisté, plus

ou moins activement, à maintes célébrations, belles et stimulantes, et j’y ai prêché à l’occasion.

Ni requis à des fins d’enseignement, mais je donnais chaque année des conférences, suivies de

débats, parfois une série de plusieurs interventions sur un même sujet, généralement à la

jonction de la théologie et de la pastorale. J’ai assisté à maintes réunions de petits ou de grands

groupes adonnés à des activités spécifiques, sur la paroisse ou sur la ville, et j’y prenais la parole,

mais pas plus que d’autres et plutôt moins puisque je ne participais pas à ces activités sur le

terrain. Ma principale mission était de coopérer au “groupe de concertation” qui rassemblait

chaque mois une quinzaine de personnes, moitié hommes moitié femmes, pour autant que je

m’en souvienne ; sa fonction consistait à réfléchir aux orientations à donner aux divers

organismes qui fonctionnaient sur la paroisse et aux activités à programmer pour l’ensemble

de la vie paroissiale, puis à suivre la mise en œuvre des décisions prises, finalement à évaluer

les résultats. C’était donc là où se préparaient les évolutions et les expérimentations qu’on

voulait faire, et le fonctionnement de ce groupe était à lui seul l’innovation majeure de Sainte-

Bathilde, puisqu’il associait des laïcs et des femmes à la gestion de la paroisse et au pouvoir

décisionnaire de son curé. Mon rôle propre était celui d’un “expert” en théologie, il ne me

donnait aucun privilège de conseiller ni de décideur, il m’intégrait simplement à la paroisse en

tant que solidaire de ceux qui travaillaient à son service. C’était donc une place idéale pour

observer et apprécier les évolutions des mentalités des fidèles sous la mouvance du récent

Concile et les mutations en cours dans le positionnement d’une communauté chrétienne vis-à-

vis de la hiérarchie catholique et de la société civile.

Je ne chercherai pas – je n’y parviendrai d’ailleurs pas – à décrire le travail qui se fit sur la paroisse

durant la douzaine d’années – la durée de la charge curiale de Michel – où je la fréquentais

9

régulièrement. Je dirai seulement les leçons majeures que j’en ai tirées quant à la vie de l’Église

en France.

La première, c’est que les chrétiens du XXe siècle, du moins la plupart d’entre eux, avaient la

même mentalité de fond que leurs contemporains non croyants, celle qu’on accole couramment

au terme de “modernité” : il se considéraient comme des personnes majeures, ils osaient penser

par eux-mêmes, y compris leur foi, ils se voulaient responsables de leur vie, y compris de leur vie

chrétienne, et de leur vie en Église, ils entendaient être traités en tant que tels, et non plus comme

des brebis conduites par leurs pasteurs selon l’imagerie tant aimée de nos évêques.

Il s’ensuivait que le rapport clercs-laïcs ne pouvait plus être ce qu’il était depuis tant de siècles,

c’est-à-dire essentiellement inégalitaire. Ce changement d’état d’esprit ne mettait pas

directement en cause la constitution hiérarchique que l’Église croit tenir de droit divin, mais

tendait à modifier en profondeur son exercice, sous peine que les fidèles d’aujourd’hui ne fassent

ce qu’avaient fait tant de chrétiens depuis le temps des Lumières, et de plus belle dans les temps

présents : qu’ils quittent l’Église. Les évêques devaient en prendre acte.

La volonté des chrétiens de prendre en charge leur vie chrétienne et ecclésiale impliquait le droit

à prendre la parole dans l’Église, et une parole responsable, c’est-à-dire habilitée à discuter et à

décider de leur manière de confesser leur foi et de vivre et agir en Église, non à eux seuls, mais

en accord fraternel avec l’autorité épiscopale. Ce n’était là ni prise de pouvoir ni insurrection,

mais demande de reconnaissance de la liberté du peuple chrétien, si bien attestée par le Nouveau

Testament, et revendication d’une dose minimale de démocratie, sans laquelle le témoignage de

la foi manquait totalement de crédibilité dans le monde moderne. L’avenir de l’Église et de sa

place dans le monde était en jeu dans cette prise de conscience des fidèles laïcs.

Ces fidèles n’entendaient pas confiner leur foi dans la vie spirituelle et ecclésiale, ni se constituer

en communautés fermées, ils se voulaient pleinement citoyens de la société civile et du monde,

ils considéraient de leur devoir de chrétiens de s’occuper des tâches de la cité séculière, de

prendre en charge l’environnement social, de prendre des décisions politiques, de prendre parti

dans les débats de société sur des questions éthiques, et ils entendaient le faire sous leur propre

responsabilité et non sous l’injonction, le mandat et le contrôle de l’autorité ecclésiastique. Mais

cela brouillait les frontières du spirituel et du temporel, les évêques sentaient les fidèles échapper

à leur tutelle dans le domaine séculier et diminuer d’autant leur pouvoir d’intervention dans les

affaires de l’État et de la société.

La nouvelle ecclésialité qui s’élaborait à Sainte-Bathilde ne passait pas inaperçue, on s’en doute,

et causait des remous, on s’en doute également. Des chrétiens de la paroisse n’étaient pas

d’accord avec ces innovations et la quittaient pour chercher refuge ailleurs, plus ou moins

bruyamment ; inversement, des fidèles d’autres lieux accouraient chez nous, ce qui tendait les

rapports entre paroisses voisines. L’évêque, bien sûr, était au courant. ; il avait lui-même, dès le

10

début, autorisé sinon encouragé plusieurs choses, il en tolérait d’autres avec une bienveillance

qui ne se démentit pas. Mais il mourut. Son successeur ne partageait pas ses vues : quand la

charge de curé de Michel vint à terme, ce qui entraînait son départ, il ne voulut pas reconduire le

“groupe de concertation” dans ses fonctions ni prolonger certaines expérimentations que nous

avions faites, notamment dans le domaine catéchétique et liturgique. Il nous en donna deux

raisons : d’une part, le petit nombre de prêtres et leur nécessaire déplacement d’un lieu dans un

autre ne permettait plus de laisser s’instaurer des pratiques pastorales trop différentes ici et là ;

d’autre part, le prêtre n’avait pas d’autre pouvoir que celui du Christ et ne pouvait donc pas en

disposer à son gré ni le partager avec des laïcs, le pouvoir décisionnaire devait lui être réservé.

Ce fut la fin de l’expérience de Sainte-Bathilde et la fin de mon unique insertion de longue durée

en paroisse.

Aujourd’hui l’urgence est d’aider l’Église à aborder des temps radicalement nouveaux, ce qu’elle

ne fera pas sans accepter pour elle-même des changements radicaux, sous peine de perdre

encore davantage de fidèles et de renoncer à annoncer l’Évangile à ce monde nouveau. Nous

savons que de toute façon, si unie qu’elle se veuille dans l’unité de la foi et de la charité, elle sera

considérablement diminuée et dispersée : c’est sous cet angle qu’elle doit envisager son avenir,

comme un retour, non au passé, mais à l’origine, seule capable de lui redonner vie, “autrement”,

mais dans la petitesse et l’audace qu’elle reçut en dot.

Joseph Moingt

11

Entretien avec Christine Fontaine

L’enfance et les année de formation

1948 à 1974

Peux-tu nous parler de ton enfance ?

Je suis née en 1948, à Paris J'ai vécu jusqu'à l'âge de 26 ans dans un quartier qui était très populaire à l'époque : le 19ème arrondissement, du côté des Buttes Chaumont. J'avais un grand frère que j'admirais beaucoup, de 11 ans plus âgé que moi. Mes parents étaient d'un milieu très simple : mon père était représentant de commerce et ma mère a repris le travail quand j'avais 10 ans. Elle a gravi, progressivement, des échelons dans une banque. Ils étaient pleins d'humanité. J'ai été une petite fille heureuse et aimée, simplement aimée. Quant à l'Église, je n'en avais pas entendu parler avant que ma mère ne veuille m'inscrire au catéchisme, bien que j'aie été baptisée à un an.

Ma mère s'est donc présentée à un prêtre pour m'inscrire au catéchisme. Elle se heurte à un refus très net. En effet le prêtre qu'elle rencontre est le même que celui qui avait fait le catéchisme à mon frère. Il se souvient que mon aîné avait cessé toute pratique religieuse après sa communion et déclare que ce n'est donc pas la peine de catéchiser les enfants d'une famille comme la mienne. Il ajoute : « d'ailleurs elle ne sait même pas ses prières ! » « Qu'à cela ne tienne, lui répond ma mère, dans huit jours elle les saura ! » Et voilà que ma mère - qui elle-même n'avait pas été catéchisée - se les procure auprès d'une de mes cousines et me les fait réciter tous les soirs. À la fin de la semaine, je les savais et j'ai pu briller devant le prêtre qui n'a pas osé me refuser une seconde fois.

Mes parents voulaient que leurs enfants aient « tout ce qu'il faut » ; le baptême et la communion en faisaient partie. Cependant l'un comme l'autre était hostile à l'Église. Ma mère, née en Italie vécut à Imola près de Bologne. Dans cette région on ne connaît pas de milieu : deux camps s'affrontent. Les partisans du curé se heurtent aux anticléricaux dont ma famille faisait partie. Quant à mon père, socialiste convaincu, il ne voyait dans l'Église qu'une grande institution au service du pouvoir et du monde bourgeois.

12

Voilà mes premiers pas dans « la religion » qui pour moi ne concernait que les enfants puisque tous les adultes qui étaient autour de moi n'étaient pas du tout pratiquants. On n'entrait dans une église que pour les baptêmes, les premières communions, les mariages et les enterrements. On ne parlait pas de Dieu à la maison, jamais. Je n'ai jamais entendu le nom de Dieu sur les lèvres de ma mère avant ses tout derniers jours lorsqu'elle nous a dit : « Je suis prête, si le Bon Dieu veut bien me prendre et s'il trouve que je n'ai pas été trop méchante ! » Ce jour-là j'ai découvert qu'elle était croyante.

Qu'en a-t-il été de ta première vision de l'Église ?

Je me rends compte aujourd'hui que j'ai eu beaucoup de chance. Le Père Daniel Pézeril 3était le curé de ma paroisse – Saint François d’Assise - et il l’a marquée profondément d'un esprit de liberté chrétienne. C'était juste avant le Concile, mais les messes pour enfants étaient déjà en français ; une laïque - Françoise Destang - nous faisait le catéchisme à une époque où les prêtres avaient tout en mains. Je n'ai, en fait, jamais connu l'Église préconciliaire. Ce qui ne m'a pas empêchée de lâcher toute pratique religieuse, comme le curé l'avait prédit, dès le lendemain de ma profession de foi, pendant environ deux ans.

Comment es-tu devenue ou redevenue croyante ?

Je ne sais pas. Je pourrais évoquer un professeur de latin que j'ai vu rentrer dans l'église à l'heure de la messe. J'en ai été « sidérée » : pour la première fois je voyais un adulte que je connaissais pratiquer sa religion. Ainsi la foi n'était pas seulement une affaire d'enfants ! Mais ce n'est pas suffisant. Aucune raison ne peut expliquer cette sorte de fascination pour Dieu et l'Église qui m'a saisie. C'était peut-être aussi une manière de passer ma crise d'adolescence... mais pas seulement. Mes parents et mon frère, en tout cas, ont fortement réagi, me déclarant, tout au long de ma jeunesse, que j'étais en train de me faire « aliéner par les curés » et que je collaborais ainsi à un ordre social injuste. Pour moi, ce qui m'intéressait c'était Dieu, et c'était d'un autre ordre, bien que je puisse comprendre les critiques de ma famille.

Un jour tu as décidé de consacrer ta vie à Dieu par l'Église tout en demeurant laïque. Comment en es-tu arrivée là ?

Pour le comprendre il faut se souvenir d'où je viens ; je ne connaissais vraiment rien des institutions de l'Église. J'ai fait partie de groupes de jeunes chrétiens, par la suite j'en ai animés, toujours dans le cadre paroissial. On m'avait dit, et je le croyais, que c'est par le baptême qu'on était agrégé à Jésus-Christ, qu'on faisait corps avec Lui. On m'avait même précisé, et je le croyais, que par le baptême on devient « membre de Jésus-Christ, prêtre prophète et roi ». J'ai eu des

3 Monseigneur Daniel Pézeril (1911-1998) avant d’être évêque auxiliaire de Paris, occupa plusieurs postes dont celui de curé de Saint François d’Assise de 1952 à 1960. Pendant la guerre, il réalisa plus de 1.000 faux certificats de baptême délivrés aux juifs, prisonniers évadés, personnes en situation irrégulière…Il reçut en janvier 1996 la décoration de « juste parmi les nations » par l’institut Yad Vashem de Jérusalem. En 1964, Monseigneur Pézeril a participé avec le père Marie-Jean Mossand à la création du SITI, le service interdiocésain des travailles immigrés (source « Église catholique en France »).

13

amies qui, désirant Dieu, ont décidé de rentrer dans un ordre religieux. Je ne comprenais pas bien ce qu'elles cherchaient en faisant cette démarche. Je comprenais qu'on consacre toute sa vie à Dieu ; Il suffit pour rendre vraiment heureux. Mais je ne voyais pas pourquoi il aurait fallu, pour autant, entrer dans un ordre religieux. Ce pouvait être une possibilité parmi d'autres, en tout cas pas une obligation. Et c'était pour moi, de toute façon, une forme qui n'était pas meilleure qu'une autre et certainement pas un « plus ». Ou si c'était vécu comme un « plus » je n'en voulais surtout pas. Pour moi, le baptême suffisait. Et je le crois toujours aussi fermement. Ce baptême, on peut le vivre en créant une famille, en choisissant le célibat, en entrant dans un ordre religieux, en devenant prêtre, mais dans tous les cas pour moi il ne peut pas y avoir plus que le baptême qui nous fait tous ensemble membres de Jésus-Christ à part entière. Je ne désirais rien d'autre que d'être Christine... sans plus... et la sœur d'autres baptisés qui avaient comme moi reçu un prénom à leur baptême. Je parle au passé mais pour moi cette conviction demeure.

Tu as cependant consacré bien des années de ta vie à acquérir une compétence pour te mettre au service de l'Église. Le baptême ne suffisait-il pas ?

Il suffit ! J'ai même découvert qu'être baptisé c'est faire vœu de pauvreté, autrement dit la désirer comme le plus grand des bienfaits. À cela tous les baptisés sont appelés : la chasteté et l'obéissance pour moi en font partie. La pauvreté c'est pour moi la grande subversion du christianisme, son grand message, son seul message ! La pauvreté chrétienne n'est pas d'abord une affaire d'argent, c'est une affaire de liberté. Nos possessions, notre goût du pouvoir, de l'argent nous aliènent et nous empêchent de vivre. Quand Jésus-Christ dit : « Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau » (Mt 11,28) c'est de ce fardeau des richesses qu'il parle. Mais... il faut les ressentir comme un fardeau pour Le suivre. Seule la pauvreté, et d'abord le fait d'être pauvre de soi-même, permet de recevoir Dieu là où Il se donne c'est à dire sur la Croix ! Il serait fou de l'épouser si elle n'était la source de la Vie. Je disais que la chasteté fait partie pour moi de la pauvreté, mais elle n'est pas réservée à ceux qui choisissent le célibat. La chasteté c'est, pour moi, une manière de recevoir l'autre jusque dans son corps sans chercher à le posséder. Elle peut se vivre dans le célibat et se traduire en simples relations d'amitié. Et c'est ce que j'ai choisi. Elle peut se vivre aussi dans un couple... mais comme dit saint Paul... c'est une voie plus difficile ! Pour ma part, je veux bien le croire mais c'est aux personnes qui en ont l'expérience de le dire. Quant à l'obéissance, c'est pour moi l'écoute de Dieu par l'autre qui permet d'être libéré du « moi-tout-seul ». Pour bien fonctionner, il me semble qu'elle doit être mutuelle. J'imagine un moine qui devient supérieur d'un monastère et qui prend conscience que désormais sa parole peut être pour ses frères parole de Dieu ; à quelle écoute des autres moines ne doit-il pas se sentir appelé ! Il me semble que l'obéissance nous invite tous à vivre dans cette ouverture.

Pourquoi as-tu fait des études de théologie et les as-tu faites si poussées ? Car il me semble que pendant au moins quatre ans de ta vie tu as préparé une thèse de théologie même si tu ne l'as pas fait aboutir ?

Avant d'entreprendre des études de théologie, j'avais acquis une licence de philosophie à la Sorbonne... J'y étais étudiante... en mai 68 ! Je cherchais si l'on pouvait prouver l'existence de

14

Dieu ! J'ai découvert que non, même si l'intelligence humaine doit s'efforcer de rendre compte de cette Vie cachée qui innerve l'humanité. Pour en venir à la théologie, j'avais le désir de me mettre au service de l'Église et je pensais que, comme pour tout autre métier, il fallait acquérir une compétence. Si j'ai poursuivi si longtemps ces études de théologie - tout en travaillant en paroisse - c'est toujours à cause de mon désir d'obéissance, c'est à dire d'écoute de l'autre. En effet, j'ai découvert que la pensée contemporaine était profondément marquée par un bouleversement initié par Marx, Freud, Nietzche, Lacan pour faire bref. Ce bouleversement ne touche pas seulement des intellectuels mais il fait partie du corps social que nous formons. Nous baignons tous dedans. Or ce sont des philosophies qui dénoncent Dieu comme aliénant. On peut toujours croire, comme au temps de Galilée, que la terre ne tourne pas autour du soleil... mais un jour on se rend compte que... « et pourtant elle tourne ! » On a toujours intérêt à écouter ce que disent les autres, non pour les suivre nécessairement, mais pour intégrer leurs critiques et se situer par rapport à elles à nouveaux frais et non en répétant une pensée qui ne fonctionne plus auprès de nos contemporains. La théologie aussi c'est décapant et donc... libérateur !

Mais je voulais, comme je l'ai dit, être au service de l'Église. À la fin d'un premier cycle d'études, je suis allée proposer simplement mes services aux évêques de la région parisienne, après m'être fait introduire par un prêtre qui, bien sûr, me connaissait.

Comment ces rencontres se sont-elles passées et à quoi ont-elles abouti ?

Elles ont abouti à... ce que je fasse une double otite et que je devienne presque sourde pendant quelques semaines ! Jusqu'à ce que je rencontre l'évêque de Nanterre qui était, à ce moment-là, Monseigneur Delarue. J'ai rencontré, par exemple, un évêque de la région parisienne, qui m'a reçu très cordialement dans son salon et qui m'a invitée à prendre le thé avec lui. Lorsque je lui ai proposé mes services, il m'a très courtoisement éconduite en me déclarant que ce n'était pas possible parce que je n'étais pas du même milieu social que les chrétiens de son diocèse. Comme il ne m'a pas demandé quelles étaient mes origines, je n'ai pas pu me situer. Je me suis contenté de répondre : « Mais les prêtres que vous avez sont-ils tous de ce même milieu ? » Et il m'a simplement répondu : « Non bien sûr, mais eux ils ont la grâce ! ».

J'en viens à Monseigneur Delarue qui a eu une toute autre réaction. Il m'a orientée vers une paroisse, à Chatenay-Malabry, où il venait de nommer un jeune curé, me précisant : « Je pense qu'intellectuellement vous vous entendrez bien. » Et ce fut vrai. Je dois rendre hommage à Monseigneur Delarue qui m'a toujours soutenue.

15

Permanente laïque dans une paroisse

1974 - 1986

Comment s'est passée ton arrivée dans cette paroisse ?

Pendant mes études à l'Institut Catholique, des amis séminaristes aux Carmes m'avaient ouverte à d'autres formes de vie en Église que la paroisse. Nous étions en pleine ébullition et nous rêvions tous de petites communautés, plus ou moins informelles, pensant que l'avenir de l'Église passait par là. D'autres formes à inventer me paraissaient possibles. Donc je n'avais rien à perdre et j'ai parlé au Curé - Michel Jondot 4- librement. Je lui ai dit : « Ce n'est pas parce que je suis une femme que je viens pour vous faire la vaisselle ni vous décharger de ce que vous n'avez pas envie de faire. » Il aurait pu m'envoyer promener. Coup de chance : au contraire mon attitude lui a plu. Ainsi a commencé une collaboration où on regardait ensemble ce qu'on pouvait faire.

Je peux ajouter que, lorsque je suis arrivée, il y avait aussi deux jeunes prêtres à temps partiel, Philippe et Manuel. Dès la première réunion que nous avons eue ensemble, Michel nous a dit : « Il faut d'abord se demander qui a le pouvoir ». Nous ne nous attendions pas du tout à cette question d'entrée de jeu. Unanimement nous lui avons répondu : « Mais c'est toi !» Nous manquions tous, autant les uns que les autres, d'expérience et nous ne voyions pas bien ce que nous aurions pu faire de ce pouvoir. Michel venait de soutenir une thèse de théologie sur Bernanos, il avait auparavant été en paroisse, puis professeur de théologie à Morsang et à Issy les Moulineaux ainsi qu'aumônier de lycée.

Nous avons découvert très vite que Michel ne gardait ce pouvoir que pour le donner... précisément à ceux qui ne cherchaient pas à le posséder ! C'est ainsi que j'ai appris combien il est profitable à tous qu'aient un réel pouvoir ceux dont le but est de veiller à ce que chacun puisse développer ses propres capacités. Selon moi, bien plus important que le fait d’être prêtre ou laïc, il serait indispensable de confier une « charge d’Église » à ceux qui luttent - et c'est un combat de chaque jour - pour que personne ne prenne le pouvoir sur les autres. À mon avis, c'est à cela que doit veiller tout baptisé exerçant une responsabilité ecclésiale. En tout cas c'est ce qui a permis à cette communauté de grandir dans un esprit de réelle fraternité.

4 Michel Jondot est décédé le 7 juin 2019. Mais le travail amorcé avec lui continue.

16

Combien de temps es-tu restée dans cette paroisse et que s'y est-il passé ? Je présume que ta présence a dû en choquer plus d'un...

J'y suis restée douze ans, de 1974 à 1986, jusqu'à la fin du mandat de Michel où tout s'est compliqué. Dès le début, Michel cherchant à voir ce que je pouvais faire en fonction de ma formation m'avait demandé si je pourrais prêcher. Il est vrai que j'en avais la formation et je lui ai répondu : « pourquoi pas ! ». J'ai prêché pendant douze ans, en alternance avec lui ; les autres prêtres étant étudiants donc très absents. Ma présence dans la liturgie en a séduit beaucoup et scandalisé d'autres. Monseigneur Delarue venu en visite pastorale a bien aidé. À une question qui lui fut posée sur le fait que je prêchais, il a répondu : « Elle est plus compétente que beaucoup de prêtres donc il n'y a aucune raison qu'elle ne le fasse pas. » C'est la compétence et non la condition institutionnelle qui, à ses yeux, étaient dirimante. Bien des craintes se sont apaisées ainsi.

Cette fonction a déclenché, sans qu'on l'ait cherché, une créativité esthétique assez séduisante. Des musiciens composaient des chants, musique et paroles ; des artistes donnaient de la beauté au cadre liturgique. Les gestuels des enfants, lors des eucharisties, étaient une sorte de chorégraphie. Beauté et liturgie ne faisaient qu'un. J’aimerais préciser que je n’étais pas la seule femme à exercer cette fonction dans les années qui vont de 1965 à 1995 environ. Trente ans de la vie de l’Église qui semblent totalement oubliées aujourd’hui… au point que l’évêque d’Oran dise en 2020 qu’il rêve d’une Église où des laïcs – hommes et femmes – pourraient prêcher aux messes dominicales. Françoise Destang, pour ne citer qu’elle, a prêché avec l’accord de l’archevêque de Paris, successivement dans les paroisses Saint Jacques du Haut Pas, Notre Dame de la Gare et Saint Marcel. Sa prédication, pas plus que la mienne, n’a jamais suscité de contestation particulière chez les chrétiens de ces communautés. Certes le nouveau Code de Droit Canon l’a interdit en 1982. Cette prise de position est significative de la volonté de la Curie romaine. Mais rien n’empêchait les évêques de considérer que « le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » (Mc 2,27). Ont-ils manqué de courage ? À moins qu’ils n’aient simplement pas eu le désir que des laïcs occupent cette fonction…

Mais ma vie ne consistait pas seulement à prêcher le dimanche. Je partageais la responsabilité de la paroisse avec Michel, nous prenions ensemble toutes les décisions. Nous avons fait appel à Joseph Moingt pour nous aider à voir dans quel sens aller. Joseph a travaillé avec nous fidèlement pendant ces douze années. Il est venu participer à notre recherche à peu près tous les quinze jours. Je dis « notre » recherche mais il ne s'agit pas de Michel et de moi seulement. Après un passage à vide, où un certain nombre de chrétiens sont allés dans d'autres paroisses, les énergies de beaucoup se sont décuplées. Ils découvraient qu'ils pouvaient être réellement acteurs de la vie de l'Église. Ils faisaient l’expérience que, dans une paroisse, on pouvait vivre avec des personnes très différentes et ne pas occulter les questions réelles. Je me souviens, par exemple, du jour où des chrétiens engagés dans des partis politiques opposés se sont exprimés devant tous. Nous avons appris ainsi qu'il est bon de parler vrai et de ne pas chercher à tout prix à éviter les conflits ni les questions qui risquent de fâcher. En ce qui concerne la vie interne de l’Église, c’est un laïc – ancien de HEC – qui suscita une réflexion sur la circulation de l’argent au sein de la paroisse. Comme plusieurs autres, il estimait que les sacrements – signes de la gratuité du don de Dieu à l’égard de l’humanité – ne devaient pas être payants. Il pensait aussi que c’est aux croyants

17

d’assumer la vie matérielle de leur communauté et qu’il ne faut pas imposer de tarif pour un enterrement, un mariage ou une inscription au catéchisme à des personnes très étrangères à la vie de l’Église. Sa réflexion – celle d’un laïc - a infléchi toute la « politique financière » de la paroisse.

Progressivement, avec un nombre de plus en plus grand de chrétiens, nous avons fait des choix. Nous les avons faits ensemble. Nous avons vu qu'il fait bon vivre dans l'Église lorsque le pouvoir y est partagé. Ces responsabilités partagées n'étaient pas la reproduction d'un modèle qui venait d'en haut et qu'il fallait mettre en place. C’était le fruit d'une invention commune et d'un commun désir de fidélité. Cela n'a pas été sans conflit donc sans douleur. Mais nous avons appris qu'à vouloir rejoindre tout le monde on tient des discours insipides qui ne rejoignent plus personne.

Dans une paroisse, on rencontre si j'ose dire « le tout-venant », des personnes qui viennent pour un mariage, un décès, un baptême ou une inscription au catéchisme. Ils ne devaient pas être préparés à trouver ce visage de l'Église...

Nous n'avons eu vraiment aucun problème de ce côté-là. Mais il est vrai que nous veillions à ne pas leur faire perdre leurs repères. Par exemple, à une époque où la profession de foi était supprimée en bien des lieux, nous l'avons conservée. Nous n'avons jamais non plus fait célébrer un enterrement par des laïcs ; il nous semblait qu’il était insécurisant pour des personnes très en marge de l’Église de ne pas trouver un prêtre pour célébrer les obsèques de leur proche.

Le plus grand nombre de « catholiques marginaux » - comme beaucoup de parents d’enfants inscrits au catéchisme - était séduit par l'esprit de fraternité et de joie qu'ils trouvaient. Nous avions inventé une catéchèse, très vivante certes, mais exigeante où les parents étaient concernés. La joie des enfants dans la liturgie, par exemple, les séduisait. Nous avons eu des difficultés avec les chrétiens pratiquants qui avaient connu un autre style de paroisse. Les uns sont partis, d'autres sont restés. Nous n'avons jamais vu partir quelqu'un sans tristesse souhaitant qu'il trouve un autre lieu d'Église qui lui convienne mieux.

En fait, il semble que tout se soit compliqué à la fin du mandat de Michel. Peux-tu nous dire ce qui s'est passé ?

Des signes avant-coureurs avaient eu lieu depuis la mort de Monseigneur Delarue. Ils n’étaient pas tous liés à ma présence mais à une reprise en main générale de la part de la hiérarchie. Une première semonce nous fut adressée par le vicaire épiscopal (représentant de l’évêque) chargé du secteur. Un des paroissiens lui avait dit : « Le doyenné 5 peut mourir, cela n’ébranlera pas ma foi. » Ce vicaire épiscopal n’avait, nous dit-il, jamais rien entendu d’aussi scandaleux et il nous demandait de rappeler à l’ordre les paroissiens. Cette réaction nous laissa quand même quelque peu ahuris… Dans le même esprit, le doyen lui-même vint nous dire que désormais les consignes

5 Un diocèse est structuré en doyennés, chacun regroupant plusieurs paroisses d’un même secteur géographique.

18

pour la vie des paroisses étaient données par l’évêché dont il était le relais et que, si nous ne suivions pas ses consignes, nous allions mourir.

Dans un autre domaine – celui de la catéchèse – nous vint le délégué diocésain qui nous intima l’ordre de recourir aux seuls parcours diocésains pour le catéchisme. Les parcours officiels se résumaient souvent, à cette époque, à un vague moralisme où on disait aux enfants qu’être chrétien c’est être gentil avec son petit camarade. Nous avions élaboré des parcours qui transmettaient aux enfants, en même temps que la foi, une culture biblique et religieuse. Nous avions demandé à Nicole Royer, une mère de famille, de suivre la formation de l’Institut Supérieur de Pastorale Catéchétique (ISPC) et elle était salariée par la paroisse pour animer la catéchèse. Chaque année de catéchisme regroupait de 60 à 100 enfants qu’une équipe d’une cinquantaine d’animatrices accompagnaient. Cette catéchèse marchait très bien. Nous l’avons, bien sûr, fait remarquer au délégué de l’évêque qui d’ailleurs n’en doutait pas. Nous lui avons alors demandé :« Pourquoi supprimer ce qui marche ? Y as-tu décelé une hérésie ? Dans ce cas montre-là nous. » Et il nous répondit : « Je n’ai jamais dit qu’elle était hérétique mais elle ne fait pas partie des parcours officiels. » Nous n’avons évidemment pas cédé. Cependant tous ces facteurs révélaient la normalisation qui commençait et qui n’a jamais cessé de s’accentuer par la suite. Dans ce contexte, le fait que le nouvel évêque n’ait jamais cherché à me rencontrer nous laissait pressentir qu’il n’était pas favorable à ma présence.

Cependant la paroisse était de plus en plus vivante. Les jeunes y étaient nombreux. Nous avions organisé avec eux un voyage en Algérie. Nous en préparions un autre en Israël / Palestine. Des équipes d’adultes étaient déjà bien rôdées et pouvaient faire fonctionner la paroisse. Nous étions au travail pour envisager l'avenir après le départ de Michel. Nous pensions qu'il était possible de s'organiser en partageant le pouvoir entre un prêtre non permanent, un ancien issu de la communauté, et un permanent. Nous avions trouvé le prêtre qui, ayant vécu longtemps en Afrique ce partage des responsabilités, était intéressé pour l'expérimenter en France. Nous étions tous d'accord sur le nom de « l'ancien », un cadre arrivant à la retraite. On me demandait d'être la permanente qui reste environ deux ans pour rôder le système et pour passer la main ensuite à un (ou une autre) laïc. Bien sûr cela ne pouvait pas se faire sans l'accord de l'évêque et surtout sans son appui. Une équipe d'une vingtaine de personnes, dont Michel, Joseph Moingt et moi faisions partie, lui avons proposé ce schéma. Tout a été refusé sans discussions possibles. En même temps, nous avons pris conscience de ce que l'évêque n'osait pas dire mais à quoi il tenait avant tout : il ne voulait pas que se perpétue dans son diocèse une présence comme la mienne mais qui avait été mise en place par son prédécesseur et qui ne posait plus aucun problème depuis longtemps dans la paroisse.

Comment avez-vous pu gérer cette situation de crise ?

Tout est devenu fou. Toute la paroisse voulait que je reste. Ceux qui exerçaient des responsabilités ne pouvaient pas demeurer seuls. Les services rendus avaient besoin d'être articulés les uns sur les autres. L'ensemble des baptisés, de plus en plus nombreux, attendait que se poursuive ce qui les faisait vivre dans la foi. Les plus engagés me disaient : « Puisque l'évêque n'exprime pas clairement un refus de ta présence, reste avec nous. » Mais je savais que si je restais

19

ce serait sans aucun soutien de l'évêque et même avec son secret désir que cette « expérience » cesse au plus vite. Un groupe de pression d'anciens paroissiens, partis depuis longtemps, revenait à l'attaque ; ils m'avaient fait savoir que, dès le départ de Michel, ils feraient tout pour me faire partir. Nos « adversaires » ont été reçus et écoutés par l’évêché avec beaucoup de bienveillance, malgré un traditionalisme qui s'était exprimé pendant 12 ans de façon particulièrement rigide. Quand j’évoquais cette situation avec le vicaire général de l’époque (devenu évêque par la suite…) il me déclara : « Mais tu es là, Christine, pour faire la communion entre tous. » Ce à quoi je répondis : « Pardonne-moi, Francis, mais je ne sais pas faire la communion avec des gens qui vont revenir pour avoir ma peau ! » Et pour la première – et la seule fois – j’éclatais en sanglots dans son bureau.

La crise ressemblait à une descente aux enfers. Il fallait absolument que l’évêque se situe.

J’ai cru avoir un coup de génie, pour sortir de cette confusion, en écrivant à l’évêque. Je lui disais : « Il me semble que vous souhaitez mon départ, donc je vous propose ma démission. Si je me trompe, faites-le moi savoir et je resterai. » Mais je m’égarais ! Au lieu de me répondre par la poste ou de me fixer un rendez-vous, l’évêque me fit parvenir une lettre par l’un de ses délégués- qui par ailleurs était un ami. Je lus en sa présence : « Vous avez toujours très bien servi l’Église, Christine. Mais comme tout prêtre votre contrat s’achève au bout de 12 ans. » J’explose en disant que si j’étais prêtre pour eux, il aurait quand même fallu me le faire savoir avant et peut-être me demander mon avis ! Il me calme en disant qu’il avait bien dit à l’évêque que son argument ne porterait pas car je me voulais totalement laïque mais que tout était encore négociable. C’était la confusion totale !

Par ailleurs, on faisait pression sur nous pour que nous exercions un contre-pouvoir et que nous transformions la paroisse en communautés de base. Cette prise de pouvoir était le contraire de ce que nous avions désiré et vécu ensemble depuis le début. Michel était trop respectueux de ma liberté pour prendre une décision à ma place. Il m'a simplement conseillé de me fixer un délai pour dire oui ou non. Et le dernier jour de ce délai j'ai dit : « je ne peux pas rester ». Michel m'a alors déclaré : « C'est Daniel qu'on sort de la fosse aux lions ! »

20

Inventer une vie d’Église

1986 - 2020

Comment la paroisse, Michel et toi êtes-vous sortis de là ?

Michel a dit de son côté ce qu’il souhaitait en faire connaître. Il n’aurait pas aimé que je parle à sa place.

Les paroissiens n'ont pas compris le comportement de la hiérarchie. Pour eux, on était en train de leur tuer une communauté qui marchait depuis des années. Et ceci sans raisons. En tout cas, sans raisons compréhensibles pour eux. Quant à moi - je peux dire Michel et moi – nous avons redécouvert une autre forme de pauvreté : la croix… plantée au cœur même de l'Église… la croix, c’est-à-dire l’amour non seulement des amis mais aussi de l’ennemi.

La hiérarchie ne voulait pas de ma présence et moi je n’attendais plus rien d’elle. Je n’avais aucun

désir de me battre contre un mur. J’ai préféré me tourner vers des frères qui, eux, ne m’ont jamais

manqué. À commencer par Michel, mais pas seulement. Des chrétiens me demandaient de

continuer, par écrit, les prédications que je n’étais plus autorisée à faire oralement le dimanche.

J'ai choisi de répondre à leur demande. Une équipe s’est constituée pour diffuser ces textes et

quelques autres en particulier de Michel. Ainsi est née, l’association « Maintenant », devenue

« Dieu maintenant » en 2010. J’avais perdu mon emploi en démissionnant et je n'avais pas de

possibilité de revenus de ce côté-là mais j'avais du désir. Je me suis dit « Dieu pourvoira » et Il l'a

toujours fait. D'abord en m'envoyant quelques amis fidèles qui m'ont aidée ; ensuite, au décès de

mes parents, j'ai reçu un petit héritage qui me permet, aujourd'hui, de couvrir les frais courants.

Je n'ai jamais manqué de rien. La hiérarchie, quant à elle, ne s’est jamais souciée de ce que je

pouvais devenir ne serait-ce que matériellement… ceci dit en passant…

En un second temps, nous en sommes venus à travailler et diffuser – pendant sept ans – un

parcours œcuménique. Une équipe s’est constituée, composée d’un orthodoxe, Michel

Evdokimov – de trois protestants : Bertand Deluze (pasteur et ancien directeur du journal

« Réforme »), Daisy de Luze (son épouse et collaboratrice), Florence Taubmann (pasteur de l’ERF)

– de quatre catholiques : moi-même (coordinatrice et théologienne), Michel Jondot (prêtre et

théologien), Michel Poirier (ancien professeur de latin-grec en khâgne à Henri IV, traducteur et

collaborateur à « Sources chrétiennes »), Marie-Thérèse Poirier (son épouse et ancienne

21

professeure de lettres modernes). Nous avons publié quatre fois par an des articles donnant les

points de vue catholique, protestant et orthodoxe sur chaque chapitre du Catéchisme de l’Église

Catholique. Ce travail s’est accompagné d’une histoire de l’Église rédigée par Michel Poirier (elle

est actuellement en ligne sur le site « Dieu maintenant.com/Histoire de l’Église/20 siècles de

christianisme »).

De son côté, Michel Jondot – après être resté un an sans nomination – a été chargé par l’évêque

de Nanterre des relations avec l’islam. Avec l’équipe « maintenant » et des amis musulmans de

Michel, nous avons animé un certain nombre de conférences et de célébrations islamo-

chrétiennes. Par ailleurs, Michel et Saad Abssi s’étaient implantés dans une cité au Nord de Paris.

Ils faisaient, avec une équipe qu’ils avaient constituée, du soutien scolaire. Ils tentaient aussi de

décloisonner cette cité. Ils m’ont demandé de travailler avec eux pour rejoindre des femmes de

« la Caravelle ». Commençait pour moi une nouvelle aventure qui m’engageait dans un univers

dont j’ignorais tout et me passionne toujours. J'ai ainsi, paradoxalement, trouvé une place dans

l'Église en rejoignant le monde musulman. Dans cette association "la maison islamochrétienne"

(Mes tissages), je peux déployer les compétences que j'ai acquises tant à un niveau humain qu'à

un niveau de réflexion plus théologique. Je suis ignorée par l'Église mais reconnue par l'islam !

Beau paradoxe ! J'aime l'humour de Dieu ! : « Qui habitat in coelis ridet ! » (Celui qui habite dans

les cieux s’en amuse !).

Enfin en 2010, plusieurs appels nous ont été adressés dont la convergence ne nous a pas laissés, Michel et moi, indifférents. Chacun disait : « On étouffe de plus en plus dans nos paroisses. Nous ne trouvons plus de réflexion sérieuse sur les questions de société ni sur celles de l’Église. Ce qu’on appelle « débat » consiste à faire intégrer aux baptisés les positions officielles de la hiérarchie. On ne peut plus rien créer. Tout est normé d’avance et vivre en communauté consiste à vouloir nous faire entrer dans ces normes. Aidez-nous à retrouver du souffle quelque part. » C’est ainsi qu’avec l’équipe « Maintenant », nous avons créé une équipe plus large et le site : « Dieu maintenant ».

N'as-tu jamais envisagé de quitter l'Église et d'aller voir ailleurs ?

Je ne sais pas ce que signifie « quitter l’Église ». Est-ce rompre les relations fraternelles que j’ai eues avec Michel et tant d’autres ? Alors, je n’ai jamais envisagé de quitter cette Église. J'ai même découvert que Dieu s'y donnait comme il l'a promis... mais pas nécessairement là où on a l'habitude de le chercher. J'ai vraiment fait l'expérience que l'Esprit passe, par la pauvreté. Je me sens sœur de ceux qui, dans l'Église et par elle, vivent aujourd'hui ou ont vécu hier dans cet esprit. Qu'ils soient restés dans l'Église ou qu'ils en soient partis.

Je ne peux pas quitter l'Église : je fais vraiment corps avec elle. C'est par l'Église que j'ai reçu les sacrements, l'Évangile et la foi. Je reconnais tout l'héritage des saints qui, d'âge en âge, ont vécu dans l'Esprit. J'entends par « saints » non seulement les grands de l'histoire mais ce peuple de pauvres et de petits qui n'a jamais su, sur cette terre, à quel point il était porteur de l'Esprit. C'est

22

dans la foi de l'Église que je suis plongée, c'est grâce à elle que je vis. Je me sens pleine de reconnaissance à l'égard de tous ceux qui, aujourd'hui comme hier, désirent humblement, pauvrement vivre de leur baptême. Je ne peux pas vivre sans la communion des saints - des pécheurs et des saints - car, comme le dit Charles Péguy, « c'est le même homme ».

S’il s’agit de l’Église hiérarchique, est-ce moi qui l’ait quittée ou elle qui ne veut plus de moi et de tant d’autres comme moi ? Je ne sais pas du tout ce que sera l’Église hiérarchique demain. Je vois qu’elle est considérablement ébranlée, au moins en Occident. Les desseins de Dieu sur son Église me sont tout aussi impénétrables qu’au Magistère ! Certes le Christ a dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle » (Mt 16,18). Mais il a dit également : « Le Fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc 18,8). Je ne suis qu’une baptisée parmi tant d’autres et je n’ai pas pour mission de défendre l’Église en tant qu’institution. En revanche, j’espère que Jésus-Christ, dans ou hors de cette institution, trouvera toujours des croyants sur la terre !

Je respecte profondément le Pape François et j’admire son courage mais je n’attache pas ma foi à la sensibilité ou aux orientations d’un Souverain Pontife. J’ai connu jusqu’à ce jour 5 évêques qui se sont succédé sur le siège du diocèse de Nanterre. Je dois reconnaître le courage du premier, Mgr Delarue, des gestes d’amitié à l’égard de Michel du dernier, Mgr Rougé…6. Quant aux autres, ils n'ont jamais émis le moindre désir d'entendre mon point de vue, ni celui de Michel d'ailleurs, ni celui de Joseph Moingt, ni celui bien sûr des chrétiens qui ont vécu douloureusement cette "aventure" de Sainte-Bathilde. Nous avons été marqués au fer rouge à l’évêché non seulement dans les années suivant notre départ mais pendant trente ans.

Je suis née dans l’Église catholique et j’aime cette maison commune qui m’a donné tant d’amis. Mais je préfère demeurer sur les marges de l’institution. Je dois dire que si c'était pour recommencer ce que j'ai vécu, je n'aime pas suffisamment souffrir pour désirer renouveler cette expérience. Je crois qu'il ne faut pas fuir l'épreuve mais il y en a quand même assez dans la vie pour qu'on n'ait pas besoin d'en chercher davantage.

Pendant de très longues années tu as refusé de parler en public de ce que tu as vécu. Puis, avec Michel et quelques amis, en 2010 vous avez créé le site chrétien « Dieu maintenant ». Pourquoi ce refus pendant si longtemps et ce changement par la suite ?

Le refus vient de ce que je n'étais pas capable d'en parler sereinement. Aujourd'hui il me semble que je le suis... bien que je n'en sois pas vraiment sûre... enfin je l'espère ! Mais je voudrais en revenir à l'obéissance dont je disais qu'elle est une dépossession de soi. Je le ferai en citant saint Bernard de Clairvaux. Il a écrit une lettre peu connue qui s'intitule, il me semble, « Lettre au moine

6 Ce qui ne signifie pas que je suis d’accord avec la position de Mgr Rougé sur le déconfinement des cultes telle que décrite, par exemple dans l’article de La Croix du 1er mai 2020 : https://www.nouvelobs.com/confinement/20200429.OBS28120/mgr-matthieu-rouge-la-maniere-de-traiter-les-religions-dans-ce-deconfinement-n-est-pas-respectueuse.html

23

Adam ». Saint Bernard écrit à un simple moine qui avait, comme tous, fait vœu d'obéissance à son supérieur. Et ce supérieur entraîne sa communauté - dont ce moine - dans une folle aventure. Bernard conteste vigoureusement le comportement du moine Adam. Il lui dit qu'il avait le devoir de résister et que si son supérieur lui commandait de se jeter dans un puits, s'il obéissait, cela n'en serait pas moins un suicide. Je crois que c'est un devoir de parler aujourd'hui et de faire entendre pourquoi un certain nombre de croyants quittent l'Église. Pas plus que moi, ils ne prétendent avoir la vérité mais ils étouffent d'être réduits au silence et à l'indifférence. Je risque un mot plus fort : ils se protègent de la violence !

J'aimerais aussi citer une anecdote qu'une amie m'a racontée et qui, a priori, semble ne rien avoir à faire avec l'Église. Cette amie sort d'une clinique où elle vient d'accoucher et porte son nouveau-né dans les bras. Elle croise une femme avec un bébé, âgé de quelques semaines, dans une poussette. Cette jeune maman s'approche et se met à lui donner des conseils sur la manière de s'y prendre avec son bébé durant les premières semaines. Mon amie, un peu interloquée et touchée de ces conseils amicaux, n'a pas osé lui dire que ce nouveau-né était... son cinquième enfant. On a toujours intérêt à envisager que l'autre a, peut-être, plus d'expérience que soi ! Je trouve que l'Église hiérarchique aurait intérêt à se situer ainsi à l'égard des baptisés. Je ne prétends pas que les chrétiens, s'ils sont à la base, savent nécessairement mieux que des prêtres ou des évêques... qui seraient au sommet. Je dis : « il se peut qu'il en soit ainsi sur tel ou tel point. »

Je ne parle pas seulement - et même pas d'abord - de compétences théologiques mais de « poids d'humanité », d'expérience humaine. Pour moi, c'est dans cette écoute de l'autre que passe l'Esprit. Sans cette écoute, on se trouve devant une Église hiérarchique qui, a priori, sait et dispense bien souvent un savoir dont beaucoup de baptisés, avec la meilleure volonté du monde, ne savent que faire parce qu'il ne les rejoint pas... même lorsqu'il est vraiment porteur de vie comme ce peut être le cas de telle ou telle encyclique. D'après une enquête récente, en Italie 75% des baptisés - de ceux qui se déclarent croyants - n'attendent plus rien de la hiérarchie, 50% en France.

Je suis convaincue que l'Église a tort d'ignorer totalement tous ceux qui, sans la remettre en cause, lui suggèrent un autre point de vue. Cette attitude est d'une violence extrême. Je le sais pour l'avoir vécu mais aussi pour avoir vu tant d'autres la vivre. Les églises se vident, de plus en plus, d'années en années. Outre l’attitude de la hiérarchie à l’égard des victimes de prêtres pédophiles, son comportement vis-à-vis d’un certain nombre de prêtres et de fidèles n’est-elle pas une des raisons qui explique cette désagrégation ? Je crois qu'il faut que ce soit dit, même si cela n'est pas entendu.

24

Regard sur l’évolution de l’Église

Que penses-tu de la manière dont l’Église a évolué ces trente dernières années ?

Depuis mon départ de la paroisse Sainte-Bathilde, j’ai vu ce qui était déjà en germe se confirmer

constamment. Une normalisation à outrance a succédé à une liberté de création. J’ai vu les lieux

où s’exerçait une coresponsabilité entre prêtres et laïcs être fermés les uns après les autres. J’ai

vu aussi les communautés de base, sur lesquelles certains misaient vraiment, vieillir sans qu’un

renouvellement notable de ses membres ne s’opère. J’ai vu les paroisses se vider. J’ai vu les

prêtres amis de Michel qui s’étaient mariés être mis, la plupart du temps, au ban de l’Église. « Ce

sont les meilleurs qui sont partis », disait Michel. On aurait pu s’appuyer sur leur grande

compétence en théologie, exégèse, philosophie, sociologie ou psychanalyse pour donner du

souffle à la réflexion des croyants. Rien n’a jamais été fait dans ce sens. J’ai vu un grand nombre

de laïcs renoncer les uns après les autres à chercher à faire des propositions tant pour la vie de

leur communauté qu’en matière de liturgie car… on ne peut pas parler à un mur ! J’ai vu que les

synodes diocésains consistaient davantage à faire passer la bonne parole qu’à écouter les

croyants. Comme l’écrit lui-même Mgr Rouet : « C’est trop formel, tout est prévu. Les gens

causent dans le cadre que d’autres ont fixé pour eux. » 7 J’ai vu qu’on mettait en place dans

chaque paroisse des Équipes d’Animation Pastorale, pour satisfaire aux exigences du Droit Canon

mais que, sauf exception, il ne s’agissait pas d’une réelle collaboration entre clercs et laïcs. J’ai vu

les prêtres ouvriers disparaître totalement et les catholiques A la gauche du Christ 8fondre comme

neige au soleil. Je vois un fondamentalisme s’installer par des groupes charismatiques. Je vois

aussi que les catholiques vont continuer à quitter cette Église qui les repousse et dont la parole

ne les concerne plus.

Quand il m’arrive de parler de cette situation avec des amis prêtres, il est fréquent qu’ils me

répondent : « Mais ce n’est pas cela l’Église ! » J’ai l’impression d’entendre mes amis musulmans,

lorsque des mouvements violents s’expriment dans leur religion, me dire : « Mais ce n’est pas

cela l’islam ! » Eh bien si, c’est aussi cela l’islam et c’est aussi cela l’Église ! Il est vrai que beaucoup

de clercs et de laïc ne veulent pas le voir. Un ami devenu prêtre à l’âge de la retraite – et qui est

pour moi un frère depuis toujours – me disait récemment que l’Église n’allait pas si mal puisqu’un

évêque avait finalement pris des nouvelles de Michel quelques mois avant sa mort. Comme si le

fait que cet évêque ait été humain en cette circonstance pouvait changer le fonctionnement de

l’ensemble de la structure à laquelle il appartient ! À mon avis, c’est le fonctionnement global de

7 Article de Témoignage Chrétien voir supra. 8 Allusion au livre A la gauche du Christ, les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours de Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel, Éditions du Seuil, septembre 2012

25

cette institution qui est hors-sol. Alors que dans la société, on cultive le débat et on apprend aux

jeunes à avoir du discernement et un esprit critique, le Magistère continue à parler de Loi

naturelle immuable. Il faudrait quand même un jour sortir de saint Thomas d’Aquin pour penser

le christianisme : sa théologie date du XIIIème siècle ! Bon j’exagère, mais à peine !

J’ai vu, comme beaucoup d’autres, l’Église se recléricaliser. Comme je sais, pour l’avoir vécu,

qu’une autre manière est possible, je conclus que la plupart des clercs (et nombre de laïcs) n’en

veulent pas. Restera toujours cette Église qui rêve de restauration. Elle risque de tenir encore

longtemps. Elle est bien étrangère à la manière dont je vis de la foi au Dieu de Jésus-Christ.

Que penses-tu des célébrations eucharistiques qui se sont multipliées sur internet

pendant la période de confinement ?

J’ai effectivement vu se multiplier des célébrations eucharistiques avec un prêtre sans la

participation d’aucun laïc. Pour moi c’est une aberration. Les prêtres déclarent dire la messe

POUR les laïcs alors que, selon moi, l’eucharistie est le signe efficace de la communion des uns

AVEC les autres.

Le Concile Vatican II avait décentré l'eucharistie du rôle du prêtre que le Concile de Trente (en

réaction aux protestants) avait sur-sacralisé. A Vatican II, c'est l'assemblée entière qui célèbre

(prêtres et laïcs). Si l’un a la fonction de présider, cela ne lui donne pas à lui tout seul un pouvoir

supérieur encore moins un pouvoir sacré. Les croyants tous ensemble font corps avec le Christ,

seul "médiateur" entre Dieu et les hommes. Cela fait une Église de frères dans laquelle personne

n'est appelé père. La hiérarchie ne cesse de répéter qu’on ne peut pas faire une Église sans prêtre.

Mais peut-elle faire une Église sans laïcs ? N’est-ce pas ce qui est induit par ces prêtres se filmant

en train de dire la messe tout seuls ?

Heureusement il y a eu ce coup de génie du jeûne eucharistique des prêtres de Saint Eustache à

Paris 9. Ils ne sont pas passés à côté de cette occasion unique de dire et de vivre ce qu’est

l’eucharistie, dépouillée des rites habituels. L'Eucharistie est la célébration de la mort et de la

résurrection du Christ : en mourant sur la Croix, il tue les fausses images que l'on se fait de Dieu

(un Dieu Tout-Puissant) et « suscite » le vrai visage de Dieu (pour les croyants) : celui qui a tout

donné, n'a plus rien à donner et demeure dans le don jusqu'au bout, le don de "rien", rien d'autre

qu'un Amour sans limite et sans fin… et c'est le tombeau vide, le jour où il « ressuscite », celui de

la résurrection de l’humanité à sa suite. Le fait que ces prêtres aient eu le coup de génie de

demeurer dans le partage avec les autres croyants, le partage du jeûne... le partage du rien... dans

la fraternité sans supériorité des uns sur les autres jusqu'au bout, c'est l'Eucharistie ! C'est l'ESPRIT

de l'eucharistie dégagé des rites et même de la matérialité du pain et du vin.

Ce qui ne veut pas dire que cette matérialité, habituellement, ne soit pas souhaitable : elle permet

que des croyants se réunissent aussi physiquement dans un même lieu pour célébrer. Mais le

9 Cf. L’article de Jacques Mérienne Le jeûne eucharistique en période de confinement : http://www.dieumaintenant.com/lejeuneeucharistique.html

26

jeûne eucharistique de ces prêtres manifeste que c'est l’Église ensemble qui célèbre (et pas le

prêtre sans les autres ou pour les autres) - une Église dans laquelle personne n'occupe la place du

Père. Ces prêtres ont su exprimer – en paroles et en actes - que l'Esprit de l'Eucharistie peut passer

par les formes habituelles mais qu'il n'est pas esclave de ces formes... Il les dépasse !

On me dira que beaucoup de baptisés apprécient ces messes sur internet et que le jeûne

eucharistique ne peut être compris que par une sorte d’élite. Je crois, au contraire, que dire aux

laïcs « vous me manquez, je ne peux pas célébrer l'eucharistie sans vous, je jeûne avec vous » peut

être compris par un très grand nombre et redonne du poids à la situation de simple baptisé. Certes

il aurait fallu l’expliquer et pour cela vouloir aller dans cette direction… ce qui, au moins en

apparence, ne semble pas être le cas.

Es-tu, comme beaucoup de catholiques, scandalisée par l’attitude de l’épiscopat

français reprochant au président de la république de mépriser la religion et de ne

pas respecter la liberté de culte parce qu’il n’a pas accepté un déconfinement des

cultes le 11 mai ?

Je sais qu’une fois de plus beaucoup de catholiques claquent la porte de l’Église. Suis-je comme

eux scandalisée par l’attitude de l’épiscopat ? Il y a un moment, me semble-t-il, où le scandale lui-

même est dépassé. Je suis plus proche du sentiment de ce moine bénédictin de Ligugé – François

Cassingena-Trévedy – qui reconnaît ne plus arriver à en dormir certaines nuits.

Je voudrais souligner que les messes célébrées sans les fidèles d’une part, l’attitude de la

Conférence des Évêques de France à propos du déconfinement d’autre part ne sont pas les seules

raisons de mon « étonnement ». On voit des prêtres louer un avion particulier pour survoler telle

ou telle grande ville et brandir un ostensoir pour la bénir du haut du ciel… On voit tel évêque de

France se faire photographier en chasuble d’or. N’a-t-il pas conscience de l’image qu’il donne à

voir, surtout en France, où le chant des canuts appartient au patrimoine culturel ?10 On voit des

prêtres confesser en drive : en aube et étole, sous une toiture de tente, ils confessent des gens

qui ne sortent pas de leur voiture. On consomme du sacrement comme on consomme un

hamburger au MacDo ! On voit tel autre évêque sortir le crâne d’un saint de son reliquaire et aller

tous les jours sur le parvis de sa cathédrale bénir son diocèse avec la tête de ce saint, sous prétexte

qu’il est censé avoir repoussé des épidémies au Moyen-Âge. On dira que c’est ce que le peuple

attend en période de pandémie. Puis-je me permettre de dire que d’une part c’est loin d’être

attendu par tous les baptisés et que, d’autre part, la fonction des évêques (par délégation celle

aussi des prêtres) est normalement d’éduquer la foi du peuple et non de le faire verser dans la

crédulité.

10 Les Canuts : « Pour chanter Veni Creator, il faut une chasuble d’or / nous en tissons pour vous grands de l’Église / Et nous pauvres canuts n’avons point de chemise (…) Mais notre règne arrivera quand votre règne finira / Nous tisserons le linceul du vieux monde / Car on entend déjà la révolte qui gronde…

27

Sur l’attitude de la Conférence Épiscopale de France, dès que nous avons connu l’initiative que

des évêques ont prise d’aller trouver le président de la république et le gouvernement, sans

aucune concertation avec les autres religions, nous 11nous sommes étonnés de ce retour du

catholicisme comme s’il était demeuré la seule religion d’État 12. Étonnement d’autant plus grand

que les musulmans étaient en plein ramadan et qu’opérer un déconfinement pour eux, à cette

période, risquait d’être extrêmement difficile. Les évêques avaient tout préparé pour un

déconfinement dans le respect des règles de sécurité à l’intérieur de l’Église catholique. Ils avaient

simplement oublié qu’il existe aussi d’autres religions en France et qu’il faut tenir compte de

chacune dans un État laïc. Il y avait là l’occasion d’une démarche interreligieuse et œcuménique,

non seulement en paroles mais en actes. L’occasion a été manquée !

Quant à la suite, elle nous semble encore plus regrettable. J’ai été, comme beaucoup d’autres,

heureuse de lire sous la plume de François Cassingena-Trévedy : "Il est injuste de soupçonner le

gouvernement de quelque malveillance laïciste ou de quelque partialité, alors qu’il fait ce qu’il

peut, très respectueusement, avec un paysage religieux français dont le catholicisme n’est pas,

n’est plus (ne l’oublions pas !) l’unique composante. Il est grotesque de prendre, dans la

circonstance, des airs de persécutés. Il est présomptueux de dénoncer chez nos gouvernants une

lacune anthropologique et un vide, quand le vide que nous laissons, que nous faisons autour de

nous, avec toutes nos inanités, devrait nous faire honte" 13.

Pour qui voteront demain les catholiques prêts à croire qu’ils sont persécutés par le

gouvernement actuel ? Oui l’Église risque de laisser un très grand vide non plus seulement A la

gauche du Christ, selon l'ouvrage déjà cité de Jean-Louis Schlegel, mais à sa droite et au centre !

Ce n’est probablement pas ce que les évêques souhaitaient (du moins pas tous !) mais c’est ce

qu’ils ont fait. Arriveront-ils à enrayer, d’un côté, le départ des catholiques excédés par leur

attitude et, d’un autre côté, le virage dans une droite extrême des « persécutés » ? Certains parmi

eux tentent de le faire. L’avenir dira s’ils réussiront.

Tu as un regard très pessimiste sur le présent et l’avenir de l’Église…

Pas du tout ! Mais avant de développer mon point de vue, j’aimerais revenir encore une fois sur

ce que dit Mgr Rouet dans l’article de Témoignage Chrétien daté de juillet 2019, donc bien avant

la période de confinement. Il est écrit : « Souffrant d’un tel contexte, nombre de fidèles viennent

lui avouer leur malaise dans l’Église d’aujourd’hui. Le vieux sage leur propose une alternative.

‘Trouvez trois ou quatre amis et essayez de vivre des relations évangéliques. Demandez-vous

comment être signifiant dans le monde et quel est l’essentiel de votre foi. Je rencontre de tels

groupes informels, en lien par Internet, se réunissant de temps en temps.’ » Que l’ancien

archevêque de Poitiers ne trouve rien d’autre à proposer aux fidèles de son diocèse me laisse

11 « Nous » c’est-à-dire l’équipe animatrice du site « Dieu maintenant » coordonnée par Christine Fontaine. 12 Cf article sur le site de « Dieu maintenant » Déconfiner les cultes au milieu du ramadan : http://www.dieumaintenant.com/deconfinerlescultes.html 13 Cf. La "stabulation libre" ou quatrième lettre aux amis confinés de François Cassingena-Trévedy, diffusé sur sa page Facebook en date du 30 avril 2020

28

pantoise. C’est dire à quel point tous les lieux ont été fermés à ceux qui aujourd’hui sont en

recherche d’une autre manière de faire Église !

Suis-je pour autant pessimiste ? Je sais que des mouvements comme le CCFD ou l’accueil des

réfugiés mis en place par les jésuites, par exemple, existent et que c’est tout à l’honneur de

l’Église. Je sais la générosité, le sens de la justice et la foi de nombre de pratiquants. Je connais

quelques communautés qui demeurent accueillantes 14. Je vois que les prêtres de saint Eustache,

par exemple, tel bénédictin déjà cité, certains prêtres de la base et des laïcs résistent à cette

entreprise de restauration. L’avenir dira s’il est possible d’y parvenir en demeurant soi-même au

centre de l’institution ecclésiale.

Je sais aussi que cette marginalisation qui nous fut imposée, à Michel et à moi, fut en quelque

sorte notre chance. Nous avons pu inventer sur les marges, connaître de l’intérieur les questions

nouvelles suscitées par la présence de nombreux musulmans dans la société, pénétrer à

l’intérieur d’une des cités les plus difficiles de la banlieue parisienne et nous y faire des ami(e)s.

Nous avons pu rejoindre nombre de non-croyants et partager les combats de la vie quotidienne

en particulier pour le droit des plus défavorisés. Nous avons pu, pendant 7 ans, élaborer avec des

catholiques, des protestants et des orthodoxes, un parcours œcuménique. Nous avons pu

coordonner l’équipe animatrice « Dieu maintenant », organiser avec elle des débats sur tous les

problèmes de l’Église et de la société, diffuser cet esprit sur un site internet. Nous nous sommes

faits de nombreux amis. Nous avons été productifs et profondément heureux. Je le suis toujours

et j’ai toujours ce même désir de créer humblement, pauvrement, avec des amis cette Église que

j’aime : une Église humaine, simplement ! Ceux qui vivent sur les marges, n’ont pas à attendre –

ni à craindre - les consignes de la hiérarchie.

Tu parles souvent d’un « christianisme éclaté » et tu le distingues d’une

pulvérisation où chacun part de son côté. Mais comment éviter cette pulvérisation

qui aboutit souvent à l’abandon de la foi ?

Le christianisme pulvérisé est une réalité. Il y a aujourd’hui autant de personnes qui désirent vivre du Dieu de Jésus-Christ chez les pratiquants réguliers que chez ceux qui vivent sur les marges ou chez des non-pratiquants. La vie sacramentelle, qui permettait de se reconnaître membres d’une même famille spirituelle, ne joue plus cette fonction parmi les croyants. J’entends par croyants ceux qui veulent vivre à la suite du Christ et je les distingue de ceux qui se servent du Christ pour affirmer leur supériorité. Si, entre croyants, il n’y a plus aucun signe commun de l’Esprit qui nous anime, le christianisme est pulvérisé. Mais si, au lieu de décrire l’Église comme l’appartenance à une institution, on se demandait où sont les témoins de la foi en Jésus-Christ aujourd’hui ? Non pas ceux qui cherchent à témoigner sous forme de prosélytisme mais ceux qui vivent de la foi dans leur existence la plus quotidienne, ceux qui veulent vivre de Dieu dès maintenant et de jour en jour. On découvre alors

14 En ce qui concerne les communautés monastiques, on peut citer par exemple, le Carmel de la Paix à Mazille (pour les femmes) et la communauté cistercienne de Bellefontaine (pour les hommes).

29

une autre Église, disséminée dans le monde sous des formes très différentes. Cette Église est vivante ! Cette Église est belle ! Sa beauté réside dans cette différence de formes qui échappe à toute institutionnalisation. « Le christianisme, disait Michel de Certeau : mille éclats sur la surface de la mer. » Et il ajoutait déjà en 1974 : « C’est ce christianisme éclaté qui est en train de se propager sous les décombres d’une institution désertée ». Renonçant pour lui-même à toute fonction de maîtrise, il se considérait comme un de ces électrons libres, « un de ces mille éclats flottants ».

Je crois qu’il serait important de susciter des lieux ou des croyants très différents - pratiquants ou

non - puissent se rencontrer et échanger leurs points de vue sur la vie, l’Église et la société. Mais

je crois qu’il est également important de ne rien institutionnaliser d’une part, de se garder des

gourous d’autre part. Ceci demande à chacun de « bricoler » sa propre appartenance chrétienne,

en reconnaissant d’autres manière de faire que la sienne. Il y faut du désir et du discernement. Il

y faut de l’invention et l’acceptation – si possible joyeuse - que l’Église de Jésus-Christ est une

Église de pauvres et qu’elle est bien pauvre aujourd’hui ! Ces occasions de rencontres ne sont pas

toujours faciles à trouver. Reste que si l’on veut ne pas oublier la foi qui nous anime, il me semble

prudent de ne jamais partir seul ou de n’avoir plus aucune relation avec d’autres croyants. Jésus-

Christ a toujours envoyé ses disciples deux par deux. Il a dit que là où deux ou trois sont réunis en

son nom, il est au milieu d’eux. Pour être à Dieu il faut être plusieurs et au moins deux… à chercher,

à trouver, en considérant toujours qu’une forme n’est jamais que provisoire.

Que l’on soit ou non pratiquants, nous avons tous en commun de croire qu’un Dieu est mort le

Vendredi Saint sur la Croix : celui dont on pensait qu’il gouvernait le monde du haut de sa

splendeur. Le Christ, à l’heure de sa Passion, renonce volontairement à exercer une quelconque

domination sur l’humanité. C’est ainsi qu’il révèle un autre Dieu, demeuré caché depuis l’origine,

un Dieu qui abandonne toute puissance. C’est ce nouveau visage de Dieu qui se révèle, par Jésus,

au jour de Pâques : un Dieu humble et pauvre en quête seulement de notre confiance. De ce

« langage de la Croix », avec un bon nombre d’amis, nous nous voulons les héritiers. Aujourd’hui,

nous continuons à croire que le Dieu de Jésus-Christ nous propose une aventure d’autant plus

contemporaine que notre monde est trop souvent régi par l’individualisme, le goût du pouvoir ou

celui de l’argent. Nous croyons aussi que c’est en abandonnant toute volonté de puissance – en

son sein comme sur la société – que l’Église peut ressusciter. Sous quelles formes ? Nous

l’ignorons. Nous croyons cependant que la foi en Jésus-Christ – mort sur la croix - interdit de lutter

contre le retour actuel du cléricalisme en exerçant un contrepouvoir qui emploierait les mêmes

armes que le pouvoir contesté.

Michel de Certeau écrivait dans les années 70 :

« La foi chrétienne est expérience de la fragilité, moyen de devenir l’hôte d’un autre qui inquiète

et fait vivre ; (…) Il s’agit d’accepter d’être faible, d’abandonner les masques dérisoires et

hypocrites d’une puissance ecclésiale qui n’est plus (…). Le problème n’est pas de savoir s’il sera

possible de restaurer l’entreprise ‘Église’, selon les règles de restauration de toutes entreprises. La

seule question qui vaille est celle-ci : se trouvera-t-il des chrétiens pour vouloir rechercher ces

30

ouvertures priantes, errantes, admiratrices ? S’il est des hommes qui veuillent encore entrer dans

cette expérience de foi, qui y reconnaissent leur nécessaire, il leur reviendra d’accorder leur Église

à leur foi… »15

J’adhère totalement à ce point de vue.

Mais je ne sais pas mieux que n’importe quel autre croyant ce qu’il faut faire ou ne pas faire ! Ce

n’est que mon regard sur l’Église et qui en appelle d’autres. Je crois simplement qu’il n’est pas

sain de se battre contre le pouvoir en exerçant un contre-pouvoir du même ordre que le premier.

Je crois que c’est dans l’abandon de tout pouvoir que l’Église peut ressusciter sous une forme

dont j’ignore aujourd’hui absolument tout. Je crois que cette aventure de la foi vaut la peine

d’être vécue !

J’aimerais terminer par cette parole de Michel de Certeau à laquelle je me rallie pleinement :

« Quant à l’expérience chrétienne au cœur de la modernité, elle prend la mesure de sa fragilité ;

elle emprunte les chemins non tracés de l’expérience mystique qui a déjà une histoire ancrée dans

une expérience temporelle et aujourd’hui voici qu’elle se fait collective, comme si le corps tout

entier des Églises, et non plus quelques-uns individuellement blessés par l’expérience mystique,

devait vivre ce que le christianisme a toujours annoncé : Jésus-Christ est mort… Il s’agit d’accepter

d’être faible. » 16

Et enfin : « Comme après la destruction du Temple, les croyants sont livrés à la route avec des

textes pour bagages. »

Christine Fontaine

le 6 mai2020

15 Michel de Certeau La faiblesse de croire, Éditions du Seuil 1987, pages 304. 16 Michel de Certeau, La faiblesse de Croire (pages 218-219), Éditions du Seuil 1987.

31

« Le chant des troubadours »

En hommage à Michel Jondot et à tant d’autres, pratiquants ou non, qui jonglent aujourd’hui

encore avec les étoiles et par qui l’Église demeure « humaine ».

« O bâtisseur de cathédrales

D’il y a tellement d’années

Tu créais avec les étoiles

Des vitraux hallucinés

Flammes vives

Des ogives

S’envolaient au ciel léger

Et j’écoute sous les voûtes

L’écho de pas inchangés

Mais toujours à tes côtés

Un gars à la tête un peu folle

N’arrêtait pas de chanter

En jouant sur sa mandole.

Sans le chant des troubadours

N’aurions point de cathédrales

Dans leurs cryptes, sur leurs dalles

On l’entend sonner toujours… »

Extrait d’une chanson d’Anne Sylvestre

François d’Assise un jour dit à ses frères : « Soyons les troubadours ou les jongleurs de Dieu ».

Jongleurs et troubadours, au Moyen Age, exerçaient une fonction bien précise. A la cour du

seigneur ils chantaient ce que les autres n’auraient osé dire. Ils jonglaient avec les mots mais leur

jonglerie n’était pas tout à fait innocente. Dans leurs chants la critique se mêlait à l’amour. Ils

maniaient l’humour et la poésie pour dénoncer certains travers. Ils n’appartenaient pas à la caste

des grands. Venant d’eux on supportait que soit chanté ce qu’on n’aurait pas accepté d’un pair.

32

Leur petitesse les rendait puissants. « Sans le chant des troubadours, n’aurions point de

cathédrales… »

À l’époque de François d’Assise, des paysans quittaient la terre. Ils venaient constituer le peuple

des petits artisans mais aussi des mendiants dans les bourgs naissants. Les bourgeois,

contrairement au petit peuple, avaient des droits. Deux catégories sociales émergeaient : les plus

grands (majores en latin) et les plus petits (minores). « Demeurons toujours du côté des plus

petits », recommande François à ses frères. Avaient-ils un goût particulier pour la misère ou le

mépris ? À l’aube de sa conversion, François, fils de bourgeois, cherchait à monter plus haut quand

il entendit le Seigneur lui dire : « Qui est le plus grand du Maître ou du serviteur ? Pourquoi

cherches-tu à servir… les serviteurs ? » Voilà comment, par goût d’une plus grande Gloire,

François et ses frères devinrent les jongleurs de Dieu. « Sans le chant des troubadours, n’aurions

point de cathédrales… »

Avec ses frères, après quelque errance, François s’établit à la Portioncule : une toute petite parcelle

de terre où était bâtie une chapelle presque déjà en ruines. Ils la reconstruisirent et en firent leur

lieu de rendez-vous avec leur Seigneur. À une époque où déjà les indulgences s’achetaient, François

obtint du pape que s’attache à cette chapelle une indulgence plénière et gratuite : tous ceux qui y

viendraient, en reconnaissant leur misère devant Dieu, recevraient l’assurance du pardon plein,

total et gratuit de leur Père des cieux. Les estropiés de la vie, les malades du corps, de l’âme ou de

l’esprit s’y précipitèrent en nombre. A la Portioncule, on n’avait rien à payer et personne ne pouvait

être chassé. Un lieu sur la terre – peut-être le seul à l’époque – signifiait l’amour libre et gratuit du

Seigneur des seigneurs pour les pauvres pécheurs. De ce lieu s’élevait le chant de Dieu. Sans le chant

de ces troubadours, n’aurions point cette « cathédrale »… Mais, ceux qui connaissent Assise le

savent, cette toute petite chapelle de la Portioncule est enchâssée aujourd’hui dans une immense

église. De l'extérieur, il faut être très averti pour savoir que ce bâtiment monumental contient ce

joyau.

Vers la fin de sa vie, François vécut un temps de grande épreuve. On crut alors que son chant allait

s’éteindre. Depuis toujours il s’était voulu fidèle à l’Église de Rome. Dès le départ, avec ses

premiers frères – dont l’un déjà était prêtre – il avait demandé au Pape de les autoriser à vivre en

fraternité sans ordre de préséance entre eux, sans autre règle que l’Évangile. Après quelques

détours, cela leur fut accordé. Mais, au fil du temps, des prêtres de plus en plus nombreux

s’agrégèrent à sa famille. Par ailleurs, le pape et les cardinaux lui demandèrent de mettre un peu

d’ordre dans la maison et de bien vouloir établir un règlement comme dans n’importe quel autre

ordre religieux. L’Évangile n’allait plus suffire… et les clercs ne plus demeurer frères parmi les

autres… Comment continuer à bâtir une cathédrale où l’on crée avec les étoiles des vitraux

hallucinés ? François, qui n’avait jamais consenti lui-même à être prêtre, mit deux ans à rebondir.

Il fallut que Dieu lui dise : « Vis toi-même de l’Évangile et ne te soucie plus du reste. » Jongleur de

Dieu, entre une fraternité à maintenir dans l’esprit de Jésus-Christ et une puissante hiérarchie

cléricale, François ne céda jamais. Sans le chant de ce troubadour, aurions-nous des cathédrales ?

33

Maniant l’humour et la poésie pour dénoncer certains travers ; désireux de devenir toujours plus

petits pour posséder une Gloire qui surpasse toute gloriole humaine ; bâtisseurs d’une Église d’où

personne ne soit exclu et où chacun puisse s’abreuver à la Source de toute joie ; sans autre règle

que celle des Évangiles et luttant, avec respect, contre toute tentation de cléricalisme, ils furent

les troubadours de Dieu dont nous recevons aujourd’hui le témoignage toujours vivant.

C’est dans cette tradition que Michel et tous ses amis auraient voulu s’inscrire, humblement,

pauvrement. Mais parlerons-nous d’eux au passé comme s’ils avaient renoncé ? Les troubadours

ne désespèrent jamais ! Ils jonglent avec les difficultés ! Espérant contre toute espérance, ils

continuent à s’unir pour chanter. De l’histoire de François d’Assise et de bien d’autres, ils

retiennent que les « portioncules » surpassent en beauté les plus grandes cathédrales. Ils désirent

que l’Église redevienne toujours cette petite parcelle de terre où les divorcés remariés ont autant

leur place que les couples stables, les homosexuels autant que les autres, les sans - papiers autant

que les citoyens. Ils souhaitent que l’Église, en notre temps, soit ouverte à quelques troubadours…

sans leur chant aujourd’hui les cathédrales ne risquent-elles pas de se transformer en musées…

simple vestige d’un passé splendide mais révolu ? Ils aiment que l’Église se fasse conversation

avec « le monde », sans s’offusquer des critiques – souvent salutaires – qui lui sont adressées…

Ils croient que les troubadours de Dieu viennent parfois de l’extérieur, de là où on ne s’attendait

pas ! Il n’est pas sûr qu’Anne Sylvestre soit chrétienne et pourtant, aujourd’hui encore, elle

chante :

« Toi qui jonglais avec les étoiles

Ô bâtisseur de beauté

Ô bâtisseur de cathédrales

Oh, puissions-nous t’imiter !

Mille roses

Sont écloses

Au cœur des plus beaux vitraux

Mille encore vont éclore

Si nous ne tardons pas trop.

Et si nous avions tant perdu

Nos jongleurs et nos poètes

D’autres nous seraient rendus

Rien qu’en élevant la tête.

Sans le chant des troubadours

N’aurions point de cathédrales

Dans leurs cryptes, sur leurs dalles

On l’entend sonner toujours… »