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A nos lecteursLe premier numéro de Tire-Lignes est sorti à la fin du mois de mai, à l’occasionde la journée d’étude que le C.R.L organisait au musée des Abattoirs sur les livresd’artiste. Nous avions sollicité vos réactions et nous les attendions évidemmentavec impatience et une certaine appréhension. Dans l’ensemble la qualité et l’élégance de la nouvelle maquette ont recueilli l’approbation, même si quelquesréserves ont été émises sur le format - mais on peut parier sur le temps pour qu’ils’impose et convainque même les plus réticents ! Le contenu de la revue a quantà lui fait l’objet de commentaires tous élogieux, voire enthousiastes, ce qui évidemment nous réjouit et nous encourage à persévérer dans cette voie.N’hésitez pas à continuer à nous faire part de vos réactions. Elles nous sont utileset nourrissent notre réflexion sur l’évolution de la revue.

Merci d’adresser vos remarques à [email protected]

Quelques lieux où trouver notre revueIl s’agit d’une sélection des 175 points de dépôt où vous pouvez vous procurergratuitement la revue du Centre Régional des Lettres Midi-Pyrénées. Elle est bienévidemment mise à disposition des usagers de nombreuses bibliothèques deMidi-Pyrénées et autres librairies et lieux culturels.

La liste complète des lieux de dépôt sur www.crl.midipyrenees.fr

• FOIXL'Estive Scène Nationale de FoixLibrairie Majuscule-Surre

• PAMIERS - Librairie Le Bleu du Ciel

• RODEZLa Maison du LivreLibrairie Mot à mot

• VILLEFRANCHE DE ROUERGUELibrairie La Folle Avoine

• COLOMIERS - Librairie La Préface

• BLAGNAC - Odyssud

• MURET - Librairie Biffures

• RAMONVILLE SAINT AGNECentre Culturel de Ramonville

• REVEL - Librairie Tome 19

• ROQUES-SUR-GARONNELe Moulin

• TOULOUSELibrairie CastélaLibrairie Floury FrèresLibrairie La RenaissanceLibrairie Ombres BlanchesLibrairie PrivatLibrairie Tire-LireLibrairie L'Autre RiveThéâtre GaronneThéâtre du PavéNouveau Théâtre Jules Julien

Centre Culturel Alban MinvilleConservatoire OccitanGalerie du Château d'EauMusée des AbattoirsCinémathèque de ToulouseCave PoésieInstitut CervantèsEspace BonnefoyMaison Midi-Pyrénées

• TOURNEFEUILLECinéma UtopiaLa Boutique d'Ecriture du Grand ToulouseHôtel de Ville

• AUCH - Théâtre Municipal d'Auch

• SARRANTLibrairie Des livres et vous

• CAHORS - Librairie Calligramme

• FIGEACLibrairie ChampollionLe Livre en Fête

• IBOS - Le Parvis Scène Nationale

• ALBILa Librairie des EnfantsL'Athanor Scène National d'Albi

• MONTAUBANLibrairie Deloche SALibrairie Le ScribeThéâtre de Montauban

4 Portrait d’auteurEmmanuelle Urienvue par Magali Duru

6 Création littéraireHommage à Dominique Autié

8 ParutionsLa rentrée littéraire en Midi-Pyrénées

10 DossierEloge de la lenteur

23 Autour du livre“La Brune”, l’énergie d’une collection

24 Bloc-notesLes rendez-vous littéraires

26 EditionLes Fondeurs de Briquestissent leur toile

28 Langue occitaneLa dignité retrouvée de la langue occitane

29 LibrairieDu (re)nouveau en librairieen Midi-Pyrénées

30 MédiathèquesLe centre de documentationphotographique du Château d’Eau de Toulouse

32 PortraitDenise Epstein

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EditoDepuis plusieurs mois, le C.R.L. s’est fortement mobilisé pour la défense de la loiLang sur le prix unique du livre et il a fait partie des premiers signataires de la pétition “Pour le livre” lancée par le Syndicat de la librairie française. Très naturellement, nous avons essayé de traduire cet engagement dans le contenu de cedeuxième numéro de Tire-Lignes.En nous appuyant sur la réflexion d’Eric Vigne dans son livre remarquable, Le Livreet l’éditeur (Klincksieck, 2008), nous nous sommes demandés ce que le prix uniquerendait possible dans le monde de l’édition et de la librairie en France, bref ce qui risquait de se perdre si l’on cédait aux facilités trompeuses de la dérégulation. D’oùle dossier qui est au cœur de ce numéro et qui porte sur la patiente élaboration d’uncatalogue d’éditeur ou corrélativement sur la constitution exigeante d’un fonds de librairie. Il est en effet dans nos missions d’éclairer et de mieux faire comprendre ànos concitoyens le travail de professionnels avertis qui savent que leur commercevaut par sa singularité et par l’image qu’il renvoie d’un engagement intellectuel et esthétique fort, fait d’adhésions et de refus, bref de partis pris librement assumés. A ce dossier, nous avons donné pour titre “Eloge de la lenteur” tant il nous a semblé que dans les simplifications dont se nourrissent les débats actuels, la lenteurétait bien la vertu la plus menacée ou la plus tristement oubliée. Lenteur n’est paslourdeur, mais une forme de rigueur, consciente que pour penser juste et agir demême, il faut y mettre l’obstination et la ténacité qui conviennent, sans quoi toutrisque de s’évaporer dans un air du temps vague et fluctuant ou se réduire au cynisme d’un court terme rémunérateur. Pour présenter ces enjeux dans leur globalité, nous avons croisé les paroles de praticiens et de spécialistes, écrivains, éditeurs, libraires, directeurs de collection, bibliothécaires, critiques, universitaires. A chacun son cheminement mais à traversla diversité des témoignages et des points de vue réflexifs, on voit se dessiner avecsatisfaction un chemin pour tous ceux qui gardent une conception assez net exigeante de leurs métiers et cherchent la meilleure façon de les adapter, sans se renier, à des temps de changements perpétuels qui peuvent servir d’alibi facile à tousles renoncements. D’une certaine façon, c’est aussi cette exigence que nous avons voulu manifester àl’occasion du Salon du livre Midi-Pyrénées qui se déroulera à Toulouse les 15 et 16 novembre. Avec un nouveau nom (Vivons Livres !) et un nouveau lieu (le Centrede Congrès Pierre Baudis), le Salon se développe et offre une programmation pourtous, grands et petits. Nous y débattrons aussi des questions culturelles de l’heure.Bref Vivons Livres ! sera un Salon engagé dans la défense et la promotion du livre etde la lecture et proposera une image généreuse et ouverte de nos métiers tout en donnant accès à chacun à la diversité de la création littéraire contemporaine. Nousvous y attendons nombreux, comme nous vous espérons toujours plus nombreux àlire ce nouveau numéro de Tire-Lignes !

Directeur de la publicationDanielle Buys

Rédacteur en chefHervé Ferrage

Responsable de rédactionVirginie Franques

MaquetteClotilde Francillon, Benjamin MègeDSAA Concepteur-Créateur en CommunicationVisuelle - FORM, lycée des Arènes, Toulouse

Mise en page de ce numéroTerres du Sud35, rue Gaston Doumergue31170 TournefeuilleTél. : 05 62 1 56 30

ImpressionTechni Print (SA)ZI Albasud avenue de Suède82000 MontaubanTél. : 05 63 20 17 18

N° ISSN1967-046X

Dépôt légalNovembre 2008

C.R.L Midi-Pyrénées7, rue Alaric II31000 ToulouseTél. : 05 34 44 50 20Fax : 05 34 44 50 29 E-Mail : [email protected] : www.crl.midipyrennees.fr

Revue imprimée sur du papier offset sans chlore, chez un imprimeur labellisé Imprim’Vert.

Danielle Buys Présidente du C.R.L. Midi-Pyrénées

Conseillère régionale

Hervé FerrageDirecteur du C.R.L Midi-Pyrénées

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� Portrait d’auteur

Emmanuelle Urienvue par Magali Duru

Née en 1970 à Angers, voilàdonc déjà plus de trente ansqu’Emmanuelle Urien écrit…Puisque, dit-elle, elle a toujoursbeaucoup lu et que pour elle,l’écriture a toujours relevé dumême processus que la lecture,comme si “la petite passerellequi séparait l’une de l’autre nedemandait qu’à être franchie”.

Après une licence de Lettres mo-dernes, suivie d’une maîtrise de LEA(elle parle 4 langues, en lit 6) et d’unDESS de gestion internationale, malgrésa vie surmenée de Parisienne, ellegrappille toujours le temps de lireBeckett, Saumont, Anouilh, Lydie Salvayre, Eric Chevillard ou OlivierAdam. Et surtout, d’écrire : poème,pièce de théâtre, roman.En 2003, devenue toulousaine etmaman de deux très jeunes enfants,elle s’oriente vers le texte court, dontla brièveté convient parfaitement àl’emploi du temps d’une mère de famille … et à son talent. Car elle découvre qu’elle s’y entendplutôt bien à “faire rentrer le mondedans une bouteille à l’aide d’un entonnoir”. Sa minutie, son exigence

font merveille dans ce travail de miniaturiste. Quand elle se lance dansces concours de nouvelles qui fleuris-sent partout en France, en deux ans,elle s’impose avec une petite centainede victoires. Elle acquiert la considé-ration des jurys comme celle de ses “rivaux” en écriture, Georges Flipo,Françoise Guérin, qui font alors euxaussi leurs classes avant de trouveréditeur. Tous saluent l’originalité deses récits denses, bien balancés, maîtrisés jusqu’à la chute toujours impressionnante. Elle se constitueainsi un public d’aficionados qui la lisent dans des revues, des recueils collectifs malheureusement confiden-tiels. Internet est plus porteur : en2004 une productrice de Radio France,découvrant ses textes en ligne, lui demande d’écrire des fictions radiophoniques pour France Bleu.Restait à trouver un éditeur. On sait que c’est, dans le panorama del’édition française actuelle, une gageure pour une nouvelliste. Car enFrance, pays de Gautier et de Maupassant, si des universitaires écrivent des thèses sur Annie Saumont, les éditeurs se méfient de lanouvelle. Moins médiatique, plus élitiste. Passe pour Borges, Carter ouMunro déjà célèbres, passe de

compiler les nouvelles de romanciersfrançais reconnus. Mais découvrir dejeunes nouvellistes contemporainssemble constituer un risque éditorial. Cette frilosité ambiante rend plus remarquable encore le tir groupéd’Emmanuelle Urien. Raflant d’uncoup le bronze, l’argent et l’or, elletrouve non pas un, mais trois éditeurs,en moins de dix-huit mois, en envoyant ses manuscrits par La Poste.Dans trois maisons bien différentes : laplus modeste, (son nom le dit), L’Etreminuscule, ouvre son catalogue en décembre 2005 sur Court, noir, sanssucre. Emmanuelle a alors déjà reçuune réponse positive de Quadrature,jeune maison d’édition belge à contre-courant, puisque spécialiséedans la nouvelle, pour Toute humanitémise à part qui paraît en février 2006.Six mois plus tard, elle reçoit un coupde téléphone inattendu : l’écrivain Richard Millet, directeur de collectionchez Gallimard, a été conquis par LaCollecte des monstres. (Sous le coup dela surprise, tout juste s’il ne se voit pasraccrocher au nez ! Emmanuelle a bienun ou deux copains assez farceurspour lui monter ce genre de canular…).Le comité de lecture de Gallimard semontre enthousiaste et La Collectesera publiée en mars 2007. C’est la consécration. Trois maisons différentes. Trois recueils qui ont chacun leur tonalité,mais d’égal intérêt : cette trilogie s’impose d’emblée avec la cohérenced’une œuvre. Le premier titre, Court, noir, sans sucreen annonce la couleur, avec humour etsans équivoque. Il n’est pas étonnantqu’Annie Saumont, l’incontournablegrande dame de la nouvelle française,auteur de Noir, c’est tout, qui découvre par hasard le recueil à la bibliothèque de Noisy-Le-Grand, s’enthousiasme aussitôt. Elle s’en faitla marraine et invite Emmanuelle à leprésenter avec elle au Café littérairelocal en mai 2006. C’est qu’elle a reconnu chez la jeunenouvelliste sa propre lucidité devant

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1/ Toute humanité mise à part, Quadrature, 2006

2/ Ibid.3/ Court, noir, sans sucre,

L’Etre minuscule, 20054/ Ibid.

www.emmanuelle-urien.org

A paraître : Tu devrais voir quelqu’un...

Gallimard, Février 2009

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les dérives contemporaines, la mêmeprédilection pour des nouvelles “àchute” qui pointent, par leur brièvetésèche, leur noirceur, des sujets de société traités au travers de person-nages originaux et touchants : Paulinela ménagère, Tonio le chauffeur detaxi, Marianne l’infirmière participentde cette humanité moyenne, de cellequ’on croit trop souvent sans relief,sans histoire. Aucun décalque cependant : Emma-nuelle Urien a su trouver d’instinctune voix personnelle, un registre quilui est propre, avec le souci d’une écri-ture claire, accessible, contemporaine.Exigeante cependant, en lutte contretoute forme de clichés, soucieuse d’untravail subtil sur la langue.Si toutes font mouche, certaines rejoignant les domaines de l’étrangeou du fantastique, les autres plus réalistes, les deux nouvelles qui encadrent Court, noir, sans sucre, Assistance technique et Le chemin àl’envers, deux magnifiques portraits demères affligées, sont bouleversantes detendresse et de pudeur. Le jury du Prix de la Nouvelle de Lauzerte y est sensible et récompensele recueil en septembre 2006. Celui du Prix de la Ville de Balma primera en avril 2007 le recueil jumeau, Toute humanité mise à part : ”douze histoires étonnantes et cruelles,écrites avec la précision chirurgicale quiconvient à ce genre de littérature… ”écrit La Dépêche du Midi, qui signalequ’une bonne dose d'humour ne gâcherien et permet de mordre à pleines dentsdans ces récits sans illusions”.Premières publications, premiers salons du livre, c’est l’occasion de rencontres. Celle avec Solenn Colléter,Fabienne Ferrère et Patricia Parry,toutes trois auteurs de polars, aboutiraà ce petit groupe d’amies complices,réunies par le goût de l’écriture, que jerejoindrai ensuite et qu’un journalisteappellera un jour par boutade Confrérie de la Terreur, vite corrigé enFilles du Noir, plus élégant ! Mais pourquoi tout ce noir ? demandentalors les lecteurs, souvent interloquésen découvrant, au hasard d’un salon,la grâce juvénile d’Emmanuelle. Cette jeune femme réservée et souriante, est-ce vraiment l’auteur desrécits terribles ou grinçants qui les ontfait frémir ?Le noir s’est imposé, répond-elle, aufur et à mesure de l’écriture, sansqu’elle se pose jamais la question dugenre dans lequel elle versait. Si lemonde ne tourne pas rond, n’est-ce

pas le rôle de l’écrivain, tout désarméqu’il soit, que d’en tenir au moins procès-verbal ? Jamais glauque ou racoleur, le noir seporte d’ailleurs chez Urien allégé defantaisie, brodé de choses vues, de remarques amusées, transfiguré parl’imagination. Il est toujours contreba-lancé par l’humour, cette politesse dudésespoir. La cruauté se souligne parfois d’ironie féroce. Ainsi dans Sévices compris 1 : “Tous les samedissoirs, Marie-Margaux prenait, sans raison particulière, une bonne volée…Alain était en effet de ces hommes qui croient dur comme fer que les petites habitudes cimentent le couple,et il tenait à ce que le sien fût aussi solide que possible.”Sans jamais se voiler la face sur leursdéfauts, Emmanuelle se penche sur sespersonnages, avec tendresse et unecompassion sans condescendance,deux qualités dont tous ceux qui l’approchent voient bien qu’elle lesexerce dans la vie. Si bizarres soient-ils (tous ont un grain, c’est cequi les rend si attachants), elle se couledans leurs vies étroites et sombres,dangereuses comme des ruelles mal famées. Certains sont frappés par le destin commun à toute l’espèce humaine : la maladie, la mort, la perted’un être cher. Le premier qui rira2 faitainsi triptyque avec La Place du mort 3

et Pas du crabe 4, trois variations sur lamême question presque philosophique :accepter ou non d’être le survivant ?affronter ou nier le deuil ? D’autressont voyous, prisonniers, loques avachies, sans-papiers, égoïstes aupetit pied. Mais Emmanuelle Uriennous les rend tous si proches, si humains, qu’ils côtoient sans faussenote ceux qui s’approchent par leursouffrance de la sainteté (ou de la folie,les deux se mélangent). Sa mission estde les accompagner, comme la narratrice d’Assistance technique racontait l’histoire de Mélanie Bix“pour ne pas oublier son nom…”. La Collecte des monstres proposera dix-huit récits encore plus brefs. Le recueil y cadre serré des héros plusquotidiens, ordinaires jusque dansleur “monstruosité”, jouets d’une société hostile, violente et absurde quis’acharne sur les plus faibles, ceux quisont différents, exclus : comme cet employé soumis à l’ostracisme de sescollègues, pires que les babouins duzoo qui se lynchent entre eux, commele petit comptable égaré dans un enferkafkaïen. Beaucoup de femmes : starlette déchue, Juliette sans Romeo,

Lilas, résignée à payer son loyer de son corps, toutes éblouies par la promesse d’amour, de gloire, ou d’argent, naïves dans leurs rusesmêmes. Dupées, trahies, elles finissentparfois meurtrières, tant la violenceengendre la violence.Car là est le ressort de ces textes tendus comme des arbalètes, - maisrappelons-le toujours aérés, allégésd’humour, jusque dans la chute, - cestextes apparemment limpides, maisqui ne cèdent rien du dénouement àl’avance : car comment prévoir, dansce monde de guingois, qui sera victime, qui sera bourreau, tant la violence engendre la violence ?Seul le pire est sûr. La mort - physiqueou symbolique - est presque toujoursau rendez-vous. On comprendqu’Urien ait eu droit, comme les plusgrands du polar, à une entrée dans leDictionnaire des Littératures Policièresde Claude Mesplède… La publication de La Collecte a donnéen 2007 une impulsion radicale à la vied’Emmanuelle, qui se consacre alors à l’écriture : animations d’ateliers, fictions radio, nouvelles sur le thèmedu miroir, mise en chantier d’unroman. Jazz me down, superbe histoired’amour bluesy, paraît en avril 2008,dans le coffret Jazz Quartet, chez In8.Cette rencontre avec la musique n’estpas fortuite : Emmanuelle chante avecle groupe La Teigne, compose et chantepour LoFi, avec le même bonheurqu’elle s’essaie aussi au dessin ! 2009 s’ouvrira sur la publicationde son premier roman par Gallimard et tout un foisonnement heureux de projets….

Magali Duru

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Laurent Mauvignier, Villa Medicis, Rome.

Après Dans la foule publié en 2006, le nouveau roman de Laurent Mauvignier sortira aux Editions deMinuit en 2009. Entre temps, il a étéchoisi par l’Académie de France àRome comme écrivain en résidence à la Villa Médicis pour l’année2008/2009. Nous l’avons interrogé surson projet d’écriture romain : “Monprojet tourne autour du tourisme. J'aienvie de voir un lieu où l'on vient enmasse consommer du symbolique, duculturel, de l'art, du passé. Au départ,je voulais faire quelque chose sur lesjardins publics, avec toujours la mêmequestion, de quoi les gens viennent sereposer dans un jardin public. Et comment le lieu (en) commun, public,est traversé par des raisons plus souterraines, intimes, privées. Et dansle projet romain, il y a la question desavoir pourquoi on ressent le besoin devenir chercher de l'art, quand dans lavie de tous les jours ce n'est pas si vrai.Qu'est-ce qu'on vient dire ou cacher desoi à ce moment-là. Pour moi, c'estaussi une façon de sortir d'un schémaqui est dans tous mes livres : le traumaet son (ses) onde(s) de choc, sa dilutionet sa persistance dans le temps. Là, je voudrais penser cette question sur unmode différent, et le lieu de mémoire,de tourisme, pose aussi cette question(je voudrais faire une sorte de shortscuts, de Trailer park (R.Banks), à travers des lieux de passages). Maisévidemment, je ne sais rien de tout ça,et peut-être c'est une idée qui ne donnera rien.”

� Création littéraire

Hommage à Dominique Autié

(1949-2008)

Pendant 30 ans, j'ai été librairechez Privat. Nos chemins nepouvaient que se croiser. Dominique Autié est arrivé unjour de 1980, jeune homme (né en 1949) au visage ouvert,au sourire réservé, les cheveuxclairs bouclés et portant unnœud papillon qui devait le distinguer à tout jamais.

Nos premiers contacts eurent lieu aucours de réunions professionnellespoursuivies pendant 18 ans : c'est ainsique je vis peu à peu s'affirmer l'éditeurà la tête d'une maison où il avait étéplacé par Pierre Privat et Georges Hahnen juin 1980 et qu'il anima jusqu'en1998, avant de créer, avec Sylvie Astorg, la société In Texte, agence de conseil en édition, de packagingéditorial, d'expertise de l'écrit et de formation, où il travailla jusqu'à la fin.Dès ses débuts dans cette maison quiappartenait encore à la famille Privat,le jeune éditeur poursuivit avec succèsl'œuvre entreprise à travers de nombreuses collections historiques etde sciences humaines. C'est ainsi quecontinua à se développer ce qui faisaitla notoriété des éditions Privat telle la collection consacrée aux villes de France inaugurée par Histoire de Toulouse ou les ouvrages sur le catharisme grâce à Michel Roquebert.Puis vint le temps des changementslorsque la famille Privat, en 1988, sesépara de la maison au profit duGroupe de la Cité qui la confia à Bordaséditeur. Dominique Autié dut alorsfaire face à de nouvelles contraintesimposées par de lointaines stratégiesde groupe qui rendirent sa tâche plusardue. Mais il continua discrètement àimprimer sa marque à un catalogueriche d'auteurs nombreux, promet-teurs ou confirmés, en menant à bien

de multiples projets sur des sujetsd'envergure nationale ou locale.En 1995 un nouveau bouleversementse produisit lorsque le Groupe de laCité, gardant le catalogue Sciences Humaines pour sa filiale Dunod, vendit au groupe pharmaceutique castrais Pierre Fabre le catalogue Histoire. Malgré cet ancrage local, lavie de Dominique Autié devint de plusen plus difficile. Confronté à une direction dont l'édition n'était plus lemétier ni la préoccupation essentielle,il tint jusqu'au bout les rênes de lamaison, tout en respectant des décisions prises parfois contre son gré.Il réussit à faire vivre un catalogue etput assurer dans les librairies et chezles lecteurs la permanence du nom de Privat par une cinquantaine de publications annuelles. Mais peu àpeu, bridé dans ses choix et accablé demesquineries par des supérieursjouant ailleurs leur jeu personnel, ilprît la décision de quitter cette maisonà laquelle il avait tant donné et partitcréer sa propre société, In Texte, belleréussite qu'anime encore aujourd'huiavec talent Sylvie Astorg.Heureusement, établissant une bar-rière avec sa vie d'éditeur il continuaità mener une vie parallèle d'écrivaincommencée très jeune par des pigesdans Le Monde des Livres, des contributions à des revues littéraires etdes collaborations auprès d'éditeurs-artisans. Peu à peu se bâtit une œuvre singulière faite de récits, nouvelles, essais romans et théâtre, pas toujoursd'accès facile mais toujours remarquéeet saluée par la critique.C'est Pierre Coulaud qui souligne saprose "élégante, racée, aristocratique"à la sortie du Cabinet du naturaliste(Clancier-Guénaud) en 1998 ou encorePierre Lepape dans son feuilleton duMonde des Livres qui lui rend un hommage flatteur en 1994 en rendantcompte de son premier roman

Blessures exquises (Belfond), sansdoute la plus fine des analyses jamaisécrite sur le travail de DominiqueAutié écrivain. Soulignant le charmeque dégage ce roman, Lepape écrit : “on se laisse entièrement prendre parl'histoire étrange qu'il nous raconte,par le cadastre complexe des cheminsqu'il emprunte, par la logique précisemais flexible de son écriture”.Reconnu par la critique, il l'était aussipar ses pairs ainsi qu'en témoigne unemagnifique lettre de 1997 qu'il gardaitprécieusement, reçue de Claude-LouisCombet, un écrivain qu'il admirait : “J'ai été très frappé de découvrir dansvos récits une certaine proximité fantasmatique par rapport à la matièreque j'exploite dans les miens. Le partage inattendu d'obsessions, denostalgies, de souvenirs pernicieux, deconstructions délirantes est toujourspour moi, lorsqu'il se présente, un moment d'émotion intense, d'autantplus intense que de tels moments sontrares”. Passionné par l'écriture et attentif aux modes de communicationd'aujourd'hui il tint jusqu'à la fin unblog de plus en plus lu et appréciépour la richesse des thèmes abordés.En contact avec l'éditeur, l’écrivainmais aussi avec le lecteur que je rencontrais constamment à la librairie,je garde de l'homme une image rare,riche et complexe. Toujours discret,d'une grande courtoisie, attentif à chacun et d'une grande capacitéd'écoute, il s'efforçait de nouer avec sesinterlocuteurs une relation marquante,se plaisant par exemple à offrir à sonentourage et à ses amis de petits livresqu'il écrivait et réalisait pour eux. Sa richesse intérieure, ses qualités humaines ont fait de lui dans ma vieprofessionnelle et personnelle une personnalité marquante et qui laisseun grand vide.

Georges Brielle

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Dominique Autié ou la lecture ininterrompue

Évoquer la figure de DominiqueAutié c’est, pour nous, faire ressurgir le souvenir de cette silhouette qui se profilait régulièrement devant notre vitrine, s’arrêtant longuement,le regard scrutateur, commefouillant un terreau à jamaisépuisé. Notre rencontre s’estétablie presque naturellementdans la reconnaissance mutuellede professionnels qui avaientfait de la lecture et de la littéra-ture l’horizon de toute une vie.Et cela était particulièrement sensible chez Dominique Autié.Cette familiarité, cette proximitélui venaient d’un long parcoursau sein des métiers de l’édition.

De son travail d’éditeur et de celui deson père typographe, il conservait uneattention extrême à la réalité artisanalede nos métiers. Le livre était pour luiun objet dont la matérialité était indissociable de son plaisir de lecteur.Très fréquemment, nous nous entrete-nions avec lui des ouvrages actuels et de leur fabrication. Il avait une certaine amertume, une certaine tristesse, de voir comment l’objet-livreappartenait plus aujourd’hui à un processus industriel, regrettant avecun affect qui pouvait s’apparenter parmoments à une certaine forme de dandysme littéraire, la disparition desin-quarto, in-octavo, des cahiers cousus,et des ouvrages non massicotés. Pourlui, le livre était bien sûr un contenumais aussi la forme qu’on donnait à cecontenu, et son plaisir de lecteur setrouvait certainement renforcé quand

il avait à découper les pages d’un livreà l’aide d’un outil tranchant choisiavec le plus grand soin. Jamais il nemanquait une occasion de nous faire partager ses “trouvailles” bibliophiliques. On pouvait saisir à cetinstant l’immense félicité que, malgréson extrême discrétion, il ne pouvaitcontenir. Il portait un soin extrême à tous les livres dont il faisait l’acquisition. Ilpassait de longues soirées à recouvrirtous ses ouvrages d’un papier-cristalqu’il faisait venir d’Allemagne. Je mesouviens d’une après-midi où il nousavait longuement détaillé cette tâche,nous expliquant avec une précision infinie toutes les étapes de ce travail,et dévoilant ainsi un secret de conservation qui établissait entre nousune complicité toute initiatique.Sans nul doute sa bibliothèque étaitcelle d’un humaniste. À la parcourir,on pouvait percevoir aussitôt les affinités électives dont nous pourrionstrès certainement tirer le portrait encreux de cet étonnant personnage.Pour mieux saisir cela, il nous suffit deciter quelques-uns des auteurs qui appartenaient à son panthéon littéraire :Claude-Louis Combet, Louis-René desForêts, Jean Follain, Gil Jouanard, Pascal Quignard, Hélène Cixous, Richard Millet, Salah Stétié, RogerCaillois pour lequel il avait une trèsgrande admiration… Tous ces écrivains pour lui n’avaient de cesse decreuser les sillons d’une langue, d’investir les passages les plus reculésde leur “être au monde”. Dominique Autié conjuguait au plusprès la solitude du poète et celle dulecteur, fruits d’un entretien privé quise conduit dans le silence d’une chambre ou d’une bibliothèque.

Hervé et Eric FLOURY

David Fauquemberg à la Maison des Ecritures

de Lombez

Le romancier David Fauquemberg esten résidence à la Maison des écrituresde Lombez jusqu’au 12 décembre. Il y termine son nouveau roman qu’il aprévu de remettre à son éditeur(Fayard) au mois de janvier 2009. Tour à tour professeur de philosophie,marcheur en Laponie, boxeur à Cuba,arpenteur de la Patagonie et guitaristede flamenco initié par des gitans de lasierra andalouse, ce normalien auxvies multiples se pose quelquefoispour écrire. Son premier roman, Nullarbor, raconteson périple de deux ans dans le GrandOuest australien, une véritable épopéedans “un monde sans prudence, oùtout n’est que violence et ruine”. Unrécit lapidaire, brut, percutant, novateur, qui a été choisi comme“coup de cœur de l’année” au festival des Étonnants-Voyageurs de Saint-Malo en 2007 et a reçu le PrixNicolas Bouvier. Espérons que les collines gersoires et leur petit air toscan l’inspireront autant que les grands espaces australiens, pour son nouveau voyageen écriture.

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� Parutions

La rentrée littéraire en Midi-PyrénéesA découvrir, un éventail de parutions d’auteurs originaires ou vivant en Midi-Pyrénées

Une Belle époqueChristian AuthierEditions Stock - août 2008

ISBN 9782234059627 – 19 €

Le narrateur retourne sur les lieux desa jeunesse, ceux d’une grande ville deprovince, où il a connu de l’automne1994 au printemps 1995 une certaineliberté, l’ivresse du pouvoir et unamour inoubliable. Ce fut une belleépoque. Après ses études, il travaille furtive-ment dans une agence de communica-tion, puis dans le quotidien régionaldont les propriétaires, une famille denotables véreux, ont beaucoup à se reprocher. Un jour, s’offre à lui et à sesamis l’occasion de se mettre au serviced’un maire qui rêve de destinée nationale sur fond de campagne présidentielle. Ils n’ont pas vingt-cinqans et l’avenir leur appartient, l’argentfacile et l’envie de s’amuser font lereste. Épousant les ambitions d’unenouvelle génération de politiciens,dont les bons sentiments affichés masquent à peine le cynisme, la petite “troupe” découvre vite les eaux glacées des calculs égoïstes et des basses manipulations. Dans cette période tourmentée, l’élégance archaïque et la grâce de la belle Clémence rappellent toutefois au narrateur que la vie vaut d’être vécue.Du moins, il ne pouvait alors imaginervivre autrement.

Les Accommodements raisonnablesJean-Paul DuboisEditions de l’Olivier - 21 août 2008

ISBN 9782879295541 – 21 €

Paul Stern – toulousain, la cinquan-taine – hésite. Entre une épouse(Anna) qui s’enfonce dans une pro-fonde dépression et s’éloigne de luichaque jour davantage et un père(Alexandre) dont le remariage scanda-leux lui révèle soudain la vraie nature,il est tenté de tout abandonner. La proposition d’un studio de cinématombe à pic : quoi de plus providen-tiel qu’une année à Hollywood pourréécrire le scénario d’un film françaisafin d’en tirer un remake ?Embauché par la Paramount, Paul découvre un univers entièrement factice qui le renvoie à ses proprescontradictions. Jusqu'au moment où,dans un couloir des studios, il rencon-tre Selma Chantz. Et sa vie bascule. CarSelma est le sosie parfait d’Anna, avectrente ans de moins…Un roman sur l’illusion dont chacunde nous est la proie, jetant sur notreépoque un regard lucide.

Un loup au paradisThierry DedieuEditions Le Seuil Jeunesse - 2 octobre 2008

ISBN 978-2-02-098523-9 – 18 €

Loupi est le descendant d’une grandelignée de loup. Pourtant il rêve davan-tage de faire partie d’un troupeau quede sa meute. Chaque jour, il tente degagner la confiance des moutons. Etlorsqu’enfin sa présence est tolérée, etqu’après bien des compromissions, ilparvient à s’intégrer, c’est alors qu’unloup vient attaquer le troupeau. Voilàde quoi remettre en cause le fragileéquilibre établi entre Loupi et les moutons. On lui demande de défendrele troupeau en se mesurant à soncongénère. Mais est-il encore loup ?Une fable sur l’identité, ou commentrentrer dans le rang des moutonsquand on est un loup à plein de dents.

Les Fables de La Fontaine (Livre I et Livre II)Thierry DedieuEditions Le Seuil Jeunesse - 6 novembre 2008

ISBN 978-2-02-098337-2 et 978-2-02-098338-9

18 € chacun

Dans chaque livre, Thierry Dedieu achoisi six fables de La Fontaine qu’il amises en perspective dans ses tableaux

tout en dentelle d’ombre et de lumière.Un véritable petit théâtre tout en légè-reté et en élégance, dans une fenêtreencadrée par les vers intemporels ettout aussi théâtraux du plus célèbredes fabulistes. De quoi faire découvrirces chefs-d’œuvres de la littératureclassique autrement que dans les ma-nuels scolaires. A partir de 6 ans.

Une éducation libertineJean-Baptiste Del AmoEditions Gallimard - 25 août 2008

ISBN 9782070119844 – 19 €

“C'est un homme sans vertu, sansconscience. Un libertin, un impie. Il semoque de tout, n'a que faire desconventions, rit de la morale. Sesmœurs sont, dit-on, tout à fait inconvenantes, ses habitudes frivoles,ses inclinations pour les plaisirs n'ontpas de limites. Il convoite les deuxsexes. On ne compte plus les mariagesdétruits par sa faute, pour le simple jeude la séduction, l'excitation de la vic-toire. Il est impudique et grivois, va-gabond et paillard. Sa réputation leprécède. Les mères mettent en gardeleurs filles, de peur qu'il ne les dévoie.Il est arrivé, on le soupçonne, que desdames se tuent pour lui. Après lesavoir menées aux extases de l'amour, illes méprise soudain car seule la volupté l'attise. On chuchote qu'il aurait perverti des religieuses et précipité bien d'autres dames dans lesordres. Il détournerait les hommes deleurs épouses, même ceux qui jurentde n'être pas sensibles à ces plaisirs-là.Oh, je vous le dis, il faut s'en méfiercomme du vice.” Paris, 1760. Le jeune Gaspard laissederrière lui Quimper pour la capitale.De l'agitation portuaire du fleuve auxraffinements des salons parisiens, ilerre dans les bas-fonds et les bordelsde Paris. Roman d'apprentissage, Uneéducation libertine retrace l'ascension et la chute d'un homme asservi par la chair.

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Survivre et vivreEntretiens entre Clémence Bouloque et Denise EpsteinEditions Denoël - 9 octobre 2008

ISBN 9782207260111 – 15 €

Denise Epstein est née en 1929, annéede parution de David Golder, le premier succès littéraire d'Irène Némirovsky. Fille surprotégée de la romancière qui la présentait aux journalistes pour éluder les questionsou les photographies, elle est pourtant,ainsi que sa sœur Élisabeth âgée de cinq ans, jetée de plein fouet dans la vie, en juillet 42, lorsque les gendarmes français viennent arrêter sa mère dans le village où la famille atrouvé refuge. Quelques mois plustard, son père, Michel Epstein, estaussi déporté puis assassiné par lesnazis. Suivent des années de cache, defaux noms et de pensionnats : “la traque”. Avec une grande pudeuret un art de la dénégation modeste, Denise Epstein se livre pour la première fois – en creux du succès deSuite française. C'est tout un itinéraire,à la fois exemplaire et reflet du siècle,qui se lit. Une enfance choyée et uneadolescence laminée par la peur, unâge adulte sans repère, une vie de militante dans les années soixante etsoixante-dix, un timide retour vers lejudaïsme – qui n'interdit pas, bien sûr,un procès fait à Dieu pour ses absenceset notamment celle qui l'a privée des siens, même s'ils ne cessent de l'accompagner. Pour, comme elle, vivreet survivre...

La meilleure part des hommesTristan GarciaEditions Gallimard – 25 août 2008

ISBN 9782070120642 – 18,50 €

“Dominique Rossi, ancien militantgauchiste, fonde à la fin des annéesquatre-vingt le premier grand mouve-ment de lutte et d'émancipation del'homosexualité en France. Willie estun jeune paumé, écrivain scandaleux àqui certains trouvent du génie. L'un etl'autre s'aiment, se haïssent puis se dé-truisent sous les yeux de la narratriceet de son amant, intellectuel média-tique, qui passent plus ou moinsconsciemment à côté de leur époque.Nous assistons avec eux au spectacled'une haine radicale et absolue entredeux individus, mais aussi à la naissance, joyeuse, et à la fin, malade,d'une période décisive dans l'histoirede la sexualité et de la politique en Occident. C'est le récit fidèle de la plupart destrahisons possibles de notre existence,le portrait de la pire part des hommeset – en négatif – de la meilleure.” Tristan Garcia.

Femme du mondeDidier GoupilEditions Naïve – 19 novembre 2008

ISBN 2350211711 - 15 €

Dans une succession de courts ta-bleaux, Didier Goupil trace le portraitd'une femme née avec le XXe siècle etqui en traversera les horreurs. C'estune femme du monde d'abord, richepense-t-on, oisive croit-on, qui prenddes bains car "passer sous la doucheserait au-dessus de ses forces". On laretrouve plus loin, elle rencontre

"Monsieur" qui "swinguait sur la Côted'Azur (...), skiait en Autriche ou enItalie". La guerre s'avance, les nazissont aux portes de la France, Monsieurleur ouvre volontiers et quand il leurlivre les tableaux des familles juivesque Madame voulait protéger, elle "nemangea plus que pour avoir quelquechose à vomir." On passe, avec le siècle, de la légèreté à l'horreur. La résistance de Madame lui vaudra lescamps, la défiguration humaine, le volde son identité, la mort presque.Comme d'autres rescapés, Madameconnaîtra ensuite la non-vie, le désird'en finir. C'est, à nouveau, la peinturequi la sauvera, avec son art d'aban-donner "la figure humaine pour laseule couleur. (...) Elle avait vul'homme trop nu et elle ne l'aurait passupporté peinturluré à la va-vite."

Vacance au pays perduPhilippe SégurEditions Buchet Chastel – 21 août 2008

ISBN 9782283022603 – 18 €

Un graphiste hypocondriaque, végé-tarien et tyrannisé par ses enfants,rêve d’ailleurs et d’aventure. Le jouroù il découvre que les salades, les purées et les pâtes dont il conçoit les emballages sont bourrées de pesti-cides, d’hormones de croissance etd’antibiotiques, il décide de rompreavec le système et de fuir la société deconsommation. Il s’embarque avec sonmeilleur ami pour un périple qui va leconduire à découvrir, loin des circuitstouristiques, le dernier pays des merveilles.De ce pays fameux, cet anti-héros, perclus d’angoisses et aliéné par le système avec lequel il veut rompre, neverra pas grand-chose…

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Midi-Pyrénées à l’international

Fait rare et à noter, la traduction d’unouvrage d’un auteur toulousain enrusse et coréen ! Il s’agit d’Un chien dudiable de Fabienne Ferrère, lauréated’une bourse d’écriture du C.R.L. en2008 qui vient d’achever la suite de cepremier polar publié chez Denoël. Unrayonnement élargi pour cette œuvreet la conquête de nouveaux lecteurs enperspective….

Midi-Pyrénées intéresse au-delà de sesfrontières. Le recueil French Tales(ed. Oxford, 2008) offre aux lecteursanglophones un aperçu des vingt-deux régions françaises à travers leprisme de textes courts d’écrivainsfrançais, classiques ou contemporains,traduits en anglais par Helen Constan-tine. La région Midi-Pyrénées y est représentée par une nouvelle d’EmileZola (The Flood) qui évoque une crue dramatique de la Garonne survenue à Toulouse en 1875.

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Eloge de la lenteurCe dossier, nous l’avons voulu, dans le prolongement des débats du printemps autour de la loi sur le prix unique du livre. Il nous a semblé important d’en revenir aux fondamentaux du métier d’éditeur et de libraire et de montrer à nos lecteurs selon quelles modalités et à quelles conditions se constituaient un catalogued’éditeur, un fonds de librairie.

Par les perspectives qu’elles dessinent, les diverses contributions que nous avonssollicitées nous ont suggéré un titre : Eloge de la lenteur. Ce que la loi sur le prixunique du livre a rendu possible, c’est en effet une certaine liberté de choisir et deprendre son temps, à l’abri, toujours provisoire, des pures logiques du court terme.Prendre son temps pour faire des choix et donner leur chance à des textes qui s’imposeront peut-être lentement mais auxquels l’éditeur croit et qu’il accompagne.

Tels sont les enjeux des discussions et des négociations qui se dérouleront au coursdes prochains mois. Nous formulons le vœu que ce dossier, à travers la diversité despoints de vue qui y sont présentés, offrira à nos lecteurs d’utiles pistes de réflexion.

Le fonds au cœur du problèmeHervé Serry Université Paris 8 - Cnrs

Le fonds d’un éditeur est la source de son prestige, d’une image de marque positiveaux yeux du lectorat, des libraires, des critiques, des auteurs et de ses pairs. Cristallisation d’une pratique éditoriale, il se définit comme “l’ensemble des ouvrages inscrits au catalogue d’un éditeur et qui font l’objet d’une exploitation permanente caractérisée notamment par une diffusion régulière en librairie” (Dictionnaire encyclopédique du livre, 2005). Ainsi, il peut être opposé aux nouveautés et aux livres dont les ventes sont portées par les modes. De cet ensemble, pour les éditeurs de littérature générale dont il est principalement question dans ce dossier, dépend des profits relativement prévisibles et au long cours.

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Une économie doubleL’idée de fonds d’édition est corrélative de la nature double de l’économie éditoriale, à la fois économique et symbolique (Bourdieu, 1977). Un fonds prestigieux, à l’image de ceux de Gallimard ou de Minuit, est source d’une sûreté financière permettant un investissement régulier au service de la création.De manière très intriquée avec cet aspect temporel, la légitimité d’un catalogueattire des (jeunes) auteurs et fonde une part de la confiance des libraires et deslecteurs. Pour Siegfried Unseld, directeur de Suhrkamp à partir de 1959, “le prestige des auteurs célèbres d’une maison est utile à ceux qui y débutent” (Suhrkamp, 1978, p. 36-37). Ce capital symbolique se matérialise par des noms etdes œuvres célèbres, par une liste de Prix littéraires, par un instantané photographique, à l’instar de celui montrant le groupe formé par Jérôme Lindonet plusieurs auteurs du “Nouveau roman” dont Sarraute, Robbe-Grillet ouBeckett, par une couverture mythique – les deux filets rouges et le filet noir de“La Blanche”, par une figure d’éditeur qui a incarné une politique éditoriale(Jean Cayrol pour le Seuil).La nature double de l’économie éditoriale doit être pensée simultanément à la polarisation des entreprises d’édition généraliste, entre un pôle de grande production, dont le court terme est l’horizon, et un pôle de production restreinte,pariant sur une rentabilisation sur le long terme. Dans cette économie renversée, leprestige est la valeur dominante irréductible au succès économique. Lorsqu’en1961, Robert Laffont songe à fonder le développement de sa maison sur l’allianceavec un partenaire financier, il écrit : “La firme qui recherche uniquement des succès commerciaux peut obtenir des résultats rapides mais non profonds. Un cer-tain discrédit pèse sur elle, qui l’empêche de constituer un fonds de valeur durable” (Laffont, 2000). Une logique duale qui cohabite au sein d’une entrepriseéditoriale et concourt, parfois au sein d’un même programme ou d’une même collection, à rendre possible une péréquation entre risques, échecs et réussites.

Une alchimie raisonnéeL’édification d’un fonds de littérature générale, c’est-à-dire la construction d’unenotoriété (Benhamou, 2002), est le moment d’une alchimie qui combine capitaléconomique, capital symbolique, capital social, savoirs professionnels et biend’autres éléments encore. L’argent et les lettres (Mollier, 1988) se fécondent pourconstruire les “banques” de la littérature en langue française.Une rénovation esthétique, portée par une revue, est le pari tenté par les hommesqui deviendront les figures légendaires des Editions Gallimard. Cette ambitionn’empêche aucunement de considérer avec vigilance le lien qui unit réussite économique et image de marque. Le 2 juin 1910, Paul Claudel intéressé par lespremiers pas de La Nrf écrit à André Gide que “Toute la question est de savoirsi une entreprise commerciale peut vivre en n’éditant que des ouvrages excellents

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de forme et de fond.” Afin de tenter de résoudre cette équation difficile, le poèteestime “que le plus nécessaire à organiser, ce n’est pas la partie édition, c’est lapublicité” (Claudel, Gide, 1949).Dépourvu de véritables réseaux intellectuels en dehors des milieux catholiquesproches de la revue Esprit, le Seuil des années 1950 et 1960 mise sur la littératureétrangère pour poser les fondements de son catalogue littéraire et se construireun fonds. Plusieurs romanciers de la “nouvelle Allemagne”, dont Heinrich Böllet Günter Grass, en seront les emblèmes. Leurs succès critique et public – Böll est le premier “Nobel” d’un catalogue qui n’en compte aucun de languefrançaise –, apporte au Seuil une légitimité réinvestie dans d’autres domaines(Serry, 2002 et 2008).Ces logiques de transfert de capital symbolique connaissent d’innombrables déclinaisons, profondément enracinées dans les ressources relationnelles et professionnelles que leurs promoteurs peuvent engager. Dans les années 1910-1920, Bernard Grasset s’appuie sur le compte d’auteur pour financer, parailleurs, les écrivains dont il apprécie les manuscrits (Mollier, 2008, p. 39 sq.).L’avant-gardisme de l’éditeur barcelonais Seix Barral est mobilisé dans les années1960 pour conquérir le marché d’Amérique latine. Son fonds, l’animation d’unPrix littéraire, un travail sur la présentation des livres, tout ceci dans le contextedu franquisme qui tente d’ouvrir le pays à l’international, permet à Carlos Barral de jouer un rôle central dans la diffusion mondiale du roman sud-américain (Herrero-Olaizola, 2000). Pour les grands groupes et les entreprises anciennes, le rachat d’un label “historique” ou d’une jeune maison est un moyend’accroître leur fonds, et ainsi, leur légitimité. Il rend encore possible “l’accueilde personnalités éditoriales prometteuses” (Rouet, 2008, p. 95).

Le temps de l’édition généraliste et l’avenir d’un secteurAvec la rente symbolique et économique qu’il peut assurer, le fonds conditionnel’équilibre d’un secteur littéraire généraliste dont l’innovation est un moteur incontournable. Les entreprises installées doivent imaginer une gestion dynamique et un réajustement permanent de leur catalogue afin que les créations du présent soient compatibles avec le fonds. Les jeunes éditeurs doiventpouvoir trouver le temps et les moyens de poser les jalons d’une politique éditoriale à moyen ou long terme. L’équilibre lié à l’articulation du fonds et deslivres de ventes plus immédiates est fragilisé par les contraintes de la concentra-tion des entreprises et la montée en puissance des logiques de “communication“extérieures à l’édition (Vigne, 2008). Les alliés des éditeurs pour assurer la pérennité d’une offre diversifiée sont les libraires qui assument la mise à disposition des livres auprès du public. Il est difficile d’avoir un propos valablepour l’ensemble des acteurs d’une corporation très diverse. Toutefois, le clivageentre des producteurs de livres tendanciellement attachés au profit et une frangeattentive à la création, pourrait accentuer l’homogénéisation de la librairie

française sous l’impulsion d’un appareil de distribution de plus en plus rationalisé. La librairie de qualité, qui a montré ses capacités d’adaptation depuis les années 1980, est animée par des professionnels qui savent bâtir desfonds adaptés à une clientèle spécifique. Elle n’est pas un lieu de réception desouvrages des éditeurs destinés à être mis en rayon mais bien, malgré la pressiondes offices, la mise en forme d’une offre capable de saisir un public et de distinguer des œuvres et des éditeurs à soutenir sur le long terme (Poirier, 2003).Les évolutions en cours concernant l’édition littéraire (et plus largement), liéesaux concentrations d’entreprises, aux concurrences d’autres formes de loisirs, àl’internationalisation, aux politiques publiques, au numérique…, nécessitentune vision globale liant les enjeux de la construction des fonds éditoriaux etceux de la construction de l’offre des libraires qui sont les garants du lien avecles lecteurs. Si, depuis longtemps, certains éditeurs se sont saisis de cette question – au sein de l’Adelc (Association pour le développement de la librairiede création) par exemple –, d’autres, parmi ceux qui appartiennent aux grandsgroupes, s’en désintéressent avec constance. Les fonds d’éditeurs, autant queceux des libraires, sont bien à la croisée des lignes de front où se joue l’avenir dulivre et de l’édition.

Bibliographie :- Françoise Benhamou, L’Economie du star-system, Paris, Odile Jacob, 2003.- Pierre Bourdieu, “La production de la croyance : contribution à une économie des biens symboliques”, Actes de la recherche en sciences sociales, février 1977, p. 3-44.

- Paul Claudel, André Gide, Correspondance 1899-1926, Paris, Gallimard, 1949.- Pascal Fouché, Daniel Péchoin, Philippe Schuwer (et al.), Dictionnaire encyclopédique du livre,

Paris, Cercle de la Librairie, 2005.- Alejandro Herrero-Olaizo, “Consuming Aesthetics : Seix Barra and Jose Donoso in the Field ofLatin American Literary Production”, MLN, mars 2000, p. 323-339.

- Robert Laffont, “Recherche d’un accord (1961)”, Entreprises et Histoire, juin 2000, p. 117-122.- Frédérique Leblanc, Patricia Sorel (et al.), Histoire de la librairie française, Paris, Cercle de la Librairie, 2008.

- Jean-Yves Mollier, L’Argent et les lettres. Histoire du capitalisme d’édition 1880-1920, Paris, Fayard, 1988.

- Jean-Yves Mollier, Edition, presse et pouvoir en France au XXe siècle, Paris, Fayard, 2008.- Yannick Poirier, “Pour une défense de la librairie de qualité”, Esprit, juin 2003, p. 147-154.- François Rouet, Le Livre. Mutations d’une industrie culturelle, Paris, La documentation française, 2008.

- Hervé Serry, “Constituer un catalogue littéraire. La place des traductions dans l’histoire desEditions du Seuil”, Actes de la recherche en sciences sociales, septembre 2002, p. 70-79.

- Hervé Serry, Les Editions du Seuil : 70 ans d’édition (Catalogue d’exposition), Paris, Seuil, 2008.- Siegfried Unseld, L’Auteur et son éditeur, Paris, Gallimard, 1978.- Eric Vigne, Le Livre et l’éditeur, Paris, Klincksieck, 2008.

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Un éditeur qui prend son tempsLes Éditions Tristram ont 20 ans

Jean-Hubert Gailliot et Sylvie Martigny Editions Tristram

Comment tout a commencéTrois projets, prévus dès la fondation de la maison, ont engendré toute la suite du catalogue. Il s’agissait du livre pré-dadaïste, pré-surréaliste, pré-situationniste d’Isidore Ducasse, plus connu sous le nom de Lautréamont, Poésies, jamais publié séparément des Chants de Maldoror et sous la signaturevoulue par l’auteur en 1870. C’est pour nous le plus beau texte de la langue française, et notre premier livre publié, au printemps 1989. Deuxième projet fondateur, en 1989 toujours : Je rassemble les membres d’Osiris d’Ezra Pound. Un ensemble de textes destiné à éclairer la lecture de son grand œuvre, les Cantos, dont la traduction intégrale venait de paraître en France. Enfin, La Vieet les opinions de Tristram Shandy, roman absolu, dont la retraduction s’imposait depuis longtemps. Elle verra le jour en deux temps. Un premier volume riche de deux cents pages de notes du traducteur Guy Jouvet, en 1998.Puis la version complète, d’un millier de pages, en 2004. Voilà qui donne uneidée du “temps long” sur lequel se déploie un projet éditorial comme le nôtre.Baptiser la maison Tristram était une façon d’indiquer que la position du personnage de Tristram Shandy comme narrateur du roman de Laurence Sterne,avec l’imprévisibilité qui le caractérise, pouvait être reprise comme positiond’éditeur. “Il faudrait savoir à la fin si c’est à nous autres écrivains de suivre lesrègles — ou aux règles de nous suivre !” est l’une de nos nombreuses devises.

Une succession de déclicsUne seule idée motrice : remettre l’auteur au centre du processus d’édition. C’est ainsi que nous avons pu être amenés à publier le premier CD littéraire (Le Discours aux animaux de Valère Novarina, par André Marcon, enregistré aucours de l’été 1987, alors que la maison n’était pas encore juridiquement constituée). Ou le roman mural de 12m2 d’Hubert Lucot, Le Grand Graphe, sousla forme d’un “papier peint littéraire”. Ou encore, l’une de nos grandes fiertés,la version originale restée inédite du chef-d’œuvre de Maurice Roche, Compact,imprimé en sept couleurs.Nous ne nous sommes jamais demandé quoi publier. À tout moment, il y a desdéclics, et notre imagination d’éditeurs se met en marche. Quel était l’écrivain

américain le plus excitant à notre goût après Kerouac ? Lester Bangs. Problème :ce type, mort en 1982 à 33 ans, n’avait écrit que des critiques de disques.L’énorme volume que nous avons sorti de ses textes en 1996 (Psychotic Reactions& autres carburateurs flingués, suivi en 2005 de Fêtes sanglantes & mauvais goût)a donné une dignité littéraire à ce type d’écriture. Depuis, pour le meilleur etparfois le pire, les collections se sont multipliées dans ce domaine.Une autre fois, c’est Jean-Jacques Schuhl, chez lui à Paris, à l’époque où sonroman Ingrid Caven était sous presse, qui nous incite, connaissant notre goûtpour l’œuvre de J.G. Ballard, à nous pencher sur le roman de ce dernier intituléLa Foire aux atrocités. Deux ans plus tard, contact pris avec Ballard, nous en publions la version définitive, à laquelle l’auteur n’avait cessé de retravailler pendant trente ans, ce que Schuhl et nous-mêmes ignorions.Et de temps en temps, une bombe nous arrive par la Poste. La première fois,c’était avec Mehdi Belhaj Kacem, en 1991. Il avait 17 ans. Il s’était tourné versnous, parce que Sollers avait consacré un grand article aux Poésies de Ducassedans le Monde. Lui-même grand lecteur de Lautréamont, y avait vu, à juste titre,un signe de reconnaissance.

La littérature, c’est ce qui change la littératureChaque nouvel auteur du catalogue en appelle d’autres. Les profondes parentésdes œuvres de Maurice Roche (première publication chez nous en 1993), d’ArnoSchmidt (en 2000), de J.G. Ballard (en 2003), de Julián Ríos (en 2007), pour lesquels nous menons ou prévoyons d’ambitieux programmes “d’œuvres ras-semblées”, commencent à apparaître plus clairement aux critiques et aux lecteurs du fait de leur côtoiement dans notre catalogue. Voilà le genre de démonstration que nous aimons mener.Comme, sur un autre terrain, de montrer que certains classiques sont ultracontemporains : Laurence Sterne, ou ces jours-ci Mark Twain, avec la nouvelletraduction, révolutionnaire, des Aventures de Huckleberry Finn. Alors qu’à l’inverse, ce qui nous passionne chez Pierre Bourgeade, dont nous avons publiésept ou huit livres depuis 1998, c’est le classicisme de sa langue, mais un classicisme actif, vif, rapide, totalement décomplexé, qui le rend infiniment pluspercutant que beaucoup de nos contemporains artificiellement modernistes.

Quelques bonnes féesNous avons eu dès nos débuts en 1989, coup sur coup, deux grandes chances.Celle d’être acceptés par un diffuseur. Et celle d’être suivis par plusieurs cri-tiques influents. Les livres étaient à fois disponibles en librairie et médiatisés.Un cercle vertueux s’enclenchait. Les chiffres de vente significatifs n’ont com-mencé à être atteints que bien plus tard, mais cette reconnaissance et ce soutienimmédiats à notre projet nous ont épargné la phase de découragement, fatale à

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beaucoup. Quelques personnes nous ont, à intervalles réguliers, sauvé la vie.Notre banquier, à Auch, qui nous a témoigné pendant toutes les années de vachesmaigres une confiance ahurissante. Jean Gattégno, alors directeur du Livre auministère de la Culture, lorsqu’il nous a confirmé que nous étions sur la bonnevoie en ne respectant aucune des règles pré-établies. Et Dominique Bozo, en nousportant à bout de bras pour notre premier livre d’art (Henri Gaudier-Brzeska parEzra Pound) quand il dirigeait le Musée national d’art moderne au Centre GeorgesPompidou.

Et maintenant ?Notre doctrine dans la conduite de la maison est la suivante. Prendre TOUS lesrisques dans le choix des œuvres et les moyens accordés à la production, DONCgérer les finances et l’évolution de la structure avec une rigueur maniaque. Nousavons transformé l’association 1901 initiale en SARL après déjà sept ans d’existence. Nous avons procédé à deux changements de diffuseur, chaque foisà intervalles de dix ans. Passant des Belles Lettres chez Volumen l’an dernier,nous avions déjà l’expérience des gros tirages (10.000 exemplaires pour LesterBangs) et des ventes relativement importantes (12.000 exemplaires pour Tristram Shandy). La politique éditoriale ne change pas d’un iota, c’est la commercialisation que nous adaptons progressivement à la percée de notre catalogue sur le marché. Mais 20 ans, ce n’est rien, rien du tout ! Nous considérons n’en être encore qu’au début. Et comme nous avons créé Tristramassez jeunes, vers l’âge de 25 ans, nous avons tout le temps devant nous.Depuis que nous avons investi cet été dans des locaux (un ancien magasin de bicyclettes à Auch), nous considérons que la structuration de la maison est achevée. Autrement dit, nous allons pouvoir nous consacrer encore davantage àl’élaboration et à la promotion de nos livres.Nous sommes extrêmement confiants. Nous sommes persuadés que les bouleversements en cours dans l’univers du livre et de la lecture seront de plusen plus profitables aux projets sans concessions.

Le fonds fait surfaceCharles-Henri LavielleEditions Anacharsis

Editer de la littérature c’est d’abord etavant tout proposer au public, entité auxcontours flous, des textes dont la premièredes qualités est que son promoteur lesaime. Et non de conjecturer sur les goûtsde ce même public, prétexte de toutes lesturpitudes et scélératesses. Le temps nefait ici encore rien à l’affaire. Et l’on sedemande par quelle étrange élaborationsémantique l’on parle de fonds en littéra-ture si ce n’est, encore une fois, pour sacrifier sur l’autel du présentisme toutce qui n’est pas “nouveauté”, en associantdans une métaphore hasardeuse uneéchelle chronologique à une terminologiegéologique. Les livres ne sont pas des sédiments et la date de leur parution nepréjuge en rien de leur valeur. On ne créepas un fonds, mais un catalogue.Ceci posé, tout reste à faire ! En novembre 2003, nous publions dans sapremière traduction française Tirant leBlanc de Joanot Martorell, un chef-d’œuvre, écrit en catalan au XVe siècle,et qui connut dès sa parution un succèsimmédiat. Voyez plutôt ! Cervantès lepremier l’a qualifié de “meilleur livre du monde”, Italo Calvino lui consacreun chapitre entier dans son ouvrage Pourquoi faut-il lire les classiques ?Et c’est Mario Vargas Llosa, son inlassable promoteur depuis plus dequarante ans qui, comme il l’a fait pourtoutes les autres éditions en languesétrangères, en préface l’édition française.Vendus à plus de 4 millions d’exem-plaires dans le monde anglo-saxon et

traduit dans plus de 10 langues, Tirantle Blanc est un succès partout. Pourtanten 2003, rien ne se passe, ou presque.Les premiers échos qui auraient pu nousalerter de l’endormissement général vinrent des libraires au moment de lamise en place. Beaucoup nous dirent quele texte existait déjà dans “une traduc-tion” du comte de Caylus de 1737 chez Gallimard. Il fallut expliquer qu’ils’agissait d’une belle infidèle, d’uneadaptation de quatre cents pages sur lesmille que compte l’original, qu’il étaitadapté de l’italien lui-même traduit ducastillan, lui-même issu du catalan.Rien n’y fit. Certains critiques, prétextant avoir déjà parlé du livre lorsde sa sortie, des années plus tôt chezGallimard, saisirent l’occasion de nerien dire. L’un d’eux, dont nous eussionspréféré qu’il s’abstînt, alla jusqu’à nousaccuser de booknapping. Nous n’aurionsfait qu’escamoter le nom du comte deCaylus pour le remplacer par celui deJean-Marie Barberà… Il ne s’agit pas de jeter un discrédit surles critiques ou les libraires - d’autresont vu l’importance du texte et l’ont dé-fendu - mais de chercher à comprendrece qui a manqué dans notre travail en2003, pour que Tirant le Blanc trouve laplace qu’il mérite.En décembre de cette année sort la pre-mière réimpression de Tirant. Nous lapréparons depuis trois ans sans jamaisavoir cessé d’en parler autour de nous,en ayant construit un catalogue où denouveaux titres de littératures catalaneet byzantine se répondent et éclairentl’ouvrage dans son contexte et son originalité. C’est ce patient travail detissage, reliant des thématiques, des

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temporalités, des lieux, qui permettentaux ouvrages de ne pas disparaître d’uneactualité conçue uniquement en fonctionde leur date de parution et sans considé-ration pour l’intemporalité de leurcontenu. Tirant le Blanc n’arrive pluscomme un météore venu de nulle part.Libraires, critiques, lecteurs ont vus’élaborer au fil du temps un choix detextes cohérents, à même de les persua-der de nous croire quand on les invite,sans rire, à lire “le meilleur livre dumonde”.Ce travail patient bénéficie à l’ensembledes titres. Notamment concernant la qualité des textes qui nous sont proposés. C’est ainsi qu’en 2006deux traducteurs d’italien JacquelineMalherbe-Galy et Jean-Luc Nardonenous ont proposé une traduction de LaTaverne du Doge Loredan d’Alberto Ongaro, connu en France comme ami etscénariste d’Hugo Pratt. Le livre sort en2007. À partir de là, les événementss’enchaînent. D’abord des libraires qui

ont confiance dans notre travail et celuides représentants, accueillent bien lelivre, ensuite des journalistes plus attentifs le chroniquent. En quelques mois 4000 exemplaires sont vendus. Unepaille à l’échelle de la Bible, une poutrepour nous. Nous sommes contactés parLe Livre de Poche pour l’achat des droitsde La Taverne et une option sur les titressuivants. Cette année Alberto est sélec-tionné au côté de Claudio Magris, ImreKertesz et d’autres écrivains européenspour le tour de France des écrivains. Undeuxième titre, Le Secret de CasparJacobi est sorti cette année. En 2009 sortira, La Partita troisième titre d’Alberto et simultanément l’édition depoche de La Taverne. Sans nul doutel’ombre bienveillante de Tirant le Blancplane sur Anacharsis.

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Fonds réel / Fonds virtuel, le libraireface à une nouvelle temporalité

Christian Thorel Directeur de la librairie Ombres blanches

Au regard d’une histoire de l’imprimé pluriséculaire, l’objet livre a peu changé.Sa physionomie et son ergonomie restent surprenants de modernité. Et même siles moyens de le fabriquer, de le diffuser, de le faire connaître, de le “réunir” ontévolué, même si ont évolué les modes de reconnaissance des lecteurs, et leurs“modes de consommation”, le livre est l’objet élémentaire qui, en les composant,assure la diversité de nos librairies et de nos bibliothèques.Mais si dans son aspect le livre est invariant, le monde des livres a vu changernon seulement son ordre économique, évoluer son environnement industriel,mais aussi et depuis peu son mode d’être, bousculé par les usages du numériqueet l’attente anxieuse des effets de la dématérialisation. Pour nous, l’approche desfonds n’aura pourtant pas subi d’inflexion et sera restée adaptée à trois grandsprincipes : proposer et ordonner une politique d’auteurs, en dessiner, dans l’espace de la librairie, la carte, missionner chaque libraire comme guide de sondomaine. Ainsi, le fonds, ce legs vivant et actif que cultivent les éditeursconscients de leur fonction de défricheurs et de (re)producteurs, est-il toujoursau centre de notre activité, non pour décorer les murs de la librairie, mais pourentrer en résonance avec les “nouveautés”, ce matériau très composite et hétérogène, informe, que nous passons au tamis pour en retenir les richesses etenrichir d’expressions toujours renouvelées le fonds auquel elles s’agrègeront. Le fonds de la librairie, le catalogue du libraire sont l’expression d’une politique,où se croisent les dimensions d’un territoire et celles d’un patrimoine. L’affirmation d’une identité individuelle ou collective, toujours singulière, accompagne une politique d’auteurs, assumée parfois dans les vicissitudes (titres manquants, épuisés, changements d’éditeurs). Le lecteur reconnaît sûre-ment par l’offre déployée et par son ordonnancement l’engagement du libraire.Inventivité, éclectisme et diversité y sont à l’œuvre, comme les visages de la production, et des producteurs indépendants les plus inventifs. Il n’est pas rarede lire ici et là que la “petite édition” est le laboratoire de la grande. Ne nousleurrons pas : si bien des exemples viennent à l’appui de cette idée, on ne peutôter aux majors les capacités à tamiser l’offre en manuscrits. La trame des tamiss’épaissit et s’élargit, mais la récolte chez Gallimard, Grasset, Actes-Sud, les PUFou Le Seuil est encore bonne et la concurrence entre maisons est féconde ! Maisla dite “petite édition” entretient des moyens abandonnés ailleurs par manque devigilance, de souplesse, d’intuition ou, pourquoi pas, de culot.

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Dans ce jeu économique et culturel, chaque production de chaque éditeur est,plus qu’auparavant encore, un enjeu. Le flux général commande les flux particuliers. Pour l’éditeur, il reste, dans la complexité, à créer sa meilleure visibilité, à concevoir du réseau propre à prescrire (médias, internet, groupes delecteurs,…libraires). Le modèle est celui d’une culture de l’événement, plus ouverte à ceux qui ont les moyens, médiatiques notamment, mais laissant des espaces d’oxygénation à des “exceptions”. La culture de l’exceptionnel vientainsi prendre le pas sur celle du catalogue. Le temps court me semble associé àcette tendance de la production des premières années de ce nouveau millénaire.La notion de temps long reste liée au fonds, à la présence physique en librairie,à la pérennité auprès des lecteurs, et à la possible rémunération du producteurpar l’exploitation de son fonds. Aujourd’hui, force est de constater, chez les unscomme chez les autres, que le fonds des éditeurs est exploité dans de plus enplus nombreuses collections au format de poche, chaque édition nouvelle faisantl’objet d’une mise en place en librairie comme d’une nouveauté. Cette exploitation en deux temps du contrat de l’auteur et de la propriété littéraireaura d’ailleurs largement contribué à faire disparaître les fonds des premièreséditions des librairies, qui, nombreuses, présentent de plus en plus lettres etsciences humaines sous le format en réduction du livre de poche, aux prix jugésabordables. Le lecteur en vient à ignorer que les livres ne naissent que rarementsous cette forme économique, et que les fonds “en poche” ne sont que la partiela plus fréquemment visible de la production éditoriale. Les librairies sauront-t-elles conserver leur statut de carrefour urbain et cultureloù se confrontent entre tables et rayonnages des productions de tous les âges del’humanité ? Elles peuvent prétendre encore à être le lieu le plus adapté pouroeuvrer à la cohérence d’un assemblage incertain de formes et de contenus. Onobjectera qu’Internet et les librairies virtuelles…Mais qu’est-ce qu’un fonds delibrairie virtuelle ? Une suite inorganisée sans espace ni matérialité de “métadonnées” (titre auteur éditeur prix année de parution résumé) dont le lecteur pourra s’emparer en confiant sa recherche à un moteur. Si la librairieréelle sait conserver sa vocation de lieu d’exploration et d’orientations, de découvertes partagées ou solitaires, si elle sait rester le lieu privilégié où l’onvient trouver les livres que l’on ne cherche pas, tout en étant le lieu où l’on vientchercher ce que l’on pense trouver, elle remplira pleinement sa mission de liende l’auteur et de son éditeur au lecteur.

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Une relation de confianceClaudie GallayEcrivain

Sylvie Gracia est mon éditrice depuis 8 ans. J'ai publié tous mes livres avecelle. Mon premier manuscrit, je le lui aienvoyé par La Poste, c'était L'Office desVivants. Quand elle m'a téléphoné, j'aicru que je n'avais pas assez affranchi ouque c'était un problème d'adresse pour le retour. Longtemps, elle a été une voix au téléphone. Longtemps, elle m'a intimidée. J'ai misdu temps à lui dire Tu. Du temps à luiparler. Du temps pour tout, mais j'ai euconfiance en elle, tout de suite. Cetteconfiance a été primordiale dans notre relation. On a partagé des moments forts, la publication de chacun des romans, lestemps de corrections, le choix des titres,important. Elle fait une liste de son côté,j'en fait une du mien, on compare, ondiscute. Un jour, on décide. Tout se faittoujours d'un commun accord. J'aime son exigence, cette façon bien àelle de dire, C'est bien... mais... Publier chez elle, c'est attendre ce mais,c'est en avoir besoin pour aller plus loin.Elle m'a fait reprendre, souvent, elle m'aappris à couper, impitoyable parfois,

tellement juste tout le temps. On a partagé des émotions, quand “La Brune”a évolué, la couverture en couleur est devenue blanche. Après, il y a eu le changement de format,“La Brune” est devenue grande. Chaquepublication a été une aventure. Avec LesDéferlantes, Sylvie a très vite senti queça allait marcher. Avec le temps, on a appris à se connaître. Elle me laisse écrire en paix.Elle ne me met pas de pression. Ne mecontraint à aucune date. Mais elle est là,et quand c'est le moment de relecture, illui arrive de m'appeler tous les jours. Pour les dernières corrections des Déferlantes, j'étais à la Thébaïde, unemaison où le portable ne passe pas. J'aipris ma voiture et je suis allée dans unchamp. Pendant des heures, elle à Paris,moi dans mon pré, je lui ai dicté mes corrections. Il y en avait à chaque page, parfois plusieurs dans la mêmepage. C'était une veille de week-end. La nuit tombait. ”Aucun auteur n'en fait autant !” elle a fini par lâcher quandnous avons eu fini. C'est la seule fois où je l'ai sentie exaspérée. Peut-être qu'il y en avait beaucoup, effectivement...Quand je vais à Paris, on déjeune ensemble. Avec le temps, j'ai appris àpousser presque naturellement la lourdeporte de la rue Séguier. Je la retrouve

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dans son bureau, au bout d'un cheminlabyrinthe, enseveli sous les livres et lesmanuscrits. On peut rester des semaines sans se téléphoner, sans se voir, mais je saisqu'elle est là et je peux la joindre quandje veux. Je ne sais pas comment elle fonctionne avec ses autres auteurs. Je neveux pas le savoir. Un jour, je lui remetsun nouveau manuscrit. C'est un gestetrès intime. Un moment où je suis fragile. Plutôt à vif. Elle le sait, sansdoute aussi parce qu'elle est elle-mêmeauteur. Elle est ma première lectrice,celle devant qui je me donne à voir ensongeant, pourvu que tout aille bien. Ellelit le manuscrit dès qu'elle le reçoit, merend rapidement compte. Pour elle aussi,ce moment est important, à chaque publication c'est un nouveau livre quientre dans sa collection. Avec lui, unepart de rêves et d'aventures. Aujourd'hui, “La Brune” n'est plus unegamine, elle caracole, joyeuse, souffle sesbougies, fête ses dix ans.

Le livre, son éditeur et la bibliothèqueThierry ErmakoffResponsable du diplôme de conservateur de bibliothèque (DCB)Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), Villeurbanne

Tout ce que la profession compte de pensant, de joufflu, de censé s’est penchésur l’avenir du livre, de la filière, et de ses à-côtés. Laissons de côté les rapportsofficiels, qui, à part “Livre 2010”, piloté par la regrettée Sophie Barluet, n’envisagent la question que sous la forme un peu boutiquière de l’économie(qu’on peut faire) et du budget (qu’on peut écorner).Outre l’ouvrage d’Eric Vigne (Le Livre et l’éditeur, Klincksieck, 2007), nous avonseu aussi à nous mettre sous les méninges Les Cahiers du SLF, toujours de hautequalité, Où va le livre (ouvrage collectif dirigé par Jean-Yves Mollier, la Dispute,2007), et Le Livre : que faire (la Fabrique, 2007). Hélas, le constat est toujours lemême : la prescription s’arrête à la librairie. Les bibliothécaires sont comme absents de l’économie du livre, de ses choix, de ses errements. Tentons iciquelques éléments d’analyse.

Une mission sociale Si les bibliothèques, et les bibliothécaires, sont si transparents sur ces questions,ce n’est pas qu’ils y soient indifférents : leur mission leur semble ailleurs. Et,somme toute, on peut les comprendre. Pressés par leurs élus de prouver, tout àla fois, la fréquentation de leur établissement, de pratiquer une sorte d’accueil généralisé de tout ce que la gent plumitive produit ou consomme (érudits, poèteslocaux, généalogistes, nous avons même rencontré un ophtalmologiste passionnéde patrimoine écrit), d’élargir les publics, de conventionner tous azimuts, de lacrèche à l’hôpital, en passant par la prison, la maison de retraite, d’organiser lapaix sociale : bref de prouver à tout moment l’utilité de leur existence comptetenu des budgets colossaux investis (on ne fera pas l’insulte aux lecteurs de cetteexcellente revue de comparer le prix d’une bibliothèque à celui d’un kilomètred’autoroute [même concédée]), tout cela donne le tournis, on ne sait plus à quelsaint se vouer.

L’offre ou la demande ?Or, ce rôle social sans cesse réaffirmé, a pour conséquence (indirecte) que la politique d’acquisitions des bibliothèques, traditionnellement tournée vers l’offre, s’est trouvée décalée vers la demande. On a même entendu, dans uncongrès de bibliothécaires, un sociologue (Claude Poissenot, pour ne pas le nommer), dire d’un lecteur (occasionnel) qui n’avait pas trouvé le film très grandpublic qu’il était venu chercher en bibliothèque, que la cause était perdue. N’ayezdonc pas peur ! La République n’est pas en danger ! Lâchez-vous ! ce genre

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d’amalgame, de raisonnement tout plein de bon sens rassure tout le monde à boncompte : la République n’est pas en danger ; l’exigence intellectuelle, si. A quoibon offrir en pile des non-livres formatés quand la grande distribution sait fairecela mieux que nous ? Question de métier…On a même lu dans un rapport sur la fréquentation des bibliothèques municipalesà l’heure d’Internet, que le salut pour développer le lectorat était l’affirmation ducôté ludique de la chose bibliothécaire. Nous avons trop d’estime pour BrunoMaresca, trop de respect pour le rapport qu’il a produit (avec la collaboration deChristophe Evans et Françoise Gaudet), pour comparer cette proposition un peusaugrenue à la transformation des bibliothèques en centres d’attraction, il n’empêche.Or, c’est bien là que tout se joue (ou presque) : l’utilité des bibliothèques n’estplus vraiment à démontrer, elle va pour ainsi dire, de soi. Fermer une bibliothèque (même pour une juste raison d’équilibre documentaire et géographique) est une opération à haut risque. Les liens avec les lecteurs, les séjourneurs, les fréquentants avec ou sans carte, les usagers, donc, sont bien plusforts que nous ne l’imaginions dans nos rêves les plus fous. Il revient donc auxbibliothécaires d’affirmer leurs choix ; et ce choix, c’est obligatoirement celui dela constitution de leurs collections. Car il n’aura échappé à personne que la bibliothèque, ce n’est pas un amas épars de documents arrivés et rangés là parhasard : c’est bien une collection, qu’elle soit imprimée, sonore ou numérique,pensée et organisée ; et même valorisée. Affirmer ses choix implique connaître lescatalogues d’éditeurs, savoir que chez Laffont dorment des merveilles publiéesnaguère dans la collection “Pavillons”, que Verticale, Minuit, Verdier, Finitude,les Allusifs, Amsterdam éditions, Cadex, Bleu Autour, Claire Paulhan, et j’enpasse, repèrent chacun dans leurs domaines des auteurs contemporains ou oubliés depuis fort longtemps, et qu’ils republient pour le plaisir du lecteur ; etce, souvent, grâce aux fonds des bibliothèques. Les repérer, ces éditeurs, n’est passi difficile : ce ne sont pas les marchés, salons et festivals qui manquent, où ilsviennent y épuiser leurs week-ends. Or, sur ce point, un mémoire récent d’unélève de l’Enssib a montré que nombre de bibliothèques municipales présententun choix qui se rapproche plus de celui de la FNAC que de celui d’un libraire, labellisé ou non, de “création”.Pour tout cela, battons notre coulpe. La formation (des conservateurs) n’est pas(encore) totalement parfaite en ce domaine ; même si la connaissance de l’économie du livre a été considérablement renforcée, ce qui relève de “l’actionculturelle”, terme impropre s’il en est, reste encore très embryonnaire. Quant àla formation des bibliothécaires territoriaux (qui relève du CNFPT) il vaut mieuxdétourner pudiquement le regard, en attendant des jours meilleurs.

Le numériqueL’avatar ultime du livre et de son économie reste la numérisation. Là encore, forceest de constater qu’à partir d’une technique somme toute éprouvée, bibliothé-caires, libraires et éditeurs ne parlent pas de la même chose. Il y a d’un côté lesgrands réservoirs de documents numérisés (dont Gallica). De l’autre, l’économiedu livre numérique. Or, il y a fort à parier que celle-ci, dont personne n’a encore

trouvé le fameux modèle, se passerait bien du libraire ; et même du bibliothécaire ;et, dans certains cas, de l’éditeur. C’est en tout cas ce que reflètent pas mald’études sur le sujet. La réflexion, qui, à notre sens, devrait aussi porter sur lesens des mots, ne fait que partir, comme on dirait d’un feu d’artifice : c'est-à-direun peu dans tous les sens.En conclusion, il ne nous semble pas qu’il y ait là matière à prendre les armes :assez de larmes ! Ne vivons pas, les uns, les autres, avec des mentalités d’assiégés. Nous savons tous aujourd’hui que la mort de la bibliothèque (en tantqu’institution, pas en tant que modèle) n’est plus inscrite à l’ordre du jour. Quele numérique, loin d’être une révolution, est une évolution technique majeure,certes, mais qui ne concernera pas, pour la lecture, tous les documents. Qu’ilreste un atout pour l’impression. Il faut donc sans doute que bibliothécaires, libraires, éditeurs, se croient et se parlent ; ça doit être à la portée de tout un chacun. Les structures régionales pour le livre et l’Enssib, pour les missions quisont les leurs, peuvent utilement jouer un rôle.

On litFabrice GabrielCritique littéraire Bureau du livre Service culturel français, New York

On lit. C’est ainsi que cela commence toujours, c’est le temps long de la vie,quelque chose qui se lie aux hasards – résistance ou bonheur – de l’enfance : desbibliothèques de famille, ou à l’inverse de grands vides, et les listes que l’on sefait alors, contre ou pour l’école, des strates, des pages, des pages. Tout est possible, les matins durent, la fatigue s’oublie vite, la pile des romans neufs semble sans fin. On vieillit, malgré tout : on est snob, on a quinze ans. On litProust après Poe, Mallarmé, Manchette, Kerouac après Stevenson. C’est le tempsdes études, bientôt, les vraies. On lit encore les classiques, de plus en plus lesjournaux, les suppléments dits “littéraires”, et puis on se retrouve à traîner dansles librairies, chez les soldeurs, on a ses adresses, des amis, il faut bien qu’un jourles études finissent, nous y sommes.On lit, bien sûr, mais avec une autre curiosité, c’est comme une nouvelle étape :voyons donc ce qui se donne sur les étals, les livres frais, les bonnes surprises,nos contemporains, et les oubliés. L’actualité des libraires finit par rejoindre lepassé des bibliothèques, avant qu’on ne se mette, forcément par hasard, à écriresoi-même dans les journaux. C’est ainsi que l’on devient “critique littéraire”,sans qu’on sache très bien quoi faire de cette drôle d’identité. Alors on continuede lire, simplement. Et le temps se transforme à nouveau : c’est maintenant l’urgence hebdomadaire des nouveautés, l’abondance des programmes de publications, les sollicitations des services de presse, le rituel des rentrées pléthoriques… D’autres listes, en somme, même si, dans le fond, peu de chosesont changé.

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La pratique de la critique ne vaut évidemment que si elle est expérience de la fidélité, mise à l’épreuve d’une mémoire lente, nourrie de lectures parfois trèsanciennes, et même de souvenirs gamins. C’est une banalité bonne à rappeler,vraie pour les auteurs, les éditeurs, les collections : si le critique a des goûts, c’estqu’il n’a pas oublié ses enthousiasmes passés, ni ses dégoûts d’autrefois. Il connaîtles familles, les couvertures cousines, il a passé tant d’heures devant des rayonnages, et sa jeunesse à parler des livres qu’il aimait. Il sait deviner dans ledésir ou la maquette d’une jeune maison le fantôme des Métamorphoses de Paulhan, les empreintes du Chemin de Lambrichs… S’il attend tout excité la surprise d’un livre inconnu, c’est toujours, et presque malgré lui, sur le paysagede sa propre bibliothèque qu’il le voit, lorsqu’il surgit enfin, se découper : oùva-t-il le ranger ? Sa bibliothèque est sa boussole : sans elle, il se perdrait dansun vide… sans fonds.On lit : ce n’est pas exactement un métier, il n’y a là ni truc, ni technique, c’estseulement, il faut le redire, une affaire de temps. Et de patience, plus que d’urgence, pour que les rencontres se fassent : s’il existe des réseaux, ils vontdes livres aux êtres, jamais l’inverse. Parfois le temps long des lectures d’antanse précipite dans le présent de l’actualité : c’est le bonheur, par exemple, de pouvoir consacrer enfin un article à un livre (Thierry) de Marc Cholodenko, écrivain incroyablement négligé aujourd’hui, dont on s’était procuré de longuedate tous les textes, souvent avec difficulté, bien avant de savoir qu’un jour onle rencontrerait… D’autres fois le temps s’affole sans repère, et la seule indicationqu’on ait vient alors de la maison d’édition : quand Roberto Bolaño déboule enFrance en 2002, avec deux livres traduits d’un coup (Etoile distante et Nocturnedu Chili), on est comme fou, on ne sait pas très bien d’où il sort, mais on veut êtrele premier à en parler, et l’on comprend pourquoi l’éditeur nous l’a recommandé.Il y a là comme une relation de confiance, une histoire peut-être d’affinités.Bolaño, Cholodenko : deux exemples vocaliques et arbitraires, mais qui peuventservir à dire combien chaque critique est singulière, et à répéter qu’il n’existe nisystème, ni critère sûr, mais une règle simple – la lecture. Ce qui signifie la possibilité d’aller aux textes, d’avoir accès à un fonds d’ouvrages, de voir survivre l’idée même d’un catalogue de titres… C’est, encore une fois, une évidence : on lit ; mais pour lire, on a besoin de livres.

Les nouvelles technologies au service de la promotion des fonds d’éditeur

Benoît BerthouUniversité Paris 13-VilletaneuseMasters “Politique éditoriale” et “Promotion et commercialisation du livre”

Les Nouvelles Technologies d’Information et de Communication viendraient-ellesau service du “fonds” de l’éditeur, de cet ensemble d’ouvrages patiemment élaboré au prix d’un travail de longue haleine ? La question peut sembler

paradoxale car on ne voit pas de prime abord en quoi l’Internet, médium synonyme de rapidité d’échange et de circulation de l’information, pourrait permettre une inscription dans un “temps long”. C’est pourtant la théorie défendue par Chris Anderson dans La Longue traîne (Village mondial, 2007) : analysant le volume de ventes en ligne des quelques produits culturels (appelés “hits”, “superstars” ou “bestsellers”…) les plus visibles sur le marchécar commercialisés à un grand nombre d’exemplaires, et les comparant avec lesventes d’une myriade de produits culturels moins visibles, il constate que le volume de transactions liées à ce dernier groupe peut être supérieur ou égal àcelles du premier groupe. Semblable état de fait sonne la fin du “20/80”, principecher à la grande distribution selon lequel 20 % des produits commercialisés sontau fondement de 80 % du chiffre d’affaires d’une enseigne : dans l’e-economie, 80 % des produits commercialisés produisent 80 % ou plus du chiffre d’affaires,situation qui suppose d’adopter d’autres dispositifs de commercialisation que les“têtes de gondole” ou autres présentoirs mettant en valeur des produits dit “phares”.

Du marché de masse au marché de nicheLe commerce en ligne possède ainsi une spécificité : s’écartant du mode de fonctionnement d’un marché de masse, il adopte celui d’un marché de nichepuisque la majeure partie de ses échanges porte sur un grand nombre de produitsintéressant pour chacun d’entre eux un faible nombre de clients. Le produit culturel présentant le “plus petit dénominateur commun” (pour reprendre l’expression de Jean Baudrillard dans La Société de consommation) avec l’ensemble des acheteurs ne fait ainsi plus recette et l’espace commercial ouvertpar les nouvelles technologies s’articule ainsi parfaitement, dans le monde dulivre, avec le fonctionnement de la librairie traditionnelle. Présentant un faibletaux de rentabilité (1,9 % en moyenne selon l’enquête “Situation de la librairie indépendante” réalisée par le SLF, le SNE et le ministère de la Culture en 2007), grevée par le coût croissant du transport et du loyer, celle-ci n’a en effet pas tou-jours les moyens de se dégager de l’emprise des livres dits de “grande diffusion“et d’un service de nouveautés (“l’office”) lui assurant une marge commerciale essentielle à sa survie. Écrivant “Achetez Harry Potter chez un libraire indépendant !” dans son Bouquintescence (bulletin auto-édité par la librairie LeScribe de Montauban), Jacques Griffault met ainsi en évidence un paradoxe quin’a plus cours sur l’Internet : la vente de “best-seller” lui est nécessaire pour allouer une table entière à la production de petits éditeurs comme l’Escampetteou le Passage du Nord Ouest.L’Internet semble ainsi constituer une alternative crédible à un commerce de librairie ne disposant plus des moyens et de l’espace suffisant pour faire une largeplace au fonds des éditeurs dont ils commercialisent les livres. D’où la mise enligne d’un catalogue présentant l’intégralité des productions de la maison et lamise en place de partenariats avec des structures disposant d’outils d’e-commerce, à l’instar du site du très inventif éditeur toulousain Plume de carotte proposant d’acquérir ses ouvrages grâce à ombres-blanches.fr. Permettant de bonnes conditions de feuilletage et la transmission de nombreusesinformations (argumentaires commerciaux, biographie de l’auteur…), l’Internet

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semble effectivement pouvoir faire en sorte que les livres de “fonds” ne soientplus invisibles et le recours aux nouvelles technologies se généralise aujourd’hui,des éditeurs n’hésitant pas à ouvrir de véritables magasins en ligne à l’instar de10/18 ou d’XO qui proposent des liens directs vers Amazon ou Alapage afind’acheter leurs livres. Il y a dès lors lieu de s’interroger sur la réalité d’un réseaupensé comme un nouvel eldorado, à l’instar des mordants Requins marteaux,éditeur albigeois proposant sur son site un “supermarché Ferraille” hébergeantà côté de sa librairie en ligne une fantasque épicerie (proposant par exemple unelessive “Pabonux” ou des “Sex spaghetti”).

Le nécessaire regroupement des fondsLe site web d’éditeur constitue ainsi un nécessaire outil de communication maisreprésente néanmoins un dispositif insuffisant pour permettre la pleine commercialisation d’un fonds sur Internet où, comme dans la distribution “classique » de livres, l’isolement pose problème. La première règle de la “longuetraîne” (“Faites en sorte que tout soit disponible”) montre bien que l’inscriptiondans un marché de niche n’est possible que si on peut proposer un très grandnombre de titres et ainsi offrir à une clientèle la possibilité de ne pas se cantonner à quelques “superstars”. Le commerce télématique des biens culturels doit ainsi être conçu sur le mode de la pléthore, comme un ensemble delivres empreints d’une inépuisable diversité, et vendre le “fonds” d’un éditeurdonné suppose de l’intégrer à des bases de données au sein desquelles il pourracôtoyer d’autres productions. D’où la nécessité de regrouper des cataloguescomme le fait lekti-ecriture.com à travers des “espaces de l’édition indépendante“présentant sur Internet les fonds de plus de cinquante éditeurs opérant en littérature, sciences humaines, jeunesse ou bande dessinée.Ce faisant, l’innovante société toulousaine tente de faire valoir un autre modèleéconomique au sein d’un phénomène de “longue traîne” permettant deconstruire une puissance financière sur les seules capacités de référencement etde commercialisation, à l’instar d’Amazon, autoproclamée “plus grande librairieen ligne de titres francophones disponibles dans le monde”, qui pousse l’inscription dans un marché de niche jusqu’à développer un module “Au cœurdu livre !” permettant de sélectionner des ouvrages en fonction d’un mot-clef. Ceparent (pauvre) de “Google recherche de livres” (qui permet la formulation de requêtes plus précises et offre des services comme la consultation en ligne ou lalocalisation d’un ouvrage afin d’obtenir un prêt en bibliothèque) met en évidence l’importance de l’information dans la vente du “fonds” et annonce certainement d’autres formes de regroupements (les catalogues d’éditeurs étantsous doute appelés à être présentés au sein de structures comparables à des “catalogues de droits” qui permettraient à un “offreur” de proposer plus de produits répondant aux requêtes des consommateurs).

Libraire : un métier à repenserEn effet, le phénomène de “longue traîne” suppose, par définition, de développer des systèmes d’informations complexes puisqu’il repose sur la possibilité de naviguer entre un grand nombre de notices d’ouvrages susceptibles d’être acquis et doit donc offrir au consommateur des outils d’orientation. Possédant la taille de bibliothèques, les sites marchands de livresrelèvent ainsi pourtant pleinement du domaine de la librairie : ils doivent permettre l’exploration du fonds et indiquer à l’acheteur des produits susceptibles de l’intéresser à l’aide de dispositifs conçus sur le mode d’un “filtrage collaboratif” se fondant sur des historiques d’achat des visiteurs (“Les clients ayant acheté cet article ont également acheté”, lit-on systématiquement sur Amazon), ou d’un “filtrage coopératif” se fondant sur desassociations d’ouvrages établis par un libraire (comme c’est le cas sur Lekti avecla rubrique “En relation avec ce livre”).L’inscription dans un “temps long” du livre est dans ce dernier cas l’occasion de mener une réflexion sur la forme que doit prendre l’acte de conseil au sein de Nouvelles Technologies d’Information et de Communication qui renforceront“le rôle de médiateur exercé par les libraires auprès de leurs clients tant en termede sélection de l’information qu’en terme de qualification et d’expertise descontenus mis à la disposition de ces derniers” à en croire le rapport Accueillir lenumérique réalisé par Alire et le Syndicat de la Librairie Française. La défensed’ouvrages de fonds représente ainsi une véritable opportunité : repenser un métier et réinventer son rapport avec la production éditoriale à l’aune d’une“longue traîne” rendant obligatoire, de par sa variété, une forme de prescription.

MoustiqueOu les intermittences de la loi Lang

Éric VigneDirecteur des collections Essais chez Gallimard et auteur aux éditions Klincksieck de Le L ivre et l’éditeur (2008)

On ne saurait trop recommander aux éditeurs de naviguer sur la Toile pour yglaner des commentaires qui sont autant de mesures du pouls de certaines catégories. Soit le blog de Pierre Assouline, “La République des livres”. Le 7 septembre 2008, en écho plus ou moins lointain à une réflexion du journalistesur l’avenir du livre si la gratuité venait à se généraliser, deux commentairesétaient déposés.

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Le premier avait pour signataire un certain Grosnion, et résumait une pensée fortélaborée : “Aux chiottes les bouquins, y a plus que là qu’on a besoin de papier.“Ce nouvel éloge du torche-cul, sans retrouver un instant l’inventivité de Gargantua, semblait déjà en retard sur notre temps. La liste dressée par Rabelaisdéployait les possibilités offertes par son époque, on imagine aisément, sous saplume, l’ivresse inventive qui serait celle d’un usage hygiénique de tous lesmoyens virtuels, autres que le support papier, dont le numérique honorerait lefondement. Mais Grosnion n’a pas ce génie, il se contente de haïr les livres, toutsimplement, tout bêtement. A ses yeux, probablement, un livre n’est pour finirqu’un petit tas de feuilles, et non pas la matérialisation d’une œuvre, du papier,pas de la pensée, et qu’à la différence d’un blog, il ne permet guère de déposerune pensée qui vous vient comme une envie.

Le même jour, Spielman, autre internaute, développait une analyse similairequant au fond. (Incorrigiblement éditeur, nous nous permettons de rétablir capitales, accents et ponctuation). La crainte des éditeurs face à la gratuité numérique ? “Des préoccupations de boutiquiers menacés par les grandes surfaces voilà tout ; mais l’hypocrisie qui consiste à revêtir la défense de ses étroitsintérêts économiques sous le manteau de celle de la culture est particulièrementméprisable. J’habite au milieu de nulle part et grâce à Amazon, je reçois sans fraisde port tous les livres possibles soit, compte tenu de la scélérate loi Lang, un service extraordinaire - subventionné par les autres lecteurs. Vive la mondialisation et la remise en cause des situations établies.”

Ces réactions, parmi cent autres du même ton, sont doublement symptomatiques.D’abord, elles s’inscrivent dans la forte poussée, sur tous les plans, de l’idéologie consumériste. Le consommateur doit bénéficier à chaque instantd’opérations promotionnelles, d’une baisse de prix organisée sur des produits d’appel, bref se précipiter là où la publicité le siffle : croquettes pour chien, saumon d’élevage, shampoing aux œufs et à l’ortie, cubitainer de piquette du cru- au nom de quel privilège le livre seul échapperait-il à l’écrasement sélectif desprix ? Les pratiques des éditeurs tendent de plus en plus souvent à traiter le livrecomme une marchandise - voyez les batailles engagées pour tirer vers le bas leprix d’éditions d’ouvrages classiques en collection de poche, comme si les noteset commentaires, briques élémentaires de la compréhension du texte que le lecteur se bâtira, étaient pour finir n’ont pas le fruit d’un travail qui demandejuste rémunération, mais une ornementation superfétatoire. Il s’est donc trouvé,le 19 mai 2008, une personne qui, croyant avoir la logique pour soi, a proposéd’organiser des soldes au bout de six mois, et non plus deux ans, et d’aménageren conséquence la loi Lang sur le prix unique du livre. Christian Kert, député desBouches-du-Rhône, s’est pour cela attiré les foudres des éditeurs, et il a collec-tionné du même coup quelques noms d’oiseau. Mais sa démarche est pleinementde l’époque : l’objet livre, matériellement, est un bien marchand, en conséquencele consommateur est en droit d’espérer le payer à moindre coût.

Les éditeurs, c’est le deuxième symptôme, se sont récriés, mais s’ils ont été écoutés par les pouvoirs publics, ils n’ont pas été entendus par les consommateurs. Brutalement tirés de leur sommeil dogmatique dans lequel ilsétaient plongés depuis plus de vingt-sept ans, depuis le 10 août 1981, lorsque

la loi Lang, bonne fée, leur assura la protection, illusoire à long terme, d’uneligne Maginot du prix unique, ils sont désormais à l’image de ces personnages dedessins animés, endormis à une époque révolue et réveillés dans une autre dontils ne parlent plus l’idiome.

L’évidence est là : les éditeurs sont désormais inaudibles pour l’essentiel de leurscontemporains. Au cours de toutes ces années, ils ont tenu pour acquis qu’ils vivaient dans le sanctuaire de la loi Lang ; assurés de son inviolabilité supposée,parce que la loi faisait consensus chez les professionnels, les politiques, voire lesauteurs, ils se sont montrés démunis d’arguments convaincants lorsqu’une petitepiqûre de moustique, un simple ballon d’essai, les obligea au printemps dernierà marquer leur attachement à la loi. Qu’on y prenne garde : l’amendement consumériste de M. Kert a d’ores et déjà rangé la loi dans la catégorie des textesamendables ; demain, d’amendable, elle deviendra “à amender nécessairement”.La raison en est qu’à lire les blogs et autres commentaires des internautes férusde gratuité, l’argumentaire qu’opposent les éditeurs date de 1981 et qu’il ne répond pas aux soupçons d’entente corporatiste que brandissent en 2008 lesacheteurs supposés. En 1981, la loi visait à protéger le lecteur contre lui-même,en quelque sorte, en assurant, par une égalité de chance de départ toute républicaine, que la librairie qui s’efforcerait de diversifier son offre ferait jeu égalavec la grande surface ; grande surface qui limite son effort culturel aux seulesmeilleurs ventes, c’est-à-dire des ventes déjà avérées comme telles grâce à la libraire classique, donc au travail des libraires ; avérées, ces ventes sont assurées pour la grande surface qui de ce fait ne prend aucun risque. En 2008,toutefois, ce n’est plus à des lecteurs que nous devons nous adresser, mais à desconsommateurs.

Le mouvement de la marchandisation est enclenché de part et d’autre. Marchandisation calculée chez les éditeurs, on le sait, depuis des années, quimultiplient ouvrages et collections dictés de l’aval pour un public préexistantpuisqu’agrégé par les médias de communication, télévisuel notamment - nousn’y reviendrons pas. Mais n’ignorons plus la marchandisation spontanée, réfléchie ou irréfléchie, celle que déploient Messieurs Kert, Grosnion ou Spielman, celle qui revêt, selon la méthode usitée de la dénégation, les habitsvieux de la dénonciation des marchands pour mieux ramener les créations del’esprit à des biens communs dont les coûts devront être tirés vers le bas, commeles salaires aujourd’hui sont tirés vers la précarisation des conditions de vie ordinaires. Nos deux internautes, qu’ils le veuillent ou pas, sont dans cette histoire du côté du court terme, du Capital contre le Travail. Il leur importe peude penser à la rémunération des auteurs, de ceux qui fabriquent le livre, le diffusent, le distribuent. On les imagine aisément troquer leur envie, si jamais,de lire Les Rêveries d’un promeneur solitaire contre l’acquisition d’un guide pratique de jardinage, car celui-ci sera soldé, voire téléchargeable gratuitement surla Toile, grâce, peut-être même, au soutien désintéressé, croyons-le bien, d’unegrande chaîne de graineterie. Le troc est gagnant à tous les coups : y a-t-il mêmealternative, puisque, somme toute, il est pour finir, sous la plume du Philosophecomme dans les suggestions d’achat du guide, toujours question d’herborisation ?Il est avéré que notre argumentaire d’éditeur, expliquant que le prix unique

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garantit la pluralité de l’offre en maintenant les conditions économiques des li-brairies qui courent l’aventure financière de maintenir un stock, sans équivalentaucun en hypermarchés, d’ouvrages aux rythmes de vente les plus opposés, denature la plus diverse et de propositions intellectuelles les plus variées, que cetargumentaire, dis-je, ne suffit pas à convaincre les consommateurs Grosnion etSpielman. Ceux-là s’inscrivent dans la spontanéité irraisonnée de l’instant, de ladépense, pas de l’investissement, de l’argent-roi, mieux encore de la cagnotte,pas de la rémunération pondérée du travail de chacun. Que disparaisse la librai-rie de référence et que faute de débouchés les ouvrages exigeants disparaissenten conséquence des catalogues des maisons d’édition, peut chaut à l’internaute,puisque le livre doit disparaître au profit de la lecture sur écran. Regrettableconfusion entre le livre comme objet et le livre comme œuvre singulière, au pointque la disparition du premier entraînera un assèchement du deuxième. Mais leconsommateur ne pense pas au-delà de son ticket de caisse, au point qu’il puissese réjouir de la disparition de la librairie physique au profit de la libraire virtuelle, sans jamais avoir remarqué que nombre des ouvrages commandés enligne lui parviennent de librairies classiques, de ces petits boutiquiers honnis,mais qui se trouvent, eux, avoir en stock l’ouvrage commandé que n’avait pas lalibrairie en ligne.Absurdes paradoxes, mais ce sont ceux qui nous traversent tous, qui sommes àla fois citoyens scandalisés par les délocalisations et consommateurs ravis de voirles prix baisser du seul fait de ces délocalisations, sans vouloir trop nous rappeler que la baisse des prix résulte dans les nouveaux pays producteurs d’unesoustraction nette : celle d’une protection sociale et d’une protection légale du Travail.C’est justement de ces paradoxes et croyances absurdes que nous devons partiraujourd’hui pour élaborer notre nouvel argumentaire en faveur de la loi Lang,contre la menace du jour qui pèse sur le livre : le consumérisme. Le consommateur a besoin que l’éditeur traduise ses arguments dans son idiomede prédilection. Soit le point de départ : le livre est une marchandise, un bien de grande consommation, ordinaire et de base. Le livre sera donc un paquet de pâtes. Qu’offre alors, grâce à la loi Lang, une librairie de référence par rapport à unegrande surface ?La librairie offre essentiellement des pâtes, de toutes origines (spezele, pâtes alsaciennes, chinoises, thaïes, etc.) et de tous types, industriel comme artisanal,dans leur confection. Mieux encore, elle distingue les variétés de céréales originaires entrant dans leur composition, notamment celles issues de l’agriculture biologique. Surtout, elle s’enorgueillit, grâce à un personnel qualifié et selon des tables et rayons spécifiques, de faire découvrir tous les genres : pâtes fraîches ou pâtes sèches, et toutes leurs formes : lames (lasagnes),tubes (pennne, rigati, tortiglioni, maccaroni), fils (spaghettis, vermicelles), rubans (linguine), nœuds (farfalle), coussins (ravioli), ressorts (fusilli) ; l’interclassement des pâtes ne saurait toutefois faire fi d’une offre organisée selonla longueur (capellini, fettuccine,boccolotti, bucatini, linguettine, mezzemani,maccheroncini, regina), la largeur (agnolotti, raviolini, cannelloni, mafalde), larondeur (gnocchetti, gomiti, conchiglie, cappelletti, orecchiette) ou l’agrégationen nid (pappardelle, taglierini, tagliolini, barbina, fidelini, capelli d’angelo). Elleaura tous ces types et genres en stock à seule fin de satisfaire des envies

immédiates et rudimentaires comme d’aider le chaland à faire des découvertesgastronomiques au long cours, selon des recettes chuchotées et se diffusant parvoie auriculaire pour mieux flatter, par la confidence partagée, les papilles. Vendant au même prix que la grande surface, la librairie diversifie son offre àproximité, sans la contrainte de devoir souvent se déplacer en périphérie urbaine.La grande surface fait pauvre figure : elle présente, sur quelques étagères menues,les pâtes non pas les plus prisées, mais celles qui font l’objet d’une promotioncommerciale fortement médiatisée. Selon donc le flux des ventes, le consommateur mangera des spaghettis en janvier, des coquillettes en février, deslasagnes en mars, tous produits génériques dans les classifications mais susceptibles de disparaître du jour au lendemain faute d’atteindre les objectifscommerciaux fixés par la chaîne de distribution. Plus que le suivi d’un produitou de la gamme d’un producteur, ce qui importe d’abord à la grande surface, cesont les marges et la vitesse de rotation du produit, puisqu’entre le moment oùcelui-ci est payé en caisse par le consommateur et la date à laquelle il est réglé auproducteur par la grande surface s’écoulent des dizaines de jours pendant lesquels la chaîne place en produits financiers à terme les sommes dues aux producteurs. Là s’ancre une différence constitutive de comportement : le libraire veille à choisir le plus grand nombre d’arrivages, la grande chaîne à se débarrasser du plus grand nombre de produits qui n’ont pas atteint les objectifsen termes de sorties de caisse.Par le jeu des économies d’échelles, il se trouvera que, dans la grande chaîne, lescéréales de base seront toujours les mêmes, le goût sera aseptisé pour remporterles suffrages de consommateurs de sucres lents, susceptibles de se rabattre sur leriz, pas de gastronomes en quête de sensations gustatives. Il faut du lourd, dunormé, du gros calibre, qui se vende apparemment tout seul, suite à des bombardements de messages publicitaires visant à convaincre le chaland quec’est d’autant meilleur, que tout le monde mange la même chose. Étrange univers consumériste, où il faut vivre pour manger, alors que la librairie, parl’invitation faite à découvrir de nouveaux produits de terroirs autres, vise à cequ’on mange pour vivre mieux.D’où la différence quintessentielle : la grande chaîne choisit pour le consommateur les produits selon la vitesse de leur rotation et les marges qu’ils luiassurent immédiatement ; le libraire s’embarrasse du plus large éventail de produits afin que le chaland procède selon son rythme à son propre choix, afinaussi, qu’assuré de leur mise en vente, l’éditeur préserve sa liberté de produireles œuvres comme bon lui semble.D’aucuns trouveront scandaleuse la comparaison des nourritures spirituelles avecdes pâtes alimentaires. Demeure qu’il nous faut, nous autres Éditeurs, nous faireà nouveau comprendre des lecteurs qui se vivent comme des consommateurs.Diderot notait, dans une lettre à Necker en 1756, que “l’opinion n’est à son origine que l’effet d’un petit nombre d’hommes qui forment sans cesse, en différents points de la société, des centres d’instruction d’où les erreurs commeles vérités raisonnées gagnent de proche en proche jusqu’aux confins de la cité,où elles s’établissent comme des articles de foi. Là tout l’appareil de nos discourss’est évanoui ; il n’en reste que le dernier mot.” Telle est la loi Lang aujourd’hui.Le dernier mot revient au consommateur qui réclame la gratuité des œuvres.Quant aux éditeurs, ils n’ont plus d’appareil pour leurs discours, tant ont changéles auditeurs.

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Depuis sa création, il y a dix ans, j’ai toujours perçu la collection “LaBrune“ comme un organisme vivant, se développant selon son propre métabolisme, et soumis aux incerti-tudes du milieu. Sa naissance même estplacée sous le signe du hasard : ma rencontre avec Danielle Dastugue, directrice des Editions du Rouergue, unjour de mars 1997, à Rodez. Cela a lieudans un environnement favorable, la librairie “la Maison du livre,” où jeviens présenter mon premier roman,L’Eté du chien. C’est là, en quelquesheures, que se coalise l’énergie primaire. Dix-huit mois plus tard, sortent les trois premiers romans et, si jefile la métaphore, ce sont les premières cellules d’une collection qui va, en dix ans, grandir et se complexifier.Valoriser l’idée d’un organisme vivanta quelque chose d’un peu naïf. “LaBrune”, bien sûr, s’est constituéed’abord autour de notre volonté, denotre travail, et de notre ambition, àDanielle et à moi : créer un nouveauterritoire d’accueil pour de jeunes romanciers talentueux. Au début, iln’y avait rien ! Très peu de manuscritsarrivaient au Rouergue, et notre première tâche a été de “faire savoir”que, depuis Rodez, préfecture del’Aveyron, quelque chose demandait à naître.

À partir de rien, donc, la collection estnée, mais avec un apport continud’énergie, celle de ces dizaines d’écrivains et de leurs livres, quiconstituent aujourd’hui ce qu’on appelle un catalogue. “Un organismevivant est dans un état thermodyna-mique de non-équilibre”, dit-on, enbiologie. Le terme, “non-équilibre”,me plaît. C’est la condition de la littérature, non ? Ça tangue et ça bouleverse les certitudes. Cette posture-là, de non-équilibre, peutaussi définir celle de directrice de collection. Chaque manuscrit, arrivépar La Poste le plus souvent, doit ouvrir un champ d’étonnement,sinon, pourquoi poursuivre sa lecture ? Le non-équilibre, c’est aussiaccepter le risque de ces dizaines depremiers romans que nous avons édités, avec leurs fragilités mais aussi leurs promesses. Et certaines promesses ont été tenues. Cinquante-huit livres ont été publiés,depuis l’origine. Chacun est venu alimenter la collection, avec sa matièrepropre, son imaginaire, son écriture.On nous demande souvent : quels sontvos critères de choix, votre ligne éditoriale ? Pas de ligne, j’ai tendanceà répondre, cela imposerait la fermeture du regard. Des tangentes,oui, celles propres à chaque auteur, àqui nous conseillons d’être fidèle leplus possible à leurs singularités. Lesauteurs publiés dans “La Brune” ne seressemblent pas, heureusement ! Dixans de pratique de ce métier m’ont appris à élargir les perspectives, à cultiver la curiosité pour des écrituresqui ne m’étaient pas familières. Carc’est aussi, je crois, en me décentrantde mes propres goûts littéraires que j’aiappris le plus. C’est d’autant plus fondamental pour moi qui, à côté de cetravail d’édition, suis aussi écrivain.Livre après livre, j’ai ainsi acquis uneempathie critique avec le travail dechacun, une intimité et une distancede regard qui enrichissent le dialogueentre auteur et éditeur. Et c’est ce terreau commun, nourri d’échanges et

de confiance, qui a permis à “LaBrune“ de survivre, année aprèsannée. Dès sa création, nous avons eu l’ambition de mener une politiqued’auteurs, c’est-à-dire de découvrirmais aussi d’accompagner les auteursdans leur maturité. Certains nous ontquittés pour d’autres maisons d’édition, c’est la vie ! Mais avec ceuxqui, cinq ou dix ans plus tard sonttoujours là, nous mesurons la pertinence d’une telle politique, et les publications de cette année anniversaire sont emblématiques decela. À côté de deux auteurs “historiques”, Claudie Gallay et Antoine Piazza, qui ont atteint une véritable reconnaissance, nous avonsaccueilli deux premiers romans, deGilles D. Perez et Skander Kali. Ce travail de découverte est l’une desparts les plus exaltantes du métier.Nous perpétuons ainsi un certain artisanat du métier d’éditeur. Chaquelivre publié est pour nous importantet, en dépit de la pression du marchéculturel, nous préservons cette relation au temps long, qui permet à chaque écrivain de mûrir à son rythme.J’espère que nous avons ainsi, en dix ans, créé un territoire un peu particulier, “La Brune”, où des lecteurs peuvent venir en confiancefaire, eux aussi, tâche de découvreur.Organisme vivant, je vous disais. Mais aussi communauté humaine etaventure collective.

Sylvie GraciaDirectrice de la collection “La Brune”

aux éditions du Rouergue

Novembre 2008

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� Autour du livre

“La Brune”,l’énergie d’une collection

Tél. 01.55.42.14.42 [email protected] www.lerouergue.com

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� Bloc-notes

Rendez-vous littérairesDe novembre 2008 à janvier 2009

NOVEMBRE9 NOVEMBREFête littéraire et artistique à Eauze (32)- Cercle d’initiatives d’expression littéraire et artistiqueTél. : 05.62.09.87.16

DU 12 AU 26 NOVEMBRE“Lectures par ci, contes par là” enAriège – Bibliothèque départementalede prêt de l’AriègeTél. : 05.34.09.81.30 [email protected]/bdp09

DU 13 AU 15 NOVEMBRERencontres Cinéma et Littérature autourde Tonino Benacquista à Saint-Gaudens(31) – Service Arts et Patrimoine de laMairie de Saint-GaudensTél. : [email protected]

DU 14 AU 16 NOVEMBRE“Lectures secrètes” dans le cadre des “4 saisons de Lire à Figeac” - Associa-tion Lire à Figeac et la Bibliothèquemunicipale de FigeacTél. : 05.65.34.66.77 [email protected]

15 ET 16 ET NOVEMBRE Vivons Livres ! Toulouse (31) – RégionMidi-Pyrénées et Centre Régional des LettresTél. : [email protected]

DU 20 NOVEMBRE AU 7 DECEMBRE Festival itinérant “Contes en hiver” (65)- Fédération des Œuvres Laïques des Hautes-PyrénéesTél. 05.62.44.50.50 ou [email protected] - http://fol65.free.fr

21 NOVEMBRESoirée livre-film à la galerie Duplex à Toulouse06.20.03.55.69

DU 21 AU 23 NOVEMBREFestival BD à Colomiers (31)Centre culturel – Mission BDTél. 05.61.15.23.82

22 NOVEMBREJournée d’étude “Les nouveaux supportsd’écriture” au Musée des Abattoirs àToulouse – Boutique d’Ecriture duGrand ToulouseTél. 05.62.13.21.99info@boutiquedecriture.comwww.boutiquedecriture.com

22 ET 23 NOVEMBRESalon du livre de Sorèze (31) - ADACSTél. : 05.63.74.16.28 ou 05.63.73.26.99

23 NOVEMBREMarché aux livres à Castanet-Tolosan(31) - Association Le Lecteur du ValTél : [email protected]

DU 24 NOVEMBRE AU 7 DECEMBREFestival “Lettres d’automne” autour de Lydie Salvayre à Montauban etTarn-et-Garonne (82) - AssociationConfluencesTél. : [email protected]

25 NOVEMBREFête régionale de l’écriture et de l’expression à Toulouse (31) - CLAPMidi-PyrénéesTél. 05.62.27.50.48 [email protected] - www.clapmp.com

DU 27 AU 29 NOVEMBRESalon du livre de jeunesse à Beaumont-de-Lomagne (82)Association socio-culturelleTél. : [email protected] http://www.info82.com/beaumont/asc/menu_asc.htm

DU 27 AU 30 NOVEMBRE Salon du livre policier à Saint-Lys (31) - Service Communication - Mairie Saint-LysTél. : 05.62.23.76.05a.fernandez@ville-saint-lys.frwww.ville-saint-lys.fr

Remise des prix du Concours de nouvelles policières “Encres de crimes” àCastres (81) – Bibliothèque municipalede CastresTél. : [email protected]

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Et n’oubliez pas …

Les Belles étrangères - 20 ans d’ouverture aux littératures dumondeDu 8 au 22 novembre 2008www.belles-etrangeres.culture.fr

Salon du livre et de la presse jeunesseDu 26 novembre au 1er décembre 2008 à Montreuilwww.salon-livre-presse-jeunesse.net/

LETTRES D’AUTOMNE 2008“Des livres pour appeler […]

Des livres pour envoyer des lettres au monde” - Lydie Salvayre

Du 24 novembre au 7 décembre 2008,les feuilles d’automne vont valser àMontauban et en Tarn-et-Garonne aurythme des rencontres choisies parLydie Salvayre, invitée d’honneur decette 18e édition du Festival Lettresd’automne conçu et réalisé par Maurice Petit et son équipe deConfluences. Romancière et essayiste, Lydie Salvayre publie depuis 1990 des livresqui interrogent avec ironie et violencela nature versatile de l’homme, perpétuellement hésitant entre grandeur et misère. Lucidité joyeuse,pessimisme exubérant confèrent uneétonnante vitalité à son œuvre. Deslectures, rencontres, spectacles,concerts et performances ponctuerontau quotidien le cheminement à traversson œuvre. Lydie Salvayre sera accompagnée dans cette aventure par ses nombreux invités parmi lesquels Véronique Beucler, DeniseEpstein, Thierry Guichard, ou encoreOlivia Rosenthal, Pierre Senges, Bernard Wallet et Didier Sandre.Deux semaines durant, nous sommes invités à partager cette grande fête du verbe en nous laissant guider par l’une des voix les plus attachantes du paysage littéraire français contemporain.

Programmation détaillée surwww.confluences.org

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DU 21 AU 28 JANVIER Festival “Il était une fois… desconteurs” (balades, soirées etrepas contés) à Beaumont-de-Lomagne (82) Association socio-culturelleTél. : 05.63.65.22.02 [email protected] http://www.info82.com/beau-mont/asc/menu_asc.htm

DU 23 AU 25 JANVIER Festival du Livre de Jeunesse Midi-Pyrénées “Lire l’image” à Saint-Orens (31) – AssociationFestival du Livre de JeunesseTél. 05.34.63.98.83 [email protected] http://association.flj.free.fr

Nous vous informons, informez-nous !

Professionnels du livre et de lalecture, pensez à nous communi-quer votre actualité et tout changement de coordonnées…

Tél. : 05.34.44.50.23 [email protected]

VIVONS LIVRES !, OU LE SALON DU LIVRE

MIDI-PYRÉNÉESVERSION 2008

15 & 16 novembre à Toulouse

Un nouveau lieu, un nouveau nom, unnouveau Salon !Le Centre Régional des Lettres et la Région Midi-Pyrénées, avec pour la première fois le soutien de la Mairie deToulouse, ont le plaisir de vous inviterles 15 et 16 novembre prochains au Centre de Congrès Pierre Baudis pourla première édition de Vivons Livres !Un lieu vaste, accessible, ouvert sur l’extérieur, avec plusieurs espaces : unespace d’exposition accueillant 60 éditeurs de Midi-Pyrénées venus vousprésenter la richesse et la diversité deleur production éditoriale, un espacelibrairie et café littéraire, enfin un espace réservé à la programmationpour petits et grands, et proposantrencontres, lectures, débats, mais aussiateliers découvertes, contes, spectacleset expositions.Cette programmation se veut d’unegrande variété, en prise sur une actualité littéraire, particulièrementriche cette année en Midi-Pyrénées,avec l’émergence de deux jeunes auteurs d’origine toulousaine qui signent leur premier roman, TristanGarcia et Jean-Baptiste Del Amo ou encore avec la parution chez Tristramd’une nouvelle traduction de MarkTwain qui fera l’objet d’une rencontreautour des littératures étrangères.Jacques Bonnaffé, comédien invité decette première édition, proposera deux“marges blanches” au cours desquellesil nous fera voyager en lectures du18ème siècle à nos jours. Deux débats

éclaireront les questions culturellesqui font notre actualité, l’un sur “La culture peut-elle être gratuite ?”, l’autre sur “Crises dans la culture française ?”. Mais bien d’autres surprises vous attendent pour ce premier Vivons Livres !Bref, un Salon renouvelé qui entendvous ouvrir de nouveaux horizonstout en vous faisant découvrir la richesse de la création littéraire enMidi-Pyrénées.

Vivons Livres !Samedi 15 : 10h-19hDimanche 16 : 10h-18hEntrée gratuiteProgrammation détaillée sur www.crl.midipyrenees.fr

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DECEMBREDU 1er AU 5 DECEMBRE Festival “Je, tu, il conte…” à Castres(81) – Service Enfance JeunesseVille de CastresTél. 05.63.62.40.23

DU 4 AU 7 DECEMBRE“Festi-Livres” Salon de littérature enfantine et de la jeunesse sur le thème “La mer et les pirates” à Riscle (32) -Association Festi-LivresTél. : 05.62.31.91.92 et [email protected]

LES 5 ET 12 DECEMBREBiennale de Poésie et Poétiques catalane,galicienne et occitane à Toulouse Casa de GaliciaTél. : [email protected]

JANVIERDU 10 JANVIER AU 9 FEVRIERFestival itinérant “Alors…Raconte !”(82) – Association Les Amis de la Médiathèque du Tarn-et-GaronneTél. 05.63.03.67.25

17 JANVIER Fête d’hiver du livre d’histoire locale àMirepoix (09) “Lavelanet, Pamiers etMirepoix à l’âge baroque” - Associa-tion Nationale pour l’Elargissement de l’InformationTél. [email protected]

18 JANVIERSalon du livre d’hiver à Montgiscard(31) – Association Livre d’hiverTél. [email protected]

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� Edition

Les Fondeurs de Briques tissent leur toile

Évacuons d’emblée la question récurrente : Pourquoi Les Fondeurs de Briques? L’expression s’inspire du nom du journal anarcho-pacifiste composé parun unique rédacteur, qui se faisaitalors appelé Ret Marut, entre 1917 et1921 à Munich. Sur le modèle de DieFackel de Karl Krauss, y étaient dénoncées les hypocrisies de la société(le nationalisme, le militarisme, lapresse bourgeoise, la social-démocra-tie…). Ce Ziegelbrenner (“Le Fondeurde Brique” en allemand) vaudra à sonauteur (avec sa participation à la république des Conseils de Bavière)une condamnation à mort et un exildéfinitif. Ret Marut passera ladeuxième partie de sa vie au Mexiquesous divers noms d’emprunt, dontcelui de plume de B. Traven. C’est en nous intéressant à l’œuvre deB. Traven, scandaleusement maltraitéeen français (la seule version de son livrele plus célèbre – épuisée du reste –, Le Trésor de la Sierra Madre, reste uneadaptation du scénario du film deJohn Huston avec Bogart !!!), que nousavons décidé de reprendre au plurielcette association intrigante de termesqui tranche sur la vogue des noms demaisons d’édition par trop éthérés ouportant le nom de leur fondateur-animateur. Ce choix se veut égalementun hommage à la posture de Travenprivilégiant l’œuvre de l’écrivain au détriment de son exposition médiatique. Le fait que nous n’ayonspas publié de textes de Traven (endépit de nos intentions initiales) vientdu refus de l’ayant droit de l’écrivainde nous céder les droits si nous menions à bien notre projet de sortiren français le livre de Jonah Raskinsur Traven. En effet, cette belle-fille deTraven est présente dans À la recherchede B.Traven de Raskin, et pas sous sonmeilleur jour… Le texte de Raskinn’est pas une biographie de Traven(celui-ci aurait, de toute manière, dénigré le projet et les textes biographiques classiques ne nous

intéressent guère) mais une mise enabîme de son œuvre à travers l’enquêtede Raskin. Nous avons eu vent de celivre grâce au Bartelby et compagnie 1

de Vila-Matas et avons décidé de le publier malgré le risque de ne pouvoirtraduire en français l’œuvre plus quejamais d’actualité de Traven. C’étaitnotre manière de remettre les thèmesdéfendus par Traven en lumière. Une superbe B.D. de Golo 2 est d’ailleurs sortie en même temps chezFuturopolis. Notre projet est porté par trois personnes issues du monde du livre(une traductrice-rédactrice, d’ancienslibraires, des lecteurs avides) sous laforme d’une structure associative (la plus souple au démarrage) financéesur fonds propres. Nous avons délibérément choisi de ne pas vouloiren vivre dans un premier temps, voulant garder la maîtrise de notrerythme de production (4 à 6 ouvragespar an) pour ne proposer que destextes nous tenant vraiment à cœur etleur donner le temps de trouver leurslecteurs. Cela nous donne aussi letemps d’apprendre le métier ; notreexpérience du monde de l’édition estbrève et même si nous avons réfléchien amont aux titres à publier, l’aspectwork in progress est toujours présent.Ceci posé, il apparaît que, de part ses fondations et sa manière de fonctionner, Les Fondeurs de Briquesest naturellement un éditeur militant.Même si nous ne fonctionnons passelon une grille de lecture et de sélection idéologique, notre manièrede faire de l’édition reprend notre vision de la société. Cela rejoint uneautre question récurrente : notre ligneéditoriale. Plus que l’image de la ligne– fut-elle de l’ombre… – celle de latoile d’araignée est pertinente. Certes,avoir démarré par des ouvrages autourdu Mexique (pays surréaliste par excellence) puis des textes du philosophe basque espagnol Miguelde Unamuno a pu nous cataloguercomme éditeur hispanisant. Reste que

notre plus beau tirage jusqu’à présent(auteur inconnu, nouvelle traductiond’un ouvrage charcuté par un éditeurgermano-pratin dans les années trente)est un livre traduit de l’américain, Yegg de Jack Black. Ce texte, sorti il y a presque un siècle, est d’une actualité évidente. Ainsi, même sinous acceptons le qualificatif de patrimonial, nous proposons destextes toujours d’actualité. D’ici la finde l’année, nous allons publier le textedu norvégien Nordahl Grieg, Le navirepoursuit sa route, qui a servi de matriceà Ultramarine de Malcom Lowry ;puis, en 2009, une anthologie de nouvelles d’Inés Arredondo, une talentueuse écrivaine mexicaine jamaistraduite en français. Nous comblons ainsi les manques del’édition établie qui regarde souventdevant elle, dans une course à la nouveauté tristement typique del’évolution de nos sociétés. Pourquoides éditeurs aussi installés et puissantsque Stock ou Gallimard n’ont-ils paspoursuivis l’édition des textes de MaxAub qu’ils avaient entreprise ? Pourquoi aucun éditeur sur la placen’a lancé le projet des six tomes du Labyrinthe magique, œuvre fondamentale dans l’histoire de la littérature espagnole ? Nous allons publier cette somme romanesque,deux volumes par an à partir de 2009.Il s’agit de l’histoire de l’Espagne desannées vingt et trente mais aussi denotre histoire puisque les tensions dela société espagnole sont celles de l’Europe de l’entre-deux guerres. C’est une peinture politico-sociale passionnante et une œuvre de fictionfascinante. Tant mieux pour nous,pourrait-on dire, de ne pas disposer decontrôleur de gestion… On peut aussiciter le cas de José Revueltas, écrivainmexicain majeur ; un roman publiéchez Gallimard et une nouvelle par Complexe et pas de suivi… Pourtant, l’édition n’est pas notre danseuse et tous nos ouvrages sont à l’équilibre. En partie, grâce aux divers

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1/ Ed. Christian Bougois, 20022/ B. Traven, portrait d’un anonyme

célèbre, éd. Futuropolis, 2007

Les Fondeurs de Briques. 3, Esplanade Octave Médale,

81370 Saint-Sulpice-La-Pointe Tél. : 05 67 67 55 91

http://fondeursdebriques.neuf.frE-mail : [email protected]

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mécanismes d’aide à la traduction, il faut le souligner. Mais aussi car il reste en France deslecteurs sensibles aux conseils des libraires indépendants et ne calibrantpas leurs goûts uniquement sur lesprescriptions d’une presse le plus souvent simple relais des groupesd’édition et parlant toujours desmêmes ouvrages. Dès le début, nousavons établi et entretenu des relationsétroites avec les libraires puisque cesont en définitive les derniers passeursdes ouvrages que nous publions. Alorsoui, de trop nombreux libraires agissent uniquement comme des épiciers et s’attachent au “Lu dans lapresse” mais il existe encore un réseaude vraies librairies de fonds aptes à défendre des ouvrages ne disposantpas d’une exposition médiatique.Lorsque nous avons sorti le livre deJonah Raskin, alors que nous n’étionsqu’une structure débutante, nousavons pu monter une tournée de rencontres grâce à ces liens étroits avecdes libraires ayant à cœur de défendrenotre démarche. Outre la difficultéd’appréhension du réseau médiatique(mais nous restons persuadés que l’onpeut faire sans), le problème majeurque doivent affronter les structureséditoriales indépendantes est celui dela diffusion. Car il est bien beau detrouver des libraires désireux de proposer nos livres, il faut qu’ils

puissent être informés de leur parutionet pouvoir les obtenir aisément. Le problème de la diffusion reste largement mésestimé par les institutionsprétendant aider le développement deséditeurs indépendants (voir le lancement de la structure de distribution Calibre) puisque le souciprincipal reste la diffusion. Nous avonseu la chance de pouvoir disposer dès le début avec Littéral d’un outil de distribution. Dans le même temps,nous avons utilisé les services de deuxstructures de diffusion successivespour aboutir au même constat d’échec :il est illusoire de s’appuyer sur une structure reposant sur une seule personne. Reste qu’il est souvent problématique pour une jeune maisond’édition d’intégrer une équipe de diffusion. Nous avons signé depuisquelques mois avec Pollen et disposonsainsi d’un binôme Pollen/Littéral diffusion-distribution complémentaire. Notre installation en Midi-Pyrénéesrésulte d’un hasard objectif ; une obligation professionnelle qui recoupeune destinée ne pouvant tenir les Fondeurs de Briques à l’écart de cetterégion de briqueteries… Également,l’opportunité de nouer le dialogueavec des éditeurs ayant une vision de l’édition proche de la nôtre et continuer à tisser notre toile…

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Éditions Bouts de papier“Et si nous prenions des bouts de papier pour raconter le monde bigarréqui nous entoure ? Des bouts de papier comme autant d’êtres différents, comme un mélange, commedes terres inconnues à découvrir dont lamoindre parcelle est une histoire.”Des bouts de papier qui, une fois réunis en un album, finissent par fairesens… telle est l’ambition des éditionsBouts de papier, créées en 2008 à Grenade en Haute-Garonne. Cette maison d'édition d'albums jeunesse a laconviction qu'à l'heure où l'image est deplus en plus numérique et multiple, ilreste une place pour le livre, pour seposer, prendre le temps de lire, seul ou à plusieurs afin d'observer le minuscule avec naïveté et précision.Bouts de papiers propose trois collections : Cagouille (à partir de 3 ans), Bicyclette à genoux (à partir de 6 ans) et Sans tambours ni trompettes(pour les enfants et les adultes). Des livres drôles, poétiques, des chansons, des illustrations magnifiques,Bouts de papier a merveilleusementréussi le pari de rendre au livre sa dimension humaine.

Contact : [email protected]

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� Langue occitane

La dignité retrouvée de la langue occitane

A l’issue d’un long suspense et pardeux voix de majorité seulement, laConstitution française a été amendée le 21 juillet 2008 : au-delà des considérations politiciennes, il est unemodification qui a recueilli, par exception, un large consensus danstous les partis : la reconnaissance des langues régionales !C’est dans l’article 75-1 de notreConstitution que l’on proclame désormais que “les langues régionales appartiennent au patrimoine de laFrance”.Certes la présence de cette mentiondans cet article traitant des collectivitésterritoriales peut paraître équivoquemais il n’en reste pas moins qu’il s’agitlà d’une avancée considérable au seind’un État jacobin et unitariste qui avaittoujours nié l’existence de la moindrediversité culturelle à l’intérieur del’hexagone (tout en prêchant cepen-dant pour la défense active de celle-cià l’extérieur de celui-ci) !Ainsi l’État reconnaîtrait qu’il existed’autres langues et cultures en France,différentes de “l’Universelle CultureFrançaise” ? Et qu’il ne s’agirait pas desimples “patois”, vulgaires idiomesmoribonds et locaux incapables de pro-duire la moindre littérature comme lepensent, hélas, certains académiciens ?Eh bien oui, les députés et sénateurs,avec l’accord “surprise” du gouverne-ment, en ont décidé, ils ont fait honneur à leur mandat et ils ont redonné leur dignité aux langues de France !Car c’est de cela dont il s’agit, deslangues parlées sur le territoire français et donc des langues de laFrance, de la France que l’on aimepour ses “lumières”, ses couleurs et ses cultures mêlées.Cette reconnaissance a eu pour genèsel’organisation le 7 mai 2008 du premier

débat à l’Assemblée nationale à l’initiative du gouvernement… Maiscelui-ci promettait alors un projet de loi et se refusait encore à envisagerla reconnaissance constitutionnelle.La surprise est venue le 22 mai, à l’occasion de l’examen du projet de loide modification constitutionnelle. Lesdéputés, avec l’aval de dernière minutede la Garde des Sceaux, ont adopté àla quasi unanimité un amendementqui modifiait l’article 1er de la Constitution en y incluant la recon-naissance des langues régionalescomme “patrimoine de la Nation”.Cette avancée spectaculaire a été saluéepar la France entière mais le sournoismépris de certaines “élites” s’est exprimé pour le regretter : c’est ainsique la “docte” Académie française acru bon le 12 juin de dénoncer un“déni de la République et une atteinteà l’identité nationale”…Dans la foulée le Sénat, conservateuren diable, a rejeté cette modification le18 juin avant que le bon sens ne l’emporte finalement lors du Congrèsde Versailles pour insérer ce texte àl’article 75.Cette avancée va dans le sens de l’Histoire ! Elle touche aussi le cœurdes Français qui ont fait un triomphe à“Bienvenue chez les Ch’tis” disant toutsimplement leur attachement pour nosidentités culturelles retrouvées.Le 21 juin 2008 un sondage CSA annonçait en effet que les Françaisétaient favorables à 68 % à la reconnaissance constitutionnelle deslangues régionales, ce qui renvoiequelques tristes sénateurs et académi-ciens à l’étude comparée des écrits del’abbé Grégoire, celui qui souhaitaitimposer à la Révolution “l’interdit decracher et de parler patois” !Bien entendu la route est encorelongue avant que nos langues et

spécialement l’occitan ne retrouventleur véritable place dans notre pays, àl’instar de la reconnaissance officielledont elles bénéficient en Italie (valléesalpines) et en Espagne (Val d’Aran).Rappelons que la France n’a pas encoreratifié la “Charte Européenne desLangues Régionales et Minoritaires”.Mais cette reconnaissance est histo-rique : c’est le premier geste positif dela République vers la dignité retrou-vée de toutes les langues de France.Quant à notre langue occitane, celledes Troubadours, de Peire Goudouli etde Frédéric Mistral, elle va pouvoirpoursuivre son retour sereinementmais de plus belle.Cette langue (et les valeurs qu’elletranscende : Convivencia et Parage)loin d’être confinée dans une nostalgiepatrimoniale a en effet un rôle à jouerdans notre société pour demain.Comme le disait le grand théoricien de la décentralisation Félix Marcel Castan : “Le salut des civilisations neréside ni dans les nationalismes, nidans les régionalismes, ni dans les ethnismes régressifs, mais dans unnouveau savoir-vivre, une culture, un art d’habiter l’univers et de faire cohabiter les individus et les collectivités… L’Occitanie ne pourrainventer son avenir qu’en mettant salangue et ses actes au service du développement durable de l’humanitéentière, elle aura enfin trouvé le chantier qui est le sien”.A Toulouse, au sein de l’Ostal d’Occitania (Maison de l’Occitanie)siège de Convergencia Occitana qui regroupe aujourd’hui 60 associations,ce chantier bat son plein !

Jean François LaffontPrésident de Convergencia Occitana

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Ostal d’Occitania11 rue Malcousinat31000 TOULOUSE

Contact : 05 61 22 13 [email protected]

www.ostaldoccitania.net

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Passage de relais à FigeacUn nouveau propriétaire pour Le “Livre en Fête”

En moins d’un an, Georges Buscail auraremis en toute confiance à Denis et Brigitte Bénévent les clés de la librairiegénéraliste qu’il avait créée en 1980.Quand on sait que le commerce deproximité qu’est la librairie souffre dedifficultés de reprise et de transmissionet qu’il s’agit par ailleurs d’un métierpeu rémunérateur qui ne laisse guère de temps libre, comment s’est fait cepassage de relais en douceur ? Georges Buscail n’a pas eu à se poser pareilles questions… Le bouche-à-oreille au sein de l’interprofession a faitses preuves. En avance de deux ou troismois sur le calendrier qu’il s’était fixé,il a été contacté dès septembre 2007 pardeux repreneurs motivés. Libraire puisdirecteur d’une librairie au sein de lapetite chaîne indépendante parisienneL’Arbre à lettres pendant vingt ans,Denis Bénévent s’est ensuite consacré,au début des années 2000, à la créationde l’outil informatique Datalib. BrigitteBénévent, quant à elle, a effectué toutesa carrière dans le domaine du livre à laFnac. Le temps semblait venu pour euxd’acquérir une librairie. Moins d’un anaprès leur première rencontre avecGeorges Buscail, ils ont acquis Le Livreen Fête, une librairie littéraire “exacte-ment à [leur] dimension” : 12O m² dansle centre-ville de Figeac, 20 000 réfé-rences, quatre emplois à temps plein(dont deux salariés) et un chiffre d’affaires de plus de 600 000 euros(331ème rang du classement 2008 de Livres hebdo). Tous deux entendentbien faire perdurer l’esprit de Livre enfête qui règne sur Figeac depuis bientôttrente ans !Contact : Place Vival - Figeac Tél. : 05.65.34.43.11 - [email protected]

Librairie “Pont Virgule” à Espalion :

Sylvie Lacan sur le pontDepuis le 5 juillet dernier, le paysagede la librairie en Midi-Pyrénéescompte un nouvel acteur, Pont Virgule, qui a ouvert ses portes à Espalion. Une initiative particulière-ment bienvenue dans une zone ruraleoù la première librairie du Nord-Avey-ron se trouvait jusqu’alors à plus de ¾ d’heure d’Espalion.Pour Sylvie Lacan, ancienne secrétairede direction dans le bâtiment, il s’agitd’un vrai défi mais aussi d’une belleaventure qui ne fait que commencer.Après une formation à l’INFL (Institutnational de la formation à la librairie)et un stage à la librairie Mot à Mot de Rodez, elle a créé sa librairie indépendante sous forme d’entreprise individuelle, en bénéficiant d’une aide du Centre Régional des Lettres Midi-Pyrénées qui lui a permis de s’informatiser.Les 75 m² de la librairie, qui se veut généraliste, sont répartis en trois salles : la plus grande est consacrée àla littérature, au régionalisme et auxbeaux livres, une petite salle surélevéeest réservée à la jeunesse, enfin undernier espace accueille les rayons viepratique et essais. Remplaçant l’ancien office de tourismecommunal, la librairie occupe le rez-de-chaussée d’une bâtisse du XVIIe

siècle dont Sylvie Lacan est proprié-taire. Avec quatre vitrines sur rues,face au Vieux Pont d’Espalion, c’est unemplacement idéal dans un quartierfréquenté aussi bien par les habitantsde la ville que par les touristes. Fille de commerçants espalionnais,Sylvie Lacan a pour objectif de faire lepont entre les différents publics

(réguliers ou saisonniers). Soucieuse deproposer un fonds qui complète l’offre de lecture disponible sur lacommune, elle a aussi travaillé enconcertation avec la bibliothèque municipale d’Espalion. Elle compteenfin mettre à profit son expérience de documentaliste au C.D.I. du lycée d’Espalion où elle a acquis la conviction que rien ne pouvait mieuxguider le jeune public vers la lectureque le sentiment d’un plaisir partagé. Pour faire de Pont Virgule un lieu culturel incontournable de la ville,mais surtout un lieu chaleureux oùl’on aime à se retrouver, à se laisserguider et à partager des bonheurs de lecture dans une atmosphère privilégiée, Sylvie Lacan souhaite proposer des rencontres et des animations en lien avec les autres acteurs de la ville et les différentes manifestations culturelles qui s‘y déroulent. Elle pense notamment auxrésidences d’artistes du Vieux Palais,mais elle envisage aussi des présenta-tions régulières d’artistes plasticiensafin de susciter une participation active des lecteurs.

Contact : 2, rue St Antoine - Espalion Tél. : 05 65 44 91 41

Un nouveau souffle pour “La Maison du Livre”

La Maison du Livre a investi un second lieu à Rodez au printemps2008, l’ancien cinéma Family, àquelques pas du magasin principal.Une aubaine pour cette librairie géné-raliste créée en 1946 et classée au 50ème

rang des librairies indépendantes deFrance, qui commençait à se sentir àl’étroit dans ses 600 m². L’objectif quecet agrandissement rend possible :

améliorer la lisibilité de l’offre existante et l’accroître. Le nouvel espace de 260 m² de plainpied accueille plusieurs fonds : l’espace bandes dessinées qui a vu sonoffre en albums augmenter de 50 % ;le fonds Science Fiction qui respireenfin, tout comme le rayon Mangasavec ses rayonnages plus nombreux ;même constat pour la littérature jeunesse et pour le rayon des jeux éducatifs qui peut désormais se déployer dans un secteur réservé auxenfants, de la maternelle au primaire, etproposer également livres et CD audio.Un espace papeterie mieux fourni vientenfin compléter le dispositif.Cette transformation a aussi profité aumagasin principal qui a fait peauneuve. Entièrement rénové et ré-agencé, il propose des livres danstous les autres domaines avec un choixélargi, une grande pochothèque et unsecteur disques et vidéos de qualité.La Maison du Livre est ainsi le havrede 600 000 ouvrages.Cette deuxième naissance de La Maison du Livre dirigée depuis 2002par Benoît Bougerol, président duSyndicat de la librairie française, a étécélébrée le 24 juin dernier en présencede Benoît Yvert, Directeur du Livre etde la Lecture au ministère de la Culture et président du Centre natio-nal du Livre. A cette occasion a étéréaffirmée par tous les participantsl’importance de défendre le prixunique du livre pour que les librairiesindépendantes continuent à irriguerl’ensemble du territoire et à proposerune offre de lecture riche et diverse àchacun d’entre nous.

Contact : La Maison du LivrePassage des Maçons – RodezTél. : 05 65 73 36 00www.maisondulivre.com

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� Librairie

Du (re)nouveau en librairie en Midi-Pyrénées

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� Médiathèques

Le centre de documentation photographique du Château

d’Eau de ToulouseUne histoire…

C’est en 1974 que Jean Dieuzaide obtient de la mairie de Toulouse la miseà disposition d’un ancien château d’eaudatant de 1822 pour y créer la premièregalerie municipale entièrement consa-crée à la photographie.A cette époque la photographie n’estpas reconnue comme aujourd’hui et endehors des Rencontres internationalesde la photographie créées en Arles parLucien Clergue et Michel Tournier, iln’existe aucune institution consacréeà la photographie.Parallèlement à une politique d’expo-sitions basée sur la défense de la photographie d’auteur et par des présentations à caractère historique outhématique, Jean Dieuzaide lance une collection de monographies qui présente le travail du photographe exposé et qui aujourd’hui avec plus de 300 titres constitue une véritable encyclopédie de la photographie. Conjointement, soucieux d’encouragerle marché de la photographie, alorsquasi inexistant en France, il décide de créer une collection basée sur l’achat d’œuvres aux photographesprogrammés.Enfin, conscient de l’importance dulivre comme support de diffusion ilinstalle au premier étage de la galerieun espace destiné à la consultation dequelques grands livres de l’histoire dela photographie. En 1990 l'aménage-ment d'une voûte du Pont neuf datantdu XVIIème siècle permet la création surune surface de 150 m² d’un Centre dedocumentation. Ce Centre permet à la fois de réunir eninterne la documentation nécessaire àla programmation des expositions,

c’est un complément de visite à l’exposition mais c’est surtout une bibliothèque d’études pour les nombreux étudiants (Beaux arts, artsplastiques ; lycée des Arènes ; ETPA 1 …) De nombreuses maîtrises etthèses ont été réalisées grâce à sonfonds. Signalons aussi que, seule bibliothèque spécialisée avec celle dela Maison européenne de la photo àParis, elle accueille des étudiants venusde la France entière.Ce pôle de ressources comprend plusieurs secteurs d'activité.

Une bibliothèque Riche de plus de 10000 ouvrages sur la photographie ancienne etcontemporaine.Son importance témoigne que contrairement au livre d'art, qui neconstitue qu'un moyen imparfait pourla diffusion de la peinture ou de lasculpture, le livre de photographie estdepuis 1840 (avec The Pencil of naturede Henry Fox Talbot) un véritable support d'inscription et de création.L’édition photographique relativementconfidentielle dans les années 70 a explosé dans les années 90. La plupartdes grands éditeurs généralistes ontaujourd’hui une collection consacrée àla photo (Flammarion, La Martinière,Le Chêne, Phaidon, Actes sud, etc.).Mais ce qui se publie de plus novateurest dû à de petits éditeurs (Marval,Point du jour, Images en manœuvre,Textuel, Filigrane, etc.). A l’étrangerles plus actifs se trouvent surtout auxEtats-Unis (Aperture, Power house,Nazraeli Press, etc.) et en Allemagne(Schirmer Mosel, Steidl, Taschen, etc.).

Un fonds riche et varié

Le fonds ancien : il compte plus de500 ouvrages sur les écrits des pionniers de la photographie au XIXème

siècle, manuels techniques, annuaires,bulletins, ainsi que des livres rares et précieux couvrant la période 1850-1960. On peut ainsi y consulterdes ouvrages techniques ancienscomme par exemple la première Encyclopédie de la photographie en huit volumes du Toulousain CharlesFabre (1892) mais aussi les éditions originales des grands livres de l’histoire de la photographie très recherchés aujourd’hui par les bibliophiles comme “Images à la sauvette” d’Henri Cartier-Bresson ou“Les Américains” de Robert Frank.Le fonds moderne : il concerne toutesles catégories de livres et couvre tous les aspects de la photographie moderne et contemporaine : monogra-phies de photographes, anthologies,catalogues d’exposition, livres surl'histoire de la photographie, ouvragestechniques, textes théoriques (sémio-logie, esthétique, droit, etc.) mais aussi des ouvrages traitant d’autres types d’images, hors des frontières devenues caduques de la photographie contemporaine, comme l’Art vidéo,l’Art numérique et les nouvelles technologies, etc.En effet une des caractéristiques de ceque l’on a coutume de nommer “photographie plasticienne” estqu’elle ne se situe plus dans la seulehistoire de la photographie mais dansle champ beaucoup plus large de l’histoire de l’art et de l’image. Ceci

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entraîne une modification dans la politique d’acquisition et la nécessitéde prendre en compte les artistes quisans se revendiquer photographes “utilisent” ce médium. Ce fonds a été constitué par des achatsmais aussi de nombreux échangesentre les éditions du Château d’Eau etles publications d’autres musées et galeries d’Europe.Le fonds de périodiques : une centainede titres et une trentaine d’abonnementsen cours. Il s’agit aussi bien de magazines grands publics comme Photo, Réponse photo, Chasseur d’images…dont le contenu traite de la photogra-phie surtout du point de vue techniqueou matériel, que de magazines d’artcomme Arts press, Beaux arts maga-zine et étrangers comme Aperture,Portfolio, Eyemagazin.Les articles sont systématiquement dépouillés permettant des recherchescomplètes et approfondies sur un photographe ou un sujet.

Une offre multimédia Plus de 12000 diapositives retracent la programmation des expositions réalisées par le Château depuis sa création. Elles sont accompagnées dedossiers d’artistes régulièrement mis à jour et servent de support à laconstitution de mallettes pédagogiquesmonographiques ou thématiques surles grands genres ou les différentes pé-riodes de l’histoire de la photographie. Une centaine de films de photographesou sur les photographes peuvent êtrevisionnés sur place.Une sélection de ressources gratuitesen ligne, indexée de façon documen-taire sur le site du Château d’Eau(www.galeriechateaudeau.org) constitue une bibliothèque de liens et permet de se connecter à plus d’un millier de sites de photographie à travers le monde.

Une collection de photographies

Près de 5000 photographies acquisesauprès des photographes ayant exposéà la Galerie ainsi que d'autres photo-graphes créateurs contemporains.Cette collection par la régularité desachats réalisés entre 1974 et 2000 esttrès représentative de ce que l’on a appelé “la photographie créative”. Elle se poursuit aujourd’hui par l’ac-quisition d’œuvres de photographesplasticiens et des images de plusgrands formats.Cette collection outre sa valeur patrimoniale, permet la constitutiond'expositions itinérantes à caractèremonographique ou thématique.Toutes les photographies ont été numérisées et indexées permettant la consultation sur écran et des recherches par auteur, nationalité, périodes ou mots clés.

Un service de médiation

L’ensemble de cette documentation apermis de faire de ce Centre de documentation un lieu dévolu aussi à la pédagogie de l’image. Des visites guidées des expositions etdes outils pédagogiques sont proposésaux scolaires et adaptés aux différentesclasses d’âge. Des conférences sur l’histoire de la photographie sont proposées dans les murs ou hors les murs du Château d’Eau.Une convention avec l’IUFM de Tou-louse permet aux futurs enseignantssous forme d’ateliers de se familiariseravec le monde de l’image.Des prêts d’expositions accompagnésd’interventions et de soutiens

pédagogiques sont proposés aux collèges et lycées du département.Des mallettes pédagogiques sont à ladisposition des enseignants.

Création d’un portailde ressources

sur le site du Château d’Eau

L’évolution des usages est de plus enplus marquée par le numérique et une“googlelisation” des pratiques de recherches documentaires. Le publics’habitue et attend de plus en plus unemême qualité de services tant surplace qu’à distance. C’est pourquoiune de nos priorités dans un avenirproche est de rendre accessible enligne la consultation du catalogue. Cela est d’autant plus important que le Château d’Eau reste la seule bibliothèque spécialisée en photogra-phie dans le grand Sud de la France.

Dominique ROUXResponsable du Centre de documentation

et du Service des publics du Château d’EauEnseigne l’Histoire de la photographie

à l’Université du Mirail et à l’ETPA

Novembre 2008

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1/ ETPA : Ecole de formation aux métiers de la photographie et du multimédia - Toulouse

Tél. : 05.61.77.09.42 [email protected]

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Denise Epstein“…les morts dont on se souvient vivent aussi heureuxque s'ils n'étaient point morts...”L'Oiseau bleu, Maeterlinck

Nous déjeunons de temps à autre dansun petit restaurant de la place du Peyrou. Quand nous nous y retrouvons fin juillet, il fait très beau,le beau temps a un grand avantage : ilnous permet de déjeuner en terrasse etDenise peut y fumer à sa guise. Laconsommation de cigarettes à l'air librene fait encore l'objet d'aucune règlementation. Pour quelqu’un quin’a jamais aimé se faire dicter saconduite et avoue son peu de goûtpour le mot “leçon” et les diverses réa-lités, le plus souvent désagréables,qu’il recouvre, c’est une bonne nouvelle ! Quelles que soient les cir-constances, anodines ou dramatiques,il est toujours bon et utile de pouvoiréchapper à l’ordre majoritaire, de seménager un espace à soi, et une portede sortie.

A la table d'à côté ce jour-là, deuxfemmes déjeunent, peut-être une mèreet sa fille. Elles ont surpris quelquesbribes de notre conversation et au moment de quitter la terrasse du restaurant, la plus jeune pose enfin laquestion qui lui brûle les lèvres : “J'aientendu que vous écriviez. Est-ce queje peux vous demander le titre de voslivres ? de celui qui va paraître ? Je lelirai avec plaisir.” La question est bienveillante, ingénue, charmante. Denise répond qu'elle n'est pas écrivain. Elle va publier un livre en octobre, certes, mais c'est un simple témoignage, le véritable écrivain, le

grand écrivain, c'est sa mère, et ce sontles livres de sa mère qu'il faut lire. Denise est émue, elle a parlé vite en négligeant de préciser qui elle était, qui était sa mère. Quand nous prononçons enfin le nom d'Irène Némirovsky, les deux femmes acquiescent. Le nom, sinon les livres,leur est familier.

Cet échange impromptu, d'à peinequelques minutes, Denise s'y est livréetout entière. Elle s'est prêtée au jeupour la même raison qui, depuis maintenant quatre ans, à soixante-quinze ans passés, lui a fait parcourir lemonde, de Moscou à New York, deStockholm à Londres ou Madrid : assurer, à l'occasion de la publicationde Suite française en français puis dansde très nombreuses langues étran-gères, la seconde naissance de sa mère,faire revivre le nom et les livres d'IrèneNémirovsky, les remettre en circula-tion de par le monde. Façon de réparerce que l'Histoire a brisé net un jour de 1942, avec une violence sans nom. Façon aussi d'effacer le sentimentde culpabilité qui, comme les autres survivants, n'a cessé de la hanter après guerre.

11 octobre 2008 : à la librairie OmbresBlanches, Denise présente Survivre etvivre, son livre d'entretiens avec Clémence Boulouque, dans lequelnous pouvons suivre le parcours de savie entière. Sous sa forme simple etsans prétention, c'est un livre impor-tant : le premier qu’elle peut signersans la mention p.p (par procuration)dont elle accompagne chaque dédicacesur les livres de sa mère. A la voir ce

jour-là répondre avec gravité, humourou ironie légère, aux questions amicales qui lui sont posées, on seconvainc, comme elle le dit elle-même,que “la partie a été gagnée” : l'épreuvede la guerre, la solitude infinie qui ena résulté, la perte de tout repère affectif et familial ne l'ont pas démolie,n'ont pas eu raison d'un instinct de survie qui lui a permis de se reconstruire au fil des ans. D'abord ense donnant une descendance et en recréant pour la génération suivanteles conditions d'une vie dont elle avaitété privée, puis en remontant le tempset en faisant le pari de faire revivre parla mémoire ceux qui lui avaient donnéle jour, son père Michel Epstein, maissurtout sa mère : “Un jour, j'ai réaliséque j'avais l'âge d'être la mère de mamère et les rôles se sont inversés. C'estmoi maintenant qui m'occupe d'elle etelle est devenue très exigeante !” A travers l’aventure de Suite françaiseet l’énergie absolue qu’elle y a consacrée, Denise a répondu au-delàde toute espérance à l’exigence maternelle : “Finalement nous avonsgagné et ma mère est revenue !” Retourdifféré, par les livres, mais retour infiniment réparateur, qui donne sonsens à une vie entière et lui permet dereprendre à son compte en épigrapheles paroles d’Irène Némirovsky à lagendarmerie de Toulon-sur-Arroux le13 juillet 1942 : “… pour moi, je mesens calme et forte…”

Hervé Ferrage

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