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1 A LCHIMIE Études générales de symbolisme alchimique revu le 5 octobre 2006 Plan : 1. Introduction - 2. l'alchimie revisitée - 3. les Principes - 4. le chêne - 5. la fontaine - 6. l'antimoine et l'étoile - 7. le messager des dieux - 8. l'eau ignée - 9. la pierre noire - 10. la salamandre et le renard - 11. les hiéroglyphes célestes - 12. la grande coction - note sur la pierre du coignet de Fulcanelli et une chapelle absidiale, du côté de la rue du Cloître-Notre-Dame. 1)- Introduction Nous étudions dans ces pages les principaux points du symbolisme alchimique en essayant d'en relier chacun de façon rationnelle avec des procédés chimiques véritables : ce sont les ouvrages de Fulcanelli (Le Mystère des Cathédrales, les deux tomes des Demeures philosophales) et d'Eugène Canseliet (Études alchimiques in Alchimie, Deux Logis

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ALCHIMIE

Études générales de symbolisme alchimique

revu le 5 octobre 2006

Plan : 1. Introduction - 2. l'alchimie revisitée - 3. les Principes - 4. le chêne -5. la fontaine - 6. l'antimoine et l'étoile - 7. le messager des dieux - 8. l'eauignée - 9. la pierre noire - 10. la salamandre et le renard - 11. leshiéroglyphes célestes - 12. la grande coction - note sur la pierre du coignetde Fulcanelli et une chapelle absidiale, du côté de la rue duCloître-Notre-Dame.

1)- Introduction

Nous étudions dans ces pages les principaux points du symbolismealchimique en essayant d'en relier chacun de façon rationnelle avecdes procédés chimiques véritables : ce sont les ouvrages de Fulcanelli(Le Mystère des Cathédrales, les deux tomes des Demeures philosophales) etd'Eugène Canseliet (Études alchimiques in Alchimie, Deux Logis

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alchimiques, l'Alchimie expliquée sur ses Textes classiques) qui retiennentl'attention au XXe siècle. Précisons immédiatement que l’alchimie n’estnullement une discipline ésotérique. Le processus alchimique estcommenté habituellement sous une forme allégorique et cabalistiquequi en voile le sens mais il n’a point de rapport avec l’ésotérisme telqu’il peut être assimilé à l'occultisme ou à la théosophie. L’approcheque nous abordons s’efforce donc de concevoir de manière rationnellel’ensemble du grand oeuvre. Nous ajouterons que chaque auteuralchimique (encore appelé par tradition Philosophe Chymique ou Adepte quand ilparvenait à fabriquer la pierre philosophale) avait son propre système decodage. Fulcanelli, par exemple, a dispersé les phases du grandoeuvre dans ses trois livres. Nous avons choisi le système de la toile etdes renvois alternés.

« le Lut de Sapience », frontispice du Philaletha Illustrasta de Michael Faust,cf. aussi Huginus à Barma

L'étude des grands classiques de l'alchimie, auxquels nous nepouvons que renvoyer le lecteur intéressé [textes, plan], permet decompléter les enseignements parfois énigmatiques de Fulcanelliou de son élève. À ce sujet, ajoutons quelques remarques quis'adressent au profane : la première fois que l'on jette les yeux surun traité d'alchimie, on ressent souvent une impression de dégoûtet l'on est tenté de refermer aussitôt l'ouvrage que l'on croit rédigépar un fou ou par un illuminé. L'un des premiers livres d'alchimie àrecommander est le Trésor des Alchimistes de Jacques Sadoul [J'aiLu, 1969] ; c'est un ouvrage de bonne vulgarisation historique quiévoque les vieux alchimistes et qui n'aborde que de façonsommaire [mais bien faite au demeurant] les grands arcanes de l'Art.Le deuxième ouvrage à recommander est la Pierre philosophale de

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Georges Ranque [Laffont, 1972], très différent du premier livre ence qu'il insiste davantage sur le symbolisme ; qui plus est,plusieurs traités y sont annexés, chose rare vers la fin du XXe

siècle : leur lecture peut être pénible et plonger dans la perplexité.Au vrai, on peut ne rien comprendre à ce qui y est dit ; à cela peuts'ajouter comme une sorte de dégoût, résultant de l'impressionque l'on perd pied dans un dédale égarant le sens ; la lecture decertains passages donne plus l'impression d'un poème surréalisteque d'un texte auquel, en bonne éducation cartésienne, on esthabituellement confronté. En ce sens, ces textes se révélent d'uneremarquable modernité ; en même temps, le style en estarchaïque et bien sûr, on n'y trouve pas trace de la moindresubstance chimique... Dès lors, l'impression de se trouver devantun texte écrit par un fou ou un illuminé va croissant et l'on a plusqu'une envie : refermer le livre pour ne plus jamais l'ouvrir... C'estlà que les vieux alchimistes arrivent encore et toujours à séparerles impétrants : les vrais étudiants vont au-delà des difficultés etarrivent à démêler l'écheveau entrelacé ; les autres prenant à lalettre les indications données par les hermétistes se perdent en «mille brouilleries » pour reprendre l'expression de Nicolas Flamel.Mais ce n'est pas tout que de tenter d'expliquer des textes, desallégories ou de risquer des jeux de cabale improbables. Encorefaut-il tâcher de faire oeuvre utile en structurant l'ensemble, ce quirevient à disposer les fils de son propre labyrinthe. Le lecteur seradonc amené par le biais de liens alternés, à errer sur les crêtesdes vieux textes ou dans les remous de commentaires ou encoredans l'eau étale de sections d'explication rationnelle. Dans cetravail, nous essayons toutefois d'éviter le plus possible laredondance et de présenter dans chaque section, dans chaquetexte, une nouveauté permettant d'isoler ici, un point particulier desymbolisme, là un point de pratique chimique ancienne, ailleursenfin un point relevant du plus pur hermétisme. Dans tout ce quenous écrivons, nous sommes charitables [c'est ainsi qu'on appellevulgairement les alchimistes qui ont écrit des choses vraies, par oppositionaux « envieux », c'est-à-dire à d'autres alchimistes qui disentsystématiquement le faux pour le vrai] ce qui ne veut pas dire «simplistes ». Au lecteur de s'éclairer lui-même sur des points, etils sont vraiment rares, où l'obscurité demeure et, s'il s'intéresse àcette discipline d'Hermès, c'est pour lui un devoir que des'acquitter d'un minimum d'effort personnel. La seule chose quenous réclamons du lecteur, c'est de bien considérer qu'il ne s'agitpas ici d'un site à vocation ésotérique mais d'un lieu où la lumières'efforce de sortir des ténèbres pour reprendre le titre, Luxobnubilata..., d'un des classiques de l'alchimie. Cela ne signifiepas que les personnes qui goûtent l'ésotérisme soient à mépriser ;du moins est-il nécessaire que cet intérêt ne soit pas entaché d'uncaractère sectaire, qui représente le contraire de la liberté. Quedes savants aussi éminents que Carl-Gustav Jung, EugèneChevreul, Marcelin Berthelot, Isaac Newton, Robert Boyle,Ferdinand Hoefer et bien d'autres encore, aient consacré plusqu'une part non négligeable de leur activité, de leur vie en un mot,

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doit forcément peser dans l'un des plateaux de la balance quijauge l'honnêteté et les scrupules qu'habitent tous les « vrais disciples d'Hermès », auxquels s'adresse dans une Lettre, Limojonde Saint-Didier.

2)- l’alchimie revisitée

L’imagerie populaire caricature volontiers les choses et l’alchimie,pour un grand public, ne renvoie plus qu’à des superstitions dupassé où des illuminés « cherchaient à faire de l’or » avec desrecettes alambiquées. La critique historique rend justice de cettereprésentation à la fois simpliste et facile. Les travaux alchimiquesde Newton (1) sont de plus en plus connus. L’hypothèse la plusvraisemblable d’après Newton était que :

" tout corps peut être transformé en un autre, de quelque sorte qu’il soit, ettous les degrés intermédiaires de qualités peuvent être produits en lui ."

Il ne faisait, au demeurant, que reprendre les conjectures desphilosophes de la Grèce antique [cf. Timée]. Les philosophesactuels sont bien sûr plus réservés et estiment que :

" l’alchimie de Newton est le lien historique entre l’hermétisme de laRenaissance et la chimie et la mécanique rationnelles du XVIIIe siècle ."(2)

Il reste qu’un problème historique se pose dans la mesure oùl’hermétisme date d'une époque bien antérieure à celle de laRenaissance. Il nous faut donc remonter au temps où alchimie etastrologie étaient unies. C’est au IIe et IIIe siècle après J.-C.qu'ont été rédigées, en fait, les œuvres qui ont inspiré les mageset les philosophes de la Renaissance (3) (on citera : Giordano Bruno,Tommaso Campanella, Marsile Ficin, Giovanni Pic de la Mirandole) . Cesœuvres ont été attribuées à Hermès Trismégiste et Hermès futidentifié par les Grecs au dieu égyptien Thot. D'HermèsTrismégiste (4), on ne peut à vrai dire totalement séparer lestraités philosophiques comme ceux inclus dans le CorpusHermeticum ou l’Asclepius de la littérature d’inspirationastrologique, alchimique et magique qui lui sont aussi attribués.Par exemple, les traités philosophiques, en des visions mystiquesqui nous laissent perplexes à notre époque, tentaient de révélerl’organisation astrologique du cosmos. Cette philosophie, alorsconsidérée comme suprême et à laquelle nous ne pouvons plusadhérer, préconisait l’usage de mots de passe et de signesmagiques qui permettaient au gnostique - au sens d’érudit (5) -pessimiste d’écarter l’influence de la matière malfaisante desastres lors de leur ascension à travers les sphères ; de même, legnostique optimiste tâchait d’attirer des cieux, par la magiesympathique et des procédés talismaniques, les pouvoirsbienfaisants des astres. Les méthodes de magie sympathiqueprocédaient de la connaissance des animaux, des plantes et bien

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sûr des métaux que gouvernaient les planètes [cf. mon zodiaque alchimique]. Un livre semble émerger des écrits attribués àHermès-Thot qui pourrait bien être un pont jeté entre l’alchimie etl’astrologie : le Liber Sacer ou livre sacré d’Hermès où se trouventdes catalogues de décans ainsi que de pierres et de plantes ensympathie avec chaque décan. À la Renaissance, c’est pourl’essentiel Paracelse (6) qui impulsa une force nouvelle àl’alchimie - créant d’ailleurs pratiquement une néo-alchimie - parl’intrusion, dans les concepts issus du Moyen Âge, d’élémentshermético-kabbalistiques ; ces éléments précipiteront la survenuedu mouvement R+C. Nous retrouverons Paracelse lorsque nousaborderons le chapitre consacré à la matière première des alchimistes mais nous pouvons préciser qu'il est fort douteux queParacelse ait été alchimiste ; sans nul doute, il est pour unebonne part à l'origine du mouvement R+C de même que l'un deses élèves Gerhard Dorneus [sur lequel Jung a beaucoup travaillé dansces études d'herméneutique alchimique ; cf. Jung, Synchronicité etParacelsica, § 4, pp. 223-237]. Au XVIIe et XVIIIe siècles,apparaissent d'une part les grands recueils d'alchimie [cf. bibliographie], ceux que l'on verra commentés [cf. textes divers] et d'autre part les premières grandes études historiques et critiques.Deux noms émergent alors : l'abbé Lenglet Dufresnoy [Histoire dela Philosophie hermétique, Paris, 1742] et Dom Pernety qui a laisséune somme considérable avec ses Fables Égyptiennes et Grecques[Paris, 1786] et son Dictionnaire mytho-hermétique [Paris, 1788].

L’alchimie peut être représentée soit d’une façon purementspéculative [avec plusieurs points de vue : spirituel, religieux, ésotérique -voir à ce sujet la voie humide] soit d’une façon pragmatique etpratique mais dont le sens des informations recueillies est cryptépar un langage argotique (7). Jung a étudié de manièreapprofondie l’alchimie (8). Il a été conduit à déduire quel’ensemble du formalisme alchimique renvoyait - de même que lezodiaque et les planètes en astrologie - à des archétypes (9)universels. En résumé, Jung considère que l’alchimiste ne connaîtpas en fait, matériellement, les substances qu’il trouve décritesdans les traités... car elles n’existent tout simplement pas. À forcede travail cependant, l’alchimiste arrive à une sorte de révélationintérieure, par projection de lui-même dans un processus relevantd’une sorte de rêve éveillé, où il est conduit dans un étatcertainement proche d’une expérience mystique (10) ; ceprocessus nécessite un moyen ou un médiateur [on pourrait presquedire un catalyseur] dont l’aspect est par nécessité protéiforme etriche d’ambiguïté : l’alchimie use d'un langage allégorique etargotique permettant des interprétations multiples. On se retrouvefinalement confronté à des phénomènes qui ne sont pas siéloignés que cela de la perception de la musique (11). Le

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problème posé par l’interprétation de Jung réside dans sonabsence de prise en compte d’une part d’une perspectivehistorique [les auteurs sont cités surtout à titre d'exemple d'un point depsychologie ou de mythologème] et d’autre part d’une perspectivechronologique des différentes phases du grand œuvre. Onajoutera que pas une seule entrée de l'appareil critique n'existe,chez Jung, pour des substances chimiques ; son abord est doncpurement spéculatif et nie d'emblée toute possibilité factuelle [ce qui le conduit peut-être à des contresens dans l'opposition Dieu-Soufre : θειον-θειος, dans l'interprétation de l'υδορ θειον, l'Eau divine de Zosime]. Enfin, Jung a surtout étudié les images que ses patientsvoyaient et qu'il a identifiées à celles que l'on retrouve dansl'iconographie [notons que l'analyse de certains rêves de Psychologie et Alchimie provient d'un matériel que Jung tire de sa relation thérapeutiqueavec Wolfgang Pauli, l'un des pères de la mécanique quantique] ; mais l'iconographie va bien au-delà de la représentation de cercles oude mandalas et la version que donne Jung de l'alchimie nousparaît parfois réductrice. Il n'en reste pas moins que noussommes en droit de voir en Jung l'un des derniers grands témoinsde la quête hermétique et que les ouvrages qu'il a consacrés àl'alchimie sont incomparables. Citons Psychologie et Alchimie, Psychologie du Transfert, Essais sur la symbolique de l'esprit, Racinesde la conscience et surtout le Mysterium conjunctionis en deuxvolumes, un 3ème volume ayant été publié par Marie-Louise vonFranz : l'Aurora consurgens.

Carl Gustav Jung vers 1960

Il est à présent clair que l’alchimie a joué un rôle important dansl’édification de la science. Cela n'est plus à montrer dans ledomaine de la chimie [cf. Ferdinand Hoefer, Histoire de la Chimie].Elle a, en plus, contribué à la mise en commun d’un savoir qui apris, d’une manière de plus en plus accusée, une inflexionméthodologique et critique. B. Teeter Dobbs (12) l'observe quand

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elle analyse l’alchimie de Newton et en particulier le climatintellectuel de l’époque. Elle révèle notamment l’existence d’unvéritable groupement d’intellectuels, autour de la figure deSamuel Hartlib (13). Hartlib (1600-1662) fut l’âme d’un cercled’érudits et d’amis qui avaient pour but de favoriser lerassemblement, la communication et la diffusion d’informationsdiverses dans des domaines très variés. Les hommes ontcommencé alors à découvrir un nouveau modèle de coopérationsociale dans leurs efforts pour rassembler et diffuser lesconnaissances. L’alchimie « scientifique » qui fut pour beaucoupdans ce nouvel état d’esprit attira ainsi - et a prioriparadoxalement - des esprits soucieux de réforme et de raison.Ce nouveau modèle de référence devait permettre par la suite àl’homme de science de jouer un rôle de plus en plus influent dansla société. Ben David (14) situe le moment crucial de cetteévolution au milieu du XVIIe siècle au sein des cercles influentsde Hartlib et dans l’Angleterre de cette époque alors que le géniede Newton rayonnait en plein et que ses amis (Isaac Barrow (15), Henry More (16) et sans doute Ezekiel Foxcroft (17)) lui révélaient lestraités d’alchimie. À cette époque donc, l’expérimentation enalchimie était des plus actives : l’alchimie dans sa forme pratiquea bel et bien existé. Trois siècles plus tard, l'alchimie continued'intéresser les esprits et plusieurs livres de vulgarisation sontpubliés notamment au début des années 70 ; ils ont contribuéauprès d’un large public à créer une prise de consciencerenouvelée de l’alchimie ; on citera Le Trésor des alchimistes [J’aiLu, 1970] et Le Grand art de l’alchimie [J’ai Lu, 1975] de Jacques Sadoul, la Pierre philosophale [Laffont, 1972] de Georges Ranque,les Transmutations alchimiques [J’ai Lu, 1974] de Bernard Husson. On peut y rattacher le Savoir caché des alchimistes, de C.A. Burland [Laffont, 1969]. L'iconographie a fait l'objet d'une recensionpoussée de la part de Jacques Van Lennep [l'Alchimie, Dervy,1985]. La plupart des traités d’alchimie sont en effet devenus introuvables et ce sont, essentiellement, des compilations et desrecensions qui ont pu nous éclairer sur les textes anciens.

[des sites spécialisés proposent sur internet des copies de nombreux textesoriginaux ; quelques-uns en français, parmi lesquels se distinguent laLibrairie du merveilleux et le site Chrysopée. Ces deux sites proposent unchoix de textes importants et on peut y consulter en particulier leDictionnaire mytho- hermétique et les Fables Egyptiennes et Grecques. D'autres sites sont en anglais, en particulier le levity.com qui propose unnombre de textes et des références impressionnantes. Citons encore, enEspagne la bibliothèque Complutense ; en Italie le site Azogue. En allemagne, la Herzog August Bibliothek et en France, la BIUM].

Mettons à part les textes du XXe siècle, dus à Fulcanelli (18) et E. Canseliet (19) qui permettent pratiquement de vivre de l’intérieur,pour qui y est sensible, la splendeur de nombreuses allégories.Ces allégories dissimulent un savoir réel qui n’est en rienésotérique mais seulement voilé. Signalons au lecteurl’importance extrême que revêtent chez ces auteurs les notes de

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bas de page, si souvent négligées ainsi que les préfaces. Ceslivres ont succédé aux études du XIXe siècle où s'illustrèrent, enparticulier, Eugène Chevreul et Marcelin Berthelot.

3)- les Principes

Cette section est illustrée par le texte et l'image. Des textes, je citeles extraits de quelques traités classiques où se sont illustrésplusieurs noms :

- Lambsprinck (De Lapide Philosophorum) ; - Nicolas Flamel (le Livre des Figures Hiéroglyphiques, le Livre desLaveures) ; - Bernard le Trévisan (Verbum dimissum) ; - Alexandre Sethon (Novum Lumen chymicum) ; - Eyrénée Philalèthe (Introitus apertus ad occlusum regis patatiumn) ; - Artephius (Artephii antiquissimi philosophi de arte occulta) ;- Altus (Mutus Liber) ;- Basile Valentin (Currus triumphalis antimonii, Zwölff Schlüssel,dadurch die Thüren zu dem Uraltesten Stein).

La première chose que le lecteur doit savoir, c'est que nombre detextes alchimiques sont en fait apocryphes : ils ont été écrits soitpar un individu qui a tenu à garder l'anonymat, soit par un grouped'alchimistes ; certains auteurs ont aussi joué le rôle de simpleprête-noms : c'est avéré pour Djabir [la Somme de Perfection estattribuée de nos jours à Paul de Tarente] et très probable pour Nicolas

Flamel ou Artéphius. Au XXe siècle, la parution des trois livres deFulcanelli a de nouveau constitué une énigme ; certains ontpensé que Fulcanelli était un personnage bien réel [c'est ce qu'alaissé entendre son disciple, E. Canseliet], d'autres ont considéré qu'ils'agissait d'un personnage fictif sous lequel s'étaient dissimulésun libraire érudit, Pierre Dujols, et un peintre, Jean-JulienChampagne ; il est de fait que les partisans de cette deuxièmehypothèse se sont appuyés sur des arguments assezconvaincants ; il ne nous appartient pas de trancher la question.

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Pierre Dujols (1862-1926), alias Magophon

Nous dirons simplement que la lecture attentive du Mystère desCathédrales et des Demeures Philosophales [tome I et II] permet d'observer que l'auteur est érudit, au fait des découvertes les plusrécentes de la science de son temps et qu'il lit les Comptes rendusde l'Académie des sciences ; de plus il anticipe bien souvent surdes notions qui furent plus tard développées par Jung [qui ne connut sans doute pas l'existence des écrits de Fulcanelli]. L'hypothèseque Jean Julien Champagne [cf. http://archer.over-blog.net/ pour uneétude sur le peintre] soit Fulcanelli nous paraît bien difficile àaccepter : il paraît que Champagne aurait puisé son inspirationdans des parfums enivrants qui auraient augmenté ses capacitéscognitives. Mais les textes que nous avons sont d'une clarté,d'une simplicité et d'une justesse de ton que l'on ne sauraitattribuer à un esprit exalté. Bien au contraire, ils donnentl'impression d'un véritable cours, professé du haut d'une chaired'Académie.

Jean Julien Champagne (1877-1932)

Passons à Eugène Canseliet : on a récemment envisagé quec'était lui qui avait rédigé les Fulcanelli. Mais là encore, il noussemble impossible que ces textes, où se devine un poidsimmense d'érudition et de sagesse, aient pu provenir d'un hommequi n'avait en 1924 que 30 ans. Seul, Pierre Dujols se dégage de

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ce trio mais Jacques Sadoul [le Trésor des Alchimistes] a observéqu'il signait ces ouvrages du pseudonyme de Magophon [Hypotypose au Mutus Liber] et que donc, il ne voyait pas l'intérêtqu'il en ait signé d'autres sous un second pseudonyme. Cela nenous semble pas constituer un argument valable et l'on a vu desécrivains qui signaient sous différents pseudonymes. Les autreshypothèses sont bien improbables et notamment, celle qui verraiten Jules Violle [né le 16 novembre 1841 à 1 heure du matin, à Langres,Haute-Marne ; décédé en 1923] Fulcanelli. C'est aussi sur la date desa mort que l'on s'est fié (1923) car elle précède d'un an lapublication des Demeures Philosophales. Mais là encore, ce n'estpas une raison suffisante. La seule chose qui paraît assurée, c'estque le Mystère des Cathédrales a été écrit d'une seule main, alorsqu'on en devine plusieurs dans les Demeures philosophales. Lesnotes de bas de page indiquent des dates dépassant l'année1900 et il est possible qu'elles aient été ajoutées par E. Canseliet; cette assimilation de Fulcanelli à J. Violle repose enfin sur unmalentendu. Il s'agit de la couleur violet où l'on a voulu voir unsigne. Or, la couleur violet est une constante dans les textesalchimiques parce qu'à un certain moment dans l'oeuvre, cettecouleur symbolise des chaux métalliques qui s'apparentent auxroches cyanées [les Symplegades] qui se signalent à la sortie duPont-Euxin par analogie à la fin de la période de dissolution. Celadit, on ne voit pas comment Jules Violle aurait eu le temps, nonseulement d'oeuvrer au fourneau, mais encore de rédiger lestextes qu'on lui a attribués. De plus, J. Violle n'était pas en bonnesanté alors que le travail que l'on devine derrière les troisFulcanelli est considérable. Cette hypothèse ne nous convaincdonc pas. Certains ont vu dans Camille Flammarion un autreFulcanelli mais rien dans la biographie de l'astronome ne vientconforter cette hypothèse. Du même tonneau : des chimistes quiauraient gravité du côté de chez Eugène Chevreul, l'académicienféru d'alchimie, qui possédait une bibliothèque considérable,acquise en partie grâce à son fils [cf. biographie de Chevreul] : le nom de Ferdinand Hoefer surgit naturellement... Au vu des textes, làencore, rien ne vient étayer cette hypothèse [cf. minéralogistes]. Lemystère Fulcanelli demeure une énigme et il paraît probable queplusieurs auteurs ont collaboré à la rédaction de cette somme.Jusqu'à preuve du contraire, nous défendrons l'hypothèse queFulcanelli est un personnage de légende comme tant d'autresdans l'alchimie.

Qu'est-ce-que l'alchimie, que faisaient réellement les alchimistes,quelle est la prima materia ? qu'est-ce que la pierre philosophale ? C'est aux auteurs modernes qu'il faut faire appel car leurlangage, pour voilé qu'il soit, exprime des idées ou des conceptsappartenant à notre époque : ils abordent des points de chimie,même s'ils distinguent soigneusement la spagyrie de l'alchimiemais ils ne nous parlent plus du « phlogistique » qui avait cours

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encore au temps de Philalèthe ou du Cosmopolite. Il faut ensuitemettre ces textes en parallèle avec ceux du passé ; certains sontd'un abord relativement aisé comme le De Lapide Philosophorumde Lambsprinck que l'on va voir immédiatement, d'autres serévèlent des plus délicats à interpréter comme l'Introïtus dePhilalèthe ou même l'Hermès Dévoilé de Cyliani qui est pourtant unauteur du XIXe siècle. Voici d'abord un texte de Ferdinand Hoefer:

Ferdinand Hoefer (1811-1878)

le centre autour duquel gravitaient toutes les opérations du grandoeuvre était la pierre philosophale (λιθος ϕιλοσοϕιων), le mercuredes sagesa, la panacée universelleb, ou comme on voudra l'appeler.Santé et richesses, voilà le côté pratique du grand oeuvre tandis quele coté théorique se rattachait aux mystères de la religion, del'astrologie, de la cosmogonie, en un mot à toutes les connaissancesreligieuses et spéculatives de l'hommec. Or, qu'était la pierrephilosophale ? Il est arrivé ici ce qui arrive toujours lorsqu'onabandonne la voie de l'expérience, pour se confier exclusivement àl'essor de l'imagination : tout est vague, incertain. La pierrephilosophale était tantôt le cinabre, tantôt le soufred ; pour les uns,c'était l'arsenic qui blanchit le cuivre ; pour les autres, c'était la cadmiequ'elle jaunite ; enfin, pour d'autres, c'était quelque chose desurnaturel, qui ne pourrait être saisi que dans certaines conditionsphysiques, enveloppées de mystères. Pour tous, la pierrephilosophale était une substance ayant la vertu de transformer lesmétaux imparfaits en or ou en argent, et de procurer ainsiimmédiatement la richesse.Mais comme la richesse n'a aucunevaleur si celui qui la possède ne peut en jouir, la pierre philosophaledevait être nécessairement accompagnée de cette autre pierrephilosophale qui donnait le secret de guérir toutes les maladies, et deprolonger la vie même au delà du terme ordinaire. C'est là la pierrephilosophale pour ainsi dire à l'état liquide, qui porte le nom d'élixirphilosophal ou de panacée universelle, que les uns croyaient avoirtrouvée dans une teinture mercuriellef, les autres dans une teintured'or ou d'argent. Atteindre le bonheur suprême, dans ce monde, telétait le but de ceux qui s'occupaient exclusivement de la recherche de

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la pierre philosophale et de la panacée universelle. Mais comme cetterecherche était intimement liée à des croyances mystiques etreligieuses, et que d'ailleurs le plus grand nombre ne trouvait pasdans ce monde le bonheur qu'ils y cherchaient, il fallait absolumentfranchir les limites de la sphère terrestre pour venir planer dans lesrégions supérieures de la vie spirituelle. C'est alors que l'adeptecherchait à s'identifier avec l'âme du mondeg, cette troisième pierrephilosophale (que l'on pourrait appeler la pierre philosophale à l'étatspirituel), afin de jouir par anticipation, dans la communauté desdémons, des anges et des esprits, à ce bonheur qu'il lui avait étéimpossible de se procurer par la voie naturelleh. En résumé, il y atrois catégories distinctes de l'art sacré, ainsi que de l'alchimie : 1° lapierre philosophale ; 2° la panacée universelle; 3° l'âme du monde.Dans la première, on cherchait la richesse matériellei ; dans laseconde, une longue viej ; et dans la troisième, le bonheur au sein dela Divinité ou dans le commerce avec les démonsk. Mais qu'on nes'imagine pas que ces trois catégories soient toujours bien tranchéesdans les oeuvres des adeptes, et faciles à démêler. Le ciel et la terre,tout se confond dans le labyrinthe des doctrines néo platoniciennes,labyrinthe où la raison se perd et l'imagination s'égarel. Cependant,au milieu de cette confusion même, on remarque toujours un principefondamental : la suprématie de l'esprit sur la matière. Avant de rienentreprendre, l'opérateur invoque le Saint des saints pour la réussitede son oeuvre; il emploie les combinaisons dans lesquelles lesdémons ou les anges sont supposés se complaire. Aussi l'œuvre qu'ilpratique s'appelle-t-il grand, et l'art qu'il cultive, sacré et divinm. Les derniers commentateurs païens de Platon et d'Aristote sont comptésau nombre des maîtres de l'art sacré. Mais ils appartenaient plusparticulièrement à la troisième catégorie, qui avait pour objet l'âme dumonde, ou la félicité suprême au sein de la Divinité ou dans lecommerce des démons. Comme la vie et les doctrines mystiques desnéo platoniciens semblent avoir en quelque sorte servi de modèle auxalchimistes des siècles suivants, nous allons en communiquer ici unaperçu rapide, afin de n'avoir pas besoin d'y revenirn. [...]

Histoire de la Chimie, t. I, p. 245

a - mercure des sages : qualifie le Mercure philosophique ou doubleMercure, à ne pas confondre avec le Mercure des philosophes,équivalent du Typhon grec. Il s'agit du serpent qui se confond avec lafigure christique ou avec Attis. [cf. Aurora consurgens, III]b. contrairement à ce que l'on pourrait croire, la panacée universellene guérit point les plaies extérieures mais rend pures les susbtancesimpures : c'est l'instrument permettant à l'Artiste de transformer enanima le spiritus corruptus qui s'échappe du corps mort des métaux.c. c'est le côté chimérique de l'alchimie ; mais celui de latransformation intérieure, aboutissant logiquement à ce que Jung aappelé l'individuation, est positif : c'est la distinction classique entre lelaboratoire et l'oratoire. Quant à la spéculation, elle est omni présentedans les textes. Que nul ne s'aventure ici s'il n'est philosophe,pourrait-on dire avec quelque raison.d. la pierre philosophale - que l'on nomme le lapis - n'est ni le cinabreni le soufre mais un Mixte au sens où pouvait l'entendre Platon ; pourautant c'est aussi un mixte - compris comme SEL - comme pouvaitl'entendre Lavoisier. Le cinabre ou κινναβαρις des Anciens estappelé cambar dans les vieux textes [Turba, Artephius] et désigne lemercurius . Quant au soufre, il procure le coeur du lapis ou teinture

: c'est le sulphur ou . Il désigne ce spiritus corruptus que nous

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venons d'évoquer, qui doit être dépuré dans la susbtance du mercureavant d'être remis dans un corps neuf : c'est le processus dit deréincrudation. [cf. Aurora consurgens I et II] : il consiste dans ladescente de l'Âme dans le corps, ce que l'on peut aussi appeleranima consurgens .

e. l'arsenic est souvent appelé Zandarith dans les vieux textes parassimilation avec l'arsenic rouge ou σανδαρακη. Quant à lacadmie, il ne s'agit pas d'oxyde de zinc comme nous l'avons préciséen note de l'Introduction à la Chimie des anciens, VII de Berthelot.f. stricto sensu, la teinture mercurielle symbolise le Lion rouge ouMercure philosophique.g. harmonia mundi ; Robert Fludd en traite dans ses ouvrages, cf.Utriusque Cosmi. Cette âme du monde personnifie le sulphur; Jungen parle comme de l'anima mundi qui est une des formes duMercure. h. C'est là un point de connexion fondamental entre le mondematériel et le monde spirituel : la sublimation du Soufre dans leMercure est l'exact équivalent de la Passio Christi, cf. retable d'Issenheim et saint Jean Baptiste. Par ailleurs, la proximité de l'angeet du démon permet de passer de la trinité à la quaternité . Cf. Aurora consurgens II.i. à traduire, en terme d'alchimie non chimérique, par la dépurationdes matières viles.j. idem : le mercure est nommé aqua permanens parce que la coctiondoit durer longtemps pour des raisons que nous exposons ailleurs.k. idem : sublimation dans le Mercure ou incarnation de l'âme, cf.gravures du Rosarium Philosophorum.l. nous venons de montrer très simplement qu'avec une grille delecture tenant compte de la connaissance des textes et dusymbolisme, on peut se retrouver dans ce labyrinthe par un fild'Ariane : la caable hermétique.m. cette prééminence de l'esprit de la matière s'exprime à deuxreprises : lors de la 1ère sublimation où le métal perd sa forme dansla dissolution mercurielle ; lors de la 2ème sublimation où laréincrudation n'opère que si l'esprit lui-même se dissipe.n. sur Platon et la doctrine alchimique, cf. idée alchimique, V.

Baissons le regard à notre tour sur les textes anciens et voyonsd'abord le Petit traité sur la Pierre Philosophale [De LapidePhilosophorum] de Lambsprinck, republié par les soins de GorgesRanque dans la Pierre Philosophale. Ce traité fut publié dès 1625dans le Dyas Chymica Tripartita [compilation de Grasseus ou Grasshoff,alias Condeesyanus] et on le croit très ancien ; le pseudo-Flamel(1330-1418) s’y réfère dans le Livre des Figures Hiéroglyphiques.Ce nom de Lambsprinck est un pseudonyme qui est destiné àattirer l’attention sur le signe du Bélier dont la vieille traditionastrologique attribue la maîtrise à Mars. Nous verrons bientôttoute la complexité du symbolisme du Bélier et de Mars. Ce traitése compose de dix-sept gravures allégoriques dont quinze sontaccompagnées de légendes et de commentaires.

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De Lapide Philosophorum, prima figura [Musaeum hermeticum, p. 343]

texte : « Faites attention et comprenez bien que deux poissons nagent dans notre

mer. »

légende : « La Mer est le Corps, il y a deux Poissons, l'Esprit et l'Âme. »

On observe sur la 1ère figure deux poissons flottant dans unegrande mer avec au loin un bateau. L’analyse des textes ancienspermet d’interpréter ces poissons comme deux principes résultantde la destruction de matières primaires dont certains composéssont soumis à leur tour à une dissolution : ces poissons ontrapport avec le Sel des philosophes et le principe Soufrequ'il fautconjoindre. Mais déjà se pose un problème d'interprétation ! Carla légende annexée au texte ne s'accorde pas avec le symbolismegéénralement adopté dans les textes : la mer a toujours constitué,chez les alchimistes, l'épithète de l'Eau permanente qui est lesymbole du dissolvant, c'est-à-dire du Mercure philosophique. Cesdeux poissons que l'on voit sont donc l'Âme et le Corps et c'estl'Esprit qui est le Mercure. Disons tout de suite pour être aussiclair que possible : le Corps, l'Esprit et l'Âme sont omniprésentsdans le symbolisme alchimique ; je vais établir lescorrespondances avec les principes voilés sous ces symboles, quis'avèrent très proches de ceux qui constituent la substance mêmede la trinité chrétienne.

[le Corps est identifié à la résine de l'or : c'est le squelette de la future Pierredont la forme physique est une chaux métallique ; on peut dire qu'il s'agit duprincipe SEL. Il est d'habitude associé au signe mais ce n'est pas là leprincipe SEL des vieux alchimistes. Nous proposons l'idéogramme suivant,

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qui associe l'idée de feu et celui de terre : .- l'Esprit est le Mercure philosophique : c'est l'Alkaest des anciens

alchimistes ; il est vraisemblablement constitué d'au moins deux substancesdont l'une est congénère de l'alkali fixe. On peut identifier cet alkali auserpent Python que Cadmus cloue contre la croix [cf. les FiguresHiéroglyphiques]. Le moyen de fixation du Mercure - le lien du Mercure - estl'un des grands secrets de l'Oeuvre et constitue la 2ème partie de l'Alkaest ; l'ensemble forme le Mercure philosophique. C'est le principe MERCURE. Mais là encore, il faut distinguer deux Mercure : l'un est le 1er Mercure, quicorrespond à l'eau-vive prime de Limojon de Saint-Didier, avant l'infusion des Soufres. C'est le 2ème qui forme vraiment le double Mercure ou MercurePhilosophique. - l'Âme est la teinture ; Artéphius et tant d'autres en parlent comme d'une

substance qui teint non seulement en surface mais aussi en profondeur :c'est la teinture radicale qui oriente définitivement la Pierre. Il s'agit làencore d'une chaux métallique. C'est le principe SOUFRE.]

Ces principes, les auteurs n'en parlent bien sûr jamais enemployant un langage clair ; ce sont les allégories, les gravures,qu'il faut aller traquer pour y débusquer la vérité qui semble serévéler aussi volatile que le Mercure... Il n'y a qu'un auteur qui aitparlé des trois principes séparément, c'est le Cosmopolite. Encoren'a -t-il lui-même écrit que la partie sur le Mercure puisque le traitésur le Soufre et sur le Sel [Traité du Sel que l'on voit annexé à laNouvelle Lumière Chymique] ont été compilés par MichelSendivogius.

Le Soufre [plus exactement le Soufre rouge ou sulphur] s'apparente au des astrologues et désigne le principe fixe ou « mâle » des

alchimistes ; il échange d'étroits rapports sur le plan hermétique ethéraldique avec le lion et l'aigle. C'est au Soleil aussi quecorrespondent des arbres comme le chêne, le palmier -fréquemment retrouvés dans le symbolisme hermétique -. Au planhéraldique [cf. la section héraldique et alchimie], c'est avec le lionrampant [καµαι−λεων] que s'identifie le Soufre et c'est ainsiqu'en parle, d'ailleurs, le mystérieux adepte Philalèthe quand ilévoque, dans son Introïtus, le caméléon hermétique. Ce lionrampant, ou plutôt ce lion nain est apparenté aux gnomes de lacheminée alchimique du château de Fontenay-Le-Comte dont ilpossède ce trait chthonien, épithète du principe sulfureux [καµαι:terre]. Quant à , elle se voit affecter le chat - cité comme unemblème majeur par Fulcanelli- à cause de ses moustaches quirappellent la « mérelle » ou coquille Saint-Jacques, arcane majeurse rapportant à la préparation du Mercure. Elle prête aussi, ce quiest moins connu, sa signification au lièvre, au cygne et au limaçon- que l'on retrouve sur la septième figure de Lambsprinck. Les correspondances pour le Mercure, personnification planétaire del'inconstance, hermaphrodite et multicolore, passent par le renard,le singe, le poisson volant et l'abeille qu'on retrouve assezsouvent dans les textes alchimiques modernes [le singe est évoqué

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par E. Canseliet dans ses Deux Logis alchimiques ; l'abeille se retrouve sur le poêle alchimique de Winterthur entre autres]. Le renard, enparticulier, s'avère être un hiéroglyphe hermétique de transition, nifixe, ni volatile ; il se rapproche du phénix, l'oiseau fabuleuxd'Égypte.

Pour en revenir à ces principes, ils doivent d’abord être extraits deroches dont l'origine est toujours voilée par les alchimistes ;certains parlent à mots couverts de terre de Chio, de terrecimolienne, mais leurs propos semblent souvent confus etsonnent comme de vaines paroles ; une constante cependant : ilssont symbolisés par un dragon écailleux [pour signifier feuilleté : ils'agit de roches à caractère sédimentaire] et d'aucuns évoquent alors ledragon babylonien [Babylone et Rome étaient confondues au début duchristianisme]. L'évocation seule du Dragon est d'ailleurs équivoquecar les alchimistes ont décrit au moins deux dragons : l'un, qui serattache aux matières primaires, et l'autre qui est le symbole de laputréfaction. Mais il nous faut poursuivre. Notez donc bien quel'Esprit est le symbole du Mercure et que l'Âme est le symbole duSoufre. Revenons pour l'heure aux images de Lambsprinck : dansla 3ème figure, deux animaux sont cachés dans une forêt et il fautsavoir les prendre au filet ;

De Lapide Philoosphorum, quarta figura, Musaeum Hermeticum, p. 349

texte :

« C'est le suprême prodige de deux lions en faire un. »

légende : « L'Esprit et l'Âme doivent être conjoints et ramenés à leur corps. »

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Ici, ce sont les composants du feu secret qui sont décrits ; nousverrons dans une autre section que ce feu secret (ou Mercure)peut comporter des substances différentes selon la voie d'attaquequ'on utilise [voie sèche ; voie humide] et selon la « résine » de laPierre que l'on a décidée d'élaborer [la nature de la Terre employée]. Manifestement, Lambsprinck ne donne pas à l'Esprit ou au Corpsle même sens que d'autres Adeptes [en suivant les écrits d'alchimistescomme Senior, il aurait dû écrire que le Corps et l'Âme doivent êtreconjoints en étant ramenés à l'Esprit, cf. Azoth]. Attardons-nous àprésent sur le filet. Il s’agit d’une substance cristallisée à laquelleIsaac Newton a consacré un certain temps, substance au moyende laquelle il pensait « extraire » le Soufre et le Mercure desmétaux. Newton écrit à ce sujet :

"De même que sont cueillies les violettes pourpres, de même les poissonsgras (c'est-à-dire sulfureux) et les poissons argentés sont pêchés : il est sûrque le mercure devient blanc dans les dernières sublimations."

Il s'agit d'une référence à un traité de Jean D'Espagnet, l'Oeuvre secret d'Hermès. Newton a vu ce filet après de nombreusesexpérimentations et il se présente comme un réseau de lignesapparaissant lors du refroidissement des métaux. La formuleoptimale pour la confection de ce filet nécessite la présence decuivre et de régule étoilé d'antimoine [c'est-à-dire du métal antimoine,lui-même préparé avec du plomb, du fer, de l'étain, etc.] préparé avec dufer. Fulcanelli, dans le Myst. cath., parle de ce filet en signalantque certaines allégories recommandent de saisir les poissons aumoyen d’un rets délié, allégorie de mailles, formées de filsentrecroisés [cf. section des blasons alchimiques pour le filet]. Ce filet afait l'objet de contresens évidents par suite d'une confusion entrela première matière [qui a un sens différent de celui de prima materia oumatière première] et le trichlorure d'antimoine. Cette confusion a étésavamment orchestrée et entretenue par les alchimistes, enparticulier B. Valentin [ou le pseudo-moine bénédictin] dans son Char de Triomphe de l'antimoine, par Artephius dans son Livre secret et par Philalèthe [Introïtus]. Nos auteurs modernes, Fulcanelli et E.Canseliet, se sont penchés aussi sur ce métalloïde. L'un pournous en dissuader l'usage comme parfaitement impropre àl'œuvre ; l'autre au contraire, dans L'Alchimie expliquée sur sesTextes classiques, pour nous persuader de son importance. Quantà J. Sadoul, il pensait que la matière première pouvait être uncinabre à base de pyrite antimoniée

[ce qui n'est pas faux en soi... le cinabre est le nom de cabale du Mercureque les Anciens nommaient κινναβαρις ou cambar, cf. Artephius, Turba. La pyrite contient du vitriol vert, source du ; quant à l'antimoine, il

s'agit de l'ανθος µονος ou seule étoile des alchimistes].

G. Ranque dans La Pierre Philosophale envisageait lui aussi l'emploi du trichlorure d'antimoine, lié selon lui à desconsidérations de température et de pression que peut supporter

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un matras scellé. Enfin, Newton a travaillé sur l'antimoine etnotamment sur l'obtention du fameux régule étoilé d'antimoine.Laissons-le (12, p.196 ; 31) s'exprimer sur le sujet :

"... par le pouvoir de notre soufre qui gît caché dans l’antimoine, carl’antimoine était dénommé Ariès par les Anciens. Parce que Ariès est lepremier signe du zodiaque dans lequel le Soleil commence à être exalté etque l’or est surtout exalté dans l’antimoine".

Ariès est le fameux bélier à la Toyson d'or évoqué dans la fablede Jason [cf. Antoine Faivre, Toison d'or et alchimie, Archè edidit, 1990pour une étude spécifique]. Les hermétistes se sont emparés de cettefable et ont en donné une magnifique représentation dans leSplendor solis. Newton s'est fourvoyé en s'accrochant à « l'antimoinevulgaire » comme l'appelle Fulcanelli. Il en va autrement pour lesulfure d'antimoine (stibine) (1, 2, 3) et nous prions le lecteur dese reporter infra pour un commentaire global sur ce sujet. Il estnécessaire de décrypter l'insistance d'E. Canseliet sur la stibinequi contraste avec la prévention manifestée par Fulcanelli : celapeut paraître de prime abord paradoxal mais est tout à fait logiquesi l'on considère le processus chimique qui se cache derrière leconcept de la réincrudation. [J'ai développé dans une autre section unsupplément d'interprétation sur l'antimoine : les Gardes du corps deFrançois II].

Voyons maintenant la 2ème figure de Lambsprinck :

De Lapide Philosophorum, secunda figura, Musaeum Hermeticum, p. 345

légende :

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"putréfaction"

texte :

"... Qu’il y a dans la forêt une bête sauvage, toute environnée d’une couleurnoire, Si quelqu’un lui coupe la tête, Alors elle rejette la noirceur et prend lacouleur blanche la plus resplendissante... la noirceur est nommée tête de

corbeau". (32)

Cette décapitation fait partie des « serpents de mer » dusymbolisme alchimique : tous ceux qui sont intéressés par l'Artsacré ont lu des commentaires sur la séparation ; ils ont vu desemblèmes, des gravures, sur cette opération mais bien peu y ontcompris quoi que ce soit... Il s'agit de la 2ème sublimation quirévèle la blancheur par laquelle la lumière fait place,progressivement, à l'obscurité : cette phase de l'oeuvre estintermédiaire entre le régime de et celui de la . Par là

s’exprimerait la séparation réalisée entre le Mercure et la matièresaline, réalisée à partir de la prima materia qui correspond au corpsminéral (33). L'emploi du conditionnel est de rigueur car cette «putrefactio » peut symboliser un simple changement de couleur ; laséparation renverrait alors à la précipitation d'une substancetandis que la deuxième resterait dissoute. Naturellement, on nepeut exclure du champ de l'interprétation une hypothèse purementspéculative qui serait, alors, davantage du domainetranscendantal [cf. philosophie et alchimie]. Quoi qu'il en soit, cetteputréfaction semble avoir d'étroits rapports avec le dissolvantuniversel [autrement appelé le « feu secret » ou le « Lion vert »].Fulcanelli (Myst., p.120) insiste, pour ce point, sur un symbole fortcomplexe : celui du Lion. D’abord, le Lion a pour maître le Soleil(Soufre) à ce qu'en disent les Chaldéens. Ensuite, il renvoie dansune autre acception au dissolvant universel et se nomme alors le Lion vert. Le Lion représente la partie fixe qui perd, au contact dela volatilité adverse [souvent représentée par un aigle] la meilleurepartie d’elle-même, c’est-à-dire la tête. En effet, les auteursinsistent sur le fait que le Lion vert - ou Alkaest, qui représentedonc le dissolvant universel - est un fruit vert et acerbe, comparéau Lion rouge, le fruit mûr et l’objet du corps à dissoudre. D’autresallégories peuvent être mentionnées qui toutes tournent autour dece processus de dissolution, telles ces luttes d’animauxdissemblables décrites par le pseudo-Flamel (34) (l’aigle et le lion)ou par Basile Valentin (le coq et le renard) ou encore par DeCyrano Bergerac (le rémora et la salamandre). Le Lion rougesemble correspondre à l'association des deux Soufres quiconstituent les natures métalliques. Il faut prendre garde ici de nepas se laisser abuser par l’association entre la putréfaction et ladissolution car la putréfaction est d’habitude liée à un stadeparticulier de l’œuvre. En fait, d’après M. Le Breton (les Clefs de laPhilosophie Spagyrique, 1722), il y aurait quatre putréfactionsdifférentes (chapitre II : de la Putréfaction des minéraux, aphorisme 52), la

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1ère survenant dans la séparation (dissolution par destruction du sujetinitial). Nous retiendrons que la putréfaction, telle qu'elle estenvisagée par la plupart des auteurs, se place au début du 3ème

oeuvre, lorsque les Soufres sont infusés dans le Mercure [en sonpremier état] et y disparaissent. Il s'agit donc d'une putréfaction quiest, bien sûr, totalement cabalistique. Il ne faut pas y voir unenoirceur qui s'exprimerait par la couleur noire. Mais il y a dans lapréparation du Mercure [et c'est alors le 2ème oeuvre] des momentsoù une couleur noire peut réellement apparaître [par exemple, le résidu qui se dépose dans la cornue, lors de l'attaque du salpêtre par unvitriol, en vue d'obtenir le Nitre philosophique].

En continuant l'étude du texte de Lambsprinck, nous trouvons uncerf et une licorne dans la 3ème figure. Sous le cerf se cache lemédiateur entre le ciel et la terre et le symbole du soleil levant [cf.Aurora consurgens] ; caractérisée par sa couleur orange, l'auroreévoque un sel produit par l'attaque du sulfure d'antimoine par lemoyen de l'esprit de sel [acide chlorhydrique] qui procurerait «l'humide radical métallique » qui est l'allégorie, selon Fulcanelli, souslaquelle est voilé le médiateur salin. En fait, il s'agit là d'uncomposé intermédiaire et qui n'agit que dans la voie sèche ; nousverrions plutôt le spath fluor (fluorine ou fluorite) dans cetteincarnation de l'aurore (voir notre réincrudation).

De Lapide Philosophorum, tertia figura, Musaeum hermeticum, p. 347

texte :

"Désormais sans inquiétude, sachez que dans la forêt sont cachés le cerf et

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l'unicorne".

légende :

"Dans le Corps sont l'Âme et l'Esprit"

La qualité de médiateur du cerf est attestée, en outre par le faitqu'il s'agit d'un animal véloce (caractère mercuriel) et qu'il étaitconsacré dans l'Antiquité à Diane (Artémis) ; on gardera aussi enmémoire qu'Actéon, voulant rivaliser avec Artémis, fut transforméen cerf et dévoré par cinquante (L) chiens : il pourrait s'agir d'uneallégorie touchant la dissolution radicale des métaux brûlés carles cinquante chiens symbolisent, pour certains, le nombre dejours durant lesquels la végétation [dont Actéon est l'un desemblèmes] cesse totalement de vivre. On remarquera ici un pointde concordance avec la légende de Cadmos, tuant le serpentPython - qui se rattache au mythe de Léto, et donc à Artémis et Apollon - avant de le clouer sur un chêne. Quant à la licorne, elle semblesymboliser le sulphur qui doit pénétrer, et ce de façon

irréversible, le Corps ou Sel, qui représente la « semence métalliqueou résine de l'or ». Cette licorne est évoquée plusieurs fois par E.Canseliet dans ses Deux Logis alchimiques (La Licorne domptée, p.313) :

"La licorne est aussi la longue opération par laquelle les artistes, en defréquentes réitérations, recueillent et rassemblent l'âme sulfureuse montant,peu à peu, du sein de la terre rouge, à travers le bain mercuriel, afin qu'elleprenne un corps nouveau à la surface. Dans la parfaite réunion des deuxprincipes, spirituel et corporel, celui-ci, qui est le sel, prend la belle couleurverte de celui-là, expliquant le rôle allégorique de la végétation, de la forêt..."

La licorne symbolise donc ce moment de la pénétration paraccrétion du Soufre ou teinture au Corps (ou Sel des Sages).C'est donc une sorte de flèche spirituelle, l'équivalent d'un rayonsolaire. [sur la licorne, cf. Fontenay] Fulcanelli (Myst., p.101) nous ditenfin - toujours pour en rester à la putréfaction - que l’hiéroglyphedu corbeau cache un point important de l’art. Il exprime la cuissondu Rebis philosophal, c’est-à-dire du Sel uni au Soufre [et c'estl'ensemble Rebis et Mercure qui correspond au Mercure philosophique oudouble Mercure]. Fulcanelli évoque ensuite (Myst., p.93) le bonnetphrygien qui coiffait les sans-culottes et constituait - selon sesdires - un talisman au milieu des hécatombes révolutionnaires(sic) ; ce bonnet constituait le signe distinctif des Initiés et il étaitde couleur rouge ; il rappelle la pétase, chapeau à large bord desanciens Grecs et attribut d’Hermès. Ce commentaire cache en faitune allégorie se rapportant à Cybèle, la grande déesse de l’AsieMineure.

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Cybèle

Κυβελλα donne plusieurs indications précieuses à l’étudiant enalchimie ; elle révèle d’abord la couleur de la matière première carles Romains l’accueillirent officiellement en 204 av. J.-C. enfaisant venir de Pessinonte la " pierre noire " qui symbolisait ladéesse. Des observations intéressantes sur ce sujet ont étérecueillies par M.A. Daubrée :

"Parmi les pierres vénérées, celles qu’on avait vues tomber () du ciel, lesmétéorites, paraissent avoir occupé une place à part. Telle était la masserecueillie à Pessinonte, en Phrygie, qui devint l’objet d’un culte sous le nomde Cybèle ou de Mère des dieux et qui fut transportée, en 204 avant notreère, à Rome, au temple de la Victoire, avec la plus grande pompe, suivied’un cortège brillant de dames romaines..."

Cybèle se présente coiffée d’une sorte de couronne murale maisqu’un examen plus attentif permet de rapprocher d’une sorte depalais crénelé en miniature [en fait, dans l’iconographie romaine, depetites tours qui représentent les villes qu’elle protège]. Elle est montéesur un char traîné par deux lions et elle tient en sa main gaucheune clef qui ouvre la porte de la Terre où sont enfermées desrichesses. Elle symbolise l'athanor secret, c'est-à-dire le « vasede nature » dans lequel se déroule la 3ème partie du processusalchimique. Nous ajouterons qu’à partir de l’empereur Claude(Claude Ier, 10 av. J.-C. - 54 apr. J.-C.) qui fut contemporain du Christ,furent pratiqués des rites secrets : le taurobole (sacrifice d’untaureau) et le criobole (sacrifice d’un bélier). Le mythe de Cybèleest inséparable de celui d'Attis [cf. Aurora consurgens III].

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En relisant le Mystère des Cathédrales, on aura noté que Fulcanellicite les Figures Hiéroglyphiques de Nicolas Flamel : il donne letexte original - attribué faussement à Nicolas Flamel -accompagnant la troisième figure. En effet, le Livre d’Abraham leJuif n’a jamais existé et c’est le pseudo-Flamel, peut-être Arnauld,sieur de La Chevalerie, qui en introduction à son propre voyageinitiatique, semble l'avoir inventé de toutes pièces :

N. Flamel, Figures Hiéroglyphiques, Oeuvres chymiques, Hamburg, 1681

"Est dépeint et représenté un jardin clos de hayes, où il y a plusieursquarreaux..."

Nous y voyons des lattes de bois - dans lesquelles on peutdeviner des douves de tonneaux :

"Au cinquième feuillet, il y avoit un beau Rosier fleuri au milieu d'un beaujardin, appuyé contre un Chêne creux ; au pied desquels bouillonnoit uneFontaine d'Eau très blanche, qui s'alloit précipiter dans des abîmes, passantnéanmoins premièrement entre les mains d'infinis Peuples qui fouilloient enterre, la cherchant ; mais parce qu'ils étoient aveugles, nul ne la connoissoit,hormis quelqu'un qui en considéroit le poids"

L'heureux élu qui trouve cette fontaine d'eau très blanche connaîtle poids : cela doit nous rappeler l'une des sentences de BasileValentin que Fulcanelli évoque (DM II, p.75), dans un passage oùle poids n'apparaît pas de manière explicite puisque c'est enapparence du feu secret qu’il est question :

"Allume ta lampe et cherche la dragme perdue."

Or, le terme dragme renvoie à drachme, c'est-à-dire khalkos engrec, soit chalcus en latin qui est une mesure de poids valant ¼d'obole

[la parabole de la drachme ou dragme perdue renvoie à un passage de Luc,cité dans Marie-Louise von Franz, Aurora consurgens, trad. Fontaine dePierre, 1983 - Luc 15, 8-10 sur la parabole de la pièce retrouvée, la Bible,

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trad. oecuménique :

« L'image alchimique du flilus philosophorum est plus complète que celle duChrist, puisqu'elle unit en elle un aspect clair et un aspect obscur, car lapartie inférieure de la nature humaine y est incluse. » [M.-L. von Franz, Aurora consurgens, commentaire de la IIe Parabole, op. cit., p. 259]

En cherchant plus loin, on trouve que chalcos se rapproche ausside chalcitis, minerai de cuivre [couperose ou vitriol bleu] dont on sait que ceux de Chypre étaient des plus réputés et qu'un sel y étaitfréquemment mêlé, sur lequel s'attarde Pline l'Ancien ; et plus loin de citer à nouveau Flamel :

"... Or, comme le tonneau est fait de bois de chesne, de même le vaisseau doit être en bois de vieux chesne, tourné en rond en dedans, comme undemi globe, dont les bords soient fort épais en quarré ."

Arrêtons là cette digression et concentrons-nous sur le chênedont nous avons déjà parlé en commentaire de la tertia figura. Examinons à cet égard la figure suivante :

Duodecim clavibus, Clavis XII [cliquez pour agrandir]

Il s’agit de la XIIe Clef des Douze Clefs de la Philosophie (20)attribuées à Basile Valentin (1659). Elle se rapporte certainementà l’un des secrets les mieux dissimulés (Verbum dimissum) dumagistère : le feu secret. On distingue un tonneau duquels’échappe un feu violent. Par la fenêtre ouverte, on voit briller et . Un pot se trouve sur la table située derrière le philosophe,surmonté du symbole du . Derrière l’adepte, un lion aux prises

avec un serpent [il s'agit d'une parabole sur le Leo viridis] et sur latable, une balance. À l’époque, les tonneaux étaient constitués debois de chêne et les vieux tonneaux (« bois de vieux chesne ») se

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couvraient en leur face interne de sel de tartre. C’est ce dont parletrès exactement Nicolas Flamel. La fontaine d'eau très blanchedont parle Flamel tombe dans les abîmes, c'est-à-dire dans le «Tartare » ; cette fontaine voile la préparation du Mercurephilosophique. Le pot contient deux fleurs [allusion aux principes] etune tige verticale : il s’agit du symbole du tartre tel qu’il apparaîtdans la table des principaux caractères chymiques du Cours de chymie de Nicolas Lemery (30) :

Tables des principaux caractères chimiques, Cours de chymie de NicolasLemery

Venons-en au lion Lion : rappelons que le Lion rouge est lesymbole du double Mercure - appelé aussi Compost philosophal -au stade premier de la pierre philosophale. Dans ses Deux LogisAlchimiques, E. Canseliet nous présente ce lion sur plusieurspeintures sur bois du château du Plessis-Bourré. Dans la Fontaineindécente, le Lion projette un liquide sulfureux ; dans le combat del’Aigle et du Lion, qui nous est désormais familier, le Lion figure leprincipe fixe ou Soufre des philosophes, par opposition auprincipe volatile (Mercure).

[Du moins est-ce une première approximation. Cette interprétation noussemble à présent inexacte. Nous verrions plutôt dans le combat de l'aigle etdu lion, l'illustration du conflit entre le Mercure et son lien, le tout formant ledissolvant. Le Mercure est représenté par l'aigle et le lien du Mercure estreprésenté par le Lion. Ce serait la même analogie avec le combat du coqet du renard, ou de la salamandre et du rémora ; le lien dans ce dernier casest le rémora. Il figure le corps fixe qui maintient le Mercure, en l'empêchantde s'évaporer. Il y a un autre Soufre qui n'a rien à voir avec le lien duMercure ; ce second Soufre se rattache à la préparation du Rebisphilosophal et il s'agit d'une chaux métallique, c'est-à-dire d'un « métal brûlé».]

Enfin, dans l’Homme-Lion [in Deux Logis alchimiques] quelle n’estpas notre surprise de voir un bouclier de métal avec lequell'animal se protège. Ce bouclier est un symbole assez complexeet nous en parlons avec détail ailleurs (1, 2, 3). Certains textesdonnent le même nom à la matière réceptive du feu secret dansl’élaboration du dissolvant universel. Il s’agit alors du Lion vertque certains Adeptes appellent aussi le Vitriol vert (Basile Valentin)et d’autres la rosée de Mai. Ce Lion vert, Fulcanelli nous en reparledans ses Demeures philosophales (DM, I, p.243) :

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"C’est la substance qui, au cours des sublimations, s’élève au-dessus del’eau, qu’elle surnage comme une huile ; c’est l’Hypérion et le vitriol deBasile Valentin, le lion vert de Ripley... en un mot la véritable inconnue dugrand problème."

Sur le plan de l'équivalence chimique, cette substance pourraitavoir quelque rapport avec le natron. Ce sel dont nous parlonsdans la section sur le Bain des astres a en effet la curieusepropriété de « grimper » par-dessus le liquide dans lequel il estdissous. L'efflorescence propre au natron fait que le sel, une fois produit, sort, pour ainsi dire, du théâtre de la réaction, qu'il grimpeet s'élève au-dessus des matières réagissantes.

Si nous examinons d'autres textes anciens, on ne laisse pasd’être surpris que, tous, préconisent d’éliminer des résidus dont Fulcanelli nous dit qu'on pourrait facilement les rejeter comme impropres à l'oeuvre :

"Le résultat de la coagulation de l’eau, dès le début, se présente sous uneforme telle, qu’on est souvent porté à le rejeter sans seulement se donner lapeine du plus modeste examen." [Myst. Cath., préface, p. 33]

E. Canseliet, dans ses Deux Logis alchimiques étudie l’origine del’expression tête de corbeau [caput corvii] : il s’agit d’une déjectiondu mercure philosophal qui constitue l’origine de l’âme métallique.C'est ce que les alchimistes appellent humide radical. Toutefois, il n'est pas sûr qu'à chaque fois, les alchimistes parlent du mêmestade de l'oeuvre ainsi que cela arrive souvent. Il faut donc tenirsa garde haute dans l'interprétation de cet arcane. Dans ses Clefs de la Philosophie Spagyrique, M. Le Breton dans le chapitre IIIconsacré à la Solution (dissolution) nous dit dans l’aphorisme Vqu’il faut dissoudre le sel fixe seul :

"... pour le dégager de son épaisseur grossière, et le rendre par ce moyencapable de pénétrer ."

Cela est à rapprocher de ce que Fulcanelli évoque plus hautquand il nous dit que selon Le Breton, il y a quatre putréfactionsdont la première survient dans la séparation initiale. La séparationinitiale est à rapporter, pour beaucoup d'artistes, à la captation del'antimoine « crû ». [voir le commentaire du Char triomphal del'antimoine et la section sur la Pierre philosophale]. À Bourges, dans lachapelle de l’Hôtel Lallemant, Fulcanelli ajoute que :

"La mort du corps laisse apparaître une coloration bleu foncé ou noire,affectée au Corbeau, hiéroglyphe du caput mortuum de l’Oeuvre. Tel est lesigne et la première manifestation de la dissolution, de la séparation deséléments... la cendre, calcinée, abandonne ses impuretés grossières etadustibles..."

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Cette mort du corps ressemble fort à la calcination d'un métal oùl'on recueille sa cendre, c'est-à-dire sa chaux ; le caput mortuumserait donc une chaux métallique, un métal brûlé ce quiexpliquerait la coloration - à prendre au sens figuré - quidésignerait un corps de couleur violet, rappelant l'ιος des Grecs.Mais il faut que l'étudiant fasse bien attention à ceci, que lecorbeau est le signe allégorique de la putréfaction qui survientdans le travail au début du 3ème oeuvre, alors que l'opérationdécrite par Fulcanelli semble se rapporter à une substance biendéterminée. Rapprochons ces textes de ce que nous dit Philalèthedans son Introitus (IV, 2 : De l’Aimant des Sages) :

"En outre, je déclare que notre aimant a un centre caché, où gît uneabondance de sel. Ce sel est une menstrue dans la sphère de la Lune, etpeut calciner l’or."

Comme d'habitude avec Philalèthe, on peut se perdre enconjectures sur l'interprétation exacte à donner à chaquefragment. Ce « menstrue » ou « crachat de Lune » peut renvoyer àune chaux métallique. Il pourrait s'agir d'un résidu du traitementd'argiles ou de schistes par de l'huile de vitriol, qui sépare lesulfate de fer [vitriol vert] du sulfate d'alumine. Mais il est plusvraisemblable de penser que l'Aimant est le symbole du Mercure,que le centre figure le « punctum », qu'il désigne aussi le sel fixevoilé par l'arcane de la salamandre. La lune étant l'épithète duMercure [du moins quand elle est dans son premier quartier, cf. Mutus Liber, frontispice], on comprend mieux pourquoi Philalèthe signaleque ce sel correspond à un dépôt qui dépend de la matière voiléesous l'hiéroglyphe céleste. On peut continuer avec cet autrepassage de Philalèthe (VI, 3 : L’Air des Sages) :

"... Mais, si tu sais irriguer cette terre aride avec une eau de son propregenre, tu élargiras les pores de cette terre, et ce larron externe sera chasséau-dehors avec les opérateurs du désordre, l’eau sera purgée par l’additiond’un soufre véritable de ses ordures lépreuses..."

Philalèthe est plus explicite au (VII, 4 : De la première opération de lapréparation du Mercure philosophique par les aigles volantes) :

"... prends quatre parties de notre Dragon igné, qui cache dans son ventrel’Acier magique, et neuf parties de notre Aimant ; mêle-les ensemble avecl’aide du torride Vulcain, de façon qu’ils forment une eau minérale oùsurnagera une écume qu’il faut rejeter..."

Le dragon igné est la même matière qui est exprimée parl'expression « homme double igné » [B. Valentin] ou substancehermaphrodite. L'Acier magique est le premier état de l'Airain,c'est-à-dire de l'amalgame philosophique. Tout cela est àrapprocher de la préface de la deuxième édition du Mys. cath.(p.23) où E. Canseliet assure que :

"Plusieurs préparations sont donc nécessaires pour provoquer la dilatationdu métal, en séparer les impuretés les plus grossières et les élémentspérissables..."

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Cette dilatation correspond à une « ouverture » du métal,c'est-à-dire à une oxydation. Fulcanelli dans ses Demeuresphilosophales (DM, I, p.275) ajoute :

"Car notre pierre noire, couverte de haillons, est souillée de tant d’impuretésqu’il est fort difficile de l’en débarrasser complètement "

et cite Nicolas Flamel et ses fameuses laveures [le Livre des Laveures] dont le but est de débarrasser cette pierre noire de sessouillures et crasses hétérogènes. Au total, il semble bien quetoutes ces scories ne soient point à rejeter mais au contraire àconsidérer comme des plus importantes. Philalèthe donne à cetégard d’autres indices précieux dans l’Introitus (XI, 4 : De l’inventiondu parfait Magistère) :

"... Ainsi les sages observèrent-ils finalement que dans le Mercure il y avaitdes crudités aqueuses et des impuretés terreuses qui... ne pouvaient êtreéliminées qu’en renversant tout le composé."

à rattacher à l'Introïtus, XI, 7:

" Enfin ils s’intéressèrent à un enfant de Saturne... mais l’expérience leur amontré qu’il conservait ses propres scories... il renfermait cependant enabondance le sel le plus pur de la Nature ."

Il se pourrait donc que ces scories aient un rapport avec le Seldes philosophes et que par « propres scories », il faille peut-êtreentendre les résidus obtenus dans l'eau de cristallisation, dessuites de l'attaque de la substance primitive. Ce rapprochementparaît conforté par l’examen de la 4èmeClef de Basile Valentin dontnous donnons ici la gravure :

Duodecim Clavibus, Clavis IV

De cette scène macabre, E. Canseliet donne, dans la préface aux

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Demeures philosophales, une explication qui nous semble adaptée:

"... nous avons parlé de cette matière, symboliquement désignée par lefumier, que les chimistes connaissent bien, lors même qu’ils la considèrentcomme un négligeable résidu et qu’ils n’en fassent aucun cas... Pourtant,c’est bien cette substance, en apparence immonde, que les Philosophesdénomment bave du dragon et dont ils affirment qu’elle est à la fois très vileet très précieuse."

Le mot résidu [faex] peut se traduire par tartre [lie, dépôt]. En grec, nous trouvons λειµµα [avec l'acception demi-ton, dièse], prochephonétiquement de λειµων [tout lieu humide, pré, prairie], épithèteévidente pour signifier le salpêtre [à entendre comme un sel contenantdu potassium comme le tartre vitriolé ou le sel de Seignette de La Rochelle].Nous voyons qu'une grande partie du symbolisme dégagé par ces« impuretés, résidus, fèces » tourne autour de composés quicristallisent lentement. Nous renvoyons le lecteur à un passagecité infra où nous examinons davantage ce « truc » de l'oeuvredont parle E. Canseliet. Il nous précise que la couleur de cettematière est noire, d’odeur cadavérique [à entendre dans un sensallégorique, comme le disait Nicolas Flamel « ayant reconnu la senteur forte», c’est-à-dire le bon sentier, la bonne voie] et a l’aspect d’une écumeinfecte, bulleuse et putride, c'est-à-dire en fait d'une substanceefflorescente, d'apparence « affreuse » et friable. Selon Canseliet,c’est cette écume que recueille le couple du Mutus Liber dansl’allégorie de la planche 4 que voici :

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Mutus Liber, planche IV

Un autre recoupement nous est donné par Philalèthe (XV, 5 : De lapurgation accidentelle du Mercure et de l’Or) :

" Mais outre cette purgation essentielle, il faut au Mercure une purificationaccidentelle pour laver les fèces externes que l’opération de notre vraisoufre a rejetées du centre à la surface..."

à rapprocher de Canseliet :

"De couleur noire, d’odeur cadavérique, elle s’élève du fond de la merhermétique et s’étend à la surface, comme la sanie sort d’une plaie..."

Tel se présente donc le Rebis des philosophes, dans son premierétat, en un corps noir, désigné et dissimulé à la fois tour à toursous les noms de laton, laiton, corbeau, Saturne, Vénus, cuivre,airain. Plus loin dans son Introïtus, Philalèthe semble nous parlerà nouveau de cette matière à (XX, 1 & 2 : De l’arrivée de la noirceurdans l’œuvre du Soleil et de la Lune) :

"... examine si ta matière est enflée comme de la pâte, bouillante comme del’eau, ou plutôt comme de la poix fondue..."

Il semble ensuite confondre à escient les deux premières phasesdu magistère (XX, 4 à 6).

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Ici s’arrête pour nous provisoirement l'intérêt du texte dePhilalèthe. Il nous faut poursuivre avec d’autres auteurs. Peut-êtreCyliani dans son Hermès dévoilé (1831) nous apportera-t-ilquelque secours... Dans une allégorie en forme de rêve, sonhéros voit une nymphe qui le transporte dans un palais dontl’entrée est gardée par un dragon [analogue au dragon Ladon quigarde l'entrée du jardin des Hespérides] possédant un dard à troispointes ; Cyliani tue le dragon et s’empare dans le temple deplusieurs bocaux bouchés à l’émeri. Il ouvre le premier en formed’urne qui contient la matière androgyne et les deux naturesmétalliques puis en remplit son vase. En sortant du temple, ilpasse près du monstre :

"... que j’avais vaincu, je vis qu’il ne restait plus de lui que ses dépouillesmortelles et de nulle valeur."

Dans la première opération ou confection de l’azote (Mercure desphilosophes), il nous explique qu’il obtient par fermentation unematière noire et ajoute :

"... Faites bien attention ici qu’à la suite du gonflement de la matière dans lafermentation qui suit la dissolution, il se forme à la partie supérieure de lamatière une espèce de peau sous laquelle se trouvent une infinité de petitesbulles qui contiennent l’esprit. C’est alors qu’il faut conduire avec prudencele feu, vu que l’esprit prend une forme huileuse et passe à un certain degréde siccité."

Ces petites bulles dont Cyliani parle, les vieux alchimistes enparaient aussi comme des « yeux de poissons » [cf. Aurora consurgensII]. Il recommande ensuite que pour cette opération, l’artiste doiveobserver le poids, la conduite du feu et la grandeur du vase. Nousvoici renvoyés à une autre énigme de la XIIe Clef des Douze Clefsde la Philosophie attribuées à Basile Valentin, la balance, qued’autres auteurs symbolisent par le compas. Fulcanelli nous seralà encore d’un grand secours ; dans Myst., p.125, il nous dévoilel’allégorie du poids de nature en la personne de l’alchimisteretirant le voile qui enveloppait la balance. L’Adepte nous assureque :

"... nous savons que le mercure philosophique résulte de l’absorption d’unecertaine partie de soufre par une quantité déterminée de mercure ; il estdonc indispensable de connaître exactement les proportions réciproques descomposants, si l’on opère par l’ancienne voie."

Par ancienne voie, faut-il entendre voie sèche ou voie humide ?L'histoire de la chimie montre qu'il s'agit de la voie sèche, celledont parle le pseudo Djabir. Dans les Demeures philosophales,Fulcanelli revient sur ce point (p. 252) et assure que :

"... le poids de nature se réfère aux proportions relatives des composantsd’un corps donné."

à différencier du poids de l’art qui désigne :

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"... les quantités réciproques de matières diverses, en vue de leur mélangerégulier et convenable..."

L’Adepte semble formel quand il décrète ensuite que :

"... le poids de nature est toujours ignoré, même des plus grands maîtres.C’est là un mystère qui relève de Dieu seul et dont l’intelligence demeureinaccessible à l’homme."

Plus loin, Fulcanelli aborde à nouveau ce point de l’art et citeLinthaut :

"La vertu du soufre ne s’étend que jusqu’à certaine proportion d’un terme."

De ce terme, nous n’en saurons pas davantage mais noussuivrons le conseil de l’Adepte qui préconise des opérationssupplémentaires que les bons auteurs ont nommé imbibitions etréitérations. En conclusion provisoire de cet examen sommaire dela XIIe Clef de Basile Valentin, nous avons donc dégagé plusieurspistes.

[À la lumière de développements ultérieurs (1, 2, 3, 4, 5), notre position anéanmoins évolué :

a)- plusieurs matières premières (dont l'une au moins, le sujet minéral, estsymbolisée par un dragon écailleux) sont indispensables à la conduite del'oeuvre ; la chaux et un alcali semblent à cet égard incontournables ; b)- ces matières fournissent d'une part les éléments du dissolvant universeldes vieux auteurs et d'autre part les éléments chaulés de la Pierre à partird'argiles pures ; c)- l'attaque de la matière première conduit à une « séparation » qui procureune substance se présentant sous forme d'un résidu que l'on nomme caputmortuum ; le moment où cette opération intervient n'est pas évident carcette couleur noire (nommée aussi tête de corbeau) peut survenir àdifférents niveaux de l'oeuvre ; le caput mortuum est une substance quenous analysons en détail dans la section du tartre vitriolé ;d)- le composé qui doit être traité par le feu secret est nommé soit sel desphilosophes soit mercure des philosophes ; dans Myst., p. 141, Fulcanelliassure qu’il faut : "cuire le Sel céleste qui est le Mercure des philosophesavec un corps métallique" ; e)- ce sel des philosophes est en rapport avec le principe « Corps » de laPierre et correspond à la résine de l'or ou Toison d'or décrite parTrismosin.]

Examinons à présent le Traité chymico-philosophique de Basile Valentin. Dans le chapitre V consacré à l’esprit de Mars, il nous ditque le métal de Mars contient un certain sel épais en grandequantité. Gardons cela en mémoire. Le chapitre VI traite de «l’esprit de l’or ». B. Valentin nous dit que le Soleil est :

" un feu ardent et consumant... vertu qui associe l’intelligence, l’opulence etla santé "

La Lune est abordée au chapitre VII [de la teinture de la Lune]. B. Valentin trouve à la Lune une double signification ; elle présenteen effet une couleur bleu sombre (tirant vers le violet) ou blanche et

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cela vaut qu’on s’y attarde :

a)- bleu sombre, cela nous renvoie au filet de Newton. En effet,les deux métaux cuivre et antimoine mêlés donnent des alliagesoffrant diverses nuances de pourpre ; il s’agit d’un étatintermédiaire. Le filet est le principe par lequel la matièrepremière fournit le Soufre, retenu [D’Espagnet, dans son ArcanumHermeticae philosophiae Opus parle du Soufre comme d’un petit poissongras et du Mercure comme d’un poisson mouvant à écailles argentées]tandis que le Mercure passe à travers le régule étoilé d’antimoine.Cette couleur pourpre a des rapports avec le phénix et le palmier. laLune sombre, de couleur pourpre, peut renvoyer à l'un descomposants du Rebis. Cette Lune sombre doit avoir un rapportavec le caput mortuum ou corbeau ; en effet, Fulcanelli, dans Myst.,p.198 explique que :

"La mort du corps laisse apparaître une coloration bleu foncé ou noire... Telest le signe et la première manifestation de la dissolution, de la séparationdes éléments et de la génération future du soufre, principe colorant et fixedes métaux... Le corps mortifié, tombe en cendre noire ayant l'aspect dupoussier de charbon..."

Par là, Fulcanelli veut parler de la « mort des métaux », réduits enchaux - ou cendre - métallique. C'est l'éclipse du soleil et de Lunedécrite par Raymond Lulle. C'est aussi cette partie du voyage desArgonautes près du Pont-Euxin au moment où ils abordent lesroches cyanées [Symplegades]. Cette mortification métallique estsignifiée par l'idéogramme .

b)- blanche, où par un traitement correct, elle se transforme enlune fixe, totalement blanche. Si l’on reprend les expériences deNewton, on voit que dans ses premiers essais (vers 1669) ildissout du vif-argent dans de l’Aqua fortis en y versant une once degrenaille de plomb et obtient :

"... un précipité blanc comme un limon, lequel étant le Mercure précipité parle soufre du Plomb..."

Nous verrons plus loin que l'on ne saurait accorder beaucoup decrédit au vif-argent vulgaire qui n'a nul rapport avec l'argent-vifhermétique. Cette référence à la blancheur est néanmoinscapitale car elle permet de comprendre que des sels blancs oudes minéraux cristallins puissent par un jeu de cabale phonétiqueconduire aux étoiles des cieux alchimiques. La Lune blanchecorrespond aussi à un sel qui apparaît sous sa forme hydratée, ouqui se présente comme un composé gélatineux ; il se peut que cesoit cela qu'évoque Fulcanelli (Myst., p.171) à propos descaractéristiques du nostoc :

"Tous ces caractères combinés, - apparition soudaine, absorption d'eau etgonflement, coloration verte, consistance molle et gluante,- ont permis auxPhilosophes de prendre cette algue comme type hiéroglyphique de leurmatière."

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Nous aurons l'occasion d'aborder l'étude d'autres algues quisemblent davantage se rapporter à Poséïdon qu'à Zeus. La Lunerenvoie aussi à Artémis (Diane). E. Canseliet sans son Alchimieexpliquée sur ses Textes classiques (p.31) nous prévient de ladifficulté :

"... d'établir le contact et la collaboration, de manière permanente, avec lesoleil, la lune, les planètes et les étoiles..."

Raccourci saisissant du 3ème oeuvre où il faut obtenir, parl'entremise du dissolvant universel, le contact puis l'amalgameentre le principe Mercure [ou plutôt le Sel des Sages] et le principeSoufre. La Lune est directement citée par Fulcanelli dans les DM, II, p. 259, sur la sirène, monstre fabuleux servant à caractériserl'union du soufre naissant - le poisson, cf. Jung, Aïon - et du mercure commun, appelé vierge. Plus loin, p. 275, l'Adepteévoque le règne d'Héliogabale qui avait amené à Rome sa pierrenoire et avait célébré ses noces avec la statue de Coelestis, quireprésentait la Lune. Il avait épousé une vestale [qu'on peutidentifier avec Vesta Ops ou Cybèle]. Nous parlons de cette partiedans la section sur les Gardes du corps de François II.

Nous l'avons déjà dit, il importe de ne pas confondre le Mercurecommun ou eau-vive prime de Limojon et le Sel des Sages. LeMercure commun dissimule un corps qui est sans doute un alcalidont parlent les Adeptes sous l'épithète de Lune des philosophes[blancheur ou éclat argentin, tels sont ses attributs ; voir à ce sujet les DM, II, p.150] ; ce corps a été placé aussi sous la protection de Dianeaux cornes lunaires [Lune cornée] et il n'a rien à voir avec lesublimé corrosif [sublimé vénitien] ou bichlorure de mercure. C'est enfin sous l'appellation de Lune des Sages, de ce Mercureou dissolvant, qu'il est question dans les DM, I, p. 290 sur lacaptation progressive de la teinture que le roi abandonne pendantson immersion et qui est la propriété spécifique de cet agent oumoyen. Cet agent est le sulphur et le patient correspond au

Soufre blanc . On peut ainsi trouver une explication à la tertia

figura, où le cerf figure le principe Sel et la licorne le principeSoufre. Mais, dans le De Lapide Philosophorum, les pistes sontbrouillées puisqu'on a vu que Lambsprinck n'avait pas donné auxmots Esprit et Corps, le sens que leur donne habituellement lesautres philosophes.

Plus loin dans son Traité Chymico-philosophique, B. Valentindébute une assez longue allégorie où il décrit le maniement du linqui, dit-il, doit être putréfié après dissolution avant d'être, enfin,lavé. C'est encore une allégorie mais quand on saura que laculture du lin exige une fumure particulière, riche notamment ensulfate de potasse, on aura aussi identifié la matière dudisssolvant. Cela ne saurait nous étonner car le mot lin, en grec,λινον, a aussi le sens de filet, ce même filet par lequel onemprisonne les poissons sulfureux de D'Espagnet. En effet,

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Fulcanelli (dans le Myst. Cath.) semble formel quand il nous parle(p. 107) du feu secret qui est censé conjoindre le Soufre et le Seldes Sages [à propos de l'un des bas-reliefs du portail central de NotreDame de Paris ; il s'agit de l'un des médaillons des Vices et des Vertus : laCharité, cf. Gobineau] :

"un homme expose l’image du Bélier et tient de la dextre un objet qu’il estmalheureusement impossible de déterminer aujourd’hui. Est-ce un minéral,un fragment d’attribut..."

et de citer Pernety :

"Les Adeptes disent qu’ils tirent leur acier du ventre d’Aries, et ils appellentaussi acier leur aimant." [Dictionnaire mytho-hermétique]

Cet aimant, en fait, chez les Anciens, constituait un repère quileur permettait de montrer que tel métal avait plus ou moinsd'affinité pour un autre : l'expérience consistait à mêler desmétaux en solution ; certains avaient la propriété de déclencherune précipitation, d'autre pas. Cette différence de comportementtémoignait du degré d'oxydation différent des métaux mis enprésence, ce qui nous renvoie à l'idéogramme qui donne le secretde l'oeuvre : . Quoi qu'il en soit, l'allégorie reste complexe maisle Dictionnaire de Pernety permet de montrer que l'Aimant est àrapprocher du Mercure acué du Sel. Quant à l'Acier, le lecteur serapportera au commentaire que nous donnons des Douze Traitésd'Alexandre Sethon ; en reprenant nos données, nous savons que:

a)- en premier lieu, Mars est le symbole du fer, qui peut jouer unrôle en tant que principe Soufre - la teinture du Sel - dans

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l'élaboration de la pierre ; b)- en second lieu, Mars fait référence à l’antimoine à en croireNewton [rapprochement par cabale phonétique entre Arès et Ariès] ; Marsest de façon générale le symbole de toute substance vitriolique : ilpeut donc s'agir d'argile, de gypse, sans compter les vitriols bleu,vert, blanc, calciné en blancheur et les « gurhs » vitrioliques - [cf.dragon écailleux] ; c)- en troisième lieu, le Bélier pouvant aussi faire référence àJupiter Ammon, nous avons émis l'hypothèse que l'ammoniac jouaitun rôle dans l'Oeuvre -sous forme combinée à de l'alun mais cequi n'était pas satisfaisant (pourquoi les Anciens auraient-ils eu l'idée dejoindre de l'ammoniac à l'alun ?) ; mais l'ammoniaque est de l'alkaliminéral, volatil, qui n'a pas sa place dans la voie sèche. Voyez ceque nous en disons dans la voie humide ; d)- en dernier lieu, une lecture des Figures Hiéroglyphiques nous aconduit à rapprocher Jupiter (figuré par Mars) de la figure de Thémis, déesse de la Justice et à poser l'hypothèse que sousThémis - dont notre FIGURE I illustre le « lut de Sapience » - sedissimulait par symbolisme la chaux.

Ce Lion vert, certains Adeptes [B. Valentin entre autres] le nommentl’Émeraude des philosophes ou la rosée de mai [le Soleil traversealors le signe des Gémeaux dont le maître est Vénus ; pour la Rosée, voir lasection héraldique et alchimie].

Pour Newton, le Lion vert représente :

"le régime de l’œuvre de l’or commun après l’élaboration du Mercurephilosophique."

Nous y verrions plutôt la maturation du Rebis au sein du compostmais c'est, du reste, ce que Newton imagine à propos du « régimede l'oeuvre de l'or commun ». L’alchimiste en œuvrant au magistèrese sert d’un vase particulier dans l’une des voies possibles ; lavoie sèche, celle qui est utilisée par les plus grands adeptes,nécessite un creuset dont le symbole est † et c'est la seule quenous analysons ici [cf. voie humide ]. Il manque un élémentimportant dans cette analyse : le temps. La chronologie est eneffet capitale ; en alchimie, le temps se conçoit selon des étapesbien précises qui renvoient à des couleurs retrouvées enhéraldique (argent = blanc - sinople = vert - sable = noir - gueules =rouge). Le temps alchimique se confond également avec certainesopérations qui exigent des tours de main spéciaux : ainsi lacohobation ; Fulcanelli l’évoque (p.123) sur la planche XVIIIillustrant un autre médaillon du portail central :

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portail central de Notre-Dame de Paris, l'Orgueil

Cette allégorie de la cohobation [il s'agit de l'un des médaillons desVices et des Vertus : l'Orgueil, cf. Gobineau] traite de l’extraction dufixe et du volatil dans la dissolution philosophique. Enpharmaceutique, l’opération consiste à distiller la même eau surde nouvelles plantes afin d’obtenir un produit plus chargé. Cetteopération peut être symbolisée par un mouvement de rotation quirenvoie au serpent Ouroboros des Anciens et à la roue zodiacale.En alchimie, la roue [cf. Aurora consurgens I sur les rapports entre rotaet rosa] est l’hiéroglyphe du temps nécessaire à la Coction de lamatière philosophale et au degré de chaleur requis dans l'oeuvre,en particulier à la fin de la Grande Coction. Le feu que l’alchimisteutilise doit être constant et égal dans certaines parties dumagistère : on l’appelle le feu de roue. Il assure la rotation régulièredes éléments, c'est-à-dire leur conversion, au cours desopérations alchimiques [voir Ripley]. Cette « rotation » est une pureallégorie dont l'image exacte est plutôt représentée par le serpentqui se dévore lui-même [dans la section sur le Mercure, nous verronsque la méthode par volatilisation du fondant reflète très exactement cettevision]. Le temps intervient aussi par le moyen du lien du Mercuredont très peu d'Adeptes ont parlé : le sel harmoniac ; harmoniac parce qu'il assure l'harmonie en captivant les éléments duMercure, à l'instar d'Orphée avec sa lyre ; seule l'agriculturecéleste permet de savoir pourquoi le blé et le seigle donnent l'un,le nom vulgaire de la résine de l'or et l'autre le nom vulgaire de cesel [cf. section des blasons alchimiques].

Un autre feu que l’on a déjà évoqué et dont les Adeptes nousassurent qu'il ne mouille point les mains, est le feu secret desphilosophes (le dissolvant universel sur lequel le chimiste Kunckel aglosé, cf. Chevreul, critique de Hoefer). C’est ce dernier feu, excité parla chaleur vulgaire émanée du feu de roue, qui fait littéralementtourner la roue et évoluer le Rebis. Une autre technique

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alchimique typique est la réincrudation : il s’agit d’un terme detechnique hermétique qui signifie « rendre cru », c’est-à-direremettre dans un état antérieur à celui qui caractérise la maturitéou rétrograder [paradoxalement, selon Jung, cette rétrogradationconstitue l'individuation]. Nous y consacrons une section spéciale.Nous avons mis en évidence plusieurs types de réincrudation :

a)- la première se rapporte à l'état d'un métal que l'on peut «rajeunir » en le transformant en son sulfure, d'où il esthabituellement tiré des gîtes métallifères (par exemple, la stibine) ; b)- la seconde se rapporte à l'état d'un métal, qui, conjoint à unechaux métallique peut donner un corps composé dont la synthèsedemande à la nature des millions d'années et c'est ainsi qu'onpeut l'extraire des gîtes miniers ou des filons (par exemple, legrenat) ; l'Art sacré seul permet de l'obtenir facilement et en peu detemps en réduisant d'abord les métaux en chaux métalliques oumétaux morts, réincrudés en un Corps neuf et subtil, résultat de laparturition hermétique ; c)- la troisième - plus subtile - se rapporte à l'obtention d'un descomposés du Lion vert et notamment à la préparation de la potasse;d)- à côté de ces trois types, on doit mentionner une réincrudationmieux nommée regressus qui est de l'ordre de l'alchimiespéculative [cf. philosophie et alchimie].

Comme on peut le voir, la réincrudation est protéiforme. Celledont nous entendons parler consiste dans l'incarnation de l'âme etreprésente - au plan opératoire le point b) -, cf. Aurora consurgens. Le point d)- est abordé dans la section où nousétudions l'alchimie par le filtre de la philosophie kantienne.

4)- Le chêne

Que n’a-t-on écrit sur le chêne dans la littérature alchimique...Examinons d’abord l’étymologie de ce mot : il s’agit d’un termed’origine gauloise, dérivé du latin populaire cassanus. En latin, lechêne se traduit quercus, dont le deuxième sens est le vaisseauArgo et le troisième sens, la javeline [à noter qu'un célèbre alchimiste,Quercetanus, en a fait son pseudonyme]. La javeline est le dard long etmince qui était l’arme de jet des Romains portée plus tard par les "gens de pied " au XIIe siècle. Il est intéressant de noter que lajaveline en latin se dit " hasta " dont une traduction possible estthyrse, sceptre de Bacchus, souvent cité en Alchimie. Le pseudoFlamel, dans ses Figures Hiéroglyphiques en parle dans le derniercommentaire de la troisième figure :

" Quelque tems après, l’Eau commence à s’engrossir et coaguler davantage,venant comme de la Poix très-noire ; et enfin vient Corps et Terre, que lesEnvieux ont appellée Terre fétide et puante ... Cette Terre a été appellée parHermès la Terre des feuilles, néanmoins son plus propre et vrai nom est le

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Laiton qu’on doit laver puis après blanchir. Les anciens Sages Cabalistesl’ont décrite dans les Métamorphoses sous l’Histoire du Serpent de Mars, quiavoit dévoré les Compagnons de Cadmus, lequel le tua en le perçant de saLance contre un Chêne creux. Remarque ce Chêne ."

Livre d'Abraham Juif, in N. Flamel, Oeuvres chymiques, Hambourg, 1681,p. 22

Cette allégorie se rapporte à l'évolution du Rebis au cours de laGrande Coction. Les deux serpents que l'on voit enlacés sont lesSoufres, dans un état de dissolution total, sublimés dans leMercure et la tige centrale représente l'image du résultat, qui estleur réincrudation en une substance fixe : c'est la véritablesignification à donner au signe des Gémeaux [cf. humide radical - Triomphe hermétique]. La terre des feuilles représente l'état duRebis tel qu'il est représenté sur la figure XIV du Rosaire desPhilosophes [Artis Auriferae, vol. II, 12, Bâle, 1593] et l'on aurait tort d'yvoir un rapport avec la terre foliée de tartre qui est une matièreque l'on emploie dans l'un des modes de préparation du Mercure.

[Plus précisément, la préparation de ce Mercure, le dissolvant des Sages vanécessiter du carbonate de potasse (1, 2, 3, 4), le but étant d'obtenir soit dela potasse caustique soit du sulfate de potasse (1, 2, 3, 4, 5, 6) ; dans leprocessus de synthèse de la potasse, on passe d'abord par l'utilisation decrème de tartre (1, 2, 3, 4) et de salpêtre (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8). Et c'est là oùles problèmes de correspondances viennent à se poser car les alchimistesont décrit exactement de la même façon la matière au 3ème oeuvre quandelle passe par la phase de dissolution et la préparation des matières, au2ème oeuvre, qui permettent d'obtenir le dissolvant... Cette eau quicommence à s'engrossir et à prendre la couleur de la poix peut donccorrespondre aussi bien à la purification du salpêtre qu'à l'apparence de lamatière lors de la putréfaction, étape obligée du 3ème oeuvre. La pureté duproduit obtenu est signalée par sa blancheur ; ensuite on utilise de la chauxdont on « nourrit » littéralement le carbonate pour obtenir la potasse. Onpeut voir ici une possible explication pour l'allégorie de Diane et d'Apollon...On se permettra d'attirer l'attention du lecteur sur le danger évident d'établirde telles relations « textuelles » qui ne valent que par la projection que l'on yintègre.]

Le chêne représente plusieurs symboles entrelacés : on peut yretrouver : les douves des vieux tonneaux sur lesquelles le tartre

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est adsorbé, l'allégorie du Mercure fixé, le Mercure et lescolombes de Diane symbolisées elles-mêmes par la noix de galle.Le symbolisme alchimique du chêne (1) est des plus complexes etrenvoie à des corps différents en fonction de la voie utilisée, etpour la même voie, plusieurs Mercures philosophiques peuventêtre employés ; il est clair, toutefois, que la voie du Mercure quipasse par le carbonate de potasse a dû être la plus fréquemmentutilisée par les Adeptes. Le terme de laiton désigne l'amalgameau 3ème oeuvre, c'est-à-dire le mélange des deux Soufres. Ceterme ne doit pas nous abuser. Pour les chimistes modernes,c’est un mélange de cuivre et de zinc [corps qu'employaient - sanssavoir qu'il s'agissait d'un métal particulier - les Romains dans la fabricationde l'airain ; cf. chimie et alchimie] ; d’autres auteurs l’ont appelé airainet nous avons montré que l'Airain était le Rebis dans son premierétat [cf. Limojon : 1, 2]. Fulcanelli (Myst., p.60) insiste surl’équivalence hermétique entre le signe ank (pour croix ansée) etl’emblème de Vénus ou Cypris, le cuivre vulgaire. Bernard leTrévisan parle aussi du « laton non net » dans son Verbum dimissumdans la phase où le compost est en putréfaction :

"Observez donc que quand notre Compôt commence à être abreuvé denotre Eau permanente, alors il est entièrement tourné en manière de Poixfondue, et devenu noir comme charbon ; en cet état, il est appelé la Poixnoire, le Sel brûlé, le Plomb fondu, le Laiton non net, la Magnésie et le Merle de Jean..."

On relève une similitude entre ce texte du Trévisan et le passageque nous avons donné supra, extrait du Myst. Cath. Notez quel'animal attribué d'habitude à saint Jean est l'Aigle [cf. l'arcane duMonde, Tarot alchimique]. Manifestement, le pseudo-Flamel et leTrévisan n'évoquent le même stade de l'oeuvre avec des motsparfaitement différents : et l'on serait abusé en pensant qu'il s'agitdu 2ème oeuvre dans le premier cas (obtention du Mercure) et dudébut du 3ème oeuvre dans le second cas. Du merle de Jean,voilà ce que Pernety nous dit :

"Merle de Jean. Un Philosophe s'est exprimé ainsi, pour signifier le noir quisurvient à la matière par la putréfaction. Merle blanc; c'est la pierre au blanc,la Lune des Sages, Diane, etc." [Dictionnaire mytho-hermétique]

et, sur la Magnésie :

"magnésie , plomb , chaos . C'est une matière minérale. Le Philalèthedéfinitce mercure une eau ou vapeur sèche, visqueuse, remplis d'acidités, trèssubtile, se dissipant aisément au feu, qui dissout les métaux par unedissolution naturelle, et qui réduit leur esprit de puissance en acte. Lemercure composé est celui dont nous venons de parler, auquel on a ajoutéune seconde matière, et qu'en conséquence ils appellent Rebis, laton, airaindes Philosophes, etc. Presque tous les Philosophes ne parlent que decelui-ci dans leurs ouvrages. Nous avons déjà défini le mercure commun.Magnésie. Matière d'où les Philosophes extraient leur mercure. Souvent ilsdonnent ce nom de Magnésie à leur plomb, ou la matière au noir pendant laputréfaction, quelquefois à leur mercure préparé.MAGNESIE BLANCHE . C'est le soufre ou or blanc, la matière dans le vase

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pendant le règne de la Lune.MAGNESIE ROUGE . C'est le soufre rouge des Philosophes, leur or, leur Soleil.Raymond Lulle ( Theor , cap. 30.) donne le nom simple de Magnésie à laterre feuillée des Philosophes, ou leur matière parvenue à la blancheur.Cette terre est, dit-il notre magnésie dans laquelle consiste tout notre secret;et notre secret final est la congélation de notre argent-vif dans notremagnésie au moyen d'un certain régime.MAGNESIE DES PHILOSOPHES est le nom que Planiscampi donne à unamalgame fluide d'argent et de mercure.MAGNESIE LUNAIRE est le régule d'antimoine, de même que laMAGNESIE SATURNIENNE . Qui est aussi appelée Plomb des Philosopheset le premier Être des métaux." [Dictionnaire]

On doit aussi rapprocher le Laiton de la déesse Latone, employéede façon symbolique par d’autres auteurs comme M. Maier[Atalanta fugiens]. Leto ou Latone est la mère de Diane [Artémis] etd'Apollon ; ce sont les principes principiés [cf. Chevreul, critique d'Artephius]. E. Canseliet [Deux logis alchimiques, p. 107] sembleattacher une importance toute particulière à cette phase etrenvoie aux gravures de Théodore de Bry qui complètent l’Atalantafugiens de M. Maier (1618). Il s’agit manifestement de la phase du3ème œuvre là où, précisément, le Laiton doit être « blanchi ». Celaiton représente l'amalgame philosophique [Rebis dans son premierétat] qui nous renvoie au symbolisme du chêne. Passons en revueles correspondances habituellement citées : une variété de chêneméditerranéen s’appelle le chêne kermès ; de nombreux critiquesdes textes anciens ont noté bien sûr que le kermès renvoyait à lakermésite qui n’est autre que de l’oxysulfure naturel d’antimoine. Un autre sel, dérivé de l'antimoine est le kermès despharmaciens, oxy-sulfure ; il se rapproche du soufre doré.Lorsqu'on fait fondre ensemble deux parties et demi de sulfured'antimoine et une partie de carbonate de potasse, on obtient uneprécipitation de kermès. Mais le kermès peut aussi renvoyer à unparasite du chêne ou cochenille dont on tirait autrefois la teintureécarlate. Ce dernier point est des plus importants et nous yrevenons dans trois sections : le rébus de St Grégoire ; les blasonsalchimiques ; Introïtus, VI. Nous avons vu plus haut, enfin, que lechêne peut faire évoquer le javelot, point qui nous semble aussides plus importants. En effet, dans le combat qu’oppose lechevalier au dragon écailleux [considéré comme Materia prima], il estfait référence au javelot de façon constante ; on peut citerFulcanelli (Myst., p.95) :

"Aussi, dédaignant l’arc et les flèches avec lesquelles, à l’instar de Cadmus,il transperça le dragon..."

La légende veut en effet que Cadmus reçut de la Pythie l’ordre desuivre une vache qui porterait sur ses flancs un disque semblableà celui de la Lune. Cadmus trouve l’animal en Phocide et le suit jusqu’en Béotie. L’animal vient alors à se mettre sur le flanc etCadmus veut l’immoler : à ce moment, il s’aperçoit que la fontaineoù il va puiser l’eau du sacrifice est gardée par un dragon. Il le tue

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et sème les dents du monstre, qui donnent naissance à unemultitude de géants [kadmoi] qui s’entre-tuent. Ces géantss'apparentent bien sûr aux Titans que, par cabale, on peutrapprocher de τιτανος qui constitue l'un des composants du feusecret. Notons que dans cette version, Cadmos ne tue point leserpent mais un dragon [cette fable est davantage commentée dans lasection Matière]... Fulcanelli nous reparle de Cadmus (Myst. Cath., p.119) en nous renvoyant à Philalèthe ainsi qu’à l’une des DouzeClefs de Basile Valentin :

"Presque tous les philosophes ont parlé de ce vaisseau absolumentnécessaire pour cette opération [la fabrication du dissolvant universel oueau vive]. Philalèthe le décrit par la fable du serpent Python, que Cadmusperça d’outre en outre contre un chesne..."

et là encore, il n'est pas aisé de savoir si ce que dit Basile serapporte à la préparation du 1er Mercure [eau-vive prime] ou au Mercure philosophique [Compost philosophal]. Nous retrouvonsCadmos (p.181) quand Fulcanelli commente le mythe de Tristande Léonois :

"Ce combat singulier des corps chimiques dont la combinaison procure ledissolvant secret (et le vase du composé), a fourni le sujet de quantité defables profanes et d’allégories sacrées. C’est Cadmos perçant le serpentcontre un chêne..."

L’arbre est aussi évoqué par Canseliet dans la préface à ladeuxième édition des Demeures Philosophales (DM, I, p.23) où ilévoque l’analogie entre le chêne et la matière première desalchimistes :

"... Contentons-nous de signaler, sur la jolie gravure du Typus mundi, celièvre que cache l’arbre à demi et qui ronge l’herbe rare..."

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Typus Mundi, 25ème gravure

Retenons aussi cette allusion au lièvre (mis pour lepus : lupus, loup)que nous retrouverons quand Fulcanelli examinera la cheminéealchimique du château de Fontenay-le-Comte.

Dans les DM, I, p.167, on trouve encore une intéressante allégorieoù De Cyrano Bergerac fait parler des chênes séculaires :

"... ils demeuroient en Epire, dans la forêt de Dodone..."

Or, Dodone était l’un des plus anciens oracles de la Grèce. Onposait au dieu suprême des questions auxquelles il répondait parl’intermédiaire des branches de chênes et l’on avait placé sur lescimes des arbres des vases d’airain qui s’entrechoquaient aumoindre courant d’air. L’airain, en alchimie, trouve sacorrespondance dans l’acier [Chalybs] ou l’aimant qui renvoienttout deux à des adjectifs tels que " inébranlable, implacable,impitoyable ", rendant bien compte du caractère destructeur de cefeu secret ou feu de nature. L'Aimant est le Mercure et l'Acier, leSoufre qui se trouve dans le Dragon igné. Dans ses DM, Fulcanelli(p. 399) évoque la matière première et ses rapports avec « l’étaingrenaillé et la noix de galle ». Et certes, le dissolvant peut êtrecomparé à ces graines de rebut servant à nourrir la volaille...Quant à l'étain, ce plumbum album, sa blancheur n'en fait pas pourautant l'astérie [ανθος µονος] des Sages. La noix de gallerenvoie à kekis [κηκις] : il s’agit d’un hyménoptère cynipidé [de

κυνοσ, chien et ιπσ, ver] qui attaque les feuilles de chênes : on

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récoltait le suc de ces tumeurs pour leur richesse en tanin. Unsecret de cabale se cache derrière la galle et le tan [voir : Introïtus,VI - Fig. Hier. - Matière - voie humide]. Galle, employé au masculin,renvoie au prêtre de Cybèle et d’Attis [voir Aurora consurgens, III] etnous voici revenus à la FIGURE VI qui est probablement l’allégoriede l’Athanor et partant, du feu secret. Et, au vrai, la fonction desGalles était à l'identique de ce que nous dit Philalèthe descolombes de Diane. La XIIe Clef de Basile Valentin est donc uncondensé des opérations nécessaires à l’élaboration du feusecret. Quant à ce parasite du chêne, cette noix de galle, il s'agitd'une des allégories les plus subtiles du symbolisme alchimique :c'est en quelque sorte la « rouille » du chêne, assimilable à unmétal brûlé ; c'est donc un oxyde. Le chêne et la noix de gallereprésentent le Compost tel qu'il doit être préparé dans le 3ème

oeuvre. Nous l'évoquons davantage dans le commentaire surl'Introïtus, VI de Philalèthe. Nous ajouterons ici les différentesacceptions de κηκις [matière qui fond sous l'action du feu ; bave de lapoix ; noix de galle] qui ne feront que nous conforter dans le senshermétique à lui donner. Le sens cabalistique du chêne nous està présent devenu plus familier par le truchement de son parasite,la galle. Cette noix de galle a des rapports avec l'ionosphère dontparle E. Canseliet dans ses Études de symbolisme. En effet, sousle rapport même du volume, on ne sera pas étonné que lesproportions soient presque semblables entre d'un côté la massedu Compost et celle du Soufre, comparées de l'autre côté à cellesdu chêne et de la galle ou teinture. Sous cette allégorie d'unegrande poésie, les alchimistes ont caché un haut point de sciencesur lequel nous pouvons donner à présent quelqueéclaircissement. Et d'abord, prenons le chêne ; en latin, on a vuqu'il en existait de plusieurs sortes : le chêne kermès ou chêneméditerranéen, le chêne rouvre, dédié à Jupiter [donc à Thémis] etle chêne robur [variété très dure qui symbolise l'airain, i.e. l'amalgamephilosophique]. En grec, le chêne [δρυς] contracte des rapports,par voie d'assonance avec πρις, la fleur du chêne kermès [i.e.

kermès] par le truchement de πρινος [chêne yeuse et aussi chênekermès] et aussi avec l'action de « fixer, attacher, serrer fortement »par πριω. Le chêne constitue donc cet Airain sur lequel vient sefixer la « noix de galle » ou κηκις

[l'airain est cette matière qui fond sous l'action du feu : il s'agit de la matièrephilosophique qui se dissout par l'intermédiaire du feu secret ; elle permetpar κηκας de comprendre pourquoi les adeptes parlent de façon imagée« d'outrages, d'insultes »].

Le pseudo-Flamel, sans doute Arnauld sieur de la Chevalerie,dans les Figures hiéroglyphiques écrit à un moment qu'il faut sesouvenir « d'un vieux chêne creux ». Or, en grec, un vieux chênecreux se dit σαρωνις [qui se rapproche de Σαρωνιτικη : syrte, quia rapport avec le sable]. Et nous verrons, dans les belles

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expériences d'Ebelmen, que le constituant du cristal de roche sertde « fixateur » au médiateur salin qu'il empêche de se volatiliserprécocement : il peut s'agir du lien du Mercure. Nous reverronsbientôt l'emblème du chêne en liaison avec le bouclier lors del'évocation de l'écu de Tentzel.

5)- la fontaine

En alchimie, parler de fontaine, c'est parler aussi de cheval, ouplus exactement de cavale ou mieux encore, de cabale. Le chevalest associé à des opérations qui semblent davantage relever dequelque magie formelle : séparations, décapitation,transformations multiples... On peut d'abord citer Pégase dontl'étymologie renvoie à πηγη, source. Pégase est associé à laMéduse ; Persée, en décapitant la Gorgone, libère la source d'eauvive qui est l'un des composants du dissolvant des alchimistes.Cette allégorie de la source ou de la fontaine a permis à l'auteurdes Myst. d'élaborer tout un système de renvois cabalistiquesdignes du labyrinthe de Salomon :

"Mais quelle est donc cette Fontaine occulte ?"

se demande Fulcanelli dans Myst., p. 95. Il nous indique que :

"La mythologie la nomme Libéthra et nous raconte que c’était une fontainede Magnésie, laquelle avait, dans son voisinage, une autre source nomméela roche. Toutes deux sortaient d’une grosse roche dont la figure imitait lesein d’une femme..."

Azoth, figure 3, Moët, 1659

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Les Anciens nommaient sous l'épithète de magnésie toutes sortesde terres argileuses ou calcaires, parmi lesquelles la terre deChio ou la terre Cimolienne ; autre exemple, la creta cirulis faisait partie des terres magnésiennes. Libéthra renvoie aux Muses et àdeux fontaines, celle d’Aganippé et celle d’Hippocrène. Aganippéest une source située en Béotie au pied de l’Hélicon et la légenderaconte que cette source a jailli sous le sabot du cheval Pégase ;dans une autre acception, Aganippé est aussi l’épouse d’Acrisiuset la mère de Danae. La légende raconte que Danae fut enferméedans une tour d’airain par son père à qui un oracle avait préditqu’il serait tué par le fils de sa fille ; Zeus se métamorphosa enpluie d’or et parvint jusqu’à la couche de Danae [voir les sectionsCosmopolite et les Douze Traités pour la pluie d'or] ; de leur unionnaquit Persée qui tua par accident son grand-père Acrisius. Nousparvenons ainsi à comprendre que de cette fontaine doit jaillir uncomposé à caractère « dur et inébranlable ». Voyons à présent cetteautre source nommée « la roche ». De roche ou rocher, il estquestion aux DM, I, p. 276 où Fulcanelli précise :

"Sachez aussi que notre rocher, - voilé sous la figure du dragon - laissed’abord couler une onde obscure, puante et vénéneuse, dont la fumée,épaisse et volatile, est extrêmement toxique. Cette eau, qui a pour symbolele corbeau, ne peut être lavée et blanchie que par le moyen du feu..."

que l'on peut rapprocher d'un apophtegme de la porte alchimiquede la villa Palombara à Rome :

"L'azoth et le Feu en blanchissant Latone, paraîtra Diane sans vêtement."

Notez que l'on retrouve cet embarras de savoir si les alchimistesparlent ici de la préparation du Dissolvant [2ème oeuvre] ou del'évolution du Rebis [3ème oeuvre]. On voit bien d'ailleurs que lerésultat, qu'il s'agisse du dissolvant ou de la Pierre, sera unematière fixe : l'Eau qui ne mouille pas les mains dans un cas et uncristal particulier dans l'autre cas. Ailleurs, DM, I, p. 376 :

"... frappe le rocher, c’est-à-dire la matière passive, et en fait jaillir l’eau purecachée dans son sein"

et enfin, DM, II, p. 205 :

"Pour l’obtenir [l’eau permanente], disent-ils, il convient de frapper trois foisle rocher, afin d’en extraire l’onde pure mêlée à l’eau grossière et solidifiée,généralement figurée par des blocs rocheux émergeant de l’océan..."

Quel est donc ce rocher, s'agit-il du Sujet des Sages ? Unflambeau, quelque lanterne pourrait nous aider de son éclat...Précisément, dans ses DM, I, p. 401, Fulcanelli propose le secoursde l’Adepte Lintaut (ou Linthaut) en citant l’Aurore et l’Ami del’Aurore [Bibl. de l’Arsenal, XVIIe siècle, n°3020 ; Oeuvre Chymique dudocte Henri de Lintaut, réed. Guy Trédaniel] qui nous montre (cf. notede bas de page) l’âme d’un roi couronné, inerte, s’élevant vers unelanterne flottant au sein de nuages épais [gravure remployée

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manifestement du Rosarium Philosophorum].

L'Aurore - Fac fixum volatile -

Dans les Deux Logis alchimiques de Canseliet figure un dessin(figure XII) d’après le croquis de Henri de Lintaut. On y voit :

"... une petite créature qui file, jambes, ailes et bras parallèlement étendus,vers une lanterne suspendue dans le ciel au milieu d’un cercle de lumièreradiante ."

L’apophtegme dit en légende : FAC FIXUM VOLATILE. E. Canseliet a glissé cette image dans le chapitre intitulé : La Conversion desÉlément. H. de Lintaut est également cité par Fulcanelli (Myst.,p.142) :

"Ce secret icy surpasse tous les secrets du monde, car vous pouvés en peude tems, sans grand soin ny travail, parvenir à une grande projection, delaquelle voyés Isaac Hollandois qui en parles plus amplement "

Sur Isaac le Hollandais, voyez le Traité du Sel de Michel Sendivogius. Dans les DM, II, p. 71, Fulcanelli laisse entrevoir uneliaison cabalistique qui peut être riche d’enseignement quand ilaborde ensuite la séparation des corps :

"Chacune de ces réitérations prend le nom d’aigle... [ce mot], d’où les sagesont tiré leur terme d’aigle, signifie éclat, vive clarté, lumière, flambeau..."

L'aigle est l'un des trois principes, si l'on se souvient de l'allégoriede l'aigle et du lion. On trouve dans l'Introïtus, IX de Philalèthe cepassage :

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"... et sache que le Mercure d'une, deux ou trois aigles commande àSaturne, à Jupiter et à Vénus, de trois à sept aigles, il commande à la Lune,enfin il commande au Soleil quand il en a de sept à dix."

Cette gradation des Aigles semble conforme à la température defusion du plomb [Saturne], de l'argent [Lune] et de l'or [Soleil],encore que l'or n'entre en fusion qu'à une température un peusupérieure à « dix aigles »... L'aigle peut ainsi représenter uneindication sur la chaleur à apporter aux corps. [voir aussi sections :Oeuvre secret ; Matière ; humide radical ; le Triomphe hermétique]. Pourl’instant, nous retiendrons qu'un aigle, en latin, se dit aquila et queson sens est, pour l'une de ses acceptions : « portant l’éclair deJupiter » [cf. Atalanta fugiens, XLVI]. La Pierre d’aigle ou aétite, parailleurs, est une variété d’oxyde ferrique hydraté parce que,suivant une légende, les aigles portaient cette pierre dans leurnid. L'aigle peut aussi représenter l'apposition - on dirait presquel'onction - d'une substance « fusant » facilement avec granddégagement de chaleur. Enfin, on trouve dans l’Alchimie de Canseliet une autre allusion auflambeau dans un article intitulé LesTrois flèches de la Rédemption, p. 246, où est cité un hermétiste portant le nom de Chaudet.

vitrail des Jacobins, Myst. Cath.

On le retrouve sur un vitrail des Jacobins que Fulcanelli analysadans Myst., p. 153. Cet écusson se voyait sur une verrièreéclairant la chapelle de saint Thomas d’Aquin au couvent desJacobins. Écartelé où l'on distingue le 1er agent ou épée duchevalier, la matière première étant indiquée par trois étoiles [lesréitérations] et les sept pointes. Les serpents sont la marque duMercure, les épis de blé et la masse sous-jacente représentent leplus haut sommet de l'oeuvre : le nom commun de la substancecachée sous cette germination n'a jamais été révélé ; peut-être ya-t-il un rapport avec le « vieux chêne creux » ? Le matras inversé nous rappelle que le cercle crucifère et le

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symbole de Vénus sont semblables aux deux faces d'une mêmemédaille [ou d'une Vertu, voir la Prudence dans la section des Gardes ducorps ; cf. aussi Gobineau]. Enfin, la double couronne tressée estl'illustration du feu de roue qui est la manifestation de la coction.Cette couronne d'épines est de sinople sur un champ de sable ;où l'on trouve la couleur de la chaux métallique et la qualité dulien mercuriel. La croix d'or est le creuset où s'élabore le travaildans le 3ème oeuvre ; Quant aux trois globes d'azur en pointe, ilsrappellent les trois clous de la crucifixion [ηλος], en rappelant lanature soufrée [ηλιος] intervenant à ce stade de l'oeuvre. E.Canseliet nous donne deux autres versions de cet écusson,figurant à la fin de L’Harmonie Chymique de David Laigneau dont nous analysons complètement la deuxième version dans le rébusde St Grégoire. S’il en était besoin, nous ajouterions qu’une note debas de page [on ne dira jamais assez l’importance des notes et despréfaces d’E. Canseliet qui se révèle en la matière plus redoutable que sonmaître Fulcanelli] de son Alchimie, pp. 132-135, se révèle au senshermétique absolument lumineuse :

"A la suite du manuscrit original de l’Aurore, déjà fort mal écrit, se trouve unautre traité, destiné sans doute à le compléter, et qui porte pour titre : L’Amide l’Aurore. Cette seconde partie de l’ouvrage est absolument illisible. Leslignes du recto et celles du verso, par dommage superposées, se sontinterpénétrées à travers la pâte du papier. L’encre, acide et trop peugommée, s’est étalée dans les intervalles, rongeant les caractères, soudantles mots en larges traits opaques... L’ami de l’Aurore, ruiné par l’influencedu temps et des réactions chimiques, demeure indéchiffrable, et la penséede l’auteur est probablement perdue à jamais."

Texte d'une clarté exemplaire ! A méditer. On y trouve nommés, àpeine voilés, les Soufres rouge et blanc.

6)- L'antimoine et l'étoile

Nous allons d'abord essayer de comprendre pourquoi l'antimoinerevêtait une telle importance au cercle d'Hartlib en parcourant lestravaux alchimiques de Newton. B.J. Dobbs nous décrit (op. cité, p.181) les premières expériences de Newton par la voie ditehumide, utilisant non pas le feu usuel mais ce que l'on pourraitpresque appeler le feu secret dans sa forme vulgaire, c'est-à-direen l'occurrence de l'aqua fortis (acide nitrique HNO3) qui s'apparentedavantage à l'épée ou au glaive qu'à la rosée de mai ; on obtenaitla précipitation du plomb (Saturne) en une poudre blanche. A noterque du mercure était ajouté au mélange ce qui ne modifiait pas laprécipitation de plomb, celui-ci étant plus oxydable que lemercure. Même chose pour l'étain (Jupiter) et le cuivre (Vénus). Parcontre, on obtenait un limon formé d'oxyde noir - B.J. Dobbs setrompe, p.183, en affirmant que cet oxyde est blanc - de mercure parréduction de celui-ci à son plus bas degré d'oxydation. Cesopérations n'ont pas convaincu Newton et il s'orienta vers d'autres

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procédés. Il se rendit compte néanmoins de la différencefondamentale - que l'on connaît maintenant en terme de degréd'oxydation - dans les termes suivants :

"... [Une] solution de mercure dans de l'Aqua fortis, étant versée sur du fer,du cuivre, de l'étain ou du plomb, dissout le métal et libère le mercure ; celane démontre-t-il pas que les particules acides de l'Aqua fortis sont attirées...plus fortement par le fer, le cuivre, l'étain et le plomb que par le mercure" (in Newton, Opticks, p. 381, cité par Dobbs).

Newton se tourna alors vers la voie sèche ; il s'agissait d'utiliserdu sublimé corrosif (rappel : bichlorure de mercure HgCl2, appelé encoresublimé vénitien) pour ouvrir [dissoudre] les corps de l'antimoine, del'argent et de l'étain. Suite à une idée de Robert Boyle d’utiliser demanière conjointe le sublimé mercuriel et le Sal Armoniack(chlorure d’ammonium NH4Cl, à ne pas confondre avec le sel Harmoniacou liant du Mercure) afin d’augmenter le pouvoir d’ouverture desmétaux, Newton avec son esprit systématique décida « d’ouvrir »le corps de tous les métaux. B. J. Dobbs, p. 186, fait uneremarque pleine d’intérêt quand elle signale que le plan de travaildu physicien n’avait pas pris en compte le concept des poidséquivalents et qu’il ne pouvait, de ce fait, utiliser les proportionsdéfinies dans chaque cas pour analyser la nature des substancesobtenues ; B. J. Dobbs note que Newton avait déjà eu un doutequant au résultat du traitement du cuivre par l’Aqua fortis quidégageait une coloration bleue (typique du cuivre). Cette remarquedoit être mise en parallèle avec l’attention qu’apportent lesalchimistes au poids de nature, si important pour obtenir lerésultat voulu (cf. la XIIe Clef de B. Valentin). Dans la 2ème édition deson Chymiste septique, R. Boyle avait déjà signalé qu’il savaitn’obtenir que du mercure simple lors de pareil traitement d’unmétal par de l’Aqua fortis. Il semble que Newton n’ait pas euconnaissance du texte où Boyle relate cela [Works, I, p. 632]. Plus tard, la recherche du Lion vert de Ripley – le Mercurephilosophique - se poursuit par les expériences sur le réguleétoilé d’antimoine. L’antimoine (stibium) est un corps argenté dontle minerai le plus important est la stibine (Sb2S3). C’est un corpsque l’on trouve sur des vases chaldéens (4000 av. J.-C.) et que laBible mentionne (Jézabel se fardait les yeux de stibine, en fait de l'un de

ses composés, le kohol ou khôl). B. Valentin décrit au XVe siècle sespropriétés, la préparation du métal et de ses alliages dans le Charde Triomphe de l’antimoine (25). L’antimoine a la propriété – entreautres - de libérer l’or de ses impuretés et B. Valentin lui attribuales mêmes effets sur l’organisme humain… La préparation de lastibine se fait par action du fer en utilisant le borax commefondant. Le fer se combine avec le sulfure de la stibine et monte àla surface (Fe2S3) tandis que l’antimoine tombe au fond de la cuvede fusion. Si de bonnes conditions sont réunies lors durefroidissement et de la purification du minerai, il apparaît uneétoile centrale que l’on appelle une retassure. C’est cette étoilequi a exercé une fascination singulière chez de nombreux

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chercheurs ; mais s’agit-il vraiment de la bonne étoile ? E.Canseliet l’affirme, Fulcanelli semble très sceptique… Autreénigme désespérante. Quoi qu’il en soit, Newton préconisait laformule suivante pour obtenir le régule étoilé d’antimoine :

"Le Régule Martial est fait en jetant 2 parties d’antimoine sur 1 de ferchauffée au blanc dans un creuset et en les mélangeant bien ensemble avecun peu de salpêtre pour activer la fusion. Lorsque c’est froid, on trouve aufond le régule, lequel, de nouveau mélangé 3 ou 4 fois avec du salpêtre, estainsi purifié et lorsqu’il est froid il possède une surface plane (sous lesalpêtre qui est alors couleur d’ambre claire) avec des dessins en étoile eton l’appelle Regulus Martis Stellatus." [MS Don.b.15, f. 4v, cité in Dobbs, p.190]

À l’époque, le terme de régule ne s’appliquait qu’à l’antimoine. Sil’on préparait l’antimoine avec de l’étain, le régule de l’étainpouvait correspondre au Mercure extrait de l’étain, présent avecl’antimoine dans le « régule ». Je pense que la correspondanceque B. J. Dobbs propose entre le mot regulus (petit roi) etRegulus, l’étoile de 1ère grandeur de la constellation du Lion etqui est aussi appelée Cor leonis, c’est-à-dire Cœur de Lion, n’estpas tout à fait adéquate ou du moins ne recouvre pas lasignification exacte du regulus en question. C’est un point qui estexaminé infra. Plus loin, B. J. Dobbs évoque ces lignes de cristauxdu régule étoilé, non pas divergentes pour former l'étoile durégule, mais au contraire convergentes, vers le centre, cettemanière de voir impliquant des caractères d'attraction plutôt qued'émission. B. J. Dobbs formule alors l'hypothèse selon laquelleces lignes de force auraient pu prendre tout-à-coup pour Newtonune dimension nouvelle ; il voulait bâtir une théorie de l'attractiondes petits corps semblable à celle qu'il avait élaborée pour lesgrands corps dans ses Principia.

Les alchimistes ont très souvent fait référence à leur Aimant, leurAcier, à l'Étoile du Nord mais toujours de façon imagée. Plusieursétoiles, au moins deux, sont citées ; Fulcanelli, dans Myst., parlede l'étoile de Jacob, de l'étoile des Mages, de l'étoile du matin, del'étoile hermétique, de deux étoiles et de l'étoile terrestre. Est-cela même étoile, diversement interprétée ? Nous donneronsd'abord la définition de l'étoile hermétique, selon Pernety :

"Étoiles des philosophes. Ils donnent communément ce nom aux couleursqui surviennent dans le vase pendant les opérations du grand œuvre. Maisils prennent ordinairement les termes de Planetes et d’Etoiles pour signifierleurs métaux; ou les planètes terrestres, c’est-à-dire les métaux vulgaires.ÉTOILE AU COUCHANT. Sel armoniac.ÉTOILE DE LA TERRE. Talc. " [Dictionnaire mytho-hermétique]

a)- voyons d'abord l'étoile des philosophes. Dans Myst., p. 73,Fulcanelli fait s'écrier Balaam :

"Comment pourrais-je maudire celui que son Dieu ne maudit pas ? Commentdonc menacerai-je celui que Jéhovah ne menace pas ? Ecoutez ! ... Je lavois, mais pas maintenant ; je la contemple, mais pas de près... Une étoile

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se lève de Jacob et le sceptre sort d'Israël..." (Num., XXIV, 47)

On sait que Jacob lutta une nuit entière contre un ange duSeigneur, ce qui lui valut le nom d'Israël [Celui qui lutte contre Dieu]. L'ange est souvent associé au corps qui détruit le Sujet desSages afin d'en extraire la première matière ou Mercure. C'est lamême allégorie qui est utilisée dans l'Annonciation. Le sceptre estun attribut de Jupiter.

b)- L'étoile des Mages est évoquée p. 66 :

"C'est une figure radiée... dite Etoile des Mages... qui rayonne à la surfacedu compost, c'est-à-dire au-dessus de la crèche où repose Jésus,l'Enfant-Roi."

Ici, le symbolisme est clair : il renvoie au brillant [Apollon], épithètedu sujet des Sages [στιλβεω] ; quant à la crèche, ϕατνη, c'est aux lambris d'un plafond, formés de panneaux de marbre qu'elle fait penser ; ces lambris désignent aussi des planchettes dechêne. En latin, laqueo [lambrisser, mais aussi lier]. Cette étoile, donc,rayonne sur le compost et Fulcanelli nous assure que la surfacedu compost est composée de lignes entrecroisées qui ont valeurd'un filet qui retient. Cette étoile des Mages possède ici le mêmesens que le rémora hermétique. Ailleurs, toujours dans Myst., p. 75, Fulcanelli s'attarde sur un vitrail de l'ancienne égliseSaint-Jean à Rouen -aujourd'hui détruit- :

"La conception était figurée par une étoile qui brillait sur la couverture encontact avec le ventre de la femme..."

et les bordures de cette vitre étaient ornées de médaillons oùfiguraient les planètes. Même allégorie pour le même spectacle.

c)- L'étoile hermétique, c'est E. Canseliet qui nous en parle en sapréface à la 2ème édition des Myst. en citant Philalèthe :

"C'est le miracle du monde, l'assemblage des vertus supérieures dans lesinférieures ; c'est pourquoi le Tout-puissant l'a marqué d'un signeextraordinaire.." [Introïtus, III]

C'est-à-dire, en grec, d'un signe « effrayant », ce qui rapprochesingulièrement cette étoile du sujet des Sages. Quant au signe, ilpossède le même sens hermétique que l'antimoine saturnind'Artéphius. L'étoile qui brille sur la Vierge mystique est la mêmeque l'étoile du Berger (Vénus), le matin, à l'aurore c'est-à-dire àl'Orient. Vénus n'est visible qu'avant le lever du soleil lorsque leciel a une couleur rougeâtre (jaune tirant sur le rouge) ; la couleurde l'aurore se réfère à la matière première. La deuxième étoile estle signe de l'oeuvre au rouge.

Dans les DM, nous retrouvons l'étoile à plusieurs reprises :

- DM, I, p. 243, où est décrit dans la Salamandre de Lisieux :

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"[...] un homme richement vêtu du pourpoint à manches, coiffé d'une sorte demortier, et la poitrine blasonnée d'un écu montrant l'étoile à six pointes."

d)- leo viridis

Fulcanelli assure que cet astre est la substance qui, au cours dessublimations, s'élève au-dessus de l'eau, qu'elle surnage commeune huile et que c'est l'Hypérion de l'oeuvre [qu'il faut lire par cabale,υπερ−ιον] C'est le lion vert de Ripley. Le mortier désigne deuxmatières entrant dans la préparation du dissolvant [αµµοκονια =

poussière et chaux] et la coiffe [καλυπτηρα] est l'épithète de cequi recouvre ; analogie avec le tombeau qui correspond à ladissolution radicale des corps et à l'ouverture des métaux. Onrelèvera la liaison, riche de cabale, entre αµµοκονια et la «Maistre Pierre du coignet » [les Mystères, p. 61] par laquelle l'Adeptedéfinit la pierre angulaire de l'Oeuvre. Nous ferons remarquer aulecteur que αµµοκονια peut s'écrire par permutationαµµονιακο ; nous retrouvons le sel ammoniac des Anciens.

- DM, I, p. 375 :

" C'est le signe de l'union et de la concorde qu'il faut savoir réaliser entre lefeu et l'eau... les deux superposés forment l'image de l'astre, marquecertaine d'union... car étoile (stella) signifie fixation du soleil."

Voyez ce que nous disons dans les Douze Portes de Ripley sur leséléments. C'est cette digamma que nous présentons à la FIGURE XVI d'après le traité alchimico- kabbalistique attribué à AbrahamEleazar (Erfurt, 1735 - Jung semble confondre Abraham Eleazar avecAbraham Juif ; il est beaucoup plus ancien, cf. Psychologie et Alchimie,réf. 162). Nous retrouvons aussi le symbole de la Terre et duMercure. Le cercle figure une roue et symbolise également le feude roue. La digamma est le « scel » de l'Eau et du Feu ; ellereprésente l'eau pontique qui assure la dissolution des corps touten constituant le lien du Mercure.

Abraham Eleazar, Uraltes Chymisches Werk, Leipzig, 1760

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Au centre, le cercle crucifère figure l'albâtre des Sages. Laconjonction de la digamma montre avec assez d'insistance à quelpoint le feu est lié à l'eau dans la préparation du lait d'Apollon.Encore dans l'Aureum Seculum Redivivium de Mynsicht.

- DM, I, p. 436 :

"L'humble et commune coquille... s'est changée en astre éclatant... Matièrepure, dont l'étoile hermétique consacre la perfection : c'est maintenant notrecompost, l'eau bénite de compostelle... et l'albâtre des sages."

Attaque de la « pierre du Coignet ». L'étoile hermétique symboliseici l'ensemble des composés du Mercure philosophique ;

- DM, II, p. 57 :

"On comprend sans peine que l'étoile - manifestation extérieure du soleilinterne,- se représente chaque fois qu'une nouvelle portion de mercure vientbaigner le soufre indissous, et qu'aussitôt celui-ci cesse d'être visible pourreparaître à la décantation, c'est-à-dire au départ de la matière astrale... Àsept reprises successives, les nuées dérobent... tantôt l'étoile, tantôt lafleur."

Cette étoile et cette fleur dont parle Fulcanelli sont strictementsuperposables à celles de la planche X du Mutus Liber ; la Clef XIIde Valentin nous montre la fleur, en utilisant le symbole du tartre. Cette fleur, on la retrouve sur l'un des plateaux de la balance dela planche X du Mutus Liber et la scène mythologique du basdécrit la naissance d'Apollon et de Diane [dont on aperçoit lecroissant de lune, à droite et en haut du soleil]. Cette opération doit êtreréitérée un certain nombre de fois. L'ensemble de l'opérationconduit à l'acquisition du mercure philosophique,

"substance vivante, animée, issue du soufre pur radicalement uni à l'eauprimitive et céleste."

et à son animation ; l'union radicale renvoie à la Rosée demai. Apollon et Diane sont considérés comme des homonymesspirituels du Soleil et de la Lune ou du Soufre et du Mercure ;ambiguïté qui représente une difficulté supplémentaire dansl'examen des traités alchimiques. Pour l'étudiant, rappelons unefois encore l'alternative :

- soit on considère qu'Apollon et Diane symbolisent lescomposants du dissolvant ou eau-vive : alors nous sommes au2ème oeuvre ; - soit on considère qu'Apollon est le signe du Soufre rouge et queDiane masque le Soufre blanc : alors nous sommes au 3ème

oeuvre ;

Notez encore que cette alternative vaut pour un texte, mais quedans le même texte, elle peut encore s'exprimer : le Livre secretd'Artéphius est à cet égard édifiant. Dans ce traité sur l'Eaupermanente apapraît un changement de ton qui exprime la

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transition entre l'eau-vive prime et l'eau-vive seconde,considérées selon Limojon de Saint-Didier.

- DM, II, p. 113 :au caisson 6 de la 4ème série, une banderole oùse trouve gravée cette devise : .LVZ.IN.TENEBRIS.LVCET. : « Lalumière brille dans les ténèbres » proche du titre d'un traité lapidairesur l'Art sacré [Lux obnubilata...] ; Fulcanelli de commenter :

"Ainsi, le travail de l'art rend manifeste et extérieur ce qui, auparavant, setrouvait diffus dans la masse ténébreuse, grossière et vile du sujetprimitif...Tous les chimistes ont connu... ce sujet."

Nous ne pouvons ici que renvoyer le lecteur à nos observationsrelevées sur le flambeau. Nous rappellerons aussi qu'il fautinterpréter avec prudence tout ce que Fulcanelli semble nous direen clair quant aux composés chimiques qu'il nous décritrégulièrement : ainsi, de l'oxyde rouge d'hydrargyre, nom anciende l'oxyde du mercure (oxyde mercurique, variété rouge). Notons enfinque ce sujet primitif n'a rien à voir avec la Prima materia ou le Sel des Sages. Dans les DM, I, p. 441, Fulcanelli écrit que :

"La matière a subi une première préparation, le vulgaire vif-argent s'est muéen hydrargyre philosophique... La route suivie est sciemment tenue secrète."

Ici, le secret a valeur d'interdit [απορρητος], proche par cabalede απορρηγνυµι [qui a rompu ses liens, dissolu] ; cette dissolutionne peut effectivement intervenir si l'on ne suit pas le bon sentier[στιβεω], c'est-à-dire si l'on néglige d'employer l'albâtre des Sages.

Pour en revenir à l’exposé de B.J. Dobbs, la conception de l’étoiled’antimoine était celle des philosophes alchimistes. Du moinsest-ce l'avis de Mary Anne Atwood dans son Hermetic Philosophyand Alchemy. A suggestive inquiry in : the Hermetic Mystery (1850, puisJulian Press, New York, 1960). Ce caractère « attractif » que B.J.Dobbs croit déceler dans l’étoile d’antimoine provient d’uncontresens - ainsi que nous venons de le voir - entre le momentoù l’étoile apparaît et l’étoile symbolique qui est simplement le

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signe (stella) d’un traitement correct des matières employées. Ilconvient d’indiquer aussi que Basile Valentin sous-entendait que :

"Certains ont pensé que cette étoile était la véritable substance de la pierrephilosophale. Mais ceci est une idée fausse et ceux qui l’entretiennents’égarent…"

Pour l’interprétation correcte de ce pouvoir attractif, je renvoie lelecteur à la note 37 et aux remarques concernant l’allégorie de lasalamandre et du rémora (De Cyrano Bergerac) et celle concernant l’aimant et l’acier (Philalèthe).

Après Basile Valentin, Newton étudie Alexandre Sethon (les DouzeTraités, cf. note 29). Newton extrait un passage du pseudo-Sendivogius qui mentionne l'Aimant ou Chalybs et il identifiel'antimoine à l'Aimant. Newton note :

"Cet autre Chalybs (justement nommé) est l'antimoine, car il est créénaturellement de lui-même (sans artifice) et c'est le commencement del'oeuvre ; et il n'y a pas là plus de deux principes, le plomb et l'antimoine."

Newton avait sans doute vu juste pour le plomb qui fait sans doutepartie du dissolvant universel dans certains procédés - cesprocédés ont plutôt à voir avec la spagyrie qu'avec l'alchimie - maisl'antimoine vulgaire n'est d'aucun usage pour l'obtention de lapierre au rouge. Plus loin, voici un autre passage ou Sendivogiusparle de l'eau mercurielle (ou eau permanente) :

"Notre eau est attirée comme par merveille, et c'est la meilleure chose quiest attirée par le pouvoir de notre Chalybs, lequel est trouvé dans le ventred'Aries."

Nous ajouterons ici une remarque de Pernety :

"Aries ou Bélier. Ces termes sont mystérieux dans les écrits desPhilosophes Chymiques; ils disent que leur matière se tire du ventre d’Ariès.Quelques-uns prenant ces termes à la lettre ont cru que cette matière étaitde la fiente de Bélier; mais les Philosophes parlent du Bélier, signe duZodiaque, et non du Bélier animal." [Dictionnaire mytho-hermétique]

Et j'ajoute le bélier mythologique puisque l'explication complèterequiert la connaissance de la fable de Jason et des argonautes.

L'explication de cette allégorie nous est fournie par Fulcanelli,dans Myst., p. 189, quand il examine la ceinture que porteSaint-Christophe (planche XLII, Hôtel Lallemant, Légende de saintChristophe - cf. aussi le Tarot alchimique, lame de l'ermite) :

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saint Christophe, bas relief de l'hôtel Lallemand, Bourges

"La ceinture d'Offerus est piquée de lignes entrecroisées semblables àcelles que présente la surface du dissolvant lorsqu'il a été canoniquementpréparé...Et ce signe, les vieux auteurs l'ont appelé Sceau d'Hermès, Sel[Scel] des Sages..., la marque et l'empreinte du Tout-Puissant, sa signature,puis encore Etoile des Mages, Etoile polaire, etc..."

Ceinture en latin peut se traduire par cingulum (ceinture,baudrier,ventrière), zona (ceinture, constellation d'Orion) ; ventre peut se traduirepar alvus (ventre, ceinture, excréments, déjections, ruche, coque denavire). Tous ces termes sont familiers à ceux qui ont jeté les yeuxsur les textes hermétiques : ils ont tous un rapport avec le vase denature. Les « fèces » sont souvent citées par les Anciens etl'expression « crachat de Lune » s'emploie couramment pourdésigner l'un des composants du dissolvant. Nous avons vu qu'ilpouvait s'agir du tartre [ρυπος, τρυγ]. La ruche peut êtreassimilée à l'Aimant qui attire les abeilles. Nous en avons unexemple dans la représentation qui en est donnée sur le poêlealchimique de Winterthur ; Fulcanelli (Myst., p. 200) commente

"[cette] ruche commune, en paille, [qui] est entourée de ses abeilles"

dont voici l'image :

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poêle alchimique du Winterthur : la ruche

La ruche se traduit par alvarium que l'on peut donc rapprocherd'alvus : ventre [cf. Offerus]. Il y a plus : vas en latin possède commesens vase, vaisseau et ruches (au pluriel). Enfin, l'abeille (apis)renvoie à Apis, boeuf adoré en Égypte, incarnation de Ptah quiavait trois taches, l'une au front (croissant blanc), l'autre dans le dos (vautour, à rapprocher de l'aigle) et la dernière sous la langue, unscarabée ; ensuite un point des plus spécifiques : le suc desabeilles [leur venin] se dit ιος dont une traduction possible estnotre vert-de- gris vulgaire. Le miel agit aussi comme un aimant etles abeilles peuvent être comparées à cet hyménoptère [κηκις]que nous avons vu plus haut. C'est exactement la même allégorieet la ruche tient lieu de chêne. L'allégorie se poursuit si l'on tientcompte que le mot ruche [en grec, σµηνος] a pour racine σµαω[oindre, laver, nettoyer] ce qui décrit avec précision l'une desfonctions du Mercure. Voyez encore le frontispice du SummumBonum de Fludd.Enfin, le vautour, en grec, se dit γυϕ et le cercle ou le rond setraduisent par γυρος. Ces termes, en proche assonance,désignent l'un des composants du feu secret : γυϕοσ qui est dugypse et désigne aussi la chaux vive par opposition à κονια [laitde chaux]. Nous sommes très près ici du Lait de Vierged'Artephius. On voit, par là combien sont proches au plansymbolique l'aigle et le serpent Ouroboros ; on pourrait mêmeenvisager comme lien entre les deux l'image du lion rampant[καµαι−ληων], le caméléon des Sages... Nous ne pouvons querapprocher cette image de Diane, déesse de la lumière que l'onconnaît sous deux versions : Diane en Aulide et Diane en Tauride, ou Artémis, montée sur un char traîné par deux taureaux ; elleporte un flambeau et son front est surmonté d'un croissant delune. Des étrangers lui étaient sacrifiés. Nous verrons plus tard lesens caché de cette allégorie [cf. héraldique et alchimie]. La coupedans laquelle se dirigent les abeilles est décrite par Fulcanelli,

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aux DM, I, p. 381 quand il parle des :

"... chercheurs qui ont, avec succès, surmonté les premiers obstacles etpuisé l'eau vive de l'antique Fontaine, possèdent une clef capable d'ouvrirles portes du laboratoire hermétique."

avec en annexe :

"Cette clef était donnée aux néophytes par la cérémonie du Cratère quiconsacrait la première initiation dans les mystères du culte dionysiaque."

Car ce cratère n'est autre que cette coupe, ou vase sacré, ou urnefunéraire (arcula, arca). Arca est là pour l'arche de Noé et Arcas estle fils de Jupiter et de Callisto en rapport avec l'ours et l'étoilepolaire, outre qu'Arcas renvoie aussi à Mercure.

Newton était convaincu que le mot regulus (petit roi) était ladénomination réelle du régule de l'or obtenu par l'antimoinemétallique ; au XVIIe siècle, il s'agissait d'un processus courant deraffinage de l'or. Il considérait en outre l'antimoine comme uncorps capable d'agir par attraction, avec en arrière pensée lesouci d'élaborer une théorie attractive ou gravitationnelle pour lespetits éléments, à l'instar de ses découvertes en astronomie.Après l'or, Newton, toujours systématique, s'attaqua aux autresmétaux pour obtenir le régule étoilé. Il fit d'abord des expériencesavec quatre métaux : l'antimoine, le fer, le plomb, le cuivre puisajouta les proportions concernant le régule de l'étain. Cettequestion de proportion nous est précieuse puisqu'elle faitdirectement référence au « poids de nature ou poids de l'art » dont ontparlé de manière si évasive Philalèthe, Basile Valentin ou mêmeFulcanelli.

[j'ouvre une parenthèse pour assurer le lecteur que les alchimistes étaientparfaitement informés de l'augmentation de poids des matières dans leprocessus dit de « l'ouverture des métaux » :

« Certes, les Alchimistes savaient que les métaux augmentent de poids paroxydation, Stahl lui-même l’avait constaté; mais ce n’est point l’exactitudedes pesées, c’est l’idée que la matière seule est pondérable qui a fait laChimie de Lavoisier. C’est encore l’idée de molécule avec les conséquencesqu’elle comporte qui a fait la Chimie organique. » [Albert Colson, contributionà l'histoire de la chimie, chap. I, Hermann, 1910, p. 12 ]

cf. Chevreul, critique de Hoefer, II et Berthelot, Chimie des Anciens, III. Eck de Sulzbach est de ceux qui, au XVe siècle, ont eu la prescience de ce quele génie de Lavoisier put conceptualiser ; l'apport de Jean Rey estindiscutable]

Newton utilisa l’antimoine et chacun des métaux que nous avonsévoqués. Dans son ouvrage sur Newton (op. cité, pp. 295-296,Annexe B) B.J. Dobbs reprend le manuscrit de Newton de l’essai

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de la préparation des régules étoilés (University Library, Cambridge,collection Portsmouth MS Add. 3975, f. 42 r, v pp. 81-82). Au cours desannées 1670-75, Newton pratiqua un autre type d’expériences :les amalgamations. Il s’agit d’opérations qu'il menait à destempératures élevées. Dans tous les cas, figurait le régule étoiléd’antimoine et très souvent le mercure commun (vif-argent vulgaire). Il est remarquable que deux métaux apparaissent très souventcités dans les essais réussis : l’étain et le plomb qui sont desmétaux mous et relativement fusibles. Il semble aussi que Newtonait employé le bismuth. Ces amalgames avaient une notecommune : le mercure est instable par rapport aux autres métauxet il n’est pas toujours possible de former un amalgame enajoutant du mercure à la suite d’un autre métal en fusion, car le mercure se volatilise à cause de la chaleur dégagée par la masseen fusion. Le point de fusion bas de l’étain et du plomb permettaitdonc d’y inclure du mercure avant que celui-ci ne se volatilise.B.J. Dobbs met très bien en évidence, en outre, que la démarchede Newton faisait intervenir un concept alchimique très important :la médiation.

7)- Le messager des dieux

Effectivement, on retrouve souvent cette image dansl’iconographie, par exemple dans la VIe Clef de Basile Valentin : unévêque consacre le mariage d'époux royaux. J. Van Lennep voitdans l'évêque le principe du Sel. Rapprochons cette image de lafigure XI du traité de Lambsprinck.

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De Lapide Philosophorum, undecima figura, Musaeum hermeticum, p. 363

légende :

"Le Père et le fils sont unis par les mains avec le conducteur. On doitsous-entendre ici le corps, l'Esprit et l'Ame"

texte :

"Le père, un vieillard est issu d'Israël, - Il n'a qu'un fils unique... - Unconducteur lui impose douleur sur douleur... - Le conducteur a parlé en ces

termes au fils : - Je suis venu ici afin de te conduire en tous lieux, - Àl'extrême cime de la montagne la plus haute..."

(in G. Ranque, la Pierre Philosophale, pp. 180-181).

Le conducteur, figurant sous l'aspect d'un vieillard avec des ailesreprésente le Mercure au même titre que l'évêque de BasileValentin. Il s'agit du messager, de l'appariteur (viator), c'est-à-diredu moyen, milieu ou procédé par lequel le principe Soufre peutêtre uni au Sel. L'extrême cime de la montagne symbolise unecouleur bleu foncé (caerula, caeruleus), violette, qui n'est pas sansnous rappeler la couleur de la fève, noir bleuâtre. La violette, lelys, l'amarante sont désignées sous des dehors hermétiques parJean d'Espagnet dans son Oeuvre secret d'Hermès. Le symbolisme de cette couleur est capital : ιον désigne la violette noire et parassonance phonétique, le javelot [ιος], le venin des abeilles [ιος,

cf. supra], la rouille du fer ou du cuivre [ιος] ; enfin, ιο−στεϕανος[couronné de violettes] est l'épithète d'Aphrodite dont le rapport avecle sujet des Sages est des plus étroits. Cette couleur désigne Lafève [κυαµος] et, en cabale hermétique, est synonyme du basilic[cf. Aurora consurgens, fig. XX], du rémora : c'est le début de lacoagulation, le mariage des deux principes. Il n'est pas sansintérêt d'évoquer ici le Cosmopolite car Louis Figuier rapportedans son ouvrage l'Alchimie et les Alchimistes cette anecdote concernant le 1erCosmopolite [Alexandre Sethon] :

"Le 5 août 1633, un étranger entra chez l'apothicaire... et demanda dulapis-lazuli... Plusieurs personnes se trouvaient en ce moment dans laboutique... L'une d'elles prétendit que l'on avait déjà essayé en vain de fairede l'or avec le lapis-lazuli."

Or, le lapis-lazuli, en grec, se dit κυανος. Nous en discutons auSoufre. De même, la violette noire [κυβελιος] contracted'inattendus rapports avec Cybèle [Κυβελη] et le char que l'onguide [κυβερναω]. Il est clair que le Char de triomphe del'antimoine attribué à Basile Valentin ne désigne pas autre choseque la conduite de la Coction au 3ème oeuvre. On peut enrapprocher le chabot (petit poisson noirâtre que cite Fulcanelli au débutdes Myst.) et la sole (le poisson) qui se dit solea (sandale, sabot).Dans une autre acception, la sandale peut aussi être une

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indication sur l'un des composés du Lion vert [calx] : la chaux.Toujours en grec, la chaux [τιτανος] se dit aussi καλιξ,homonyme grec du latin : calix [coupe à boire, cette même coupe quel'on aperçoit sur l'un des panneaux du Winterthur qui est semblable aucratère qui consacrait la cérémonie dionysiaque].

Cette chaux participe du lien du Mercure [καλινος] : c'est eneffet Athéna [καλινιτις, la déesse au frein] qui donna àBellérophon le frein dont il se servit pour dompter Pégase [cf.Gardes du corps], qui symbolise la première matière recueillie dusang de Méduse par Persée. Cette matière qu'il convient dedompter implique l'usage de brides appropriées [ρυτηρ ou

ρυτος] afin d'en préparer un corps « coulant » [ρυτος] qui n'estautre que le Mercure commun [à ne pas confondre avec le vif-argentvulgaire : il s'agit là, cf. Lulle, du Mercure de la voie commune].

Sur le vieillard :

"On l'appelle encore dragon noir couvert d'écailles, serpent venimeux, fillede Saturne..." [DM, I, p. 241]

L'allusion au venin [ιον] rappelle que ce serpent venimeux, cettefille de Saturne, est semblable à ce stade de l'oeuvre au Lionrouge. Le Dragon a le sens de Mercure dans son premier état etque ses écailles ne sont peut-être pas sans rapport avec lamérelle de Compostelle. De même, Limojon de Saint-Didier nousassure dans sa Lettre aux Vrays disciples d'Hermès (in Le Triomphehermétique) :

"notre vieillard est notre mercure ; que ce nom lui convient parce qu'il est lamatière première de tous les métaux ; le Cosmopolite dit qu'il est leur eau..." (DM, I, p. 338) ;

C'est encore le pèlerin ou voyageur de Saint-Jacques de Compostelle, où N. Flamel s'est incarné sous l'allégorie duMercure. Fulcanelli insiste aussi sur une cithare que tient ungrand vieillard [portail occidental de Chartres (XIIe siècle)] : cette cithare est semblable à la lyre d'Orphée ; Orphée est coiffé dubonnet phrygien, ce qui est un signe de liaison avec Cybèle. Unegravure du musée de Palerme nous montre à propos des animauxdomestiques ou sauvages, des oiseaux de toute espèce faisantcercle autour de lui : ils écoutent et s'arrêtent, soudain charmésou domptés par les accents magiques que le musicien tire de soninstrument. Ailleurs :

" (il faut) unir un vieillard sain et vigoureux avec une jeune et belle vierge."[DM, II, p. 279]

C'est ce que préconise Le Trévisan dans le Songe verd. Fulcanelli est-il sincère en nous assurant que le composé formé de soufre etde mercure, appelé à se combiner, implique la possessionpréalable d'un soufre et d'un mercure précédemment isolés ou

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extraits ? Nous sommes enclins à le croire...

Azoth, figure 4, Möet, 1659

Une autre image, tirée de l'Azoth, attribué à Basile Valentin (Paris, 1624) montre, sous des dehors plus âpres, la même allégorie : laconjonction du Soufre rouge et du Sel [Soufre blanc] assurée par leMercure philosophique dont l'image est saisissante de vie.L'enlacement est en effet réalisé par un serpent dont lesextrémités sont un lion dévorant un aigle [dans la Clef XII de Basile, c'est un lion dévorant un serpent, cf. supra]. On ne peut mieuxsymboliser cette bataille que se livrent le fixe et le volatil pourassurer la cohésion, puis la coagulation du Soufre et du Mercurecommun (Sel). Il faut décidément méditer les expériences deNewton sur les amalgames (voir aussi infra). Notez la confusionvoulue que certains ont fait en parlant du Mercure commun là oùils donnaient à entendre le Sel [cf. Traité du Sel, Michel Sendivogius].

Le Cosmopolite affirme :

"(L'air) est la matière des anciens philosophes... C'est l'eau de notre rosée,de laquelle est extrait le Salpêtre des philosophes... c'est notre pierred'aimant... [à laquelle] j'ai donné le nom de Chalybs ou Acier... et que ce quele vent porte dans son ventre, à savoir le Sel Alkali, que les philosophes ontappelé Sal Armoniacum, et végétal, est caché dans le ventre de laMagnésie." [Novum Lumen chymicum, cité in B.J. Dobbs, op. cit., pp.200-201]

La rosée de mai constitue cette eau minérale qui forme le Mercurephilosophique. L'eau de la rosée est le dissolvant à l'état liquide,tel qu'il est obtenu à une haute température. Cette rosée serapporte à Jupiter et à Thémis dont nous avons montré, dans lesGardes du corps de François II, qu'elle représentait l'allégorie

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masquant un sel de chaux. Des détails supplémentaires sur larosée sont donnés dans héraldique et alchimie. Le salpêtre desphilosophes se rapporte au sel alkali qui conttribue à former leMercure philosophique ; il n'a donc à voir qu'indirectement avec lenitre dont l'emploi est antérieur et se place plus tôt, lors de lapréparation du Mercure. Le texte du Cosmopolite se place à unmoment du travail qui se situe au début du 3ème oeuvre et dontl'objet est d'animer ce Mercure qui, seul, peut « ouvrir » lesmétaux. Cette eau des sages, c'est aussi le lait de la Virgo paritura, maintes fois évoquée, dont le nectar nourrit Apollon. Notreobservation, finalement, se rapproche d'une note de bas de page(DM, I, p. 350) où Fulcanelli précise qu'Ammon-Râ étaitordinairement représenté avec une tête de bélier et parfois avecdes cornes spiralées. Fulcanelli rappelle que :

"... le bélier est l'image de l'eau des sages... Ammon, médiateur salin..."

qui réalise la concorde, l'unité et la perfection dans la pierrephilosophale. Voyez ce que dit Pernety au sujet d'Ammon :

"Ammon. Le même que Jupiter, Dieu des Égyptiens Voyez le livre 1 desFables Egypt. et Grecq. Dévoilées, sect. 3, chap. 8. Ammon fut adoré enLibye sous la figure d’un bélier, soit parce que Jupiter, en se sauvant avecles autres Dieux en Égypte, pour se soustraire à la poursuite des Géants,prit la forme de cet animal; soit, comme le disent d’autres, que Jupiter sousla figure d’un bélier, ait fait sourdre une fontaine, pour désaltérer l’armée deBacchus." [Dictionnaire mytho-hermétique]

Nous ferons remarquer au lecteur qu'il ne faut point confondre lesel ammoniac des Sages [αµµοκονια évoqué supra] et le selharmoniac que Fulcanelli attribue au bélier [cf. héraldique etalchimie]. Il reste que l'interprétation ultérieure que donne B. J.Dobbs du Cosmopolite nous paraît douteuse même s'il n'est pasfaux de supputer :

"Newton supposait-il dès lors que le régule étoilé extrayait directement le"mercure philosophique" de "l'air" ? D'une certaine manière sans doute..."

Dans un quatrième groupe d'expériences, nous en revenons à cefameux filet : c'est dans un texte de Jean d'Espagnet - dontFulcanelli nous indique que l'anagramme était : « Spes mea est inagno » :

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De Lapide Philosophorum, préface, in Musaeum hermeticum, 1678, p. 339

"Ainsi les philosophes ont une mer à eux... où viennent à naître des petitspoissons gras ou d'autres mouvants dans leurs écailles argentées ; celui quiapprend à les envelopper dans un filet finement noué et à les extraire mérited'être considéré comme un pêcheur d'une grande habileté." [D'Espagnet, Oeuvre secret d'Hermès, cap. 54]

On ferait d'ailleurs une erreur en confondant l'agneau et le bélier :l'agneau représente la figure du Christ, c'est-à-dire en alchimie, lanaissance du Βασιλευς. Voilà qui nous renvoie directement à la1ère figure de Lambsprinck. Nous y voyons deux poissons dans la «mer mercurielle » et l'on remarque aussi un bateau avec des marinsqui nous saluent. C'est l'équivalent en somme de l'allégorie d'Argoqui se rapporte au rémora et que l'on peut en outre rapprocher del'une des planches du Mutus Liber. Sur l'Argo :

"Argo. Nom que la Fable a donné au navire que montait Jason, quant il fut àla conquête de la toison d’or avec Hercule, Hylas, Orphée, Etalide, Amphion,Augias, Calais, Castor, Pollux, Céphée, Iphicle, Eson, Lyncée, Meopse,Méléagre, Pélée, Télamon, Zetis et plusieurs autres. Les Alchymistesexpliquent cette expédition comme une allégorie de la pierre Philosophale, etparticulièrement parce que le navire était fabriqué des chênes parlants deDodone. Voir. JASON, ARGONAUTES, et le traité des Fables Egypt. etGrecques dévoilées, liv. 2, chap. 1." [Dictionnaire myhto-hermétique]

Voyez là-dessus l'Atalanta fugiens où nous commentons souvent levoyage des Argonautes. L'expression « poisson gras » à elle seulemériterait d'importants commentaires : nous signaleronsl'homonymie entre certaines îles Éoliennes [Λιπαρα] et le sujetdes Sages [λιπαρµος] ; cette action d'oindre, de graisser a le

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même sens cabalistique que χρισµα [graisse liquide, mélange deplâtre et de chaux] et explique les supplications incessantes[λιπαρεω] à Dieu [au Soufre] que les alchimistes recommandentaux impétrants d'effectuer fréquemment. Encore : le lien à établirentre les îles Liparies et le dieux boiteux Héphaïstos [cf. Philalethe, Introïtus, VI]. Quant aux « poissons mouvants », c'est bien sûr à Aphrodite[Ασταρτη, déesse phénicienne reconnue par les Grecs commeAphrodite] qu'ils font allusion par le truchement d'assonances,telles que αστασια [instabilité], ασταθµτος [non fixé, instable,

mobile] et αστατεω [être errant, vagabond], tous qualificatifsmercuriels. Sur l'habileté requise à la capture des poissons, ellelivre le nom du composé non assujetti au joug, au mors, decaractère ardent et impétueux : δεξιος [Arès]. On a vu plus hautque Newton considérait que sous Arès était voilé l'antimoine.Nous retiendrons qu'Arès fut retenu en prison dans un vase d'airain durant de longues années et que seule Aphrodite conçutun fol amour pour ce dieu qui symbolisait la force passionnelle etsensuelle ; on retient de lui qu'il est ivre de carnage, buveur desang et qu'il est le dieu des larmes. Tous ces épithètes ledésignent comme un « Mercure » non contrôlé. Arès a aussi unrapport avec le dragon que Cadmos tua et dont il sema les dentsd'où émergèrent les σπαρτοι [les Thébains]. Newton considéraitque les dents du dragon constituaient la première matière. Cedragon gardait une source, à Thèbes, nommée αρηδια. Lerapport entre Thèbes et le grand Oeuvre est direct : c'est Cadmosqui fonda la ville ; plus tard, Zéthos et Amphion régnèrent sur laville, le premier transportant des pierres pour établir les rempartsde la ville, le second jouant de la lyre et charmant, même, lesmatériaux de construction.

Dans un cinquième groupe d'expériences, Newton s'efforce detrouver la bonne recette du Mercure Philosophique. Nous avonsplusieurs notes où l'on peut conclure que Newton tentait d'éclaircirdes processus alchimiques :

"...en particulier trois préparations spécifiques : l'eau sèche, l'aigle d'étain(ou de Jupiter) et le sceptre de Jupiter (ou de l'étain)." [in B.J. Dobbs, op. cit., p. 209]

Voyez sur ce sujet notre voie humide. L'aigle de Jupiter peut symboliser la sublimation de l'étain. Nous avons vu ailleurs le peude crédit à accorder à l'étain [plumbum album] qui ne vaut que pourson cousinage phonétique spirituel avec l'ammoniac des Sages.L'aigle symbolise la sublimation en général :

"La série d'opérations dont l'ensemble aboutit à l'union intime du soufre et dumercure porte aussi le nom de sublimation. C'est par la réitération des Aiglesou Sublimations philosophiques que le mercure exalté se dépouille de ses

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parties grossières et terrestres..." [Myst., p. 115]

[L'aigle de Jupiter symbolise certes une sublimation mais elle ne serapporte en aucune manière à l'étain. L'aigle - ou vautour - que l'on a vusupra désigne sans doute la préparation d'un sel alcali. Il y a cependant unecontradiction dans la phrase de Fulcanelli ; car l'union du soufre et dumercure n'intervient qu'au 3ème oeuvre : c'est la Grande Coction du Rebisphilosophal. Or, ici, c'est bien de la préparation du Mercure philosophiquedont parle l'Adepte. C'est l'occasion de rappeler que les alchimistesnommaient le composé tantôt soufre, tantôt mercure en fonction de sonaspect corporel. Nous renvoyons donc le lecteur à la préparation du Baindes sages. Sur une interprétation spéculative, cf. philosophie et alchimie, notamment Prométhée.]

- l'eau sèche ne pose guère de problème ; les alchimistesl'appellent d'habitude eau ignée ou feu aqueux. De l'avis de tous,c'est un corps dégoûtant fait du rebut de la Terre, préalablementplongé dans le Tartare et condamné à subir mille tourments sousle joug d'Héphaïstos. - le sceptre de Jupiter possède une autre envergure cabalistique :

"Or, la mère des fous, la Mère folle, n'est autre que la science hermétique...le grand fou sculpté [l'homme des bois]... est en réalité un sage, puisqu'ils'appuie sur la Sapience, arbre sec et sceptre de la Mère folle." [DM, I, p. 422 - sur le Mercure]

Maison de l'Homme des Bois, détail, Thiers, Puy-de-Dôme

Sur l'arbre sec, voir héraldique et alchimie. Il contribue à assagirÉros. Le plus jeune des dieux, on le considérait comme l'enfant deVénus. En réalité, inconnu à l'époque homérique, Éros apparaîtcomme le fils d'Erèbe et de la Nuit [cf. Philalethe, Introïtus, VI]. Primitivement, il a pour rôle de coordonner les élémentsconstitutifs de l'univers [ici, de notre microcosme philosophal] : c'est luiqui apporte l'harmonie dans le chaos. Par cabale, on joue icid'une part avec la valeur symbolique primitive d'Éros et d'autrepart avec la valeur symbolique qu'on lui connaît et dont la

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physionomie ne s'est constituée que tardivement. En effet, il estaussi connu comme un enfant ailé dont les caprices et lesespiègleries causèrent maints tourments. Sa malice ne respectaitmême pas sa mère. Celle-ci devait parfois le punir en le dépouillantde ses ailes et de son carquois [c'est-à-dire en le calmant, enl'adoucissant]. En bref, ce sage nous apparaît comme unpersonnage à la fois raisonnable et patient. Pour nous, il constituel'hiéroglyphe du sel harmoniac. E. Canseliet, dans ses Études desymbolisme, s'est aussi penché sur ce sceptre sous la figure dubâton en commentant la page de titre du Musaeum Hermeticum dont une partie de l'illustration reproduit l'emblème XLII de l'Atalantafugiens de M. Maier. J'ajouterai que l'homme des bois se confond avec l'homme de nature, l'homme primitif [cf. les états symboliques deRousseau in philosophie et alchimie].

8)- l'eau ignée

Fulcanelli aborde comme il l'écrit lui-même « le plus haut secret del’Oeuvre » :

"Ce feu, ou cette eau ardente, est l'étincelle vitale communiquée par leCréateur à la matière inerte..." [Myst., p. 106]

Il y a là une cabale voilée par le mot inerte qui renvoie à αργος ;outre la référence évidente à Argo et au bateau des Argonautes,αργος est le signe brillant [l'étoile, cf. supra chap. 6] par lequel se distingue la matière première, blanche [αργος], inerte, brute ;c'est aussi le nom du chien [agile, i.e. blanc] d'Ulysse qui n'est passans rapport avec celui que l'on voit sur le bateau de la fontaine du Vert-bois à Paris.

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fontaine du vertbois, à l'angle des rues st Martin et du Vertbois (1712) à coté d'une tour de l'enceinte du prieuré de St Nicolas - détail

Pontanus (27) est l'un des alchimistes qui, avec Artephius et Lavinius, ont le plus parlé du Mercure. Dans son Epistole de IgnePhilosophorum, Pontanus commence à se lamenter sur demultiples opérations qui n’ont mené à rien ; la putréfaction ducorps de la matière pendant neuf mois, la calcination poursuiviependant trois mois ainsi que toutes sortes de distillations et desublimations. Il parle ensuite de fèces et de superfluités dont noussavons à présent qu'elles ne sont point à négliger [elles évoquent leνατρον des Grecs] Il nous décrit ensuite la pierre des philosophespar des adjectifs qui se rapportent manifestement à une planète etl'on peut établir les correspondances suivantes :

aqueux : Lune - aérien : Mercure - ardent : Soleil - terreux : antimoine (ou autre métal assimilé, cf. infra) - flegmatique : Vénus - cholérique : Arès - sanguin : Mars - mélancolique : Saturne.

Nous soupçonnons Pontanus d’avoir à escient masqué sous undiscours très simple et innocent quelques étapes importantes : lenombre de mois (neuf) indiqué pour la putréfaction se rapporte envérité à un nombre de jours et l’énumération des adjectifs serapporte vraisemblablement aux régimes que subit l’œuvre dansla 3ème partie ; ces régimes constituent une énigme que nulAdepte, à notre connaissance, n'a dévoilé... Philalèthe et Cylianiseuls auraient résolu ce redoutable arcane mais leurs propos sonttellement évasifs que c'est à peine si l'on arrive à en saisirquelque bribe... Nous tâcherons d'y revenir.

Le Traité du Ciel terrestre de Vinceslas Lavinius de Moravie (1612)

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semble avoir une certaine importance dans l'analyse du feu secretdes philosophes. Fulcanelli (DM, I, p. 103) évoque avec nostalgiel’ésotérisme égyptien renié et corrompu par la Renaissance encitant Lavinius. L'importance de ce texte est confirmée (DM, I, p. 208) par une nouvelle citation lors de l’examen de l’eau ignée ausein de laquelle se baignerait le soleil hermétique :

"Captez un rayon de soleil, condensez-le sous une forme substantielle,nourrissez de feu élémentaire ce feu spirituel corporifié, et vous posséderezle plus grand trésor de ce monde."

Il y a là, malgré les apparences d’un langage abscons, desindications : il est dit, en clair, que par le biais d'un Espritconvenablement préparé, un Corps nouveau apparaît afin deservir de réceptacle à l'Âme ; celle-ci orientera la Pierre selon lavolonté de l'Artiste :

"Vinceslas Lavinius de Moravie donne le secret de l’œuvre, en unequinzaine de lignes, dans l’Énigme du mercure philosophal que l’on trouveau Traité du Ciel terrestre." [DM, I, p. 438]

Ce texte de Lavinius n’est cité ni par E. Canseliet ni par J. Sadoul,G. Ranque ou L. Gérardin. Lavinius nous décrit la matièrepremière en terme habituel de condensé de Soufre, de Mercure,et de Sel. Il insiste sur le fait que l’Eau pure (Mercure) n’est passpontanément visible et que sa manifestation nécessite l'actionhumaine [spirituelle]. Cette substance est double [hermaphrodite,renvoyant au phénix, l'oiseau fabuleux de l'Égypte] ou du moins ellesemble être obtenue de deux manières. Cette Eau pure reçoitaussi l’appellation de Ciel terrestre (Mercure). Lavinius décrit ensuitela façon dont elle se présente après action d’un limon terrestre(qui doit avoir un rapport avec le feu secret), sous la forme d’unexcrément substantiel. Il assure que cette Eau, qui s’est propulséedans les cieux [suite à une dissolution], est la première matière - àdifférencier de la matière première - . Lavinius professe qu’il fautconsidérer deux formes de son suc et de son venin [ιος] (à proposde l’Esprit assimilé au Sel) et parle de sel amer [i.e. sal harmoniac, cf. supra]. Il évoque ensuite la limbe

[limbus : frange, bord, évoque aussi selon la cabale hermétique le lieu oùles âmes des justes attendent leur délivrance ; entendez le lieu où s’effectueune précipitation de substances tenues en solution ; la frange en outre s'apparente au Caput par κρας et à un alliage par κρασις ; le rapportavec la précipitation précédente ne peut plus nous étonner et, s'il n'était desbornes infranchissables, nous certifierions qu'une eau d'une certaine vertuque l'on trouvait près du temple d'Ammon-Râ pourrait déterminer la chute des Âmes aux Enfers de même que la dissolution des Corps. Les deuxformes du venin représentent les colombes de Diane qui parviennent àtempérer l'Esprit chaotique dont parle Philalèthe dans l'Introïtus, VI) et le chaos (c’est ainsi que les alchimistes qualifient leur matière première)]

d’où il faut tirer les substances nécessaires par dissolutionradicale avant leur réincrudation par voie hermétique. La frange, en

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grec, se dit par ailleurs κρασπεδον et possède comme acceptionla crête d'une montagne ; on peut rapprocher ce mot de κρας,sommet de montagne et de κρασις, action de mêler deuxsubstances qui se combinent en une seule [ιος]. Dès lors, on comprend mieux pourquoi, dans le De LapidePhilosophorum de Lambsprinck, le conducteur porte le prince ausommet d'une montagne. Il peut s'agir d'un alliage de métaux, etici, de l'amalgame philosophal ou Rebis où doit s'exprimer l'union descontraires. On trouve très bien décrit dans les Deux logis alchimiques [op. cit., p. 227] cette allégorie de l'union des contraireslors du combat de l’Aigle et du Lion ; E. Canseliet examine l’un desvingt-quatre caissons où l’on aperçoit un aigle hybride ayant uncorps en forme de serpent et une tête de rapace. Il rapproche cecaisson de l'une des Figures Hiéroglyphiques où l’on voit deuxdragons, l’un ailé, l’autre aptère :

N. Flamel, Figures hiéroglyphiques, détail du portail des Innocents

Le dragon ailé représente le Mercure ou principe volatile et ledragon aptère, le Soufre ou principe fixe. Cela pourtant ne nousdonne guère de renseignements sur le fait de savoir à quelmoment ce combat du fixe et du volatil se déroule dans le grandœuvre. Le Mercure a toujours été considéré par les auteurscomme leur " Eau permanente et qui ne mouille pas les mains ". Selon Fulcanelli, il existe deux « Soufres » ;

- le 1erSoufre est dit corporifié et l’adepte écrit :

" ... nous dirons cependant que l’Esprit universel, corporifié dans lesminéraux sous le nom alchimique de Soufre, constitue le principe et l’agentefficace de toutes les teintures métalliques. Mais on ne peut obtenir cetEsprit, ce sang rouge des enfants qu’en décomposant ce que la nature avaitd’abord assemblé en eux." [Myst., p.138]

Cette longue phrase signifie qu’un élément métallique - sur lanature duquel nous reviendrons - doit être préalablement extrait.On notera au passage la confusion que Fulcanelli entretient parl'emploi de l'expression « Esprit universel » pour évoquer le Soufre

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alors qu'il s'agit d'une allégorie concernant le Mercure. - Sur le 2èmeSoufre :

"... cette quintessence, transfusée dans un corps pur, fixe, parfaitementdigéré, donnera naissance à une nouvelle créature..." [Myst., p.148]

Le corps pur forme pour ainsi dire l'hypostase du 2ème Soufre : ils'agit du Soufre blanc ; la terre de Chio, la terre cimoliennepourraient constituer des équivalents spagyriques de cettesubstance qui ressemble au cristal de roche. Quant à la nouvellecréature, il s’agit d’un amalgame qui :

"... ne peut acquérir cette puissance que par une série de cuissonsultérieures avec le Soufre... ce qui constitue la multiplication."

Le corps pur dont il est question est la résine de l'or ou semencemétallique et, mieux que des multiplications, ce sont desaccroissements qu'il convient alors de réaliser. On touche là undes points les plus obscurs du symbolisme alchimique : s'agit-il decohobations ? Il s'agit d'imprégnations. Dans les DM, I, p.457 et sq., Fulcanelli indique qu’il s’agit du combatde deux dragons (version N. Flamel), de l’aigle et du lion (version B.Valentin, passim Canseliet), de l’aimant et de l’acier (version Philalèthe)ou du rémora et de la salamandre (version De Cyrano Bergerac). A chaque version cependant, ce ne sont pas toujours les mêmes «équivalents chimiques » que l'on trouve et certains combats trouventplus que d'autres leurs réelles correspondances. A ce titre, nouschoisirions la version de De Cyrano Bergerac : elle tient compte, eneffet, du caractère incombustible des deux natures métalliques etelle fait prendre part le sel harmoniac au combat ; l'arcane setrouve ainsi aux trois-quart résolu pour l'étudiant qui dispose d'unfonds suffisant de teinture philosophique. En somme, il s’agit d’unprocessus dynamique, qui s’étale dans le temps et qui, peu à peu,va conduire à une précipitation cristalline. Le propre de cetteprécipitation est qu'elle s'effectue à la surface du Mercure. Ellenécessite qu’au préalable certaines substances soient conjointesen une « Eau permanente ». On notera qu’une des figures deLambsprinck serre de près celle du cimetière des Innocents deFlamel.

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De Lapide Philosophorum, octava figura, Musaeum Hermeticum, p. 357

Il s’agit de la huitième figure qui montre deux aigles, tête-bêche(ce qui évoque la cohobation. Cette figure est équivalente au bas-relief del'Orgueil du portail central de Notre-Dame de Pairs, cf. Gobineau).

texte :

"On trouve dans l’Inde une très agréable forêt - En laquelle sont réunis deuxoiseaux - L’un est de couleur très blanche, l’autre rouge - Ils s’entre-tuent en

se mordant à l’envi - L’un dévore l’autre et le consume..."

légende :

"Il y a deux oiseaux nobles et de grand prix, le corps et l’Esprit, l’un consumel’autre"

La forêt est assimilée à la gangue minérale et les oiseaux lesSoufres hypostasiés. A quel stade de l'oeuvre se situe l'opérationchimique voilée sous cette allégorie ? Nous pensons qu'il s'agit del'opération au 3ème oeuvre. La cohobation consiste en une série dedistillations par lesquelles on concentre une substance. SelonFulcanelli, à chaque cohobation, le volatil quitte le fixe jusqu'à ceque la prise en masse s'opère : c'est la définition dynamique destableaux statiques qui nous sont offerts par le combat de l'aigle etdu lion, etc. Dans Myst., p. 133, l'Adepte évoque les motifs desmédaillons des vitraux de la rose centrale de Notre-Dame ; l'on yvoit dans l'allégorie de la cohobation un prince couronné d'or, àveste rouge et bas rouges ; le dissolvant universel est figuré pardeux enfants batailleurs, l'un vert, l'autre violet gris. On voit mêmedes Gémeaux dont l'un est de rubis et l'autre d'émeraude. Plus précisément, l'Esprit [le Mercure] assure la dissolution radicale des deux principes Corps et Âme ; au bout d'un certain temps, cet

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Esprit se sublime en se dévorant lui-même et laisse un nouveauCorps formé des éléments du Rebis, réincrudés en une nouvelleforme qui est le lapis philosophorum. L'orientation de cette Pierre estdéterminée par l'Âme [cf. Soufre]. Celui qui sait trouver le moyende faire en sorte que l'Esprit « retarde » à s'évaporer - il s'agit dulien du Mercure - connaît le secret de faire l'oeuvre par le seulMercure. Cet Esprit, c'est le Mercure philosophique, objet destravaux du 2ème oeuvre : il se présente comme une « eau sèche -seiche » qui a le pouvoir de procurer « l'humide radical métallique » enbrûlant les métaux. C'est donc d'une action ignée que procède sanature. Il nous faut étudier le mécanisme qui catalyse et entretientcette action ; cette médiation passe par ce que les alchimistesappellent le « vase de nature » dont bien des caractéristiques lerendent proches de celles qui sont les attributs du potier, ducéramiste qui travaillent, l'un sa pâte, l'autre sa glaçure.Revenons à Cybèle qui constitue par excellence l'hiéroglyphe dece feu, à la fois igné et aqueux.

9)- la pierre noire

La cabale permet de dire qu'au ciel chymique, après lasublimation du soufre, s'opère une résolution qui prend le nom derosée de mai. Que c'est de cette rosée que procède lacoagulation progressive de l'eau mercurielle. On peut affirmersans beaucoup se tromper que cette pierre noire, qui tombe duciel, n'est autre que la manne céleste par laquelle tous les trésorsenfouis peuvent être ouverts. Fulcanelli s'en exprime ainsi :

"Cybèle était adorée à Pessinonte, en Phrygie, sous la forme d'une pierrenoire que l'on disait être tombée du ciel." [Myst., p.80]

Il s'agit d'une météorite, plus anciennement connue sous le nomd'aérolithe, c'est-à-dire de pierres tombées de l'air [de αηρ, air et

λιθος, pierre]. C'est le philosophe Anaxagore de Clazomène qui,le premier, s'est livré à l'étude des météorites ; c'est d'après luique Pline, Plutarque et d'autres ont décrit la fameuse pierretombée dans la seconde année de la 78e olympiade [année 467 av.J.-C.], près du fleuve AEgos, en Thrace, et qui s'y voyait encore aucommencement de l'ère chrétienne. Suivant Pline, cette pierreétait de la grosseur d'un char, de couleur sombre comme si elleavait subi l'action du feu [calore adusto]. Ces corps célestes, dontl'existence fut niée très longtemps par la science, dévoilèrentenfin l'énigme de leur origine, quand vers le mois d'avril 1803, onapprit qu'un phénomène prodigieux était subitement apparu auxenviron de la ville de l'Aigle [Orne. Il est de ces hasards qui nes'inventent pas...] : des pierres étaient tombées. Leur consistanceétait grenue, fendillée, elles étaient grises à l'intérieur, rempliesde parcelles brillantes et métalliques et toutes recouvertes d'une

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sorte de vernis de couleur noire. Les minéralogistes reconnurentque ces pierres étaient composés de minéraux parmi lesquels lesalliages de fer et de nickel et les silicates magnésiens comme lepéridot, le pyroxène ; on reconnut aussi que la structure des fersmétéoriques présentait des réseaux très réguliers et qu'ils étaientattaqués de façon singulière par les acides, qui leur donnaient unaspect moiré. Enfin, fait troublant, le chimiste Laugier reconnut lechrome, dont la fréquence est très remarquable. Nous arrêteronslà cette digression un peu fastidieuse en ne nous empêchant pas,au demeurant, de signaler de possibles rapprochements avec ceque nous avons dit des « possibilités de nature » quand nous avonssoulevé, dans héraldique et alchimie, l'hypothèse que le Mercureexistait dans la nature [cf. Nature de la Pierre]. La Phrygie, Κονιαιος, est en proche assonance de κονια[chaux, cendre] et de κονιαµα [enduit de chaux]. Cybèle est liée, parcabale, à l'une des matières premières, expressément désignéepar les auteurs comme brillante et rayonnante, resplendissante,tous épithètes du marbre [µαρµαρος]. C'est la pierre angulairede l'Oeuvre, appelée aussi la « maîstre pierre du Coignet » parFulcanelli [Myst., p. 61]. Cette pierre noire est donc en fait unepierre on ne peut plus blanche :

« Notre-Dame de Paris possédait un hiéroglyphe semblable, qui se trouvaitsous le jubé, à l'angle de la clôture du chœur. C'était une figure de diable,ouvrant une bouche énorme, et dans laquelle les fidèles venaient éteindreleurs cierges ; de sorte que le bloc sculpté apparaissait souillé de bavuresde cire et de noir de fumée. Le peuple appelait cette image Maistre Pierre duCoignet, [...] mais qui est pierre d’achoppement et pierre de scandale, contrelaquelle ils se heurtent à leur ruine. Quant à la taille de cette pierreangulaire, – nous entendons sa préparation, – on peut la voir traduite en unfort joli bas-relief de l'époque, sculpté à l’extérieur de l’édifice, sur unechapelle absidiale, du côté de la rue du Cloître-Notre-Dame. » [Myst. Cath., p. 61]

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Notre Dame de Paris, chapelle absidiale, du côté de la rue duCloître-Notre-Dame

Marcel Aubert, dans La cathédrale Notre-Dame de Paris [Notice historique et archéologique - P. Longuet 1909 1 vol. Petit In - 8. br. VIII -168pp] décrit ce bas-relief :

« Le dernier de ces bas-reliefs représente les différents épisodes de lalégende de Théophile : le diacre est au pouvoir du diable, qui l'entoure de sagrosse patte armée de griffes énormes, et saisit de l'autre la charte où lemalheureux a signé le terrible marché ; puis, pris de remords, il se prosterneaux pieds de la Vierge qui l'arrache des griffes du diable, tremblant de colèreet de crainte. »

L'orgueil [voir aussi Gobineau de Montluisant] est ici le véritableacteur. Voici cette légende, support d'un arcane important. Nousavons extrait ces lignes de Joseph von Görres, la Mystiquedivine [Paris, Mme Vve Poussielgue-Rusand, 1854-1855. in-8 °]

Le coupable est Théophile, économe de l'église d'Adana en Cilicie,qui est devenu par là célèbre dans tout le moyen Age. Il vivaitprobablement du temps de l'empereur Justinien, avant la grandeinvasion de Chosroès, roi des Perses, dans l'empire romain, vers l'an537, comme le rapportent dans leurs chroniques le moine Albéric etSigebert. Son histoire a été écrite par Eutychien, qui était né dans samaison, comme il le déclare lui-même, et qui l'avait ensuite servicomme clerc dans son église. Il avait été témoin oculaire des faitsqu'il rapporte, ou les avait appris de la bouche même de Théophile.Le diacre Paul traduisit cette histoire en latin, et la dédia à Charles, roides Francs, probablement Charles le Chauve. C'est ainsi qu'elle s'estrépandue en Occident, tandis que Métaphraste la faisait connaître en

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Orieut, où elle fit plus de bruit encore. Rosvitha de Ganderesheim, audixième siècle, la mit en vers latins, de même que Marbod, évêquede Redon, dans le onzième. Elle a été également le sujet d'un poèmeallemand, et il est peu d'histoires qui aient eu autant de vogue aumoyen âge. Pierre d'Amiens, saint Bernard, saint Bonatenture, Albertle Grand et les missels des couvents eu font souvent mention.Théophile était économe de l'église d'Adana. C'était un étant venu àvaquer, le clergé et le peuple le désignèrent unanimement pourremplacer l'évêque défunt; mais il refusa cet honneur. Porté devant lemétropolitain, il se jeta à ses pieds, embrassa ses genoux, sedéclarant indigne à cette charge. L'assemblée, touchée de sesprières, lui accorda trois jours de réflexion ; et comme au bout de cetemps il persistait dans son refus, le métropolitain en nomma un autreà sa place. Quelques hommes, jaloux à l'économe, persuadèrent aunouvel évèque de donner sa place à un autre, et Théophile se retirachez lui. Il supporta d'abord avec résignation cet affront ; mais bientôtle démon sut exciter des pensées coupables dans son cœur; lavengeance et l'ambition s'emparèrent de lui : il commença à mettre lagloire temporelle au-dessus des biens célestes, et pour arriver à lapremière il ne craignit pas d'avoir recours à la magie. Il y avait dans laville un Juif exercé dans tous les arts diaboliques, et qui avait entraînébeaucoup d'âmes dans l'abime. Théophile alla le trouver la nuit, seplaignit du tort que l'évêque lui avait fait, et réclama son assistance.Le juif lui répondit :

« Reviens demain à la même heure; je te présenterai à mon maître, etil te donnera ce que tu désires. »

II s'en alla content, et revint le lendemain à minuit. Le juif le conduisitau cirque, après l'avoir averti de ne pas se laisser effrayer par leschoses qu'il verrait ou entendrait, et surtout de ne pas faire le signede la croix. A peine l'eut-il promis qu'il vit une multitude d'hommevêtus de manteaux blancs et portant des flambeaux, et le démonassis au milieu d'eux. Le juif lui présenta l'économe et lui exposal'objet de sa demande.

« Comment puis-je, répondit le démon, secourir un homme qui sertDieu ? S'il veut me servir et faire partie de mon armée, il s'en trouverabien; il aura plus de pouvoir qu'auparavant, et commandera à tous,même à l'évêque. »

L'économe promit tout, et baisa les pieds de son nouveau maître,Puis le diable dit au juif :

« Qu'il renie le Fils de Marie et tout ce que je hais, et qu'il mette celapar écrit, s'il veut obtenir ce qu'il désire. »

L'économe renonça donc au Christ et à sa mère ; puis il fit un écritqu'il scella de son sceau. Le lendemain, l'évêque, par une inspirationsans doute de la Providence, se décida à rappeler avec honneurl'ancien économe, et lui rendit sa charge devant le clergé et le peuple,s'accusant de l'avoir renvoyé et d'avoir mis à sa place un autre moinshabile que lui. Bientôt Théophile prit des airs de hauteur et de fierté àl'égard de tout le monde, et pendant quelque temps on trembladevant lui. Le juif venait souvent le voir en secret, et lui disait:

« Vois-tu comme mon maître est venu promptement à ton secours. —Je le vois bien, répondait l'économe, et je te remercie de ta médiation.»

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Cependant Dieu, se souvenant de la vie édifiante qu'il avait menéeautrefois, toucha le coeur de cet orgueilleux; de sorte que, rentrant ensoi-même, il se mit à considérer ce qu'il avait fait, et à penser qu'il sepréparait un malheur éternel, et qu'il avait changé la lumière contreles ténèbres. Ses angoisses angmentaient encore quand il sedemandait ce qu'il répondrait au jugement dernier, à cette heure oules secrets des coeurs seront dévoilés, qui aurait pitié de lui et leprotégerait alors. Après avoir été tourmenté pendant longtemps parces pensées, il se sentit inspiré d'invoquer le secours de Marie,refuge de tous les pécheurs. S'adressant à son âme plongée dansl'état du péché, il lui dit :

« Lève-toi des ténèbres qui t'enveloppent, et va te prosterner devantMarie; car elle est puissante et peut guérir tous les maux.»

II se rendit aussitôt à l'église de Notre-Dame, et la pria jour et nuitpendant quarante jours de l'arracher à la gueule du dragon. Il jeûnaaussi pendant tout ce temps, après quoi la sainte Vierge lui apparut àminuit, et lui dit :

« Comment oses-tu, malheureux ! invoquer mon secours après avoirrenié mon Fils, ton Sauveur ? Comment puis-je intercéder pour toiauprès de celui à qui tu as renoncé? Comment puis-je ouvrir labouche en ta faveur devant le tribunal terrible du souverain juge donttu t'es éloigné ?

— Je sais, répondit-il, je sais que j'ai beaucoup péché contre vous etcelui qui est né de vous, et que je ne mérite aucun pardon; mais si lerepentir n'était rien, comment les habitants de Ninive, et David, etsaint Pierre auraient-ils été sauvés ? Comment Nôtre-Seigneuraurait-il accueilli Zachée le publicain ? Comment saint Paul, d'un vase de colère qu'ilétait, serait-il devenu un vase d'élection ? Eh bien, dit la sainte Vierge,confesse donc celui que tu as renié, et je le prierai de t'accueillirfavorablement, »

Il confessa Notre-Seigneur, et la sainte Vierge lui dit qu'à cause dubaptême qu'il avait reçu et de la compassion qu'elle portait à tous leschrétiens elle prierait pour lui son divin Fils. Pendant trois jours il restaétendu par terre, pleurant, priant et jeûnant. La Sainte des saintes luiapparut alors d'un visage gai, et lui dit :

« Homme de Dieu, le Seigneur a vu tes larmes, et accepte tapénitence. Il t'a pardonné à cause de moi, si tu veux persévérerjusqu'à la mort. »

Il promit tout avec un visage reconnaissant, et pria la sainte Vierge del'aider à reprendre au démon l'écrit qu'il lui avait donné. Au bout detrois ou quatre jours cet écrit lui fut rendu dans une vision. Lorsqu'ils'éveilla, il le trouva sur sa poitrine, et trembla d'étonnement et dejoie. le peuple étant assemblé dans l'église, Théophile, aprèsl'évangile, alla se jeter aux pieds de l'évêque, lui confessa tousses péchés, et lui raconta sa délivrance. L'évêque renditgrâces avec tout le peuple a Dieu et à la sainte Vierge pour cemiracle de miséricorde ; le contrat fut brûlé, et la foule se mit àchanter Kyrie, Eleyson. Mais Théophile s'en alla à l'église deNotre-Dame, prit un peu de nourriture, tomba malade et mourut ; etl'église l'a mis au nombre des saints. (A. S., 4 febr.)

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Si nous envisageons ce bas-relief sous une vision hermétique, ilest facile de voir dans la scène de droite, la materia prima - sous lesdehors de Théophile - en proie au Diable, c'est-à-dire au Mercurius

: il s'agit d'une allégorie sur la nigredo . À gauche, il s'agit au

contraire de l'allégorie de l'albedo, par l'appel de Théophile à laVierge [voir les aquarelles de l'Aurora consurgens]. L'acte de contritionde Théophile est tout autant une rédemption qu'une remise de lacorruption du diacre. Par le pacte qu'il scelle avec le Diable,Théophile est l'une de ces nombreuses figures qui illustrent lalégende de Faust. Ce pacte funeste par lequel Théophile devientriche est celui-là même qui le corrompt et fait de lui l'équivalent -dans l'oeuvre alchimique - d'une chaux dissoute, illustrée parl'hiéroglyphe ou ιος. Dans un temps ultérieur, miné par leremords, c'est-à-dire travaillé par l'esprit [animus = spiritus

sanctus], Théophile va chercher secours près de la Vierge qui jouele rôle de paraclet [avocat, consolateur] en le tirant de ce mauvaixpas, c'est-à-dire en déchirant ce pacte comme l'Artiste lorsqu'illibère les enfants de Latone après sa victoire contre le serpentPython. Théophile sauve son âme, ce qui correspond à l'une desfigures [figure 17] du Rosarium philosophorum. Sur le sujet, nousrenvoyons le lecteur à l'Aurora consurgens II et au Ripley Scrowle. On trouve d'autres représentations de cette scèneillustrant le travail de l'esprit [conflit MOI SOI] et la repentance.D'ailleurs, le remord et la repentance me semblent fort à voir avecla cohobation : ne s'agit-il pas, après tout, de la circulationspirituelle d'une idée fixe qui finit par obscurcir l'esprit ? À Souillac en Quercy, où la Vierge apparaît en rêve à Théophile[le songe de Théophile peut être mis en relation avec celui de l'arbre, deNabuchodonosor, voir Ripley Scrowle].

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relief de Théophile, détail, abbaye de Souillac

On aperçoit dans cette scène l'église dans laquelle Théophile priaaprès avoir pris conscience de la portée de son acte. En haut àgauche est illustré le troisième épisode de cette légende :Théophile dort et la Vierge, accompagnée par des anges,descend d'un nuage figuré par des lignes ondoyantes pourreprendre et annuler le pacte. Ce fameux rouleau qui scelle le pacte ne peut manquer d'évoquer le Ripley's scrowle : la partieinférieure du volumen montre un personnage vagabond,probablement un alchimiste, qui tient un curieux bâton où estenroulé un parchemin.

Après cet aparte sur Théophile, reprenons ce que nous disions decette pierre noire. C'est peut-être la légende de Persée et deMéduse qui en constitue l'allégorie la plus claire puisque Médusepétrifiait [µαρµαρ−ωπις] les étrangers qui la regardaient sansprudence. Par là aussi s'établit une transition avec les rayonslumineux de l'égide [le bouclier de Zeus, fabriqué par Héphaistos, cf.Introïtus, VI]. La transition est facile à trouver entre l'air et le feu :les Anciens avaient bien relevé que ces pierres tombées du cielavaient été « brûlées » et qu'elles avaient éprouvé la fusion ignée[calore adusto]. Or, en latin, tomber se dit cado qui peut renvoyer àcassito : dégoûter. Combien de fois les alchimistes ne nous ont-ilspas dit que le sujet des Sages était :

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"... d'aspect peu engageant. Il joint à la noirceur une odeur désagréable,souille les mains de ceux qui le touchent, et, fort disgracié de la nature,réunit de la sorte tout ce qui peut déplaire..." [L'alchimie, E. Canseliet, in LeSymbolisme alchimique, p.138, paru dans le Trésor des Lettres, janvier1936] ;

Cado renvoie donc - par cabale - à un corps susceptible de seliquéfier facilement et sans doute pas à l'étain : les chimistesconnaissent bien ces corps très fusibles que constituent lesalcalis. Un autre sens de cado est mourir, disparaître, tomber endisgrâce ce qui explique le début du texte de Cyliani [HermèsDévoilé], certainement allégorique :

"... la position pénible où je me trouvais jetait naturellement une défaveur surmoi... "

Ailleurs, dans le Théâtre de l'Astronomie Terrestre tiré des écritsalchimiques de l'illuminé Edward Kelly, nous trouvons d'autresallusions à une chute :

"Il prophétisa, avant comme après la Chute [cado], que le monde devrait êtrerenouvelé, ou plutôt purifié, par l'eau. Ses successeurs érigèrent enconséquence deux tables de pierre sur lesquelles ils gravèrent un abrégé detous les arts physiques, afin que cet arcane puisse être connu de lapostérité. Après le Déluge [stagnum], Noé trouva l'une de ces tables au pieddu Mont Ararat."

Cette allégorie du Déluge peut se rapporter à la premièreopération sur la matière première, c'est-à-dire à la séparationinitiale provoquée par le 1er agent [l'épée du chevalier] ; la chute, ici,renverrait à la précipitation d'une substance, l'autre restantdissoute dans la liqueur. Ainsi, cassito [pour cassiteris] pourraitn'être qu'un piège fabriqué par Fulcanelli et son disciple ; celapour dire qu'à chaque fois que les alchimistes donnentl'impression de parler « clairement » de la matière première, onpeut être certain que notre premier réflexe sera une erreur... Lemythe de Cybèle, envisagé dans sa symbolique alchimiques'avère complexe. L’allégorie semble renvoyer d’une part àl’Athanor et au vase de nature, d’autre part à la matière première.J. Sadoul [Le Trésor des alchimistes, op. cit., pp. 319-334] pensait qu’ilpouvait s’agir d’un sel double de tartre et de potasse. Il était sur labonne piste mais s'égarait ensuite sur le but à atteindre. Quantaux deux lions de Cybèle, Atalante et Hippomenês, ilssymbolisent les deux composants du feu secret. Atalante renvoieaux légendes béotiennes et arcadiennes. La légende est bienconnue :

Atalante est battue à la course à pied par Hippomenês qui devientson mari. Hippomenês utilise un stratagème pour battre Atalante :Aphrodite lui conseille de semer trois pommes d’or, cueillies dans lejardin des Hespérides, dans la carrière où devait se dérouler la course.Atalante s’arrête par trois fois pour les ramasser et ne peut l’emportersur Hippomenês, qu’elle épouse. Ayant insulté Zeus [mais d’autresdisent Cybèle] en se livrant, dans son sanctuaire à leurs transportsamoureux, les deux époux sont métamorphosés en lions, que Cybèle

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attèle à son char.

On trouve souvent dans les allégories ces chars traînés par deschevaux. Le char, en latin, se dit jugum, qui est aussi laconstellation de la Balance et le sommet d'une montagne [avecidée de hauteur, de cime et idée aussi d’une couleur bleu foncé : violette ιον]. Le char de triomphe représente l'allégorie suivante : il s'agitde l'entrée solennelle à Rome du général victorieux qui monte auCapitole sur un char traîné de chevaux blancs, revêtu lui-mêmede la toga picta et de la tunica palmata, la tête ceinte de lauriers [tenue de Jupiter Capitolin]. La tunica palmata fait référence par tunicaau cocon (coque, coquille) et palmata renvoie à « victoire » etcabalistiquement au mont de la Victoire, c’est-à-dire au Mont-Joiedont Fulcanelli nous parle dans Myst., p. 68 : c’est une allégoriesur la Rosée de mai qui s’élève jusqu’au mont de la Magnésie(Mont-Joie). Le mot coquille donne là encore une indication sur lesujet minéral qui est brillant et étincelant. Là encore, le sommet dela montagne donne une idée de rapprochement entre deuxPrincipes.

Dans l’œuvre hermétique, Atalante symbolise l'un desconstituants du feu secret : elle aime la chasse et les exercicesviolents ; elle est la première à porter un coup mortel au sanglier de Calydon [c'est sans doute Arès qui est caché derrière ce sanglier].

C’était une bête monstrueuse qui ravageait le territoire de Calydon. Iltuait le bétail et terrorisait les habitants du pays. Il fut tué parMéléagre. Méléagre est le fils d’Oenée, roi de Calydon, et d’Althée.Lorsqu’il naquit, les Parques révélèrent à sa mère que son enfantvivrait aussi longtemps que durerait le tison qui brûlait dans l’âtre...Une fois le sanglier vaincu, Méléagre désira offrir les dépouilles àAtalante. Vexés qu’on leur préférât une femme, les frères d’Althéeproférèrent des menaces. Irrité, Méléagre les frappa et les tua. Althée-la mère de Méléagre- reprit alors dans sa cachette le tison,l’enflamma et lorsque s’éteignit la dernière braise, la vie s’échappa ducorps de Méléagre.

On ne saurait être plus explicite... Le sanglier représente Arès etMéléagre, le Mercure philosophique. Le tison est semblable aubâton ou au bourdon du pèlerin de Compostelle : c'est le lien duMercure. Quand le tison s'éteint, le lien lâche et le Mercure sevolatilise, manière pour lui de mourir. Le sanglier est l'une de cesthériomorphoses que l'on retrouve assez souvent dans lesymbolisme hermétique, par exemple dans le Quinta Essentia(Munster, 1570) où il représente le mercure comme matièrepremière. Il apparaît ensuite dans l’Atalanta fugiens de M. Maier(Oppenheim, 1617) sur l’emblème XLI où Adonis est tué.

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M. Maier, Atalanta fugiens, emblème XLI

Pour Dom Pernety, la légende d’Adonis retrace le passage de lapierre au blanc à la pierre au rouge.

Adonis est le fils de Cinyras, roi de Chypre et de Myrrha, transforméeen un arbre à myrrhe. Adonis fut blessé à l’aine par le sanglier etmourut de cette blessure. Son sang se transforma en anémone (lapremière - et éphémère - fleur de Printemps) tandis que le sangd’Aphrodite, venue au secours d’Adonis, qui s’était écorchée dansdes ronces, colorait les roses blanches en roses rouges.

Adonis représente donc l’image de la végétation qui descend auroyaume des morts (putréfaction ou obscurité) pour s’épanouir etfructifier ensuite. C'est encore Python que Cadmos cloue sur lacroix ; il tient le même rôle que la salamandre dans le De Lapide Philosophorum de Lambsprinck : il figure le Sel des Sages tandisqu'Aphrodite est l'Âme ou teinture. Un dernier personnage sedissimule à l'arrière-plan : c'est Ares :

"Adonis. La Fable nous rapporte qu’Adonis fut aimé de Vénus; qu’il fut tué àla chasse par un sanglier furieux, et que Vénus en étant informée, accourutà lui pour le secourir; elle rencontra dans son chemin un rosier à fleursblanches, aux épines duquel s’étant piqué le pied, il en sortit du sang quichangea en rouge la couleur blanche des fleurs. Les Syriens adoraientparticulièrement Adonis, comme les Égyptiens Apis; l’un et l’autresignifiaient la matière Philosophique, qui aimée de Vénus, c’est-à-dire de laLune Philosophique, se réunissent ensemble et se prêtent un secoursmutuel. Isis et Osiris étaient le mari et la femme, le frère et la sœur, le fils etla mère; et les deux histoires sont tout à fait semblables. Un sanglier tueAdonis, Venus y court; Typhon tue Osiris, Isis y accourt : celle-ci ramasseles membres dispersés d’Osiris; Vénus cache Adonis blessé sous une laitue.Tout cela représente allégoriquement ce qui se passe dans le vasePhilosophique, comme le savent les Adeptes. Voyez l’explication de cettefiction dans les Fables Égyptiennes et Grecques dévoilées, T. 2."[Dictionnaire mytho-hermétique]

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Ici, Pernety assimile Adonis et Vénus, respectivement au Soleil età la Lune, dès qu'il évoque Isis et Osiris. Adonis figure le Soufre àl'état de dissolution. Mais en ce cas, le sanglier, loin de figurerArès, doit être Cronos... Revenons un instant aux parentsd’Adonis ; ils ont un rapport inattendu avec le sel des Sages :Cinyras renvoie à Chypre (île de la mer Égée où l’on honorait Vénus). Ilserait trop facile de penser qu'il existe une liaison directe entreChypre et le cuivre ; le cuivre, en latin, aes, a aussi la valeurd'airain, de laiton [M. Berthelot a bien insisté sur le sens vague du motaes, dans son Introduction à la chimie des Anciens]. À Chypre, Plinenous parle encore d'une terre astringente [d'une qualité inférieure à laterre de Chio] qui pourrait avoir un rapport avec l'une des deuxcolombes de Diane. Enfin Cyprium aes, cité par Pline, est du cuivrecyprien [fait avec le minerai nommée cadmie, oxyde de zinc]. Cinyra est encore un instrument à cordes (lyre) et cinnus signifie mixtion,breuvage composé.

Myrrha (ou Smyrna) était la fille de Cyniras et elle conçut un amourincestueux pour son père : elle engendra ainsi un fils qui était aussison petit-fils, Adonis. Réalisant son crime, le roi chassa sa fille etparvenue au sommet d’une colline, Myrrha fut changée en arbre àmyrrhe.

La myrrhe est une gomme-résine (Myrrha = murra = arbrisseau d’oùprovient la myrrhe) et murra est une matière minérale dont on faisaitles vases précieux. Là encore, cette gomme-résine est trèsproche de la terre de Chio et on y devine la « résine de l'or » dontnous parlent de nombreux alchimistes. Notez que l'on retrouveencore cette transformation qui s'effectue au sommet de lamontagne, comme chez Lambsprinck.

On rapprochera cette résine de l'or de ce que Fulcanelli écrit, encomparant la richesse respective de l’or, du plomb et du fer. Del’or, nous dit-il :

Dampierre-sur-Boutonne, caisson n°1, série 7 = les tables de la Loi

"Dépouillé de son manteau, il révèle alors la bassesse de ses origines etnous apparaît comme une simple résine métallique, dense, fixe et fusible..." [DM, II, p. 181]

Et de revenir à la description du sujet des Sages :

"C’est donc à la pierre brute et vile qu’il faut s’adresser, sans répugnancepour son aspect misérable, son odeur infecte, sa coloration noire, seshaillons sordides. Car ce sont précisément ces caractères peu séduisants

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qui permettent de la reconnaître, et l’ont fait regarder de tout temps commeune substance primitive... Mais les philosophes ont découvert qu’en sanature élémentaire et désordonnée, faite de ténèbres et de lumière... ce riencontenait Tout..."

On ne saurait mieux décrire la materia prima. Ce texte est important: outre des caractères descriptifs du sujet des Sages, Fulcanellinous indique que ce n’est pas au sein d’un corps pur que l’ontrouvera la première matière mais il entretient l’équivoque encitant le plomb et le fer. Il faut prendre garde une fois encore auxtextes de l’Adepte et aux interprétations hâtives qui risquent d’endécouler.

Pour finir, il est donc possible que ce mythe d’Adonis etd’Aphrodite ait des rapports avec le vase de nature où s’élaborel’œuvre, après obtention du premier Mercure. Il s'agirait alors d'unmoment du 3ème oeuvre, où, de commun, le Mercure devientdouble par adjonction du Soufre. Quelques critiques ont parlé dusanglier en tant que :

« Mercure philosophique, dont les esprits corrosifs détruisent tout ce qu’onleur donne à dissoudre ».

C'est aussi ce que pense Pernety dans sa description du sanglierd'Erymanthe, qu'il assimile au Mercure des Sages. Mais il sembley avoir méprise quant à l’emploi du terme corrosif auquel nouspréférerions substituer les épithètes de « résolutif, dissolvant». Nousexaminerons plus loin ce point de science. On notera à propos deCybèle que son mythe est inséparable de celui d’Isis et de Cérès.Isis (= Demeter) renvoie à la Terre et, au vrai, à la matièrepremière, Cérès représente la sève sortie de la terre, c’est-à- direla première matière (= crescere = croître, grandir). Isis, Cérès etCybèle constituent le triptyque de début de l’œuvre et comme lesignale Fulcanelli :

"... trois têtes sous le même voile." [Myst., p.81]

Nous ajouterons que l'étude du mythe de Déméter permetd'identifier la matière première et de comprendre qu'elle soit decouleur noire [cf. section sur le rébus de St- Grégoire]. Sur la phraseque nous citons, se clôt l’introduction générale aux Myst., oùFulcanelli se livre à un compendium très travaillé du grand œuvre.

Outre l’intérêt du mythe de Cybèle dans l’analyse des éléments del’Athanor (ou vase de nature), la référence à cette pierre noire dePessinonte est d’une importance capitale. Dans la premièrepréface que donne E. Canseliet, nous trouvons une allusion à unecouleur :

" ... la clef de l’arcane majeur est donnée, sans aucune fiction, par l’une desfigures qui ornent le présent ouvrage. Et cette clef consiste tout uniment enune couleur, manifestée à l’artisan dès le premier travail..." [Myst,

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introduction, p. 13]

Certes, nous avons l’allusion aux Vierges noires et notamment àcelle des cryptes de Saint-Victor à Marseille (planche I des Myst.)mais cela ne suffit pas, car la couleur noire se présente àplusieurs reprises dans l'Oeuvre. Le mythe de Cybèle estinséparable du Pont-Euxin (mer Noire) et la déesse est originairede Phrygie. Pline a laissé dans son Histoire Naturelle des allusionsnettes à la Phrygie ; il y traite notamment des sels. On pourracompléter cette étude par l’examen du traité sur les sels, commecelui de Gay- Lussac. Ces ouvrages permettent de mesurer lesapports incomparables de savants comme Bernard Palissy,rationaliste qui combattait les croyances établies et ne se fiaitqu’aux résultats de ses propres expériences, d'Eilhard Marggraf(1709-1782), apothicaire et chimiste allemand, qui découvrit lamagnésie, tant citée par les alchimistes et dont le nom est surtoutattaché à l’extraction du sucre de betterave, d'Eilhard Mitscherlich(1794-1863) qui découvrit l’isomorphisme, de Pierre-JosephMacquer (1718-1784) qui s’intéressa au bleu de Prusse et à lateinture de la soie par la cochenille, d’Alfred Werner (1866-1919),chimiste suisse et prix Nobel en 1913 dont les beaux travaux leconduisirent à introduire le concept de coordinence. À propos debetterave, Fulcanelli y fait référence quand il évoque les apportsde Blaise Pascal :

"Il serait intéressant de savoir pourquoi nos enfants, entre tant d'admirablesdécouvertes dont ils ont sous les yeux l'application quotidienne, connaissentplutôt Pascal et sa brouette, que les hommes de génie auxquels nousdevons la vapeur, la pile électrique, le sucre de betterave et la bougiestéarique." [DM, I, p.76]

Il s'agit d'une allusion directe à l'un des moyens d'obtenir l'un descomposants du feu secret (1) : c'est dans l'une de ces phrasesd'apparence trompeuse que l'on trouve les clefs fondamentalesqui permettent à l'étudiant de progresser ; l'invention de la bougiestéarique est due à Eugène Chevreul [1, 2] dont l'intérêt pourl'alchimie a toujours été très vif.

10)- la salamandre et le renard

Le vase de nature est la clef sans laquelle rien ne peut êtrecompris du Grand œuvre. Il y a certes plusieurs vases ouréceptacles qui servent à entreposer les divers corrosifs et sels(esprit de sel, huile de vitriol, huile de tartre, eau de soufre, etc.) mais il n’ya qu’un seul vase, dit de nature, dans lequel va naître et croître laPierre. Ce vase, Fulcanelli l’aborde en ses Myst. (p.183) lorsqu’ilexamine le Vaisseau du Grand Oeuvre, à l’Hôtel Lallemand. Cevaisseau indispensable et secret a été appelé « œuf philosophal etLion vert ». Il renferme le rebis philosophal, formé de blanc et derouge ce qui est une indication exacte, à la manière d’un œuf

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d’oiseau. Il est cependant incontestable que la partie blanchel’emporte et de loin sur la partie rouge. La partie introductive desMyst. nous aidera à y voir plus clair ; Fulcanelli nous y décrit ceque devait être une initiation dans un temple voué à Cybèle ou àCérès. Rappelons au passage que le prêtre qui officiait au templede Cybèle et d’Attis était appelé « Galle ». Les ministres du cultese répartissaient en quatre degrés et l’on portait dans lesprocessions un œuf, symbole du monde. A Rome, on appelait cesprocessions les Céréalies ; elles se déroulaient alors que le Soleilétait dans le signe du Bélier et elles duraient huit jours. On ysacrifiait des porcs. Dans son Alchimie, J. Van Lennep nousprécise qu’en néerlandais, le sanglier se dit wild zwijn,littéralement porc sauvage. Cela nous ramène à l’emblème XLI del’Atalanta fugiens et dévoile un peu mieux la nature hermétique dusanglier : il s’agit bien du Mercure dans son 1er état, non assagi,c'est-à-dire et de façon paradoxale, non animé. Car c'est de sonanimation que procède son contrôle.

Notre-Dame de Paris, portail central, la Persévérance

a)- De l’œuf philosophique

Fulcanelli décrit la planche XII, au porche central de Notre-Dame[figure XXVI ; il s'agit de l'un des médaillons des Vices et des Vertus : laPersévérance, cf. Gobineau] : " l’athanor et la pierre". On notera audébut du IVe chapitre, une allégorie de la durée de la coction etdes indices d’un feu soutenu et puissant :

"Balayés par les vents d’ouest, sept siècles de rafales... ont effrités [lesmotifs]..." [Myst., p. 115]

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À un siècle, en langage hermétique, correspond un jour ou plutôtune génération. Il s’agit d’une indication concernant l’œuvre aurouge ainsi qu’en témoigne l’allusion au griffon : il symbolise lerésultat de la réincrudation du Soufre, désormais corporifié et du sel: le griffon emprunte sa tête et sa poitrine à l’aigle et au lion lereste du corps. Les corps se sont fixés et nous avons passé lestade des combats dont nous parlions supra. Le vent d'ouest,c'est-à-dire Zéphyre, atteste de cette évolution ; quant aux septsiècles, ils renvoient indirectement à Apollon ; il n'est pas jusqu'auterme « effrité » qui n'évoque quelque fondant bien connu despotiers... :

"[il s’agit de] l’un des emblèmes majeurs de la science, celui qui couvre lapréparation des matières premières de l’Oeuvre... Le griffon marque lerésultat de l’opération... Du combat que le chevalier, ou soufre secret, livreau soufre arsenical du vieux dragon, naît la pierre astrale, blanche, pesante,brillante comme pur argent, et qui apparaît signée..." [DM, II, p.274-277]

[En fait, nous pensons qu'il y a deux matières premières. L'une, symboliséepar des adjectifs comme « brillant, resplendissant », et dont l'art se sert enronde bosse ; les Anciens utilisaient surtout les flambeaux et Fulcanelli nousdit que lors des processions, c'était des cierges verts qui étaient utilisés[κερος] ; c'est cette substance qui a une couleur blanche ; l'autre est uneterre cimolienne d'où l'on extrait deux substances qui sont d'essence divine.La confusion entre les deux matières est entretenue du fait que la blancheurles caractérise toutes les deux ; µαρµαρος pour l'une et αργινοειςpour l'autre, dévoilant ainsi l'hydrargyre philosophique.]

Cette Pierre au blanc, on en peut même donner l’exactedescription : c’est une fine poudre blanche à l’état anhydre et,hydratée, elle forme un précipité gélatineux. C'est un corpsindifférent qui est évoqué directement par Fulcanelli dans sadescription de l'église de Melle, dans les DM, II à l'Embrasement. Elle tient véritablement de l’acier par sa consistance et de lasalamandre par sa résistance au feu. Voici l’occasion des’attarder sur le symbolisme de la « bête à feu » : Là encore,Fulcanelli nous sera d’un grand secours

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Notre-Dame de Paris, portail central, la Chasteté

puisqu’il décrit l’animal figurant au porche central de Notre-Damesur la planche VIII [ce bas-relief se nomme la Chasteté, cf. Gobineau] etla légende indique : « calcination ». C’est tout dire. Il s’agit :

"[du] sel central, incombustible et fixe, qui garde sa nature jusque dans lescendres des métaux calcinés, et que les Anciens ont nommé Semencemétallique."

Mais là encore, nous le répétons, il peut y avoir confusion entreles deux natures. Les cendres des métaux calcinés désignent ceque les anciens chimistes appelaient les chaux métalliques, quenous caractérisons par l'idéogramme .

b)- de l'animation du Mercure.

Il nous faut parler à présent d’une étape non décrite jusque là, quirésulte de l’animation du Mercure. C’est de ce combat dont parleSavinien De Cyrano Bergerac dans une partie de son Histoire comique, contenant les Estats et empires du soleil (Paris, Charles deSercy, 1662). Fulcanelli rapproche ce combat d’une lutte à outrancede créatures dissemblables. Voici le texte auquel se réfèrel’adepte :

" Au monde de la terre d’où vous êtes, et d’où je suis, la bête à feu s’appellesalamandre, et l’animal glaçon y est connu par celui de remore. Or voussaurez que les remores habitent vers l’extrémité du pôle, au plus profond dela mer glaciale ; et c’est la froideur évaporée de ces poissons à travers leursécailles, qui fait geler en ces quartiers-là l’eau de la mer, quoique salée. Laplupart des pilotes, qui ont voyagé pour la découverte du Groenland, ontenfin expérimenté qu’en certaine saison les glaces qui d’autres fois lesavaient arrêtés, ne se rencontraient plus ; mais encore que cette mer fût libredans le temps où l’hiver y est le plus âpre, ils n’ont pas laissé d’en attribuer

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la cause à quelque chaleur secrète qui les avait fondues ; mais il est bienplus vraisemblable que les remores qui ne se nourrissent que de glace, lesavaient pour lors absorbées. Or vous devez savoir que, quelques mois aprèsqu’elles se sont repues, cette effroyable digestion leur rend l’estomac simorfondu, que la seule haleine qu’elles expirent reglace derechef toute lamer du pôle. Quand elles sortent sur la terre, car elles vivent dedans l’un etdans l’autre élément, elles ne se rassasient que de ciguë d’aconit, d’opium etde mandragore... Cette eau stigiade de laquelle on empoisonna le grandAlexandre et dont la froideur pétrifia les entrailles, était du pissat d’un de cesanimaux. Enfin la remore contient si éminemment tous les principes defroidure, que, passant par-dessus un vaisseau, le vaisseau se trouve saisidu froid en sorte qu’il en demeure tout engourdi jusqu’à ne pouvoir démarrerde sa place. C’est pour cela que la moitié de ceux qui ont cinglé vers le nordà la découverte du pôle, n’en sont point revenus, parce que c’est un miraclesi les remores, dont le nombre est si grand dans cette mer, n’arrêtent leursvaisseaux. Voilà pour ce qui est des animaux glaçons."

Nous avons pointé les passages qui nous ont semblé les plusimportants. Comme d’habitude, nous serons obligé de passer parquelques digressions et de nous arrêter aussi sur le rémora. La salamandre symbolise l'un des composants issus de l'attaque du dragon écailleux [pris dans le sens de vieux Mercure]. C'est l'occasiond'évoquer la difficulté d'interprétation des textes quand l'auteurveut tenir le bon chemin sciemment caché : ainsi, lorsqueFulcanelli évoque la salamandre dans Myst., p. 181 par le mythede Tristan de Léonois [groupe de Tristan et Yseult, dans la chambre duTrésor du Palais Jacques-Coeur], il confond la première opération del’œuvre [l’obtention du premier Mercure par séparation initiale] avec lesopérations qui conduisent à l’obtention du dissolvant universel. Ilvaut qu'on s'arrête sur ce passages des Myst. où Fulcanelli semontre particulièrement envieux :

"C'est Cadmos perçant le serpent contre un chêne ; Apollon tuant à coupsde flèches le monstre Python et Jason le dragon de Colchide ; c'est Horuscombattant le Typhon du mythe osirien ; Hercule coupant les têtes del'Hydre et Persée celle de la Gorgone ; Saint Michel, Saint George, SaintMarc terrassant le dragon, répliques chrétiennes de Persée, tuant le monstregardien d'Andromède, monté sur son cheval Pégase ; c'est encore le combatdu renard et du coq... celui de l'alchimiste et du dragon [Cyliani], de larémore et de la salamandre [De Cyrano Bergerac], du serpent rouge et duserpent vert, etc."

Au coeur du labyrinthe hermétique, comment les néophytes neseraient-ils pas découragés, sans le repère de l'étoile du Nord ?Etablissons un semblant de vérité : les allégories de Cadmos, lescombats des bêtes dissemblables s'adressent au 2ème oeuvre età la préparation du Mercure philosophique ; le combat contre leDragon est l'allégorie consacrée à l'obtention des matièrespremières par le biais d'un agent igné qui n'est pas celui utilisédans le feu secret ; tout les oppose au contraire et de leur union naîtra un corps sans vie, indifférent à tout. Dans les DM, I, p. 31, E. Canseliet, dans la préface de la 2ème

édition (1958) indique que l’ouvrage débute par la salamandre del’Hôtel du Bourgtheroulde (XVIe siècle) à Rouen, posé en

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frontispice et se termine avec le Sundial d’Édimbourg en manièred’épilogue : c’est indiquer exactement le résultat de l’œuvre aublanc et la nature saline de certains des composants du Lion vertou encore la forme que peut acquérir la Pierre au rouge dans certaines conditions. Profitons-en pour signaler dans les DM, I, p.250, une chausse-trape tendue à nouveau par l’Adepte : il créeune confusion entre le feu secret et le résultat de la destruction[i.e. la mort, dissolution ou véritable putréfaction] du dragon écailleux. Lediscours s’éclaircit néanmoins à la citation de Limojon deSaint-Didier, extraite de la Lettre aux vrays disciples d’Hermès (in le Triomphe hermétique, Henry Wetstein, Amsterdam, 1699) :

"Je vous plaindrois beaucoup si comme moy, apres avoir connu la véritablematière, vous passiés quinze années entierement dans le travail, dansl’estude et dans la meditation, sans pouvoir extraire de la pierre le sucprecieux qu’elle renferme dans son sein, faute de connoistre le feu secretdes sages, qui fait couler de cette plante seiche et aride en apparenceuneeau qui ne mouille pas les mains" [DM, I, p. 250]

Si nous examinons l’étymologie de salamandre, salamandra estemprunté au grec ; au XVIe siècle, Paracelse indique que cetanimal vit dans le feu ; au XIXe siècle, c’est le nom d’une marquede poêles puis le nom d’un type de poêle à combustion lente. Onne suivra pas Fulcanelli dans le labyrinthe où il mène le lecteurpar la réduction du mot salamandre en : sal et mandra. En effet, par cabale sel et mandra donne αλς + µανδρα [écurie, étable],c'est-à-dire le salpêtre... Nous laisserons au lecteur tout loisirpour approfondir ce dernier point et discuter de savoir si l'on peutvoir dans la salamandre le salpêtre des Sages. M. Maïer, en sonAtalanta fugiens, nous montre la salamandre dans l'emblème XXIX.Il est vrai que la Pierre doit être menée au plus haut point de lafixité et de résistance au feu ; encore faudrait-il s’entendre sur laqualité et la couleur de la Pierre en ce moment précis de l’Oeuvre.Nous reprendrons à cet effet le De Lapide Philosophorum de Lambsprinck à la dixième figure où la légende indique :

"Réitération, gradation et amélioration de la Teinture, ou plutôt Augmentationde la Pierre des Philosophes"

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De Lapide Philosophorum, decima figura, Musaeum Hermeticum, p. 361

Le texte annexé à la légende dit assez clairement que lasalamandre, percée de coups, doit d’abord mourir ; elle habite lamontagne et doit passer par l’attaque de plusieurs feux :

"De sorte qu’elle meurt et laisse écouler la vie avec son sang... Elle gagnepar son sang une vie éternelle - Et ne peut plus périr d’aucune mort aprèscelle-ci... Car son sang chasse toute maladie...Les Sages y ont puisé leurScience - Et par là sont parvenus au don céleste - Qu’on nomme Pierre desPhilosophes... La Salamandre vit dans le feu - Et le feu l’a changé en unecouleur excellente" (in la Pierre Philosophale, G. Ranque, op. cit., pp. 178-179).

L’allégorie est claire : la salamandre, qui participe du sujetminéral, doit d’abord en être extraite, d’où sa mort initiale ; suite àquoi, elle renaîtra en un corps de couleur blanche, fixe qui a étéévoqué supra. Dans les DM, II, p. 129 et sq., Fulcanelli nousprécise que la salamandre sulfureuse symbolise l’air et le feu dontle Soufre possède la sécheresse ainsi que l’ardeur ignée, et lerémora, le champion mercuriel qui possède des qualités froides ethumides. Ici, la salamandre, dont on a vu qu’elle correspondait au1er Mercure, se corporifie. Si l'on examine bien la gravure deLambsprinck, on voit que le personnage est muni d'un trident : ils'agit de Neptune et ce que nous observons correspond à deslavages ignés [les Laveures de N. Flamel], époque de l'oeuvrereprésentée par le régime de Jupiter, où la matière - selonPernety - apparaît grise. Dans la lettre que cite E. Canseliet dansla préface à la 2ème édition des Myst., pp.18-20, il est spécifié que:

"Celui qui sait faire l’œuvre par le seul mercure a trouvé ce qu’il y a de plus

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parfait, - c’est-à-dire a reçu la lumière et accompli le Magistère."

Il semble bien qu’en fait, deux substances soient appeléesMercure ou Soufre en fonction de leur qualité [liquide ou solide] ou de leur couleur [blanche ou rouge]. Les alchimistes ont d’ailleurs ditque deux matières étaient nécessaires à l’ouvrage, un minéral etun métal. Il y a donc lieu d’être prudent et il est presque certainqu’à un moment donné, le métal, qui doit correspondre au Soufre,est incorporé au Mercure ; dans un premier temps, le Mercure, àl’état hydraté, doit apparaître sous une forme pâteuse ougélatineuse après sa séparation du sujet minéral, lequel estproprement détruit lors de cette opération ; ce Mercure, ensuite,devient anhydre et il possède alors une qualité qui le rapprochedu soufre et du principe fixe. C’est peut-être ce qu’évoqueFulcanelli sur du soufre corporifié :

"C’est pourquoi les Sages, sachant que le sang minéral dont ils avaientbesoin pour animer le corps fixe et inerte de l’or n’était qu’une condensationde l’Esprit universel, âme de toute chose ; que cette condensation sous laforme humide, capable de pénétrer et rendre végétatifs les mixtessublunaires, ne s’accomplissait que la nuit, à la faveur des ténèbres, du cielpur et de l’air calme... les Sages, pour ces raisons combinées, lui donnèrentle nom de rosée de Mai" [ Myst., p.138]

Ce texte ne peut s’appliquer qu’au dissolvant universel. Le sangminéral correspond à une chaux métallique à l'état dissous ;l’Esprit universel se rapporte à l’Ether (= Jupiter) ; la rosée de mai et surtout les qualités du ciel (pur, calme) sont encore des symbolesse rapportant à Jupiter (Maius : mois de Jupiter). On aura garded'oublier enfin que la rosée de mai ne se forme jamais que partemps de nuit calme [arcana nox] ; il s'agit là d'une indication. Lerémora (du latin remora, qui retarde) des auteurs classiques tire sonorigine hermétique du fait que les Anciens le croyaient capabled’arrêter un navire. Il symbolise le point central et fixe du Mercure; il doit être rapproché d’autres termes utilisés par les Anciens,tels que lupus (mors armé de pointes et non loup) et Chalybs (morsd’acier), homonyme de Chalybes, désignant le peuple du Pont,renvoyant à l’eau pontique, c'est-à-dire au Mercure. Ces termesse rapportent au lien du Mercure qui empêche une évaporationprécoce [cf. sections :Mercure , héraldique et alchimie] On notera pourfinir que ce lien [καλινος] se rapproche de moellon ou pierremeulière [καλιξ].

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Dampierre-sur-Boutonne, caisson n°3, série 3

"... [l’eau pontique], notre mercure, la mer repurgée avec son soufre... l’eaude notre mère, c’est-à-dire de la matière primitive et chaotique appelée sujetdes sages..." [DM, II, p. 205]

Le rémora apparaît donc soit comme le symbole d’un agentfixateur soit comme le symbole de la fixation elle-même :

"C’est aussi, selon la version du Cosmopolite, le poisson sans os, échénéisou rémora qui nage dans notre mer philosophique..." [DM, I, p. 322]

Ce poisson, il nous faudra le préparer, l'assaisonner et le cuire ; «échénéis » se rapproche d'un mot crypté dans un texte attribué àArtephius (Livre Secret) et à N. Flamel (cf. Figures Hiéroglyphiques, note 123). Il est diversement comparé à la fève (noir bleuâtre), à uncocon (tunica = coque, coquille), au chabot, petit poisson noirâtre, aubasilic, i.e. regulus ou petit roi, à la sole

[poisson, solea = sandale, pantoufle, garniture de sabot, sabot - on notera que Fulcanelli, dans le Myst. Cath. parle du sabot : il s'agit d'un jeu de cabale sur le crapaud, par le biais de βατραχιου qui désigne la partiesupérieure du sabot d'un cheval, la grenouille ou un poisson plat. C'est assez dire si le chabot désigne l'un des états du Soufre rouge desphilosophes].

La couleur bleu foncé habituellement associée au rémora évoquel’azur du sommet des montagnes (caerula). Le rémora est aussiassimilé au dauphin (petit roi). Enfin tous ces termes, qui évoquentune couleur violette, se rapportent aux caractères des métauxbrûlés, c'est-à-dire à des chaux métalliques [ιος]. Une desgravures de Lambsprinck évoque cet animal :

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De Lapide Philosophorum, nona figura, Musaeum Hermeticum, p. 359

Il s’agit de la 9ème figure où l’on voit un vieillard couronné,terrassant un dragon et portant une Terre, un bourdon [ousceptre] et la figure du dauphin, à sa gauche. Le trône montreassez l’analogie avec l’athanor, avec l’escalier figurant les degrésrequis pour la coction hermétique (7 marches), l’évasement du bas,voûté, enfin, sur lequel il n’y a pas lieu de s’étendre et qui figure lefoyer de l'athanor.

texte (extrait) :

"Je donne la puissance, la santé durable - Et en outre l’or, l’argent, lesgemmes et les pierres précieuses... Hermès m’a octroyé le nom de Seigneur

des forêts"

légende :

"Si la fortune voulait de Rhéteur tu deviendrais Consul. Si aussi elle voulait,de Consul tu deviendrais Rhéteur. Comprends que le premier Degré de la

Teinture est réellement apparu" (in G. Ranque, op. cit., pp. 176-177).

La forêt constitue la chevelure de la montagne ; en lui permettantde provoquer la pluie, elle donne une indication sur les bienfaitsdu Ciel qui dispense la Rosée de mai : il s'agit d'une évocation deJupiter et des Dryades, notamment Eurydice. Dans les DM, II,p.129, nous avons vu que le rémora est comparé à l’échéneis duCosmopolite ou au pilote de l’onde vive, à l’énergie ignée de lasalamandre. Le processus de coagulation du Mercure est souventsymbolisé par une ancre marine :

"La longue opération qui permet de réaliser l’empâtement progressif et lafixation finale du Mercure, offre une grande analogie avec les traverséesmaritimes... Le dauphin nage à la surface des flots impétueux, et cette

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agitation dure jusqu’à ce que le rémora... arrête enfin, comme une ancrepuissante, le navire allant à la dérive" [DM, II, p. 187]

Fulcanelli nous dresse ainsi un processus de cristallisationprogressif où par l’action du rémora dont le dauphin représente lerésultat provisoire de même que la sirène [caisson n°3 du château deDampierre, septième série] se réalise la coagulation du Mercure. Parlà est évoqué le lien du Mercure, soufre fixe [à rapprocher de uncus =grappin, crochet et de uncino = pêcher à l’hameçon ; en grec, le grappin se dit κοραξ, qui signifie corbeau]. De là, ces ancres, ces pêches à laligne que l’on retrouve sur les planches du Mutus liber ou sur lepoêle alchimique de Winterthur. L’ancre [ancora] peut aussi êtrerapprochée de ancon [coude, crochet] qui nous explique l’allusion àla cubitière d’un des caissons du château de Dampierre (caissonn°5, sixième série) : une main céleste, dont le bras est bardé de fer,brandit l’épée et la spatule. Sur le phylactère, on lit :

.PERCVTIAM.ET.SANABO.

« Je blesserai et je guérirai », parabole de la conjonction du soufre etdu mercure.

Dampierre-sur-Boutonne, caisson n°5, série 6

"Nous pourrions faire une intéressante remarque au sujet du moyen, ouinstrument, expressément figuré par le brassard d’acier dont est muni le brascéleste... nous... préférons laisser à qui voudra s’en donner la peine le soinde déchiffrer cet hiéroglyphe complémentaire." [DM, II, p. 167]

Cet hiéroglyphe est évoqué dans héraldique et alchimie. Ce moyen , ce n’est pas la première fois que l’Adepte en parle :

"C’est l’unique matière dont nous avons besoin. En effet, cette eau sèche,quoique entièrement volatile, peut, si l’on découvre le moyen de la retenirlongtemps au feu, devenir assez fixe pour résister au degré de chaleur quiaurait suffi à l’évaporer en totalité... son endurance au feu... lui font attribuerle renard." [Myst., p. 140]

Même chose dans Cyliani :

"Je vis alors un nuage qui sortait du sein de la terre, qui nous enveloppa etnous transporta dans l'air. Nous parcourûmes les bords de la mer oùj'aperçus de petites bosses." [Hermès Dévoilé]

Ce renard a un rapport avec la salamandre et explique l'allégoriequi lui est prêtée dans la IIIe Clef de B. Valentin. Il s'agit du

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symbole de l'artifice ou ruse qui permet de fixer le Mercure avantqu'il ne se dérobe par sublimation [c'est l'équivalent du filet deVulcain]. Ailleurs, cette autre allusion à propos de la planche del’Hôtel Lallemant (cf. supra). Georges Ripley (mort en 1490), chanoine de Bridlington, rassemblason savoir dans le Compound of Alchemy ou les Douze portesd’Alchimie (d’abord édité à Londres, en 1591), puis sous le titre (Cassel, 1649), traduit en français en 1979 (Bernard Biebel). Voici cette note :

"Il n’entre qu’un seul corps immonde dans notre magistère ; les Philosophesl’appellent communément Lion vert. C’est le milieu ou moyen pour joindre lesteintures entre le soleil et la lune." [Liber 12 Portarum]

idem chez Artéphius [Livre secret]. Il nous faut comprendre queles corps du soleil et de la lune doivent être conjoints. Cetteconjonction ne peut se faire sans l’aide d’un milieu adéquat, quiest véritablement le Mercure philosophique. Mais ici, le moyendont parle Ripley n'est pas le lien du Mercure [on reviendra plus loinsur un extrait capital des DM, I, pp. 382-385). Le moyen ou milieu [dansle sens littéral de « ce qui sert pour arriver à une fin »] peut se traduirepar via ou consilium

[via = passage, conduit, canal, moyen, procédé, méthode mais aussichemin, voie, route ; consilium = réflexion, prudence, stratagème ; viator = messager, appariteur].

L'une des acceptions, « canal » trouve sa signification, de primeabord insolite, avec E. Canseliet. Voilà un extrait de la portealchimique de la villa Palombara, à Rome :

"De ce que virent,en ce quartier Esquilino, Cancellieri d'abord, en l'an 1806,Bornia ensuite, treize lustres plus tard, voici donc la photographie surlaquelle on remarquera, qui surmonte la muraille, le chaperon de tuiles ditescanal, qualifiées aussi rondes ou romaines."

L’allégorie s’éclaire parfaitement : le Mercure philosophique oùfigure le Compost (le soleil et la lune des philosophes) est un milieudissolvant et résolutif ; les avatars subits par ce composé sontsouvent racontés par les alchimistes dans des récits allégoriques,de voyage initiatique par exemple, où les Adeptes eux-mêmes seprennent comme hiéroglyphe du Mercure [cf. le voyage de N. Flamelà St Jacques de Compostelle]. Mais il y a plus : on se souvient de laFIGURE XXIX dont le texte parle de consul et de rhéteur. Le consul,un des magistrats chargés du pouvoir exécutif, réfléchit, prenddes résolutions, des mesures tandis que le rhéteur (rhetor = orateur)est expert dans l’art de la persuasion (convinco = vaincreentièrement). Les grands discours, l’éloquence, les beaux parleurs,les gloseurs (discutio = fendre, fracasser mais aussi dissoudre) ensomme, nous en trouvons un bon exemple dans La Toyson d’Or de Salomon Trismosin (5ème figure), cité par E. Canseliet, dans sonAlchimie (, in Atlantis, 1934) dont voici le texte :

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"Portant ainsi, sur une branche supérieure, un oiseau noir, l’arbre symbolise,plus clairement encore, cette racine métallique qui résiste à merveille aupouvoir d’oxydation, et qui assure, dans l’harmonie, la naissance ducorbeau, de cette terre obscure et nettement distincte de la partiesous-jacente, blanche et volatile. Deux hommes, âgés et remplisd’expérience, discutent, avec animation, sur le problème de la capture pourlaquelle vigueur et habileté sont nécessaires." [L’arbre alchimique, p.105-125]

La Toyson d'Or de Salomon Trismosin, 5e figure, André le Sage

Discussorius signifie dissolvant et résolutif. On voit que le vieillard -auquel on attribue trop souvent le caractère propre au sujet dessages - représente en réalité le Mercure qui va s’animer. Nousrevenons à présent au renard. Il s’agit du symbole du stratagèmeou artifice par lequel on arrive à maintenir ou à retenir à l’étatdissous un corps qui devrait normalement se volatiliser sous unfeu très nourri. De ce renard, il est question dans Myst., p.163,lors de l'examen du porche central de la cathédrale d’Amiens.Cette allégorie est chère à Basile Valentin. Dans le quatre-feuillesdécrit par Fulcanelli, un coq se tient perché sur une branche dechêne. Sous cette allégorie se cache la dissolution des corps,symbolisés par ce coq de « Galle » qui a pour pendant le kermèsde la galle du chêne. C'est le prélude à la réincrudation ; à partir delà commence véritablement l’accroissement de la pierre «végétale». Redisons donc ici que le Sel (Mercure des philosophes ouSoufre blanc) est une poudre blanche et que son autre symbole estla salamandre. Cette teinture sèche ne peut pas être utilisée enl'état et elle nécessite une dissolution pour permettre saconjonction avec le Soufre rouge. C’est donc bien justement quel’Adepte préconise de :

"… redissoudre cette terre ou ce sel dans la même eau qui lui a donné

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naissance, ou, ce qui revient au même, dans son propre sang, afin qu’elledevienne une seconde fois volatile, et que le renard reprenne la complexion,les ailes et la queue du coq... Ainsi naîtra la première pierre, non absolumentfixe ni absolument volatile, toutefois assez permanente au feu, trèspénétrante et très fusible..."

C’est l’union du fixe et du volatil tel qu’il s’exprime au porchecentral de Notre-Dame (Myst., planche XVI, p.86 : bas-reliefreprésentant la Douceur, cf. Gobineau). C’est le manteau ou Sel desastres, nous dit Basile Valentin, qui suit ce soufre céleste :

" ... et les faict voller comme un oyseau, tant qu’il sera besoin, et le coqmangera le renard, et se noyera et estouffera dans l’eau, puis, reprenant viepar le feu, sera [afin de jouer chacun leur tour] dévoré par le renard "

Il est difficile d’exprimer un processus au départ réversible donttout l’art, précisément, consiste à le rendre irréversible : c'est lacoagulation progressive en masse. Exacte réplique de la fable del’aigle et du lion ou de la rémore et de la salamandre. Lerajeunissement du roi si l’on préfère (Myst., p.181) -dont l'épithètehermétique est la réincrudation- provient de l’action de cedissolvant universel dont peu d’Adeptes ont parlé, mis à partArtephius ou Pontanus. J. Van Lennep rappelle que :

" Canseliet se référant à la cabale linguistique dont il fut un expert,rapprocha le nom du coq de celui du kermès donnant la teintureécarlate..." [Alchimie, p. 199]

Malheureusement, J. Van Lennep ne donne aucun commentairesur le sens à accorder à ce rapprochement. Pour s'aider àcontourner la difficulté, on se tournera vers E. Kelly. On trouve en effet une figure très semblable à celle de la IIIe Clefde B. Valentin dans le Théâtre de l'Astronomie Terrestre d'Edward Kelly au chapitre sixième consacré à l'Exaltation de l'Eau Mercurielle :

E. Kelly, Théâtre de l'Astronomie Terrestre

Près de l'urinal, un Lion vert arrache un morceau du dos d'un Lion rouge, autre variante du fixe et du volatil... On peut trouver une

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semblable analogie avec le blé dont on connaît l’importance dusymbolisme en alchimie ; tout comme il existe une noix de galle,maladie de la feuille de chêne, le blé à aussi sa maladie, quis’appelle la nielle ou rouille du blé. Sa racine renvoie à rubig, robigou robigo. C’est une divinité peu connue, Robigus, à laquelle unculte était rendu dans le souci de défendre les blés contre cettemaladie. L’adjectif français rubigineux évoque ce qui est couleurde rouille et la rubine (ruber) était l’ancien nom de divers corpschimiques de couleur rouge. Nous noterons pour finir avec lanielle, qu'elle se traduit par nebula dont le sens signifie obscuritéset ténèbres.

11)- les hiéroglyphes célestes

Le superbe emblème de Limojon de Saint-Didier [frontispice duTriomphe hermétique, ou la Pierre philosophale victorieuse, Amsterdam,Henry Wetstein, 1699], reproduit ci-dessous, nous montre les troispremiers signes du zodiaque suivant l'équinoxe de Printemps.

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frontispice du Triomphe hermétique, Limojon de saint Didier

a)- les alchimistes ont écrit que les travaux hermétiques devaientdébuter à l'équinoxe de Printemps, époque où sont réunies lesconditions optimales « d'influx astral ». Ces signes zodiacaux sontdécrits par Fulcanelli () quand il aborde le portail nord de lacathédrale de Paris :

"On rencontre en premier lieu, et de bas en haut, Ariès, puis Taurus, et,au-dessus, Gemini. Ce sont les mois printaniers indiquant le début du travailet le temps propice aux opérations." [Myst., p. 137]

Il s'agit là d'une pure cabale : il s'agit des trois principeshypostasiés par ces constellations.

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- le Bélier ou Jupiter Ammon ; nous attirons l'attention du lecteur surle piège possible tendu ici par Fulcanelli quant à l'équivalenceposée entre Jupiter et l'étain. L'examen des textes - en particulierles Figures hiéroglyphiques - est sans équivoque à ce sujet etdonne à penser que, derrière le symbolisme de Jupiter, pourraitse cacher celui de la Justice, Thémis, qui permettrait decomprendre pourquoi cette déesse occupe une place siimportante dans l'iconographie (Clef VII de B. Valentin, frontispice du lut de Sapience de M. Faust) ; en outre, le Bélier masque sans doutele sel des Sages [dont le nom vulgaire est le vitriol, quelle que soit sacouleur ; on peut en rapprocher la terre de Chio, la terre cimolienne et sansdoute aussi la pierre à Jésus] par le biais d'Aries.

- le Taureau ou Vénus (= cuivre). cf. Fulcanelli :

"Saint-Pierre, nul ne l'ignore, fut crucifié la tête en bas..." (Myst., p. 165) ;

Le taureau est [cf. le Tarot alchimique, lame du Monde] l'animalconsacré à saint Paul. Il faut compléter cette citation d'uneallusion aux gnomes dans les DM, I, p. 367 sur lequels on vabientôt revenir. Dans la mythologie, on connaît la légende desCercopes :

ces gnomes, à la fois malicieux et malfaisants, enfants de Théla,osèrent un jour s'attaquer à Heraclès ; le héros n'eut aucun mal à lesattraper et à les attacher la tête en bas à un bâton. Par la suite,comme ces gnomes poursuivaient leurs mauvaises actions, Zeusdécida de les transformer en singes.

Vénus en se renversant : se transforme en Terre, non par

référence à l'antimoine mais par rapport au sujet dont on extraitl'un des composants du feu secret. E. Canseliet estime que cesymbole n'est autre que celui de la stibine, désigné par lesAnciens comme leur étoile. Mais, ce sel d'antimoine, Fulcanellipense qu'il renvoie lui-même à l'albâtre des Sages. Ce renversementpolaire qualifie un sel double : à l'endroit, la prima materia qui permet de le préparer, et à l'envers, le résultat de cette opérationqui n'est autre que le Caput, obtenu par la séparation du sujetinitial sous l'influence du 1er agent [huile de tartre per deliquum,salpêtre, foie de soufre].

"C'est, en quelque sorte, la description type des catastrophes périodiquesprovoquées par le renversement des pôles... L'arche salvatrice nous semblereprésenter le lieu géographique où se rassemblent les élus à l'approche dela grande perturbation." [DM, II, p. 339, le Déluge]

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L'arche de Noé », fresque de la nef de St-Savin-sur-Gartempe (Vienne) ©M.Deneyer/CIAM

chez Cyliani :

"Une comète, qui a été en premier lieu une nébuleuse peut par son action ens'approchant trop près d'une planète soulever ses eaux, donner lieu à undéluge en abaissant ou relevant son axe, ce qui change le lit des mers, metà jour ce qui était couvert par les eaux..." [Hermès Dévoilé]

De même, cette autre allusion d'un sens plus exotérique, d'E.Canseliet :

"Retourné sur sa croix, le signe de la Terre devient celui de Vénus, de cetteAphrodite que les adeptes désignent, plus précisément comme étant leursujet minéral de réalisation." [DM, I, p. 24, seconde préface]

Le glossaire des DM renvoie p.197 à une note sur Aphrodite où cenom ne figure pas ; Il s'agit en fait du tome II des DM, p.197 ; enrevanche le chapitre qui s'y rattache, Alchimie et spagyrie, est trèsriche d'enseignement. Fulcanelli y passe en revue les différentsmétaux, l'usage que l'on en peut faire en spagyrie ; il rapproche la spagyrie de l'antique Alchimie (« l'aïeule réelle de notre chimie estl'ancienne spagyrie», DM, I, p. 176) puis cite Zosime et Ostanès - dontnous parlons ailleurs, notamment à l'occasion de l'Eau Divine de Zosime [cf. aussi Chevreul et Berthelot] -, considère qu'il y avait alorsdeux ordres de recherche dans la science chimique : la spagyrieet l'archimie [dont parlent très bien J. Sadoul et B. Husson]. Certainsmot-clefs sont cités, tels que céramiste, verrier, émailleur etpotier. Fulcanelli reconnaît aux archimistes - dans le jargon, les «petits particuliers », un peu comme les grands joueurs d'échecsappellent des joueurs de club modestes, des « pousseurs de bois» - d'avoir fourni à la chimie moderne les méthodes et opérationsqui ont culminé au XVIIIe siècle avec Lavoisier. Il cite ensuite

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Basile Valentin et certaines de ses découvertes, dont le colloïde d'orrubis :

"Quelques chercheurs, cependant, poussèrent leurs investigations beaucoupplus loin ; ils étendirent singulièrement le champ des possibilités chimiques,à tel point même que leurs résultats nous semblent douteux sinonimaginaires. Il est vrai que ces procédés sont souvent incomplets etenveloppés d'un mystère presque aussi dense que celui du Grand Oeuvre." [DM, I, p. 183]

Fulcanelli fait-il allusion aux travaux de synthèses minéralogiquesexécutés par Jacques- Joseph Ebelmen ou Marc-Antoine Gaudin ?

L'examen de la cheminée de Louis d'Estissac, transportée auchâteau de Fontenay- Le-Comte [primitivement au château deTerre-Neuve],

fronton de la cheminée alchimique du château de Terre-Neuve,Fontenay-Le-Comte

donne à voir deux gnomes du caisson central : les deux principesmétalliques. Il s'agit des génies sulfureux et mercuriel, autre versiondes dragons hermétiques de Flamel. Ces génies représentent, àleur manière, l'alambic des Sages, c'est-à-dire le vase de nature.Voici l'interprétation exotérique qu'on peut tout d'abord en donner:

- Le gnome de droite qui correspond au principe masculin ou agent est l'équivalent du chien de Corascène décrit par Artephiusdans son Livre Secret ; il a un casque strié (stria, striatus avec idée deresserrement ou de pouvoir astringent). L'Adepte commente ce termeet le compare à rayé et vergeté (= virgatus, tressé avec des baguettesd'osier), au bâton (bastum, qui signifie aussi le lin ou la syllabe imitant lebruit produit quand un trompette retire son instrument de sa bouche, cf. la

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planche I du Mutus Liber), au sceptre. Le sceptre ouaspalathus [plante qui fournit la gomme adragante et qui est une sorted'armoise : sa traduction en latin est artemisia, plante d'Artémis, etphonétiquement, proche de artemo (voile de proue, mât) et de arte (d'unemanière serrée)]. Artémis renvoie bien sûr à Diane. - Le gnome de gauche qui correspond au principe féminin(Mercure) présente un bec- de-lièvre (et permet de jouer surl'assonance lepus : lupus) c'est-à-dire une gueule de loup et uncasque écailleux. Le loup (lupus) peut être aussi une espèced'araignée ou un mors armé de pointes (assimilable au rémora, augrappin) et évoque aussi le loup gris - assimilé alors à la stibine -que l'on voit sur la planche I des Douze Clefs attribuées à B.Valentin.

Il ne faudrait pas se méprendre ici sur le symbolisme à attribuerau gnome de droite dont Fulcanelli assure qu'il s'agit du principeSoufre, par l'examen du casque strié. En le comparant aucaducée, au bâton, il faut avoir en tête l'image des Gémeaux dontl'hiéroglyphe est constitué de deux serpents s'enroulant autour ducaducée. Le gnome de gauche s'apparente au Mercure : laconjonction des deux est le Lion rouge canoniquement préparé :

"C'est là le premier dissolvant, mercure commun des Sages, loyal serviteurde l'artiste." [DM, I, p. 377]

Par premier dissolvant, il faut comprendre le Mercure commun oueau-vive prime de Limojon, avant l'infusion des Soufres. LeMercure commun, cet enfant turbulent, est comparé à Éros [cf. Philalethe, Introïtus, VI] :

"C'est pourquoi, si tu veux travailler par nos corps, prends le Loup gris trèsavide qui, par l'examen de son nom, est assujetti au belliqueux Mars, mais, par sa race de naissance est le fils du vieux Saturne...Jette, à ce loup mêmele corps du Roi, fais un grand feu et jettes-y le Loup pour le consumerentièrement, et alors le Roi sera délivré. Quand cela aura été fait trois fois,alors le Lion aura triomphé du Loup..." [Les Douze clefs de la Philosophie]

Le Loup gris ne peut faire référence qu'à l'un des composants dufeu secret ou dissolvant universel - alias le vase de nature : il doits'agir d'un alcali. Mais le loup est aussi inséparable d'Apollon [dontl'un des épithètes est λυκειος : Λικηιοσ, destructeur de loup] ; c'estun animal sauvage personnifiée par Arès. Il contracte desrapports avec l'antimoine saturnin d'Artéphius, c'est-à-dire avecl'albâtre des Sages ; du moins s'agit- il d'une substanceparticipant de cet albâtre, déjà travaillée, préparée et qui estextrêmement caustique. Mars renvoie à Jupiter Ammon et endernière hypothèse à la Justice, Thémis, sous laquelle est voiléel'eau que les lavandières utilisaient jadis [et dont on trouve une autreversion avec l'Eau divine]. Le corps du Roi (ou Soufre) représente unmétal qui doit être incorporé au Sel des Sages où il formera uneempreinte ; quant à la délivrance du Roi [cf. Atalanta fugiens,

emblème XXIV], elle correspond à l'époque du 3ème oeuvre où ledissolvant s'est presque entièrement volatilisé et c'est alors

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seulement qu'il faudra que l'artiste, après s'être armé d'enduranceet de patience, s'arme de courage pour briser, l'épée à la main, lesceau vitreux d'Hermès. Du Mercure philosophique, nous parlonsplus avant dans la section qui lui est consacrée

[cf. aussi : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45]

Nous ajouterons que les Adeptes ont l'habitude de dire que lamateria prima est un sujet disgracié de la nature et qui offre uneapparence repoussante, littéralement dégoûtante :

"... d'où cette difformité buccale, cabalistique, qui imprime au visage de notregnomide sa physionomie caractéristique." [DM, II, p. 378]

Mais il faut avoir à l'esprit que Fulcanelli parle ici de la matièrepréparée... :

tableau représentant la villa Palombara

"Dans la description détaillée qui fut, en somme, rédigée pour le passant,nous nous arrêterons aussi sur les trois premiers mots, Hoc in rure - dans ceparc - si l'on préfère, qui n'était pas suffisamment étendu ni sauvage, afinque le loup et le lièvre s'y pussent trouver... Lupus, lepus ; le rapprochement du loup et du lièvre ne vient pas seulement d'une fantaisie poétique... lemieux, ici, est de revoir ce qu'observa Fulcanelli, à propos du loup de BasileValentin, en sa première clef..." [E. Canseliet, Deux Logis alchimiques, p. 53]

C'est ni plus ni moins du dissolvant universel dont nous parle iciCanseliet : le passant est assimilé au Mercure ; le parc représentele vase de nature

[parc : consaeptum pour enceinte et saeptum : clôture, barrière ; enfinsaeptuose : d'une manière embarrassée, obscure qui évoque la prochainedissolution des métaux brûlés par quoi débute la "putréfaction"].

L'adjectif sauvage renvoie à la forêt (silva) et à Silvanus, surnomdonné à Mars ; c'est encore une variation sur le thème du

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Mercure philosophique. Le texte étudié par Canseliet est unepartie de la traduction établie par Cancellieri :

"... HABENS LACUM, PROPE LUCUM, UBI LUPUS NON, SED LEPUS SEPE LUDIT...: il y a un lac près de la clairière, ou non le loup mais le lièvre souvents'amuse..."

Fulcanelli nous précise qu'il s'agit d'une substance minérale quiest écailleuse, noire, dure et sèche, certains l'ayant qualifié ausside lépreuse. C'est le premier dissolvant, mercure commun desSages et loyal serviteur de l'artiste (loyal = probe et serviteur = conducteur). On peut aussi remarquer l'importance que prennentles phylactères - c'est- à-dire des banderoles gravées que l'onretrouve à Dampierre-sur-Boutonne ou ailleurs ; sait-on qu'unphylactère, en latin, phylacterium (amulette, préservatif) est égalementle nom donné à la plante artemisia

[employée comme alexipharmacon contre le mal... il s'agissait d'une «préservation du mal » par les pouvoirs que l'on attribuait - faussementévidemment - à cette plante].

Notre-Dame de Paris : servus fugitivus

Ailleurs, cette autre remarque :

"Le taureau et la vache, le soleil et la lune, le soufre et le mercure sont doncdes hiéroglyphes de sens identique et désignent les natures primitivescontraires, avant leur conjonction, natures que l'Art extrait de mixtesimparfaits."

-les Gémeaux : on pourrait penser qu'il s'agit du symbole du doubleMercure. Mais le sens hermétique des Gémeaux est pluscomplexe [cf. l'Olympe hermétique]. Mais, en premièreapproximation, on peut l'entendre comme l'allégorie du Mercurephilosophique au sein duquel est plongé le Rebis. Cette partie n'esten général abordée que de manière allusive par les Adeptes.Fulcanelli est-il sincère à ce sujet, quand il nous donne soninterprétation de l'énigme de la crédence de la chapelle de l'HôtelLallemant ?

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L'Hôtel Lallemant [voir caissons de la chapelle] a été aménagé àpartir de 1951 en Musée des Arts Décoratifs. Les collections comportent du mobilier, principalement français, dont un rarecabinet d'ébène sculpté et gravé (XVIIe siècle), des meubles enmarqueterie ou en laque de Chine, un ensemble de tapisseries duXVIe et XVIIe siècles, ainsi que des objets d'art: faïences, émaux,ivoires, verrerie, horlogerie, mobilier miniature, meubles demaîtrise. Des peintures des XVe-XVIIIe siècles (France, Italie, Pays-Bas) complètent cette présentation intimiste. On y remarquedes oeuvres du peintre berruyer Jean Boucher (1575-1633), unchef d'oeuvre de Simon Vouet et de Nicolas Tournier (XVIIe siècle), des natures mortes hollandaises et des portraits ainsi qu'unepeinture de Lemoyne (XVIIIe siècle).

crédence de la chapelle de l'Hôtel Lallemand, Bourges [cliché AlainMauranne]

Une petite crédence attire le regard, nous dit l'Adepte, par lemystère d'une énigme considérée comme indéchiffrable [lacrédence est située dans le mur de droite de la chapelle quand on a leregard tourné vers le vitrail, cf. section]. Fulcanelli y dénombre denombreux symboles alchimiques :

- la mérelle : c'est une coquille (testa = tuile, vase en terre cuite,écaille, carapace de tortue mais aussi concha = coquillage d'où l'on tire lapourpre cf. Cassius et calyx = coquille, carapace, corolle des fleurs) ; ontrouve aussi κογχος [coquille, partie centrale d'un bouclier et lentille] :

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"C'est un corps minuscule, - eu égard au volume de la masse d'où ilprovient, - ayant l'apparence extérieure d'une lentille biconvexe, souventcirculaire, parfois elliptique. D'aspect terreux plutôt que métallique, ce boutonléger, infusible mais très soluble, dur, cassant, friable, noir sur une face, blanchâtre sur l'autre, violet dans sa cassure..."

Dans héraldique et alchimie, nous analysons de façon détaillée cettedescription du bouton de retour, comme l'appelle E. Canseliet. Cetobjet est semblable à l'étoile que l'on trouve sur ce singulierpersonnage que l'on trouve coiffé d'un mortier et que nous avonsévoqué plus haut :

"... Mais il ne subsiste rien, rien que le calcaire rongé, grisâtre et fruste. Lelion de pierre conserve son secret !" [Myst., p. 123]

En une phrase, Fulcanelli résume presque tout le 1er oeuvre. Le calcaire rongé renvoie au carbonate de chaux, au marbrestatuaire, blanc et éclatant ; le gris est un mélange de blanc et denoir [ϕαιος] : c'est le bouton de retour qui est violet dans sacassure, c'est-à-dire lorsqu'il est ouvert et dont la forme, enlentille, est redevable à l'empreinte qu'exerce sur lui la substancevoilée sous l'épithète de mérelle. Quant au terme fruste, il setraduit en grec de façon indirecte par τριβος [action de frotter, d'usermais aussi broyer, triturer], proche phonétiquement de τρι−βολος [àtrois pointes ; trident ; harpon].

- l'énigme elle-même composée de deux termes : RERE et RERrépétés trois fois sur le fond concave de la niche. Voicil'interprétation que nous en donnons. Ces répétitions consistentau vrai en trois opérations qui se suivent dans l'ordrechronologique :

a)- acquisition de la première matière (envisagée icidans le sens du composé principal du Mercurephilosophique et qui a relation avec la Rosée de mai, cf. infra) ; b)- coagulation par fusion du Soufre philosophal ; c)- accroissement (i.e. la multiplication oucristallisation progressive).

Le terme RERE renvoie à la conjonction du Soufre et du 1er

Mercure (Mercure commun) ; le terme RER renvoie au Mercure philosophique ou Lion rouge, constitué de deux composants[cheminée alchimique] :

"Qu'est-ce donc que RER ? - Nous avons vu que RE signifie une chose, unematière ; R, qui est la moitié de RE, signifiera une moitié de chose, dematière. RER équivaut donc à une matière augmentée de la moitié d'uneautre ou de la sienne propre. Notez qu'il ne s'agit point ici de proportions,mais d'une combinaison chimique indépendante des quantités relatives." [Myst., p. 205]

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Quant à la grenade, elle symbolise la forme de la Pierre [ροµβος= toupie, losange ou rhombe] et une substance liquide [ροιας = qui

coule, par assonance avec ροια = grenadier]. Le mot ροια évoque enfrançais la rouille commune mais nous laissons au lecteur le soind'apprécier le sens de cette réflexion. La grenade est aussi unfruit qui est consacré à Aphrodite et qui est évoqué dans le Jardindes Hespérides et dans les Figures hiéroglyphiques. [cf. encorel'Atalanta fugiens, cap. XLII].

12)- la Grande Coction

Le tartre est souvent évoqué dans les textes et n'est certainementpas sans rapport avec le feu secret ; E. Canseliet évoque l'acidetartrique quand il parle du salpêtre qui se transforme, en fusant,en carbonate de potassium ; le carbonate était appelé auparavantsel de tartre, dont l'étymologie grecque renvoie à vin, scorie,sédiment. E. Canseliet écrit ensuite :

"[le tartre] a pour racine le verbe trugô - dessécher, sécher, qui exprimel'action même du feu, et l'on pourrait, au surplus, le comparer, de manièrefort suggestive, au français familier " truc", ayant le sens de procédé caché,de moyen adroit ou subtil... [le mot truc]... signifie surtout user par lefrottement, épuiser, fatiguer, harceler, tourmenter... C'est en tourmentant [lamatière philosophale] que le feu la dessèche, la calcine et la scorifie." [DM, I,p. 37, préface]

Tartre date du XIIIe siècle (tartharum) du latin médiéval tartarum,sans doute par croisement du latin Tartarus, le Tartare, les Enfers et d'un mot arabe. Le tartre en latin est évoqué, on l'a vu plushaut, par le mot « résidu ». En grec, la lie du vin, qui s'apparenteau tartre, se dit τρυξ [sédiment, dépôt d'un liquide, mais aussi scoried'un métal]. Par cabale phonétique, d'autres mots s'offrent à nous :- τρυος

[peine, labeur: combien d'artistes ont-ils écrits sur le tourment et la peineque leur avait valu la quête de l'Oeuvre ? Cela d'ailleurs a été l'occasion deméprises de la part d'Eugène Chevreul] - τρυγαω [récolter, moissonner,cf. planche IV du Mutus Liber où le couple alchimique « récolte » la roséede mai].

Néanmoins, les conclusions qu’on peut tirer de ce dernier extraitnous semblent conformes à ce que nous avons évoqué plus loindans la conduite du feu au 3ème œuvre ou à ce que les Adeptesappellent la Grande Coction. Il faut rapprocher cette remarque dece que dit Fulcanelli quand il assure que celui qui connaît lemoyen de laisser pendant un temps suffisant la matière à l'étatfusible est sur le bon sentier... Le « scel » ou vase de nature est donc le contenu du récipient [matériau réfractaire capable de supporter

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pendant 6 jours au moins des températures supérieures à 1200°C] ; c'estlà que s'élabore la Grande Coction qui aboutit au rajeunissementdu roi. Cette étape est évoquée par E. Canseliet en ses DeuxLogis alchimiques, au chapitre L'Homunculus ou le Fils de l'hommeconsacré à l'une des évocations de la porte alchimique de la villaPalombara où une phrase est à retenir et à méditer :

"Notre fils mort vit. Le roi revient du Feu et par le mariage caché se réjouit"

M. Maier, Atalanta fugiens, emblème XXIV

C'est ce que l'on observe sur l'emblème XXIV de l'Atalanta fugiens ; nous noterons aussi l'analogie entre cette dépouille dont se repaîtle loup gris et l'emblème XLI où le sanglier de Calydon culbute Adonis. Il s'agit de l'allégorie touchant à la dissolution desSoufres. C'est la véritable putréfaction où disparaissent le Sel desSages [Soufre blanc] et le Soufre rouge, préludant à leurréincrudation, c'est-à-dire à la coagulation progressive [dont l'un dessymboles est la sirène] puis à la cristallisation en masse.Assurément, cette partie du grand-oeuvre est-elle assurée parune circulation au sujet de laquelle nous renvoyons le lecteur infra; le dissolvant universel sert - contre toute attente - à réunir lesdeux Soufres.Quant aux couleurs qui apparaissent au 3ème oeuvre, elles sontliées aux régimes planétaires, eux-mêmes ne constituant que desallégories de phases thermiques : il s'agit, là encore, d'une partieque les Adeptes n'ont traité qu'avec la plus grande réserve, sinonla plus grande confusion. Ainsi, Fulcanelli nous dit-il (DM, II, p.208) que la réalisation de l'oeuvre à des températures croissantes dequatre régimes du feu ne peut conduire qu'à une impasse :

"... ils seront infailliblement victimes de leur ignorance et frustrés du résultatescompté."

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L'Adepte veut par là signifier que le composé sera volatilisé [defrustrer = frustrari : voler], faute de la connaissance du lien duMercure.

Nous suspendons ici cet aperçu de la symbolique alchimique.Pour aller plus loin, voyez les sections suivantes : Gardes du corps- réincrudation - blasons alchimiques - Mercure de nature - Cosmopolite -Introïtus, VI - et les nombreux points de symbolisme examinés dansles textes.

Notes

1. Newton, Richard Westfall, Flammarion (1994) ; voir aussi Loup Verlet, la Malle de Newton, Gallimard, 19932. Isaac Newton, un alchimiste pas comme les autres, Pierre Thuillier, in La Recherche, 876-887, 212, 1989 ; 3. Giordano Bruno et la tradition hermétique, Frances A. Yates, trad.Dervy (1996) ; 4. Sur Hermès Trismégiste, André Marie Festugière : La révélationd’Hermès Trismégiste, Les Belles Lettres, (3 vol., réed. 1990) ; 5. cf. Les Demeures philosophales, Fulcanelli, Pauvert (1964) (DM,II) p. 307 ; 6. Mystiques, spirituels, alchimistes du XVIe siècle allemand,Alexandre Koyré, Gallimard (1971), notamment pp. 75-129, textetiré de la Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses (1933) ; 7. Fulcanelli est formel sur ce point :

"...les dictionnaires définissent l’argot comme étant un langage particulier àtous les individus qui ont intérêt à se communiquer leurs pensées sans êtrecompris de ceux qui les entourent. C’est donc bien une cabale parlée..."(Myst., p.56) ;

8. Psychologie et Alchimie, Carl Gustav Jung, Buchet-Chastel (1970) ; 9. The collected works of C.G. Jung, Bollingen Series XX ; New York: Pantheon Books ; Princeton : Princeton University Press ;Londres : Routledge et Kagan Paul, 1953. 10. St Thomas d’Aquin (1225-1274). On fait circuler sous son nom de nombreux traités tel que le Liber lilii benedicti et une Auroraconsurgens. Les arguments qui permettraient éventuellementd’accorder foi - notamment pour l’Aurora - à cette hypothèsetiennent au style visionnaire de ce texte qui pourrait avoir étéinspiré à ce savant, coutumier de l’extase. C’est l’opinionqu’expriment en tout cas d’une part Marie-Louise von Franz dansun document sur le problème de l’opposition des contraires[Zurich, 1957 et Aurora consurgens, trad. La Fontaine de Pierre, Paris,1982, pp. 407-432] et d’autre part Johann Hector von Klettenberg

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dans son Entlarvte Alchemie (1713). La majorité des historienstiennent l’Aurora consurgens comme un écrit pseudo-aquinate ; letitre du livre est un extrait du Cantique des Cantiques (VI, 10) ;rappellons qu’il s’agit d’un des livres de la Bible, signifiant leCantique par excellence, attribué à tort à Salomon et qui a dû êtrerédigé au Ve siècle av. J.-C. ; 11. L’orientation de cette vision renvoie sans doute par analogieau sens très particulier qui s’exprime au travers de la musique.La musique en effet ne veut rien dire (beaucoup de grandsmusiciens le pensent comme Stravinsky par exemple) et pourtantelle est signifiante en ce sens que, par sa perception, elle renvoieà notre conscience l’image même de son miroir ; 12. Les Fondements de l’alchimie de Newton, Betty J. Teeter Dobbs,Guy Trédaniel (1981) ; étude remarquable mais Dobbs ne semblepas connaître Alexandre Sethon et cite toujours Sendivogius en lieuet place du Cosmopolite. 13. Un commentaire sur Hartlib et son groupe a été édité dansSamuel Hartlib and the Advancement of Learning, University Press,Cambridge (1970) où y est traité notamment l’influence des textesantiques sur Hartlib, de ses prédécesseurs et ses amis. On peutconsulter aussi : Les réformistes anglais en médecine des larévolution puritaine : un aperçu sur la Société des Physicienschimistes, Ambix, 16-41, 14, 1967 ; 14. The Scientist’s Role in Society, A Comparative Study, Joseph BenDavid, Prentice-Hall (1971), notamment pp. 69-74 ; 15. Isaac Barrow (1630-1677) fut le premier professeur demathématiques de Newton. Isaac Barrow. His Life and Times, PercyH. Osmond, Society for Promoting Christian Knowledge, Londres(1944) ; 16. Henry More (1614-1687) a entrepris une étude critique de laphilosophie de Descartes. Il a notamment publié L’Immortalité del’âme (1659) que Newton mentionne dans ses carnets de1661-1665 ; 17. Il s’agit d’un personnage qui apparaît dans les papiers deNewton comme " Mr F " et qui est donc probablement EzekielFoxcroft, nommé membre de King’s College en 1652 ; il a traduitLes Noces Chymiques de Valentin Andreae [alias ChristianRosencreütz] (1459). Dans cet ouvrage, l’action se passe du jeudiSaint au mercredi d’après Pâques. C’est un voyage au ciel quiressemble à ceux représentés par des alchimistes arabes dansdes récits initiatiques - on pourra se rapporter aux travaux del’historien des religions et de la philosophie antique R.Reitzenstein (Himmelwanderung und Drachenkampf in deralchemistischen und früschriftlichen Literatur, Festschrift, Leipzig,1916) ; 18. Le Mystère des Cathédrales et l’interprétation ésotérique dessymboles hermétiques du grand œuvre, Fulcanelli, Pauvert (1979 pour la dernière édition) apparaissant dans mon texte comme Myst. - Les Demeures philosophales et le symbolisme hermétique dans sesrapports avec l’art sacré et l’ésotérisme du grand œuvre, Fulcanelli,Pauvert (1983 pour la dernière édition) apparaissant dans mon texte

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comme DM, I ou DM, II ; 19. Deux Logis Alchimiques, Eugène Canseliet, Pauvert (1979 pourla dernière édition) - Alchimie. Études diverses de Symbolismehermétique et de pratique Philosophale, Eugène Canseliet, Pauvert(1978 pour la dernière édition) - L’Alchimie expliquée sur ses Textesclassiques, Eugène Canseliet, Pauvert (1988 pour la dernièreimpression, réédition 1980) ; 20. LesDouze Clefs de Philosophie, attribué à Basile Valentin (Moët,Paris, 1659, réédition Éditions de Minuit, 1956) ; 21. Azoth sive Aureliae occultae philosophorum, attribué à BasileValentin (Londres, 1613 ; Paris, 1624). Selon Fulcanelli, l’auteurde ce traité serait Senior Zadith à qui l’on doit la Tabula chymica,ex arabico sermone latino facta (XIIe siècle) ; cf. bibliographie.22. Chymische Werke, Nicolas Flamel (Hambourg, 1681, rééd Vienne,1751) - Le Livre des Figures Hiéroglyphiques (Explications des figureshiéroglyphiques du cimetière des Saints Innocents à Paris, in Salmon, tomeII). Ce livre a été publié en 1612 par Arnauld de la Chevalerie,auteur présumé et réédité par A. Poisson (Paris, 1893) et par R.Alleau (Paris, 1972) avec une introduction d’E. Canseliet ; l’éditionde R. Alleau correspond au Sommaire philosophique ; 23. La Fontaine des Amoureux de Science, attribué à Jean deMeung ou Meun (auteur du Roman de la Rose). L’œuvre est en faitde Jehan Perréal, enlumineur ; elle fut écrite en 1516 et dédiée àFrançois Ier. C’est Jacques Gohorry qui publia en 1561 ce recueilavec le Sommaire philosophique de Flamel (réédité par S. Klossowskide Rola in : Alchimie, s.l., pp 19-29, 1974) ; 24. Opera omnia, George Ripley (1649) dont Newton prit des noteset qu’il copia intégralement (Trinity College, NQ. IO149). Georges Ripley fut chanoine de Saint-Augustin à Bridlington (York) et fit,comme Flamel, un voyage initiatique, mais qui semble réel, àRome (1477). Il a écrit The Compound of Alchimy or the ancienthidden Art of Archemie, Londres, 1591 (Ferguson, vol II). Ce recueil a été traduit sous le titre Les Douze Portes, Paris (1979) par B. Biebel. On lui attribue les Ripley Scrowles qui sont des rouleauxpeints et manuscrits dont certains revêtent une importancecertaine dans la conduite de certaines opérations, notamment lacohobation, sur laquelle nous reviendrons. 25. Currus triumphalisantimonii. Fratris Basilii Valentini MonachiBenedicti. Opus Antiquioris Medicinae et Philosophiae Hermeticaestudiosis dicutum. E. Germanico in Latinum versum opera, studio etsumptibus Petri Ioannis Fabri Doctoris Medici Monspeliensis. Et notisperpetuis ad Marginem appositis ab eodem illustratum (Tolosae:apud Petrum bosc., 1646).26. Le Secret Livred’Artephius, dans Trois Traitez de la Philosophienaturelle non encore imprimez. A Paris, chez Guillaume Marette(1612) ainsi que le précise - de façon toujours si désuète et assezprécieuse - Eugène Canseliet dans son Alchimie (Pauvert, 1978),p.160, dans le Talisman de Marly-Le-Roi (article publié dans le Trésor

des Lettres, 1935). Le texte pourrait dater du XIIe siècle ; Ces TroisTraitez incluent les Figures Hiéroglyphiques de Flamel et le Livre dudocte Abbé Synésius ;

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27. L’Épître, John Pontanus (Epistole de Igne Philosophorum, MS du XVIe siècle, n°19969 de la Bibliothèque Nationale) sur le feu secret et le De Lapide Philosophico, Francofurti, 1614 ; Cet alchimiste n'est citéni par Louis figuier [l'alchimie et les alchimistes, Hachette, 1860] nipar Albert Poisson [Théories et symboles des alchimistes, Chacornac,1891]. Fulcanelli en parle d'une part dans Myst. (p. 205) quand ilaborde le Vase des philosophes, c’est-à-dire le fameux vase denature sans lequel rien n’est possible. Fulcanelli le met à l'égald'Artephius pour avoir été un des rares à parler du dissolvantuniversel ou Lion vert. Dans les DM, Pontanus est évoqué autome II, p.74 et p.76 lorsque Fulcanelli aborde le thème de lalanterne :

" [à propos du feu secret] Artephius et Pontanus en parlent si obscurémentque cette chose importante reste incompréhensible ou passe inaperçue. "

et :

" Pontanus affirme que toutes les superfluités de la pierre se convertissent,sous l'action du feu, en une essence unique, et qu'en conséquence celui quiprétend en séparer la moindre chose n'entend rien à notre philosophie. "

E. Canseliet revient sur Pontanus dans son Alchimie expliquée surses Textes classiques (p. 283-284) dans le chapitre : la GrandeCoction, où il nous dit :

" Ce feu, ou cette eau ardente, est l'étincelle vitale communiquée par lecréateur à la matière inerte ; c'est l'esprit enclos dans les choses, le rayonigné...Nous touchons ici au plus haut secret de l'oeuvre... "

et encore, ce clin d'oeil à l'étudiant qui possède quelque teinturede science :

" Le chat des contes hermétiques de Charles Perrault, réservés aux enfants,fait, à lui seul, la fortune de Carabas, c'est-à-dire de bas carat, et figuratif del'or jeune, vert et immûr. "

C'est bien nous signifier que l'enseignement de Pontanus etd'Artephius vaut pour cette période de l'oeuvre où débute laGrande Coction au 3ème oeuvre. 28. Traité du Ciel terrestre, Vinceslas Lavinius de Moravie (1612). 29. La Nouvelle Lumière Chymique du Cosmopolite, in Theatrum chemicum (1661) ; 30. Nicolas Lemery (1645-1715) - Apothicaire et chimiste français; célèbre par son cours public de chimie professé plusieursannées durant à Paris. Adepte de la théorie corpusculaire, ildéveloppa une théorie fantaisiste sur la forme des particules pourexpliquer leur cohésion. Le premier, il compartimenta la chimie enminérale, végétale et animale. Son Cours de chymie est le premiertraité de chimie utilisable. On trouve des extraits de planchesdans B.J. Teeter Dobbs (12), notamment pp. 157-160 ; 31. manuscrit Keynes, 19, f. 1r :

" Sulphures nostri quod latet in Antimonio. Antimonium enim apud Veteres

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dicebatur Aries quioniam Aries est primumu Zodiaci in quo Sol incipitexaltari & Aurum maxime exaltature in Antimonio " ; cf. mss. alchimiques deNewton.

32. in Georges Ranque, la Pierre Philosophale, p.162-163 (RobertLaffont, 1972) ; 33. La FIGURE IV représente effectivement l'une des matièrespremières à l’état brut ; elle doit d’abord être calcinée et on enretire le sel ou semence, figuré par la tête. Des commentaires plusprécis peuvent être trouvés dans notre section sur les liens entrechimie et alchimie. 34. La Génération des Minéraux métalliques, dans la pratique desMineurs du Moyen Âge, d’après le BergBüchlein, extrait duJournal des Savants, juin-juillet 1890, M. A. Daubrée