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L'AFFECT ET LA RAISON Sylvain Tousseul Association Recherches en psychanalyse | Recherches en psychanalyse 2009/1 - n° 7 pages 109 à 119 ISSN 1767-5448 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-recherches-en-psychanalyse-2009-1-page-109.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Tousseul Sylvain, « L'affect et la raison », Recherches en psychanalyse, 2009/1 n° 7, p. 109-119. DOI : 10.3917/rep.007.0109 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association Recherches en psychanalyse. © Association Recherches en psychanalyse. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.162.242.133 - 05/08/2013 06h30. © Association Recherches en psychanalyse Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.162.242.133 - 05/08/2013 06h30. © Association Recherches en psychanalyse

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L'AFFECT ET LA RAISON Sylvain Tousseul Association Recherches en psychanalyse | Recherches en psychanalyse 2009/1 - n° 7pages 109 à 119

ISSN 1767-5448

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-recherches-en-psychanalyse-2009-1-page-109.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Tousseul Sylvain, « L'affect et la raison »,

Recherches en psychanalyse, 2009/1 n° 7, p. 109-119. DOI : 10.3917/rep.007.0109

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Distribution électronique Cairn.info pour Association Recherches en psychanalyse.

© Association Recherches en psychanalyse. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Journal of Psychoanalytic Studies. Hosted by the Department of Psychoanalytic Studies, Paris Diderot at Sorbonne Paris Cité University.

Varia

L’affect et la raison Affect and reason

Sylvain Tousseul

Résumé : Cet article se propose de comprendre comment l’expérience nous pousse à raisonner, et surtout, comment il est possible que ce soit nos affects qui animent nos logiques. En s’appuyant sur la métapsychologie freudienne et sur la logique aristotélicienne, il s’agit de montrer que les destins pulsionnels se déclenchent en fonction de conditions spatiotemporelles spécifiques, et qu’ils ont chacun une dynamique affective dont le mouvement constitue une logique rationnelle. Autrement dit, ce qu’Aristote a décrit en observant le discours, Freud l’a décrit en observant la clinique, car la raison n’est que l’expression langagière de nos affects.

Abstract : This article intends to understand how experience prompts us into reasoning, and especially how it is possible that our affects animate our logics. Inspired by the Freudian metapsychology and the Aristotelician logic, it defines that urge fates are released according to specific spatiotemporal conditions, and each of them has an affective dynamic, the motion of which constitutes a rational logic. In other words, what Aristotle described when observing speech, Freud described it when observing clinic, as reason is only the linguistic expression of our affects.

Mots-clefs : affect, raison, logique, langage, Freud, Aristote, philosophie

Keywords : affect, reason, logic, language, Freud, Aristotle, philosophy

Plan : Introduction

1. L’hypothèse épistémologique des affects rationnels

1.1. D’où viennent les logiques classiques ? 1.2. Comment les affects interviennent-ils dans nos raisonnements ? 2. Comment l’espace nous pousse-t-il à raisonner ?

2.1. Comment l’espace affecte-t-il notre représentation des objets ? 2.2. Comment l’absence peut-elle nous pousser à raisonner ? 2.3. Quelle différence existe-t-il entre la logique rationnelle de la bivalence et la dynamique affective de l’exclusion ?

7│2009 – Psychanalyse, psychopathologie cognitive et neurosciences : quel débat ?

Psychoanalysis, Cognitive Psychopathology, and the Neurosciences: What is the Debate?

[En ligne] 1er juin 2009

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3. Comment le temps nous pousse-t-il à raisonner ?

3.1. Comment le temps affecte-t-il notre représentation des objets ? 3.2. Comment l’attente peut-elle nous pousser à raisonner ? 3.3. Quelle différence existe-t-il entre la logique rationnelle de la déduction et la dynamique affective de la décompensation ? Conclusion

Introduction La tradition philosophique oppose souvent l’affect et la raison en rejetant le premier sous prétexte qu’il est une erreur issue de la seconde, comme en témoigne l’idéal apathique des stoïciens.1 Par le présent article qui conjugue psychanalyse et philosophie, nous voulons montrer au contraire que les dynamiques affectives animent nos logiques rationnelles, car en un certain sens, le corps pousse l’esprit à raisonner en fonction de l’espace et du temps dans lesquels il se trouve. Pour le montrer, nous allons d’abord élaborer une hypothèse épistémologique avec laquelle il est possible d’expliquer l’éventuelle rationalité des affects, ce qui nous permettra ensuite de tester sa pertinence en nous demandant successivement comment l’espace et le temps nous poussent à raisonner.

1. L’hypothèse épistémologique des affects rationnels

1.1. D’où viennent les logiques classiques ?

Les logiques classiques2 sont restées infondées et illégitimes jusqu’à ce jour, alors que toutes nos sciences les utilisent pour construire leur savoir. Nos sciences sont donc aussi illégitimes que les logiques qu’elles utilisent, malgré les multiples tentatives3 de légitimité que le XXe siècle a connu. C’est pourquoi nous avons choisi de mener des recherches sur ces logiques classiques en essayant de comprendre leur fondement. On les utilise quotidiennement sans même savoir pourquoi. Leur application est efficace, mais on ne sait pas non plus pourquoi.

On ne sait pas si elles ont une légitimité, ni sur quoi elles sont fondées, ni même d’où elles viennent. Aristote les a décrites en analysant le discours, mais le stagirite n’a pas su expliquer pourquoi on raisonne ainsi. Il écrit même que les principes fondamentaux qui définissent ces logiques n’ont pas de preuve.4 Alors pour comprendre ce que veulent dire ces principes fondamentaux, il faut d’abord savoir pourquoi on les qualifie de fondamentaux. En fait, ils ont pour caractéristique de ne pas pouvoir se réduire à d’autres principes, ni de pouvoir se réduire entre eux. Autrement dit, ils constituent le fondement à partir duquel tous les autres principes découlent, sans avoir eux-mêmes de fondement. Nous pouvons nous accorder aujourd’hui avec Largeault5 pour dire qu’il existe quatre principes fondamentaux, et par suite, quatre logiques classiques, c’est-à-dire que malgré les nombreuses tentatives des logiciens et des mathématiciens pour réduire ces principes, quatre sont restés irréductibles. Il s’agit de la logique bivalente définie par le principe du tiers-exclu, de la logique déductive définie par le principe de non-contradiction, de la logique d’équivalence définie par le principe d’identité et de la logique inductive définie par le principe de raison suffisante. La question est maintenant de savoir sur quoi reposent ces principes fondamentaux. Nos récentes recherches6 ont montré qu’ils exprimaient des impossibilités empiriques. Par exemple, le principe du tiers-exclu indique qu’une chose est soit vraie soit fausse, mais qu’elle ne peut pas prendre de troisième valeur, d’où la logique bi-valente du tiers-exclu. Une chose ne peut pas prendre de valeur mixte qui

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serait vraie et fausse à la fois, car elle est toujours susceptible de pouvoir être divisée jusqu’à ce qu’elle cesse de contenir plusieurs valeurs en même temps. Il existe donc nécessairement une division ultime dont le résultat a une valeur unique ne permettant pas à la chose d’être divisée à nouveau, si bien que l’on ne peut pas faire l’expérience d’une chose qui serait divisible à l’infini. Cela impliquerait en effet qu’il y ait continuellement un résultat à diviser, or nous ne pouvons pas faire l’expérience de cette continuité, et c’est par conséquent sur cette impossibilité empirique du continu que le principe du tiers-exclu repose. De même, le principe de non-contradiction repose sur l’impossibilité empirique du simultané, puisqu’il stipule l’impossibilité pour une chose d’être et de ne pas être en même temps. La logique consiste ainsi à exclure les expériences spatiotemporelles que l’on ne peut pas réaliser. Mais alors comment les affects interviennent-ils dans nos raisonnements ? 1.2. Comment les affects interviennent-ils dans nos raisonnements ? À ce stade de nos recherches, nous aurions pu être satisfaits de comprendre d’où venaient les logiques rationnelles, mais un point restait encore très problématique, celui de l’affect. En effet, après avoir lu les travaux de Damasio7, nous étions convaincus que la raison ne pouvait pas être séparée de l’affect, notamment parce que les corrélations semblent évidentes à la lumière du cas relaté par le neurologue. Il s’agit de Phineas Cage8, un patient qui a eu un grave accident provoquant une altération organique de son cerveau, et dont les troubles affectifs étaient tels qu’il ne pouvait plus raisonner. Depuis plusieurs années, un certain nombre de scientifiques9 pensent que nos raisonnements sont intimement liés à nos affects, mais sans savoir pourquoi ni comment. La seule chose que l’on sache tient au fait que les affects et les raisonnements semblent partager le même

support organique, à savoir le cerveau, et plus généralement le corps humain. Or, jusqu’ici, nous avons mis en rapport les logiques rationnelles avec les dimensions spatiotemporelles de l’expérience, mais nullement avec les affects. Pour comprendre en quoi les affects sont impliqués dans les logiques, nous avons commencé par remarquer que nous n’étions pas conscients d’appliquer des logiques, du moins nous pouvons l’être en cherchant à élaborer un raisonnement, mais la plupart du temps nous les suivons sans en avoir conscience. Il est donc possible que ce soit l’inconscient qui produise ces logiques. C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers la psychanalyse en essayant de rapprocher ce que nous savons des logiques avec ce que nous savons des pulsions. Les ressemblances sont très éloquentes : les destins pulsionnels se déclenchent seulement parce qu’il est impossible de réaliser une pulsion. De la même manière, les logiques existent seulement parce qu’il est impossible de réaliser une expérience. D’autre part, quatre destins10 sont susceptibles de se produire lorsque les pulsions ne peuvent pas se réaliser, c’est-à-dire le même nombre que d’impossibilités empiriques et le même nombre que de logiques classiques. Enfin, une pulsion se compose d’un affect qui donne la forme à la pulsion, et d’une représentation qui en donne le contenu. De la même manière, un raisonnement se compose d’une logique qui donne la forme au raisonnement, et d’un discours qui en donne le contenu. Toutes ces ressemblances concourent à nous faire penser que les quatre impossibilités spatiotemporelles de l’expérience entraînent chacune un destin pulsionnel dont la dynamique affective constitue le moteur des quatre logiques, telle est du moins l’hypothèse que nous allons maintenant essayer de montrer. Si elle se vérifie, nous saurons donc précisément quelles sont les conditions spatiotemporelles de l’expérience qui déclenchent tel destin pulsionnel plutôt que tel autre, ce qui restait encore inexplicable aujourd’hui en

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psychanalyse. De plus, cette hypothèse élucide un autre problème épistémologique fondamental qui concerne cette fois toutes les sciences, puisque cette hypothèse permet de comprendre la façon dont les affects nous font raisonner et réfléchir. Il existe en effet deux logiques rationnelles et deux logiques réflexives parmi les quatre citées précédemment, et nous avons choisi de ne traiter ici que les deux premières pour ne pas alourdir leur compréhension, les deux autres seront donc traitées dans un prochain article.11 Testons à présent notre hypothèse en essayant de comprendre successivement comment l’espace et le temps nous poussent à raisonner.

2. Comment l’espace nous pousse-t-il à raisonner ? 2.1. Comment l’espace affecte-t-il notre repré-sentation des objets ?

Pour comprendre comment l’espace nous pousse à raisonner, il existe un concept psychanalytique fort utile, qui est celui de pulsion ; car non seulement il indique par son étymologie latine pulsus qu’il s’agit d’une poussée, mais en plus la psychanalyse lui a donné un sens tout à fait particulier, avec lequel on peut penser l’articulation entre le corps et l’esprit.12 En effet, la pulsion se compose d’un affect, qui est une quantité d’excitation prenant sa source à l’intérieur de l’organisme, et elle se compose également d’une représentation, qui figure l’objet par lequel elle peut être satisfaite.13 C’est pourquoi la pulsion est un concept fort utile pour penser l’articulation entre le corps et l’esprit, et notamment pour comprendre comment nous quêtons les objets dans l’espace. Freud qualifiait d’ailleurs les pulsions de « grandes quêteuses d’objet », dans la mesure où une pulsion se fait sentir justement parce qu’elle pousse le corps à quêter l’objet qui va lui permettre d’écouler l’excitation dont elle est pourvue. Or, en prenant sa source à l’intérieur du corps,

cette excitation ne peut pas être fuie, contrairement aux excitations qui viennent de l’extérieur.14 L’excitation ne peut donc être que retenue pour s’écouler par un autre moyen dont l’issue est plus satisfaisante que la réalisation immédiate. Mais cette rétention ne permet en aucun cas de faire disparaître la quantité d’excitation puisqu’elle est interne au corps. Lorsqu’on a faim par exemple, il est inutile de fuir la réalité de cette pulsion, puisqu’elle ne disparaîtra pas tant que celui qui l’éprouve ne trouve pas les objets nutritifs adéquats pour se sustenter.15 La question est alors de savoir ce que devient la pulsion lorsque l’objet sur lequel elle peut s’écouler est absent de l’espace où se trouve la personne. Dans ce cas, l’objet n’est plus vécu comme satisfaisant puisque son absence ne permet pas à la pulsion d’être satisfaite, si bien que la représentation de l’objet pulsionnel passe de bonne à mauvaise, de satisfaisante à insatisfaisante, c’est-à-dire d’un extrême à un autre. La pulsion devient donc le contraire de ce qu’elle était initialement, comme l’illustre le passage de l’amour à la haine.16 C’est pourquoi Freud appelle ce destin pulsionnel le renverse-ment dans le contraire. L’espace nous affecte ainsi par l’absence de l’objet que l’on a initialement désiré, ce qui transforme notre quête pulsionnelle en une insatisfaction. L’absence est donc l’affect à partir duquel la pulsion passe de la représentation d’un objet désirable à la représentation d’un objet indésirable, c’est-à-dire que l’absence est l’affect à partir duquel le destin pulsionnel du renversement dans le contraire se déclenche. Cependant, si la représentation de l’objet est devenue indésirable, alors le but de l’affect qui lui est lié n’est plus d’inclure l’objet dans l’espace où se trouve la personne, mais au contraire de l’en exclure. La dynamique affective du renversement dans le contraire consiste donc à exclure l’objet dont elle fait néanmoins la quête, ce qui lui confère son aspect ambivalent si caractéristique du passage

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de l’amour à la haine, comme Freud le souligne. Par conséquent, ce qui est exclu, ce n’est pas tant l’objet en lui-même que l’insatisfaction même partielle, qu’il est susceptible de générer. Mais comment l’absence peut-elle nous pousser à raisonner ? 2.2. Comment l’absence peut-elle nous pousser à raisonner ? L’absence est un affect qui se déclenche suite à l’impossibilité d’expérimenter la présence continue d’un objet, parce qu’il arrive nécessairement un moment donné où la personne se détourne de l’objet au profit d’un autre qui est susceptible de lui être tout aussi indispensable que le précédent, ou encore parce que l’objet lui-même sort de l’espace dans lequel la personne se trouve. En tout état de cause, l’objet ne peut pas être continuellement présent dans cet espace, et c’est donc cette impossibilité empirique du continu qui déclenche l’affect de l’absence, c’est-à-dire la même impossibilité empirique que celle qui déclenche la logique bivalente du tiers-exclu. En fait, il convient de préciser que l’affect se déclenche nécessairement avant la logique, puisque l’absence est justement l’état de discontinuité à partir duquel la bivalence s’élabore. Or, si l’impossibilité empirique du continu déclenche successivement l’affect de l’absence puis la logique bivalente, cela signifie qu’en réalité, le premier constitue l’énergie nécessaire à la seconde, en ce sens que c’est l’affect de l’absence qui impulse la dynamique à la logique bivalente. Mais comment est-il possible que l’absence nous pousse à raisonner selon une logique bivalente ? Le fait de ne pas pouvoir expérimenter la présence continue d’un objet implique de vivre son absence comme une contrainte, à tel point que la représentation que nous en avons devient insatisfaisante, c’est-à-dire qu’elle passe d’un extrême à un autre sans qu’un juste milieu ne soit possible. Car, soit la représentation de l’objet est satisfaisante parce que l’objet permet

d’écouler l’énergie affective cumulée, soit elle est insatisfaisante parce qu’il ne le permet pas. Mais dans tous les cas, la représentation ne peut pas être à moitié satisfaisante, ni même en partie satisfaisante, dans la mesure où l’objet permet d’écouler l’énergie affective ou il ne le permet pas. S’il ne le permet qu’à moitié ou partiellement, alors il est frustrant, et donc l’objet est insatisfaisant. Par conséquent, la représentation d’un objet ne peut vaciller que d’un extrême à l’autre, sans qu’un juste milieu ne soit possible ; si bien que l’énergie affective qui est liée à cette représentation consiste à exclure la possibilité d’un juste milieu en se fixant sur un seul des extrêmes. L’absence entraîne donc une dynamique affective de l’exclusion, voire même de l’exclusivité. Or, cette dynamique affective de l’exclusion n’est rien d’autre que l’application du principe du tiers-exclu, c’est-à-dire que la dynamique affective de l’exclusion constitue le mouvement de la logique bivalente. En effet, le principe du tiers-exclu, ou « middle excluded », stipule qu’il n’existe pas de juste milieu entre deux contraires, sachant que deux contraires17 sont deux extrêmes d’un même genre. Ainsi, le tiers-exclu implique deux représentations opposées entre lesquelles une troisième est inconcevable, de sorte que la logique bivalente18 qui en découle revient à exclure le juste milieu en considérant qu’une chose ne peut prendre qu’une seule valeur parmi les deux extrêmes, ce qui correspond exactement à la dynamique affective de l’exclusion. Car, en réalité, l’impossibilité empirique du continu déclenche l’affect de l’absence dont la dynamique consiste à exclure la représentation intermédiaire qui se trouve dans le passage d’un contraire à l’autre. L’objet ne peut donc être que satisfaisant, ou insatisfaisant, sans qu’un intermédiaire ne soit possible, ce qui s’écrit en logique : « p v ┐p »19 et se prononce « p ou non-p ». Il est par ailleurs intéressant de souligner qu’Aristote et Freud ont tous les deux utilisé la notion de contraire pour expliquer

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respectivement la logique bivalente et le destin pulsionnel du renversement dans le contraire. Ce qu’Aristote a décrit en observant le discours, Freud l’a donc décrit en observant la clinique, à tel point que l’on peut se demander quelle différence il existe entre la logique rationnelle de la bivalence et la dynamique affective de l’exclusion. 2.3. Quelle différence existe-t-il entre la logique rationnelle de la bivalence et la dynamique affective de l’exclusion ? En réalité, la différence réside seulement dans leur expression, en ce sens que la dynamique affective tient à un comportement, tandis que la logique rationnelle tient à une symbolisation de la réalité qui s’effectue la plupart du temps au moyen d’une langue naturelle, ou plus largement, au moyen d’un langage symbolique comme les mathématiques par exemple. Lorsque la dynamique affective de l’exclusion s’exprime par le langage, elle se manifeste sous la forme d’une logique bivalente, non pas parce qu’elles forment à elles deux une dualité ou un parallélisme, mais simplement parce qu’il s’agit du même mouvement exprimé différemment. Soit la dynamique affective s’exprime par un comportement, soit elle s’exprime par un langage, et dans ce cas, on ne parle plus de dynamique affective, mais de logique rationnelle. En fait, notre hypothèse épistémologique des affects rationnels en confirme une autre, issue de l’observation clinique, celle que Golse20 a formulée en supposant que les affects étaient indissociables de la voix. Notre hypothèse épistémologique permet d’aller beaucoup plus loin dans cette direction puisqu’en dissociant les dynamiques affectives des représentations d’objets pulsionnels, nous pouvons intégrer toute la linguistique saussurienne à notre hypothèse, et donc dans une certaine mesure, nous pouvons également y intégrer la psychanalyse lacanienne. En effet, si les dynamiques affectives sont susceptibles de s’exprimer par la voix comme les travaux du

pédopsychiatre le mettent en évidence, cela implique que les représentations d’objets pulsionnels qui leur sont liées sont susceptibles de s’exprimer par des idées, dans la mesure où un mot se définit par sa sonorité et par son concept. Saussure21 les appelle respectivement le signifiant et le signifié en leur donnant une égale valeur, tandis que Lacan22 reprend cette distinction en montrant l’importance structurante du signifiant sur le signifié, avec cette même idée que les deux forment des flux distincts, et néanmoins relativement dépendants.23 Mais comment la dynamique affective de l’exclusion peut-elle exprimer un discours rationnel ? Les signifiants que les dynamiques affectives empruntent sont relatifs aux signifiés qu’elles visent, en ce sens que les dynamiques affectives sont des intensités d’excitation qui se déchargent sur des objets dont les représentations indiquent par expérience qu’ils sont apaisants. La dynamique affective de l’exclusion détermine ainsi la représentation la plus adéquate à la satisfaction de la pulsion en excluant celles qui ne le sont pas, c’est-à-dire que le signifiant par lequel elle s’exprime dépend des représentations qu’elle n’exprime pas. C’est pourquoi le sens des mots se définit par la direction de la dynamique affective qui les emprunte, et dont le cheminement est relatif à ceux qu’elle n’emprunte pas. Le sens des mots fuit donc d’un opposé à un autre sans se fixer, et se déplace en fonction de ceux qui ne sont pas dits. Un concept n’a de signification qu’en raison des « autres mots qui lui sont opposables […] redouter, craindre, avoir peur n’ont de valeur propre que par leur opposition ; si redouter n’existait pas, tout son contenu irait à ses concurrents ».24 Par conséquent, la dynamique affective de l’exclusion est celle qui confère au discours la précision nécessaire pour qu’un mot ne soit pas employé à la place d’un autre, c’est-à-dire qu’elle constitue la vérité ou la fausseté du discours, ce que l’on appelle aussi la logique bivalente.

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Voilà comment l’espace nous pousse à raisonner, mais comment le temps peut-il lui aussi nous pousser à raisonner en déclenchant un processus psychique propre, et néanmoins indexé sur celui de l’espace ?

3. Comment le temps nous pousse-t-il à raisonner ? 3.1. Comment le temps affecte-t-il notre représentation des objets ? Nous distinguons la dimension spatiale de la dimension temporelle afin de faciliter l’étude des processus psychiques mis en jeu, mais les deux s’exercent souvent de concert, et bien que l’une puisse nous affecter davantage que l’autre, les dimensions spatiales et temporelles restent inséparables dans la réalité, comme Minkowski25 l’a montré. D’un point de vue psychique, le destin pulsionnel relatif à la dimension spatiale est donc très imbriqué dans celui qui est relatif à la dimension temporelle, à tel point qu’il est parfois difficile de les distinguer. Alors comment les joindre tout en les différenciant ? Autrement dit, comment peut-on rendre compte de la façon dont le temps affecte notre représentation des objets, tout en tenant compte de la façon dont l’espace affecte lui aussi notre représentation des objets ? Concernant la dimension spatiale, nous avons vu que c’était l’absence qui affectait notre représentation des objets. Or, lorsque l’objet désiré est absent de l’endroit où se situe la personne, cela suppose qu’elle le quête, c’est-à-dire que si l’objet est absent, la personne est dans l’attente de le trouver. Par conséquent, l’affect qui est conjoint à l’absence est celui de l’attente, le premier étant relatif à l’espace, et le second au temps. Mais comment l’attente peut-elle affecter notre représentation de l’objet ? Ou dit encore autrement, que devient la pulsion lorsque la personne attend de trouver l’objet pulsionnel sur lequel elle pourra se décharger ?

Dans ce cas, la personne retient la quantité d’excitation dont sa pulsion est chargée, et lorsqu’elle ne peut plus la contenir, alors cette quantité d’excitation finit par retourner à sa source, en se déchargeant sur la zone érogène d’où elle vient. C’est pourquoi Freud appelle le destin de cette pulsion le « retournement sur la personne propre ».26 Le but actif de la pulsion qui consiste à quêter l’objet initialement désiré se retourne donc en un but passif qui consiste à se laisser écouler sur la zone d’origine. Une des manifestations cliniques est celle des symptômes somatiques qui apparaissent lorsqu’une quantité d’excitation n’est pas liquidée, et qu’elle retourne là d’où elle vient, comme le cas de Dora évoqué par Freud.27 Une autre des manifestations est celle du sado/masochisme, à travers laquelle le but actif de la pulsion qui consiste à quêter un objet se retourne en un but passif qui consiste à se laisser écouler sur la zone d’origine. Par exemple, frapper se retourne en être frappé. Le temps nous affecte ainsi par l’attente de l’objet que l’on a initialement désiré. La durée pendant laquelle la personne attend a pour effet de condenser la quantité d’excitation sur la zone érogène dont elle émane, ce qui finit par rendre cette zone érogène plus excitante que l’objet initialement désiré. Par conséquent, l’affect pulsionnel se délie de la représentation de son objet initial en retournant à sa source, afin d’apaiser celle-ci en se déchargeant dessus. On constate alors que le plaisir initialement attendu ne compense plus le déplaisir éprouvé par l’attente, telle est la raison pour laquelle nous avons choisi d’appeler cette dynamique affective la décompensation. L’emploi de ce substantif suppose en effet qu’un équilibre soit rompu. Or, le seul dont parle Freud est celui qu’il évoque au sujet du principe de constance. Il s’agit d’un équilibre entre le plaisir et le déplaisir, lequel est dû à la tendance de l’appareil psychique qui tend à maintenir « aussi bas que possible la quantité d’excitation présente en lui ou du moins à la maintenir constante ».28 Cette notion n’a guère été plus approfondie par Freud qui s’interroge seulement

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sur l’hypothèse d’un « écoulement temporel29 des modifications, des montées et des chutes de la quantité d’excitation » et ajoute : « Nous ne le savons pas ».30 Cette hypothèse freudienne au sujet de la manière dont le temps peut nous affecter trouve donc un début de réponse avec la dynamique affective de la décompensation. D’autre part, il convient de remarquer comment l’espace et le temps s’enchevêtrent particulièrement bien pour combiner le destin pulsionnel du retournement sur la personne propre avec celui du renversement dans le contraire. En effet, l’absence de l’objet place la personne dans une situation d’attente, et, ne parvenant pas s’extérioriser, la quantité d’exci-tation retourne à sa source, pas forcément par la personne elle-même, mais éventuellement par une autre qui l’excite de telle manière que ce soit la zone érogène d’origine qui reçoive la sollicitation. La personne passe alors d’une excitation active à une excitation passive, en tant qu’elle demande à être excitée au lieu d’extérioriser sa propre excitation, si bien qu’elle la retourne contre elle par l’intermédiaire d’une autre, comme l’illustrent certains cas de voyeurisme/exhibitionnisme, ou de sadisme/ masochisme. Cependant, le masochiste peut aussi se passer d’autrui en exprimant uniquement le destin pulsionnel du retournement sur sa personne propre. Certains se débarrassent par exemple de leurs pulsions agressives en se traitant eux-mêmes comme leur propre ennemi, ce qu’illustrent ces quelques vers du poème L’héautontimoroumenos de Baudelaire : « Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Et la victime et le bourreau. ».31 Ce destin pulsionnel est donc souvent associé par Freud à des sentiments de culpabilité, d’indignité et d’auto-destruction ou d’auto-punition, ce qu’il illustre en expliquant que le patient retourne ses pulsions agressives contre lui-même, bien qu’à l’origine, elles soient destinées à autrui. Voilà comment le temps est susceptible de nous affecter, mais comment l’attente peut-elle nous pousser à raisonner ?

3.2. Comment l’attente peut-elle nous pousser à raisonner ? L’attente est l’affect corrélatif à celui de l’absence parce qu’elle est le temps pendant lequel on peut se représenter l’objet pulsionnel désiré, et selon sa durée, cette représentation peut passer d’un extrême à un autre, comme nous l’avons vu plus en amont et comme Winnicott32 l’a illustré. L’attente se déclenche ainsi parce que l’on quête un objet absent avec lequel il est impossible d’être immédiatement satisfait, sinon il n’y aurait pas besoin de le quêter. « Il est [en effet] impossible qu’une chose soit et ne soit pas en même temps »33, ce qui est exactement l’énonciation aristotélicienne du principe de non-contradiction. Par conséquent, c’est l’impossibilité empirique du simultané qui déclenche l’affect de l’attente, c’est-à-dire la même impossibilité empirique que celle qui déclenche la logique déductive du principe de non-contradiction. Or, s’il s’agit de la même impossibilité empirique dans les deux cas, c’est tout simplement parce que l’attente est l’affect préalable au déploiement de la logique déductive. Mais comment est-il possible que l’attente nous pousse à raisonner selon une logique déductive ? Le fait que la pulsion ne puisse pas à la fois quêter un objet, et être satisfaite par lui, implique que la pulsion suive une succession temporelle, dont l’ordre chronologique consiste à quêter d’abord l’objet, puis à se satisfaire avec en se déchargeant dessus, du moins si l’objet désiré a été trouvé. S’il n’a pas été trouvé, alors la pulsion retourne sur la zone érogène dont elle émane en se déchargeant dessus afin de décompenser. De cette manière, l’énergie pulsionnelle qui a été accumulée en trop peut être déduite. Voilà pourquoi la dynamique affective de décompensation constitue le mouvement de la logique déductive. Soit l’objet est trouvé, et la pulsion ne retourne pas à sa source, soit l’objet n’est pas trouvé et la pulsion retourne à sa source, si bien qu’à partir de l’une des deux situations, on peut nécessairement

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conclure l’état de l’autre. En logique, on dit que si p est vraie, alors non-p est fausse, et réciproquement, ce qui s’écrit : « ┐(p & ┐ p) ».34 La dynamique affective de décompensation constitue donc le mouvement de la logique déductive du principe de non-contradiction. Il est intéressant par ailleurs de souligner qu’Aristote35 a longtemps confondu la logique déductive du principe de non-contradiction avec la logique bivalente du principe du tiers-exclu, ce qui montre à quel point elles sont souvent intriquées. Dans la même perspective, il est intéressant de souligner que Freud36 mettait en garde contre la confusion des destins pulsionnels du retournement sur la personne propre et celui du renversement dans son contraire. Malgré plus de deux mille ans de séparation, Aristote et Freud prendront donc le même soin pour éviter une confusion millénaire, celle du temps et de l’espace. Mais ces deux remarques mises en parallèle témoignent surtout de l’inévitable identité qui existe entre les processus de la logique et ceux de la pulsion, à tel point que l’on peut se demander quelle différence il existe entre la logique rationnelle de la déduction et la dynamique affective de la décompensation. 3.3. Quelle différence existe-t-il entre la logique rationnelle de la déduction et la dynamique affective de la décompensation ? La différence est exactement du même ordre que celle que nous avions évoquée au sujet de la logique rationnelle de la bivalence et de la dynamique affective de l’exclusion, dans la mesure où la logique relève du langage, tandis que la dynamique affective relève du comportement. La logique rationnelle de la déduction est ainsi l’expression langagière de la dynamique affective de la décompensation. En effet, lorsque le destin de la pulsion se retourne sur la personne propre, Freud indique que la pulsion passe d’un but actif à un but passif en fonction de la présence ou de l’absence de l’objet pulsionnel. Soit l’objet est

là, soit il n’est pas là, mais il ne peut pas être les deux en même temps. La dynamique affective est soit active en tant qu’elle quête l’objet pulsionnel, soit passive en tant qu’elle se laisse décharger sur sa propre source, selon que l’objet est là ou non, mais elle ne peut pas être les deux en même temps. Autrement dit, lorsque la dynamique affective s’exprime par la « voix » des signifiants, elle prend soit la forme d’une phrase affirmative si l’objet est là, soit la forme d’une phrase négative si l’objet n’est pas là, mais elle ne peut pas prendre ces deux formes en même temps. C’est la raison pour laquelle si une phrase affirmative est vraie, alors sa forme négative ne peut être que fausse, et réciproquement. Par exemple, si la phrase « la table est noire » est vraie, alors sa forme négative, « la table n’est pas noire » est nécessairement fausse, car la table ne peut pas être à la fois noire, et pas noire. La réciproque est également valide, dans la mesure où si « la table est noire » est une phrase fausse, alors « la table n’est pas noire » est nécessairement une phrase vraie, puisqu’il est impossible que la table ne soit pas noire, et noire en même temps. Autrement dit, à partir de la valeur de vérité d’une phrase, on peut déduire la valeur de vérité de sa contradictoire, d’où la logique déductive du principe de non-contradiction. On voit ainsi comment en s’exprimant par la voix, la dynamique affective de décompensation constitue le mouvement de la logique déductive. Et, d’autre part, il convient de remarquer que la première logique que nous avons vue, à savoir la logique bivalente, implique la notion de contraire en s’appuyant sur des mots, tandis que la seconde logique, à savoir la logique déductive, implique la notion de contradiction en s’appuyant sur des phrases, de sorte que l’une confère du sens aux mots, tandis que l’autre confère du sens aux phrases, comme le souligne Aristote.37 Voilà comment nos raisonnements sont l’expression langagière de nos dynamiques affectives dont le déclenchement tient aux conditions spatiotemporelles de l’expérience.

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Conclusion

Notre hypothèse épistémologique est donc bien confirmée puisque nos affects constituent effectivement le moteur de nos raisonnements, ce que nous avons montré en mettant en évidence deux processus psychiques qui s’articulent autour de deux affects. L’absence est l’affect spatial à partir duquel se déclenche le destin pulsionnel du renversement dans le contraire, et dont la dynamique affective oscille entre deux extrêmes, ce qui constitue le mouvement de la logique bivalente. L’autre affect qui lui est congruent est celui de l’attente. En effet, l’attente est l’affect temporel

Bibliographie : Aristote (1991). Métaphysique. (Tricot, J. trad.). Paris : Vrin. Aristote (2004). De l’interprétation. Organon II. (Tricot, J. trad.). Paris : Vrin Baudelaire, C. (1861/1993). Les fleurs du mal. Paris : Lattès. Changeux, J. P. (1994/2002). Raison et plaisir. Paris : Odile Jacob. Damasio, A. R. (1994/2001). L’erreur de Descartes. (Blanc, M. trad.). Paris : Odile Jacob. Freud, S. (1905/2004). Fragment d’une analyse d’hystérie, Dora. Cinq psychanalyses. (Bonaparte, M. & Loewenstein, R. M. trad.). Paris : PUF. Freud, S. (1915/2002). Métapsychologie. (Laplanche, J. & Pontalis, J.-B. trad.). Paris : Gallimard. Freud S. (1920/2002). Au-delà du principe de plaisir. Essais de psychanalyse. (Bourguignon, A. & O., Cherki, A., Coter, P., Laplanche, J., Pontalis, J. B. & Rauzy, A. trad.). Paris : Payot. Freud, S. (1924/2004). Le problème économique du masochisme. Névrose, psychose et perversion. (Laplanche, J. trad.). Paris : PUF. Golse, B. (2006). L’être-bébé. Paris : PUF. Lacan, J. (1956/1981). Les psychoses. Séminaire, livre III. Paris : Seuil. Laërce, D. (1965). Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres. (Genaille, R. trad.). Paris : Flammarion. Largeault, J. (1993/1998). La logique. Paris : PUF. Minkowski, H. (1908/1915). Das Relativitätsprinzip. Annalen der Physik, vol. XLVII. Salem, J. (1987). Introduction à la logique formelle et symbolique. Paris : Nathan.

à partir duquel se déclenche le destin pulsionnel du retournement sur la personne propre, et dont la dynamique affective consiste à déduire le trop plein d’excitation en se déchargeant sur sa source, ce qui constitue le mouvement de la logique déductive. Nous avons vu d’autre part que l’affect et la représentation sont susceptibles de s’exprimer respectivement par le signifiant et le signifié, ce qui explique que nos raisonnements ne soient que l’expression langagière de nos affects. En définitive, ce n’est pas parce que nos raisonnements sont embarrassés d’affects qu’ils sont erronés, mais c’est au contraire parce qu’ils en sont débarrassés qu’ils sont errants. Saussure, F. (1916/1998). Cours de linguistique générale. Paris : Payot. Tousseul, S. (2006). Les limites de l’expérience comme principes fondamentaux de la science. Essai sur les relations empirique, logique et métaphysique. Les cahiers de l’École, 6, 38-57. Tousseul, S. (à paraître). L’affect et la réflexion. Vincent, J. D. (1986/1999). Biologie des passions. Paris : Odile Jacob. Winnicott, D. W. (1971/2002). Jeu et réalité. (Monod, C. & Pontalis, J. B. trad.). Paris : Gallimard. Zwirn, H. (2000). Les limites de la connaissance. Paris : Odile Jacob.

Notes : 1Laërce, D. (1965). Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres. Trad. Genaille, R.. Paris : Flammarion, VII, p. 87-90. 2Nous utiliserons indifféremment les expressions de logiques classiques ou logiques aristotéliciennes, ou encore logiques empiriques. 3Zwirn, H. (2000). Les limites de la connaissance. Paris : Odile Jacob, p. 21. 4Aristote (1991). Métaphysique. Trad. Tricot, J.. Paris : Vrin, tome I, livre IV, Ch. 4, 1006a5-15, p. 123. 5Largeault, J. (1993/1998). La logique. Paris : PUF, p. 110. 6Tousseul, S. (2006). Les limites de l’expérience comme principes fondamentaux de la science. Essai sur les relations empirique, logique et métaphysique. Les cahiers de l’École, n° 6, p. 38-57.

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7Damasio, A. R. (1994/2001). L’erreur de Descartes. Trad. Blanc, M.. Paris : Odile Jacob. 8Idem, p. 26-30.

9En France, on notera les travaux de Vincent, J. D. (1986/1999). Biologie des passions. Paris : Odile Jacob ; ainsi que ceux de Changeux, J. P. (1994/2002). Raison et plaisir. Paris : Odile Jacob. 10Freud, S. (1915/2002). Métapsychologie. Trad. Laplanche, J. & Pontalis, J.-B.. Paris : Gallimard, p. 24-25. 11Tousseul, S. (à paraître). L’affect et la réflexion. 12Freud, S. (1915/2002). Métapsychologie. Op. cit., p. 17-18. 13Nous ne traiterons pas ici de la satisfaction hallucinatoire, dans la mesure où elle renvoie à des logiques formelles différentes des logiques classiques. Elles feront néanmoins l’objet d’études ultérieures. 14Freud, S. (1915/2002). Métapsychologie. Op. cit., p. 13-15. 15

Ibid., p. 46. 16

Ibid., p. 33. 17Aristote (2004). De l’interprétation. Organon II. Trad. Tricot, J.. Paris : Vrin, Ch. 6, 6a17-18, p. 41. 18Aristote (1991). Métaphysique. Trad. Tricot, J.. Paris : Vrin, tome I, livre IV, Ch. 7, 1011b 20-1012a 25, p. 151-154. 19Salem, J. (1987). Introduction à la logique formelle et symbolique. Paris : Nathan, p. 34. 20Golse, B. (2006). L’être-bébé. Paris : PUF, p. 256. 21Saussure, F. (1916/1998). Cours de linguistique générale. Paris : Payot, p. 99. 22Lacan, J. (1956/1981). Les psychoses, Séminaire, livre III. Paris : Seuil, p. 295-296.

L’auteur :

Sylvain Tousseul

Chargé de cours en Psychopathologie clinique, à l’Université Paris VII Diderot. Chercheur en Psychopathologie clinique au Centre de Recherche Psychanalyse et Médecine (C.R.P.M.). Chargé de cours en Philosophie, à l’École Supérieure de Commerce à Rouen (E.S.C.). Chercheur en Philosophie au Centre de Recherche Philosophie et Esthétique (Créart-Phi) à l’Université Paris X Nanterre. Psychologue clinicien en Hôpital de jour au Service de Sociothérapie à l’Institut Paul Sivadon. 55, rue de la Folie-Regnault 75011 Paris France

23

Ibid., p. 296-297. 24Saussure, F. (1916/1998). Cours de linguistique générale. Op. cit., p. 160. 25Minkowski, H. (1908/1915). Das Relativitätsprinzip. Annalen der Physik, vol. XLVII. 26Freud, S. (1915/2002). Métapsychologie. Op. cit., p. 25-30. 27Freud, S. (1905/2004). Fragment d’une analyse d’hystérie, Dora. Cinq psychanalyses. Trad. Bonaparte, M. & Loewenstein, R. M.. Paris : PUF, p. 1-91. 28Freud S. (1920/2002). Au-delà du principe de plaisir. Essais de psychanalyse. Trad. Bourguignon, A. & O., Cherki, A., Coter, P., Laplanche, J., Pontalis, J. B. & Rauzy, A.. Paris : Payot, p. 51. 29Souligné par nous. 30Freud, S. (1924/2004). Le problème économique du masochisme. Névrose, psychose et perversion. Trad. Laplanche, J.. Paris : PUF, p. 288. 31Baudelaire, C. (1861/1993). Les fleurs du mal. Paris : Lattès, p. 203. 32Winnicott, D. W. (1971/2002). Jeu et réalité. Trad. Monod, C. & Pontalis, J. B..Paris : Gallimard. 33Aristote (1991). Métaphysique. Trad. Tricot, J.. Paris : Vrin, tome I, livre III, Ch. 2, 996b 30, p. 77. 34Salem, J. (1987). Introduction à la logique formelle et symbolique. Paris : Nathan, p. 34. 35Aristote (1991). Trad. Tricot, J.. Paris : Vrin, tome I, livre V, Ch. 10, 1018a 20, p. 186. 36Freud S. (1915/2002). Métapsychologie. Op. cit., p. 25-26. 37Aristote (2004). De l’interprétation. Organon II, Trad. Tricot, J.. Paris : Vrin, Ch. 6-7, pp. 97-104.

Référence électronique

Sylvain Tousseul, « L’affect et la raison », Recherches en Psychanalyse [En ligne], 07|2009, mis en ligne le 1er juin 2009.

Texte intégral

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