(sur) vivre en haut - arc.ulaval.ca · étudiants de l’université laval et mcgill qui ont passé...

38
(SUR) VIVRE EN HAUT RELATIONS HOMME / NATURE DANS LE NORD QUÉBÉCOIS Essai (projet) soumis en vue de l’obtention du grade de M. Arch. Superviseur: Pierre Thibault Nils Kröger École d’architecture Université Laval 2012

Upload: dangnhan

Post on 13-Sep-2018

214 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

(SUR) VIVRE EN HAUT

RELATIONS HOMME / NATURE DANS LE NORD QUÉBÉCOIS

Essai (projet) soumis en vue de l’obtention du grade de M. Arch.

Superviseur:

Pierre Thibault

Nils Kröger

École d’architecture

Université Laval

2012

2

1

RÉSUMÉ DU SUJET

Avec la mise en place du Plan Nord par le gouvernement québécois, le territoire

nordique du Québec est appelé à changer profondément. Le présent essai (projet) porte

sur le milieu de vie qui sera créé pour accueillir les travailleurs de la mine Renard, une

mine de diamant qui sera mise en service dans les cinq prochaines années dans le Nord

du Québec. Le climat rigoureux du site, son caractère extrêmement isolé, et la nature

des activités qui s’y dérouleront posent des défis architecturaux et constructifs hors du

commun. La condition vierge du site influence également la nature du projet. Le défi

proposé est de créer un milieu de vie sain, attirant et stimulant à l’échelle de l’usager et

de sa communauté. Cet essai tente de redéfinir la place de l’architecture dans notre

société en sortant des balises normales de ce champs d’étude pour sonder des enjeux

d’ordres politiques, sociétaux et écologiques. La thèse selon laquelle une mine peut être

génératrice d’un milieu de vie attirant et stimulant y est défendue. Ce faisant, cet essai

se positionne dans un débat par rapport à l’exploitation des ressources naturelles qui

divise actuellement la société québécoise. En tant que société, décidons de la meilleure

façon de développer notre territoire.

2

MEMBRES DU JURY

Pierre Thibault président du jury, superviseur de l’essai (projet), architecte, professeur

Diana Cardas architecte, chargée de cours

Gianpiero Moretti professeur

Olivier Bourgeois architecte

AVANT-PROPOS

Je voudrais prendre l’occasion d’exprimer ma gratitude pour ceux qui m’ont appuyé tout

au long de mon parcours académique et professionnel jusqu’à ce jour.

Merci à M. Pierre Thibault pour sa contribution iau projet. Ses idées, son écoute

et le temps qu’il y a consacré ont été d’une aide précieuse. Merci aux collègues

étudiants de l’université Laval et McGill qui ont passé de nombreuses soirées tardives à

l’atelier avec moi. Merci à ma famille pour leur soutien moral et financier sans lequel

cette aventure n’aurait pas été possible.

Finalement, un merci spécial à ma copine Jeanne qui m’a accompagné dans les

moments heureux et difficiles depuis le début de mes études en architecture.

3

TABLE DES MATIERES

i. Résumé 1

ii. Membres du jury 2

iii. Avant-propos 2

Liste des figures 4

1. Introduction 5

2. Cadre théorique 6

2.1 Gestion et développement du territoire

2.1.1 Modèles théoriques 6

2.1.2 Enjeux propres au Nord Québécois 7

2.2 Cohabitation et communauté

2.2.1 Modèles théoriques 8

2.2.2 Enjeux propres au Nord Québécois 10

2.3 Formes de l’habiter 11

3. Précédents

3.1 Simmons Hall 14

3.2 Immeuble qui pousse 16

3.3 Abbaye Val-Notre-Dame 17

4. Projet

4.1 Analyse de site 19

4.2 Projet proposé par la compagnie minière 21

4.3 Processus de création 25

5. Synthèse 28

Bibliographie 30

Annexes 32

4

LISTE DES FIGURES

Figure 1. Unité d’habitation, Marseilles (http://forum.skyscraperpage.com/showthread.php?t=176317)

Figure 2. Simmons Hall, vue d’ensemble (http://stevenholl.com/project-detail.php?id=47&books=96)

Figure 3. Simmons Hall, espaces communs (http://stevenholl.com/project-detail.php?id=47&books=96)

Figure 4. Simmons Hall, coupe schématique (http://stevenholl.com/project-detail.php?id=47&books=96)

Figure 5. Immeuble qui pousse, vue d’ensemble (http://edouardfrancois.com/project_detail.php?project_id=42)

Figure 6. Immeuble qui pousse, ambiance extérieure (http://edouardfrancois.com/project_detail.php?project_id=42)

Figure 7. Abbaye Val-Notre-Dame, insertion paysagère (http://www.cecobois.com/repertoire/index.php?option=com_rea&view=fiches&id=220&Itemid=100)

Figure 8. Abbaye Val-Notre-Dame, cloître (http://www.cecobois.com/repertoire/index.php?option=com_rea&view=fiches&id=220&Itemid=100)

Figure 9. Analyse de site

Figure 10. Carte topographique et hydrographique (Stornoway Inc.)

Figure 11. Rose des vents, été (Stornoway Inc.)

Figure 12. Implantation de la mine

Figure 13. Plans du complexe d’habitation (Stornoway Inc.)

5

1. INTRODUCTION

Le présent essai (projet) prend position par rapport à un débat politique délicat qui divise

actuellement la population québécoise. L’essor économique des pays dits «en voie de

développement» (Chine, Inde, Brésil) fait actuellement monter la demande pour

plusieurs ressources naturelles dont les minerais puisque ces ressources sont

nécessaires au développement des infrastructures de ces pays ainsi qu’à la production

de divers biens de consommation. (Tremblay : 2012) Le Québec, dont le sous-sol est

riche en minerai, est donc dans la mire de diverses compagnies minières cherchant à

profiter de cette période d’essor économique (Adriana-Wisco, New Millenium, Tata et

ArcelorMittal par exemple). Le gouvernement du Québec, dont l’intérêt pour cette région

remonte à l’époque du premier ministre Robert Bourassa, y voit l’occasion de créer des

milliers d’emplois biens rémunérés et au salaire fortement imposé, et de percevoir des

redevances des compagnies minières. Il consent donc à investir massivement dans les

infrastructures (électricité, routes) nécessaires à cette industrie. Les détracteurs du Plan

Nord estiment que les redevances exigées aux minières sont trop faibles et que les

l’impact environnemental de l’activité minière sera lourd. L’exploitation minière à un

endroit donné est forcément temporaire, puisque la quantité de minerai contenue dans

le sol est finie. Il ne s’agit donc pas de développement durable. L’idée avancée dans cet

essai est qu’en investissant davantage dans la création de milieu de vie destinés aux

travailleurs miniers, les compagnies minières pourraient devenir les moteurs d’un

développement durable du Nord. Cet essai s’intéresse concrètement au cas du projet

Renard, qui deviendra éventuellement la première mine de diamants au Québec. Le site

est situé à 360 km au Nord-est de la ville la plus proche, soit Chibougamau (pop. 7500).

Le projet proposé prévoit de prolonger une route provinciale, soit la route 167, pour

rejoindre le site de la future mine qui est présentement inaccessible. Cette route

prolongée sur une distance de 260 km coûtera 375 millions de dollars selon les

dernières projections, dont 331 millions seront payés par le gouvernement québécois. À

proximité du site, le gouvernement a annoncé la création du parc Albanel-Témiscamie-

Otish sur un territoire de 11,000 km2 comprenant la communauté crie de Mistissini. Le

projet Renard emploiera 180 travailleurs durant la phase d’exploitation (10 ans).

La démarche se base sur deux prémisses. La première, formulée par Yan

(2001), avance que l’environnement a un impact sur le bien-être des gens qui y vivent.

6

Par conséquent, un environnement extrêmement isolé et confiné, comme celui des

communautés minières du Nord-du-Québec, a un impact extrême sur ses habitants.

L’architecture, en tant qu’interface entre l’homme et l’environnement, peut mitiger l’effet

de ces facteurs (isolement, confinement) sur la qualité de vie des travailleurs. La

deuxième prémisse est qu’une vision de développement à long terme du Nord

québécois passe nécessairement par la création de milieux centrés sur l’usager. La

réflexion théorique accompagnant le projet s’articulera en trois temps. D’abord, le

contexte historique du développement Nord du Québec sera sommairement présenté.

Ensuite, la question de la forme idéale de cohabitation entre travailleurs sera abordée.

Finalement, le rôle de l’habitation dans le milieu de vie sera examiné.

2. CADRE THÉORIQUE

2.1 - Gestion et développement du territoire québécois

Le but de cette section est de décrire sommairement dans contexte historique le projet

s’inscrit. La littérature révèle que la méthode actuelle de développement du territoire

québécois s’inscrit dans une logique marchande et coloniale. Il s’agit d’une forme de

développement qui a peu de retombées sur le territoire concerné.

2.1.1 - Gestion et développement du territoire : modèles théoriques

Osherenko (1992) classifie les approches au développement du nord en trois

grandes catégories, soit l’approche de conquête et colonisation, l’approche de

développement balancé et l’approche de développement durable. De l’arrivée des

occidentaux en Amérique au XVe siècle jusqu’au début du XXe siècle, l’approche de

conquête et colonisation fut prédominante. Durant cette période, les richesses naturelles

du nord de l’Amérique attirent les explorateurs et les entrepreneurs européens et

américains. Le but de l’opération est de transférer la richesse produite au Nord vers le

Sud.

L’approche du développement balancé fut introduite dans les années 1980. Elle

vise à protéger l’environnement tout en extrayant les ressources nécessaires au niveau

7

de vie des sociétés industrialisées. Pour ce faire, des niveaux maximaux de pollution

sont dictés. Ceux-ci visent à protéger les écosystèmes et la santé humaine, mais

doivent être assez bas pour permettre un retour raisonnable sur l’investissement fait

dans ce territoire.

La notion de développement durable, qui est apparue vers la fin des années

1980, est définie ainsi par la Commission Brundtland : « développement qui répond aux

besoins du présent sans compromettre la possibilité des générations futures de

répondre à leurs besoins » (WCDE 1987 : 43) Ce concept diffère du développement

balancé en ce sens que l’entreprise durable tient compte des bénéfices et des coûts

environnementaux de ses opérations. Par exemple, elle augmente sa marge de profits

en générant moins de déchets, en réutilisant ses déchets et en employant des

technologies vertes.

2.1.2 - Gestion et développement du territoire : Enjeux propres au Nord québécois

Quelle relation les québécois entretiennent-ils avec leur territoire nordique?

Dufaux (2011) propose la dynamique coloniale comme prémisse au rapport que les

Québécois entretiennent collectivement avec leur territoire. En effet, le territoire

québécois fut initialement occupé sous forme de colonie. Bien que le Canada assume

une souveraineté politique depuis 1867 (confédération canadienne), la prospérité

économique du pays repose sur les exportations vers d’autres pays, principalement la

Grande-Bretagne au XIXe siècle puis les États-Unis au XXe siècle. Le but d’une colonie

commerciale étant de drainer les ressources de la colonie vers la métropole, la mise en

place de réseaux de transport sophistiqués et étendus est une priorité de l’État. Les

installations portuaires, aéroportuaires et les voies ferrées servant au transport de

marchandises sont donc mises à jour régulièrement. Or, afin de maximiser la rentabilité

de l’opération, les investissements servant la population (logements, écoles, hôpitaux)

sont tenus au strict minimum. Ainsi, King (1985) parle de la fondation de villes dans les

colonies commerciales comme d’un « mal nécessaire » lié à l’exploitation des

ressources. Dufaux (2011) évoque la différence entre l’occupation du territoire sous le

régime français et anglais. Ainsi, sous le régime français, les autorités politiques

s’efforcent de planifier et de construire des villes durables. Le lotissement des terres en

longues bandes étroites donne un accès égal aux cours d’eau et chemins pour tous les

8

colons, favorisant ainsi une solidarité spatiale entre eux. Par sa construction massive,

l’habitat vise la permanence et la solidité. La cartographie urbaine de l’époque illustre

que les administrateurs planifient pour une croissance future de la colonie. Sous le

régime anglais, l’approche par rapport à l’aménagement des territoires à coloniser

change drastiquement. Ainsi, « l’implantation du système orthogonal des cantons,

derrière sa simplicité formelle, se révèle insensible à la nature du territoire dans son

relief, son réseau de drainage et son potentiel agricole. Mais cela importe peu puisqu’il

s’agit de favoriser la spéculation immobilière et l’extraction de capital à court terme plutôt

qu’une mise en valeur à long terme » (Dufaux 2011 ; 53). En somme, une logique de

rentabilité à court terme sous-tend le développement du territoire québécois.

2.2 – Cohabitation et communauté

La littérature scientifique supporte l’hypothèse selon laquelle il existe une relation

entre la forme physique d’une communauté et les liens unissant ses membres.

Différentes visions de la forme idéale de la communauté sont présentées. L’étude de

ces modèles théoriques de développement urbain alimente le processus de conception

du projet à l’échelle urbaine.

2.2.1 - Cohabitation et communauté: modèles théoriques

Quel rôle la discipline de l’architecture joue-t-elle dans la création de milieux de vie

durables ? Jacquard (2002 ; 123) avance que le travail de l’architecte est de réaliser est

« un lieu où les hommes vivront en commun ; il est de sa responsabilité de donner une

orientation à cette mise en commun. […] Elle peut aussi aboutir à des rencontres

toujours nouvelles, à la construction de personnes constamment en quête de contacts, à

la réalisation d’une société où chacun se sente merveilleux dans le regard des autres ».

Heller (2009 ; 18), pour sa part, confirme que la forme physique d’une ville a un l’impact

sur la communauté qui y vit. «The quality of an urban environment has a significant

impact upon the physical mental health of the incumbent community. […] For a

community to function and be sustainable, the basic social needs of its residents must

be met.» Ainsi, le sentiment d’appartenance à une communauté, de connectivité

(connectedness) et d’autonomie (empowerment) augmentent le bien-être collectif et

9

individuel, ce qui a pour effet d’augmenter l’investissement en capital social et financier.

Ceci a pour effet d’augmenter la force et l’efficacité d’une communauté. Une revue

sommaire de la littérature scientifique récente révèle que plusieurs courants de pensée

différents tentent de définir la «bonne» communauté. La théorie du capital social et le

nouvel urbanisme sont abordés ici.

La notion de capital social fait référence au réseau social qui unit les membres

d’une communauté donnée. Le réseau social est formé de la somme des interactions

sociales du groupe. Cette forme de capital est difficilement quantifiable par opposition

aux autres formes de capital (physique, humain, naturel par exemple). La confiance et

les normes sociales sont des composantes importantes du capital social. Ainsi, la

confiance est nécessaire pour développer des relations d’obligations et d’attentes entre

les membres de la communauté. Les normes sociales encouragent certains

comportements et en proscrivent d’autres.

Le nouvel urbanisme est apparu en réaction à l’étalement urbain des villes nord-

américaines. Selon ce courant de pensée, cet étalement mène au déclin des centres-

villes et à la perte d’habitats naturels et de territoire agricole. Par ailleurs, les habitants

de la banlieue dépendent de l’automobile pour toute activité de la vie courante. La vie

communautaire y est peu présente puisque le mode de vie banlieusard ne favorise pas

les interactions sociales. Pour remédier à cette situation, le nouvel urbanisme préconise

un développement dense et mixte. Les transports actifs et collectifs sont préférés à

l’automobile.

Selon Heller, parmi les critères qui définissent le caractère durable d’une

communauté, on note :

1.- Sa capacité à satisfaire les besoins individuels et sociaux des habitants et sa

capacité à créer des opportunités pour réaliser leur potentiel,

2.- Le caractère sain, sécuritaire et habitable de l’environnement physique

3.- Le développement et l’usage des ressources sociales de la communauté d’une façon

durable pour construire des communautés fortes et résilientes, qui s’adaptent au

changement.

Talen (1999 ; 1369) propose la notion de «sense of place» pour décrire une

structure physique propice à supporter une communauté forte. «A sense of place is

recognized as ‘an important component of wellbeing as it forms part of an individual’s

identity, contributes to the creation of a group, neighbourhood or cultural identity» Ainsi,

l’usager qui vit dans un environnement distinctif aura plus de chances de s’y identifier et

10

de s’identifier au groupe avec lequel il partage cet environnement. Cela met en lumière

l’aspect néfaste des milieux de vie génériques proposés aux travailleurs par les

compagnies minières.

La marche est une activité qui favorise l’interaction sociale et, par le fait même,

renforce la communauté : «Walking is a desirable physical activity for good health. It

also promotes a sense of belonging in the community through face-to-face social

encounters with others on the street.» (Ganapati : 2008, 385) Les propos de Talen

(1999 ; 1365) s’inscrivent dans la même logique : «The public realm provides

opportunities for community interaction, civic engagement, and a sense of community»

Ainsi, un milieu de vie structuré par des espaces publics de qualité et favorisant la

marche a plus de chances de faire vivre une communauté forte.

2.2.2 – Cohabitation et communauté : enjeux propres au Nord québécois

La stratégie employée pour développer un milieu de vie durable dépend du

contexte physique et culturel dans lequel il se situe. Certains facteurs propres aux

milieux éloignés (confinement, isolement) retiennent l’attention Cette étape vise à

quantifier l’impact de ces facteurs sur les usagers. La littérature scientifique en dresse

un portrait assez détaillé. L’étude exhaustive menée par Yan (2001) sur les usagers

d’une station de recherche arctique évalue les effets du confinement spatial sur leur

humeur. Les améliorations physiques potentielles à la station sont également traitées.

L’étude révèle l’importance du contrôle sur les ambiances physiques et sur la façon

d’occuper le temps en dehors des heures de travail pour les personnes isolées et

confinées. Ainsi, dans une liste donnée d’améliorations futures à la station de recherche

arctique qu’ils habitaient, les répondants ont priorisé d’augmenter les options

d’exercice à la station. Le contrôle individuel de la température et de l’humidité arrivait

au second rang. Par ailleurs, l’intimité des usagers vivant dans un espace restreint fut un

critère particulièrement important. Ainsi, l’isolation acoustique déficiente entre les

chambres fut sévèrement critiquée par les usagers. La séparation entre les espaces

privés et public était également prioritaire. L’étude indique que cette différenciation entre

l’espace privé et l’espace commun est plus importante que la taille des pièces.

Finalement, l’étude évalue la corrélation entre le bien-être psychologique des occupants

et certains facteurs environnementaux. Les facteurs de corrélations maximaux furent

établis entre le bien-être et l’environnement intérieur ainsi que le maintien de l’intimité.

11

Clifford (2009) aborde les impacts d’un mode de vie nomade (fly-in / fly-out) sur la

qualité de vie des travailleurs miniers australiens. Il s’agit d’un modèle où les travailleurs

font la navette entre leur lieu de travail et leur maison aux quinze jours. Les compagnies

minières réduisent ainsi l’investissement en infrastructures pour les mineurs tandis que

les travailleurs passent plus de temps en compagnie de leurs proches. Au niveau

écologique, ce modèle est évidemment négatif en ce sens qu’il génère des

déplacements aériens réguliers sur de longues distances, décuplant ainsi l’empreinte

carbone du projet. L’étude de Clifford (2009) démontre que ce modèle a un impact

négatif sur la satisfaction des employés par rapport à leur travail. À long terme, ce

modèle perturbe le mode de vie (lifestyle) des employés et de leurs conjoints. D’autres

études ont démontré L’effet néfaste du FIFO sur les relations de couple et sur

l’interaction sociale et communautaire des employés fut également démontré. Les

problèmes de santés associés au FIFO incluent perte de sommeil, tabagisme et

problèmes gastro-intestinaux. Les familles affectées par le FIFO se perçoivent plus

souvent comme étant dysfonctionnelles.

À la lumière de ces études, certaines orientations de design s’imposent. En

milieu éloigné, les enjeux reliés à l’intimité et au contrôle de l’usager sur son

environnement sont majeurs. Par ailleurs, un scénario qui évite les allers-retours entre le

travail et la maison (fly-in / fly-out) serait préférable.

2.3 - Formes de l’habiter

The house is not simply the primary totem of how we individuate within the culture, it's also a principal means of how we aggregate. While houses may not exactly invent our social relations, they certainly make them visible. Homes may be our castles but they're our cathedrals as well. (Sorkin: 1987, 30)

La compréhension du rôle de l’habitation, cellule de base du milieu de vie, est

primordiale pour la compréhension de ce qu’est un milieu de vie durable. Cette section

s’attarde donc aux conceptions théoriques de l’habitation ainsi qu’aux besoins

spécifiques auxquels les logements devront répondre dans le contexte du projet

d’architecture proposé.

La perception du rôle de l’habitation est en constante mutation. Ainsi, Sorkin

(1987) établit que le début du mouvement moderne coïncide avec l’éclatement d’une

12

d’une conception unifiée du rôle de la maison en plusieurs conceptions fragmentaires.

Les courants moderniste et postmoderne ont émergé de cette fragmentation.

Le mouvement moderniste a vu le jour dan l’Europe d’après-guerre. La

destruction causée par la guerre a créé un besoin massif en logements qui devait être

adressé rapidement. Les avancées technologiques dans le domaine des structures en

béton armé ont ouvert la voie à de nouvelles avenues aux architectes modernistes, qui

ont développé un vocabulaire architectural tirant profit du potentiel de ce matériau. Le

Corbusier est le porte-étendard intellectuel de cette génération d’architectes. Sa maison

Dom-Ino représente bien la liberté de conception qu’offre le béton. Dans Vers une

Architecture, il propose sa célèbre et choquante définition de la maison comme étant

rune « machine à habiter ». Cette glorification de la machine arrive au moment où

plusieurs machines intègrent la vie courante. L’automobile devient un moyen de

transport accessible aux masses. De concert avec le gouvernement, les urbanistes

entreprennent de construire les réseaux autoroutiers qu’on connaît aujourd’hui. C’est

cette vision de « machine à habiter » que Le Corbusier a concrétisé dans sa fameuse

Unité d’habitation. Cette pensée fut développée dans un contexte politique spécifique,

où l’on a tenté de transposer des construits sociaux d’égalitarisme en construits

physiques. Ainsi, la maison moderniste cherche à offrir la lumière du jour, l’air frais et

une vue sur la verdure aux masses qui habitaient des logements surpeuplés et

malsains. En ce sens, l’Unité d’habitation remplit son mandat.

Figure 1 : Unité d’habitation, Marseilles

13

Ce type d’environnement répond aux besoins physiques de l’homme, mais laisse

peu de place à l’appropriation personnelle. L’appropriation est définie comme une

« interaction dynamique entre l’individu et l’espace » Blanc (1986) On considère

l’espace non pas comme un support mais plutôt comme une entité qui agit sur l’homme.

Moles (1976) propose qu’il y a appropriation lorsque l’individu peut projeter sa

personnalité sur l’espace. Les faiblesses du modernisme furent examinées en détail par

la génération des architectes postmodernes. Jencks explique l’aspect aliénant d’une

architecture hyper-rationalisée qui laisse peu de place à l’humanité de l’usager. La perte

d’objectifs sociaux et l’appauvrissement formel causés par l’application dogmatique de

principes donnés sont les raisons principales de l’échec moderniste, selon Jencks

(1977; 24). Par ailleurs, il décrie la réduction de toutes les typologies de bâtiments à un

espace générique : «So we see the factory is a classroom, the cathedral is a boiler

house, the boiler house is a chapel, and the President’s temple is the School of

Architecture ».

En réponse à leurs prédécesseurs, les postmodernes définissentt la maison

comme le domaine du personnel, le terrain de l’individuation. Habraken (1999 ; 13)

défend cette approche dans son ouvrage : « [The human activities] are so interwoven

with human happiness and human dignity that they are far more than merely an

influence in the housing process » Il critique ainsi la position moderniste sur la «

machine à habiter » : « La machine a pour but de réaliser des actions pour nous alors

que le logement devrait nous permettre de réaliser des actions par nous-mêmes.

(Habraken 1999 : 24, trad.) Habraken pousse encore plus loin cette idée d’interaction

entre l’habitant et l’habitat avec la notion du design participatif. Le design participatif vise

une collaboration entre les futurs habitants et les professionnels lors de la conception

d’un projet donné. Le projet reflète ainsi les désirs et besoins des usagers.

La revue de la littérature révèle donc deux modèles principaux pour qualifier le

rôle de l’habitation dans la création de milieux de vie, qui se succèdent

chronologiquement.

14

3. ÉTUDE DE PRÉCÉDENTS

L’étude de précédents recense divers projets d’habitation traitant des deux

thèmes centraux de cet essai (projet). D’une part, la forme bâtie encadre et définit les

interactions humaines à diverses échelles, de façon à favoriser l’émergence d’un

sentiment de communauté. D’autre part, ces projets s’insèrent dans le paysage afin d’en

révéler le potentiel poétique et de créer un lieu significatif que ses habitants voudront

s’approprier et conserver.

3.1 - Simmons Hall

Figure 2 : Simmons Hall, vue d’ensemble

Ce projet de résidences universitaires au M.I.T. conçu par Steven Holl propose

une gradation intéressante entre les espaces privés et les aires communes. Ce bâtiment

abrite notamment des logements pour 350 étudiants, un café et des restaurants sur rue

et un auditorium de 125 places. Le projet est basé sur le concept de porosité qui s’opère

à plusieurs échelles. Formellement, il s’agit d’un prisme rectangulaire sur dix étages,

duquel on aurait soustrait cinq blocs afin de créer entrées, vues et terrasses communes.

L’enveloppe, un exosquelette de béton ponctué régulièrement de percements carrés

reprend le thème de porosité. Les percements sont peints de différentes couleurs afin

de représenter l’appartenance à différentes « maisons ». Les circulations horizontales

du bâtiment s’organisent autour de larges « rues intérieures » propices aux rencontres

fortuites entre étudiants. Cinq atriums organiques percent le bâtiment verticalement,

15

servant à la fois de poumon et de lieu de rencontre pour les étudiants. Yehuda (2003;

65) décrit ainsi les relations interpersonnelles que propose le Simmons Hall :

If student life is in fact a rehearsal for the future life of civil society, this project can be said to revolutionize everyday life in the university, releasing the ordinary street into a world of experiment and play as an alternative to political apathy and personal isolation. […] Simmons Hall is a slice of a city that echoes Holl's own earlier preoccupation with the edge of the city. […] The hallway [is turned] into a street-like environment that benefits from the porous morphology in providing unexpected openings, lounges and common halls. These collective spaces are intended to bring students together, to provoke interaction and dialogue.

Figure 3 : Simmons Hall, espaces communs

Figure 4 : Coupe conceptuelle

16

3.2 – Immeuble qui pousse

Figure 5 : Immeuble qui pousse, vue d’ensemble

Figure 6 : Immeuble qui pousse, ambiance extérieure

Cet immeuble à logements à Montpellier fut conçu par Édouard François. Il

comprend 64 unités de logement. Ce projet offre une perspective intéressante sur la

relation entre l’individu, l’artificiel et le naturel. Les panneaux de béton composant la

façade du volume comprenant les appartements est recouverte de galets qui témoignent

du passage du temps par leur vieillissement sous l’effet du soleil et des précipitations.

Les interstices entre les galets accueillent une végétation ensemencée ou naturelle. Une

passerelle relie chaque unité à un espace extérieur, sorte de cabane à ciel ouvert qui

donne une relation intime à l’environnement naturel. Cette réinterprétation du thème de

la cabane dans les arbres projette le logis vers le monde extérieur. L’immeuble est

17

déposé sur un soubassement de rocs bruts qui crée un ancrage à la terre. Loubès

(2010 ; 35) y voit un retournement de l’idée que l’on se fait d’habiter :

Bruissement des feuillages, piaillement des oiseaux. Un coup de vent détache quelques feuilles qui nous effleurent dans leurs chutes… Elles vont joncher le sol. Demain il faudra les balayer. Par ce dispositif, je sais qu’il y a des jours de vent et des jours sans vent. […] Ce logement va bien au-delà des réponses aux besoins biologiques de la machine à habiter. Il permet d’habiter plus et plus loin.

3.3 - Abbaye Val-Notre-Dame

Figure 7 : Abbaye Val-Notre-Dame, insertion paysagère

L’abbaye Val-Notre-Dame, située dans le décor enchanteur de la forêt de la

montagne coupée non loin de St-Jean-de-Matha, fut conçue par Pierre Thibault.

Les moines cisterciens furent contraints à déménager puisque, le nombre de

moines dans la communauté ayant décliné, leur ancienne abbaye à Oka était

devenue trop vaste. Puisqu’il s’agit d’un groupe de gens vivant au rythme des

saisons, au sein d’une communauté retirée de la civilisation, l’architecture

monastique possède plusieurs caractéristiques recherchées dans ce projet. Le

programme de l’abbaye est distribué en spirale autour du cloître central. Ainsi, les

moines sont en contact visuel avec le paysage vierge de la forêt environnante

lorsqu’ils se retirent dans leurs chambres, tout en partageant des espaces

communautaires. Cette dichotomie intériorité / extériorité reflète le désir des

18

moines de vivre une vie respectueuse de leur environnement et de leur prochain.

Cette spirale est percée par la porterie sur l’axe est-ouest, qui sépare les espaces

privés de l’enceinte monastique des espaces semi–publics en se fondant dans le

paysage. Cet axe perméable relie le visiteur aux fonctions «publiques», soit

l’hôtellerie et l’église. Par son opacité minérale, cet axe marque l’enceinte

monastique et le cloître réservés exclusivement aux moines cisterciens.Cette

hiérarchisation des espaces publics aux espaces privés s’opèrent également à la

verticale, puisque les aires de réunion se retrouvent au rez-de-chaussée.

Formellement, la pureté des volumes reflète, d’une part, la simplicité du mode de

vie monastique et, d’autre part, la nature vierge de la forêt environnante. Les toits

verts et la matérialité sobre (bois, béton, ardoise) viennent renforcer l’aspect

intemporelle de l’intervention bâtie.

Figure 8 : Abbaye Val-Notre-Dame, cloître

4. PROJET

4.1 – analyse de site

Figure 9 : Analyse de site

19

20

Puisque le site est présentement vierge, l’analyse porte principalement sur

l’aspect géographique et paysager du site, et sur le projet présenté par la compagnie

Stornoway. Ce projet aura un impact significatif sur le paysage, vu son ampleur. Le site

est relativement accidenté. Les flancs montagneux au sud-est du site (1) le surplombent

de 160 m. Le site est parcouru par un système hydrographique complexe, dont l’élément

majeur est le lac aux Lagopèdes (2). Ce lac forme une presqu’île (3). Le site est situé

dans une zone nordique moyenne (Hamelin : 1980) où la forêt boréale prédomine. Les

températures atteignent -35º C en janvier et 20º C en juillet. Les vents dominants, qui

atteignent 40 km/h, proviennent principalement de l’Ouest en été et de l’Est en hiver.

Une forêt d’épinettes noires, dont les spécimens restent relativement petits à cause du

climat, couvre le site.

Figure 10 : carte topographique et hydrographique

21

Figure 11 : Rose des vents, été

4.2 – Projet proposé par la mine

La mine aura un impact majeur sur le paysage du site. Une partie de la mine

sera à ciel ouvert (voir figure 12, no. 1, 2, 3). L’excavation génère une quantité

importante de roc qui forme des amoncellements immenses (4, 5, 6, 7) La mine

comporte une usine de traitement du minerai (8) et le camp des mineurs est prévu sur

un site immédiatement adjacent à la mine au sud-ouest (9). Des plans pour un complexe

d’habitation furent conçus par la firme d’ingénieurs SNC-Lavalin pour le compte de

Stornoway (voir figure 13). À la lecture de ces plans, il est clair que la relation à la

topographie naturelle du site et au lac aux Lagopèdes ne faisait pas partie des

préoccupations des concepteurs. Ainsi, les bâtiments sont disposés sur une trame

orthogonale simpliste et rigide. La présence toute proche du lac aux Lagopèdes n’est

pas prise en compte puisqu’aucune connexion visuelle ou physique n’est créée.

L’aspect compact du campement est un rare point positif à retirer de cette proposition,

même si la plupart des bâtiments n’ont qu’un étage. Au point de vue urbain, les

bâtiments ne sont pas placés de façon à créer des lieux publics extérieurs intéressants

ou vivants.

Figure 12 : implantation de la mine

22

Ainsi, l’espace entre les différents bâtiments est perdu. L’implantation proposée

place le campement à moins de 200 m de la mine, le long de la route projetée reliant la

mine à Chibougamau. Cette proximité pourrait être nuisible, puisque l’activité minière

génère un niveau élevé de pollution sonore.

Les bâtiments proposés, habillés de tôle beige, rappellent des bâtiments

industriels par leur dimension et leur matérialité. Par ailleurs, la façon dont le programme

est subdivisé en bâtiments distincts exacerbe l’aliénation de l’usager par rapport à son

environnement. Ainsi, les composantes du programme ayant rapport aux loisirs

(télévision, table de billard, etc.) se retrouvent dans un bâtiment dédié aux loisirs. Il est

donc impossible pour l’usager d’y mener une vie telle qu’il la connaissait avant d’aller

vivre à la mine, où il existait une transition entre l’espace privé de l’usager et l’espace

dédié à de la communauté. Cette aliénation est renforcée par le fait que toutes les ailes

du campement sont reliées par un corridor intérieur. Ce geste, qui vise à éviter la rigueur

du climat aux travailleurs, renforce encore plus cette aliénation, cette coupure entre

l’usager et son environnement. En somme, l’aspect quantitatif (superficie allouée à

chaque fonction) est considéré mais l’aspect qualitatif est complètement évacué. Par

ailleurs, le coût relié à la construction du campement semble être le seul facteur qui est

entré en ligne de compte pour la conception du campement.

23

Figure 13 : Plans du complexe d’habitation

Le programme à la page suivante est basé sur les besoins exprimés par la

compagnie minière Stornoway. Les surfaces correspondent donc à celles figurant sur

les plans précédemment mentionnés, produits par SNC-Lavalin.

24

Bâtiment Quantité Surface (m²) Dortoir Chambres type A 168 x 11 1848 Chambres type B 60 x 13,5 810 Salles de bain type A 84 x 3,2 270 Salles de bain type B 60 x 4,8 288 Circulations horizontales 6 x 138 830 Circulations verticales 9 x 26,6 240 Total 4286 Cafétéria Salle à manger 1 x 395 395 Cuisine 1 x 225 225 Chambre froide / dépôt 11 x 53 585 Salle de bains 1 x 40 40 Plonge 1 x 65 65 Cafétéria 1 x 100 100 Entrée, circulations 165 Total 1575 Gymnase Gymnase 1 x 425 425 Circulations horizontales 1 x 50 50 Total 475 Administration Réception 1 x 128 128 Bureaux 16 x 15 235 Salle de bains 4 x 3,5 14 Buanderie 1 x 40 + 1 x 14 54 Circulations, salle d’attente 1 x 140 140 Livraison 1 x 34 34 Total 605 Bâtiment de détente Cinéma 1 x 55 55 Télévision 2 x 30 60 Salon 1 x 110 110 Musculation 1 x 110 110 Circulation, entrée 65 Total 400 Garage Garage 3 x 50 150 Total 150 Grand Total 7491

25

4.3 – Processus de conception

Dès les premières rencontres étudiant-professeur visant à démarrer le projet, une vision

s’est dégagée du potentiel pour ce projet. L’idée de créer un projet qui dépasserait le

cadre strict de la mine s’est imposée. Le handicap principal du site, soit son éloignement

absolu, peut être considéré comme un atout. Ainsi, les espaces vierges infinis qui

entourent la mine ont un potentiel pour l’industrie touristique. Ceci comporte deux

avantages. D’abord, les infrastructures qui doivent être construites pour les besoins de

la mine sont plus rentables si elles sont utilisées à plus d’une fin. Ainsi, la route reliant

Chibougamau au Projet Renard ainsi que la piste d’atterrissage et les vols réguliers

desservant la mine seraient rentabilisés davantage. Tel que mentionné précédemment,

la compagnie prévoit que les employés vivent à la mine la moitié du temps seulement.

Deux fois par mois, un groupe de travailleurs arrive par avion pour en remplacer un

autre. Ces vols peuvent donc servir à transporter d’autres visiteurs sans occasionner de

frais supplémentaires. Ce scénario rentabiliserait également les composantes

communes du programme tel que le restaurant et le gymnase. Ce changement de

paradigme redéfinit la façon de voir le travail et la vie à la mine. L’ajout d’une vocation

touristique amène une population différente à la mine. Cette diversité enrichirait la vie

des travailleurs. Par exemple, les mineurs pourraient inviter leurs familles à y passer

leurs vacances. Le vocabulaire utilisé pour parler du projet s’est donc adapté : le projet

de logements s’est progressivement transformé en projet de «village» avec tout ce que

cela présuppose.

Lors de la critique préliminaire, la proposition présentée plaçait le «village» sur la

pointe de péninsule du lac aux Lagopèdes située au Nord de la mine. L‘idée était que la

péninsule formerait un «cadre», une limite naturelle au village. En plus de marquer la

particularité du lieu dans la mémoire collective, la contiguïté induite par péninsule

encouragerait l’interaction et l’échange au sein de communauté des travailleurs. Par

ailleurs, la traversée du bras du lac aux Lagopèdes séparant la mine du village formerait

un seuil marquant le passage du travail au repos, afin de donner à l’usager un sentiment

qu’il n’est pas constamment «à la mine». Pourtant, cette proposition fut mal reçue. Le

rapport effort / effet fut critiqué : la construction d’un pont reliant la péninsule à la mine

entraîne des coûts démesurés par rapport aux bénéfices retirés. De plus, le fait

d’excentrer le village par rapport à la mine à ce point altère encore plus la nature vierge

du site. Finalement, le fait d’avoir la mine constamment dans son champ de vision peut

26

être oppressant pour les travailleurs à la longue. L’aspect bioclimatique du projet fut

également au cœur de cette critique. L’importance de concevoir des bâtiments

compacts fut soulevée. Par ailleurs, le positionnement proposé exposait particulièrement

les bâtiments aux vents de l’Est en hiver.

Lors de cette rencontre, l’idée fut avancée de positionner le village sur les berges

du lac aux Lagopèdes, à la jonction entre le paysage artificiel de la mine et le paysage

naturel qui l’entoure. Le village devient ainsi à la fois un dispositif de cadrage optique de

la nature et un seuil entre le monde humain et naturel. Les espaces publics communs

forment un seuil intermédiaire entre les logements et la mine qui signifie le passage du

travail à la détente. Le village est relié à la mine par un réseau de sentiers destinés aux

piétons qui peuvent être empruntés par des véhicules lors de la phase de construction et

en cas d’urgence seulement. L’implantation du village rend superflue la présence d’une

route carrossable desservant chaque bâtiment. En effet, les 600 mètres séparant la

mine du village peuvent être parcourus à pied en 7 minutes environ. Cette stratégie de

transport actif comporte deux avantages : En plus de réduire la portée des travaux de

voirie nécessaires, l’utilisation de modes de transports actifs (bicyclette, marche,

raquette, ski de fond par exemple) change la perception et l’expérience du lieu par

l’usager. Exposé directement aux éléments, celui-ci percevra plus finement les

changements quotidiens et saisonniers dans la faune, la flore et la météo.

Afin de concrétiser la vision de village, le programme a été revu. Les chambres

des travailleurs sont regroupées au sein de neuf bâtiments relativement autonomes

comprenant une cuisine, un espace pour manger ainsi qu’un salon en plus des

chambres et des installations sanitaires des usagers. Cette décision programmatique

sert à hiérarchiser la transition entre l’individu et la communauté. Ainsi, à l’échelle de

l’individu, chacun possède l’intimité nécessaire pour se laver et se reposer seul, tout en

profitant d’un lien visuel unique avec le paysage du lac aux Lagopèdes. À l’échelle d’un

groupe d’usagers de 12 à 36 personnes, chaque bâtiment offre l’espace nécessaire pour

manger ou se détendre en groupe. Cela donne plus de possibilités à chaque individu.

Ces bâtiments de logements sont structurés autour d’une place publique centrale

bordée par les bâtiments publics, soit le restaurant, le gymnase, le bâtiment

administratif et le garage. Cette place publique peut servir de lieu de rassemblement

formel ou informel pour tous types d’évènements. Par exemple, un feu pourrait y être

allumé pour rassembler les travailleurs. Cette place publique serait aménagée

27

minimalement, puisque le nombre d’usagers ne justifie pas une place publique urbaine

proprement dite. Il s’agit plutôt d’une surface où la pierre du sous-sol est exposée. Ainsi,

si la mine ferme ses portes dans une dizaine d’années, la place publique retournerait à

l’état naturel rapidement. Par ailleurs, ce lieu resterait dans le même esprit que la nature

sauvage environnante. Cette place publique est directement adjacente au lac aux

Lagopèdes. Cela fait sorte que la place est le lieu de rencontre névralgique des

pêcheurs et des baigneurs en été, des patineurs et des skieurs de fond en hiver, des

travailleurs partant pour la mine, et des clients du gymnase et du restaurant.

La forme et l’orientation des logements sont basés sur les données récoltées lors

de l’analyse de site. Ainsi, les hauteurs des logements sont en escaliers descendant

vers les berges du lac pour maximiser les vues. Les bâtiments sont de forme allongée

parallèle aux berges du lac afin que chaque chambre ait une vue unique sur l’eau. Les

bâtiments s’adaptent aux courbes topographiques du site. Cette stratégie comporte

deux avantages. Premièrement, chaque bâtiment est formellement unique. Cette unicité

formelle permet à l’usage de s’identifier à une construction, une appropriation de

l’usager pour son logement qui engendrera divers bénéfices. D’autre part, le fait de

suivre la topographie existante permet de s’implanter plus légèrement, sans changer le

relief naturel du site. Dans le contexte d’un milieu éloigné où la main d’œuvre est rare,

cette stratégie minimise les coûts reliés à l’aménagement paysager et aux fondations.

Puisque le site est en pente vers le lac, l’arrière des bâtiments repose sur le sol et

l’avant repose sur pilotis. Ces pilotis et les colonnes forment une forêt qui s’intègre aux

arbres aux alentours.

Lors de la critique intermédiaire, l’implantation proposée fut approuvée par le

jury. La discussion porta sur les propositions formelles et constructives sur la table. Il fut

mentionné que la question des coûts de construction est incontournable pour un projet

en région isolée. La solution la plus réaliste pour réduire les coûts de construction est la

préfabrication. Ainsi, la forme des bâtiments de logements qui suit la topographie fut

rationnalisée pour que chaque bâtiment puisse être composé en grande partie de

modules préfabriqués tous identiques. Chaque module comprend la chambre d’un

travailleur, un espace de travail (table intégrée), une garde-robe, un WC avec douche,

toilette et évier, et un balcon séparé de la chambre par un espace trois-saisons défini

par une moustiquaire amovible. Cet espace trois saisons permet d’entreposer les

équipements de plein-air de l’usager s’il y a lieu (canne à pêche, patins, fusil de chasse,

28

etc.). Le balcon est relié au sol par une échelle pour donner un accès physique direct de

la chambre à l’extérieur aux travailleurs, qui serait praticable trois saisons par année.

Lors d’une fermeture éventuelle de la mine, les modules pourraient donc être

désassemblés et réassemblés sur le site d’une mine en production. Le but est d’allonger

la vie utile de la structure en la déplaçant aux sites où la demande en logements existe.

Lors de la critique finale, le jury s’est attardé à un problème constructif : La toiture

supérieure doit-elle être isolée et imperméable ? La membrane imperméable doit-elle

plutôt recouvrir le toit du module ? Ceci serait nécessaire si les précipitations pénètrent

entre les deux toitures. Ce dédoublement entraîne des coûts additionnels. Par ailleurs,

on a critiqué le peu d’attention portée à la conception du module en tant que tel. Par

exemple, les modules auraient pu être conçus de manière à toujours coller les WC d’un

module sur celui du voisin pour simplifier la plomberie. Par ailleurs, des modules conçus

avec plus du soin auraient mieux répondu aux besoin d’intimité des usagers. Les

travailleurs auraient davantage joui de leur expérience en vivant dans un module plus

confortable. On a souligné le fait que ce type d’exercice est documenté dans plusieurs

projets d’habitations minimales. Ceci constitue donc le point d’amélioration le plus

important par rapport au projet présenté lors de la critique finale. Le jury a également

noté un certain nombre de points positifs. Ainsi, la sensibilité par rapport à la

topographie du site fut soulignée. Par ailleurs, le jury s’est dit convaincu par les qualités

du projet dans son ensemble en comparaison au projet présenté par la compagnie

minière. Les perspectives présentées évoquent la possibilité d’un milieu de vie plus

accueillant pour les travailleurs.

5. SYNTHÈSE

Il ne fait aucun doute que le projet proposé est plus coûteux à construire que le

projet que la compagnie minière projette de réaliser. Or, cet investissement additionnel

aurait plusieurs retombées positives pour la compagnie. D’abord, la compagnie minière

pourrait réduire ses coûts en transport si certains travailleurs, se sentant chez eux dans

l’environnement de la mine, décidaient de rester à la mine pour des périodes dépassant

les deux semaines proposées par la mine. Le bien-être accru des travailleurs se

traduirait également par une plus grande productivité des travailleurs. La construction

modulaire rend la construction plus durable puisque les modules peuvent être réutilisés

ailleurs. Il s’agit là d’une autre façon de rendre projet durable. L’ajout d’une vocation

29

touristique au complexe rend l’investissement économique plus justifié et enrichit le

milieu de vie des travailleurs. Au-delà du bien-être des travailleurs, une volonté de la

part de la mine de léguer un milieu de vie durable aux québécois influencerait

possiblement l’opinion publique, actuellement très critique vis-à-vis la gestion de

l’exploitation des ressources naturelles au Québec. En créant un milieu de vie au-delà

de la mine, la compagnie minière a toutes les chances de faire un projet dont la

communauté sera fière et dans lequel elle voudra s’investir, assurant ainsi la prospérité

sociale et économique de la région.

30

BIBLIOGRAPHIE

Blanc, Bernadette. Environnement industriel et qualité de vie, modalités d’appropriation

de l’espace. Montréal: Faculté de l’Aménagement, Université de Montréal, 1986.

Clifford, Susan. (2009) The Effects of Fly-in/Fly-out Commute Arrangements and

Extended Working Hours on the Stress, Lifestyle, Relationship and Health

Characteristics of Western Australian Mining Employees and their Partners. Mémoire de

maîtrise. Perth : University of Western Australia.

Decker, Julie. Modern North: Architecture on the Frozen Edge. New York: Princeton

Architectural Press, 2010.

Dufaux, François. « Affirmer son existence: L’architecture comme projet politique »

Arguments 13.2 (2011) 45-60

Fisher, Thomas. « Cold calculations: technics, design for cold climates » Progressive

Architecture 63.11 (1982) 134-139

Ganapati, Sukumar. « Critical Appraisal of Three Ideas for Community Development in

the United States » Journal of Planning Education and Research 27:3 (2008): 382-399.

Hamelin, Louis-Edmond. Nordicité canadienne. Ville LaSalle: Hurtubise, 1980.

Habraken, N. John. Supports : An Alternative to Mass Housing, London: Urban

International Press, 1999.

Heller, Allison. « Creating Healthy cities through socially sustainable placemaking »

Australian Planner 46.2 (2009) 18-21

Jacquard, Albert. De l’angoisse à l’espoir, Paris : Calmann-Lévy, 2002.

Jencks, Charles. The language of post-modern architecture, New York : Rizzoli, 1977.

King, A. D. « Colonial Cities : Global Pivots of Change » In : Ross, R. (dir.) Colonial

Cities. Dordrecht : Martinus Nijhoff Publishers, 1985

Loubès, Jean-Paul. Traité d'architecture sauvage : manifeste pour une architecture

située. Paris : Sextant, 2010.

31

Moles, A. « Aspects psychologiques de l’appropriation de l’espace » Actes de la 3e

conférence des psychologie de l’espace construit (1976) 84-89

Osherenko, Gail. « Human / nature relations in the Arctic: changing perspectives. »

Polar record 167.28 (1992): 277–284

Fermont, P.Q. Réalisateur: Clément Perron. Office National du Film du Canada, 1981.

Pribble, L.W. Planning and Construction of Remote Communities. New York: John Wiley

& Sons, 1984.

Robson, Robert. Planning for Winter Livability in the Resource Sector. Winnipeg:

Institute of Urban Studies, 1987.

Schoenauer, Norbert. Housing in Fermont. Montréal: McGill University, 1978.

Sorkin, Michael. « Dwelling Machines » Design Quarterly 138.1 30-40, 1987

Talen, E. « Sense of community and neighbourhood form: An assessment of the social

doctrine of new urbanism. » Urban Studies 36.2 1361-1379, 1999.

Tremblay, Louis. Martin, R. (2012) « Plan Nord : Un pari risqué ». Le Quotidien, 12 mai

2012.

WCED. Our common future. New York: Oxford University Press, 1987.

Yan, Xiaoying Winston. « Design Evaluation of an Arctic Research Station from a User

Perspective » Environment and Behavior 33.3 (2001) 449-467

Yehuda, Safran Domus 858, Avril 2003

ANNEXE 1 : PLANCHE 1, CRITIQUE FINALE

32

ANNEXE 2 : PLANCHE 2, CRITIQUE FINALE

33

ANNEXE 3 : PLANCHE 3, CRITIQUE FINALE

34

35

ANNEXE 4 : MAQUETTE ÉCHELLE 1 :1000, CRITIQUE FINALE

ANNEXE 5 : MAQUETTE ÉCHELLE 1 :1000, CRITIQUE FINALE

36

ANNEXE 6 : MAQUETTE ÉCHELLE 1 :100, CRITIQUE FINALE

ANNEXE 7 : MAQUETTE ÉCHELLE 1 :100, CRITIQUE FINALE