sur l’ambiguïté du négativisme

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L’évolution psychiatrique 79 (2014) 321–344 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Article original Sur l’ambiguïté du négativisme On the ambiguity of negativism Thomas Lepoutre a,b,a Allocataire moniteur, EA 3522, CRPMS, université Paris Diderot, Sorbonne Paris-Cité, 5, rue Thomas-Mann, 75205 Paris cedex 13, France b Psychologue clinicien, établissement public de santé Érasme, 143, avenue Armand-Guillebaud, 92161 Antony, France Rec ¸u le 16 ecembre 2011 Résumé On s’attache ici à rouvrir la question du négativisme, en soulignant l’ambiguïté du signe : car tant du point de vue de son extension sémiologique, que du point de vue de sa fonction dans la symptomatologie, le négativisme paraît mal caractérisé. L’étude de ses formes concrètes nous amène à réinterroger son extension, qui fait débat dans la sémiologie. L’analyse ouverte sur ses effets de sens conduit ensuite à questionner le statut de l’objet qui s’y trouve toujours impliqué, par quelque côté en témoignent les renversements fréquents du signe de la relation à l’objet. L’essentiel de cette investigation peut alors trouver à se formuler dans une remarque qui anticipe sa démonstration : certes le négativisme semble à première vue renforcer l’autisme du schizophrène, mais parce que dans ses manifestations cliniques, il répond toujours à une présence désirante, il pourrait plutôt fonctionner comme l’une des tentatives de retourner sur le chemin de l’objet : une « tentative de guérison », donc. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Négativisme ; Schizophrénie ; Sémiologie ; Autisme ; Symptôme ; Processus psychique ; Clinique ; Psychanalyse ; Freud S ; Étude théorique Abstract This paper is a clinical contribution to the problem of schizophrenic negativism. The author tries to highlight the ambiguity of this symptom, because both its semiological acceptation and his importance in schizophrenic symptomatology are not properly qualified. The study of its clinical manifestations leads to call into question both its accepted meaning and its interpretation. While most authors seem to agree Toute référence à cet article doit porter mention. Lepoutre T. Sur l’ambiguïté du négativisme. Evol psychiatr. année ; Vol. (N o ) : pages (pour la version papier) ou adresse URL et date de consultation (pour la version électronique). Auteur correspondant. CRPMS, université Paris Diderot, Sorbonne Paris-Cité, 5, rue Thomas-Mann, 75205 Paris cedex 13, France. Adresse e-mail : [email protected] 0014-3855/$ see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2012.09.008

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Page 1: Sur l’ambiguïté du négativisme

L’évolution psychiatrique 79 (2014) 321–344

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Article original

Sur l’ambiguïté du négativisme�

On the ambiguity of negativism

Thomas Lepoutre a,b,∗a Allocataire moniteur, EA 3522, CRPMS, université Paris Diderot, Sorbonne Paris-Cité, 5, rue Thomas-Mann, 75205

Paris cedex 13, Franceb Psychologue clinicien, établissement public de santé Érasme, 143, avenue Armand-Guillebaud, 92161 Antony, France

Recu le 16 decembre 2011

Résumé

On s’attache ici à rouvrir la question du négativisme, en soulignant l’ambiguïté du signe : car tant dupoint de vue de son extension sémiologique, que du point de vue de sa fonction dans la symptomatologie, lenégativisme paraît mal caractérisé. L’étude de ses formes concrètes nous amène à réinterroger son extension,qui fait débat dans la sémiologie. L’analyse ouverte sur ses effets de sens conduit ensuite à questionner le statutde l’objet qui s’y trouve toujours impliqué, par quelque côté – en témoignent les renversements fréquentsdu signe de la relation à l’objet. L’essentiel de cette investigation peut alors trouver à se formuler dans uneremarque qui anticipe sa démonstration : certes le négativisme semble à première vue renforcer l’autisme duschizophrène, mais parce que dans ses manifestations cliniques, il répond toujours à une présence désirante,il pourrait plutôt fonctionner comme l’une des tentatives de retourner sur le chemin de l’objet : une « tentativede guérison », donc.© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Négativisme ; Schizophrénie ; Sémiologie ; Autisme ; Symptôme ; Processus psychique ; Clinique ;Psychanalyse ; Freud S ; Étude théorique

Abstract

This paper is a clinical contribution to the problem of schizophrenic negativism. The author tries tohighlight the ambiguity of this symptom, because both its semiological acceptation and his importance inschizophrenic symptomatology are not properly qualified. The study of its clinical manifestations leadsto call into question both its accepted meaning and its interpretation. While most authors seem to agree

� Toute référence à cet article doit porter mention. Lepoutre T. Sur l’ambiguïté du négativisme. Evol psychiatr. année ;Vol. (No) : pages (pour la version papier) ou adresse URL et date de consultation (pour la version électronique).

∗ Auteur correspondant. CRPMS, université Paris Diderot, Sorbonne Paris-Cité, 5, rue Thomas-Mann, 75205 Pariscedex 13, France.

Adresse e-mail : [email protected]

0014-3855/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2012.09.008

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that negativistic behavior is an effect of the withdrawal of object love and seems therefore to reinforce theautistic position of schizophrenic patient, the author underlines what is left unexplained by such theories:the common alternation between states of negativism and states of complete submission to an all-powerfulobject. This frequent reversal of the sign of the object relation shows that negativism could be preciselyunderstood as an attempt to re-establish an object cathexis, that is to say, an attempt to heal.© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Negativism; Schizophrenia; Semiology; Autism; Symptom; Psychical process; Clinical practice; Freud S;Theoretical study

Récemment, est parue dans ces pages une brève « Note sur le négativisme schizophrénique »[1] invitant « le clinicien à s’interroger davantage et à approfondir la recherche » : il s’agit ici d’yrépondre, en contribuant à éclaircir ce que l’on a voulu valider sous cette rubrique.

Si l’on souhaite rouvrir la question du négativisme des schizophrènes, c’est qu’il subsisteaujourd’hui dans l’abord du phénomène un grand nombre d’incertitudes, qui tiennent sans douteà l’équivoque des mises en forme théoriques qui tentent laborieusement d’en rendre compte, maisplus encore à l’imprécision de sa caractérisation sémiologique.

1. Considérations préliminaires

À parcourir la littérature, chacun s’assurera vite qu’au sujet du négativisme, il y a simultanémentune zone d’indétermination sémiologique et un nœud d’ambiguïtés théoriques, à vrai dire d’autantplus sensibles que de nombreux travaux tentent explicitement d’articuler cette notion psychiatriqueà des mécanismes qui intéressent plus proprement la psychanalyse. On y a du coup consigné denombreuses hypothèses (Nicolas Brémaud a d’ailleurs fait l’inventaire d’un certain nombre deréférences), mais tout se passe comme si celles-ci étaient pour la plupart flottantes au-dessus dela clinique, sans s’appliquer au négativisme tel qu’il se rencontre dans la pratique concrète, sansrendre compte de ses évolutions possibles, sans interroger ses renversements si fréquents, sans semettre en mesure d’en circonscrire l’extension et la prévalence – ce sont là pourtant des questionspréliminaires que l’on doit réexaminer avant de former le projet d’en épingler la signification.

C’est qu’on ne peut pas, dans l’étude d’un signe artificiellement isolé, se précipiter pouren produire une analyse psychopathologique claire et assurée, avant même d’interroger ce quemontre la pratique. On ne peut pas avoir l’ambition de fixer le symptôme à un sens pour ainsi direimmuable, tout en oubliant que ce sens ne se motive qu’à s’insérer dans la trame plus générale dela symptomatologie et de son évolution : il faut d’abord suivre le signe dont nous faisons l’étudedans l’expérience clinique, pour l’y délimiter.

Contre une certaine tendance, notre propos a donc l’ambition d’une délimitation sémiologique,d’autant plus urgente que nous sommes sans cesse sous la menace d’étirer à tort les manifestationsdu négativisme à tous les refus qui peuvent se rencontrer dans la clinique, quel que soit leur contextepsychopathologique, pour mieux déchiffrer le symptôme comme une posture.

Le négativisme se trouve ainsi régulièrement « délayé », parce que nous ne voulons voir que laposition subjective dont il semble l’effet. C’est qu’en croyant suivre Freud, sous l’effet conjuguéde l’habitude et de la passion du sens, nous avons voulu déchiffrer d’emblée le négativismecomme une signification. Mais voilà, à ne voir que la « position subjective », et à agrandir sesmanifestations, nos efforts ont abouti, en fait, à faire du négativisme, de ce symptôme isolé etcirconscrit, une sorte de caractère.

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On peut s’étonner que, ce faisant, on ait accompli un mouvement précisément inverse à celuiqu’épouse la rationalité freudienne. Ceci s’explique par deux « tendances » connexes, que l’onpeut peut-être pointer dès ces considérations préliminaires. D’une part, en effet, nous avonstoujours tendance à agrandir le signe localisé pour le déchiffrer comme une position subjectivestable et pour ainsi dire caractérielle – alors que Freud, lui, a toujours, dès les premiers tempsde son élucidation, tiré les grandes manifestations caractérielles du côté du symptôme isolé,pour les déchiffrer selon les lois des formations inconscientes. D’autre part, mais c’est un pointhomogène puisqu’il concerne notre propension au déchiffrage, Freud nous a sans cesse averti desdifficultés dans lesquelles tombe immanquablement le clinicien qui se précipite dans le « raccourcidu sens », par cette identification hâtive de la « formation inconsciente » à sa signification – ainsiqu’il la dénoncait sur le terrain du rêve :

« Maintenant que les analystes se sont du moins accoutumés à mettre à la place du rêvemanifeste son sens trouvé par l’interprétation, beaucoup d’entre eux se rendent coupablesd’une autre confusion à laquelle ils tiennent [. . .] obstinément. Ils cherchent l’essence durêve dans ce contenu latent, et ainsi ne veulent pas voir la différence entre les pensées derêve latentes et le travail de rêve. » ([2], p. 557–8)

Ce que l’on manque dans cette identification trompeuse, (pour ne pas dire, comme Freud,« confusion » !), c’est le mode d’articulation du sens – entendons, si on se maintient au niveaudu signe qui nous occupe ici, ce que l’on manque à envisager le négativisme dans cette« identification » à ses oppositions latentes, c’est la grammaire du refus qui s’y notifie. C’estpourquoi un réexamen des figures cliniques du négativisme se doit aujourd’hui de ressaisir ceréel, mais sans le diluer.

Il s’agit donc de repartir du fait même : qu’est-ce que le négativisme ? Quelles sont, concrè-tement, les manifestations par lesquelles il se donne à voir ? À quel titre celles-ci peuvent êtredites « négativistes » ? Il se trouve que cette question élémentaire a été curieusement ajournée : onhésite encore, en effet, à le caractériser tantôt comme un symptôme occasionnel qui se rencontrecomme composante contingente du syndrome catatonique, tantôt comme une position absolumentnécessaire et caractéristique de la schizophrénie en général – or c’est là une hésitation qui doits’expliquer.

Si nous proposons de repartir de l’étude proprement sémiologique du négativisme, c’est pourressaisir le négativisme en sa valeur démonstrative comme telle : et pour ce faire, il s’agit des’en tenir au fait – d’autant plus fermement que c’est bien souvent dans un détail manifeste dutableau clinique que Freud nous a appris à reconnaître un « trait » ([3], p. 267) qui fait basculerl’analyse des faits de la symptomatologie vers leur élucidation psychopathologique. Entendonsbien : parce que c’est dans le détail des signes mêmes, en leur factualité, que s’articule le « sensdu symptôme », et que c’est en ressaisissant ces signes dans leur lisibilité manifeste que Freud yaccomplit sa percée, nous laisserons ici le fait clinique à l’état de désordre tel qu’il apparaît dansla pratique, et son interprétation sera renvoyée à un temps second, ou laissée au lecteur – c’estune manière de lui signifier notre souci de commencer par ne pas comprendre1.

1 « Le compréhensible est un terme fuyant, insaisissable, il est surprenant qu’elle ne soit jamais pesée comme une leconprimordiale, une formulation obligée à l’entrée de la clinique. Commencez par ne pas croire que vous comprenez. Partezde l’idée du malentendu fondamental. » ([4], p. 29).

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2. Le mot et la chose

On peut repartir du mot même, pour essayer de dénoncer ce qu’il préjuge, par sa chargesignifiante, dans la théorie. Il y a d’abord ce qui pointe, dans sa lettre, vers le negare étymologique,soit le fait de nier, de démentir, de contester, de refuser. On notera qu’il y a là, à l’origine, unedimension transitive déterminante : on nie quelque chose – une « chose » qui, ainsi située commeobjet de la négation, est reconnue dans sa négation même. Cette valeur transitive de la négation, parlaquelle elle vise toujours un objet, tient à ceci qu’elle doit, dans son procès, le poser explicitementpour l’annuler – en quoi la négation est d’abord admission. Même lorsqu’à l’usage son terme seprête, par extension, à un emploi intransitif – à l’occasion duquel l’objet semble s’effacer et oùle sens de l’action semble se resserrer autour de son seul sujet (« esprit qui ne sait que nier », « ilnie », etc.) – il reste que l’action, dans de tels emplois, ne se limite pas au sujet : si le verbe nerecoit pas de complément, c’est que l’objet y est implicite mais toujours impliqué. La remarquepourrait sembler élémentaire, elle est pourtant décisive : c’est que pour nier quelque chose, il fautlui reconnaître ce minimum de réalité qui permet de l’affecter d’un signe négatif et qui la faitexister au moins au titre de discours – on sait quelle analyse Freud sera amené à faire, dans sathéorie pulsionnelle de la Verneinung, de cette propriété linguistique [5].

En convoquant au passage l’article de 1925 sur « la négation », on est tenté d’inscrire d’embléele négativisme dans l’horizon freudien : il faut pourtant s’en garder si l’on veut préciser lejeu qui travaille les deux termes – car de la négation au négativisme, il subsiste un écart detaille à réinterroger. C’est ce qui justifie qu’on fasse droit plus précisément au suffixe, l’-isme,qui systématise le radical, le renforce, et l’alourdit en quelque sorte. Dans le négativisme,c’est un peu comme si la négation se voyait conférer une sorte de constance systématique,l’affranchissant pour ainsi dire de son objet, puisque celle-ci se mettrait à s’appliquer à toutobjet quel qu’il soit : bref, tout se passe comme si la « négation » en jeu se portait à un point plusessentiel.

Le négativisme, c’est donc une négation généralisée, une réaction d’opposition manifeste àtoutes les propositions quelles qu’elles soient, une posture de récusation visant toutes les sol-licitations d’où qu’elles viennent et quoi qu’elles visent – sorte de « résolution » qui se décided’une certaine facon au mépris des objets qu’il s’agit de récuser puisqu’ils n’y entreraient,dès lors, même plus en ligne de compte. Tout se passe, en effet, comme si le négativismese décidait sans avoir à admettre de jugement sur l’objet – ce qui s’illustre remarquablementdans la persistance avec laquelle, dans la clinique, le schizophrène peut se maintenir dans lacontradiction des invitations qu’on lui fait, y compris quand on en inverse le signe : quoi qu’onfasse, même lorsque on change de position pour aller « dans son sens », le négativisme prend àcontre-pied.

C’est d’ailleurs en quoi on peut avoir le sentiment qu’il ne s’agit pas, dans le négativisme, pourle schizophrène, de faire valoir une position propre, ou de soutenir une opinion vis-à-vis d’unobjet : parce que celle-ci est elle-même changeante selon la variabilité des sollicitations, on a lesentiment que c’est plutôt sur le mode d’une petitio principii que le schizophrène s’opposerait defacon essentielle.

Mais à bien y regarder, notons-le d’emblée, c’est aussi ce qui fait droit, radicalement, à l’objet :parce que le négativisme y répond très précisément, en suivant ses intentions changeantes, on estcontraint de prendre acte de ceci, que l’objet commande, en fait, intégralement les prises deposition successives dans une situation où le schizophrène semble, du coup, flotter à tous lesvents du caprice de l’autre – c’est une facon d’annoncer le point décisif qu’il s’agit de mettre aujour dans la clinique.

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On soulignera qu’interpréter le négativisme comme cette sorte de pétition de principe réintro-duit le suffixe « -isme » au cœur d’une ambiguïté centrale pour notre propos, si tant est qu’un telsuffixe peut référer aussi bien à la qualité d’un état constaté, à la singularité d’un comportement(éventuellement symptomatique) ou à une maladie, qu’à un mode de pensée plus ou moins systé-matisé, à un corps de doctrine, à une posture d’effet idéologique. Or c’est là que l’analyse lexicalerejoint la pratique : car curieusement, on va le voir, cette alternative qu’induit la polysémie dusuffixe, on en retrouve des effets très concrets dans la pratique. Il se trouve en effet que l’extensiondu négativisme varie considérablement selon les définitions qu’on en donne – pour fixer les deuxlimites de cette amplitude, on peut recourir à ses occurrences concrètes dans la littérature : le motdésigne tantôt un signe ou un ensemble de signes qui se découpe très nettement dans la clinique, etqui s’isole d’une manière pour ainsi dire localisée ; tantôt une position subjective que l’on est tentéd’identifier à la position générale du psychotique faite de désintérêt, d’athymhormie, d’autisme,position tissée dans le refus de la réalité.

Tout se passe ainsi comme si le négativisme était tendu entre deux acceptions : on retrouverait,d’une part, une extension restrictive, soit un sens étroit, sémiologique, particulièrement défini, oùle négativisme se manifeste comme symptôme positif dans l’observation du comportement (onen détaillera les figures) et, d’autre part, à l’autre bout, un sens large, où l’acception est si amplequ’on en fait une sorte d’idéologie privée, un mode d’être du schizophrène refusant le monde, etengageant une prise de position stable et constante vis-à-vis de la réalité.

De là, et pour donner une idée de la confusion où nous a mené un problème que l’on a troplongtemps renoncé à situer sur le terrain de la clinique, on en viendrait presque à poser la question :le négativisme est-il ce symptôme circonscrit, ce trouble délimité, cet indice positif de maladiequ’ont décrit les manuels historiques, ou une position subjective constante du schizophrène,commandée par une sorte de doctrine existentielle régissant sa conduite dans l’être ? Après tout,on pourrait assumer pleinement l’abord spéculatif du problème en posant ainsi la question, d’autantplus valable, en sa naïveté apparente, que c’est en référence explicite à une position philosophiqueque le fait clinique a été initialement épinglé comme « nihilisme » ! Envisager sérieusement cettepremière ambiguïté lexicale n’aurait alors rien d’une coquetterie : c’est plutôt qu’elle introduiraitdéjà au cœur d’un problème.

Aussi, pour réintroduire à l’expérience clinique où le signe s’est isolé, nous pouvons verserune pièce supplémentaire au dossier des références « historiques » ouvert par Nicolas Brémaud :pour le lecteur, nous avons retrouvé la première description clinique de Morel qui introduit dansla sémiologie, même si le mot ne sera forgé que quelques années plus tard par Kahlbaum, lenégativisme comme tel :

« Certains malades, sans avoir l’apparence extérieure de stupides, exécutent des actes tel-lement en opposition avec toutes les lois de la raison et mettent dans l’accomplissementde ces actes une obstination, une persistance empreintes d’un entêtement tellement stupidequ’ils en arrivent à une neutralisation de toutes leurs puissances intellectuelles, et que lerésultat est un nihilisme complet. [. . .] Aucun aliéné de notre asile ne résume d’une manièreplus complète les phénomènes que j’indique que celui dont je vais esquisser les principauxtraits.E. Francois D. est âgé de 34 ans. Il reste ordinairement dans son lit, et s’y tient appuyésur un coude en regardant avec fixité soit un objet, soit un autre. Vous le croiriez plongédans quelque réflexion profonde, ou dominé par une préoccupation douloureuse ; il n’en estrien. Si l’on s’arrête devant lui, il ne détourne pas les yeux de l’objet qu’il fixe ; sa figurese contracte et il fait semblant de pleurer. Demandez-lui la cause de son chagrin, il répond

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que l’on voit bien qu’il rit. Il a près de lui son déjeuner du matin, et interrogé pourquoi iln’a pas mangé, il répond qu’il n’aime pas cette boisson. Si on lui présente quelque chose àboire, il prétend qu’il ne peut avaler cet aliment. On lui dit de tirer son bras du lit pour tâterson pouls, il présente le pied ; de montrer la langue, il donne la main ; de se coucher, il selève ; de se lever, il se couche. Son obstination à refuser les aliments est telle, par instants,qu’il faut le porter aux bains et lui administrer la douche. Nous avons essayé la médicationdouloureuse au moyen du moxa, avec l’espoir de vaincre sa résistance, et il nous prie dene pas lui faire ce plaisir. Nous avons employé les moyens de douceur, il nous conjure dene pas le faire souffrir de la sorte. Lorsqu’il est amené au travail, il se couche et demandepourquoi on veut le faire marcher. Si on le perd un moment de vue, il ne retrouve son activitémusculaire que pour s’évader. Il met une telle adresse à tromper la surveillance qu’il a fallunous résoudre à le laisser coucher à l’infirmerie, en prenant la précaution de lui enlever seshabillements. Vingt fois par jour il se relève et se recouche, va frapper un voisin et criequ’on l’assassine. [. . .]Ce qu’il nous reste de mieux à faire, c’est en acceptant le phénomène, de nous incliner devantla profonde obscurité du cœur de l’homme qui, même à son état normal, selon l’expressionde l’illustre Bossuet, ne sait jamais ce qu’il voudra, qui souvent ne sait pas bien ce qu’ilveut, et qui n’est pas moins caché, ni moins trompeur à lui-même qu’aux autres. » ([6],p. 283–5)

On peut déjà déployer, à partir de cette description d’origine, les caractéristiques générales etles grandes questions attachées à ce signe ambigu, telles qu’on les retrouve encore aujourd’huidans notre pratique : d’abord, il y a l’entêtement bizarre (voir le champ lexical de l’obstination),le lien au retrait autistique « Vous le croiriez plongé dans quelque réflexion profonde, ou dominépar une préoccupation douloureuse ; il n’en est rien. Si l’on s’arrête devant lui, il ne détourne pasles yeux de l’objet qu’il fixe ». On retrouve une composante passive, c’est l’inertie (« il n’a pasmangé », « il se couche », « il ne retrouve son activité musculaire. . . »), et une composante activequi va jusqu’à mettre en acte la « folie des contraires » (voir les réponses antithétiques misesen italique). Il y a les hésitations concernant l’interprétation à donner au phénomène : est-ce uneffet de déficit (la stupidité au 1er §), un trouble du mouvement plus ou moins automatique etcirconscrit (2e §), ou la manifestation plus ou moins généralisée d’une position affective, commele laisse entendre la référence à Bossuet (3e §) ? On verra que ces hésitations se retrouvent dansl’exposition actuelle du problème.

Mais il y a surtout ceci de particulier que le négativisme répond toujours à quelque chose : cequi frappe dans le texte – et dans l’expérience clinique les choses ne sont pas différentes – c’estque dans toutes les situations décrites, et plus que tout autre symptôme, le négativisme impliquele thérapeute en sa demande2. Ce constat liminaire, pour être fait d’abord à la relecture du textepsychiatrique, permet d’annoncer au lecteur la tension qu’il s’agira de redéployer, le long de notreétude, à l’examen de la clinique.

Car il reste que la question du négativisme est essentiellement clinique : si ces considérationspréliminaires suffisent à marquer le signe de l’ambiguïté qu’il s’agit d’interroger, c’est pour nousimposer de retourner à ce réel. C’est donc d’abord sur le sol de l’observation que nous devons

2 Le champ sémantique qui révèle la présence de l’aliéniste dans le tableau est élogieux à cet égard : « Demandez-lui »,« Si on lui présente », « On lui dit de », « Nous avons essayé », « Nous avons employé les moyens » (!), « on veut », « il afallu nous résoudre à », etc.

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l’enraciner pour le confronter à l’épreuve des faits : en quoi il s’agit de rester aussi près quepossible du phénomène.

3. Les figures sémiologiques d’un signe hétérogène

S’il s’agit de retourner aux faits, on peut poser la question de front : sous quelles formes seprésente, concrètement, dans la clinique de la schizophrénie, le négativisme ? Il y a là un spectreaussi large qu’hétérogène, allant des phénomènes de corps dont la résistance catatonique fournitl’expression la plus stricte, jusqu’à des manifestations très atténuées de gêne et d’hésitation don-nant aux mouvements du « négativiste » leur aspect d’irrésolution, en passant par l’interminablesérie des comportements d’opposition, plus ou moins marqués, mais toujours articulés dans leurlien à la dissociation schizophrénique.

Si l’on se tourne vers ses descriptions historiques3, c’est effectivement d’abord comme un gestedu corps que le négativisme est décrit, comme l’un des « troubles du mouvement » survenant parexcellence dans les états de stupeur catatonique : la résistance obstinée aux tentatives de mobiliserles segments corporels du patient catatonique en serait la manifestation paradigmatique, parce quela plus nette. Souvenons-nous bien de cette forme en son genre « exemplaire », qui rappelle quec’est d’abord sur la scène du corps que s’introduit la « visibilité » du négativisme : cela suggèredéjà un certain rapport du « sujet négativiste » au narcissisme et à l’objet, à son corps défendant.

Or si cette appréhension pour ainsi dire « expérimentale » du phénomène est toujours soulignéedans les traités contemporains, il faut bien dire qu’elle se laisse moins remarquer dans la pratiquequotidienne, sinon au titre d’une curiosité, voire d’un « vestige » d’une forme historique de lapathologie – c’est probablement un effet du recours à l’intervention neuroleptique incisive, quidéplace la symptomatologie bruyante vers des désordres moins visibles mais non moins présents.

Encore que, nous avons déjà vu le cas d’une catatonique d’une trentaine d’années qui présentaittoutes les manifestations de la « folie des contractures », pour reprendre l’expression de Kahlbaum[10] : elle ne se laissait approcher sans se raidir de la tête aux pieds par le mouvement brusque deson corps tout entier dressé, tout en abandonnant son regard qui devenait hiératique. Au momentdu déjeuner, il arrivait qu’elle soit emportée, par le mouvement général, jusque devant l’ascenseurcensé emmener toute l’« équipe soignée » au réfectoire ; mais devant les portes ouvertes, elles’arrêtait et se figeait dans un regard interrogateur. Lorsqu’on l’invitait à monter, elle faisait unpas en arrière. Si l’on tentait de poser une main sur son épaule pour l’accompagner, on rencontraitimmédiatement le raidissement hypertonique et une sorte de résistance apeurée. Si parfois l’oncédait, pour la laisser tranquille, elle ouvrait la bouche pour dire qu’elle « ne viendrait pas » ou,éventuellement, promettait de venir tout en s’en retournant vers sa chambre. Quand on essayait dela rattraper par le bras, elle fuyait. Dans un tel contexte catatonique, le négativisme a assurémentun effet spectaculaire : si cette raideur du corps nous informe de son refus d’en être, c’est qu’ellevient occuper seule le premier plan du tableau clinique, comme pour le saturer.

Mais le négativisme du catatonique peut aussi prendre, sur un plan inverse, les formes éton-nantes de l’inertie psychomotrice, de l’akinésie, de la clinophilie. Un patient à qui l’on demandede se rendre à l’entretien répond spontanément par un « D’accord, je viens » un peu empressé,mais ne fait pas un pas : son geste est comme empêché ; à peine esquissé, il ne se prolonge pas

3 Sur ce point, on pourra par exemple se reporter avec profit à la monographie que Chaslin et Séglas ont consacrée à lacatatonie [7–9].

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comme on aurait pu s’y attendre : c’est un geste mort-né4. Poussé par un membre de l’équipe, notrepatient arrive sur le seuil du bureau où on le recoit et lorsqu’on l’invite à s’asseoir, il s’assied surplace, au milieu du couloir, mettant ainsi, littéralement, un mur entre lui et le thérapeute. Quandenfin on parvient à le décider à s’installer, il faut se résoudre à constater avec lui que « ce n’estpas [lui] qui [est] venu, mais qu’[il] a été violenté », ce qui laisse ainsi discrètement au thérapeutele soin de conclure que quelque chose s’est fait sans lui, et qu’il n’est pas là.

Sans entrer trop en détail dans l’inventaire des formes de l’inertie, disons seulement un motdes manifestations les plus courantes qui s’y rattachent. En première place, le refus de la poignéede main ou la main tendue, mais selon cette « facon caractéristique et bien à eux de donner lamain – leur tendons en effet la main ouverte, ils posent la leur toute raide » ([11], p. 33), fontassurément partie des « indices négativistes » qui se retrouvent avec la plus grande constance dansl’expérience clinique5. Vis-à-vis du « spectre » de la symptomatologie négativiste, le geste n’arien d’anecdotique, et il s’isole même au point d’en être un symbole – ce qui peut s’expliquer, sil’on mesure que le schizophrène refuse d’une facon générale les soins que l’on prétend lui porterexactement comme il refuse qu’on lui tende la main.

Dans ces formes mineures, le négativisme a aussi affaire à l’indécision du geste si caracté-ristique de certains de nos patients – Ey rappelait que les Italiens avaient donné le nom parlantd’« intoppo » (obstacle) à cette forme légère d’« empêchement psychique » [12], consistant enune sorte d’obstruction générale, comme un frein capricieux et entêté qui gêne la conduite sans lastopper complètement, déterminant des mouvements de contrainte, d’indécision, d’irrésolution :c’est ce qui donne au geste schizophrène son aspect embarrassé, hésitant, incertain.

À partir de ces deux grandes formes, le raidissement hypertonique qui prend le corps tout entier,d’une part, et l’indifférence psychomotrice, d’autre part, qui laisse à l’inverse le corps comme aban-donné, on a décrit au négativisme catatonique des manifestations partielles, touchant électivementtelle ou telle partie du corps [13] ; certains ont ainsi distingué un « petit négativisme » d’un « grandnégativisme » [14] ; d’autres ont tenté de distinguer un négativisme proprement catatonique d’unnégativisme « schizomaniaque » moins caractérisé du point de vue sémiologique [15].

Sans insister sur les innombrables tentatives d’isoler une sorte de « géographie » du néga-tivisme, en détaillant ses lieux de manifestation élective et ses formes différenciées – ce quiatteste encore du caractère polymorphe du signe – retenons simplement que l’on distingue clas-siquement depuis la grande monographie de Bleuler [16], et bien qu’il existe toutes sortes detransitions, une composante passive faite d’inertie, d’indifférence akinétique, de refus absentifié,et une composante active, dont procède plutôt l’hypertonie décrite plus haut, et qui, outre le refusd’obéissance, peut aller jusqu’à l’exécution de l’acte contraire. L’opposition y est plus manifeste :

4 Ici et en insert, peut-on soutenir que les analyses que Freud a pu faire de certains « rêves d’inhibition motrice » ne sontcertainement pas sans intérêt pour la compréhension de l’inertie catatonique ? On se rappelle que « la sensation d’êtreinhibé », dans l’interprétation freudienne, « sert parfaitement dans le rêve à présenter le conflit de la volonté, le non. »([2], p. 285). Voir également : « La sensation de l’inhibition du mouvement représente donc un conflit de la volonté. [. . .]Le transfert de l’impulsion sur les voies motrices n’est alors rien d’autre que la volonté, et le fait que nous soyons sûrs deressentir dans le sommeil cette impulsion comme inhibée rend tout le processus extrêmement approprié à la présentationdu vouloir et du “ non ” qui s’y oppose. » ([2], p. 382).

5 Ce n’est vraiment pas une curiosité pour Kraepelin qui précisait que « ce phénomène se montre toujours très net dansla démence précoce. » Ajoutons que dans les lecons cliniques qu’il a données à Heidelberg en 1907, le signe se retrouvedans tous les cas cliniques qu’il diagnostique comme « démence précoce », au point d’en être pathognomonique. VoirKraepelin E. Introduction à la psychiatrie clinique [11].

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éventuellement, la mimique informe tout un chacun de l’hostilité qui s’y noue, par laquelle lenégativisme se présente comme une forme de l’ambivalence – au sens restreint de Bleuler6.

Mais voilà, c’est là que se réintroduit l’« ambiguïté » qui nous occupe : car si les « manifestationsactives » du négativisme offrent au regard du soignant une sorte d’objection franche, circonscriteet bien déterminée, on tombe, dès que l’on aborde la composante dite « passive » du négativisme,sur une zone d’incertitude majeure pour sa sémiologie. L’essentiel de cette indétermination peutse formuler ainsi : aussitôt que l’on envisage le négativisme sous ses figures « passives », on nesait plus jusqu’où il faut reconnaître ses effets. On a alors tendance à mettre à son compte, pêle-mêle, tout ce par quoi un patient nous résiste. Et dès lors que l’on identifie ainsi le négativismeà une posture subjective (celle qui porte un patient à ne pas se laisser faire, ce qui pourraitbien apparaître, parfois, plutôt sain), on opère une « dissolution » du signe, en ses manifestationsirréductibles, dans un « fond négativiste » sans forme, sans reliefs – à partir de quoi le signe peutfaire concrètement défaut, son sentiment nous suffit.

C’est à ce point que se découvre l’une des grandes erreurs que grève l’approche du négativisme :tout se passe comme si, à partir du repérage des indices bien caractérisés du négativisme (définitionpositive et restrictive), on avait tendance à l’agrandir considérablement, en un second mouvement,pour le retrouver dans les phénomènes les plus disparates – moyennant quoi, de même qu’une ondecirculaire née sur la surface de l’eau quand on y jette quelque chose, d’abord petite et nette, va,s’étendant, finir par s’estomper, se confondre avec les reliefs de cette surface et y disparaître, demême le négativisme finit par se « dissoudre » dans son extension même.

Cette tendance à « agrandir » le signe que l’on examine « à la loupe » dans une étude sémio-logique, c’est à vrai dire un « symptôme de la méthode » qui menace l’ensemble des travaux quise centrent sur l’étude d’un signe isolé, dès lors qu’ils négligent sa position différentielle d’avecses signes concurrents. L’erreur est si constante qu’on pourra tenter de la prévenir en la fixant àcette image : la méthode sémiologique même est toujours susceptible de déformer la surface dela clinique en y jetant un signe dont les ondes se propagent de plus en plus – en quoi elle mimeen quelque sorte l’effet d’un « pavé dans la mare » dont il faut se méfier si l’on veut réinterrogerun phénomène sans le diluer.

Cette tendance à la « propagation » n’a pas fait défaut aux études sur le négativisme : aussis’est-il étendu considérablement, par une série de transitions insensibles, en direction de signespour ainsi dire « limitrophes », et s’est mis à fonctionner dans des registres sémiologiques quin’ont plus rien à voir avec la dissociation schizophrénique. C’est ce qui explique les mésusagescourants du mot, qu’une telle extension applique aussi bien à l’aboulie et la péjoration du déprimé,au « refus des aliments » du mélancolique, qu’au « rejet » obscur de la réalité que l’on situe commepremier ressort de la psychose. C’est aussi pourquoi, corrélativement, on se sent si fréquemmentcontraint d’assumer un pléonasme symptomatique : le négativisme schizophrénique – alors que lenégativisme, précisément, ne se montre que dans les tableaux schizophréniques !

Par ailleurs, il n’est pas difficile de mettre au jour les deux principales directions de cette« dilution » : elle s’est effectuée d’une part en direction des troubles de l’inhibition (on croit viteretrouver, dans toute inhibition psychomotrice, un « refus » de la vie qui aurait quelque chose decommun aux manifestations spectaculaires du refus schizophrénique), et d’autre part, en directionde la psychose (pour autant que là aussi, en un autre genre, le sujet n’y demande rien).

6 « La tendance de l’esprit schizophrène à doter simultanément les éléments psychiques les plus divers des signes négatifet positif (ambivalence) [. . .] est une conséquence si directe du trouble schizophrénique des associations que son absencecomplète est invraisemblable. C’est pourquoi nous la citons parmi les symptômes fondamentaux. [. . .] L’ambivalenceforme aussi toutes les transitions vers le négativisme, notamment sous la forme de l’ambitendance. » ([16], p. 100–2).

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Dans les deux cas, le négativisme est comme « délayé » – mais on ne saurait se contenter dedénoncer l’abus, en réassignant au négativisme son champ et ses bornes ; encore faut-il expliquerl’erreur, en faisant comprendre à quelles préoccupations répondait la tentation de dissoudre sonacception précise, pour l’étendre à d’autres manifestations.

4. Négativisme et oppositionnisme

Que le négativisme se présente régulièrement sous la forme de l’indifférence psychomotricenous impose d’abord de préciser son rapport équivoque aux manifestations d’inhibition auxquelleson a pu vouloir le lier.

Pour restituer le relief problématique de ce rapport, il faut rappeler les positions qui étendentle négativisme, sous certaines transitions, jusqu’à l’aboulie, et citer parmi d’autres, Janet, pourqui le « délire des résistances » se « rattache fort étroitement » à l’aboulie, au point d’en être« une forme particulière » : « Nous signalerons une forme particulière de l’aboulie, c’est le délirede résistance : dès que l’on demande au malade de faire une action, ou même dès qu’il désirespontanément en faire une, immédiatement surgit dans son esprit la pensée opposée, l’idée derefuser, de faire le contraire. “ Je veux et ne veux pas dit-il alors, je veux et quelque chose s’yoppose, qui me défend d’agir. ” » ([17], p. 11). Dans sa conception, un certain Lagriffe a soutenuune opinion similaire : « Les formes atténuées [du négativisme], que l’on rencontre généralementdans la stupeur, semblent être surtout des troubles abouliques et traduire la faiblesse du pouvoir decoordination » ([18], p. 32). Le risque d’une telle conception, on le devine, c’est qu’ainsi ressaisipar l’examen de ses formes passives, le négativisme soit alors entièrement viré au compte d’une« inhibition » des facultés, d’un « déficit » des capacités, ou d’une « altération » des fonctions desynthèse. Avec le motif de la « faiblesse du pouvoir de coordination », on voit de fait se dessinerla série des altérations plus ou moins profondes des « fonctions supérieures », l’étendue de la« désagrégation de la personnalité », la « faiblesse des affinités associatives », telles que Bleulerles situait au pivot du « trouble négatif » de la schizophrénie – le négativisme serait alors unepreuve de ce que la maladie détruit plus qu’elle ne libère ce qui y subsiste.

On touche là une nouvelle « ambiguïté » du négativisme. En effet, replacé dans la « théorie dessymptômes » de Bleuler [16], réinséré dans la partition de la symptomatologie schizophréniquetelle que la présentait Ey sous son double versant [19,20]7, et ainsi situé comme un effet de« faiblesse », le négativisme aurait spontanément tendance à prendre rang sur la ligne des troublesprimaires et négatifs – correspondant, donc, à la « dissociation », à « l’affaiblissement de l’activitésynthétique », aux « dissolutions de la conscience » que la schizophrénie fait subir au sujet, et nonaux réactions qu’elles lui imposent. En clair, on serait là tout près d’en faire un symptôme négatifde déficit fonctionnel – alors que, rappelons-le, Bleuler comme Ey l’ont pourtant toujours définicomme symptôme positif et secondaire !

Ce rappel élémentaire nous signale alors l’un des contre-sens auquel la « langue psychia-trique » nous mène si fréquemment dans la pratique quotidienne : soit la propension à identifierle négativisme à la « symptomatologie négative » de la schizophrénie. Nicolas Brémaud en avait

7 En appliquant à la schizophrénie l’approche jacksonienne de la maladie – qui distingue un versant négatif (déficitaire)et un versant positif (productif) dans toute pathologie mentale – Ey systématise de fait une double structuration de lasymptomatologie schizophrénique en tout point homogène à la distinction bleulérienne entre symptômes primaires etsecondaires [19]. Pour le détail de cette « application » des principes jacksoniens à la psychopathologie de Bleuler, onpourra se reporter au travail historique que Ey a donné au Congrès des aliénistes et neurologistes de langue francaise en1946 [20].

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manifestement indiqué la tendance8, et l’on ne peut que condamner le contre-sens formel plusradicalement encore : car le négativisme n’a jamais été rangé parmi les « symptômes négatifs »de la schizophrénie.

Pour faire un sort à cette tendance qui identifie négativisme et symptomatologie négative, il ya de fait une objection clinique : c’est que dans le « négativisme » stricto sensu (cela ne pouvaitpas échapper au génie clinique d’un Lévy-Valensi), « lorsque l’on insiste pour obtenir un acte,on y arrive à la longue, et l’acte est exécuté avec rapidité. Cette éventualité que l’on ne voit pasdans la stupeur mélancolique montre qu’il y a, suivant le terme de Kraepelin, un barrage de lavolonté. » ([21], p. 304–5). La facilité avec laquelle les patients qui nous refusent quelque choseavec obstination peuvent l’accomplir de facon naturelle l’instant d’après, acquiert ici la valeurd’une sorte de preuve : on trouve là un trait qui fait sortir entièrement le « négativisme » du champde l’inhibition, de l’impuissance, de la destruction des facultés, et le réintroduit comme un effetde sujet. À l’appui de cette démonstration clinique, Rogues de Fursac a pu écrire – et l’enjeuest de taille puisqu’il s’agit de reconnaître que le sujet y est intimement impliqué comme en unchoix :

« À un examen superficiel le négativisme peut ressembler à l’aboulie. Ce sont cependantdeux phénomènes très différents. Tandis que l’un, purement passif, résulte d’une paralysiepermanente, durable, mais contre laquelle le malade lutte avec plus ou moins de succès,l’autre, phénomène actif, relève non d’une paralysie mais d’une perversion de la volonté. »([22], p. 83)

« Perversion de la volonté », le mot de Rogues de Fursac a l’avantage d’orienter avec unecertaine force l’attention sur l’acte du refus qui se notifie dans les manifestations d’indifférencenégativiste – jusqu’à l’insolence, dont il n’est pas sans témoigner quelques effets.

Or cette référence aux mouvements de la « volonté », outre qu’elle remotive le négativismecomme symptôme résolument positif dans l’ordre de la symptomatologie schizophrénique, l’inscritdans une toute autre compréhension du fait clinique : c’est dans un certain rapport à une « volonté »,sinon un désir, que se manifeste le négativisme – en quoi on commence à entrevoir pourquoi Freudavait raison de l’articuler à une situation pulsionnelle précise [4]. Mais c’est initialement, en fait,à Kraepelin que l’on doit cette nouvelle compréhension : ses observations cliniques le menèrentle premier, en effet, à renverser la direction étiologique du négativisme (que Kahlbaum avaitconsignée dans l’ordre des « troubles neurologiques »), en situant son ressort essentiel dans lechamp des désordres de la volonté et de ses « barrages » – renversement à partir duquel il n’estplus réductible à un « trouble du mouvement », qu’il déborde largement pour se prolonger commeen un geste assumé :

« En règle générale, un autre trouble autonome, qui s’associe cependant souvent avec lesstéréotypies, se retrouve [dans les tableaux de démence précoce], qui n’est rien d’autre que laplus rigide résistance de la volonté à toute influence extérieure, le négativisme. Nous avonsdéjà souligné que, parfois, l’excitation d’une représentation motrice génère simultanémentla volonté de l’action musculaire totalement opposée. En sorte que cela provoque une actionqui s’efforce par tous les moyens d’obtenir le contraire de ce qui serait exigé par les motifs

8 « Mais ces refus et oppositions furent tirés du côté de l’idiotie, de la débilité, de l’entêtement, de la déficience. Ditautrement, les formes cliniques du négativisme ont pâti du signifiant qui les désignait, à savoir : le négativisme ne pouvaitêtre que tiré vers le négatif de la psychose. » ([1], p. 450).

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naturels. Les patients ne répondent pas aux appels qu’on leur fait, mais au contraire serenferment sur eux-mêmes de facon rigide ; ils serrent les dents quand ils doivent montrerla langue, ferment les yeux aussitôt que l’on veut examiner leurs pupilles, regardent à côtédès que l’on commence à s’entretenir avec eux. Ils restent totalement silencieux (mutisme)devant toutes nos salutations, même si ils font parfois des déclarations de leur propre gréqui n’ont aucun rapport avec les faits du moment. Ils se montrent plus forts que toutes lesinterventions extérieures, mais au travers d’une résistance passive : ils ne se laissent pashabiller ou déshabiller, ni laver, refusent qu’on prenne soin d’eux ; même lorsqu’il s’agitde manger, ils résistent à l’extrême, pour ensuite soudainement se jeter avec avidité sur lanourriture. Souvent, les fèces et l’urine sont retenues avec le plus grand effort, surtout sil’on mène les malades au cabinet ; sitôt qu’ils se sont relevés ou sont retournés au lit, suitimmédiatement l’évacuation. » ([23], p. 217)

La description est rigoureuse : tout en étant concise, elle parvient à énoncer la plupart dessituations privilégiées où le négativisme est manifeste. On sait, en effet, comment les heures desrepas, le moment du coucher, les questions d’hygiène sont les occasions privilégiées, dans lavie institutionnelle, de toutes les déclarations insurrectionnistes de certains de nos patients quine s’y résignent pas. Nous avons tous vu ces cas – c’est rappeler la constance avec laquelle lespatients ont effectivement ce recours dans ces situations si bien définies de la vie hospitalière, cequi s’éclaire de ce qu’elles ont en commun : si elles ont cette importance si régulière, c’est qu’entout cela on leur veut quelque chose, et que c’est vis-à-vis de ce désir qu’ils résistent.

C’est là que le négativisme se thématise comme un symptôme de circonstance, ou pour mieuxdire, le symptôme d’une situation – une situation qui implique toujours un autre désirant quise trouve très précisément visé dans les refus qu’elle articule. Et pour cause : le négativismeest un oppositionnisme, quand bien même il articulerait ses refus sur un mode qui exclut leurreconnaissance9.

Sur ce point, on notera que lorsque l’on questionne les patients au sujet de leurs oppositions, onobtient en fait des réponses très diverses, qui nous montrent que la conscience du négativisme, surle moment, est très variable : à un pôle d’ego-syntonie (ce qui ne préjuge en rien de son caractèreplus ou moins pathologique) certains participent consciemment à ce refus, ce qu’ils soulignentéventuellement par une mimique ironique ; à l’autre extrême, d’autres assistent, presque commedes étrangers, aux « pensées négativistes qui émergent de l’inconscient » ([24], p. 12). Ils peuventêtre eux-mêmes surpris par celles-ci, et se défendre pendant un temps contre de telles exigences :« ils voudraient être agréables, suivre les ordres, mais n’en sont pas capables. » Plusieurs patientsrépondent en ne pouvant livrer rien d’autre que ce témoignage : « Je ne pouvais pas », ou « je nepeux pas bouger, je suis paralysé ». On trouverait dans le très bel article de Henri Baruk [25] – etquoiqu’il les utilise pour fonder l’hypothèse organique du trouble en question – des témoignagessimilaires. Sur ce point, là encore, nous inviterons, nous, à songer plutôt au grand texte de Freud :« Dans le rêve, le fait de “ ne pas y parvenir ” est une expression de la contradiction, un “ non ” »

9 « Cette résistance s’observe aussi, mais sous une forme consciente et volontaire, chez les délirants et les hallucinés ;cependant dans ces conditions, il ne s’agit plus, à proprement parler, de négativisme, mais d’oppositionnisme. Le seulnégativisme que nous ayons en vue ici, est le négativisme subconscient ou inconscient qui est caractérisé par une oppositionactive, irraisonnée et automatique à laquelle le malade assiste presque comme un étranger, à laquelle il est contraint etdevant laquelle il reste sans résistance. Il semble que chaque sollicitation renforce l’idée négative, car, plus la sollicitationagit, plus le négativisme devient opiniâtre. » ([18], p. 32–3).

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([2], p. 381), ou aux articles d’Otto Gross, pour qui le négativisme manifeste toujours un « étataffectif de refus » [26,27], ce que Freud confirmait de son autorité10.

Dans une démarche ouverte sur les effets de sens, le négativisme ne peut assurément pasêtre séparé de l’opposition où il se fait voir – qu’il reste encore à qualifier d’un point de vuemétapsychologique, car cette « signification » ne doit pas nous dispenser d’analyser en quoi ellevaut comme un certain repositionnement du sujet vis-à-vis de l’objet.

En fait, une fois surmontée la difficulté – il y a en la matière une « difficulté affective » qui n’estpas étrangère à une difficulté spécifique de la psychanalyse [29] – de reconnaître le symptôme dansson adresse, et quoique cette adresse soit bien particulière, le négativisme apparaît de fait attachéà un nœud d’« hostilité » – c’est en tout cas une première intuition approximative que nous faitrégulièrement formuler la pratique. Mais l’essentiel n’est pas là : c’est plutôt que cette « hostilité »,illustre déjà que la rencontre avec l’objet ne laisse pas le sujet inerte.

Deux brèves vignettes cliniques, donc, pour réinterroger ce point. D’abord le cas d’un schi-zophrène d’une quarantaine d’années, déjà « connu du service », et amené à une nouvellehospitalisation par une tentative de suicide. Dès les premiers échanges, tout dans ses gestes etsa parole montre la « désorganisation » : dans les couloirs, il dit entendre des voix, ou plutôt des« ondes », et refuse catégoriquement d’entrer dans le bureau où on le mène, en s’aidant de cetargument. Il s’arrête sur le seuil, comme empêché par un barrage net, et jette un regard froid surchacun des présents. On l’invite à s’asseoir, il fait demi-tour, lentement et certainement, avec unesorte de dignité maniérée. Quand le praticien le laisse repartir, en nommant sur un ton indifférentson geste par un « Ah bon, vous ne voulez pas venir vous, et bien c’est très bien » des plus détachés,il revient s’installer avec une précipitation bizarre. Il a changé d’un coup : il affiche alors un largesourire crispé, et tout en refusant de serrer la main que l’homme lui tend, il suspend son regardaux yeux de son interlocuteur dans une dévotion profondément émue. Alors que l’instant d’avantil ne pouvait se résoudre à serrer la main sollicitante qu’il avait devant lui, il décide brusquementde nous saluer, mais au titre de ce qu’il l’a décidé, à partir d’un moment où il a seul l’initiativedu geste, qu’il accomplit en disant : « Je suis heureux de vous revoir, alors, comment allez-vousdepuis la dernière fois ? Vous allez mieux ? » L’ironie par laquelle il inverse ici la question quiintéresse le psychiatre nous indique assez clairement qu’il refuse d’avoir recours en son nompropre à la parole : il reste mutique durant pratiquement tout l’entretien.

La seule chose qu’il finit par dire, c’est qu’« il y a chez [lui] un problème d’interphone », et qu’ilse sent traversé par des « courants électriques ». Mais à partir du moment où on le questionne sur cevécu cénesthésique, il se mure dans un silence hostile, retranché derrière des « réponses-à-côté »(qui pourraient bien sûr être rattachées au signe qui nous occupe ici) : « il est beau ce catalogue,cet annuaire. [. . .] Nous sommes quel jour ? » Sur le fond du silence surgit, en forme de surprise,cette question : « Vous m’avez parlé dans ma tête ? Vous m’avez dit de quitter ma mère. Vousm’influencez ? » C’est là que succède encore le négativisme : lorsque l’on met fin à l’entretien, ilne bouge pas. On peut répéter qu’« on s’arrête là pour aujourd’hui », rien n’y fait. Il reste assis,face à nous, le regard fixé droit, mutique, dans cette posture de défi. Lorsqu’au bout d’une minuteon lui dit qu’il « a peut-être encore quelque chose à nous dire », il se lève brusquement ; c’est ainsilui qui a mis fin à l’entretien, sans dire au revoir, avec, pour lui, le triomphe de la désobéissance.Mais reste à qualifier cette « désobéissance » qui n’a assurément rien du plaisir infantile à vérifierl’efficace de la loi. Dans cela, on repère plutôt la tentative réitérée du sujet négativiste de se

10 On sait l’estime que Freud portait à Otto Gross, en le distinguant comme l’un de ses meilleurs élèves, avant quecelui-ci ne soit interné au Burghölzli. Aussi les articles cités sont-ils mentionnés par Freud lui-même dans le Mot d’esprit([28], p. 314).

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démarquer des idées d’influence11 qu’un autre énigmatique prétend exercer sur sa vie – c’est ceque confirme ce qu’il me raconte de cet entretien, quelques instants après, et qui nous renseignesur la représentation que le sujet se donne de la situation et sur la position qu’il s’y attribue :« Quand il s’est approché pour m’interroger, j’étais arrêté dans ma pensée, par sa pensée, par lapensée du docteur B. J’ai ressenti son influence, c’était comme si j’étais détaché de la vie : il yavait un mélange de chaud et de froid, une attirance et une répulsion. ».

La formule n’est probablement pas sans évoquer l’ambivalence bleulérienne – dans cette situa-tion, l’« attirance » et la « répulsion » pourraient fort bien se comprendre comme les conséquencesopposées de la disjonction des deux grandes modalités qui la composent. C’est d’ailleurs cequ’invite à penser la remarque de Freud : « Le négativisme de tant de psychotiques doit êtrevraisemblablement à comprendre comme indice de la démixtion des pulsions par retrait descomposantes libidinales. » ([4], p. 170–1). Mais à bien considérer la politique double quant àl’objet que ce patient n’a de cesse de montrer, le jeu ambivalent de l’amour et de la haine,fussent-ils déliés, ne suffit pas à l’articuler – d’abord en ceci qu’il ne permet pas de comprendreses oscillations manifestes. C’est pourquoi cette « politique » semble plutôt rendre compte d’unetentative du sujet de se déprendre de l’empiètement exercé par l’objet, dès lors qu’il est mis dansla position, vis-à-vis du sujet, de celui qui lui veut quelque chose.

Le cas pourrait alors démontrer que la réticence psychotique et le négativisme qui s’ensuit,surviennent toujours dans des moments privilégiés qui mettent radicalement en cause l’identitédu délirant. En ce sens, quelles que soient les manifestations subtiles, grossières, insidieusesou démonstratives où il se présente, le négativisme ressortirait non pas tant à une « position deréserve » systématique et durable, comme on a tendance à le faire croire en le raccordant ausyndrome autistique, qu’à une tentative de sauvegarde de ce qui est entièrement menacé par lexénopathique, justement quand un objet énigmatique vient au premier plan.

C’est encore plus net dans le cas d’une autre patiente, manifestement contente de me rencontreren entretien, qui déploie ainsi, par le mouvement d’un retournement, la logique proprementnégativiste qui la détermine à « ne plus jamais venir » me voir : « Ah je suis contente de vous voir !On pourra se voir cette après-midi ? J’aime bien venir vous parler. [. . .] Enfin, attendez, j’ai pascompris. . . Vous voulez que je vienne cette après-midi ? Vous croyez que j’aime venir vous parlerc’est ca ? C’est ca ? [. . .] Non je ne viendrai pas cette après-midi. Non, sûrement pas. Jamais. ».Le « retournement » en question, on ne saurait plus le caractériser, dans le cas présent, comme uneffet d’ambivalence, car il ne concerne pas, à bien y regarder, le renversement de l’amour dansla haine. Il concerne plutôt une inversion des attributions subjectives qui met notre patiente enplace d’objet d’une sorte d’érotomanie dont elle prétend se défendre – et par le mouvement delaquelle je suis mis, du même coup, à la place de celui qui lui veut quelque chose : le négativismeapparaît alors comme une tentative du sujet de se refonder à une place différenciée, telle qu’ilappelle l’« autre » à la constater.

11 Ici, l’« influence » à laquelle répond la résistance négativiste commence à se dessiner sous une nouvelle forme : ellene tient plus tant dans la « sollicitation extérieure » examinée par tous les traités, mais plutôt dans celle des idées, du« syndrome d’influence » – décrit par Séglas et ses élèves, puis par de Clérambault – qui met le trouble de l’agentivitéau premier plan des tableaux schizophréniques, quand les « voix antagonistes, en opposition presque systématique avecles habitudes, les désirs et la volonté du sujet », s’imposent avec leur caractère xénopathique. « Les malades disent alorsqu’une volonté plus forte que la leur les pousse à faire des choses qu’ils ne veulent pas faire. [. . .] De même ils ont desimpulsions verbales qui les font dire des choses qu’ils n’ont pas l’intention de dire et leur semblent tout étranges, souventle contraire de leur propre pensée. [. . .] On les empêche, disent les malades, de faire ce qu’ils veulent, on leur retient lamain lorsqu’ils travaillent, ils se sentent immobilisés, pétrifiés au milieu de leurs mouvements, qui restent inachevés. »([30], p. 573–4).

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On le voit, ces figures du négativisme convoquent presque des plans de manifestations signi-ficatives différents, qui justifieraient, par leur hétérogénéité, le faisceau d’interprétation si largeque l’on a tissé pour en rendre compte : certaines semblent être à référer à une tentative de barrerle contact pour maintenir une clôture du sujet sur lui-même ; d’autres s’articulent plus manifes-tement sur une ligne d’hostilité, et ont rapport à l’« ambivalence » schizophrénique qu’elles sechargent de signifier – ce sont celles qui ont pu amener à postuler une « affinité entre négativismeet sadisme » ([31], p. 90), parce qu’elle prennent, pour le névrosé, la signification de l’insulte(dont est paradigmatique le refus de la main tendue) ; d’autres, enfin, s’articulent sur un plan quinous montre que l’expérience de soi-même, en tant qu’elle se réfère à son semblable, se développeparfois à partir d’une situation vécue comme « indifférenciée » – ce sont les cas qui concernent letransitivisme psychotique ou une « influence » par le xénopathique.

Il faut donc tâcher de saisir ce qui peut se déduire de leur synthèse : ce qui semble alors devoirêtre mis au premier plan, et qui unifie ces situations disparates, c’est qu’à les regarder de près ony trouve toujours le désir du soignant qui insiste à l’endroit où le patient résiste – et l’on doit direcombien cette « résistance » (c’est le mot qui vient dans la pratique) est différente, au point devue de la structure, de celle qui se spécifie de son acception freudienne, qui fonctionne dans lalogique des névroses et que la cure nous apprend à reconnaître12.

Ce n’est qu’à partir de ce seul « trait » que l’on peut identifier ce qui est « négativiste » paropposition à ce qui ne l’est pas, et qui se tient tout entier dans la forme de rapport particulier quiimplique deux désirs. On peut illustrer l’assertion par un retour sur les impasses de la sémiologie,qui nous convaincra que l’extension pour le moins hésitante dont le terme procède ne trouve à sefixer qu’à se rapporter à cette thèse. Pour la démonstration, il suffit de se reporter aux hésitationsinternes à l’un des grands manuels du siècle, pourtant écrit par des sommités :

« Certains phénomènes végétatifs tels que : rétention ou incontinence d’urine, gâtisme fécal,refus d’aliments par défaut de sensation de faim n’entrent pas, à notre avis, dans le cadredu négativisme. » ([32], p. 35–6)

« Négativisme. – On décrit sous ce nom des symptômes disparates qui pourraient être attri-bués à la mauvaise volonté ou à l’inertie du sujet. Ce sont des phénomènes d’ordre végétatif :rétention d’urine, gâtisme, refus d’aliments ; l’inexécution des actes commandés (parler,marcher). » ([32], p. 245)

Une contradiction si manifestement éclatante, à quelques pages d’intervalle, appelle nécessai-rement une interprétation : en ceci, selon nous, que ces deux formulations sont également porteusesde vérité. Et pour cause : ce que refuse le négativiste, ca n’est pas le corps, mais le corps dès lorsqu’il est convoqué dans la demande de l’autre ; ca n’est pas l’aliment – à preuve qu’il peut trèssouvent se jeter dessus aussitôt que l’on a le dos tourné – mais l’aliment qu’on lui donne.

12 Dans la quête où l’on est d’un indice, Freud nous a en effet appris à reconnaître que c’est toujours lorsqu’après unecertaine attente on a l’impression qu’un patient va enfin nous livrer une parole vraie, nous communiquer un élémentsignificatif, nous livrer quelque chose de décisif, que l’on rencontre la résistance. L’arrêt intervient précisément, à cepoint de son discours, au moment où une explication allait se dévoiler. Or si la parole se contente de dissimuler ainsi soninsu dans la rhétorique névrotique, dans la rhétorique psychotique, à l’inverse, ce genre d’arrêt n’a pas la structure d’uneaposiopèse (où le sens se déploie à être voilé): il s’agit d’une suspension plus radicale, qui met le thérapeute dans l’attenteimpatiente de ce qui a été annoncé mais ne sera pas dit parce que rien ne correspond, dans la psyché du délirant, à cetteannonce : il n’y va pas d’un mi-dit, mais d’un indicible.

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La chose n’est probablement pas sans évoquer l’ironie mordante avec laquelle Lacan a pu direde la « Réalisation symbolique » de Sechehaye [33], qu’il ne s’agissait pas de donner le sein àquelqu’un qui ne l’avait pas demandé13.

5. Négativisme, autisme et suggestibilité

Dans les figures que nous avons détaillées, il y a en effet quelque chose qui frappe grossiè-rement : tout se passe comme si ces manifestations nous signifiaient que le sujet veut faire sansl’autre. Que ces « attitudes négativistes » soient actives ou passives, on éprouve d’emblée leur lientrop évident à la « politique autistique » : immobiles et indifférents ou raides et muets, les patientssont lointains et semblent « murés en eux-mêmes ». Sous la plume d’Henri Ey, le catatonique« se dresse, marmoréen, ironique, “ fermé ” devant nous comme un sphinx » ([19], p. 92) – c’estla « fermeture » qui donnerait au négativisme son motif essentiel.

On redécouvre là une vue assez classique de la psychiatrie traditionnelle, pour laquellel’autisme et le négativisme fonctionnent corrélativement et simultanément, parce que le néga-tivisme protège le repli autistique. Sur ce lien privilégié du négativisme au retrait autistique, ontrouve en effet une série de prises de position qui tendent explicitement à les identifier : s’il fallaitn’en donner qu’un exemple, on pourrait choisir Bleuler qui considère l’autisme comme « le fac-teur le plus important » pour produire le négativisme ([24], p. 2). Sur cette ligne argumentative,mais en inversant les figures, Nicolas Brémaud a aussi pu soutenir que « l’autisme, comme refuscatégorique du lien social incarnerait de facon paradigmatique cette dimension négativiste » ([1],p. 447).

Il y a là une co-occurrence de fait dans la clinique – mais peut-être n’a-t-on pas assez précisél’articulation de ces deux symptômes. C’est ici, en effet, que se découvre la dernière ambiguïté quel’on veut lever : car voilà une thèse (le négativisme et l’autisme fonctionnent dans le même sens,et ont un même centre de gravité psychopathologique, le narcissisme) qui vient en opposition aupoint d’arrivée de notre dernier mouvement – où l’on situait justement l’oscillation du négativismedans un rapport essentiel à l’objet qui en définit les limites. On voit la tension qui se dessine : siretracer ces « limites », revient à repositionner le problème du négativisme dans son lien à l’objet,quand l’autisme l’exclut, comment comprendre leur association si fréquente dans la clinique ?

Pour remettre cette question au travail, donc, on peut repartir d’une thèse encore plus explicite àcet égard, avec laquelle Guiraud faisait du négativisme, en mettant en jeu le syndrome catatonique,le synonyme exact du « refus de la réalité » :

« On appelle souvent “ catatonie ” un comportement moteur que je préfère nommer“ attitude de refus de la réalité ”. Ce comportement n’est pas volontaire mais instinctif ; iladapte l’attitude du corps à l’état mental. Les malades de cette catégorie restent dans unmutisme souvent invincible ; ils conservent une attitude continue d’opposition hypertoniquemême en l’absence de toute intervention extérieure, leur position est en général fléchie dansle lit, les yeux clos, la bouche obstinément fermée, quelquefois ils recouvrent leur tête avecle drap du lit. La mimique exprime parfois l’anxiété mais le plus souvent la physionomieest figée avec une nuance de défi et d’hostilité. Cet état correspond à un des sens du terme“ négativisme ”. » ([34], p. 353)

13 Lacan J. « Petit discours aux psychiatres », Cercle psychiatrique Ey H. Sainte-Anne, Conférence inédite du 10novembre 1967.

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Ce qui appelle deux remarques. D’abord on retrouve, homogène au mouvement de « dilution »du phénomène tel que nous l’avons esquissé plus haut, la tendance à « agrandir » le signe, aupoint de le faire presque coïncider, ici, avec le « refus de la réalité » – moyennant quoi, sous sonapparence purement descriptive, le « négativisme » se chargerait clandestinement de toute unedoctrine étiopathogénique implicite, jusqu’à devenir peu ou prou synonyme du primum movensde la folie ! Sous cette rubrique problématique de « refus de la réalité », le négativisme subsumeet enserre alors pêle-mêle refus des soins, refus de la rencontre, refus du dehors : en quoi ilfonctionne, à l’extrémité de sa signification, comme une sorte de Deus ex machina qui donneraità la psychose la formule de sa position pour ainsi dire existentielle.

C’est ce qui débouche sur la seconde remarque : si la description de Guiraud est claire, disons,au plan descriptif, en passant il faut y critiquer une chose : c’est la soi-disante « absence de touteintervention extérieure ». Quand bien même les catatoniques ne sont de facto troublés par aucuneprésence, par aucune sollicitation concrète de leur corps dans la « réalité », ils restent soumisaux effets de réel : s’il faut s’en « couper » en « recouvrant leur tête avec le drap », c’est quel’« influence » contre laquelle il tentent de se protéger, fût-ce un regard, est continue – si le sujetse cache du réel, c’est qu’il sent que l’Autre l’a à l’œil14.

On trouverait une opinion assez semblable à celle de Guiraud, exprimée en un tout autre champ,dans le texte de Sándor Ferenczi qui établit – la référence est assez surprenante – une « analogieentre les principaux symptômes de la catatonie – négativisme et rigidité – et la défense immédiatecontre tout stimulus externe qui se manifeste dans le tic par un mouvement convulsif » ([35], p. 89).Concernant les patients catacloniques (les « tiqueurs »), Ferenczi considère, en effet, que « leurbesoin de contradiction et d’opposition mérite une attention particulière parce qu’il est propreà jeter quelque lumière sur le sens du négativisme dans la schizophrénie. La psychanalyse nousapprend que le paraphrène a détourné sa libido du monde extérieur pour la reporter sur lui-même ;toute excitation externe, qu’elle soit physiologique ou psychique, perturbe sa nouvelle position etil est donc d’autant plus enclin à échapper à toute perturbation de cet ordre par la fuite motrice ouà la repousser par la négation » ([35], p. 95). On pourrait faire la même remarque que celle quel’on a faite au commentaire de Guiraud : si le refus devant les sollicitations du dehors concernele maintien de cette position éminemment narcissique, comme ce qui en assure la clôture, il resteque ce qui la trouble doit nécessairement figurer et se faire admettre en un recoin du tableau.

C’est ce « recoin du tableau » que l’on a laissé dans l’ombre, et qu’il faut aujourd’hui mettre enlumière. Car c’est ce qui promeut l’Autre sur la scène de la situation négativiste, et l’introduit dansune tension radicale avec la position narcissique (autistique) du schizophrène que le négativismesemble par ailleurs renforcer, sinon garantir. On voit que le « tableau négativiste », pour autant qu’ilest marqué au coin du signe de l’autre, interroge en son centre l’ambiguïté théorique sous laquelle« négativisme » et « autisme » sont mis en usage dans nos conceptions psychopathologiques.

Il faut donc déconstruire ces deux faits, comme nous y invite le trait de la « scène négativiste »que nous avons déjà mis au jour : dans tous les cas de négativisme, il y a dans un recoin quelquechose qui fait signe, c’est le désir du soignant. La question, pour être métapsychologique, a unesolide visibilité clinique – au fond, Kraepelin en avait déjà percu l’essentiel : le négativisme prend

14 « En général, les attitudes [catatoniques] persistent tant que le malade se sent observé ; sitôt qu’il s’apercoit qu’on nele regarde plus, il reprend brusquement son attitude première. Il suffit cependant de constater ce fait à haute voix devantlui, pour qu’il garde les attitudes provoquées, même après notre départ. Il est d’ailleurs à remarquer en général, que lemalade, sitôt qu’il se sent observé, modifie sa manière d’être dans le sens négativistique. S’il marchait ou faisant unacte quelconque, il s’arrête et se fige dans l’immobilité. S’il parlait, il se tait ; s’il mangeait, il s’arrête dans l’attitude dumoment, la cuiller à la main, la bouche ouverte, fixe et raide. » ([36], p. 338).

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ses formes étonnantes de la situation de la demande. « Le négativisme affectait chez elle uneforme un peu particulière : elle ne voulait plus quitter la chambre où il avait fallu la faire entrerde force ; elle se reculait et ne se décida à en sortir que quand on la pria d’y rester » ([11],p. 44). C’est ce à quoi on se trouve d’autant plus vite confronté que l’on œuvre à l’hôpital avecplus d’« orgueil thérapeutique »15. Aussi, dès lors que l’on reconnaît que le désir du soignant– jusqu’en sa dimension « furieuse » – est directement impliqué dans le symptôme, il faut dire quesi le négativisme marque la « clôture narcissique », s’il la manifeste, s’il se produit effectivementsur la scène du corps qui sépare l’être de l’autre, c’est précisément parce que cette limite n’a decesse d’être sollicitée, justement mise à mal par la présence désirante de l’autre – en quoi l’objety est, au moins par ses effets déstabilisateurs sur le narcissisme, engagé sinon même reconnu. Oncerne alors la thèse qui se déploie à partir de ce constat clinique : si le négativisme, souvent sispectaculaire, doit être nettement distingué du retrait autistique c’est pour autant qu’il maintient,contre la passion du narcissisme16, un lien à un objet, fût-ce sur le mode d’une négation toujourssusceptible d’un renversement de signe.

C’est en ce point que l’on rencontre ce fait absolument majeur de la clinique qui n’a cer-tainement pas été assez exploité, et qui donne justement au « trait » que l’on a reconnu à lascène négativiste un relief saisissant : soit la fréquence de certains « renversements » vis-à-vis del’objet, qui font osciller le schizophrène entre une position négativiste, à laquelle il renonce parfoisbrusquement, et une position d’acceptation où l’objet trouve alors une nouvelle position.

Cliniquement, ces renversements de politique soudains vis-à-vis de l’objet sont particulière-ment remarquables quand le négativisme s’associe à cette suggestibilité pathologique qui portecertains schizophrènes à répondre à toutes les sollicitations de quelque nature qu’elles soientet d’où qu’elles viennent. L’association de ces deux postures paradoxales, qui avait aussi étésoulignée par Kraepelin, représente une situation privilégiée pour la position du problème :

« Chez ce malade, les troubles de la volonté sont bien particuliers et sautent immédiatementaux yeux, représentant un mélange de Befehlsautomatie17 et de négativisme. D’une part, il selaisse docilement aller à faire tout ce que l’on veut, tandis que de l’autre, il refuse d’exécuterce qu’on lui demande ou résiste aux incitations normales de la volonté. Cette opposition estsurtout évidente quand il répète les mots la bouche fermée. Depuis longtemps, du fait deson négativisme, il n’ouvre plus la bouche ; mais il ne peut se soustraire au besoin d’imiterce qu’on fait devant lui. De ces constatations découle cette notion que, si le négativisme etla Befehlsautomatie sont deux extrêmes au point de vue psychologique, ils sont néanmoinssusceptibles de s’associer en clinique. » ([11], p. 45)

Cette occurrence de la clinique, où s’associent ces « deux extrêmes » que constituent cette« suggestibilité » et le négativisme, a une fonction d’index clinique remarquable pour réinterrogerle statut de l’objet dans la schizophrénie – d’autant plus net que l’on s’accorde à dire que fon-damentalement, « cette suggestibilité n’est pas de même nature que celle que l’on observe dansl’hystérie : dans cette dernière, il s’agit de la pénétration violente dans le champ de la conscienced’une idée qui se fixe et qui tend à se traduire en acte ; dans la catatonie, au contraire, il s’agit de

15 Le mot est de Freud, dont on sait la méfiance pour toutes ces sortes de furor sanandi. . . Voir par exemple, FreudS. « Conseils au médecin dans le traitement psychanalytique » [37].16 Je dois porter au crédit du Docteur Frédéric Pellion cette formule, qui m’a ainsi permis, lors d’une communication

orale, de donner à la thèse que je défends son expression la plus nette.17 Befehlsautomatie, qui est le mot consacré dans la nosologie kraepelinienne pour signifier la suggestibilité pathologique,

désigne littéralement : « automatisme sur ordre » ou « automatisme de commande ».

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l’exécution d’un ordre qui n’a pas à faire violence, que le malade exécute sans lutte parce qu’ilne peut pas ne pas vouloir l’exécuter ; il est un simple jouet. » ([18], p. 30).

De ceci, il faudrait conclure : ce n’est pas que les psychotiques n’entrent jamais dans unecertaine forme d’objectalité, c’est plutôt qu’ils ne résistent pas à la rencontre avec l’objet, etque le négativisme survient dans cette rencontre comme une tentative de s’y maintenir. Bleuleren avait épinglé quelque chose dans son article sur « la théorie du négativisme », sans parvenirpour autant à délivrer le terme des conclusions qui s’imposent : « Assurément, la prépondérancedes protestations, que l’on a déjà mentionnées, a souvent la signification cachée d’une sorte deprotection devant une suggestibilité exagérée » ([24], p. 29). Est-ce à dire que le négativismes’articulerait, de facon essentielle, à cette « suggestibilité » qui œuvre à tout imposer au « jouet »psychotique, comme une tentative de redonner à ce « jouet » un statut de sujet, de le réassigner àune place différenciée de celle de l’objet, et ainsi de « sauvegarder le moi » ([38], p. 293) ?

C’est ce que fait penser la clinique : car cette alternance dialectique entre une adhésion totaleà l’objet et un refus qui tente de s’en déprendre y est fréquente, et a été soulignée par de nombreuxcliniciens ([22], p. 181). D’ailleurs, si Bleuler a lui-même donné à sa définition du négativismeune formalisation pour ainsi dire « mathématique » et si peu parlante pour la pratique18, c’est aussipour nous faire voir que la « relation négativiste » est toujours susceptible d’un renversement designe.

On mesure vite pourquoi ces « renversements de signe » rendent si problématiquel’interprétation classique selon laquelle le négativisme résulterait de ce que le contact avec lavie et la fréquentation de l’objet sont désagréables et barrés. Tout y objecte de fait, et pourtantrien n’y fait : on continue d’attribuer au négativisme cette incidence sur l’autisme qui en feraitle symbole du refus de la réalité, au point de le rendre in fine synonyme de la position originaleque la psychose met en œuvre devant la réalité. C’est pourtant absolument net : le négativismene montre rien d’une constance structurale19, et se présente régulièrement comme un symptômeessentiellement contingent. La version des faits que l’on a promue au sujet de ce signe se rendalors d’autant plus incertaine, que rien n’y explique l’irrégularité de ses expressions. Or ce sontprécisément les formes subtiles d’éclipse dans ses manifestations, sa contingence, qui livrent laclé du phénomène ; et c’est dans la variation paradoxale qui organise cette part de la vie affectivedu schizophrène – remarquablement décrite par Baruk [25] – que doit être recherchée la solution.

Se tourner de facon privilégiée vers ces oscillations entre les attitudes de négativisme et dereddition à l’objet, vers ces « attitudes antithétiques » que Minkowski avait introduites sous leurrapport à l’emprise qu’exerce, chez le schizophrène, toute influence extérieure20, nous permet deconstater que l’« objet » y est toujours impliqué comme en un « symptôme-à-deux ».

Cerner in fine le négativisme par cette licence d’écriture – outre que le syntagme rend présentdans sa lettre le « mélange »21 avec l’autre dont il s’agit toujours de se démêler pour celui quia ce recours – nous permet de faire le pas décisif qui réintroduit le négativisme à une place

18 « On rassemble sous le nom de négativisme une série de symptômes qui ont tous en commun le fait qu’une réactiondont on aurait pu attendre qu’elle ait un sens positif se déroule dans un sens négatif » ([16], p. 257).19 Le fait que Bleuler le range parmi les « symptômes accessoires » du tableau schizophrénique l’illustre aussi. Nous

soutenons que le fait clinique, ici, interdit radicalement, si l’on se reporte un temps soit peu aux données de la pratique,l’interprétation idéalisante qui définit le négativisme comme une posture constante de la psychose.20 « D’accord avec l’attitude antithétique, toute force étrangère venant du dehors et voulant exercer son influence sur

l’individu est enregistrée par celui-ci comme atteinte portée à sa personnalité ; là où il la subit, il se sent entraîné et y voitune catastrophe » ([39], p. 133–4).21 C’est le mot de Lacan : « Une perspective qui n’isole pas la relation de Schreber à Dieu de son relief subjectif, la

marque de traits négatifs qui la font apparaître plutôt mélange qu’union de l’être à l’être. . . » ([40], p. 575).

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toute désignée dans la compréhension de la psychose telle que Freud l’a esquissée en sa logiquenarcissique : ce symptôme manifeste, dans ses formes de défi, l’une des tentatives de retournersur le chemin qui ramène la libido à un objet – à qui est toujours attribué l’initiative. Il constituedonc, déjà, une « tentative de guérison ».

À l’appui de cette thèse, il y a plusieurs arguments. Tout d’abord, c’est en ce point que l’on ren-contre un topos marquant de la littérature scientifique : au sujet du négativisme schizophrénique,tout ce qui se dit prend habituellement comme point de départ l’expérience de frustration quis’impose au soignant confronté à ces sortes d’objections perpétuelles du délirant. Sans évoquerce qui s’y joue pour le schizophrène ayant ce recours, ni même se donner les moyens de reconnaîtrequels phénomènes on doit mettre au compte de ce recours, on préfère partir systématiquement dela perplexité avec laquelle le soignant recoit l’énigme des refus immotivés qui le déroutent – c’estainsi qu’on a pu soutenir que « le “ négativisme ” du schizophrène n’a pour but que de provoquerle “ négativisme ” chez l’autre » ([41], p. 905), ce qui, en pareils cas, n’épingle jamais que l’enjeudu soignant. Mais voilà un fait massif de la littérature scientifique qui doit s’interpréter : c’est quele symptôme ne se boucle qu’avec une participation du soignant – c’est pourquoi il lui vient sisouvent à l’esprit, un peu comme dans l’érotomanie (où l’objet est également en place d’initiateur)la question : « mais qu’est ce que je lui ai fait ? » Or c’est justement l’indice parfaitement net quinous montre que le négativisme implique toujours le désir de l’autre sur la scène du symptôme.

Il y a par ailleurs un certain nombre d’arguments d’autorité, soit une série d’indications mécon-nues dans le texte psychanalytique qui convergent toutes à donner un statut métapsychologiqueau négativisme : on se contentera d’indiquer que la thèse ici défendue apparaît avec une efficacitésouterraine chez de nombreux auteurs22.

Ensuite, il y a cet argument clinique auquel a donné son poids cette remarque bien concrètede sémiologie : c’est qu’à l’inverse des indices de l’autisme qui découragent le clinicien parleur constance, le négativisme contient en lui-même les possibilités de son renversement dansdes positions d’acceptation. Or ces renversements dialectiques, pour affecter si régulièrement larelation d’objet, révèlent assez que d’un bout à l’autre, l’objet gardait ses droits.

Il y a enfin un argument pronostique qui étaye la pertinence de cette thèse : on notera iciavec une grande attention cette remarque renouvelée par plusieurs auteurs qui ont insisté pourattribuer à l’indifférence obéissante un indice pronostique franchement péjoratif que ne prend pasle négativisme. Ainsi Kraepelin précisait-il que le « comportement négativiste », tout en étant simanifeste dans l’hostilité, est de bien meilleur pronostic que la « docilité » qui peut se rencontrerpar après23. Le constat est renouvelé par Lagriffe24, et par Rogues de Fursac25. On pourrait

22 Tout à fait dans ce sens, on pourrait citer les remarques de Fromm-Reichmann, pour qui « le comportement négativisteconstitue ainsi une tentative de maintien ou de rétablissement des contacts interpersonnels, une tentative faite dans la voiede la santé mentale » ([42], p. 6), celles de Margaret Mahler qui repère le négativisme comme ce qui sert l’installation du« processus de séparation-individuation » et la défense contre la crainte d’engloutissement de la part de l’objet naissant([43], p. 99–101), ou les intuitions d’Anna Freud, qui, soulignant cette « alternance entre des états de négativisme et desétats de “ capitulation ” émotionnelle complète devant l’objet (Hörigkeit) », considère le négativisme comme une défensecontre la menace de « dissolution » que fait planer la complète passivité avec laquelle ces patients mettent en œuvre leurrelation à l’objet ([44], p. 256–9).23 « L’affection peut d’ailleurs aboutir insensiblement à la démence terminale. Les malades deviennent un peu plus

faciles, plus dociles ; mais ils demeurent affaiblis, indolents, abrutis et gardent encore longtemps les troubles de la périodeaiguë. » ([11], p. 44).24 « En général, même chez les négativistes les plus caractérisés, la résistance diminue avec les progrès de la démence »

([18], p. 33).

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multiplier les citations qui fondent cette sorte de « preuve par la chronicité » : là où le négativismeobjecte une résistance spectaculaire et circonscrite à l’objet dans les moments de « crise », il esttout à fait caractéristique qu’il s’efface à mesure que la béatitude autistique plonge le schizophrènedans l’indifférence apathique.

C’est dire autrement que le négativisme n’est pas encore l’absence – cette « absence » particu-lière qui, dans la figure du retrait autistique dont nous avons parlé ailleurs [45], rend le schizophrènesi présent à notre perplexité. Si l’on replace alors le phénomène dans la tension que nous avionsinstaurée, il faut conclure que le négativiste résiste à l’autisme, et tente, à son corps défendant,de restituer à l’objet la place différenciée vis-à-vis de laquelle peut se soutenir un semblant derapport désirant.

6. Conclusion

Dans les motifs du négativisme que nous avons évoqués, dans ses renversements, ses éclipses,dans les contextes où il se démontre de facon privilégiée, en tout cela, le clinicien vérifie que lenégativisme est un effet de sujet. Les psychotiques ne résistent pas à la rencontre avec l’objet,avons-nous dit ; face à cela, le négativisme signe une tentative d’y entrer par le juste partage deschoses entre ce qui appartient au moi, et ce qui appartient à l’objet. Il ressortit à une fonction dedifférenciation, donc : c’est dire que le négativisme se retrouve dans les tableaux que nous avonsdécrits comme un point de résistance contre la passion du narcissisme.

Que l’on se reporte au grand texte de Schreber pour y constater l’écart fondamental dans lesdifférentes stratégies dont il use pour traiter son objet, et s’assurer des facilités avec lesquellesl’autre est pris dans le négativisme là où il est exclu du retrait autistique : à peine à quelquespages d’intervalle, l’objet y est mentionné tantôt dans les formes délirantes qui indiquent assezqu’il a été sacrifié pour la sauvegarde du moi – ce sont les « images d’hommes bâclées à la six-quatre-deux »26 – tantôt, au moment même où Schreber entre dans cette sorte de redéterminationdu rapport à l’autre que constitue son moment négativiste, cet objet reprend l’épaisseur vivantequi délivre le sujet de sa solitude – ceux qui ont l’initiative de prendre soin de lui retrouvent alorsleur présence concrète, et jusqu’à leur nomination27.

Voilà une preuve supplémentaire de ce qu’au plan thérapeutique, là où le renfermement autis-tique ne laisse rien au thérapeute28, le négativisme nous introduit à une marge de manœuvre :à commencer par ceci que, si l’autisme porte le schizophrène à se désintéresser du présent, le

25 « II est difficile, pour ne pas dire impossible, de prévoir les rémissions. Les phénomènes bruyants tels que l’agitation,le négativisme prononcé n’en excluent pas la possibilité. L’indifférence morale, au contraire, ne rétrocède guère, quandelle est nettement accusée, et ne permet pas une restitutio ad integrum. » ([22], p. 187).26 « Le maintien en vie du Juif errant, et les soins apportés à la satisfaction des exigences de ses besoins vitaux, étaient

assurés par des “ images d’hommes bâclées à la six-quatre-deux ” ; c’est ainsi que des âmes furent à cette fin dépêchéestransitoirement sous forme humaine. [. . .] Quoi qu’il en soit, les “images d’hommes bâclées à la six-quatre-deux” n’étaientpas là uniquement dans le but d’une simple partie de miracles jouée contre moi » ([46], p. 59).27 « Je décidai donc de mettre fin à mes jours en me laissant mourir de faim et refusait toute nourriture ; d’autant que

les voix intérieures me signifiaient constamment qu’il était proprement de mon devoir de mourir de faim et, par là, dem’offrir en quelque sorte à Dieu, que le plaisir pris à chaque repas, plaisir que pourtant mon corps appelait, était unefaiblesse indigne. La conséquence de cela fut qu’on organisa le “ système de gavage ”, c’est-à-dire que les gardiens quim’entouraient, généralement toujours les mêmes – outre R. déjà nommé, il y avait un certain H., et un troisième dontj’ignore le nom – m’enfoncèrent la nourriture dans la bouche, et cela souvent avec la plus grande brutalité. » ([46], p. 62).28 « Pour que le moi soit, au cours du travail en commun, un allié précieux, il faut que malgré toutes les pressions

qu’exercent sur lui les puissances ennemies, il ait conservé une certaine dose de cohérence, quelque compréhension desexigences de la réalité. Or, c’est là justement ce que le moi du psychotique n’est pas capable de nous donner ; il ne saurait

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négativisme produit chez lui un effet supplémentaire : il impose l’attention de sa conscience à ceréel, à partir de quoi la relation peut recommencer à le concerner.

Hors de toute prétention à faire dire à Freud plus qu’il n’a écrit, on peut alors retourner, aumoment de conclure, à son grand texte consacré à « la négation », pour y retisser l’essentiel de notrequestion. On sait comment Freud initie la rédaction de l’article de 1925 par l’étude du symbole dela négation, pour nous introduire à la compréhension d’une sorte d’« hypocrisie » de l’énonciationqui inverse l’effet du refoulement et accepte le retour de son contenu, à la condition d’y inscrire lamarque de son renoncement ([4], p. 167). Dans la construction du texte, et quoique Freud l’évoquede facon plutôt sommaire ce qui nous contraint à l’interpréter, le négativisme s’inscrit à premièrevue dans une opposition radicale aux bénéfices produits par cette négation : car en apposant l’uncontre l’autre ces deux types de refus, Freud pourrait bien nous faire voir que l’un, la dénégation,est dirigé vers le sujet lui-même et concerne un progrès par le renoncement qui insère ce sujetdans une certaine liberté29 vis-à-vis de la pulsion, tandis que l’autre, le négativisme, concernel’objet et désigne au sujet la place d’une régression par « retrait »30 du monde.

Mais l’on pourrait aussi retourner l’argumentation freudienne en proposant que, dans le casdu négativisme, le « non » adressé à l’objet est aussi et déjà un marquage de celui-ci. Si l’on pro-longe alors cette thèse, le négativisme pourrait bien plutôt se manifester précisément comme lemoment d’instauration vis-à-vis du moi où ce qui lui était d’abord identique lui devient étranger.Soutenir alors que le refus qui se signifie à l’objet dans le négativisme contient déjà sa recon-naissance, et constitue une première acceptation de cet objet qui reste pris dans le refus quantà « l’essentiel »31, nous permettrait de surcroît de récupérer la seconde indication de Freud surle sujet, plus méconnue, où il pourrait bien éclairer de son génie, comme en passant, toute laposition du problème : « Ce comportement extrêmement curieux et encore insuffisamment connuqu’a la relation d’opposition dans l’inconscient n’est certainement pas sans valeur pour la compré-hension du “ négativisme ” chez certains névrosés et certains malades mentaux. » ([28], p. 314).Certes Freud semble se dispenser de détailler sa position – notamment en ce qu’elle comported’apparemment contradictoire avec le problème tel qu’il est exposé dans son grand texte sur « Lanégation » – mais elle est suffisamment précise pour nous permettre de faire travailler ce qui s’ytient à l’état d’esquisse : si Freud fait appel à cette « caractéristique de l’inconscient », c’est bienque le négativisme convoque nécessairement un objet à une place dans le fantasme – précisémentà la différence du « retrait » qui détermine la passion autistique, où cette place est laissée vide.

Si l’on prend acte de cette propriété du négativisme, qui est d’impliquer que quelque chosecorrespond à ce qui est refusé, quelque chose et non pas « rien », nous retrouvons, au terme denotre étude, la valeur transitive que nous avions isolée à son départ. Le négativisme pourrait alorsnous montrer l’une des tentatives par lesquelles le schizophrène renaît à un mode d’expressionqui rejette le repli autistique – ce par quoi « l’être humain a reconquis une relation aux personneset aux choses du monde, une relation souvent très intense, quoiqu’elle soit hostile, elle qui étaitantérieurement d’une tendresse pleine d’attente. » ([38], p. 294).

être fidèle à notre part, et c’est à peine s’il peut même y souscrire. Très vite il nous aura relégués, nous et l’aide que nouslui apportons, dans ces parties du monde extérieur qui, pour lui, ne signifient plus rien. » ([47], p. 40–1).29 « Au moyen du symbole de la négation, la pensée se libère des restrictions du refoulement et s’enrichit de contenus

dont elle ne peut se passer pour ses opérations. » ([4], p. 168).30 « Le négativisme de tant de psychotiques doit être vraisemblablement à comprendre comme indice de la démixtion

des pulsions par retrait des composantes libidinales. » ([4], p. 170).31 « Il en résulte une manière d’admission intellectuelle tandis que persiste ce qui est essentiel quant au refoulement. »

([4], p. 168).

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Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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