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sur écoute une édition lycéens et apprentis au cinéma courts métrages 2014/2015

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sur écouteune édition

lycéens et apprentis au cinémacourts métrages 2014/2015

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SUR ÉCOUTE

Sur écoute, une édition Ciclic en partenariat avec Sauve qui peut le court métrage et Premiers Plans Festival d’Angers. Le programme a été constitué par un comité de sélection réunissant des enseignants et les partenaires de Lycéens et apprentis au cinéma en régions Centre, Pays de La Loire et Auvergne. Il est diffusé en collaboration avec l’Agence du court métrage.

LYCÉENS ET APPRENTIS AU CINÉMA

Lycéens et apprentis au cinéma en Auvergne est coordonné par Sauve qui peut le court métrage, avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée, de la Région Auvergne, de la DRAC Auvergne et du Rectorat de l’académie de Clermont-Ferrand et le concours des salles de cinéma participant à l’opération.

Lycéens et apprentis au cinéma en région Centre est coordonné par Ciclic avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée, de la Région Centre, de la DRAC Centre et du Rectorat de l’académie Orléans-Tours et le concours des salles de cinéma participant à l’opération.

Lycéens et apprentis au cinéma en région Pays de la Loire est coordonné par Premiers Plans, avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée, de la Région Pays de la Loire, de la DRAC Pays de la Loire, du Rectorat de l’académie de Nantes et le concours des salles de cinéma participant à l’opération.

AUTEURS DU LIVRET

Guy Astic : enseignant en cinéma-audiovisuel, codirecteur des éditions Rouge Profond.

Simon Gilardi : chargé de mission édition pédagogique à Ciclic.

Adrien Heudier : coordinateur dispositifs scolaires à Ciclic.

Jacques Kermabon : rédacteur en chef de Bref, le magazine du court métrage.

Jérôme Momcilovic : journaliste, critique (Chronic’art, Études), enseignant à l’école supérieure d’études cinématographiques.

Stratis Vouyoucas : réalisateur, metteur en scène, journaliste.

Denis Walgenwitz : réalisateur, président de l’AFCA (association française du cinéma d’animation)

Eugénie Zvonkine : docteur en cinéma, chargée de cours à l’université Paris 8, critique, programmatrice de festivals de cinéma.

Directeur de la publication : Olivier Meneux / Propriété : Ciclic, agence régionale du Centre pour le livre, l’image et la culture numérique, 24 rue Renan, 37110 Château-Renault, tél. 02 47 56 08 08, www.ciclic.fr / Conception éditoriale : Adrien Heudier et Simon Gilardi / Conception graphique : Dominique Bastien / Conception des rubriques en ligne sur www.ciclic.fr : Julien Sénélas / Recherches documentaires : Antoine Péquin / Remerciements : Agence du court métrage (Bartlomiej Woznica, Amélie Chatelier, Jacques Kermabon), Sauve qui peut le court métrage (Jérôme Ters, Sébastien Duclocher), Premiers Plans (Christophe Caudéran), école Estienne.

Sources iconographiques : tous droits réservés (Lobster ; White Light Films ; Arte ; Nicolas Provost ; Guillaume Delaperriere). Les droits de reproduction des illustrations sont réservés pour les auteurs ou ayants droit dont nous n’avons pas trouvé les coordonnées malgré nos recherches et dans les cas éventuels où des mentions n’auraient pas été spécifiées.Publication : septembre 2014.

SOMMAIRE

Matières sonores 3

Ain’t She Sweet 4

Je sens le beat qui monte en moi 6

En pleine forme 8

Plot Point 10

Lisboa Orchestra 12

D’un film à l’autre 14

Marabout d’visuels 16

Avant / Après la séance 17

Bibliographie sélective 18

Compléments de programme 19

Bref, aimons le court 20

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Matières sonoresLe pouvoir, quasi maléfique en un sens, qu’exerce la musique sur Rosalba dans Je sens le beat… n’est pas sans évoquer le chant des sirènes qui imposa à Ulysse de se faire attacher au mât de son navire pour ne pas céder à leur attraction. Des sirènes, on en entend dans Plot Point et Lisboa Orchestra. Si, au moment où elles résonnent, on les associe aux voitures de police et au bateau en partance qu’on aperçoit, une vague incertitude plane sur leur localisation. Michel Chion dit que le son au cinéma est « ce qui cherche son lieu », son lieu d’ancrage dans l’image. Cela tient, pour une part, à des données physiologiques. Quand nous assistons à une conférence dans une salle de taille moyenne, nous écoutons le discours comme s’il émanait directement de la bouche de l’orateur. Ce qui est vrai bien sûr, mais nous ne localisons pas le son comme sortant des hauts parleurs sauf si une perturbation technique (son trop fort, effet larsen…) distrait notre croyance. De même, au cinéma, le son, pourtant diffusé depuis plusieurs points dans la salle, nous apparaît comme « sortant de l’image » sauf quand des effets de stéréophonie trop marqués, surgissant ostensiblement sur les côtés ou derrière nous, interrompent ce lien avec l’écran au risque de nous faire « sortir du film ». Car tel est bien la fonction la plus ordinaire du son au cinéma : s’intégrer avec discrétion dans l’enchaînement des plans — voire même les favoriser —, contribuer à renforcer notre croyance, trouver son ancrage dans l’image, passer inaperçu.

Cette « présence » à l’image s’opère via un grand nombre de nuances au-delà de la simple opposition entre son in et off à laquelle elle fut longtemps réduite. On doit là aussi à Michel Chion d’avoir

tenté de cartographier la variété de ces effets en distinguant, par exemple : le son dont on voit la source dans l’image au moment où il est émis (son in) ; celui dont la cause n’est pas visible mais reste située imaginairement dans le même temps que l’action montrée et dans un espace contigu (son hors champ) ; celui qui émane d’un autre temps et/ou d’un autre lieu que l’action montrée (son off). Et ce ne sont là que quelques éléments d’une approche bien plus vaste et plus détaillée.

Le son d’abord

Si, le plus souvent, le son se dissout dans l’image, dans le film de Pierre Étaix, proche de Jacques Tati, l’inventeur du burlesque sonore, nombre des effets comiques reposent sur une amplification des sons ou, plus précisément, par leur mise en avant via une présence sélective. Force agressive, le son y est mis en relief et contribue au comique stylisé du film.

Dans la chaîne de fabrication d’un film, on imagine plus volontiers le son comme enregistré au tournage et complété plus tard en studio. Mais il arrive comme chez Jacques Demy que le son soit préalablement enregistré et que les acteurs jouent en play-back. Dans le cinéma d’animation, le son, les chansons ou la musique précèdent ainsi fréquemment la réalisation. Il y a ainsi, depuis les Silly Symphonies, toute une tradition du cinéma image par image où les mouvements sont calés sur une musique préalablement interprétée et dont ils constituent une illustration plus ou moins inventive. Ain’t She Sweet offre un exemple, dans ce registre, du savoir-faire d’un autre studio que Disney, celui des frères Fleischer.

Mais que le son prime sur l’image n’est peut-être pas si rare que cela. On pourrait même avancer que, dans le cinéma contemporain, c’est le son qui domine, nous emporte, détermine une durée tandis que les images peuvent s’enchaîner sans même constituer un espace plausible ni tenir compte des règles classiques du raccord. Le clip, et de nombreux moments de films qui s’y apparentent, offrent l’exemple parfait d’un son qui permet les associations de plans les plus désarçonnantes.

On le sait, la musique peut infléchir le sens ou l’émotion que distille telle ou telle scène. Mais on peut aussi considérer la totalité des sons à l’aune de cette dimension sensible. Si on associe les stridences des sirènes de Plot Point et de Lisboa Orchestra aux véhicules aperçus à l’image, l’effet qu’elles provoquent excède cette stricte assignation matérielle. Elles apportent du volume à l’espace, ajoutent là un climat de suspense et une vague inquiétude, distillent ici un soupçon de mélancolie. Et, à la limite, chaque son, chaque parole émise dans un film est chargé d’une infinité de nuances et ce, d’autant plus que le réalisateur a été sensible à la singularité de sa matière sonore.

Il n’est en effet jamais facile de mettre des mots sur l’impact de tel ou tel son ou telle association de sons, sur telle qualité de silence, sur tel grain de voix où se jouent à la fois des effets de reconnaissance, des sensations matérielles, du rythme, des qualités qu’on peine à qualifier et qui pourtant ont un impact déterminant dans cet art qu’on considère comme visuel alors qu’il est tout autant un art sonore.

Jacques Kermabon

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Ain’t She Sweet Dave Fleischer

Le film musicalL’association d’images animées et de musique est relativement ancienne et intervient très tôt à partir de la création du cinématographe. Intuitivement, et par le biais de la culture populaire, la relation entre musiques et images crée une fantasmagorie forte aux sensations démultipliées. Cela est notamment véhiculé par les chansons qui ont depuis plusieurs décennies fait leurs preuves dans les cabarets des capitales et des plus grandes villes des pays d’Europe de l’Ouest. Ces chansons parlent de choses légères, de femmes courtisées, de déconvenues amoureuses, et abordent tous les thèmes avec un humour proche de l’irrévérence (les cabarets étaient souvent les cibles des commissions de censure). Dès les premières phonoscènes de Gaumont, films courts où le chanteur apparaissait interprétant un morceau en playback, les vedettes du music-hall sont mises à contribution pour attirer un public de plus en plus nombreux.

Dès les années 1920, le dessin animé s’empare du genre et se sert de sa technique particulière, le travail des plans image par image, pour créer une synchronie très précise entre les images et les moindres inflexions des mélodies et des symphonies. Le cinéma d’animation ne s’arrêtera pas là puisque c’est dans les années 1930 que les expériences formelles les plus poussées voient le jour avec les travaux d’Oskar Fishinger, ou de Norman McLaren. Mais c’est aussi à la même époque que, dans ses comédies musicales, Busby Berkeley réalise des mises en scènes visuellement époustouflantes. Il se sert de la mise en scène et de la chorégraphie pour créer des plans abstraits et d’une force visuelle frappante. Ces figures qu’il parvient à créer se meuvent dans un esprit d’harmonie avec la musique. On cite souvent ses films comme marquant un « âge d’or » de la comédie musicale, qui continuera pourtant d’évoluer

dans les décennies suivantes et dans de nombreux pays.

Parallèlement, d’autres formes voient le jour, finalement plus proches des phonoscènes des origines. Dans les années 1950, les scopitones sont de courts films qui illustrent des standards et succès du moment. Une petite mise en scène accompagne la musique, l’illustre parfois. Ce principe sera repris et développé par le vidéoclip à la fin des années 1970 et dans les décennies suivantes. On verra alors réapparaître des recherches formelles entre la musique et l’image plus audacieuses et créatives.

Si les applications du principe de cohabitation entre des musiques et des images semblent hétérogènes, on constate néanmoins qu’elles se sont développées sans discontinuer depuis l’invention du cinéma. Elles ont su créer des images suffisamment fortes pour donner vie à des idées en bousculant les principes habituels de narration.

Un dancing-restaurant vit au rythme de la chanson titre. Lillian Roth vient ensuite en chair et en os nous apprendre à chanter ce grand succès.

États-Unis, 1933, 7 min 25Production : studios Fleischer / Réalisation : Dave Fleischer / Interprétation : Lillian Roth / Musique : « Ain’t She Sweet », Milton Ager et Jack Yellen / Série : « Screen song ». Grâce à la bouncing ball qui rebondit de parole en parole, les spectateurs peuvent reprendre en chœur les chansons célèbres. D’abord en noir et blanc, la série renaîtra après guerre en couleur sous la direction de Seymour Kneytel.

Dave FleischerDave Fleischer est né en 1894 à New York. Il est difficile de dissocier son destin de celui de son frère Max. Tous deux sont les producteurs de leurs films et séries qui concurrencèrent Walt Disney dans les années 1920 et 30. Mais c’est bien Dave qui sera le réalisateur de ces productions. Son style est en même temps classique et tourné vers le public adulte, qui perçoit bien ses sous-entendus, son irrévérence et son humour virevoltant autour des jupons des femmes.

Techniquement, Dave, épaulé par ses deux frères, n’hésite pas à recourir aux procédés les plus audacieux. Notamment, sa production d’images animées à partir de procédés divers est impressionnante. Outre les prouesses réalisées dans la maîtrise du rythme de l’animation, le synchronisme avec la bande sonore, il n’hésite pas à créer des images composites où se mêlent dessins et acteurs côte à côte. Ou encore à réaliser des maquettes de décors filmées en mouvement en fond des personnages animés en deux dimensions. Suivant la même technique, il animera des éléments en volume qui côtoient des personnages dessinés sur celluloïds. Le tout avec un soin remarquable. Le résultat est impressionnant de naturel et de virtuosité. Ses talents de réalisateur et de scénariste lui permettront d’ailleurs de continuer à travailler pour de grands studios, bien après la faillite des studios Fleischer.

EN LIGNE

Présentation du film et de la série « Screen

song » par Serge Bromberg, distributeur

du film, liens.

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Répétition et variationLe cinéma d’animation a très tôt inventé le procédé de la boucle, c’est-à-dire la réutilisation des mêmes dessins pour représenter des actions répétitives, afin de produire plus vite et moins cher. Cette contrainte peut être mise à profit artistiquement. Prenons l’exemple d’Ain’t She Sweet :

. À la chaîne : dans la grange défilent des ouvriers-chats préparant un dîner et fabriquant des hot-dogs et des sucettes à la chaîne, répétant donc les mêmes gestes.

. Gags : la répétition est une des modalités du comique. Ici, on s’amuse à voir les chats défiler sous les pis de la vache. Ailleurs, c’est le dérèglement inattendu de la machine, donc l’interruption de la répétition, qui fait sourire.

. Leitmotive : en musique, et particu-lièrement dans les chansons, on utilise constamment la répétition de motifs. Ici les boucles dessinées conviennent bien aux répétitions de la mélodie qui per-mettent au spectateur de la mémoriser, afin de chanter avec Lillian Roth à la fin.

Animer

Au-delà de son intérêt historique d’ancêtre du karaoké, Ain’t She Sweet peut servir d’introduction au cinéma d’animation. Son usage de la boucle (voir ci-contre) et de la musique sont exemplaires. Mais le film est également caractéristique de la propension du cinéma d’animation à donner vie à toute chose. On peut ainsi relever tous les objets doués d’une vie autonome : la grange qui fait claquer ses murs, le violon dont l’archet grandit, la saucisse qui passe du sauna au sandwich !

La saucisse est anthropomorphisée, comme tous les animaux du cartoon, qui donne une âme (anima en latin) humaine à toute chose. C’est le cas dans d’innombrables films d’animation, comme si tout animateur était animiste. Cela s’explique aisément, l’animateur s’identifiant aux créatures auxquelles il offre le mouvement à partir d’un simple crayon.

Simon Gilardi

P I S T E S D E T R A V A I LLa chanson « Ain’t She Sweet », composée par Milton Ager et écrite par Jack Yellen, est le point de vue d’une femme (ou d’un homme selon qui la chantera) sur une jeune femme qui se présente au coin d’une rue. La chanson demande si on ne la trouve pas mignonne, et commence à le démontrer. Elle interroge l’auditeur sans fin, comme pour l’inciter à l’aveu. C’est Lillian Roth qui interprète cette chanson dont c’est la cinquième version depuis sa création, et qui sera reprise maintes fois par des chanteurs aussi divers et prestigieux que Gene Vincent, Franck Sinatra ou encore les Beatles.

Lorsque Dave Fleischer réalise ce film, il en a déjà plusieurs dizaines à son actif. Depuis ses débuts, la collaboration avec son frère le conduit naturellement à innover, à créer et inventer des formes nouvelles. Ici, le plan de transition entre le dessin animé et les images filmées en temps réel montre bien l’aisance avec laquelle il passe d’une technique à une autre. On abandonne la grange des animaux pour aller voir ce qui se passe dans la maison voisine. On y aperçoit Lillian Roth à la fenêtre, et la caméra zoome sur elle. Pendant tout le mouvement, ce sont plusieurs photos identiques qui se succèdent, avec l’actrice faisant face à la caméra dans une position immobile. Lorsque le cadre de fin de mouvement se stabilise, on passe aux images filmées de l’actrice qui chante. Ce mouvement demande de pouvoir combiner des images de natures différentes sur un même support. Outre le fait que cela demande une certaine technicité, que cela soit réalisé avec des moyens relativement rudimentaires, le soin porté à l’exécution aboutit à un résultat très fluide et naturel.

Lillian Roth était à l’époque une actrice hollywoodienne reconnue dont les talents de chanteuse et de danseuse font merveille. Elle sait faire preuve de la fantaisie et de la légèreté nécessaires pour tenir la vedette face à des créatures de dessins animés aux personnalités si marquées. Dans le cas de ce film précis, l’actrice n’est pas en relation directe avec les personnages animés. Cependant, lorsqu’elle chante, une boule animée se pose sur les syllabes à prononcer pour permettre au public de chanter en même temps que le film. Lillian Roth fait des gestes qui accompagnent la boule approximativement, et elle tente parfois de mimer le fait qu’elle la suit du regard. Sa gestuelle et sa danse, sommaires mais sautillantes,

correspondent bien au style d’animation employé dans les scènes de la grange (« barn » en anglais) dancing.

En terme de découpage, le film montre d’abord la vie de la grange, durant toute l’introduction musicale du morceau. Suivant les différentes scènes, la mélodie passe par des variations importantes avant de revenir à celle de la chanson. Le chien chef d’orchestre se débarrasse de son violon et utilise l’entonnoir qu’il avait sur la tête comme un porte voix pour chanter une fin de couplet. Selon le mode décrit plus haut, on passe de la grange-dancing à la maison où Lillian Roth attend les spectateurs pour chanter la chanson avec eux. C’est la seconde grande partie du film. Vers la fin, on revient dans la grange où une chienne habillée comme l’actrice danse en l’imitant sur un tonneau de mélasse. Le film se termine par un retour à l’actrice qui entonne triomphalement la dernière phrase. Le film est donc divisé en deux grandes parties principales, et deux courtes parties alternées en fin de film.

Dans la première partie, les scènes se succèdent en animation. En les observant attentivement on peut trouver des similitudes entre elles : une mécanique chorégraphique qui s’enraye ; une animation soignée et très précise ; une gestion des boucles et des répétitions qui marie exigence financière et artistique.

Par exemple, lors de la scène du service de la glace, un chat en sert des portions à d’autres chats serveurs qui se dirigent ensuite vers la salle. Parmi eux, un chat plus petit que les autres mange systématiquement la part qui lui est servie et passe sous la table pour reprendre son tour. Toutes ces actions sont très chorégraphiées, dans un synchronisme rigoureux avec la musique. Cette scène dure vingt-cinq secondes, dont quinze secondes consacrées à la scénette de resquille qui est reproduite trois fois. L’animateur a donc produit cinq secondes d’animation au lieu des quinze finales, les dessins étant par la suite re-filmés dans le même ordre trois fois de suite. Cela, jusqu’au moment où le chat qui sert la glace va se rendre compte du stratagème. À noter qu’une fois qu’il sera complètement recouvert de glace, le chaton s’en réjouira et, dans un mouvement insolent, lapera la glace qui l’enserre au rythme des clarinettes virevoltantes.

Ce soin apporté au détail, à l’idée choisie pour terminer une scène et lancer la suivante avec énergie, relève d’un savoir-faire important dans l’art du divertissement et de la mise en scène. Des scènes telles que celles-ci sont nombreuses dans ce film court mais qui, plus de quatre-vingt ans après sa production, garde une fraîcheur et une force intactes.

Denis Walgenwitz

La danseuse et les chats

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Comédie musicale, burlesque et romantiqueJe sens le beat est indubitablement habité par le cinéma. En découvrant le film, des noms de cinéastes viennent à l’esprit, des genres aussi. Pour autant, s’il peut en évoquer plusieurs, il ne se résume à aucun.

Interrogé par des étudiants de l’école Estienne, Yann Le Quellec dévoile que, dans la scène de la cathédrale, les inserts sur les pieds sont pour lui une sorte de relecture burlesque et incongrue d’un passage d’Andréï Roublev, d’Andreï Tarkovski. Au-delà de cette citation pour le moins dis-crète, qui appartient à ces références secrètes auxquelles s’adonnent bien des créateurs, viennent assez spontanément à l’esprit deux Jacques qui riment entre eux : Demy et Tati. Un soin dans le traitement sélectif de la couleur qu’ils ont en commun se retrouve chez Le Quellec avec Alain en costume bleu et Rosalba en rouge sur des fonds le plus souvent beiges ou blancs.

Par ailleurs, un plan évoque directement Demy, dans cette façon de fil-mer ensemble deux personnages qui ne se voient pas mais dont on sait qu’ils doivent se rencontrer : la caméra surplombe la rue au moment où le Combi Volkswagen prend un virage assez marqué tandis que, sur le trottoir opposé, Rosalba marche dans une autre direction.

On songe à Tati particulièrement quand les deux personnages timides se disent bonjour, tendant, l’un et l’autre, la main ou la joue pour une bise, à chaque fois à contretemps.

Au-delà de ces deux Jacques, ce sont aux genres qu’ils incarnent que l’on songe : la comédie musicale et le burlesque. Le rapport avec celle-là est plus biaisé qu’avec celui-ci. L’irrépressible envie qui saisit Rosalba n’est pas sans rapport avec le sentiment que peut provoquer en nous une comédie musicale réussie, la sensation physique qu’on pourrait soudain se mettre à danser parmi les passants. En même temps, Je sens le beat ne répond pas aux codes du genre, préférant inventer, par l’entremise de la fable, un usage inédit des moments de danse.

Le film s’inscrit plus explicitement dans les pas du burlesque — sonore, comme chez Tati et Pierre Étaix — et flirte avec la comédie romantique. Du burlesque il reprend la stylisation des personnages (les touristes), des gags (le danseur qui se cogne contre la baie vitrée), des effets de contrastes (le bruit de moteur au milieu des gros cars avant qu’émerge le petit Combi).

Le registre de la comédie romantique se passe de commentaire avec cette fiction qui met en scène une femme et un homme attirés l’un vers l’autre et devant surmonter quelques obstacles (leurs timidités réci-proques, un handicap) pour finir par s’unir l’un à l’autre.

Rosalba, jeune guide touristique, souffre d’une affection inédite ; la moindre mélodie provoque chez elle gesticulation et danse. Malgré ses ruses pour cacher son excentricité, ce corps indomptable pourrait bien séduire son collègue Alain.

France, 2011, 32 minProduction, réalisation, scénario : Yann Le Quellec / Image : Nicolas Guicheteau / Montage : Salomon Martial / Décors : Aurélie Descoins / Chef opérateur son : Antoine Corbin / Monteur son : Fred Meert / Mixage : Benoît Biral / Interprétation : Rosalba Torres Guerrero, Serge Bozon

Yann Le Quellec Yann Le Quellec est né le 22 octobre 1974 à Rennes. Diplômé d’HEC et titulaire d’un DEA de l’EHESS, il a travaillé dans le secteur des médias en finance et en stratégie avant de cofonder en 1999 NetsCapital Invest-ment Bank qui conclura des opérations de placements privés et de fusion-acquisition. En 2003, il crée White Light Film Finance, société de conseil en finance-ment spécialisée dans l’industrie cinématographique. Il conseille producteurs et distributeurs, notamment Gaumont et Wild Bunch, tant au niveau corporate (aug-mentation de capital, fusions et acquisitions, valorisa-tion de catalogues…) qu’au niveau des films (définition d’une stratégie de financement de films, levée de fonds, mise en place de coproductions internationales…).

En 2006, Le Quellec cofonde la SOFICA Cinemage 6 avec Serge Hayat et la société EWB Finance, société de conseil et d’investissement dans le cinéma et l’audio-visuel. Jusque fin 2008, il anime CEC Europe, filiale du groupe Citi, spécialisé dans les investissements dans le secteur cinéma à l’international. Le Quellec enseigne à HEC (cours d’économie du cinéma) et à la Femis.

En 2011, est publié Love is in the (air) guitar (dessins de Romain Ronzeau, éditions Delcourt), dont il a écrit le scénario, une BD traduite dans plusieurs langues. Il écrit et réalise Je sens le beat qui monte en moi (2012), lauréat de nombreux prix internationaux, puis Le Quepa sur la vilni ! (2013), qui lui vaut le Prix Jean Vigo.

EN LIGNE

Analyse de l’ouverture du film, liens.

Je sens le beat qui monte en moi Yann Le Quellec

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Corps accordJe sens le beat raconte, comme (presque) tous les films, la ren-contre de deux êtres différents, voire contraires. Les dialogues étant très réduits, l’histoire d’amour passe par le langage des corps. Demandons aux élèves de résumer cette rencontre en ne se référant qu’aux gestes des deux personnages.

On voit d’abord Rosalba perdre le contrôle de son corps alors que les premiers gestes d’Alain ont une précision presque maniaque. Quand la musique résonne, on sent néanmoins le corps d’Alain prompt à s’emballer, comme le corps de Rosalba pris de convulsions, mais toujours en rythme. Ensemble, ils partagent d’abord la maladresse (ils ne parviennent ni à se saluer, ni à insérer une cassette dans le lecteur du van, ni à trinquer) puis leurs corps s’accordent dans une danse frénétique qui impres-sionne tout le monde. Enfin sur la même longueur d’onde, ils peuvent s’étreindre.

Une séquence (presque) muette

Optant pour un comique burlesque, le réalisateur flirte logiquement avec le cinéma muet. C’est évident dans la scène du restaurant :

- une fois qu’Alain et Rosalba sont sur la terrasse, le cadre fixe rappelle les plans-tableaux des premiers films. La composition est très soignée, la profondeur de champ permettant de faire un gag discret (le client qui accumule les bières au fil de la soirée).

- le point de vue sonore étant celui de la caméra placée à l’intérieur, on n’entend pratiquement pas les sons de la scène à laquelle on as-siste. La bande-son est dominée par la musique d’ambiance du res-taurant qui, comme dans les films muets, compile des morceaux préexistants, dont les différents genres accompagnent l’évolution des personnages.

- les acteurs jouent le jeu du muet : les mots sont superflus, les gestes racontent tout (maladresse, com-plicité, désir).

- les inserts plein cadre sur le menu rappellent les intertitres du muet, qui servaient pour les dialo-gues ou pour signifier l’écoulement du temps, comme c’est le cas ici.

SG

P I S T E S D E T R A V A I LLes premières minutes de Je sens le beat mettent en place une opposition entre elle et lui. À la robe rouge et aux gestes amples répondent un costume bleu étriqué, à l’aspiration au silence de la jeune femme s’oppose un homme qui n’a de cesse d’écouter des chansons. Cet antagonisme, dont on devine qu’il ne peut que s’achever par leur union, est, entre autres, marqué par des contrastes sonores.

Nous mettons un certain temps à comprendre l’agitation qui s’empare de Rosalba dès que le moindre air de musique résonne et découvrons peu à peu comment elle vit avec ce handicap, cette sorte de trouble obsessionnel compulsif, qu’elle dissimule tant bien que mal comme un secret honteux. Le plan de la ville où elle a pointé les endroits à éviter laisse entendre que ce problème n’est pas nouveau tout comme la complicité qui l’unit au jeune danseur de rap sur le pont qu’elle doit traverser.

La musique, qui invite plus couramment au recueillement, au plaisir, à la danse désirée, est vécue chez Rosalba comme une contrainte, une souffrance. Dès que son corps lui échappe, on perçoit ce malaise qui, dans le même temps, devient un ballet étrange, dont le ressort tient à l’interprète, Rosalba Torres Guerrero, danseuse, entre autres chez Alain Platel et Anne Teresa De Keersmaeker, et qui a créé, en 2012, Pénombre, avec le vidéaste Lucas Racasse, un spectacle décrit comme un dialogue chorégraphique entre la danse et la vidéo.

Le personnage féminin subit le son. Le rêve, dans lequel elle s’imagine danser avec Alain, se déroule dans un silence ouaté, que les stridences de joueurs de musique andine de pacotille brisent soudainement. Après avoir insulté copieusement les musiciens, Rosalba ne peut que s’enfuir, le corps pris de soubresauts. Les ruptures sonores accentuent aussi à plusieurs reprises les passages d’une séquence à l’autre, de son monde à elle à son monde à lui.

Alain est l’homme du bruit. À deux reprises, celui de ses pas, amplifié, manifeste sa présence de manière burlesque. Il répare son moteur en se dandinant sur « Seven Days Fool », d’Etta James, et, euphorique, écoute à fond « Going to a Happening » de Tommy Neal, dans son Combi après avoir décroché un rendez-vous avec Rosalba. Tout comme la personnalité de la danseuse, celle de Serge Bozon est déterminante. Critique, réalisateur, acteur, ce collectionneur de vinyles exerce souvent comme DJ. Il a participé au choix des musiques de Je sens le beat. Un connaisseur saura ainsi repérer que les chansons relèvent la plupart de la northern soul, mouvement britannique que chérit aussi particulièrement Le Quellec et qui participe, avec les

costumes et le véhicule vintage, à une certaine atemporalité du film.

Empêchements

Parmi les ressources de Rosalba pour échapper à la musique, il y a les portes, les vitres, qui atténuent les impacts du son. Quand, au tout début, elle arrive à fermer sa fenêtre, elle fait taire la Sonate n°11 en la majeur de Mozart qui l’avait mise dans tous ses états.

Le Quellec joue beaucoup de la palette de ces atténuations physiques indépendamment de toute logique matérielle. À un moment, les touristes, installés dans le Combi, parlent entre eux. Ils sont filmés de l’extérieur du véhicule et le son de leurs voix nous parvient comme une sorte de drôle de magma de paroles indistinctes. Quand nos deux héros se retrouvent dans la cour intérieure d’un restaurant, là encore, une vitre nous sépare d’eux. Ce qu’ils se disent nous échappent, mais pas la musique du restaurant qu’eux n’entendent pas. Celle-ci joue alors le rôle d’une musique de fosse, qui accompagne cette relation amoureuse naissante.

Cette dynamique entre le dedans et le dehors vit son acmé comique quand, au cours de la soirée, Alain ferme la porte vitrée pour éliminer un danseur trop entreprenant à l’égard de Rosalba. Le bruit du choc de ce rival contre la vitre accentue la couleur burlesque de la scène.

Pour opposés qu’ils soient, les deux personnages ne peuvent que se trouver en dansant ensemble. Dans une soirée, le handicap de Rosalba passe inaperçu, son expressivité lui confère même un surcroît de séduction. De son côté, Alain peut, dès lors que la musique lui sied — en l’occurrence The Snake d’Al Wilson — rejoindre Rosalba. La danse, souffrance possible chez elle, plaisir solitaire chez lui, révèle dans leurs pas à l’unisson, une charge érotique trop longtemps contenue.

Une certaine dimension sexuelle, certes humoristique, apparaît d’ailleurs dès le titre du film qui laisse entendre derrière le mot beat qui signifie battement, pulsation, un homophone qui désigne ce fameux organe masculin aux propriétés érectiles.

Envoutée par la musique, Rosalba perd le contrôle de son corps. Une fois compris cela, Alain s’en sert en usant de sa flûte — faut-il insister sur cette figure phallique ? — comme d’un « piège à fille », comme disait Jacques Dutronc1. Tel le joueur de flûte de Hamelin, à l’instar du berger dans Le Déjeuner sur l’herbe (Jean Renoir, 1959), au son de sa flûte de plus en plus endiablée, il entraîne Rosalba là où ils ont tous les deux envie de se retrouver, dans l’abandon de leurs corps enivrés par la musique.

JK

1. Pour mémoire, si nécessaire : « Moi j’ai un piège à fille, un piège tabou. Un joujou extra qui fait crac boum hu. Les fill’s en tomb’nt à mes g’noux. » Paroles de Jacques Lanzmann.

Pas de danse à Poitiers

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Le burlesque (sonore)Un homme trébuche, et tombe. Pourquoi rit-on ? Parce qu’il y a dans cette scène « une certaine raideur de mécanique là où l’on voudrait trouver la souplesse attentive et la vivante flexibilité d’une personne », répond Henri Bergson dans Le Rire. Cette remarque célèbre de Bergson pourrait presque, à elle seule, résumer le moteur du genre burlesque, qui est né en même temps que le cinéma — avec L’Arroseur arrosé des frères Lumière, premier gag du cinématographe. Parce qu’il repose sur une poétique des gestes, laquelle fait le portrait d’un homme toujours aux prises avec son environnement, on pourrait dire que le burlesque est par essence un genre muet. Et d’ailleurs c’est bien à l’ère du cinéma muet que correspond son âge d’or, commencé avec le pionnier français Max Linder, continué avec le slapstick de Mack Sennet, et consacré par Charlie Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd ou Laurel et Hardy. Preuve que l’introduction du son semblait contradictoire avec l’essence du burlesque, Chaplin y résista longtemps — tandis que Keaton n’y survécut pas.

Dans les années 1950-60, de nouveaux auteurs burlesques renouent avec l’inventivité de leurs aînés, tout en explorant minutieusement les ressources comiques offertes par le son. Et le son, dans le burlesque, c’est bien entendu beaucoup plus que la parole (à quoi ne se réduit pas le cinéma « parlant ») : tout parle dans le burlesque, à commencer par le corps lui-même, et les nombreux objets avec lesquels il est généralement condamné à lutter. Jacques Tati est sans aucun doute le cinéaste qui a poussé le plus loin le potentiel comique et poétique du son (et aussi, ne l’oublions pas, de son nécessaire corollaire : le silence). Mon oncle ou Playtime déploient une sidérante architecture sonore où se lit, en même temps qu’à l’image, un tableau saisissant de la modernité.

Aux États-Unis, Jerry Lewis fut lui aussi, sur un mode plus mineur mais parfois génial, un artisan très inspiré des gags sonores. Formé chez l’un, grand ami de l’autre, Pierre Étaix, quant à lui, a toujours mis un soin particulier à l’élaboration du son dans ses films, comme en témoignent les premières bobines de Yoyo, pastiche de cinéma muet néanmoins ponctué par une série de bruits finement choisis. Autant sinon plus que les dialogues, les bruits aident Étaix à construire des scènes, des gags entiers. Et souvent chez lui, le bruit est le visage d’une modernité à laquelle, en bon rêveur, il rêve de se soustraire — comme Pierre, son alter-ego dans la majorité de ses films et qui, au début du Soupirant, met des boules Quiès pour faire taire le monde alentour.

Pierre ÉtaixParce qu’elle n’était plus visible en raison d’un imbroglio juridique, l’œuvre pourtant majeure de Pierre Étaix avait été un peu oubliée. La restauration récente de ses films (cinq longs métrages et autant de courts, dont En pleine forme) a redonné la place qui lui est due à ce génie français du burlesque, qui fit ses gammes chez Jacques Tati — il fut chargé d’imaginer des gags pour Mon oncle. Encouragé par cette collaboration après une première carrière d’illustrateur, puis une seconde comme clown (mais sa passion pour le cirque ne le quittera jamais, comme en témoignera son film le plus ambitieux, Yoyo, et la fondation de l’École nationale du Cirque avec sa femme Annie Fratellini en 1973), Étaix décroche en 1962 un Oscar pour son second court métrage, Heureux anniversaire. Écrits pour la plupart avec Jean-Claude Carrière, ses films inventent des gags prodigieux qui renouent avec la minutie poétique de Chaplin et Keaton. Sous leurs dehors lunaires et occasionnellement surréalistes, ils n’en dressent pas moins un portrait acerbe de leur époque (société de consommation dans Tant qu’on a la santé, petite bourgeoisie provinciale dans Le Grand Amour...), culminant dans un étonnant documentaire, Pays de Cocagne, dont l’acidité vaudra une opprobre fatale à la carrière de cinéaste d’Étaix.

EN LIGNE

Analyse de la transition entre le

camping sauvage et le camping officiel, liens.

En pleine forme Pierre Étaix

Au petit matin, un homme tente de se faire un café au milieu d’un champ où il a fait du camping sauvage. Un garde-champêtre l’oblige à s’installer sur un véritable terrain de camping.

France - 1965-1971, 12 minProduction : Hubert Mérial / Scénario : Pierre Étaix et Jean-Claude Carrière / Réalisation et interprétation : Pierre Étaix / Image : Jean Boffety / Montage : Henri Lanoë / Mixage : Jean Neny / Musique : Luce Klein, Jean PaillaudCe court métrage est, à l’origine, l’une des séquences du long métrage Tant qu’on a la santé dans sa version de 1965. En 1971, Pierre Étaix revient sur le montage de son film et extrait cette séquence qui devient le court métrage En Pleine Forme. En 2010, il décide de le présenter lors de la ressortie de ses films restaurés.

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Dans un entretien donné à l’occasion de la restauration de ses films1, Pierre Étaix se rappelle sa découverte, à huit ans, des Temps modernes de Chaplin : « On avait beau me dire que le film se finissait bien, Charlot, pour moi, était malheureux, et son sourire était forcé ». Le génie burlesque d’Étaix se mesure autant dans le talent avec lequel il a prolongé les inventions des grands classiques (Chaplin, Keaton), que dans ce voile d’incurable scepticisme déposé

sur toutes choses. Conçu à l’origine pour prendre place parmi les sketches de Tant qu’on a la santé (son troisième long métrage), En pleine forme se présente comme une satire de la civilisation des loisirs. Il hérite en cela d’une vieille tradition burlesque, vouée à passer au filtre des gags le ridicule du monde moderne. Ce programme fut aussi celui de Tati, chez qui Étaix fit ses gammes. Mais le regard d’Étaix sur ses contemporains est à la fois plus mélancolique et plus féroce. Sur le progrès, le monsieur Hulot de Tati jette un regard innocent : il le traverse en clandestin lunaire, comme immunisé par sa naïveté, vengeant à l’occasion Tati et le spectateur par la grâce de maladresses dont il ignore la portée subversive. Pierre, l’alter ego d’Étaix, est lui aussi un rêveur. Mais chez Étaix le réel tape dur, et le rêve est un refuge bien précaire.

Et c’est à ce titre qu’En pleine forme se trouve littéralement coupé en deux — plié en son milieu par une brutale désillusion. Dans la première partie, Pierre savoure les délices du camping solitaire, dans une nature accueillante dont le premier plan fait un tableau idyllique. Ce n’est pas seulement un campeur, c’est un Robinson, son coin de campagne est une île. Tout y est pour le mieux, ou presque. Burlesque oblige, rien ne va de soi pour le personnage : complot des objets contre lui (le moulin à café, la cafetière), disproportion absurde entre les moyens déployés et les effets obtenus (tant d’efforts pour une simple goutte de café !)... La goutte de café n’en récompense pas moins son admirable persévérance, et conclut cette première partie sur une morale du bonheur, lequel appartient à qui sait se contenter de peu. Mais l’île est cernée : la société la garde à vue, par l’œil du garde-champêtre. Le plan suivant produit un contrepoint d’une violence extrême. Difficile, devant cette contre-plongée sur des barbelés, de ne pas se rappeler un plan presque identique au début du Nuit et Brouillard de Resnais, commencé sur l’image d’une campagne bucolique puis révélant les barbelés tandis que la voix annonce :

« Même un paysage tranquille, (…) même un village pour vacances, avec une foire et un clocher peuvent conduire tout simplement à un camp de concentration ».

La mécanique burlesque prend alors une autre dimension : dans ce camp de vacances qui est une prison explicite, la société de consommation a condamné à la barbarie une humanité désormais rampante, qui a perdu le combat avec les objets (la voiture qui occupe une tente trois fois plus grande que celle de son propriétaire) ou s’est confondu avec eux (une femme se déplie comme une table de camping, dans un crissement mécanique ; un homme se met à enfler à la place de son canot pneumatique). Le temps des vacances n’est plus l’envers du temps du travail, mais sa miniature cauchemardesque. Et c’est aux inventions sonores qu’il revient, comme souvent chez Étaix, d’appuyer le trait de la satire.

Le son, ici, est une interprétation de l’espace. À l’immensité du premier décor correspond un silence serein, que percent à peine le chant d’un coq, le cliquetis des objets avec lesquels lutte Pierre, et quelques notes de musique off rythmant son joyeux combat. Le tout forme une symphonie venue scander les efforts de Pierre pour construire son îlot de bonheur. Commencée comme un écho de son sifflotement, la musique commente ironiquement ses efforts, par petites touches moqueuses, mais finit par se déployer pour consacrer sa relative réussite. Passé le silence lugubre des barbelés, qui signe le passage du film dans le camp, l’espace sonore se sature soudain, au diapason de l’image où s’entassent corps, objets, signes. Au silence de la première partie est substitué un grondement sourd, venu de moteurs invisibles, un bruit de fond qui obstrue les perspectives sonores comme est bouchée la perspective visuelle. Sur lui viennent s’additionner d’autres sons, jusqu’à former un ensemble indistinct qui est le pendant exact de l’indistinction à quoi les hommes, parqués et numérotés, sont ici condamnés. La barbarie moderne se résume alors à un bruit — dans le sketch éponyme de Tant qu’on a la santé, une longue scène documente les ravages inouïs provoqués par les vibrations d’un marteau-piqueur. Et c’est d’ailleurs par le son que passe ici une image terrible du pouvoir, la voix d’une autorité sans visage, résumée dans un haut-parleur funeste. À cet enfer de la société rationalisée, Pierre finit par échapper, sautillant, comme Charlot qui reprenait la route. Mais on aura peine à croire, là aussi, que le film finit bien : on a compris depuis le plan du garde-champêtre qu’aucune île n’échappe à l’œil du pouvoir.

Jérôme Momcilovic

1. « L’été d’Étaix », entretien avec Jean-Philippe Tessé, Cahiers du cinéma n° 657, juin 2010.

L’impossibilité d’une île

Atelier d’écoutePour apprécier la précision du travail sonore de Pierre Étaix, on diffusera le son de la séquence d’ouverture d’En pleine forme. Que devine-t-on de la situation dès les premières secondes (0min47 à 1min36) ? Ensuite, s’il est parfois complexe d’identifier précisé-ment l’action, on pourra demander aux élèves de se concentrer sur la di-versité des sons. Quels types de sons peut-on identifier (bruits, sifflements, musique) ? Que dire du bruit que font les objets que Pierre manipule ? Quelle place est réservée au silence ? Joue-t-il un rôle particulier ? Pierre est-il le seul à faire du bruit ? Que dire de l’am-biance sonore ?

Pour montrer que le son joue un rôle primordial dans la réussite d’un gag chez Étaix, on pourra faire écouter la séquence du canot pneumatique (10min59 à 11min36). On remarquera l’effet comique produit par l’alternance, en rythme, des cris d’épuisement de l’épouse et du bruit de la pompe puis par la modification du souffle du mari après la chute du sac à dos.

Quel regard sur le monde ?

En pleine forme dévoile vite une tonalité satirique. De quoi Étaix formule-t-il la critique ? Par quels choix de mise en scène ? Quelle métaphore établit-il au-tour du camping ? Comment la file-t-il ? En 1971, Étaix réalise Pays de Cocagne, documentaire au vitriol sur la France de l’époque. On montrera aux élèves le premier extrait du dvd dans lequel le réalisateur filme un camping. En pleine forme est une fiction, Pays de Cocagne un documentaire. Mais quelles simili-tudes peut-on repérer ? Lors de la sor-tie du documentaire, la critique lui re-procha « sa condescendance envers la France des classes moyennes ». Qu’en pensent les élèves ? Y a-t-il une dimen-sion comique derrière la critique de la société de loisirs ? Quel regard Étaix porte-t-il sur ses contemporains ? Se moque-t-il des gens ou des contradic-tions de la société de consommation ?

Dans Les Vacances de monsieur Hulot (1954), Jacques Tati, qu’Étaix rencontre la même année, pose un regard plus doux sur les vacanciers. La séquence d’ouverture fait apparaître cette diver-gence de point de vue mais aussi de multiples ressemblances : comique burlesque, travail sur le son, utilisa-tion de motifs identiques (les haut-parleurs). Au-delà de cette séquence, on peut comparer les deux person-nages comiques, Pierre et Hulot, et les deux acteurs qui les incarnent.

Adrien Heudier

P I S T E S D E T R A V A I L

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DécoupageLes cent trente-neuf plans du film construisent une constellation de directions d’intrigue, mais suivant un arc narratif en partie familier : on croit reconnaître des amorces d’histoire, aussitôt abandonnées.

1. Ouverture(s) – plans 1 à 18 – Plan noir soutenu par une musique de fosse électronique insistante qui module et se mêle aux bruits de la ville jusqu’à son remplacement par un second morceau (à 11min50). Série de plans de la circulation et de passants marchant sur les trottoirs ou traversant les avenues de Times Square. Plans plus longs sur un policier, comme noyé par la foule (1min28) et sur un vendeur du New York Post (1min53). Un school bus tourne, la tonalité angoissante de la bande musicale s’intensifie.

2. Première alerte (2min38) – plans 19 à 35 – Zooms avant, arrière : la caméra a du mal à faire le point sur les visages ; les corps obstruent le champ. Une jeune femme se détache ; de l’autre côté de la rue, un homme semble la regarder. Champs, contrechamps, suspense ; le vendeur de journaux met sa capuche. La jeune femme traverse… sans encombre. Plans sur un agent de la circulation et sur le portier du Sardi’s Restaurant.

3. Les yeux levés (3min47) – plans 36 à 51 – Au cœur de Times Square — la soirée paraît plus avancée —, un grand Noir aux lunettes de soleil sort son portable. Plans de véhicules arrêtés, les conducteurs attendent. La police new-yorkaise se fait plus présente. Bruit de pals (4min25), chacun lève les yeux. Vues aériennes avec hélicoptère (stock-shots de télévision et de Heat). Le grand Noir semble suivre son trajet du regard : la caméra fait un zoom arrière, en contre-plongée, l’isole dans le champ.

4. Téléphones en réseau (4min53) – plans 52 à 65 – Les uniformes se multiplient dans le champ. Plans d’hommes au téléphone (dans la rue, en voiture, dans une cabine téléphonique) ; bribes de conversations à peine audibles. Un taxi et sa passagère, sont pris dans l’embouteillage.

Le grand Noir finit sa conversation, range le portable dans la poche intérieure de sa veste.

5. Affolements (6min55) – plans 66 à 78 – Des clientes sortent du Sardi’s. Plan au sol en caméra portée, la musique s’affole ; les zooms sont “brusqués”. Suivent plusieurs plans d’une femme blonde qui ne semble pas avoir toute sa tête : le monde autour d’elle évolue à l’envers alors qu’elle se parle à elle-même, avec des mouvements étranges des lèvres et du visage.

6. Maillage policier (8min19) – plans 79 à 133 – Agitation policière et ambulancière : sirènes, gyrophares activés, échanges sur les radios, les portables. Plans plus rapprochés des agents, sur le qui-vive, mais encore en faction — ce qui contraste avec le flux des passants ; l’un deux, avec son talkie-walkie, se retourne et semble repérer la caméra (10min40).

7. Manœuvre finale (11min48) – plans 134 à 139 – Les véhicules de la NYPD démarrent ; la musique off de Moby finit par étouffer les sons ambiants. Artère plus éloignée, au petit matin (12min32) : plan séquence sur les voitures de police qui roulent en file indienne dans diverses directions.

Guy Astic

Nicolas ProvostNé en 1969 à Renaix (Ronse), ville flamande située sur la frontière linguistique, Nicolas Provost opte pour la création visuelle après avoir vu, à l’âge de seize ans, Blue Velvet de David Lynch. Il suit d’abord un cursus en graphisme à l’École supérieure des Arts de Saint-Luc (Gand), puis s’inscrit à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Gand en 1994. Il complète sa formation, en vidéo, à l’Académie de Bergen (Norvège). Il s’installe à Oslo où il tourne ses premiers films : Need Any Help ? (1999), Pommes d’amour (2001), Yellow Mellow (2002)… Cinéaste et plasticien, son œuvre investit aussi bien les musées et les galeries d’art que les salles obscures. Il est le réalisateur d’une quinzaine de courts métrages récompensés, pour la plupart, dans divers festivals.

Vivant désormais à Bruxelles, il a réalisé en 2010 son premier long métrage, The Invader, l’histoire d’un Africain sans papiers en Europe, basée sur le personnage d’immigrant burkinabé d’Exoticore (2004) et sur l’inquiétante étrangeté d’Induction (2006). Il a aussi prolongé l’expérience urbaine en caméra cachée de Plot Point avec Stardust (à Las Vegas) et Tokyo Giants.

EN LIGNEUne vidéo sur le

dernier plan du film, des pistes de travail

et l’ensemble des textes rédigés lors de la programmation du

film en 2008.

Plot Point Nicolas Provost

Times Square, New York : dans les rues illuminées, filmées en caméra cachée, les passants semblent sous pression, la police est omniprésente et la tension ne cesse de croître.

Belgique, 2007, 13 minProduction réalisation, image, son, montage : Nicolas ProvostLe film a reçu de nombreux prix en festivals, dont le prix spécial du jury à Clermont-Ferrand, le grand prix à Vendôme et le prix UIP à Vila do Conde.

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Plot Point est littéralement baigné de musique, et celle-ci est essentielle à la manière dont le spectateur se met à déchiffrer le film dès le début. Posée en nappe sonore légèrement angoissante sur les images documentaires, la musique semble nous avertir dès les premières secondes que quelque chose de grave, d’impressionnant, voire d’effrayant va se produire d’un instant à l’autre, et nous pousse à guetter les indices de cet événement à venir dans les plans.

La musique nous éloigne ainsi d’une perception do-cumentaire du film et nous pousse vers une inter-prétation fictionnalisante. Au cinéma, le spectateur est saisi d’une envie d’histoire(s) qui le pousse à être très observateur et à reconstruire le fil fiction-nel, parfois avec fort peu de choses. Tout comme on parle de « pulsion scopique » pour évoquer le désir du spectateur de projeter son regard le plus loin et le plus profond possible dans l’image cinématogra-phique, nous pouvons parler de « pulsion narrative » pour évoquer la manière dont le spectateur cherche à deviner et à extrapoler une narration à partir du moindre indice offert par le film.

Fausses pistes sonores

Provost joue habilement de cette pulsion : la musique induit chez le spectateur un mode de lecture fictionnalisant des images et, aussitôt, les pistes narratives pullulent à l’écran. Le policier vient de tourner la tête, le raccord de montage nous emmène vers un vendeur de journaux. Cet homme, la casquette profondément enfoncée sur le crâne, nous semble soudain suspect. Un autre homme, filmé de trois quart dos, attend le feu vert pour traverser. Un crescendo inquiétant accompagne au son le geste de tête ; et voilà le spectateur convaincu que cet homme cherche à regarder en arrière sans être vu.

Parfois, même si la caméra ne bouge pas et que rien d’étonnant ne se passe à l’image, le son conduit litté-ralement l’œil du spectateur à déceler dans l’image des choses inquiétantes. Le lent zoom arrière sur un homme téléphonant au volant de sa voiture en arrêt se termine lorsqu’une autre voiture vient obstruer l’image. Le visage d’une jeune fille derrière la vitre

se retrouve alors au premier plan. Les accords an-goissants qui accompagnent l’arrivée de ce visage dans le cadre nous poussent alors à imaginer on ne sait quel lien funeste entre cet homme et cette jeune femme. C’est d’ailleurs encore la musique qui nous indiquera à la fin du film, lorsque la nuée de voitures de police démarrera, tous feux allumés, devant la caméra, qu’il s’agit d’une résolution et non d’un re-bondissement alarmant. La musique sur ce passage aurait pu être inquiétante et non triomphante et au-rait alors induit une toute autre compréhension des images.

Provost va plus loin, usant des procédés de cadrage ou de montage qui renvoient au cinéma de genre et confortent ainsi l’interprétation fictionnalisante du film. On peut dans ce sens penser au montage alterné entre une belle jeune femme qui attend le feu vert et le vendeur de journaux déjà mentionné. Les plans de leurs visages alternent rapidement et sont accompagnés d’une montée sonore menaçante, donnant ainsi l’impression que la femme est en danger. Ailleurs Provost zoome brutalement sur des visages (comme celui d’un homme dans sa voiture ou encore sur le portier) et va même jusqu’à utiliser à un moment la caméra subjective, procédé classique dans le cinéma de genre pour montrer le point de vue du tueur qui menace les personnages, sans en révéler l’apparence et l’identité.

Mais chaque fiction possible qui surgit dans l’esprit du spectateur se révèle être une fausse piste narrative, puisque chacune est tour à tour abandonnée par le cinéaste au profit de la suivante. Provost nous rappelle sans cesse qu’il ne s’agit pas d’une fiction, mais bien d’une œuvre qui révèle les innombrables possibilités de fictions que recèle le réel en fonction de la manière dont on le filme et dont on le donne à voir grâce au montage et à l’accompagnement sonore. C’est bien la pulsion narrative du spectateur que cherche à explorer Nicolas Provost dans son film, plutôt que de reconstruire une fiction à partir d’images documentaires. Le cinéaste pointe de cette façon les processus de création de la narration fictionnelle et la manière dont le spectateur ne cesse de collaborer à la naissance de celle-ci.

Eugénie Zvonkine

Pulsion narrative

ÉcrituresRéservoir de possibles narratifs, Plot Point peut inspirer des exercices d’invention. À par-tir de plans précis, on demandera aux élèves d’imaginer un développement d’intrigue, sous la forme d’un scénario à suspense, complété d’une note d’intention (titre, finalité du propos, moyens mis en œuvre…). Parmi les consignes d’écriture, on rappellera la nécessité d’écrire au présent, de multiplier les détails (phy-siques, gestuels, vestimentaires), de suggé-rer les point(s) de vue et les effets de rythme et d’intensité. On pourra leur donner cette amorce scénaristique en exemple, à prolonger ou non :

1. Ext. Nuit – Sardi’s Restaurant, 42e rue, Times Square

Le portier devant l’entrée du restaurant, sous ses dehors d’abord impeccables, est peu à peu gagné par la nervosité. Il piétine de plus en plus, ne cesse de rajuster sa casquette et le col de sa veste. Tout en surveillant l’intérieur

de l’établissement, il jette par intermittences des coups d’œil vers la droite, en hochant par-fois la tête. Son attitude change quand il voit une dame à lunettes s’apprêter à quitter le restaurant. Tout en se tournant vers la porte, il fait un signe vers la droite. D’un geste so-lennel, il ouvre la porte, désigne le trottoir. La dame sort, son sac en bandoulière, glisse un billet dans la main du portier et commence à marcher dans la rue.

2. Ext. Nuit – Sur la 42e rue

La dame se fraye un passage dans la foule compacte et bruyante. Les lumières des de-vantures et des écrans publicitaires éclairent son visage hâlé, aux traits tirés par la fatigue. Devant une vitrine de cosmétiques, elle s’ar-rête. Dans le reflet, elle aperçoit, de l’autre côté de la rue, entre les voitures et les cabs qui passent, une silhouette arrêtée, imposante, qui semble regarder dans sa direction. Une grande partie de son visage disparaît sous une capuche mais elle est frappée par la blancheur de la peau qui reste visible. Elle se retourne. La silhouette n’est plus là, comme volatilisée.

Sound designHormis le morceau final de Moby, la musique employée par Nicolas Provost est celle de l’ouverture de Shining (1980). On pourra faire écouter aux élèves le morceau de Wendy Car-los en montrant le début du film de Kubrick et leur demander quelles transformations a opérées le réalisateur de Plot Point — d’ail-leurs, pourrait-elle fonctionner telle que sur les images du court métrage ? Il a passé, en fait, la musique à 30 % de sa vitesse normale et l’a complétée, pour les moments de climax, par des samples sonores. On rappellera que Wendy Carlos a opéré une relecture au syn-thétiseur, en rajoutant des cris électroniques, du Dies Irae — texte établi au XIIe siècle par un ami de saint François d’Assise, évoquant « un jour de colère où le monde sera réduit en cendres ». L’artiste compositeur s’est inspiré de l’adaptation romantique de Berlioz qui or-chestre ce thème dans le finale de sa Sympho-nie fantastique (1830). Nicolas Provost opte, donc, pour une musique feuilletée, et rajoute une “couche”. En quoi ce travail “géologique” de sound design renforce-t-il la dimension ex-périmentale, poétique et angoissante du film ?

GA

P I S T E S D E T R A V A I L

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DéfinitionsSymphonie urbaine : tendance du documentaire des années 1920, elle a pour objet de faire le portrait d’une grande ville dans une visée généra-lement élégiaque (odes modernistes à l’énergie de la ville industrielle), mais quelquefois critique (À propos de Nice de Jean Vigo reflète la lutte des classes). Elles ont une structure non dramatique (il n’y a pas d’his-toire, le personnage c’est la ville) plus inspirée par des modèles plas-tiques, poétiques ou musicaux. Les plans sont considérés comme des motifs agencés les uns avec les autres et produisant des enchaînements rythmiques qui donnent l’effet d’une sorte de mélodie visuelle (d’où le nom de symphonie urbaine). Leur schéma narratif évoque la journée d’une grande ville, du matin au soir en répertoriant les activités quoti-diennes de la vie urbaine. Principales symphonies urbaines : Mannhata, Charles Sheeler et Paul Strand (1921) ; Berlin, Symphonie d’une grande ville, Walter Ruttmann (1926) ; L’Homme à la caméra, Dziga Vertov (1929).

Mashup (musique) : création d’un titre à partir de deux ou plusieurs autres titres déjà existants. Généralement, les titres créés sont le mé-lange des parties vocales d’un premier titre avec la partie musicale d’un second. (Source wikipedia)

Mashup (vidéo) : création d’une œuvre visuelle autonome en prélevant des extraits visuels préexistants, puisés de différentes sources.

Échantillonnage (ou sampling) : prélèvement de documents sonores ou visuels (samples ou échantillons) ; utilisation de ces samples dans la création de nouvelles compositions artistiques. Un musicien peut ainsi créer une pièce musicale nouvelle constituée d’éléments divers compo-sant un collage sonore.

Collage : technique de création artistique qui consiste à organiser une création plastique par la combinaison d’éléments séparés : extraits de journaux, papiers peints, documents, objets divers. (Source wikipedia)

Musique concrète : cette forme consiste à composer à partir de sons en-registrés. Les sons utilisés sont de provenances diverses (instrumentale, anecdotique, « naturelle », issus de corps sonores tels que tiges, res-sorts, tôles, etc.), mais le plus souvent microphoniques, c’est-à-dire cap-tés dans un espace quelconque, à partir d’un corps résonnant. (Source : Larousse, Dictionnaire de la musique.)

Clip : œuvre multimédia, principalement audiovisuelle et communément courte, réalisée à partir d’un morceau de musique ou d’une chanson et dans laquelle les images sont en général montées sur le rythme de la musique. (Source Wikipedia)

Guillaume DelaperriereNé en 1974, vit et travaille à Paris. Diplômé de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris, il réunit dans ses créations ses deux pôles d’expression artistique : la musique et l’image. Guillaume Delaper-riere crée en 2004 un nouveau concept musical, Giovan-ni Sample, qui compose une musique originale à partir d’images filmées. Il emprunte des vidéos aux mass media, se les approprie et les combine pour créer des films hypnotiques. La loop, ou boucle vidéo, est utilisée comme un moteur de création. Il applique les règles du rythme musical au séquençage des plans. La ligne temporelle du montage vidéo se découpe en mesure à quatre temps. La narration s’articule comme une par-tition musicale et propose de regarder la musique et d’écouter les images. En 2006, Il réalise Mondovision, un film entièrement composé à partir de vidéos sam-plées dans des documentaires musicaux. En 2008, De-laperriere décide de tourner ses propres images pour composer une « musique visuelle » en captant simul-tanément le son et l’image dans une optique musicale et narrative. Sur cette nouvelle dynamique, il réalise Lisboa Orchestra. Actuellement, il développe son projet de long métrage, City Orchestra. Ce film est un voyage visuel et musical au cœur de dix villes du monde qui nous emmène à la rencontre de personnalités origi-nales, issues de cultures différentes. Bien que situés à mille lieues les uns des autres, tous ces chemins de vie sonores deviennent les interprètes de la vibration du monde. (Source : www.guillaumedelaperriere.com)

Lisboa Orchestra Guillaume Delaperriere

Ballade musicale dans la ville aux sept collines. Au fil des rythmes urbains de la journée, une musique originale et hypnotique se compose à partir d’échantillons sonores et visuels recueillis dans la capitale portugaise qui ont pour métronome la pulsation de la ville.

France, 2012, 12 minRéalisation, image, musique : Guillaume Delaperriere / Son : Bertrand Defossé / Mixage : Bruce Keen / Étalonnage : Jean-Marie Frémont

EN LIGNE

Pistes de travail,

liens.

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Lisboa Orchestra dresse, en 12 minutes, un portrait musical de Lisbonne.

C’est un morceau de musique à la fois concrète et mélodique puisqu’il associe des sons urbains à des extraits musicaux (chanteur de fado, orgue d’église, rap, etc.). À chaque son est associée une image : chaque plan fonctionne donc comme une

note ou une mesure à l’intérieur d’une partition. Les plans sont répétés et parfois montés en jump cuts1 de manière à produire une rythmique dans laquelle le son prend le pas sur l’image. Chaque son nous est d’abord présenté avec l’image à laquelle il est associé puis nous pouvons continuer à l’entendre en off sans que sa source visuelle ne soit visible.

Le film tient donc à la fois du documentaire sur Lisbonne, puisqu’il est entièrement constitué d’échantillons visuels et sonores prélevés dans le réel, et du clip musical, puisque les images y sont montées au rythme de la musique.

Il n’obéit pas à un modèle narratif classique, mais à un modèle mélodique et rythmique. Comme les symphonies urbaines des années 1920, le film fait la description d’une journée, du lever du jour au lever du jour suivant. Mais il renouvelle ce genre déjà ancien du documentaire, en réactivant littéralement l’expression puisque qu’ici la ville devient véritablement un orchestre là où, chez Ruttmann ou Vertov, cette notion avait une valeur surtout métaphorique.

La première trame narrative du film évoque le déroulement d’une journée idéale dans la ville de Lisbonne, ponctuée par le carillon d’une cloche qui vient signaler le passage des heures, à l’image d’une horloge ou d’un métronome. Le film commence avec la nuit puis nous voyons le jour se lever avec le début de l’activité qui se divise en trois catégories : le travail (rémouleur, conducteur de tram, mendiant), les loisirs (joueurs de domino et de football) et la musique. Après une première rupture dans la chanson, marquée par le tintement de la cloche, une nouvelle période de la journée s’ouvre, marquée par l’arrivée de nouvelles activités professionnelles (ouvrier du bâtiment, menuisier, etc.) et de musiciens d’un nouveau genre. Puis nous abordons la fin de l’après-midi, les rues se vident et nous découvrons alors la jeunesse lisboète au skate-park avant que la nuit ne tombe, révélant la dimension festive de la ville.

À cette trame narrative se superpose une seconde structure : le film est composé à la manière d’une véritable chanson de rap

ou de musique électronique avec introduction, couplets, breaks, pont et écho final à l’introduction.

Le premier couplet se construit à partir de l’ajout progressif de différentes couches sonores qui viennent former un rythme à la fois répétitif et mélodique centré sur l’orgue, la batterie et le chanteur de fado.

Un premier break (passage où tous les éléments d’un morceau, à l’exception des percussions, disparaissent) permet le passage à une deuxième partie du morceau avec l’arrivée des nouveaux instrumentistes : joueur de MPC (music production center — séquenceur musical et échantillonneur) et rappeur. Aux instruments issus de la tradition portugaise (orgue d’église, chanteur de fado) succèdent des instruments nouveaux avec lesquels ils se superposent harmonieusement. Comme si en avançant dans la journée, le film nous faisait aussi avancer dans le temps historique et marquait l’évolution culturelle du Portugal.

Nouveau couplet, nouveau break (marqué par le sifflement du vent sur la tôle).

L’avant-dernier couplet est suivi d’une nouvelle rupture dans le morceau, qu’on appellera cette fois un pont, terme qui en musique désigne une transition entre deux parties d’une chanson dont les accords se différencient des accords principaux. Le morceau reprend de plus belle et atteint son point culminant, tous les solistes superposant leurs talents dans un majestueux finale.

Le chœur de Lisbonne

Ce renouvellement du genre de la symphonie urbaine se fait à l’aune des techniques les plus contemporaines du remploi visuel et sonore tel qu’il est pratiqué par les artistes d’aujourd’hui : le mashup et le sample. Mais ici, Delaperriere ne recueille pas des extraits musicaux ou visuels déjà existants qu’il mettrait en boucle (comme il l’avait fait pour ses films de montage signés Giovanni Sample), il prélève dans le réel des échantillons visuels et sonores qu’il organise musicalement par le montage.

Lisboa Orchestra est en cela un documentaire à part entière : chaque plan provient du réel et vient s’ordonner avec les autres images pour construire un point de vue cohérent sur la ville et dresser un portrait contrasté de la capitale portugaise. Delaperriere filme le travail ou les loisirs sans hiérarchie et permet, par le montage, à des univers très hétérogènes de se rencontrer et même de se côtoyer de façon harmonieuse dans le même élan musical donnant une vision quelque peu idéalisée du quotidien des Lisboètes. Par la grâce du montage, des retraités côtoient des rappeurs, des enfants des ouvriers du bâtiment ou des fêtards dans une forme d’égalité et d’interdépendance.

Stratis Vouyoucas

1. Jump cut : effet obtenu en enlevant un morceau d’un plan et en raccordant le début et la fin de ce même plan.

Lisbonne, symphonie du XXIe siècle

Lycée OrchestraSur le modèle de Lisboa Orchestra qui fait le portrait de la capitale por-tugaise du petit matin au coucher du soleil, on proposera aux élèves de filmer une journée au lycée, en prélevant certains sons (et les images qui les accompagnent). Les élèves veilleront à retenir des sons qui documentent la vie de l’établis-sement ou parce qu’ils possèdent une rythmique intéressante. Le bus, des discussions dans la cour, la sonnerie, les crayons dans les trousses, le service à la chaîne de la cantine, des portes qui se fer-ment… Un motif pourra être filmé à plusieurs reprises, comme une rime ou un refrain, à l’image de la cloche dans le film de Guillaume Delaperriere. Si les élèves choisi-ront instinctivement de montrer ce qu’ils entendent, ils pourront aussi questionner ce réflexe en falsifiant certains bruits.

L’exercice pourra être réalisé en tourné-monté à partir d’applica-tions mobiles gratuites telles que Vine ou Instagram. La limite de temps qu’imposent ces deux ap-plications (respectivement 6 et 15 secondes par vidéo) obligera les élèves à faire des choix drastiques et à opter pour des plans très courts. Afin de réunir les contribu-tions des élèves, on leur demande-ra d’indiquer #lyceeorchestra dans la légende.

Pour un travail plus approfondi, un logiciel de montage libre (type Windows Movie Maker) permettra de combiner les sons les uns avec les autres et d’obtenir une véri-table musique visuelle. Certaines réalisations seront mises en ligne (contactez votre coordinateur).

Cinéma concretC’est à la fin des années 1940 qu’apparaît le terme de musique concrète qui consiste à compo-ser des morceaux à partir de sons enregistrés dans le réel, de pro-venance instrumentale ou natu-relle. On peut faire entendre aux élèves l’Étude aux chemins de fer de Pierre Schaeffer, chef de file de la musique concrète, le tube pop de Pierre Henry intitulé Psyché Rock et les réminiscences de cette musique du réel dans l’album Pet Sounds des Beach Boys.

S’il n’y a pas véritablement de ci-néma concret, on trouve notam-ment dans le domaine du clip des tentatives qui pourront être mises en regard avec le travail de Guil-laume Delaperriere. On peut citer les réalisations de la fin des années 1990 de Stuart Warren Hill, Timber (cf. dvd du programme Sur écoute) et Natural Rhythm pour le groupe Coldcut et Auto pour Hexstatic. Dans un autre registre, le musicien israélien Kutiman orchestre dans ThruYou une musique visuelle au moyen de vidéos glanées sur You-tube.

On s’interrogera sur ce qui res-semble et ce qui diffère de Lisboa Orchestra. Les réalisateurs ont-ils recours à des images qu’ils ont fil-mées ? Les sons correspondent-ils réellement à leurs images ?

AH

P I S T E S D E T R A V A I L

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D’un film à l’autre

Parole, bruit, musique ?Pour les besoins de l’analyse, on a l’habitude de classer les sons dans trois grandes catégories : parole, bruit et musique. Mais le travail sonore de certains films brouille les frontières. Repérons, dans les cinq films, comment cela peut se passer.

- Plot Point : c’est sans doute dans ce film que les sons sont les plus mélangés. Le réalisateur, également sound designer, associe des bruits ur-bains, des dialogues inintelligibles et des nappes de musique synthétique dans un continuum so-nore duquel émergent timidement quelques sons : une sirène, de brefs extraits musicaux (à 1 min 20, un extrait de la musique de Sueurs froides ? à 7 min 35, s’agit-il de Psychose ?), un court dialogue (à 10 min 50 : « he’s not carrying anything »)... Cette bande-son au mixage très éla-boré participe du projet de Nicolas Provost, qui cherche à perdre le spectateur en l’immergeant dans un bain de sensations.

- Lisboa Orchestra : la bande-son dans son en-semble est un véritable morceau de musique com-posé à partir de nombreux bruits urbains, utilisés le plus souvent comme des éléments percussifs, rythmiques. Les notes de musique proprement dites (orgue, voix, guitare…) apportent des élé-ments mélodiques au morceau, mais le réalisa-teur-compositeur les traite comme les bruits de la ville, sous forme d’échantillons très brefs. La dis-tinction bruits/musique devient en partie caduque.

- Ain’t She Sweet : la musique, composée pour et interprétée par l’orchestre des studios Fleischer avant la mise en images, est arrangée de manière à permettre des jeux de coïncidence audio-vi-suelle entre des actions et des notes. C’est l’in-verse du procédé qu’on appelle mickeymousing, qui consiste, après tournage, à sonoriser chaque action avec une note de musique. Si le procédé est inversé, l’effet est le même : musique et brui-tage se confondent. On entre dans une ferme ma-gique où les violons miaulent et les saxophones gargouillent (et vice-versa). Cette porosité de la frontière entre musique et bruitage, qui crée un monde jubilatoire où tout est musical, est accen-tuée dans Ain’t She Sweet par le fait que de véri-tables bruits, non musicaux, ont été ajoutés à la partition de l’orchestre.

- En pleine forme : pendant quelques instants, la bande-son laisse croire qu’on assiste à un mo-ment d’harmonie entre l’homme et la nature. La musique off inspire le sifflement du personnage, qui rappelle à son tour les chants de coq et d’oi-seaux entendus au loin. Mais rapidement, cette harmonie sonore s’estompe : les bruits désa-gréables témoignent des difficultés de Pierre à se faire un café et la musique semble moquer ses échecs. Avec l’arrivée dans le camping, la bande-son perd toute musicalité pour être dominée par des bruits agressifs.

- Je sens le beat qui monte en moi : la frontière entre bruit et musique renvoie à un enjeu narra-tif important. Car dès que les sons possèdent la moindre musicalité (par exemple une sonnerie de portable), ils forcent Rosalba à danser. Par ail-leurs, les voix sont utilisées au moins autant pour porter un dialogue que pour leurs sonorités et leur rythme spécifiques. Quand Rosalba croise son voi-sin québécois, l’accent de celui-ci est si prononcé que l’on ne comprend qu’à moitié ce qu’il dit. Ce qui compte, c’est de produire un effet comique, basé sur le débit et le timbre de sa voix.

Boucles

Ain’t She Sweet et Lisboa Orchestra, bien que sé-parés par quatre-vingts ans d’histoire, possèdent des points communs. Leur réalisation est symé-trique : des images posées sur une musique pour Ain’t She Sweet, une musique composée à partir d’images pour Lisboa Orchestra. Ainsi, les deux films pourraient aujourd’hui être rangés dans la même catégorie, le clip, à ceci près que Lisboa Or-chestra n’a pas pour but de faire vendre un disque.

Mais leur parenté vient aussi de leur usage de la boucle. Les animateurs d’Ain’t She Sweet, d’abord par souci d’économie, ont en effet dessiné des séries d’images qui, bouclées sur elles-mêmes, sont répétées sans avoir à être redessinées, à chaque fois que les personnages reproduisent la même action. Quant à Guillaume Delaperriere, il isole des extraits sonores très courts (échantil-lons) qui deviennent des boucles (loop en anglais) quand il les répète pour, par exemple, créer les bases rythmiques de son morceau.

S’il s’agit de boucles visuelles d’un côté, sonores de l’autre, ce système basé sur la répétition de différents motifs détermine l’esthétique des deux films qui progressent au gré de multiples varia-tions sur le même thème.

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Lisbonne - New York - PoitiersTrois des courts métrages placent une ville au cœur de leur histoire. Lisboa Orchestra se pré-sente comme un film sur la capitale portugaise, on reconnait très vite New York dans Plot Point et presque un tiers de Je sens le beat qui monte en moi est consacré à une visite touristique de Poi-tiers qui, pour ceux qui ne la reconnaissent pas, est nommée par la guide Rosalba au début de l’ex-cursion.

Aucun des trois réalisateurs n’est originaire de la ville qu’il filme. Or quand on filme une ville incon-nue, le risque est de s’en tenir à une imagerie su-perficielle et d’accumuler les clichés. Si on connaît mal les trois villes en question, amusons-nous à faire une recherche Google-Images pour chacune d’elles et confrontons les images des films avec les résultats de Google, qui fait d’abord ressortir les images éculées. Les réalisateurs ont-ils cédé à la facilité ou proposent-ils une vision personnelle de ces villes ?

. Lisbonne : vue d’ensemble du quartier de l’Alfa-ma, pont du 25 avril, tramway jaune sont bien pré-sents dans Lisboa Orchestra, mais la grande dif-férence entre Delaperriere et Google, c’est que le cinéaste met en valeur l’activité des citadins, avec une assez grande diversité de profils sociaux. Plus que les lieux emblématiques de Lisbonne, ce sont eux qui font le film et sa vitalité (accentuée par le montage), même si Delaperrière se sert aussi des sons produits par les lieux et les moyens de trans-port.

. New York : Google donne à voir trois types de clichés : le panorama sur Manhattan, la statue de la liberté et Times Square la nuit, avec sa foule et ses publicités lumineuses. Or c’est bien cela que filme Nicolas Provost dans Plot Point. Mais c’est précisément en utilisant les clichés fictionnels que ce lieu véhicule que Provost construit son récit, qui finit par se moquer des attentes du spectateur trop conditionné pour se rendre compte que les scènes de Plot Point sont documentaires.

. Poitiers : bien qu’il nous propose une excursion avec « l’agence touriste », Je sens le beat ne colle pas aux clichés Google de la ville, sauf à leur côté dépeuplé. Le Quellec ne nous montre pas les mai-sons à colombages, ni l’extérieur de la cathédrale, ni même l’église Notre Dame La Grande, l’édifice

le plus célèbre de Poitiers. Peut-être ne souhai-tait-il pas inscrire le film dans un lieu trop identi-fié, pour donner un aspect plus universel au récit ? Au-delà des clichés, Le Quellec tire profit de lieux que les pictaviens connaissent bien, en particulier la longue passerelle qui enjambe la gare.

Gestes burlesquesJe sens le beat qui monte en moi et En pleine forme partagent la même veine burlesque, dont le comique passe par le corps et en particulier par les difficultés que rencontrent les personnages à adapter leur corps à l’environnement. Ce rapport entre les corps burlesques et le monde extérieur passe par diverses modalités, de la maladresse (Laurel et Hardy, Jacques Tati, Pierre Richard) à l’adaptation virtuose à l’adversité (détournements d’objets de Charlot, cascades de Buster Keaton).

Que dire du Pierre d’En pleine forme ? Les gags sont-ils engendrés par sa maladresse ? Quand il prépare son café, c’est plutôt son application et sa grande résistance aux objets récalcitrants qui amuse. Pierre est bien dans sa peau — ses pas de danse en témoignent — et c’est plutôt le monde moderne qui dysfonctionne.

Peut-on en dire autant d’Alain dans Je sens le beat ? Quand il manie son micro, ses disques et son van, il partage la gestuelle précise et soi-gneuse de Pierre. Mais la northern soul le décoiffe et le fait transpirer, le désir le fait bégayer et tom-ber. Néanmoins, cette perte de contrôle liée à la musique et à l’amour lui permettra de s’accorder à Rosalba.

Rosalba incarne pleinement le paradoxe du corps burlesque : elle fait de son inadaptation au monde (l’incapacité à se contrôler en présence de mu-sique) une force créatrice (ses chorégraphies vir-tuoses), d’abord visible uniquement par le specta-teur du film, puis par l’ensemble des convives de la fête. Son handicap se transforme en superpouvoir.

Des superpouvoirs, on peut dire que les animaux de la grange d’Ain’t She Sweet en ont aussi, trans-formant leur corps à loisir, pour préparer (ou ab-sorber) le repas et jouer de la musique. Ces trans-formations sans limites, permises par le dessin, ne sont pas sans parenté avec le jeu des acteurs burlesques, dont l’élasticité des corps ne cesse de surprendre.

SG

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Marabout d’visuelsVoici un fil tendu entre les cinq films, qui tisse un ré-seau d’échos visuels et de liens logiques. Quelques suggestions pour s’en ser-vir avec les élèves :

- se souvenir du film dont est extraite chaque image.

- décrire comment des images similaires ra-content des choses très différentes d’un film à l’autre.

- décrire comment on passe d’une image à l’autre : raccord visuel, narratif, métonymique ?

- sonoriser les images pour leur donner une co-hérence plus forte, en adoptant peut-être un par-ti pris net (bruitage seul ; voix off ; musique seule ?).

- rédiger un texte de fic-tion en suivant l’ordre des images et en apportant via l’écrit la dimension sonore qui leur manque.

- ajouter d’autres images des cinq films aux bouts ou à l’intérieur du fil, en soignant les raccords.

- proposer un tout autre marabout d’visuels à par-tir des cinq films.

NB : les images sont à télé-charger sur www.ciclic.fr/ly-ceens (rubrique « les films », « courts métrages »)

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Avant / Après la séanceTitresAin’t She Sweet : quels liens peut-on faire entre ce titre et ce que montre le film ? Quels titres plus représentatifs pourrait-on proposer ?

Je sens le beat qui monte en moi : rares sont les titres à la première personne du singulier. Qui dé-signe ce « je » ? Peut-on traduire le mot « beat » ? Est-il pertinent d’entendre une version plus expli-citement sexuelle de ce titre ?

En pleine forme : ce titre caractérise-t-il bien les personnages du film ? En quoi est-il ironique et satirique ?

Plot Point : en anglais « plot point » désigne le mo-ment où le récit bascule, l’élément perturbateur de la narration. Ce titre est-il ironique ? « Plot » signifie aussi « complot ». Peut-on proposer une autre traduction de « plot point » renvoyant à cette notion de conspiration ? Convient-elle davantage au film ?

Lisboa Orchestra : qui sont les membres de cet or-chestre et quels sont leurs instruments ? Y a-t-il un chef d’orchestre ?

Fiche élèveLes images du recto de la fiche élève peuvent servir à préparer la séance. Qu’est-ce qu’elles laissent imaginer ? Peut-on anticiper le genre des cinq films ? Leur thématique ? Quels échos y a-t-il entre les images ? Quels types de sons ou de mu-siques suggèrent-elles ?

SG

Images-échosÀ partir de ces cinq paires d’images, on peut interroger les sources d’inspiration ou la descendance possible des courts métrages, voir comment ils s’en détachent et comment un même sujet peut être traité de façons très différentes.

N.B. : ces paires d’images sont reproduites sur le dvd pour faciliter leur usage en classe.

Ain’t She Sweet

Je sens le beat qui monte en moi

Plot Point

Lisboa Orchestra

En pleine formeMary Poppins (Disney) Nuit et brouillard (Argos)

Berlin, symphonie d’une grande ville (Vereins-film)

Un Américain à Paris (MGM)

Heat (Warner)

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Sélection vidéo et bibliographiqueOn trouvera ici une sélection vidéo et bibliographique. Les res-sources internet sont indiquées en lien surwww.ciclic.fr/lyceens (rubrique « les films », « courts métrages »)

Ain’t She Sweet et les frères FleischerL’Odyssée animée des frères Fleischer (dvd), Laurent Maupas, Images animées, Paris, CNC [éd., distrib.], 1997, 26 min.

De nombreux films produits et réalisés par les frères Fleischer sont disponibles en dvd, notamment la série des Betty Boop, Popeye, ainsi que leur long métrage Les Voyages de Gulliver. La série des screen songs a été éditée en vidéo aux États-Unis.

En pleine forme et Pierre ÉtaixTous les films de Pierre Étaix sont réunis en dvd dans L’intégrale Pierre Étaix, Arte éditions, Studiocanal.

Il faut appeler un clown un clown, Pierre Étaix, Paris, Séguier Ar-chimbaud, 2002.

Textes et textes Étaix, Pierre Étaix, Paris, le Cherche midi, DL 2012.

Le Métier de Pierre Étaix, René Marx, Neuilly-sur-Seine, H. Berger, 1994.

Je sens le beat qui monte en moi / Plot Point / Lisboa OrchestraSur internet, on consultera en particulier les sites respectifs de Ni-colas Provost (www.nicolasprovost.com) et de Guillaume Delaper-riere (www.guillaumedelaperriere.com), où certains de leurs films sont visibles en intégralité.

Sur le son en généralLe Son au cinéma, Laurent Jullier, collection Les petits cahiers, Cahiers du cinéma et Scérén CNDP, 2006.

L’Audio-vision : son et image au cinéma (3e édition), Michel Chion, Armand Colin, 2013. On trouve un grand nombre de réflexions et de précisions sur le son sur le site de l’auteur (www.michelchion.com). On peut y télécharger un glossaire qui réunit « cent concepts pour penser et décrire le cinéma sonore ».

Le son, bien entendu ! Appréhender le sonore en 98 activités, CNDP, 2011. À commander sur le site du Sceren.

Les Premiers Pas du cinéma - À la recherche du son, Éric Lange, Serge Bromberg, dvd Lobster Films, 2003.

Une bibliographie plus complète sur le son, ainsi qu’une webogra-phie permettant d’accéder directement aux sites concernés, est mise en ligne sur www.ciclic.fr/lyceens (rubrique « les films » et « courts métrages »).

Sur le cinéma burlesqueJe sens le beat qui monte en moi et En pleine forme, et d’une cer-taine façon Ain’t She Sweet, relèvent du cinéma burlesque. Pour travailler sur cette forme de comédie, on pourra consulter :

Le Burlesque, Jean-Philippe Tessé, collection Les petits cahiers, Cahiers du cinéma et Scérén CNDP, 2007.

Histoire du cinéma burlesque, Amélie Dubois, frise interactive en ligne sur le site de Ciclic.

Frises interactivesEn complément du livret, on pourra utiliser certaines des frises chronologiques éditées par Ciclic, à consulter sur www.ciclic.fr/ lyceens (rubrique « les films », « courts métrages ») :

- Histoire du son au cinéma : les évolutions techniques, les réalisa-teurs marquants ;

- Histoire du vidéoclip : les origines du clip, les œuvres majeures ;

- Histoire de la musique de film : les différents genres, les compo-siteurs clés ;

- Histoire du court métrage français.

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Compléments de programmeSur www.ciclic.fr/lycéensOutre un fichier réunissant l’ensemble des textes édités sur chaque film, Ciclic propose en ligne des documents spécifiques.

« Jouer avec les bruits » : vidéo sur le bruitage des cinq courts métrages.

Ain’t She SweetSélection de ressources (biographies et documen-taire sur les frères Fleischer).

Je sens le beat qui monte en moiAnalyse : l’ouverture du film.

Sélection de ressources (entretiens, critiques).

En pleine formeAnalyse d’extrait : le passage du champ au camping.

Sélection de ressources (conférence de Pierre Étaix, biographie).

Plot PointAnalyse : le dernier plan du film.

Pistes de travail : hors-champ et installation.

Sélection de ressources (site et films de Nicolas Pro-vost).

Lisboa OrchestraPistes de travail : cinéma concret.

Sélection de ressources (site de Guillaume Delaper-riere, city symphonies).

Le dvd Sur écouteLe dvd contient tous les films du programme dans leur intégralité, les paires d’images de la page 17 du présent livret, ainsi que des compléments :

- Ain’t She Sweet : présentation du film par Serge Bromberg ; In My Merry Oldsmobile de Dave Fleischer (screen song de 1931) ;

- Je sens le beat qui monte en moi : bande-annonce ;

- En pleine forme : extraits de Pays de Cocagne, do-cumentaire de Pierre Étaix (1971) sur les vacances ;

- Plot Point : Stardust de Nicolas Provost (2010), filmé à Las Vegas avec le même dispositif que pour Plot Point ; extraits de Heat de Michael Mann (1995) ;

- Lisboa Orchestra : extraits de Lisbon Story de Wim Wenders (1994), Timber, clip de Stuart Warren Hill pour le groupe Coldcut (1997).

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Bref, aimons le court

Les structures Premiers plans, Sauve qui peut le court métrage et Ciclic organisent chacune un festival de cinéma offrant la part belle au court métrage, ainsi que des actions d’aide à la production, de diffusion ou de sen-sibilisation au profit des films courts. Por-tant la coordination de Lycéens et apprentis au cinéma dans les régions Pays de la Loire, Auvergne et Centre, ces structures se sont naturellement associées pour concevoir le programme « Sur écoute ».

Alors même que chaque année deux fois plus de courts que de longs sont produits, com-ment ne pas organiser la rencontre entre nos élèves et ce format méconnu ? Il s’agit à travers ce programme d’affirmer que le

court est une forme à part entière, avec sa singularité et ses exigences propres, au même titre que la nouvelle l’est en littéra-ture. Une conviction que partagent nombre de cinéastes — Jean-Luc Godard, Luc Moul-let et Artavazd Pelechian notamment — dont les œuvres battent en brèche l’idée reçue qui réduit le court métrage à un petit film, à un brouillon de long. Cette façon de dénigrer le court au motif de sa brièveté semble ab-surde, appliquée à d’autres disciplines ar-tistiques : reproche-t-on à Léonard De Vinci d’avoir choisi un châssis ne mesurant que 77 x 53 cm pour peindre sa Joconde ?

Au commencement le cinéma était court. Des minutes Lumière aux saynètes de Mé-liès, les films de moins d’une heure ont constitué le standard de production jusqu’aux années 1910. Avant, on ne parlait même pas de courts métrages. Ainsi, le court métrage entretient avec la naissance du cinéma un

lien privilégié, pédagogiquement très pré-cieux. S’il permet d’aborder l’essence du lan-gage cinématographique et par ricochets ses origines, la chronophotographie d’Étienne-Jules Marey autant que les pionniers de l’animation, la forme brève est aussi un idéal poste d’observation de la création cinémato-graphique contemporaine, de ses plus pe-tites hybridations. La découverte de ce pro-gramme de courts, comme le parcours de la frise « histoire du court métrage français » (en ligne sur le site de Ciclic), permet aux élèves d’approcher de manière vivante et dy-namique le cinéma et son histoire, en évitant le regard muséal et figé sur le patrimoine.

La présentation sous forme de programme organisant le dialogue entre classiques et modernes donne donc tout son sens au tra-vail sur le court. S’amusant à tisser des liens parfois secrets entre les films, jouant sur les variations de rythme et opérant d’étranges mariages, le geste de la programmation contient en germe la cinéphilie, cet art d’ai-mer les films que nous transmettons aux élèves : un rapport à la fois sensible et pas-sionné aux images en mouvement, cherchant à s’étonner de chacune d’entre elles, à iden-tifier la singularité de chaque film. N’est-ce pas un des principaux combats de l’École que de rendre les élèves curieux de tout ?

Situé un peu en marge de l’industrie du ci-néma, le court métrage jouit d’une précieuse liberté qui permet à ses auteurs d’emprun-ter des chemins de traverse, à la rencontre des autres arts, de donner naissance à des œuvres personnelles, offrant de nouvelles possibilités au cinéma.

Parce que le court expérimente, parce qu’il cherche, parce qu’il s’affranchit et parce qu’il est libre, il a quelque chose à voir avec l’ado-lescence, cet âge des possibles où l’on teste, se cherche et se construit.

AH