souffles 18

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Page 1: Souffles 18
Page 2: Souffles 18

s o m m a i r e

SOUFFLES : revue cul turel le arabe du maghreb

(S n u m é r o s par an)

C. C. P. : 989.79 — T é l é p h o n e : 235-92

s i ège soc ia l : 4, A v e n u e Pas teur - Rabat - M a r o c

r e s p o n s a b l e : a b d e l l a t i f laâb i

Editorial

LUTTES OUVRiERES

NATION ARABE

ACTION IDÉOLOGIQUE 21 23 26 35 38

SOUFFLES-LITTERAIRES 39 40

53 57 60

POSITION 62

SOUFFLES ARTS 66 82 85 87

BiBLiGTHEGUE-SOUFFLES 88 90 93

LIAISON 95

97 38

Pour la révolution palestinienne

abraham ser fa ty 1er mai et centenaire de Lénine

abdelkr im dhofar i la lutte des classes en égypte de 1945 à 1968 de Mahmoud Hussein

NOUS ET LA FRANCOPHONIE

hassan benaddi a. ser fa ty a. laâbi document

francophonie et néocolonialisme la francophonie contre le développement littérature maghrébine actuelle et francophonie les institutions de la francophonie

don lee

îbdelaziz mansour i tahar benje l loun ahmed janat i

ne pleure pas, hurle (traduction abderrahim youssi) ras el mawqaf villes l'œil al janaza

a. laâbi au sujet d'un certain procès de la littérature maghrébine écrite en français.

ociavio get ino et fernando solanas vers un troisième cinéma a. sanchez-vazquez notes sur Lénine et l'art. t. benje l loun dieu noir et diable blond de Glaiiher Rocha R. "Les enfants du haouz" et "les bérets verts"

a. I. a. mansour i h. benaddi

"la résistance palestinienne" de Gérard Chaliand i<n mot sur Adonis "Lénine et la philosophie" de Althusser

associat ion de recherche cu l ture l le

(Rcbat) manifeste pour une culture du peuple

Miôâtre de la mer (Oran) charte

ma cu l ture (Salé) premier bulletin

réa l isat ion ar t is t ique mo l iammed cbebâa co l laborat ion ali noury et a. Har ir i

numéro 18 5° année - mars-avril 1970 imoress ion : impr imer ie des éditions maghrébines - Casablanca.

Page 3: Souffles 18

pour la résistance palestinienne

La cause révolutionnaire des peuples ne s'est jamais développée de façon recti-ligne. Ce n'est qu'après de multiples revers et échecs que les peuples révolutionnaires iont été à même de découvrir la vérité révolutionnaire et la voie correcte vers la victoire finale.

Le peuple palestinien a tiré principalement quatre leçons de la guerre de juin 1967 et des trois années de 'luttes populaires qui se sont écoulées depuis :

1. il a clairement défini son ennemi, l'impérialisme et ses agents, et il a compris qu'il ne changerait jamais de nature ;

2. une juste ligne d'union nationale est la plus sûre garantie de la victoire finale ;

3. compter essentiellement sur ses propres forces et rejeter toute tutelle arabe ou internationale ;

4. organiser la fusion des forces militaires palestiniennes avec les masses arabes, seul moyen de développer et de sauvegarder la révolution palestinienne.

Aujourd'hui, uncí nouvelle épreuve est imposée au peuple palestinen : la capitulation de l'Egypte, de la Jordanie, de la Libye et du Soudan devant les sommations soviéto-américaines, capitulation qui revêt la forme de l'acceptation d'un plan de «Paix» — le plan Rogers — dont l'objectif évident est de liquider la résistance palestinienne et d'étouffer le mouvement de libération arabe dans cette région du monde.

Cette faillite de la bourgeoisie arabe portée à bout de bras par le gouverne-

Piient soviétique et encouragée dans sa politique de trahison de la cause arabe par orientation franchement anti-internationaliste de !a politique arabe des dirigeants ac

tuels du P. C. U. S., no) peu; nous surprendre. Déjà en 1969, Saleh Raafat, membre du Bureau politique du F. P. D. !.. P., pouvait déclarer à «El Houriya» :

«La lutta armée traverse une période dangereuse et il est possible aux forces contre-révolutionnaires de tenter de la liquider par un des deux moyens suivants :

— il est possible que les forces sionistes entreprennent des actions de grande envergure contre les bases des commandos, utilisant à cette fin l'artillerie et les avions en particulier ;

— il est probable aussi que les régimes arabes provoquent une série de confrontations armées avec les organisations de fidayins pour les liquider l'une après l'autre..» et plus haut évoquant un troisième moyen, la «solution pacifique Imposée» :

éditorial , _ ___—,—, «

Page 4: Souffles 18

— «Nous notons que les quatre grands s'accordent pour dire que la situation au Moyen-Orient est explosive. Certains responsables américains veulent que les entretiens aboutissent rapidement à l'adoption de ce qu'on appelle la solution pacifique et craignent que les résistants ne reprennent l'initiative au cas où ces entretiens se prolongent...»

L' Impér ia l isme, ennemi des peuples arabes, ne changera jamais de nature.

Dans la lutte, le peuple palestinien a appris à connaître ses amis et ses faux amis ; il peut à présent dénoncer les alliés de l'impérialisme, représentant la contre-révolution arabe, la bourgeo'sie capitaliste, les féodaux, les régimes réactionnaires et les capitulationnistes de tout bord, même ceux qui se prévalent encore du prestige de la grande révolution d'octobre.

«Masses Arabes et Palestiniennes... Face aux dangers multiples qui se font jour à travers la résolution du Conseil de sécurité et les projets qui l'amendent et qui l'expliquent, y compris le mémorandum soviétique et le projet français, ... nous préserverons la Révolution Palestinienne, nous élèverons le niveau de combat, nous empêcherons que la révolution ne soit paralysée et qu'elle soit liquidée...» («La lutte jusqu'à la victoire», communiqué d'EI Fath du 5.2.1969, pages 7 et 8 ) .

Compter essent ie l lement sur ses propres forces - re jeter tou te tu te l le arabe ou in ternat ionale.

Fort de l'expérience de juin, le peuple palestinien a compris qu'il était la seule force capable de liquider le colonialisme et l'impérialisme. Oue signifient pour lui les négociations au sein de l'O.N.U., les solutions du genre plan Tito, mémorandum soviétique, projet français, anglais et américain ? Ils ne peuvent être que des marchandages visant à :

— renforcer l'occupation sioniste

-- imposer et développer la tutelle internationale sur les peuples arabes

— étouffer la révolution palestinienne.

Le peuple palestinien a compris que les peuples et nations opprimées ne doivent absolument pas s'en remettre pour leur émancipation à la «sagesse» de l'impérialisme et de ses laquais, que c'est seulement en renforçant leur unité et en persévérant dans la lute qu'ils triompheront de l'impérialisme. Pour défendre leur indépendance et triompher de l'agression, les peuples arabes doivent compter sur leurs propres forces.

A l'heure où la révolution palestinienne se trouve en danger, prise dans l'étau où veulent l'enfermer les grandes puissances et leurs agents locaux, not re devoir à chacun est de mobi l iser tou tes nos énerg ies af in de déjouer le complo t t ramé contre nos f rè res pa lest in iens, et dénoncer tou tes les t rac ta t ions au sommet v isant à imposer au Moyen Or ien t une so lu t ion du prob lème au dé t r iment des peuples pa lest in ien et arabes et au seul p ro f i t de l ' impér ia l isme et de son al l ié nature l , le s ion isme.

SOUFFLES

17 août 1970

3

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Hier se portait encore le chapeau du lettré.

Aujourd'hui nul chapeau : on retrousse ses inanches.

A côté des machines on écrit des poèmes ;

El les poètes c'est nous. Nous les ouvriers. (1)

lutte s

ouvrières

Nous ne c r o y i o n s pas s i b ien d i re l o r s q u e , dans la p r é s e n t a t i o n de c e l l e r u b r i q u e , nous é c r i v i o n s que les p r e m i e r s des p o è t e s é t a i e n t les o u v r i e r s . Les v e r s qu i p r é c è d e n t , que nous c o n s e r v e r o n s en e x e r g u e de c e t t e r u b r i q u e , e n t é m o i g n e n t .

Le p o è m e que nous p r é s e n t o n s c i - dessous en e s t un e x e m p l e c o n c r e t . M a i s , au-delà de la beau té des i m a g e s e t des c o u l e u r s , i l f a u t sa i s i r le c o n t e n u , e t , pou r c e l a , c o m p r e n d r e ce q u ' e s t l a s o r t i e du pu i t s pour un • n i neu r dans les pays où s é v i t l ' e x p l o i t a t i o n de l ' h o m m e p,gr l ' h o m m e .

Le m i n e u r a à la f o i s un des p l us beaux m é t i e r s qu i s o i e n t pa rce que , à chaque i ns tan t , i l v i o l e la n a t u r e dans ses p r o f o n d e u r s , e t l 'un de ceux où le po ids de l ' e x p l o i t a t i o n e t de l ' a l i éna t i on e s t , par l à - m ê m e , p lus i n t e n s e . A la s o r t i e de la m m e , neu f heu res passées au f o n d , d i x t o n n e s aba t t ues à bou t de b ras , ou p l u t ô t à b o u t de m a r t e a u - p i q u e u r , le c o r p s e t les s e n s s e c o u é s par ses v i b r a t i o n s , l ' a t t en t i on en éve i l pour a f f r o n t e r l e m i n e r a i , e n p r e s s e n t i r les f a i b l e s s e s , s u r v e i l l e r J e t o i t , p o s e r les bo i s ; a la s o r t i e du p u i t s , peu à p e u , la t e n s i o n r e t o m b e , la l u m i è r e du j o u r c p p i o c h e , avec e l l e l a v i e q u o t i d i e n n e , l a f a m i l l e , ses j o i e s , m a i s auss i ses p r o b l è m e s du pa in , de l ' h a b i l l e m e n t , l a s c o l a r i t é des e n f a n t s , avec e l l e , t ou te l a m é c a n i q u e o p p r e s s a n t e du j ou r , des e n c e i n t e s g a r d é e s , d e l ' i n j u s t i c e p r é s e n t e .

La s u p p r e s s i o n de l ' e x p l o i t a t i o n de l ' h o m m e par l ' h o m m e ne s u p p r i m e pas d 'un c o u p le t r a v a i l p é n i b l e , la t e n s i o n du f o n d , m a i s rend 1 honneu r au t r a v a i l , l a j o i e e t l a l u m i è r e au j ou r , m ê m e aux j o u r s g r i s , écou tez , sous la p l u i e :

4

Page 6: Souffles 18

Sous la pluie (2)

L'équipe des herclieurs remonte

Du ciel tout gris tombe la pluie.

Les enfants sous des parapluies

Se hâtent vers Ventrée du puits.

Parapluies rouges, parapluies jaunes.

Pétales flottant dans le vent,

Parapluies verts, parapluies bleus.

Lotus bercés des eaux d'automne. 5

La queue leu leu bariolée

S'enroule comme un beau tableau

Bravant le vent, bravant la pluie

Plus belle que la loue du ciel.

Ils font le rond devant la porte

Comme enguirlandée de corolles.

Touffes de pivoines ouvertes

En triomphe aux héros offertes.

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Page 8: Souffles 18
Page 9: Souffles 18

Mais la rés is tance de la c lasse ouvr ière au capita l i sme, aussi dure qu 'e l le fû t , é ta i t désor ientée par les in terpré ta t ions mécanis tes que les in te l lec tue ls pet i ts bouraeois rénandaient du marx isme, et , de ce fa i t , é ta i t l imi tée aux lu t tes économiques. Ces années 1880 v i ren t donc, aux Etats-Unis, en Ang le te r re , en France et en A l lemagne, se dresser des mi l l ions d 'ouvr iers pour la conquête de la journée de 8 heures. Aux Etats-Unis, ces lut tes se heur tè ren t à une répress ion sanglante lors de grandes mani fes ta t ions organisées le 1er Mai 1886, répress ion qui se renouvela lors des mani fes ta t ions ann iversa i res qui su iv i rent .

C'est dans ce contex te que, reprenant l ' in i t ia t ive des syndicats amér ica ins, le Congrès Cons t i tu t i f de la I I" In ternat ionale, réuni à Paris en 1889, lança un appel pour fa i re du 1er Mai un jour in ternat ional de lu t te pour la journée de 8 heures-

Dans les grandes lu t tes qu i , chaque année à part i r de 1890. se nouaient autour du 1er Ma i , se forgea la so l idar i té in ternat ionale des t rava i l leurs et s 'enracina, dans la c lasse ouvr ière de tous les pays, le sens profond du 1er Ma i .

Cependant ces lu t tes , l im i tées , comme nous l 'avons rappelé, aux ob jec t i fs économiques, ne changeaient pas l 'explo i tat ion c a p i t a l i s a . La conquête de la journée de 8 heures amena le cap i ta l isme à augmenter les cadences de t rava i l , à passer à « l 'organisat ion sc ien t i f ique du travai l», à me t t re au point le t ravai l à la chaîne. Le t ravai l salarié resta i t tou jours aussi inhumain.

Dans la lut te du peuple russe contre le despot isme du tsar , Lénine, é tud iant révo lu t ionnai re qu i , dès l'âge de 17 ans. connut la dépor ta t ion et l 'exclusion de l 'Un ivers i té , qu i , à 25 ans, const i tua l 'Union de Lutte pour la L ibérat ion de la c lasse ouvr ière de Pétrograd, repr i t l 'ense ignement essen t ie l de Marx , mena une

lu t te impi toyable contre l 'oppor tunisme et l 'économisme, f i t comprendre que la c lasse ouvr ière ne pouvai t se dés in téresser de la lu t te po l i t ique, qu 'e l le devai t au cont ra i re en prendre la d i rec t ion et v i v i f i e r le part i social-démocrate russe. De cet te lu t te longue et acharnée cont re l 'économisme, contre la théor ie mécanis tc de la spontanéi té de la c lasse ouvr ière et , en paral lè le, cont re le double courant aventur is te et oppor tun is te des in te l lec tue ls pet i ts bourgeois , surg i rent l ' ins t rument organique et la

consc ience idéologique qui amena le pro lé tar ia t russe à prendre la tê te du peuple russe dans la lu t te révo lu t ionnaire et à ê t re le premier dans l 'h is to i re à déraciner l 'explo i ta t ion cap i ta l is te , à établ i r le pouvoi r des t ravai l leurs, des ouvr iers et des paysans.

La c lasse ouvr ière marocaine, pour sa part , a déjà un passé de lu t tes héroïques et r iches d 'ense ignements , l iant sa propre expér ience et l 'expér ience in ternat iona le du pro létar ia t . Dans ces lu t tes, le 1er Mai a tou jours tenu une place émlnente .

Entre 1945 et 1952, chaque 1er Mai permet ta i t de s i tuer la fo rce et la consc ience cro issante de la c lasse ouvr ière , sa place grandissante dans le mouvement nat iona l , dans la pr ise en main des dest inées du pays. Les grandes et dures lu t tes de 1947-48 f i xèrent uno l im i te à l 'arrogance et à l 'explo i tat ion éhontée qu'exerçai t le patronat co lon ia l is te . Mais la c lasse ouvr ière marocaine, dans ce processus in i t ia l d 'organisat ion où el le bénéf ic ia i t de l 'expér ience et de l'aide in ternat iona l is te de mi l i tan ts ouvr ie rs f rançais et espagnols , ne s 'en t i n t pas aux lut tes économiques. Plongeant dans la nat ion, la rgement fécondée par le mouvement nat ional , e l le Ma ces lu t tes à la lu t te pour l ' Indépendance qui s ign i f ia i t aussi pour el le la f in de l 'explo i ta t ion co lon ia l i s te . A la répress ion grandissante du Protectorat , qui fa l sa i t_hés i -te r b ien des secteurs de la bourgeois ie nat ionale, el le sut , les 1er Mai 1951 et 1952, et tou t au long de ces années, opposer non seu lement sa fo rce et son organisat ion, mais sa vo lon té de lu t te politique, sa vo lon té de l ier lut te économique et lu t te pol i t ique-

Le 8 décembre 1952, une nouvel le phase de lu t te s 'ouvrai t , pendant laquel le les rés is tants issus des bidonvi l les de Casablanca, les paysans du Tadla et du Rif, les étudiants et les ar t isans de Fès, de Rabat, de Mar rakech, de Tétouan, les mineurs de Khour lbga et de Oued-Zem, f i ren t voler en éc lats l 'armature du Protectorat

Au momen t où l 'arrogance du patronat co lon ia l is te et néo-colonial se donne de nouveau l ibre cours , au moment où l ' impér ia l isme veut renforcer sa présence sur la façade at lant ique de la nat ion nr^be, la c lasse ouvr ière marocaine- les mi l i tan ts progress is tes marocains, sauront ten i r compte des leçons de l 'h is to i re in ternat ionale du mouvement ouvr ier , de l 'enseignement de Lénif ie, des leçons de sa propre h is to i re .

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nation arabe

la lutte des classes en égypte de 1945 à 1968 de mahsnoud Hussein (1)

par abdelkrim dhofari

En Egypte, au lendemain de la deux ième guerre mondia le , la c lasse ouvr ière égypt ienne dont les e f fec t i f s se t rouva ient re la t i vement " l u s é levés par rapoort aux autres c lasses labor ieuses et dont les t rad i t ions de lu t te pol i t i que éta ient déjà longues, avait ob jec t i vement la vocat ion d'une c lasse d i r i geante. A la même époque le pro létar iat ch ino is t rès largement minor i ta i re au se in du peuple cn ino is acheva i t d 'un i f ier la lu t te de tou tes les c lasses r ie la nat ion ch ino ise et prenait le pouvoir cen t ra l .

En 1950 donc, non seu lement il n 'ex is ta i t aucune nécess i té ob jec t ive imposant à l 'Egypte la vo ie bourgeoi se, mais les cont rad ic t ions ob jec t ives requéra ient au cont ra i re une so lu t ion pro lé tar ienne à la c r ise de la vo ie cap i ta l i s te . C 'est un iquement en fonc t ion d'une con joncture par t icu l iè re que le rég ime nassér ien al la i t s ' Insta l ler à la d i rec t ion du pays. En fa i t , celui-ci s 'est présenté comme la seule alternat ive bourgeoise à la c r ise de trans i t ion économique et idéologique face

à l 'essor sans cesse grandissant du mouvement popula i re .

Cet te conc lus ion à laquel le Mahmoud Hussein nous amène au t e r m e d'une longue et sér ieuse étude des f a s s e s en présence en Egypte après la deux ième guerre mondia le , nous obl ige — si l'on veu t comprendre le mécanisme de ce t te cr ise de t rans i t ion ent re le féoda l i sme et le cap i ta l isme — à reveni r sur ce prob lème — combien général — des supers t ruc tu res idéologiques et po l i t iques de la société.

En 1945, b ien que les grands propr ié ta i res fonc ie rs cons t i tuen t l 'assise pr inc ipale de la c lasse d i r igeante locale, les rappor ts dominants n 'étaient pas des rappor ts p roprement capital i s tes . La dominat ion impér ia l i s te d'une part , les in térê ts de c lasse des grands propr ié ta i res d 'autre part , alla ient à l 'encontre d'un déve loppement des fo rces product ives nécessaires à la c r is ta l l i sa t ion du mode de product ion cap i ta l is te , et par là, b loquaient tou te poss ib i l i té d ' In tégrer les larges

masses déshér i tées dans un processus régul ier d 'exp lo i ta t ion cap i ta l is te .

La spéc ia l isat ion du pays dans l'agr icu l tu re d 'expor ta t ion, l 'absence d'Indus t r ia l i sa t ion et de mécanisat ion du fa i t de la non éc los ion d'une bourgeois ie moyenne égypt ienne con t r i buaient à ma in ten i r les supers t ruc tu res Idéologinues et po l i t iques précap i ta l is tes qui sous-tendaient les pr iv i lèges, tan t de la dominat ion anglaise que des c lasses d i rec tement adossées aux in térê ts impér ia l i s tes . Car, en fa i t , ce sont ces dern iers qui on t tracé le cadre des act iv i tés économiques où la bourgeois ie égypt ienne es t venue s imp lemen t s ' insérer . En d 'au l res t e rmes , l 'accumulat ion de r ichesses ainsi réal isée ne iouai t nas le rôle d 'accumulat ion cap i ta l is te p r im i t i ve : el le ne débouchai t pas sur des invest i ssements de plus en plus p roduc t i f s mais serva i t davantage à reprodu i re les pr iv i lèges p r e c a p i t a l i s t ,des grands propr ié ta i res : o is i ve té , dépenses de pres t ige , mode de v ie ar istoc-

¿1} Editions Maspéro - Paris - Fin 1969.

9

Page 11: Souffles 18

rat ique, etc...

Par a i l leurs , la cond i t ion maî t resse nécessai re à la t rans fo rmat ion du processus de product ion lu i -même, à savo i r la séparat ion to ta le ent re le travai l et l 'ensemble des moyens de t rava i l , ent re le t ravai l et ses inst ruments de p roduc t ion , n 'ex is ta i t pas. A ce t te pér iode, malgré la dégradat ion des rappor ts t yp iquement féodaux, les t rava i l leurs cont inuaient à t rava i l le r avec des ins t ruments de travai l ind iv iduels , la p lupar t du temps sur les te r res des grands propr ié ta i res .

I l n'y avai t donc pas cr is ta l l i sa t ion d'un rappor t entre possesseurs de capi ta l et vendeurs de fo rce de t rava i l . En fa i t , ce qu 'on avai t , c 'é ta i t de grands propr ié ta i res en vo ie de t rans format ion cap i ta l is te , e t des masses déshér i tées en vo ie de pro lé tar isa t ion .

Ce même blocage du processus évo lu t i f du capital se re t rouve au niveau des sphères a f fa i r i s tes . La grande bourgeo is ie , qu 'e l le so i t égypt ian-n isce ou proprement égypt ienne, n'occupe que les c i r cu i t s f inanc iers comp lémenta i res du cadre f inanc ier européen. Ne pouvant a l le r à l 'encontre des exigences de la dominat ion étrangère d'une part , cons t i tuée d 'autre part sur des bases monopo l is tes aménagées par les t rus ts ét rangers et f rag i l i sées par les f luc tua t ions du marché mondia l , ce t te bourgeois ie al la i t se t rouver rap idement dans l 'obligat ion — pour mainten i r ses gains rapides et é levés — de verser dans les ac t iv i tés spécula t r ices et non product i ves : banques, expor t - impor t , compagnies d 'assurance, en t repr ises de cons t ruc t ion , e t c . .

La moyenne bourgeois ie , quant à e l le , par ses or ig ines essent ie l lement rura les, ne mani fes te aucune ve l lé i té de modern isa t ion , aucun espr i t entreprenant . Const i tuée essent ie l lement de paysans r iches t rès at tachés aux fo rmes archaïques d 'exp lo i ta t ion , peu représentée dans les cent res urbains, la c lasse moyenne se t rouve de ce fa i t so l ida i re de la s t ruc tu re de classe ex is tan te . Toutefo is des contradict ions ex is ten t ent re ses couches les plus ouver tes et les In térêts locaux

et é t rangers dominant l 'économie du pays. Ne bénéf ic iant pas des inst ruments po l i t iques e t f inanc iers dont Oénéflcie la c la<^° dominante , ces couches ne veu len t p lus se contenter de «strapont ins» et asp i ren t à des t ransfo rmat ions po l i t iques e t admin is t ra t i ves nécessai res à un déve loppement économique plus dynamique du pays.

«Les in térê ts de cet te couche lui fon t ainsi remet t re en cause un système de plus en plus paralysé par ses l iens é t ro i t s avec l ' impér ia l isme bri tannique et par son assise locale pr inc i pale — une caste de grands propr iéta i res économiquement conservateurs — l iens sur lesquels la bourgeois ie moyenne n'a aucune pr ise ; ces mêmes in térê ts lui f on t dés i rer des réfo rmes po l i t iques, admin is t ra t ives e t économiques du sys tème ex is tant — à commencer par une ré fo rme agraire l im i tan t le pouvoi r de c lasse des grands propr ié ta i res et é larg issant le marché in tér ieur .

«Mais à une cond i t ion tou te fo i s pérempto i re : que l 'ensemble des t rans fo rmat ions à in t rodu i re le so i t en dehors de tou te in i t ia t i ve propre des masses déshér i tées , c'est-à-dire le so i t de manière autor i ta i re , garant i ssan t l 'é touf fement du mouvement popula i re en même temps que l'app l icat ion des mesures nouvel les - af in que ces mesures , touchant au s ta tu t de la propr ié té et d 'une c lasse de possédants ne pu issent encourager pol i t i quement ou renforcer idéologique-ment l 'espr i t en révo l te des masses déshér i tées .

Comparée aux c lasses précédentes re la t i vement homogènes, la pe t i te bourgeois ie égypt ienne apparaît beaucoup moins compacte et t i ra i l lée entre l ' in f luence idéologique des c lasses exp lo i teuses et ce l les des c lasses direc tement exp lo i tées . Pour Mahmoud Husse in , appar t iennent à la pet i te bourgeois ie tous ceux qui «possèdent un pet i t capi ta l , un pet i t lopin de terre , une fo rmat ion spécia l isée ou un niveau de cu l tu re qui leur permet de v iv re de leur t ravai l en explo i tant leur moyen de* t rava i l , f inancier , techn ique ou in te l lec tue l sans avoir besoin de vendre leur fo rce de t ravai l et sans

acheter la fo rce de t ravai l des aut res, s inon de façon secondai re».

«En tant que classe possédant un pet i t pr iv i lège — par rappor t aux classes déshér i tées — el le peut aspirer à l 'explo i ta t ion des autres (c'est-à-dire qu 'e l le a des v i r tua l i tés capi ta l is tes) ; en tant que c lacse act ive, v ivan t de son propre t rava i l , t ravai l qui de surcroî t , es t Ind iv iduel , a tomisé, cont i nue l lement vu lnérab le aux press ions des fo rces de c lasses dominantes cont re lesquel les la pet i te bourgeoisie est Incapable de se défendre , e l le se rapproche des c lasses déshér i tées»

D i f fé ren ts types de c l ivages Intéressent ce t te c lasse : le premier est celu i qui sépare la pet i te bourgeois ie ru ia le , baignant dans un c l imat idéologique peu ouver t au changement , de la pet i te bourgeois ie urba : ne à qui s 'o f f rent davantage de poss ib i l i tés d'ascension sociale et d 'épanouissement cap i ta l is te .

Le deux ième cl ivage est celu i qui oppose cel les engagées dans un travai l manuel : paysans moyens, de celles engagées dans un t ravai l intel lectuel : p ro fess ions l ibérales, techn i c iens, à la l im i te même fonct ionnai res et employés.

Les p remiers on t des raisons sér ieuses de contes ter le sys tème existant . Comme le re lève l 'auteur, deux aspects opposés mais convergents dans leur dynamique rendent ce t te c lasse par t i cu l iè rement Inquiétante pour les c lasses possédantes.

I l en va d i f f é remmen t de l 'él i te pet i te bourgeoise dont les pos i t ions spéc i f iques issues de leur spécial isat ion mais aussi de la fo rmat ion de classe qu' i ls ont acquise au cours de leur serv ice au sein des apparei ls d 'exp lo i ta t ion ou de répress ion (off i c ie rs par exemp le ) , les rendent idéo-loy iquement e t techn iquement aptes à se hausser aux postes d i r igeants , et à s ' imégre r à la c lasse capi ta l is te pour peu que le blocage du sys tème de t rans i t ion so i t levé. En dern 'ère analyse, c 'est ce dés i r ré f réné d'as-cenoion sociale qui les rend part icu-

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Bien qu 'e l les cons t i tuen t une fo rce révo lu t ionnai re potent ie l le douée d'une grande capaci té de révo l te , e l les ne sont donc pas encore dé f in i t i vement ré f rac la i res à tou te f o rme d 'explo i ta t ion capi ta l is te ; «el les son t au cont ra i re d isponib les pour une te l le exp lo i ta t ion . C'est le sys tème de dépendance et de t rans i t ion b loquée qui les a re je tées, ce ne sont pas el les qui l 'ont con tes té» .

La grande fa ib lesse de cet te masse pro lé tar isée (pet i ts paysans, ouvr iers agr ico les et dans les c i tés : salar iés sans qua l i f i ca t ion , manœuvres , domes t iques , vendeurs ambulants..^ so i t une ma jor i té numér ique absolue à ia campagne comme dans les v i l les) es t son Incapacité d 'organisat ion par e i le-mênie, car p réc isément son mode d 'ex is tence crée sa désorganisat ion : ins tab i l i té , dés in tégra t ion en ind iv idus, en groupes fami l iaux, en c lans, etc.

En Egypte, t rès rap idement , le mouvement pat r io t ique host i le à la dominat ion é t rangère, va se doubler d'un courant démocrat ique opposé aux classes dominantes locales dont la vassa l i té à l 'égard de l ' impér ia l isme pr i t , au, momen t de la p remière guerre de Palest ine, les d imens ions d'une t rahi son nat ionale. Face à est essor, la c lasse dominante égypt ienne s'avéra incapable de proposer une issue à la c r ise . El le-même desorganisée par l' inex is tence de part is po l i t iques propres développant une v is ion po l i t ique cohérente , ce t te c lasse se désagrégea t rès v i te en un cer ta in nombre de «tendances» .

— la tendance ar is tocrat ique t rès proche du palais ;

— ia tendance nat ional is te qui réclame un é la rg issement du cadre de l'économie et une égypt ian isat ion de l'Etat (à peu près re f lé tée par le Wafd) ;

l iè rement host i les à t ou t ce qui bloque leurs hor izons : dominat ion étrangère, a r is tocra t ies fonc iè res , hauts fonc t ionna i res . Mais ces aspi rat ions imp l iquent en même temps une tendance ant ipopula i re , une préférence pour tous les changements e f fec tués sans que les masses popula i res puissen t en t i re r avantage.

Quant aux é tud iants , i l conv ient de les placer à part du fa i t qu ' i ls n'occupent pas encore de pos i t ion déf in i t i ve bien établ ie dans ia s t ruc tu re so-cla le l ex is tante du fa i t aussi du quasi monopole de l 'act iv i té in te l iec tue l l le qu ' i ls dé t iennent au sein des classes popula i res.

Le Prolétariat et les masses prolétarisées.

Le pro lé tar ia t indust r ie l représente seu lement 3 % de la populat ion to ta le (10 % de la populat ion urbaine) au lendemain de la grande guerre, mais i l possède une r iche t rad i t ion de lu t tes ant i - impér ia l is tes et anti-capita l i s tes . En 1924, il a déjà mis au point une fo rme de lu t te radicale inconnue jusque-là : l 'occupat ion des usines (à Tourah, à A lexandr ie , à Za-gaz ig) . En contact permanent avec les moyens mécaniques de produc t ion , délié par conséquent de tou te at tache avec la propr ié té pr ivée des moyens de product ion , i l es t non seu lement v l ta lement opposé à tou te f o rme d'exp lo i ta t ion , mais aussi capable de dépasser l ' Indiv idual isme inculqué par ia cu l tu re dominante : p r io r i té des intérêts du groupe sur les in térê ts de chacun, so l idar i té ag issante, capaci té d 'ass imi ler l 'expér ience ouvr ière des aut res, e t c . .

Les masses pro lé tar isées par cont r e , à la campagne sur tou t , ne sont pas encore rad ica lement l ibérées du syst è m e de va leurs féodales. Comme le soul igne jud ic ieusement Mahmoud Husse in , leur s i tuat ion de classe expr ime à un pôle de la soc ié té ce que la s i tua t ion de la c lasse possédante expr ime à l 'autre pôle, à savoir une t rans i t ion b loquée.

Les mouvements de révol te au sein de ce t te c lasse enreg is t rés jusqu 'en 1952, bien que t rès v io len ts et t rès des t ruc teurs , sont condamnés à reste r sans su i te du fa i t de leurs l im i tes — iso lement , sporad isme — ce qui pe rmet aux classes dominantes de les é touf fer par le jeu conjugué de la répress ion et de la démagogie, sans déc lencher de fo rmes de so l idar i té à l 'échel le nat ionale.

En fa i t , ces masses ne peuvent devenir rad ica lement dangereuses poulies c lasses exp lo i teuses que dans la mesure où el les acquièrent la capac i té de fa i re jonc t ion avec le mouvement ouvr ier indus t r ie l .

La faillite politique de la classe dominante

L'af fa ib l issement de l ' impér ia l isme f rançais et br i tannique, au lendemain de la grande guerre, la c r ise du capita l isme mondia l provoquée par le rétréc issement du marché intenat ional et l 'élan révo lu t ionnai re des masses popula i res t r i con t inen ta les e t mét ropo l i taines ne ta rdèrent pas à avoir des répercuss ions impor tantes sur le monde arabe.

— la tendance modern is te qu i , à côté des précédentes apparaît comme la plus act ive ; alors que la seconde-manœuvre af in de t i re r p ro f i t du mouvement nat ional , la dern ière af f iche ouver tement ses d ispos i t ions anti-pat r io t iques et ant i -démocrat iques. Frète a sacr i f ier cer ta ins in térê ts des grands propr ié ta i res fonc ie rs , e l le se refuse tou te fo is à remet t re en cause ses l iens pr iv i lég iés avec les monopoles impér ia l i s tes . Elle ne peut en e f fe t concevoi r le déve loppement de l ' indust r ie en dehors du cadre é t ro i t de la dépendance po l i t ique, f inanc ière et techn ique.

L'arr ivée au pouvoi r du Wafd - qui a pu se prévalo i r quelque temps du t i t re de «part i de la nat ion» (alors qu'en fa i t 11 ne cons t i tue «qu'un élément du d ispos i t i f dest iné à dévoyer le mouvement révolut ionnai re») - va c lar i f ie r une s i tua t ion devenue con-tur-e par su i te de ce morce l lement po l i t ique. Très rap idement , le Wafd démonf ra son incapaci té à concéder les gestes pol i t iques min imaux que la s i tua t ion po l i t ique appelai t (évacuat ion des Ang la is , ré fo rme agra i re, remise, en cause du s ta tu t de l 'ar is tocrat ie) ' et qu i , seu ls , aura ient pu rassurer les masses. Pr isonnier de la c r i se qu ' i l

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avait accé lérée, le Wafd sera b ientô t empor té dans la chute de l 'ar is tocrat ie sous les coups des premières vagues iu mouvement de masse.

A l 'autre pôle de la soc ié té égypt ienne, les masses labor ieuses n'auront pas de leur côté de s t ruc tu res pol i t i ques et organisat ionnel les représenta t ives capables de mener leur élan révo lu t ionnai re aussi loin que la si tuat ion po l i t ique le permet ta i t .

L'essor du mouvement de masse

La pér iode al lant de 1945 à 1947 est marquée par la jonc t ion du mouvement ouvr ie r avec le mouvement é tud iant : les mani fes ta t ions de masse, les grèves et occupat ions d 'usine, les fo rmes ind iv iduel les de v io lence d i rec te , te l les que les a t tenta ts terror is tes , ar r ivent à leur po int cu lmi nant en 1946. L 'événement pol i t ique le plus impor tan t de cet te première pér iode est sans aucun doute la créat ion du Comi té National des Ouvr ie rs et des Etudiants en fév r ie r 1946, quelques jours après que la pol ice ai t fa i t ouvr i r le pont Abbas au moment où une man i fes ta t ion d 'é tud iants réclamant l 'évacuat ion s'y é ta i t déjà engagée, fa isant p lus ieurs mor ts e t b lesés.

Le 21 févr ie r , le Comi té organise une grande mani fes ta t ion et appel le à la grève généra le. C'en éta i t t rop pour la c lasse d i r igeante. La mani festat ion du Caire se te rm ine par une boucherie : les par t ic ipants débouchant sur la place Ismaïl ia seron t accuei l l is à coups de mi t ra i l l euses par les t roupes angla ises. Une répress ion bruta le et sans vergogne s'abat sur l 'ensemble du te r r i t o i re : les mi l i tan ts ouvr iers et é tud iants seront ar rêtés par m i l l i e rs , le Comi té Nat ional sera démante lé . La man i fes ta t ion du Caire entrera désormais dans l 'h is to i re du mouvement ant i - impér ia l is te mondia l qui lui consacre depuis 1950 le 21 févr ier pour jour commémora t i f .

Un momen t désor ien té par la répress ion , le mouve'ment pa t r io t ique '• cherchai t déjà à se réorganiser lorsqu'au début de 1948 éclata la première guerre de Palest ine, fourn issant au Palais et aux Ang la is une occasion de

reprendre l ' in i t ia t ive des événements . A ce stade de son analyse, l 'auteur se tai t p lus ins is tant ton en comprend fac i lement les raisons) : l 'Etat 11sraël cons t i tua i t et cons t i tue encore un ennemi réel du peuple égypt ien et des peuples arabes en généra l . Si les impér ia l is tes br i tanniques ont cher-cné, en or ientant tou te l 'énergie des peuples arabes cont re l 'Etat d ' Is raë l , a dévoyer le mouvement populaire onencè pr inc ipa lement cont re eux, s i le roi Farouk y a t rouvé l 'occasion de prendre en main le mouvement patr iot ique égypt ien et de rehausser son prest ige gravement a t te in t , pour les uns comme pour les autres, i l n'a pas été nécessai re d '« inventer» un ennemi au peuple, Israël en l 'occurrence, comme on a pu le pré tendre . L'Etat s ion is te en fo rmat ion éta i t un ennemi réel et perçu comme te l par les niasses égypt iennes. Mais en or ientant le sen t iment populaire dans le seos d'une guerre c lassique ent re Etats - é l im inant ainsi aussi b ien le peuple pa lest in ien que les autres peuples arabes - i ls entraînaient le peuple égypt ien dans une guerre qui n'était pas la s ienne et qui - plus grave -étouf fa i t le combat qui éta i t le s ien : le combat au niveau populaire cont re l ' impér ia l isme br i tannique et la sol idar i té à la base et dans l 'act ion du peuple égypt ien avec le peuple palest in ien .

La défa i te prév is ib le de l 'armée égypt ienne eut t ro is conséquences impor tan tes :

1 e ) les masses égypt iennes ne sauront pas dégager concrè tement les raisons de classe de la débâcle, ce qui al lai t leur inculquer le sen t iment in tér ieur de leur fa ib lesse comme élément déc is i f de la dominat ion étrangère et locale.

2°) e l le va pe rmet t re à une fn r^e de relève bourgeoise de se cr is ta l l i ser au sein de l 'armée placée ainsi au premier plan, «les o f f i c ie rs l ibres», dont la v is ion pet i te bourgeoise des événements po l i t iques re jo int , comme nous le ver rons plus lo in , les aspirat ions des «modern is tes».

3") à cour t t e r m e , la défa i te va

repor ter tou te la puissance du mouvemen t pat r io t ique de masse con t re ses ennemis à l ' in tér ieur du pays rendus responsables de la défa i te : c 'est la pér iode de l 'organisat ion de groupes de guerr i l la et de sabotage ant i br i tann ique, c 'est aussi la pér iode de grève ouvr ières et de jacquer ies paysannes, c 'est enf in l ' incendie du Caire de Janvier 1952. Ce dern ier événement , Mahmoud Hussein en fa i t une donnée capi ta le :

capi tale parce que sa v io lence même expr ime le besoin ob jec t i f révolu t ionnai re des masses urbaines dés-ner i tées de par t ic iper d i rec temen t au gouvernen t pat r io t ique au momen t où celui-ci débordai t tous ses cadres t rad i t ionnels : Wa fd , nat ional is tes, communis tes , e t c . .

- capi ta le parce que, au-delà des excès de xénophobie inév i tab les, la mi -5e à feu de cabarets, de c inémas iuxueux, de cafés mondains, de grands magasins, de banaues appartenant à des Ang la is , des Jui fs qui jub i la ient luver tement devant la v ic to i re s ion is te , ou des mi l l ia rda i res locaux, représenta i t un geste authent ique des masses déshér i tées cont re les ennemis du peuple.

L'aspect insurrect ionnel de l ' incendie du Caire et l 'essor sans cesse grandissant du mouvement de masse 3U cours de cet te pér iode vont avoir une conséquence imprév is ib le : désormais , l 'Ang le ter re , sentant le régime monarch ique condamné, sera de plus en pius d isposée à to lé re r un éventuel coup d'état capable d 'endiguer la marée popula i re et de donner une nouvel le e f f i cac i té à l 'Etat égypt ien.

',e nouveau rég ime

Tous ces é léments réunis von t fac i l i te r le coup d 'état des o f f i c ie rs l i bres le 23 Ju i l le t 1952. La v is ion pol i -ique de ses leaders qui se presen-

t lque au peuple en « hommes provident iels» peut se résumer dans une volonté de résoudre la cr ise du mode de product ion ex is tant , de le débloquer en sacr i f ian t une f rac t ion in f ime de la c lasse dominante - la plus conser-

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vatr ice - et en s 'appuyant pour cela sur la tendance modern is te de la bourgeois ie é t ro i t emen t l iée aux capi taux é t rangers .

I l leur sembla i t a lors que quatre ob jec t i fs pr inc ipaux cond i t ionna ient la réal isat ion de leurs pro je ts :

r— la conso l ida t ion de l 'armée au se in de l 'apparei l d 'état coijnme support du nouveau régime

— l 'évacuat ion de l 'armée br i tannique î f in de se poser à l 'opinion populai re en champion de la l ibérat ion et du renouveau.

<— une ré fo rme agraire modérée devant décapi ter la f rac t ion conservatr ice de la c lasse dominante et gagner au pouvoi r l 'appui des paysans r iches

— l 'encouragement , en f in , à l ' invest issement indust r ie l local ou ét ranger .

En fa i t ce t te doc t r ine est basée sur un cer ta in nombre d ' i l lus ions de classe qui prenaient racine dans la s i tua t ion de c lasse pet i te bourgeoise mi l i ta i re et dont les plus impor tantes «étaient ce l le de pouvoi r amener la classe dominante à dépasser sa cr ise et à s 'engager réso lument sur la vo ie cap i ta l is te , et ce l le de pouvoi r amener les impér ia l i s tes occ identaux ( les L). S. A. sur tou t ) à par t ic iper à l 'Indust r ia l isa t ion de l 'Egypte et à résoudre sa c r i se de cro issance capita l is te».

Ces i l lus ions ne von t pas tarder dans la prat ique à la isser place à une vision po l i t ique bourgeoise plus cohérente dans la mesure où leur conscience pol i t ique commença i t à se modeler sur des in térê ts de c lasse nouveaux, ceux d'une bourgeois ie d état en fo rma t ion .

Par a i l leurs , aucune couche labor ieuse n'appuie le nouveau rég ime dont l 'aspect répress i f , év ident depuis I e-xecut ion du héros ouvr ier Musta fa Khamis , ne fa i t que se con f i rmer .

La deux ième pér iode du régime (1955 - 1958) est caractér isée par ine s i tuat ion mondia le qua l i ta t i vement d i f fé ren te , marquée par :

— l 'entrée de l'U.R.S.S. sur le marché capi ta l is te et l 'of f re par cel le-ci d'un sout ien massi f au déve loppement capi ta l is te des é l i tes pe t i tes bourgeoise et bourgeoises nat ionales des pays dépendant de l ' impér ia l isme occi den ta l .

— la cr ise aiguë qui s 'ouvre en 1956 entre le nouveau rég ime et l ' impéria-' is ine f ranco-br i tannique après l 'agression t r ipar t i te . L'appui popula i re massif dont le rég ime va alors bénéf ic ier va lui pe rmet t re non seu lement de renforcer son monopole po l i t ique à l ' in tér ieur, mais aussi d 'acquér i r une marge de manœuvre ex tér ieure et un degré d 'autonomie économique propice au déve loppement d'une bourgeoisie d 'état .

La t ro i s i ème pér iode (1959-1963) sera cel le d'un redressement re lat i f de la bourgeois ie t rad i t ionne l le qu i , avec le sout ien des états occ identaux, va ten ter d ' imposer au pouvoi r l 'arrêt je ses pro je ts d ' indust r ia l isa t ion.

La réponse du pouvo i r fu t de prendre les mesures favorables à l 'ascension de l 'él i te pe t i te bourgeoise qui reço i t pour miss ion de réal iser le processus d 'accumulat ion capi ta l is te élargie à un ry thme rapide - c éta i t là encore une i l lus ion de c lasse.

La quat r ième pér iode (1964 - ju in 1967) es t cel le où ce t te nouvel le bourgeois ie , dominant désormais les moyens de produc t ion , es t déch i rée par les cont rad ic t ions de classe issues de sa nouvel le s i tua t ion . Péniblement débloquée, la vo ie capi ta l is te entre dans une phase nouvel le de c r ise . Ce t te fo is -c i , le rég ime nassér ien s'avère incapable de conserver sa carac tér is t ique spéc i f ique , à savoir sa large autonomie vis-à-vis de la c lasse dominante.

Revenons sur la doc t r ine nassé-r ienne. Elle repose sur p lus ieurs so-phismes :

1°) seule la bourgeois ie t rad i t ionnel le fa i t par t ie de la c lasse dominante. Le déblocage de la c r ise pat son a f fa ib l i ssement graduel est alors assimilé à un processus anti-capital i s te .

2°) l 'apparei l d 'état n'a pas de nature et de fonc t ion de c lasse b ien déf in ies. I l ne sera i t qu 'un ins t rument neutre de gouvernement , d 'admin is t rat ion, de répress ion , de product ion ... en un mot , un apparei l d 'équ i l ib re . L'auteur me t l 'accent sur ce l t e dernière cont re-vér i té et , dans les pages qui su ivent , s 'e f force de démont re r [e caractère mys t i f i ca teur de ces prétent ions.

D'après l 'auteur, dans le cas étudié où l'Etat exerce des fonct ions économiques impor tan tes , la sect ion bourgeoise qui se cons t i tue dans les po-• es de l 'apparei l d 'état , appar t ient à 'a c lasse dominante , non plus en vertu de ses l iens organiques ou histor iques avec les possédants de moyens de product ion pr ivés, mais en ve r tu de la fonc t ion v i ta le qu 'e l le assure ju serv ice du mode de product ion cap i ta l is te .

En conséquence, ici comme ai lleurs, «la fonc t ion spéc i f ique du pou voir d 'état est en e f fe t d 'assurer la s tabi l i té de la fo rmat ion sociale dominée par les c lasses exp lo i teuses en apparaissant aux c lasses exp lo i tées comme étant leur représentant au même t i t re que les p remières» .

C'est la ra ison pour laquel le, à mesure que la bourgeois ie d 'état prenait f o rme et que son oppor tun isme se général isa i t , «elle apparaissai t comme une excro issance que le pouvoi r d 'état n'avait pas vou lue, et qu ' i l f rapperai t à son tour quand i l le pourra i t . Les masses d issoc ia ient le pouvoi r d 'état de la bourgeois ie d 'é 'a t en format ion. Et c 'est pr inc ipa lement sous cette fo rme que le pouvoir d 'état a protégé cel le-ci cont re la consc ience de classe des masses popula i res».

Nous l 'avons vu , et nous le ' /errons encore en suivant l 'auteur dans son analyse, ces t rans fo rmat ions qual i ta t i ves se sont fa i tes gradue l lement . Auss i , un sys tème de répress ion systémat ique de tou te in i t ia t ive indépendante des masses popula i res sera la cond i t ion fondamenta le de l 'arr ivée à matur i té de ces t rans fo rmat ions . I l ne s 'agi t su r tou t pas ici de la seule répress ion par la v io lence. I l s 'agi t

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sur tou t d 'un dosage savant de répression v io len te et de répress ion par la duper ie . De ce point de vue , le régi me sera par t i cu l iè rement favor isé par. la con joncture in ternat ionale qui va lui pe rmet t re d 'adopter un ton ant i impér ia l i s te . Sur le plan Intér ieur, les propagandis tes du rég ime, répandant le concept bourgeois de «la nat ion ent i té fondamenta le e t ind iv is ib le», brandi ront sys témat iquement les mots d 'ordre «pas de d ic ta ture d'une classe sur les aut res !» et «d issolut ion des d i f fé rences entre les c lasses».

Les fo rmules organisat ionnel les proposées par le rég ime af in de conteni r et d 'or ienter la p ress ion des masses ont souvent var ié . Ce qu' i l fau t reten i r , c 'es t le pr inc ipe corpora t is te «qui amalgame le t rava i l leur manuel non qual i f ié à son chef d 'atel ier , comme i l mêle le pe t i t paysan au paysan r iche, !e pe t i t employé à son directeur , e t c . » . L'idée essent ie l le est cel le do la d iv is ion ver t ica le du peuple su ivant les ac t iv i tés pro fess ionnel les tendant à empêcher son uni f icat i on par le bas, su ivant ses in térê ts de c lasse. Ma is ces fo rmu les , te l les, que le tRassemb lemen t de la l ibérat ion», « l 'Union Socia l is te Arabe», etc. . ont tou tes échoué parce que ces organisat ions baot isées démocra t iques n 'étaient r ien d 'autre en déf in i t i ve oue des annexes de l 'apparei l répressi f , des sys tèmes supp lémenta i res d 'é touf fe-ment .

Les débuts tâtonnants du régime

Dès le mois d 'Août , l 'aspect essent i e l l emen t répress i f du nouveau rég ime se révèle : c 'os t la répress ion v io len te de la grève des ouvr iers de Kafr el Danwar et la condamnat ion à la peine capi ta le du grand d i r igeant ouvr ier Mus ta fa Khamis et d'un autre t rava i l leur de l 'usine, Mohammed El Bakry.

Sur la lancée, les commun is tes et les autres organisat ions ouvr ières et paysannes seront pourchassés, le mouvement syndical rédu i t au s i lence. A son tour , la con fé r ie des Frères Musu lmans que le rég ime avait cherché à me t t re à son serv ice jusque-

là (e t qu i , re la t i vement aux o f f i c ie rs l ib res , pousse des racines jusqu au sein des masses) subira l 'assaut de la nouvel le équipe au pouvoi r ; sa d isso lu t ion es t prononcée en 1954,. ses d i r igeants je tés en pr ison.

A l 'autre pôle de la soc ié té , les grands propr ié ta i res man i fes ten t leur exaspérat ion devant la ré fo rme agraire.

Dans ces cond i t ions , la co lère de tou tes les c lasses, à l 'except ion de l 'él i te pe t i te bourgeoise m i l i t a i re , n 'est tempérée que par l 'at tente des élect ions . Pendant qu'une part ie des «off i c ie rs l ibres» commence a lors, en prév is ion des é lec t ions , à négocier avec le Wafd en vue de préparer le passage à un rég ime c iv i l par lementa i re , Nasser consol ide ses pos i t ions par t ro is succès po l i t iques :

— l 'évacuat ion de l 'armée br i tannique négociée et consent ie dans la perspect ive d'une dominat ion économique à plus longue échéance ;

— l 'obtent ion d 'armes tchèques censées permet t re le ren fo rcement de la puissance de feu de l 'armée égypt ienne face à l 'armée israél ienne, dest i nées en réal i té à doter l 'armée d u n capital de prest ige au sein des masses ;

— enf in , la l iqu idat ion de la conf rér ie des Frères Musu lmans , dern ière organisat ion capable de menacer le rég ime.

Seule subs is ta i t en 1955 l 'host i l i té de la bourgeois ie t rad i t ionne l le qui refuse tou jours d ' invest i r dans l ' industr ie malgré la perte des grands domaines qu 'e l le possédai t . Mais «ceux-ci ne le combat ta ien t ~^s comme un représentant des in térê ts du peuple, mais un i-eprésentant inacceptable de leurs propres in té rê ts» .

L'émergence de la bourgeoisie d'état

1/ Le tournant déc is i f du rég ime.

Cet te pér iode sera marquée par une s t ra tég ie nouvel le du rég ime : t rès rapidement , Nasser compr i t le part i à t i r e r de l ' in tervent ion de

l'U.R.S.S. dans ce t te région du monde. Sans entraîner la moindre adhésion idéologique, les o f f res de l'U.R.S.S. pouvaient serv i r à tempérer les press ions des pays occ identaux. Cet te o r ien ta t ion , consacrée par une part i c ipat ion impor tante de l 'Egypte à la conférence de Bandoeng, apposa i t en plus une caut ion spectacula i re au rég ime nassér ien. Désormais , le rég ime pourra se prévalo i r de par t ic iper à la pol i t ique di te de neut ra l i té pos i t ive et qua l i f iée alors d 'ant i - impér ia l is le .

Le pro je t de cons t ruc t ion du haut barrage d 'Assouan conf ié à l'U.R.S.S. après le refus des U.S.A. et de la Grande-Bretaqne de par t ic iper à son f inancement sera la p remière manifes ta t ion d ' indépendance du régime vis-à-vis de l 'Occident .

Mais ce n'est qu 'après la déc is ion pr ise en 1956 par Nasser, nouvel lement é lu prés ident de la Réoubl ique. de nat ional iser le Canal , que la France et la Grande-Bretaqne sa is i rent toute la d imens ion du déf i lancé, déf i nui se vou la i t démont re r la nouvel le capaci té de rés is tance du rég ime vis-à-vis des puissances occ identa les.

Le re t ra i t des fo rces expédi t ionnai res f rançaises et br i tann iques sous la press ion de l'U.R.S.S. et des U.S.A. qui cherchaient à t i re r p ro f i t de la s i tua t ion au dé t r imen t des puissances be l l igérantes , f u t t rans fo rmé - malgré l 'écrasement de l 'armée égypt ienne - en un inest imable capital de prest ige pol i t ique pour Nasser. Sur sa lancée Nasser décrète l 'égypt ian isat ion et la pr ise en charge par l 'Etat des g r a n d e s c o m p a g n i e s et banques f rançaises et anglaises. Du coup, les anciennes puissances gérantes perdaient b ru ta lement leurs pr inc ipaux moyens de press ion économique d i rec te à l ' in tér ieur du pays.

2/ L'Egypte au sein du marché capitaliste mondial.

A lui seu l , le rég ime n'aurait pu s 'engager dans ce tournant déc is i f de son h is to i re . En réa l i té , ce qui a amené l 'évolut ion de la doct r ine nassé-r ienne - de même, d 'a i l leurs , que celle de tous les autres d i r igeants bourgeois des nat ions représentées à Candoeng - c 'est essen t ie l lement la

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nouvel le po l i t ique du P.C.U.S. à par t i r de son X X i i ° Congrès et que l 'auteur résume dans la «poss ib i l i té nouvel le pour des d i r igeants bourgeois nat ionaux ou bourgeois bureaucrat iques de se dégager du marché cap i ta l is te mondial et des l iens de dépendance v is -à-vis des pays impér ia l i s tes , et de s 'engager ainsi sur une pseudo-voie non cap i la i i s te , en s 'appuyant de plus en plus sur les pays d i ts soc ia l is tes à l 'extér ieur , et sur les é l i tes pe t i tes bourgeoises à l ' in tér ieur».

Ce t te l iber té re lat ive de mouvemen t ainsi acquise au sein du marché cap i ta l is te mondia l sera i n te rp ré tée par les propagandistes du rég ime comme la vo.e de l ' indépendance nat ionale. Or, l 'Egypte é ta i t impu issante en fa i t à s 'assurer une indépendance nationale rée l le . «En d 'autres t e rmes , la struc ture de dépendance organique de l 'Egypte à l 'égard du marché mondial - s t ruc tu re que le nouveau rég ime hér i ta i t de l 'ancien - demeura i t s - * - - *» . Le cent re de grav i té de ce t te dépendance se déplaçai t et le développement in tér ieur du cap i ta l isme égypt ien y gagnait une v i ta l i té prov iso i re , mais la s i tua t ion fondamentale de dépendance resta i t inchangée». L'auteur s 'a t tache alors longuement a mont rer la d i f fé rence qui ex is te ent re une «vacance prov iso i re et domi nat ion d i recte» et la vo ie vers une indépendance nat ionale rée l le .

3/ Le pouvoir et les masses populaires.

«L' incapacité du rég ime à renforcer le potent ie l nat ional propre de rés is tance aux press ions impér ia l is tes apparaît déjà c la i rement dans l 'at t i tude du pouvoir nassér ien vis-à-vis d'Israë l . Ce t te a t t i tude camouf lée par ia propagande es t dans son fond une at t i tude de cap i tu la t ion». A l 'appui de ses d i res , Ma l imoud Hussein nous ci ta l 'exemple de Gaza où l 'Etat nassér ien réf rène l 'élan pat r io t ique des Palest in iens . C'est ce que s t ipu le l 'acceptat ion des fo rces de l 'O.N.U. sur les te r r i t o i res égypt iens l im i t rophes de l'Etat s ion is te , protégeant ainsi ses f ron t iè res cont re tou te incurs ion pales t in ienne, protégeant éga lement le

l ibre passage des navires israél iens par le dé t ro i t de Ti ran.

En fa i t , l 'année 1956, année du plus grand succès po l i t ique du rég ime, es t cel le où apparaît le plus ne t tement son impuissance réel le à a f f ronter les ennemis du peuple égyp t ien .

«Et c 'est p réc isément le 26 ju i l l e t 1956, le so i r où Nasser annonçai t la nat ional isat ion que l 'host i l i té fondamenta le du régime à tou te in i t ia t ive populaire apparaît avec le plus d'éclat». ... «C'est ce pouvoir seul qui a pr is la déc is ion . C'est lui seul qui a chois i l 'object i f , le momen t de frapper, la façon de l 'annoncer au peuple égypt ien . C 'es t lui seul qui compta i t en t i re r la to ta l i té du bénéf ice pol i t ique». Les l ames masses éta ient s imp lement « appelées à s 'en remet t re à la sagesse de Nasser qu i , é tant l'auteur de l 'événement , se chargeai t de résoudre les prob lèmes qui en découla ient».

Les masses réc lamaient cependant par tout des armes af in de répondre à la puissance techn ique des armées impér ia l is tes par la fo rce créat r ice des masses en armes. Or, les masses armées, «c 'est l 'embryon du pouvoir des masses» et le rég ime ver ra i t lui échapper le monopole de l ' in i t ia t ive po l i t i que si l 'armée perda i t «le monopole de l 'u t i l isat ion de la v io lence». «L'épopée nassér ienne se sera i t dans ce cas ar rê tée là». C'est pourquoi le rég ime pré férera le s ta tu quo face à l'Etat s ion is te .

4/ Le changement du rapport de force au sein de la classe dominante.

En décré tant en 1956 la pr ise en charge par l 'Etat des banques et compagnies é t rangères, le pouvoi r s ignai t i 'acte de naissance de la bourgeois ie d 'état . Cet te dern ière al la i t se renfo rcer à chaque nouvel le occasion saisie par le rég ime pour développer le secteur économique d'Etat. «Du point de vue économique, l 'é l i te pet i te bourgeoise mi l i ta i re sera appelée à fournir les cadres pr inc ipaux de l'apparei l économique é ta t ique, en même temps qu'à ren forcer l 'armature des

autres apparei ls de l 'Etat, les soumettant plus é t ro i temen t aux or ienta t ions du pouvoi r nassér ien».

Les cadres ne se fa isa ient pas d ' i l lus ion sur le rôle mi l i ta i re à ven i r de l 'armée. «Depuis l 'agression t r i pa r t i t e , i ls ne songent plus à fa i re la guer re , mais à ren forcer les pouvoirs pol i t i ques et économiques de l 'armée en pré tendant la préparer à la guer re , renforçant par là la bourgeois ie d état dont i ls cons t i tua ien t le corps pr inc i pal . Et dès que la pos i t ion de ce t te bourgeois ie d 'é ta t sera devenue hégémonique, à par t i r de 1961, ce sera la ruée à l 'enr ich issement personnel généra l isé». «L'ensemble des cadres d i r igeants de l 'armée n'avait donc déjà plus de préoccupat ions pat r io t i ques, au momen t même où l 'armée é ta i t censée encadrer l 'e f for t patr iot ique de la nat ion».

Nouve l lement arr ivés dans un mil ieu nouveau pour eux, i ls von t se me t t re labor ieusement à l 'école de la bourgeois ie t rad i t ionne l le pour apprendre d 'e l le le mécan isme caché du monde des a f fa i res , à t i sse r progress ivement des réseaux de re lat ion et de comp l i c i té .

5/ L'unité arabe.

A cet te étape du rég ime, Mahmoud Hussein pense qu ' i l est nécessaire de déf in i r c la i rement la nature des rappor ts en t re tenus par le rég ime nassér ien avec les pays arabes. La pol i t ique arabe du Président Nasser se présente sous deux aspects :

— aspect p roprement économique : « Une indust r ie lourde moderne — en te rmes d 'e f f icac i té cao i ta l i s te internat ionale - ne peut ê t re const i tuée qu'à une échel le beaucoup p lus vas te . Et l 'échel le du monde arabe sembla i t tou te dés ignée. In bourqeois ie égypt ienne, seule capable de lancer un te l pro je t - parce que t rès en avance sur le déve loppement des autres bourgeois ies - pouva i t le réal iser , si des l iens économiques so l ides, dé f in i t i f s , lui ouvra ient le monde arabe ». Cet te po l i t ique t rouve un écho favorable au sein de tou tes les é l i tes pet i tes bour-

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geoises et bourgeoises nat ionales des pays arabes dont les aspi rat ions cap i ta l is tes t rouva ien t là un espoir de réal isat ion : ce même schéma se retrouve en Syr ie et au Yémen . En Irak, par cont re , une f rac t ion de l 'él i te nat iona l is te recherchera la tu te l le nas-sér ienne pendant qu 'une autre plus puissante au départ la combat t ra .

— aspect po l i t ique : une d i rec t ion nassúr ienne du mouvement nat ional arabe représente pour les d i rec t ions bourgeoises locales un rempar t de pro tec t ion e f f i cace, à la fo is cont re les c lasses conservat r ices et cont re le mouvement popula i re .

Par a i l leurs, dans le cadre d'un syst è m e défens i f repoussant tou te part i c ipat ion popu ia i 'e , la nécess i té d 'un rassemblement plus vaste que l'Egyp-, t e , à savoir le cadre arabe, s ' imposai t dans l 'espr i t des d i r igeants égyptiens..

Mais le rég ime capi ta l is te d 'état égypt ien s'avéra incapable de rés is ter , hors de ses f ron t iè res , à la puissance des monopoles occ identaux, même encouragé et appuyé par l'U.R.S.S.

L'hégémonie de la bourgeoisie d'état (1959-63) I

En 1959, le rég ime, exp lo i tant le prest ige qu' i l v ient d 'accumuler décide de dét ru i re dé f in i t i vement le courant commun is te dans le monde ara- t

be af in de conso l ider son sys tème et presenter du même couo mei l leure f i gure aux puissances impér ia l i s tes . En Egypte, en Syr ie, des camps d' internement ouvrent leurs por tes . En Irak, en revanche, c 'est l 'échec.

1959 sera, dans ces condi t ions, l 'année d'un re f ro id issement dip lomat ique ent re l 'Egypte et les pays de l'Est et , para l lè lement , cel le d'un aff lux considérable d 'o f f res de créd i ts occi dentaux . A la faveur de ce rapprochement , la bourgeois ie t rad i t ionne l le se fa i t tu rbu len te . De leur cô ' é , les puissances occidenta les dev iennent ex igeantes : e l les réc lament la révi s ion des accords passés avec l'U.R.S.S. concernant la première t ranche du proj e t du Haut Barrage.

Nasser se sent devenir pr isonnier de sa nouvel le o r ien ta t ion . Brusquement , i l me t un te rme à sa propagan

de ant i -communis te et annonce que l 'accord sur la première t ranche du haut barrage est conclu avec l'U.R.S.S: Quelques jours plus ta rd , i l décrète la nat ional isat ion de la banque M is r , assenant un coup spectacula i re a la bourgeois ie t rad i t ionne l le et plaçant l'Etat à la tête de p lus ieurs centaines de mi l l i ons . De p lus, ce t te mesure permet ta i t de concent rer les gr ie fs populaires cont re la bourgeois ie trad i t ionne l le .

Privée de son quar t ie r général , incapable de réagir , ce t te dern ière éta i t condamnée a recevoi r le coup suivant, sans ié r i r , les mesures de Ju i l le t Ibib1 : une sér ie de décre ts sont promulgues met tan t la to ta l i té oes ent repr ises f inanc ières et bancaires et la p lupar t des soc ié tés indust r ie l les et commerc ia les impor tan tes , étrangères et locales, sous le cont rô le absolu de l'Etat. De plus, la propr ié té fonc ière est l im i tée par u,i tex te de loi.

Mais , si en Egypte, la bourgeois ie t rad i t ionne l le s 'avère incapable de r i poster , i l en va au t rement en Syr ie.

•Quelques semaines seu lement après les mesures de ju i l l e t , un coup d'Etat amené le re t ra i t de la Syr ie de ia Républ ique Arabe Unie. C'est la prem i è r e dé fa i te maje'ure du rég ime. Auss i la réponse du pouvoir sera violente : propagande tapageuse cont re la bourgeois ie t rad i t ionne l le , procès de grands bourgo ies, séquest ra t ion de biens, e t c . .

Sur sa lancée, le rég ime fa i t acclamer une «Charte d 'Ac t ion Nat ionale» en ve r tu de laquel le sera créée l 'Union Socia l is te Arabe. Dans le vocable off i c ie l , la te rmino log ie pol i t ique dev ient ronf lante : il y est quest ion de «soc ia l isme», de «lut te contre l ' impérial isme et la réact ion». d '«auto-suff i -sance et de jus te répar t i t ion des r i chesses».

Cet te nouvel le mys t i f i ca t ion repose sur la confus ion créée ent re «propr ié té pr ivée e t cap i ta l i sme», ent re «propr iété d'Etat et soc ia l isme», entre •<division sociale du t ravai l et d iv i s ion technique du t rava i l» , confus ion ent re tenue aux yeux des masses par

la nouvel le po l i t ique ex tér ieure de l'U.R.S.S.

L'auteur s 'engage alors magis t ra lement dans une étude théor ique des rapports de product ion capi ta l is te pour en ven i r f i na lement au prob lème du pouvoir po l i t ique. Mais écoutons - le p lu tô t fa i re par ler les idéologues du rég ime : «Les masses popula i res, é tant tou t jus te capables "de produi re des biens matér ie ls et de fo rmu le r des gr ie fs ou des souha i t s " , i l fallai t qu 'une é l i te sociale se chargeât de remplacer au pouvoi r les «capita l i s tes exp lo i teurs» ét rangers et locaux et de réorganiser , au nom de la nat ion, la v ie économique - de te l le sor te que les masses pu issent t rouver du t ravai l (cons idéré comme l 'exores-sion de leur l iber té économique) ; après quo i , e l les pourra ient songer à expr imer des souhai ts po l i t iques, dans le cadre corporat i f que le rég ime avai t préparé à ce t te f in (c 'est-à-dire réal iser leur « l iber té po l i t i que»)» .

Les cond i t ions d 'e f f icac i té de ce t te doc t r ine sont de deux ordres :

— pol i t ique : i l es t nécessaire que les masses, rendues dans un premier temps impuissantes, so ient incapables de poser le p rob lème du pouvoi r ;

— économique : amener les masses popula i res - une fo is les condi t ions économiques re la t ivement s tabi l isées par la créat ion de nouveaux emplo is et l 'amél iorat ion générale du mode de v ie - à accepter le rég ime d'exploi ta t ion capi ta l is te é ta t ique. C'est la raison pour laquel le, depuis les mesures de ju i l l e t 1961, le r ég ime s 'est lancé dans une po l i t ique de démagogie sociale dont le but es t d 'obteni r l 'adhésion des masses labor ieuses à ces mesures qual i f iées d '«ant i -capi ta l is tes», En vou lan t gagner leur appui passi f , le rég ime cherche essen t ie l l ement à les amener à fourn i r l 'e f for t p roduct i f nécessai re à la consol idat ion du système. Mais la réuss i te de ne + te po l i t ique mys t i f i ca t r i ce e t démobi l i sa t r i ce exigeait le ra l l iement d'au moins une part ie de l ' in te l l igents ia . C 'est pourquoi la sec t ion in te l lec tue l le de la pe t i te bourgeois ie occupera une pos i t ion impor tante dans l 'apparei l du rég ime

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dans la mesure où el le s 'est laissé domest iquer . A i ns i , «le rég ime a pu t rans former une part ie d 'entre el le en catégor ie pro fess ionnel le «spécial i sée dans la ré f lex ion » « au serv ice du pouvoi r».

A i ns i , le rég ime s 'assurai t la paix soc ia le ind ispensable à sa consol i da t ion .

Les nouvelles aspirations de la bourgeoisie d'état

Comme le d i t f o r t jud ic ieusement Mahmoud Hussein en in t roduct ion à ce nouveau chap i t re , l 'ensemble des t rans fo rmat ions p récédemment décr i tes n'a pu se réal iser que parce qu'el les const i tua ient la cond i t ion nécessaire à l 'ascension de l 'él i te pet i te bourgeoise s ' ident i f ian t déjà aux inté rê ts de c lasse de la bourgeois ie d 'état en fo rmat ion . Mais une fo is qu 'e l le possédera de façon héaémoni-que le pouvoir po l i t ique et économique, ses in térê ts de c lasse von t se t rouver p ro fondément mod i f iés . A la so l idar i té spontanée entre ses d i f férents é léments , l 'é l i te pet i te bourgeoi se et le pouvoir exécut i f cent ra l , succède désormais la course aux pro f i t s ind iv iduels , la concur rence, e t c . . D'un coup l ibérés de tou tes les cont ra in tes qu 'ex igeai t une s t ra tég ie d 'ensemble face aux é léments conservateurs , les é léments de cet te bourgeois ie d 'état revendiquent maintenant la l ibérat ion progress ive de l ' in i t ia t ive ind iv idue l le , la levée des mesures d i r ig is tes et de la démagogie popul is te , l 'extension enf in des domaines ouver ts aux inves t i ssements pr ivés .

Sur le plan économique, les aspirat ions de la c lasse dominante s ignif ia ient donc l 'arrêt de la pol i t ique d ' indust r ia l i sa t ion , une ouver ture plus grande vers l 'Ouest et la cessat ion de la tu te l le du pouvoi r d'Etat sur l 'ensemble de la bourgeois ie d 'état .

Les contradictions nouvelles entre le pouvoir et la bourgeoisie d'état

Aux nouvel les aspi rat ions de cet te bourgeois ie devenue indélogeable de ce t apparei l d 'état dont el le ne veu t plus êt re le s imple dépos i ta i re , l 'Etat va opposer d iverses fo rmes de re

s is tance, défendant les ins t i tu t ions du rég ime et pro tégeant la vo ie capi tal is te et les in térê ts d 'ensemble de la bourgeois ie d 'état , malgré e l le .

I l s 'appuiera t o u t d 'abord sur une par t ie des cadres moyens fo rmés au cours de la décennie précédente qui asp i ren t à leur t ou r à une p romot ion aux postes d i r igeants et que les tendances conservat r ices de la nouvel le c lasse dominante voua ient dès lors à la s tagnat ion .

D'autre part , i l s 'appuiera sur la fo rce de press ion po l i t ique sov ié t i que qui a désormais la poss ib i l i té de paralyser et de désorganiser l 'économie du pays : réc lamat ion de de t tes , rappel de techn ic iens , arrêt bruta l de l 'achat de coton égypt ien , e t c . .

Enf in, sur le plan sub ject i f ce t te fo is , l 'ascendant personnel de Nasser sur la p lupart des é léments de ce t te nouvel le c lasse - qui se sent redevable à l 'équipe nassér ienne de sa s i tua t ion - et le fa i t que cel le-c i , n'étan t pas uni f iée po l i t iquement et idéo-log iquement , ne pouvai t donc se présenter en pouvoi r de rechange, von t jouer en faveur de l 'exécut i f .

Impuissante sur le plan po l i t ique, c 'est sur le plan économique que la nouvel le c lasse va alors expr imer la cont rad ic t ion ent re ses aspi rat ions nouvel les et la po l i t ique du rég ime. Ne se sentant plus en sécur i té , ne possédant pas d'une manière assurée les moyens de product ion dont i ls ont la charge et ne se préoccupant plus le moins du monde du fonc t ionnement régul ier du sys tème économique instauré, e l le va procéder de manière anarchique et i r ra t ionne l le à l'appropr ia t ion personnel le du max imum de biens de l 'Etat : c 'est à nouveau les scandales de marché noir, de détou rnements de fonds , co r rup t ion , réseaux de comp l i c i té , e t c . .

C 'est en par t icu l ier au sein de l'armée, qui a acquis sur les af fa i res de l'Etat h n f l u e n c e la plus grande, que s 'ér igent les plus Impor tants de ces f ie fs po l i t iques e t économiques ,

On fera de plus en plus appel alors dans la presse o f f i c ie l le à de pseudo-expl icat ions invoquant l ' incompétence technique et l ' immoral i té Ind iv idue l le , de façon à masquer le seul é lément vé r i tab lement en cause, à savoir l ' i r ra t ional i té du fonc t ionnement d'un sys tème capi ta l is te dont la classe dominante ne possède pas les moyens no l i t ; nt ies de garant i r ses priv i lèges économiques Ind iv iduels .

A la f in de la pér iode é tud iée, le pouvoi r d 'état se re t rouve donc dans une s i tuat ion où le blocage de la vo ie capi ta l is te se reprodu i t fondamentalement de la même fanon que durant les p remières années. L'échec de l ' indust r ia l isa t ion devenai t chose de plus en nlus év idente . L 'autonomie se t rans fo rma i t en une dépendance de plus en plus pressante vis-à-vis de l'U.R.S.S. :

— sur le plan des expor ta t ions , l'U.R. S.S. étant le pr inc ipal acheteur de coton éavot ien dont les réco l tes sont hvpothéquées pour de nombreuses années à ven i r ;

— sur le nlan f inancier , é tant donné l 'accro issement de la. det te ex tér ieure vis-à-vis de l'U.R.S.S. ;

— sur le plan techn inue en f in , l ' indust r ie moderne égypt ienne et l'armée régul ière é tant to ta lement t r ibu ta i res des fourn i tu res et des techn i c iens sov ié t iques.

Dans ces cond i t ions , en 1965-66, la po l i t ique nassér ienne ne pouvai t p lus s 'opposer aux ob jec t i fs fondamentaux de la s t ra tég ie sov ié t ique dans cet te région du monde. Dans ce contex te nouveau créé par l ' In tervent ion soudaine de l'U.R.S.S. dans le partage du monde en zones d ' in f luences, la stratég ie amér ica ine doi t ê t re c la i rement compr ise : Il s 'agi t d 'é tendre le plus largement possib le la zone d ' in f luence U.S. sans a f f ronter d i rec tement l'U.R.S.S., et , plus spéc ia lement , de sauvegarder les pos i t ions s t ra tég i ques qu 'e l le possède dans cet te ré-glun du inonde. La po l i t ique nassér ienne pouvai t menacer ces pos i t ions dans la mesure où el le const i tue le véhicu le idéal de la pol i t ique concur-

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rente des d i r igeants sov ié t iques, e l non pas - comme le pensent cer ta ins naïfs - du seul fa i t de l 'exemple nassér ien , ce rég ime n'ayant aucune capaci té propre de déf ier l ' impér ia l isme U.S. au-delà de ses f ron t iè res .

C 'est au t ravers de l 'antagonisme R.A.U. - Arab ie Saoudi te que va se dérouler le con f l i t d i rec t d ' in f luence au sein des pays arabes, opoosant l ' impér ia l isme U.S. à la nouvel le pol i t ique sov ié t ique. I ! s 'agi t su r tou t de la guerre du Yémen où le rég ime nassér ien va len tement s 'enl iser . C'est le momen t que cho is i t également Israël pour lancer ses premières of fens ives : p ro je t de dé tournement des eaux du Jourdain, incurs ions de l'armée israél ienne au-delà de ses front i è res , e t c . .

Les contradictions nouvelles entre les masses populaires et la c!asse dominante

Le rég ime n'ayant plus les moyens de camouf le r ses rappor ts avec la c lasse dominante , son «système de duper ie démagogique» va commencer à se désar t icu ler .

Déjà à la campagne, les mots d'ordre de so lut ion locales autonomes sans at tendre «les so lu t ions d'en haut» se répandent, su r tou t en Basse Egypte : des groupes se cons t i tuent , des grèves de la fa im publ iques, des marches de p ro tes ta t ion . La répress ion engendre rap idement la co lère el la lu t te con t re la répress ion . A Dainiet-te , en 1965, les autor i tés sont obl i gées de décré ter la loi mar t ia le . En 1956, c 'est le v i l lage de Kamchiche qui sera le théât re d 'une lu t te exemplaire des paysans groupés autour de l ' in te l lectuel révo lu t ionnai re Salah Husse in , d i r igée cont re la fami l le de grands proor ié ta i res El Fekr i . L'assass inat de Salah Husse in , lo in de désorganiser le mouvement , ne fera qu'exacerber la haine popula i re . Nasser doi t se rendre personne l lement à Kamchiche et p romet t re le châ t iment des assassins : c 'est la créat ion de pseu-do- "comi tés de l iqu idat ion du féodal is-

m e " d i r igés par le Maréchal Amer .

En même temps , à l 'occasion d'un complo t éventé v isant les d i r igeants du pays, le rég ime déclenche une nouve l le répress ion cont re la conf rér ie des Frères Musu lmans qui len tement , à la faveur du mécon ten tement popula i re, commence à re lever la t ê le , pendant que les commun is tes égypt iens dans leur ma jo r i té décré ta ient la d isso lu t ion vo lonta i re de leurs organisat ions et se met ta ien t ind iv iduel lement au serv ice du rég ime. En ta i t , ces dern iers n'ont jamais a t te in t un niveau d 'act ion de masse exempla i re . Leur l igne po l i t ique, tou t au long de la pér iode étudiée, les a condamnés a demeurer une force de press ion mi neure à la gauche du mouvement bourgeois ré fo rm is te , alors même que le mouvement commun is te avait des poss ib i l i tés ob iec t ives de se développer et de canal iser les aspi rat ions révo lu t ionnai res des masses.

C'est à par t i r de 1955 - date de l 'ouverture du rég ime vers l'Est - que la t rah ison dev ient f laarante : cessant b rusquement ses a t tsques, puremen t veYbales d 'a i l leurs , cont re le rég ime «dictator ia l» ou même «fasciste», le mouvemen t commun is te égypt ien se lance dans un sout ien enthous iaste du rég ime. Nasser songea alors à u t i l i ser les compétences Ihéo-nciues ou organisat ionnel les des communis tes en plaçant quelques dizaines d 'entre eux dans les d ivers serv ices de ia presse o f f i c ie l le et dans l 'Union Socia l is te Arabe.

A ins i d isparut le mouvement commun is te égypt ien né de la deuxième guerre mondia le , après quelques mois de débats pseudo-théor iques où, comme le d i t Mahmoud Husse in , « l 'at t i tude des d i r igeants du P. C. U. S. à l 'égard du rég ime nassér ien t i n t l ieu d'analyse concrè te de la s i tua t ion égyp t ienne».

L'essor nouveau du Mouvement Populaire patriotique et démocratique

Nous en ar r ivons, à la su i te de Mahmoud Hussein à Juin 67 et à la débâcle mi l i ta i re .

Nous ne rev iendrons pas — comme le fa i t l 'auteur - sur les causes profondes de la défa i te , les chapi t res précédents ayant su f f i samment mis en va leur le caractère de c lasse de l'armée égypt ienne et l 'aspect anti-populaire du rég ime. Dans ces cond i t ions , la défa i te face à un ennemi surarmé devenai t inév i tab le. En aucun cas, cel le-ci ne do i t ê t re imputable au peuple égyp t ien .

La défa i te a l la i t bouleverser cet é ta t de choses au sein du peuple.

Le 8 ju in 1967, après l 'annonce off i c ie l le de l 'acceptat ion par l 'Egypte et l'U.R.S.S. du cessez-le-feu, celu i -c i , rompant soudain les amarres de 15 années de répress ion , al la i t in tervenir spon 'anément , mass ivement , dé-c is ivement , pour t rans fo rmer de fond en comble ies données de la s i tua t ion po l i t ique égypt ienne et arabe.

Passons rap idement sur le refus au soir du 9 ju in 1967 du peuple égypt i en d 'accepter la démiss ion de Nasser, refus que les apologiste? du rég ime présentent comme un p léb isc i te , mais qu i , en fa i t , n 'est r ien d'autre qu 'un choix imméd ia t e t sans autre a l ternat ive possib le entre Zakaria Mo-h ieddine, représentant d ' rec t des forces occu l tes de l ' impér ia l isme et symbo le de la capi tu la t ion d'une par t , e t Nasser d 'autre par t cons idéré comme le mo indre ma l . «La seule f o rme concrè te , imméd ia te , o f fe r te au peuple pour expr imer son re fus de la cap i tu la t ion , é ta i t alors de re fuser le changement de leader proposé par les fo rces de la capi tu la t ion».

Le mo t d 'ordre du 9 j u in , le rappel de Nasser au pouvoir , f u t donc un mot d 'ordre con jonc tu re l .

Nasser rev iendra. I l rev iendra toujours le même . Mais le peuple ériyp-t ien n'est P'US le même. Il lui a donné sa conf iance. A par t i r de févr ie r 1968, il va commencer à la lui re t i rer .

Auss i t ô t ré tab l i à la t ê te de l 'Etat, Nasser va en e f fe t prendre une sér ie de mesures en oppos i t ion to ta le avec les aspi rat ions des masses égypt ien-

18

Page 20: Souffles 18

nés et dans l 'espr i t de la po l i t ique de c lasse prat iquée avant ju in 1967. Excepté quelques mesures d'assainissement de l 'apparei l d'Etat - épurat ions et procès - dest inées à ca lmer le peuple, l 'essent ie l de la po l i t ique nassér ienne va cons is ter à réorganiser , avec l 'appui, l 'argent et les consei ls sov ié t iques, les d i f fé ren ts secteurs ce l 'apparei l d'Etat et de l 'économie de façon à ce que «chaque sect ion de la bourgeois ie so i t consol idée au sein du sec teur qu 'e l le domine ; que, d'une part , el le lui cède le monopole de la po l i t ique et que, d 'autre part , e l le se charge de remet t re en marche le secteur de l 'Etat ou de I économie qui dépend d 'e l le». D'autre part, les structu res de l 'Union Socia l is te Arabe seron t revues, af in de pouvoi r désamorcer loca lement les énergies popula i res et d isc ip l iner plus e f f i cacement les d i f fé ren tes sect ions de la bourgeoisie dominante .

L'exigence fondamenta le expr imée par le peuple égypt ien au soir du 9 j u i n , «pas de négociat ion, pas de paix», sera rédu i te , quant à e l le , à son aspect le plus fo rme l : refus de s'asseoir pub l iquement à la même table que les Israél iens. En réa l i té , le rég ime prépare ac t i vement la capi tu lat i on baot isée «solut ion paci f ique» et camouf lée par des d iscours enf lammés sur la guerre pro longée, la guerre d 'épu isement , la patr ie à dé fendre , e t c . . Pendant ce t emps , le peuple é ta i t main tenu à l 'écart de l 'e f for t de guerre du pays.

Dans ces condi t ions, l 'a f f ron tement devenai t inév i tab le . Le pré tex te immédiat de la révo l te sera la c lémence du ve rd i c t prononcé cont re les o f f i c iers d i rec tement responsables de la débâcle de l 'armée en ju in 1967.

La révo l te aura pour théât re pr incipal Le Caire et ses banl ieues ouv r iè res , Hélouan et Choubra. Bousculant les barrages établ is à la hâte, les ouvr ie rs p r i ren t d 'assaut le poste de pol ice de Hélouan. L ' immeuble du journal o f f i c ieux , A l Ah ram, est assiégé à son tour , ainsi que l 'assemblée nat ionale. Très rap idement , le mouvement s 'é tend ; à l 'Univers i té , mee

t ings et f o rums se succèdent avec pour mots d 'ordre «pas de c lémence», «démocrat ie» et «d isso lu t ion de la chambre Incapable». Déc is ion est pr i se d 'organiser une mani fes ta t ion de masse : les é tud iants i ront accuei l l i r les ouvr iers de Hélouan venant au Caire par t ra in . Entre t emps , des grèves de so l idar i té sont déc lenchées dans les us ines. L 'Univers i té Polytechnique est occuppée par ses é tud iants . Le lendemain, les lycées se jo ignent au mouvement ; dans les rues, des barr icades commencen t à se dresser .

Devant l 'ampleur du mouvement , Nasser déc ide alors de fa i re donner l 'armée, au r isnue d 'accroî t re encore la haine popula i re cont re e l le . Finalement , l 'armée aura le dessus. Ma is , loin de br iser le courant pat r io t ique et démocrat ique de masse, ce coup d 'arrêt va, en le répr imant , susc i ter son déve loppement en profondeur .

Une fo is la révo l te p rov iso i rement é te in te , Nasser lance un appel au peuple : c 'est le Man i fes te du 30 mars, par lequel i l propose un programme qui sera soumis à un ré férendum et qui sera suiv i ensu i te de l'élect i on des organes locaux, régionaux et cent raux de l 'Union Socia l is te Arabe. L ob ject i f du pouvoi r es t c la i r : rédu i re le besoin popula i re de démocrat ie de masse aux d imens ions d u n e pantomime é lectora le sous la fo rme la plus dér iso i re : un vo te par oui ou par non sur une sér ie de «promesses» sans contenu prat ique.

Cependant, le pouvoi r marque un net recul : i l ordonne une rév is ion du procès et accorde soudain un sout ien tapageur à la rés is tance palest in ienne.

C'est au tour de la bourgeois ie a 'état de s ' inqu ié ter ; ses porte-parole les plus occ identaux, et en premier l ieu Zakaria Moh ledd ine , démiss ionnent . Pour eux, en e f fe t , des concess ions démagogiques ne peuvent qu'encourager le sen t imen t popula i re dans la vo ie de la rad ica l isa t ion. D'autre part , se sentant à nouveau menacée, la bourgeois ie d 'état accentue sa tendance à l 'appropr iat ion personnel le des

biens de l'Etat. Le «pot-au-vin» devient i ns t i tu t ion .

Sur le plan mi l i ta i re , la pass iv i té du rég ime dev ient év idente.

Auss i , l 'agression israél ienne cont r e les insta l la t ions é lec t r iques de Naga-Hammadi Interv iendra dans une s i tuat ion d 'e f fervescence popula i re. Ce devai t ê t re le s igna! d'un nouvel essor du mouvement pat r io t ique de masse égypt ien .

Le pré tex te imméd ia t de la révol te de Mansourah sera un ivers i ta i re et scola i re f re fus des nouvel les dispos i t ions o f f i c i e l l es ) , mais dès que le mouvement sera déc lenché, les af f rontemen ts avec les serv ices de répress ion c r i s ta l l i se ron t la cont rad ic t ion ent re les aspi rat ions globales des masses et la po l i t ique gouvernementale. La man i fes ta t ion , à laquel le s'opposent les fo rces de pol ice, se t ransfo rme rap idement en une révol te populai re avec laquel le la major i té de la populat ion de la v i l le et des alentours se sen t sol idai re : é lèves, ouvr iers , paysans sans te r re , chômeurs . La pol ice débordée reço i t l 'ordre d'ouvr i r le f eu , tuan t p lus ieurs personnes. En un r ien de t emps , le commissar ia t sera pr is d 'assaut et saccagé, pendant qu 'un t ronçon de la manifestat ion se d i r igea i t vers l 'arsenal pour s 'en emparer .

Lorsque le so i r les nouvel les arr i ve ron t à A lexandr ie et au Cai re , la co lère se déchaînera dans les mi l ieux un ivers i ta i res . La facu l té poly techni que est occupée par ses é tud iants qui y séquest rent le gouverneur de la v i l l e . Le lendemain, tou te la v i l le saura le compor temen t honteux du gouverneur p leurant de peur, implorant la p i t ié . La bourgeois ie égypt ienne dans son ensemble ressent i ra la même panique que lu i . Dès le samedi soir en e f fe t , des mi l l i e rs de t rac ts appel lent à la révo l te les lycéens, les é tud iants et tous les habi tants de la v i l l e . La répress ion in tér ieure et la cap i tu la t ion ex tér ieure du rég ime y sont pour la première fo is l iées l 'une à l 'autre. Avec l 'appari t ion des mots d 'ordre «l iberté» et «Nasser démis-

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sion », ordre est donné de t i re r à bout por tant , les mi t ra i l leuses la isseront sur les chaussées des dizaines de mor ts et sèmeron t du coup une haine absolue où chômeurs , ouvr ie rs , étud iants , paysans se reconnaî t ront .

Cet te un i té , ce t te vo lonté de changement sont si puissants que la sauvager ie de la répress ion ne les br isera pas. La révo l te du lundi 25 novem

bre n'a pas été é touf fée à coups de

f eu . Elle s 'est tue , à la tombée de la

nui t , parce qu' i l n 'ex ista i t aucune or

ganisat ion révo lu t ionnai re conséquen

te qui put la mener plus lo in . «Il n'y

a pas eu de défa i te popula i re. Simple

ment le volcan de 3 jou rs , à bout de

souf f le , a ravalé sa f lamme qui va

s 'épancher dans les pro fondeurs , cher

chant le momen t et le l ieu de ja i l l i r à nouveau».

C'est une note d 'espoir , d 'opt imisme et la réa f f i rmat ion de l ' impérat i f de l 'heure des masses arabes - la créat ion du cadre révo lu t ionnai re seul capable de fa i re déboucher les lu t tes popula i res sur le pouvoi r du peuple -qui me t f in à l 'analyse magis t ra le de Mahmoud Hussein sur la lu t te des c lasses en Egypte de 1945 à 1968.

EDITIONS ATLANTES Casablanca

P a r a î t r o n t b i e n t ô t

Hommes sous linceul de silence

De Tahar B e n j e l l o u n

( Collection Poètes Maghrébins )

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E T LA

F R A N C O P H O N I E

N O U S

action

idéologique

V o i l à un n o u v e a u d o s s i e r que l ' équ ipe de SOUFFLES s o u m e t à la r é f l e x i o n e t l ' ac t i on de t o u s .

Pourquo i la F r a n c o p h o n i e ?

En m a r s 1S70, à la 2° c o n f é r e n c e de N i a m e y des Eta ts f r a n c o p h o n e s , 14 pays a f r i c a i n s (1) o n t s i g n é la c o n v e n t i o n p o r t a n t c r é a t i o n de l ' A g e n c e de C o o p é r a t i o n f r a n c o p h o n e , en p l u s de l a F rance , L u x e m b o u r g , Canada , M o n a c o , I le M a u r i c e , e t V i e t n a m d u S u d .

D 'au t res pays a f r i c a i n s e n t r e t i e n n e n t d e p u i s t o u j o u r s des r e l a t i o n s avec les m u l t i p l e s i n s t i t u t i o n s de la f r a n c o p h o n i e ( vo i r p l us l o in les inst i t u t i o n s de la f r a n c o p h o n i e ) .

L idée d ' u n e c o m m u n a u t é f r a n c o p h o n e ava i t f a i t son c h e m i n d e p u i s ies années s o i x a n t e . D e p u i s 1962, e l l e ava i t t r o u v é en la p e r s o n n e de d e u x c h e f s d ' é l a t a rabe e t a f r i c a i n des a n i m a t e u r s é n e r g i q u e s . Dès l o r s , i l ne se passa pas une année sans q u ' u n nouveau j a i o n s o i t posé en v u e d i n s t i t u t i o n n a l i s e r la f r a n c o p h o n i e .

— 1966. Tanana r i ve . Pro je t de la c o m m u n a u t é f r a n c o p h o n e dans le cad re d u n e r e u n i o n d e l ' O . C . A . M .

— 1967. C r é a t i o n à Par is de l ' A s s o c i a t i o n de S o l i d a r i t é f r a n c o p h o n e . — 1968. C r é a t i o n à Par is du C o n s e i l I n t e rna t i ona l de la l angue f r a n ç a i s e .

(1 / Burundi. Cameroun. Côte d'Ivoire Dahomey, Gabon, Haute-Volta. Madagascar Mail, Niger, Ruanda, Sénégal, Tchad, Togo, Tunisls. '

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Réun ion à B r u x e l l e s des p a r l e m e n t a i r e s de langue f r a n ç a i s e .

Réun ion à Tunis du p r e m i e r c o n g r è s de la j e u n e s s e f r a n ç a i s e .

— 1ô69. C o n f é r e n c e des m i n i s t r e s de l ' éduca t i on f r a n c o p h o n e s à K i n s h a s a P r e m i è r e c o n f é r e n c e de N i a m e y des Eta ts f r a n c o p h o n e s (2) .

— 1970. C r é a t i o n à N i a m e y de l ' agence de c o o p é r a t i o n c u l t u r e l l e et t e c h n i q u e des pays f r a n c o p h o n e s .

Le p r é s i d e n t g u i n é e n S é k o u Touré a é té un des ra res c h e f s d ' é t a l a f r i c a i n s à avo i r d é n o n c é c e t t e esca lade de la f r a n c o p h o n i e en d é c l a r a n t qu ' i l s ' a g i s s a i t d ' une « t e n t a t i v e de t r a h i s o n des i n t é r ê t s a f r i c a i n s t ra d u i s a n t l a v i e i l l e v o l o n t é de m a i n t e n i r dans l ' e x p l o i t a t i o n les pays qu i v e u l e n t se l i b é r e r de la c o l o n i s a t i o n » (3) .

Nous n 'abo rdons pas , q u a n t à n o u s , ce s u j e t pa r ce qu ' i l f a u t se prononce r su r « les p r o b l è m e s de l ' heu re» . L 'année qu i es t en t r a i n de s ' écou ler a vu se d é r o u l e r au M a r o c des l u t t e s e s t u d i a n t i n e s e t l y c é e n n e s c a p i t a l e s quan t au c o n t e n u des r e m i s e s en q u e s t i o n e t des d é n o n c i a t i o n s qu i l es m o t i v a i e n t . S' i l e s t une c a r a c t é r i s t i q u e i m p o r t a n t e de ces l u t t e s qu ' on peu t r e l e v e r , c ' e s t b i en l e c o n t e n u c u l t u r e l avec t o u t ce que ce m o t en t ra îne a u j o u r d ' h u i pou r nous c o m m e p r o l o n g e m e n t s i d é o l o g i q u e s d e c o m b a t .

J a m a i s , au tan t que dans ces l u t t e s , les m y s t i f i c a t i o n s de la f ran c o p h o n i e ne s o n t appa rues auss i c l a i r e s , j a m a i s l a r e v e n d i c a t i o n d 'un e n s e i g n e m e n t e t d ' une c u l t u r e a rabes p o p u l a i r e s e t de l i b é r a t i o n n'a é t é f o r m u l é e avec au tan t d ' i n s i s t a n c e e t de d é c i s i o n . P a r a l l è l e m e n t , l a me nace de la f r a n c o p h o n i e n'a j a m a i s pa ru auss i m a n i f e s t e e t sa s i g n i f i c a t i o n auss i p o l i t i q u e que d e p u i s l ' o r i e n t a t i o n n o u v e l l e de l a s t r a t é g i e i m p é r i a l i s t e v is -à -v is de la n a t i o n a rabe .

C ' e s t à c e s t i t r e s d i v e r s que nous avons j u g é n é c e s s a i r e d ' o u v i n ce d o s s i e r en a p p o r t a n t q u e l q u e s é l é m e n t s de r é f l e x i o n q u i , nous l 'esp é r o n s , a m è n e r o n t u n d é b a t c o l l e c t i f .

SOUFFLES

(2) Renseignements d'après un document paru dans le journal "Le Monde", 14-15 Juin 19/0.

(3) Op. cit.

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francophonie et néo-colonialisme

par hassan benaddi

Les dern iers bou leversements dans le ran^or t des fo rces ent re les mouvements révo lu t ionnai res et la réact ion mondia le on t eu pour conséquence bien des rév is ions dans bien des s t ra tég ies . Contentons-nous de relever , à ce t égard, que l 'en l isement grandissant de l ' impér ia l isme amér i cain semble ouvr i r de nouveaux hor i zons et révei l ler de nouveaux appét i ts chez l ' impér ia l isme f rança is . Ce qui r isque de se t radu i re par des changements d 'a t t i tudes ou d 'or ientat ions Je cer ta ins pouvoi rs réact ionnai res des pays du T iers-Monde, qui peuvent vo i r en la France un al l ié plus in te l l i gent e t mo ins scandaleux. Sur tou t dans cer ta ines ex-colonies f rançaises, i l semble que l 'heure des grandes re t rouva i l les ai t sonné. Le grand tapage qu 'on fa i t depuis quelque t e m p s autour de la Francophonie s ' i nsc r i t dans ce t te op t ique .

Nous essaierons dans le présent ar t ic le d 'examiner les d i f fé ren ts aspects du prob lème que pose l 'appel de cer ta ins à la Francophonie. Nous nous s i îuerons aux niveaux po l i t ique, économique, l ingu is t ique e t cu l tu re l , tou t en tenant b ien sûr compte de leur recoupement (1 ) . Tout ce ia, pour démont re r que la Francophonie n'est qu 'un des aspects que revêt l 'exploita t ion néo-coloniale, sans oubl ier b ien sûr, en conc lus ion , d 'asqu isser la vo ie jus te pour une vér i tab le indépendance.

D'après la dé f in i t ion de G. de Bos-schère, le néo-colonia l isme es t «un t raves t i ssement de l 'a t t i tude t rad i t ionnel le du co lon isateur , l 'évolut ion super f i c ie l le de son ^comportement à l 'égard du co lon isé ou de l 'ex-colonisé, d ic tée par le souci de l 'assujet t i r par d 'autres moyens, non moins ef f icaces mais plus souples, de le re ten i r cap

t i f dans d 'autres l iens généra lement plus subt i l s» . Parmi ces l iens, le l ien cu l ture l et l ingu is t ique es t l'un des plus f o r t s . La confec t ion de pseudoé l i tes abso lument ass imi lées et onib i -l l ca lement l iées (économiquement ) à la France dans tou tes les ex-colonies const i tue pour ce t te dern ière un grand atout dans la lu t te cont re son év ic t ion par l ' impér ia l isme amér ica in . Cet te ent repr ise commencée depuis l 'ère coloniale et pro longée au-delà des «indépendances» n'a pas déçu les espoi rs de la mét ropo le . Parmi «ces beaux produi ts de la c iv i l i sa t ion occ identa le», la France t rouve aujourd 'hui d ' innombrables suDoorters qui anDiaudissent cha leureusement les déve loppements sur le lac de Paix et la b ienvei l lance de la pol i t ique f rançaise dans le monde arabe.

I l n'est donc pas besoin de s 'étendre sur la nature de la démarche de l 'ex-métropole dont la vo lon té d'assistance aux «pays Jeunes» et la «généros i té nature l le» ne t rompen t que le coopérant naïf. Une s imp le associat ion d ' idées nous fa i t évoquer ce t te descr ip t ion du co lon ia l isme naïf : «ce phénomène qui pousse même dans les plates-bandes de la gauche où l'on entend s i f r équemment évoquer les pér i ls de l ' indépendance quand i l s'ag i t de cel le des peuples co lon isés». Souvenons-nous à cet égard des réact ions que provoquèrent les p remières mani fes ta t ions du nat ional isme algér ien et des pos i t ions du P.C.F. d 'a lors.

Mais passons. Con t ra i rement à ce qu 'a f f i rme Guy de Bosschère, qui éc r i t dans l 'ar t ic le que nous venons de c i t e r : «Qu'au sein du Tiers-Monde se lèvent à leur tour et à l 'exemple de Frantz Fanon des hommes jus tes , pour d i re à ceux que le néo-colonia l isme a sédui ts , le t o r t i r réparable qu ' i ls causent à leurs peuples. Ma is i l fa l

lai t qu'auparavant, le séducteur f û t jugé et condamné», nous pensons qu' i l rev ient à chacun de s 'occuper des s iens.

Ce sont les ag issements de ceux qui fu rent «sédui ts» que nous nous proposons de s t igmat iser .

Essayons donc d 'analyser les arguments de ceux qui brand issent chez nous le drapeau de la f rancophonie . Nous en d is t inguerons deux catégor ies et notre ob jec t i f sera de déranger le sommei l naïf des uns et de dé noncer les manœuvres machiavél iques des aut res.

Cer ta ins sout iennent , en tou te bonne consc ience, que la langue n'est qu 'un ins t rument . Cet te a f f i rmat ion , t ou t en é ludant le prob lème de l 'aliénat ion l ingu is t ique, con t red i t une vér i té établ ie par les recherches de plus ieurs l ingu is tes. D'autre par t , s i e l le part d'une fo rmu le consc iemment métaphor ique chez les spéc ia l is tes , e l le dev ient essen t ie l lement idéologique du momen t que la métaphore cesse d'être cons idérée comme te l le . Le langage n'est qu 'un ins t rument de commun icat ion, d isent- i ls . Puis, fa isant un saut, on ne sa i t commen t i ls en arr i ven t à d i re que les langues sont interchangeables et partant , pour des raisons économiques ou socio-pol i t i ques ( rat t raper le retard techno log i q u e ) , i ls préconisent l 'adopt ion d'une langue ét rangère. Après tou t , ne nous polar isons pas sur un faux prob lème, s 'écr ient ces mess ieurs , la langue n'est qu 'un i ns t rumen t c o m m e un (autre. Nous demandons à ces hommes de bonne vo lon té d'en avoir su f f i samment pour l i re ceci : «Cer tes, i l es t pour une large part métaphor ique, écr i t F. François, de déf in i r la langue comme

(1) Il ne s'agit dans cet article que de quelques indications qui méritent d'être plus amplement développées et discutées

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un ins t rument . D'abord parce que la langue a beaucoup plus d 'u t i l i sa t ions que n'en a un ins t rument . A te l po int qu 'une des carac tér is t iques qui opposent les langues aux autres sys tèmes de s ignes est leur caractère un ive rse l : il n'y a rien qui ne puisse être dit en quelque langue que ce soit ... Ensui te, le langage n'est pas à not re d ispos i t ion comme un ins t rument es t censé l 'ê t re. En par t icu l ier , é tant donné que la p remière langue es t un i fo rmément appr ise dès la p remière enfance en même temps qu'une cer ta ine organisat ion du rée l , on peut se demander s' i l ne fau t pas pré férer l ' image de lunet tes dé fo rmantes à cel le de s imple ins t rument» . (La descr ip t ion l ingu is t ique in Le Langage. La P lé iade) .

I l apparaît de ce qui v ien t d 'ê t re d i t que la langue es t le vér i tab le suppor t d'une personnal i té co l lec t ive .

L'organisat ion du rée l , n 'étant jamais une ent repr ise so l i ta i re , s 'opère dans et par la langue. Et comme bien sûr, ce t te en t repr ise réagi t d ia lect ique-ment sur le su jet , i l en va de tou te sa pensée et de tou te sa sens ib i l i té . Le drame des enfants fo rcés à apprendre une langue ét rangère dès la plus tendre enfance témoiane de tou tes les per turbat ions qui peuvent a f fec ter le processus de s t ruc tu ra t ion du M o i .

Ceci é tant , car le processus d'acqu is i t ion d 'une langue materne l le est b ien spéc i f ique . I l s 'opère tou jours à t ravers l 'expér ience d i rec te , la s i tuat i on vécue de façon imméd ia te . Par con t re , dans celu i de l 'apprent issage d'une langue ét rangère, il y a tou jours une média t isa t ion de l 'expér ience par la créat ion de s i tuat ions ar t i f i c ie l les .

La langue materne l le plonge l ' indiv idu dans la sève de sa propre cu l ture. La langue ét rangère, quand el le s ' impose aux dépens de cel le-c i , procure une par t ic ipat ion al térée à une cu l tu re é t rangère . Nous voi là donc bien loin de l ' innocente neut ra l i té du s imp le ins t rument de commun ica t ion .

Cependant , ces mess ieurs de bonne vo lon té sont t rop soucieux de la s i

tua t ion a larmante du pays pour que ces quelques inconvén ients psychocu l tu re ls les fassent reculer . Le f rançais es t la langue des sc iences et des techn iques. Nous leur démontrerons plus lo in qu ' i ls sont f rappés d'amnésie. Contentons-nous pour le moment de leur d i re que la fo rmat ion d'une é l i te de techn ic iens ne peut pas plus résoudre les prob lèmes économiques d un pays qu'une bonne dent i t ion ne garant i t la bonne d iges t ion . Car les techn iques sont exac tement comme un a l iment que tou te la société est appelée à d igérer et à ass imiler. Et pour ce fa i re , e l le a essent ie l lement besoin de l iber té . Une soc ié té repr imée n 'assimi le pas plus qu 'e l le ne crée et produ i t . Tranqui l l isez-vous donc, mess ieurs , i l n'y a po int de retard techno log ique à rat t raper, mais il y a une l iber té à conquér i r et ceci n'est po int vo t re af fa i re . C'est dans le processus de l ibérat ion des couches labor ieuses que les techn iques s'ass im i len t ou se créent . Tout le reste n'est que bavardage de technocra tes ! Ceci so i t d i t pour la f ine f leur de nos jeunes cadres dont la bonne volonté aveugle n'est que pour fa i re le jeu des machiavels .

Ce? dern iers en e f fe t , reprennent tous ces arguments sans se préoccuper de fa i re le même e f fo r t s incère mais combien er roné, pour le démont rer . Ils f on t p lus. Une vér i tab le croisade cont re la langue nat ionale est en t repr ise . Et voi là que l 'oubl i s imulé v ien t t rôner ma jes tueusement sur l ' ímnés ie que nous avons s ignalée plus haut : l 'arabe n'est pas langue de sc ience : Khawar izmi , Ibn Sina, Ibn Khaldoun n'ont jamais ex is té . Cette langue du Coran ne peut expr imer que la mend ic i té des poètes de palais. Un jeune candidat au doctora t (consei l lé par ses maî t res de Sorbonne, b ien sûr ! ) se proposai t de le démont re r . L'arabe ne possède pas le verbe ê t re : même la phi losophie moderne sera i t inconcevable i c i . Comment peut-on rendre le cog i to dans cet te langue mor te ? Une langue qui remplace l'Etre s tat ique par le deveni r est v ra iment une langue déf ic ien te aux yeux de l ' idéal isme rét rograde des

sorbonnicards qui consei l la ient notre fu tur docteur ès -mys t i f i ca t ion .

Ma is venons-en au fond du problème . Nous d isons que la f rancophonie cons t i tue une pièce maî t resse dans la s t ra tég ie néo-coloniale. Si nous nous sommes at tardés à d iscuter un certa in nombre d 'a rguments , ce n'est pas parce que nous les pren ions au sér ieux, mais un iquement pour év i te r que d 'autres ne s'y la issent prendre. Quant à nous, de par notre expér ience de co lon isés, nous avons appr is à d is t inguer der r iè re les sermons sacro-saints ou les "analyses ob ject ives» les vér i tab les in tent ions de l 'ennemi : Francophonie pour nous va tou t nature l lement avec Lac de Paix et Marché Commun ; la somme s ign i f ian t la résur rec t ion de l 'Empire f rançais . Par conséquent , seu l s peuven t prêcher ce t te «accul turat ion fo rcée», comme orraient cer ta ins miss ionnai res , ceux qui sont i n t imement l iés au néo-colon ia l isme ou ceux qui déjà t i ren t de l 'usage de la langue f rançaise des avantages bureaucrat iques. Préconiser la f rancophonie dans le cadre d'un ense ignement de c lasse dest iné à former une él i te de technocra tes , c 'est vou lo i r t ou t s imp lemen t perpétuer le sys tème de relais de dominat ion entre l 'ancienne mét ropo le et les peuples exp lo i tés . Ic i , la langue s ' Intégre tour à tou r à l ' in f ras t ruc ture et à la supers t ruc tu re . Quand Stal ine a f f i rma i t le cont ra i re , ses propos por ta ient sur le cas d'une langue nat ionale. Les choses sont b ien d i f fé ren tes dans un contex te néo-colonial . Cependant, le même Stal ine n'a pas manqué de soul igner que, quand une langue dev ient une langue d'une c lasse exc lus ivement , el le dégénère en jargon : ce qui s 'appl ique par fa i tement eu f rançais chez nous. Aux yeux du paysan marocain par exemple , ce que baragouinent deux jeunes enquêteurs es t à la fo is source d ' inquiétude et d'émerve i l l ement : i l s 'émerve i l le parce que ce verbe incompréhens ib le procure le pouvoir , mais s ' inqu iè te parce que ce pouvoir ne lui est jamais favorab le . Le f rancophone devient donc une sorte de sorc ier détenant un pouvoir dont la nature, après quinze années d'ex-

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pét ience, s 'est révélée pius malé f i que qu'autre chose.

La f rancophonie donc ne peut s ' inscr i re que dans une po l i t ique ant i démocra t ique. Elle est non-sens dans le cadre d'une or ien ta t ion de masse parce qu'e l le s ign i f ie ra i t ass imi la t ion pure et s imp le de tou t un peuple.

La seule vole jus te est la promo t ion de la langue nat ionale, ce qui ne peut se faire que dans le cadre d une d is t r ibu t ion démocrat ique du savoir . Une arabisat ion d 'é l i te , te l le qu'e l le est préconisée par notre chét ive bourgeois ie locale (nous écar tons volonta i rement le concept de bourgeois ie nat ionale) (2 ) , ne résout en r ien nos prob lèmes. Car si nous disons non a la Francophonie, c 'est essent ie l lement au nom de notre un i té cu l tu re l le . Cette uni té cu l tu re l le ne peut émerger que d'un processus de l ibérat ion à

t ravers un combat populaire qui s' insc r i t tou t normalement dans le processus arabe g lobal . Not re arabisme à son tour n'est pas chauv in isme, mais condi t ion nécessaire de tou te l ibérat ion vér i tab le . Nous a f f i rmons cela t ou t en sachant que nous cont inuons tou jours à ê t re ces hommes dont parlai t Fanon en ces te rmes : «Parce qu ' i ls se rendent compte qu ' i ls sont en t ra in de se perdre, donc d 'êt re perdus pour leur peuole, ces hommes, la rage au cœur et le cerveau fou , s 'acharnent à reprendre contact avec la sove la plus ancienne et 'a n'ns anté-colomale de leur peuple». Si nous avons t rouvé notre ident i té dans l'ara-b isme, nous savons que c'est là aussi notre dest in qui se forge à t ravers la même lut te contre le même enneirr impér ia lo-s ion is te. C 'est ce t te lut te de surcroî t qui nous ouvre des hor izons plus larges : la revendicat ion de notre

apcc i l i c i tô arabe est la première pier re que nous proposons comme part i c ipat ion à la cons t ruc t ion d'un internat iona l isme authent ique.

Après cela, c lamons- le encore : nous sommes cont re la Francophonie et seuls les mess ieurs Jourdain du néo-colonial isme oseront désormais nous t ra i te r de f rancophobes.

(2) Nous ne pouvons parler de bourgeoisie nationale, oe::e-c¡ étant incapable d'assumer le destin national. Tout en réservant cette question à un débat ultérieur, nous citons à titre d'exemple un organe de la presse bour geoise (Al Alam At-Taqafi) qui, comme la page littéraire du quotidien Al Alam d'ailleurs, assure à la pénétration culturelle oc-cidentalo-bourgeolse une excellente voie d'infiltration : nous >• trouvons tous les détru is de I existentialisme sartrien, de l'absurde camuôiei, oien traduits et mal digérés. Les responsables de ces organes ne semblent relever aucune contradiction entre cette Idéologie et le lyrisme nationaliste dont ils ne cessent de nous gratifier.

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la francophonie contre le développement

par abraham serfaty

I l e s t d ' usage de s o u t e n i r que

l ' u t i l i s a t i o n de la l angue f r a n

ça i se es t une n é c e s s i t é par rap

p o r t à la l angue a rabe l o r s q u '

on se p l ace dans l ' op t i que du

d é v e l o p p e m e n t , e t p l u s p a r t i

c u l i è r e m e n t , d u p r o g r è s s c i e n

t i f i q u e e t t e c h n i q u e . C ' es t ce

p o i n t de v u e que nous a l l ons

d i s c u t e r .

Tout d ' a b o r d , i l nous f a u t par

t i r d une d é f i n i t i o n du d é v e l o p

p e m e n t . Lors de n o t r e p a r t i c i

pa t i on au s é m i n a i r e su r le Dé

v e l o p p e m e n t o r g a n i s é il y a

d e u x ans par l ' I n s t i t u t de So

c i o l o g i e , nous a v i o n s c r i t i q u é

la d é m a r c h e c o n s i s t a n t à con

s i d é r e r l e d é v e l o p p e m e n t c o m

m e une i m p o r t a t i o n d e t e c h n i

q u e s , c o n s i d é r a n t l e déve lop

p e m e n t c o m m e une t e c h n i q u e ,

e t m o n t r é que , p r é c i s é m e n t

dans l ' ob j ec t i f du p r o g r è s s c i e n

t i f i q u e e t t e c h n i q u e , l e déve lop

p e m e n t s ' i d e n t i f i e à l ' é m e r g e n

ce des p o t e n t i e l s c r é a t e u r s de

l ' e n s e m b l e de la s o c i é t é .

Je r a p p e l l e ; a f o r m u l a t i o n à

la q u e l l e nous a v i o n s abou t i :

«Le D é v e l o p p e m e n t e s t l 'émer

g e n c e et l ' é p a n o u i s s e m e n t , à

t r a ^ e i s l ' e f f o r t d e m a î t r i s e c o n -

sci3nte e t t o u j o u r s p lus pous

s é e d u r é e l , e f f o r t c o n s t i t u a n t

le c h a m p de f o r c e s de la c réa

t i o n c o l l e c t i v e , des é n e r g i e s

c r é a t r i c e s d e l ' e n s e m b l e des

ê t r e s h u m a i n s de la s o c i é t é » ( 1 )

Tel e s t donc 'e p o i n t de dé

par t de n o t r e r é f l e x i o n . ' Dans

ce c a d r e , c o m m e n t se pose l e

p r o b l è m e du l angage , e t conc

r è t e m e n t , d e l ' o r i e n t a t i o n p ré

c o n i s a n t l e s u p p o r t du f r a n ç a i s

pour l ' e n s e i g n e m e n t des s c i e n

c e s e t l a f o r m a t i o n de l ' esp r i t

s c i e n t i f i q u e ?

i M Langage et p e n s é e

La première quest ion qui se pose est cel le des rappor ts entre le langage et la pensée.

1) Le langage est- i l la fo rme de communica t ion de la pensée ? C'est év idemment le sen t imen t général . Mais d'où v ien t ce sen t iment général ? N'est-i l pas lu i -même le re f le t idéologique de tou te une s t ruc tu re soc ia le, l 'expression de tou te une concept ion de la cu l ture et des hommes?

En e f fe t , quel le concept ion cu l turel le et sociale recouvre ce l t e expression «communicat ion de la pensée»? La concept ion , remontant aux premières soc ié tés d 'exp lo i ta t ion do l 'homme par l 'homme, que la pensée est réservée à une é l i te , à la c lasse dominante . Cer tes la c lasse dominante , propr ié ta i re des moyens de produc t ion , des te r res , maî t resse de l'apparei l d'Etat, u t i l i se p lu tô t ces moyens à ses propres jou issances, et de moins en moins à la pensée. Auss i développe-t-el le le corps des mandar ins. Scr ibes de l 'époque pharaonique, phi losophes de la Grèce esc lavagis te, mandar ins des Empires ch ino is , prêtres du temp le que dénonçaient Jé-rémle et Jésus et Oulamas que dé

nonçaient Al-Ghazal i et le Fqih Moi> lay Larbi A laoul et aujourd 'hui ces nouveaux et innombrables mandar ins qui vont de ces pro fesseurs d 'Univers i té t remb lan t devant le pouvoi r au Colloque d' I f rane aux technocrates Imbus d 'e f f icac i té et des «cher ami» du Grand Patronat in terna. iona l .

Ce Professeur, ainsi doué de Pensée, la répand du haut de sa chaire par la parole, par le langage. Cet te ven te ainsi reçue, emmagasinée, t r iée, serv i ra de règle dé f in i t i ve à l 'act ion. Le cadre supér ieur ainsi f o rmé , ingénieur, chef de serv ice, n'a plus comme fonc t ion dans sa v ie que t rans fo rmer des d i rec ' i ons générales en ordres par t icu l ie rs , et, en sens inverse, rendre compte . Le langage, oral ou écr i t , no dev ient plus communicat ion de la Pensée, mais comme on d i t maintenant , communica t ion de l ' In format ion.

L 'about issement de cet te concept ion mi l lénai re est la cybernét ique, dont la racine grecque s ign i f ie gouverner. Comme l 'écr i t N. Wiener , fondateur de cet te pseudo-science, «Quand je donne un ordre à une machine, la s i tuat ion ne d i f fè re pas fondamentalement de cel le qui se présente quand je donne un ordre à une personne»(2)

On conçoi t ici le mér i te de la clarté , des phrases brèves, du sujet agissant sur l 'objet par l ' In termédia i re au verbe . La c lar té car tés ienne est cel le de l 'ordre.

A ins i Wiener nous apprend que si lés Indiens d 'Amér ique ont été dépossédés de leurs te r res par les colons anglo-saxons, c 'éta i t , out re l 'ef fet de la cont ra in te , par su i te «d'une injus t i ce sémant ique peut-être encore plus grave» ( ! ) . Et de nous expl i -

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quer que «Peuple de chasseurs, les Indiens n'avaient aucune concept ion de propr ié té ind iv iduel le de la ter re. S' i ls comprena ient bien la not ion de dro i ts de chasse sur des te r r i t o i res dé te rminés , pour eux la not ion de possession en tou te propr ié té n 'ex is ta i t point . Dans leurs t ra i tés avec les colons, ce qu ' i ls entendaient céder, c'éta ient des dro i ts de chasse, généralement des dro i ts de chasse dans certa ines régions. Par con t re , les Blancs éta ient persuadés, si l'on donne à leur condui te l ' in terpréta t ion la plus favorable, que les Indiens leur cédaient des dro i ts de possess ion en tou te propr ié té» .

On vo i t les avantages d'une longue clai re et de la noSion de possess ion. Au jourd 'hu i heureusement , de te l les " ' in just ices sémant iques» peuvent être définitivement écar tées. Pour év i ter les fa i l les qui subs is tera ient à la c lar té car tés ienne se développe le langage-machine. Cobol , For t ran, A l gol , nous permet t ron t , pe rmet ten t à la c iv i l i sa t ion oce lden 'a le de d isposer d 'o id ina teurs à la tê te , de machines (ou d 'hommes-mach ines) à l 'autre

ex t rémi té ; ainsi oeut-on des wee!< ends en Flor ide, fa i re part au monde du résu l ta t des calculs de l 'ordinateur qui ont décidé l ' in tervent ion au Cambodge ou la l ivra ison de Phantom aux s ion is tes .

A joutons que cet te démarche n'est pas seu lement co lon ia l is te . Elle est , ce qui se re jo int , une a t t i tude de classe, e l le expr ime le mépr is des hommes ancré dans la pensée bourgeo ise, et en même temps , la pauvreté d'espr i t de ce t te pensée. Un ancien minist re f rançais de l 'Education nat ionale, A. Peyref i t te , expr ima i t , avec un cyn isme d'un autre temps , ce t te pensée, dans un débat qui l 'opposait le 2 ju in 1967 à deux députés du PCF : s 'appuyant sur une aussi haute auto r i te sc ien t i f ique que... Paul B o u r g e t ( l ) , M. Peyref i t te déclara i t : «Acceptez de voi r la réa l l 'é en face et considérez que l 'évolut ion d'une soc ié té n'est pas pra t iquement plus compress ib le que le temps des saisons et le temps des générat ions ... ce qui compte le plus dans le progrès in te l lec tue l , ce qui commande l 'agi l i té de la pensée :

la fac i l i té de s 'expr imer , ce t te facil i té d 'é locut ion sur laquel le beaucoup d'entre nous ont ins is té et qui fa i t qu'un f i ls d 'ouvr ier , f o rmé depuis l'âge le plus tendre par son père, a plus de d i f f i cu l tés pour s 'expr imer qu 'un f i l s d 'avocat. Vous n'y pouvez r ien , c 'est comme cela». [C i t é en ( 3 ) ] Comment penser que ces gens-là et leurs émules locaux aient quelque conf iance dans les poss ib i l i tés in te l lec tue l les du f i l s du chômeur ou du paysan arabe !

I l fau t soul igner que la logique de cet te démarche ne condui t même plus à la f rancophonie , mais à quelque chose comme la For t ranophonie. Et encore suf f i ra i t - i l d'y in i t .er quelques-uns, ceux j us temen t de l 'él i te locale jugés dignes d'accéder à ces mystères. Quant aux autres, leur place est tou te t racée T d a n s e u r s e t joueurs de fo lk lore pour les tour is tes de la c i v i l i sa t ion des lo is i rs et du napalm.

Est-il besoin d 'a jouter que ce t te démarche es t sans issue. Les progrès de la sc ience rendent au contra i re impérat i fs l 'accès de tous au pouvoir créateur , le changement des bases socia les et cu l tu re l les qui en interd isent l 'accès et, dans ce cadre, le déve loppement du langage comme dialogue créateur .

2) G. Moun ier , dans une bel le é tude sur Langage et Communica t ion (4 ) , mont re qu' i l y a quelque imprudence à écr i re comme Lévi-Strauss que «les régies du mar iage et de la parenté servent à assurer la communica t ion des femmes entre les groupes, comme les règles économiques servent à assurer la communica t ion des biens et serv ices, et les régies l inguis t iques la communica t ion des messages» . Moun ie r préc ise que le l ingu is te qui parle de communica t ion l inguis t ique «vise tou jours une opérat ion qui compor te d'une part la carac tér is t ique de i ' in le rcompré l iens ion vér i f iab le par la praxis tou tes les fo l s que c 'est abso lument nécessaire ; et d 'autre part l 'a l ternance qui fa i t que le locuteur peut deveni r audi teur , et l 'auditeur locuteur».

I l s 'agi t déjà d'autre chose que du rapport c lassique Maître-Elève, Sujet-Objet . Nous pensons que l'on peut et

l'on do i t a l ler p lus lo in . L'essence de l 'homme étant sa capaci té créat r ice, l 'essence du Développement étant l 'épanouissement des capaci tés créatr ices de tons les hommes, le langage dev ien t le support de cet te créat ion co l lec t ive , de ce t te recherche co l lec t i ve .

Mais s' i l y a recherche et c réat ion co l lec t ives , la fo rme même du langage, s inon sa s t ruc tu re , se mod i f ie . I l ne s'agit plus d 'expr imer des proposit ions c la i res, mais une pensée en ges ta t ion , avec ce qu 'e l le cont ien t encore d 'obscur i tés . Ou p lu tôt , d isons que les concepts mêmes de c lar té et d 'obscur i té sont à remet t re en cause. Une des lois fondamenta les de la nature é tant l 'unité des cont ra i res , dans le mouvement même de la nature, dans le combat , physique et inte l lectue l , de l 'homme pour maî t r iser la nature, le mouvement est incessant entre le clair et l 'obscur, ent re le posit i f et le négat i f . Précisons : ce mouvement est va in s' i l est sco last ique, s' i l es t celu i des jeux in te l lec tue ls détachés du rée l , détachés de l 'act ion t rans fo rmat r i ce de la nature. Par contre, intégré à ce t te ac t ion, le mouvement incessant de l ' in te l l igence humaine, de l ' in te l l igence co l lec t ive des hommes, tend à fa i re émerger de l 'obscur i té env i ronnante des concepts non pas c la i rs mais éc la i rants , des guides pour l 'act ion t rans fo rmat r i ce , des hypo-thèses mobi l i sa t r ices des hommes et des ré f lex ions pour la t rans fo rmat ion de la nature et de la soc ié té . Ces guides, ces concepts , l iés à ce t te not ion , révè lent , dans la mesure même où i ls dev iennent réal i té , de nouvel les obscur i tés sous-jacentes . Le mouvement , incessant , de la pensée et de l 'act ion, se poursu i t .

A ins i une phrase c la i re , qui se suff i ra à e l le-même comme phrase c la i re , peut être la consécra t ion , dans tous les sens du te rme , d'un état de fa i t , la communica t ion d'un fa i t , mais en tant qu 'express ion de la pensée, n'exp r ime plus qu 'une pensée scolast i que, ou, ce qui rev ient au même, une pensée s téréotypée, achevée, automat i sée et automat isab le . J. Leray parlant de l ' invent ion en mathémat iques (5 ) , écr i t : «Quand la per fec t ion sem-

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ble a t te in te , c 'est que l ' imaginat ion et l 'érudi t ion sont épuisées». Un autre chercheur, b io log is te et phi losophe à la fo is , M. Cury, rend ce passage de la ré f lex ion profonde S l 'expression fo rme l le , en par lant du «contraste entre le t ravai l en laborato i re et l 'expression u l té r ieure de ce t rava i l . Tout se passe comme s i , pendant s ix mois le savant met ta i t pour ainsi d i re le monde à l 'envers, bouleversa i t les s ign i f i ca t ions les cons idéra i t dans leur ambiguï té , bouscula i t tou tes les habi tudes. Et vo ic i main tenant qu' i l parle et le langage l 'obl ige à fe indre de tou t remet t re à l 'endroi t» ( 6 ) .

Une pensée r iche, tendue vers l'act ion t rans fo rmat r i ce , expr imée part ie l lement par les mo ts , susc i te la réflex ion, l ' in ter rogat ion, joue , l i t téra lement un rôle de détonateur in te l lec tue l pour l 'auditeur qui est e f fec t i vemen t in ter locuteur , dont la pensée est également tendue vers ce t te même act ion . .

Prenons un exemple concret . Lorsque Lénine lançait , le 4 avri l 1917, le mot d 'ordre «Tout le pouvoir aux Sov ie ts», les in te l lec tue ls pet i ts-bourgeois qui s 'a f f icha ient comme révolu t ionnai res, qu ' i ls so ient menchév iks ou bo lchev iks , mais qui n'avaient pas dépassé le cadre de la pensée posit i v i s te , f i r en t des gorges chaudes, c r iè ren t à l 'absurde. Mais pour les ouvr iers , les paysans et les soldats de Russie qui v iva ient la réal i té sous-jacente, cel le que fa isa i t éc later Lénine, ce mo t d 'ordre , qui n 'étai t cer tes pas une p'hrase car tés ienne, et qui expr ima i t tou t le potent i e l de ce t te réal i té sous-jacente , devenai t une pensée mobi l i sat r ice, une idée qu i , comme chacun sai t , a ébranlé et n'a pas cessé, depuis, d 'ébranler le monde.

Dans l 'h is to i re des Sciences, pour ne prendre qu 'un exemple parmi des centa ines, on sai t que la théor ie de la re la t iv i té s 'est heur tée au scept i c i sme d'une large part ie de la communauté sc ien t i f ique d 'a lors. L'un des mathémat ic iens qui aurai t pu lu i -même êt re le plus proche de cet te découver te , Henri Poincaré, n'a pu la comprendre du fa i t de sa fo rmat ion cartés ienne.

Ce qui précède expl ique également le rô le, i r remplaçable, de i'exp-ression ar t is t ique et poét ique lorsqu 'e l le procède de cet te même tens ion. M.Cury écr i t : «autant une fausse se sc ience s 'oppose à une fausse poésie, autant une vér i tab le sc ience est ex t raord ina i rement proche d'une vér i tab le recherche poét ique» (6 ) . Ceci expl ique aussi que, quel le que so i t la r ichesse d'une langue, e l le est toujours in fér ieure aux potent ia l i tés de la pensée. Mais ceci expl ique par là-même que les c r i tè res qui ont pu amener un Louis Mass ignon à écr i re «ces langues indo-européennes ne sont fa i tes que pour expr imer l 'act ion du monde extér ieur ; la langue f rançaise c 'est le jard in de l ' in te l l igence où nous promènent les auteurs classiques», en opposant ces langues aux langues sémi t iques qui «sont fa i tes pour une contempla t ion in tér ieure , de même que le jard in sémi t ique est un aéser t en fermé entre quatre murs , au mi l ieu duquel on fa i t ja i l l i r une source» (7 ) , ceci expl ique que ces cr i tè res ne reposent que sur tou tes les fausses concept ions insuf f lées aux inte l lec tue ls , même les plus honnêtes, mais qui res tent des in te l lec tue ls bourgeois , par la Cul ture Occ identa le impér ia l i s te .

3) L 'expl icat ion sc ien t i f ique du phénomène du langage re jo int les textes sacrés. Ibn Khaldoun écr iva i t : «Dieu a d is t ingué l 'homme de tous les autres animaux en lui accordant la ré f lex ion , facul té qui marque le commencement de la per fec t ib i l i té humaine et l 'achèvement de la supér ior i té de l 'homme sur les autres êtres ainsi que sa noblesse».

Le grand mathémat ic ien Dedeklnd expr ima i t ainsi ce t te même pensée profonde : «Nous sommes de race di v ine et possédons le pouvoi r de créer». Ce pouvoir de créer est le f ru i t d'un procebsus d'un mi l l ion d'années pendant lequel « l 'homme développai t son habi leté dans la fabr icat ion des out i ls et t rès probablement son sens soc ia l , son in te l l igence et sa sensibil i t é - (8 ) . L'homo sapiens, i nomme actue l , émerge^ de ce processus i l y a 40 à 50.000 années. J. Hawkes (8) d is t ingue la pér iode «entre 40.000 et

8.000 avant J.C. comme la grande pér iode de fo rmat ion des races humaines. C'est alors que l 'homo sapiens (après une notable concent ra t ion de populat ion et peut-être d 'organisat ion sociale qui put avoir l ieu en A f r ique septent r iona le et centra le ou en As ie Mineure , e t qui fu t cer ta inement renouvelée cons tamment dans des centres secondaires) se répandi t dans tou t l 'ancien monde et passa ensu i te en Amér ioue» . J. Hawkes ajoute «Le solei l et le ge l , la fo rê t et la plaine, Vhumidi té et sécheresse, l 'a l t i tude et la la t i tude, les ressources en eau et en nour r i tu re , un hér i tage var iable venant d'un passé plus reculé et les mouvements fo r tu i t s des peuples, tou t ceci cont r ibuera pendant ces mi l lénai res à donner à not re espèce les diffé rences de ta i l le et de p ropor t ion , la s t ruc tu re faciale et la couleur de peau, de te in te et de tex tu re de cheveux qui fon t la r ichesse et la var ié té de l 'espèce humaine», et J. Hawkes p téc isc : «tout en restant une espèce unique».

Le l inguis te F. François about i t à une ré f lex ion s imi la i re sur ie langage (9) : «Quels que so ient leu is techniques, leurs ins t i tu t ions et leurs modes de v ie , tous les groupes hu-r a i n s ont à jour d ispos i t ion au moins un sys tème de s ignes qui se rapproc h e su f f i samment de ceux ut i l i sés dans les autres croupes peu qu 'on puisse tous les appeler du a. ,n commun de langues. Les langues oe dist inguent tou tes , par a i l leurs, des ton-gages animaux, ainsi que des langues ar t i f i c ie l les inven 'ées par l 'homme. Ce qui est remarquable, c 'est à la fo is l 'un iversal i té du phénomène ei la d i vers i té des fo rmes qu' i l p rend. Son un iversa l i té , parce qu' i l n'est pas évident que tout groupe reconnu par a i l leurs comme humain d»Vv« se se» vir d'une langue. Sa d ivers i té , parce qu'on ne comprend pas a pr ior i pourquoi ces langues do ivent être aussi d i f fé ren tes qu 'e l les ie sont».

Si l'on ne comprend pas a pr ior i cet te d ivers i té des langues l 'expl icat ion de J. Hawkes s appl ique également au langage.

I l résu l te de cet te compréhens ion de l 'or igine de l 'homme, de la corn-

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préhension de ce qui fa i t à la fo is son un ic i té fondamenta le et sa d ivers i té apparente, d 'une part , mais aussi de la cr»~~*éhension des rappor ts ent re langage et pensée qu ' i l n'y a pas de langue supér ieure à une aut re . F. François reconnaît : «Il n'y a r ien qui ns puisse êt re d i t en quelque langue que ce so i t» . I l es t vra i que sa format ion car tés ienne l 'amène à a jouter : «Cela en préc isant que «dit» ne sign i f ie pas «rendu par fa i ' ement expl i c i te». Nous renvoyons pour le commenta i re de cet te préc is ion au début de cet te é tude.

4} Mais cela ne s ign i f ie pas que les langues sont in terchangeables . Préc isément parce que l 'épanouissement de l ' in te l l igence humaine est le f ru i t d'un processus de p lus ieurs d i zaines de mi l l i e rs d 'années, i l n'est pas possib le de d issoc ier le développement de l ' in te l l igence chez l 'enfant de t ou t son mi l ieu , de tou t ce passé.

Là n o u c devons une fo is de plus renvover aux t ravaux fondamentaux de J. Piaget et de son école sur la psychologie de l ' Inte l l igence (10) .

Les s t ruc tu res de l ' In te l l igence que Piaget a pu déf in i r sont acquises è 12 ans comme le f r u i t d'un procès sus qui se développe depuis la naissance, sans compter le processus biologique antér ieur . Ce processus est psychogénét ique, c'est-à-dire qu' i l se t radu i t au niveau du déve loppement psychique par un mouvement dialect ique permanent entre le su iet et l'obje t , ent re les s t ruc tu res psychiques et l 'env i ronnement , mouvement qui fa i t progresser ces s t ruc tu res psych iques, de t rans fo rmat ion en t rans fo rmat ion , de genèse en genèse, vers les s t ruc tu res de l ' Intel l igence conceptue l le .

Piaget résume ainsi le processus d'où su i g i t la s t ruc ture de l ' in te l l igence conceDtuelle : «Cet te s t ruc tu re , qui apparait vers douze ans, est donc préparée par des s t ruc tu res plus élémenta i res , qui ne présentent pas le même caractère de s t ruc tu re to ta le , mais des caractères par t ie ls qui se syn thé t i seron t ensu i te en une structure f ina le . Ces g roupements de classes ou de re lat ions dont on peut analyser l 'u t i l isat ion par l 'enfant ent re

sept et douze ans, sont eux-mêmes préparés par des s t ruc tu res encore o'us é lémenta i res , non encore logiques, mais pré log iques, sous fo rme d ' in tu i t ions ar t icu lées, de régulat ions représen 'a t i ves , qui n 'of f rent qu'une semi- révers ib i l i té . La genèse de ces s t ruc tu res renvoie au niveau senson-moteur qui est antér ieur au tangage, et où l'on t rouve déjà tou te une s t ruc tu ra t ion , sous la fo rme de const ruc t ion de l 'espace, de groupes de déplacement , d 'objets permanents,etc. . Is t ruc tura t ion qu 'on peut cons idére i comme le po int de départ de tou te la logique u l t é r i eu re ) . Au t rement d i t , chaque fo is que l'on a af fa i re à une s t ruc ture en psychologie de l ' intel l i gence, on peut tou jours en ret racer la genèse à part i r d 'autres structu res plus é lémenta i res , qui ne cons t i tuen t pas e l les-mêmes des -commencements absolus, mais dér ivent , par une genèse antér ieure , des st ructu res encore plus é lémenta i res , et ainsi de su i te , à l ' in f in i .

Je dis a l ' in f in i , mais le psychologue s 'arrêtera à la naissance» (0 ) .

Ic i , à propos des racines b io log i ques prénata les, nous devons nous é lever con t re tou te i n te rp ré ta t i on raciale ou du type « hé r l é d i t é des caractères acquis» chez l 'homme qui re jo in t l ' in terpréta t ion raciale. M. Salvat, dans son beau l ivré ( 3 ) , rappel le les preuves i r ré fu tab les de l ' in-poss ib i l i té d 'établ i r un l ien b io logique entre l ' in te l l igence des parents et cel le dos enfants . Et pourtant , i ' in te l l igonce a bien un enrac inement b io log ique. Une étude récente du phi losophe vietnamien Tran-Duc-Thao (11) nous met sur la vo ie d'une expl icat ion cohérente . Ce te étude nous révèle que le cheminement de l 'enfant vers le langage reprodui t en raccourc i l 'évolut ion du préhomin ien vers l 'homo sapiens, exac tement comme l 'évolut ion du foetus rappel le cel le de l 'évolut ion des espèces ! A ins i le «caractère acquis» prov ient d'un processus de un mi l l ion d'années ! Le mi l l i on d'années qui a donné l 'homo sapiens est Insc r i t dans la mémoi re biologique de l 'enfant à sa naissance. Ma is en même temps , ceci es t cohérent avec les

preuves rappelées par M. Saivst et avec ce que nous rappel ions plus haut de l 'unici té fondamenta le do i'e«-pèce humaine.

A ins i t ou t enfant , à sa naissance, a les mêmes potent ie ls in te l lec tue ls . Comment se développent- i ls ?

Nous pouvons résumer air;si les résul ta ts des t ravaux de Piaget sur la genèse de 1'inteli igcnce :

a) la cons t ruc t ion de l ' in te l l igence repose sur les s t ruc tu res acquises par l 'enfant avant l 'acquis i t ion du langage dans son mi l ieu cu l tu re l ,

b) l 'acquis i t ion du langage maternel fa i t passer ce déve loppement structure l à un nouveau stade tout en étant in tégré à ce déve loppement ;

c) le déve loppement de h n t e l l i -gence de 2 à 12 ans comprend quatre stades pr inc ipaux reposant notamment sur le déve loppement de ia pensée in tu i t i ve et la s t ruc tu ra t ion , sous fo rme d 'opérat ions concrè tes , des groupements opérato i res de la pensée qu i , au stade u l tér ieur d 'opérat ions abst ra i tes , caractér isent l ' in te l l igence.

Cet te pensée in tu i t ive et ces groupements opérato i res concre ts dépendent autant, s inon plus, de l 'environnement matér ie l et culturfci q_ie de l 'apport mécanis te de la soolùr i . ja t io i i .

Cet te cons t ruc t ion impose l 'uni té cu l tu re l le e t donc l i n g u i s t i q u e , de l 'école et de l 'env i ionnei i ient .

d) L ' Intel l igence conceptue l le est s t ruc tu rée à 12 ans. Elle repose, ainsi que son épanouissement u l tér ieur , sur tou te ce t te s t ruc tu ra t ion anter ieu .

5) Mais ce n'est pas tou t . Piaget, à part i r de ses t ravaux plus récents , a joute : «pour autant que la construct ion de ce i te s t ruc tu re coïncide avec le momen t où chez nous 1 ind iv idu de v ient in te l lec tue l lement adul te , ce t te s t ruc tu re f ina le est en même temps in i t ia le par rapport à la su i te du dé ve loppement soc iogénét ique et culture l , se poursu ivant de générat ion en générat ion». [ c i té par C. Novinski In (5) ] .

Nous devons ici soul igner quelques po in ts . Tout d 'abord, Piaget se garde d'al ler au-delà du champ social

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qu' i l a pu observer lu i -même. M,:is si l'on consta te , comme nous l 'avons déjà indiqué, que ce processus de s t ruc tu ra t ion dépend autant , s inon plus, de l 'env i ronnement matér ie l et cu l tu re l que de l 'apport sco la i re , on peut penser que ces conc lus ions s'étendent à l 'ensemble des soc ié tés humaines.

Qu'on n'ai l le pas penser que nous re jo ignons ici les pauvretés d'un A. Peyref i t te . Tout au cont ra i re . La thèse marx is te , prouvée par un s ièc le d'histo i re , es t que l ' in te l l igence humaine se développe par la praxis, par la relat ion d ia lect ique prat ique- théor ie, nature-ra ison, act ion-ré f lex ion. Cet te relat ion rompue, il y a s tér i l i sa t ion de la pensée, qu i t te à donner de beaux par leurs ! Mais l 'enfant, p longé dans la réal i té concrè te , ne cesse de développer sa pensée, d 'autant plus que ce . te réal i té es t plus cont ra ignante. Ce qui condu i t p lu tô t à l 'opposé des « thèses » de M. Peyref i t te , p lus précisément à cec i , qu 'écr iva i t Marx : «aucun phi losophe ne présente par rappor t à un por te fa ix , quant aux dons naturels et à l 'espr i t , fût-ce la moit ié de la d i f fé rence d'un mât in avec un lévr ier» [ C i t é in ( 3 ) ] .

Ceci ne veu t pas d i re que la scolar isat ion n'est pas nécessai re dès l 'enfance, et même dès la pe t i te enfance. Nous pensons seu lement que toutes les méthodes actue l les d'ense ignement pr imai re dans les soc ié tés bourgeoises sont mauvaises parce que insu f f i samment in tégrées au mi j ieu et que le potent ie l acquis n'est donc pas in fér ieur ici par rapport à l 'Europe Occ identa le , à condition qu ' i l n'y ai t pas dés t ruc tu ra t ion cu l tu re l l e . Nous es t imons donc que le résu l ta t acquis par Piaget a valeur un iverse l le : vers 12 ans, l'individu devient in te l lec tue l lement adulte. Ceci é tant , nous ajoute rons , avec M. Salvat, que nous sommes, lo in , t rès lo in «l'avoir abordé sér ieusement , dans les sys tèmes bourgeois , les méthodes qui permett ra ient de développer mieux les énormes poss ib i l i tés de déve loppement inte l lec tue l de l 'enfant et de l 'homme. Les soc ié tés soc ia l i s tes , pour leur

part , sont encore au début de cet e f for t .

Revenant à l 'acquis i t ion de l ' intell igence conceptue l le vers 12 ans, nous rappel lerons que ce n'est pas pou/ ie seul fa i t de la pubenté que les i o c i é . é s communauta i res ptécapi ta l is-tes accordaient une te l le impor tance à l'âge de 13 ans, comme c'est le cas dans la Bible et dans l ' Is lam. Cet te impor tance est con f i rmée dans les soc iétés con tempora in " - ! par le rôle constant des adolescents dans les grandes lu t tes po l i t iques et révolut ionna i res . La bourgeois ie et ses penseurs s 'e f fo rcent d 'a t t r ibuer ce rôle à « l 'exal tat ion de la jeunesse», à la «crise de l 'adolescence». Mais en fa i t , on peut se demander ce que s ign i f ie pour les soc ié tés basées sur l 'explo i tat ion de l 'homme par l 'homme, et pour la nôtre en par t icu l ier , la «cr ise de l'ade. lescence». Ne serai t-ce pas, à l'Inverse des idées admises, que l 'ado lescent se heur te , avec son inte l l igence s t ruc turée log iquement à part i r d'un env i ronnement que les parents ont pu plus ou moins préserver dans l'enfance, à un monde i l log ique. Le cheminement douloureux de l 'adolescent vers la «matur i té» n'est-i l pas celui par lequel i l soumet son in 'e l l i gence. i l in tègre son moi * ce t te soc ié té i l log ique, devenant f ina lement un adulte rés igné et in tégré, donc mûr ?

On conçoi t alors que les processus qu i , dans le lycée bourgeois , sont conçus pour br iser les p e r s o n n a g e s en épanouissement so ient part icul ièrement aggravés par les désart iculat ions l ingu is t iques et cu l ture l les l iées à la f rancophon ie .

Par con t re , le déve loppement de l ' in te l l igence l ié au «développement soc iogénét ique et cu l tu re l se poursuivant de générat ion en générat ion» rend d'autant plus Impérat ive l ' intégrat ion de l 'école à la v ie , ce i 'école à la cu l tu re nat ionale, de l 'école à la product ion et aux p r o d f i ' e u r s . L'école dev ient , dans sa réal i té quot i -a ienne, un f o " e r de progrès nui nourr i t et est nourr i par tou t l 'envlronne-i n f i n t . Heci impl ique, en ' re autres, que cet te uni té l ingu is t ique et cu l ture l le s 'étende à tou te la v ie économique du pays.

Est-il besoin d 'a jouter que ce développement s o c ' ^ " " n e t i n u e e t cu l tu re l s appuyant sur l 'acquis c u i . u r j i et pl i i -losopinque de la nat ion arabe, in tégré au p iocessus profond de la révo lu t ion arabe, sera une cont r ibu t ion majeure a ia cu l tu re universel le ?

Conséquence d'ensemble

Les conséauences d 'ensembie d6 ce qui preueue sont net tes :

i ; L ense ignement , la fo rmat ion de l ' in te i l igence et son déve loppement oaiis lu caure scola i re oo>t se s i tuer en narmonie avec ie mi l ieu cu l tu re l , le suppor t l inguis t ique étant part ie intégrante de ce mi l ieu cu l tu re l .

2) L 'enseignement au pr imai re ou au secondai re oe groupes de matières oans ui ie langue Ûl i rerente oe iu langue nat ionale et materne l le est un facteur oc dés t ruc tu ra t ion in te l lec tue l le ec cu l tu re l le .

Par là même, i l s 'ensui t qu'au supér ieur la langue dominante d 'enseignement ne peut ê t re que l 'arabe, y compr is pour les Facultés sc ien t i f i ques et techn iques .

3] La soi-disant théor ie de prédispos i t ion de tel le ou te l l e langue pour les sc iences et de te l le ou te l le autre langue pour l'art ou la méd i ta t ion est une fa ls i f i ca t ion , est un mensonge nao-co lon ia l .

4) L ' inte l l igence créat r ice se développe dans l 'e f for t de créat ion collect ive, d ia lec t lquement s t ruc tu re , des producteurs et non dans leur soumiss ion. Dans ce cadre, l 'école par t ic ipe à ce t te créat ion co l lec t ive , au développement de l ' in te l l igence co lec t lve et ind iv iduel le par son in tégrat ion à cet e f fo r t de créat ion co l lec t ive , par son in tégrat ion et sa re lat ion dialect ique avec la p roduc t ion .

5) Le re je t de la f rancophonie et la lu t te pour la cons t ruc t ion d'une cu l tu re du peuple, nat ionale et arabe, sont en mémo temps notre mei l leure cont r ibu t ion à l 'épanouissement de la cu l tu re un iverse l le .

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I l • Francophonie et pensée bourgeoise

Ceci é tant , i l nous faut comprendre ce que recouvre l 'opérat ion f rancophonie, non seu lement de la par t des co lon ia l is tes invétérés imbus de leur supér io r i té paternel le , mais pour les suppor ts locaux de ce t te opéra t ion .

Il y a bien sûr d 'abord leur propre a l iénat ion à la soc ié té occ identa le et bourgeo ise. Mais i l es t c lair que ~our les plus lucides d 'ent re eux, l'opérat ion es t po l i t ique :

Tout d 'abord, tan t mieux s' i l y a dés t ruc tu ra t ion et désar t icu la t ion cultu re l l e . Ceci permet de se moquer des pré tent ions des lycéens et des étudiants à une mei l leure qual i té de l 'enseignement en avançant qu' i l n'en ont ni le niveau ni les capaci tés. Le mal thus ian isme en mat iè re d'enseignement est une po l i t ique voulue d'c-t ou f femen t de la jeunesse.

La f rancophonie recouvre la volonté d ' imposer le moule même de la pensée bourgeoise et occ identa le , ta f rancophonie c 'est d 'abord la pensée car tés ienne. Auss i nous faut- i l l'examiner plus longuement .

1) Si en e f fe t le langage n'est, comme l'a soul igné J. Sta l ine, ni une supers t ruc tu re , ni une in f ras t ruc tu re , s' i l n 'est pas le produ i t d'une c lasse socia le, parce que ayant été lu i -même élaboré avant la d iv is ion des soc ié tés humaines en c lasses, i l peut en devenir l ' i ns t rument .

Ce fut pour les c lasses explo i teuses le mér i te é terne l (ou p lu tô t aussi durable qu 'e l les-mêmes) des grands phi losophes de la Grèce esc lavagis te . La ra ison, te l le que la Cul ture Occi dentale la repr i t a l lègrement avec le déve loppement de la soc ié té capital is te , é tant e f fec t i vement cel le de la Grèce ant ique, te l le que le rappel le J.P. Ve inan t : ««La raison ne se découvre pas dans la nature, e l le es t immanente au langage. Elle ne se fo rme pas à t ravers les techniques qui opèrent sur les choses ; e l le se r .on* t Î T ue par la mise en point et l'analyse des d ivers moyens d'act ion sur

les hommes, de tou tes ces techn iques dont le langage es t l ' Ins t rument commun : l 'art de l 'avocat, du professeur , du rhéteur , de l 'homme po l i t ique. La raison grecque, c 'est cel le qui permet d'agir de façon pos i t i ve , ré f léch ie , méthod ique sur les hommes, non de t rans fo rmer la nature». (12) .

La bourgeois ie f rançaise montante avait besoin de forger des ins t rumenta de dominat ion . Rien d 'étonnant donc que le X V l l ° s ièc le ai t vu la double é laborat ion de la raison bourgeoise et de sa fo rme d 'express ion. Mais ce t te é laborat ion contena i t en même temps le s igne de sa condamnat ion.

Sur le plan des fo rmes d'expression, ce fu t , comme l ' indique le vo lume de l 'Encyclopédie de la Pléiade consacré à l 'Histo i re de la l i t té ra ture f rança ise «laj conquête, de l ' Instrument» (13) , P. Van T ieghem, auteur du chapi t re ainsi in t i tu lé préc ise : «Il va sans d i re qu'on ne saurait isoler ce t te conquête de l 'ordre, de la disc ip l ine l i t té ra i res , de l 'évolut ion po l i t i que et sociale de la France pendant le même temps» . Parlant de i'ouvrage de Vaugelas, «Remarques sur la langue f rança ise», qui donne «les normes Bxactes de l ' ins t rument» il rappel le que «le bon langage do i t reflé'er exactemen t le par ler de l 'él i te sociale et suivre l 'évolut ion de la soc ié té», en reconnaissant que ceci entraîne «une cer ta ine sc lérose de not re langue , qui s ' in terd i ra , dans les ouvrages soutenus, le recours au pouvoi r créateur de la langue popula i re et se l igera pour longtemps dans un ar is tocrat is-me é t ro i t» .

Le second doct r ina i re de la langue f rançaise fut Guez de Balzac dont les idées sont ainsi résumées : «la beauté l i t té ra i re es t fa i te de noblesse et de grandeur de pensée, d 'ordre et de propor t ions exactes, de subord inat ion des par t ies à l 'ensemble».

Enf in, concrè tement , « l 'é l i te» lett rée , la bourgeois ie ascendante, «la p lupar t de nos prosateurs et de nos poètes du XVI I ° s iècle» d i t l 'auteur, fu t f o rmée dans les co l lèges secondaires où la cu l tu re insuf f lée «vise à fo rmer des gens du monde capables d 'ent rer dans les af fa i res du gouvernement ou de l 'admin is t ra t ion, de pen

ser avec plus de c lar té que de pénétra t ion, d 'écr i re avec plus d 'élégance ou d 'é loquence que de sens ib i l i té ou d ' imaqinat ion», des col lèges où la tendance est de « former des ar t is tes de la p lume comme de la pensée, non des penseurs or ig inaux à la recherche d'une réal i té ou d'une vér i té encore inconnue».

Voi là un corps de doct r ines dont l 'enseignement secondaire f rançais et du f rançais ne semble pas s 'ê t re départ i ! Pas plus d 'a i l leurs que tou t e n s ^ n e m e n t secondaire dans tou te soc ié té bourgeoise. 11 faut cependant reconnaî t re un changement , c 'est la dégénérescence de ce que ce système compor ta i t de cohérent pour la bourgeois ie avec la décadence de cette sucieré. Que d i re des re f le ts qui en sont expor tés ?

2) Paral lè lement, la ra ison bourgeoise t rouva i t son cod i f lca teur . L'histoire de l ' in f luence de Descar tes sur la pensée bourgeoise est caractér ist ique de l 'ascension et de la décadence de cet te pensée. Au X V № s ièc le , dans la phase ascendante, Desca i tes , comme ph. losophe, a cont r ibué à achever ' sco last ique décadente, et porté les dern iers coups à l 'argument d 'autor i té . Mais c 'est là sans doute sa seule con t r ibu t ion pos i t ive .

J. F. Revel, dans une étude récente (14) soul igne bien le fa i t que Descartes se s i tue «à contre-courant» de la phi losophie de la sc ience de son t emps , de la pensée de Gai i lée et de Bacon, du déve loppement de la sc ience expér imenta le . L i 'A iember t le di t p rudemment lorsque, après avoir commenté son apport sc ien t i f ique, i l écr i t de Descar tes : «Comme phi losophe, i l a peut-être été aussi grand, mais i l n'a pas été si heureux» (15) . En fa i t , comme l 'écr i t Revel, «son rôle Ins to i ique a été de résoudre le problème de l 'adaptat ion de la pensée théologique à l 'ère sc ien t i f ique et de subs t i tuer un dogmat i sme moderne au dogmat isme ancien».

Entendons-nous. Nous n'opposons pas à Descar tes le courant «progressiste» de la pensée bourgeoise. Nous n 'ut i l isons pas les te rmes «progrès» et «progressis te» de la pensée euro-péo-centr is te . Nous ne pouvons oub-

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l ier que la «phi losophie des lumières» représenta i t à la fo is les appét i ts de conquête sc ien t i f ique et technique de la bourgeois ie et ses appét i ts de conquête sociale et de dominat ion mondia le. Seuls, au XVH'° - ! - c l e , quelques penseurs obscurs et isolés de ce courant, dont le seul i l lus t re , et combien so l i ta i re , est Rousseau, expr imaient la consc ience populaire sous- jacente qui ja i l l i ra avec les sans-culot te pour être auss i tô t répr imée et réprouvée, prendre fo rme avec les premières grandes lu t tes du pro lé tar ia t et t rouvera son suppor t sc ien t i f ique avec Marx .

D e s c a r t e s représente , dans l a psnsce b o u r g e o i s e d e s X V I I o e t X V I I I o s i è c l e s , l a synthèse métaphys ique des contradict ions de cet te pensée face à cet appét i t de conquête de la nature et des hommes. C'est pourquoi la pensée cartésienne devai t t rouver son apogée dans la cu l tu re bourgeoise avec la décadence de la bourgeois ie à part i r du s ièc le dern ier .

Même sur le plan de l 'argument d 'autor i té , l 'ambi t ion de Descartes apparaît à la lecture du Discours de la Méthode : Imposer sa propre autor i té sc ient i f ique et, i l fau t le d i re , obten i r les sout iens f inanc iers en conséquence (Discours , 6° pa r t i e ) .

Qu' i l so i t l ' idéologue des pouvoirs é tab l is , le phi losophe du mandar inat , c 'est là un fa i t incontesté dont la phrase suivante ne donne qu 'un aperçu : «je ne saurais aucunement approuver ces humeurs brou i l lonnes et inquietes qu i , n 'étant appelées ni par leur naissance, ni par leur fo r tune au man iement des af fa i res publ iques, n'y la issent pas d'y fa i re tou jours , en idée, quelque nouvel le ré fo rmat ion».

Ce mandar in ér ige en dogme la recherche so l i ta i re , la supér ior i té de l 'homme seu l , et le mépr is des t ravai l leurs : «Il es t vrai que, pour des exoér iences qui ~euvent y servi r , un homme seul ne saurai t suf f i re à les ta i re tou tes ; mais il n'y saurait auss i employer u t i l ement d 'autres mains que les s iennes, s inon cel les des art i sans, ou te l les gens qu' i l pourrai t payer, et à qui l 'espérance de gain, qui est un moyen t rès e f f icace, fe ra i t fa i

re exac tement tou tes les choses qu' i l leur prescr i ra i t» .

Le dual isme car tés ien, qui n'est d'ailleurs qu'une mise à jour du dual isme p la ton ic ien, en voulant sauver l ' idéal isme, condui t en fa i t au pire des mé-can ic ismes, au matér ia l i sme sordide de la bourgeois ie , au mépr is de l 'homme. »

Voic i ce qu'en d i t l 'analyse d'un manuel scolai re (16) : «Le mécanisme se rat tache é t ro i temen t au dual isme et i l compor te deux coro l la i res impor tants :

Il n'y a aucune d i f fé rence entre l 'homme et l 'animal sur le plan des fonct ions purement organiques ; i ls sont l'un et l 'autre des machines.

Il n'y a pas de commune mesure entre l 'homme et l 'animal dès qu'on envisage les fonct ions dépendant de la pensée».

Cer tes Descartes d i t de ce t te nen-sée que «les hommes les plus hébétés» la possèdent. Et c 'est là cer tes un mér i te f o rme l du Discours de la Méthode. Mais concrè tement , et le tex te même du Discours le con f i rme, le mépr is du t ravai l manuel ident i f ié au compor tement animal et aux machines condui t au mépr is des t ravai l leurs, des ar t isans, à l 'exal tat ion du mandar inat et de la technocra t ie , Son about issement est le rêve fasc is te de la soc ié té «cybernét isée» d'un Wiener et des penseurs de l ' impér ia l isme contempora in .

Face à Descar tes, combien es t plus r iche la pensée d'un Pascal qui tu t l'un des rares hommes de la philosophie bourgeoise, e t fa i t encore plus rare, en même temps grand mathémat ic ien et phys ic ien, à approcher une synthèse entre la sens ib i l i té et la ra ison, à in tégrer ces deux démarches de l 'homme dans ce qu' i l appelai t le cœur (17) , reprenant, sans doute sans le savoir, la démarche même d'Al-Ghazali et préf igurant la phi losophie de la praxis, la d ia lect ique marx is te .

Mais préc isément pour cela, ce t te r ichesse a été v idée de son contenu par la bourgeois ie qui a vou lu présenter Pascal, de même que la cu l tu re colonia le nous présente Al-Ghazal i ,

comme un myst ique opposé au rat ional isme, alors que, pour l 'un comme pour l 'autre «se moquer de la pniio-sophie, c 'est v ra iment phi losopher», préf igurant ainsi le «Misère de la philosophie» de K. Marx . Mais ceci montre aussi combien la pensée car tés ienne, combien la pensée bourgeoise sont à l 'opposé de l 'homme, à l 'opposé, pour ce qui nous concerne, de l'essence même de la phi losophie arabe.

3) Voyons cependant la méthode car tés ienne. Non que nous soy ions les premiers à en fa i re la c r i t i que . Au s ièc le même de Descar tes, entre le mépr is de Pascal pour «Descartes inut i le et incer ta in», un phi losophe i ta l ien V ico , dont le monde cé lébra i t il y a deux ans le t r i cen tena i re , appor ta i t une cr i t ique profonde du cartés ian isme et s 'é levai t , ent re aut res, «contre la déduct ion fa ls i f i ca t r ice d'un faux monde» (18) .

La méthode car tés ienne es t contenue dans les quatre règles, les quatre préceptes de la deux ième part ie du Discours de la Méthode .

Examinons-les success ivement .

a) «Le premier é ta i t de ne recevoir aucune chose pour vraie que je ne la connusse év idemment ê t re te l le : c'est-à-dire d 'év i ter soigneusement la préc ip i ta t ion et la p révent ion , et de ne comprendre r ien de plus en mes jugements , que ce qui se présentera i t s i c la i rement et s i d is t inc tement à mon espr i t , que je n'eusse aucune occasion de la me t t re en doute».

C'est la règle de l 'évidence. Mais tou te la créat ion sc ient i f ique ne va-t-elle pas cont re ce t te règle : Copernic dans la concept ion du monde, Einste in dans cel le de l 'espace-temps , Darwin dans la théor ie de l 'évolut ion, Piaget dans la psychologie de l ' intell igence, et tan t d 'autres, n'ont-i ls pas tou jours remis en cause ce qui se présenta i t «si c la i rement et si dist inctement» à l 'espr i t des hommes ? Nous avons rappelé l ' inhib i t ion de M. Poin-caré par la pensée car tés ienne. Ce n'est qu'un exemple de la constante ét ro i tesse de la pensée bourgeoise.

J. D. Bernai qui est à la fo is un grand savant et un grand h is 'o r ien et philosophe de la sc ience, soul igne dans ies conc lus ions de sa «Science in His-

32

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ю г у » (191 : «Les phi losophies expl ic i tes et i m p l i c i t e s de la sc ience o n t également agi dans le passé comme des fac teurs l im i ta t i f s p lutôt que l i bérateurs de l 'avancement des sciences. Les plus grandes avancées de la sc ience se sont fa i tes en dépi t de ces p h i l o s o ^ b ! " - ~t non à cause d'elles».

C'est de cet te règle car tés ienne de l 'évidence que découle la «déduct ion fabr icat r ice d'un faux monde». Cer tes on nous dira que là es t la base de la pensée mathémat ique. En quoi nous nous é levons en faux. Revel a bien fa i t ressor t i r que c!iez un Gal i lée, ,a démarche mathémat ique est une démarche «cons i ruc t iv is te» consistant à const ru i re les axiomes à part i r du rée l . C'est parce que les mathérnat i c iens oub l ien t t rop souvent ce t te démarche qu ' i ls s 'en ferment dans un «faux monde». Au contra i re des histo i res bourgeoises et idéal is tes des ma 'hémat iques , les grandes construct ions qui depuis la deux ième mot''à du s ièc le dern ier ont remis en ques t ion l 'archi tecture b imi l lénai re des mathémat iques ne peuvent ê t re dissociées de l 'ensemble des courants idéologiques, phi losophiques, sc ient i f iques et po l i t iques qui remet ten t en quest ion depuis cent v ingt -c inq ans la struc ture même de la pensée occidentale pour en about i r , dans la lut te des peuples, aux éc la tements actuels .

Au plan des mathémat iques, combien nous paraît - 'us vraie ce t te déf i n i t ion de la démarche mathémat ique (20) : «Son début normal cons is te en observat ions portant sur des aspects de la réal i té . V ient ensui te la constata t ion que с е г + - ' - ~ des f a i t s observes découlent log iquement les uns des autres. Aorès cer ta ins essais, pour établ ir ent re ces fa i ts leur coord inat ion log ique, f ina lement , des hvDothèses sont proposées qui impl iquent les conséquences observées dans les fa i t s . Le corps de proposi t ions log iquement ordonnées qui en résu l te est une science mathémat ique abst ra i te , souvent appe'ée modèle mathémat ique de la por t ion de real i té qu 'é tud ie ce t te science par t icu l ière . Il np.n* se faire que ces hvpothèses impl iquent d 'autres

conclus ions suscept ib les d 'être soumises au cont rô le de l 'observat ion. Si quelques-unes d 'entre e l les ne se t rouvent nas conf i rmées, les hypothèses do ivent ê t re modi f iées ou abandonnées. I l fau t alors imaginer un nouvel ensemble d 'ax iomes dont les impl icat ions se t rouvent vér i f iées par I expér ience, de quelque manière concrète. A ins i , la sc ience empi r ique déter-mine-t-el le les prob lèmes posés à la sc ience mathémat ique pure, tandis que celle-ci dédui t l o " ! r " ' e m e n t les théorèmes qui do ivent ê t re cont rô lés , ex-pér imentn iornent , par la sc ience empi r ique. Cela s ign i f ie que la déduct ion peut suggérer des expér iences cruciales réal isables au laboratoire ; de même les observat ions fa i tes au laborato i re peuvent suanérer un programme de t ravaux déduc t i f s impVî-quant la concept ion et la c r i t ique de d i f fé rents modèles mathémat iques . Ces deux rôles son t sol idai res et complémenta i res».

C'est en f^ ! f- 'a démarche décr i te par fvlao-Tsé-Toung dans «De ia prat ique».

Le phi losophe tchènue Karel Kosik a ces dern ières années développé et approfondi le tex te célèbre de Marx sur la Méthode de l 'Economie po l i t i que. Voic i comment la concept ion dia-lect iaue s'oppose à la démarche de l 'év idence, de la déducion fabr icat r ice d'un faux monde (211 : «La connaissance d ia lect ique de la réalisé n'épargne pas les concepts Isolés sur le chemin u l té r ieur de la connaissance ; ce n'est " as une sys témat isa t ion de concepts qui procède par addi t ion, une sys témat isa t ion qui s 'é lsbore sur une base immuable et acquise une fo is pour tou tes . mais un processus en spirale d ' in terpénét ra t ion et de c lar i f icat ion mutue l les des concepts dans lequel l 'abstract ion (uni la téra l i té et iso lement ) des d i f fé rents aspects est dépassée en une corré la t ion dia lect i que quant i ta t ive-qual i ta t ive, régressive-progressive. La concept ion dialect ique de la to ta l i té non seu lement s i gni f ie que les par t ies sont en in teract ion et connexion in ternes avec le tou t , mais aussi que le tou t ne peut être Pétrifié en une abst ract ion s i tuée au-dessus des par t ies, du fa i t

que le t ou t se crée lu i -même dans l in teract ion de ses par t ies».

b) «Le second de d iv iser chacune des d i f f i cu l tés que j ' examinera is , en autant de parcel les qu' i l se pourra i t , e t " " ' i l sera i t appuis " o u r les mieux résoudre» et « Le t ro i s ième de conduire par ordre mes pensées en commençant par les objets les plus s imples et les plus aisés à connaî t re, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des pius composés ; et supposant même de l 'ordre envers ceux qui ne se précèdent po int na ture l lement les uns des aut res».

Le grand p r o " - ° s de la phi losophie contempora ine est la découver te du concept de Total i té. Celui-ci l ié aux concepts de O P ^ ' r a d i c t i o n dynamique, fo rme la base de la méthode dia lect i que, ou en reste au stade s ta t ique du s t ruc tura l i sme lorsqu' i l n 'appréhende pas cet te dynamique.

Karel Kosik l'a ainsi opposée à la pensée car tés ienne et bourgeoise : «Par d i f fé rence à la connaissance systémat ique (qui opère par vo ie accu-mulat ive) du rat ional isme et de l 'emp i r i sme, qui par tant de pnneipes f i xes en un processus -^ 's temat ique d addi t ion l inéaire de fa i ts nouveaux, ra pensée dia lect ique se développe de ia prémisse que la pensée humaine se réal ise par un mouvement en spirale, dont tout commencement est abstrai t et re lat i f . Si la réal i té est un ensemble d ia lect ique et s t ruc tu ré , la connaissance concrète de la réal i té cons is te , non dans l 'addit ion systémat ique de cer ta ins fa i ts à d 'aut res, et de certa ins concepts à d 'aut res, mais en un processus de concré t i sa t ion , qui procède du tout aux part ies et des part ies au tou t • du phénomène à l 'essence P* de l 'essence au phénomène ; de la to ta l i té aux contradict ions et des cont rac t ions à la total i té st p réc isément dans ce processus de cor ré la t ion en spira le, dans lequel tous les concepts ent rent en mouvement réc iproque et s 'éc la i rent mutue l lement , accède au concret». (21)

Nous n'apporterons pas ici de nouveaux exemples de la supér ior i té de la pensée dia lect ique à ceux déjà c i -

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Pour conc lure , nous nous contente rons d 'opposer à la pensée; s tér i l i sante d'un D e s c a r t p i à l 'ent repr ise néocolonia le de la f rancophonie , la pensée du plus grand des phi losophes arabes, Al-Ghazal i , en soul ignant que ce t te recherche de la pensée créat r i ce, in tégrant raison et sens ib le , est cel le de tou te la phi losophie arabe, de Al-Ghazali à Maïmonide.

(2) N. Wiener. Cybernétique et Société Collection 10/18.

( 3) H. Sa'vat. L'intelligence, mythes et réalités. Edition.. Socialss.

( 4) Economies et Sociétés. Août 1969.

(5) Encycolpédie de la Pléiade. Logique el Connaissance Sclentilique.

( 6) Genèse et Structura. Mouton. 1965.

tés , à ceux que chacun peut , en 1970, éprouver.

Dans tous les domaines de la science, la pensée d ia lec t ique, la méthode cons is tant , non pas a é tud ier des fa i ts i so I é s , ni à les c lasser et les dénombrer, mais à al ler rios par t ies au tou t e l du t ou t aux par t ies, in méthode cons is tant non à é tud ier des s t ruc tur e p^+innps rn^is des processus de s t ruc tu ra t ion , démont re sa supér io r i té . Dans tous les domaines de la sc ience la c réat ion s 'a f f i rme non par de f ro ids procédés déduct i f s t i rés des évidences, mais par la synthèse d ia lect ique de raison et du sens ib le , de l ' intui-*•'-"! et du ra isonnement , de la prat i -nue et de la théor ie .

c) Reste le nuat r ième précepte : • Et le dern ier , de fa i re par tout des dénombrements si en t ie rs , et des revues si générales que je fusse assuré de ne r ien omet t re» .

Voi là en e f fe t le dern ier refuge de nos mandar ins. Incapables de créer i l ne leur reste plus qu'a fa i re de labor ieuses m o n o ^ ' - ^ H i e s . Et sur tou t , pas d'sr- t 'nn, pas de conc lus ion, pas de ré f lex ion a w n t «que je fusse assuré de ne r ien ome t t re» . Plus l 'enquête, plus le dénombrement est long, plus la «planque» un ivers i ta i re ou de «l'expert» e s ' bel le , plus aussi "eut -e l le s té r i l i se r les espr i ts , la consc ience du peuole, la c réat ion. Le Maroc en a vécu un bel exemple dans le Gharb. Le «Projet Sebou» a été si parfa i t , si comp lè temen t dénombré que son élaborat ion sur le papier a demandé plus de ternes nue celu i mis par les Chinois , mun is de pel les, de pioches et de couf f ins , pour «dompter le f leuve Huai». Mais au Sebou, les considérat ions de «rentabi l i té» ont amené à écarte r le prob lème des inondat ions !

Pour Al-Ghazal i , la f in de l 'homme sur te r re est dans la pur i f i ca t ion de l 'espr i t , mais c 'est une f i n prat ique : «La science es t un arbre dont le f ru i t es t la prat ique ». On se per fect ionne in té r ieurement par c e ' t e émot ion sent imenta le qui procède de la sc ience et s 'expr ime r>ar l 'act ion. Trois degrés de la v ie sp i r i tue l le : connaissance émot ion ou sen t iment , et l 'act ion. Le p remier pour le second, le t ro i s ième dans le second» (22) .

Rapprochons la pensée d'Al-Ghaza-l i de la pensée d ia lect ique contemporaine que nous avons rappelée. La pensée d ia l ic t ique d'AI-Ghazali , cœur de la phi losophie arabe, nous paraît pouvoi r ê t re aut rement olus à la base de la cons t ruc t ion d'une cu l ture n rab " révo lu t ionnai re et c réat r ice et de la cons t ruc t ion in te l lec tue l le e t sc ient i f ique de la nat ion arabe que la pensée s tér i l i sante d'un Descar tes . Ce l te cons t ruc t ion s ' in tégrant à et intégrant la pensée d ia lect ique contempora i ne annortera alors de nouveaux enr i ch issements à la pensée un iverse l le .

références :

( 7) Cité par M. de la Bastide, Culture arabe et cu'ture fi.siici.ise. in revue Orient, № 'J.i. y trini. 19UJ.

( 8) Histoire de l'Humanité. UNESCO.

( 9) Encyclopédie de la Pléiade. Le langage.

(10) J. Ficigiit. Psychologie de l'intelligence. A." Colin. Collection U2.

¡11) Tran-Duc-Thao. Du geste de l'index à l'image typique. La Pensée, n° 147 -148 149.

(12) J.P. Vernant. Mythe et pensée chez les Grecs. Maspero.

(13) Encyclopédie lie la Pléiade. Histoire des Littératures. T. I I I .

(14) J.F. Revel. Histoire de la philosophie occidentale. T. I I . Ed. Stock.

(15) D'Alc-ntb^rt. Dlscouis préliminaire de l'Encyclopédie. Ed. Gonlhier.

(16) Descaries. Le Discours do la Méshodo. Notes de J.M. Falaud. Ed. Bordas.

(17) L. Goldmann. Le Dieu Caché. Gallimard

(18) Les Etudes philosophiques. Juillet-Dé cembre 1968.

(19j J.D. Bernai. Science In History. Ed. \Watts. i.ondies.

(20) M. Hi'jhardsen. Eléments de Mathématiques modernes. Dunod.

(21) K. Kosik. Dialectique du Concert. Maspero lexte des citations retraduit ici de l'édition mexicaine).

(22) G. Quadri in • La philosophie arabe clans 'lEurope médiévale des origines

( 1) Bulletin Economique et Social du Ma- à Averroes roc, r° 109, Avril-Juin 1968.

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littérature maghrébine actuelle

et francophonie

par a. laâbi

pour situer le débat

L e m o m e n t e s t v e n u , p o u r les é c - i v a i n s m a g h r é b i n s de la nouv e l l e g é n é r a t i o n qu i s ' e x p r i m e n t en f r a n ç a i s , de p r é c i s e r en t o u te r i g u e u r l eu r a t t i t u d e v is -à -v is de la langue dans l aque l l e i l s é c r i v e n t .

P réc i sons que la p r é s e n t e c o n t r i b u t i o n à ce d é b a t ne devra i t pas ê t r e c o m p r i s e c o m m e un m a n i f e s t e . Nous ne p o u v o n s pa r l e r q u ' e n n o t r e n o m , c 'es t -à-d i r e au n o m de q u e l q u e s é c r i v a i n s m a r o c a i n s ayan t p a r t i c i pé d 'une m a n i è r e e f f e c t i v e à la r e v u e S O U F F L E S . A v e c ce la , nous p e n s o n s que beaucoup de nos c a m a r a d e s a l g é r i e n s e t t u n i s i e n s p a r t a g e n t e n p r i n c i p e , g l o b a l e m e n t , nos i d é e s . M a i s nous e s t i m o n s ne pas avo i r l e d r o i l d e p a r l e r e n leu r n o m o u de d é c r é t e r quo i que ce s o i t q u ' i l s n ' au ra ien t pas é l a b o r é e t a p p r o u v é avec n o u s . C ' es t d i re que nous les a p p e l o n s à part i c i p e r de leur c ô t é à ce d é b a t .

On nous a d i t , on nous d i t s o u v e n t : «Nous ne c o m p r e n o n s pas p o u r q u o i v o u s , j e u n e s é c r i va ins c o n s c i e n t s , m i l i t a n t s pou r une c u l t u r e d e l i b é r a t i o n , v o u s p u i s s i e z avo i r é c r i t e t é c r i v i e z t ou j ou rs en f r a n ç a i s » .

On nous a d i t a u s s i : «Ce q u e vous éc r i vez en f r a n ç a i s ne p e u t pas e n r i c h i r l a c u l t u r e na t iona le e t ne p e u t ê t r e que m a r g i na l» , j.

On nous a l a i ssé e n t e n d r e p a r f o i s : «Vous ê t e s le p r o d u i t du c o l o n i a l i s m e e t v o u s ne pouvez ê t r e que c o m p l i c e s du néoc o l o n i a l i s m e » .

Nous avons t e n u à c i t e r c e s c r i t i q u e s l e p l us f i d è l e m e n t pos s i b l e , les l ouanges nous in té r e s s a n t peu i c i . Par c o n t r e , l es a n a l y s e s r i g o u r e u s e s e t ob jec t i v e s qu i o n t é té é c r i t e s s u r n o t r e t r a v a i l , nous e s s a y e r o n s de les r e j o i n d r e 0 dans n o t r e p r o p r e v e r s i o n de l ' ana lyse à f a i r e .

D i s o n s t o u t d ' a b o r d que nous n 'avons j a m a i s e s s a y é d ' e s q u i v e r ces q u e s t i o n s ou de nous e n f e r m e r dans l e s i l e n c e . C e s c r i t i q u e s , pou r l a p l u p a r t ( sau f c e l l e s qu i p r o v i e n n e n t d ' i n d i v i dus ou d ' o r g a n i s m e s ma l i n ten t i o n n é s , e s s a y a n t d e m a s q u e r l eu rs p o s i t i o n s r é a c t i o n n a i r e s ou leur m é d i o c r i t é par une off e n s i v e d e m a u v a i s a lo i c o n t r e une p r o d u c t i o n d o n t les e x i g e n ces p r o f o n d e s les g ê n e n t e t les a c c u l e n t à des c h o i x d o n t i l s

s o n t i n c a p a b l e s ) , ces c r i t i q u e s c o n s t i t u e n t d o n c p o u r c e r t a i n s d ' e n t r e e l l e s , des i n t e r r o g a t i o n s lég .L imes , p a r t a n t d ' e x i g e n c e s a u x q u e l l e s nous nous j o i g n o n s s o u v e n t . Chaque f o i s que l 'occ a s i o n s ' e s t p r é s e n t é e , nous n 'avons pas h é s i t é ( c o m m e c ' e s t le cas m a i n t e n a n t ) à nous d é f i n i r e t r e d é f i n i r e t à s o u l i g n e r la na tu re des r e m i s e s en ques t i on que nous s e n t i o n s n é c e s s a i res pour le d é p a s s e m e n t des att i t u d e s a m b i g u ë s e t pou r l a c la r i f i c a t i o n .

A u j o u r d - h u i , c i n q vans ap rès la p u b l i c a t i o n de nos p r e m i e r s t e x t e s e t dans des c i r c o n s t a n ces où le p r o b l è m e posé par ce déba t e s t p l us que j a m a i s d ' une b r û l a n t e a c t u a l i t é , nous t e n o n s à f a n e le b i lan de n o t r e expé r i e n c e e t à p r é c i s e r nos p o s i t i o n s .

Rappe lons t o u t e f o i s que c e déba t i n h é r e n t à la l i t t é r a t u r e m a g h r é b i n e é c r i t e e n f r ança i s ne da te pas d ' a u j o u r d ' h u i . D è s l ' appa r i t i on d e c e t t e p r o d u c t i o n au to i ' r des années c i n q u a n t e , !e p r o b l è m e s ' e s t p o s é , i l e s t d e v e n u d e p u i s lo rs un des t h è m e s p e r m a n e n t s d o t o u t e e t u d e c o n s a c r é e .à la d i t e l i t t é r a t u re .

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C e r t a i n s é c r i v a i n s c o n c e r n é s onL e u x - m ê m e s sa i i . i la n a t u r e d e s a m b i g u ï t é s qu i p o u v a i e n t pese r su r leur t r ava i l e t o n t ess a y é , avec p l us ou "mo ins de bonheu r e t de j u s t e s s e , de les c o n f r o n t e r .

M a i s c e s e r a i t t r o p l ong , dans les l i m i t e s de c e t t e m i s e au p o n t , d e f a i r e l ' h i s t o r i q u e d e ce d o s s i e r . Nous e s p é r o n s y rev e n u une a u t r e f o i s (1 ) .

N o t r e a t t i t u d e f o n d a m e n t a l e , nous p o u v o n s la c a r a c t é r i s e r par la f o r m u l e de co-existence, m a i s une co-existence non pac i f i q u e , e m p r e i n t e d e v i g i l a n c e . Mous s o m m e s c o n s t a m m e n t su r nos g a r d e s . A s s u m a n t p r o v i s o i r e m e n t l e f r a n ç a i s c o m m e inst r u m e n t d e c o m m u n i c a t i o n , nous s o m m e s c o n s c i e n t s , e n p e r m a n e n c e , du dange r dans l eque l nous r i s q u o n s de t o m b e r e t qu i c o n s i s t e à a s s u m e r c e t t e lan-y u e e n t a n t q u ' i n s t r u m e n t d e cu ' Lu ie . O n v o i t b i en l ' i n c o n f o r t de c e t t e s i t u a t i o n e t on d e v i n e le t rava i l a c c a b l a n t (qu i res s e m b l e p a r f o i s à de la p r e s t i d i g i t a t i o n ) que nous d e v o n s mener pour r e n f l o u e r t o u s les mé c a n i s m e s m e n t a u x e t c u l t u r e l s de la langue dans l aque l l e nous é c r i v o n s .

F a t a l e m e n t , l ' e x p r e s s i o n en langue f r a n ç a i s e chez l ' éc r i va in c o n s c i e n t d e ces p r o b l è m e s e s t une e x p r e s s i o n r e t o u r n é e à p l u s i e u r s n i v e a u x , c 'es t -à -d i re , le p r o d u i t d 'une s é r i e d e f i l t r a g e s e t d ' o p é r a t i o n s de t r i . Le schéma p o u v a n t ê t r e le s u i v a n t :

— le f o n d s c u l t u r e l e s t h é t i q u e et i d é o l o g i q u e à c o m m u n i q u e r e s t n a t i o n a l , p o p u l a i r e , a rabe ,

c 'es t -à -d i re c e l u i de nos s p é c i f i c i t é s e n m ê m e t e m p s que d e nos s o l i d a r i t é s .

— l ' i n s t r u m e n t l i n g u i s t i q u e u t i l i sé v é h i c u l e une c u l t u r e e t une i d é o l o g i e de c l a s s e p r o p r e s à la r é a l i t é f r a n ç a i s e e t o c c i d e n t a l e .

— l ' opé ra t i on c o n s i s t e d 'une par t à n e u t r a l i s e r , su r le p l an de la t e r m i n o l o g i e e t des m o d è l e s c u l t u i e i s , les é l é m e n t s v é h i c u lés par la l angue é t r a n g è r e e t que nous j u g e o n s n é g a t i f s , d ' au t re pa r t , à f a i r e r e n t r e r dans c e t t e langue une au t re t e r m i n o l og ie , d ' a u t r e s m o d è l e s qu i nous j o n t p r o p r e s (2) .

On a b o u t i t a ins i à une opéra t ion de t r a n s c u l t u r a t i o n sans que ie bu t r e c h e r c h é ( e x p r i m e r no t re t o t a l i t é ) s o i t une q u e l c o n que s y n t h è s e d e c u l t u r e s . C ' e s t ce qu i a f a i t s o u v e n t d i r e que la i i t t é r a t u r e m a g h r é b i n e ou nég ro - a f r i c a i n e d ' e x p r e s s i o n f r a n ç a i s e ne p o u v a i t ê t r e q u ' u n e l i t t é r a t u r e t e r r o r r i s t e , c 'es t -à-d i re une l i t t é r a t u r e b r i s a n t à t o u s les n i v e a u x ( s y n t a x e , p h o n é t i q u e , m o r p h o l o g i e , g r a p h i e , s y m b o l i q u e , e t c . . ) l a l og i que o r i g i ne l l e de la langue f r a n ç a i s e .

C ' es t ce qu i f a i t auss i que beaucoup d ' a m o u r e u x du T ie rs -M o n d e t r o u v e n t une j o u i s s a n c e p a r t i c u l i è r e dans c e t t e l i t t é ra t u r e . On a vu a ins i des c r i t i ques j u b i l e r en s ' e x c l a m a n t que c e t t e l i t t é r a t u r e e n r i c h i t l a langue f r a n ç a i s e . D 'au t res y t r o u ven t s i m p l e m e n t l eu r c o m p t e en m a t i è r e de d é p a y s e m e n t , r o i k l o r e e t rega in de v i t a l i t é .

E v i u e m m e n t , ces e x c l a m a t i o n s r e l e v a n t d 'un p a t e r n a l i s m e v a m -

p i n s m e p lus o u m o i n s s u b t i l n e nous c o n c e r n e n t p a s . S o u l i gnons t o u t e f o i s q u ' e l l e s é m e u v e n t e n c o r e b e a u c o u p de nos é c r i v a i n s qu i y t r o u v e n t une con^ s é c r a t i o n d e l eu rs e f f o r t s . O u e l -l e g l o i r e e t f i e r t é pou r ces g e n s que de v o i r le q u a r t de page du j o u r n a l Le M o n d e ou au t re con -s a c i é à « l ' e n c o u r a g e m e n t » de leu i t r a v a i l . Ce la peu t a l l e r p lus lo in uans la m e s u r e où l ' éc r i va in aura t e n d a n c e à dévelop- , per dans son œ u v r e les a s p e c t s s o u l i g n é s par c e t t e c r i t i q u e étr a n g è r e , les t r o u v a i l l e s &«ont e l le s ' e s t p a r t i c u l i è r e m e n t reya^ lée .

Tour r e v e n i r au s c h é m a exposé t o u t à l ' heu re , nous d e v o n s d i re qu ' i l ne s u f f i t pas de ie m a î t r i s e r i n t e l l e c t u e l l e m e n t e t t h é o r i q u e m e n t . C e s c h é m a s e r é a l i s e ou ne se r éa l i se pas dans l 'œuv re . C ' e s t donc aux œ u v r e s e l l e s - m ê m e s qu ' i l f a u t s a d r e s s e r pou r d e m a n d e r des c o m p t e s .

Prenons le cas de d e u x é c r i va ins a l g é r i e n s de la généra -

(1) Le lecteur peut dores et déjà, pour se préparer davantage à ce débat, consulter les documents suivants ; * Malek Hadûad Les zéros tournent en

rond. Maspéro, 19b1. * Albert iVIemmi Portrait du Colonisé. Bu-

chet-Chastel, 1957. * Albert Memmi . Anthologie des écrivains

maghrébins d'expression française Présence Africaine, 1964.

Abdelkablr Khatibi : Le roman maghrébin. Maspéro. '968.

* Revue Conf-uent : n° spécial «Aspects de la littérature n.aghrêbine contemporaine». n° 47, 13=¡5

* Revue Orient, n° 35, 1965 (Paris). * Souffles : n° 1, 3, 4. 5, 10/11. 13/14. (1) L'opréatlon inveise (et qu'assument encore certa,n; écrivains magréblns) consiste à adapter la réalité maghrébine au publia étranger. Le cynisme de ces écrivains peut

aller jusqu'à mettre des notes en bas de page pour faciliter la tâche à ce pub|lc ; Hammam : Dain maure. Derb ruelle. Metí, na : «villa arabe-, e tc . .

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Page 38: Souffles 18

/ ron p r é c é d e n t e : Ka teb Y a c i n e e t M a l e k Haddad . Des d e u x , c ' es t sans aucun d o u t e M . Haddad qu i a le p lus a n a l y s é le p r o b l è m e que nous t r a i t o n s i c i . Dans «Les zé ros t o u r n e n t en r o n d » , i l ava i t d é v e l o p p é une a n a l y s e a p p r o f o n d i e i m a i s ^ d o n t les a r g u m e n t s r e s t e n t c o n t e s t a b l e s ) d u d r a m e l i n g u i s t i q u e de l ' é c r i v a i n c o l o n i s é . M a i s lor-squ on se r e p o r t e à l 'œuv re de c e t é c r i v a i n , o n t r o u v e une l i t t é r a t u r e é t r o i t e m e n t d é p e n d a n te sur l e p lan e s t h é t i q u e c o m me de sa l og ique de c o m m u n i c a t i o n , de l a l i t t é r a t u r e f r a n ç a i s e .

Far c o n t r e , i l e s t d i f f i c i l e de ne pas s e n t i r dans l 'œuv re de Ka teb Y a c i n e ( lu i qu i a ra rem e n t abo rdé l e p r o b l è m e d e l ' e x p r e s s i o n f r a n ç a i s e ou qu i l'a abo rdé d 'une m a n i è r e assez gauche à n o t r e a v i s ] le s o u f f l e p r o f o n d de la n a t i o n e t du peupl e a l g é r i e n s . N e d j m a r e s t e j us -qu à nouve l o r d r e (e t quo i q u ' o n p u i s s e pense r de l ' é v o l u t i o n u l t é r i e u r e de s o n a u t e u r ) une des pu i s b e l l e s e t p l us f o r t e s p ro d u c t i o n s d e l ' e sp r i t m a g h r é b i n . C e c i é t a i t un e x e m p l e rap ioe pour m o n t r e r que c ' e s t l e rés u l t a t qu i c o m p t e e t non l e ra i s o n n e m e n t a b s t r a i t qu i p récè de l ' œ u v r e .

L ' au then t i c i t é d 'une œ u v r e , son d e g r é de p a r t i c i p a t i o n au p r o j e t de l i b é r a t i o n s u r l e p ian c u l t u r e l d é p e n d de la s e n s i b i l i t é , de la l u c i d i t é e t de l 'engag e m e n t m u l t i f o r m e d e l ' éc r i va in dans la l u t t e de s o n p e u p l e .

surmonter le bilinguisme

Nous tenons à a f f i rmer clairem e n t que notre l i t térature de d e m a i n devra surmonter déf i n i t ivement le bi l inguisme pour s o n act ion, sa cohérence e t sa oedu té fu tures .

C e l t e o p t i o n n e s a u r a i t adm e t t r e a u c u n e h é s i t a t i o n . Toute t e n t a t i v e de f a i r e p l ane r la m o i n d r e h y p o t h è q u e su r l e f u t u r ne p e u t r e l e v e r que de la m a u v a i s e fo i de c e u x qu i t r o u v e n t leur c o n f o r t dans la langue f r a n ç a i s e e t qu i v i v e n t dans la s e u l e o b s e s s i o n du p u b l i c de c e t t e l angue . Ce que nous d i s o n s là ne c o m p o r t e a u c u n e s u r e n c h è r e . C e t t e o p t i o n s ' i ns c r i t n o r m a l e m e n t dans le p ro j e t de d é c o l o n i s a t i o n e t de l i b é r a t i o n t o t a l e s d e n o t r e c u l t u re . Ce que nous d e v o n s s a v o i r , c ' es t s i nous s o m m e s pou r ou vont, e ce p r o j e t . Q u a n t à la réus s i t e de ce p r o j e t , i l e s t é v i d e n t q u ' e h e ne p e u t s ' a c c o m p l i r à long t e r m e que dans nos langues n a t i o n a l e s e t p o p u l a i r e s .

Ent re t e m p s , e t dans c e t t e phase p r é c i s e d e d é c o l o n i s a t i o n e t de l u t t e a n t i - i m p é r i a l i s t e su r l e p lan c u l t u r e l , t o u t ce qu i oeu t fa i re avance r n o t r e c o m b a t , l e p i é c i s e r , l ' éc la i re r , l e f a i r e c o n n a î t r e , t a n t à l ' i n t é r i e u r qu 'à l ' e x t é r i eu r , ne p e u t q u ' ê t r e po-siLif . La l i t t é r a t u r e m a g h r é b i n e a c a i o l l e é c r i t e e n f r a n ç a i s d o i t se s i t u e r dans ce c o n t e x t e p ré -c i ; ; e t c ' e s t dans ce c o n t e x t e q u ' o n peu t a p p r é c i e r e n t o u t e o b j e c t i v i t é ses e x i g e n c e s e t sa p a r t i c i p a t i o n .

N o t o n s à ce p r o p o s que s i nous p o u v o n s ê t r e nos p r o p r e s

c r i t i q u e s , ce n ' es t pas p o u r au tan t que nous p e r d r i o n s la m o i n d re v i g i l a n c e q u a n t à la p roduc t i o n m a g h i é b i n e é c r i t e e n langue a r a b e . Nous c o n s i d é r o n s :,ue n o i r e l angue n a t i o n a l e ne d o i t pas ê t r e un al ibi pou r I écr i v a i n , qu i se c r o i t q u i t t e en ma-t i è i e « d ' a u t h e n t i c i t é » o u d e « r é a l i s m e » l o r s q u ' i l s ' e x p r i m e e n a i a b e . C e c o n f o r t e s t t o u t auss i d a n g e r e u x que c e l u i q u e nous i n d i q u i o n s p l us hau t .

C e r t e s le p r o b l è m e de la nat i o n a l i t é l i t t é r a i r e n 'es t une affa i re n i d ' i d e n t i t é n i de passe po r t . I l ne p e u t non p lus ê t r e r é s o l u du seu l f a i t de l ' usage de ia langue n a t i o n a l e . Le c o n t e n u de l ' œ u v r e , e t cec i e s t valab le pou r les œ u v r e s é c r i t e s tan t dans la langue n a t i o n a l e qu en f r a n ç a i s , e s t l à e n c o r e le c r i è r e d é c i s i f .

Frantz Fanon a é c r i t «Les D a m n é s de la Te r re» (qu i e s t au tan t une œ u v r e t h é o r i q u e q u ' une œ u v r e l i t t é r a i r e ) e n f r a n ç a i s . Nous no p e n s o n s pas q u e les « m i l i t a n t s » de l a f r a n c o p h o n ie p u i s s e n t en t i r e r f i e r t é . Nous ne p e n s o n s pas non p l u s que l e f a i t que c e t t e œ u v r e a i t é té é c r i t e dans une l angue étrangère a p e r t u r b é ou r e t a r d é en quo i que ce s o i t l a c u l t u r e a n t i l l a i s e . Fanon , c o m m e d aut r es , a é t é un v ra i m i l i t a n t de la c u l t u r e de son p e u p l e . I l a p r i s l'a; me qu ' i l a t r o u v é e ou q u ' o n lu i £, i m p o s é e . Et il l 'a r e tou r née c o n t r e les e n n e m i s de son p e u p l e .

Pour en r e v e n i r à nous et pour c o n c l u r e , o n p e u t d i r e q u ' une g rande p a r t i e de la j e u n e l i t t e i a t u r e m a g h r é b i n e a c t u e l l e .

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Page 39: Souffles 18

document Les institutions de la Francophonie (1)

— Agence de coopération culturelle et technique, — Association des fonctions publiques partiel' fondée à Niamey par un t ra i té s igné par v ing t et un lement ou entièrement de langue française [A.F.O.P Etats le 21 mars 1970. E.L.F.)

— Groupe francophone de l'ONU ( t ren te Etats membres , sous la prés idence du chef de la délégat ion tun is ienne) .

— Conférence des ministres de l'éducation francophones, réun issant les m in is t res f rança is , a f r ica ins et malgache deux fo is par an depuis 1962 (conférence de Dakar ) .

— Conférence des ministres francophones de la jeunesse, qui s 'est réunie pour la p remiè re fo is le 5 décembre 1969 et do i t se ten i r chaque année a l ternat ivement en A f r i que , à Madagascar et en France.

ORGANISMES SPÉCIALISÉS :

— L'Association des universités partiellement ou entièrement de langue française est l 'une des ins t i tu t ions i rancophones les plus anciennes (1961). Elle regroupe cinquante-six un ivers i tés dans dix-hui t pays, ainsi que t re ize membres associés.

— Communauté des radiodiffusions de langue française ( ne regroupe ac tue l lement que des organ ismes européens et canadiens)-

— Association internationale des parlementaires de langue française fondée le 18 mai 1967 à Luxembourg et regroupant alors v ingt -sept par lements nat ionaux et s ix assemblées lég is la t ives rég ionales.

— Association internationale des historiens et géographes de langue française ( fondée en 1969).

— Association internationale des avocats et juristes d'expression ou d'inspiration française (créée en 1969).

— Association internationale des sociologues de langue française (17 rue de la Sorbonne, Par is) . Prés idents : M M . Henr i Jenne (Bruxel les) et Georges Balan-dier (Sorbonne) . Fondée en 1958 par M. Gurv i t ch .

L'ASSOCIATION DE SOLIDARITÉ FRANCOPHONE :

— Cet te associat ion a été fondée en novembre 1966. Présidents d 'honneur : M M . Jean de Brogl ie et Jean Charbonnel , anciens secré ta i res d'Etats aux affai res é t rangères. Président : M. Bousquet , ancien ambas sadeur, député U. D. R. de Paris.

L'A- S. F. regroupe tous les organ ismes fondés sur la so l idar i té que crée l 'usage de la langue f rançaise

LES ORGANISMES DE DÉFENSE ET D'ILLUSTRATION DE LA LANGUE :

— Conseil international de la langue française. Fondé en sep tembre 1967 et présidé par M. Joseph Hanse (Académie royale de Be lg ique) , ce t organ isme se propose de «maintenir l'unité du français dans le monde» et regroupe v ing t pays f rancophones.

— Haut Comité pour la défense et l'expansion de la langue française. Ce t organ isme, exc lus ivement f rançais a été créé en mars 1966 auprès du premier min is t re pour conse i l le r le gouvernement et suggérer «des mesures concrètes en faveur de la langue».

Sans cons t i tuer des organismes proprement «francophones», les Assoc ia t ions d 'ami t ié France-Ouébecj France-Belgique et France-Tunisie é larg issent l 'audience des mi l i tan ts de la f rancophonie , qui en fon t souvent par t ie .

— s ' i n s c r i t dans le p r o j e t d 'é la

b o r a t i o n de n o t r e c u l t u r e na

t i o n a l e dans l a m e s u r e où s o n

é p i c e n l r e (son l i eu d ' émana

t i o n ) e s t b i e n l ' h i s t o i r e , l a c u l

tu re e t l a l u t t e de n o t r e p e u p l e .

— e l l e se s e r t p r o v i s o i r e m e n t

d u f r a n ç a i s c o m m e i n s t r u m e n t

•de c o m m u n i c a t i o n .

— c 'es t une l i t t é r a t u r e e s s e n

t i e l l e m e n t d e

(1) d'après "Le

d é c o l o n i s a t i o n f ie

Monde" du U

dans la m e s u r e où e l l e d y n a m i

te de l ' i n t é r i e u r e t par les p rop

res a i m e s de l ' anc ien e t du nou

veau c o l o n i s a t e u r les s c h é m a s

d ' a l i é n a t i o n c u l t u r e l l e e t idéo

l og ique i m p é r i a l i s t e s .

— c ' es t une l i t t é r a t u r e de re

n o u v e l l e m e n t dans la m e s u r e

où e l l e r e m e t en c a u s e (e t éd i -

p r o g r e s s i v e m e n t d ' a u t r e s

15 Juin 1970

v o i e s ) sur le p lan na t i ona l e t

a rabe t o u t e s les f o r m e s d 'ex

p r e s s i o n a c a d é m i q u e s , a r i s t oc

r a t i q u e s e t b o u r g e o i s e s ex i s

tan t dans n o t r e c u l t u r e ou i m

p o r t é e s de l ' O c c i d e n t .

— e n f i n , i l s ' ag i t d 'une l i t t é ra

t u r e qu i se c o n s t r u i t e n c o r e e t

qu i a l ' avan tage d 'avance r en se

r e m e t t a n t p e r p é t u e l l e m e n t e n

q u e s t i o n .

Page 40: Souffles 18

souffles littéraires

C'est à patir du moment où un peuple commence a se chercher et à prendre conscience de sa réalite que sa position devient la plus dangereuse. Car il lui faut alors non seulement laire face à un état de siège permanent, mais encore aux agents destructeurs en son propre sein.

Tout peuple opprimé a ses nègres (ceux que D. Lee appelle niggers) et ses noirs (blackpeople). Le combat doit se mener sur les deux fronts : noirs contre nègres, noirs contre blancs. C est pour mieux situer ce combat que Don Lee divise la poésie en «poésienoire» et «poésieb-Ianche». Ce n'est pas là une position raciste, mais bien plutôt le reflet de la réalite : poésie du peuple opprimé, poésie de l'oppresseur. C'est ainsi que certains rimailleurs nègres écrivent de ia «poésieb-Ianche», le nègre fuit la poésienoire tout comme il fui t la réalité de son peuple, celle d'un peuple opprimé.

Don Lee, poètenoir, se bat contre les nègres de quelque race qu'ils soient. Son combat, mené en Amérique, au sein d" son peuple, rejoint celui de tous les peuples opprimés. Ca ( , comme l'a dit David Hillyard, l'un des leaders du mouvement «Panthères Noires» «C'est en combattant ici-même, en Amérique, que réside notre contribution à la libération de tous les peuples opprimés».

L'arme de Don Lee, dans ce combat, c'est le langage parlé par son peuple, langage franc, vigoureux et sans complaisance.

La logique du français se prête mal aux exigences de cette langue afro-américaine, et le lecteur comprendra aisément les diff icultés de la traduction. Ces diff icultés se trouvent augmentées du fait que chaque mot a une connotation culturelle étrangère à l'univers du iecteur non afro-américain.

Nous aurions aimé voir l'original f igurer face à la traauc t ion, mais cela étant dif f ici lement réalisable, nous nous contenterons de quelques notes qui, nous l'espérons, serviront de guide au lecteur.

abderrahim youssi

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Page 41: Souffles 18

Introduction de

gwendoiyn brooks

doit 1. le© û o n L e e s a i t b ien 9 u e r i e n de c e Qui e s t h u m a i n n 'es t é l égan t . Les c o r n a n t s l i t t é r a i r e s qu i a s p i r e n t à l ' é l égance ne l ' i n t é r e s s e n t pas . i l e s t t r è s au f a i t de la l i t t é r a t u r e é l é g a n t e I que n'a-t- i l pas lu ! ) , m a i s b i en qu ' i l

ne plCUre r e s p e c t e les avan tages e t l ' i n f l u e n c e d 'un t r ava i l é l a b o r é , ce ia ne l ' in téresse pas du t o u t de p o u v o i r aux b e s o i n s des d é p a r t e m e n t s d 'ang la i s de

m a g H a r v a r d e t d ' O x f o r d , o u d e l a Par t i san R e v i e w , q u o i q u ' i l p o u r r a i t , par " e x c e l l e n c e , l eu r s e r v i r de m a t i è r e p r e m i è r e . I l s ' a d r e s s e à des no i r s av i

des o e c e q u i l s a p p e l l e n t e u x - m ê m e s «la v ra i e p o é s i e » , c e s n o u s s e hlirle r e t r o u v e n t e t r e t r o u v e n t ce qu i c o m p o s e leur e x i s t e n c e dans l 'é lan ag i l e ,

sa i n , e t v i g o u r e u x de ses v e r s l i b r e s . L 'é légance e s t b i en le d e r n i e r cie l eu rs s o u c i s , n es t t r è s a i r r i c n e u e n ^ ^ i k u par d e i e g a n t e s m é t h o d e s un t y p e au v e n t r e c r e u x . I l ne p e u t pas les e n t e n d r e . Les b r u i t s de son t o -t o m a c , p l us i n t é r e s s a n t s , s o n t b ien t r o p t o r t s .

D o n Lee n a a u c u n e p a t i e n c e e n v e r s les é c r i v a i n s no i r s qu i ne proj e t t e n t pas leur n o i r t é v e r s le p u b l i e n o i r . I l ga rde t o u j o u r s ' p r é s e n t s a l ' e sp r i t c e r t a i n s f a i t s i n t é r e s s a n t s : «Je su i s né en e s c l a v a g e en îevrifcir 194^».

Lie nos j o u r s les p o è t e s a u t h e n t i q u e s s o n t les p o è t e s n o i r s . R é c e m m e n t l 'un des c r i t i q u e s é c r i v i t l à p r o p o s des p o è t e s b i a n c s j : «... Un ne s é t o n n e guè re de r e i e v e r un u e s i r a r d e n t oe la m o r t , qu i n es t pou r e t u que l ' a t roce m a n i è r e d e s a u v e g a r d e r leur d i g n i t é , j e d i r a i s m ê m e , u'e s u r v i v r e - s i n o n en t a n t q u ' h o m m e s , du m o i n s en t a n t que p o è t e s » . i r j ius l o i n , i l a j ou te : «B ien que la m o r t ne p u i s s e r é s o u d r e les p r o b l è m e s Je c h a a u e i n d i v i d u en p a r t i c u l i e r , e l l e r e s t e c e p e n d a n t l a s o l u t i o n que les p o è t e s a t t e n d e n t e t s o u h a i t e n t d e t o u t e leur â m e » .

Heui-on i m a g i n e r Don Lee a d o p t a n t une t e l l e a t t i t u d e ? Les p o è i e s no i r s ne s o u h a i t e n t pas la m o r t . Lo r sque le c h o i x e s t p o s s i b l e , i ls ne c h o i s i s s e n t de m o u r i r q u ' e n d é f e n s e de l a v i e , en sa d é f e n s e e t en son honneu r

Page 42: Souffles 18

Poétique noire

pour tous ceux

à venir

Le facteur le plus significatif des poèmes, de la poésie que tu vas lire c'est l'idée. L'idée, ce n'eJt pas la façon dont un poème est conçu, mais la conception elle-même. A partir de l'idée, nous évoluons vers un développement et une trajectoire (trajectoire : la mise au point de ton idée dans u i .sens positif ou négatif ; ça dépend de l'orientation du poète). Forme poétique est synonyme de structure poétique et c'est ce qui guide le développement de ton idée.

Ce que tu vas îire c'est d'ia poésienoire. La poésienoire est écrite pour/à/à propos dc/et autour de la vie/espriiaclion/hurnanisme et existence totale du peuplenoir. La poésienoire dans sa forme/phonétique/lexique / intonation / rythme répétition / direction / définition et beauté s'oppose à ce qui aujourd'hui (et hier) est considéré être la poésie, c'est-à-dire la poésiebl-anche. La poésienoire dans sa forme la plus pure est diamétralement opposée à la poésieb-lanche. Alors que les poètenoirs se tournent vers le concret plutôt que vers l'abstrait (concret : l'art pour le peuple ; la langue noire ou la langue afro-américaine par opposition au bon anglais etc.). La poésienoire vise à définir et à légitimer la réalité du peuplenoir (cette réalité seule qui pour nous

est réelle). Ceux qui tiennent les rênes du pouvoir (les nonpeuple) contrôlent et légitiment la réalité des noirs (les vraipeuple) à partir de ce qu'eux, les nonpeuple, considèrent réel. C'est-à-aiie que pour les nonpeuple, des programmes de télévision comme «Julia» (1) et «The Moo? Squard» (2) reflètent la vision qu'ils ont de l'êtrenoir, de ce qu'il signifie ou devrait signifier. Ainsi donc, la piésienoire est là pour nullifier l'influence négative des mass-media ; que ce soient la télé, les journaux, les magazines ou un typeb-lanc en train de clamer sur scène qu'il est «en esprit notre frère-aux-yeuxbleus».

Le peuplenoir doit se porter là où toute confrontation avec les nonpeuple est significative et constructive. Cela signifie que la plus grande partie, sinon la totalité de la poésienoire sera politique. Je suis souvent tombé sur des artistes noirs

(1) Julia : feuilleton de la télé américaine dont l'héroïne est une ieune Infirmière noire qui chaqua semaine doit faire face à un

nouveau problème dans sa vie professionnelle et effective.

(2) Mod Squad t feuilleton heb.lomaoalre de la télé américaine dont les héros parmi lesque's figurent une jeune fille blonde et un jeune noir se déguisent en hippies afin de résoudre des énigmes policières, assassinats, drogue, etc . . ) ou d'espionnage.

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( p u c i c o , peiiiUes, acteurs, écrivaiiis etc. . ) qui pensent qu eux-mêmes et leurs œuvres devraient être apolitiques d une façon negative envers les gensnoirs. n ii y a pas d'artnoir neutre, ou bien il est ou bien il n'est pus, un point c est tout. S'affirmer non-politique est aussi dangeieux q;.e s'affirmer «rien moins que nécessanc», c est une façon «intellectuelle» de se tailler, et tes nègres se taillent aussi régulièrement que le gazon ucs beaux-quartiers de banlieue de la JNouveiic Angleterre. C'est parce qu'il est politique que l'artiste •noir est considéré comme dangereux pour ceux qui sont au pouvoir, les nonpeuple. Ea définissant sa propre réalité et en la légitimant, l'artiste noir devient une force positive au sein de la communauté noire (imaginez LeKoi Jones (Ainir baraka) écrivant les paroles des chansons de James JJiovsiij. Vois-tu, noir pour le poètenoir, c'est un mode ue vie. lit puis, son actiontotale reflétera cette noble et au lieu d'être un contradicteur de plus, il sera un exemple pour sa communauté.

La poésienoire continuera de définir ce qui est et ce qui n'est pas ; elle dira ce que c'e.-t qu'être et comment Y être (comment rôties). La poésienoire est et continuera d'être un facteur important dans l'édification de la culture. Je suis convaincu que c'est cette édification de la culture

que Robert Hayden avait présente à l'esprit lorsque, dans un de ses premiers poèmes, il a écrit ces vers :

L'heure est venue de faire venir les enfants

Le soir dans la quiétude de la salle familiale

Et de leur y apprendre les légendes de leur sang

La poésienoire c'est l'excellence et la vérité, et clic persévérera dans cette voie. La poésienoire se chargera de dénoncer et d'oblitérer ce qui n'est pas nécessaire à notre existence en tant que peuple. Lin tant que peuple c'est la seule manière de subsister et l'édification de la nalionnoirc doit se faire à la vitesse maximum. La poésienoire, c'est Omette Coleman enseignant le violon et les «Suprêmes» redevenant noires. La poésienoire est comme un rasoir effilé qui entaillera profondément la chair, brandi non pour blesser, mais pour tuer l'csprilnoir inactif. Mon père, tiens !, il se débrouillait toujours pour se tirer d'affaire, et il n'a jamais clé pris sur le fait, et je suis plus malin que lui ; c'est un combat aux frontières bien définies et moi je sais de quel côté je suis. Salut. A toi maintenant.

As-Salaam Aleïkum

don 1. lee

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(à John Coltrane/de la part d'un poète noir/ dans un appt. de sous-sol, en pleurant des larmes sèches de "you ain'î gone").

des années soixante est venu un train débouc liant/des années cinquante avec un wagon doré dévalant les rails de l'innovation

embouchant con instrument a-mélodique cris rauques] hurlant pétaradant

faisant reculer certains (ces lecteurs de journaux qui pensent que la virilité est quelque chose d'inné)

faites entrer les autres (les rares personnes qui ne sont pas convaincues que le monde existe autour de la blan cheur patentée et de leonard bernstein) ( 1)

musique endolorie assassinant notre esprit (nous re-naissons) nés dans une aberration néotérique et puis soudain on envie V AVEUGLE -on sait que lui emendra ce que jamais personne ne verra

la musique est comme ma tête - d'un noir laineux/ sensation bien désagréable mêlée de chansons se recoupant en : nou-ououououououououououous NOU-OUOUOUoiiouououououououououous NOU-OUOUOUOUOUOUOUOUOUS

chante fort et haut

(1) Leonard Bernstein chef d'orchestre qui dirige le Philharmonique de New York, compositeur de "West Side Story". Il tire sa popularité de la façon très maniérée dont il dirige son orchestre: passe souvent à la télévision.

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de toute ton âme

un peuple qui chante au rythme de moi me peignant, me cardant

j ai pleuré billie holliday. (2) les blues, c'est pas not' couleur le bleu le blues exhibant des illusions de virilité, détruites par toi. Ascension en :

hurla-aaaaaaaa-nt chante HURL-AAAaaaaaaaaa-nt fort et HURL-AAAAAA AAAA-nt longuement

de toute ton âme

le bleu c'est pas not' couleur, nous sommes noirs, le bleu c'est pas not' couleur, nous sommes noirs.

les blues me faisaient tout bonnement chialer).

soultrane (3) est parti en voyage il a laissé des images de l'homme il était le modèle à suivre pour les faiseurs d'hommes et l'annihilateur des porteurs de porte-documents.

Trane (4) est parti. (l'a pris son chapeau et m'a laissé tout seul)

mais, frère, j'ai pas pleuré, j'ai seulement -

Hurl-eeeeeeeeeeee-é chante

HURL-EEEEEEEEEE -E haut et

nou-ouououououououous f°'t

NOU-OUOUOUououououOUOUOUOUS > t 0 " t e . ton ama et

NOU-OUOUOUOUOUOUOUOUS i a i s s e

OU EST-CE QUE T'ES PARTI, FRERE ? ta voix

(2) Billie Holliday : chanteuse de blues d'avant-guerre, connue surtout du public noir américain. ¡3) Soultrane : mot formé de soul (âme-ef soulmusic) et de Trane (abréviation de coltrano). (4) Trane : abréviation de coltrane. Jazzman contemporain. Se prononce en anglais comme "train".

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Page 46: Souffles 18

se briser

Ça jail mal, des grands bébés

qui meurent^ nés. je m'suis attrapé un train, roues d'acier brisées par des bâtonnets de polo glacé, j'suis sorti et j'ai essayé d'm'envoyer une putain de cinq sous avec ma carte de la standard oil.

i

(j'suis tombé sur un pédé qui poliment s'est gratté le derrière en ma présence, il a souri avec ses dents cassées pourries par sa langue trop usée, visage en coup de poing, dents tombées au rythme de "yesterday" chanté par ray charles).

les blondes se marraient encore plus avec des nègres à la dent saillante qui économisent des pennies (5) et des bouteilles de coca pour le week-end pour jouet au nègre et à d'autre inventions dégueulasses. be-bop-ant sur la chanson de james brown sueur froide - ces nègres-là ne suaient pas, ils transpiraient, et la teinture de la blonde lâcha, je me suis enfui, elle aussi, avec leurs pennies, leurs cocas

et leurs âmes, à la semaine prochaine, même heure, même longueur d'ondes pour l'anti-moi en une leçon.

pour ces nègres homo et couards qui jouent du tchaikovski et les bealles et qui habitent des duplex et ont l'esprit en duplex et des petites amies en duplex, qui commettent l'acte sexuel tout habillés

(qui se cachent à la salle de bain pour lire jet magazine, qui ne lisent pas le chicago défendu à cause des fautes d'orthographe et qui exhibent des étagères entières de livres européens, intacts, qui

(5) pennies : quelques sous.

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cachent leurs disques de little richard et de lightnin' slim et vous demandent "john qui ?"

de la haine instantanée).

frère, ils ne connaissent rien d'autre, ils sont trop occupés à s'endetter, à exprimer leur humanité et à se déshabiller de leut couleur.

HURRRRR/nou-nououououous/cris/ahiiiii im provise ahiiiiiii/criiiiiiiie/ouii/ii de toute

ahHHHHHHHHHH/NOUOUOUOUOUS/crlII ton âme HE

nou-ouououNOU-OUOUOUOUNOU-OUOU-OUOUS

ce$ cons de blancs t'ont entendu et ils ont été annihilés, désintégrés, un crétin m'a demandé, pendant my favorite things, si tu étais pratiquant.

j'ai tiré sur cet enfant-de-putain et j'ai dit, "comme tu vois".

mais, frère,

j'ai pas pleuré. je m'suis camé pour m'débarrasser de mes pensées — ça les a pas empêchées de revenir, de revenir me détruire

et cet AVEUGLE

eh ben, je l'envie plus je peux voir son entendre et entendre son entendu par mes pores. je peux voir mon je, c'était la vérité que tu as donnée, comme une merde quotidienne fallait quelle vienne.

tu peux hurler - frère ? très

tu peux hurler - frère ? doucement

je t'entends bien

je t'entends bien

et les dieux t'entendront aussim

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un message que tous les noirs pourront piger

( et même quelques nègres )

nous y arriverons noUS : le peuplenoir, le peuple beau; noUS, les fils, les filles d'un peuple beau-que noUS soit rendu le nonimpossible voici venu, le temps, l'épreuve

tant qu il nous reste quelque chose à sauver (autre que nos vies)

ensemble nous avancerons l'arme à la main et nos familles fusionneront avec le soleil avec Vune/Vautre nous aimerons, nous avons toujours aimé gardons notre sang-froid et aidons l'un/l'autre allez-y vos droits sont au bout du chemin sous la lune, dans la nuit donnez un sens nouveau à l'étoile du nord (1) à la noirté à noUS

(1) L'étoile du nord r ella guidait la nuit les esclaves qui s'évadaient des plantations du sud.

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découvrez de nouvelles étoiles : étoiles réverbères qui exploreront en œil maléfique étoiles électriques que seul peut voir le peuplevrai étoiles propres, étoiles africaines, étoiles asiatiques, étoiles noires œuvres d'art qui pourriront les valeursb-lanches étoiles meurtrières qui s'élanceront contre le nonpeuple

venez frères/pères/sœurs/mères/fils / filles dansez comme un seul corps avancez lentement conscients de votre rythme conscients de ce qu'est la vie de ce qu'elle pourra être et souvenez-vous que nous ne sommes pas des hippies

NOUS SOMMES NES HIP (2)

allez-y. souriez un peu oui, c'est ça peuple beau prenez la relève, passez dès maintenant, passez dès maintenant, passez

/dépassez mainlenantdépassezmaintenant dépassezmaintenant dépassez maintenantdépas

sez/dépassez passez, dépassez, passez dépassez, dépassez, dépassez

le peuplenoir s'avance, s'avance pour remettre cette terre entre les mains de l'homme

De ce mot a été tiré -hippie» (2) Hip : mot du langage populaire qut a plusieurs sens. — être hip : être «à la coule» être «à la hauteur», bien connaître les réalités de ce monde — être moderne, à la page de ce mot a étâ tiré « hippie ».

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l'Unité Nigériane/ou des petits nègres qui tuent des petits nè

gres (pour mes f rè res Chr is topher Okigbo et Wo le Soyinka)

imagine un peu : que ceux qui font les guerres soient obligés de se battre ?

ça s'appelle l'ornoir et vous mes frères/anciens guerriers qui possédiez la nuit qui ne connaissaient pas d'intrus vs. êtes devenus asservis et avez sciement vendu vs/ns mères il n'y a plus de larmes les larmes n'arrêtent pas les balles les morts ne pleurent pas les morts poussent, c'est tout: bonne récolte cette année, pas vrai

ça s'appelle l'ornoir et vs. vs. battez aveuglément vs. vs. lancez contre vs./propres mi-nuit contre vs./propres enfants de demain.

allez un allez deux contre le milieu il y a un programme spécial avec l'agent de l'O.N.C.L.E. avec un nègre sur le dos qui jouait au ping-pong avec Jésus et qui a gagné petits nègres qui tuez des petits nègres : à temps/en temps/en dehorsdu temps/en

leurtemps/autempsdesautresgens car les nègres tuaient les nègres touttetemps

imagine un peu que ceux qui font les guerres soient obligés de se battre ? l'ornoir ce n'est pas le nouveaunègre :

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Page 51: Souffles 18

avec Vaccent britannique

il m'a appelé "vieille branche" un jour,

j ai flotte sa peau

;o n'a pas déteint, même lui s'en est étonné

çui là

un aulte pèdé qui fumait la pipe

u a perdu ses couilles en

complet croisé

en faisant de la publicité à la télé

avec son diplôme d'histoire européenne

petit nègre

s'est suicidé avec une cravate de hippie

sa inman l'a même pas reconnu/

elle a cru que c'était de la réclame pour la TWA ou

quelque chose qui sortait d'une machine à sous bariolée

l'a insultée

en parfait anglais

l'a appelée :

Maman-Chérie

RECHERCHÉ RECHERCHÉ

des guerriers noirs pour le sud

pour se battre au mississipi africain

le sud, jeune homme, pays d'avenir,

ils ont tous raté ce train,

sauf une sœur

elle voulait combattre Vennemivéritable

mais elle n'était par "éduquée"

portail le boubou

ne parlait que le dialecte

et avait le monople de la beauténoire

quand on s'est connus - elle a souri ci m'a dit

sais l'or-vrai"

imagine un peu

que ceux qui font

les guerres soient obligés de se battre ? le véritable ornoir était la avant les foreuses avant ceux aux yeux-pourris, avant les poseurs de barrières.

: "je suis l'or véritable je

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Page 52: Souffles 18

avant les puits,

avant Vaccens britannique

avant jésus,

avant l'air conditionné,

avant le canon,

le véritable ornoir : c'était maman et la petite sœur: c'est maman et lu petite

sœur.

était là avant les "éduqués", avant les mangeurs de cochons,

avant les poiieurs de cioix,

avant le pape,

avant les guerriers-nègres.

le véritable ornoir

c'était le premier guerrier.

le sud, jeune homme, pays d'avenir.

petits nègres

qui tuez des

petits nègres

le faible contre le faible.

le laid contre le laid 51

l'impuissant contre l'impuissant

le peuplevrai devenant nonpeuple

et mes frères nous avons plus en commun

que la pigmentation et la stupidité.

ce même vieux deux-pour-un

on l'a joué au coin de la 47° rue et d'ellis

inventé au coin de la 125 et lenox

et maintenant c'est le double-jeu depuis

les marécages de palétuviers jusqu'à la savane ;

deux nègres au prix d'un seul.

nouveaunègre

a perdu son chemin

une fille bl-anche lui a montré la route

l'est toujours perdu

elle a dit bl-anc/l'a cru entendre mords dedans

l'a tout mangé

même lui-même

imagine un peu

que ceux qui font

Page 53: Souffles 18

les guerres soient obligés de se battre.

y faisait cavalier seul, s'est trouvé un nouveau dada

il est "brun" avec un doctorat en

psy-chol-o-gie

et y spromène toujours avec des

trous

dans le cerveau,

perdulatête

l'ai vu l'autre jour

sa tête sur les rails -

l'essayait de se débronzer.

on demande le véritable Jésus christ

s il vous plait

il est convoqué ;

t'as fait que les noirs se prennent pour des trains

bien dressé.

européen africain a passé

un double diplôme

52 â Oxford.

y porte des sous-vêlements en ban-Ion et des chaussettes bl-anches.

s'est débrouillé un regard de tueur,

est devenu membre du club des angesdelamort

y veut pas plus de deux enfants

le véritable ornoir

sera rendu infirme

violé

puis tué

par

ordre

croissant.

je n'aurais pas la joie de l'appeler ma sœur le sud, jeune homme, pays d'avenir, imagine un peu que ceux qui. font les guerres •soient obligés de se battre contre t o i .

52

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abdelaziz mansouri :

ras l'mouqa£

le Cap se presse que je démonte au fer rouge vers une périphérie de combat le Cap des Chômeurs de toute voix dynamitant l'espace, volant en éclats, déroulant ses pièges qui devaient me poursuivre pas en songe et ses boulimies outrancières dans le kaki et le dialecte régional des bagnards en liberté, des campagnarde en diaspora à l'heure des anciens combattants se protégeant du froid contre la muraille à démolir

ils vont porter son déjeuner au détenu, conduire le gosse au msid, poster une letlie :

nous sommes bien et très bien ne nous manque que votre cher visage

nous voulons que vous veniez parmi nous nous attendons une réponse immédiate et c'est tout

Ils que j'éclipse en coulant depuis Cap que je poursuis de mon seul typhon divinatoire n'hésitant pas à les éparpiller sur le pavé, sur les trottoirs, dans les mosquées. Ils mangent dans îe même plat et se disputent la viande, se volent, se saoûicnt ensemble, se surveillent puis se tapent sur les cuisses, dénigrant leur déchéance dans la chute des autres vachement cap Ils qui savent que Vendredi saint Que Ramadan-obligation-Nuit du Destin meilleure à mille mois Que mariage confirme la religion et complète la maturité Que la nouvelle femme peut pénétrer dans la maison lors même que la défunte soit encore sur la planche mortuaire Que le vrai musulman doit savoir lire sa lettre, tuer sa bête, laver son linge Que Dieu est grand, donne et prend Que son prophète et le prophète de son prophète envoyé au bout de chaque siècle pour régénérer l'Humanité Que que rien ne demeure.

me dictent me dictent les voies de ma futurition ô cap

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lorsque tu passes jellaba sur l'épaule en direction des cimetières où tu t'arraches les ongles à ramasser les escargots et à manipuler les hérissons traînant les jambes entre les dépotoirs à la recherche d'aliminium, de 1er eî de carton, fouinant avec un crochet, glissant dans tes narines le tube du contraceptif, le respirant jusqu'au sourire, jaugeant la semelle usagée, puis le grattant la barbe avant d'allumer le mégot d'un geste malin ô cap tout cela sur un bout de trottoir toi la main sur ton nombril et le mien où s'accumule notre pudeur jalousement dérobée ? lu t'interdis tu fumes un ou deux sebsi honni soit qui mal y pense et tu entonnes En-Nîl nagachi le Nil d'il y a trente ans que tu dis être le plus beau fleuve du monde ses roseaux fourniraient le naï le plus beau du monde tarbouch et gilet londonien el fanni malouch watan (Vers une samba aux reflets de Sphynx) l'automne lui a succédé avec lui se fanèrent les fleurs de l'amour Cap ainsi fait. De Damas et de Amman. De Baghdad et de Jabal Loubnan. Ainsi fait et tu n'y peux rien. Khaled Beloualid est dans ta peau et tu n'y peux rien. Jaâfar est dans ta peau, l'Oum Kaltoum diluvienne. Alors tu imagines tu imagines :

de Souss il est parti à Damas que le génie a désignée il a frappé à une porte et le personnage est sorti — mon frère grâce à toi un trésor peut être déterrré — mon frère honore ma maison et je te serais acquis à jamais c'est à la tombée du jour que les montagnes se sont écartées pour aux deux hommes confier or et pierreries

tes chevaux ailés te transportent d'une traite de l'océan au golfe. Tu imagines mon brave. Contes1 et légendes. Vers une culture de séparés.

j'cxiiultc j'exhulte cap sur cap jusqu'à la halqa ou tu piétines les tessons, où tu bois l'eau bouillante et dévorées vivantes vipères et couleuvres. Tu défais la zazza, tu fiappcs le sol du pied et tu scandes sur un rythme de trois ccil soixante cinq moussem l'invocation à Moula Baghdad. Et les saints, les demi saints el leurs serviteurs honorés. Exaltations où tu t'écroules cosmique frappé dans tes servitudes les plus basses. A prolonger jusqu'à l'étranglement dans des transes d'apocalypse. Tu baves mortes et vivantes, 'es dattes dépositaires de litanies offertes au plus heureux ; Elles détruiront vos ennemis cl les co-épouses par les vertus de la vengeance que toute souffrance appelle. Tu sors ta barbe passée au henné. A brandir trois lunes pleines durant avant de la scalper ma barbe vile comme la ville que voilà promue grande sorcière au

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sortir d'une longue prostitution à face noire sous le couvre feu, crachant vers la postérité une lèpre qui se refuse, qui projette des caillots marqués à jamais par une digitale de tirailleurs et de goumis, de charniers et de carnage. ht je t'enterre et tu m'enterres mon cap martyr, mon cap sectaire qui va vilipender le Lihouri et glorilier ITstiqlali pour bien faire Ion devoir. Aiin de mériter le baume des mains caressantes qui se posent sur ton front, le donnant le temps de t'évanouir sous le coup de la plus haute jouissance avant de se dérober, te laissant sous la tête un rocher un sort où ressasser la mort ancienne et ta détresse quotidienne d'un cap l'autre jusqu'au figuier de tes malheurs où l'on te retrouvera mach' hout (muet ou lrappé de surdité) ou victime d'une autre calamité comme c'est légion dans l'éventail de tes infarctus de myocarde, de tes syncopes et de tes artérioscléroses ô cap

sourcière à ciel ouvert où la horde catalysée depuis mille ans son œil permanent où s'accumule le pou lpe des nuits collectives éventrées par le couperet du désespoir mais l'aire future d'immortalité

les oiseaux reviendront nicher dans les maisons hautes et larges loin de la cargaison des mutilés où l'aube surgit boiteuse a compromettre pour encore plus de suspicion à chasser vers des esplanades de turbans qui furent blancs ou jamais arbre ne bruit hormis les racines écrabouillant le grain de riz multicolore, brisant l'immense ménopause son jardin vert son bout de terre son coin de mer où va jouir l'homme moyen doué de sourire et de gamètes fertiles où l'on s'exhibe sous des manteaux de vieille fille dans des peaux reprisées, montrant bague, ceinture et souliers se pavanant sur des rives, de lointaine agonie d'où partir chargé de pâleur de rencontres où côtoyer tout un cap de poulains devenus barbares, à présent moro incapables d'aller au delà de l'enceinte en glissant des remparts sur des cornes de chèvre

puis dormir d'un sommeil tragique peuplé de petites morts disant que le crime ne paie pas que poursuit une malédiction d'orphelins placés sous la garde du glaive le plus rancunier. Liés par le feu et le lieu. N'ignorant que leur pouvoir flanqué d'épines et leurs droits bridés# Tous ensemble en position de symboles cap sur l'œil unique du démon gesticulant et se frappant la poitrine, singe comme sa vérité fraternel comme la coquille rapace ô cap d'asphyxie l'angoisse bondée de charrettes et de muletiers ma clairière de baïonnettes ma cnronologie de générations déjouées

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et le temps l'anti-temps

l'autre temps notre temps au bord du gouffre où je m'oublie affectivité et somme de besoins quelque part, clans quelque lieu fermé au public

j'apprends à haïr à partir d'une idée plus ou moins précise de veuvage u'errance dans le corps à corps où je me produis soudain investi de violence sans une seule formule magique

paré pour l'attentat sans te pleurer de douleur inoffensive mon cap quand tu te lèves rempart en lacets autour de nos côtes quand lu te sépares en marchands de beignets et de charbon, en teinturier, en écurie el en four à pain » pour dire pour ne pas dire et être le bras et le giron, le sexe et le poumon ô cap en anse de panier aux heures de pointe en foule d'anonymat derrière les insomnies chroniques et les asthénies à prendre en pitié l'espace d'un combat à la fontaine

Cap mon Cap tu secoues ta crinière vers d'autres forteresses. Tu glisses vers des murailles à brouter d'un sourire carbonisé pendant que s'assemblent qui se ressemblent sortis des pores de ton corps d'où l'on ramena aussi des couteaux plus ou moins rouilles mais que ta colonne vertébrale rendra perlés de mercure réparti en globules de survie

hommes et femmes où nous sortons, nous nous retrouvons pleins vis-à-vis du rêve portant nos déchets, nos théières, nos souvenirs et leurs murs éternels dans les fixations

comme un gaz mortel à respirer pour dire contre sagesse et néant : "j'ai consumé ma force l'espace d'une vie de labeur"

Cap Cap Cap conciliabule depuis tout ce que tu n'es pas et dans le rêve cyclique fougè""s en escalade autour des miradors le rêve regard sous lequel je persiste villes entières s'arrachant aux historiens et aux envahisseurs en partance vers demain où seuls vivent les peuples

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tahar benjeiloun

villles l'œil

Voile de l'Afrique à quelques doigts de l'Europe ouverte, donnée avec à peine quelque teinte exotique un grand chapeau de paille et un porteur d'eau de toutes les traces bariolé un petit musée un dirham le sourire et la dent en or scintille pose, pose pour le souvenir standard le grand socco emporté par petites tranches dans le tourbillon des promesses et l'illusion embaumée. une casbah par maison des jardins nantis votre imagination des places coule votre délire décor nos corps juxtaposés alignés nos corps sahara fertile le miracle notre peau étalée dans les bazars terrible notre mémoire qui revient de loin la rue quinquagénaires traînent leur cadavre mollusaue et voix visqueuse quelques dollars épingles sur le front l'œil sur la tempe l'œil sous la gorge la nuque déplacée des gosses comme des petits pain» des sexes démesurés viennent fouiller dans le dos arrachent les dents et s'en vont dormir sur le sable de leur désir et attendent.

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Je marche el mes pas laissent des volcans éteints je marche et capte les messages anonymes je n'entends que louanges je capte un regard désarmé et je m'arrête

la ville est une forêt qu'on démantelé suite a la médilerranée qui enroule ses estivants dans la nuit des pierres et le mica cju'on dévore Ville ! O rires furibonds sur ton seuil je dépose la blessure qu'éclate le mutisme ciel se confond, dans tes yeux brûlés sur amas d'une vie à refaire le défi de tes enfants à relever dans la fantasia de ton ventre clair l'arbre se plie sous le bras lu n'as plus qu'à ramper sur la pointe de tes silences sur la pointe de les regards impensable l'absence des cigognes et des sauterelles quel malheur pour un rapt inutile

Pousse ton espoir sur les boulevards tu, nommeras le silex et l'instant cendre la ville s'ouvrira plaie profonde.

['] - Ce texte est tiré d'un recueil en préparation : -Hommes Sous Llrceul de Silence».

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Non. Pourquoi lyncher l'ombre et redonner le cancer de votre salive ouvrez leur poitrine dépecez leur ventre et sortez les rats qui pourrissent

Ablutions à l'alcool dans nos mains une étoile dans notre bouche une mitraille EXPULSONS LE SOLEIL de nos murs notre sang jaillira en ouverture ternira vos deux l'apothéose est la mer une fois une le sable se meut envahit vos nuits palpitantes nuits orientales nuits andalouses nuits d'insomnie dans les caves et les terrasses tout pour un dollar de la cervelle en poudre du kif en portion une nuit avec une fille une vie avec un gosse

Circulez entre les murs vous verrez des mains suspendîtes des yeux incrustés

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ahmed janati

a l j a n a z a

la meule tourne lourde de nos vomissements d'ulcérés tes vomissements de notre huit de brebis

ou à l'ombre de notre peur. lourde de nos mâchoires édentées mordant dans la poussière do, l'immense arène

de notre sous-développement. Nous ferons ENCORE notre pain de la farine-morphine de nos bourreaux. Lourde de nos peaux desséchées minai ets de squelettes sur squelettes épouvantail-muezzin. Lourde de nos turbans de six mètres

SALIS qui ne servent plus à cacher la honte de fronts baissés et nous OSONS afficher sur nos fesses aux vents la fierté de ce Maroc des écoles primaires. La meule tourne meule de l'oppression et de la répression.

Qu'importe qu'il n'y ait plus d'eau dans vos ruisseaux chevaliers des croisades don-quichottés chaussez le guide baptisé corruption et puisez dans le désert de notre soif

les larmes et la sueur de 15 millions moins quelques cents. Non mon enfant il n'y aura pas de printemps cette année encore le chemin est long pour cueillir le sourire dans nos tripes bétonnées

de you-yous. Egalité. Progrès. micros serpents à sornettes. Non mon enfant lu n'iras pas sur leurs boulevards

Ahmed Janati. Né à Ahermoumou - 22 ans - Termine des études. Al Janaza est son premier texte publié

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Page 62: Souffles 18

cimetières à néon et à linceuls importés

grossir la foule qui paie pour creuser sa fosse.

Nos ancêtres ont porté le fusil et fait parler la poudre

on avait cru les vautours chassés

avec le drapeau des roumis

mais c'était notre mille et deuxième nuit.

Et je suis revenu vers toi

terre ma mère

rechercher mes racines dans l'anonymat de ta souffrance

déterrer mon arbre généalogique

lien par loi accouché dans des draps déchirés

et recousus inlassablement du fil doré d'un fatalisme mortel

me laver du mot à la source amère de ton désespoir

partager la froiaeur de ta nuit hors-circuit touristique

Mais autour de toi un peuple qui t'ignore

un peuple de païens

édifiant autel sur autel aux sangsues

attendant le miracle du ciel

ou les miettes des ogres

peuple

tes genoux sont pierres de ramper

troupeaux matraqués à coups de promesses

sur des chemins où les soleils meurent DEJA

et le bandeau ne pèse même pas

il a épousé tes os

car on ne l'a laissé qu'un squelette pour insensibiliser ta faim

ta langue gèle

on te montre le juif à insulter

et tu l'insultes

et l'occident

nouvelle kaàba pour tes prières de désorienté

car le mal est en Nous

et l'on se > tache sur les yeux la baraka du démon

au rythme des tambours

pour une amnésie millénaire.

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Au sujet d'un certain procès de la la littérature maghrébine écrite en français

par abdellatif laâbi

Tout semble indiquer depuis quel que t emps , qu 'un nouveau procès de la l i t té ra ture maghrébine d i te d expression f rançaise so i t engagé. En l 'espace de quelques mois , p lus ieurs c r i t iques s'en pr i ren t , d'une manière plus ou moins d i rec te , à ce t te l i t té ra ture en tant que te l le , à cer ta ins de ses représentants , de l 'ancienne ou de la nouvel le généra t ion , à cer ta ins organes où ces écr iva ins publ ient leur produc t ion , no tamment SOUFFLES ( 1 ) .

La m ise au po in t suivante n'est mot ivée ni par un quelconque ins t inc t de conservat ion , ni par la défense a pr ior i de ce secteur de la créat ion l i ttéra i re au Maghreb . Nous pensons

avoir été parmi les premiers à relever cer ta ines cont rad ic t ions Insur-

52 montab les de ce t te l i t té ra tu re , les cul-de-sac sur lesquels ont débouché plus ieurs écr iva ins maghrébins de langue f rançaise. Nous avons at t i ré aussi l 'a t tent ion du publ ic maghrébin sur les dangers d 'ass imi la t ion à la cu l tu re bourgeoise occ identa le auxquels o lus ieurs écr iva ins maahrébins on t été exposés e t s 'exposent tou jou rs .

Nous avons dénoncé en son temps, ' ous les courante inauthenaque? et marginaux qui se sont man i fes tés depuis les or ig ines dans le cadre de ce t te l i t té ra ture : fo l k lo r i té , i n t im isme, misérab i l i sme, e thnograph isme. e t c . .

Enf in , nous é t ions parmi les premiers à appeler (et à l 'appl iquer dans l 'act ion quot id ienne et dans la réal i té concrète) à ce que notre product i on maghrébine en f rançais soi t o r ien tée, dans sa communica t ion prat ique (éd i t ion-d is t r ibut ion) et dans sa logique pro fonde, vers son publ ic vér i table : le publ ic maghréb in et arabe en premier i ieu. Nous n'avcns jamais cessé de dénoncer les œuvres qui furent et qui cont inuent à ê t re des pla idoyers en faveur de notre soc ié té , de notre cu l tu re , des cah'ers de doléances d i r igés vers l 'appréciat ion et

le v isa de mér i te du publ ic de l'anc ienne mét ropo le co lon isa t r ice . Nous avons œuvré et nous œuv ions tcu> jours pour que ce t te product ion so i t t radu i te sys témat iquement en langue arabe.

C'est d i re que nos pos i t ions sur les prob lèmes de ce t te l i t t i f a t t i r e n'ont jamais été d ic tées par un quelconque espr i t de sec tar isme :u d'ap partenance à une communauté l inguist ique ou cu l tu re l le spécia le, séparée.

Le passé, le présent comme l'aven i r de notre l í t íé ra turs , n o u s n'avons jamais cessé de les cons idérer dans leurs p rob lémat iques d 'ensemble e t nous n'avons jamais ra isonné uni laté ra lemen t en fonc t ion de la l i t tératu re d i te d 'exoress ion f rançaise.

A u t r e préc is ion : beaucoup des cr i t iques ment ionnées s 'adressent aux écr iva ins qui pub l ien t dans SOUFFLES ou à la revue en tan t que te l l e .

Sur ce po in t préc is , i l ne s 'agi t p lus de la isser p laner la moindre ambiguï té quant au con tenu et à l'or ienta t ion de la revue.

Si SOUFFLES a été au dépar t une revue essen t ie l l ement poét ique et l i tté ra i re , e l le a réuss i à opérer , au f i l des années, un é la rg issement et une reconvers ion cons idérab les . I l fau t

(1) — Ibrahim Al Khatlb. «A propos de L'oeI| et 'a nuit d'A. Laâbl». Revue Afaq, Rabat (Revue de l'Union des écrivains dù Marocl. Automne i;<69. — Idriss Khury, -L'avant garde marocaine l la rechercn^ d'un microphone» Revue Shl'i (Beyrouth). tJ-> 46, Printemps 1970.

— Abd Almourneu ipseujonyme). -Appréciation de la littérature muyhrjbine d'expression française *\ propos du roman de l'algérien Rach'd Boudjedra : La répudiation ». Revue Afaq Arabia (Paris). No 11, Mai 1970. — Ahmed óabri. -Fourquol je n'ai pas signé |e Manifeste de la revue SOUFFLES au sujet de la Pa les t ine» . (Souilles n» 15. Spécial Oal.îsr'iio). Pevue 2.000 (Rabat) № 1 Juin - Jullurt 1370.

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être rée l lement de mauvaise fo i pour ne pas le reconnaî t re et pour ne pas sais i r la s ign i f i ca t ion de ce t te courbe de p rogress ion . SOUFFLES, et cec i est c lair pour tous nos lec teurs , est au-j ou rd nui une revue culturelle et ideo-log.que. La p roduc t ion l i t té ra i re ou art i s t ique prenant sa p lace, au rang qu i l l au t parmi les nombreuses rubr iques eie la revue.

L'équipe de SOUFFLES entend , comme el le l'a réa f f i rmé dans le prologue du n° 16/17 et la présenta t ion des rubr iques Action idéologique, Luttes ouvrières, Nation Arabe, SOUF-FLES-Art et iittéraires mener la bataille sur le f ron t idéologique et cu l tu re l par tous les moyens d 'express ion et d'analyse. En fa i t , ce t te opt ion dépasse de lo in le s imp le é larg issement d 'un éventai l de mat iè res et de suj e t s , il y a là l ' indicat ion c la i re que l 'équipe de la revue a décide d'en f inir avec les séparat ions in te l lec tue l les et a r t i f i c ie l les ent re créat ion et ré f lex ion, théor ie et prat ique. La product ion l i t téra i re ou la c r i t ique l i t téraire n'ont de sens pour nous qu ' in-t ég iés au combat idéologique et cultu re l le plus large-

Une revue l i t té ra i re , dans les cond i t ions présentes de notre lu t te , équivaudra i t à vou lo i r en fe rmer les écr i vains dans le ghet to d'une secte myst ique ou du jargon d'une corpora t ion ar t isanale.

C 'est ce que la p lupar t de nos Oudabas n'ont pas réuss i à sais i r jusqu'à maintenant , perpétuant leurs rêves de sauver l 'humani té par le seul pouvoir de leurs éc r i t s .

Ces préc is ions nécessai res étant acquises, revenons-en main tenant aux t e rmes de cet te campagne d ' intoxicat ion af in d 'en dégager les mot iva t ions et les in térê ts qui la sous- tendent .

Ce qui nous f rappe, en premier l ieu, dans les d ivers ar t ic les ment ionnés, c 'est leur ton passionnel et haineux.

Avant de répondre au contenu de ces ar t ic les , i l est u t i le de s 'ar rêter à leurs auteurs , d 'autant plus qu ' i ls sont lo in d 'ê t re iso lés ou indépendants de cer ta ins courants idéologiques que les in te l lec tue ls m i l i t an ts n'ont cessé de combat t re .

Connaissant depuis longtemps ces auteurs , sauf ce lu i de la revue paris ienne A f a q Arab ia qui n'a pas eu le courage de s igner son a r t i c le , nous ne sommes nu l lement é tonnes que l ' in jure et la provocat ion so ient les seules armes cr i t iques qu ' i ls pu issent u t i l i ser . Ces oudabas on t démont ré depuis des années leur incapaci té a prendre leurs responsabi l i tés , l iés q u ' i ls sont à tou t ce que l ' idéologie bourgeoise a de sournois et de pern ic ieux et s 'enfonçant de plus en plus dans le cerc le v ic ieux des in te l lec tue ls de cafés, des in te l lec tue ls p leurn ichards.

Voi là donc que ces écr iva ins «progress is tes» (comme si ce mo t n'étai t pas devenu depuis bel le lu re t te une maison de to lé rance ) , ces écr ivains qui se senten t «étrangers» dans ce monde, dans ce t te soc ié té (c 'est le le i tmot i v de la revue « fu tu r i s te » 2.000 dont le p remier numéro v ien t de para î t re ) , ces admirateurs plats de A lbe r t Camus ( l 'Etranger lui auss i ) , Jean-Paul Sartre (la Nausée) , Robbe-Gr i l le t , b ien qu ' i ls s 'expr iment en arabe et mon ten t ja lousement la garde autour de la cu l ture nat ionale, du patr i moine arabe, de « l 'authent ic i té», comme s' i l s 'agissai t d'un monopole qui leur éta i t acquis de dro i t , vo i là que ces écr iva ins «conscients» (autre lei tmo t i v favor i ) se découvrent brusquement l 'adversaire et le bouc émissa i re désigné pour compenser tou te la retenue d 'énergie qu ' i ls n'ont jamais vou lu ou pu dépenser pour lu t te r cont re les ennemis de tou te cu l tu re de II-be ia l i on : le néo-colonia l isme et l ' impér ia l isme cu l tu re ls , la cu l tu re et l ' idéologie bourgeo ises, l ' idéologie technocrat ique et un ivers i ta i re bourgeoise.

I l dev ient a lors man i fes te , et c 'est

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ce qus T O U S mont re rons , que ces écr i va ins, to ta lement déphasés par rappor t à la batai l le cu l tu re l le et idéologique vér i tab le qui es t ce l le de tous les in te l lec tue ls mi l i tan ts au Maroc et au Magnreb, dev iennent à nos yeux des al l iés ob jec t i fs des courants idéologiques qui sont de connivence avec l 'apparei l idéologique répress i f global-

Ce courant pet i t -bourgeois et oppor tun is te ne nous étonne nu l lement en un momen t où la lu t te de la jeunesse, des é tud iants , des t rava i l leurs et des masses popula i res en général est en t ra in de dévoi ler quot id iennement la démiss ion de cer ta ines couches in te l lec tue l les pr iv i lég iées, leur engagement progress i f dans le système idéologique répress i f , leur t rahi son à la lut te et la cause des masses exp lo i tées .

Conf inés dans leurs cerc les de str ip- tease in te l lec tue l , par t ic ipant ass idûment à la presse bourgeoise, ces mandar ins sont à peine capablee de murmure r quelnues oppos i t ions à la tu te l le des idéologues bourgeo is , oppos i t ion qui n'arr ive d 'a i l leurs guère à dépasser les te rmes d'un con f l i t de générat ions.

Et voi là que des te r rasses de leurs cafés et du haut de leurs tours d ' ivo i res ex is ten t ia l i s tes , ces intel lectue ls se met ten t à vou lo i r a imer le nenole et à verser la larme quot id ienne de crocodi le sur sa misère et l ' injus t i ce qu' i l subi t .

Ce genre d 'amour é tou f fan t pour les masses exp lo i tées, on le sai t , n'a jamais avancé les masses d'un pouce quant à leur organisat ion et à leur lu t te cont re le sys tème de l 'exploi tat ion de l 'homme par l 'homme.

Par cont re , le popul isme-misérabi l i sme de ces écr iva ins-mandar ins fa i t la jou issance par t icu l iè re d 'autres mandar ins vou lant re t rouver chaque semaine les émot ions d'un momen t de bonne consc ience (c 'est gratu i t , le comp lément cu l ture l du Journal A l A lam du vendredi est compté dans le pr ix du numéro ) .

Faut- i l rappeler à nos Oudabas combien ce t te concept ion de la l i tté ra tu re et du peuple rappel le les élans des v ie i l les dames s 'occupant d 'œuvres de b ienfa isance ou de sociétés p ro tec t r i ces des animaux ?

Encore quand nos in te l lec tue ls -mandar ins veu len t b ien «prendre pour sujet» A l la i ou Hoummane, jard in ier , por te fa ix , paysan pauvre.

Mais voi là qu ' i ls veu len t paraître à la page et démont re r que les techniques dern ier cr i de la nouvel le ou de la poésie u l t ra-moderne ne sont pas des secrets pour eux.

Rassurez-vous, ces in te l lec tue ls ont lu (souvent dans l 'édi t ion or ig i nale) les dern iers ouvrages de mess ieurs les s t ruc tura l i s tes ou le dern ier manuel de commen t te l poète luxembourgeois a dépassé la poésie ar t iculée. Sur ce plan, c'est-à-dire en mat ière d 'a l iénat ion par le surprodu i t de la cu l ture bourgeo ise, i ls n'ont r ien à envier aux in te l l f îb iue ls f ranc isants dont la «cul ture mère» est é t rangère. Disons même que parce que ces écrivains cro ient avoir du re 'a rd à rattraper et que l 'homme cul t ivé est celui qui connaît tou t , i ls se jugent obl igés de déployer un zèle par t icu l ier pour qu'aucune mode nouvel le ne leur échappe.

Cela donne «la l i t té ra ture d'avant-garde». Robbe-Gri l let , Sarraute, Ionesco, V. Wool f , R. Barthes sont passés par là. Cela donne aussi des héros déch i rés, abat tus, des nausées existen t ie l les et , parce que c 'est soi-disant avant-gardis te, de l 'audace sexuel le . Tel écr ivain c ro i t avoir créé un inéd i t fu lgurant dans l 'h is to i re de la l i tté ra ture arabe parce qu ' i l a m is en scène dans une de ses nouvel les deux homosexue ls .

En dehors de tou te ce t te cu is ine in tér ieure de ce qu 'on appel le «les secre ts de la créat ion l i t té ra i re» ou « l ' insp i rat ion», la seule préoccupat ion de ces écr ivains semble ê t re la publ ica t ion . L'écrivain c ro i t avoir rempl i son rôle lorsqu ' i l vo i t , chaque quinzaine, son nom sur un journal ou rêv e nat ionaux o u d u Prodhe-Orient.

Et a ins i , tous les deux ans, son s iège au Congrès des écr iva ins l'attend . I l sout iendra une mot ion pour la Palest ine, une autre cont re l ' in tervent i on «étrangère» (1) au Viet -Nam et une t ro i s ième sur la nécess i té de la l iber té d 'express ion et l ' indépendance de l 'écr iva in.

Nous nous en ar rê tons là concernant l 'anecdote pour en ven i r à l 'analyse e l le -même. Mais nous avions jugé ut i le de donner au lecteur, surtou t maghrébin et autre (2) une idée des préoccupat ions et pos i t ions de ceux qui se p résenten t aujourd 'hui en inqu is i teurs a t t i t rés de la l i t té ra tu re maghrébine é c i t e en f rançais e t de la revue SOUFFLES, et ceci au nom de « l 'authent ic i té» (Al Asa lah ) , du progress isme et, chose cur ieuse, de ia mora l i té (3 ) .

La quest ion fondamenta le qu 'on doi t se poser en dé f in i t i ve es t la suivante : qui a in té rê t aujourd 'hui à é tou f fe r la vo ix des écr iva ins maghrébins d i ts d 'express ion f rançaise ?

I l nous apparaît c la i rement , cons idérant les instances et les mi l ieux d'où par tent les condamnat ions les plus passionnel les ou les p lus sournoises, qu ' i l s'agit-

1 — des mi l ieux de la bourgeois ie locale, t rad i t ionna l is te ou modern is te qui n'a cessé depuis le déc lenchement du mouvement nat ional de barrer la vo ie à tou te pr ise de consc ience réel le des masses exp lo i tées de leur vér i tab le pro je t de l ibérat ion sur le plan cu l tu re l et po l i t ique. Qu 'e l le déploie l 'étendard de l ' idéologie théolo-g is te et de l 'arabisme ét r iqué ou qu ' e l le prenne le masque démocat ique et modern is te , ce t te bourgeois ie s 'est tou jours présentée comme la déposi-t r i ce unique et incondi t ionnel le du pat r imo ine sp i r i tue l e t cu l tu re l nat ional et arabe.

(1) Au dernier Congrès de l'Union des écrivains du M.iroc, ia motion sur le Viet-Nam a été ridi'iée 'elle quelle.

(2) Le lecteur marocain connaissant directement l'inaction, les compiomissions et la production des écrivains dont nous parlons.

(3) Voir l'artlcla de A. Sabrl, la Revue 2.000 op. cit.

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Au jourd 'hu i , ce monopole craque de tou tes parts avec la montée irrévers ib le des fo rces mi l i tan tes et populai res qui ont sais i le sens profond de ce t te mainmise de la bourgeois ie sur la créat ion et l 'act ion cu l tu re l les . La bourgeois ie démont re , et ceci ne fera que s 'accentuer, qu 'e l le n'est capable de produi re qu 'une cu l tu re décadente et ant ipopula i re, al lant à r e n cont re de la pr ise en charge par les masses exp lo i tées de leur cu l tu re .

Mais ce qu' i l fau t préc iser , c 'est que cet te bourgeois ie est la seule c lasse possédant a c t u e l l e m e n t , du moins au Maroc, de puissants moyens de d i f fus ion , no tamment sur le plan de la presse écr i te .

Par ce canal , la bourgeois ie locale a réuss i à drainer vers el ie et à ass imi le r p rogress ivement de nomb r e u x cerc les d " ' intel lectuels pet i ts -bourgeois dont le souci majeur est de t rouver un te r ra in publ ic où donner l ibre cours à leurs démangeaisons cérébra les. Ce t oppor tun isme congéni ta l a condui t la major i té de ces intel lectue ls à ê t re ob jec t i vement compl ices de l ' idéologie bourgeoise ou dans les cas les moins pess imis tes à ne const i tuer qu 'une oppos i t ion Interne dans le cadre de ia même idéologie.

Ces vér i tés év identes pour un inte l lec tue l m i l i tan t conséquent , nous n'avons censé de les répéter , espérant que cela pouvai t aider à la clar i f i ca t ion et à l ibérer ceux qui avaient tendance, en pr inc ipe, à ne pas se la isser in tégrer dans le sys tème idéologique bourgeo is .

Cet te c la r i f i ca t ion , les engagements et l 'act ion qui s 'ensuivent , on t é té tou jours pour nous la seule platefo rme en vue d'un dia logue adul te, sér ieux et mi l i tan t avec n impor te quel écr iva in .

Que ces mi l ieux donc d i r igent aujourd 'hu i leurs f lèches cont re n o u s , nous le comprenons a isément . Nous n'avons jamais accepté de compromis et le rassemblement de tou te la gent écrivante dans une corpora t ion paci f i

que n'a jamais été notre souci majeur .

Néanmoins, nous ne sommes pas de ceux qui ag issent par rancune ou qui désespèrent de la per fec t ib i l i t é numaine. Nous ne re fusons jamais le d ia logue, la p la te forme de ce dialogue étant , nous l 'espérons, c la i re aujou rd 'hu i .

2 — ce t te campagne d ' in tox icat ion prov ient aussi des mi l ieux ou instances oe la pe l i te -bourgeo is ie bureaucrat i que maghrébine [e t cec i es t notamment vaiable pour l 'ar t ic le d 'Afaq Ara-b ia j mus essen t ie l l ement par la rancœur cont re les in ienec tue ls en ruptu re avec les expér iences socia les et po l i t iques de cer ta ins pays magnré-Dii i s . I C I le p rob lème est p ius comp-l U A e et nécess i te pour une mei l leure appréc iat ion la par t ic ipat ion d autres e u ï v a i n a magnreo ins, su r tou t algér iens, oe que nous pouvons tou te io i s préc iser en tou te oû jec t i v i té , c est quo nous re fusons que ia l i t té ra ture magn-reùine oe co inoat ec rue en f rançais ou ses représentants qui re fusent de se laisser embr igader dev iennent les boucs émissa i res d'une po l i t ique qui est loin d 'ê t re parvenue à l ibérer sur le plan cu l tu re l ou idéologique les niasses a lgér iennes.

Nous avons malheureusement t rop j o n n u dans les d i f fé ren ts pays maghrébins la t r i s te expér ience d'une démagogie renouvelée concernant le prob lème de l 'arabisme et de l 'arabisat ion pour ne pas nous méf ie r de ces f lambées généreuses qui re lèvent p lus du dé fou lement et du t rans fer t que d 'opt ions impr imées dans la réal i te et dans l 'act ion.

I l est fac i le de proc lamer la m o i t d'une l i t té ra ture qui a joué son plein rôle dans la lut te de l ibérat ion contre le co lon ia l isme et qui cont inue à jouer son rôle aujourd 'hui sur le pian de la décolon isat ion et de ia lut te ant i - réact ionnaire et ant i - impei la l is te. Ce qui es t plus d i f f i c i le , c 'es t de lever les obstac les, et dans chaque

pays maghréb in , qui empêchent les masses maghrébines de s 'expr imer et de balayer tou te ten ta t i ve de reconquête néo-coloniale ou impér ia i ià ie S':? les plans idéologique et cu l tu re l et aussi , b ien sûr, économique ou pol i t ique.

Lorsqu'on commence (et c 'est ce que fa i t l 'auteur de l 'ar t ic le d 'Afaq Arabia) à me t t re dans le même sac A. Sefr iou i ( i i t té ra tu re fo lk lor ique) e t Kateb Yacine ( l i t té ra tu re de la lévc l -t e ) , Mou loud Feraoun et Rachid Boud-jedra, nous sommes en dro i t de nous douter des mot iva t ions de ce confu-s ionn isme, fût- i l étayé par les mei l leurs sys tèmes de c lass i f i ca t ion des sc iences humaines.

Pour conc lure , nous pensons que l 'écr ivain maghréb in , quel le que so i t sa langue d 'express ion, do i t ê t re p lus que jamais v ig i lant vis-à-vis de tou tes les ten ta t i ves de mys t i f i ca t ion v isant à l 'é loigner de son ob jec t i f permanent de lu t te sur le f ron t cu l tu re l et idéologique, cont re tou tes les fo rces con juguées de la réact ion et de l ' impér ia l isme.

Notre batai l le est claire- Dans ce contex te , i l est év ident que les mi l ieux qui lancent aujourd 'hui la p ier re aux écr iva ins maghrébins mi l i tan ts sont so i t ceux qui sont ob jec t i vement l iés aux c lasses dominantes et explo i teuses, so i t ceux qui ont démiss ionné ( tout en main tenant un jargon progress is te) quant à l 'entrepr ise de l ibérat ion des masses explo i tées maghréb ines et à la lu t te radicale et sans compromiss ions cont re le néoco lon ia l isme et l ' impér ia l isme. Ce t te batai l le commence à peine. Elle nécess i te pour son déve loppement que les écr iva ins me t t en t tou tes leurs énerg ies au serv ice des masses labor ieuses et exp lo i tées , qu ' i ls p longent dans le corps v ivant du peuple af in de se corr iger , d 'apprendre, d'avancer et de faire avancer. La l i t té ra tu re de nos peuples de demain dépendra de cet engagement qui ne souf f re aucune hés i ta t ion .

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v e r s u n

par octavio getino

et fernando soîanas Dans un monde aliéné, la culture - c'est évident - est un

nroduit déformé et déformant. Dans le cas spécifique du cinéma - art de masses par

excellence - ce qui s'impose c'est une tranformation de simple spectacle en moyen actif de désaliénation. Son rôle dans la bataille pour la libération totale de l'homme est de première importance.

C'est ce que proposent Fernando Solanas (argentin 33 ans) et Octavio Getino (espagnol, 34 ans) dans cet article dont nous présentons l 'essentiel.

Solanas a commencé ses activités cinématographiques avec le court métrage Seguîr andando (Aller de l'avant). Getino, qui habite en Argentine depuis 17 ans, a obtenu le Prix de la nouvelle de la Casa de las Américas, pour son livre Chulleca ; en 1965, il a réalisé un court métrage Trasmallos. Ensemble ils ont récemment réalisé La hora de los hornos (L'heure des brasiers), violente dénonciation cinématographique des injustices auxquelles sont soumis les peuples iatino-américains :

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Il n'y a pas si longtemps, cela aurait semblé une folle aventure que de vouloir créer, dans les pays colonisés ou néo-colonisés et même dans les métropoles impérialistes, un cinéma en marge du système et contre le système, un cinéma de décolonisation. Cinéma était jusqu'alors synonyme, de spectacle, de divertissement : objet de consommation. Dans le meilleur des cas, le cinéma pouvait aller jusqu'au témoignage de la décomposition des valeurs de ia bourgeoisie ou des injustices sociales, mais d'une manière générale, il ne dépassait pas le cadre d'un cinéma des effets, jamais ii n était un cinéma des causes, i] restait le cinéma de la mystification, en dehors de l'histoire : le cinéma delà plus tatif'\J'risoimiir de cette situation, le cinéma, l'instrument de communication le plus efficace de notre époque, était destiné uniquement à satisfaire les intérêts idéologiques et économiques des propriétaires des firmes cinématographiques. c'est-à-dire des maîtres du marché mondial du cinéma, pour la plupart nord-anié ricains.

Etait-il possible de sortir de cette situation ? Comment aborder un cinéma dont le coût devait atteindre plusieurs milliers de dollars, alors que les chaînes de distribution et de projection étaient dans les mains des monopoles ? Comment assurer la continuité du travail ? Comment arriver au peuple avec ce cinéma ? Comment

vaincre la répression et la censure imposées par le système ? On peut multiplier les questions dans tous les sens, elles aboutissaient et elles aboutissent encore, pour beaucoup, au scepticisme ou bien à des alibis tels que : «il ne peui раз y avoir de cinéma révolution naire avant la révolution», «le cinéma révolutionnaire n'a été possible que dans les pays libéras», «sans le soutien du pouvoir politique révolutionnaire un cinéma ou u:i art de ia révolution sont impossibles». L'erreur vient de ce qu'on abordait la réalité et le cinéma avec la même optique que la bourgeoisie. On ne proposait pas d'autres modèles de production, de distribution et de projection que ceux que fournissait le cinéma hollywoodien, précisément parce que, sur le plan idéologique et politique, on n'était pas encore parvenu, dans le cinéma, à une différenciation par rapport à l'idéologie et à la politique bourgeoises. Une politique réformiste qui se traduisait par un dialogue avec l'adversaire, par la coexistence, par l'assujettissement des contradictions nationales aux contradictions entre deux blocs supposés uniques : l'URSS et les Etats-Unis, et cela ne pouvait cl ne peut encourager autre chose qu'un cinéma destiné à s'insérer dans le système, au maximum, un cinéma qui pourrait être l'aile "progressiste" du cinéma du système ; en fin de compte, un cinéma condamné à attendre que le conflit mondial soit pacifique

ment résolu en faveur du socia

lisme pour changer alors de signe

qualitatif.

Mais des questions étaient posées, prometteuses, elles surgissaient d'une situation historique nouvelle, une situation à laquelle l'homme de cinéma arrivait avec un certain retard, comme cela se produit habituellement en ce qui concerne les couches cultivées de nos pays , dix ans de Révolution Cubaine, l'épopée de la lutte vietnamienne, le développement d'un mouvement de libération mondial dont l'impulsion part du Tiers-Monde, autrement dit, l'existen

ce, au niveau mondial, de masses

en révolution, tout cela devenait

un fait substantiel sans lequel ces

questions n'auraient pas pu se po

ser. Lue situation historique nouvelle et un homme nouveau naissant à travers la lutte anti-impérialiste requéraient au^si une atti-I te nouvelle de la part des cinéastes du monde entier. La question de savoir si un cinéma militant était possible avant la révolution a commencé à faire place, dans certains groupes encore limites, à celle de savon' si cela

était ou non nécessaire pour con

tribuer à rendre la révolution

possible. C'esl à partir dune réponse affirmative que le développement des possibilités a trouvé, petit à petit, à se frayer la voie dans de nombreux pays. Il suffit de citer les Newsreels nord-américains, les cinegiornali du

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mouvement étudiant italien, les films des Etats Généraux du Cinéma Français et des mouvements étudiants anglais et japonais, continuation et approfondissement de l'œuvre d'un Joris Ivens ou d'un Chris Marker. 11 suffit de voir les films d'un Santiago Alvatez à Cuba ou l'œuvre que plusieurs cinéastes sont en train de réaliser dans "notre Patrie à tous", comme aurait dit Bolivar, à travers un cinéma révolutionnaire latino-américain.

Ln débat approfondi sur le rôle de l'intellectuel et de l'artiste devant la libération enrichit aujourd'hui les perspectives du travail intellectuel dans le monde entier. Mais ce début oscille entre deux pôles: l'un, qui se propose de faire dépendre toutes les possibilités intellectuelles de travail d'une fonction spécifiquement politique ou politico-militaire et qui nie les perspectives de toute activité artistique parce qu'on pense qu'une telle activité est forcément absorbée par le système, et l'autre, qui défend une dualité du travail de l'intellectuel : d'une part, "l'œuvre d'art", "le privilège de la beauté", art et beauté n'étant pas nécessairement liés aux besoins du processus politique révolutionnaire, et, d'autre part, engagement politique, généralement sous la iorme de signature de manifestes anti-impérialistes. Dans les faits: Fart sans lien avec la politique.

Ces deux pôles, à notre avis, reposent sur deux omissions ; la première provient d'une conception de la culture, de la science, de l'art, du cinéma, comme

de termes univoques et universels, et la deuxième, de ce qu'on ne voit pas clairement que la révolution ne part pas de la conquête du pouvoir politique sur 1 impérialisme et la bourgeoisie, mais du moment où les masses établissent la nécessité du changement et où leurs avant-gardes intellectuelles, sur des fronts multiples, commencent à l'étudier et à la réaliser.

Culture, art, science, cinéma répondent toujours aux intérêts des classes en conflit. Dans la situation néo-coloniale, deux conceptions de la culture, de l'art, de la science, du cinéma sont concurrentes : la conception dominante et la conception nationale. Et cette situation persistera tant que le national ne s'identifiera pas avec le pouvoir, tant que régnera la situation de colonie ou de semi-colonie. Bien plus, la dualité ne pourra être dépassée, pour parvenir à l'unique, à l'universel, que lorsque les meilleures valeurs de l'homme passeront de la proscription à l'hégémonie, que lorsque la libération de l'homme sera universelle. En attendant, il a notre culture et leur culture, notre cinéma et leur cinéma. Notre culture en tant qu'impulsion vers l'émancipation continuera, jusqu'à ce que celle-ci se matérialise, à être une culture révolutionnaire et elle entraînera avec elle un art, une science, un cinéma révolutionnaires.

Le fait de ne pas avoir conscience de cette dualité entraîne généralement l'intellectuel à aborder les expressions artistiques ou scientifiques telles qu'el

les ont été conçues par les classes qui dominent le monde en y apportant, dans le meilleur des cas, quelques corrections. On n'approfondit pas assez les possibilités d'un théâtre, d'une architecture, d 'uKe médecine, d'une psychologie d'un cinéma de la révolution, dans une culture venant de nous et laite par nous. L'intellectuel s insère dans chacun de ces faits en le prenant comme une entité à corriger au sein du jait même et pas du dehors, avec des" méthodes et des modèles propres et nouveaux...

A travcis son action, l'intellectuel doit vérifier quel est le front de travail où il peut faire, rationnellement et sensiblement, le travail le plus efficace. C'est de ectie façon, dans cette cruelle et dramatique recherche quotidienne, que pourront naître un cinéma, une médecine, une culture de la révolution, base à laquelle s'alimentera dès à présent l'homme nouveau dont parlait le Che. Pas un homme abstrait, ou "la libération de l'homme", mais un autre homme, capable de se dresser sur les cendres du vieil homme aliéné que nous sommes.

La lutte anti-impérialiste des peuples, du Tiers-Monde et de leurs équivalents dans les métropoles con-titue dès maintenant l'axe de la révolution. Le troisième cinéma. c'est pour nous celui qui reconnaît dans cette lutte la plus gigantesque manifestation culturelle, scientifique et artistique de notre époque, la grande possibilité de construire, à partir de chaque peuple, une personnalité libérée : la décolo-

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nisalion de culture.

La culture d'un pays néo-coionisc, comme son cinéma, sont simplement 1 expression d'une dépendance globale génératrice de modèles et do valeurs nés des besoins de l'expansion impérialiste.

"Pour s'imposer, le néo-colonialisme a besoin de convaincre le peuple du pays dépendant de son intériorité, lot ou tard, i nomme inférieur reconnaît 1 homme majuscule, celte reconnaissance sigimie la destruction, de ses défenses. Si tu veux être un homme, dit l'oppresseur, il taut eue comme moi, parier la même langage, cesser d'être toi-même et t'aliéner à moi. Dé jà au À\ 11° siècle les missionnaires jésuites proclamaient l'aptitude de r i n d i g e n : ( a Àixtoi'que du Sud)

ii copier les œuvres d'art européennes. Copiste, traducteur, interprète, au mieux spectateur, 1 intellectuel néo-colonisé sera toujours poussé à ne pas assumer de possibilités créatrices. C'est alors que se développent l'inhibition, le déracinement, l'évasion, le cosmopolitisme culturel, la limitation artistique, les préoccupations métaphysiques et la trahison au pays". (1)

"La culture devient bilingue, non pas en raison de l'utilisation d'une double langue, mais à cause de la contiguïté de deux patrons culturels de pensée. L'un national, celui du peuple, l'autre étranger, celui des classes soumises à l'extérieur. L'admiration des classes supérieures pour les Etats-Unis et pour l'Europe est le tribut de leur soumission.

Avec la colonisation des classes supérieures, la culture de l'impérialisme introduit indirectement cnez les masses des connaissances qu'elles absorbent sans pouvoir les contrôler". (2)

De même qu'il n'est pas maître de la terre qu'il foule, le peuple néo-colonisé n'est pas non plus maître des idées qui l'entourent.

Connaître la réalité nationale suppose s'enfoncer dans le maquis des mensonges et de la confusion, né de la dépendance. L'in-eiiectuel est obligé de ne pas

penser spontanément, ou s'il le fait, il court le risque de penser en ïrançais ou en anglais, jamais dans la langue d'une culture qui lui soit propre, car celle-ci, de même que le processus de libération nationale et sociale, est encore confuse, en est à ses débuts, Chaque donnée, chaque information, chaque concept, tout ce qui oscille autour de nous est une carapace, un jeu de miroirs qu'il n'est pas facile de démonter.

Les bourgeoisies indigènes des villes portuaires comme Buenos Aires et leurs élites intellectuelles ont constitué, dès l'origine de notre histoire, la courroie de transmission de la pénétration néo-coloniale. Derrière des mots d'ordre comme "Civilisation ou barbarie !" lancés en Argentine par le libéralisme européanisant, il y avait une tentative d'imposer une civilisation qui correspondait pleinement aux besoins de l'expansion impérialiste et au désir de détruire la résistance des masses nationales de nos pays que l'on

traitait successivement de racaille, de négraille ou de bétail, de même qu'on parlait en Bolivie de ''hordes crasseuses". Ainsi les idéologues des semi-colonies, en-traînés à "manier les grands mots avec un universalismo implacable, minutieux et sauvage" (3) se taisaient les porte-parole des suiveurs de ce Disraeli qui proclamait : "Je préfère les droits des Anglais aux droits de l'homme".

Les couches moyennes ont été et siont encore les meilleurs réceptacles de la néo-colonisalion culturelle. Leur condition de classe ambivalente, leur situation de tampon cnlre deux pôles sociaux, leur plus grande possibilité d'accès à la civilisation fournissaient à l'impérialisme la possibilité d'une base sociale sur laquelle s'appuyer qui a atteint, dans certains pays d'Amérique latine, une importance considérable.

Si, dans le cas de la situation ouvertement coloniale, la pénétration culturelle est le complément d'une armée étrangère d'occupation, dans les pays néo-colo-mses, à certaines étapes, celte pénétration à la priorité.

"Elle sett à institutionnaliser la dépendance et à la faire considérer comme une chose normale. Le principal objectif de cette déformation culturelle est que le peuple n'ait pas conscience de cette situation de néo-colonisé qui est la sienne et qu'il n'aspire pas à la changer, ainsi la colonici) La hora de ;os hoinos (L'heure des bra

siers), «No.'-coloniansme et violence». (2) Juan José Hernanoez Arregul, Imperla-iismo y cultura (impérialisme et culture) (3) René Zava'eta Mercado , Bolivia : crecl-miento de la idea nacionai (Bolivie : croissance de l'idée nationale).

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sation pédagogique remplace efficacement fa police coloniale".

Les moyens de communication de masse tendent à compléter la destruction d'une conscience et d une subjectivité nationales susceptibles de se développer, destruction qui commence des que 1 enfant a accès aux formes a information, d enseignement et de culture dominantes. En Argentine, vingt-six canaux de té-levK- icn, un million d'appareiis récepteurs, plus de cinquante stations emettriecs de radio, des centaines de journaux et revues, des milliers de disques, de films, etc. viennent ajouter leur rôle aculturisant de colonisation du goût et des consciences au processus d'enseignement ouvertement néo-colonial dans le primaire et le secondaire et que complète l'université. "Pour le néo-colonialisme, les mass media sont plus efficaces que le napalm. Le réel, le vrai, le rationnel sont, de même que le peuple, en marge de la loi. La violence, le crime, la destruction en arrivent à devenir la Paix, l'Ordre, la Chose Normale." (2) La vérité équivaut alors à une subversion. N'importe quelle forme d'expression ou de. communication qui tente de montrer la réalité nationale est subversion.

Pénétration culturelle, colonisation pédagogique, mass medi-j s'unissent aujourd'hui en un effort désespéré pour absorber, neutraliser ou éliminer toute expression qui réponde à une tentative de décolonisation. II existe de la parrt du néo-colonialisme une sérieuse tentative de

castrer, d'absorber les formes de la culture qui pourraient naître en marge de ce qu'il se propose. On essaie de leur enlever ce qui pourrait les rendre efficaces c! dangereuses : on essaie, en somme, de les dépolitiser. Cela revient à dire détacher l'œuvre des nécessités de lutte pour l'émancipation nationale.

Des idées telles que "ta beauté est révolutionnaire en soi", "tout cinéma nouveau est révolutionnaire", sont des aspirations idéalistes qui n'affectent pas le statut néo-colonial, aussi continuent-elles à concevoir le cinéma, l'art et la Jjeauté comme de» abstractions universelles et non pas en étroite liaison avec les processus nationaux de décolonisa lion.

Toute tentative de contestation qui ne sert pas à mobiliser, à politiser des couches du peuple, loin d'inquiéter le système, esl acceptée avec indifférence et même parfois lui convient. La viru lcnce, le non-conformisme, la simple rébellion, l'insatisfaction sont des produits qui s'ajoutent au marché de vente et d'achat capitaliste, des objets de consommation. Surtout dans une situation où la bourgeoisie a même besoin d'une dose plus ou moins quotidienne de choc et d'éléments excitants de violence contrôlée, ( 3 ) c'est-à-dire de cette violence qui, lorsqu'elle est absorbée par le système, esl réduite à un simple vacarme. C'est le cas des œuvres plastiques socia lisantes convoitées avec délectation par la nouvelle bourgeoisie pour la décoration de ses appartements et de ses petits palais, les

œuvres théâtrales frondeuses et tapageusement d'avant-garde sont applaudies par les classes dominantes, la littérature d'écrivains politiques qui se préoccupentde sémantique et de l'homme, en marge du temps et de l'espace, donne un aspect de largeur d'cuprit démocratique aux maisons d'édition et aux revues du système, le ci-nima "de conte tation" est lamé par les monopoles de distribution et sur les grands marches commerciaux.

"En réalité, la limite des "protestations permises" par le système est bien plus grande qu'il ne l'admet lui-même. De sorte qu'il donne aux artistes l'illusion qu'ils agissent "contre le système" en allant au-delà de certaines limites étroites et ils ne se rendent pas compte que même l'art anti-syslème peut être absorbé et utilisé par le système aussi bien comme frein que comme une autocorrection nécessaire". (4)

Toutes ces tentatives "progressistes", parce qu'il leur manque une conscience de ce qu'il faut faire, de tout ce qui est nôtre, un instrument de notre libération concrète, parce qu'elles manquent en somme de politisation, finissent par devenir l'aile gauchisante du système, l'amélioration de ses produits culturels, la meilleure œuvre de gauche que la droite puisse aujourd'hui

(1) La hora de les hornos, -Néo-co!on!a!ls-me et vloluncé»

(21 Ibld. (3) Remarquez ia i.ouvelle habitude de cor-tains groupes de la haute bourgeoisie romaine et parisi-jnns qui consacrent leurs fins de semai.13 à faire un voyage pour voir da

près l'offensive du Vietcong. (2) Irwin Siiber. • USA : l'aliénation de la culture».

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admettre et elles permettent à celle-ci de survivre. "Replacer les mots, les actions dramatiques, les images, là où ils peuvent jouer un rôle révolutionnaire, là où. ils peuvent être utiles, là où ils se transforment en armes pour ia lutte". (1) Insérer l'œuvre comme un fait original dans le processus de libération, avant de ia situer en fonction de l'art, la situer en fonction de la vie même, dissoudre l'esthétique dans la vie sociale, telles sont, à notre avis - et pas autre chose - les sources à partir desquelles, comme aurait dit Fanon, la décolonisation sera possible, c'est-à-dire, à partir desquelles seront possibles la culture, le cinéma, la beauté, du moins, ce qui est le plus important pour nous, notre culture, notre cinéma et notre sens de la beauté...

"Actuellement, en Amérique latine, il n'y a pas de place pour la passivité ni pour l'innocence. L'engagement de l'intellectuel se mesure aux risques qu'il prend et pas seulement à des mots, à des idées, mais aux actes qu'il accomplit pour la cause de la libération. L'ouvrier qui fait la grève et qui risque de perdre sa possibilité de travail ou de survie, l'étudiant qui met sa carrière en jeu, le militant qui garde te silence sur la table de tortures, chacun d'eux, par ses actes, nous engage à quelque chose de beaucoup plus important qu'un vague geste de so lidarité". (2)

Dans une situation où "l'état de fait" remplace "l'état de droit", l'intellectuel, un travail leur parmi les autres, qui agit sur

un des fronts de la culture, devra tendre, pour ne pas se renier à devenir toujours plus radical afin d'être à ia hauteur de son epoque. L'impuissance de toute conception réformiste a déjà été suffisamment démasquée non seulement sur le pian politique mais aussi sur le plan de la culture et du cinéma, plus particulièrement dans ce dernier dont l'histoire est l'histoire de la domination impérialiste, de la domination yankee surtout.

Une culture, un cinéma ne sont pas nationaux parce qu'ils se situent dans des cadi es géographiques déterminés, mais quand ils répondent aux besoins particuliers de développement et de libération de chaque peuple. Le cinéma qui règne aujourd'hui dans nos pays, créé pour justifier et fane accepter la dépendance, origine de tout son développement, ne peut être autre chose qu'un cinéma dépendant, un cinéma sous-développé.

Si au début de l'histoire (ou de la préhistoire) du cinéma on pouvait parler d'un cinéma allemand, d'un cinéma italien, d'un cinéma suédois, etc., nettement différenciés et répondant à des caractéristiques nationales propres, aujourd'hui de telles différences ont disparu. Les frontières se sont estompées parallèlement à l'expansion de l'impérialisme yankee et au modèle de cinéma que celui-ci allait imposer : le cinéma américain. Il s'avère difficile, à notre époque, de distinguer à travers le cinéma commercial et même dans le cinéma dit "cinéma d'auteurs", aussi bien

dans les pays capitalistes que dans les pays socialistes, une œuvre qui échappe aux modèles du cinéma américain. La domination de ce cinéma est telle que des œuvres monumentales comme La guerre et la paix, du Soviétique Bondar-ciiuk, sont en même temps des exemples monumentaux de la soumission à toutes les propositions imposées par le cinéma américain (structure, langage, etc.) et en conséquence à la conception qui est la sienne.

L'insertion du cinéma dans les modèles américains, même quand il se limite à la forme et au langage, conduit à adopter certaines foi mes d'idéologie qui ont eu ce langage et pas un autre comme résultat. L'appropriation de modèles qui, en apparence, ne sont que techniques, industriels, scientifiques, etc., amène à une situation conceptuelle de dépendance depuis que le cinéma est une industrie, mais à la différence d'autres industries c'est une industrie pensée et structurée pour engendrer des idéologies déterminées. Une caméra de 35 mm, 24 images à la seconde ; des lampes à arc, une salle commerciale pour les spectateurs, ce sont là des faits, mais non pas conçus pour transmettre gratuitement quelque idéologie, mais pour satisfaire avant tout les besoins culturels et de plus-value d'une idéologie particulière, d'une conception du monde : celle du capitalisme américain.

(1) Groupe Plastique d'Avant-garde, Argentine (2) La hora de los hornos, "Violence et libération».

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Adopter de façon mécanique un cinéma conçu comme un spectacle destiné aux grandes salies, d une duiée standard, avec ues structures hermétiques qui naissent el meurent sur l'écran, satisfait, c'est certain, les intérêts commerciaux des groupes producteurs, mais amène aussi à l'absorption de formes de la conception bourgeoise de l'existence qui sont la continuité de l'art 1800, de l'art bourgeois : l'homme n'est admis que comme un objet consommateur et passif ; plutôt que de lui reconnaître une aptitude à construire l histoire, on lui reconnaît seulement le droit de la lire, de l'ê- outer et de la subir. Le cinéma, eu tant que spectacle, s'adresse à un être déglutissant, c'est le point le plus élevé auquel puise parvenir le cinéma bourgeois. Le monde, 1 e-xistence, le devenir historique restent enfermés dans les limites d'un tableau, la scène d'un théâtre, l'écran d'une projection; l'homme est plus considéré comme un consommateur d'idéologie que comme un faiseur d'idéologie. C'est en partant de cette conception que la philosophie bourgeoise et l'obtention de la plus-value se conjuguent merveilleusement. On se trouve alors devant un cinéma calculé par les spécialistes des analyses des motivations, poussé par les sociologues et les psychologues, par les éternels chercheurs des rêves et des frustrations dos masses, destiné à vendre la vie en pellicules, la vie comme au cinéma, la réalité telle qu'elle est conçue par les classes dominantes.

La première alternative à cela, que nous pourrions appeler

le premier cinéma, est née avec ce qu'on a appelé "le cinéma d'auteur", "le cinéma d'expression", 'la nouvelle vague", le cinéma

novo" ou, convcntionncllement, le deuxième cinéma. Cette alternative signifiait un progrès en tant que revendication de la liberté de l'auteur à s'exprnnei dans un langage non standard, c'était une ouvertuie vers une tentative de décolonisation culturelle. Mais les tentatives en sont arrivées à un point tel qu'elles ont atteint les limites permises par te système. Le cinéaste du deu

xième cinéma s'est laissé prendre dans le système, ou est en voie de le faire. La recherche d'un marché de deux cent mille spectateurs en Argentine (chiffre qui est supposé couvrir les frais d'une production indépendante), la proposition de d é v e l o p p e r un mécanisme de production industrielle parallèle à celui du système mais pour être diffusé selon les normes qu'il impose, la lutte pour améliorer les lois de protection du cinéma et "changer les mauvais fonctionnaires pour en mettre à leur place de moins mauvais", etc., tout cela est une démarche sans perspective viable si ce n'est celle de devenir officiellement "l'aile jeune et frondeuse de la société", c'est-à-dire de la société néo-colonisée ou de la société capitaliste.

Des possibilités réelles el différentes de celle qu'offre le système ne sont possibles que lorsque l'on tieni compte des conditions suivantes : élaborer des

œuvres que le système ne peut pas absorber et étrangères à ses besoins ou des œuvres qui soient faites pour le combattre directement et explicitement. Aucune de ces conditions n'entre dans les possibilités que poursuit le deuxième cinéma ; mais on peut les trouver dans la percée révolutionnaire vers un cinéma en marge du système et contre le système, un cinéma de libération : le troisième cinéma.

Une des tâches les plus ef-ficacei du néo-colonialisme a été de détacher certains milieux intellectuels, surtout les artistes, de la réalité nationale et de les faire, par contre, s'aligner derrière "l'art et les modèles universels". Intellectuels et artistes ont en général été à l'arrière des luttes populaires, quand ils n'allaient pas contie elles. Les couches qui ont le mieux travaillé pour la con ti'tiction d'une culture nationale comprise comme une im-plusion vers la décolonisation ) n'ont justement pas été les élites instruites, mais les milieux les plus exploités et les moins civilisés. Les organisations populaires se sont, à juste titre, toujours méfiées de "l'intellectuel" et de "l'artiste". Quand ceux-ci n'ont pas été ouvertement utilisés par la bourgeoisie ou l'impérialisme, ils Font été indirectement car ils se sont pour la plupart limités à proclamer une politique de "paix et démocratie" ayant peur de tout ce qui pouvait avoir une allure nationale, ayant peur de contaminer l'art à la politique l'artiste au militant révolutionnaire. C'est ainsi qu'ils ont masqué les causes internes qui ont

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provoqué las contradictions de la société néo-colonisée en mettant au premier plan les causes extérieures qui, "si elles sont la condition des changements, ne peuvent en aucun cas en être la base" (1), en remplaçant, dans le cas de l'Argentine, la lutte contre l'impérialisme et l'oligarchie indigène par la lutte de la démocratie contre le fascisme, en supprimant la contradiction fondamentale d'un pays néo-colonisé et en la remplaçant "par une contradiction qui était une copie de ia rtwitradiction mondiale". (2)

Ce détachement, de la part des couches intellectuelles et des artistes, des processus nationaux de libération qui, entre autres, aide à comprendre les limitations idéologicjues dans lesquelles ils se sont développés, tend aujourd'hui à diminuer dans la mesure où les uns et les autres commencent à découvrir qu'il est impossible de remporter la victoire sans se rallier auparavant à une lutte pour des intérêts communs. L'artiste commence à sentir l'insuffisance de son non-conformisme et de sa révolte individuelle. Les organisations révolutionnaires, à leur tour, découvrent le vide qu'engendre, sur le plan culturel, la lutte politique. Les difficultés que présente la réalisation dans le domaine du cinéma, les limitations idéologiques du cinéaste d'un pays néo-colon.ial, etc., ont été les élément objectifs qui ont fait que jusqu'à maintenant les organisations du peuple n'avaient pas accordé au cinéma l'attention qu'il mérite. La pensée écrite, les

informations imprimées, la pro pagande murale, les discours et les formes d'information, d'explication et de politisation verbales continuent à être jusqu à maintenant les principaux instruments de communication dans les organisations et les couches d'avant-garde ou des masses. Mais le fait que certains cinéastes se soient rcsitués et qu'en conséquence de celte altitude ils aient produit des films utiles à la libération a permis à quelques avant-gardes politiques de découvrir l'importance du cinéma en tant que moyen de communication et de comprendre qu'en raison de ses caractéristiques particulières, il permet de rassembler, pendant la durée d'une projection, des forces d'origines diverses, des gens qui n'auraient peut-être pas répondu à l'appel à un discours ou à une conférence de la part d'un parti Le cinéma s'avère être un prétexte efficace et il ajoute à cela le contenu idéologique qui lui est propre.

La capacité de synthèse et de pénétration de l'image filmée, la possibilité d'un document vivant et d'une réalité nue, le pouvoir d'explication des moyens audiovisuels dépassent de loin n'importe quel autre moyen de communication. Inutile de dire que ces œuvres, qui parviennent à exploiter intelligemment les possibilités de l'image, le dosage des concepts, le langage et ia structure qui émanent de la narration audio-visuelle, obtiennent des résultats efficaces dans le domaine de la politisation et de la mobilisation des cadres et mê

me dans le travail au niveau des masses là où cela s'avère possible..

Certains des aspects qui, il n'y a pas longtemps, retardaient l'utilisation du cinéma en tant qu'instrument révolutionnaire, étaient le problème des appareils, les difficultés techniques, la spécialisation requise obligatoirement à chaque «tape du travail, les prix élevés, etc. Les progrès réalisés aujourd'hui dans chacun de ces domaines, la simplification des caméras, des magnétophones, les nouveaux progrès dans le domaine de la pellicule, les pellicules "rapides" qui peuvent imprimer l'image sans éclairage s p é c i a l , les photomètres automatiques, les progrès dans l'obtention de la synchronisation audio-visuelle, tout cela, ajouté à la diffusion des connaissances dans ce domaine par les revues spécialisées à grand tirage et même par des publications non spécialisées, a servi à démystifier le fait cinématographique, à lui effacer celle auréole quasi magique qui faisait apparaître le cinéma comme ne pouvant être qu'à la portée des "artistes", des "génies" ou des "privilégiés". Le cinéma devient de plus en plus à la portée de classes plus nombreuses. Les expériences réalisées en France par Marker, qui a donné des caméras 8 mm à des groupes d'ouvriers, après leur avoir appris comment les manier et dans le but de permettre au travailleur de filmer, comme s'il l'écrivait,

(1) Mac- Tsé-Toung, De la prallque. (2) Rodolfo Pulgross El proletariado y la revolución nacional (Le prolétariat et la ra-voiution nationale).

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sa propre vision du monde, sont

des expériences qui ouvrent au

cinéma des perspectives inédites

et avant tout : une nouvelle con

ception du fait cinématographi

que et de la signification de l'art

à notre époque.

L'impérialisme et le capitalisme, que ce soit dans la société de consommation ou dans le pays néo-colonisé, recouvrent tout d'un voiie d'images et d'apparence. Plus que la réalité, ce qui importe là, c'est une image intéressée de cette réalité. Monde peuplé de fantaisie et de fantômes où la monstruosité esl revêtue de beauté et la beauté de monstruosité. D'une part, la fantaisie, l'univers bourgeois imaginaire où scintillent le confort, l'e'iuilibre, la saine raison, l'ordre, l'efficacité, la possibilité "d'être quelqu'un". D'autre part, les fantômes, nous, les paresseux, les indolents, les sous-dévcloppcs, les fauteurs de désordre. Quand le néo-colonisé accepte sa situa

tion, il devient un Gungha Din, un délateur au service du colon, un oncle ïoiii, renégat de sa classe et de race, ou un idiot, serviteur sympathique el grotes que, mais quand il essaie de refuser sa situation d'oppression, il passe pour être un a.gri, un sauvage, un mangeur d'enfants. Le révolutionnaire est pour le système, pour ceux qui ne dorment pas de peur de ceux qui ne mangent pas, un scélérat, un assail lant, un violateur et, par conséquent, la première bataille qu'on mené contre iui ne se situe pas sur ïe plan politique mais se livre avec les ressources et les lois policières.

Plus l'homme est exploité, plus on le considère comme insignifiant. Plus il résiste, plus on le place au niveau des bêles. On peut voir dans Africa addio du fasciste Jacopelti, les sauvages africains, bêtes exterminatrices et sanguinaires, soumis à une abjecte anarchie une fois qu'ils se sont défaits de la protection

blanche. Tarzan est mort et à 6a place sont nés les Lumumba. Vs Lobemgula, les Nkomo et le< Madziinbamuto, et c'est là quelque chose que le néo-colonialisme ne pardonne pas. La fantaisie a été remplacée par des ian-iômes et alors l'homme devient une vedette de la mort afin que Jacopetti puise filmer commodément son exécution.

Je fais la révolution, donc j'existe. A partir de là, fantaisie el fantômes se dissolvent pour laisser la place à l'homme vivant. Le cinéma de la révolution est simultanément un cinéma de destruction et de construction. Dest ruc t ion de l'image que le néo-colonialisme a donnée de lui-même et de nous. Construction d'une réalité palpitante et pleine de vie, restitution de la vérité dans n'importe laquelle de ses expressions.

Le fait de remettre des choses à leur place et de leur rendre leur véritable signification est quelque chose d'extrêmement

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subversif aussi bien dans la situation néo-coloniale que dans les soc-étés de consommation. Dans ces dernières l'apparente ambiguïté ou la pseudo-objectivité de l'information dans la presse écrite, dans la littérature, etc., ou la relative liberté qu'ont les organisations populaires de fournir leurs propres informations, cessent d ê-tre telles pour devenir une véritable restriction quand il s'agit de la télévision et de la radio, les deux plus puissants moyens d'information contrôlés et monopo-ii lés par le système. Les expériences au moment des événements de mai en France sont assez explicites sur ce plan.

Le monde où règne l'irréel, l'expression artistique est poussée vers la fantaisie, la fiction, les langages-clé, les signes et les messages insinués entre les lignes. L'art se détache des faits concrets qui pour le néo-colonialisme sont des témoignages d'accusation et tourne sur lui-même cl se pavane dans un monde d'abstraction et de fantômes, il se situe hors du temps et de l'histoire. Il peut se référer au Viet-Nam, mais loin du Viet-Nam, à l'Amérique latine, m a t s loin du continent, là où il perd son efficacité et ses moyens, là où il se dépolitise.

Le cinéma dit documentaire, avec le vaste champ qu'embrasse cette conception, qui va du didactique à la reconstruction d'un fait ou d'une histoire, est sans doute la base d'où doit partir le cinéma révolutionnaire. Chaque image qui documente, témoigne, réfute, approfondit la vérité d'u

ne situation es' quelque chose de plus qu'une image de film ou un fait purement artistique, cela devient quelque chose que le système ne peut pas absorber.

Le témoignage d'une réalite nationale est, en outre, un moyen inestimable de dialogue et de connaissance au niveau mondial. Aucune forme internationale de lutte ne pourra réussir s'il n'y a pus un échange mutuel des expériences entre les peuples, si un ne détruit pas, à l'échelle mon dialc, continentale et nationale, la bilkanisalion qu'essaie de maintenir l'impérialisme.

Il n'y a pas de possibilité d'accès à la connaissance d'une réalité tant que ne se réalise pas une action tendant à transformer, de chaque front de lutte, la réalité abordée, "'il ne suffit pas d'interpréter le monde, maintenant, il s'agit de le changer", cette phrase de Marx, il faut la répéter à chaque instant. ; J, |

Partant de cette attitude, il reste au cinéaste à découvrir son propre langage, celui qui surgira de sa vision militante et tranu-fonnatrice et du caractère du thème qu'il abordera. A ce propos, il faut signaler qu'il existe encore, chez certains cadres, de vieilles positions dogmatiques qui consistent à n'attendre de la part du cinéaste ou de l'artiste qu'une vision aplogélique de la réalité, plus en foncion de ce qu'on désirerait idéalement qu elle soit que de ce qu'elle est. Ces positions qui cachent, au fond,

un manque de confiance en ce qui concerne les possibilités de la réalité même, ont amené, dans certains cas, à utiliser le langage cinématographique en tant que simple illustration idéalisée d"un fait, à vouloir enlever, a la réali-Lé ses profondes contradictions, sa richesse dialectique, qui est ce qui peut donner à un filin beauté et efficacité. La réalité des processus révolutionnaires dans le monde entier, malgré ses aspects conf'i» ••! négatifs, contient une ligne dominante, une synthèse assez riche et assez stimulante pour ne pas la schématiser par des visions partiales ou sectaires.

Le cinéma pamphlet, le cinéma didactique, le cinéma d'information, le cinéma d'essai, le cinéma d> témoignage, toute ter me militante d'expression est va lable el il serail absurde de dicl'it des normes esthétiques de travail. Recevoir tout du peuple, lui fournir ce qu'il y a de meilleur, ou, comme l'a dit le Che, respeclei le peuple en lui donnant de la qualité. Il serait bon, devani h.s tendances toujours latentes che;; l'artiste révolutionnaire a rabaisser la recherche et le langage d'un thème à une espèce de néo-populisme, de tenir compte de cela car si leile est bien l'ambiance .Luis laquelle se meuvent les masses, cela ne peut en aucun cas les aider à se débarrasser des traces laissées par l'impérialisme. L'efficacité obtenue par les meilleures œuvres du cinéma militant prouvent que les couches considérées comme arriérées sont suffisamment aptes à comprendre le sens exact d'une association d'images.

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d'un effet de montage, de n'importe quelle tentative linguistique qui se situe en fonction d'une idée précise. D'autre part, le cinéma révolutionnaire n'est pas essentiellement celui qui illustre ou documente ou fixe passivement une situation, mais celui qui essaie d'agir sur elle, en tant qu'élément d'impulsion et de correction. C'est-à-dire, découvrir en transformant.

Les différences qui existent entre les divers processus de libération font qu'il n'est pas possible d'établir des règles qui se voudraient universelles. Un cinéma qui, dans la société de consommation, n'atteint pas le niveau de la réalité dans laquelle il se manifeste, peut, dans un pays néo-colonial, jouer un rôle stimulant, de même, qu'un cinéma révolutionnaire, dans une situation néo-coloniale, ne le sera pas forcément si on le fait passer mécaniquement dans les métropoles...

Le modèle de l'œuvre d'art parfaite, du film parfait exécuté selon les règles imposées par la culture bourgeoise, ses théoriciens et ses critiques, a servi, dans les pays dépendants, à inhiber le cinéaste, surtout quand il a voulu adapter des modèles identiques à une réalité qui ne lui offrait ni la culture, ni la technique, ni les éléments les plus élémentaires pour y parvenir. La culture de la métropole gardait les secrets millénaires qui avaient donné naissance à ses modèles; la transposition de ceux-ci à la réalité néo-coloniale s'est toujours avérée un mécanisme d'aliénation à pa'tir du moment où l'artiste

du pays dépendant ne pouvait pas absorber en peu d'années les secrets d'une culture et d'une société élaborées au cours des siècles à travers des circonstances historiques absolument différentes. La pr. i ivlun d'arriver, dans le domaine du cinéma, à se mesurer aux œuvres des pays dominants finit généralement par un échec étant donné l'existence de deux pays réalités historiques n'ayant pas de commune mesure. Cette démarche, comme elle ne trouve pas de moyen d'être résolue, conduit à un sentiment d'infériorité et dé frustration.

Mais celles-ci naissent avant tout de la peur de prendre le risque de s'engager dans des voies absolument nouvelles, rejetant, dans leur presque iotalité. celles qu'offre "leur cinéma". Peur de reconnaître les particularités et les limitations d'une situation de dépendance poar découvrir les possibilités de cette situation et de trouver des formes de la surmonter forcément originales.

L'existence d'un cinéma révolutionnaire n'est pas concevable sans l'exercice constant et méthodique de la pratique, de la recherche et de l'exoérimenta-tion. Bien plus, c'est l'obligation pour le nouveau cinéaste de s'engager, de s'aventurer dans l'inconnu en faisant parfois un saut dans le vide, en s'exposant à l'échec, comme le fait le guérillero qui s'engage dans des sentiers qu'il s'ouvre à coups de machette. C'est dans cette aptitude à se situer en marge du connu, à se déplacer au milieu des dangers continuels que réside la possibilité de découvrir et d'inventer

des formes et des structures cinématographiques neuyes qui servent à une vision plus en profondeur de notre réalité.

Notre époque est une époque d'hypothèses, désordonnées, violentes, faites la caméra dans une main, une pierre dans l'autre et qu'il est impossible de juger selon les canons de la théorie et de la critique traditionnelles. C'est dans la pratique et dans l'expérimentation désinhibitrices que naîtront les idées pour une théorie et une critique cinématographiques qui soient les nôtres. "La connaissance commence par la pratique, après avoir acquis des connaissances théoriques au moyen de la pratique, il iaut retourner à la pratique". (1) Une fois enfoncé dans cette piaxis, le cinéaste révolutionnaire aura à vaincre d'innombrables obstacles; il sentira la solitude de ceux qui, aspirant aux flatteries des moyens : ! t promotion du système, s'aperçoivent que ces .noyens leur sont fermés.

De la pratique

C'est pourquoi le travail d'un groupe de troisième cinéma doit être régi par des règles strictement disciplinaires en ce qui concerne les méthodes de travail. Le groupe existe, il est donc un complément de responsabilités, une synthèse de possibilités complémentaires dans la mesure où il agit en harmonie avec une direction qui centralise la planification du travail et assure sa continuité . L'expérience indique

(1) Mao r.-'é-to'jng, op. cit.

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qu'il n'est pas facile de mainte nir la cohésion d'un groupe quand celui-ci se trame être bombardé par le système et si

chaîne de complices souvent déguisés en "progressistes", quand il n'y a pas de stimulation extérieure immédiate et spectaculaire el on connaît les difficultés el les tensions d'un travail fait et diffusé en dehors du système. Beaucoup abandonnent leurs responsabilités soit parce qu'ils ne leur accordent pas leur véritable vaieur, soit parce qu'ils exigent un genre de valorisation qui est ceîU du cinéma du système et non pas teile de noire cinéma. La naissance de conflits internes est une réalité qui existe dans chaque groupe, qu'il soit ou non idéologiquement préparé. La non conscience de ce conliit intérieur au niveau psychologique, car acte i oieg) que, etc., te manque de maturité pour faire face au problème des rapports conduisent parfois à des opposi-l'ons et à des rivalités qui provoquent de vérilahles affrontements au-delà des divergences idéologiques ou de l'objectif à atteindre. Aussi la conscience des problèmes des rapports, de la direction et de la compétence est-elle fondamentale. Parler clairement, délimiter les camps, fixer les responsabilités, assumer sa tâche rigoureusement, en lunt que militant. Le troisième cinéma prolétarise le cinéaste, brise l'aristocratie intellectuelle que la bourgeoisie oc-troie à ses suiveurs, démocratise. Les liens du cinéaste avec la réalité l'intègrent davantage à sor peuple. Des couches d'avant-garde, et même des masses inter

viennent collectivement à l'œuvre quand elles comprennent qu'il s'aait de la poursuite de sa lutte quotidienne. La hora de los hornos illustre la façon dont un film peut être mené à bien maigre les circonstances hostiles quand il a ia collaboration de militants et de cadres du peuple.

Le cinéaste révolutionnaire agit avec une vision radicalement neuve du rôle du réalisateur, du travail d'équipe, des instrument?, des détails. Avant tout il se ravitaille lui-même pour produite ses iums, il s'équipe dans tous ies domaines, il s exerce au maniement ues différentes techniques. Ce qu'il possede de plus vataole ce sont ses outils de travail, engagés touiiemeul pour servir son besoin de communication. La caméra est une inépuisable arracheuse d images-munitions, l'appareil de projection, une arme capable de lancer 24 photographies a la seconde.

Chaque membre du ¿íoupe doit avoir des connaissances au moins générales, des appareils qui sont utilisés : il doit pouvoir remplacer les autres à n'importe quelle phase de la réalisation. 11 faut renverser le mythe des techniciens irremplaçables.

Le groupe tout entier doit accorder une grande impar ¡mee aux petits détails de ia réalisation el à ia sécurité qui doit la protéger. Une imprevisión, quelque chose qui dans le cinéma conventionnel passerait inaperçu, peut, dans notre cinéma, démolir le travail de semaines et de mois. Et un échec, dans ce troisième cinéma peut signi-

Eier la p e r t e d'une œuvre ou la modification de tous les" plans. Aptitude à soigner les détails, discipline, rapid'lé ;»t surtout être disposé à vaincre les faiblesses, la commodité, les vieilles habitudes, le climat ¿.sendo normal derrière lequel se- cache le rapport quotidien Chaque film est une opération différente, r.n travail différent qui oblige à varier les métl odes, surtout quand les laboratoires de développement sont encore entre les ma.ns Jes monopoles...

Le cinéaste révolutionnaire et les groupes de travail seront, du moins aux étapes initiales, les seuls producteurs de leurs œuvres. C'est sur eux que reposera la plus grande responsabilité en ce qui concerne l'étude des loi,m s do récupération économique qui faciliteront la continuité du travail. Notre cinéma n'a pas encore un passé suffisant pour oîaldh* des régies dans ce domaine; les expériences qui existent n'ont rien prouvé d'autre qu'une habileté à profiler des circonstances particulières qui existaient dans chaque pays. Mais quelles que puissent être les situations on ne peut pas envisager la préparation d'un film sans étudier au préalable ses destinataires el, par conséquent, envisager un plan de récupération des tonds investis. Et ici, vient à nouveau se poser la nécessité d'un lien plus étroit entre les «vaut-gardes artistiques et les avant gardes politiques car ce IIPO est uliîo pour l'étude en commi:.; des formes de production, de diffusion et de continuité.

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Un troisième cinéma ne peul pas être destiné à d'autres mécanismes de diffusion que les possibilités d'action des organisations populaires et parmi ces mécanismes, ceux que le cinéaste lui-mci,^ inventera u découvrira. Production, diffusion et r tos-sibilitès économiques de survie doivent faire partie d une même stratégie. La résolution des problèmes auxquels il faut faire face en ce qui concerne ch.e.une de ces lâches est ce qui encouragera d'autres gens à taire ce travail du troisième cinéma, à rejoindre se' lai.^s et à le rendr • moins vulnérable.

La diffusion d'un tel cinéma en Amérique latine en est à ses premiers balbutiements, cependant la répression du système est déjà, en ce qui le concerne, un fait légalisé. Il suffit de voir en Argentine les interventions qui se sont produites pendant quelques-unes des projections el la dernière loi de répression cinématographique de ton nettement fasciste ; au Brésil les restrictions sont tous les jours plus grandes pour les camarades les plus com-battifs du cinéma novo; au Venezuela l'interdiction et le retrait du visa de La hora de los hornos sont un fait ; dans presque tout le continent la censure empêche toute possibilité de diffusion publique.

Sans films révolutionnaires et sans un public qui les réclame,

toute tentative d'ouvrir des for-•Lies nouvelles de clitfusion serait condamnée à l'échec. Les uns et l'autre existent déjà en Améri-rique latine. L'apparition de telles œuvres a ouvert une voie qui passe dans certains pays comme l'Argentine par des projections dans des appartements ou des maisons avec un nombre de participants qui ne devrait jamais dépasser 25 personnes; ailleurs, comme au Chiii, dans dos paroisses, des universités ou des centres cie culture (de moins en moins nombreux); dans le cas de 1 Uruguay, projections dan» le plus grand cinéma de Montevideo, devant 2.OUI personnes qui remplissent la salle et font de chaque projection une fervente manifestation anti-impériaiisle (1) . . .

Les circuits de 16 mm en Europe : 20.000 centres en Suéde, 30.000 en France, etc., ne sont pas les meilleurs exemples poulies pays néo-colonisés mais sont cependant un complément doni il faut tenir compte pour l ' c . , _ tion de fonds, plus encore dans une situation où ces circuits peuvent jouer un rôle important dans la diffusion des luttes du Tiers-Monde qui sont de plus en plus liées à celles qui se développent dans les métropoles. Un film sur la guérilla vénézuélienne dira plus au public européen que vingt brochures explicatives, il en sera de même pour nous

avec un film sur les événements de mai en France ou la situalkm des étudiants de J: erl>eiey, au Etats-Unis.

Un troisième cinéma, à ce.îe étape, à la portée de couches limitées de la population, est cependant le seul cinéma de masses possible aujourd'hui car c'est le seul qui se nourrit des intérêts, des aspirations et des perspeeti ve» de l'immense majorité du peuple.

Chaque œuvre importante d'un cinéma révolutionnaire constituera, que cela soit ou non explicite, un événement nationa1

de masses.

Des conditions de prosenp tion que lui impose le système, le cinéma militant doit savoir retirer l'infinité de nouvelles possibilités qui s'ouvrent à lui. La tentative de surmonter l'oppression néo-coloniale oblige a inventer des moyens de communication, en inaugure la possibilité.

Avant et pendant la réalisation de La hora de los hornos, nous avons réalisé diverses expériences de diffusion de cinéma révolutionnaire, le peu que iiojs en avions à l'époque. Chaque pro jection, s'adressant à des mili

eu L'hebdom.-ida re Marcha organise, après minuit et le dimanche matin, des projections qui reçoivent un accueil de qualité de la part d'un grand public.

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tants, a des cadres moyens, à des gens menant une action politique, à les o'i\ries et à des universitaires, se transformait, sans que nous nous le soyons propose a prion, en une espèce de réunion dont le3 films faisaient partie mais n'étaient pas le facteur le plus important. Nous découvrions une nouvelle face uu cinéma, la participation de c:> lui qui jusqu'alors était toujours considéré comme un spectateur. Le spectateur cédait le pas à l'acteur qui S2 cherchait lui-même « travers les autres.

Hors de cet espace que les filins aidaient momentanément à libérer, existaient seulement la solitude, le manque de communication', la mètiaiiec, la peur; dans 1 espace libre la situation en ia; sait des complices de l'ai Uon qu'ils étaient en train de faire Les débats naissaient spontanément. A mesure que les expériences se succédaient, nous introduisions au coins des projections divers éléments (une mise en scène) qui devaient renforcer les thèmes ttes films, le climat de la manifestation, la dé. inhibition des participants, le dialogue : musique ou poèmes enregistrés, éléments plastiques, affiches, un meneur des débats qui dirigeait les discussions, présentait les films et les camarades qui prenaient la parole, un verre de vin, du maté, etc. Et nous avons ainsi pu nous rendre compte que ce que nous avions en lie les mains de plus valable était :

1) Le camarade participant, l'homme-acleur qui participait à ia réunion ;

2) L'espace libre dans le cadre duquel l'homme exposait ses inquiétudes et ses propositions, se politisait et se libérait ;

3) Le film, qui importait à peine, juste en tant que détonateur ou prétexte.

Nous avons déduit de ces données qu'une œuvre cinématographique pourrait clic beaucoup plus efficace si elle en prenait pleinement conscience et si elle était disposée à soumettre sa forme, sa structure, son langage et ses buts à ces manifestations et à ces manifestants. Cela revient à dire, si elle cherchait sa propre libération en se soumettant aux autres, en s'in-seront parmi les principaux protagonistes de la vie. En partant delà correcte utilisation dû temps que ce groupe d'acleurs - personnages nous accordait avec ses histoires diverses, de l'utilisation de l'espace que nous offraient certains camarades et des films eux-mêmes, il fallait essayer de transformer temps, espace et œuvre en énergie de libération. C'est ainsi qu'est née la structure de ce que nous avons appelé cinéma-manifestation, cinéma-action, une des formes qui à notre avis prend une grande importance pour affirmer la ligne du troisième cinéma. Un cinéma donl nous avons fait la première expérience, peut-être au niveau du balbutiement, avec la deuxième et la troisième parties de La kora

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de los hornos ("Manifestation pour la libération", surtout à partir <ie "La résistance" et "Violence et libération").

"Camarades (disions-nous au commencement de "Manifestation pour la libération"), il ne s'agit pas là simplement de la projection d un fil sa, il ne s'agit pas non plus d'un spectacle, il sa-git avant tout d'une MANIFESTATION. Une manifestation d'unité anti-impérialiste; il n'y a de place dans cette manifestation, ipie pour ceux qui s'identifient avec cette lutte car il ne s agit pas ici d'un espace pour spectateurs, ni pour des complices de l'ennemi, mais pour les seuls auteurs et protagonistes dont ce film essaie, d'une certaine manière, de témoigner et qu'il essaie d'approfondir. Ce film est un prétexte au dialogue, à la recherche de volontés et doit permettre d'en trouver. C'est une information que nom vous présentons pour en discuter après la projection."

"Les conclusions que vous pourrez tirer (disions-nous au moment de la deuxième partie) en tant qu'acteurs réels et protagonistes de celle histoire sont importantes. Les expériences que nous avons recueillies, les conclusions que nous avons tirées ont une valeur relative; elles servent à quelque chose dans la mesure où elles sont utiles au présent et à l'avenir de la libération que vous représentez. Ce qui importe surtout, c'est l'action qui peut naître de ces conclusions, l'uni te sur la base des faits. C'est pourquoi le film s'arrête ici pour que vous puissiez le continuer *.

Avec le cinéma-manif estai ion

on arrive à un cinéma inachevé et ouvert, un cinéma essentiellement de la connaissance.

"Le premier pas dans la connaissance c'est le premier contact avec les choses du monde extérieur, l'étape des sensations (dans un film, la fraîcheur vive de l'image et du son). Le deuxième est la synthèse des données ayant produit les sensations, leur ordonnancement et l'élaboration, l'étape des concepts, des jugements, des déductions (dans le film, le commentateur, les reportages, les di dascalies ou le narrateur qui dirige la projection-manifestation;. Et la troisième étape, celle de la connaissance. Le rôle actif de la connaissance ne s'exprime pas seulement par un saut actif de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle, mais ce qui est encore plus important, par le saut de la connaissance rationnelle à la pratique révolutionnaire (...) la pratique de la transformation du monde (...) Telle est dans son ensemble la théorie matérialiste dialectique de l'unité du savoir et de l'action " (1) (dans la projection du film-manifestation, la participation des camarades, les propositions d'actions qui surgissent, les actions mêmes qui se produisent a posteriori).

D'autre part, chaque projection de film-manifestation suppose une mise en scène différente, étant donné que l'espace dans lequel elle se réalise, le matériel qui la compose (acteurs-participants) et le temps historique dans lequel elle a lieu ne sont pas toujours

les mêmes. Cela veut dire que le résultat de chaque projection dé pendra de ceux qui l'organisent, de ceux qui y participent, du lieu et du moment où elle se fera et où les possibilités d'y introduire des variantes de complément, les modifications qui pourront intervenir n'auront pas de limites. La projection d'un film-manifestation exprimera toujours d'une manière ou d'une autre, la situation historique dans laquelle elle aura été réalisée.

L'homme du troisième cinéma, que ce soit à partir d'un cinéma-partisan ou d'un cinéma-manifestation, avec l'infinité de genres qu'ils peuvent impliquer (cinéma-lettre, cinéma-poème, cinéma—essai, cinéma—pamphet. cinéma-information, etc...) op pose à toute une industrie un cinéma artisanal ; au cinéma de fiction, un cinéma scientifique; au cinéma de personnages, un cinéma de thèmes; au cinéma d'individus, un cinéma de masses; au cinéma d'auteur, un cinéma de groupe; au cinéma de mésinformation néocolonial, un cinéma d'information ; à un cinéma d'évasion, un cinéma qui rende la vérité; à un cinéma spectacle, un cinéma- manifestation, un cinéma d'action; à un cinéma de destruction, un cinéma simultanément de destruction et de construction; à un cinéma fait pour le vieil homme, pour eux, un cinéma à la mesure de l'Iiomme nouveau : celui de la possibilité que chacun de nous représente.

(1) Mao rsé-toui:a, op. cit.

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La décolonisation du cinéaste et du cinéma seront des faits simultanés dans la mesure où l'un et l'autre nous apportent la décolonisation collective. La bataille commence au-dehors contre l'ennemi, qui nous agresse, mais aussi au-dedans, contre les idées, les modèles de l'ennemi qui existe en chacun de nous. Destruction et construction. L'action décolonisatrice consiste à retrouver dan-leur praxis les impulsions les plus pures et les plus vitales ; à la colonisation des consciences elle oppose la révolution des consciences. Le monde est scruté, approfondi, redécouvert. On assiste à un continuel étonnement, à une espèce de seconde naissance. L'homme retrouve son innocence premier-", àà capacité d'aventure, sa capacité d'indignation aujourd'hui léthargique.

Libérer la vérité proscrite signifie libérer une possibilité d'indignation, de révolte. Notre vérité, celle de l'homme nouveau qui se construit en se débarrassant de tous les vices qu'il traîne encore, est rené bombe au pouvoir inépuisable et, en même t^mps, la seule possibilité de vie.

Les grands thèmes, l'histoire nationale, l'amour et la rupture entre les combattants, l'effuit d'un peupie qui se réveille, tout renaît devant l'œil des caméras

décolonisées. Le cinéaste se sent pour la première fois libre. Au sein du système, il découvre qu'il n'y a rien, en marge du système et contre lui, il y a tout, parce que tout est à faire. Ce qui hier paraissait une folle aventure, comme nous le disions au début, se pose aujourd'hui comme une nécessité et une possibilité auxquelles on ne peut pas échappa .

Ce sont là des idées en vrac, les propositions de travail. A peine une ébauche d'hypothèses nées de notre expérience personnelle et qui joueront un rùic positif si cites permettent d'ouvrir un dialogue chaleureux sur la nouvelle perspective révolutionnaire du cinéma. Les vides qui existent sur les fronts artistique et scientifique de la révolution sont assez notoires pour que l'adversaire n'essaye pas de les coin bier tant que nous ne serons pas capables de le faire nous mêmes

Pourquoi le cinéma et pat) une autre forme de communication artistique ? Si nous avons choisi le cinéma comme centre de nos propositions et de ce débat, c'est parce que c'est noire front de travail ; en outre la naissance du troisième cinéma signifie, du moins pour nous, l'événement artistique révolution nuire le plus important de notre époque.

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notes sur lénine et l'art

par a. sanchez vazquez

Adoijo Sanchez - Vazquez est actuellement chef du département de philosophie à l'Université de Mexico. Il peut être considéré aujourd'hui comme un des plus grands philosophes marxistes vivants. Parmi ses œuvres principales un ouvrage sur l'esthétique chez K. Marx et son ouvrage fondamental "Philosophie de la praxis". Cette œuvre n'est encore traduite ni en français ni en arabe.

Ces notes sur Lénine et l'art, ont été publiées par la revue cubaine Cata de Las Américas dans un récent numéro consacré à Lénine. Nous espérons, dans nos} prochains numéros, faire connaître davantage l'œuvre de A. Sanchez-Vazquez dont on s'étonne qu'elle soit si peu traduite et connue.

7 Lorsque Lénine aborde les prob lèmes de l'art et de la l i t té ra tu re , son a t t i tude est cel le d'un homme pol i t ique révo lu t ionnai re devant une fo rme spéc i f ique de praxis qui- d'une manière ou d'une aut re , a t ra i t à la praxis po l i t ique. I l ne s 'agi t pas pour lui d 'é laborer une théor ie de l 'art ou de la l i t té ra ture , ni même d'en je te r les bases ; mais i l s 'agi t de fa i re face, en homme pol i t ique, à des phénomènes auxquels i l ne peut res ter ind i f fé ren t - ceci pour la s imp le raison que ni l 'art ni la l i t té ra ture ne peuvent rester ind i f fé ren ts à la pol i t ique. Le jugement que por te Lénine sur les phénomènes l i t té ra i res est avant t ou t fonc t ion d'une nécess i té pol i t ique prat ique : le rôle social et idéologique de la l i t térature, l 'aide qu 'e l le peut apporter au pro lé tar ia t pour une pr ise de consc ience de sa vér i tab le s i tuat ion et , partant , la connaissance du rée l .

9 Ce qui in téresse Lénine, homme pol i t ique et révo lu t ionnai re , c 'est que l 'art so i t un moyen de fa i re prendre consc ience de la nécess i té de t rans fo rmer la réa l i té . Cet te pr ise de concience requier t à son tour une représenta t ion exacte de la réa l i té . C'est pourquoi Lénine c r i t ique chez les popul is tes l ' idéal isat ion de la réa l i té . Lénine, réal is te en po l i t ique, l 'est aussi en l i t té ra tu re .

Dans la mesure où el le se rat tache au réel de façon bien réa l is te , la l i t té ra ture russe c lassique est un legs que Lénine a tou jours présent à l 'espr i t et auquel , à son avis, i l ne fau t pas renoncer. Son penchant pour le réa l isme répond à la nécess i té de t rans fo rmer la réal i té de façon révo lu t ionnai re ; ceci est imposé, en déf in i t i ve , par les ex igences de la lut te po l i t ique. Ma is ce t te appréc ia t ion du réel se fa i t à part i r d 'une idéologie et d 'un champ bien spéc i f ique : celu i de la créat ion a r t i s t ique .

10 Pour Lénine, la concept ion réal is te de l 'art n'est pas une s imple t ranspos i t ion de la concept ion de la connaissance ( théor ie du re f le t ) sur le plan es thé t ique. On ne peut, en s 'appuyant sur Lénine, dédui re le réa l isme ar t is t ique de pr inc ipes gnoséologiques ( * ) , car dans son ouvrage «Matér ia l i sme et Empi r ioc r i t i c i sme», où i l expose sa concept ion de la connaissance, Lénine n'aborde jamais le problème du re f le t de la réal i té dans le domaine de l'art- S'il est vrai qu'à par t i r de ses prémisses on peut établ i r , en ce qui concerne l'art, la pr ior i té de la réal i té pour la pr ise de consc ience, le non-arbi t ra i re de la fan-

Ci gnoséoloyie : philosophie de ia connaissance.

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ta is ie de l 'ar t is te, le cond i t ionnement de l 'art par la v ie e l le-même, son imposs ib i l i té à échapper jamais à une certaine re lat ion avec la réa l i té , ainsi qu'une concordance dé terminée entre la représenta t ion de la réal i té et la réal i té e l le-même lorsque l 'art aspire à jouer un rôle cogni t i f — c'est-à-dire à donner une cer ta ine connaissance de la réal i té — nous ne pouvons cependant dédui re que l 'art puisse o f f r i r s imp lemen t une façon d 'approcher la réal i té . En résume, on ne peut dédui re de la théor ie lén in is te de la connaissance que le genre de re lat ion que la sc ience main t ien t avec le réel so i t le seul valable pour l 'art (art = re f le t de la réal i té) et que, par conséquent , la théor ie léniniste! du re f le t so i t le fondement théor ique de l 'esthét ique marx is te .

11 Déduire, au nom de Lénine, le réa l isme ar t is t i que et l i t téra i re de sa théor ie de la connaissance, impl i que l 'oubli du l ien é t ro i t ent re sa concept ion du réa l isme et la praxis, et , en par t icu l ier , la praxis po l i t ique, dans les cond i t ions h is tor iques bien concrètes qui le f i ren t pencher en faveur de la l i t té ra ture réa l is te .

Lénine ne s 'est pas proposé de je te r les bases d'une théor ie marx is te de l 'esthét ique ; on ne peut t rouver dans ses œuvres un fondement phi losophique expl i c i te à ce su 'e t . On no peut non plus la dédui re impl ic i t emen t en en voyant les fondements dans sa concept ion gnoséo 'og ique. Ces fondements ' i l nous semble , avaient déjà été exposés par Marx .

13 Puisque Lénine aborde l 'art et la l i t té ra ture en homme po l i ' i que nrac ' ico- révc 'u t ionna i re , les prob lèmes ar t is t iques ou l i t téra i res dont i l t ra i te sont ceux qu i , à un momen t donné, se t rouven t l iés de la façon la pius imuér ieuse à la praxis pol i t ique ; mais il ne nord la-mois <~!n vue le fa i t que l 'art est une act iv i té spéc i f ique clans laquel 'e i l est imposs ib le d ' in t rodu i re les mesures organiques propres au part i ou les mesures admin is t ra t i ves propres à l'Etat ( fût- i l un Etat nouveau comme l'Etat soc ia l i s te ) .

14 Dans les condi t ions h is tor iques concrè tes créées par une révo lu t ion — comme cel le de 1905 — qui n'a pu va incre le t sa r i sme, mais que le tsar isme n'a pu va incre, comme le signale Lénine — et lorsqu' i l y a poss ib i l i té de créer uns presse légale, une presse du par t i , i l est nécessaire de déf in i r les re lat ions entre la l i t té ra ture et le par t i , ainsi qu 'ent re la l i t té ra ture et la soc ié té . C'est cet te tâche que Lénine ent reprend dans son ar t ic le «Organ isat ion du part i et l i t té ra ture du par t i» . Se référant d'abord à la l i t té ra ture du part i — c'est-à-dire la l i t térature pol i t ique publ iée dans les organes du par t i , et fon t l 'ob ject i f fondamenta l est de défendre, propager et éc la i rc i r les pr inc ipes et la po l i t ique du part i — Lénine, prenant à part ie les écr iva ins qu i , clans les

organes du part i dans lesquels i l écr ivent , p ré tendent se soust ra i re au cont rô le et à la d i rec t ion de ce dernier , a f f i rme : «La l i t té ra ture do i t deveni r par t ie in tégrante de la cause yénôrale du prolétar iat . . . par t ie in tégrante

du t ravai l organisé, méthod ique et un i f ié du part i social-démocrate»- La l i t té ra ture du part i do i t ê t re l iée à ce dernier non seu lement de façon idéologique, mais aussi de façon organique, dans la mesure où el le représente une tâche spéc i f ique de son ac t iv i té . Mais une fo is admis que ce secteur de t ravai l se t rouve sujet comme tout autre au cont rô le et à la d i rec t ion du part i - Lénine reconnaît qu 'on ne peut l ' i den t i f ie r p le inement à d 'autres secteurs de t ravai l : «La l i t té ra ture se prête moins que tou t autre chose à un n ive l lement mécanique, à une dominat ion de la major i té sur la minor i té . . . Dans ce domaine, i l est abso lument nécessai re de la isser une grande place à l ' in i t ia t ive personnel le , aux penchants ind iv iduels , à la pensée et à l ' imaginat ion, à la fo rme et au contenu».

15 Mais l 'ar t ic le de Lénine ne se réfère pas seulement à la l i t té ra ture des organes du par t i , mais aussi à la l i t té ra ture en général , en tan t que f o rme de créat ion ar t is t ique. C'est à ce su je t que l 'espr i t de part i prend un sens nouveau : i l ne s 'agi t pas de l ien organique avec la cause générale du pro lé tar ia t par la soumiss ion au par t i , mais de la pr ise de consc ience de l ' idéologie soc ia l is te et de sa matér ia l isa t ion dans l 'activ i té l i t té ra i re . Cet espr i t de par t i , lo in d 'ê t re une néga-t ion de la c réat ion , es t pour Lénine — face à l 'hypocr i te l iberté de créat ion dont par lent les écr iva ins bourgeois — sa cond i t ion même. La l iber té de l 'écr ivain ou de l 'art iste bourgeois n'est qu'une fo rme de dépendance masquée de l 'argent. «Vivre dans une société sans dépendre d'el le es t imposs ib le» a f f i rme Lénine. La l iber té de créat ion ne peut ex is ter dans une soc ié té où règne l 'argent. Les idées de Lénine re jo ignent encore cel les de îvlarx a ce sujet (host i l i té du capi ta l isme envers l 'a r t ) .

16 La l iber té de créat ion n'est pas pour Lénine la l iber té au sens ind iv idual is te : dé tachement des choses de la v ie , ou «anarch i c me de grand seigneur» — c'est-à-dire désir d 'échapper à l 'espr i t de part i - C'est au cont ra i re 1) l ibérat ion des I l lus ions e f h y p o c r i s i e s que la bourgeois ie t i sse autour d'el le ; 2) pr ise de conscience de l ' idéologie soc ia l is te , c'est-à-dire de la jus tesse de la cause du pro lé tar ia t : 3) l ien é t ro i t ent re l 'act iv i té c réat r ice — l i t té ra i re ou ar t is t ique — et ce t te idéologie, et , par conséquent , la cause du prolétar iat . C'est seu lement alors qu ' i l sera poss ib le , selon Lénine, clr. parler d'une l i t té ra ture vér i tpb lement l ibrp — une l i t té ra ture mue, non pas par le dési r de l 'argent, ni par celui de serv i r une minor i té , mais par le désir de serv i r les masses et la cause générale du pro lé tar ia t .

17 En rel iant de façon d ia lect ique l 'espr i t de part i et la l iber té de créat ion — l ien qui a pour base la reconnaissance du contenu social de la l iber té — Lénine propose que l 'ar t is te assume consc iemment cet espr i t de par t i , c réant un art fécondé par l ' idéologie soc ia l is te . Mais ceci n 'autor ise personne à imputer a Lénine une tendance à d i r iger , un i fo rm iser ou enrég imenter la créat ion ar t i s t ique. Car, ce qui est valable pour le

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secteur l i t té ra i re du t ravai l au sein du part i l 'est encore plus pour la créat ion l i t té ra i re en -*nfi™>' l i t térature se prête ma! à un n ive l lement mécanique» e t c . , vo i r plus hau t ) .

Cependant, on a pré tendu, en s 'appuyan' sur I nine, j us t i f i e r théor iquement l ' in tervent ion organique du part i et l ' in tervent ion admin is t ra t ive de l 'Elat dans le domaine l i t téra i re et ar t is t ique (Jdanov. 1934, et tou te la po ' i t ique ar t is t ique et l i t té ra i re postér ieure inspi rée de ses théor ies et à laquel le i ' f i tat cubain soc ia l is te a su se sous t ra i re ) . Cet te conceot ion jdanovienne de i 'esor i t de part i en art e f en l i t té ra ture — que, loin de h i s ser mour i r , on s 'e f lo rce de fa i re rev ivre dans cer ta ins pavs soc ia l is tes — confond deux plans que Lénine s tou jours d is t ingués c la i rement : la l i t té ra ture du par t i , soumise avec raison au cont rô le et à la d i rec t ion de ce dern ier , et la l i t té ra ture ou l 'art en généra l , fécondes par l ' idéologie soc ia l is te , qui assure la plus grande l iberté des fo rmes d 'express ions on. comme disa i t Lénine, de la pensée et de l ' imaginat ion, de la fo rme et du contenu. Les tex tes de Lénine n 'autor isent nu l lement à étendre au domaine de la créat ion en général ce qui est valable pour le secteur l i t té ra i re au sein du nart i — à moins que l'on ignore dé l ibérément la d is t inc t ion entre ces deux fo rmes d 'ac t iv i té .

?4 Lénine a longtemps consacré, avant la Révolut ion d 'Octobre, une grande a t ten t ion à Gork i . Gork i éta i t noi ir lu i , avant tou t , le grand écr iva in dont l 'œuvre est l iée à la cause générale du pro lé tar ia t . Mais c 'é ta i t aussi un mi l i tan t du part i bolchevique qui prend part à des disputes idéologiques et po l i t iques qui d iv isent les membres du part i ; et i l prend fa i t et cause pour des pos i t ions que Lénine combat- Tout ceci marque d'un sceau part icul ier les re lat ions entre Lénine et Gork i et nous pe rmet d 'éc la i rc i r — de façon é loquente — la façon dont un grand d i r igeant po l i t ique révo lu t ionnai re se s i tue par rapport à un écr iva in qui o f f re une double d imens ion : ar t is te e t mi l i tan t .

25 Lénine soul igne sans cesse la grande es t ime en laquel le i l t i en t la product ion l i t té ra i re de Gork i , ainsi que la fonct ion idéologique qu' i l accompl i t en fo rman t et en in t rodu isant la consc ience soc ia l is te au sein des masses ouvr iè res . I l soul igne par t i cu l iè rement l 'u t i l i té po l i t ique de l 'œuvre de Gork i , non sans d i re bien clairement qu 'e l le est due, avant tou t , au ta lent ar t is t ique de ce grand écr iva in .

26 C'est pourquoi il n 'hési te pas à proc lamer la grandeur ar t is t ique de Gork i , même quand ses d ivergences nol i t iques ou phi losophiques (o tzov isme, machisme) (*) font qu'une f rac t ion du part i s 'empare du prest ige de I écr ivam pour en faire son porte-bannière idéoloqlciue.

31 Ce qui préoccupe Lénine, ce n'est pas tant l ' inf luence que ces pos i t ions ph i losophiques ont sur l 'œuvre de Gork i — on les re t rouve peu ou pas du tou t dans ses écr i ts — mais p lu tô t le fa i t que l 'autor i té de Gork i écr ivain serve à souteni r — par l 'adhésion de l 'auteur — une cer ta ine p la te forme idéolog ique. C'est pourquoi

Lénine a jugé impor tant de convaincre Gorki de l 'erreur de ces pos i t ions.

32 Lénine ne cr i t ique jamais en Gorki l 'écr ivain, i l savai t que ce n'est pas une phi losophie qui dé termine d 'e l le-même la valeur de la c réat ion . Il va marne plus loin : «Je considère — aff i rme-t- i l — qu'un écr iva in peut t rouver beaucoup de choses ut i les dans quelque phi losophie que ce soi t . J 'admets, enf in sans aucune réserve qu'en ce qui concerne la créat ion ar t is t ique vous avez tous les atouts en main et aue vo t re œuvre, d "ns ce dcn îc ine , née de vo t re exoér ience r : " i s ' < v e aussi bien que d'une concept ion ph i losophique, bien qu 'e l le so i t idéa l i s v e, vous n e n e à t h s conc lus ions qui rappor teront d 'énormes bénéf ices au part i ouvr ie r» .

33 La tnése de Lénine selon laquel le un ar t is te — lorsque c'en est v ra iment un — peut parvenir à des conc lus ions ut i les pour lu i -même et pour le mouvemen'-, mèine si le point de départ en est une ph l losonhie idéal is te, concorde par fa i tement avec ce qu' i l d isai t à prooos de Tolstoï : tou t grand ar t is te — lorsoue c'en e s t v ra iment un — ne peut pas ne pas capter l'un des aspects essent ie ls de la réa l i té .

34 Les cr i t iques que Lénine adresse à Gork i — dans la mesure où l 'écrh'ain adoote de~ oos i t ions machis tes et o tzov is tes — sont de deux sor tes : 11 le contenu e i roné de ces pos i t ions idéolog iques. 2) la façon dont Gorki rehe la défense de ces idées à l 'act ion pol i t ique e l le -même.

Dans cet te même ie ' t re à Gork i dans laquel le i i reconnaît qu'un grand écr iva in peut t rouver des choses ut i les d.^ns quelque phi losophie que ce soi t , et dans laquel le i l mont re bian qu' i l ne c r i t ique pas l 'usage que l 'ar t is te fa i t de ces idées, Lénine ajoute : «Tout cela est v ra i . Et cependant « Proletar i » do i t main ten i r une neut ra l i té absolue devant nos d ivergences phi losophiques, car i l fau t à tou t pr ix év i te r de donner au lecteur le moindre pré tex te à raoorocher les bolchévi -ones, en tant que tendance et l igne tac t ique de l 'ai le révo lu t ionnai re des sociaux-démocrates russes, de l 'em-p r i o c r i t i c i s m e et de l ' emoi r iomon isme».

Cela veu t d i re qu'une l igne tac t ique fd 'ac t ion pol i t ique prat ique) ne do i t pas ê t re ident i f iée à une l igne ph i losophique. I l s 'agi t là de deux plans bien dist inc ts et l'on ne peut passer d i rec tement de l 'un à l 'autre. C'est ce que Lénine, homme pol i t ique prat ique, veu t mont re r à l 'écr ivain devenu — par su i te de ses sympath ies pour le mach isme et l 'o tzovisme — un philosophe et un po l i t i c ien . I l es t b ien c la i r que Lénine pose ce nrob lème H^ns un contex te concre t (celu i qui ex is te à l ' in tér ieur du nart i et de la lu t te révo lu t ionnai re) qui ex ige que cet te d is t inc t ion so i t ma in tenue.

(*) otzovisme. machisme (ainsi que enipiriocritxisme et emplrlo-monisme, voir plus loin n° 341 : tendances phiiosoohlques positivistes et idéalistes dont le principal représontant était le physicien Mnrh. et nue Ls'-.ine a combattues et dénoncées dans son œuvre philosophique "Matéria'isma et Empiriocrit :eisme».

( t radu i t de l 'espagnol par h. youss i )

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à propos de "le dieu non* et le diable blond " fi lm brésilien de glauber rocha

par t. benjelloun

«Nous avons r é a l i s é que nous v i v i o n s dans une s o c i é t é s o u s - d é v e l o p p é e e t h i s t o r i q u e m e n t e x c l u e d u m o n d e m o d e r n e e t qu ' i l nous f a n a i t c o n n a î t r e p l us p r o f o n d é m e n t c e t t e r é a l i t é dans l aque l l e nous v i v o n s pou r t r o u v e r l e c h e m i n de l ' é m a n c i p a t i o n » . (G laube r Rocha) .

Le C i n é m a N o v o , ce f u t d ' abo rd c e t t e p r i s e de c o n s c i e n c e par un g r o u p e de j e u n e s gens d é c i d é s à f a i r e du c i n é m a , pas n ' i m p o r t e que ! c i n é m a , m a i s u n c i n é m a qu i p o u r r a i t p a r t i c i p e à l'entreprise de t r a n s f o r m a t i o n de la r é a l i t é dans l aque l l e i l s s o n t c o n s t a m m e n t i n s é r é s . C e c i n é m a e s t d é t e r m i n é , c o m m e d i t G . Rocha , par «une n é v r o s e c o m m u n e , c e l l e de l a f a i m » . C ' e s t a ins i que l a m i s è r e n 'es t p l us s e u l e m e n t r é v é l é e , m a i s i n t e r p r é t é e . C ' e s t l a m i s è r e e t l a ha ine de l ' h o m m e d a m n é e t e x a s p é r é qu i éc la t e n t su r l ' éc ran . Le f i l m d e v i e n t a l o r s un o u t i l pou r la c o n n a i s s a n c e de la r é a l i t é e t la c o m m u n i c a t i o n avec l e p e u p l e , un i n s t r u m e n t de rés i s t a n c e c u l t u r e l l e .

Le c i n é a s t e d e v i e n t h o m m e m i l i t a n t .11 l u t t e c o n t r e les d i f f é r e n t e s a l i é n a t i o n s s u r l e p lan du s p e c t a c l e e t de l a c u l t u r e .

C o m m e n t ce c inéma est-i l possible ?

I l n ' es t p o s s i b l e que s i le s y s t è m e de prod u c t i o n e t d e d i s t r i b u t i o n t r a d i t i o n n e l es t i u i -m ê m e r e m i s e n q u e s t i o n .

En e f f e t , l e s o r t d 'un f i l m ne d é p e n d p lus des t r a c t a t i o n s c o m m e r c i a l e s . Les p r o d u c t e u r s s o n t e u x - m ê m e s i m p l i q u é s dans l ' e n t r e p r i s e d u c o m b a t . C ' e s t pour ce l a que les c i n é a s t e s du c i n é novo s e s o n t o r g a n i s é s d e t e l l e s o r t e que

l eu r s p r o d u i t s s e d é g a g e n t d e t o u t e d é p e n d a n c e é t r a n g è r e . A eux t o u s (.us s o i n une t r e n t a i n e ) l i s o n t r onoé une m a i s o n de d i s t r i b u t i o n (.la U i r l i v i J . Ce s o n t les c i n é a s t e s e u x - m ê m e s qu i d i s t r i D u e n t l eu r s t i l m s . Le p o u r c e n t a g e gagné e s t i n v e s t i dans d au t r es p r o d u c t i o n s .

Pour ce qu i e s t de la d i f f u s i o n , ces c i néas t e s s o n t a r r i v e s à t a i r e passe r une lo i dans le d o m a i n e d u s p e c t a c l e , t n e f f e t , une lo i a u B r é s i l , o b l i g e t o u t e s les s a l l e s à c o n s a c r e r 56 j o u r s de p r o j e c t i o n par an à des t i l m s b r é s i l i e n s . C e t t e lo i ne les s a t i s f a i t p l us t o u t à f a i t . I ls v o u d r a i e n t v o i r l e n o m b r e des f i l m s impor t é s r é d u i t , car c e l u i des t i l m s r é a l i s é s au Brés i l ne c e s s e d ' a u g m e n t e r . : «On pa ie p l us de t a x e s su r l ' i m p o r t a t i o n d 'un néga t i f qu i s e r v i r a à t o u r n e r un f i l m au B rés i l que sur l ' i m p o r t a t i o n d 'un f i l m r é a l i s é à l ' é t ranger» f a i t r e m a r q u e r Rocha (4) .

Pour une culture nationale par le f i lm .

«Le D ieu No i r e t le D iab le B lond» de Glauber Rocha , e s t un des p r e m i e r s f i l m s réa l i sé dans ce s y s t è m e . ( 1 ) I l a pou r o b j e c t i f l 'é labor a t i o n d 'une c o n s c i e n c e na t i ona le o r i g i n a l e , p r o p r e au B r é s i l , e t l a m i s e en va l eu r d 'une cu l t u r e na t i ona le a u t h e n t i q u e , q u i é m a n e d u p e u p l e . C a r l o s D i e g u e s d i s a i t l ' au t re j o u r : «au B rés i l c ' es t l e p e u p l e qu i e s t l e v r a i p r o d u c t e u r de c u l t u r e , m a i s i l n 'en e s t pas c o n s c i e n t . I l f a u t lu i d i r e : ce que v o u s f a i t e s c ' e s t de l a v r a i e c u l t u r e b r é s i l i e n n e » . (2)

(1) - Le premier film du Cinénu Novo à s'être imposé dans le monde tut «Vidas Secas» de Nelson Pereira Dos S'antos, réalisé en 1963. (2) - cf ; Africasia n" 13

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C e f i l m r e j o i n t une t r a d i t i o n c u l t u r e l l e o ra le ( le f i l m e s t r a c o n t é par une v o i x o f f ) . Par t i d ' une r é a l i t é v é c u e , Rocha l a r e p r é s e n t e e t l ' e xpose . Ce n 'es t pas une f i c t i o n e t s u r t o u t pas du f o l k l o r e . I c i , c e q u ' o n p o u r r a i t appe le r d u f o l k l o re e s t un a r r i è r e p lan pou r l ' ac t i on e t l a cé léb r a t i o n du m y t h e , pou r l a m i s e en s c è n e des val eu r s les p l us e n r a c i n é e s dans les t r a d i t i o n s p o p u l a i r e s . I l e s t l ' e x p r e s s i o n s p o n t a n é e d 'une c u l t u r e p o p u l a i r e , qu i a la t r a d i t i o n de se rep ré s e n t e r . C e f o l k l o r e e s t d o u b l é d e m a n i f e s t a t i o n s e t p r a t i q u e s r e l i g i e u s e s , s e c o n f o n d a n t b i e n s o u v e n t avec un r i t u e l o b s c u r a n t i s t e e t p a r a l y s a n t . (3 ) .

Le m y t h e d o n t i l s ' ag i t dans ce f i l m corr e s p o n d e n c o r e à une r é a l i t é , e t c e t t e r é a l i t é e s t au f o n d p o l i t i q u e . En e f f e t , Rocha a f f i r m e : «Ce la c o r r e s p o n d à une r é a l i t é . Le p e r s o n n a g e

qu i e s t à l ' o r i g ine de A n t o n i o - d a s - M o r t e s ex i s t e , i l a e n v i r o n so i xan te -d i x ans e t s ' appe l l e José Ru f i no . Je l 'a i r e n c o n t r é e t j ' a i pa r l é avec lu i» (4) D 'au t re p a r t des p r o p r i é t a i r e s f o n c i e r s c o n t i n u e n t , d ' ap rès Rocha, à engage r des ja -g u n ç o s pou r m a i n t e n i r l eu r pouvo i r . O n peu t donc d i r e que l e cad re soc ia l e t p o l i t i q u e du f i l m e s t du d o m a i n e de la r é a l i t é e t non de la f i c t i o n . La r é a l i t é e s t u t i l i s é e ic i pou r r e m p l i r les s y m b o l e s , c o n t r e b a l a n c e r les p r a t i q u e s su p e r s t i t i e u s e s et d é n o n c e r les o b s t a c l e s à l 'act i o n e t l ' é m a n c i p a t i o n .

(3) • ce folklore n'a rien à voir avec celui montré dans des films tournés par des étrangers au Brésil pour des raisons commerciales.

(4) - cf un entretien avec Gl.iuber Rocha dans «Les Cahiers du Cinéma» n° i»14

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les enfants du haouz et les bérets verts

que devient «les enfants du haouz» ?

Il y a t ro is mo is , nous avons eu l 'occasion d 'ass is ter à une pro jec t ion du cour t -métrage de Dr iss Kar im int i tu lé Les Enfants du Haouz. Réalisé d'après une enquête d i r igée par Paul Pascon dans cer ta ins mi l ieux ruraux marocains (1 ) , ce cour t -mét rage, commandé par l 'Of f ice du Haouz, avait pour but, selon ses auteurs , de reprodui re avec le max imum de réa l isme les préoccupat ions de la jeunesse rurale à laquel le d 'a i l leurs i l é ta i t avant tou t des t iné . Cela ne voula i t pas dire pour ces auteurs que ce f i lm ne serai t pas pro je té pour le publ ic urbain, pour le publ ic d'une manière générale.

La copie que nous avions v is ionnée éta i t une copie de travai l - L'image comme le tex te ( le commenta i re es t lu par un jeune paysan. I l es t la synthèse des déclarat ions des jeunes ruraux au réal isateur) éta ient à peu près dé f in i t i f s . I l manquai t encore quelques retouches avant que le f i l m ne so i t p résenté à la censure .

Nous ne nous at tarderons pas aujourd 'hu i sur le contenu de ce f i l m . Nous aurons cer ta inement à revenir là-dessus, vu l ' impor tance des problèmes qu ' i l soulève et son apport part i cu l ier à un c inéma nat ional à veni r . La quest ion que nous voulons poser est t rès s imple : que dev ient ce f i lm ? Nous posons cet te quest ion év idemment aux producteurs comme aux responsables

Nous posons cet te quest ion avec d'autant plus d ' inquiétude et d' indignat ion qu'un autre f i lm , étranger, réal isé par un acteur fasc is te et anti-arabe, poursu i t en tou te quiétude sa tournée dans les sal les marocaines.

«les bére ts ver ts»

I l s 'agi t des «Bérets ver ts» de John Wayne, pro je té au cours de cet

te année d'abord dans deux grandes sal les de Casablanca, ensu i te à Fès, Keni t ra, e t c . . Une sal le de Rabat l'annonce pour la, les semaines à veni r . I l est annoncé éga lement à Tétouan et Marrakech-

Ce f i l m ant i -v ietnamien avait soulevé dès son annonce l ' indignat ion de tous ceux qui c ro ien t à ia jus te cause de l 'héroïque peuple v ie tnamien , vict ime d'une cies agressions et guerre d 'ex terminat ion les plus barbares de ce s ièc le .

D'une part donc, un f i l m marocain, t ra i tant un su je t d'un in térê t manifes te concernant la réal i té nat ionale, se ' t rouve aujourd 'hu i bloqué quelque part : bureaucrat ie ? censure ? laisser-al ler ?

D'autre part, un f i lm de propagande impér ia l is te et rac is te fa i t la tour- gy née des sal les marocaines.

Il s 'agi t là d'un double déf i à la consc ience nat ionale et aux masses popula i res.

Le p rob lème du c inéma au Maroc (c inéma nat ional , p roduct ion , d is t r ibut ion) se pose encore une fo is oans tou te son acu i té , l 'escalade <3e l'abêt i ssement du publ ic et des l im i tes imposées à un c inéma nat ional progress is te ayant a t te in t un stade alarmant.

Au jourd 'hu i , plus que jamais , les choix en mat iè re de pol i t ique c inématographique au Maroc étant c la i rs , chacun est placé devant ses responsab i l i tés .

La Rédaction

Les Enfants du Haouz. Product ion «Palmeraie Fi lms» et C. C. M.

Réalisation : Idriss Karim

Prise de vues : Majld Rechiche

(1) Cette eniuSte, -Ce que disent 296 Jeunes ruraux-, a été publiée par le Bulletin Economique et Uoc'al du Maroc, n° 112-43, 1969.

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bibliothèque souffles

«la résistance palestinienne» de Gérard Chal iand (1)

Les l e c t e u r s de SOUFFLES o n t pu se r e n d r e c o m p t e , à la f a v e u r du n u m é r o s p é c i a l c o n s a c r é à la r é v o l u t i o n p a l e s t i n i e n n e , de l ' abondance de ia b i b l i o g r a p h i e c o n c e r n a n t la Pa les t i ne . I l e s t v ra i que la q u a s i - t o t a l i t é des o u v r a g e s d o n t nous av ions p r é s e n t é la l i s t e n 'es t guè re à la d i spo s i t i o n d u l e c t e u r m a r o c a i n (e t p a r f o i s m ê m e m a g h r é b i n ) (2) .

Les o u v r a g e s t r a i t a n t de la Pa les t i ne qu i o n t é té d i s t r i b u é s j u s q u ' à nos j o u r s au M a r o c (3) se c o m p t e n t sur le bou t des d o i g t s s i l 'on exc e p t e les p u b l i c a t i o n s du C e n t r e de R e c h e r c h e s de l 'O.L.P. de B e y r o u t h q u i , de t o u t e m a n i è r e , ne se t r o u v e n t pas dans le c i r c u i t c o m m e r c i a l . Par c o n t r e , c ' es t par m i l l i e r s , par c e n t a i n e s qu ' on t r o u v e les r o m a n s p o l i c i e r s , d ' e s p i o n n a g e , porn o g r a p h i q u e s , « c l a s s i q u e s » , o u , pour r e s t e r dans le cad re p o l i t i c o - h i s t o r i q u e , les l i v r es t r a i t a n t de la S e c o n d e G u e r r e m o n d i a l e , à t i t r e d ' e x e m p l e . I nu t i l e de s ' apesan t i r su r les causes e t les cons é q u e n c e s d 'un pa re i l é t a t de f a i t . E l les s o n t t r o p m a n i f e s t e s . M a i s q u e l l e s que s o i e n t les ba r r iè res qu i p e u v e n t ê t r e d r e s s é e s d e v a n t l e m e s s a g e

de la r é v o l u t i o n p a l e s t i n i e n n e , i l a dé jà eu accès au c œ u r des m a s s e s p o p u l a i r e s e t i l é c l a i r e i r r é v e r s i b l e m e n t d e v a n t e l l e s l a v o i e de leur l i b é r a t i o n .

Venons -en m a i n t e n a n t a u s u j e t d e c e t t e c o u r t e c h r o n i q u e , le l i v r e de G é r a r d C h a l i a n d : «La R é s i s t a n c e p a l e s t i n i e n n e » .

L 'au teur s ' e s t dé jà f a i t c o n n a î t r e par p lu s i e u r s é t u d e s su r les p r o b l è m e s n a t i o n a u x e t les m o u v e m e n t s de l i b é r a t i o n n a t i o n a l e (4) . Le l i v re e s t l e r é s u l t a t de deux e n q u ê t e s m e n é e s dans les pays a rabes du P roche -Or i en t e t en Pa les t i ne o c c u p é e en 1969. De ces e n q u ê t e s , l ' au teur a r a p p o r t é un t é m o i g n a g e su r la l u t t e des rés i s t a n t s p a l e s t i n i e n s , l ' o r g a n i s a t i o n , l a c o n s t i t u t i o n s o c i a l e e t l ' o r i e n t a t i o n i d é o l o g i q u e des m o u v e m e n t s d e r é s i s t a n c e p a l e s t i n i e n n e , e s s e n t i e l l e m e n t le FPDLP e t F A T H . I l e s t é v i d e n t que

(1) Editions du Seuil. Paris 1970. (2) Lors d'un voyage en Algérie l'année dernière, nous avons constaté la même réalité. (3) Ania Francos : «Les ' Palestiniens». — Le Roi Husseïn : -Ma guerre avec Israël». — Démeron : «Contre Israël» Cette liste n'inclut pas les ouvrages écrits en arabe qui sont à leur tour peu nombreux. (4) La Question Kurde. Partisans, 1961. — Guinée «portugaise» et Cap Vert. Maspéro, 196V. — Lutte armée en Afrique. Maspéro, 1967. Les paysans du Nord-Vietnam et a guerre. Maspéro, 1968.

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ce gen re d ' o u v r a g e s , en f a i s a n t e n t e n d r e l a v o i x c e s m a s s e s p a l e s t i n i e n n e s e t de leu r avant-garde r é v o l u t i o n n a i r e , en d é c r i v a n t ies c o n d i t i o n s o o j e c t i v e s aans l e s q u e l l e s v i t l e p e u p i e p a l e s t i n i e n , ne p e u t que s e r v i r l a c a u s e oe ce p e u p l e aup rès oe i o p i n i o n o c c i d e n t a l e qu i d é c o u v r e par l a - m e m e u o r s q u eue a un m i n i m u m de s e n s oe la j u s t i c e e t de l a d i g n i t é n u m a i n e j que c e s h o m m e s , naguè re a p p e i e s r é f u g i e s , p i o t e g e s m a l h e u reux des o r g a n i s m e s i n t e r n a t i o n a u x d e c h a r i t é , f o r m e n t e n t a i t une e n t i t é i n d i v i s i b l e c o n s c i e n t e non s e u l e m e n t de c o n s t i t u e r une n a t i o n , d ' avo i r une c u l t u r e , une h i s t o i r e , une t e r r e , m a i s auss i de c o n s t r u i r e , par l a l u t t e a r m é e e t q u e l s que s o i e n t les s a c r i f i c e s , une na t i on n o u v e l l e , une h u m a n i t é n o u v e l l e .

Ce p r o c e s s u s de la r e m e r g e n c e de la nat i o n p a l e s t i n i e n n e dans le f e u de l a l u t t e r é v o l u t i o n n a i r e , de l ' a p p r o f o n d i s s e m e n t i d é o l o g i q u e , du c o m b a t i d é o l o g i q u e a é t é r endu par I a u t e u r avec une s y m p a t h i e a t t e n t i v e .

M a i s là, à n o t r e a v i s , s ' a r r ê t e n t les m é r i t e s d e ce t o u v r a g e e t c o m m e n c e n t ses l i m i t e s a i ns i que ses c o n t r a d i c t i o n s .

Une d e u x i è m e l e c t u r e a t t e n t i v e nous révè le en e f f e t que c e t t e i l l u s t r a t i o n de la r é s i s t a n c e du peup le p a l e s t i n i e n ne pa r t pas des m ê m e s m o t i v a t i o n s que c e l l e s d e c e p e u p l e e n l u t t e . El le nous r é v è l e q u ' u n e c e r t a i n e gauche o c c i d e n t a l e n'a pas les m ê m e s ra i sons que les m a s s e s a rabes de c o m b a t t r e l e s i o n i s m e .

C 'es t là d 'où v i e n t à n o t r e av is le s c e p t i c i s me de l ' au teu r q u a n t à l ' a b o u t i s s e m e n t du p ro j e t de l i b é r a t i o n p a l e s t i n i e n n e e t à l ' aven i r du r a p p o r t de f o r c e s dans c e t t e p a r t i e de la n a t i o n a rabe .

Dans le m ê m e o r d r e d ' i d é e s , l e ra i sonnem e n t de G . C h a l i a n d c o n c e r n a n t les deux p r i n c i p a u x m o u v e m e n t s d e r é s i s t a n c e p a l e s t i n i e n s ne m a n q u e pas de nous i r r i t e r , t a n t i l se c o n f i n e dans des c o n s i d é r a t i o n s s t a t i q u e s peu s c i e n t i f i q u e s .

L 'auteur d é c r i t a ins i Fath c o m m e un m o u v e m e n t m a j o r i t a i r e m a i s b o u r g e o i s . Le F P D L P c o m m e u n m o u v e m e n t m i n o r i t a i r e , m a r x i s t e - l é

n i n i s t e m a i s c o n d a m n é à d e m e u r e r m i n o r i t a i r e , é t r ange u i a i e c t i q u e qu i s e m b l e o u b l i e r c e r é c e n t adage c h i n o i s : «Une é t i n c e l l e p e u t m e t t r e le veu a t o u t e la p l a i n e » .

Nous ne m a n q u e r o n s pas de s o u l i g n e r c o m b ien p e u t u e v e n i r d a n g e r e u s e p o u r I aven i r mê me ad l a r é v o l u t i o n p a l e s t i n i e n n e , c e t t e o p p o s i t i o n r ad i ca l e que l ' au teur e t a o l i t e n t r e les m o u v e m e n t s u e r é s i s t a n c e p a l e s t i n i e n n e , f o u i e l u t t e a n n é e r é v o l u t i o n n a i r e , t o u t e g u e r r e p o p u l a i r e , nous le s a v o n s , a o i t c o n d u i r e a un i r o n t uni c o n t r e i e n n e m i e t a e o o u e n e r sur une r é v o l u t i o n auc ia i e v e n t a û l e dans la m e s u r e où I i o e o i o g i e r é v o l u t i o n n a i r e p a r v i e n t à g u i u e r ie m o u v e m e n t . Uans le cas de la r é s i s t a n c e p a l e s t i n i e n n e , ce m o u v e m e n t v e r s l ' un i té a de ja c o m m e n c é e t t e n d a s a n o r o f o n d i r .

Une a u t r e f a i b l e s s e de l ' ouv rage , m a i s qu i nous appara î t n r a v e , e s t la d e s c r i p t i o n de ia c o n d i t i o n des a rabes v i v a n t en I s r a ë l . Une analyse d une page a s u f f i à l ' au teur pou r d é m o n t r e r e n g r o s que ces a rabes s o n t r e l a t i v e m e n t p r i v i l é g i e s par r a p p o r t à l eu r s f r è r e s du r e s t e du m o n d e arabe q u a n t à la v i e s o c i a l e e t p o l i t i q u e . M o n s i e u r C h a l i a n d veu t - i l nous a f f i r m e r par l à qu i l c r o i t e n c o r e au m y t h e d Is raë l « repa i re de la d é m o c r a t i e au P roche -Or ien t» ? Espé rons qu i l s a g i t d u n e s i m p l e l a c u n e , due à une conna i s sance s u p e r f i c i e l l e ou r ap i de de c e t t e r e a l i t é . Dans t o u s les c a s , ce s e r a i t pou r nous f a i r e l e j e u du s i o n i s m e e t de la p r o p a g a n d e i s r a é l i e n n e que d ' e n t r e r dans ce g e n r e de r a i s o n n e m e n t .

En d é f i n i t i v e , l e p r o b l è m e que p o s e e n c o r e une f o i s ce l i v r e , c ' es t f i n a l e m e n t c e l u i de la n é c e s s i t é de la p r i se en cha rge de la cause pal e s t i n i e n n e (su r t o u s les f r o n t s e t n o t a m m e n t i d é o l o g i q u e ) par les p a l e s t i n i e n s e t les a rabes e u x - m ê m e s .

I l ne s ' ag i t pas de n ie r la v o l o n t é s i n c è r e de b e a u c o u p d ' i n t e l l e c t u e l s o c c i d e n t a u x de gauche de c o n t r i b u e r à l eve r le v o i l e su r la na tu re v é r i t a b l e du c o m b a t des p a l e s t i n i e n s e t de serv i r leur c a u s e .

Ce qu ' i l f a u t p r é c i s e r pou r c o u p e r c o u r t à t o u t e a m b i g u ï t é , c ' e s t que l a v o l o n t é de c e r t a i n s

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de ces i n t e l l e c t u e l s non l iés à une p r a t i q u e de t r a n s f o r m a t i o n s o c i a l e (e t qu i s ' é r i g e n t au n o m de la p u r e t é r é v o l u t i o n n a i r e en t h é o r i c i e n s ) e s t de ce f a i t l i m i t é e . Leur t é m o i g n a g e ( répé tons - l e e n c o r e , s o u v e n t b ien i n t e n t i o n n é ) p e u t débou cher , à nos y e u x , su r des i m p a s s e s d a n g e r e u s e s dans la m e s u r e où i l s p r o l o n g e n t un déba t qu i n 'es t pas au c œ u r de l ' ob j ec t i f p e r m a n e n t , j u s t e e t i n é b r a n l a b l e du p e u p l e p a l e s t i n i e n c o m b a t t a n t : la l i b é r a t i o n de la Pa les t i ne de l ' impér ia l i s m e e t d u s i o n i s m e .

a. I.

un mot sur adonis (1)

A d o n i s e s t l 'un des ra res p o è t e s d ' au j ou rd ' hui à s ' ê t r e engagé t o t a l e m e n t dans le c o m b a t c u l t u r e l . Poète d e g r a n d t a l e n t , c o m m e e n f a i t f o i s a v i s i o n d u m o n d e s t r u c t u r e e t n o v a t r i c e , i l a le m é r i t e d ' ê t r e le f o n d a t e u r d ' u n e revue p r o g r e s s i s t e b i en v e n u e au M o y e n - O r i e n t , où e l l e j o u e un rô le d 'avan t -ga rde : M A W A Q I F «Pos i t i o n s » (2) .

La c r é a t i o n de c e t t e r e v u e es t s i g n i f i c a t i v e . C o n t r a i r e m e n t aux p o è t e s c u i , a u l e n d e m a i n

d e l ' ag ress ion s i o n i s t e , s e s o n t s e n t i s p r o v o q u é s à ce p o i n t q u ' i l s o n t r e n o n c é m o m e n t a n é m e n t à leur s e n t i m e n t a l i s m e m o r b i d e pou r c r i e r leur ind i g n a t i o n à la f a c e du m o n d e dans des p o è m e s inou ïs m a i s non v a l a b l e s , A d o n i s a pub l i é le m a n i f e s t e du 5 j u i n (3) e t , q u e l q u e t e m p s a p r è s , a f o n d é M A W A Q I F . Se lon ses p r o p r e s t e r m e s , c e t t e r e v u e aura pou r m i s s i o n de p r e n d r e pos i t i o n v is -à-v is de t o u s les p r o b l è m e s c u l t u r e l s qu i se p o s e n t à l ' h o m m e a rabe e t , pou r c e l a , se f e r a un d e v o i r d ' é c a r t e r i n t e r d i t s e t t a b o u s .

Les p o è m e s de c i r c o n s t a n c e d i t s de i? naksa ne r é s i s t e n t pas à la c o m p a r a i s o n . l is n 'on t é té q u ' u n e v o l t e - f a c e e x a c e r b é e qu i a pr .s l a f o r m e d 'une t r i s t e f o r m a l i t é . Ce l le -c i r e m p l i e , leur a r t hab i t ue l a idan t , ces p o è t e s revinrent à leurs moutons avec une f a c i l i t é pour le m o i n s t e r r i f i a n t e . En d é f i n i t i v e , leur pseudo-engagem e n t n'a é té m o t i v é que par un b e s o i n archaïque d e v e n g e a n c e é m a n a n t d 'une c o n s c i e n c e b o r n é e e t r e p o s a n t su r une r a n c u n e qu i c o n t i n u e à se t r a d u i r e de t e m p s à a u t r e dans des bou ta des f i c t i v e s .

Sous c e t é c l a i r a g e , le m a n i f e s t e du 5 j u i n nous appara î t c o m m e une p r i s e de p o s i t i o n autr e m e n t p l us c o n s é q u e n t e . E t s i a u j o u r d ' h u i , les é v é n e m e n t s r e n o u v e l l e n t n o t r e p e r c e p t i o n dégagean t des p e r s p e c t i v e s n o u v e l l e s , i l n ' e m p ê c h e q u e , r ep lacé dans son c o n t e x t e h i s t o r i q u e , c e m a n i f e s t e ga rde t o u t e sa f o r c e . C ' es t dans t ous les cas là qu ' i l f a u t c h e r c h e r la p l a t e - f o r m e sur l aque l l e s ' é d i f i e l 'œuv re d ' A d o n i s p o è t e e t m i l i t a n t . E t c ' e s t à c e t t e c o n d i t i o n s e u l e m e n t , ce l l e de l ' e n g a g e m e n t t o t a l , que nous p o u r r o n s un j o u r e n v i s a g e r , s o u s l 'ang le de l a r e c h e r c h e e t de l ' ana l yse , l e C h a n t de c e t h o m m e , p o é s i e f ra t e r n e l l e , s o l i d a i r e e t qu i nous c o n c e r n e d ' e m b l é e .

(1) Ali Ahmed Saîd. Poète libanais né en Syrie. (2) Revue bimestrielle pour la liberté, l'Innovation et la transformation

(3) Publié dans le numéro 9 de Souffles

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En e f f e t , b e a u c o u p de c h o s e s r e s t e n t L d é m y s t i f i e r . La p o é s i e e s t , ap rès t o u t , une cho se f a c i l e , n ' i m p o r t e qu i p o u v a n t f a i r e un p o è m e p o t a b l e que n ' i m p o r t e q u e l l e o b j e c t i v i t é j u s t i f i e ra au p r o f i t de la f a c i l i t é e t de la m a u v a i s e f o i Re fusan t c e t t e o b j e c t i v i t é , nous a f f i r m o n s q i .e l a c r é a t i o n c u l t u r e l l e , d 'une m a n i è r e g é n é r a l e , n 'es t pas d i s s o c i a b l e de la c o n d u i t e e t des eng a g e m e n t s de l ' h o m m e qu i r e c o u r t , en f a i t , i i c e t t e a u t r e f o r m e d ' e x p r e s s i o n ( le t r a v a i l manue l de l ' ouv r i e r ou d i d a c t i q u e de l ' i n s t i t u t e u r en s o n t d ' au t res ) c o m m e à un l i eu c o m p l é m e n t a i r e d ' a c t i o n . C e c r i t è r e d o i t p e r m e t t r e d 'écar t e r les j o n g l e u r s d o n t l a p o é s i e n 'es t q u ' u n e c h a r l a t a n e r i e e n m a r g e d u c o m b a t d é c i s i f m e n é par l ' avan t -garde du m o n d e a rabe . La v r a i e poés i e , l a s e u l e , e s t c e l l e qu i f a i t p a r t i e i n t é g r a n t e de ce c o m b a t , p o l y v a l e n t e t m u l t i f o r m e , l 'assum a n t dans t o u s les f r o n t s .

C ' es t en nous b a s a n t su r c e t t e d i a l e c t i q u e que nous r e p r o c h o n s aux p o è t e s s ' e x p r i m a n t en a rabe e t , p a r t a n t , à A d o n i s , de t e n i r à une est h é t i q u e é l a b o r é e au d é t r i m e n t de l a m i s s i o n de la p o é s i e . Or , l ' e s t h é t i q u e s ' a c c o m p a g n e du lyr i s m e que p r o c u r e l ' obse rvance d 'un c e r t a i n r y t h m e , d ' une c e r t a i n e m a r c h e , d é f i n i s e t r é p e r t o r i é s à l ' avance . I l e s t donc fa ta l qu 'au t e r m e du p r o c e s s u s , e l l e en f a s s e l a c o n d i t i o n de t o u t e bonne p o é s i e I I f a u t v r a i m e n t un Ado n is pour c o n c i l i e r l ' a l i éna t i on de l ' éc r i t au déb o r d e m e n t de la p a r o l e , ou un N izar Q a b b a m , qu i a s e s c o n t r a d i c t i o n s et à qu i s ' a p p l i q u e la p h r a s e : la p o é s i e e s t un a r t qu i i l l u s t r e la v i e e t la s o u f f r a n c e . En r è g l e g é n é r a l e , l ' es thé t i que e n v a h i s s a n t e m e n a c e la p o é s i e de romant i s m e e t nous s e m b l e , pou r ce la , i n d é f e n d a b l e A u s s i , nous ne nous é t o n n o n s pas s i à pa r t i r d ' e l l e (e t n u l l e m e n t d 'une p é n u r i e de la poés ie ) c e r t a i n s g e n r e s l i t t é r a i r e s s e s o n t d é v e l o p p e s .

C o n t r a i r e m e n t à ce que b e a u c o u p de gens c r o i e n t , ces g e n r e s ne s ' e n r i c h i s s e n t pas m u t u e l l e m e n t e t n ' e n r i c h i s s e n t pas l e p a t r i m o i n e c u l t u r e l . I ls c o n d u i s e n t à une p l é t h r e de ca té g o r i e s h é t é r o c l i t e s , a m b i v a l e n t e s , qu i é t o u f f e n t la p a r o l e e t e n t r e n t en c o n t r a d i c t i o n avec l ' i t i né ra i re h i s t o r i q u e de la p o é s i e . La p r e u v e en es t

que dans l e m o n d e a rabe , r o m a n e t t h é â t r e s o n t

s y n o n y m e s d e f a u s s e s s i t u a t i o n s . Leur m a t i è r e ,

c ' e s t l e « m a l a d i f » . Ce la ne v e u t pas d i r e que

nous r e f u s o n s l e r o m a n e t l e t h é â t r e c o m m e

p o s s i b i l i t é s , m a i s c o m m e l 'échec d e f o r m e s

a r b i t r a i r e s i m p o r t é e s d ' a i l l e u r s .

La v r a i e p a r o l e , q u a n t à e l l e , c o r r e s p o n d à une c o s m o g o n i e d é p o u i l l é e , sans f a r d n i a r t i f i c e , une s o m m e d e p o s s i b i l i t é s non e n c o r e exp lo r é e s , un p r o d u i t du c o r p s i n d i v i d u e l e t c o l l e c u î e t l 'une des c r é a t i o n s de l ' h o m m e les p l us p ro c h e s de la v é r i t é e t du s e n s de la j u s t i c e . Et dès lo rs q u ' u n gen re d é t e r m i n é p e r m e t une v i s i on v r a i e , nous s o m m e s p o r t é s à le c o n s i d é r e r c o m m e u n p o è m e qu i e m p r u n t e une g raph ie a p p r o p r i é e . Ce qu i ne s i g n i f i e pas que ce gen re a i t des v e r t u s qu i lu i s o n t p a r t i c u l i è r e s , en t o u t cas pas chez n o u s , que la p o é s i e d e v i e n t r o m a n , ou que le r o m a n d e v i e n t p o é s i e ; ce qu i se prod u i t , c ' es t un c h a n g e m e n t rad ica l dans les rapp o r t s qu i s ' i n s t a u r e n t e n t r e l ' h o m m e e t l 'œuv re qu ' i l v e u t p r o d u i r e . C e n 'es t pas l ' i n s t r u m e n t qu i va c o m m a n d e r , m a i s l 'œuv re qu i va c r é e r son v é h i c u l e , son c o n t e n a n t .

Or , s i , r e j e t a n t l a p o é s i e de c i r c o n s t a n c e e t t o u t a p r i o r i de t e c h n i q u e ou de l y r i s m e , nous s o m m e s c o n v a i n c u s que l a p o é s i e es t un l i eu c o m p l é m e n t a i r e d ' a c t i o n e t de c o m b a t , s i i a p o é s i e e s t une c o s m o g o n i e où l e p o è t e f a i t l ' au tops ie du m o m e n t , s i l e poè te e s t l e m o b i l i sa teu r , s i l a p o é s i e e s t l i ée au s o r t de l ' homm e , nous s a i s i s s o n s d ' e m b l é e l a n a t u r e qu i d o i t ê t r e c e l l e des r a p p o r t s qu i s ' i n s t a u r e n t e n t r e l 'œuv re e t son c réa teu r . Nous ne d i r o n s pas c o m m e c e r t a i n s que l a l i t t é r a t u r e es t un ins a i s i s s a b l e m y s t é r i e u x , m a i s une œ u v r e cu l t u r e l l e c o m m a n d é e par t o u t e une s o c i é t é qu i p a r t i c i p e de sa c r é a t i o n c o m m e de sa c o n s o m m a t i o n .

T o u j o u r s es t - i l que la p o é s i e s ' e x p r i m a n t en a rabe au M o y e n - O r i e n t c o n n a î t de nos j o u r s un r ega in de g l o i r e pou r avo i r é té r e n o u v e l é e e t ses c o n d i t i o n s a s s o u p l i e s . P réc i sons seu le m e n t que le s u c c è s f a i t à c e t t e p o é s i e e s t dû

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Page 93: Souffles 18

m o i n s à la n o u v e l l e c o n c e p t i o n de l ' e s t h é t i q u e qu i a d é v e l o p p é , en les s i m p l i f i a n t , les m é t h o des de v e r s i f i c a t i o n , qu ' aux p r o m o t e u r s eux-m ê m e s p l a c é s dans des c i r c o n s t a n c e s h i s t o r i ques f a v o r a b l e s au d é v e l o p p e m e n t d 'une cons c i e n c e r é v o l u t i o n n a i r e . On a m ê m e vu l 'appar i t i o n de « p r o s a t e u r s » , des p o è t e s en q u ê t e d ' une p o é s i e d é s a l i é n é e e t t o t a l e m e n t a f f ran c h i e . M A W A Q I F f u t à ce p r o p o s la p r e m i è r e rerevue à p u b l i e r une pa r t i e de c e t t e n o u v e l l e poés ie en l ' a s s u m a n t .

C ' es t en la r e p l a ç a n t dans son p r o p r e espace g é o g r a p h i q u e e t m e n t a l , qu i a ses t r a d i t i o n s p r o p r e s , que l a p o é s i e d ' A d o n i s d o i t ê t r e e n v i sagée . M a i s , e n d é p i t d e c e d é p l a c e m e n t , c e t t e p o é s i e nous appara î t c o m m e e n t r e c o u p a n t dans s a t h é m a t i q u e e t s a s y m b o l i q u e n o t r e p r o p r e t r a d i t i o n de l ' i t i n é r a i r e . M ih iar e s t à ce t i t r e un c o r r e s p o n d a n t d 'une p a r t i e de la p o é s i e m a g h r é b i n e s ' e x p r i m a n t en f r a n ç a i s ; la p a r t i e l a p l us t a l e n t u e u s e . Son h i s t o i r e e s t c e l l e de t o u t p e r s o n n a g e c o n s c i e n c e de son p e u p i e . I i e s t i ssu du m o n d e i m a g i n a i r e p r o p r e à l ' épopée .

Au d é p a r t , l a m o r t c o n t a g i e u s e , l ' i ne r t i e , l a d é c h é a n c e , l ' i n a n i t i o n , l a p e s t e , les d i e u x , les d i a b l e s , l e d é l u g e . O r g i e de c h a r o g n a r d s . F i ls de c h a o s , Mih iar , c o m m e dans l 'Oeil e t ia Nuit , e s t le c a d a v r e qu i se r e l è v e pou r se pose r en a g r e s s e u r dans un m o n d e d é m a n t e l é , r édu i t au m i n é r a l . C e t t e d e s t r u c t i o n e s t l a c o n d i t i o n de la n o u v e l l e n a i s s a n c e des h o m m e s . El le corr e s p o n d en o u t r e à un r i t u e l qu i c o n s a c r e l a c -cès à la r e s p o n s a b i l i t é e t v o i t l ' h o m m e se d is s o u d r e p lus i l avance dans la n u i t de ses dy-n a m i s m e s . A v a n t t o u t , l e p o è t e c o m m e n c e par s ' a p p r o p r i e r le m o n d e e t i l s 'en e m p a r e en le d é m o l i s s a n t , en l ' abso l van t a f i n d 'en f a i r e un i n t e r l o c u t e u r va lab le ap te à e n v i s a g e r l ' aven i r .

j ' a i c r é é des e n n e m i s d i g n e s d e m o i

j ' a n n i h i l e e t j ' a t t e n d s qu i v a m ' a n n u l e r

vo i l à que j e c o m m e n c e l e d i a l o g u e

avec le langage nau f ragé dans l ' a r ch ipe l de l a c h u t e i m m é m o r i a l e

D ia l ogue ? Le langage de M ih iar e s t un dél i re e x o r c i s a n t , f i é v r e u x e t s i s m i q u e où l a v io l ence e s t une v e r t u , le Re fus un d e v o i r e t la d é v o t i o n , t o u t e d é v o t i o n qu i f a i t t a b l e rase du Péché e t en a p p e l l e à l ' h o m m e t r o p l i b re pour en d e v o i r à q u i c o n q u e e t lu i s a c r i f i e r , q u é m a n dan t une b é n é d i c t i o n n é a n t i s a n t e . C 'es t à c e t t e l i b e r t é que M ih iar s ' a d r e s s e , car avec e l l e , t o u t peu t s e u l e m e n t c o m m e n c e r .

Le Caval ier des Paroles Etranges, le Ma î t re ,du Refus, Mih iar e r re a ins i à t r a v e r s l ' a r ide . Païen dans l 'âme (c 'es t -à -d i re t o u t s i m p l e m e n t l i b r e ) , i l se répand avec une g rande audace , dans une pa ro le de t o u t e b e a u t é , dans un dél i re à la f o i s p o i g n a n t e t n o u r r i c i e r qu i c o u l e avec une f a c i l i t é t e l l e que les q u e l q u e s exa l ta t i o n s d e v a n t lu i donne r p lus de f o r c e s ' a v è r e n t f a i b l e s e t n e f o n t que g ê n e r c e t t e m é m o r a b l e d e s c e n t e aux e n f e r s .

— Premiers poèmes (1957)

— Feuil les dans le vent (1958)

— Les Chansons de Mih iar le damascène (1961)

— Le Livre des Métamorphoses et de l'Exode

dans les Régions du Jour et de la Nuit (1965)

— Le Théâtre et les Psychés (1968) .

Te l l e e s t l 'œuv re d ' A d o n i s à l aque l l e c e s q u e l q u e s m o t s n 'on t j a m a i s p r é t e n d u r e n d r e j u s t i c e . Une é t u d e e x h a u s t i v e a c c o m p a g n é e d 'un c h o i x de t e x t e s es t n é c e s s a i r e . Je s i g n a l e à ce s u j e t que A b d e l l a t i f Laâbi e t m o i - m ê m e avons d é c i d é de lu i c o n s a c r e r un o u v r a g e . Nous aurons donc e n s e m b l e l ' occas ion dV.n r e p a r l e r p lus l o n g u e m e n t .

abdelaziz mansouri

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Page 94: Souffles 18

lénine et la philosophie

de I. a l thusser

(maspéro)

I l s 'ag i t d'une communica t ion fa i te à la Soc ié té f rançaise de Phi losophie en févr ie r 1968.

Le mér i te du tex te est de permet t re au publ ic d 'accéder à la pensée d 'A l thusser , même si cela se so lde, en f i n de compte , par une décept ion qu i , à notre avis, ne peut ê t re que sa luta i re , en l ibérant tous ceux que le s ty le ardu et hautement savant de l 'auteur de Pour Marx et de Lire le Capi ta l a pu sédui re .

A l thusse r commence par éta ler nombre de scrupules sur l 'oppor tun i té , vo i re même la poss ib i l i té de fai re une communica t ion phi losophique. Car la Phi losophie d iv ise ! Puis se décidant à dépasser le r i re lén in ien, il préc ise m ieux son ob jec t i f : ten i r un d iscours non philosophique sur la phi losophie dans la phi losophie ! «quelque chose qui ant ic ipe d'une cer ta ine manière sur une sc ience», quelque chose qui nous permet t ra i t d'opérer une nouvel le coupure .

Le but n'est donc pas de par ler de la phi losophie de Lénine mais des rapports ent re ce dern ier et la ph i losophie . Lénine n'étant pas un phi losophe, on ne peut qu 'essayer de pro f i te r des quelques remarques préc ieuses que ce non spéc ia l is te nous a léguées chaque fo is que les ex igences du combat po l i t ique l 'ont poussé à s 'occuper de ph i losophie . I l ne s 'agi t que de remarques. L'apport lén in is te n'a pas été pour t rancher le débat «symptomat ique» sur la nature de la pensée marx is te : sc ience de l 'h is to i re ou phi losophie de la prax is . Marx n'a pas eu le temps d'en dire son dern ier mot- Engels n'a nu dépasser la po lémique cont re «ce pro fesseur de mathémat iques aveugle dont l ' in f luence s 'étendai t dangereusement sur le soc ia l isme a l lemand». I l f u t obl igé de su ivre Duhr ing sur son propre te r ra in , chose qui ne pouvai t condui re aux yeux d 'A l thusser qu'à l ' impasse ph i 'osoph ique.

Tout reste donc à fa i re . La X l ° thèse sur Feuer-bach a inauguré une pensée qui se déplo ie sur un v ide ph i losophique, rançon nature l le du plein de sc ience qu 'e l le nous a prod igué. C'est à nous « in te l lec tue ls marx is tes» d 'aujourd 'hui que rev ient la tâche de combler ce v ide .

L'oiseau de Minerve peut enf in prendre son vo l . En effe t , tou te grande phi losophie ne se développe que comme répondant à une nouvel le sc ience ; cel le-ci ja i l l i s sant tou jours d'une coupure qui en f in i t avec l ' idéologie qui a vécu . Le Platonisme t rouve son élan à part i r de la sc ience mathémat ique ja i l l ie de la coupure ép is témolo-glque opérée par Thaïes ou «ceux que le mythe de ce nom désigne», le car tés ian isme répond à la coupure gal i -léenne. La coupure marx ienne p romet une nouvel le phi losophie et A l thusser se propose de ten i r ce t te p romesse.

Lénine foudro ie , sous le coup de sa luc id i té c r i t ique de mi l i tan t bolchevik, tou t l 'édi f ice emp i r ioc r i t i c i s te .

A l thusse r c ro i t t rouver dans les ruines suf f isamment de p ierres pour bât i r son égl ise sc ient is te- Voulant opposer vai l le que vai l le sc ience et idéolog ie , i l vo i t dans la fu tu re phi losophie marx is te une prat ique responsable de préserver la p remière cont re les assauts de la seconde. Mais voi là que les choses se compl iquent . La sc ience pour A l thusser es t ie réel même connu par l 'acte qu i le dévoi le en dét ru isant les idéologies qui le vo i lent . «Au premier rang des idéologies, la phi losophie !» La phi lo-soDhie-idéologie peut-el le nous préserver de l ' Idéologie ? A l thusser c ro i t résoudre le prob lème en par lant d'une nouvel le prat ique phi losophique. Une prat ique théor ique, i l s 'entend. Remarquons en passant qu 'A l thusser in terprète de manière erronée la parole de Lénine qui d isa i t qu ' i l ne fa isa i t pas de ph i losophie , mais qu' i l la prat i quai t . Lénine éta i t pour tant c la i r ; s ' i l s 'occupai t de ph i losophie , ce n'est que pour é tud ier «ce chemin des chemins qui ne mène nul le par t», pour révéler les absurd i tés de l ' idéal isme bourgeois . Cet te é 'ude étant un momen t nécessai re de la prat ique du mi l i tan t . Le combat théor ique est nécessa i rement lié au combat prat i que (pol i t ique !) comme la connaissance théor ique es t fonc t ion de l 'expér ience prat ique. Tel est l 'ense ignement du marx isme et c 'est pour ce la qu' i l est jud ic ieusement déf in i comme phi losophie de la praxis- L ' in te l lectuel al-thussér ien qui ce t te fo is v i t des coupures ne peut le comprendre . I l ne peut dépasser la théor ie oubl iant que la prat ique réel le (e t non une prétendue prat ique théor ique) const i tue aux yeux du marx isme authent ique un pr inc ipe ép is témolog ique préc ieux. Et ceci est valable non seu lement pour les sc iences qui ont l 'Homme et l 'H is to i re pour objet , mais aussi pour les sc iences de la nature. «Il ne saurai t donc êt re ques t ion , écr i t A. Régnier, de rédui re la connaissance sc ien t i f ique aux résu l ta ts de la sc ience et encore moins aux connaissances théor i ques : donner un sens concre t aux mots abst ra i ts avec lesquels les résu l ta ts sc ien t i f iques sont expr imés re lève d'une prat ique et d'un métasavoi r non sc ient i f ique —

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Page 95: Souffles 18

Les théor ies ne son t pas des vér i tés mais des ins t ruments pour produi re des vé r i t és» . (1)

Au-delà donc des jeux de mots a l thussér iens , l 'enjeu es t v is ib le : donner à l ' in te l lectuel «marx is te» un s ta tu t par t icu l ie r : p ionnier de la «science», bourreau de l ' idéologie. Nous voyons là une démarche idéologique pet i te-bourgeoise parce qu ' in te l lec tua l i s te , dotant le t ravai l théor ique d'une va leur exc lus ivement in t r insèque- Pire, i l y a même chez A l t husse r un impér ia l i sme théor l c i s te . N' impute-t- i l pas au retard de la «phi losophie marx is te» (entendons la phi losophie qu' i l nous promet ) sur la scien ce marx is te tou tes les grandes dév ia t ions po l i t ico- théor i ques qui ont ja lonné l 'h is to i re du mouvement ouvr ie r : économisme, évo lu t ionn isme, vo lon ta r i sme, humanisme, emp i r i sme , dogmat isme . Au momen t ou tou t le monde sai t que L é n i n e avait combat tu t ou t cela comme autant de man i fes ta t ions de l' idéologie bourgeoise et p e t i t e - bourgeoise au sein du mouvement ouvr ier , A l thusse r nous promet , pu isque «le so i r es t tombé» que la nouvel le ph i losophie marx is te v iendra éc la i rer tou tes les lanternes, cor r iger le rév is ionn isme, e f facer le ré fo rm isme, guér i r l 'oppor tun isme et même nuancer le lén in isme ; car, après tou t , d 'après St A l thuss , Lénine n'a pas été sans t remper dans le même cr ime phi losophique que Plekhanov, Kautsky ou Trotsky. Car, d i t - i l , «il eut la chance de naître à t emps pour la po l i t ique, mais la d isgrâce de naître t rop t ô t pour la ph i losoph ie».

Les mi l i tan ts ouvr ie rs , quant à eux. savent que tou tes les dév ia t ions ex igent un combat t o ta l . Us ne saura ient a t tendre que le sa lu t v ienne de la p lume de St A l t huss . Le soi r n 'est pas encore tombé sur la Lutte Finale. La nu i t du sc ien t i sme a l thussér len ne pourra jamais nous envelopper .

h. benadd i

(1) Les surprises de l'idéologie L'homme ei la société. 1er trimestre. 1970.

Liaison

Nous v o u l o n s que c e t t e r u b r i q u e s o i t u n

c o n f i e n t l ' i dées , d ' o p i n i o n s , une t r i b u n e l i b re à

la d i s p o s i t i o n de nos l e c t e u r s . Q u ' i l s la p r e n n e n t

en c h a r g e .

«L ia i son» s e r a auss i une r u b r i q u e d ' i n f o r m a

t i o n c u l t u r e l l e , u n l i en e n t r e r e v u e s , a s s o c i a t i o n s ,

g r o u p e m e n t s v o u l a n t c o m m u n i q u e r l eu r s expé

r i e n c e s à t r a v e r s SOUFFLES e t j e t e r un p o n t en

t r e eux . El le e s s a y e r a auss i de t e n i r l e f a c t e u r

dans la m e s u r e du p o s s i b l e au c o u r a n t de l 'ac tua

l i t é m i s d 'une m a n i è r e r é t r o s p e c t i v e e t s y n t h é t i

q u e . Sa m a t i è r e d é p e n d d o n c de t o u s .

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Page 96: Souffles 18

association de recherche culturelle rabat MANIFESTE POUR UNE CULTURE DU PEUPLE

LE PEUPLE EST LE DEPOSITAIRE DE LA CULTURE N A T I O N A L E ET S O N

CREATEUR.

Tel e s t l e p r i n c i p e p r e m i e r qu i d o i t g u i d e r n o t r e a c t i o n e t n o t r e r é f l e x i o n . Un p e u p l e s o u m i s à l ' e x p l o i t a t i o n é c o n o m i q u e , à la r é p r e s s i o n po l i

t i q u e , à la d o m i n a t i o n é t r a n g è r e es t f r a p p é auss i dans ses f a c u l t é s c réa t r i c e s .

La p a r a l y s i e a c t u e l l e de la c u l t u r e m a r o c a i n e e s t a ins i le r é s u l t a t d i r e c t

— ae la p o l i t i q u e g é n é r a l e du S y s t è m e basée su r la r é p r e s s i o n de l ' in i t i a t i v e des m a s s e s p o p u l a i r e s e t l a n é g a t i o n de l eu rs p o t e n t i a l i t é s c réa t r i ces

— de ia d o m i n a t i o n é t r a n g è r e (ou n é o - c o l o n i a l i s m e ] , basée su r le m é p r i s de l a c u l t u r e des a u t r e s p e u p l e s e t qu i c o n t i n u e son e n t r e p r i s e de c o n q u ê t e c u l t u r e l l e e t i d é o l o g i q u e .

N O U S DEVONS LUTTER

• pour que n o t r e p e u p l e s ' o p p o s e à t o u t e s les t e n t a t i v e s d e t o u f f e m e n t de sa c u l t u r e par les c l a s s e s d o m i n a n t e s

9 p o u r qu ' i l l u t t e c o n t r e l ' e n t r e p r i s e de c o m m e r c i a l i s a t i o n de sa c u l t u r e ( f o l k l o r e e t a r t i s a n a t d e t o u r i s m e )

© pou r que les m a s s e s l a b o r i e u s e s qu i c o n s t i t u e n t les f o r c e s v i v e s du p e u p l e p e r d e n t t o u s c o m p l e x e s v is -à-v is de l a c u l t u r e des i n t e l l e c t u e l s e t q u ' e l l e s r e p r e n n e n t c o n f i a n c e dans leur p r o p r e c u l t u r e

• pour que n o t r e p e u p l e o p p o s e à t o u s les c o m p l e x e s v is -à-v is de la c u l t u r e o c c i d e n t a l e b o u r g e o i s e , basée sur l ' e x p l o i t a t i o n de l ' h o m m e par I h o m m e e t le m é p r i s du t r av a i l m a n u e l , la p r i se en m a i n d ' u n e c u l t u r e na t i ona le de l i b é r a t i o n i n t é g r é e au p r o c e s s u s g l oba l de l i b é r a t i o n a rabe

EN U N M O T

nous d e v o n s l u t t e r pour que les m a s s e s l a b o r i e u s e s p r e n n e n t en m a i n ieu r r ô l e de c r é a t e u r s de la c u l t u r e

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Page 97: Souffles 18

N O U S DEVONS LUTTER

• pour que n o t r e j e u n e s s e r e f u s e de se l a i sse r é t o u f f e r par la cu l t u re néo -co lon ia le ( m i s s i o n s c u l t u r e l l e s , c i n é m a , t h é â t r e d e p r o p a g a n d e i m p é r i a l i s t e e t b o u r g e o i s e )

• pou r q u ' e l l e ne t o m b e pas dans les m y t h e s e t les p i è g e s de la c u l t u r e u n i v e r s i t a i r e b o u r g e o i s e

• pou r q u ' e l l e s a i s i s s e que le c h a n g e m e n t g loba l de n o t r e s o c i é t é passe par le c o m b a t i m m é d i a t pour la p r i se en cha rge de la c u l t u r e par le peup le

• pour q u ' e l l e a s s u m e s o n rô le m a j e u r dans ce c o m b a t en m e t t a n t ses c o n n a i s s a n c e s e t son é n e r g i e a u s e r v i c e des m a s s e s l a b o r i e u s e s

N O U S DEVONS LUTTER

• pou r que nos i n t e l l e c t u e l s qu i se r e f u s e n t à ê t r e des m e r c e n a i r e s du n é o - c o l o n i a l i s m e , s ' a f f r a n c h i s s e n t des a l i é n a t i o n s de la c u l t u r e bour g e o i s e e t u n i v e r s i t a i r e qu i c o n d u i t n é c e s s a i r e m e n t à la c a p i t u l a t i o n devant l ' e n t r e p r i s e néo -co lon ia l e

9 pou r q u ' i l s se l i b è r e n t de leur c o m p l e x e de s u p é r i o r i t é v is-à v i s delà c u l t u r e du p e u p l e e t de la l angue n a t i o n a l e

• pour q u ' i l s e n t r e p r e n n e n t leur r é é d u c a t i o n en se m e t t a n t au s e r v i c e des m a s s e s l a b o r i e u s e s a f i n de d e v e n i r des m i l i t a n t s de l a c u l t u r e du p e u p l e

N O U S DEVONS TOUS LUTTER

• c o n t r e la p o l i t i q u e d ' a b ê t i s s e m e n t du p e u p l e par l ' i m p o r t a t i o n d 'une c u i t u r e i m p é r i a l i s t e , é t r a n g è r e à nos r é a l i t é s , nos b e s o i n s e t nos asp i r a t i o n s

• c o n t r e la m i s e en v e n t e de la c u l t u r e du peup le par le f o l k l o r e e t l ' a r t i sana t

9 c o n t r e t o u t e t e n t a t i v e de d é v i a t i o n e t d ' i n t é g r a t i o n de n o t r e c u l t u r e qu i v i s e à l ' é l o igne r de s o n o b j e c t i f p e r m a n e n t : la l i b é r a t i o n de t o u t e s ies f o r m e s d ' e x p l o i t a t i o n dans l e cad re du p r o j e t de l i b é r a t i o n a rabe .

& c o n t r e t o u t e s l e s l i m i t e s i m p o s é e s chez nous à la c u l t u r e p rogres s i s t e d e l i b é r a t i o n

• c o n i r e les ba r rages é l e v é s à t o u s les n i veaux c o n t r e la c u l t u r e p rog r e s s i s t e e t l a c u l t u r e de l i b é r a t i o n des a u t r e s p e u p l e s

• pour une CULTURE N A T I O N A L E et c o n t r e la CULTURE IMPERIALISTE

• pou r une CULTURE DU PEUPLE et c o n t r e la c u l t u r e en d é c o m p o s i t i o n des c l a s s e s d o m i n a n t e s , re la i de l ' i m p é r i a l i s m e .

M a i 1970

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Page 98: Souffles 18

théâtre de la mer (oran) charte

Historique

Le Théâ t re de la M e r f o n c t i o n n e p ra t i que m e n t d e p u i s le 20 aoû t 1968. C e p e n d a n t , la p ros p e c t i o n en vue de t r o u v e r de nouveaux é l é m e n t s c o n t i n u e .

Le T. M. s es t c o n s t i t u é m a l g r é les é n o r m e s d i f f i c u l t é s p a r t i c u l i è r e m e n t f i n a n c i è r e s qu ' i l cou naî t , pour p o u v o i r c o n c r é t i s e r une e x p é r i e n c e t h é â t r a l e o r i g i n a l e s e p l açan t c o m p l é m e n t a i r e m e n t à l ' ac t i on du T. N. A. (1) Tou t d o i t dune p o u s s e r a une é t r o i t e c o l l a b o r a t i o n c r i t i q u e , f r a u che e t f r a t e r n e l l e e n t r e l o r g a m s m e na t i ona l e t le t h é â t r e de la m e r .

Dans l ' esp r i t de ses a n i m a t e u r s , le T. ivi. se ra une c o m b i n a i s o n e n t r e une é c o l e de f o r m a n o n e t d e r e e n e r e n e s t h é â t r a l e s e t une c o m pagn ie p r o f e s s i o n n e l l e , p r é s e n t a n t cies réa l isat i o n s t n e a ï r a i e s .

C o n s c i e n t s de ia n é g a t i v i t é d ' un t r ava i l se d é r o u t a n t à hu i s - c los e n t r e « SPECIALISTES » , n o t r e m é t h o d e p t é s u p p o s e e t f e r a l e n é c e s s a i r e pou r e n c o u r a g e r q u i c o n q u e à v e n i r a s s i s t e r a n o t r e t rava i l avec d r o i t c o m p l e t d ' i n t e r v e n t i o n ei. oe c r i t i q u e . Nos p o r t e s s o n t o u v e r t e s en p e r m a n e n c e à t o u s , avec les m ê m e s d r o i t s pou r le « s p ô c i a i i s t e » que pour l e ba layeu r du c o i n .

En v u e de ce r é s u l t a t , e t en vue d 'une é m u la t i on j u i f u r e l l e i n d i s p e n s a b l e , s e r o n t o r g a n i s e ^ dans la m e s u r e du p o s s i b l e des c a u s e r i e s , expos i t i o n s , p r o j e c t i o n s e t w e e k - e n d d ' i n i t i a t i o n t h é â t r a l e . N o t r e t r a v a i l d o i t ê t r e l e r é s u l t a t de l a p a r t i c i p a t i o n du p l u s g rand n o m b r e pour s 'ad-r t s j e i a u p l us g r a n d n o m b r e .

FreumbuÎG

I . Se v o u l o i r c r é a t e u r , c ' es t se v o u l o i r c réat e u r r é v o l u t i o n n a i r e ; ce l a i m p l i q u e q u ' a v a n t d e

(1) Théâtre National Algérien.

d e v e n i r c r é a t e u r r é v o l u t i o n n a i r e , o n s e d o i t d e . -re r é v o l u t i o n n a i r e .

I I . On n 'es t avan t -ga rde su r l e f r o n t c u l t u r e l que t a n t que n o t r e a c t i o n p r a t i q u e se p lace à ia p o i n t e d u c o m b a t c u l t u r e l .

Pou rquo i c r é e r ?

I . Tou t ac te h u m a i n é t a n t un ac te dans la s o c i é t é , l 'ac te t h é â t r a l e s t donc p o l i t i q u e .

I I . 6e m o b i l i s e r , g râce au t h é â t r e , à la l u t t e d é c i s i v e pou r s o r t i r d u s o u s - d é v e l o p p e m e n t cu l t u r e l , a s p e c t de n o t r e s o u s - d é v e l o p p e m e n t gén é r a l .

I I I . Engager le t h é â t r e dans la ba ta i l l e ac tue l le , su r l a base m i l i t a n t e a n t i - i m p é r i a l i s t e , an t i c o l o n i a l i s t e , a n t i - n é o - c o l o n i a l i s t e , e t pou r con t r i b u e r à la f o r m a t i o n d ' une m e n t a l i t é a l g é r i e n n e c o n f o r m e à n o t r e o p t i o n s o c i a l i s t e .

IV. C e t t e t e n t a t i v e v i e n d r a c o m p l é t e r l 'ac t i o n e n t r e p r i s e par le T.N.A. e t le T.N.O.A. en p a r t i c u l i e r .

V . Favo r i se r l a c r é a t i o n d 'une v i e e t d ' une é m u l a t i o n c u l t u r e l l e s sans l e s q u e l l e s i l ne peu t y avo i r de p r o y è s v é r i t a b l e .

A i n s i , n o t r e a c t i o n n 'es t pas s i m p l e m e n t I e x p r e s s i o n du d é s i r d 'un i n d i v i d u ou d 'un g r o u pe , m a i s r é p o n d à une n é c e s s i t é h i s t o r i q u e ac t u e l l e .

Four q u i c r é e r ?

T r a v a i l l e r pou r l es m a s s e s l a b o r i e u s e s , l es

f e l l a h s , les o u v r i e r s , les d j o u n o u d s e t les i n te l l e c t u e l s r é v o l u t i o n n a i r e s .

Pour ce la , c h a c u n de nos a c t e s d o i t r é p o n d r e aux q u e s t i o n s :

— Ce que nous f a i s o n s es t - i l u t i l e au peup le ? — Ce que nous f a i s o n s fa i t - i l a vance r la Révo

l u t i o n ?

— Ce qui î nous f a i s o n s résu l te - t - i l d ' une v i s i o n j u s t e du m o n d e et de la s o c i é t é ?

9 7

Page 99: Souffles 18

C o m m e n t créer ?

Se c o n v a i n c r e de la règ le : la c u l t u r e rév o l u t i o n n a i r e s u r g i t de la p r a t i q u e , e t la révol u t i o n e s t l a f o r m e s u p r ê m e de la p r a t i q u e .

L 'acte c r é a t e u r ne p e u t r é u s s i r e t v o i r l e j o u r que quand c e r t a i n e s c o n d i t i o n s s e t r o u v e n t s a t i s f a i t e s a u s e i n d u g r o u p e , c o n d i t i o n s d o n t les p r i n c i p a l e s se r é s u m e n t c o m m e s u i t :

A/ Condit ions généra les :

I . Ex t i r pe r e t c o m b a t t r e l ' esp r i t bureaucrate que , i n s t i t u t i o n n a l i s t e , l e p a r a s i t i s m e , l e f a v o r i t i s m e , a ins i que l ' esp r i t déma j<_g ique . Ne r i en e n t r e p r e n d r e , sans la c o n s u l t a t i o n de t o u t le g r o u p e .

I I . Ex t i r pe r e t c o m b a t t r e I e g o ï s m e e t t o u t e f o r m e d ' o p p r e s s i o n e t d e r é p r e s s i o n , e t déve lop per en so i l ' amour du p e u p l e , l a f r a t e r n i t é dans l e c o m b a t c o m m u n , l ' e sp r i t de s a c r i f i c e e t de d é v o u e m e n t .

I I I . S ' a f f r anch i r v é r i t a b l e m e n t de la men ta l i t é de c o l o n i s é .

IV. F o r m e r un e s p r i t c o m m u n avec des int e l l i g e n c e s m u l t i p l e s .

V . Ed i f i e r des r a p p o r t s i n t e r - p e r s o n n e l s rég is par l ' i m p o r t a n c e de la c o n s c i e n c e p o l i t i q u e , l ' é t endue de la c u l t u r e e t l a c o m p é t e n c e a r t i s t i q u e , ce la dans un e s p r i t de c o m p r é h e n s i o n e t de t r a v a i l c o l l e c t i f .

V I . A c q u é r i r e t d é v e l o p p e r l ' esp r i t s c i e n t i f i q u e , l ' ampur d é s i n t é r e s s é du s a v o i r e t de la r e c h e r c h e , de l a s e n s i b i l i t é a r t i s t i q u e .

V I I . Re fuse r l ' e sp r i t de la « P r o l e t k u l t u r e » pou r s ' i n t é g r e r t o t a l e m e n t , g -âce à l ' app l i ca t i on du t h é â t r e - g u é r i l l a , aux m a s s e s pou r s ' é d u q u e r en leu r se in e t les é d u q u e r , é t a b l i s s a n t a ins i u n d i a l o g u e v i v a n t , s i n c è r e e t p e r m a n e n t avec la p o p u l a t i o n .

B/ Principes art ist iques :

I . E t re r é v o l u t i o n n a i r e dans la v i e i m p l i q u e ê t r e r é v o l u t i o n n a i r e dans l e t h é â t r e , dans son c o n t e n u e t dans sa f o r m e .

I I . P r o m o u v o i r une c u l t u r e du r é e l , d i r e c t e e t s o c i a l i s t e .

I I I . Chaque ac te a r t i s t i q u e ne peu t ê t r e ent r e p r i s que s ' i l s o r t v a i n q u e u r de l a c r i t i q u e e t de l a r e m i s e en q u e s t i o n s c i e n t i f i q u e s . Chaque ac te a r t i s t i q u e d o i t r é p o n d r e à la q u e s t i o n : pourquo i c o m m e cec i e t non pas c o m m e ce la ?

IV. Etre c o n s c i e n t que p lus le n i veau a r t i s t i que es t hau t , p lus l ' i m p a c t p o l i t i q u e e s t p r o f o n d .

V . E n t r e p r e n d r e la c r é a t i o n d 'un t h é â t r e qu i ne p e u t ê t r e q u ' e x p é r i m e n t a l , en v u e de la rec h e r c h e d 'un a r t t i r a n t sa m a t i è r e p r e m i è r e e t p r é s e n t a n t un c o n t e n u e t une f o r m e i ssus des r é a l i t é s s o c i o - h i s t o r i q u e s n a t i o n a l e s .

V I . C o m p l è t e m e n t r é s o l u s à ce que les p o i n t s é n o n c é s c i - dessus ne d e m e u r e n t pas s i m p l e p h r a s é o l o g i e t r o m p e u s e m a i s r e ç o i v e n t une A P P L I C A T I O N PRATIQUE f i d è l e , TOUTES NOS FORCES PHYSIQUES ET INTELLECTUELLES SERONT MOBILISEES A V E C L'ESPOIR DE REUSSIR.

C la i r e -Fon ta i ne (Oran) s e p t e m b r e 1968

ma culture

salé

Bulletin pour une culture populaire

L ' A s s o c i a t i o n de R e c h e r c h e C u l t u r e l l e de Salé vient~"de d i f f u s e r l e p r e m i e r f a s c i c u l e de son b u l l e t i n i n t é r i e u r de l i a i s o n .

C e b u l l e t i n , d o n t nous d o n n o n s c i - dessous l e s o m m a i r e , v i s e e s s e n t i e l l e m e n t , s i nous en j ugeons par le p r é a m b u l e , un t émo ignc^ je const a n t su r l ' ac t i on e n t r e p r i s e par la j e u n e s s e de Sa lé en vue de r e v a l o r i s e r e t de r e n d r e sa p lace a c t i v e à la cu l j ture du n e u p l e .

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Page 100: Souffles 18

Nous s o m m e s é v i d e m m e n t l o in ic i de la dém a r c h e n o s t a l g i q u e des i n t e l l e c t u e l s d é r a c i n é s ou des u n i v e r s i t a i r e s v o u l a n t e x e r c e r leur pater n a l i s m e su r l a c r é a t i o n p o p u l a i r e . Les j e u n e s qu i a n i m e n t c e b u l l e t i n s o n t t r o p c o n s c i e n t s d e t o u t e s les m y s t i f i c a t i o n s e n t r e t e n u e s au s u j e t de la c u l t u r e p o p u l a i r e pour t o m b e r dans l ' a d m i r a t i o n des «âges d 'o r» ou pou r v e r s e r dans n ' i m p o r t e q u e l l e d é m a r c h e f o l k l o r i s a n t e d e c e t t e c u l t u r e .

Partie f rançaise :

Préambu le - A. M a n s o u r i fv lokhtar - M h a m e d Saadn i Poèmes de M o h a m m e d L fak i r , Sadd ik Lahrach B i b l i o g r a p h i e de la v i l l e de Salé

Partie arabe :

Poètes p o p u l a i r e s : C h e i k h Haj A b d a l l a h Ad-Dukka l i - C h e i k h M u s t a f a - p r é s e n t é s par Cha-k ib Ne j j a r

Poèmes de M o h a m m e d Na ïma

C o u v e r t u r e : A l i N o u r y

Saddik Lahrach

Poème

Enfant que j ' é t a i s ...

V o i l à que t o u t e s t r e m i s e n q u e s t i o n

Dans chaque co in de n o t r e t e r r e

O ù t o u t l e m o n u e e s t c o n s c i e n t

Je r a s s e m b l e m e s idées

Je r é f l é c h i s

A g i r

B r i se r les o b s t a c l e s

E f facer la r é p r e s s i o n

Pour la L i b e r t é

Le m o t d ' o r d r e sera

Le Journal du tiers - Monde Asie - Monde Arabe

Afrique - Las Americas

Administration - Rédaction :

68, Av. des Champs Elysées Paris 8

ABONNEMENTS :

Maroc : Sochepress - 1, Pl. Bandoeng

Casablanca

Algérie : SNED - 3, Bd. Zirout Youssef

Alger.

Tunisie : STD - 5, Rue de Carthaye

L 'ACTION

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Page 101: Souffles 18

Pubi i - repor tage

La R.D. A.

£êfera bientôt l'anniversaire du 7 Octobre

La Républ ique Démocrat ique A l lemande, fondée le 7 oc tobre 1949, est un état

soc ia l is te comp'.ant une populat ion de 17 mi l l ions d 'habi tants.

L~ë fondat ion de la R.D.A. é ta i t la conséquence logique de la lu t te des c lasses

des t rava i l leurs et de tou tes les fo rces démocra t iques du peuple a l lemand. Par ce t

acte d ' au todé te rm ina t i on nat ionale, la c lasse ouvr ière et ses a l l iés, sous la d i rec t ion

du PSU d 'A l lemagne, ont réal isé dans une part ie du pays la tâche h is tor ique du peuple

a l lemand au X X 0 s ièc le : un é ta t a l lemand de paix dans lequel les forces de guerre,

les impér ia l is tes et les mi l i ta r i s tes n'ont plus leur place. La République Démocrat ique

A l lemande, Etat des ouvr iers et des paysans, met en prat ique pour la première fo is

dans l 'h isto i re al lemande le pr inc ipe que «tout le pouvoir v ien t du peuple».

Au jourd 'hu i , un quar t de s ièc le après la l ibérat ion de l 'A l lemagne du fasc isme

h i t lé r ien , la R.D.A. peut présenter aux nat ions d'Europe et du monde un excel lent

100

Page 102: Souffles 18

bi lan. La R.D.A. es t l 'un des pays indust r ie ls les plus dynamiques du monde et dis

pose d'une agr icu l tu re soc ia l is te hautement .per fect ionnée. Le pr inc ipe du pouvoir

popula i re est réal isé : par t ic ipat ion au t rava i l , à la p l a n i f i c a t i o n , au gouvernement . Ce

pr inc ipe a t rouvé son express ion légale dans la nouvel le cons t i tu t ion de la R.D.A. qui

st ipule que «tout le pouvoir po l i t ique est exercé par les t rava i l leurs». La pol i t ique de

paix, de jus t i ce socia le, d 'ami t ié ent re les peuples et de soc ia l isme sont les é léments

inséparables de la prat ique gouvernementa le de la R.D.A.

La muta t ion de l 'homme et le large épanouissement des facu l tés c réat r ices du

peuple en République Démocrat ique A l lemande, voi là les résu l ta ts les plus impor tants

des 25 ans de déve loppement depuis la l ibérat ion de l 'A l lemagne.

I l ex is te en R.D.A. un plan global qui permet a'arialyser et de résoudre ies

tâches nat ionales et régionales, les prob lèmes de l 'enseignement , de répondre aux

nécess i tés e taux conséquences de la révo lu t ion technique dans l ' in térêt du peuple.

Cet te ac t iv i té repose sur l 'économie soc ia l is te p lan i f iée. Elle se base sur le fa i t que

la plus grande part ie de tous les moyens de product ion sont propr ié té de la soc ié té ,

c'est-à-dire propr ié té du peuple, comme toutes les ent repr ises-c lés de l ' indust r ie , ou

propr ié té coopérat ive comme la p lupar t de tou tes les ent repr ises agr ico les et une

grande part ie des ent repr ises ar t isanales.

L'Etat organise et prévoi t le déve loppement global économique en s'appuyant

sur l 'al l iance po l i t ique de tous les part is et organisat ions de masse sous la condu i te

du P3LI, part i de la c lasse ouvr iè re .

101

Page 103: Souffles 18

Cet te t rans fo rmat ion de l 'économie et de la soc ié té est une vo ie tou te nou

ve l le pour l 'A l lemagne. Elle a condui t la R.D.A. à un haut niveau de déve loppement .

Les résul ta ts impress ionnants obtenus par les t rava i l leurs de la R.D.A. sous

le s igne du nouveau sys tème économique prouvent indub i tab lement que l 'économie

soc ia l is te p lani f iée est capable des plus hauts rendements . Ils prouvent que l 'écono

mie soc ia l is te paci f ique créée par les t rava i l leurs appar t ient à l 'avenir.

Lors de sa fondat ion en 1949, la Républ ique Démocrat ique A l lemande éta i t du

point de vue économique l'un des états les plus défavor isés d'Europe. Mo ins de

v ing t ans après, la R.D.A., au te r r i t o i re re la t i vement pe 1 i t (108.174 km2) est devenu

un des dix pays les plus indust r ia l isés du monde. Les s ta t is t iques de l 'O.N.U. mon

t ren t éga lement que la R.D.A., depuis de nombreuses années, fa i t p a r i e des dix

pays où l 'accro issement économique est le plus rapide et le plus régul ier , c 'est pour

quoi e l le est reconnue comme un sol ide par tenaire commerc ia l dans le monde ent ier .

Les secteurs où l 'accro issement et l 'exportat ion sont les plus impor tants sont

les cons t ruc t ions mécaniques et le montage d ' insta l la t ions complè tes , l 'é lect ro techni -

que et l 'é lect ronique, l ' industr ie ch im ique , la techn ique de l 'automat ion et la construc

t ion d 'apparei ls sc ien t i f iques ainsi que la mécanique de préc is ion et l 'opt ique. La

R.D.A. possède aussi une indust r ie légère t rad i t ionne l le hautement product ive .

Le commerce extér ieur de la R.D.A. est caractér isé par un déve loppement

c ro issant de l 'échange des marchandises avec les autres pays soc ia l is tes , par une

net te amél iora t ion des re lat ions commerc ia les avec les jeunes états indépendants et

par un accro issement du ch i f f re d 'af fa i res du commerce extér ieur avec les pays ca

p i ta l is tes développés.

102

Page 104: Souffles 18

D'autre part, pour 17 mi l l ions d 'habi tants, les dépenses de l'Etat s 'é lèvent

à plus de c inq mi l l ia rds de marks pour l 'enseignement et la rechercha sc ien t i f i que ,

à env i ron un mi l l i a rd pour la cu l tu re et les arts et à presque 17 mi l l ia rds pour la

santé publ ique et la sécur i té socia le. On compte en R.D.A. 11,5 médecins pour 10.000

habi tants. En 19G7. les crèches d isposaient d 'envi ron 160.000 places et les jard ins

d 'enfants de 500X00.

Tous ces exemples mon t ren t que sous le s igne du nouveau sys tème économi

que, l 'économie en R.D.A. s 'est développée d'une façon dynamique et à l 'avantage des 103

t rava i l leurs , de leur v ie pr ivée et soc ia le.

La République Démocrat ique A l lemande, qui fê te le 7 octobre prochain, l 'anni-

ve isa i re de sa fondat ion , est une réa l i té .

Elle repose sur une économie puissante et en constante cro issance. Ses c i

toyens ont compr is les leçons de l 'h is to i re de l 'A l lemagne contempora ine. Ils conso

l ident cons tamment l 'état pac i f ique qu' i ls ont cons t ru i t , l 'œuvre qu ' i ls ont commencée,

l 'éd i f icat ion du soc ia l isme.

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