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Encore une fois, encore une fois, le vaste cri très ancien. Soudain comme un éclair de son, qui ne produit pas de bruit, mais de la tendresse, Embrassant subitement tout l’horizon maritime Humide et sombre ressac humain nocturne, Voix de sirène lointaine qui pleure, qui appelle, Il vient du fond du Lointain, du fond de la Mer, de l’âme des Abîmes, Et à sa surface, comme des algues, flottent mes rêves défaits... Ode Maritime de Fernando Pessoa, Editions de la Différence.

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Encore une fois, encore une fois, le vaste cri très ancien.Soudain comme un éclair de son, qui ne produit pas de bruit, mais de la tendresse,Embrassant subitement tout l’horizon maritimeHumide et sombre ressac humain nocturne,Voix de sirène lointaine qui pleure, qui appelle,Il vient du fond du Lointain, du fond de la Mer, de l’âme des Abîmes, Et à sa surface, comme des algues, flottent mes rêves défaits...Ode Maritime de Fernando Pessoa, Editions de la Différence.

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Un album portugais1919-1979

Céline Gaille

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Il y a aujourd’hui un an que ma mère est morte et je n’arrive toujours pas à regarder ses photos. Mon « album de famille » est devenu un objet de douleurs, et lorsque ma mère apparaît, vivante, sur une photographie, je ferme instinctivement les yeux et tourne la page, par lâcheté. Il est plus facile de ne pas voir. Il est plus facile de ne pas regarder. Ses yeux qui me regardent et son sourire ne me font plus sourire ni ne me consolent. Au contraire, ils me renvoient à son absence, à la tragique vérité de ne pouvoir à présent la voir qu’à travers une photo. Mon album de famille n’existe plus.

Photographie, mort, mémoire

Filipa Lowndes Vicente

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Lorsque la tumeur avec laquelle ma mère a dû vivre au cours des sept dernières années de sa vie commença à prendre le dessus, j’étais plongée dans La Chambre claire de Roland Barthes. Un classique sur la photographie, que je n’avais jamais lu. Lorsque j’atteignais ces pages où il commence à décrire une photo de sa mère, sa mort et ce qu’il ressentait devant cette image, je dus interrompre ma lecture. J’avais trop peur de la mort que je savais imminente, peur de me retrouver dans la même posture que Barthes, de vivre cette douleur sur laquelle il avait écrit – regarder sa mère, bien vivante, sur une photographie. À cette époque pendant laquelle chaque nuit je m’endormais la peur au ventre que ma mère disparaisse pendant mon sommeil, quelque chose de tout à fait anecdotique se produisit. Mais qui, dans ce contexte, allait prendre une dimension éminemment symbolique. Etant née au début des années 1970, l’album des photographies de ma première année de vie est austère. De rares photos. En noir et blanc. Mon père en est l’auteur. On les compte sur les doigts d’une seule main. Sur l’une d’elles, moi, allongée seule sur une pelouse au pied d’un écriteau « Pelouse interdite ». La transgression possible. Une autre, dans les bras de ma mère. Nous regardions l’objectif. Elle, très belle. Moi encore trop petite pour savoir sourire. Encore moins qu’il fallait sourire à l’objectif. La chambre à la Cité universitaire de Paris, où mes parents vivaient alors. Au dos de la photo, ces mots de ma mère. « Moi et Filipa. Paris. 1972 ». Je venais de trouver cette photo encadrée et l’avais posée sur une petite table de ma chambre, où s’entassent des livres et des journaux que j’espérais avoir le temps de lire. Un jour d’hiver battu par les vents, une pluie torrentielle avait fait effraction par la fenêtre mal fermée. En fin de journée je constatais les terribles dégâts du mauvais temps : journaux et livres gorgés d’eau et ma photo la plus chère, détériorée. Le papier collé au verre par l’humidité qui s’était immiscée en profondeur. L’encre bleue du stylo bille que ma mère avait utilisé pour écrire, passée. Au cours de l’hiver 2015, ce petit accident du quotidien avait pris les proportions d’une tragédie qui, je le savais, s’annonçait. Le scénario déjà clair à mon esprit : cette photo ruinée – la photo de la mère et de la fille – elle, à 28 ans, et moi, âgée de quelques mois seulement – ma préférée – et la

mort imminente qui se profilait. La fin des câlins, des étreintes, du toucher, de l’odeur, de la peau. La fin de cette photographie. La fin de la vie.Je laissai la photographie et le cadre sécher, puis je mis la photo dans une enveloppe, en attendant le jour où j’irais demander à un spécialiste d’essayer de la restaurer. Elle est unique, je ne sais pas où se trouve le négatif ni même s’il existe. Juste une, celle-là, l’original, tirée en 1972, les mots de ma mère au verso. La photographie d’avant l’ère de la reproductibilité technique. La photographie comme un objet unique, dans sa matérialité, dans nos mains. Elle est là dans l’enveloppe et je n’arrive toujours pas à la regarder. Elle est morte. Ce n’est qu’alors que j’ai vraiment compris que la photographie était aussi deuil, douleur et traumatisme. Ce n’est qu’alors que j’ai compris que regarder mes albums, les photos de ma vie ne suscite plus seulement le sourire à nous voir adolescentes, mal habillées, à percevoir combien nos amis avaient pris du poids et perdu leurs cheveux, combien aussi le souvenir de nos filles, si petites, si charmantes, si chéries, s’était évanoui. Pour la première fois, il ne s’agissait plus de se confronter au passé, comme partie intégrante du présent. Je suis ici, bien vivante, mes amis aussi, même ceux que je n’ai plus jamais revus ou qui ont tant changé qu’ils pa-raissent méconnaissables. Je ne peux plus prendre mes filles dans les bras mais je peux leur donner la main (ou plutôt essayer de leur donner la main, si tant est que l’on ne soit pas trop près de l’école, pour ne pas leur faire honte). Mais ma mère, elle, n’est plus là. Rien – aucun lieu, aucun objet, aucune personne – ne m’est aussi douloureux que de regarder une photographie d’elle. Plus encore si je suis à ses côtés sur la photo. Les deux, souriantes, moi déjà suffisamment grande pour ne plus avoir honte de lui donner la main. Rien ne m’est plus désagréable. Derrida parle de la photographie comme d’une ruine « mémoire pensive et ruine de ce qui d’avance est passé, deuil et mélancolie, spectre de l’instant (…)1. » C’est par la photographie que j’ai affronté la mort. Par la certitude que plus jamais je ne pourrai prendre une photographie

1 Jacques Derrida, Mémoires d’aveugle, l’autoportrait et autres ruines, Paris, Réunion des musées nationaux, 1990, p. 72.

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de ma mère. Par l’irréversibilité, et l’angoisse qu’elle charrie avec elle, avec l’avant et l’après. Avec l’idée que jamais plus je ne pourrai regarder une photo de ma mère vivante sans affronter l’absolue certitude de sa mort. Voilà ce qu’est le passé.

** *

La première fois que j’achetai un album de photographies, c’était à Bièvres, lors de la Foire annuelle à la photo qui s’y tenait déjà depuis une bonne décennie, là, aux portes de Paris. J’y achetai d’abord des cartes postales, un ou deux portraits de petit format, un ou deux stéréoscopes, une ou deux photos. Aux sujets qui déjà m’intéressaient je venais d’en ajouter un autre : la maternité et l’accouchement. Les photographies d’accouchement sont pour ainsi dire un tabou, bien moins visibles que la pornographie ou le nu, qui occupent une grande place dans les lieux de commerce de la photographie, un marché essentiellement masculin pour lequel le pornovintage est devenu un objet de choix des collectionneurs. Mais, si l’accouchement reste invisible, la maternité, elle, ne l’est pas. Dans la lignée de la tradition de la peinture religieuse euro-péenne des vierges et des enfants, qui inclut le geste même de l’allaitement, les portraits photographiques de mères et d’enfants, voire de nounous avec des enfants dans les bras, se sont imposés comme un type caractéristique de l’art du portrait au XIXe siècle, et aux siècles suivants. Le bébé, photographié seul, allongé dans un décor de studio ou dans les bras de sa mère, à deux ou avec le reste de la famille. Dès que la photographie est devenue plus accessible, plus facile à réaliser chez soi, il n’était plus nécessaire d’aller au studio. L’appareil-photo allait devenir un objet d’usage courant pour ceux qui avaient les moyens de s’offrir confort et loisirs, les adultes du foyer, le père bien sûr, mais aussi la mère. Le petit album que j’avais acheté à Bièvres datait de cette époque : reliure rouge, une photo par page, une légende sur chacune d’entre elles, le tout immaculé. Comme un petit trésor conservé pendant plus d’un siècle, sur lequel le temps ne semblait pas avoir eu de prise. La première photo. Le 25 février 1906, Paulette a trois mois et demi. Chaque

photo, chaque page, séparée par un calque, avec la mention du jour, du mois et de l’année, et une brève description : Paulette dans le bain ; la première bouillie de Paulette ; Paulette, dans les bras de sa nounou, a grandi et déjà se tient debout, joue, se déguise en paysanne, qu’elle est mignonne ! Mais ce qui m’attirait le plus dans cet album, c’était la figure du père, bien habillé, portant la barbe, les manches retroussées pour donner le bain à Paulette, le 15 mars 1906. Ce père du début du siècle, probablement un médecin – pensai-je alors –, était de toute évidence très fier de sa fille, sans peur d’enfreindre les règles de la masculinité en aidant à s’occuper de son enfant. Les légendes, alternant tendresse et humour, sem-blaient écrites par lui. Mais peut-être que non.Cet album me charma comme il me dérangea. Je me demandais comment il s’était retrouvé là, au marché aux puces, pourquoi un objet aussi singulier et précieux, fait avec tant de soins, était exposé là, au soleil de juin, plus de cent ans après sa réalisation. Pourquoi n’était-il pas chez les enfants de ce bébé, ou ses petits-enfants ? L’album éloigné de sa famille. La famille si loin de l’album. Le bébé avait-il grandi et n’avait pas eu d’enfants ? Était-il mort pendant la 2ème Guerre mondiale ? La maison avait-elle été laissée à l’aban-don ? Les marques de l’intime devenues objet de commerce pour collectionneurs et amateurs ? Il n’aurait pas dû être entre mes mains. J’avais honte de posséder quelque chose qui n’était pas mien. De Paris à Lisbonne, il était désormais dans mon tiroir dit de « la maternité », une de ces classifications que j’ai inventée pour ranger les photographies que j’achète et qui ne sont pas de moi. Parmi les petits portraits photos de nourrices avec des bébés dans les bras et les cartes portales des années 1950, aux couleurs vives, sur lesquelles des bébés blonds à la peau rosée tètent des biberons plutôt que le sein. L’album avait voyagé dans ma valise et s’éloigna ainsi plus encore du lieu où il avait été fait. Près de dix ans ont passé et je m’intéresse plus encore à ces dé-pouilles de l’intime. Je n’ai plus honte de m’emparer de ces frag-ments de la vie d’autrui. Même si la vue de ces paquets de photo-graphies à vendre, déposés dans des boîtes en carton à même le sol de la Feira da Ladra, me rend triste. À présent que je vis à Lisbonne, à deux pas du principal marché aux puces de la ville, c’est là que je continue d’acheter des photos. J’en prends par paquets, je les

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regarde, vite, avant de les faire glisser les unes derrière les autres, comme nous faisions enfants avec ces vignettes que l’on s’échan-geait entre amis. Je l’ai, je l’ai, je l’ai, je l’ai pas, je la veux. Ça m’intéresse. Je la veux. Je vais l’acheter. « Les deux, deux euros. » « 1.50 ? », « D’accord, prenez-les. » Je les prends. Souvent, non pas parce que le sujet fait écho à mes thèmes de recherche, mais parce que quelque chose dans la photo a retenu mon attention ; ce punctum dont parle Barthes. Ce quelque chose qui nous attire sans que l’on sache bien pourquoi.Je les prends en ayant clairement conscience de fragmenter un peu plus encore ces histoires de vie, de m’emparer d’un objet intime ayant appartenu à des gens que je ne connais pas, dont je ne saurai jamais le nom, s’ils sont vivants ou bien morts. Mais je me dis aussi que quelque chose n’a pas marché pour que ces photos se retrouvent là. Je vois toujours une petite tragédie contenue dans les vies de ces personnes photographiées, du simple fait que ces photos ne soient pas en la possession de quelqu’un, dans des albums ou des boites. Gardées et vues de ceux qui savent leur donner du sens et une histoire. Me confron-ter à ces vies dépouillées, c’est me confronter à quelque chose qui s’est mal passé, quelque chose qui s’est brisé en plein vol et n’aurait pas dû avoir lieu.Rien ne justifie que l’on vole des photographies. Ce ne sont pas des ordinateurs, ni de l’électroménager. Elles se vendent pour quelques euros, chez les vendeurs les plus modestes et les plus éclectiques, ou chez ceux qui voient déjà en elles le filon attirant du vintage – « Regardez bien, mademoiselle, elles sont très an-ciennes ! » Si on ne les a pas volées, c’est qu’elles ont été aban-données. Le plus souvent, au milieu de la paperasse et des livres. Ce qu’il reste quand les gens meurent ?

** *

Peut-être ai-je croisé Céline à la Feira da ladra, toutes deux ac-croupies pour observer « Fernanda », « Catarina » ou «Rodrigo», mais je ne l’avais pas encore rencontrée. Je l’ai connue le jour où

je découvris l’album, avec sa chronologie propre, de 1919 à 1979. Cette création immédiatement me fascina, cette fiction tissée de mots et d’images réunis dans un récit qui n’est pas vrai mais pourrait l’être. Je compris que cet album était l’aboutissement d’un long chemin. Pour son auteure, une façon de donner sens à sa nouvelle vie à Lisbonne, d’y être un peu moins étrangère ou, à tout le moins, de mieux comprendre l’histoire de ces lieux. C’était aussi un aboutissement pour les photographies. Les objets eux aussi voyagent, seuls ou accompagnés. D’où viennent ces photos ? Du Portugal, oui. Mais aussi d’Afrique, de ces ex-colonies qui n’étaient pas encore ex. Comment le sait-on ? On ne le sait pas. Sur certaines, on peut voir des blancs, des noirs, parfois des noirs en position subalterne, comme cette photo sur laquelle un domestique sert du thé à une dame bien habillée. Ou cet homme qui pose en tenue de soldat, comme tant d’autres pendant la Guerre coloniale. Mais ce passé colonial surgit aussi des mots et de la distance. De l’histoire racontée par Céline. L’intime et la subversion de l’intime. Les personnes photogra-phiées ne sont pas des acteurs, ce n’est pas un roman-photo des années 1970. Ce sont là de vraies personnes à qui l’on a fait revêtir sans le savoir les habits de personnages de fiction. Leur vie ne leur a pas été volée car ils ont vécu. Ces personnes ont existé, elles apparaissent ici comme tel. C’est nous qui ne les connaissons pas. Et c’est ainsi que nous regardons et lisons leur histoire dans les interstices de cette duplicité irrésolue entre vérité et fiction. Les photographies, comme les personnes que l’on y voit, ont eu ce faisant une deuxième vie. Mais, et si elles étaient encore en vie ? Et si leurs enfants les reconnaissaient dans cette seconde vie qu’elles ignorent avoir ? Il y a, inévitablement, une dimension éthique dans le geste de s’approprier des photographies qui ne sont pas les nôtres. Tout particulièrement lorsqu’elles renvoient à un passé récent. Tels ces historiens, ces anthropologues ou ces érudits qui s’intéressent à la photographie comme document, objet, narration ou image, Céline a dû avancer sur la marge étroite qui sépare usage et abus, appropriation et reproduction, le fait d’écouter les voix de ceux qui n’en ont plus et celui de leur faire dire autre chose. Ce sont ces hommes et ces femmes qui sont ici.

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Mais cela aurait pu être nous.La démarche de Céline s’inscrit dans une longue tradition d’ar-tistes qui travaillent à s’approprier des photographies pour réflé-chir sur la mémoire et l’histoire à partir d’archives. Ici, les archives personnelles de l’intime, de ce qui ne mérite pas d’être conservé par l’institution et qui – dans des circonstances de la vie qui nous échappent – se retrouvent sur la place publique, en l’occurrence un marché aux puces. Ce sont ce que l’on appelle des « found pho-tographs », des photos trouvées, esseulées et perdues, détachées de tout ce qui leur donne sens et profondeur. Mais, dans son livre, l’auteure leur redonne sens. Elle leur rend leur dignité en les collant dans un album, en leur conférant une légende, en les préservant et en les rendant visibles, à nouveau. Elle les a « trouvées » mais elles ne sont plus ces « objets perdus » dans l’espoir sans fin que leurs propriétaires viennent un jour les retrouver. Elles ne sont plus seules, elles font à nouveau récit. De l’histoire d’une famille comme de l’histoire d’un Portugal contemporain, fragmenté, défait et dont les blessures des identités en voie de transformation sont encore à vif. Accepte-le parle aussi de la matérialité de la mémoire, de la per-formativité des objets et des images, de la façon dont nous inte-ragissons avec les choses et leur attribuons toujours de nouvelles significations et dimensions. L’histoire des images et des objets est inséparable de nos propres histoires. L’album de photographies, comme objet, est contemporain de l’invention de la photographie elle-même, peu avant le milieu du XIXe siècle. Un livre vide, sur la couverture peut-être le mot « album » – comme c’est ici le cas –, destiné à être rempli par qui le voudra, avec ce qu’il voudra. Photographies et légendes, parce que le mot se tient toujours à côté de l’image, au dos d’une carte postale, sur les photographies, dans les espaces vides de l’album, pour raconter l’histoire que l’on veut raconter. Pour soi et pour les autres, l’album est toujours unique et original. « Fernanda », mère, veuve, femme, fabrique cet album pour se rapprocher de son fils, distant et si loin d’elle. Joignant à ses photographies celles de sa sœur Catarina, de Guinée-Bissau – d’une famille de colons privilégiée revenue à une mère-patrie qui n’est pas la sienne, du fait des vicissitudes de l’histoire –, Fernanda

raconte l’histoire de sa famille par la photographie. L’histoire de la famille tient autant dans ce que l’on voit que dans ce que l’on ne voit pas (les secrets qui ne se photographient pas). L’album – composé de photographies et de quelques cartes et légendes – raconte aussi une histoire du Portugal contemporain, de ce pan du XXe siècle qu’est l’Estado Novo, et qui a pour père autoritaire et rigide Salazar, celui qui ne laisse partir que ceux qui vont en « Afrique portugaise » ou dans ce qu’il reste de l’Empire d’Asie. Le Portugal de ceux qui étaient ici et des autres qui étaient ailleurs, ce pays dont l’indépendance des colonies, la révolution du 25 avril, la démocratisation et l’ouverture feront émerger bientôt un autre « Portugal » qui n’apparaît pas encore dans l’album qui se clôt sur l’année 1979.Qui sommes-nous, nous, les observateurs, les lecteurs de l’album, nous qui pouvons le prendre en main et le feuilleter, séparer avec délicatesse le calque semi-transparent dont les lignes semblent tracer des toiles d’araignée ? Sommes-nous la mère, vieille et veuve, seule sans son fils, qui regarde derrière elle et espère que l’album – comme une main tendue – pourra le faire revenir à elle ? Ou sommes-nous le fils qui le reçoit et se confronte à cette histoire à laquelle il avait voulu échapper dans cette distance redoublée des affects et de l’espace ? On ne saura jamais si le fils a accepté l’album, comme sa mère le lui avait demandé par ces mots : « Accepte-le ». Quant à la suite de l’histoire, il nous appartient de l’écrire. Acceptons-nous cet album ? Acceptons-nous les photo-graphies de notre vie ? Acceptons-nous notre histoire ?

Lisbonne, le 21 avril 2016.

Filipa Lowndes Vicente, historienne, chercheuse à l’Institut des Sciences Sociales de l’Université de Lisbonne, dont les thèmes de recherche englobent la production des connaissances, écrits et images dans le contexte colonial, mais aussi l’histoire des voyages, de la photographie, des musées et des expositions, aux XIXe et XXe siècles.

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Contentons-nous de l’illusion de la ressemblance, encore qu’en vérité, je vous le dis, s’il m’est permis de m’exprimer en style prophétique, l’intérêt de la vie a toujours résidé dans les différences .Histoire du Siège de Lisbonne de José Saramago, Editions du Seuil.

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je n’ai pas assez de mots pour exprimer ma reconnaissance à Sébastien Rozeaux qui nous a emmenés, Laurel et moi, à Lisbonne. Il m’a initiée aux mystères de l’Atlantique lusophone et accompagnée tout au long de la création de ce livre ; Il est indissociable de ce livre et de cette ville. 

à Vincent Marcilhacy, l'éditeur de The Eyes Publishing qui a cru d'emblée en mon projet expérimental et périlleux. Je le remercie de son engagement sans faille à mes côtés,

à Ângela Ferreira, la directrice artistique du Festival Encontros da Imagem, qui m'a invitée à créer une exposition autour de ce livre à Braga, dans le cadre de l’édition 2016 « A Place in the sun »,

à l'historienne Filipa Lowndes Vicente, pour sa postface, engagée et personnelle ;à Hugues Vollant, graphiste, pour son talent et son implication dans ce livre. L'un comme l'autre, chacun avec leur sensibilité, ont apporté quelque chose d'unique à cet ouvrage.à Arnaud Bes de Berc de The Eyes, à Anna Meschiari d'Art & Caractère, à Christophe Éon et Yannick Tranvouez de Janvier Analogueà Véronique Prugnaud pour avoir prêté sa main au récit de Fernanda

Je souhaite également remercier chaleureusement ces personnes qui, par leur écoute, leurs conseils, leurs élans m’ont aidée à passer les différents paliers de sa réalisation.Filipa Valladares, Miguel Amado, Pierre Bessard, André Príncipe, Alejandro Castellote, João Barbado, Dieter Neubert, Elsa Peralta, Guillaume Lebrun, Inês de Castro Ruivo, Isabel Corrêa da Silva, António Araújo, Urs Seidel, Joana Oliveira, Pauline et Fabien Simon, Magali Jauffret, Olivier Brossard, Benoit Luisière, Anne Pailhès, Nathalie Kellerman

Mais aussi tout particulièrement celles et ceux qui ont soutenu ce projet personnel et souscrit à l’édition.

Les photographies qui composent cette œuvre ont été achetées par son Auteure au marché aux puces « Feira da ladra », à Lisbonne, entre octobre 2014 et mars 2016. Elles ont été acquises les unes après les autres, chez différents vendeurs des puces, tout au long de cette période. Malgré les efforts réalisés en ce sens par l’auteure, il ne lui a pas été possible d’identifier les personnes photographiées.L’histoire narrée dans cette œuvre est en tout point fictionnelle, et par conséquent il n’existe aucun rapport entre les personnes photographiées et les noms, les opinions et les liens familiaux qui leur sont attribués, comme il en va de toutes autres formes d’appropriation ou d’interprétation de l’œuvre. 

Conception de l’album, de l’histoire, édition des images, écritures des lettres et des légendesCéline GaillePhotographiesCollection de l’auteurePostfaceFilipa Lowndes VicenteRédaction du texte sur l’histoireCéline Gaille relue par Sébastien RozeauxTraduction Portugais-Français et Français-PortugaisSébastien RozeauxRelectureJoana Oliveira et Sébastien RozeauxTraduction anglaiseMathieu FranksConception graphique Hugues VollantEcriture à la main de FernandaVéronique PrugnaudPréparation de l’écriture de FernandaArnaud Bes de BercPhotogravureJanvier AnaloguePapierMunken Polar, Arctic PaperImprimé sur les presses d’Art & CaractèreDépôt légalSeptembre 2016ISBN979-10-92727-14-2

Au Tage, où tout part et où tout revientAux inconnus qui me sont devenus familiersA ceux qui se reconnaîtront

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Her brother Vasco, 1 year old, 1944P.32 Your christening in Lisbon, 1950P.33 The four of us, in the good old days of happiness. You, Sweetie Helena and us. We were returning from a trip to PortoP.34 The day you turned 6, Lisbon, 1956. P.35 1957, Sweetie at Aunty Clementina’s P.36 1958 holidays, Mommy, Grandma Rosa, Aunty Clemen-tina and Tosca | Photographer: Guilherme, 8 years oldP.37 You, aged 10. Praia do Meco, 1960P.38 There are no explanations at the back of the photo-graphs. All I know is that they were taken in 1963. The older man might be my fatherP.39 Nothing frightens Gui, 1963-64?Helena, 6 years old, before the start of the school yearP.40 On José’s motorbike, despite your father’s forbidding it, 17 years old. | Helena with Tosca and Eureka, 1967P.43 Our wedding anniversary, 1968, with Armando and Maria Fernanda da Silva of Luanda, those you can see on the passport. The passport comes from Catarina’s letter. They must have known each other.P.44 The picture you sent me from Angola in 1969 and your army pictures I found in a drawer with a postcard addressed to your sister in 1968. I will never forget what you went through.P.45 Handwritten on the picturesALL OF US WILL DIE | AFONSO DEAD, LUIS DEAD, GUI ALIVE, PAULO DEAD | ALL OF US WILL DIEP.46 Catarina, Bissora, 1963, at the start of the war | Carlota and her fiancé, 1961. She looks like your sister todayP.47 Vasco, your cousin in 1964P.48 Vasco’s 25th birthday in the barracks, in 1968P.49 JUNE 1974, LAST DAY, ANGOLA (handwritten on the edge of the picture) | It was you friend José who gave me this photograph of you, before he left for FranceP.50 1971 this picture with your father was published in the newspaper. It is the last picture of him alive, so I am sending it to you. He has made mistakes, while you were fighting over there, but believe me, he never worked for the PIDE contrary to the rumours you heard. P.53 October 1974, Lisbon, after you returned from Angola. One can barely recognise youP.54 The last photograph I had of you before you left, three years agoP.55 Joana in 1976, before your engagementP.56 Sweetie has grown up well, Cascais, 1972P.57 João Manuel, your sister’s fiancé. I hope you will get to meet himP.59 Your grandmother and me, in 1978. She died with her secretP.61 The da Cunha brothers, Bissora, 1919P.63 Your sister, Vasco, his two daughters and Carlota, on

April 7th, 1979 | At the airport, meeting the cousins from Africa for the first time

Photography, death, memoryIt’s a year to the day since my mother died and I still can’t look at photos of her. My “family album” has become a source of pain, and when my mother appears, alive, on a photograph, I close my eyes instinctively and turn the page, cowardly. It’s easier to not see it. It’s easier to not look at it. Her smile and her eyes looking at me don’t make me smile anymore, and don’t comfort me. On the contrary, they remind me of her absence, of the tragic reality that I can now only see her through a photograph. My family album no longer exists.

When the tumour that my mother had to live with in the last seven years of her life started to take over, I was immersed in Roland Barthes’ Camera Lucida. A classic about photography that I hadn’t yet read. When I reached those pages where he describes a picture of his mother, her death, and the feelings brought up by that picture, I had to stop reading. I was too scared of this death, which I knew was coming, scared to find myself in the same place as Barthes, living the pain he had written about – looking at your mother, alive and well, on a photograph.

At that time, when I used to fall asleep every night sick with fear that my mother would pass away in my sleep, something happened that was really quite anecdotal, but in this context would take on highly symbolical dimensions. As I was born in the early 70’s, the photo album of my first year of life is rather poor. A few sparse pictures. Black and white. My father took them. You can count them on one hand. One of them shows me, lying on the grass under a “No stepping on the grass” sign. The possibility of transgression. Another, where I am in my mother’s arms. We were looking at the camera. Her, very beautiful. I, too young to know how to smile. Let alone to know I was meant to smile at the camera. The room in the Cité Universitaire where my parents lived then, in Paris. On the back of that picture, those words from my mother. “Me and Filipa. Paris. 1972.” I had only just found that framed picture, and I’d put it on a little table in my bedroom, next to a pile of books and newspapers I was hoping to get round to reading. One windy winter day, torrential rains had broken in through the window that hadn’t been closed properly. At the end of the day, I discovered the terrible damage caused by the bad weather: books and newspapers were soaked, and my most precious photograph, spoiled. The paper had become stuck to the glass under the effect of deep set humidity. The blue ink from the pen my mother had used to write, smudged. In the winter of 2015, this small mundane accident had taken the proportions of a tragedy that, I could feel it, was really

coming. The scenario was already clear in my mind: the photo had been ruined – the picture of mother and daughter – her, then 28, and me, only a few months old – my favourite photo – and death was looming. The end of cuddles, of hugs, of touches, of smells, of skin. The end of that picture. The end of life.I left the photograph and the frame to dry, then placed the picture in an envelope until the day when I would ask a specialist to try and restore it. It is unique, I don’t know where to find the negative, or if it even exists. There is only one, that one, the original, developed in 1972, with my mother’s words on the back. Photography from an era predating technical reproducibility. Photography as a unique object, material, palpable. It’s right there in an envelope and I can’t look at it. She is dead.Only then did I really understand that photography was also grief, pain and trauma. Only then did I understand that looking at my albums, at the photographs of my life wouldn’t only bring on a smile, seeing our teenage selves, badly dressed, noticing how much weight our friends had put on and how much hair they had lost, how much the memory of our daughters, so little, so charming, so loved, had vanished. For the first time, it was no longer about confronting the past as an integral part of the present. I am here, alive and well, so are my friends, even those I never saw again or who changed so much they are virtually unrecognisable. I can no longer carry my daughters in my arms but I can hold their hands (or try to get them to hold hands, as long as we aren’t too close to school, to avoid embarrassing them). But my mother, she is gone.Nothing – no place, no object, no person – is more painful for me than looking at a picture of her. It’s even worse if I’m with her on the picture. Both of us, smiling, me already grown up enough to not be ashamed of holding her hand. Nothing is worse. Derrida talks about photography as a ruin: “pensive memory and ruins of what is already past, grief and melancholia, spectre of the moment...1.” I confronted death through photography. Through the certitude that I would never again be able to take a picture of my mother. Through its irreversible nature, and the anxiety that comes along, with a before and an after. With the idea that I would never again look at a picture of my mother alive without confronting the absolute certainty of her death. That is the past.

** *

1 Jacques Derrida, Mémoires d’aveugle, l’autoportrait et autres ruines, Paris, Réunion des musées nationaux, 1990, p. 72.

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The first time I ever bought a photo album was in Bièvres, during the annual Photofair that had been held there for at least a decade, right outside Paris. First, I bought postcards, a couple of portraits in small format, a couple of stereoscopes, a couple of pictures. To the topics I was already interested in, I’d just added another: maternity and childbirth. Photographs of childbirth are, so to speak, a taboo, much less visible than pornography or nudes, which takes up a lot of space in commercial centres of photography, a mainly male market for which vintage porn has become a collector’s item. But if childbirth remains invisible, maternity doesn’t. Following the European tradition of religious paintings of Virgin Maries and their children, sometimes even including the breastfeeding, photographic portraits of mothers and children, or even nannies holding children, became characteristic of the art of the portrait in the 19th century, and in the following centu-ries. The baby would be photographed alone, lying in a studio set, or in its mother’s arms, just the two of them or along with the rest of the family.As soon as photography became more accessible, easier to do at home, going to the studio was no longer a requirement. The camera would become a common place object for those who had the luxury of comfort and leisure time, the adults of the household, the father of course, but also the mother. The little album I had bought in Bièvres dated back to those days: bound in red, it had one picture on each page and one caption under each picture, and it was immaculate. It felt like a small treasure that had been kept for over a century, something over which time seemed to have had no effect. The first photograph. On February 25th, 1906, Paulette is three and a half months old. Each photo, each page, separated by a leaf of fine paper, had a mention of the day, the month and the year, and a brief description: Paulette in the bath; Paulette’s first porridge; Paulette, in her nanny’s arms, is grown up and already standing, playing, dressing up as a peasant, how cute! But what I found most attractive about this album was the figure of the father, well dressed, bearded, his sleeves rolled up to give Paulette her bath, on March 15th 1906. This turn of the century father, probably a doctor – or so i thought at the time – was obviously very proud of his daughter, unafraid to break the rules of masculinity by helping to care for his child. The captions, some tender and some funny, seemed written by him. But maybe they were not.To me, this album was as charming as it was disturbing. I wondered how it had ended up there, at the flea market, why such a singular and precious object, made with such care, was exhibited there, under the hot June sun, over a hundred years after it was made. Why was it not with that baby’s children or grand-children? The album estranged from the family. The family so far from the album. Had the baby grown up and not had any children? Did she die during WWII? Had the house been abandoned? The marks of intimacy, become an object

of trade for collectors and enthusiasts? This album shouldn’t have been in my hands. I was ashamed to own something that wasn’t mine. From Paris to Lisbon, it was put away in my so-called “maternity drawer”, one of the classifications I in-vented for the photographs that I have bought but not taken. Amongst the little photo portraits of nannies with babies in their arms and the colourful 1950’s postcards of blond babies with pink skin suckling bottles rather than breasts. The album had travelled in my suitcase and so was removed even further from the place where it had been made.Almost ten years have passed and I am now even more interested in these remains of intimacy. I am no longer ashamed to grab those fragments from other people’s lives. Even if I do get sad at sight of a pack of photographs for sale, in a cardboard box on the ground of the Feira da Ladra. Now that I live in Lisbon, around the corner from the main flea market of the city, that is where I keep buying photographs. I take a handful and look at them, quickly, before shuffling them to the back one by one, like we used to do when we traded cards with friends, as children. Got it, got it, got it, not got that, I want that one. I’m interested. I want it. I’m going to buy it. “Two euros for both.”, “1.50?”, “Okay, take them.” I take them. Often, it’s not because the subject echoes my topics of research, but because something in the photograph caught my eye: the punctum that Barthes was talking about. Something that attracts us and we aren’t quite sure why.I take them, fully aware that I am further fragmenting those life stories, that I am stealing an intimate object that be-longed to people I didn’t know, whose name I will never know, of whom I will never be sure if they’re alive or dead. But I also tell myself that something must have gone wrong for those photos to end up here. I always see a little tragedy in the lives of the people photographed, just because the pictures themselves aren’t kept by anyone, in an album or a box. Kept and looked at by those who can make sense of them and give them a history. Confronting those stripped-back lives is confronting something that went wrong, something that broke mid-flight, that shouldn’t have happened.Nothing justifies stealing photographs. They are not compu-ters or electric appliances. They are sold for a few euros, in the most modest and eclectic shops, or amongst those who see in them already the lucrative market of vintage photos - “Look, miss, they are really old!” If they haven’t been stolen, they were abandoned. Most often, along with the paperwork and the books. What remains when people die?

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Maybe I had crossed paths with Céline at the Feira da Ladra, crouching beside her to observe “Fernanda”, “Catarina” or “Rodrigo”, but had not yet made her acquaintance. I met her

the day I discovered the album, with its own chronology that ranged from 1919 to 1979. Immediately, I was enthralled by this creation, this fiction weaving words and images into a narrative that was not true but could have been. I understood that this album was the destination reached after a long path; a means for its author to make sense of her new life in Lisbon, of being less of a stranger there or at least, of better unders-tanding these places’ history. The photographs had reached their destination. Objects travel too, alone or accompanied. Where do these photographs come from? From Portugal, yes. But from Africa too, from these future former colonies. How do we know? We don’t. On some photographs, you could see white, black people, sometimes the blacks in subordinate positions, such as in this picture where a domestic servant serves coffee to a white woman in fine clothing, or that man posing as a soldier, like so many did during the Colonial War. This colonial past also arises from the words and the distance. From the story Céline tells.Privacy, and the subversion of privacy. The individuals photographed are not actors, this is not a photonovel from the 1970’s. They are real people who have been unknowingly dressed up as fictional characters. No one stole their lives, since they were lived. These people have existed, and that is how they’re shown. It is we who do not know them. And thus, we watch and read their story in the gaps of this unresolved duplicity between truth and fiction. The photographs, along with the individuals portrayed have thereby lived a second life. But what if they were still alive? What if their children recognised them in this second life they do not know about? Inevitably, there is an ethical dimension in the action of taking ownership of photographs that are not ours. All the more so when they refer to a recent past. Like these histo-rians, anthropologists or scholars who study photography as a document, an object, a narrative or an image, Céline had to progress on the narrow line that separates use from abuse, appropriation from reproduction, listening to voices of those who no longer have one from making them say something else. These men and women are the ones who are here. But it could have been us.Céline’s approach follows a long tradition of artists who aim at appropriating photographs to reflect upon memory and history based on archives. In this case, the private archives of intimacy, of what does not deserve to be kept by the ins-titution and ends up - because of life circumstances beyond our control - in the public space, I this case a flea market. We call them “found photographs”, lonely and lost photographs found again, far removed from anything that gives them meaning and depth. In her book however, the author gives them a new meaning. She restores their dignity by pasting them in an album, bestowing them a caption, protecting them and making them visible again. She “found” them, but they are no longer “lost property” endlessly hoping for their

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owners to find them again someday. They are no longer alone, once more they tell a story; the story of a family as well as the story of a contemporary Portugal, fragmented, defeated, the wounds of changing identities still open.Accept-it also evokes the materiality of memory, the per-formative power of objects and images, the way we interact with things and how we always give them new meanings and dimensions. The history of images and objects is inseparable from our own histories. The photo album, as an object, was contemporaneous with the very invention of photography – just before the middle of the 19th century. An empty book whose cover might read “album” - as is the case here - des-tined to be filled by whoever wants to, with whatever they please. Photographs and captions, because the word always stands next to the image, on the back of a postcard, on the photographs, in the album’s empty spaces, to tell the story we want to tell. To ourselves and to others, the album is always unique and original.“Fernanda”, mother, widow, woman, created this album to get closer to her son – who is distant, and so far away from her. Joining her photographs to some of her sister’s Catarina, from Guinea-Bissau - from a family of privileged settlers who re-turned to a mother-land that was not theirs because of events of history - Fernanda tells the history of her family through photography. The family’s history lies as much in what we can see as in what we cannot see (the secrets that mustn’t be photographed). The album – comprising photographs and a few postcards and captions – also tells the story of contemporary Portugal and the Estado Novo, this major part of the 20th Century that was fathered by the unyielding and authoritative Salazar, who only authorised people to leave for the Portuguese colonies in Africa, or for what was left of the Asian Empire. The Portugal of those who had stayed, and of those who were elsewhere. This country from which, after granting independence to the colonies, undergoing the Carnation Revolution of April 25th, becoming a democracy and opening up to the world, a new “Portugal” would spring up, one that was however not depicted in the album which ends with the year 1979.Who are we, us observers, readers of the album? We who can hold the album, leaf through it, delicately remove the semi-transparent layer the lines of which seem to draw cobwebs? Are we the mother, elderly, a widow, alone without her son, looking back and hoping that the album, like a helping hand, can bring him back to her? Or are we the son, receiving the album and being confronted to this history he wanted to escape by distancing himself both spatially and emotionally? Never will we know if the son accepted the album, like his mother had asked him to with these words: “Accept-it”. As for the rest of the story, it is up to us to write it. Do we accept this album? Do we accept the photographs of our lives? Do we accept our own history?

Filipa Lowndes VicenteLisbon, April 21st, 2016.Historian, researcher at the Institute of Social Sciences of the University of Lisbon, her research fields incorporate the pro-duction of  knowledge in the 19th and 20th centuries, written and visual material in colonial context, and the history of travellings, photography, museums and exhibitions.

History and charactersIn 1919, Fernanda’s mother – Rosa da Conceição – left her village to go and work in Lisbon, driven by poverty like so many other Portuguese children. A few years later, in 1929, she married Rodrigo Salvador Ferreira, the director of the nursing home where she worked as a cook. She gave birth to Fernanda a few months later. In 1922 in Bissau, Afonso Manuel da Silva, Rodrigo’s dear friend, had met young João Pedro da Cunha, who had to go to Lisbon in 1929 for medical reasons. Thanks to his friend Afonso, he stayed in Rodrigo’s nursing home. He had a brief love affair with young Rosa da Conceição who was a cook at the time, just before he returned to Africa. She became pregnant. Fernanda, her husband António and their two children Guilherme and Helena, lived for a long time under the dictatorship of Salazar, the man who founded the Estado Novo (1932-1974), armed with his sinister Political Police known as the PIDE*. Fernan-da’s husband accomplished his career in various government administrations. The Portuguese were encouraged to leave for the colonies in order to strengthen the economy of local resources exploitation: diamonds, petroleum, groundnut, coffee, sugar, iron, etc. While Portugal was trying by all means to maintain the grandeur of its colonial Empire, the Ultramar, the metropolitan society remained poor and illiterate. The 1950’s saw the outbreak of the first African resistance move-ments, and the open warfare cost the country very dearly in the 1960’s. The Portuguese people’s clandestine exodus towards the rest of Europe was unprecedented.

At 18, Guilherme was sent to Angola, a territory that had been waging war for its independence since 1961. Fiercely opposed to Salazar, he unwillingly carried out 6 years of military service there. Rebellious, he fell out with his family. He never saw his father again, who died before his return. After returning to mainland Portugal, he left the country again in 1976.Catarina came from a family of settlers who had been living in Guinea since the 19th century. Her husband José and her were both born in a wealthy background. They had two children, Carlota and Vasco. As early as 1963, this family fought against the Portuguese army during the 12 years of war to defend their lands and privileges. Her husband, her parents and her brothers died in the war.

On April 25th, 1974, took place the Carnation Revolution in Lisbon, thanks to the “Captains of April” who decided to stop carrying out the regime’s murderous policy. This marked the end of the dictatorship and of the colonial wars. September 10th, 1974, saw the proclamation of Guinea-Bissau’s inde-pendence, followed by that of Angola on November 11th, 1975, marking the final act of over four centuries of Portuguese col-onisation. Thousands of settlers arrived each day to mainland Portugal – they were called “Retornados”, and helped by the IARN*. Their return was seen as bad news by the Portuguese, who were themselves in great difficulty. Chased from a country that was no longer hers, Catarina was bankrupt when she arrived in Lisbon in 1974 with her children. In 1978, she was ill and decided to reveal her father’s secret to her step-sister Fernanda, who then lost her mother and learned about Catarina’s death one year later. Fernanda then decided to get back in touch with her son, by means of this album.

*PIDE : Polícia Internacional e de Defesa do Estado (Interna-tional and State Defence Police)*IARN : Instituto de Apoio ao Retorno de Nacionais (Institute for the Support of the Returned Nationals)

WarningThe photographs making up this work were bought by the Author at the “Feira da ladra” flea market, Lisbon, between October 2014 and March 2016. They were bought one after the other, from various flea market merchants during the said period. Despite her best efforts, the Author was not able to identify the individuals photographed.The story told in this work is entirely fictional. Therefore, there are no links whatsoever between the individuals pho-tographed and the names, opinions and family ties attributed to them, as is the case for any other form of appropriation or interpretation of the work.

Let us content ourselves with the illusion of similarity, but in truth I tell you, Sir, if I may express myself in prophetic tones, the interesting thing about life has always been in the differences.

The history of the siege of Lisbonne, by José Saramago, Harcourt Brace & Company, 1997.