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Facultés universitaires St Louis Faculté de Droit Baccalauréat en droit 3 ème année DROIT DES PERSONNES, DE LA FAMILLE ET DES REGIMES MATRIMONIAUX Syllabus III Jean-Louis RENCHON et Jehanne SOSSON 2010-2011

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Facultés universitaires St Louis

Faculté de Droit

Baccalauréat en droit 3ème année

DROIT DES PERSONNES, DE LA FAMILLE ET DES REGIMES MATRIMONIAUX

Syllabus III

Jean-Louis RENCHON et Jehanne SOSSON

2010-2011

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TITRE III

LE MARIAGE ET LE DIVORCE

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CHAPITRE I

CONSIDERATIONS GENERALES

SECTION I – LE CODE CIVIL DE 1804 1) Le Code Napoléon réglementait au Titre V de son Livre premier une seule forme juridique

d’union d’un couple : le mariage.

Le mariage, s’il était parfois aussi présenté comme un contrat parce qu’il ne pouvait être que librement conclu par les deux époux, était cependant surtout une institution organisée par la société à laquelle l’homme et la femme qui voulaient fonder un couple, et, au-delà de leur couple, une famille étaient socialement et juridiquement tenus d’adhérer. Hors le mariage, un couple ne bénéficiait en effet d’aucune reconnaissance sociale, et le droit n’attachait à une telle relation de couple pas le moindre effet. Selon l’expression devenue célèbre, « les concubins se passent de la loi ; la loi se désintéresse d’eux ». Cette vision des choses impliquait même, a contrario, que la vie de couple et les relations sexuelles entretenues en dehors des liens du mariage étaient perçues comme contraires aux « bonnes mœurs » et aux règles fondamentales de la vie en société. On en déduisait, conformément à un principe général du droit privé, que les contrats ou les actes juridiques unilatéraux, comme, par exemple, une donation ou un testament, qui étaient inspirés par la cause illicite et contraire aux bonnes mœurs (art. 1133 C. civ.) de « faire naître, maintenir ou rémunérer » des relations sexuelles hors mariage étaient nuls de nullité absolue, tandis que la prétention qu’un concubin aurait voulu faire valoir à la réparation du préjudice matériel et moral causé par le décès de son partenaire procédant de la faute d’un tiers (par exemple un accident de circulation) était illégitime (voir infra, p. 11) et ne pouvait dès lors être prise en considération par les cours et tribunaux. Le mariage, dans la première famille moderne, commandait dès lors, sur le plan juridique, une distinction radicale entre la sexualité licite et la sexualité illicite, et on sait par ailleurs les précautions qui étaient prises, sur le plan social ou familial, pour faire respecter l’interdiction des relations sexuelles avant le mariage, même entre fiancés.

2) Indépendamment de toute considération religieuse, le mariage, dans la société laïcisée par la Révolution française, était toujours perçu comme étant, par essence, indissoluble.

C’était un statut contracté pour la vie entière et, dès lors, selon l’expression consacrée, « pour le meilleur et pour le pire ».

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Cette affirmation de l’indissolubilité du mariage était, dans une perspective laïque, liée aux fins économiques et sociales du mariage : la nécessité de la subsistance de chacun des époux, l’organisation de la vie quotidienne en fonction d’une répartition des tâches entre l’homme et la femme, la procréation et l’éducation des enfants, la préservation et la transmission du patrimoine familial. Le mariage était, en effet, selon la définition donnée par PORTALIS dans les travaux préparatoires du Code civil, « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer l’espèce, pour s’aider, par des secours mutuels, à porter le poids de la vie, et pour partager leur commune destinée ». Sans doute, à la différence des autres législations européennes du début du XIXe siècle, le Code Napoléon avait-il admis le divorce, même si, en France, il fut supprimé dès la Restauration (1816) pour n’être rétabli qu’en 1884. Mais la conception et l’organisation du divorce – le divorce pour faute ou divorce-sanction – pouvaient elles-mêmes être appréhendées comme une forme de consécration juridique du principe de l’indissolubilité du mariage. Le divorce ne devait être prononcé que lorsqu’un des époux pouvait démontrer que son conjoint avait violé les devoirs fondamentaux du mariage, c’est-à-dire, en d’autres termes, lorsqu’il avait porté atteinte à l’institution du mariage, et le divorce constituait dès lors une peine civile, imposée à l’époux dit « coupable », au point d’ailleurs que, sur le plan juridique, la compréhension ou l’interprétation des règles de la procédure en divorce furent souvent inspirées des règles applicables dans une procédure pénale. Le divorce n’était par ailleurs pas « l’affaire » des époux mais « l’affaire » de la société, en ce que le mariage n’était dissous, à travers l’intervention obligatoire du juge, que par la société elle-même.

3) Les effets personnels du mariage – c’est-à-dire les obligations et les droits qui lient les époux dans leurs relations personnelles (obligation de cohabitation, devoir de fidélité, devoir de secours et d’assistance) – étaient totalement soustraits à l’autonomie de la volonté des époux et imposés par la société parce que c’était la société qui trouvait elle-même intérêt à leur accomplissement.

C’est la raison pour laquelle on avait toujours enseigné – jusqu’aux remises en question récentes – que les obligations personnelles du mariage étaient « d’ordre public », ce qui impliquait non seulement que les époux ne disposaient d’aucune possibilité juridique de déroger à ces obligations lors de la célébration du mariage, ni même de les modaliser, mais aussi qu’ils ne pouvaient pas davantage convenir de s’y soustraire, aussi longtemps que durait le mariage, même en cas d’échec affectif de leur union.

4) Il n’y avait, à propos du mariage, d’autonomie de la volonté – encore qu’elle n’était pas complète – que dans le domaine patrimonial, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit d’organiser et de régler les effets de la conclusion du mariage sur les patrimoines des époux et, éventuellement, de leurs familles respectives.

C’est ce qui expliquait d’ailleurs la distinction classique opérée, dans l’enseignement du droit civil de la famille, entre le droit des effets personnels du mariage – appartenant au droit des personnes et réglé dans le Livre premier du Code civil – et le droit des effets

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patrimoniaux du mariage – c’est-à-dire le droit des régimes matrimoniaux et, complémentairement , le droit des successions – appartenant au droit patrimonial de la famille et réglementé dans le Livre III du Code civil avec l’ensemble des dispositions légales relatives aux actes juridiques patrimoniaux. Il est au demeurant particulièrement significatif qu’on avait, dans le Code civil, qualifié « contrat de mariage » le contrat que les futurs époux (et éventuellement leurs parents) choisissaient de conclure à propos des effets patrimoniaux de leur mariage, car on ne concevait précisément de « contrat » en matière de mariage que dans le domaine des relations patrimoniales. a) En ce qui concernait le régime matrimonial, le Code civil consacrait le principe de la

liberté de choix des futurs époux : ils pouvaient, selon l’expression de l’ancien article 1387 du Code Napoléon qui a été reprise telle quelle dans l’actuel article 1387 du Code civil, régler « comme ils le jugent à propos » leurs conventions matrimoniales.

Si le Code Napoléon instituait un régime supplétif de droit commun – le régime de la communauté légale des revenus, des meubles et des acquêts, inspiré du régime matrimonial des pays de droit coutumier – qui était applicable aux époux qui n’avaient pas conclu de contrat de mariage, il leur laissait explicitement la possibilité d’opter pour un autre régime de communauté – la communauté réduite aux acquêts ou la communauté universelle – ou pour un régime inspiré des pays de droit écrit : le régime de la séparation de biens, le régime sans communauté ou le régime dotal.

Afin de permettre aux époux de choisir ou de régler les dispositions de leur régime matrimonial en se préoccupant de la « survie » du conjoint survivant, le Code laissait également aux futurs époux la faculté d’instituer, dans leur contrat de mariage, ce que l’on a appelé des « avantages matrimoniaux » ou « gains de survie ».

Ce sont des dispositions spécifiques qui ont pour objectif et pour effet que lors de la dissolution et de la liquidation du régime matrimonial au décès d’un des époux, le conjoint survivant puisse recueillir une part plus importante des biens de la communauté conjugale que celle – la moitié – qu’il aurait recueillie selon le droit commun.

b) En ce qui concernait le droit des successions, le Code civil organisait aussi la

possibilité pour les époux et pour les parents des époux de prendre, dans le contrat de mariage, des dispositions réglant leurs successions respectives (voir respectivement les articles 1091 et 1093 – pour les époux – et 1081 et 1082 – pour les parents – du Code civil qui sont jusqu’à ce jour restés inchangés).

Une telle possibilité – qui faisait clairement apparaître l’importance du mariage, au début du XIXème siècle, dans la politique de transmission des patrimoines familiaux – constituait une exception au principe général de l’interdiction des pactes sur succession future, puisque c’est par un contrat que les époux ou leurs parents s’engageaient à instituer les époux et/ou les enfants à naître de leur mariage en tant qu’héritiers, au jour de leur décès, de leur succession ou de tel ou tel bien de leur succession.

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On qualifiait dès lors (et on qualifie toujours) d’ « institution contractuelle » une telle disposition contenue dans le contrat de mariage des futurs époux.

5) La famille créée par le mariage était, dans le Code Napoléon, une famille hiérarchisée au

sein de laquelle les places et les rôles respectifs étaient clairement répartis et catégorisés. C’est que, sans même tenir compte de la pesanteur historique de la longue tradition culturelle de la soumission de la femme à l’homme, on raisonnait dans la perspective de la nécessité d’une direction unique du ménage et de la famille. Un tel raisonnement exprimait clairement la prééminence de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel et traduisait le « holisme familial » caractéristique de la première famille moderne. Un auteur belge aussi réputé qu’Henri DE PAGE justifiait encore en 1939, dans la deuxième édition de son traité de droit civil 1, l’existence de la puissance maritale dans les termes suivants :

« La société conjugale… suppose nécessairement un pouvoir de direction, si on veut éviter qu’à la moindre divergence, des rivalités ne surgissent qui puissent mettre en péril la stabilité du mariage. Si les époux étaient juridiquement égaux, tout conflit tournerait nécessairement à la discorde et à l’anarchie. Toute solution serait pratiquement bloquée, ou ne pourrait se réaliser qu’au prix de la scission entre époux. La stabilité du mariage, son existence même, en dépendent. Instaurer l’égalité complète entre époux, c’est ouvrir la porte à la rivalité, à la dyarchie. Il faut un pouvoir modérateur, une suprema lex, dont dépendront à la fois, en cas de divergence entre époux, la décision à prendre et l’avenir de la société conjugale. S’imagine-t-on une femme ayant le droit absolu et sans contrôle de se livrer, par exemple, à la profession d’artiste dramatique, dont les dangers sont évidents au point de vue de la bonne tenue du foyer conjugal et de l’intérêt des enfants ? S’imagine-t-on une femme frivole ou dépensière pouvant mener « sa vie » ? Autant supprimer du coup l’institution du mariage ».

C’est une telle conception qui permettait d’expliquer et de justifier : - le devoir d’obéissance de l’épouse dans les relations personnelles au sein du couple

marié ; - l’incapacité, sur le plan patrimonial, de la femme mariée ; - la « puissance » maritale du mari qui conférait au mari des droits sur la personne de

son épouse et qui lui permettait de suppléer à l’incapacité de son épouse ; - les pouvoirs particulièrement étendus de gestion conférés au mari dans le régime légal

de communauté organisé dans le Livre III du Code civil. C’est en raison de la même conception que le mari exerçait aussi de manière exclusive la direction de l’éducation des enfants du mariage. La « puissance maritale » était complétée par la « puissance paternelle ».

1 H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I, 2e éd., Bruylant, Bruxelles, 1939, p. 780, n° 771.

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Cette hiérarchisation juridique des places de l’homme et de la femme se doublait par ailleurs d’une vision précise de la répartition des rôles au sein de la famille conjugale. Alors que le mari exerçait la fonction de direction et assumait toutes les tâches externes au ménage, l’épouse était, a priori, confinée dans son rôle de femme au foyer et de mère.

SECTION II – LA RUPTURE PROCEDANT DE LA « REVOLUTIO N » FAMILIALE INDIVIDUALISTE

La révolution familiale individualiste – qui s’est donc produite à partir des années 60 – a progressivement bouleversé la conception socio-culturelle et la régulation juridique de la relation de couple telles qu’elles s’étaient concrétisées dans le Code Napoléon.

La caractéristique fondamentale de l’évolution ou plus exactement de la rupture opérée par cette révolution est, comme on l’a déjà indiqué, la désinstitutionnalisation du mariage et de la relation de couple et, par voie de conséquence, sa privatisation, sa contractualisation et sa précarisation.

L’entrée en couple, le mode de vie en couple, le statut juridique du couple et la dissolution du couple sont perçus ou revendiqués comme appartenant de plus en plus au champ de la vie privée et de l’autonomie de la volonté des individus, qui y voient donc une « affaire personnelle » échappant aux exigences du « principe d’ordre collectif ».

Le couple, écrit la sociologue Irène THERY, « se trouve désormais fondamentalement responsable de sa temporalité. Lui accorder sens suppose de penser la vie commune comme un itinéraire partagé, une conversation continuée, sous l’égide de la liberté sans laquelle il n’est pas de reconnaissance de l’autre, pas de questionnement sur soi. Rien n’est plus contraire à ce nouvel idéal du couple qu’un statut préservant le statu quo quoiqu’il arrive »2.

Cette désinstitutionnalisation s’est traduite dans les faits sociaux par :

- la reconnaissance progressive de l’égalité fondamentale des époux dans leurs relations

réciproques ; - le rejet progressif de l’interdit social des relations sexuelles et, de manière plus

générale, d’une vie en couple hors les liens du mariage ; - la diminution du nombre de mariages et l’augmentation des situations dites de

concubinage ou, aujourd’hui, de « cohabitation », de « compagnonnage » ou de « partenariat » ;

- la libéralisation du divorce et l’augmentation du nombre des mariages se dénouant par un divorce ;

- l’émergence du couple homosexuel.

Les sociologues de la famille n’hésitent d’ailleurs plus actuellement à faire le constat que la trajectoire « conjugale » d’un certain nombre d’hommes et de femmes – avec les répercussions qui s’ensuivent sur le mode de vie et la constellation familiale de leurs enfants – sera, à l’instar des trajectoires professionnelles, découpée en « séquences ».

2 I. THERY, Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, Rapport à la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Odile Jacob, Paris, 1998, p. 30 et 31.

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Irène THERY a très opportunément qualifié de « démariage » ce phénomène social global qui a consisté à détacher la relation de couple du mariage indissoluble et hiérarchisé du Code Napoléon et qui reconnaît désormais aux hommes et aux femmes la liberté de construire eux-même la destinée de leur vie de couple.

« Si son fondement (du mariage) est le sentiment, sa vie le bonheur, sa mort le désamour, comment le mariage, même profondément modernisé, continuerait-il d’être ce qu’il fut autrefois, l’horizon indépassable des relations entre les hommes et les femmes, le fondement de la société tout entière, la clé de voûte de l’édifice social ? Quand on dit que le mariage est devenu une affaire privée, ce n’est pas tellement le changement des attentes personnelles à l’égard de l’union que l’on devrait désigner, mais un phénomène culturel analogue, toutes proportions gardées, à celui du désenchantement du monde que décrit Marcel GAUCHET à propos de la religion. Comme elle, le mariage n’est plus consubstantiel à l’univers humain de nos sociétés, il est devenu une expérience subjective ; le choisir ou le rompre relève de la conscience individuelle. Ce mouvement, qui bouleverse la définition même du privé, nous le nommerons le démariage» 3 .

Le « démariage » ne constitue dès lors, en d’autres termes, que l’irruption ou l’expression de la pensée et de la mentalité individualistes, jusque et y compris dans la manière de concevoir la relation de couple.

Comme le sociologue François DE SINGLY l’a bien montré, la relation de couple durable dans la perspective individualiste moderne est faite d’un subtil équilibre entre un besoin d’être reconnu par l’autre – ce qui implique dans le chef de chacun des partenaires une capacité à se décentrer de soi pour être attentif aux demandes et aux préoccupations de l’autre – et un besoin de rester soi-même, de préserver son autonomie, de garder ses distances et de ne pas se fondre indistinctement dans un « nous » conjugal. Le couple, ce serait donc désormais être « libres ensemble » 4

Une telle perception de la relation de couple explique alors la particulière fragilité d’un tel lien, parce que celui-ci ne s’accommode précisément plus d’une situation où de telles attentes – apparemment contradictoires – ne seraient plus satisfaites.

Et cependant, la fragilité intrinsèque du lien – qui caractérise le couple moderne – ne reste-t-elle pas compatible avec le besoin et le projet toujours exprimés par de très nombreux couples de s’inscrire dans la durée et, plus fondamentalement, dans l’engagement qui resterait probablement – même si ce point de vue est discuté – la spécificité du mariage ?

Cet engagement ne consiste-t-il pas en effet en la volonté exprimée par les deux conjoints de chercher à aller au-delà des confrontations qui résulteront immanquablement de leur souhait d’être « libres ensemble », parce qu’ils ont la conviction qu’ils y vivront une expérience humaine plus riche et plus profonde ? A cette perception des choses – qui est encore souvent exprimée, y compris par l’officier de l’état civil lui-même lors de la « célébration » d’un mariage – le législateur belge vient

3 I. THERY, Le démariage. Justice et vie privée, Odile Jacob, Paris, 1993, p. 13-14. 4 F. DE SINGLY, Libres ensemble. L’individualisme dans la vie commune, Nathan, Paris, 2000, p. 237-248.

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toutefois d’opposer, lors de la dernière réforme du droit du divorce, une autre conception selon laquelle le mariage serait devenu « un pacte sui generis renouvelé au jour le jour » (voy. infra, p.15).

SECTION III - LES REFORMES PROGRESSIVES DU DROIT DU MARIAGE

La rupture procédant de la révolution familiale individualiste – caractérisée par le « démariage » - a fait progressivement s’effondrer le système cohérent du droit du mariage tel qu’il était réglementé dans le Code Napoléon.

On peut décrire de la manière suivante les évolutions les plus significatives.

A. L’égalité entre l’homme et la femme

Les premières réformes – qui sont intervenues dans la foulée des mouvements d’émancipation de la femme après chacune des deux guerres mondiales – ont consisté d’abord à atténuer et ensuite à supprimer les différentes règles qui soumettaient la femme mariée au pouvoir de direction de son mari.

On citera, dans l’ordre, en Belgique :

- la loi du 20 juillet 1932, qui introduit, dans les dispositions du Livre premier du Code civil relatives aux droits et devoirs des époux, plusieurs limitations à l’exercice par le mari de sa puissance maritale ;

- la loi du 30 avril 1958, qui supprime, dans le Livre premier du Code civil, la puissance maritale et qui consacre, en principe, l’égalité de la femme et de l’homme mariés ;

- la loi du 14 juillet 1976, qui supprime définitivement toute inégalité quelconque dans le droit du mariage et qui abroge tous les régimes matrimoniaux secondaires du Code Napoléon, et par là même, toutes les dispositions de ces régimes qui organisaient le pouvoir de gestion du mari sur les biens des époux pendant le mariage.

B. L’accès au divorce

Un second courant de réformes va petit à petit modifier l’organisation du divorce, en libéralisant les conditions d’accès au divorce.

On citera, dans l’ordre, en Belgique :

- la loi du 1er juillet 1972 relative au divorce par consentement mutuel qui rend accessible au justiciable ordinaire la procédure exceptionnelle du divorce par consentement mutuel du Code Napoléon 5 ;

5 La situation de la Belgique était à cet égard exceptionnelle, puisque notre Code civil connaissait le principe du divorce par consentement mutuel, mais ce divorce était, jusqu’en 1972, à ce point émaillé de conditions

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- les lois des 1er juillet 1974 et 2 décembre 1982 qui instituent la possibilité pour un des époux d’obtenir la dissolution du mariage sur la base de l’existence d’une séparation de fait de 10 ans (1974), puis 5 ans (1982) ;

- les lois des 30 juin 1994 et 20 mai 1997 qui simplifient et accélèrent considérablement les procédures tant du divorce pour cause déterminée que du divorce par consentement mutuel ;

- la loi du 16 avril 2000 qui réduit à 2 ans la durée de la séparation de fait permettant à un des époux de faire prononcer le divorce.

Parallèlement, la Cour d’arbitrage a, par ses arrêts des 3 mai 2000, 19 décembre 2001 et 12 mai 2004 6, a elle-même contribué à libéraliser le droit du divorce, en déclarant « discriminatoires » les dispositions législatives relatives au divorce pour cause de séparation de fait qui imposaient soit des conditions plus restrictives à l’admission du divorce soit des effets alimentaires plus sévères à charge de l’époux qui avait sollicité un tel divorce. L’évolution s’est ensuite encore poursuivie avec la loi du 27 avril 2007 réformant le divorce qui constitue une rupture radicale avec le système juridique hérité du Code Napoléon, en ce qu’elle a entendu consacrer un « véritable droit au divorce » (voy. infra).

C. La légitimation et la légalisation de la vie en couple hors mariage

Une autre orientation – qui a émané à l’origine de la jurisprudence – a consisté à cesser progressivement de reconnaître le caractère illégitime de la vie en couple hors mariage.

L’évolution la plus significative a concerné la réparation du préjudice causé à un des « concubins » par le décès accidentel de son partenaire. Pour bien comprendre la portée de cette problématique juridique, il convient de rappeler (voir le cours de droit des obligations) que, dans notre système du droit de la responsabilité civile, l’existence d’un dommage ne doit pas nécessairement procéder de la lésion d’un droit mais peut provenir de la lésion d’un intérêt ou d’un avantage factuel, à la condition toutefois que cet intérêt soit licite et légitime. Or, en 1958, la Cour de cassation s’était encore prononcée de la manière suivante :

« Attendu qu’en faisant du mariage le fondement essentiel de la famille, le législateur a nécessairement refusé de reconnaître un caractère légitime aux avantages résultant des relations, de nature précaire, nouées dans l’union libre. Attendu qu’il s’en suit que le dommage résultant de l’atteinte portée aux sentiments d’affection que se vouent des concubins ne constitue pas la privation d’un avantage légitime, que la réparation de pareil dommage ne peut être poursuivie en justice »7.

restrictives, de formalités multiples et d’effets répressifs (par exemple la transmission de plein droit de la moitié du patrimoine des époux à leurs enfants) qu’il n’était que très difficilement praticable. En France, le divorce par consentement mutuel – appelé divorce sur requête conjointe – n’a été réintroduit dans le Code civil qu’en 1975. 6 On rappellera que l’arrêt du 12 mai 2004 a précédemment été commenté (voy. Titre I), à titre d’exemple significatif de la place prise par la Cour constitutionnelle dans les nouvelles orientations du droit de la famille. 7 Cass., 26 avril 1958, Pas., 1958, I, 921.

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La Cour de cassation a progressivement modifié, par étapes, cette vision des choses.

En 1967, elle admet la légitimité de l’intérêt d’un concubin qui était à tout le moins marié religieusement avec la victime8.

En 1981, elle admet la légitimité de l’intérêt d’une concubine qui était « fiancée » à la victime : si les concubins cohabitaient déjà, ils comptaient se marier prochainement 9. Sans doute, la référence au mariage reste-t-elle présente dans ces deux arrêts, et la circonstance que les deux « concubins » étaient mariés religieusement ou avaient l’intention de se marier a-t-elle facilité la transition. Il reste qu’ils partageaient, en fait, une vie de couple sans être légalement mariés, et il est dès lors logique qu’à partir de cette époque, les juges du fond aient petit à petit accepté d’écarter l’argument du caractère illégitime de la vie en couple hors mariage et de faire droit à une demande de réparation provenant du partenaire survivant d’un ménage de fait 10. La « révolution » survint en 1989 et en 1990 lorsque la Cour de cassation en vint même à considérer que l’auteur de l’accident ne pouvait pas invoquer le caractère adultère du concubinage – parce que la victime ou parce que le concubin de la victime étaient mariés – pour prétendre au caractère illégitime de l’intérêt ou de l’avantage lésé par la mort de la victime11. Aux yeux de la Cour de cassation, le caractère illicite de ce concubinage adultère ne concernait que les époux eux-mêmes qui étaient les seuls à pouvoir s’en plaindre.

La rupture avec le modèle du Code Napoléon adviendra toutefois de manière définitive

avec la promulgation de la loi du 23 novembre 1998 instaurant la cohabitation légale.

Même si les retombées pratiques de cette loi étaient, à l’origine, particulièrement peu importantes, et même s’il s’est défendu de vouloir porter « atteinte » à l’institution du mariage, le législateur belge, en organisant un statut juridique spécifique pour les couples non mariés, hétérosexuels ou homosexuels, est venu expressément reconnaître la pluralité des modèles conjugaux, et, par là même, la place progressivement plus importante de l’autonomie de la volonté et de la contractualisation dans l’organisation juridique de la relation de couple. Dès lors qu’un homme et une femme – ou un homme et un homme et une femme et une femme – peuvent « légalement » conférer à leur « couple » un statut juridique distinct du mariage, c’est le législateur qui consacrait lui-même dans le Code civil le phénomène social du « démariage ».

8 Cass., 26 juin 1967, Pas., 1967, I, 1260 ; R.G.A.R., 1968, n° 8002. 9 Cass., 30 novembre 1981, Pas., 1982, I, p. 437. 10 V. par exemple, Bruxelles, 2 octobre 1986, R.W., 1987-1988, col. 1437 ; Liège, 12 novembre 1986, Jur. Liège, 1987, p. 407-409 ; Bruxelles, 11 juin 1987, R.G.A.R., 1990, n° 11734. 11 Cass., 1er février 1989, J.L.M.B., 1989, p. 720 ; J.T., 1989, p. 354 ; Pas., 1989, I, 582 ; Cass., 15 février 1990, J.T., 1990, p. 216, Pas., 1990, I, 695.

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D. La privatisation et la libéralisation progressive du mariage

La question s’est aussi – et parallèlement - posée de savoir si le droit du mariage lui-même ne relevait pas de plus en plus du champ de la « conscience individuelle » et s’il conservait dès lors le caractère « d’ordre public » qui lui avait jusqu’à présent toujours été assigné.

a) Cette question a d’abord été posée à propos de deux des obligations personnelles qui

procèdent du mariage : le devoir de cohabitation et le devoir de fidélité (art. 213 C. civ.).

On enseignait généralement que ces deux « devoirs » correspondaient à une exigence de la vie sociale et à l’intérêt de la collectivité, avec la conséquence que les époux ne pouvaient pas, tant qu’ils restaient mariés, en disposer eux-mêmes et, dès lors, se dispenser l’un et l’autre de leur exécution.

Entretemps, la loi du 14 juillet 1976 avait cependant conféré au juge de paix le pouvoir de prendre des mesures urgentes et provisoires en raison de la seule circonstance que l’entente entre les époux est « sérieusement perturbée » (voir le texte de l’art. 223 C. civ.), et les juges de paix n’ont dès lors plus vu d’obstacle à autoriser ou ordonner la séparation « provisoire » de deux époux qui ne s’entendent plus.

A l’encontre d’une doctrine et d’une jurisprudence séculaires qui affirmaient le caractère illicite d’une convention de séparation entre deux époux, dès lors qu’elle contrevenait à l’obligation d’ordre public de cohabitation entre les époux, on a alors progressivement considéré que, si le juge peut séparer deux époux qui ne s’entendent plus, on ne voyait plus ce qui pouvait empêcher les époux de décider et de convenir eux-mêmes de se séparer, en raison de la « sérieuse perturbation de leur entente ».

Par ailleurs, la loi du 20 mai 1987 a abrogé la répression pénale de l’adultère, qui, jusque là, constituait un délit, c’est-à-dire une infraction à l’ordre social en tant que tel.

Une telle réforme ne signifiait-elle pas, en fin de compte, qu’on reléguait précisément dans la sphère de la vie privée des époux et de leurs droits et obligations de nature privée le respect du devoir de fidélité auquel ils s’étaient engagés lors de la célébration du mariage ?

Ces deux modifications législatives avaient ainsi déjà sérieusement remis en cause l’idée selon laquelle, lorsqu’il s’agit des obligations du mariage, c’est l’intérêt social ou collectif qui est prépondérant et qui l’emporte sur la libre volonté et la conscience individuelle des époux.

C’est dans le contexte de cette tendance générale à la privatisation du droit du mariage qu’il y a lieu de comprendre les arrêts, déjà cités, de la Cour de cassation des 1er

février 1989 et 15 février 1990.

Dans son arrêt du 15 février 1990, la Cour de cassation s’est en effet exprimée de la manière suivante :

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« Attendu que …l’auteur responsable d’un homicide ne saurait être admis à se prévaloir du caractère illicite de l’adultère, c’est-à-dire d’un état de fait qui touche à la vie privée de la partie adverse, qui n’est plus aujourd’hui incriminé par la loi pénale, et que d’après les dispositions combinées des articles 213, 229 du Code civil et 1385 du Code judiciaire, seule l’épouse de la victime aurait eu légalement la faculté d’opposer en justice pour les besoins d’une action en divorce ou en séparation de corps ; que dès lors, l’exception tirée de cet adultère ne saurait soustraire l’auteur de cet homicide aux conséquences de sa propre responsabilité ni priver la défenderesse, qui a souffert du dommage causé par cet homicide, de l’action en indemnisation que lui ouvre en pareil cas l’article 1382 du Code civil ; que le caractère adultère de la cohabitation de la défenderesse avec feu F.N. n’est, partant, pas élisif de la légitimité de l’intérêt de la défenderesse en réparation ».

Ainsi donc le respect du devoir de fidélité ne concernerait plus que les relations privées entre les époux – ce qui signifierait, en d’autres termes, que le devoir de fidélité ne serait plus d’ordre public.

On n’en inféra cependant pas pour autant que les époux étaient devenus libres de décider eux-mêmes, par exemple dans le contexte d’une convention de séparation, qu’ils entendaient se dispenser, à partir du jour de la signature de la convention, de leur obligation de fidélité.

Y avait-il encore lieu de voir, dans cette conception des choses, une trace du caractère d’ordre public du devoir de fidélité, ou bien l’obligation de fidélité n’était-elle plus perçue que comme une obligation impérative protectrice d’intérêts privés, avec la conséquence que les époux ne pouvaient toujours pas décider, pendant toute la durée de leur mariage, de s’en dispenser.

b) La privatisation et la libéralisation du mariage se sont cependant encore davantage

accentuées avec les deux réformes successives – d’une importance symbolique considérable – qui ont été opérées par la loi du 13 février 2003 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe et par la loi du 27 avril 2007 réformant le divorce.

L’initiative prise par le gouvernement « arc-en-ciel » (1999-2003) de déposer un projet de loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe résultait d’un compromis politique (voy. infra, p. 20) qui avait consisté à concéder à deux personnes du même sexe le droit de se marier à défaut de céder à l’époque sur la revendication du mouvement homosexuel tendant à obtenir le droit pour deux personnes du même sexe d’adopter conjointement un enfant. En d’autres termes, l’accord politique avait été : « l’adoption non, mais, par compensation, le mariage, oui ».

Contraint de justifier dans l’exposé des motifs de son projet de loi ce qui, à ses yeux, expliquait que le mariage serait désormais, conformément à cet accord politique, indistinctement ouvert à un homme et à un homme ou à une femme et une femme, comme à un homme et une femme, le gouvernement fit expressément valoir les considérations suivantes :

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« La logique qui sous-tendait (que la différence de sexe était une condition nécessaire de la conclusion du mariage) procédait de l’idée que le but du mariage était la procréation. Puisque des personnes de même sexe ne sont pas en mesure de procréer ensemble, doctrine et jurisprudence 12 ont considéré que les conjoints devaient être de sexe différent (…). Force est de constater aujourd’hui que cette explication est dépassée. En effet, des enfants sont conçus et naissent aussi bien dans le mariage qu’en dehors de celui-ci, et beaucoup de couples mariés ne considèrent plus la procréation comme la finalité essentielle du mariage. Dans notre société contemporaine, le mariage est vécu et ressenti comme une relation entre deux personnes ayant pour but principal la création d’une communauté de vie durable. Le mariage offre aux deux partenaires la possibilité d’affirmer au grand jour leur relation et les sentiments qu’ils ont l’un pour l’autre. Les mentalités ayant évolué – aujourd’hui le mariage sert essentiellement à extérioriser et à affirmer la relation intime de deux personnes et perd son caractère procréatif –, il n’y a plus aucune raison de ne pas ouvrir le mariage aux personnes de même sexe » 13 .

C’est donc bien parce que le mariage aurait cessé d’être le mariage et qu’il n’était plus désormais que « la relation intime de deux personnes » que cette relation purement interpersonnelle pouvait, aux yeux du gouvernement, indistinctement être nouée entre deux personnes de sexe différent ou deux personnes de même sexe.

Le mariage ne constituait donc plus, par lui-même, l’acte fondateur d’une « famille ». Il n’était plus qu’une organisation juridique – privatisée – de la relation de couple.

Lorsque, quelques années plus tard, la réforme du divorce allait aussi se réaliser sur la base d’un projet de loi déposé par le gouvernement et qu’elle se fixait pour objectif de permettre à chacun des deux époux de divorcer le plus aisément et le plus rapidement possible dès qu’il(s) considérerai(en)t que la désunion conjugale serait devenue irrémédiable, le gouvernement justifia cette nouvelle perspective dans l’exposé des motifs du projet de loi par les considérations suivantes :

« Le nombre de divorces ne cesse d’augmenter. Le mariage n’est plus considéré comme une institution rigide et indissoluble mais comme un pacte sui generis renouvelé au jour le jour. Le présent projet consacre un véritable droit au divorce » 14.

12 La référence faite, en droit belge, à la doctrine et la jurisprudence provient de ce que le Code civil ne mentionnait pas explicitement, dans le Chapitre I du Titre V du Livre Ier du Code civil relatif aux conditions proprement dites de la conclusion du mariage, la différence des sexes. Mais, en réalité, de nombreux autres textes du Code civil faisaient suffisamment état de ce que, dans le mariage, il ne pouvait y avoir que le « mari » et la « femme ». La meilleure preuve en est la multitude de textes du Code civil (art. 75, 162, 163, 164, 170, 313, 319bis, 322, 1398, 1676, 1940 …) que la loi du 13 février 2003 a nécessairement dû modifier pour les rendre compatibles avec la solution nouvelle qui n’implique plus que le mariage soit fondé sur la différence des sexes. 13 Doc. parl., Ch., session 2001-2002, n° 1692/001, p. 4. 14 Exposé des motifs du projet de loi (Doc. parl., Ch., session 2005-2006, n° 51-2341/001, p. 6). Voy. la critique de cette affirmation, « dont l’indigence analytique laisse perplexe », par J. FIERENS, « Le nouveau droit du divorce ou le syndrome Lucky Luke », Recyclage en droit, Droit de la famille, Anthémis, 2007, p. 51, n° 115.

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On est là à cent mille lieues de la perception que notre société et notre ordre juridique positif s’étaient jusqu’à présente faite de l’ « institution sociale » du mariage.

En raison des fonctions sociales auxquelles il était affecté et des garanties affectives et financières qu’il devait assurer à chacun des conjoints et aux enfants du couple, le mariage avait en effet toujours défini et présenté comme une union à vocation de durée et de stabilité. C’était a priori dans cette perspective que les officiers de l’état civil, au nom de l’Etat, « célèbrent » les mariages, et le contenu de leur discours de félicitations autant que les termes légaux prévus pour cérémonie tendent précisément à inscrire dans le long terme le choix et la décision que les nouveaux époux sont venus « publiquement » exprimer. C’était aussi en raison de cette dimension de pérennité du mariage, que le législateur avait généralement considéré qu’il lui appartenait de contribuer lui-même à assurer, autant que faire se pouvait, la stabilité du mariage.

Or voilà que le mariage cessait, pour les auteurs du projet de loi, d’être un engagement dans la durée, qu’il ne constituait d’ailleurs plus un engagement quelconque, mais qu’il y avait désormais lieu, au contraire, pour chaque époux de le « renouveler au jour le jour », c’est-à-dire de décider librement, à tout instant, non seulement si la vie commune sera ou ne sera pas poursuivie mais si le mariage lui-même doit ou non être dissous.

Le mariage serait ainsi devenu, comme le « concubinage », une « union libre » fondée sur la liberté des sentiments.

c) Ce n’est cependant pas parce que les exigences traditionnelles de l’ordre public –

perçu comme un ordre public de type holistique – se réduisent progressivement dans le droit du mariage que les normes d’un autre ordre public – centré sur la protection des droits et de la dignité de la personne humaine – ne viendraient pas s’y substituer.

Tel est assurément le cas de l’égalité juridique de l’homme et de la femme qui est probablement devenue la règle d’ordre public fondamentale du droit du mariage (voy., par exemple, dans le droit des régimes matrimoniaux, la règle exprimée à l’article 1451 du Code civil qui n’a pour seul objectif que d’empêcher les époux de déroger au principe de la gestion strictement égalitaire de leurs patrimoines dans un régime de communauté).

On citera, dans le même contexte, parce qu’elle est particulièrement significative, l’évolution radicale des conceptions à propos du viol entre époux.

La plupart des traités de droit pénal enseignaient traditionnellement que les violences exercées par le mari sur sa femme, lorsqu’elles tendaient « aux fins naturelles » du mariage, ne pouvaient constituer le crime de viol réprimé par l’article 375 du Code pénal, dès lors que la femme était tenue de se prêter au « devoir conjugal ».

Outre que cette conception avait déjà été rejetée par un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 21 juin 1979 15, la loi du 4 juillet 1989 modifiant certaines dispositions relatives au crime de viol – qui a cherché à assurer une protection renforcée des

15 Bruxelles, 21 juin 1979, Rev. trim. dr. fam., 1980, p. 159 et la note de B. MAINGAIN , « Le viol entre époux : le droit d’aimer ».

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victimes d’un viol – a donné une définition beaucoup plus large de la notion de viol et a ainsi, même si ce n’était pas l’objectif principal de la loi, rendu le crime de viol incontestablement applicable dans les relations entre deux époux.

Rompant totalement avec un ordre séculaire qui accordait au mari une forme de droit de propriété sur le corps de son épouse, le nouvel article 375 du Code pénal consacre le droit fondamental de tout être humain – même s’il se marie – au respect absolu de son intégrité sexuelle – même à l’égard de son conjoint.

Tout autant significatives sont les nouvelles dispositions légales qui, dans le cadre d’une politique délibérée de lutte contre les violences conjugales, organisent, tant sur le plan pénal que sur le plan civil, la répression des actes de violence physique commis à l’égard du partenaire d’une relation de couple. Voy. infra, pour le droit du mariage, les dispositions insérées par la loi du 28 janvier 2003 dans les articles 223 et 1447 du Code civil et dans l’article 1280 du Code judiciaire ou la disposition spécifique insérée par la loi du 27 avril 2007 dans le nouvel article 301 du Code civil.

Voy. égal. la disposition insérée dans l’article 146ter nouveau du Code civil par la loi du 25 avril 2007 relative aux mariages forcés.

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CHAPITRE II LES CONDITIONS DE VALIDITE DU MARIAGE

SECTION I - LES FIANCAILLES

1. Notions générales La question des fiançailles – ou promesses de mariage – n’est pas abordée dans le Code civil. La doctrine et la jurisprudence estiment que les promesses de mariage ne constituent pas un engagement civil obligatoire. Elles ne lient pas juridiquement les deux fiancés pour deux raisons fondamentales. D’une part en raison de l’importance de l’acte du mariage, le consentement des futurs époux doit rester absolument libre jusqu’au jour de la célébration du mariage. D’autre part, le mariage, constitutif de l’état des personnes, est, selon la conception classique, indisponible. Il ne peut donc être l’objet d’une convention. Les fiançailles n’ont dès lors que la valeur d’un usage. Elles peuvent être rompues, même unilatéralement. Toutefois, sa rupture volontaire peut avoir été faite dans des circonstances fautives qui engageront la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle de son auteur.

2. La rupture volontaire La rupture volontaire par l’un des fiancés ne constitue pas une faute en soi. Néanmoins, le responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle de son auteur pourra être engagée dans deux types de circonstances :

- les circonstances de la promesse de mariage peuvent être fautives et engendrer un dommage moral et/ou matériel donnant lieu à réparation.

Ex. : - promesse de mariage mensongère aux fins de séduction (séduction

dolosive) - dissimulation d’un fait rendant le mariage impossible (par exemple, un mariage non dissous)

- les circonstances de la rupture elle-même peuvent être fautives.

Ex. : - rupture tardive, ou parfois même « in extremis », sans qu’un fait

précis qui aurait été découvert tardivement ait pu justifier le caractère tardif de la décision prise par un des deux fiancés d’imposer à l’autre la rupture de leur couple 16 - rupture scandaleuse et injurieuse

La preuve de la faute et celle du dommage incombent à la partie qui demande réparation.

16 Voy., pour deux situations caractéristiques, Civ. Tournai, 7 mai 1986, J.L.M.B., 1987, p. 458 et Civ. Charleroi, 21 novembre 1989, J.T., 1990, p. 678.

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Une autre question juridique qui peut procéder de la rupture des fiançailles, lorsqu’elle n’est pas fautive, est celle de la prise en charge des frais déjà engagés pour la célébration du mariage. La solution qui a été proposée est de considérer qu’ayant été engagés au profit des deux fiancés, ils doivent dès lors être supportés par moitié 17. Quant aux cadeaux faits lors des fiançailles (et notamment la bague…), il s’agit de donations de sorte que l’on considère soit que selon l’article 938 du Code civil, la propriété de ces objets mobiliers a été transférée de sorte que celui qui l’a donné ne peut plus justifier d’aucun titre de propriété sur lesdits objets18, soit que la rupture des fiançailles entraîne l’obligation de restitution des cadeaux échangés ou donnés par des tiers suivant le mécanisme de la caducité des donations.

3. La rupture suite au décès accidentel de l’un des fiancés dû à la faute d’un tiers

Dans cette hypothèse, la jurisprudence a estimé que le fiancé, bien qu’il ne puisse prétendre à la perte d’un droit en raison de l’absence de lien juridique avec le défunt, peut demander des dommages et intérêts à l’auteur de l’accident en raison de la perte d’un avantage légitime découlant de la promesse de mariage. SECTION II– LES CONDITIONS DE FOND DU MARIAGE § 1. Les conditions objectives Les conditions objectives concernent les conditions d’aptitude de chacun des conjoints à être objet du choix de l’autre.

A. Les conditions d’ordre biologique Notre système juridique connaissait deux types de conditions d’ordre biologique pour la conclusion d’un mariage : la différence de sexe et la condition liée à l’âge minimum requis. L’aptitude aux relations sexuelles n’est en revanche pas une condition de validité du mariage. Au surplus, le droit belge ne connaît aucun empêchement eugénique à mariage, tels les maladies héréditaires ou vénériennes, la débilité mentale, etc. La loi du 13 février 2003, entrée en vigueur le 1er juin 2003, a, en droit belge, « ouvert » le mariage aux personnes de même sexe. La différence des sexes n’est dès lors plus aujourd’hui une condition d’accès à l’institution du mariage qui a, par là même, inévitablement changé de signification, même si le mariage homosexuel n’est pas complètement devenu pour autant la même institution juridique que le mariage proprement dit.

17 Voy. Civ. Liège, 1er juin 1990, Rev. trim. dr. fam., 1992, p. 39. 18 En ce sens, Anvers 30 mars 1992, Rev. trim. dr. fam., 1992, p. 35.

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1. La différence de sexe et le mariage homosexuel

Le Code civil n’avait pas expressément prévu dans le chapitre relatif aux conditions de validité du mariage – car cela allait de soi en 1804 – que seuls un homme et une femme pouvaient se marier. Mais d’autres textes du Code civil étaient rédigés de manière telle qu’ils impliquaient nécessairement que le mariage ne pouvait être que l’union du « mari » et de la « femme ». L’article 75 du Code civil, relatif à la célébration du mariage, précisait ainsi que, lors de la cérémonie de mariage, l’officier de l’état civil « recevra de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre pour mari et femme ». Voy. aussi, par exemple, le texte de l’ancien article 1398 du Code civil relatif au régime matrimonial de communauté. C’est que le mariage avait toujours été considéré jusque là, par définition ou par essence, comme l’institution sociale qui organisait de manière spécifique l’union d’un homme et d’une femme pour la double raison d’une part que cette union était l’expression de la différence et de la complémentarité des deux sexes et d’autre part qu’elle organisait juridiquement la procréation des enfants et leur affiliation au sein d’une famille. Telle est encore au demeurant la signification du mariage partagée dans le monde et exprimée dans les Conventions internationales. L’article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales énonce ainsi qu’ « à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ». On sait cependant qu’au nom du principe d’égalité et de non discrimination, le mouvement homosexuel a progressivement revendiqué l’égal accès de deux hommes gays ou de deux femmes lesbiennes, comme un homme et une femme, à l’institution du mariage, et, comme un homme et une femme, à un double lien de filiation et de parentalité à l’égard d’un enfant qu’ils choisiraient de faire naître ou d’éduquer dans leur couple. A la suite des élections de juin 1999 et de l’arrivée au pouvoir, en Belgique, d’une majorité « arc-en-ciel », composée de partis politiques qui avaient par rapport à cette problématique des points de vue divergents, un compromis intervint au sein du gouvernement, à l’occasion de la discussion des avant-projets de loi du gouvernement relatifs à l’adoption. Ce compromis consista à ouvrir le mariage aux homosexuels, en leur refusant par contre à l’époque l’accès à l’établissement d’une double filiation à l’égard d’un enfant et, plus particulièrement, à une double adoption. On sait, en raison de la médiatisation dont il fut l’objet, que le Conseil d’Etat exprima un avis négatif sur le projet de loi du gouvernement, en aboutissant à la conclusion que « le projet doit être abandonné ». C’est qu’aux yeux du Conseil d’Etat, le mariage ne pouvait être, en raison de sa dimension procréative, que l’union d’un homme et d’une femme.

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Il était en effet et il reste exact, même si le mariage n’a pas ou plus pour but la procréation, que le mariage comporte, ne fût-ce que sur le plan juridique, une dimension procréative, puisque la loi y attache de plein droit des effets en matière de filiation (indivisibilité de la filiation maternelle et paternelle par l’effet de la présomption de paternité, ouverture de plein droit à deux époux de l’adoption d’un enfant). Il y avait donc effectivement, comme l’a indiqué le Conseil d’état, une forme d’incohérence à utiliser la figure juridique du mariage pour offrir aux couples homosexuels un statut semblable au mariage mais qui était amputé d’une partie des effets du mariage. Au-delà de cet aspect juridique des choses, la question méritait aussi d’être posée, au plan politique, de savoir s’il était opportun de traiter de la même manière, comme si elles étaient les mêmes, deux situations dont il peut paraître raisonnable de considérer qu’elles ne sont précisément pas les mêmes. Lors de son audition devant la Commission de la Justice du Sénat, M. F. Martens, psychologue et anthropologue avait expliqué qu’à l’instar « des contraintes et des nécessaires protections liées à notre existence physique » notre être psychique « ne peut trouver ses repères, construire son identité qu’à partir de balises relayées par des normes collectives contraignantes ». Il présenta ainsi l’institution du mariage comme « un point de repère codé servant de balise à l’ensemble du corps social ». Le mariage participe en effet du « code symbolique » par lequel la civilisation humaine, au terme d’un « long enfantement », a aménagé les « cinq grandes différences organisatrices de l’identité humaine » : la différence entre les hommes et les femmes, les épousables et les non épousables (interdit de l’inceste), les enfants et les parents, les animaux et les humains, les vivants et les morts.

Un échec de ce codage est « synonyme d’absence de société humaine » et « l’ignorance d’une seule de ces différences signe, pour un individu, ce qu’on appelle la folie ».

« L’institution nommée « mariage », par-delà ses variantes historiques et transculturelles, est, poursuivit Monsieur Martens, basée par définition sur la différence des sexes. La rendre neutre de ce point de vue n’est pas la modifier, mais la saborder. Il ne s’agit pas d’une pétition de principe mais d’un invariant anthropologique, présent depuis la nuit des temps. Abolir ce repère en continuant à appeler « mariage » une union de personnes de même sexe équivaudrait à supprimer une des balises principales de l’identité, à une époque où cette dernière est déjà vacillante. Ce serait comme vouloir, sous prétexte d’égalité entre les lettres, abolir la différence de prononciation entre les consonnes. Imaginez la conversation si le p, le v, le t, le r, le l, deviennent interchangeables… Pour faire un humain, il faut deux codes : le génétique et le symbolique (celui de la transmission généalogique du langage et de l’identité). Les manipulations du code symbolique sont tout aussi délicates que celles du code génétique. On ne peut s’y engager sans d’impérieuses nécessités ». Mais la majorité « arc-en-ciel » a été plus sensible à d’autres arguments et elle a manifestement, en permettant à un couple homosexuel d’accéder à une institution juridique qui n’avait jusque-là été considérée que comme l’union d’un homme et d’une femme, voulu instituer une forme d’égalité symbolique entre l’orientation homosexuelle et l’orientation hétérosexuelle. La loi a en effet été expressément présentée lors des travaux préparatoires par

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une députée écolo comme « un signal envoyé à notre société indiquant que les couples gays et lesbiens sont des couples à part entière » (Rapport fait au nom de la Commission de la Justice de la Chambre par Mmes K. Grauwels et K. Lalieux, Doc. parl., Chambre, n° 2165/002, session 2002-2003, p. 8). Il est donc désormais possible, en Belgique, comme il l’était déjà aux Pays-Bas ou comme il l’est aussi en Espagne ou au Canada, à deux personnes de même sexe de se marier. Le nouvel article 143 réintroduit dans le Code civil par l’article 2 de la loi du 13 février 2003 est dès lors rédigé de la manière suivante : « Deux personnes de sexe différent ou de même sexe peuvent contracter mariage ». Toutefois, le mariage homosexuel n’est pas entièrement assimilé à ce qu’a toujours été jusqu’à présent le mariage. En effet, le même article 143 nouveau du Code civil énonce aussi que « si le mariage a été contracté entre des personnes de même sexe, l’article 315 du présent Code n’est pas applicable ». La présomption de paternité du mari de la mère d’un enfant est donc de plein droit écartée dans un mariage homosexuel.

Transposée par analogie dans un mariage entre deux personnes de même sexe, elle aurait pu conduire à considérer que l’épouse d’une mère homosexuelle aurait été de plein droit la co-parente, c’est-à-dire une co-mère, de l’enfant dont la mère aurait accouché durant le mariage.

L’exclusion d’une telle règle dans le mariage homosexuel signifie par conséquent qu’il n’y a que dans le statut du mariage contracté entre un homme et une femme que notre système juridique continue à instituer un mécanisme spécifique impliquant que l’homme et la femme qui se marient contractent aussi l’engagement de nommer et d’accueillir comme étant de plein droit leurs propres enfants les enfants que l’épouse porterait et ferait naître. Une seconde particularité du mariage homosexuel consistait, en 2003, dans l’interdiction, pour un couple homosexuel, d’adopter un enfant. La loi du 13 février 2003 avait en effet expressément modifié les articles 345, 346, 361 et 368 du Code civil relatifs à l’adoption aux fins d’y préciser que l’adoption, plénière ou simple, d’un enfant ne pourrait être effectuée par deux « époux » que pour autant qu’ils soient « de sexe différent ». Lorsque la loi du 24 avril 2003 réformant l’adoption a remplacé les anciennes dispositions du Code civil par de nouvelles dispositions, cette interdiction faite aux couples homosexuels d’adopter un enfant a été intégrée dans le nouvel article 343 du Civil qui précisait ce qu’il fallait entendre par adoptant (« une personne, des époux de sexe différent ou des cohabitants de sexe différent »). Quelques années plus tard, l’interdiction fut toutefois en définitive supprimée par la loi du 18 mai 2006 modifiant certaines dispositions du Code civil en vue de permettre l’adoption par des personnes de même sexe (Mon. b., 20 juin 2006). L’article 343 du Code civil a dès lors

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été modifié : il ne comporte plus aucune référence à l’orientation sexuelle des candidats-adoptants.

2. La condition d’âge (nubilité)

L’article 144 du Code civil fixe à 18 ans tant pour le garçon que la fille l’âge de la capacité matrimoniale. Cet âge était fixé, avant la loi du 19 janvier 1990 relative à l’abaissement de l’âge de la majorité, à 15 ans pour les filles et 18 ans pour les garçons. La nouvelle disposition permet de faire prévaloir la maturité psychologique sur la maturité physiologique et de faire coïncider l’âge de la capacité matrimoniale avec celui de la majorité civile. Toutefois, des dérogations sont admises, sous la forme de l’octroi d’une dispense d’âge prévue à l’article 145 du Code civil. A la requête soit des père et mère, soit de l’un d’eux, soit du tuteur, soit du mineur lui-même si ni le père ni la mère (ou ni le tuteur) ne saisissent le tribunal de la jeunesse, ce dernier peut pour des motifs graves dont il a la souveraine appréciation accorder une dispense d’âge. Voy. par exemple Bruxelles (Ch. jeun.), 2 juin 2005, Rev. trim. dr. fam., 2007, p. 421, qui refuse de considérer qu’il existerait des « motifs graves » susceptibles de justifier qu’une jeune fille de 17 ans épouse un Kosovar âgé de 8 ans de plus qu’elle que celle-ci avait rencontré en vacances au Kosovo et qui s’était vu délivrer un ordre de quitter le territoire belge.

B. Les conditions d’ordre sociologique

1. Absence d’un autre lien matrimonial (interdit de la bigamie) L’article 147 du Code civil stipule que l’on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. L’application de cette disposition doit se combiner avec celle de l’article 227 du Code civil qui prévoit que le mariage se dissout par la mort de l’un des époux et par le divorce. La déclaration d’absence ne dissout en revanche pas le mariage. Dans le système prévu par la loi du 23 novembre 1998 instaurant la cohabitation légale, l’existence d’une déclaration légale de cohabitation – même non résiliée – n’empêche pas la conclusion d’un mariage. C’est, inversement, la conclusion d’un mariage qui met fin de plein droit à la cohabitation légale (art. 1476 § 2 al. 1 C. civ.).

2. Absence d’un lien de parenté ou d’alliance (interdit de l’inceste) Le Code civil prévoit des empêchements à mariage liés à la parenté par le sang en ligne directe ou collatérale, à l’alliance en ligne directe, à la parenté adoptive simple ou plénière et à la parenté « alimentaire ». Certains de ces empêchements sont absolus, d’autres sont susceptibles d’une dispense accordée par le Roi, « pour des causes graves ».

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a) Empêchements liés à la parenté de sang (articles 161 à 164 du Code

civil) L’empêchement est absolu entre tous les parents en ligne directe, ascendante et descendante, et en ligne collatérale mais uniquement au second degré (frère-sœur, demi-frère et demi-sœur). L’empêchement est susceptible de dispense entre collatéraux au 3ème degré (oncle-nièce, tante-neveu). A partir du 4ème degré et au-delà, il n’existe aucun empêchement à mariage. Les articles 4, 5 et 6 de la loi du 13 février 2003 ont modifié les termes des articles 162, 163 et 164 du Code civil, afin de les « désexualiser » (selon l’expression utilisée dans les travaux préparatoires de la loi) et d’étendre au mariage homosexuel les empêchements liés à la parenté de sang.

b) Empêchements liés à l’alliance (article 161 C. civ.)

Le mariage est prohibé entre les alliés en ligne directe, ascendante ou descendante (beau-père - bru, belle-mère – gendre, beaux-enfants – beaux-parents par remariage). Cet empêchement subsiste en principe même après dissolution par décès ou divorce du mariage qui a créé l’alliance. Néanmoins, depuis une loi du 15 mai 2007 « modifiant le Code civil en ce qui concerne le mariage entre alliés » (Mon. b., 29 juin 2007), cette interdiction a perdu son caractère absolu. Désormais, cet empêchement peut faire l’objet de la dispense par le Roi « pour des causes graves », prévue à l’article 164 du Code civil. La réforme procède d’une initiative que la députée Martine Taelman (VLD) (Doc. parl., Ch., session 2005-2006, n° 51-2293/001) avait prise avant que la Cour d’arbitrage ne se prononce sur cette problématique par un arrêt du 18 octobre 2006, mais qui se référait, par contre, à un arrêt B. et L. c/Royaume-Uni prononcé par le 13 septembre 2005 par la Cour européenne des droits de l’homme. Dans le cas tranché par la Cour européenne des droits de l’homme, un homme avait voulu épouser sa belle-fille, au sens traditionnel du terme dans le Code Napoléon, c’est-à-dire l’ex-épouse de son fils avec laquelle il partageait sa vie. Dans la législation britannique, un tel mariage était, en principe, interdit, mais l’empêchement était susceptible de dispense par la Chambre des Lords. La Cour européenne des droits de l’homme avait condamné le Royaume-Uni, en tenant un raisonnement étonnant, car elle considéra qu’une règle de droit comme l’interdit de l’inceste, qui poursuit l’objectif légitime de protéger l’intégrité de la famille et de prévenir les troubles pour les enfants, peut devenir disproportionnée lorsqu’elle ne parvient pas à empêcher que des relations jugées jusque là incestueuses se nouent entre un homme et une femme qui ont en fait

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formé un couple et partagent une vie commune. Il avait dès lors, selon la Cour, été porté atteinte au droit de se marier consacré par l’article 12 de la Convention. La Cour d’arbitrage avait, par contre, été saisie d’une question préjudicielle relative à la constitutionnalité de l’interdiction de la conclusion d’un mariage entre un homme et la fille de son ex-épouse qui était décédée. Tout en rappelant à juste titre que l’interdit de l’inceste se fonde, indépendamment de considérations eugéniques lorsqu’il frappe un lien de consanguinité étroit, sur des considérations d’ordre moral et social et, plus particulièrement, lorsqu’il s’agit de l’empêchement à mariage entre alliés en ligne directe, sur l’objectif d’éviter une concurrence sexuelle entre les membres d’un même ménage et de garantir la place de chaque génération au sein de la famille, la Cour d’arbitrage a cependant considéré dans son arrêt du 18 octobre 2006 (arrêt n° 157/2006, Rev. trim. dr. fam., 2007, p. 682), sans s’en expliquer davantage, que cet empêchement entre alliés avait, en raison de son caractère absolu en droit belge, des effets disproportionnés « en ce qu’il interdit dans tous les cas à un beau-parent et à un bel-enfant de contracter mariage après le décès du conjoint qui créait l’alliance ». L’arrêt de la Cour d’arbitrage constituait par conséquent une invitation faite au législateur d’instituer aussi un mécanisme de dispense permettant de rendre possibles certains mariages entre alliés en ligne directe après le décès du conjoint qui avait créé le lien d’alliance. La loi du 15 mai 2007 va en réalité plus loin que ce qu’avait considéré la Cour d’arbitrage puisqu’elle permet désormais au Roi d’accorder une dispense de la prohibition du mariage entre alliés en ligne directe, alors même que le conjoint qui avait créé le lien d’alliance serait toujours en vie. Il reste que, comme pour les autres cas de dispense (cfr supra), celle-ci ne pourra être octroyée que pour des « causes graves » (article 164 C.civ.). Dans les développements de la proposition de loi, il avait été expressément précisé à cet égard qu’elle ne devait concerner que « certains cas », comme, par exemple, les cas où un bel-enfant n’aurait fait la connaissance de son beau-parent que lorsqu’il était déjà adulte et où il n’y aurait dès lors pas eu de relation de parentalité pendant le temps de l’éducation de l’enfant. On observera néanmoins qu’il y a tout autant inceste à « coucher » avec l’enfant de son conjoint, qu’on l’ait connu lorsqu’il était jeune ou lorsqu’il était déjà adulte, car l’interdit est précisément qu’on ne partage pas le lit de l’enfant de celui ou de celle dont on a précédemment partagé le lit. Ce n’est pas parce que certains s’estiment déliés « en fait » d’un tel interdit que la société devrait pour autant le cautionner en acceptant de les unir dans les liens du mariage. Quoiqu’il en soit, c’est désormais au Roi que la loi du 15 mai 2007 attribue un pouvoir d’appréciation dont on aurait pu se demande s’il n’était pas plus correct de l’attribuer aux cours et tribunaux. On rappellera, par ailleurs, pour autant que de besoin, qu’un empêchement de mariage avait également été institué par le Code Napoléon entre alliés en ligne collatérale au deuxième degré (beau-frère – belle-sœur) (art. 162 ancien C. civ.). Cet empêchement, qui était

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susceptible de dispense (art. 164 anc. C. civ.), avait toutefois été supprimé par une loi du 11 février 1920 lorsque le mariage qui produisait l’alliance avait été dissous par le décès. La prohibition n’avait dès lors été maintenue qu’en cas de divorce. Une loi du 27 mars 2001 (Mon. b., 11 mai 2001) a définitivement supprimé cet empêchement qui, dans la pratique administrative, faisait presque toujours l’objet d’une dispense lorsqu’elle était sollicitée. Le Ministre de la justice avait à l’époque justifié cette réforme par la considération que « les mœurs ont tellement évolué avec le temps qu’aujourd’hui les mariages entre beaux-frères et belles-sœurs ne suscitent plus aucune objection ». c) Empêchements liés à la parenté adoptive (articles 353-13, 354-3, 356-1 et 356-3, § 1 C. civ.) 1) En cas d’adoption simple, l’empêchement à mariage est absolu entre l’adoptant et l’adopté

et ses descendants.

Il existe également un empêchement entre : - l’adopté et l’ancien conjoint de l’adoptant - l’adoptant et l’ancien conjoint de l’adopté - les enfants adoptifs d’un même adoptant - l’adopté et les enfants de l’adoptant.

Ces derniers peuvent néanmoins être levés par le Roi pour motifs graves aux termes de l’article 353-13 du Code civil tel que révisé par la loi du 2 juin 2010 (qui a harmonisé sur ce point les empêchements à mariage applicables en cas d’adoption simple avec ceux applicables dans le cas de la filiation et de l’adoption plénière).

Ces empêchements subsistent même après la révocation de l’adoption.

Au surplus, tous les empêchements à mariage avec la famille d’origine subsistent.

2) En cas d’adoption plénière, les empêchements à mariage au sein de la famille adoptive

sont exactement identiques à ceux qui existent au sein de toute famille, l’enfant adopté plénièrement étant complètement assimilé à un enfant de sang dans la famille adoptive.

Au surplus, l’adoption plénière ne met pas fin aux empêchements à mariage à l’égard de la famille d’origine.

d) Empêchements liés à la parenté « alimentaire » (article 341 C. civ.)

Bien que le jugement condamnant un homme à payer une pension alimentaire au profit de l’enfant né d’une femme avec laquelle il « a eu des relations pendant la période légale de conception » ne soit pas déclaratif de filiation, ce jugement produit les mêmes effets que l’établissement de la filiation paternelle en ce qui concerne les empêchements à mariage.

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§ 2. Les conditions subjectives Pour qu’un mariage soit valable d’un point de vue subjectif, deux types de conditions doivent être remplies au moment de sa conclusion : la capacité juridique requise pour poser valablement un acte juridique et un consentement exempt de vice.

La capacité juridique Le mariage est un acte strictement personnel qui ne tolère pas la représentation.

1. Le mariage des mineurs L’article 145 du Code civil permet aux mineurs de se marier moyennant une dispense d’âge accordée pour motifs graves par le tribunal de la jeunesse. Le mineur qui obtient cette dispense consentira lui-même à son mariage mais, en raison de son incapacité d’exercice, devra au surplus obtenir le consentement de ses père et mère ou à défaut l’autorisation du tribunal de la jeunesse (article 148 C. civ.). Le régime de la représentation est ici remplacé par celui de l’assistance. Le consentement des père et mère est constaté par le tribunal de la jeunesse saisi de la demande de dispense d’âge. Si le père et la mère refusent tous deux leur consentement, le tribunal de la jeunesse pourra autoriser le mariage s’il juge le refus abusif, c’est-à-dire s’il estime que les parents abusent ou détournent à leur profit ou dans leur intérêt l’autorité qu’ils exercent sur leur enfant en refusant leur consentement. Le tribunal dispose du même pouvoir d’appréciation si l’un des père et mère est dans l’impossibilité de manifester sa volonté et que l’autre refuse son consentement. Le tribunal n’apprécie pas lui-même l’intérêt du futur époux. Il vérifie in abstracto si les parents fondent leur refus non sur des motifs égoïstes mais sur des raisons susceptibles de justification et en rapport avec l’intérêt de l’enfant S’il existe une dissension entre les parents quant au mariage de leur enfant – l’un refusant d’y consentir, l’autre pas – le tribunal de la jeunesse pourra autoriser le mariage s’il juge le refus non fondé, c’est-à-dire s’il estime que le mariage correspond à l’intérêt de l’enfant, au regard des circonstances de la cause. Celui des père et mère qui ne comparaît pas est censé ne pas avoir consenti au mariage. Si les père et mère sont l’un et l’autre dans l’impossibilité de manifester leur volonté ou ne comparaissent pas, le mariage pourra également être autorisé par le tribunal de la jeunesse.

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2. Le mariage des interdits judiciaires et des mineurs prolongés

Selon une solution classique consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 février 1895 (Pas., 1895, I, 109), les interdits judiciaires, dont l’état de démence ou d’imbécillité a été constaté par le tribunal qui a prononcé leur interdiction, sont frappés d’une incapacité totale d’exercice reposant sur une présomption irréfragable d’absence de discernement découlant des articles 489 et 502 du Code civil. Le mariage ne tolérant pas la représentation, les interdits judiciaires sont dès lors privés du droit de se marier. Il est cependant contestable que l’article 502 du Code civil englobe nécessairement les actes juridiques personnels et, notamment, le mariage. Les mineurs prolongés, en étant assimilés par la loi à des mineurs de moins de 15 ans (article 487bis du Code civil), sont également frappés d’une incapacité totale d’exercice reposant sur une présomption d’absence de discernement et ainsi privés du droit de se marier. En assimilant le mineur prolongé à un mineur de moins de 15 ans, le législateur a voulu frapper celui-ci d’une incapacité légale de se marier découlant implicitement du défaut d’âge. Dans le rapport de la Commission de la Justice du Sénat, il a été précisé qu’une dispense ne pourrait être accordée dans cette hypothèse et que le mariage ne serait possible qu’en cas de mainlevée du régime de la minorité prolongée.

3. Le mariage des personnes sous conseil judiciaire ou sous administration provisoire

La mise sous conseil judiciaire (articles 513 et s. C. civ.) ainsi que la mise sous administration provisoire (articles 488bis-A C. civ.) n’entraînent d’incapacité d’exercice qu’au niveau des actes patrimoniaux et non personnels. La personne ainsi protégée conserve la capacité de se marier mais elle devra évidemment répondre à la condition d’avoir donné valablement son consentement et, dès lors, disposer du discernement suffisant.

B. Le consentement Le mariage est un contrat dont l’échange des consentements constitue un élément fondamental de sa conclusion. En ce sens, l’article 146 du Code civil prévoit qu’ « il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a pas de consentement ».

1. L’absence totale de volonté Il y a lieu en matière de mariage de distinguer l’absence totale de volonté – qui serait due, par exemple, à un état d’aliénation mentale ou d’ivresse – du simple vice de consentement. Si le consentement est incohérent dans son expression et que l’absence de volonté est apparente, l’officier de l’état civil refusera évidemment de célébrer le mariage. Mais, dans l’hypothèse où le contractant maîtrise ou paraît maîtriser ses moyens d’expression, le mariage sera vraisemblablement célébré malgré le fait qu’il puisse y avoir une complète distorsion entre le consentement apparemment exprimé et la volonté réelle. Le mariage contracté en l’absence de toute aptitude à pouvoir réellement y consentir ne sera évidemment pas valable.

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2. Les vices de consentement

Les vices qui peuvent entacher le consentement au mariage sont appréciés de manière plus stricte par le Code civil ainsi que par la jurisprudence et la doctrine qu’en droit commun. Les vices de consentement susceptibles d’empêcher qu’un mariage soit valablement contracté avaient été insérés par le Code Napoléon dans le chapitre relatif aux nullités de mariage (art. 180 al. 1 et al. 2 Code Napoléon). Des lois récentes ont toutefois sorti certains vices de consentement prévus par le Code Napoléon du texte de l’article 180 du Code civil et les ont insérés dans les articles 146bis et 146ter du Code civil sous le chapitre relatif aux qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage.

a) La violence L’article 180, al. 1, du Code Napoléon prévoyait que « le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux ou de l’un deux, ne peut être attaqué que par les époux ou celui des deux dont le consentement n’a pas été libre ». La doctrine considérait généralement que la définition de la violence pouvait être par analogie empruntée aux articles 1111 à 1114 du Code civil. Si l’hypothèse d’un tel vice de consentement paraissait a priori peu vraisemblable et ne s’est d’ailleurs pas concrétisée dans la jurisprudence belge publiée, on ne devait cependant pas négliger les situations de « mariages forcés » qui n’ont manifestement pas disparu sur le territoire belge. C’est le mariage que la famille parvient à imposer – généralement à la future épouse – en recourant à divers moyens coercitifs : contrainte physique, enfermement, confiscation des papiers d’identité, chantage affectif… Conscient de la nécessité de lutter contre ce phénomène, le législateur a donc souhaité adopter une législation spécifique qui, comme son intitulé le fait clairement apparaître, comporte un double volet, pénal et civil. 1) Au plan pénal, la loi du 25 avril 2007 insère dans le Titre VII du Livre II du Code pénal

consacré aux crimes et délits contre l’ordre des familles et contre la moralité publique une nouvelle infraction de « mariage forcé » prévue à l’article 391sexies du Code pénal

Une loi antérieure du 12 janvier 2006 avait déjà inséré dans la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers un nouvel article 79bis qui réprime le mariage de complaisance et qui aggrave la peine à l’égard de celui qui aurait usé de violences ou de menaces afin de contraindre une personne à conclure un tel mariage.

Le mariage forcé ne faisait donc l’objet d’une incrimination pénale que lorsqu’il constituait aussi un mariage simulé (voy. infra) contracté aux fins de permettre le séjour d’un étranger en Belgique.

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Le Gouvernement belge a toutefois voulu créer une incrimination spécifique de « mariage forcé » aux fins de couvrir les autres situations qui ne correspondent pas à un mariage simulé, avec l’objectif précis de « protéger la victime dans son droit à conclure un mariage librement consenti, à protéger sa liberté, sa dignité et son intégrité physique » (exposé des motifs, Doc. parl., Ch., session 2006-2007, n° 51-2766/001, p. 9).

Alors que l’incrimination pénale du mariage de complaisance contracté afin de contourner les règles en matière d’obtention de la nationalité ou d’un titre de séjour vise à sanctionner la fraude à la loi, l’incrimination nouvelle de « mariage forcé » est destinée désormais, selon le Gouvernement, à protéger le droit fondamental dont dispose toute personne d’exprimer un consentement libre au mariage.

2) Au plan civil, la loi a entendu soumettre le vice de violence à un autre régime juridique de

nullité que celui qui avait été prévu par les articles 180 et 181 du Code civil et qui était celui de la nullité relative (voy. infra, les nullités de mariage).

Comme l’a indiqué l’exposé des motifs du projet de loi du Gouvernement, un mariage forcé doit désormais être considéré comme constituant une violation grave des droits de l’homme, et l’exigence d’un consentement au mariage libre de toute violence quelconque exercée sur la volonté des époux a dès lors été considérée comme une exigence relevant de l’ordre public. C’est pourquoi le législateur a voulu qu’un mariage forcé puisse être sanctionné par une nullité absolue (voy. infra), de manière à ce que cette nullité puisse être sollicitée en justice par le ministère public ou par toute personne intéressée.

Le vice de violence a dès lors été déplacé de l’article 180 al. 1 du Code civil – qui a été abrogé – dans un nouvel article 146ter du Code civil qui a lui-même été ajouté aux différentes dispositions énumérées à l’article 184 du Code civil – dont on verra infra qu’il organise un régime spécifique de nullité absolue du mariage.

L’article 146ter énonce qu’ « il n’y a pas de mariage non plus lorsque celui-ci est contracté sans le libre consentement des deux époux et que le consentement d’au moins un des époux a été donné sous la violence ou la menace ».

b) Le dol

L’article 180 du Code Napoléon n’avait pas retenu le dol comme vice de consentement en matière de mariage. L’exclusion du dol en cette matière est une solution traditionnelle exprimée par l’adage de Loysel « En mariage, trompe qui peut ». c) L’erreur L’article 180 du Code civil inchangé sur ce point depuis le Code Napoléon, stipule que « lorsqu’il y a eu erreur dans la personne, le mariage ne peut être attaqué que par celui des deux époux qui a été induit en erreur ». L’erreur doit donc porter sur la personne elle-même du conjoint et non pas sur les mobiles du mariage. En outre, la notion d’erreur « dans la personne » a été interprétée de manière restrictive par la doctrine et la jurisprudence en manière telle que seules sont admises l’erreur

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sur la personne physique – hypothèse extrêmement rare en raison de l’interdiction du mariage par procuration – et l’erreur sur l’identité civile (faux nom, fausse filiation). Au surplus, l’erreur doit avoir été déterminante dans le chef de celui qui l’a commise ; un lien de causalité doit exister entre l’erreur commise et le consentement donné. Ne sont dès lors pas admises par la jurisprudence l’erreur sur la personnalité civile ainsi que l’erreur sur une qualité substantielle (par exemple, l’impuissance, la maladie mentale). L’erreur sur la personnalité civile vise les autres attributs de l’état des personnes : la nationalité, la qualité de célibataire, de veuf ou de divorcé, de religieux, la déchéance des droits civils et politiques. Un arrêt de la Cour de cassation du 17 juillet 1925 (Pas., 1925, I, p. 375) a ainsi considéré qu’il n’y avait pas d’erreur dans la personne lorsqu’un homme avait épousé une femme qui s’était fait passer pour veuve alors qu’elle était divorcée. En France, le législateur a assoupli la disposition originaire du Code Napoléon. L’article 180 nouveau du Code civil, tel que modifié par la loi du 11 juillet 1975 réformant le divorce, prévoit désormais que « s’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités substantielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage ». Les cours et tribunaux ont dès lors déjà prononcé la nullité d’un mariage, parce qu’un des époux ignorait, par exemple, la religion de son conjoint qui était incompatible avec ses propres convictions personnelles, l’inaptitude de son conjoint à entretenir des relations sexuelles normales, la séropositivité de celui-ci, les troubles mentaux de son conjoint, le fait que la femme avait jadis été prostituée… la Cour d’Appel de Douai (arrêt du 17 novembre 2009, Actualités du droit de la famille, 2009/7, p. 125) a en revanche réformé le jugement du tribunal du 1er avril 2008 du tribunal de grande instance de Lille (J.T., 2008, p. 473) qui avait annulé le mariage en raison du mensonge de l’épouse sur sa virginité, la Cour considérant que le mensonge ne portait pas sur une qualité essentielle lorsqu’il porte « sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité, qui n’est pas une qualité essentielle parce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale ». .

3. Le consentement simulé Dans cette hypothèse, les consentements à mariage ont bien été donnés sans vice quant à leur expression ou à leur contenu mais le consentement d’un des époux voire des deux a été simulé, au sens où cet (ces) époux n’avai(en)t pas le projet ni l’intention de conclure un véritable mariage. Il y a alors simulacre de mariage – ou mariage simulé - entre personnes contractant mariage uniquement pour un tirer un avantage extrinsèque comme, par exemple, l’obtention d’un permis de séjour, d’un avantage de la sécurité sociale ou d’un avantage successoral, sans avoir l’intention de former une communauté de vie durable. Il s’agit d’une utilisation frauduleuse du mariage à des fins étrangères impliquant une distorsion entre la volonté apparente et la volonté réelle. Une telle hypothèse n’avait pas été envisagée dans le Code civil et ce sont la doctrine et la jurisprudence qui ont admis l’absence de validité du mariage simulé. La loi du 4 mai 1999 modifiant certaines dispositions relatives au mariage a introduit une nouvelle disposition dans le Code civil qui consacre spécifiquement l’hypothèse de la simulation du consentement donné par l’un ou les deux époux en vue de l’obtention d’un avantage en matière de séjour lié au statut d’époux (article 146bis nouveau du Code civil).

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Voy., pour un exemple significatif en jurisprudence, Bruxelles, 18 mars 2004, Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 578. Dans ce cas d’espèce, c’est l’épouse, qui estimait avoir été abusée par un étranger en situation de séjour irrégulière et qui avait sollicité l’annulation du mariage qu’elle avait contracté avec lui. Les « époux » n’avaient pas commencé à cohabiter car ils attendaient la célébration du mariage religieux qui n’intervint jamais. La Cour a considéré, sur la base d’un faisceau de présomptions graves et concordantes, « qu’au moment de la célébration du mariage, le consentement de Monsieur Z n’était pas réel et sincère et qu’il n’avait pas adhéré au projet de vie commune ». SECTION III – LES CONDITIONS DE FORME DU MARIAGE § 1. Le principe : le mariage est un acte solennel Le caractère solennel du mariage se justifie pour de multiples raisons. Il permet notamment :

- de contrôler les principales conditions de validité du mariage ; - de contrôler l’expression des déclarations de volonté ; - de conserver la preuve certaine de la conclusion du mariage. Celle-ci ne pourra

d’ailleurs être rapportée que par la production de l’acte de mariage (art. 194 et 195 du Code civil) ;

- de donner un caractère public et social à l’engagement. § 2. Les formalités préalables à la célébration du mariage

(art. 63, 64 et 165 C. civ.) Dans le régime du Code civil, modifié par la loi du 26 décembre 1981, les publications des « bans » de mariage avaient pour but de rendre public le projet de mariage et de permettre aux tiers de dénoncer des causes légales d’empêchement à mariage. Les publications se faisaient par voie d’affichage à la porte de la maison communale, à partir d’un dimanche et durant dix jours. Il était dressé acte de l’accomplissement de cette formalité dans un registre spécial de l’état civil. Les publications devaient avoir lieu dans la commune du domicile ou de la résidence de chacun des futurs époux. Le mariage ne pouvait être célébré avant l’expiration d’un délai de 10 jours après les publications et devait l’être dans l’année qui suivait le dixième jour des publications. A l’expiration de l’année, de nouvelles publications étaient nécessaires pour que le mariage puisse être célébré. Depuis le 1er janvier 2000 - date d’entrée en vigueur de la loi du 4 mai 1999 modifiant certaines dispositions relatives au mariage - le régime de la publication préalable des bans a été supprimé et remplacé par un régime de déclaration préalable. Le législateur a en effet considéré que la procédure ancienne n’avait aucun effet dissuasif à l’égard des éventuels

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mariages irréguliers et que l’affichage aux valves de la maison communale ne présentait en définitive d’utilité que pour les « démarcheurs commerciaux du marché du mariage ». Les personnes désirant se marier doivent désormais en faire la déclaration à l’officier de l’état civil de la commune où l’un des futurs époux est inscrit dans les registres de la population. Pour les Belges qui résident à l’étranger et ne sont pas inscrits dans les registres de la population d’une commune belge, voy. l’article 63 § 1 al. 3 du Code civil. La déclaration est faite par les deux futurs époux mais – solution étonnante – elle peut aussi être faite par l’un d’entre eux moyennant une « preuve écrite légalisée, émanant du futur époux absent lors de la déclaration de mariage, dont il ressort que celui-ci consent à la déclaration » (art. 64, § 1, 6° C. civ.). L’officier de l’état civil dresse un acte de cette déclaration et l’inscrit dans un registre de l’état civil spécifique. Si les deux futurs époux ne sont pas inscrits dans la même commune, l’acte de déclaration est notifié par l’officier de l’état civil à l’officier de l’état civil de la commune du domicile ou de la résidence actuelle de l’autre futur époux L’officier de l’état civil qui reçoit copie de l’acte de déclaration vérifie s’il n’existe pas d’empêchements à mariage. Le cas échéant, il le signale, dans les dix jours de la réception de la notification, à l’officier de l’état civil qui a dressé l’acte de déclaration. Plus aucune publication proprement dite du projet de mariage n’est donc encore prévue. Le mariage ne peut être célébré avant le 14ème jour qui suit la date d’établissement de l’acte de déclaration de mariage (art. 165 § 1 C. civ.). Ce délai d’attente minimal a été présenté par le législateur comme un « moratoire » durant lequel l’officier de l’état civil a la possibilité de recueillir les informations qui lui paraissent utiles afin d’exercer le pouvoir de contrôle qui lui a expressément été reconnu par la nouvelle loi et, éventuellement, décider de refuser de célébrer le mariage ou, à tout le moins, de surseoir à la célébration du mariage (voir infra). Si le mariage n’a pas été célébré dans les six mois à compter de l’expiration du délai de 14 jours, il ne peut plus être célébré qu’après une nouvelle déclaration de mariage (art. 165 § 3 al. 1 C. civ.). Le procureur du Roi près le tribunal de première instance de l’arrondissement dans lequel les requérants ont l’intention de contracter mariage peut toutefois, pour raisons graves, dispenser de la déclaration et de tout délai d’attente ainsi qu’accorder une prolongation du délai de six mois dans l’hypothèse où le mariage n’a pas encore été célébré (art. 165 § 2 C. civ.). Lorsque l’officier de l’état civil refuse de célébrer le mariage, une prolongation du délai de six mois peut être demandée au juge qui se prononce sur la mainlevée de l’opposition ou sur le recours contre le refus (art. 165 § 3 al. 2 C. civ.)

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§ 3. La célébration du mariage (art. 75, 76, 165 et 166 C. civ.)

A. L’autorité compétente Le mariage doit obligatoirement être célébré devant un officier de l’état civil. La loi communale du 24 juin 1988 détermine qui a la charge au sein de chaque commune de l’état civil – le collège des bourgmestre et échevins – et qui remplira les fonctions d’officier de l’état civil – le bourgmestre ou un échevin désigné à cet effet par le collège, exceptionnellement un conseiller communal (article 125 de la loi communale du 24 juin 1988). Depuis le 1er janvier 2000, le mariage doit nécessairement être contracté devant l’officier de l’état civil qui a dressé l’acte de déclaration (art. 166 C. civ.).

B. Le caractère public de la célébration Le mariage doit être célébré publiquement (art. 166 C. civ.), c’est-à-dire qu’il doit se dérouler dans un lieu auquel le public a accès. L’article 75 du Code civil, qui appartient aux dispositions organisant l’acte d’état civil de mariage, précisait par ailleurs que l’officier de l’état civil reçoit le consentement des époux « dans la maison commune ». Une loi du 12 juillet 2009 modifiant le Code civil en ce qui concerne le lieu du mariage (Mon. b., 24 août 2009) a ajouté deux alinéas à l’article 75 du Code civil et prévoit, notamment, que « par dérogation à l’alinéa 1er, le Conseil communal peut désigner, sur le territoire de la commune, d’autres lieux publics à caractère neutre, dont la commune a l’usage exclusif, pour célébrer les mariages ». Exceptionnellement, l’officier de l’état civil pourra se rendre à la résidence d’un des futurs époux, en cas de mariage in extremis par exemple. Dans ce cas, les portes de l’immeuble et de la pièce doivent rester ouvertes pour préserver le principe de la publicité de la célébration.

C. L’accomplissement des formalités Les futurs époux doivent obligatoirement comparaître en personne. Ni le mariage par procuration ni le mariage posthume ne sont admis en droit belge (voy. Liège, 3 juin 1991, J.T., 1991, p. 658). Le mariage peut être célébré éventuellement en présence de quatre témoins au plus, parents ou non des époux (article 75 alinéa 1 du Code civil tel que modifié par la loi du 6 avril 2010). Après les lectures prescrites par l’article 75 du Code civil et l’échange des consentements des époux, l’officier de l’état civil prononce « au nom de la loi » que les parties sont unies par le mariage. Il dresse alors immédiatement l’acte de mariage comprenant obligatoirement les mentions indiquées à l’article 76 du Code civil.

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SECTION IV – LA SANCTION DES CONTRAVENTIONS AUX CONDITIONS DE VALIDITE DU MARIAGE § 1. La prévention du non respect des conditions de validité

A. L’obligation légale de l’officier de l’état civil Dès avant la loi du 4 mai 1999, il avait toujours été admis que l’officier de l’état civil avait la compétence – et même l’obligation – de refuser de procéder à la célébration du mariage si une cause légale d’empêchement y faisait obstacle. En cas de doute, il en référait au Procureur du Roi. Avec la prise de conscience de la multiplication des mariages simulés destinés à permettre le séjour en Belgique d’un étranger, il fut également admis – dès lors qu’il s’agissait d’une condition de validité du mariage – que l’officier de l’état civil pouvait vérifier la réalité du consentement des époux et refuser de célébrer le mariage lorsque ce consentement lui paraissait simulé. Une circulaire du 4 juillet 1994 du Ministre de la Justice et du Ministre de l’Intérieur avait d’ailleurs expressément énuméré un certain nombre de circonstances susceptibles de fournir à l’officier de l’état civil des indices vraisemblables d’un projet de mariage simulé. Un des objectifs principaux de la loi du 4 mai 1999 a été de légaliser ce rôle actif de l’officier de l’état civil, en visant de façon plus particulière la prévention des mariages simulés, sans cependant qu’il n’ait été porté atteinte au principe selon lequel l’officier de l’état civil est tenu de vérifier l’existence de l’ensemble des conditions de validité du mariage. Dans l’exercice de ce contrôle, la nouvelle loi offre à l’officier de l’état civil deux possibilités précises. D’une part, l’article 167 al. 1 du Code civil prévoit expressément que « l’officier de l’état civil refuse de célébrer le mariage lorsqu’il apparaît qu’il n’est pas satisfait aux qualités et conditions prescrites pour contracter mariage, ou s’il est d’avis que la célébration est contraire aux principes de l’ordre public. En ce cas, l’officier de l’état civil doit notifier sa décision motivée aux intéressés et en transmettre une copie au procureur du Roi » (art. 167 al. 4). D’autre part, selon l’article 167 al. 2 du Code civil, l’officier de l’état civil peut aussi, lorsqu’il n’a pas acquis une réelle conviction mais qu’il éprouve un doute sérieux sur la validité du mariage et, notamment, sur la sincérité des futurs conjoints, surseoir à la célébration du mariage, pendant un délai de deux mois au plus à partir de la date de mariage choisie par les futurs conjoints, afin de procéder à une enquête complémentaire. L’officier de l’état civil fera éventuellement procéder lui-même à une enquête par un service spécifique de sa commune. S’il entend faire appel aux services de la police communale ou fédérale, il devra solliciter l’intervention du Procureur du Roi. Afin d’éviter toutefois que l’officier de l’état civil ne laisse traîner un dossier, la loi précise expressément que si l’officier de l’état civil ne

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prend pas de décision définitive dans le délai de deux mois, il est alors tenu de célébrer le mariage. Le refus de l’officier de célébrer le mariage est susceptible de recours par les futurs conjoints pendant un délai d’un mois (à partir du jour de la notification de la décision) devant le tribunal de première instance. Une circulaire du Ministère de la Justice du 17 décembre 1999 relative à la loi du 4 mai 1999 et destinée aux procureurs généraux auprès des Cours d’appel et aux officiers de l’état civil du Royaume (Mon. b., 31 décembre 1999, p. 50361, Rev. trim. dr. fam., 1999, p. 753) a reprécisé, en reproduisant certains des termes de la circulaire du 4 juillet 1994, différents facteurs dont la combinaison peut constituer une indication sérieuse d’un mariage blanc :

- les parties ne se comprennent pas ou ont des difficultés à dialoguer, ou font appel à un interprète ;

- les parties ne se sont jamais rencontrées avant la conclusion du mariage ; - une des parties cohabite avec quelqu’un d’autre de manière durable ; - les parties ne connaissent pas le nom ou la nationalité l’une de l’autre ; - un des futurs époux ne sait pas où l’autre travaille ; - il y a une divergence manifeste entre les déclarations relatives aux circonstances de la

rencontre ; - une somme d’argent est promise pour contracter le mariage ; - un des deux se livre à la prostitution ; - l’intervention d’un intermédiaire ; - une grande différence d’âge.

La circulaire veille néanmoins à préciser qu’il « faut toutefois éviter que chaque mariage mixte soit qualifié de suspect prima facie » et que « le principe de la liberté de mariage requiert que l’on fasse preuve à ce niveau d’une certaine prudence ».

La dénonciation officieuse d’un empêchement à mariage Jusqu’à une loi récente du 19 février 2009, la loi organisait, dans l’ancien Chapitre III du Titre V du Livre Ier du Code Napoléon, la possibilité pour certaines personnes (par exemple les père et mère des futurs mariés) de former « opposition » à la célébration du mariage. Lorsque cette opposition était conforme aux dispositions légales, l’officier de l’état civil était tenu de surseoir à la célébration du mariage. Un recours était ouvert aux époux devant le tribunal de première instance. La loi du 19 février 2009 modifiant le Code civil et l’article 1399 du Code judiciaire en ce qui concerne l’opposition à mariage (Moniteur belge, 11mars 2009) a abrogé les articles 66 à 69 et 172 et 179 du Code civil qui prévoyait cette possibilité d’opposition à la célébration d’un mariage. La suppression de la publication des bans par la loi du 4 mai 1999 leur avait ôté une grande partie de leur utilité. Le rôle actif conféré à l’officier de l’état civil a par ailleurs était considéré comme suffisant. Il reste que toute personne qui a connaissance d’un empêchement légal au mariage projeté a le droit d’en faire part à l’officier de l’état civil qui doit célébrer le mariage. Il s’agit d’une dénonciation officieuse puisqu’aucune disposition légale ne l’organise. Aucune condition de forme n’est requise.

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L’officier de l’état civil vérifiera alors aussi la réalité de l’empêchement et pourra s’en référer au procureur du Roi. Il pourra aussi désormais, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mai 1999, prendre les décisions prévues par l’article 167 du Code civil. § 2. Les nullités de mariage

A. Notions générales

La validité du mariage en tant qu’acte juridique créant le lien matrimonial est soumise à des conditions de fond et de forme précises. L’absence d’une de ces conditions constitue un empêchement à mariage, c’est-à-dire un obstacle légal à la conclusion d’un mariage valable. La gravité de ces empêchements peut toutefois varier. - Les empêchements les moins graves étaient classiquement appelés prohibitifs : l’officier

de l’état civil ne peut célébrer le mariage s’il en a connaissance mais, si le mariage est malgré tout célébré par ignorance ou même sciemment, il ne pourra pas être ultérieurement annulé. Des empêchements prohibitifs, tels qu’ils avaient été conçus dans le Code Napoléon, il ne subsistait plus jusque récemment que l’opposition à mariage, qui a néanmoins été supprimée par la loi du 19 février 2009 (cfr supra). Il n’en reste pas moins que certaines nullités étant considérées comme facultatives pour le juge (cfr infra), les empêchements à mariage sanctionnés d’une nullité facultative n’entraînent pas nécessairement la nullité du mariage, et, quand tel est le cas, n’ont qu’un effet prohibitif.

- Les empêchements les plus graves sont dits dirimants : leur violation lorsque le juge a été

régulièrement saisi d’une action en nullité, entraîne la nullité du mariage célébré, sous réserve de distinction à opérer entre les différents types de nullité de mariage.

Certains empêchements dirimants (ex. âge, parenté ou alliance) sont susceptibles de dispenses dans les cas et aux conditions prévus par la loi. Les dispenses doivent obligatoirement être obtenues avant la célébration du mariage. Obtenues a posteriori, elles ne peuvent avoir pour effet de valider un mariage célébré au mépris de l’empêchement.

B. Les différents types de nullité de mariage On distingue plusieurs sortes de nullité : - Les nullités absolues (imprescriptibles et susceptibles en principe d’être invoquées par

tout intéressé y compris le ministère public, en raison du caractère d’ordre public de l’empêchement) et les nullités relatives (prescriptibles et ne pouvant être invoquées que par les intéressés eux-mêmes car elles ne concernent que des intérêts privés, susceptibles de confirmation). Cette distinction n’est cependant pas, en matière de mariage, aussi radicale. En effet, certaines nullités dites absolues ne peuvent pas être invoquées par tout intéressé ou sont prescriptibles. Par contre, l’article 193bis du Code civil prévoit

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expressément que le ministère public peut se porter partie intervenante dans toute action en nullité – y compris relative – de mariage, en raison du caractère d’ordre public général de la matière.

- Les nullités textuelles (expressément prévues par une disposition légale) et les nullités

virtuelles (qui ne sont pas prévues par un texte mais qui sont admises en raison de la gravité de l’empêchement).

- Les nullités obligatoires (que le juge est tenu de prononcer lorsqu’il constate l’absence

d’une condition de validité du mariage) et les nullités facultatives (laissées à l’appréciation du juge). Ces dernières ont été dégagées par la doctrine et la jurisprudence à partir de la lecture qu’elles ont faite des articles 191 à 193 du Code civil. Pour les vices de forme spécifiquement visés par ces trois dispositions légales, le juge dispose en effet d’un pouvoir d’appréciation quant à leur sanction.

1. Les nullités absolues (art. 184 à 190 C. civ.)

a) Les nullités textuelles Parmi les causes de nullité absolue, figurent trois empêchements objectifs du mariage : l’absence de la condition d’âge (art. 144 et 145), la bigamie (art. 147) et l’inceste (art. 161 à 163 et art. 341 et 353-13). Il s’agit de nullités textuelles car elles sont expressément prévues à l’article 184 du Code civil. La loi du 4 mai 1999 modifiant certaines dispositions relatives au mariage a prévu une cause supplémentaire de nullité textuelle expressément visée à l’article 184 du Code civil, à savoir la simulation aux fins d’obtention d’un avantage en matière de séjour, qui auparavant était une cause de nullité virtuelle de mariage (art. 146bis). Par ailleurs, la récente loi du 25 avril 2007 a transformé le vice de violence en une cause de nullité absolue du mariage, en manière telle qu’il est désormais aussi fait référence au nouvel article 146ter du Code civil dans l’article 184 du Code civil. Dans chacune de ces cinq hypothèses, le mariage pourra être attaqué soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt soit par le ministère public. Toutefois, les articles 185 à 190 apportent diverses restrictions au caractère absolu de ces actions en nullité. En ce qui concerne l’action en nullité fondée sur l’absence de dispense d’âge, elle ne pourra plus être intentée lorsqu’il s’est écoulé 6 mois depuis que l’époux ou les époux qui ont contracté sans avoir obtenu de dispense d’âge du tribunal de la jeunesse ont atteint l’âge de 18 ans (article 185 C. civ.). Le droit d’agir en nullité du mariage est attribué au ministère public mais uniquement du vivant des deux époux (article 190 C. civ.).

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Les collatéraux ainsi que les enfants qui ne sont pas nés du mariage en cause ne peuvent, du vivant des deux époux, demander la nullité que lorsqu’ils y ont un intérêt né et actuel (art. 187 C. civ.), c’est-à-dire un intérêt pécuniaire, généralement un intérêt successoral, puisque la nullité du mariage ferait, en principe, sous la réserve de l’application de la théorie du mariage putatif, perdre au conjoint survivant le bénéfice de ses droits successoraux, en manière telle que les enfants ou les collatéraux du conjoint prédécédé pourraient alors recueillir l’intégralité de leurs propres droits successoraux. Malgré la manière – à vrai dire peu claire – dont le texte est rédigé, la doctrine s’accorde pour reconnaître que les termes « du vivant des époux » ne seraient qu’énonciatifs, en manière telle que si les demandeurs en nullité invoquaient, avant le décès d’un des époux, un intérêt pécuniaire né et actuel, c’est-à-dire autre que successoral, la demande serait recevable. b) Les nullités virtuelles Les hypothèses de nullités virtuelles – ou nullités sans texte – absolues sont les suivantes : l’aliénation mentale d’un conjoint, la simulation, sauf l’hypothèse désormais instituée par la loi du 4 mai 1999, et le défaut de célébration devant un officier de l’état civil. Avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 février 2003, un mariage contracté par deux personnes de même sexe était également frappé par une nullité virtuelle, car le Code civil n’avait pas songé à prévoir cette situation qui, au demeurant, ne se présentait pas, car les officiers de l’état civil refusaient évidemment de célébrer de tels mariages. 1) En ce qui concerne l’aliénation mentale, la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 mai

1958 (Pas., 1958, I, 1069) a décidé, en l’absence d’un texte prévoyant expressément la nullité d’un tel mariage, de se référer aux termes de l’article 146 du Code civil, en considérant qu’on se trouvait, lorsqu’un mariage avait été contracté par un aliéné mental, dans une situation d’ « absence de consentement », avec la conséquence que « pareille absence de tout consentement – élément essentiel du mariage – entraîne, par application de l’article 146, la nullité absolue ». La nullité du mariage peut alors être sollicitée par toute personne intéressée, y compris le conjoint du malade mental.

Cette solution a été critiquée par la doctrine – tout en étant suivie par la jurisprudence – au motif qu’elle donne une portée aux termes de l’article 146 du Code civil qu’ils n’ont manifestement pas et qu’elle est contraire au texte de l’article 184 du Code civil qui ne renvoie pas à l’article 146 du Code civil. De plus, il n’y a pas lieu de s’interroger, dans l’hypothèse d’un aliéné mental ayant contracté mariage, sur la prétendue « absence» ou inexistence du consentement donné par la personne aliénée – puisque ce consentement a été donné et constaté par l’officier de l’état civil – mais bien sur sa valeur ou sa signification. Enfin, cette solution est incompatible avec la solution exprimée par la même Cour de cassation, dans son arrêt du 21 février 1895 (voy. supra), à propos de l’interdit, car un tel mariage est, en application de l’article 502 du Code civil, sanctionné par la nullité relative. On voit mal comment on peut justifier qu’un mariage contracté par un dément placé sous un régime d’incapacité ne pourrait être annulé qu’à la seule demande de ce dément (ou de son représentant légal), alors qu’un mariage contracté par un dément qui n’aurait pas (encore) été placé sous un régime d’incapacité pourrait être annulé à la demande de tout intéressé.

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Dans son Précis de droit des personnes (T. II, Les relations familiales, Larcier, Bruxelles, 1971, p. 369, n° 1437 et s.), le professeur RIGAUX avait dès lors proposé de considérer l’aliénation mentale comme une cause de nullité textuelle et relative, qui procéderait d’une lecture non littérale de l’article 180 al. 1 du Code civil et qui ne pourrait donc être invoquée que par l’aliéné. Mais il proposait aussi de laisser au conjoint de l’aliéné mental la possibilité de solliciter lui-même l’annulation du mariage s’il avait, lors de la célébration du mariage, ignoré l’existence de la maladie mentale de son conjoint, en faisant désormais de l’erreur sur les qualités substantielles de la personne une cause de nullité du mariage et en abandonnant par conséquent la signification trop rigide de la notion d’ « erreur dans la personne » retenue par la Cour de cassation. Entretemps, force est néanmoins de constater que la loi du 15 mai 2007 a supprimé l’article 180 al. 1 du Code civil.

2) L’hypothèse de la simulation n’avait pas non plus été expressément envisagée dans le

Code Napoléon. Elle a constitué une création de la jurisprudence qui a admis la nullité absolue du mariage simulé, sans chercher à fonder cette solution sur une disposition particulière.

On pourrait en réalité considérer qu’il s’agit d’une nullité justifiée par le caractère frauduleux d’un mariage contracté d’une manière qui porte atteinte à notre ordre public.

Avant d’admettre la nullité d’un mariage pour cause de simulation, les cours et tribunaux exigent une preuve certaine de la volonté réelle des époux, lors de la célébration de leur mariage, de ne pas contracter un véritable mariage, c’est-à-dire d’exclure une véritable communauté de vie.

Depuis la loi du 4 mai 1999, la simulation n’est par ailleurs plus une cause de nullité virtuelle lorsque la fraude a consisté à vouloir obtenir un avantage en matière de séjours des étrangers (voy. supra).

3) Le défaut de célébration devant un officier de l’état civil suppose que le mariage a été

célébré en Belgique par une personne qui n’avait pas qualité pour remplir cette fonction (par exemple, un prêtre, un rabbin). Il y a lieu de ne pas confondre cette hypothèse, qui donne lieu à une nullité absolue obligatoire avec celle de l’incompétence territoriale de l’officier de l’état civil, qui donne lieu à une nullité absolue facultative.

c) Les nullités facultatives L’article 191 du Code civil — dont le texte a été adapté par la loi du 4 mai 1999 — stipule que le mariage qui n’a pas été célébré publiquement ou qui n’a pas été célébré devant l’officier de l’état civil territorialement compétent ou dont la déclaration préalable n’a pas été faite conformément à l’article 63 du Code civil, peut être attaqué par les époux eux-mêmes, par les père et mère, par les ascendants et par tous ceux qui y ont un intérêt né et actuel, ainsi que par le ministère public. L’article 192 du Code civil dont le texte a été adapté tant par la loi du 4 mai 1999 que par une loi complémentaire du 1er mars 2000 prévoit par contre des peines d’amende à charge de l’officier de l’état civil en cas de défaut de déclaration ou de non respect du délai prévu entre la déclaration et la célébration.

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Mais cette disposition doit au surplus être complétée par l’article 193 du Code civil — dont le texte a aussi été adapté tant par la loi du 4 mai 1999 que par la loi complémentaire du 1er mars 2000 — qui précise que les peines prononcées par l’article précédent seront encourues par les personnes qui y sont désignées, pour toute contravention aux règles prescrites par l’article 166 du Code civil, « lors même que ces contraventions ne seraient pas jugées suffisantes pour faire prononcer la nullité du mariage ». Or l’article 166 du Code civil est la disposition légale qui énonce les deux conditions de validité de forme du mariage que sont le caractère public de la célébration et l’autorité territorialement compétente. Il résulte dès lors expressément du texte de l’article 193 du Code civil que le non respect de ces deux conditions de forme du mariage — même si l’article 191 du Code civil ouvre apparemment très largement la possibilité de solliciter dans ces deux hypothèses la nullité du mariage — n’est pas nécessairement sanctionné par une telle nullité. La jurisprudence en a déduit l’existence d’un pouvoir d’appréciation du juge qui dispose donc de la faculté de décider, en fonction de la transgression commise, s’il y a lieu ou non de prononcer la nullité du mariage. En pratique, la nullité ne sera prononcée que si le mariage est clandestin, c’est-à-dire si les époux ont, en transgressant volontairement une condition de forme du mariage, eu l’intention de dissimuler leur union dans un but de fraude. Si le vice de clandestinité est établi, il donne lieu à une nullité absolue qui peut être demandée par toutes les personnes visées à l’article 191 du Code civil. Toutefois, l’article 196 du Code civil prévoit que les époux eux-mêmes sont irrecevables à poursuivre l’annulation de leur mariage pour vice de forme lorsqu’ils ont une possession d’état conforme à leur acte de mariage.

2. Les nullités relatives a) L’erreur dans la personne (articles 180 et 181 C. civ.) Les vices qui peuvent entacher le consentement au mariage sont la violence et l’erreur. La violence, qui donnait lieu à une nullité relative, est devenue, depuis la loi du 25 avril 2007, une cause de nullité absolue de mariage. Le législateur a supprimé dès lors l’article 180 al. 1 du Code Napoléon. Ne subsiste plus que l’ancien article 180 al. 2 devenu 180. En cas d’erreur dans la personne, seul l’époux dont le consentement a été vicié pourra demander l’annulation du mariage sur cette base. On a généralement considéré, par référence au régime de droit commun de la nullité relative des actes juridiques patrimoniaux (art. 1304 C. civ.), que le délai de prescription de cette action en nullité est de dix ans à compter du jour où l’erreur a été découverte. Toutefois, l’action en nullité n’est plus recevable s’il y a eu cohabitation continuée pendant 6 mois depuis que l’époux a acquis sa pleine liberté ou que l’erreur a été par lui reconnue.

b) Le défaut de capacité juridique de l’interdit judiciaire (et par analogie du mineur prolongé)

La Cour de cassation, dans son arrêt du 21 février 1895 (voy. supra), avait estimé que le mariage conclu par un interdit judiciaire est nul de droit, conformément au principe applicable

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à tous les actes juridiques accomplis par un interdit. Il s’agit, conformément à l’article 502 du Code civil, d’une nullité relative, protectrice de la personne du malade mental dont seul le représentant légal peut demander l’annulation du mariage. L’action se prescrit par dix ans.

C. Effets de la nullité 1. Caractère déclaratif de la décision de nullité Le jugement ou l’arrêt prononçant la nullité du mariage a un caractère déclaratif. Il a dès lors pour effet d’effacer rétroactivement le mariage, sous réserve du bénéfice du mariage putatif. 2. Théorie du mariage putatif (art. 201 et 202 C. civ.) La théorie du mariage putatif suppose que le mariage soit annulé mais qu’en raison de la bonne foi de l’un ou des deux époux ayant cru contracter un mariage valable qui est en réalité entaché d’un vice, certains effets de l’union déclarée nulle soient maintenus au profit du ou des époux de bonne foi et des enfants. Deux conditions doivent être remplies pour qu’un époux puisse se prévaloir du caractère putatif du mariage : la bonne foi alléguée et prouvée d’au moins un époux ainsi que la production d’un acte de célébration ou, à tout le moins, la preuve du respect de certaines formes lors de l’échange des consentements. Comme la Cour d’appel de Mons (Mons, 19 mai 1998, J.T., 1998, p. 599) l’a décidé dans une situation tout à fait particulière où un homme, qui vivait depuis 15 ans avec sa compagne, avait organisé une cérémonie de mariage sur un navire et prétendument contracté mariage avec elle devant le commandant de bord, il n’y a sans doute pas lieu à prononcer la nullité d’un mariage lorsqu’il n’y a eu aucune forme ou apparence de célébration, mais, dans le cas contraire, il y a bien une « apparence » qu’il faut détruire, et la question qui se pose n’est donc pas celle de l’inexistence du mariage mais de sa nullité, avec pour conséquence que l’époux de bonne foi pourra invoquer à son profit la théorie du mariage putatif. Saisie ultérieurement dans la même procédure, la Cour de cassation a exprimé une solution identique (Cass., 12 décembre 2003, Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 978). Le mariage putatif ne produit ses effets qu’à l’égard du ou des époux qui a pu prouver sa bonne foi. Ses effets sont limités dans le temps : le mariage déclaré nul ne produira plus d’effets pour l’avenir mais les droits acquis par l’époux de bonne foi durant le mariage, au lieu de disparaître rétroactivement, sont maintenus jusqu’à la date où la décision d’annulation acquiert force de chose jugée (voy. Cass., 28 octobre 1966, Pas., 1967, I, 277). Il en résulte, par exemple, que le conjoint survivant de bonne foi ne pourra revendiquer le bénéfice des droits successoraux qui procèdent du mariage qu’à la condition que l’annulation de mariage soit survenue après le décès du conjoint. Le conjoint de bonne foi conserve également le droit de réclamer et/ou de conserver une pension alimentaire fondée sur l’article 213 du Code civil jusqu’au jour où la décision d’annulation acquiert force de chose jugé, sans avoir toutefois un droit acquis à l’obligation de secours entre époux pour la période postérieure à cette date.

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Depuis la loi du 31 mars 1987, la condition de bonne foi d’au moins un époux n’est plus exigée en ce qui concerne les enfants. Dans tous les cas, ceux-ci conserveront, pour le passé comme pour l’avenir, leur double filiation avec tous les effets qui en découlent, quel que soit le vice entachant le mariage de leurs parents (inceste, bigamie). SECTION V – LA PREUVE DE LA CONCLUSION DU MARIAGE (art. 46 et 194 à 200 C. civ.) § 1. Le principe La preuve de la conclusion du mariage – c’est-à-dire la preuve de l’échange formel des consentements qui est une question de fait et non la détermination de la validité du mariage qui est une question de droit – ne peut en principe être rapportée que par la production de l’acte de célébration inscrit sur les registres de l’état civil (art. 194 C. civ.). A ce principe, trois exceptions légales sont toutefois apportées.

§ 2. Les exceptions

A. La destruction, la disparition ou l’omission des registres (article 46 C. civ.)

Lorsqu’il n’existe pas de registres, qu’ils ont été détruits ou perdus, la preuve de la conclusion du mariage pourra, conformément à une règle générale applicable à tous les actes de l’état civil, être rapportée tant par titres que par témoins dans le cadre d’une action en reconstitution d’un acte d’état civil. Il y a lieu de rapporter la preuve de la destruction, de la disparition ou de l’omission des registres ainsi que le fait de la célébration du mariage devant l’officier de l’état civil. Le jugement constatant ces faits tiendra lieu d’acte de mariage et devra être transcrit dans les registres de l’état civil.

B. La preuve de la célébration du mariage acquise par le résultat d’une procédure criminelle (articles 198 à 200 C. civ.)

Cette exception vise l’hypothèse rare où un acte de mariage aurait été omis ou détruit volontairement soit par l’officier de l’état civil soit par un tiers. Le jugement pénal constatant cette infraction devra être transcrit dans les registres de l’état civil et fera preuve de la célébration du mariage.

C. La preuve de la conclusion du mariage comme élément de preuve de la filiation dans le mariage (art. 197 du Code civil)

Est visé le cas de l’enfant, né de parents mariés mais tous deux décédés, qui est dans l’impossibilité de produire l’acte de mariage de ses parents afin de prouver sa naissance dans

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le mariage si celle-ci était contestée. Outre la preuve du décès de ses parents, l’enfant devra apporter la preuve de la possession d’état d’époux de ses parents, la preuve de la possession d’état d’enfant à l’égard de ses père et mère et le fait que cette possession d’état n’est pas contredite par les mentions de son acte de naissance. La preuve de ces différents éléments ne constitue pas une preuve irréfragable de la conclusion du mariage mais une preuve suffisante qui peut être combattue par toutes voies de droit. Cette disposition, qui date du Code Napoléon mais qui a été maintenue dans notre Code par la loi du 31 mars 1987 ayant réformé le droit de la filiation, avait toute son importance lorsque la qualité d’enfant légitime – né dans le mariage de ses parents – conditionnait un ensemble de droits conférés à un enfant et, notamment, ses droits successoraux.

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CHAPITRE III LES EFFETS PERSONNELS DU MARIAGE

§ 1. Notions générales On sait qu’il y a lieu de distinguer, parmi les effets du mariage : - les effets personnels qui portent sur les relations dites « personnelles » et organisent les

droits et obligations personnels au sein du couple marié ; - les effets patrimoniaux qui portent sur les relations patrimoniales et organisent les droits et

obligations patrimoniaux : ces effets patrimoniaux constituent ce qu’on appelle classiquement le « régime matrimonial » des époux : régime primaire et régime secondaire.

Compte tenu de la classification adoptée par le Code civil qui réglemente, en son Livre I, les personnes, et en ses Livres II et III, les droits patrimoniaux, on peut comprendre que le législateur ait a priori classé dans le Livre I, sous le titre consacré au mariage, les effets personnels du mariage, et, dans le Livre III, sous le titre consacré aux régimes matrimoniaux, les effets patrimoniaux. Mais, en réalité, le législateur a aussi classé dans le Livre I du Code civil, sous le titre consacré au mariage et sous le chapitre intitulé « Des droits et devoirs respectifs des époux » (art. 212 à 224 C. civ.), un certain nombre de dispositions relatives aux effets patrimoniaux du mariage. Ce sont les dispositions qui sont considérées comme les règles de base de l’organisation patrimoniale du mariage, et qui, comme les effets personnels, sont dès lors applicables aux époux «par le seul fait du mariage » (art. 212 C. civ.). Ces dispositions patrimoniales sont donc impératives et, elles sont, à ce titre, qualifiées de « régime matrimonial primaire », à la différence des règles inscrites dans le Titre V du Livre III du Code civil consacré aux régimes matrimoniaux secondaires qui sont, en principe, supplétives, puisque les époux sont libres de choisir leur régime matrimonial secondaire. Il n’est, à vrai dire, pas toujours facile de distinguer, dans les articles 212 à 224 du Code civil, ce qui relève précisément des seuls effets personnels ou des seuls effets patrimoniaux du mariage. Le législateur y a en effet mêlé, sans chercher à procéder à une distinction rigide, les dispositions qui organisent tant les effets personnels du mariage que le régime matrimonial primaire des époux.

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Il reste cependant classique de distinguer, dans l’enseignement du droit de la famille, les effets personnels du mariage – qui constitueront l’objet de ce chapitre – et les effets patrimoniaux du mariage – qui constitueront l’objet du Titre III du cours consacré aux régimes matrimoniaux. Il n’est pas facile non plus de qualifier la nature exacte des dispositions contenues dans les articles 212 à 224 du Code civil. S’il n’est pas contesté que ces dispositions sont impératives, au sens où les époux n’ont pas la possibilité de les évincer lors de la conclusion de leur mariage et ils s’y trouvent donc soumis de plein droit, une partie de la doctrine a longtemps soutenu qu’elles seraient au surplus « d’ordre public », au sens où elles ne laisseraient jamais la place à une quelconque autonomie d’appréciation des époux et où le juge devrait d’office soulever, à raison des exigences de l’intérêt collectif, la nullité de toute convention ou de tout accord par lequel les époux auraient estimé pouvoir exercer une telle autonomie. D’aucuns préféraient néanmoins réserver ce caractère d’ordre public des règles définissant les droits et devoirs des époux aux seuls effets personnels du mariage. C’est que, traditionnellement, ce sont les droits personnels qui ont généralement été considérés comme indisponibles et c’est l’engagement personnel des époux dans le mariage qui avait jusqu’à présent été perçu comme un engagement pris non seulement à l’égard de son conjoint mais aussi à l’égard de la société et des enfants à naître du mariage. Cet engagement personnel n’était dès lors pas laissé à la disposition ou à la discrétion des époux, et l’on en inférait qu’il ne leur était dès lors pas loisible, même d’un commun accord, de se dispenser eux-mêmes de l’exécution de leurs obligations ou de les moduler eux-mêmes à leur guise. On observera effectivement qu’en ce qui concerne plusieurs dispositions de nature patrimoniale contenues dans les articles 212 à 224 du Code civil, la loi du 14 juillet 1976 a, lorsqu’elle a déterminé la sanction qui s’attache à la violation par un des époux de ces dispositions, expressément organisé un régime de nullité relative (voir le texte de l’article 224 § 1 et § 2 du Code civil). Or une nullité relative sanctionne, comme on le sait, la protection d’intérêts privés. Il n’est donc certainement pas correct de qualifier ces dispositions spécifiques comme étant d’ordre public. On pourrait éventuellement voir là la trace d’une distinction qui devrait ainsi être opérée entre la nature juridique des effets personnels ou des effets patrimoniaux du mariage. Toutefois, en ce qui concerne les effets personnels, force est aussi de reconnaître que la privatisation progressive du lien du couple, dans le contexte socio-politique de la désinstitutionnalisation et de l’individualisation des relations familiales, a amené à se poser la question de savoir si les dispositions qui réglementent les droits et devoirs des époux ne sont pas, dans leur ensemble, des règles destinées à protéger les intérêts privés des époux – dans leurs relations réciproques – plutôt qu’à satisfaire les exigences de l’intérêt collectif. Il devient donc plus difficilement concevable, à l’heure actuelle, d’affirmer que les époux, dans un domaine qui est perçu comme relevant de leur intimité et de leur vie privée, seraient privés de toute autonomie quelconque dans la mise en œuvre de leurs droits et obligations, pour la raison que ce serait la société qui, dans son propre intérêt, exigerait d’eux qu’ils se comportent selon les prescriptions définies dans les articles 212 à 224 du Code civil.

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C’est en ce sens que la Cour de cassation paraît s’être définitivement prononcée à propos du devoir de fidélité, dans ses deux arrêts des 1er février 1989 et 15 février 1990, déjà commentés supra (p. 13), qui ont admis que le partenaire survivant d’une relation de couple nouée avec un homme ou une femme marié prédécédé dans un accident pouvait solliciter du tiers responsable de cet accident la réparation du préjudice moral ou matériel qui lui avait été infligé, parce que « si l’époux que se prétend offensé peut se prévaloir du caractère illicite des relations entretenues par son conjoint, il n’appartient pas à l’auteur responsable du décès de celui-ci de faire valoir cet élément pour se soustraire aux conséquences civiles de sa faute » (arrêt de 1989) ou parce que « l’auteur responsable d’un homicide ne saurait être admis à se prévaloir du caractère illicite d’un adultère, c’est-à-dire d’un état de fait qui touche à la vie privée de la partie adverse » (arrêt de 1990). C’était, en d’autres termes, affirmer que le respect du devoir de fidélité entre époux relevait de leur « domaine privé » et que le choix effectué par un des époux de cohabiter avec une autre personne que son conjoint ne portait plus atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs. En tout état de cause, il convient de rappeler que la notion d’ordre public est une notion évolutive et fonctionnelle, en manière telle que c’est au cas par cas qu’il y a lieu de déterminer si tel ou tel accord conclu par les époux serait éventuellement contraire à l’ordre public ou si un tiers ou le juge peuvent soulever eux-mêmes le caractère éventuellement d’ordre public des droits et devoirs des époux . § 2. Considérations historiques En ne perdant pas de vue le contexte socio-politique des évolutions qui ont affecté la réglementation juridique des effets du mariage, on veillera à rappeler, pour la bonne compréhension du contenu du droit positif actuel, les différentes réformes législatives successives qui ont conduit à l’élaboration du texte des articles 212 à 224 du Code civil. Ces réformes portaient généralement aussi bien sur les effets personnels que sur les effets patrimoniaux impératifs du mariage, en raison du lien étroit qui existe entre ces deux types de dispositions.

A. Code Napoléon Les dispositions du Code Napoléon constituaient la traduction en termes juridiques d’une représentation strictement hiérarchisée de la famille créée par le mariage. Celle-ci était en effet soumise au pouvoir de direction du mari. Les caractéristiques juridiques de ces dispositions étaient dès lors les suivantes :

- statut d’ordre public des droits et devoirs du mariage - fidélité, secours et assistance - puissance maritale - devoir d’obéissance de l’épouse - incapacité de la femme mariée - devoir d’entretien du mari

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B. Loi du 20 juillet 1932

Cette première loi « féministe » - sans rompre avec le principe de l’inégalité entre les époux – instituait certaines dispositions protectrices des droits et intérêts de l’épouse : - délégation dite de « salaire » : possibilité pour l’épouse d’obtenir le paiement entre ses

mains par le patron de son mari d’une partie de son salaire - possibilité pour le président du tribunal d’ordonner, en cas de manquement grave d’un des

époux (du mari) à ses devoirs, des mesures urgentes et provisoires protectrices de la personne ou des biens du conjoint et des enfants

- biens « réservés » de la femme mariée : capacité spéciale reconnue à la femme mariée

d’administrer ses biens réservés, c’est-à-dire ses effets personnels, les produits de son travail et les économies provenant des produits de son travail.

C. Loi du 30 avril 1958 La loi du 30 avril 1958 consacre le principe de l’égalité fondamentale de l’homme et de la femme dans le mariage. En conséquence, elle abolit la puissance maritale, le devoir d’obéissance de l’épouse, l’incapacité de la femme mariée… Parallèlement, elle institue un recours plus généralisé au juge en cas de conflit au sein du ménage : litige relatif au choix de la résidence conjugale, litige relatif au choix par chaque conjoint de sa profession, extension de la délégation dite de « salaire » à la délégation dite de « sommes ». L’autonomie juridique désormais reconnue à la femme se double ainsi d’un pouvoir accru d’intervention attribué au juge. Par contre, faute de temps, le législateur ne parvient pas encore, lors de la loi du 30 avril 1958, à traduire le principe de l’égalité de l’homme et de la femme dans une réforme des régimes matrimoniaux secondaires (voy. Syllabus IV).

D. Loi du 14 juillet 1976 Après presque vingt ans de travaux parlementaires, la loi du 14 juillet 1976 réalise la réforme complète des régimes matrimoniaux secondaires qui sont désormais adaptés au principe d’égalité entre l’homme et la femme. Le temps qui s’est écoulé depuis la loi du 30 avril 1958 amène par ailleurs le législateur à réformer aussi – et dès lors à réécrire complètement – les dispositions applicables aux droits et devoirs des époux.

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Les traits essentiels de cette partie de la loi du 14 juillet 1976 peuvent être décrits de la manière suivante :

- affirmation plus catégorique de l’autonomie personnelle et patrimoniale des époux

mais, aussi, renforcement des mécanismes juridiques de solidarité au profit des époux et, plus généralement, du « ménage »

- généralisation du recours au juge

- prise en compte de la situation de mésentente entre les époux (sans référence à la

notion traditionnelle de faute ou de manquements graves) dans l’article 223 al. 2 du Code civil.

§ 3. La réglementation juridique des relations personnelles entre les époux L’analyse des règles de fond qui déterminent les droits et devoirs personnels des époux laisse apparaître, comme pour les relations patrimoniales, que le législateur a cherché tantôt à préserver l’autonomie de chacun des époux (et plus particulièrement de la femme, en rupture avec les règles, les pratiques et les mentalités antérieures), tantôt à organiser des mécanismes de solidarité entre les époux. Ces deux valeurs – qui peuvent paraître antagonistes – configurent la représentation symbolique du mariage – mais on pourrait dire plus fondamentalement du couple – dans la société contemporaine (« libres ensemble »).

A. L’autonomie On retiendra essentiellement les dispositions relatives au nom et à l’exercice d’une profession. 1. Le nom Chacun des époux conserve son nom après le mariage, même s’il est ou a été d’usage qu’une femme mariée porte le nom de son époux. L’article 216 § 2 du Code civil prévoit par ailleurs qu’aucun des époux ne peut user du nom de son conjoint dans ses relations professionnelles qu’avec l’accord de celui-ci. Chaque époux conserve donc aussi après le mariage la faculté de déterminer lui-même s’il donnera ou non son accord à l’utilisation par son conjoint de son nom dans ses relations professionnelles, soit en l’adjoignant à son propre nom, soit même en le substituant à son propre nom. Une fois donné, cet accord ne pourra par contre être retiré que pour motifs graves et l’article 216 § 2 alinéa 2 du Code civil ouvre un recours devant le tribunal de première instance (et en cas d’urgence devant le président de ce tribunal) à l’époux auquel le conjoint aurait retiré, sans motifs graves, le droit d’user de son nom dans ses relations professionnelles.

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2. L’exercice d’une profession

- L'article 216 § 1 al. 1 du Code civil consacre le droit pour chaque époux de choisir et d'exercer une profession sans devoir solliciter préalablement l'accord du conjoint. Cette règle protège la personne de chaque époux vis-à-vis des éventuelles exigences de son conjoint. Elle a également des incidences patrimoniales, dans la mesure où chaque époux est, en principe, libre de choisir et d'exercer la profession qui lui paraît convenable, même si l'exercice de cette profession entraîne certaines conséquences d'ordre financier ou patrimonial pour le ménage (voy. infra). Le caractère impératif de cette règle - voire d'ordre public, parce que cette règle protège un droit fondamental de la personne humaine - empêche les époux, dans leur contrat de mariage ou même dans un pacte conclu pendant le mariage, de conclure tout accord par lequel ils restreindraient leur liberté d'exercice d'une profession, soit parce qu'ils conviendraient qu'un d'entre eux ne pourrait pas exercer d'activité professionnelle ou qu'il ne pourrait pas entreprendre telle ou telle activité professionnelle, soit parce qu'ils clicheraient les rôles respectifs de chacun des époux en réservant à l'un d'entre eux l'exercice d'une activité professionnelle et en confinant l'autre dans l'accomplissement des tâches ménagères. Un tel accord n'aurait aucune valeur et ne pourrait pas engager les époux l'un par rapport à l'autre. - Par contre, l’article 216 § 1 alinéa 2 du Code civil permet à un des époux d'exercer un recours devant le tribunal de première instance (et en cas d’urgence, devant le président de ce tribunal) contre le choix opéré par l'autre époux d'une profession, s'il estime que cette activité professionnelle est de nature à porter un préjudice sérieux à ses intérêts moraux ou matériels ou à ceux des enfants mineurs. Le tribunal peut subordonner l'exercice d'une profession par un des conjoints à un changement du régime matrimonial des époux (voy. infra). Ce recours n’existe toutefois pas en ce qui concerne l’exercice de mandats publics, c’est-à-dire les mandants d’ordre politique résultant d’une élection, pour que ni le conjoint ni le juge ne puisse tenir en échec la volonté du corps électoral. Par contre, les fonctions politiques non électives (ministre, gouverneur de province, bourgmestre) ou les fonctions dans diverses administrations n’entrent pas dans le cadre de l’exception.

B. La solidarité Les effets personnels du mariage – qui sont ceux qui expriment le plus intensément la solidarité à laquelle les époux se sont engagés – peuvent être résumés dans les quatre mots contenus à l’article 213 du Code civil qui sont encore presque textuellement reproduits du Code Napoléon :

- cohabitation - fidélité - secours et assistance

Si les mots n’ont pas changé, leur sens et leur portée ne peuvent cependant être compris et interprétés qu’à la lumière tout à la fois de l’évolution considérable des valeurs et des mentalités qui a affecté la représentation du couple dans la société contemporaine et tout à la

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fois des réformes opérées par le législateur lui-même et, plus particulièrement, de la loi du 27 avril 2007 réformant le divorce. On doit dès lors nécessairement s’interroger, aujourd’hui, sur le contenu exact de chacun des concepts et, surtout, sur ce qui, pour chacun de ces « devoirs », peut être considéré comme circonscrit dans le domaine de la règle de droit contraignante ou, au contraire, comme relevant du champ de l’amour, qui, par essence, ne peut être que libre et spontané.

1. La cohabitation

1. C’est en principe le devoir d’habiter et de vivre ensemble, c’est-à-dire, selon la conception classique, de partager le même toit et le même lit.

2. Le devoir de cohabitation suppose donc que les époux fassent choix d’une résidence

commune.

C’est pourquoi l’article 214 du Code civil organise un recours devant le juge de paix lorsque les époux ne s’accordent pas sur le choix de la résidence conjugale. Le juge de paix doit trancher « dans l’intérêt de la famille ».

Cette disposition est particulièrement théorique, car on imagine de plus en plus difficilement, à l’heure actuelle, que les époux puissent concevoir de s’en référer à un juge pour que celui-ci détermine, en leur lieu et place, parce qu’ils ne parviendraient pas à se mettre d’accord, l’habitation où ils résideront.

En réalité, le texte de l’article 214 du Code civil ne s’explique que par l’histoire. Ce texte a, lors de la promulgation de la loi du 30 avril 1958, remplacé la vieille disposition du Code Napoléon qui prévoyait que la résidence conjugale était fixée par le mari. Lorsque le législateur a supprimé la puissance maritale et posé le principe selon lequel la résidence conjugale était désormais fixée de commun accord entre les époux, il a cru qu’il serait utile de prévoir une disposition complémentaire pour l’hypothèse du désaccord entre les époux.

Cette manière de raisonner du législateur de l’époque était précisément significative d’un autre contexte socio-culturel où la relation de couple au sein du mariage était encore perçue comme, par essence, indisponible.

3. Jusqu’à la loi du 27 avril 2007 réformant le divorce, on considérait que la « cohabitation » constituait pour chacun des époux, à partir du jour de la célébration du mariage, une obligation juridique contraignante.

On était légalement « tenu» de continuer à vivre ensemble à la résidence conjugale. On était même « tenu » d’y accomplir le « devoir conjugal ». C’est que, conformément à la perspective traditionnelle, le mariage, en raison des fonctions sociales auxquelles il était affecté et des garanties affectives et économiques qu’il devait assurer à chacun des conjoints et aux enfants du couple, impliquait que chacun des deux époux soit juridiquement tenu de perpétuer la vie conjugale et familiale, avec les enfants du couple, à la résidence conjugale.

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Sans doute, n’avait-on pas admis que le devoir de cohabitation fut susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée en nature, et on n’admettait pas non plus, en droit belge, qu’il pouvait se prêter à une exécution par équivalent, sous la forme de dommages et intérêts pour inexécution fautive. Mais l’obligation juridique de cohabitation était sanctionnée de deux manières différentes. D’une part, la jurisprudence confortée par plusieurs arrêts de la Cour de cassation avait posé le principe que le devoir de secours entre époux et l’obligation de contribuer aux charges du mariage devaient, en principe, en raison précisément de l’obligation de cohabitation, s’exécuter en nature à la résidence conjugale, en manière telle que, lorsque les époux s’étaient séparés, l’époux qui s’était soustrait sans raison contraignante à l’exécution du devoir de cohabitation ne pouvait plus revendiquer à son profit l’exécution du devoir de secours ou de contribuer aux charges du mariage, ou, en d’autres termes, l’époux séparé de fait qui entendait réclamer une pension alimentaire ou une délégation de sommes devait établir que la séparation était imputable à la faute de son conjoint 19. Cette solution avait encore été expressément été rappelée par un arrêt de la Cour de cassation du 22 décembre 2006 (Rev. trim. dr. fam., 2007, p. 452, note N. Dandoy) qui en avait même fait application au cours d’une instance en divorce (voy. infra, p.62). D’autre part, la rupture par un des époux du devoir de cohabitation pouvait être sanctionnée par un divorce prononcé à ses torts. Sans doute, avait-on cessé de considérer, comme on l’avait longtemps enseigné, que l’époux qui quittait ou qui « abandonnait » le domicile conjugal se mettait automatiquement « dans ses torts ». Les cours et tribunaux avaient en effet estimé que l’abandon du domicile conjugal ne constituait pas en soi une cause de divorce, car le seul fait pour un des époux de s’être retiré de la résidence conjugal n’impliquait pas nécessairement qu’il avait lui-même provoqué la rupture du couple. Mais, lorsqu’il résultait des circonstances de la cause qu’un des époux avait délibérément choisi sans justification sérieuse de mettre un terme à la vie de couple et à la cohabitation familiale, une telle attitude était généralement jugée fautive, soit qu’elle constituait une injure grave (art. 231 anc. C. civ.) permettant de faire prononcer le divorce pour faute aux torts de cet époux, soit à tout le moins, lorsque le divorce était prononcé pour cause de séparation de fait (art. 232 C. civ.), que cet époux était jugé responsable de la séparation de fait intervenue entre les époux. Dans chacune de ces deux hypothèses il perdait dès lors, conformément aux articles 301 ou 306 anciens du Code civil, tout droit à une pension après divorce. Enfin, il avait été régulièrement jugé que l’homme ou la femme marié qui se refusait à entretenir des relations sexuelles était coupable d’une injure grave justifiant que le divorce soit prononcé à ses torts, dès lors qu’il avait précisément manqué à son devoir de « cohabitation sexuelle ». Mais cette solution était de plus en plus contestée, car il devenait difficile de soutenir que, dans le mariage, la rencontre des sexes constituerait une

19 Cass., 14 mai 1970, J.T., 1970, p. 433, R.W., 1970-1971, col. 502 ; Cass., 14 janvier 1971, J.T., 1971, p. 207 ; Cass., 16 mai 1997, AJT, 1997-1998, p. 101, note B. POELEMANS, Div. Act., 1998, p. 74, note A.C. VAN GYSEL.

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obligation juridique et qu’un époux serait dès lors juridiquement tenu d’entretenir des relations sexuelles alors qu’il n’en aurait pas ni le désir ni la liberté.

4. Est-il encore possible de raisonner comme on l’a fait jusqu’à présent depuis que la loi du 27 avril 2007 a fondamentalement modifié le droit du divorce, et, par là même, le droit du mariage ?

Pour le législateur belge le mariage est devenu « un pacte sui generis renouvelé au jour le jour » (voy. supra, p. 13) au sens où chaque époux a le droit de décider, chaque jour, s’il souhaite prolonger l’union ou, au contraire, ne pas la poursuivre, car nul ne pourrait plus être tenu de continuer à partager une vie de couple qui ne correspondrait plus à ses aspirations personnelles. Dans une telle perspective, la cohabitation au sein du mariage cesse d’être une obligation juridique, au sens où chacun des époux se trouverait juridiquement astreint à continuer à cohabiter avec son conjoint lors même qu’il entendrait affectivement s’y soustraire. C’est, désormais, exactement le contraire. Chacun des époux a un « véritable droit » de se soustraire à cette cohabitation s’il estime, le jour venu, ne pas pouvoir ou ne pas vouloir la « renouveler ». Sans doute, la notion de cohabitation n’a-t-elle pas disparu du droit du mariage. Elle se trouve d’ailleurs toujours exprimée dans l’article 213 du Code civil, mais, compte tenu de la réforme du divorce opérée par la loi du 27 avril 2007, elle n’appartient logiquement plus qu’aux éléments constitutifs du mariage, au sens où un mariage ne se conçoit pas s’il n’est pas fondé sur le projet et la volonté de constituer une communauté de vie durable (voy. les termes de l’art. 146bis C. civ.) et, dès lors, sur la réalité d’une cohabitation effective. Par contre, la conclusion d’un mariage n’implique plus pour autant que les époux resteraient physiquement tenus de cohabiter s’il advenait qu’aux yeux de l’un d’entre eux ou de chacun d’entre eux cette communauté de vie, pour quelle que raison que ce soit, ne peut être poursuivie. On ne voit dès lors plus a priori comment on pourrait encore aujourd’hui justifier les règles qui avaient précédemment été exprimées par la doctrine et par la jurisprudence et, plus particulièrement, la règle selon laquelle l’initiative prise par un des époux de rompre la vie commune pourrait être jugée constitutive d’un manquement à une obligation du mariage et la règle selon laquelle celui des époux qui a provoqué la séparation de fait du couple ne peut plus prétendre obtenir à son profit l’exécution du devoir de secours ou de l’obligation de contribution aux charges du mariage. Dès lors que se séparer de son conjoint – et même davantage divorcer de son conjoint – est devenu un véritable « droit », on ne peut évidemment plus considérer la mise en œuvre ou l’exercice d’un tel droit comme un comportement qui serait susceptible d’entraîner des sanctions juridiques. Il restera cependant à vérifier, dans la pratique, si les cours et tribunaux entérineront la nouvelle perception que les auteurs de la loi du 27 avril 2007 se sont faite du mariage ou

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si, au contraire, ils entendront encore considérer, en se fondant sur les termes demeurés inchangés de l’article 213 du Code civil, que la conclusion d’un mariage ferait naître une « obligation » de continuer à vivre ensemble, même lorsqu’un des époux ne le souhaiterait plus.

5. A l’époque où la doctrine et la jurisprudence affirmaient de manière péremptoire que le

devoir de cohabitation était d’ordre public et, dès lors, indisponible, on en déduisait, logiquement, que les époux ne pouvaient pas eux-mêmes choisir de s’en dispenser et, dès lors, qu’ils ne pouvaient pas convenir de se séparer.

Les conceptions évoluèrent par après considérablement, même si, avant l’entrée en vigueur de la loi du 27 avril 2007, la doctrine n’était pas encore unanime à reconnaître sans restriction la validité des conventions ou des pactes dits de séparation et même si la jurisprudence ne s’était pas encore clairement prononcée sur la portée juridique précise de ces conventions.

Outre, comme l’avait écrit le professeur Vieujean (E. Vieujean, « Examen de jurisprudence, Les personnes », Rev. crit. jur. b. 1986, p. 556, n° 82), que les époux doivent « pouvoir faire ce que le juge lui-même ferait s’il était saisi de leurs difficultés », on voyait mal comment on pouvait encore prétendre que l’intérêt de la collectivité aurait exigé que deux époux, conscients de leur mésentente profonde et/ou de l’impossibilité affective où ils se trouvaient de continuer à partager une vie de couple, n’auraient pas pu, de manière adulte et responsable, décider eux-mêmes de se séparer et organiser d’un commun accord les modalités et les effets de cette séparation tels le choix de leurs résidences séparées, l’organisation juridique de leur relation avec leurs enfants, l’exécution de leurs obligations alimentaires, le partage provisionnel ou définitif – selon leur régime matrimonial – de leurs biens…

Dans la pratique, les situations où les époux réglaient leur séparation par voie de convention, sans procédure judiciaire, s’étaient dès lors multipliées. On pouvait même dire, à l’heure où la spécificité de la médiation familiale avait été expressément consacrée en droit belge par les lois successives des 19 février 2001 et 21 février 2005, que tous les indicateurs psycho-sociaux convergent pour considérer qu’il est a priori toujours préférable qu’un couple parvienne à définir amiablement les modalités de sa séparation, plutôt que de s’affronter devant les cours et tribunaux en formulant l’un ou/et l’autre des prétentions agressives et excessives.

Depuis la loi du 27 avril 2007, la solution ne paraît même plus discutable.

Si le mariage est devenu « un pacte sui generis renouvelé au jour le jour », il en résulte que les époux décident chaque jour s’ils continuent leur vie commune ou, au contraire, s’ils y mettent fin, et le mariage impliquerait dès lors par essence, dans cette nouvelle perspective tracée par le législateur, que les époux seraient précisément entièrement libres de décider de se séparer.

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2. La fidélité

1. C’est, dans sa définition classique, le devoir de s’abstenir pendant toute la durée du mariage de toute intimité sexuelle ou affective avec une autre personne que le conjoint.

On observera que cette définition juridique en négatif – qui procède d’un contexte social radicalement différent du nôtre, où l’absence de moyens de contraception impliquait la formulation d’une telle exigence pour des raisons d’intérêt général et, plus particulièrement, pour sécuriser la filiation des enfants qui naîtraient dans le mariage – manque de toute vision positive de la fidélité conjugale qui consiste essentiellement dans la promesse échangée et respectée par chacun des conjoints, de se choisir, de se reconnaître et d’exprimer la constance de son amour, en ne partageant son intimité sexuelle que dans cette « élection » réciproque et exclusive.

Une telle perception de la fidélité conjugale permettrait de ne pas s’en tenir à une conception purement formelle ou artificielle du devoir de fidélité, dont on disait jusqu’à la récente réforme du droit du divorce qu’il subsistait, quelles que soient les circonstances, jusqu’à la dissolution du mariage, alors même que les époux étaient séparés voire en instance de divorce et qu’ils n’auraient plus eu aucun projet de vivre ensemble.

2. Jusqu’au 1er septembre 2007, les manquements d’un des époux à son devoir de fidélité

étaient susceptibles d’être sanctionnés par un divorce pour faute.

L’article 229 ancien du Code civil faisait d’ailleurs de l’adultère proprement dit une cause de divorce en tant que telle, tandis que les cours et tribunaux considéraient comme une injure grave (art. 231 anc. C. civ.) tout autre manquement au devoir de fidélité. En raison de la gravité de l’adultère, qui était à l’époque perçu comme la faute conjugale majeure, le législateur avait au surplus organisé une procédure spécifique permettant de faire constater cet adultère. Lorsque l’adultère était encore une infraction pénale, le « flagrant délit d’adultère » pouvait être constaté dans le cadre d’une instruction pénale, ouverte sur la plainte et/ou la constitution de partie civile de l’époux qui s’estimait trompé. Lorsque la loi du 20 mai 1987 dépénalisa l’adultère, elle introduisit dans le Code judiciaire une procédure civile de « constat d’adultère par huissier de justice » (art. 1016bis C. jud.). Cette procédure implique qu’une requête soit déposée par un des époux entre les mains du président du tribunal de première instance aux fins d’être autorisé à faire établir un constat de l’adultère de son conjoint. Le président désigne dans son ordonnance un huissier de justice auquel il donne la permission « de pénétrer, accompagné d’un officier ou d’un agent de police judiciaire, dans un ou plusieurs lieux déterminés pour y procéder aux constatations nécessaires révélant d’adultère ». Un tel constat ne peut cependant pas être effectué entre 21 heures et 5 heures.

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Même si le devoir de fidélité subsistait donc pendant toute la durée du mariage et si un constat d’adultère pouvait dès lors encore être pratiqué lorsque les époux étaient séparés ou en instance de divorce, une évolution s’était déjà néanmoins produite dans la jurisprudence avant la réforme du droit du divorce, parce que les juges avaient accepté d’élargir les hypothèses d’adultère non injurieux. En effet, pour pouvoir constituer une cause de divorce pour faute, le grief invoqué par un des conjoints devait non seulement constituer un manquement objectif aux obligations du mariage – comme la violation du devoir de fidélité – mais au surplus revêtir un caractère injurieux, c’est-à-dire blessant ou offensant pour le conjoint. A défaut de pouvoir dire, en droit, que la relation adultère nouée par un des conjoints, parfois plusieurs années après la rupture définitive du couple, alors que l’autre conjoint ne s’était plus lui-même estimé tenu par une quelconque fidélité conjugale, ne constituerait plus une violation du devoir juridique de fidélité, les tribunaux avaient plus fréquemment considéré qu’une telle relation adultère ne pouvait par contre pas être considérée comme injurieuse pour le conjoint et qu’elle ne constituait dès lors pas une cause de divorce pour faute.

3. La loi du 27 avril 2007 a désormais supprimé le divorce pour faute.

Un manquement au devoir de fidélité – qui reste incontestablement une des obligations personnelles du mariage – sera-t-il encore juridiquement sanctionné ? On observera qu’assez curieusement, le législateur n’a pas supprimé la procédure du constat d’adultère par huissier de justice, et il sera donc toujours possible de faire procéder à un tel constat, y compris lorsque les époux seraient déjà séparés, parce qu’un d’entre eux ou les deux époux n’auraient pas « renouvelé » leur pacte sui generis. C’est que le législateur a considéré d’une part que la nouvelle cause de divorce – la désunion irrémédiable des époux – pourrait éventuellement être prouvée par un des époux en raison de l’adultère commis par son conjoint. Encore sera-t-il nécessaire d’établir, conformément à l’article 229 § 1 nouveau du Code civil, que la désunion en est devenue irrémédiable parce qu’ « elle rend raisonnablement impossible la poursuite de la vie commune et la reprise de celle-ci » (voy. infra), et il est a priori difficile d’affirmer de manière catégorique qu’un adultère rendrait nécessairement « impossibles » la poursuite de la vie commune et/ou la reprise de celle-ci. C’est que, d’autre part, le législateur a aussi considéré, même s’il n’y a plus de divorce pour faute, qu’un des époux pourra être privé du droit à une pension après divorce s’il « a commis une faute grave ayant rendu impossible la poursuite de la vie commune » (art. 301 § 2 al. 2 nouv. C. civ.). Est-ce qu’un adultère sera encore appréhendé à l’avenir par les juges comme une « faute grave ayant rendu impossible la poursuite de la vie commune » ? Si l’adultère restait effectivement considéré comme une « faute grave », il ne s’agirait cependant plus que de l’adultère qui aura rendu « impossible la poursuite de la vie commune », et on voit dès lors mal comment un adultère commis après la rupture de la vie commune pourrait encore être considéré comme ayant rendu impossible la poursuite de la vie commune.

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Il est dès lors vraisemblable qu’un manquement au devoir de fidélité ne sera plus désormais sanctionné que lorsqu’il serait intervenu pendant la vie commune des époux. Mais alors pourquoi avoir encore permis qu’un constat d’adultère puisse être pratiqué jusqu’à la dissolution du mariage, y compris lorsque les époux seraient déjà séparés ou en instance de divorce ? La nouvelle loi qui – comme on le verra – fourmille d’imprécisions et d’incohérences laisse manifestement subsister l’incertitude.

4. Comme pour le devoir de cohabitation, la doctrine et la jurisprudence ont longtemps

affirmé de manière tout à fait catégorique que le respect du devoir de fidélité participait des exigences de l’ordre public, en manière telle qu’il était aussi indisponible.

On en déduisait que les époux, même séparés, ne pouvaient pas convenir eux-mêmes de se dispenser l’un l’autre de leur obligation de fidélité à partir du jour de leur séparation ou de la conclusion de leur convention et, dès lors, s’ils avaient malgré tout conclu une telle convention, celle-ci devait être dénuée de toute force juridique et n’engageait pas valablement les époux l’un à l’égard de l’autre, en manière telle que chacun d’entre eux pouvait continuer à faire éventuellement procéder à un constat d’adultère ou à reprocher à son conjoint un manquement au devoir de fidélité.

Cette solution ne paraît plus aujourd’hui défendable. Outre que la Cour de cassation elle-même paraît (voy. supra) avoir confiné la question de l’exécution par un des époux de son devoir de fidélité dans le domaine de la vie privée des seuls époux, ne peut-on ou ne doit-on pas considérer que la conséquence qui résulterait de ce qu’aucun effet juridique ne s’attacherait à la parole donnée par deux époux qui se séparent qu’ils ne s’immisceront plus dans la vie sexuelle de leur conjoint serait humainement et socialement plus pernicieuse que la préoccupation de faire respecter d’autorité par les époux, y compris après leur séparation, les engagements qu’ils avaient contractés lors de la conclusion de leur mariage ?

On peut cependant comprendre que d’aucuns continuent à penser que l’engagement conjugal est un engagement à ce point fondamental que les époux ne puissent pas, même d’un commun accord, s’en délier eux-mêmes, lorsqu’ils se séparent, en toute liberté et sans délai. Telle n’est toutefois manifestement plus la perspective tracée par la nouvelle loi du 27 avril 2007.

Inversement, d’autres considèrent qu’il conviendrait de sortir complètement la vie sexuelle des époux du champ juridique et, dès lors, de ne plus l’enserrer dans des obligations susceptibles de sanction juridique. Ceux-là soutiennent même qu’il y a incompatibilité entre une approche démocratique de la vie privée, telle qu’affirmée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et une réglementation juridique qui persiste à permettre en toute légalité à un époux, parce qu’il s’est marié, de faire procéder à un constat d’adultère à l’insu de son conjoint et de son nouveau partenaire, de le faire suivre et épier par un détective privé, ou de s’approprier, contre son

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gré, sa correspondance personnelle ou son journal intime, aux fins de faire publiquement apparaître les circonstances de sa vie sexuelle extra-conjugale.

3. Le secours et l’assistance

a) Considérations générales

1) Ces deux devoirs sont généralement présentés ensemble comme deux modalités distinctes

d’un seul et même engagement qui consiste, en définitive, comme dans toute relation fondée sur l’affection, à éprouver et manifester son «souci de l’autre ».

Le secours porte davantage sur l’aspect matériel des choses – s’assurer que le conjoint ne manque matériellement de rien – tandis que l’assistance porte davantage sur l’aspect moral et affectif des choses – prêter à son conjoint sa présence et son soutien lorsqu’il le sollicite.

2) Comme la violation du devoir de fidélité, la violation du devoir de secours et d’assistance

pouvait, avant la réforme du divorce opérée par la loi du 27 avril 2007, être juridiquement sanctionnée par la prononciation du divorce aux torts de l’époux dit fautif. Les « injures graves » visées à l’article 231 ancien du Code civil englobaient, notamment, tout comportement par lequel l’époux dit fautif ne s’était aucunement « soucié » de son conjoint ou, inversement, s’en était moqué, l’avait méprisé, ou l’avait maltraité.

De tels comportements pourraient-ils encore être pris en compte dans le nouveau divorce pour désunion irrémédiable, soit pour établir la désunion irrémédiable des époux, soit pour faire perdre à un des époux, en raison de la « faute grave » qu’il aurait commise, un droit à une pension alimentaire après divorce ? La réponse est délicate, dès lors qu’un des objectifs du législateur a manifestement été d’évacuer des prétoires les débats sur les fautes conjugales et qu’il n’a plus apparemment voulu prendre en compte que les situations « gravement » fautives.

La tendance dominante, en doctrine et en jurisprudence, reste néamoins de continuer à sanctionner la violation par un des époux de son devoir d’assistance à l’égard de son conjoint, en le privant pour cause de faute grave du droit de solliciter une pension après divorce, mais à la condition toutefois exigée par l’article 301 § 2 al. 2 du Code civil que la faute commise ait « rendu impossible la poursuite de la vie commune ».

Dans sa dernière chronique de jurisprudence relative au calcul des pensions alimentaires entre époux et après divorce (Rev. trim. dr. fam., 2009, p. 1023), Nathalie Dandoy fournit des exemples de décisions qui ont retenu comme fautes graves faisant perdre le droit à une pension après divorce les comportements suivants ayant constitué une violation du devoir d’assistance entre époux : l’addiction aux jeux de hasard, la mise en doute de la paternité du mari, les comportements agressifs et grossiers, le fait d’avoir quitté le domicile conjugal sans en avoir donné aucune raison…

3) A la différence du devoir de cohabitation, du devoir de fidélité et du devoir d’assistance,

qui ne peuvent faire l’objet que d’une (éventuelle) sanction indirecte, le devoir de secours présente une caractéristique spécifique : ayant un aspect purement matériel et financier, il peut se prêter à une exécution forcée.

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Tant que le mariage n’est pas dissous, les cours et tribunaux sont en effet en mesure de contraindre l’époux qui se soustrairait au devoir de secours à prendre matériellement en charge son conjoint sous différentes modalités qui sont susceptibles de faire l’objet d’une condamnation exécutoire.

c) La portée du devoir de secours entre époux

Le terme « secours », qui se trouvait déjà dans l’article 212 ancien du Code Napoléon, traduisait correctement à l’époque la perception que les auteurs du Code s’étaient faite des engagements contractés lors du mariage, dans une société où la très grande majorité de la population cherchait simplement à « survivre ». On rappellera à cet égard la définition du mariage donnée par Portalis (voy. supra, Chapitre I, Section I) qui faisait état des « secours mutuels » par lesquels les époux s’aidaient « à porter le poids de la vie ». Mais, le même Code Napoléon contenait aussi, compte tenu de la hiérarchie qu’il instituait entre l’homme et la femme mariés, une disposition asymétrique (art. 214 anc.) qui précisait expressément que le mari était à l’égard de son épouse obligé « de lui fournir tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état ». Le devoir de secours a dès lors toujours été interprété comme mettant à charge des époux une obligation alimentaire « large » qui ne se limite pas, comme dans l’obligation alimentaire au sens strict (art. 205 et s. C. civ.), à fournir des aliments à celui qui est « dans le besoin », mais, au contraire, à faire participer son conjoint à son « niveau de vie », c’est-à-dire à mettre à la disposition de l’époux économiquement plus faible les ressources qui lui seraient nécessaires pour bénéficier d’un niveau d’aisance - et même éventuellement de luxe – comparable à celui de l’époux économiquement plus fort. Cette distinction fut d’ailleurs expressément consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 octobre 1963 (R.W., 1963-1964, col. 1862) : « Attendu que le devoir de secours entre époux est différent de l’obligation alimentaire prévue à l’article 205 ; que l’obligation peut, notamment, exister aussi lorsque le conjoint qui en demande l’exécution n’est pas dans le besoin… ». Pareille appréhension de la portée du devoir de secours entre époux correspond, au demeurant, à la manière dont les époux, le plus souvent, organisent leur vie commune : ils partagent, dans leur existence quotidienne, au moyen de leurs revenus respectifs, le même « niveau de vie » ou « train de vie » : on conçoit difficilement qu’un couple qui vit ensemble ne partage pas, en fait, un niveau de vie comparable, ne fût-ce que parce qu’il se logera et se nourrira de la même manière ou organisera le même type de vacances… Le caractère juridiquement contraignant du devoir de secours, avec la portée précise qui lui est ainsi conférée, se manifeste dès lors de manière spécifique lors de la séparation des époux : l’époux économiquement fort reste tenu, au-delà de la séparation, de continuer à partager avec son conjoint le même « niveau de vie » ou, en tout cas, un niveau de vie comparable.

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Dans plusieurs arrêts successifs, la Cour de cassation s’est même exprimée dans les termes suivants : la pension alimentaire allouée à un des époux sur la base du devoir de secours doit être fixée « de manière à permettre à l’époux bénéficiaire de mener le train de vie qui serait le sien s’il n’y avait pas eu de séparation » (Cass., 9 septembre 2004, Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 1030, note N. Dandoy ; Cass., 25 novembre 2005, Rev. trim. dr. fam., 2006, p. 1079). La formule n’est cependant pas très heureuse, car elle ne prend pas en compte une réalité économique qui, pour la très grande majorité des couples, résulte de la séparation : il n’est plus possible pour aucun des deux époux, en raison du dédoublement des principales charges ou dépenses de l’existence, de continuer à mener séparément le train de vie qui aurait été le leur s’il n’y avait pas eu de séparation. Une formulation plus exacte aurait donc été de dire que l’époux économiquement plus aisé doit, en principe, après la séparation, payer à son conjoint une pension alimentaire destinée à lui permettre de mener un train de vie équivalent au sien.

d) Les modalités d’exécution du devoir de secours Comme les autres obligations alimentaires, à l’exception toutefois, selon une interprétation dominante, de la pension après divorce (voy. infra), le devoir de secours peut s’exécuter en nature ou par équivalent. Il se prête dès lors à de multiples modalités d’exécution, y compris lorsqu’il fait l’objet d’une décision judiciaire exécutoire. Sans doute, la plus fréquente de ces modalités est-elle, lorsque les époux ne vivent plus ensemble, une rente ou une pension alimentaire qui consiste en une somme d’argent forfaitaire payable à intervalles réguliers, généralement mois par mois, entre les mains du conjoint, c’est-à-dire, le plus souvent, par versement sur son compte bancaire. Mais d’autres modalités sont tout autant envisageable et sont d’ailleurs régulièrement ordonnées par les cours et tribunaux : - la prise en charge par un des époux de telle ou telle dépense de la vie quotidienne (par

exemples les échéances mensuelles de remboursement d’un prêt hypothécaire ou d’un prêt personnel à tempérament, un arriéré de loyer, une dette d’impôts…), étant entendu que le paiement de la partie de la dette qui incombait au conjoint « secouru » sera donc effectué par le conjoint « secourant » au titre de l’exécution de son devoir de secours ;

- la mise à la disposition du conjoint d’un bien, le plus souvent un bien immeuble (un

immeuble commun ou indivis aux deux époux, voire même un immeuble propre de l’époux débiteur), mais aussi d’un bien meuble (les meubles meublant l’immeuble des époux, un véhicule automobile…) ;

- le coût de l’acquisition au profit du conjoint secouru de tel ou tel bien (par exemple un

véhicule automobile ou les meubles de sa nouvelle habitation) ;

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- une provision ad litem, destinée à permettre au conjoint secouru de supporter les frais d’une procédure judiciaire (par exemple les frais de défense dans le contexte d’une procédure en divorce).

e) Les modalités de calcul du montant de l’obligation alimentaire Partager le même niveau de vie, ce n’est pas nécessairement égaliser les revenus ou les ressources disponibles des époux. Si on s’en tenait à pareille analyse, le calcul à opérer serait extrêmement simple : il suffirait d’additionner les revenus respectifs des époux, de reconnaître à chacun d’entre eux le droit d’en disposer de la moitié et de condamner celui qui perçoit entre ses mains davantage que cette moitié à payer à son conjoint une pension alimentaire correspondant à ce supplément, de manière à égaliser le budget dont chaque époux pourra disposer. Ce n’est cependant pas de cette manière que le calcul doit être opéré pour les raisons juridiques suivantes. 1) D’abord, comme pour les autres obligations alimentaires, la détermination du montant des

« aliments » doit aussi prendre en compte, outre les revenus, les besoins et les charges respectifs tant du débiteur d’aliments que du créancier d’aliments.

Un arrêt de la Cour de cassation du 26 avril 2004 (Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 102) s’est à cet égard prononcé de manière très claire, d’autant que cet arrêt est un arrêt de cassation :

« Attendu que le montant (de la pension fondée sur le devoir de secours entre époux) doit être fixé en tenant compte des besoins et des ressources de chacun des époux ; Attendu qu’en considérant que l’ attribution d’une pension alimentaire n’a pour objectif que d’assurer une répartition équitable des revenus réels nets dont les époux disposent et en fixant le secours au profit de la défenderesse en fonction de ce seul critère, l’arrêt viole les dispositions légales visées au moyen (c’est-à-dire l’article 213 C. civ.) ».

En d’autres termes, le juge qui fixe le montant de l’obligation alimentaire doit aussi prendre en considération les « besoins » de chacun des époux, c’est-à-dire ce qui, en fonction de la situation personnelle de chaque époux, lui est nécessaire pour continuer à bénéficier, autant que possible, du niveau de vie qui aurait été le sien s’il n’y avait pas eu de séparation. Pour faire bref, il y a dès lors lieu d’inclure dans le calcul qui est opéré les charges spécifiques à chacun des époux. On songe, par exemple, à ses charges spécifiques de logement, à ses dépenses de santé ou aux frais qu’il supporte pour l’entretien et l’éducation des enfants (enfants communs ou enfants d’une autre union).

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Sans doute, lorsqu’on raisonne de cette manière, convient-il encore de distinguer ce qu’on appelle les charges « incompressibles » (qu’il est impossible ou très difficile de réduire) et les charges « compressibles » (qui sont flexibles, parce qu’elles sont essentiellement fonction de l’importance du budget dont on dispose : ses frais de vêtements, ses frais de nourriture, ses frais de loisirs…). La tendance dominante, en jurisprudence, est de ne prendre en compte, pour déterminer le secours alimentaire, que les charges dites incompressibles parmi lesquelles les charges de logement représentent souvent la part la plus importante. Mais d’autres juridictions vont jusqu’à procéder à la comparaison de la situation financière respective de chacun des époux après paiement de l’ensemble de ses charges et à fixer le montant du secours alimentaire en cherchant à égaliser autant que possible les revenus qui restent disponibles après l’imputation desdites charges (voy. N. Dandoy, précitée, p. 1012 et les références, à un ensemble de décisions jurisprudence).

2) Ensuite, dans deux arrêts prononcés respectivement les 25 novembre 2005 (Rev. trim. dr. fam., 2006, p. 1079) et 25 janvier 2007 (R.C.J.B., 2008, p. 339, note N. Dandoy ; Rev. trim. dr. fam., 2007, p. 654), la Cour de cassation a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’inclure dans le « niveau de vie » des époux l’épargne qu’ils parvenaient à constituer en ne dépensant pas l’intégralité de leurs revenus.

La Cour s’est fondée, pour tenir ce raisonnement, sur les termes de l’article 217 du Code civil qui prévoit expressément que, si chaque époux affecte par priorité ses revenus à sa contribution aux charges du mariage, il peut « en utiliser le surplus à des acquisitions de biens justifiées par l’exercice de sa profession », tandis que « l’excédent est soumis aux règles du régime matrimonial des époux ». Selon la Cour, « il résulte de cette disposition que la contribution aux charges du mariage n’implique pas un partage de manière égale des revenus des époux entre eux ». En d’autres termes, ce qui définirait le « niveau de vie » des époux, c’est le montant de leurs revenus qu’ils consacraient ou qu’ils consacrent aux dépenses du ménage, tandis qu’il n’y aurait pas lieu d’y inclure la part de leurs revenus qu’ils affectaient à des investissements ou à de l’épargne. Une telle vision des choses impliquerait donc, pour les ménages aisés qui ne dépenseraient pas tous leurs revenus, qu’on ne prenne en compte, pour le calcul du secours alimentaire, qu’un budget inférieur aux revenus cumulés des deux époux. L’argument n’est pas totalement convaincant, d’une part parce que la possibilité de se constituer une épargne détermine aussi le « niveau de vie » d’une personne et permettra d’ailleurs d’y contribuer, par exemple à l’âge de la retraite, et d’autre part, encore une fois, parce que dans la plupart des ménages où il était possible, lorsqu’on vivait ensemble, de ne pas tout dépenser et de se constituer une épargne, la situation se présente généralement différemment après la séparation en raison du dédoublement d’un certain nombre de charges que la séparation provoque.

3) Enfin, il est de jurisprudence constante, comme pour toutes les obligations alimentaires, qu’on ne doit pas nécessairement s’en tenir, pour déterminer les « ressources » d’une

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personne, aux seuls revenus qu’elle promérite ou qu’elle déclare, mais qu’il convient de prendre en compte les revenus qu’elle serait normalement en mesure, en fonction de ses capacités et de sa situation personnelle, de promériter.

Dans un arrêt du 29 novembre 2007 (Rev. trim. dr. fam., 2008, p. 424 ; T. Fam., 2008, p. 62, note P. Senaeve), la Cour de cassation a expressément considéré que, pour apprécier la situation de besoin de l’époux créancier d’aliments, le juge « ne doit pas seulement tenir compte des revenus actuels du créancier mais également de ses possibilités de bénéficier de revenus ». Le juge peut et même doit donc fictivement ajouter aux revenus du débiteur ou du créancier d’aliments les revenus qui devraient logiquement être les siens. Sans doute, convient-il de rester prudent dans une telle appréciation, qui ne peut être opérée que sur la base de l’intime conviction du juge. La question peut être très délicate, par exemple pour un chômeur dont il est difficile de dire s’il est réellement en mesure ou non de se procurer davantage de revenus en recherchant activement un emploi. Elle l’est aussi pour certaines femmes mariées qui n’ont plus exercé d’emploi depuis une très longue période, pour toutes sortes de raisons familiales, et dont il sera parfois difficile de dire qu’elles n’auraient « qu’à » trouver un emploi et se procurer des revenus. A cet égard, l’appréciation des magistrats peut être très divergente 20.

e) La durée du devoir de secours

Le devoir de secours est, comme les autres effets personnels du mariage, contracté par le seul effet de la conclusion du mariage, et il perdurera jusqu’à la dissolution du mariage par le décès ou par le divorce. Il importe donc peu à cet égard, lorsque les époux sont séparés, qu’ils soient simplement séparés de fait ou que l’un d’entre eux ait introduit une procédure en divorce. Un secours alimentaire peut ainsi être alloué à un des époux par le juge de paix, s’il a été sollicité avant l’introduction d’une procédure en divorce, ou par le président du tribunal de première instance, dans le contexte des mesures provisoires ordonnées sur la base de l’article 1280 du Code judiciaire, après l’introduction d’une procédure en divorce. Par contre, le secours alimentaire accordé à l’époux économiquement faible, soit sous la forme d’une rente alimentaire, soit sous toute autre forme (l’occupation gratuite de la résidence conjugale, la condamnation du débiteur d’aliments à payer les échéances d’un prêt

20 Voy. les exemples fournis par N. DANDOY dans ses Chroniques de jurisprudence. Elle fait référence, dans sa chronique 2009 (Rev. trim.dr. fam., 2009, p. 1014), à un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 16 mars 2009 qui a estimé que le mari était malvenu d’exiger de son épouse âgée de 52 ans qu’elle se procure des revenus professionnels alors que les époux avaient décidé ensemble qu’il était préférable qu’elle cesse ses activités de professeur de dessin pour s’occuper des enfants et que les conséquences de cette décision prise durant la vie commune devaient continuer à être assumées par les deux époux, sous la forme, dans le chef du mari, d’un secours alimentaire. Elle cite, par contre, dans sa Chronique 2010 (Rev. trim. dr. fam, 4/2010), plusieurs arrêts de la même Cour d’appel de Bruxelles qui ont évalué forfaitairement la capacité « économique » d’une femme qui ne travaillait pas à 1.000,00 € par mois.

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hypothécaire…) cessera de plein droit à partir du jour de la dissolution du mariage, sans qu’il ne sera nécessaire de le faire constater dans une décision judiciaire, puisqu’il n’y a, en vertu de la loi, de secours alimentaire qu’aussi longtemps que dure le mariage. On mesure par là l’impact tout à fait considérable – c’est peut-être même l’impact le plus considérable de la réforme – de la loi du 27 avril 2007 réformant le divorce. A partir du moment où le législateur a consacré un « véritable droit au divorce » et voulu qu’un des époux puisse imposer à son conjoint le divorce après l’écoulement d’un court délai, il a, dans une mesure très importante, raccourci dans le temps la durée du devoir de secours et, par conséquent, la durée de la protection alimentaire spécifique qui avait toujours résulté jusqu’à présent de l’étendue du devoir de secours entre époux.

f) La place du devoir de secours dans la hiérarchie des obligations alimentaires

Dans la hiérarchie des obligations alimentaires qui se répartissent entre obligations dites au sens large (art. 203 et 213 C. civ.) et obligations dites au sens strict (art. 205, 205bis, 206 et 207 C. civ.), le devoir de secours l’emporte sur les obligations au sens strict. La jurisprudence considère dès lors que l’obligation d’un des époux d’entretenir son conjoint est prioritaire et qu’il ne peut exciper ni de la possibilité que ce conjoint aurait de s’adresser à ses propres parents ni de l’obligation qui serait la sienne d’entretenir ses propres parents pour tenter de se soustraire, totalement ou partiellement, à l’exécution du devoir de secours. Par contre, la doctrine et la jurisprudence paraissent placer sur pied d’égalité les obligations fondées sur les articles 203 et 213 du Code civil, en manière telle que lorsqu’un des époux a comme créanciers d’aliments tant son conjoint que ses enfants en âge de formation, il convient de répartir équitablement, en fonction des besoins respectifs des divers créanciers d’aliments, les ressources disponibles du débiteur d’aliments. En pratique, on observe néanmoins que, lors du calcul du montant d’un secours alimentaire, le juge a tendance à inclure dans les charges incompressibles du débiteur d’aliments les sommes qu’il est tenu de payer au titre de son obligation d’entretien de ses enfants.

g) La place de la « faute » dans l’octroi à un des époux d’un secours alimentaire

Comme on l’a déjà indiqué lors de l’analyse de la portée juridique du devoir de cohabitation entre époux, la Cour de cassation, sous le régime antérieur à la réforme du divorce opérée par la loi du 27 avril 2007, avait posé le principe que le devoir de secours s’exécutait à la résidence conjugale et, dès lors, que, lorsque les époux étaient séparés, seul l’époux qui n’était pas responsable de cette séparation pouvait encore faire valoir le bénéfice du devoir de secours entre époux. En d’autres termes, il appartenait à l’époux qui entendait solliciter un secours alimentaire d’apporter la preuve que son conjoint était responsable de la séparation des époux ou, inversement, qu’il n’était pas responsable de la séparation.

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La Cour de cassation avait cependant admis que, lorsque les époux cessaient de cohabiter en raison de la décision prise par un juge de paix dans le cadre de l’article 223 du Code civil (Cass., 28 novembre 1986, Rev. trim. dr. fam., 1987, p. 318, note J.L. Renchon), ou, simplement, en raison de ce que la cohabitation entre les époux était de plein droit suspendue par le seul fait de l’introduction d’une procédure en divorce, l’époux qui sollicitait le bénéfice du devoir de secours n’était plus tenu d’apporter la preuve qu’il n’était pas responsable de la séparation, puisque cette séparation trouvait sa justification dans une décision judiciaire ou dans l’existence d’une procédure en divorce. Cette solution avait cependant elle-même été nuancée, et il convenait à cet égard de distinguer selon qu’un secours alimentaire était sollicité du juge de paix dans le cadre d’une procédure fondée sur l’article 223 du Code civil ou dans le cadre d’une procédure en divorce. Dans le cadre d’une procédure fondée sur l’article 223 du Code civil, la Cour de cassation, tout en admettant que l’époux créancier d’aliments n’était pas tenu de prouver que son conjoint était responsable de la séparation, avait laissé ouverte la possibilité pour le débiteur d’aliments d’établir lui-même que la séparation était imputable à son conjoint, avec la conséquence que celui-ci ne pouvait plus alors obtenir un secours alimentaire. La problématique se présentait différemment lors d’une procédure en divorce, car on considérait que le président du tribunal, qui n’était saisi que des mesures provisoires relatives à cette procédure, était sans compétence pour statuer lui-même sur l’existence d’une faute qui aurait provoqué la séparation des époux, puisque c’était le tribunal, saisi de la demande en divorce, qui se prononçait sur les torts respectifs des époux lorsque la demande était fondée sur les articles 229 ou 231 anciens du Code civil ou sur l’imputabilité de la séparation de fait lorsque la demande était fondée sur l’article 232 ancien du Code civil. Il pouvait cependant advenir, lorsque le tribunal s’était prononcé rapidement sur la demande en divorce, parce que, par exemple, un des époux avait fait l’objet d’un constat d’adultère, que l’existence d’une faute conjugale ait déjà été établie par un jugement coulé en force de chose jugée, alors que le président du tribunal ou le plus souvent, en degré d’appel, la Cour d’appel ne s’étaient pas encore prononcés définitivement sur le droit de cet époux à obtenir un secours alimentaire pendant le temps de la procédure en divorce. La jurisprudence des cours d’appel du Royaume était à cet égard divergente, certaines ayant considéré qu’à partir du moment où la faute d’un des époux était définitivement établie, plus rien n’empêchait le président du tribunal ou de la Cour d’appel de refuser à cet époux le bénéfice du devoir de secours à partir du jour où cette faute avait été commise. La Cour de cassation fut amenée à se prononcer sur cette question dans un arrêt du 22 décembre 2006 (Rev. trim. dr. fam., 2007, p. 452 (somm.), note N. Dandoy et 2008, p. 116 (traduction officielle) ; R.W., 2006-2007, p. 1153, note S. Mosselmans ; T. Fam., 2007, p. 2, note C. Aerts ; voy. égal. Cass., 13 avril 2007, Act. dr. fam., 2008, p. 57, note A.C. Van Gysel ; Rev. trim. dr. fam., 2008, p. 847). Il paraît utile de reproduire tels quels les attendus significatifs de cet arrêt de la Cour de cassation :

« 1. Les obligations de secours et d’assistance des époux au sens des articles 213 et 221, alinéa 1er, du Code civil, doivent en principe être remplis en nature à la

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résidence conjugale où les époux ont le devoir d’habiter ensemble conformément à l’article 213 du Code civil.

2. Lorsque les époux vivent séparément, l’époux qui intente une action tendant au

respect par l’autre époux de l’obligation de secours et d’assistance et qui réclame ainsi une pension alimentaire doit prouver que ni la survenance ni le maintien de la séparation ne lui sont imputables et que, dès lors, il n’empêche pas lui-même l’autre époux de remplir l’obligation de secours et d’assistance en nature à la résidence conjugale.

3. Lorsque les époux vivent séparément à la suite d’une décision judiciaire ou à la suite d’une procédure en divorce qui suspend automatiquement l’obligation de cohabitation, l’époux qui réclame une pension alimentaire ne doit pas prouver que ni la survenance ni le maintien de la séparation ne lui sont imputables. Toutefois, dans un tel cas, l’autre époux est libre de prouver que la survenance ou le maintien de la séparation est dû, fût-ce partiellement, à l’époux qui réclame cette pension.

4. Lors de l’appréciation de cette preuve, il n’y a pas lieu d’anticiper sur l’éventuelle procédure en divorce en cours ni sur les fautes qui devront être appréciées par le juge des divorces.

5. Si, toutefois, une décision de divorce définitive intervient entretemps, la faute ainsi établie suffit pour apporter ladite preuve. 6. Dans ces circonstances, le juge qui, en vertu de l’article 1280 du Code judiciaire, statue sur une demande tendant à obtenir une pension alimentaire, doit tenir compte de la relation adultérine reprochée à l’époux qui réclame la pension alimentaire et qui est établie à la suite d’une décision de divorce devenue entretemps définitive ».

En l’espèce, la Cour de cassation cassa dès lors un arrêt de la Cour d’appel d’Anvers qui n’avait pas tenu compte d’un constat d’adultère sur base duquel le divorce avait définitivement été autorisé aux torts de l’épouse pour en inférer que cette épouse ne pourrait plus obtenir de secours alimentaire pendant la période de la procédure en divorce postérieure au constat d’adultère.

Que restera-t-il de cette jurisprudence après la loi du 27 avril 2007 ?

Le législateur n’a aucunement songé à examiner cette question, et il eût été mieux inspiré de le faire.

C’est qu’on voit mal comment on pourrait désormais continuer à tenir, à propos des droits alimentaires pendant le mariage, un raisonnement qui ferait abstraction de la solution que le législateur a délibérément choisi d’adopter à propos des droits alimentaires après le divorce. Sans doute, la portée et l’étendue des droits alimentaires après le divorce sont-elles plus restreintes que pendant le mariage, mais cette différence de régime pourrait-elle justifier qu’on réintroduise dans l’appréciation du droit d’obtenir un secours alimentaire un débat sur l’existence d’une éventuelle faute conjugale que le législateur a précisément voulu évacuer

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des prétoires, sauf pour les « fautes graves », d’autant qu’un tel droit ne sera plus désormais alloué que pour une période très limitée dans le temps, si l’époux débiteur choisit, en faisant valoir son « droit au divorce », de se délier des obligations liées au statut juridique du mariage ? On a déjà souligné qu’on pouvait en tout cas considérer comme révolue la solution traditionnelle en vertu de laquelle l’époux qui sollicitait à son profit l’exécution du devoir de secours pouvait en être privé, sauf dans le contexte d’une procédure en divorce, lorsqu’il avait lui-même mis fin à la cohabitation des époux ?

Pourrait-on encore soutenir qu’un époux qui sollicite l’exécution du devoir de secours entre époux pourrait encore en être privé si on pouvait lui reprocher une autre faute qui aurait contribué à provoquer la séparation de fait des époux.

Ce serait difficilement compatible avec la solution nouvelle en vertu de laquelle le même époux pourrait continuer à faire valoir, après le divorce, un droit à une pension alimentaire sans qu’il soit tenu compte d’une telle éventuelle faute. Sans doute, un auteur (A.C. Van Gysel, note sous Cass., 13 avril 2007, Act. dr. fam., 2008, p. 57) a-t-il, à juste titre, fait observer, lorsque la problématique est soulevée après l’introduction d’une procédure en divorce, qu’on ne pourrait plus soutenir désormais, pour reprendre les termes de l’arrêt de la Cour de cassation du 20 décembre 2006, qu’ « il n’y a pas lieu d’anticiper sur l’éventuelle procédure en divorce en cours ni sur les fautes qui devront être appréciées par le juge des divorces », puisque le divorce pour faute a été aboli et que le juge du divorce n’est plus saisi d’une demande en divorce pour faute. Il semble donc effectivement que plus rien n’empêche le président du tribunal de se prononcer lui-même sur les conditions d’octroi d’un secours alimentaire et, notamment, sur l’existence d’une faute, si une telle faute avait encore une incidence sur l’octroi d’un secours alimentaire. Mais la question est précisément de savoir si, alors que le divorce pour faute a été aboli, on pourrait considérer qu’un époux jugé « fautif » (fautif de quoi ?) devrait encore être privé du droit d’obtenir un secours alimentaire, tant lors d’une procédure fondée sur l’article 223 du Code civil que lors d’une procédure en divorce pour désunion irrémédiable. Une solution de compromis, qui pourrait paraître adéquate et équitable, ne serait-elle pas alors de transposer dans les règles juridiques applicables au devoir de secours entre époux et à l’obligation de contribuer aux charges du mariage les règles juridiques adoptées par le législateur à propos du droit à une pension alimentaire après divorce ?

Une condamnation pénale pour des faits de violence physique ou une faute grave ayant rendu « impossible » la vie commune21 seraient a priori tout autant incompatibles pendant le mariage qu’après le divorce avec l’obtention d’un droit alimentaire fondé sur des engagements juridiques et humains qui auraient été aussi gravement méconnus.

21 On songe, par exemple, à un adultère commis pendant la vie commune des époux dans des circonstances inacceptables pour le conjoint ou à des malversations financières commises à l’égard du conjoint ou encore à une condamnation pénale du chef d’une infraction incompatible avec la poursuite d’une relation de couple…

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Il n’y aurait là que l’application au droit du mariage du caractère synallagmatique des obligations contractées et d’une de ses conséquences, la traditionnelle « exception d’inexécution », mais il serait expressément tenu compte, pour opérer cette application, de la solution spécifique que, compte tenu des particularités d’une relation de couple, le législateur a délibérément choisi de consacrer dans l’article 301 § 2 du Code civil. Dans la jurisprudence postérieure à la réforme de 2007, voy. Bruxelles, 15 avril 2010 (Rev. trim. dr. fam., 4/2010) qui s’exprime de la manière suivante :

« Sous l’empire de la nouvelle loi du 27 avril 2007, la simple rupture de la cohabitation apparaît d’autant moins nécessairement constitutive de faute que le législateur a entendu consacrer un véritable « droit au divorce », « le mariage n’étant plus considéré comme une institution rigide et indissoluble mais un pacte sui generis renouvelé au jour le jour (Exposé des motifs du projet de loi, Doc. parl., Ch., session 2005-2006, n° 51/2341/001, p. 6) ».

« La notion de faute a au demeurant été bannie des causes de divorce, ne réapparaissant plus qu’au niveau de la pension alimentaire après divorce, le juge pouvant refuser l’octroi de pareille pension si l’époux défendeur prouve que le demandeur a commis une faute grave ayant rendu impossible la poursuite de la vie commune ».

La Cour ne tira cependant de ces considérations aucune conclusion précise, dès lors qu’en l’espèce, elle put se borner à constater que le mari n’apportait aucune preuve de ce que son épouse aurait commis une faute. Celle-ci se vit donc reconnaître le droit d’obtenir un secours alimentaire.

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CHAPITRE IV

LA SEPARATION ET LE DIVORCE

INTRODUCTION Il faut distinguer les différentes formes de relâchement du lien conjugal d’une part, les causes de dissolution de ce lien d’autre part. L'effet principal en est différent : les premières atténuent le lien sans y mettre fin; les secondes le font disparaître. Les effets accessoires sont également différents. Il existe deux modes de relâchement du lien conjugal (Sous-Chapitre 1) : la séparation de fait et la séparation de corps. Les causes de disparition du lien conjugal sont au nombre de trois : l'annulation, le décès et le divorce (dissolution pour l'avenir). L’annulation du mariage a été étudiée au Chapitre II ; elle est prononcée en cas de transgression d'une condition du mariage constituant un empêchement dirimant et a un effet rétroactif (que n'ont pas le divorce ou le décès). Il y a en quelque sorte effacement du mariage et non dissolution. Le décès constitue une cause naturelle de dissolution du mariage qui résulte dès lors d'un fait, d'un événement, et non du comportement volontaire d'un des époux ou de la volonté commune des époux comme c'est le cas pour le divorce. Si le décès dissout le mariage et, partant, fait disparaître les droits et devoirs qu'engendre celui-ci (cohabitation, fidélité, secours et assistance, contribution aux charges du mariage), il n'a pas les mêmes effets que le divorce car il laisse subsister certains effets du mariage : droit au nom pour la veuve; droits successoraux du conjoint survivant; maintien du lien d'alliance avec la parenté du défunt ; droits spécifiques en matière de sécurité sociale (pension de survie notamment) (cfr le cours de Master I, Successions et libéralités). Le troisième mode de dissolution du mariage est le divorce, dont les conditions, la procédure et les effets seront étudiés ici (Sous-Chapitre 2).

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SOUS-CHAPITRE 1

LA SEPARATION DE FAIT ET LA SEPARATION DE CORPS ---------

SECTION I – LA SEPARATION DE FAIT

La séparation de fait est la situation de fait procédant de ce que les époux ne vivent plus ensemble. Le principe est que le mariage subsiste avec tous ses effets (droits et devoirs des époux, régime matrimonial, droits successoraux, etc...). La séparation de fait n'est pas organisée juridiquement en tant que telle. Elle n'a d'effets juridiques spécifiques qu'indirectement (ex. en matière fiscale, sécurité sociale). Toutefois, la séparation de fait peut être juridiquement autorisée et organisée par le juge de paix dans le cadre d’une procédure spécifique prévue à l’article 223 du Code civil. On peut donc distinguer deux situations : • la séparation de fait sans intervention judiciaire correspondant à un état de fait pur ou encore "organisée" par les époux eux-mêmes dans un "pacte amiable" (§ 1) • la séparation de fait autorisée et organisée par le juge de paix (§ 2) § 1. La séparation de fait sans intervention judiciaire A. Séparation sans pacte ou accord Lorsque des époux se séparent sans recourir à une procédure judiciaire pour organiser leur séparation, puisque le mariage est bien évidemment maintenu, les droits et devoirs découlant de celui-ci le sont aussi.

1. Effets personnels entre époux

a) Le devoir de cohabitation n'est pas suspendu mais il n'est plus respecté en fait. Comme on l’a vu lors de l’analyse de ce devoir (voy. supra), le non respect de celui-ci ne reçoit plus de sanction directe et constitue même, à partir d’une certaine durée, la preuve d’une désunion irrémédiable permettant l’obtention d’un divorce pour désunion irrémédiable.

Selon la jurisprudence antérieure à la loi du 27 avril 2007, l’époux qui se soustrait sans raison valable à l’exécution du devoir de cohabitation à la résidence conjugale ne peut en principe plus, suivant des arrêts de la Cour de Cassation (cfr supra), revendiquer à son profit l’exécution du devoir de secours (art. 213 C. civ.) ni du devoir de contribution aux charges du mariage sous la forme d’une délégation de sommes (art. 221 C. civ.), ce qui

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implique, en d’autres termes, que l’époux séparé de fait qui entend réclamer une pension alimentaire ou une délégation de sommes (sans pour autant être dans le cadre d’une procédure fondée sur l’article 223 du Code civil ou d’une procédure de divorce, cfr supra) doit établir que la séparation est imputable à la faute de son conjoint (voy. not. Cass. 14 mai 1970, J.T., 1970, 433 ; Cass. 14 janvier 1971, J.T., 1971, p.216). Comme indiqué supra, on s’interroge sur la possibilité de maintenir ces principes après la réforme du divorce.

Quant à la question de savoir si les règles qui protègent le « logement principal de la famille » sont encore applicables, en principe l’article 215 du Code civil est une disposition qui règle les effets du mariage, et qui, comme toutes les dispositions du régime primaire, s’applique pendant toute la durée du mariage, mais on peut parfois concevoir qu’à la suite d’une séparation des époux, une habitation qui avait constitué le logement principal de la famille ne puisse plus, au fil des années, être encore considérée dans certaines circonstances comme le « logement de la famille ». Il s’agit d’une appréciation à réaliser en fait par les tribunaux en cas de contestation (voy. Titre IV).

b) Le devoir de fidélité se maintient durant toute la durée du mariage (quant à la sanction du

non respect de ce devoir, voy. supra). c) Devoir de secours et assistance et devoir de contribution aux charges du mariage

Ces devoirs sont des effets du mariage et donc maintenus en cas de séparation, avec les nuances reprises ci-dessus en lien avec le non respect du devoir de cohabitation en cas de séparation unilatérale sous la réserve de l’adaptation de ces solutions à la réforme du divorce (voy. supra).

2. Effets à l'égard des enfants - A défaut d'une décision judiciaire en sens contraire, l'autorité parentale continue à être

exercée conjointement par les père et mère comme durant la vie commune (articles 373 et 374 du Code civil).

En pratique, l'absence de décision judiciaire notamment pour définir les modalités d'hébergement de l'enfant peut rendre cette situation de pur fait dangereuse ou incertaine.

Ces questions seront développées infra au Titre VI, La filiation et l’adoption.

- Chacun des père et mère, même séparés de fait, reste tenu de contribuer à l'éducation et

l'entretien de l'enfant (article 203 du Code civil, voir infra), par le biais du versement d'une contribution alimentaire et/ou d’une participation aux frais extraordinaires.

Ces questions seront développées infra au Titre VI, La filiation et l’adoption.

3. Effets patrimoniaux Le régime matrimonial tant primaire que secondaire des époux est maintenu puisqu’il n’y a pas dissolution du mariage. Voy. Titre IV, Les régimes matrimoniaux.

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B. Pacte de séparation amiable Il arrive que les époux conviennent de se séparer et règlent de commun accord les conséquences de leur séparation, par une convention pouvant prendre différentes formes, allant du "bout de papier signé sur le coin de la table" à un contrat notarié. Il peut aussi s'agir aussi d'une "entente" à laquelle les époux ont abouti à l'issue d'un processus de médiation familiale tant que celle-ci n'est pas soumise pour homologation à l’instance judiciaire compétente. Cette convention peut porter sur le sort des différents devoirs du mariage, les modalités d’hébergement des enfants, les contributions alimentaires et le partage des frais extraordinaires, l’attribution provisoire de la jouissance de certains biens, etc… La validité de ce type de convention était extrêmement controversée. Traditionnellement, le statut du couple marié et donc l’ensemble des droits et devoirs de nature personnelle qui découlent du mariage sont frappés d’indisponibilité, parce que hors commerce, c’est-à-dire que les époux sont soumis à un ensemble de règles auxquelles ils ne peuvent absolument pas déroger (contrairement aux conséquences patrimoniales de leur statut, qui elles, peuvent faire l’objet de conventions, qui se situent par excellence dans le contrat de mariage, cfr infra Titre III). Il n’y avait donc aucune place, dans une vision traditionnelle qui était celle du Code Napoléon, pour des conventions relatives aux effets personnels du mariage, que ce soit au sein du contrat de mariage ou ailleurs. Si l’on maintient que le statut personnel des époux est indisponible, toute convention privée à ce sujet devrait être interdite. Pourtant, les conventions réglant des conflits de nature familiale sont actuellement vues sous un angle plus positif, parce que l’on considère qu’un accord accepté vaut sans doute mieux qu’une décision de justice imposée et peut être incomprise. C’est ainsi que considérées dans un premier temps comme illicites parce qu’elles contrevenaient à l’obligation de cohabitation et à l’exécution en nature des obligations d’entretien et de contribution aux charges du mariage, les conventions prises entre époux, après la rupture de la vie commune, se sont vues progressivement reconnaître une certaine portée juridique. La loi instaurant la médiation, d’abord de façon spécifique dans les litiges de nature familiale (loi du 19 février 2001 relative à la médiation familiale dans le cadre d’une procédure judiciaire, Mon. b., 3 avril 2001, p. 11218), ensuite de façon générale pour tout litige en matière civile (Loi du 21 février 2005, entrée en vigueur le 30 septembre 2005, insérée dans le Code judiciaire aux articles 1724 et suivants) offre d’ailleurs à présent une consécration légale aux conventions des époux relatives à leur séparation. Cette loi prévoit en effet la possibilité pour le juge d’acter les accords entre époux à propos de leurs droits et devoirs issus du mariage (l’article 1724 alinéa 1er, 1° prévoit que peuvent faire l’objet d’une médiation les litiges relatifs aux obligations qui naissent du mariage et de la filiation, aux droits et devoirs respectifs des époux et aux effets du divorce). Ces principes ont encore été confirmés par la loi du 18 juillet 2006 tendant à privilégier l’hébergement égalitaire (Mon.b., 4 septembre 2006, p. 43971). Les accords entre les parents au sujet de l’organisation de l’hébergement des enfants s’imposent à présent au juge qui doit les homologuer sauf s’il constate que ces accords

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sont manifestement contraires à l’intérêt des enfants (article 374 alinéa 1er nouveau du Code civil). La loi reconnaît donc expressément une certaine autonomie des époux et parents en ces matières. Le législateur encourage donc les époux et les parents à prendre leurs responsabilités par rapport à la mise en oeuvre de leurs droits et obligations en valorisant les accords qu’ils parviennent à conclure malgré leurs différends. La liberté conventionnelle des époux relative à leurs obligations personnes est toutefois limitée l’ordre public. Alors qu’il muselait autrefois l’autonomie de la volonté des époux. il semble actuellement admis, à la lumière des facteurs d’évolution multiples évoqués ci-dessus en matière de privatisation de la relation de couple (marié ou non d’ailleurs) que la titularité des droits en matière de relations personnelles entre époux reste indisponible, parce que d’ordre public. Les époux ne peuvent donc pas renoncer à leurs droits, ni s’en délier, ni les céder. Les modalités d’exercice et d’exécution de ces droits sont par contre disponibles et peuvent donc valablement faire l’objet de conventions. Ce type de conventions doit cependant aussi respecter l’ordre public, les bonnes mœurs et les droits fondamentaux des personnes en général. Elles ne pourraient dès lors pas porter atteinte à la liberté individuelle de demander le divorce, de se remarier après la dissolution du mariage, ou de demander une pension après le divorce avant que le divorce ne soit devenu définitif (voy. infra). En ce sens, on considère que sont valables les conventions par lesquelles les époux aménagent les conséquences d'une séparation temporaire et non définitive, laissant la porte ouverte à une possible réconciliation. S’agissant de relations des époux entre eux (ou encore de leurs relations vis-à-vis de leurs enfants), leurs conventions revêtent une force obligatoire certaine dans la mesure où elles respectent les règles impératives ou d’ordre public qui s’imposent aux époux en raison de leur mariage. Cependant, si, par le fait d’un changement des circonstances, les droits impératifs des époux ou des enfants ne sont plus respectés, le juge saisi par l’un des époux à l’occasion d’un conflit à propos de l’exécution des conventions prises pourrait modifier les conventions pour les conformer aux droits des époux ou à l’intérêt des enfants. La force obligatoire des conventions n’est alors plus que « relative », parce qu’elle est soumise à des impératifs qui peuvent varier – et notamment l’étendue des droits alimentaires des époux et des enfants ou l’intérêt de l’enfant. Une convention entre les époux à propos de leurs droits personnels (ou à propos de leurs obligations parentales) tient donc lieu de loi entre eux tant qu’elle ne porte pas atteinte à leurs droits et qu’elle reste conforme à l’intérêt des enfants. Par contre, en ce qui concerne la force exécutoire, seules les conventions conclues sous la forme authentique en disposeront, en tous cas pour les obligations portant sur une somme d’argent. Les conventions sous seing privé ne seront par contre pas susceptibles d’exécution forcée à défaut de titre exécutoire qui consacre les droits et les obligations qui y sont reprises. C’est la raison pour laquelle les époux peuvent voir un intérêt à faire entériner judiciairement leur convention, comme le permet expressément, après une médiation menée par un médiateur agréé, la loi du 21 février 2005 modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne la médiation (art. 1733 C. jud.).

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§ 2. La séparation de fait autorisée judiciairement

A. Notions générales La loi du 14 juillet 1976 a transféré du président du tribunal de première instance au juge de paix la compétence d'ordonner, en cas de conflit entre les époux, des mesures urgentes et provisoires tant à l'égard de la personne des époux et de leurs enfants que de leurs biens. Cette loi a, par rapport au régime légal antérieur instauré par la loi du 20 juillet 1932, étendu la possibilité pour chacun des époux de saisir le juge de paix en ne la limitant plus seulement aux situations dans lesquelles un des époux peut démontrer que son conjoint « manque gravement à ses devoirs » (art. 223, al. 1 C. civ.) mais en la prévoyant aussi dans les situations où un des époux fait état de ce que « l'entente est sérieusement perturbée » (art. 223, al. 2 C. civ.) au sein du couple. La loi du 14 juillet 1976 avait consacré, par là même, une vision plus réaliste des difficultés relationnelles d'un couple qui peuvent procéder d'un ensemble de causes dont les plus fondamentales ne sont pas nécessairement liées à des comportements « fautifs » ou à des « manquements graves » de l'un d'entre eux. Ces deux innovations de la loi du 14 juillet 1976 - compétence attribuée au juge de paix qui offre aux justiciables un service de la justice plus accessible et plus personnalisé que dans la plupart des tribunaux de première instance et extension des hypothèses d'intervention du juge de paix – ont contribué au développement considérable de la procédure basée sur l'article 223 du Code civil qui était très fréquemment utilisée dans la pratique avant l’entrée en vigueur de la loi du 27 avril 2007 réformant le divorce. S'il est très vraisemblable que ce développement n'avait pas été prévu par le législateur et s’il est exact que les juges de paix se sont attribués une compétence de plus en plus étendue pour gérer les situations de séparation d’un couple marié, il n’y avait pas lieu, nous semble-t-il, de le déplorer, car lorsque les juges de paix exercent pleinement cette compétence avec disponibilité et rigueur - comme un grand nombre d'entre eux le font - ils exercent la justice dans des conditions de proximité et de souplesse qui sont beaucoup plus adaptées aux caractéristiques spécifiques d'un couple en instance de séparation que celles dans lesquelles les présidents de tribunaux de première instance traitent les mêmes difficultés ou les mêmes questions à partir de l'introduction d'une procédure en divorce pour cause déterminée (art. 1280 C. jud.). L’attribution de cette compétence au juge de paix est actuellement discutée dans le cadre du projet de création d’un « tribunal de la famille ». La loi du 28 janvier 2003 visant à l’attribution du logement familial au conjoint ou au cohabitant légal victime d’actes de violence physique de son partenaire a par ailleurs complété l’article 223 du Code civil, en prévoyant expressément que, lorsqu’un des époux a commis un acte de violence physique sur son conjoint réprimé par le Code pénal (viol, coups et blessures volontaires, administration de substances pouvant entraîner la mort) ou s’est rendu coupable d’une tentative de meurtre, d’assassinat ou d’empoisonnement, ou lorsqu’à tout le moins « il existe des indices sérieux de tels comportements » (le juge ne doit donc pas attendre que la réalité des violences commises ait été constatée dans un jugement), le juge de paix attribuera

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en principe, sauf circonstances exceptionnelles, la jouissance de la résidence conjugale à l’époux victime si celui-ci lui en a fait la demande. Cette nouvelle disposition du Code civil a été perçue comme un des moyens devant permettre de combattre le phénomène des violences conjugales. Comme on l’a indiqué lors des travaux préparatoires de la loi, « le projet de loi a vu le jour, parce qu’il a été constaté que les victimes de violences conjugales doivent souvent quitter le logement familial ». Dès lors, « afin de rendre plus supportable le sort des femmes qui sont victimes d’actes de violence, il a été décidé de les avantager sur le plan matériel » (Rapport fait au nom de la Commission de la Justice de la Chambre par M. Dardenne, n° 1693/006, p. 3).

B. Champ d'application 1. La procédure de l'article 223 du Code civil est généralement mise en oeuvre dans deux

types de situations :

a) soit elle est introduite par un des époux au moment où la mise en place d'une solution de séparation, ne fût-ce que provisoire, est apparue nécessaire ou souhaitable aux yeux des époux ou à tout le moins de l'un d'entre eux, et la demande formulée par l'époux qui saisit le juge tend alors à réglementer juridiquement les relations entre les époux à partir du jour de la séparation : fixation des résidences séparées, détermination des modalités d'exercice de l'autorité parentale à l’égard des enfants du couple (droit de garde ou d'hébergement, droit d'éducation, administration des biens des enfants), fixation des modalités provisoires d'exécution des obligations alimentaires entre époux ou à l’égard des enfants ou de l’obligation de contribuer aux charges du mariage, mesures relatives aux relations patrimoniales (interdiction d'accomplir certains actes de gestion, injonction faite à un époux de payer certaines dettes, répartition provisoire de revenus, de capitaux, de meubles meublants...).

b) soit elle est introduite pour résoudre une difficulté particulière et ponctuelle qui s'est

subitement posée au sein d'un couple qui ne s'entend plus ou qui est déjà séparé, et la demande formulée par l'époux qui saisit le juge tend alors à obtenir du juge que celui-ci prononce une mesure provisoire pour permettre de trancher le litige qui a surgi entre les époux tantôt à propos de leurs relations personnelles (par exemple organisation des modalités d'hébergement des enfants ou du droit aux relations personnelles du parent non gardien), tantôt à propos de leurs relations patrimoniales (par exemple interdiction de disposer des sommes se trouvant inscrites au crédit du compte bancaire d'un des époux).

Dans chacune de ces deux situations, le juge dispose d'un pouvoir d'appréciation considérable, puisque le législateur n'a pas restreint, sous une forme quelconque, l'objet, la nature ou l'étendue des mesures qui peuvent être ordonnées par le juge, sous la réserve néanmoins, aujourd’hui, de la disposition spécifique (art. 223 al. 3 C. civ.), qui prévoit, sauf circonstances exceptionnelles, l’attribution de la jouissance de la résidence conjugale à l’époux victime de violences conjugales.

2. Par contre, le législateur a imposé une condition qui doit être remplie pour que le juge de

paix puisse se prononcer : la ou les mesures qui sont sollicitées doivent être urgentes.

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Cette exigence d'urgence ne s'attache cependant pas aux caractéristiques de la situation familiale traitée par le juge de paix, en manière telle que le juge peut intervenir même dans des situations où l'entente entre les époux paraît irrémédiablement compromise ou lorsque les époux sont déjà séparés depuis une longue période. L'urgence est, en réalité, une condition qui doit caractériser la mesure sollicitée du juge, c'est-à-dire que le juge ne doit ordonner que des mesures qui, si elles n'étaient pas ordonnées immédiatement, risqueraient de porter sérieusement atteinte aux intérêts d'un des époux ou de leurs enfants. La procédure se déroule conformément aux articles 1253ter et suivants du Code judiciaire (en chambre du conseil conformément à l’article 757 § 2 10° nouveau du Code judiciaire).

C. Caractère provisoire des mesures

Les mesures ordonnées par le juge n'ont, aux termes de l'article 223 du Code civil, qu'un caractère « provisoire ». Le concept de «provisoire», qui est discuté en doctrine, renvoie, semble-t-il, à la signification qui est généralement conférée à ce qualificatif en droit judiciaire. Le caractère provisoire des mesures ordonnées par le juge de paix n'implique par conséquent pas que le juge - même s’il s’agit d’une pratique courante - devrait nécessairement limiter ces mesures dans le temps, comme si elles ne pouvaient qu'être «temporaires». La Cour de cassation, tout en considérant que les mesures fondées sur l’article 223 du Code civil ne peuvent conduire à organiser une séparation de fait « permanente » des époux, a par contre expressément décidé que « du seul fait qu’il ne limite pas dans le temps les mesures qu’il ordonne, il ne suit pas nécessairement que le juge organise de manière permanente la séparation de fait des époux » (Cass., 7 juin 2001, Rev. trim. dr. fam., 2002, p. 242). Si les mesures ordonnées par le juge de paix sont « provisoires », c’est dès lors au sens où elle n’ont pas pour vocation de trancher un litige «au fond» ou « au principal », en manière telle que l'ordonnance prononcée par le juge de paix ne préjuge pas de toute autre solution qui pourrait ultérieurement être apportée à ce litige dans le cadre d'une autre procédure mue entre les époux.

SECTION 2 – LA SEPARATION DE CORPS § 1. Notion La séparation de corps est un mode de relâchement du lien conjugal qui en atténue les effets. Elle permet aux époux de se séparer de manière définitive (sous réserve d'une réconciliation toujours possible) sans que le mariage ne soit pour autant dissous (ce qui implique l’impossibilité de se remarier). Il s’agit d’une situation juridiquement organisée quant à ses conditions et ses effets, et qui suppose nécessairement qu'un jugement soit rendu en ce sens.

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§ 2. Conditions et procédure Deux possibilités (art. 1305 du Code judiciaire) : 1. Séparation de corps pour désunion irrémédiable : même cause et même procédure que le

divorce pour désunion irrémédiable (cfr. infra). 2. Séparation de corps par consentement mutuel : mêmes conditions et même

procédure que le divorce par consentement mutuel (cfr. infra). L’article 1305 nouveau du Code judiciaire précise par ailleurs qu’une demande en séparation de corps peut à tout moment être transformée en demande en divorce, et inversement. § 3. Effets A. Effets personnels 1. La séparation de corps entraîne une suspension du devoir de cohabitation. 2. Le mariage n’étant pas dissous, le devoir de fidélité est maintenu (adultère possible). 3. Selon l’article 308 du Code civil (tel que modifié par la loi du 27 avril 2007), le devoir de

secours entre époux subsiste après le prononcé de la séparation de corps. Ceci implique que chacun des époux peut demander l’exécution à son profit du devoir de secours de l’article 213 du Code civil, comme c’est le cas en cas de séparation de fait.

En cas de séparation de corps par consentement mutuel, les époux doivent s’accorder sur le montant de l’éventuelle pension alimentaire après séparation de corps (les mêmes règles s’appliquent qu’en cas de divorce par consentement mutuel, cfr infra)

B. Effets patrimoniaux - Le régime matrimonial des époux est de plein droit transformé lorsqu’il ne l’est pas

encore, en régime de séparation de biens pure et simple, ce qui implique la liquidation le cas échéant du régime antérieur (art. 311 C.civ.).

Les effets quant aux biens remonteront au jour de l’introduction de la demande (comme en matière de divorce pour désunion irrémédiable).

Sauf convention contraire, les époux perdent les avantages qu’ils se sont faits par contrat de mariage et depuis qu’ils ont contracté mariage (perte du bénéfice des institutions contractuelles et donations entre époux, art. 311bis renvoyant à 299 C.civ.)

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- Malgré le maintien du mariage, les deux époux perdent leurs droits successoraux

respectifs sur le patrimoine de leur conjoint. § 4. Fin de la séparation de corps La séparation de corps prend fin par : 1. Le décès d'un des époux, provoquant la dissolution du mariage (voy. infra). 2. Le divorce (qui peut désormais être demandé après un an de séparation de fait (voire 6

mois en cas de demande conjointe) pour désunion irrémédiable. 3. La réconciliation des époux met automatiquement fin à la séparation de corps sans

formalités particulières. Une réconciliation suppose une reprise de la vie commune, la volonté de reformer une réelle communauté affective et le pardon des offenses.

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SOUS-CHAPITRE 2 LE DIVORCE

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INTRODUCTION

A. Evolution historique La plupart des sociétés ont admis le principe d'une possible dissolution du mariage par divorce, à des conditions plus ou moins restrictives. - Le droit romain était très libéral, étant donné sa conception du mariage comme fondé sur

l'"affection maritale" continue des époux et donc comme intrinsèquement dissoluble. - Le christianisme par contre concevait le mariage comme un sacrement, ce qui le rend

logiquement indissoluble (sous réserve des possibilités d'annulation et de l'admission de la séparation de corps).

- La Révolution française a sécularisé le mariage et en a fait un contrat civil ordinaire,

dissoluble de par la volonté des parties (divorce par consentement mutuel) ou de l'une d'elles (divorce par volonté unilatérale).

- Le Code civil de 1804, adoptant la théorie institutionnelle du mariage (cfr supra) fit

oeuvre de compromis : le mariage était en principe contracté pour la vie, mais le Code maintenait une possibilité, soumise à des conditions fort restrictives, de dissolubilité du mariage par le divorce (divorce pour faute et divorce par consentement mutuel).

- La tendance législative dans l'ensemble des pays occidentaux a été ensuite, lors de

l'évolution ultérieure, d'assouplir les conditions au fil des nombreuses réformes successives, nonobstant l'inquiétude engendrée par la multiplication des divorces.

- En 1974, le législateur belge institue une nouvelle cause de divorce : le divorce pour

cause de séparation de fait. - En 1994, le législateur a réformé les procédures en divorce et organise dans le même

temps les règles de procédure relatives à l'audition de l'enfant (loi du 30 juin 1994). Il a ensuite poursuivi en instaurant le principe de l'autorité parentale conjointe y compris en cas de divorce (loi du 13 avril 1995). Il a enfin revu la loi du 30 juin 1994 et apporté quelques modifications complémentaires aux procédures en divorce (loi du 20 mai 1997).

- Durant l’année 2006, le Parlement, qui avait commencé un travail de réflexion en

profondeur au sein de la sous-commission « droit de la famille » de la Chambre, est saisi d’un projet de loi du gouvernement organisant une réforme plus fondamentale touchant cette fois à la typologie même du divorce, puisqu’il s’agissait de supprimer le divorce

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pour faute et de permettre de divorcer dans un délai considérablement accéléré. Ce projet de loi a abouti à la loi du 27 avril 2007 réformant le divorce (Moniteur belge, 7 juin 2007, p. 30.881), qui est désormais la base de la matière. Cette loi est entrée en vigueur le 1er septembre 2007.

B. Typologie

- Avant la loi du 27 avril 2007, le droit belge connaissait trois sortes de divorce :

1. Le divorce par consentement mutuel, s'apparentant à un "divorce-contrat".

2. Le divorce pour faute, qualifié dans le Code Napoléon de « divorce pour cause déterminée », correspondant à un système de "divorce-sanction". Il supposait l'existence d'une faute, cause objective du divorce.

3. Le divorce pour séparation de fait de 2 ans, basé sur le constat de l'échec du mariage,

qui avait aussi été classé par le législateur dans le « divorce pour cause déterminée ». - Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 27 avril 2007, et donc depuis le 1er septembre

2007, on connaît deux types de divorce en droit belge :

1. Le divorce par consentement mutuel (Section 1) 2. Le divorce pour désunion irrémédiable (Section 2)

Les deux divorces supposent une décision judiciaire, le juge saisi prononçant la dissolution du mariage si les conditions légales posées sont remplies.

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SECTION I - LE DIVORCE PAR CONSENTEMENT MUTUEL Le divorce par consentement mutuel est de nature contractuelle. La volonté persévérante de divorcer et l’accord des époux sur toutes les conséquences de leur divorce, coulés dans les formes requises par la loi, est la base de ce type de divorce. La liberté contractuelle dont disposent les époux est compensée par des exigences de forme qui participent de la nature de ce divorce. La matière du divorce par consentement mutuel a été profondément remaniée par les réformes législatives successives du 1er juillet 1072, du 30 juin 1994 et du 20 mai 1997 qui ont tempéré quelque peu les caractéristiques précitées : tandis que les lois du 1er juillet 1972 et 30 juin 1994 avaient considérablement allégé l'exigence du formalisme, celle du 20 mai 1997 avait limité la liberté contractuelle des époux en ce qui concerne les conventions relatives à leurs enfants mineurs. Le législateur lors de la réforme du divorce de 2007, bien qu’il ait été envisagé durant les travaux préparatoires de supprimer le divorce par consentement mutuel pour l’intégrer dans un divorce unique (pour désunion irrémédiable), a finalement choisi de le maintenir, et d’en maintenir la structure générale. Il n’a finalement apporté à ce type de divorce que des modifications relativement mineures visant à l’assouplir afin (d’essayer) d’en conserver l’attrait par rapport au divorce pour désunion irrémédiable. Le divorce par consentement mutuel, avant la réforme, était le divorce le plus répandu (75% des divorces en Belgique selon des chiffres avancés durant les travaux préparatoires). On peut supposer qu’il le restera après la réforme, même si le divorce pour désunion irrémédiable prendra très probablement une place importante. Avant d’aborder l’examen des formalités préalables (§ 1), la procédure (§ 2) et les effets (§ 3) de ce type de divorce, on mentionnera qu’avant la réforme, les articles 275 et 276 du Code civil imposaient le respect de conditions de fond pour pouvoir avoir accès à ce type de divorce, conditions relatives à l'âge des époux (il fallait être âgé d’au moins vingt ans) et à la durée minimale du mariage (le mariage devait avoir duré deux ans) au moment du dépôt de la requête. Ces exigences ont été supprimées par la loi du 27 avril 2007. § 1. Formalités préalables au divorce par consentement mutuel Conformément aux articles 1287 et 1288 du Code judiciaire, les époux sont tenus d'aménager dans ce que l’on appelle des « conventions préalables à divorce par consentement mutuel » tous les effets personnels et patrimoniaux de leur divorce selon les modalités prévues par ces textes.

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A. L'inventaire facultatif (art. 1287 al.2 du Code judiciaire) Avant le dépôt de la requête en divorce par consentement mutuel, les époux sont libres de procéder à un inventaire détaillé de tous leurs biens. Avant la loi du 30 juin 1994, les époux étaient tenus, à peine de s’entendre ultérieurement refuser le divorce par le tribunal, de faire dresser par notaire l'inventaire de tous leurs biens meubles et immeubles et de faire procéder à l'estimation de ceux-ci. Mue par un souci d'allégement du formalisme, la loi du 30 juin 1994 a supprimé le caractère obligatoire de cet inventaire. Les époux conservent toutefois la possibilité de faire dresser cet inventaire. Par ce biais, ils se réservent une preuve authentique de la composition de leurs patrimoines respectifs au moment de l'ouverture de la procédure. En outre, en établissant un état précis de leurs avoirs et dettes, ils sont censés pouvoir plus aisément opérer un partage complet et raisonné de leurs biens. Dans la pratique, cette possibilité n’est cependant presque jamais mise en œuvre.

B. Les conventions préalables relatives aux biens : le règlement transactionnel (art. 1287 al . 3 du Code judiciaire)

1. Principe Selon le texte de l'article 1287 du Code judiciaire, les époux déterminés à opérer le divorce par consentement mutuel sont tenus de régler préalablement leurs droits respectifs relatifs à leurs biens, sur lesquels il leur est libre de transiger quel que soit leur régime matrimonial. Ils sont également appelés à constater dans le même acte leurs conventions au sujet de l'exercice des droits prévus aux articles 745bis et 915bis du Code civil pour le cas où l'un d'eux décéderait en cours de procédure.

2. Forme du règlement transactionnel Le règlement transactionnel doit être constaté par écrit. Cet écrit peut être fait, au choix des parties, par acte sous seing privé ou sous la forme authentique. La convention doit nécessairement être passée sous la forme authentique si elle constate une convention déclarative ou translative de droits réels immobiliers. Dans cette hypothèse, l'article 1278 du Code judiciaire prévoit expressément qu'un extrait littéral de l'acte devra être transcrit au bureau des hypothèques dans le ressort duquel les biens sont situés. Même lorsqu'il n'est pas obligatoire, l'acte authentique comporte l'avantage d'être revêtu de la formule exécutoire et donc de conférer aux ex-époux directement un titre exécutoire. Celui-ci

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présente un intérêt pour garantir l'exécution entre époux des dispositions des conventions qui ne sont pas soumises à l'homologation du tribunal qui prononce le divorce22.

3. Caractéristiques du règlement transactionnel Les époux sont tenus d'aménager dans leurs conventions leurs droits respectifs selon la formule de leur choix. La convention doit donc mentionner la teneur du règlement intervenu. Une formule lapidaire, exprimée en termes très généraux, semble néanmoins admise. Ainsi en serait-il de la formule qui déclare que "chaque partie demeure ou devient seul propriétaire des biens actuellement en sa possession". En revanche, l'indication dans la convention du simple fait que les parties ont partagé leurs biens ne pourrait être admise comme règlement transactionnel, la convention ne mentionnant pas dans ce cas la teneur du règlement intervenu. Le règlement transactionnel doit être complet et définitif, les parties ne pouvant laisser certaines questions en suspens ni en confier la solution au tribunal ou à un arbitre. Le règlement transactionnel peut, comme il a déjà été indiqué, s'écarter des règles du régime matrimonial des époux. C'est la faculté accordée aux époux de transiger sur leurs droits respectifs. Ils peuvent ainsi renoncer aux comptes de récompenses ou autres comptes, partager leurs biens de manière inégale ou attribuer tout le patrimoine à l'un d'entre eux sans devoir pour autant se justifier sur les motifs de leurs choix.

4. Contenu du règlement transactionnel Le règlement transactionnel doit envisager le partage de l'actif et du passif. Concernant le partage de l'actif, il y a lieu de régler le sort des immeubles, qui pourront être par exemple, au choix des époux, vendus à des tiers, partagés entre eux ou maintenus en indivision. Les époux veilleront également à régler le sort des meubles meublants, des actions et parts sociales au sein de sociétés, des assurances-vie, des baux ou encore de leur épargne-pension. Dans le cadre du partage du passif, les époux prendront notamment soin de déterminer le sort de leurs dettes hypothécaires, de leurs financements ou de leur passif fiscal. Ils peuvent par ailleurs prévoir expressément qu’ils ne perdront pas les avantages qu’ils se sont faits par contrat de mariage ou depuis le mariage (avantages matrimoniaux et institutions contractuelles). S’ils ne prévoient aucune clause à ce sujet, l’article 299 (nouveau) du Code civil prévoit que ceux-ci seront perdus. Outre le sort de l'actif et du passif, les époux sont tenus en vertu du texte de l'article 1287 du Code judiciaire de faire état dans le règlement transactionnel de leur choix quant aux droits successoraux du conjoint survivant et quant à sa réserve. Ils pourront ainsi maintenir durant la procédure, supprimer ou modaliser ces droits selon leur souhait commun.

22Les conventions relatives aux enfants sont quant à elles homologuées par le tribunal qui prononce le divorce. Cette homologation les rend exécutoires même si elles sont rédigées sous seing privé (v. infra).

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C. Les conventions relatives aux effets personnels (art. 1288 du Code judiciaire)

Le texte de l'article 1288 du Code judiciaire impose aux époux désireux de divorcer par consentement mutuel l'obligation d'aménager eux-mêmes dans leurs conventions préalables, leur situation personnelle et celle de leurs enfants mineurs pendant la durée de la procédure et après la dissolution du mariage. L'article 1288 du Code judiciaire impose aux époux de régler "par écrit" les conventions qui régissent les effets personnels du divorce. Hormis cette obligation, les époux sont libres de rédiger cet écrit sous seing privé ou de lui conférer la forme authentique. Le choix de la forme authentique confèrera néanmoins à la convention force exécutoire. Il y a lieu de distinguer les conventions relatives aux époux des conventions relatives aux enfants.

1. Les conventions relatives aux époux L'article 1288 du Code judiciaire crée dans le chef des époux l'obligation de régler certaines questions relatives à leurs rapports personnels, limitativement et impérativement énumérées par la loi. La satisfaction de cette obligation constitue une formalité substantielle dont la vérification incombe au tribunal et au ministère public et dont l'inexécution ou l'irrégularité entraîne le rejet de la demande en divorce. Leurs obligations légales s’arrêtent toutefois à cet endroit. En effet, le contenu des accords conclus sur les points énumérés par la loi est laissé à leur seule volonté. Les époux jouissent donc d'une liberté contractuelle totale pour la rédaction des conventions sur lesquelles aucun contrôle judiciaire ne peut être exercé. Les mesures contenues dans les conventions relatives aux époux doivent régler leur situation pendant comme après les « épreuves ». Ceci implique que les époux décident eux-mêmes les mesures provisoires qu'ordonnerait le président du tribunal dans le cadre d'une procédure en divorce pour cause déterminée.

1) Résidences respectives des époux (art. 1288, 1°, C. jud.) En vertu d’une règle qui n’a pas été modifiée par les réformes successives, les époux sont tenus de préciser le lieu de résidence de chacun d'eux pendant la procédure.

2) Pension alimentaire entre époux (art.1288, 4°, C. jud.) L'article 1288 4° du Code judiciaire prévoit la faculté pour les époux de décider dans leurs conventions du versement éventuel d'une pension à l'un des conjoints par l'autre, à titre provisoire pendant le temps des épreuves, mais aussi postérieurement au divorce. Le régime juridique de la pension entre époux est contractuel. Les époux décident donc librement de l'existence de cette pension mais aussi de son montant et des modalités de sa débition. Ils peuvent donc stipuler qu'aucune pension ne sera due, ce qui est assez fréquent. Ce même texte impose aux époux de régler le régime juridique de cette pension à propos des questions d'indexation et de révisabilité. Le législateur n'a pas voulu obliger les époux qui

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opteraient pour l'allocation d'une pension à l'un d'entre eux à prévoir nécessairement l'indexation ou la révision de celle-ci. Cette disposition leur impose simplement de se prononcer quant à l'existence ou non de ces modalités. Avant la réforme de 2007, il était entendu qu’à défaut de clauses d'indexation ou de révision, la pension demeurerait invariable et resterait due même après remariage du créancier, ou après le décès du débiteur à charge de ses héritiers. Ce principe a changé depuis la loi du 27 avril 2007 et celle du 2 juin 2010. Il est désormais prévu par l’article 1288 dernier alinéa que « Sauf si les parties ont convenu expressément le contraire, le juge peut, ultérieurement, à la demande d’une des parties, augmenter, réduire ou supprimer la pension visée à l’alinéa 1er, 4°, si, à la suite de circonstances nouvelles et indépendantes de la volonté des parties, son montant n’est plus adapté ». Cette disposition légale permet désormais au tribunal, si les conventions ne contiennent pas de disposition expresse contraire, de modifier la pension alimentaire une fois le divorce prononcé. Le tribunal dans ce cas ne peut intervenir que si le montant de la pension prévu n’est plus adapté par suite de circonstances nouvelles et indépendantes de la volonté des parties, ce qui suppose donc bien un changement de circonstances depuis la signature des conventions (et exclut un pouvoir de révision de la pension alimentaire par le tribunal uniquement parce qu’il estimerait que son montant n’est pas adéquat) (une maladie ou une perte inopinée d’emploi par exemple). Par ailleurs, le tribunal ne peut qu’augmenter, réduire ou supprimer la pension ; il ne pourrait donc pas logiquement en allonger la durée ou accorder une pension alimentaire à un époux auquel les conventions préalables n’en accordent pas. Par contre la pension alimentaire ne pourra pas être revue par le tribunal si une clause des conventions prévoit expressément la non application de l’article 1288 dernier alinéa du Code judiciaire, ou encore des conditions de modification différentes de celles prévues dans cette disposition légale (en mentionnant expressément dans ce cas que les parties entendent ainsi ne pas retenir l’application des conditions prévues à l’article 1288 alinéa 3 du Code judiciaire). Dans ce cas, la clause devra être strictement respectée, sauf commun accord des parties d’y déroger (art. 1134 C. civ.). Le principe de la convention-loi s’applique dans ce cas strictement en la matière.

3) Divers A côté des questions limitativement et impérativement énumérées par la loi et sur lesquelles les parties sont tenues de s'entendre, elles sont évidemment libres de convenir d'autres clauses. Parmi celles-ci, les plus fréquentes sont les clauses relatives à la répartition des frais de procédure, au choix du tribunal ou encore à l'usage du nom du conjoint.

2. Les conventions relatives aux enfants En vertu de l'article 1288 2° et 3° du Code judiciaire, les époux sont tenus de régler relativement à la situation de leurs enfants mineurs certaines questions limitativement et impérativement énumérées par la loi.

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Les époux doivent aménager dans leurs conventions les modalités d'exercice de l'autorité sur la personne et de l’administration des biens de leurs enfants mineurs pendant la procédure comme après le divorce. Ils doivent en outre prévoir la contribution de chacun d'eux à l'entretien, à l'éducation et à la formation adéquate de leurs enfants pour les mêmes périodes. Il s'agit pour les époux d'indiquer dans leurs conventions préalables et ce, à peine de rejet de la demande, une formule d'aménagement de l'exercice de l'autorité parentale et de répartition des frais d'entretien et d'éducation des enfants mineurs ou en âge de formation et d'éducation. Le législateur reste néanmoins silencieux sur la manière précise de régler ces questions. Les époux ne disposent cependant pas d'une liberté contractuelle sans limites sur le contenu des conventions relatives à la situation des enfants. En effet, les conventions relatives aux enfants mineurs sont soumises d'une part, au double contrôle d'opportunité et de légalité exercé par le procureur du Roi et par le président qui vérifient leur conformité à l'intérêt des enfants et d'autre part, à l'homologation du tribunal lors du prononcé du divorce. Elles sont, pour cette raison, dotées de l’autorité de chose jugée et de la force exécutoire, qu’elles fassent ou non l’objet d’un acte notarié. L'article 1288 2° du Code judiciaire, tel que modifié par la loi du 27 avril 2007, prévoit que sont visés les enfants mineurs non mariés et non émancipés communs aux deux époux, les enfants qu’ils ont adopté et les enfants de l’un d’eux que l’autre a adopté. Seuls les enfants non mariés et non émancipés sont visés. L'autorité parentale s'éteignant avec la majorité, il est exclu que les époux envisagent dans leurs conventions l'exercice de celle-ci sur des enfants devenus majeurs. L'obligation d'entretien perdure en revanche jusqu'à ce que les enfants aient terminé leur formation, fussent-ils donc majeurs. Il advient donc que par souci de précision, les époux envisagent dans leurs conventions, la contribution de chacun des parents à l'entretien et à l'éducation des enfants, même après leur majorité, jusqu'à l'obtention d'un diplôme qui leur permettra de subvenir à leurs besoins, même si la loi ne vise que les enfants mineurs.

1) Modalités d'exercice de l'autorité parentale Les époux qui sont tenus de remettre au juge un accord sur ce point sont libres de choisir le type et le régime d'exercice de l'autorité parentale: conjoint, exclusif ou modalisé avec les attributs qui s'y attachent (hébergement, droit aux relations personnelles…). L'article 1288, 2°, du Code judiciaire leur laisse une très large marge de manoeuvre pour aménager ces modalités. De même, les époux détermineront les modalités d’hébergement de leurs enfants par chacun d’eux. Ils sont libres également de choisir la formule qui leur paraît la plus appropriée. Ils pourront ainsi prévoir un hébergement alterné égalitaire, mais aussi un hébergement principal par l’un des parents et un hébergement subsidiaire par l’autre. Ils règleront aussi la répartition des vacances et congés scolaires, la prise en charge des trajets, les éventuels accords à donner pour un séjour à l’étranger, etc… Le respect de l'intérêt de leurs enfants tracera néanmoins la limite de la marge de manœuvre des époux, puisque les conventions relatives à l'autorité parentale sont soumises, en cours de procédure, au contrôle du procureur du Roi et du Président et, en fin de procédure, à l'homologation du tribunal.

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2) Contribution aux frais d'entretien, d'éducation et de formation Les époux sont tenus d'aménager conventionnellement leur contribution respective à ces frais, les modalités de cette contribution étant laissées à leur liberté contractuelle. La loi réduit cependant cette autonomie en imposant aux parents dans le texte même de l'article 1288 3° de ne pas porter atteinte aux dispositions impératives et d'ordre public contenues dans l'article 203 du Code civil. Ainsi, l'obligation des père et mère d'entretenir, d'élever leurs enfants et de leur donner une formation adéquate n'est pas créée par la convention préalable au divorce. Il s'agit d'une dette alimentaire légale dont la convention ne détermine que les modalités. La doctrine et la jurisprudence adoptent traditionnellement une distinction entre l’obligation et la contribution à la dette de l’article 203. La notion d’obligation à la dette vise le rapport obligatoire établi entre les parents et les enfants. Cette obligation obéit à un régime spécifique qui est distinct de celui des obligations alimentaires ordinaires (ou « sensu stricto »). Elle implique en effet que les père et mère sont tenus d’assumer, à proportion de leurs facultés respectives, l’entretien, l’éducation et la formation de leurs enfants, en assurant à ceux-ci un niveau d’aisance et de formation en rapport avec leur propre niveau de vie. L’article 1288 renvoie à ce rapport obligatoire qui revêt un caractère d’ordre public et, par conséquent, qui échappe aux conventions des époux. Par ce fait, toute convention par laquelle les parents s’exonéreraient ou déchargeraient l’un d’entre eux de l’obligation de fournir à leurs enfants, créanciers d’aliments, un entretien, une éducation et une formation adéquate serait nulle pour contrariété à l’ordre public23. La notion de contribution à la dette vise le rapport contributoire liant les parents l’un vis à vis de l’autre. En vertu de la jurisprudence constante de la Cour de Cassation, cette contribution respective des époux à l’entretien de leurs enfants est disponible. Les conventions qui la modalisent lient valablement les époux. Ils ne pourraient toutefois y méconnaître l’intérêt de leurs enfants sous peine de voir leurs conventions sanctionnées en fin de procédure, par un refus d’homologation du tribunal (voy.infra). Les époux fixeront dans la convention les modalités de la contribution de chacun d’eux (contribution an nature, prise en charge de certains frais spécifiques, rente alimentaire, prise en charges des frais extraordinaires…) et, éventuellement, veilleront, à prévoir des clauses d’adaptation ou de révision de ces modalités (sans préjudice de l’article 1288 dernier alinéa du Code judiciaire explicité infra).

23 Tel serait le cas de la clause qui aurait pour effet d’empêcher l’exercice par un des époux de son droit d’action contre l’autre relativement à sa contribution dans les frais d’entretien des enfants.

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§ 2. La procédure en divorce par consentement mutuel

A. Introduction de la demande La demande en divorce par consentement mutuel est introduite par requête, signée par les deux époux ou par leur(s) avocat(s) ou leur(s) notaire(s) (article 1288bis du Code judiciaire). Cette requête est déposée au greffe du tribunal de première instance qu’ils ont librement choisi dans leurs conventions. L’article 1288bis al.4 prévoit diverses pièces à annexer à cette requête. Il s’agit de l’original du règlement transactionnel et des conventions relatives aux enfants et aux époux, de l’inventaire préalable dans l’hypothèse où il a été dressé, d’un extrait d’acte de naissance de chacun des époux ainsi que de leur acte de mariage et d’un extrait de l’acte de naissance des enfants visés à l’article 1254 §1 alinéa 2 du Code judiciaire. Une preuve de la nationalité de chacun des époux sera également jointe à la requête. La requête et le dossier ainsi constitués sont déposés au greffe en un original et un copie si les époux n’ont pas d’enfants et en un original et deux copies s’ils en ont.

B. Information et avis du procureur du Roi (art. 1288ter et 1289ter du Code judiciaire)

1. Information

Dans les huit jours du dépôt de la requête et de ses annexes, le greffier est tenu d’adresser au procureur du Roi, deux copies de celles-ci (si les époux ont des enfants). L’une d’elles est destinée à la section de l’état civil, l’autre à la section jeunesse du Parquet . Le but de cette communication est de permettre au procureur du Roi, dès le début de la procédure en divorce, d’examiner l’ensemble du dossier et de remettre son avis, conformément à l’article 1289ter, sur la régularité de la requête et sur le contenu des conventions relatives aux enfants s’il y en a.

2. Avis Le procureur du Roi est amené, avant la première comparution des époux, à émettre son avis sur les conditions de forme du divorce, sur l’admissibilité de celui-ci ainsi que sur le contenu des conventions relatives aux enfants. De cette façon, il exerce un contrôle préventif, dès le début de la procédure. Selon le texte de l’article 1289ter alinéa premier, le procureur du Roi émet un avis écrit, déposé au greffe au plus tard la veille de la première comparution. Dans cette hypothèse, sa présence à l’audience est facultative. Le procureur du Roi peut néanmoins être amené à émettre son avis verbalement lors de l’audience de comparution, en raison des circonstances de la cause. Il s’agit de l’hypothèse

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dans laquelle le procureur du Roi a fait procéder à des investigations concernant la conformité des conventions avec l’intérêt des enfants ou encore des cas tellement simples qu’un avis rendu verbalement à l’audience suffit.

C. Comparution(s) devant le tribunal

1. Les ou la comparution(s)

- Procédure « normale » La procédure « normale » implique deux comparutions des parties devant le président du tribunal de première instance ou devant le juge qui en exerce les fonctions (article 1289 du Code judiciaire). La première comparution des époux doit avoir lieu dans le mois du dépôt de la requête. Les époux y expriment leur volonté de divorcer aux conditions prévues dans leurs conventions préalables. La deuxième comparution a lieu, selon l’article 1294 alinéa premier, dans les trois mois à compter du jour de la première comparution. Lors de celle-ci, les époux renouvellent leur déclaration et demandent au tribunal de prononcer le divorce. L’article 1294 prévoit néanmoins certaines causes de suspension de ce délai entre la première et la seconde comparution, lorsque le juge a ordonné lors de la première comparution la procédure d’audition de l’enfant (cfr infra) ou encore, lorsque durant cette comparution il a usé de son pouvoir de proposer des modifications aux dispositions qui lui paraissent contraires aux intérêts des enfants et a dès lors fixé une nouvelle date de comparution des époux.

- Dispense de la seconde comparution Depuis la loi du 27 avril 2007, une seule comparution seulement est nécessaire lorsque les époux établissent qu’ils sont séparés de fait depuis plus de six mois au moment de l’introduction de la requête. Ils sont en effet dans ce cas dispensés de la seconde comparution (article 1291 bis nouveau du Code judiciaire). Ceci réduit de 3 mois la durée de la procédure. On considère que cette dispense n’empêche pas l’application de l’article 1293 du Code judiciaire (à savoir la fixation d’une « première comparution bis » comme expliqué ci-dessous au point 3).

2. Comparution personnelle et dérogations

Les époux sont tenus de comparaître ensemble et personnellement devant le tribunal de première instance (art. 1289 C. jud.). Toutefois, lorsqu’il existe des circonstances exceptionnelles (hospitalisation d’un des époux, long séjour à l’étranger…), moyennant une autorisation du président du tribunal donnée dans une ordonnance motivée, l’époux empêché de comparaître pourra se faire représenter par un mandataire spécial, avocat ou notaire. Cette dérogation peut être accordée aux deux époux, pour la première comme pour la seconde comparution.

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Par ailleurs, les époux peuvent désormais être représentés par un notaire ou par un avocat lors de la seconde comparution lorsque celle-ci est nécessaire, et ce sans qu’il soit besoin d’obtenir une autorisation du tribunal, sans que des circonstances exceptionnelles ne soient requises et sans qu’un mandat spécial soit requis pour l’avocat qui représente une ou les deux parties (le législateur n’a pas précisé si le notaire devrait quant à lui justifier de son mandat dès lors qu’il ne bénéficie pas d’un mandat ad litem comme celui dont jouissent les avocats).

3. Contrôle du président sur les conventions relatives aux enfants Le président du tribunal dispose d’un pouvoir de contrôle sur le contenu des conventions relatives aux enfants. Selon l’article 1290 alinéa 2 du Code judiciaire, le Président peut, lorsqu’il estime ces conventions non conformes à l’intérêt des enfants, proposer aux parties de modifier celles-ci. Le cas échéant, selon l’alinéa 3 du même article, il pourra décider d’office d’entendre les enfants conformément à l’article 931 du Code judiciaire. Lorsqu’il fait usage des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 1290 alinéas 2 et/ou 3, il fixe, soit dans le mois du dépôt au greffe du procès-verbal d’audition, soit dans le mois du dépôt au greffe du procès verbal de la première comparution, une nouvelle date de comparution des époux. Au cours de cette nouvelle comparution, le président pourra, selon le texte de l’article 1290 alinéa 5, faire supprimer ou modifier les dispositions des conventions qui lui paraissent manifestement contraires à l’intérêt des enfants. Le président dispose alors d’un véritable pouvoir d’injonction. Le président ne peut toutefois modifier ces clauses lui-même. L’article 1291 prévoit en effet que si les époux informés persistent dans leur résolution, « il leur est donné acte par le juge de ce qu’ils demandent le divorce et y consentent mutuellement ». La sanction d’un tel refus interviendra éventuellement en fin de procédure, le tribunal pouvant refuser d’homologuer les conventions relatives aux enfants et, partant, rejeter la demande en divorce.

D. Modification éventuelle des conventions en cours de procédure Autrefois tout à fait proscrite en cours de procédure, la modification volontaire des conventions préalables en cours d’instance est aujourd’hui admise. L’article 1293 du Code judiciaire prévoit en effet cette possibilité lorsque les époux font état de circonstances nouvelles et imprévisibles, modifiant gravement leur situation ou celle de leurs enfants et qu’ils sont à même de prouver. La modification ne pourrait donc avoir lieu pour des raisons de pure opportunité. La proposition de modification doit être soumise à l’appréciation du juge, par les époux agissant conjointement. Voyez pour le déroulement de la procédure, le texte de l’article 1293 du Code judiciaire.

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E. Conclusions du procureur du Roi Après la dernière comparution et après la communication des pièces au procureur du Roi, celui-ci rend ses conclusions par écrit conformément à l’article 1297 du Code judiciaire. Celui-ci vérifie que les conditions de fond et de forme du divorce sont respectées. Dans l’affirmative, ses conclusions sont libellées en ces termes : « la loi permet ». En revanche, dans le cas où les conditions de fond et/ou de forme n’ont pas été respectées, le procureur du Roi prendra des conclusions de rejet que la loi lui impose de motiver. Dans le cadre de sa vérification du respect de ces conditions, le procureur du Roi se prononce également sur le contenu des conventions relatives aux enfants. Il en vérifie la conformité avec leur intérêt.

F. Jugement Après avoir pris connaissance des conclusions du procureur du Roi, le tribunal statue. En vertu du texte de l’article 1298, le tribunal ne peut faire d’autres vérifications que celles indiquées dans l’article 1297, c’est à dire la vérification du respect des conditions de fond et de forme prévues par la loi. S’il constate que les conditions sont respectées (en ce compris la conformité des conventions avec l’intérêt des enfants), il prononce le divorce et homologue les conventions relatives aux enfants. Le principe de l’homologation des conventions relatives aux enfants fut introduit dans la procédure en divorce par consentement mutuel par la loi du 20 mai 1997. En prévoyant cette homologation, le législateur a voulu que le tribunal approuve expressément dans son jugement la partie de la convention par laquelle les époux règlent la situation de leurs enfants. En revanche, en cas de non respect de ces conditions le tribunal déclarera qu’il n’y a pas lieu de prononcer le divorce. Il pourra éventuellement refuser d’homologuer les conventions et, partant, refuser de prononcer le divorce, s’il constate que les époux ont refusé d’obtempérer à une injonction du président de modifier les dispositions concernant les enfants. La procédure se déroule en chambre du conseil conformément à l’article 757 § 2 nouveau du Code judiciaire.

G. Voies de recours L’opposition n’est pas concevable pour le divorce par consentement mutuel.

1. Appel L’article 1299 du Code judiciaire prévoit que l’appel du jugement qui a prononcé le divorce n’est admissible que pour autant qu’il soit fondé sur le non-respect des conditions légales pour

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prononcer le divorce. L’objectif est donc de n’ouvrir un recours que si le tribunal de première instance a commis une irrégularité en prononçant le divorce alors que les conditions légales à cette fin n’étaient pas ou plus remplies. Il peut soit être formé par le procureur du Roi (et il est dans ce cas signifié aux deux époux) ou, depuis la loi du 2 juin 2010 modifiant certaines dispositions du Code civil et du Code judiciaire en ce qui concerne la procédure en divorce (Mon. b., 21 juin 2010, p. 38336), par l’un ou les deux époux, séparément ou conjointement (il est dans ce cas signifié au procureur du Roi, et, s’il n’est interjeté que par un seul des époux, à l’autre époux). L’appel du jugement qui a refusé le prononcé du divorce ne peut quant à lui être interjeté par les deux époux séparément ou conjointement. Il sera alors signifié au procureur du Roi (article 1300 du Code judiciaire). Le délai d’appel est dans tous les cas de un mois à dater du prononcé du jugement. L’article 1301 régit les modalités de la procédure d’appel.

2. Cassation Le pourvoi en Cassation n’est admissible que pour autant qu’il soit formé par les deux époux séparément ou conjointement. Selon l’article 1302 du Code judiciaire, le délai pour se pourvoir en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel est de trois mois à dater du prononcé de cet arrêt. Le délai et le pourvoi sont suspensifs.

H. Transcription à l’état civil Lorsque le divorce a été prononcé par un jugement ou arrêt passé en force de chose jugée, le dispositif doit être, dans le mois, adressé par le greffier à l’officier de l’état civil compétent pour opérer la transcription (article 1303 du Code judiciaire). Ce dernier doit s’en acquitter dans le mois suivant la réception de l’extrait. Le greffier est en outre tenu de communiquer à l’officier d’état civil la mention du jour où le jugement a acquis force de chose jugée. La transcription n’opère plus la dissolution du mariage. Celui-ci est dissous dès le moment où la décision qui prononce le divorce a acquis force de chose jugée. La transcription reste néanmoins nécessaire pour que le divorce puisse sortir ses effets à l’égard des tiers.

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§ 3. Les effets du divorce par consentement mutuel

A. Point de départ des effets Il y lieu de distinguer les effets entre époux et les effets à l’égard des tiers.

1. Effets entre époux Il faut établir une distinction entre les effets personnels et les effets patrimoniaux du divorce par consentement mutuel à l’égard des époux. En vertu du dernier alinéa de l’article 1304 du Code judiciaire, les effets personnels entre époux se produisent au jour où le jugement ou arrêt prononçant le divorce acquiert force de chose jugée. Pour ce qui concerne les effets patrimoniaux entre époux, le législateur a prévu que ces effets se produisent à la date du procès verbal dressé à l’issue de la première comparution mais en pratique, la partie de la convention portant sur le règlement des droits patrimoniaux aura le plus souvent réglé cette question en faisant produire rétroactivement effet aux dispositions de cette convention au jour de sa signature.

2. Effets à l’égard des tiers Les tiers ne peuvent prendre connaissance du nouvel état de divorcés des époux qu’à partir du moment de la transcription du divorce dans les registres de l’état civil. Pour cette raison, l’article 1304 alinéa premier précise que le jugement ou arrêt qui prononce le divorce ne produit d’effets à l’égard des tiers qu’à compter du jour de sa transcription. Dans le cas du décès d’un des époux avant la transcription mais après que la décision prononçant le divorce a acquis force de chose jugée, l’article 1304 prévoit que les époux sont considérés comme divorcés à la date du décès, sous la condition suspensive de la transcription du divorce effectuée conformément à l’article 1275 du Code judiciaire. Si le décès survient avant l’expiration du délai de recours, et donc avant que la décision ait acquis force de chose jugée, le mariage sera considéré comme dissous par décès, tant à l’égard des tiers que du conjoint.

B. Sort des conventions relatives aux époux

A l’égard des époux, les effets du divorce par consentement mutuel sont entièrement régis par les conventions préalables. Ces conventions, soumises à l’article 1134 du Code civil, tiennent donc lieu de loi aux parties. Elles ne peuvent être modifiées ou révoquées après la transcription du divorce que de leur commun accord. La seule exception à ce principe est l’article 1288 alinéa 3 nouveau du Code civil qui prévoit que si les parties n’ont pas convenu expressément le contraire dans leur convention, le tribunal peut augmenter, réduire ou supprimer la pension alimentaire entre ex-époux si par

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suite de circonstances nouvelles et indépendantes de la volonté des parties son montant n’est plus adapté (cfr supra). C’est la seule possibilité (limitée) de révisabilité judiciaire des conventions relatives aux époux.

C. Sort des conventions relatives aux enfants A l’inverse de la situation qui prévaut à l’égard des époux, les conventions relatives aux enfants ne sont pas immuables après la transcription du divorce. Il y a lieu de distinguer la révisabilité judiciaire et la modification conventionnelle de ces conventions.

1. Révisabilité judiciaire (art. 1288 in fine)

En vertu de l’article 1288 alinéa 2 du Code judiciaire, les conventions relatives aux enfants sont susceptibles d’être modifiées judiciairement après la transcription du divorce lorsque surviennent des circonstances nouvelles et indépendantes de la volonté des parties modifiant sensiblement leur situation ou celle des enfants. Aucune modification ne pourrait donc être accordée en raison d’un événement délibérément provoqué par un des ex-époux aux fins de réduire frauduleusement ses ressources. En revanche, la perte d’un emploi, la hausse des revenus du parent débiteur de la contribution ou la survenance d’enfants d’un second mariage seront pris en considération pour la modification éventuelle de la contribution à l’entretien des enfants. Le deuxième alinéa de l’article 1288 établit le principe et pose les conditions de la révisabilité judiciaire de toutes les conventions relatives aux enfants après la transcription du divorce par consentement mutuel. La révisabilité des clauses relatives à l’autorité parentale relève quant à elle de l’article 387bis du Code civil. Celui-ci instaure une règle générale applicable dans toutes les situations où des dispositions conventionnelles ou judiciaires ayant trait à l’exercice des prérogatives de l’autorité parentale ont été prises. Ce texte énonce, sans la moindre restriction, que la révisabilité judiciaire des dispositions relatives à l’autorité parentale pourra avoir lieu chaque fois que l’intérêt de l’enfant le commande. La révisabilité de ces clauses ne postule donc pas la survenance des circonstances nouvelles et indépendantes de la volonté des parties requises par l’article 1288 alinéa 2.

2. Modification conventionnelle

La question de la modification des conventions relatives aux enfants du commun accord des époux après la transcription du divorce est controversée. Le principe posé par la loi du 20 mai 1997 de l’homologation des conventions relatives aux enfants mineurs lors du prononcé du divorce a été interprété par une partie de la doctrine comme impliquant que toute modification conventionnelle de ces clauses, postérieurement au divorce, devrait être soumise à une nouvelle homologation judiciaire devant le juge compétent

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(tribunal de la jeunesse ou juge de paix). Une telle interprétation est motivée par le souci d’éviter que les parents ne prennent dans de nouvelles conventions, des dispositions incompatibles avec les premières conventions contrôlées judiciairement au cours de la procédure en divorce. Mais une telle interprétation est contestée par une autre partie de la doctrine. On voit mal en effet sur quelle base juridique les parents seraient subitement devenus impuissants à conclure, après leur divorce, une convention par laquelle ils adapteraient les dispositions de la convention préalable à l’évolution des circonstances de leur vie familiale alors qu’il n’a jamais été contesté qu’ils pouvaient adapter ou modifier, après un divorce pour cause déterminée ou désormais après un divorce pour désunion irrémédiable, l’ordonnance du président du tribunal qui a statué sur les mesures relatives aux enfants (cfr Cass. 8 mai 1992, R .T.D.F., 1993, p.478). En vertu de cette conception, les parents conservent, après la transcription du divorce, leur aptitude à modifier de commun accord les dispositions relatives à leurs enfants. Ils conservent également le choix de consigner ces modifications sous une forme authentique ou sous seing privé. Cet accord engagera les parents l’un envers l’autre à condition toutefois qu’ils n’aient pas porté atteinte à l’intérêt de l’enfant ou aux dispositions impératives applicables à leur contribution respective à l’entretien des enfants. § 4. Quand le divorce par consentement mutuel n’aboutit pas….

A. Passerelle entre la procédure en divorce par consentement mutuel et la procédure de divorce pour désunion irrémédiable

L’article 1294bis nouveau du Code judiciaire instaure une « passerelle » entre les deux procédures puisqu’il prévoit qu’en cas d’abandon de la procédure en divorce par consentement mutuel avant son aboutissement, par exemple si un des époux ne comparaît pas à la ou une des comparutions ou fait savoir en cours de procédure qu’il ne souhaite pas poursuivre celle-ci. L’autre époux peut dans ce cas solliciter l’application de l’article 1255 du Code judiciaire, c’est-à-dire solliciter du juge qu’il prononce un divorce pour désunion irrémédiable. Il peut ainsi demander le prononcé du divorce sur base de l’article 229 § 3 du Code civil (cfr infra), ce qui évite de devoir recommencer une procédure depuis le début. Le divorce sera prononcé sur cette base s’il est prouvé que les époux sont séparés depuis plus d’un an ; si tel n’est pas le cas, l’affaire peut être reportée à une audience fixée un an après la première comparution, audience à laquelle le divorce sera automatiquement prononçé. Même si cette hypothèse n’est pas expressément prévue, il semble qu’on pourrait aussi « basculer » vers une demande conjointe en divorce pour désunion irrémédiable fondée sur l’article 229 § 2 si les deux époux décident conjointement d’arrêter la procédure en divorce par consentement mutuel par exemple en raison d’un différend apparu d’ores et déjà quant au contenu des conventions.

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B. Effets des conventions préalables en cas d’abandon de la procédure

en divorce par consentement mutuel Alors qu’antérieurement il était généralement considéré que les conventions conclues dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel ne sortaient leurs effets que pour autant que la procédure ait été menée à son terme, la loi nouvelle avait choisi de prévoir (cfr article 1294bis § 2 C. jud.) qu’en cas d’abandon de la procédure par consentement mutuel (avec ou sans utilisation de « passerelle »), « les conventions préalables prévues à l’article 1287 lient les parties à titre provisoire jusqu’à ce qu’il soit fait application des articles 1257 ou 1280 » du Code judiciaire, c’est-à-dire dans l’attente d’un nouvel accord entre les parties ou d’une décision du Président du tribunal statuant en référé dans le cadre de sa compétence pour prendre des mesures provisoires durant l’instance en divorce pour désunion irrémédiable (cfr infra). L’idée est d’éviter un « vide juridique ». L’interprétation de cette disposition légale nouvelle était toutefois problématique puisque seules les conventions prévues à l’article 1287 liaient les parties à titre provisoire, c’est-à-dire le règlement transactionnel quant à la liquidation du régime matrimonial des époux ! Ce n’était pas juridiquement soutenable, puisque cette partie de la convention n’est destinée à sortir ses effets qu’après la dissolution du mariage. Il s’était agit, en réalité, d’une erreur de plume lors de la rédaction de la loi. Le législateur voulait en réalité viser les conventions prévues à l’article 1288 C. jud., c’est-à-dire celles relatives aux effets personnels entre époux et aux enfants, ce qui, effectivement, était plus logique puisque c’est essentiellement un vide juridique sur ces questions qui peut poser problème… Une loi réparatrice du 31 octobre 2008 « modifiant l’article 1294bis par. 2, du Code judiciaire afin de clarifier la loi du 27 avril 2007 réformant le divorce » a dès lors substitué au renvoi à l’article 1287 du Code judiciaire un renvoi à l’article 1288 du Code judiciaire. Par ailleurs, l’article 1294bis § 2 opère une distinction selon que les conventions ont été prises par acte notarié ou non, l’effet « provisoire » s’appliquant directement dans le premier cas alors qu’il faudrait une ordonnance du président du tribunal pour confirmer celui-ci pour les conventions sous seing privé. La distinction ne s’explique, en réalité, que parce que les premières sont, en principe, exécutoires, alors que les secondes ne le sont pas.

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SECTION II – LE DIVORCE POUR DESUNION IRREMEDIABLE § 1. La cause du divorce pour désunion irrémédiable Le divorce fondé sur l'adultère, sur les excès, sévices ou injures graves et le divorce après séparation de fait de plus de deux ans ont disparu. La seule cause de divorce pour cause déterminée est désormais, depuis la loi du 27 avril 2007, la désunion irrémédiable.

A. La notion de désunion irrémédiable Le principe général est donné par la première phrase de l’article 229, § 1er, nouveau, du Code civil : le divorce est prononcé lorsque le juge constate la désunion irrémédiable entre les époux, définie comme étant celle qui « rend raisonnablement impossible la poursuite de la vie commune et la reprise de celle-ci entre eux ». La loi ne définit pas plus avant cette notion. Mais afin de rendre effectif le « droit au divorce » institué et éviter qu’on puisse retarder un divorce en étant contraint de débattre devant le juge du caractère irrémédiable de la désunion, la loi prévoit que la désunion irrémédiable des époux peut elle-même résulter de trois « sous-causes », devant elles-mêmes être examinées en fonction de deux cas de figure, à savoir celui où le divorce est demandé par un des époux et celui où il est demandé par les deux époux.

B. Les sous-causes de divorce pour désunion irrémédiable

1. Le divorce pour désunion irrémédiable sollicité par un époux L’article 229 § 1 et § 3 du Code civil (à lire en le juxtaposant avec l’article 1255 du Code judiciaire) établit trois sous-causes lorsque la demande en divorce pour désunion irrémédiable est introduite par un des époux et dirigée « contre » l’autre époux.

a) L’existence d’une séparation de fait d’un an 1. L’article 229 § 3 du Code civil prévoit que la désunion irrémédiable « est établie lorsque

la demande est formée par un seul des époux après plus d’un an de séparation de fait ».

L’époux demandeur doit donc apporter au juge la preuve de l’existence, au jour où le juge statue, d’une séparation de fait intervenue entre les époux depuis au moins une année.

Lorsque cette séparation de fait est prouvée, la désunion irrémédiable est établie de plein droit, de sorte que le juge n’a plus à apprécier si la désunion est réellement ou non irrémédiable.

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Il s’agit d’une séparation non seulement matérielle (de table et de lit) mais également intentionnelle : la séparation doit avoir été voulue par l’un des époux, et, en principe, elle doit avoir été continue.

2. La séparation de plus d’un an se prouve par toutes voies de droit. - Elle sera établie le plus souvent par des certificats de résidence ou de composition de

ménage attestant que les époux ont été inscrits à des adresses différentes dans les registres de la population depuis plus d’un an, sauf si les époux ont continué à cohabiter ensemble.

- Elle peut être établie également par tout autre moyen de preuve qui fait naître la

conviction de l’existence de deux ménages séparés, tels que la production d’un bail et la preuve du paiement du loyer, l’établissement de factures relatives à des charges d’occupation d’une habitation distincte, etc…

- L’article 1255 § 4 du Code judiciaire exclut que la preuve de la séparation puisse être

établie par l’aveu de l’époux défendeur. L’objectif du législateur était d’éviter que l’établissement de la désunion irrémédiable par la preuve de l’écoulement d’un délai de séparation d’un an, présenté comme un « délai de réflexion », ne soit contourné pour une collusion des époux.

3. Le délai d’un an doit être écoulé au moment de l’audience d’introduction à laquelle

l’affaire sera fixée (art. 1255 § 2 du Code judiciaire).

S’il ne l’est pas à ce moment, et si le demandeur apporte déjà au juge des éléments de preuve de la date à laquelle le délai de séparation de fait d’un an sera écoulé, le juge fixe une seconde audience «à une date immédiatement ultérieure à l’écoulement du délai d’un an » et, si le demandeur requiert le divorce à cette seconde audience, le juge le prononcera aussitôt (art. 1255 § 2 al. 2 du Code judiciaire)

b) L’écoulement d’un délai procédural d’un an L’article 229 § 3 du Code civil prévoit que la désunion irrémédiable est établie lorsque la demande formée par un des époux « est répétée à deux reprises conformément à l’article 1255, § 2 du Code judiciaire ». Celui-ci prévoit que si lors de l’audience à laquelle est fixée la demande en divorce les parties ne sont pas séparées de fait depuis plus d'un an, le juge fixe une nouvelle audience fixée à une date immédiatement ultérieure soit à l'écoulement du délai d'un an (cfr supra), « ou un an après la première audience ». Lors de cette audience, si l'une des parties le requiert, le juge prononce le divorce. L’écoulement d’un délai d’un an entre la première audience et la seconde audience constitue donc une autre sous-cause automatique de divorce qui ne pourra susciter aucune discussion, instituant clairement un véritable droit au divorce. Il suffit donc, même si les époux ne sont pas encore séparés, d’introduire une demande en divorce et de comparaître à l’audience d’introduction pour qu’un an après cette audience, sans devoir attendre un délai de séparation de fait d’un an, si l’on confirme à une seconde audience sa volonté de divorcer, la désunion irrémédiable soit considérée comme établie de plein droit et que le tribunal fasse automatiquement droit à la demande.

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Ceci incite l’époux demandeur à introduire sa demande dans les meilleurs délais, sans ne plus prendre le temps de transition que représentait antérieurement la séparation de fait provisoire organisée par le juge de paix, ou celui d’une médiation ou d’une négociation en vue d’un divorce par consentement mutuel.

c) La désunion irrémédiable prouvée par l’un des époux La troisième hypothèse est celle où l’époux qui demande le divorce parvient à établir, de manière directe et positive le caractère irrémédiable de la désunion conjugale. L’idée du législateur est de permettre au juge dans ce cas de prononcer le divorce sans attendre que les délais requis de séparation ou le délai procédural soient écoulés, s’il estime que la preuve lui est d’ores et déjà rapportée de ce que la désunion des époux est irrémédiable. Dans ce cas, l’article 1255 § 5 du Code judiciaire prévoit que le juge « peut prononcer le divorce sans délai », mais il ne doit pas nécessairement le faire ; il conserve un pouvoir d’appréciation. Les parties peuvent établir en principe tout fait de nature à prouver que la désunion rend raisonnablement impossible la poursuite de la vie commune et la reprise de celle-ci. Cette sous-cause peut viser des situations où la désunion est devenue irrémédiable en raison de la faute commise par un des époux ainsi que des situations où le juge acquiert « l’intime conviction » que la désunion est époux est devenue irrémédiable.

1) La faute Sous l’empire de l’ancienne loi, un époux pouvait obtenir le divorce aux torts de l’autre pour cause d’adultère, excès, sévices et injures graves. La doctrine considère qu’un époux pourra toujours invoquer le manquement aux obligations du mariage dans le chef de l’autre pour établir, désormais, la désunion irrémédiable. Toutefois, il faut savoir que les débats intervenus lors des travaux préparatoires de la loi du 27 avril 2007 sont particulièrement confus et peu éclairants quant à savoir quels types de fautes commises par un des époux seraient de nature à démontrer que la désunion est irrémédiable, c’est-à-dire que la poursuite de la vie commune et une éventuelle reprise de celle-ci seraient devenues impossibles. On ne peut déterminer à partir des débats parlementaires le degré de gravité d’un comportement fautif à partir duquel la désunion irrémédiable de deux époux pourrait être considérée comme acquise. Par ailleurs, le constat d’adultère par huissier de justice prévu à l’article 1016bis du Code judiciaire n’a pas été supprimé par la nouvelle loi, précisément parce qu’un adultère constaté expressément pourrait être de nature à faire considérer que la désunion des deux époux est irrémédiable. Mais on ne trouve pas dans les travaux préparatoires d’indications claires à propos des circonstances dans lesquelles un adultère établi dans le chef d’un des époux conduira le juge à décider qu’il rend la désunion des époux irrémédiable.

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Il semble qu’il faille considérer qu’il appartiendra à l’époux qui demande le divorce en invoquant un adultère dûment prouvé, ou toute autre faute, de démontrer que cette faute a rendu « raisonnablement impossible » (selon les termes de l’article 229 § 1 du Code civil) la poursuite ou la reprise de la vie commune compte tenu de toutes les circonstances de la cause. Certains comportements constitutifs d’injures graves sous l’empire de l’ancienne loi pourraient donc être pris en considération, sans pour autant nécessairement être de nature à démontrer, dans tous les cas, une désunion irrémédiable. Tout dépendra donc des circonstances et de l’appréciation réalisée par le juge. Pour rappel, ce n’est plus la faute qui est la cause du divorce, c’est la désunion irrémédiable. Enfin, quant à la preuve, alors que l’aveu et le serment sont expressément exclus comme mode de preuve d’une séparation de fait (cfr supra), par contre, l’article 229 § 1er permet que la preuve positive d’une désunion irrémédiable des époux soit rapportée « par toutes voies de droit ». L’aveu et le serment ne sont pas exclus ici. Ceci paraît contradictoire dans la mesure où l’époux défendeur pourrait donc faire aveu du caractère irrémédiable de leur désunion (ou, pour certains auteurs, d’un fait concret démontrant le caractère irrémédiable de leur désunion) alors qu’il ne peut faire aveu de la durée de la séparation… Il appartiendra en fait au juge de déterminer souverainement s’il prendra en compte ou non l’aveu de l’époux défendeur, s’il l’estimera ou non convaincant pour décider, ou non, de prononcer le divorce sans délai (quant à l’auteur de la faute, par exemple d’un adultère, il ne pourrait par contre faire aveu de ce fait, car l’aveu ne constitue un mode de preuve que lorsqu’il est opposé à l’autre partie pour soutenir la preuve qu’elle est elle-même tenue d’apporter ; ce n’est donc que l’époux « victime » de l’adultère qui pourrait fait état de cet aveu qu’en aurait fait son conjoint s’il entend prouver cet adultère). On semble pouvoir constater que les tribunaux prononcent peu fréquemment des divorces sur cette base, dans des cas de désunion irrémédiable évidents et non contestés.

2) La désunion irrémédiable sans faute La désunion irrémédiable peut aussi être considérée comme établie dans situations où aucune faute n’a été commise. Une fois de plus, les travaux préparatoires ne sont pas clairs sur la question, mais le texte adopté ne permet pas d’exclure cette possibilité. Il pourrait a priori s’agir par exemple d’un état dépressif ou d’une maladie mentale d’un des conjoints. Il appartiendra néanmoins au juge d’apprécier si les faits dont la preuve lui est rapportée ont « raisonnablement » rendu impossible la poursuite ou la reprise de la vie commune, et l’on peut se demander s’il considèrera dans un tel cas qu’il est justifié de prononcer le divorce sans attendre que les délais, déjà fort courts, de l’article 229 § 3 du Code civil soient atteints. Pour rappel, la sous-cause de divorce pour cause de désunion irrémédiable exprimée à l’article 229 § 1 du Code civil n’a pas été conçue par le législateur pour permettre à un époux d’imposer un divorce à l’autre avant même qu’une séparation de fait d’un an ne soit écoulée mais uniquement pour que, dans des situations spécifiques où il est tout à fait évident que la désunion des époux est déjà irrémédiable, le divorce puisse être prononcé plus rapidement.

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Voir pour plus de détails sur ces questions J.-L. RENCHON, « La nouvelle réforme (précipitée) du droit belge du divorce : le « droit au divorce », Rev. trim. dr. fam., 4/2007, p. 925 et suivantes.

2. Le divorce pour désunion irrémédiable sollicité par les deux époux Les deux époux peuvent être d’accord sur le principe de divorcer, sans être d’accord sur toutes les conséquences de ce divorce (si tel était le cas, ils s’orienteraient vers un divorce par consentement mutuel). Ils peuvent dans ce cas demander conjointement au tribunal de prononcer un divorce pour désunion irrémédiable (à la différence du divorce par consentement mutuel, leur divorce n’est nullement subordonné à la rédaction d’une convention préalable réglant l’ensemble des modalités et des effets du divorce). La cause et la condition du divorce demandé par les deux conjoints est la désunion irrémédiable des époux. Mais le législateur a souhaité faciliter ce type de divorce, étant donné que les deux époux invoquent ensemble devant le juge que leur désunion est irrémédiable et qu’il y a dès lors toutes les raisons de croire que tel est bien le cas. En conséquence, les deux sous-causes d’un divorce pour désunion irrémédiable demandé par les deux époux sont d’une part l’existence d’une séparation de fait (a) et d’autre part l’écoulement d’un délai procédural (b) plus courts qu’en cas de divorce demandé par un époux Quand la demande est formée conjointement par les deux époux, la désunion irrémédiable est établie si les époux sont séparés de fait depuis six mois (a) ou si la demande est répétée une deuxième fois devant le tribunal à une date immédiatement ultérieure à l'écoulement du délai de six mois de séparation (b).

a) L’existence d’une séparation de fait de six mois L’article 229 § 2 du Code civil prévoit que « la désunion irrémédiable est établie lorsque la demande formée conjointement par les deux époux après plus de six mois de séparation de fait ». Les époux doivent donc apporter au juge la preuve de l’existence, au jour où le juge statue, d’une séparation de fait intervenue entre les époux depuis au moins six mois, et si tel est le cas, la désunion irrémédiable est établie de plein droit, de sorte que le juge n’a plus à apprécier si la désunion est réellement ou non irrémédiable. Comme en cas de demande par un seul des époux, il doit s’agir d’une séparation non seulement matérielle et intentionnelle. La séparation de plus d’un an se prouve par toutes voies de droit, par les mêmes voies que lorsque la demande est formée par un époux (certificats de résidence, baux, factures d’électricité, eau… à des adresses différentes), l’aveu et le serment était exclu pour les mêmes raisons que lorsque le divorce est sollicité par un époux.

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Le délai de six mois doit être écoulé au moment de l’audience d’introduction à laquelle l’affaire sera fixée (art. 1255 § 2 du Code judiciaire). S’il ne l’est pas à ce moment, et si le demandeur apporte déjà au juge des éléments de preuve de la date à laquelle le délai de séparation de fait de six mois sera écoulé, le juge fixe une seconde audience «à une date immédiatement ultérieure à l’écoulement du délai de six mois » et, si le demandeur requiert le divorce à cette seconde audience, le juge le prononcera aussitôt (art. 1255 § 1 du Code judiciaire)

b) L’écoulement d’un délai procédural de trois mois Lorsque la séparation n’a pas atteint six mois, le juge peut aussi fixer une nouvelle audience trois mois après la première comparution des parties, obligatoire à la première audience (cfr infra), à laquelle le divorce sera prononcé si les époux y confirment leur volonté de divorcer. Dans ce cas, les époux ne devront donc apporter au juge aucune preuve quelconque ; il suffit de laisser fixer par le juge une seconde audience trois mois après la première.

C. La modification éventuelle du fondement de la demande Aux termes de l'article 1254, § 5, nouveau, du Code judiciaire, jusqu’à la clôture des débats, les parties ou l’une d’elles peuvent étendre ou modifier la cause ou l’objet de la demande, introduire des demandes reconventionnelles ou ampliatives, par conclusions contradictoirement prises, ou par conclusions communiquées à l’autre conjoint par exploit d’huissier ou par lettre recommandée à la poste avec accusé de réception. Un époux qui a introduit sa demande sur la base des délais de séparation ou de procédure pourra ainsi choisir de prouver la désunion irrémédiable par toutes voies de droit, ou l'inverse. Par ailleurs, en application cette fois de l'article 1255, § 3, nouveau, du Code judiciaire, si le divorce est demandé par l’un des époux et qu’en cours de procédure, l’autre marque son accord quant à la demande, le divorce est prononcé moyennant le respect des délais visés au § 2, c'est-à-dire ceux qui sont prévus en cas de demande conjointe. § 2. La procédure en divorce pour désunion irrémédiable La procédure en divorce est une procédure particulière, en ce sens que le code judiciaire a prévu certaines règles spécifiques, dont le siège se situe aux articles 1254 et suivants du code judiciaire. La procédure en divorce (et séparation de corps) a subi plusieurs modifications, visant à l'assouplir et à la simplifier. A certains égards, elle tend à se rapprocher de la procédure de droit commun, tandis qu'à d'autres niveaux, elle a acquis de nouveaux traits spécifiques (voir infra, par exemple, le système de citation à double détente).

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A. Conditions d'exercice de l'action

1. Caractéristiques de la procédure en divorce

La procédure en divorce est constitutive d'état, c'est-à-dire qu’elle emportera modification de l'état des personnes. C'est pour cette raison que jurisprudence et doctrine considèrent traditionnellement qu'il s'agit d'une action d'ordre public. Les actions constitutives d'état sont, sauf exceptions expressément prévues par la loi, strictement personnelles (voir ci-dessous).

2. Titulaires de l'action

S'agissant d'une action personnelle, seuls les époux peuvent agir en divorce. Même certaines personnes pouvant y avoir un intérêt sont exclues de cette action: le ministère public, les créanciers des époux, leurs héritiers. Cette action ne souffre pas la représentation. La procédure en divorce est par ailleurs éteinte de plein droit par le décès d'un des époux. Ce caractère personnel de l'action pose difficulté lorsque l'un des époux ne maîtrise pas sa volonté. Une action en justice suppose que les parties soient pourvues du discernement suffisant à mener cette action. Le caractère personnel de l'action en divorce fait cependant obstacle à la mise en oeuvre des mécanismes de représentation prévus par le code civil pour pallier le manque de discernement des incapables Le Code civil a toutefois prévu une exception en autorisant la représentation d'un incapable frappé d'un trouble mental grave En application de l’article 1255, § 7, nouveau du Code judiciaire, si l’un des époux est dans un état de démence ou dans un état grave de déséquilibre mental, il est représenté en tant que défendeur par son tuteur, son administrateur provisoire, ou, à défaut, par un administrateur ad hoc désigné préalablement par le président du tribunal à la requête de la partie demanderesse. Le représentant légal ne peut toutefois pas agir en demande. Les personnes dépourvues du discernement suffisant sont donc, de par leur incapacité, dépourvues du droit d'intenter une action en divorce pour désunion irrémédiable. La capacité s'apprécie au moment de l'introduction de la demande, de sorte qu'une personne bénéficiant d'un intervalle de lucidité pendant la procédure pourrait poursuivre l'action en divorce. Une personne mise sous administration provisoire pourrait par exemple être partie à une action en divorce pour autant que son discernement soit suffisant durant la procédure. La mise sous administration provisoire n'implique en effet pas l'incapacité totale de la personne protégée puisque l'incapacité est fonction des pouvoirs de gestion accordés à l'administrateur et ne vise que les biens et non la personne du malade mental. Par contre, l'interdit judiciaire, frappé lui d'une incapacité totale est exclu d'une action en divorce pour désunion irrémédiable. Le mineur prolongé, en raison de sa minorité théorique, n'aura pas pu se marier, de sorte que le problème de l'action en divorce ne se pose pas.

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La question de la capacité ne se pose pas non plus pour le mineur d'âge, puisqu'il a été émancipé par le seul fait du mariage. Le juge est tenu de vérifier la capacité des parties et il est généralement admis qu'il doit soulever d'office cette fin de non recevoir, la question de capacité touchant à l'ordre public. En cas de doute quant au discernement de l'un des époux le juge peut ordonner une expertise et dans l'attente, suspendre la procédure. La sanction du manque de discernement suffisant de l'une des parties au procès suscite controverse: majoritairement, jurisprudence et doctrine considèrent que l'action est irrecevable en raison du défaut de capacité et de qualité. Un autre courant estime que l'absence de discernement ne peut donner lieu qu'à une exception dilatoire de surséance qui ne pourrait être soulevée que par l'époux sain d'esprit.

3. Compétence

La procédure en divorce et en séparation de corps ressort de la compétence du tribunal de première instance (art. 569 1° C. jud.). Il s'agit d'une compétence exclusive. Seul le tribunal du lieu de la dernière résidence conjugale, ou celui du domicile du défendeur est territorialement compétent pour connaître de la demande (art. 628 1° C.jud.). Il s'agit également d'une compétence exclusive quoiqu’elle ne soit pas assortie de sanction. Cette compétence ne relevant pas de l'ordre public, le juge ne peut la soulever d'office de sorte que les parties pourraient s'entendre pour porter la demande devant un autre tribunal de première instance. Si le défendeur ne soulève pas l'exception d'incompétence, la procédure se déroulera devant ce tribunal «choisi» par les parties. Si le défendeur fait défaut, il est censé décliner la compétence.

4. Délai pour intenter une action en divorce (ou en séparation de corps)

L'article 2226 du code civil stipule que l'on ne peut prescrire des choses qui ne sont point dans le commerce. La partie du Code civil relative au divorce étant au surplus muette sur la question de la prescription de cette procédure particulière, la jurisprudence en a déduit que l'action en divorce ou en séparation de corps était imprescriptible.

B. Déroulement de l’instance

1. Introduction de la demande L’article 1254 du Code judiciaire (tel que révisé par la loi du 2 juin 2010 modifiant certaines dispositions du Code civil et du Code judiciaire en ce qui concerne la procédure en divorce, Mon. b., 21 juin 2010, p. 38336) prévoit les modes d’introduction des demandes en divorce pour désunion irrémédiable. 1. La demande conjointe visée à l’article 229 § 2 du Code civil est formée par une requête signée par chacun des époux ou par au moins un avocat ou un notaire.

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2. La demande fondée sur l’article 229 § 3 du Code civil peut être introduite soit par requête aux termes de l’article 1254 alinéa 2 du Code judiciaire, soit par citation (mode ordinaire d’introduction des actions aux termes de l’article 700 du Code judiciaire), notamment via une citation « à double détente » (cfr infra). 3. La demande fondée sur l’article 229 § 1 du Code civil devra quant à elle nécessairement être introduite par citation puisque l’article 1254 du Code judiciaire ne prévoit pas qu’elle puisse l’être par requête. Dans tous les cas, les parties peuvent également comparaître volontairement. Il est précisé que lorsque la procédure est introduite par requête, les dispositions des articles 1034bis à 1034sexies s’appliquent, en d’autres termes qu’il s’agit d’une requête contradictoire. L’acte introductif doit contenir, outre les mentions habituelles, le cas échéant une description détaillée des faits, ainsi que, dans la mesure du possible, toutes les demandes relatives aux effets du divorce (sans préjudice d’une demande ampliative en cours de procédure). L’acte mentionnera aussi l’identité des enfants mineurs non mariés ni émancipés communs aux deux époux, des enfants adoptés par eux, de chaque enfant de chacun des époux dont la filiation est établie ainsi que de chaque enfant qu’ils élèvent ensemble (article 1254 § 1 al. 2 C. jud.). L’acte peut aussi contenir les demandes éventuelles relatives aux mesures provisoires concernant la personne, les aliments et les biens des parties et des enfants. Le demandeur aura donc le choix - d’introduire la demande en divorce elle-même par requête, citation ou procès-verbal de

comparution volontaire (sauf en cas de divorce demandé sur base de l’article 229 § 1 C.c.) - d’introduire la demande concernant les mesures provisoires devant le tribunal saisi de la

demande en divorce (juge du fond), ou de saisir séparément de ces demandes le président du tribunal (par citation ou par procès-verbal de comparution volontaire) ou encore de saisir simultanément le tribunal du divorce au fond et le président du tribunal des mesures provisoires par un seul exploit de citation (par ce que l’on appelle alors une « citation à double détente et à double date fixe ») (il s'agit d'une particularité de la procédure en divorce permise depuis la loi du 20 mai 1997 et laissée intacte par la loi du 27 avril 2007).

Diverses pièces d'état civil doivent figurer au dossier (une preuve de l’identité, de la nationalité et de l’inscription au registre de la population ou des étrangers, l’acte de naissance des enfants visés dans l’acte, une copie conforme du dernier acte de mariage et du dernier contrat de mariage et la preuve de la résidence actuelle). Il appartient au demandeur de fournir ses pièces, mais le greffe demandera lui-même ces documents lorsqu’il est possible de se les procurer via les registres divers en Belgique).

2. Audience d'introduction devant le tribunal

La procédure est introduite lors d'une audience appelée « audience d'introduction ». Si le ou les demandeurs ont visé dans leur acte d’introductif d’instance l’article 735 du Code judiciaire qui permet au tribunal de prendre l’affaire dès l’audience d’introduction car elle ne nécessite que des débats succincts, et si la demande est fondée sur une séparation de fait déjà établie (ou, en cas de demande fondée sur l’article 229 § 1 C.c., si des éléments factuels décisifs sont

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prouvés permettant au tribunal de constater d’emblée que la désunion est irrémédiable), l’affaire pourrait être examinée et prise en délibéré dès l’audience d’introduction. Si le défendeur fait défaut, la cause peut également directement être prise en délibéré. Conformément au nouvel article 757 § 2 11° du Code judiciaire tel qu’introduit par la loi du 2 juin 2010 modifiant le Code judiciaire et la Code civil en ce qui concerne le traitement en chambre du conseil des procédures judiciaires relevant du droit de la famille (Mon. b., 30 juin 2010, p. 43.443), les audiences ont lieu en chambre du conseil « pour autant que les parties comparaissent personnellement », sachant que le juge peut, même dans ce cas, ordonner la publicité des débats en fonction des circonstances, soit d’office, soit à la demande du ministère public ou d’une des parties à la cause. La loi exige que le demandeur ou les demandeurs en cas de demande conjointe comparaisse(nt) personnellement à la première audience, à laquelle le juge est chargé de tenter de concilier les parties et de leur donner toutes les informations utiles sur la procédure et en particulier sur l’intérêt de recourir à la médiation (article 1255 § 6 C. jud.). Il peut d’ailleurs ordonner la surséance (pour une durée d’un mois maximum) pour permettre aux parties de recueillir toutes les informations utiles à cet égard. Enfin, dans la mesure où le demandeur saisit le juge du fond à la fois de la demande en divorce et de mesures provisoires par une mention de ces demandes dans sa requête ou par le biais d’une citation à double détente (mais sans double date), le juge du fond peut, à l’audience d’introduction acter un accord total ou partiel des parties sur ces mesures et/ou renvoyer la cause à une audience de référé ultérieure. La compétence est donc limitée à l'entérinement éventuel d'un accord entre époux. Le tribunal ne tranche donc pas un litige. L'accord des parties au niveau des mesures provisoires peut être complet, ou seulement partiel. Dans la mesure où les mesures ne concernent que les époux, le juge est tenu d'entériner leur accord à ce sujet. Il dispose par contre d'un pouvoir de contrôle marginal quant aux mesures concernant la personne, les aliments et les biens des enfants du couple : il pourra refuser d’entériner cet accord si celui-ci est manifestement contraire à l’intérêt de ceux-ci et après avoir entendu l'avis du ministère public. Le juge ne dispose pas de cette compétence d’entériner des accords au niveau des mesures provisoires si la citation comportait une double date. Dans cette hypothèse en effet, la demande de mesures provisoires est directement introduite devant le président, et la saisine du tribunal se limite à la demande en divorce. Rien n'empêche cependant les époux de faire valoir devant le président un accord concernant tout ou partie des mesures provisoires.

3. Instruction de la procédure au fond

Si la demande en divorce n’est pas prise en considération à la première audience, elle pourra faire l’objet d’une mise en état selon les règles habituelles de la procédure judiciaire. Les parties échangent leurs dossiers, rédigent des conclusions et conclusions additionnelles et plaident la cause devant le tribunal. L'époux défendeur peut utiliser pour sa défense des moyens d'irrecevabilité, et des moyens visant à contester le fondement de la demande.

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Les fins de non recevoir doivent être soulevées in limine litis, c'est-à-dire avant tout autre moyen de fond. Il peut s'agir d'une exception de compétence, de défaut de qualité, d'intérêt, de capacité… Outre les exceptions d'irrecevabilité, le débat entre époux pourrait viser le fondement de la demande en divorce, même si les nouvelles conditions d’obtention d’un divorce pour désunion irrémédiable vont probablement rendre beaucoup plus rares les débats au fond... Le défendeur peut néanmoins alléguer que les conditions prévues à l’article 229 du Code civil ne sont pas remplies ou que les preuves de ce qu’elles le seraient ne sont pas fournies (défaut de preuve d’une séparation de fait de plus d’un an en cas de demande fondée sur l’article 229 § 3 C.c. ou défaut de prouver par toutes voies de droit une désunion irrémédiable en cas de demande fondée sur l’article 229 § 1 C.civ.). Quoiqu’il en soit, cette défense perdra sa pertinence dès lors qu’un délai d’un an après l’introduction de la demande sera écoulé, la demande ne pouvant alors qu’être déclarée fondée par le tribunal sur base des articles 229 § 3 C.c.et 1255 § 2 C. jud.). Le défendeur peut également introduire une demande reconventionnelle et demander lui aussi le divorce sur base des mêmes éléments ou d’éléments différents du demandeur. Lorsque les parties ont développé leurs moyens d'actions (en défense et en demande, principale, ou reconventionnelle), qu'elles ont échangé leurs conclusions et leurs dossiers de pièces, la procédure peut être fixée pour plaidoiries, conformément aux règles de procédure du droit commun. Comme indiqué supra, l’article 1254 § 5 du Code judiciaire permet à chacune des parties de former des demandes ampliatives (étendant ou modifiant la cause ou l’objet de la demande) et reconventionnelles par conclusions contradictoirement prises, ou par conclusions communiquées à l’autre par exploit d’huissier ou par lettre recommandée à la poste avec accusé de réception, et ce jusqu’à la clôture des débats.

4. Jugement et les voies de recours a) Lorsque la cause est prise en délibéré par le tribunal, le prononcé du jugement doit en

principe intervenir dans le mois.

Le tribunal prononce le divorce. Le jugement (ou l’arrêt) qui prononce le divorce doit énoncer l’identité complète des parties, ainsi que les lieu et date de la célébration du mariage (article 1269 nouveau du Code judiciaire).

b) L’article 1258 nouveau al. 1 du Code judiciaire prévoyait que les dépens seraient, en

principe, partagés entre les parties lorsque le divorce est prononcé sur base de l’article 229 § 1 ou § 2 du Code civil. La logique du législateur était de considérer que dans ces hypothèses, aucune des parties ne « succombe » au sens de l’article 1017 du Code judiciaire. Toutefois, lorsque le divorce est prononcé sur base de l’article 229 § 1, le tribunal pouvait « en décider autrement, compte tenu de toutes les circonstances de la cause ». En cas de demande fondée sur l’article 229 § 3 C.c., les dépens devaient, selon l’article 1258 al. 2 du Code judiciaire, être mis à la charge du demandeur, parce que, selon le

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législateur, c’était lui qui avait exercé son « droit au divorce » et donc imposé le divorce à son conjoint.

Toutefois, par son arrêt n° 137/2008 prononcé le 21 octobre 2008, la Cour constitutionnelle a considéré, sur question préjudicielle, que l’article 1258 alinéa 2 nouveau du Code judiciaire violait les articles 10 et 11 de la Constitution. Une loi du 17 novembre 2009 modifiant le Code judiciaire quant à la répartition des dépens entre parties dans le cadre d’une procédure en divorce est dès lors venue inscrire une solution différente dans le texte de l’article 1258 du Code judiciaire. Cette solution est exprimée de la manière suivante :

« Sauf convention contraire, les dépens sont partagés par parts égales entre les parties lorsque le divorce est prononcé sur la base de l’article 229 § 2 du Code civil. Sauf convention contraire, chaque partie supporte ses dépens lorsque le divorce est prononcé sur base de l’article 229, § 1er ou 3 du Code civil. Le juge peut toutefois en décider autrement compte tenu de toutes les circonstances de la cause ».

c) Les recours prévus dans la procédure de droit commun restent applicables à la procédure

en divorce (art. 1042 et s. C. jud.). Le jugement est susceptible d'opposition ou d'appel dans le mois de la signification (le législateur avait envisagé de supprimer la possibilité de faire appel d’un jugement de divorce au nom du « droit de divorcer » et au prétexte que les appels seraient souvent dilatoires !) et l’arrêt d’un pourvoir en cassation.

L’article 1274 nouveau du Code judiciaire tel qu’introduit par la loi du 27 avril 2007 réduisait par contre pour des raisons peu compréhensibles le délai pour se pourvoir en cassation à un mois. La loi du 2 juin 2010 a supprimé cette particularité, de sorte que le délai est le délai ordinaire de trois mois (article 1073 du Code judiciaire). Le délai d’appel, d’opposition et de pourvoi en cassation commence à courir à partir de la signification du jugement (art. 1276 alinéa 2 du Code judiciaire introduit par la loi du 23 juin 2010). Une signification est donc nécessaire pour rendre la décision coulée en force de chose jugée, même en cas de divorce prononcé sur demande conjointe des époux.

d) L'exercice d'une voie de recours est toujours suspensif en matière de divorce (articles

1275 § 2 et 1254 du Code judiciaire). Il n’est pas possible de demander l'exécution provisoire (article 1399 du Code judiciaire) et donc de transcrire le divorce avant l’expiration du délai et du recours (art. 1276 du Code judiciaire).

5. Transcription

La transcription du dispositif du jugement dans le registre de l'état civil, si elle n'est plus une formalité substantielle, reste indispensable pour rendre le divorce opposable aux tiers (art. 1278 C. jud.). La transcription n'est possible qu'à partir du moment où le jugement est devenu définitif, c'est-à-dire lorsqu'il a acquis force de chose jugée (épuisement des voies de recours).

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Concrètement, la première formalité à accomplir consiste à faire signifier le jugement prononçant le divorce à l'autre partie par exploit d'huissier de justice afin de faire courir les délais des voies de recours. Une fois ces délais épuisés sans qu'aucune partie n'ait effectivement intenté de recours, le jugement devient définitif. Le greffier peut alors transmettre une copie du jugement à l'officier de l'état civil du lieu où les époux s'étaient mariés, qui en fait mention en marge de l'acte de mariage (art. 1275 C. jud.). § 3. Les mesures provisoires de la procédure en divorce

A. La nature des mesures provisoires

Les mesures provisoires de la procédure en divorce sont les mesures qui seront prises parallèlement à la procédure en divorce proprement dite, tant à propos de la personne et des aliments des époux et de leurs enfants (relations personnelles) que de leurs biens (relations patrimoniales) (art. 1280 C. jud.). La compétence de prendre ces mesures est réglée de la manière suivante: - le tribunal de première instance, c'est-à-dire la section civile du tribunal saisie de la

demande en divorce, peut acter l'accord des époux sur ces mesures provisoires ou sur une de ces mesures provisoires ;

- par contre, lorsque les parties sont en litige à propos de ces mesures provisoires, seul le

président du tribunal de première instance est compétent pour trancher le litige. La compétence du président du tribunal naît dès l'introduction de la procédure en divorce et cesse dès le jour de la dissolution du mariage (sous la seule exception de la saisine permanente du juge qui a prononcé la décision en cas de non respect d’une décision relative à l’hébergement de l’enfant –article 387ter nouveau du Code civil – cfr infra), étant entendu que, dans la mesure où la compétence d'une juridiction s'apprécie à la date à laquelle elle a été saisie et non à la date à laquelle elle se prononce, le président du tribunal pourra se prononcer, après la dissolution du mariage, sur une demande qui lui a été soumise avant la dissolution du mariage. Cette compétence expressément conférée au président du tribunal statuant en référé s'explique par le souci que le législateur a eu de permettre que ces mesures puissent être prises dans le contexte d'une procédure accélérée. En effet la procédure introduite et instruite devant le président du tribunal statuant en référé est soumise à des règles dérogatoires au droit commun de la procédure de façon à ce que le litige puisse être tranché dans les meilleurs délais. La compétence du président conformément à l’article 1280 du Code judiciaire n’est pas pour autant une compétence « de référé », mais « de fond » puisque le président est le seul juge compétent pour prendre ce type de mesures durant la procédure de divorce. Il statue donc « au principal » 24. Même si les mesures qu’il ordonne sont qualifées de « provisoires » parce

24 On ne peut plus se référer, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 2 juin 2010 qui a abrogé l’article 1257 du Code judiciaire, aux dispositions qui avaient été insérées dans l’article 1257 du Code judiciaire par la loi du 27

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qu’elles sont prises dans l’attente de la décision qui devra intervenir sur le divorce. Certaines de ces mesures seront néanmoins définitives, tout en étant restées temporaires, au sens où elles n’étaient destinées à produire leurs effets que tant que le mariage ne serait pas dissous. Il en est notamment ainsi des mesures relatives à l’exécution du devoir de secours entre époux, puisque le devoir de secours est intrinsèquement lié à l’existence du mariage et ne lie dès lors plus les époux l’un à l’égard de l’autre à partir du jour de la dissolution 25. D’autre mesures doivent, au contraire, être comprises comme des mesures provisionnelles, au sens de l’article 219 du Code judiciaire, jusqu’à ce qu’après la dissolution du mariage, il soit statué définitivement sur les droits et obligations respectives des époux. Il en est généralement ainsi des mesures relatives aux biens des époux. On notera néanmoins que cette question reste controversée et qu’on a parfois ou souvent soutenu que toutes mesures provisoires, même celles relatives aux biens des époux, cessent de produire leurs effets à la dissolution du mariage, à la seule exception de celles relatives aux enfants dont le sort est expressément réglé par l’article 302 du Code civil.

B. Les règles de procédure

Même si sa compétence n'est pas une compétence de référé, la procédure devant le président du tribunal est soumise aux règles de la procédure en référé (art. 1035 et s. C. jud.). Conformément au nouvel article 757 § 2 11° du Code judiciaire tel qu’introduit par la loi du 2 juin 2010 modifiant le Code judiciaire et la Code civil en ce qui concerne le traitement en chambre du conseil des procédures judiciaires relevant du droit de la famille (Mon. b., 30 juin 2010, p. 43.443), les audiences ont lieu en chambre du conseil « pour autant que les parties comparaissent personnellement », et sachant que le juge peut, même dans ce cas, ordonner la publicité des débats en fonction des circonstances, soit d’office, soit à la demande du ministère public ou d’une des parties à la cause. Pour rappel, le président du tribunal est saisi - sur renvoi de l’affaire par le juge du fond, la requête ou la citation en divorce (ou par

procès-verbal de comparution volontaire) contenant les demandes relatives aux mesures provisoires, et celui-ci ayant acté ou non un accord partiel sur les mesures provisoires à l’audience d’introduction (cfr supra) ;

- distinctement du juge du fond, par une citation (ou par procès-verbal de comparution volontaire), le délai de citation étant réduit à deux jours (« citation à double détente et double date fixe »).

Enfin, l'article 1280, al. 8 et 9 du Code judiciaire permet à chacun des époux, lorsque le président du tribunal a déjà été saisi par un exploit de citation du règlement des mesures provisoires de la procédure en divorce et qu'il a déjà statué sur les demandes qui lui furent soumises, d'introduire une nouvelle demande tendant à entendre ordonner une nouvelle mesure par la voie simplifiée du dépôt de conclusions au greffe sans que le demandeur ou le

avril 2007 et qui, assez curieusement, prévoyaient que « les mesures ordonnées en référé sont provisoires au sens de l’article 1039, alinéa 1er du Code judiciaire ». 25 Le raccourcissement considérable de la durée d’une procédure en divorce depuis l’entrée en vigueur de la loi du 27 avril 2007 peut dès lors avoir pour conséquence que les mesures « temporaires » ordonnées par le président du tribunal ne sortiront leurs effets que pendant une très courte période.

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défendeur en divorce ne doive faire signifier un nouvel exploit de citation (saisine permanente). Le président du tribunal reste ainsi saisi du règlement de toutes les nouvelles mesures provisoires qui pourraient lui être soumises jusqu'à la dissolution du mariage des parties.

C. Le contenu des mesures provisoires

1. Les mesures provisoires relatives aux époux Le président du tribunal est compétent pour : 1. fixer les résidences séparées des époux et enjoindre à un des époux de se retirer de la

résidence attribuée à l'autre époux.

En cas de contestation, le tribunal statue en fonction des éléments de fait justifiant de l’attribution de la jouissance de l’ex-résidence conjugal à l’un des époux plutôt que l’autre (exercice d’une activité professionnelle, hébergement des enfants, …). La loi du 28 janvier 2003 visant à l’attribution du logement familial au conjoint ou cohabitant légal victime d’acte de violence physique de son partenaire a modifié l’article 1280 du Code judiciaire et prévu que si un époux a commis à l’encontre de l’autre un fait de violence, ou s’il existe des indices sérieux de tels comportement, l’époux victime se verra attribuer, sauf circonstances exceptionnelles, la jouissance de la résidence conjugale s’il en fait la demande.

2. statuer sur les modalités d'exécution du devoir de secours entre époux.

Un des époux peut demander la condamnation de l’autre au paiement d’une pension alimentaire durant l’instance (ou provision alimentaire), en exécution du devoir de secours (article 213 C. civ.) qui se maintient jusqu’à la dissolution du mariage. Cette pension doit être évaluée de manière à permettre à l’époux bénéficiaire de mener le train de vie qui aurait été le sien s’il n’y avait pas eu de séparation (Cass., 9 septembre 2004, Rev. trim. dr. fam., 2004, p. 1030, note N. Dandoy). Voy. les développements consacrés à la portée du devoir de secours, supra, Chapitre III.

Voy. également les questions controversées que soulève la nouvelle loi du 27 avril 2007 à propos de la possibilité pour le président du tribunal statuant sur les mesures provisoires de tenir compte de la faute de l’époux qui réclame le secours alimentaire.

Le conjoint qui a, jusqu’à la dissolution du mariage, bénéficié d’une pension alimentaire fondée sur le devoir de secours pendant la procédure en divorce ne sera pas tenu de la restituer après le divorce. En effet, pour ce qui concerne les relations personnelles entre les époux, le divorce ne produit ses effets qu’à partir du jour où la décision qui prononce le divorce acquiert force de chose jugée (cfr infra).

A la différence de la pension après divorce (voir infra), le devoir de secours entre époux peut s’exécuter selon d’autres modalités que le versement d’une pension alimentaire.

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Le président du tribunal peut dès lors aussi condamner à des époux :

- à mettre à la disposition de son conjoint la jouissance gratuite d’un immeuble (propre, commun ou indivis), de meubles meublants, d’un véhicule automobile, avec la conséquence que cet époux ne devrait alors plus payer d’indemnité d’occupation ou d’usage lors de la liquidation du régime matrimonial (voir infra Titre IV)

- à payer à un tiers certaines dettes ou certaines charges du mariage (le loyer, les

échéances d’un prêt hypothécaire, un arriéré d’impôts…)

- à payer à son conjoint une « provision ad litem », destinée à lui permettre de faire face, ne fût-ce que partiellement, aux frais liés à la procédure et plus particulièrement aux honoraires de son avocat.

3. ordonner des mesures conservatoires des droits patrimoniaux des époux : désignation d'un

notaire chargé de procéder à un inventaire, d'un séquestre, d'un expert chargé de procéder à une évaluation ou à une investigation comptable… ;

4. statuer sur les litiges relatifs à la gestion des biens communs ou indivis des époux ;

5. allouer aux époux des provisions sur leurs droits et obligations respectifs qui ne seront déterminés qu'après la dissolution du mariage.

6. allouer à chacun des époux la jouissance de certains meubles meublants, avec interdiction d’en disposer le plus souvent.

Les décisions du président du tribunal qui mettent en oeuvre les droits et obligations strictement liés au mariage des parties - par exemple la décision qui alloue à un des époux une pension alimentaire fondée sur le devoir de secours - ne sortiront leurs effets que jusqu'à la dissolution du mariage.

2. Les mesures provisoires relatives aux enfants Le président du tribunal est compétent est compétent pour : - déterminer les modalités d'exercice de l'autorité parentale des époux à l'égard de leur(s)

enfant(s) ; - déterminer les modalités d’hébergement des enfants ; la loi du 18 juillet 2006 impose au

président d’examiner prioritairement la possibilité d’attribuer l’hébergement de façon égalitaire aux père et mère, ce qui ne signifie nullement que ce mode d’hébergement sera nécessairement retenu ni conforme à l’intérêt de l’enfant.

- statuer sur les litiges relatifs à l'obligation parentale d'entretien des époux à l'égard de leur(s) enfant(s), et donc déterminer le montant de la contribution alimentaire qu’un des parents payera éventuellement à l’autre pour les enfants, la prise en charge des frais extraordinaires relatifs à l’enfant (notamment les frais médicaux non couverts par la mutuelle ou une assurance complémentaire, les frais de la rentrée scolaires et des activités parascolaires organisées par l’école, etc…)

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ou acter l’accord des parties quant à ces mesures si l’accord n’est pas manifestement contraire à l’intérêt de l’enfant.

Depuis la loi du 30 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, le procureur du Roi doit nécessairement siéger à l'audience du président du tribunal de première instance -ou du tribunal proprement dit- lorsque la demande porte sur une ou plusieurs mesures provisoires relatives aux enfants, afin d'y exprimer son avis en fonction des exigences de l'intérêt des enfants. Le président du tribunal pourra : - demander au procureur du Roi de faire procéder à enquête de police ou une étude sociale

permettant de recueillir des informations sur la situation morale et matérielle des enfants (enquête de police ou étude sociale) (article 1280 al. 3 et 4 du Code judiciaire).

- ordonner la réalisation d’une expertise médico-psychologique réalisée par un médecin pédopsychiatre ou un psychologue qui permettra une analyse plus approfondie des relations familiales

- procéder à l’audition de l’enfant conformément à l’article 931 du Code judiciaire (l'article 1280, alinéa 2, du Code judiciaire précise expressément que le président du tribunal tiendra compte, le cas échéant, des opinions exprimées par les enfants dans le cadre de cette audition).

L’article 374 § 1 et 2 du Code civil (tel qu’issu de la loi du 18 juillet 2006) prévoit en outre que tout tribunal statuant en matière d’autorité parentale et d’hébergement de l’enfant doit : - tenter de concilier les parties, leur donner des informations sur la médiation et possibilité

d’ordonner une surséance durant maximum un mois pour permettre aux parties d’entamer une médiation ;

- ordonner une mesure préalable destinée à instruire la demande ou à régler provisoirement la situation des parties pour un délai qu’il détermine ;

- statuer dans l’intérêt de l’enfant. Ces différentes mesures sont exposées plus en détails au Titre V, La filiation et la parentalité, Sous-Titre II, Les effets de la filiation, Chapitre II L’Autorité parentale. Aux termes de l’article 302 du Code civil, les mesures prises durant l’instance en ce qui concernent les enfants continueront à sortir leur effet même lorsque le divorce sera devenu définitif).

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§ 4. Les effets du divorce

A. Dissolution du mariage

Le principal effet du divorce est bien entendu de dissoudre le mariage (art. 227, 2° C.civ.). Les époux ainsi déliés peuvent en l'occurrence se remarier.

B. Effets quant à la personne des ex-époux La décision judiciaire prononçant le divorce produit ses effets à l'égard de la personne des ex-époux à compter du jour où elle est coulée en force de chose jugée (art. 1278 al. 1 C.jud.), c'est-à-dire à partir du moment où le délai pour introduire les voies de recours est expiré, et ce, indépendamment de la formalité de la transcription.

1. Fin des obligations découlant du mariage

Le mariage étant dissous, les ex-époux sont dégagés des devoirs et obligations auxquels ils étaient tenus vis-à-vis l'un de l'autre par les articles 212 et suivants du code civil. Il est en conséquence automatiquement mis fin à l'obligation de cohabitation, au devoir de secours et assistance, et au devoir de fidélité. Sauf accord exprès entre parties, l’usage permettant à la femme de porter le nom de son ex-mari prend fin26.

2. Pension alimentaire après divorce

a) Compétence judiciaire

Le tribunal de première instance saisi de la demande en divorce peut être également saisi d'une demande d'octroi de pension alimentaire après divorce, fondée sur l'article 301 du Code civil. Le tribunal pourrait statuer sur les deux demandes en même temps. Il arrivera cependant fréquemment que le débat sur la pension après divorce soit plus complexe et que l’on disjoigne l'instruction de cette demande de l'instruction de la demande en divorce. Il en résulte alors que le juge prononce le divorce, de telle sorte que le devoir de secours prend fin lorsque cette décision acquiert force de chose jugée, alors que le juge n’a pas encore statué sur la pension après divorce.

26 La Cour d’appel de Bruxelles a néanmoins considéré « que des circonstances exceptionnelles peuvent, du fait de la notoriété acquise, créer au profit de la femme un droit intellectuel transformant le nom du mari soit en un pseudonyme littéraire ou artistique soit une raison sociale ou commerciale. L’autorisation de continuer à porter le nom du mari après la dissolution du mariage peut dès lors être conférée lorsqu’il n’est pas contesté que les parties appartiennent à une génération où la norme était que l’épouse utilise le nom du mari dans la vie sociale et professionnelle et que la longévité exceptionnelle de leur mariage a créé une institution sociale dont il découle que l’épouse, âgée de 76 ans, n’est mondainement et socialement connue que sous son nom d’épouse (Bruxelles, 3ème Ch., 30 mai 2002, Rev. trim. dr. fam., 2003, p. 111).

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La demande de pension alimentaire peut également être introduite après la dissolution du mariage. Dans ce cas, le juge de paix retrouve sa compétence naturelle en matière de pension alimentaire, conformément à l'article 591, 7°, du Code judiciaire.

b) Principe : le droit à la pension Dans l’ancien droit, la responsabilité de l’échec du mariage, déterminée à travers les anciennes causes de divorce (divorce pour faute ou présomption de faute dans le chef de celui qui demandait le divorce pour cause de séparation de fait) désignait le titulaire du droit de demander une pension après divorce : seul le conjoint dans le chef duquel aucune faute n’avait pu être établie pouvait y prétendre. Si le divorce était prononcé aux torts réciproques des parties, aucun n'avait droit à recevoir une pension alimentaire après divorce. Le droit à l'obtention d'une pension alimentaire après divorce était souvent l'enjeu de l'établissement de la preuve des fautes de l'autre époux. Cette faute justifiait aussi l’étendue de la pension après divorce, qui consistait expressément à assurer autant que possible au conjoint innocent le maintien des conditions de vie qu’il connaissait lorsque les époux vivaient encore ensemble. La pension après divorce revêtait alors un caractère indemnitaire en ce qu’elle était une conséquence de la culpabilité de l’un des conjoints : seul l’époux innocent pouvait y prétendre et la pension devait compenser dans son chef la déconfiture financière qui découlait de la dissolution du mariage. La suppression, par la loi du 27 avril 2007, de la prise en compte de la faute au niveau des causes de divorce impliquait dès lors la révision du fondement et de la signification de la pension après divorce. Il aurait paru logique de considérer que, de même qu’il fallait admettre le divorce dès lors que les époux ne s’entendaient plus, les conséquences financières de la rupture devaient aussi être réglées indépendamment de toute notion de faute. Ce n’est pas l’option retenue finalement par le législateur, parce qu’il ne paraissait pas admissible que le mariage devienne le seul contrat dont l’inexécution fautive n’aurait entraîné aucune sanction juridique. Le législateur a donc décidé que tout époux dans le besoin était en droit de réclamer une pension alimentaire après divorce mais que le conjoint potentiellement débiteur pouvait contrer cette demande en établissant l’existence d’une faute grave commise par l’époux qui réclame la pension alimentaire (voir infra, « Privation du droit à la pension »). Ainsi, tout époux qui s’estime dans le besoin peut réclamer une pension après divorce, sans égard, a priori, aux circonstances qui ont entraîné le prononcé du divorce. Peu importe que le conjoint dans le besoin soit demandeur ou défendeur en divorce, ou que la demande en divorce ait été conjointe. Peu importe que la désunion irrémédiable ait été établie sur la base d’un fait particulier ou d’une séparation de fait. La demande alimentaire peut cependant être tenue en échec si l’autre époux apporte la preuve d’une faute grave. Par rapport au droit antérieur, la charge de la preuve de la faute grave est dès lors renversée. L’article 301 § 2 nouveau du Code civil prévoit désormais que « le tribunal peut, dans le jugement prononçant le divorce ou lors d’une décision ultérieure, accorder à la demande de l’époux dans le besoin, une pension alimentaire à charge de l’autre époux ».

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Le critère de l’octroi de la pension est donc désormais strictement alimentaire, étant donné que la pension après divorce n’a plus vocation à réparer un quelconque dommage résultant d’un comportement fautif, mais uniquement à procurer une aide à l’époux « dans le besoin » (art. 301, § 2, C. civ.). Il est largement admis que le titulaire du droit, au sens de l’article 301, § 2, du Code civil, est celui des deux époux dont la situation économique est inférieure à celle de l’autre. Il ne doit donc pas établir qu’il se trouve dans l’incapacité de pourvoir par lui-même à ses besoins les plus élémentaires. La notion d’état de besoin se retrouve aussi au paragraphe 3 de l’article 301, qui vise la manière dont le juge doit évaluer le montant de la pension après divorce. A cet égard, cette notion suscite beaucoup plus de controverses (voir infra, « La fixation du montant de la pension alimentaire »).

c) Privation du droit à la pension Le législateur, s’il n’a plus fondé l’octroi de la pension alimentaire après divorce sur la faute, a cependant donné au juge la possibilité ou l’obligation selon le cas de priver un conjoint pourtant dans le besoin du droit à la pension.

1) Faute grave L’article 301 § 2 al. 2 du Code civil prévoit que « le tribunal peut refuser de faire droit à la demande de pension si le défendeur prouve que le demandeur a commis une faute grave ayant rendu impossible la poursuite de la vie commune ». La notion de faute n’a donc pas disparu : elle s’est déplacée dans le débat alimentaire… La nouveauté réside dans la charge de la preuve. Comme il a été indiqué ci-dessus, il appartient à l’époux qui se voit opposer une demande de pension alimentaire après divorce d’établir une faute grave dans le chef de celui qui la demande. A défaut, et si les conditions relatives au « besoin » du demandeur sont remplies, la pension après divorce sera accordée. Il est donc possible qu’un époux qui a commis quelque tort bénéficie d’une pension après divorce parce que l’autre conjoint n’a pas pu en apporter la preuve, ou que le juge n’a pas considéré les faits comme suffisamment graves. Le pouvoir d’appréciation du juge saisi de la demande alimentaire porte en effet sur la réalité du comportement invoqué (qui doit être prouvé par toutes voies de droit) et sur son caractère culpeux d’une part et grave d’autre part. Lorsque la désunion irrémédiable des époux résulte de la preuve de faits particuliers, et non d’une durée de séparation de fait, il serait tentant de penser que ces mêmes faits doivent conduire à exclure l’époux qui en est l’auteur de toute pension après divorce. Les conditions de la désunion irrémédiable et de la faute grave sont cependant différentes (comparez les articles 229 § 1 et 301 § 2, alinéa 2). S’il est possible qu’une faute, un adultère par exemple, entraîne à la fois la désunion irrémédiable et la déchéance de la pension après divorce, par contre, d’une part, tout fait ou tout constat de désunion irrémédiable ne constitue pas nécessairement une faute grave, et d’autre part, toute faute grave n’entraîne pas nécessairement la rupture de la vie commune. Il peut en effet arriver qu’un époux commette

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ce qu’on pourrait qualifier une faute grave, mais que l’autre époux ait malgré tout décidé de poursuivre la vie commune. Dans ce cas, il ne pourra plus, ensuite, se baser sur cette faute-là pour déchoir son conjoint d’une pension après divorce, puisque la faute grave alléguée n’a pas entraîné la rupture de la vie commune. De la même manière, un adultère postérieur à la rupture de la vie commune et au moment où la désunion est déjà irrémédiable, ne devrait donc pas avoir de conséquence sur le droit à la pension. Par contre, ce même adultère pourrait servir de « preuve » à la désunion irrémédiable. La privation de la pension en présence d’une faute grave n’est toutefois pas automatique puisque le texte prévoit que dans ce cas le tribunal « peut » et non « doit » refuser de faire droit à la demande.

2) Violences conjugales

Dans le contexte des différentes législations récentes considérant la violence à l’égard du conjoint comme particulièrement inacceptable (cfr supra en matière de mesures provisoires), le législateur, embarrassé de ne pas retenir comme tel une cause de divorce « à part », prévoit qu’en aucun cas, la pension alimentaire n’est accordée au conjoint reconnu coupable de violences conjugales (article 301 § 2 al. 3). Le juge ne dispose pas dans ce cas de pouvoir d’appréciation, ni sur le caractère culpeux, ni sur la gravité du fait, qui fait perdre automatiquement le droit à une pension alimentaire si une condamnation pénale a été prononcée par les tribunaux correctionnels. Si l’action pénale est en cours, le tribunal saisi de la demande alimentaire peut accorder une pension provisionnelle en tenant compte de toutes les circonstances de la cause.

3) Besoin créé L’article 301 § 5 du Code civil prévoit encore que si le défendeur prouve que l’état de besoin du demandeur résulte d’une décision prise unilatéralement par celui-ci, par exemple, cesser toute activité professionnelle, sans que les besoins de la famille n’aient justifié ce choix, le tribunal peut refuser d’accorder la pension alimentaire. Le débat pourrait donc porter, dans certains cas, sur le caractère bilatéral ou unilatéral d’une décision d’arrêt ou réduction de ses activités professionnelles par un des conjoints, par exemple à la naissance d’un Xème enfant. La preuve à fournir a posteriori ne sera pas toujours aisée…

d) La fixation du montant de la pension alimentaire Le montant de la pension peut tout d’abord être déterminé de commun accord par les époux, ce qu’encourage la loi (art. 301, § 1er C. civ.). A défaut d’accord, l’article 301 § 3 prévoit que le montant de la pension doit « couvrir au moins l’état de besoin du bénéficiaire », ce qui donne à penser que l’état de besoin est la

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valeur minimale de la pension mais que l’on peut, voire doit selon les critères suivants déterminés et exposés ci-dessous, aller au-delà de cet état de besoin minimal… En effet, l’article 301 § 3 poursuit (al. 2) en indiquant différents éléments dont le tribunal doit tenir compte à savoir : - les revenus et possibilités des conjoints sachant que

� la pension ne peut excéder le tiers des revenus du débiteur (article 301 § 3 dernier alinéa). Il s'agit des revenus nets, c’est-à-dire après paiement des charges sociales et fiscales, que le juge est ainsi amené à évaluer.

� les « possibilités » renvoient à la mise en œuvre par les époux de leur possibilité d’obtenir des revenus par exemple en exerçant une profession, le juge appréciant ces possibilités en tenant compte de l'âge du créancier d’aliments, de ses aptitudes professionnelles et des possibilités offertes sur le marché du travail ;

� l'évaluation des revenus et possibilités des parties s'effectue au moment du divorce, mais en tenant compte de certains événements futurs et certains, tel un changement imminent de profession, une mise à la retraite, le paiement ou l'acquisition de prestations sociales …

- la dégradation significative de la situation économique du bénéficiaire, sachant qu’il est

précisé que pour apprécier cette dégradation le juge se fonde notamment (et non exclusivement) sur

� la durée du mariage � l’âge des parties � leur comportement durant le mariage quant à l’organisation de leurs

besoins, la charge des enfants pendant la vie commune ou après celle-ci.

Le législateur n’a pas indiqué de quelle manière le juge doit « tenir compte » de ces différents éléments. Plusieurs questions se posent ainsi en doctrine et en jurisprudence :

- (1) l’état de besoin est-il identique à celui qui est visé aux articles 205 et suivants du Code civil, alors que la pension après divorce est traditionnellement classée parmi les obligations alimentaires dites « étendues » tandis que les obligations alimentaires visées aux articles 205 et suivants du Code civil sont qualifiées « d’obligations alimentaires restreintes » (voir infra) ?

- (2) la dégradation de la situation économique du bénéficiaire, qui permet au juge

d’accorder une pension qui peut assouvir davantage que l’état de besoin, peut-elle justifier un montant de pension alimentaire qui replace l’époux bénéficiaire dans les mêmes conditions de vie que celles qu’il connaissait du temps de la vie commune ?

- (3) la dégradation de la situation économique du conjoint qui réclame la pension

alimentaire doit-elle être appréciée par rapport à sa situation économique antérieure au mariage ou plutôt par rapport à sa situation économique antérieure à la séparation ? En

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d’autres termes, faut-il examiner dans quelle mesure le mariage a pu entraîner la dégradation du potentiel économique de l’époux, en raison par exemple de choix posés par le couple en matière de carrières professionnelles ou d’éducation des enfants ? Ou s’agit-il d’apprécier dans quelle mesure la séparation des époux a pu entraîner une dégradation financière pour l’un des conjoints ?

La nouvelle loi laisse à tout le moins un pouvoir d’appréciation considérable au juge pour évaluer le montant de la pension alimentaire après divorce, ce qui rend ce type de litige particulièrement imprévisible… Un arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2009 (Act. dr. fam., 2009, p. 199, note critique d’A.-C. Van Gysel, « Les critères de fixation du montant de la pension alimentaire suivant la Cour de cassation » et Rev. trim. dr. fam., 2010, p. 553, note approbatrice de N. Dandoy, « La réhabilitation, par la Cour de cassation, du « niveau de vie des époux pendant la vie commune » parmi les critères qui peuvent déterminer le montant de la pension après divorce ») a quelque peu clarifié les choses. Selon la Cour de cassation « il résulte des termes de l’article 301 § 3 al. 1 et 2 nouv. du Code civil « que, pour fixer le montant de la pension alimentaire après divorce, le juge tient compte non seulement de la dégradation de la situation économique du bénéficiaire résultant des choix opérés par les époux durant la vie commune mais aussi de la dégradation significative de sa situation économique en raison du divorce », tandis que « la notion de comportement des parties durant le mariage quant à l’organisation de leurs besoins, au sens de l’article 301 § 3 précité, recouvre la notion de train de vie » et, dès lors, « pour fixer le montant de la pension alimentaire, le tribunal peut notamment tenir compte du niveau de vie des parties pendant le mariage ». Par rapport à la controverse relative à la question de savoir si la dégradation s’entendait de celle qui résultait du mariage ou du divorce, la Cour répond qu’il n’est pas nécessaire de comparer la situation du créancier d’aliments avant et après le mariage ou de comparer sa situation au moment du divorce avec le potentiel économique qu’il aurait pu avoir s’il ne s’était jamais marié. Il suffit de constater que le divorce entraîne un revers économique parce qu’il prive un des conjoints d’un confort que lui apportait le mariage (voir ci-dessus, controverse (3)). La Cour constate par ailleurs que le texte de l’article 301 n’empêche pas le juge d’accorder une pension après divorce qui replace le bénéficiaire dans des conditions de vie similaires à celles qu’il connaissait durant le mariage, sans que la notion de « besoin » y fasse obstacle (voir controverse (2)). Elle ne se prononce par contre pas de manière explicite sur la question de savoir si la notion d’état de besoin au sens de l’article 301 du Code civil s’apparente ou non à celle qui est contenue à l’article 205 du même Code (voir controverse (1)). L’interprétation donnée par la Cour de cassation à la portée de l’article 301, § 3, du Code civil, c’est-à-dire à la manière dont il faut déterminer le montant de la pension alimentaire après divorce, ne signifie cependant pas que la pension après divorce doit nécessairement tendre au maintien du niveau de vie des époux. L’évaluation du montant de la pension alimentaire doit osciller entre un état de besoin minimal et le tiers des revenus du débiteur. Entre ces deux montants, toute justification fondée sur les éléments de la cause, c’est-à-dire,

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sur la durée du mariage, l’organisation des parties, leurs revenus et leurs opportunités de s’en procurer, ou tout autre élément concret susceptible d’avoir une influence sur la situation économique des ex-époux, peut conduire à moduler le montant de la pension après divorce, semble-t-il à la libre appréciation du juge.

e) Durée de la pension L’article 301 § 4 du Code civil prévoit que la pension est d’office limitée dans le temps puisqu’il prévoit que la durée de la pension ne peut être supérieure à la durée du mariage (ce qui inclut le temps de la procédure en divorce). En cas de circonstances exceptionnelles le tribunal peut prolonger le délai si le bénéficiaire démontre qu’à son expiration il reste pour des raisons indépendantes de sa volonté dans un état de besoin. L’état de besoin est alors conçu strictement à ce moment, puisqu’il s’agira uniquement du montant nécessaire pour le couvrir. La loi ne précise pas la durée maximale de cette pension « prorogée » de sorte que rien n’empêche le juge de prolonger la pension jusqu’au décès de son bénéficiaire. Rien ne l’empêche non plus de prolonger la pension à plusieurs reprises.

f) Variabilité de la pension alimentaire - Le tribunal peut avoir décidé dès le départ que le montant de la pension serait dégressif et

déterminé la mesure de cette dégressivité (article 301 § 3 la. 2 C.civ.). - Le tribunal constate par ailleurs dans son jugement que la pension alimentaire fluctue en

fonction de l'indice des prix à la consommation. L’indexation est donc acquise de plein droit. Les conditions de cette indexation ont été précisément réglées par la loi (article 301, § 6, al. 1 C. civ.).

- L’article 301 § 7 du Code civil quant à lui précise que le tribunal peut augmenter, réduire

ou supprimer la pension si par suite de circonstances nouvelles et indépendantes de la volonté des parties, son montant n’est plus adapté. La condition de circonstances «nouvelles» signifie que l'événement invoqué doit être postérieur à la fixation initiale du montant, ou du moins inconnu à ce moment. Cette règle est également applicable aux pensions alimentaires fixées de commun accord entre les époux, hormis si les parties ont expressément convenu le contraire (l’article 301 § 7 du Code civil tel que révisé par la loi du 2 juin 2010 débutant désormais par les termes « sauf si les parties ont convenu expressément le contraire »).

- La pension pourra aussi être revue si en suite de la liquidation-partage du régime

matrimonial, la situation des époux s’est modifiée de sorte qu’une adaptation de la pension se justifie (art. 301 § 7 al. 2).

- La pension prend définitivement fin en toute hypothèse en cas de remariage du

bénéficiaire (qui fait naître à son profit un nouveau devoir de secours) ou en cas de déclaration de cohabitation légale du bénéficiaire, sauf convention contraire entre les

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parties (article 301 § 10 al. 2). Le juge peut aussi mettre fin à la pension si le bénéficiaire vit maritalement avec une autre personne. Dans cette dernière hypothèse, il s’agit seulement d’une faculté, et non d’une conséquence obligatoire comme c’est le cas pour un nouveau mariage ou une déclaration de cohabitation légale. Par ailleurs, en cas de concubinage du créancier, on pourrait considérer que la pension après divorce est maintenue mais diminuée, parce que le fait de cohabiter constitue un changement de circonstances qui permet de modifier le montant de la pension conformément à l’article 301, § 7 du Code civil.

g) Modalités d'exécution du paiement de la pension

- La pension alimentaire après divorce peut, à tout moment, être remplacée par un capital,

soit de l’accord des parties, homologué par le tribunal, soit par décision du tribunal à la demande de l’époux débiteur (article 301 § 8 C.civ.).

- La pension alimentaire fait partie des créances privilégiées lors d'une saisie sur le

patrimoine du débiteur d'aliments : aucune limite de saisissabilité ne peut être opposée au créancier d'aliments (art. 1412 C. jud.). Par contre, la pension alimentaire perçue en vertu de l'article 301 du Code civil est protégée par une limite de saisissabilité, de sorte que le créancier d'aliments conserve un minimum vital lors de saisies sur son patrimoine par des tiers (art. 1410, 1°, C. jud.).

- La condamnation au paiement d'une pension alimentaire après divorce peut être assortie

d'une délégation de sommes (art. 301§ 11 C. civ.). Ce mécanisme permet au créancier de percevoir directement le montant qui lui est dû sur le salaire ou une autre créance de son ex-conjoint. Il s'agit d'une voie particulière d'exécution forcée de la décision de condamnation au paiement d'une pension. Les tribunaux n'accordent pas d'office cette mesure, mais la réservent aux hypothèses dans lesquelles le créancier d'aliments s'est déjà heurté à des difficultés d’exécution d'une décision antérieure en raison par exemple de la négligence ou de la mauvaise foi du débiteur d'aliments.

- Le nouvel article 1322/1 du Code judiciaire, inséré par la loi du 19 mars 2010 (entrée en

vigueur le 1er août 2010), prévoit que « la décision qui statue sur une pension alimentaire est de plein droit exécutoire par provision ». Cette disposition générale s’applique bien entendu aux pensions après divorce. L’ancien article 301, § 12, du Code civil a donc été abrogé par la loi du 19 mars 2010.

h) Possibilités de transaction Les époux ne peuvent pas renoncer à leurs droits à la pension alimentaire avant la dissolution du mariage selon l’article 301 § 9 alinéa 1 ; ils peuvent donc valablement y renoncer après le divorce. Durant l’instance, ils peuvent transiger sur le montant de la pension dans les conditions fixées à l’article 1257 du Code judiciaire.

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i) Décès du créancier ou du débiteur d'aliments La pension alimentaire après divorce est en principe due jusqu’au décès du créancier d’aliments. La pension n’est plus due non plus au décès du débiteur (article 301 § 10 al. 1 C.c.). A titre d’exception, le bénéficiaire peut demander des aliments à charge de la succession dans les conditions prévues à l’article 205bis § 2 à 5 du Code civil, c'est-à-dire à condition de prouver qu'il est dans le besoin au moment du décès. Cette demande doit être introduite dans l'année qui suit le décès. (cfr infra, Titre V, Obligations alimentaires).

C. Effets du divorce quant aux biens des époux

1. Point de départ En vertu de l'article 1278 du Code judiciaire, les effets du divorce au niveau des biens des époux remontent au jour de la demande en divorce, et, en cas de pluralité de demandes, au jour de la première demande, qu'elle ait abouti ou non. Lorsque procédure a été introduite par requête, il faut considérer que la demande est introduite le jour où celle-ci a été déposée au greffe et inscrite au rôle. Si elle est introduite par citation, c’est à la date de la signification. L’article 1278 alinéa 4 du Code judiciaire prévoit que le tribunal peut toutefois, à la demande d’un des époux, et s’il l’estime équitable, décider dans le jugement qui prononce le divorce ou au cours de la liquidation de la communauté, qu’il ne sera pas tenu compte de certains avoirs constitués ou certaines dettes contractées après la séparation de fait. Ceci requiert néanmoins la preuve de circonstances exceptionnelles (article 1278 al. 4 et 5 C. jud.).

2. Effets quant aux avantages matrimoniaux et aux institutions contractuelles

L'article 299 du Code civil prévoit, depuis la réforme du divorce, que sauf convention contraire, les époux perdent tous les avantages qu’ils se sont faits par contrat de mariage et depuis qu’ils ont contracté mariage (alors que sous l’empire du divorce pour faute, ces avantages n’étaient perdus que par l’époux qui « perdait » le divorce). Cette disposition vise les avantages matrimoniaux qui tendaient à attribuer au conjoint survivant une part plus importante que sa part de moitié du patrimoine commun dans un régime de communauté, les institutions contractuelles ainsi que toute donation entre époux durant le mariage.

3. Liquidation et partage

Le divorce entraînera la liquidation du régime matrimonial et donc la liquidation et partage du patrimoine commun en régime de communauté ou des biens indivis des époux dans un régime de séparation de biens.

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TABLE DES MATIERES

TITRE III – LE MARIAGE ET LE DIVORCE

CHAPITRE I Considérations générales

Section I - Le Code civil de 1804 3 Section II - La rupture procédant de la « révolution » familiale individualiste 7 Section III - Les réformes progressives du droit du mariage 9 A. L’égalité entre l’homme et la femme 9 B. L’accès au divorce 9 C. La légitimation et la légalisation de la vie en couple hors mariage 10 D. La privatisation progressive du mariage 12

CHAPITRE II Les conditions de validité du mariage

Section I – Les fiançailles 17 1. Notions générales 17 2. La rupture volontaire 17 3. Rupture suite au décès accidentel de l’un des fiancés dû à la faute d’un tiers 18 Section II – Les conditions de fond du mariage 18 § 1. Les conditions objectives 18 A. Les conditions d’ordre biologique 18 1. La différence des sexes et le mariage homosexuel 19 2. La condition d’âge (nubilité) 22 B. Les conditions d’ordre sociologique 22 1. Absence d’un autre lien matrimonial (interdit de la bigamie) 22 2. Absence d’un lien de parenté ou d’alliance (interdit de l’inceste) 22 § 2. Les conditions subjectives 26 A. La capacité juridique 26 1. Le mariage des mineurs 25 2. Le mariage des interdits judiciaires et des mineurs prolongés 27 3. Le mariage des personnes sous conseil judiciaire ou sous administration provisoire 27 B. Le consentement 27 1. L’absence totale de consentement 27 2. Les vices de consentement 28 3. Le consentement simulé 30

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Section III – Les conditions de forme du mariage 31 § 1. Le principe : le mariage est un acte solennel 31 § 2. Les formalités préalables à la célébration du mariage (art. 63, 64 et 165 C. civ.) 31 § 3. La célébration du mariage 33 (art. 75, 76, 165 et 166 C. civ.) A. L’autorité compétente 33 B. Le caractère public de la célébration 33 C. L’accomplissement des formalités 33 Section IV – La sanction des contraventions aux conditions de validité du mariage 34 § 1. La prévention du non respect des conditions de validité 34 A. L’obligation légale de l’officier de l’état civil 34 B. La dénonciation officieuse d’un empêchement à mariage 35 § 2. Les nullités de mariage 36 A. Notions générales 36 B. Les différents types de nullité de mariage 36 1. Les nullités absolues (art. 194 à 190 C. civ.) 37 2. Les nullités relatives 40 C. Effets de la nullité 41 1. Caractère déclaratif de la décision de nullité 41 2. Théorie du mariage putatif (art. 201 et 202 C.civ.) 41 Section V – La preuve de la conclusion du mariage (art. 46 et 194 à 200 C. civ.) 42 § 1. Le principe 42 § 2. Les exceptions 42 A. La destruction, la disparition ou l’omission des registres (art. 46 C. civ.) 42 B. La preuve de la célébration du mariage acquise par le résultat d’une procédure criminelle (art. 198 à 200 C. civ.) 42 C. La preuve de la conclusion du mariage comme élément de preuve de la filiation dans le mariage (art. 197 C. civ.) 42

CHAPITRE III Les effets personnels du mariage

§ 1. Notions générales 44 § 2. Considérations historiques 46 A. Code Napoléon 46 B. La loi du 20 juillet 1932 47 C. La loi du 30 avril 1958 47 D. La loi du 14 juillet 1976 47

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§ 3. La réglementation juridique des relations personnelles entre époux 48 A. L’autonomie 48 1. Le nom 48 2. L’exercice d’une profession 49 B. La solidarité 49 1. La cohabitation 50 2. La fidélité 54 3. Le secours et l’assistance 57

CHAPITRE IV

Séparation et divorce Introduction 68

Sous-chapitre 1 La séparation de fait et la séparation de corps

Section I - La séparation de fait 69

§ 1. La séparation de fait sans intervention judiciaire 69 A. Séparation sans pacte ou accord 69 1. Effets entre époux 69 2. Effets à l’égard des enfants 70 3. Effets patrimoniaux 70

B. Pacte de séparation amiable 71 § 2. La séparation de fait autorisée judiciairement 73 A. Notions générales 73 B. Champ d’application 74 C. Caractère provisoire des mesures 75 Section II - La séparation de corps 75 § 1. Notion 75

§ 2. Conditions et procédure 76 § 3. Effets 76 A. Effets personnels 76 B. Effets patrimoniaux 76 § 4. Fin de la séparation de corps 77

Sous-Chapitre 2 Le divorce

Introduction 78 A. Evolution historique 78 B. Typologie 79 Section 1 - Le divorce par consentement mutuel 80 § 1. Formalités préalables au divorce par consentement mutuel 80 A. L’inventaire facultatif 80 B. Les conventions préalables relatives aux biens : le règlement transactionnel (art. 1287 al. 3 C. jud. 80

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1. Principe 80 2. Forme du règlement transactionnel 80 3. Caractéristiques du règlement transactionnel 80 4. Contenu du règlement transactionnel 80 C. Les conventions relatives aux effets personnels 83 1. Les conventions relatives aux époux 83 2. Les conventions relatives aux enfants 84 § 2. La procédure en divorce par consentement mutuel 87 A. Introduction de la demande 87 B. Information et avis du procureur du Roi 87 1. Information 87 2. Avis 87 C. Comparution(s) devant le tribunal 88 1. Les ou la comparution(s) 88 2. Comparution personnelle et dérogations 88 3. Contrôle du président sur les conventions relatives aux 89

enfants D. Modification éventuelle des conventions en cours de procédure 89 E. Conclusions du procureur du Roi 89 F. Jugement 89 G. Voies de recours 89 1. Appel 89 2. Cassation 90 H. Transcription à l’état civil 91 § 3. Les effets du divorce par consentement mutuel 92 A. Point de départ des effets 92 1. Effets entre époux 92 2. Effets à l’égard des tiers 92 B. Sort des conventions relatives aux époux 92 C. Sort des conventions relatives aux enfants 93 1. Révisabilité judiciaire 93 2. Modification conventionnelle 93 § 4. Quand le divorce par consentement mutuel n’aboutit pas…. 94

A. Passerelle entre la procédure en divorce par consentement mutuel et la procédure de divorce pour désunion irrémédiable 94

B. Effets de conventions préalables en cas d’abandon de la procédure en divorce par consentement mutuel 95

Section 2 - Le divorce pour désunion irrémédiable 96 § 1. La cause du divorce pour désunion irrémédiable 96

A. La notion de désunion irrémédiable 96 B. Les sous-causes de divorce pour désunion

irrémédiable 96 1. Le divorce pour désunion irrémédiable sollicité par un époux 96 2. Le divorce pour désunion irrémédiable sollicité par les deux époux 100

C. La modification éventuelle du fondement de la demande 101

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§ 2. La procédure en divorce pour désunion irrémédiable 101 A. Conditions d’exercice de l’action 102 1. Caractéristiques de la procédure en divorce 102 2. Titulaires de l’action 102 3. Compétence 103 4. Délai pour intenter une action en divorce ou en séparation de corps 103 B. Déroulement de l’instance 103 1. Introduction de la demande 103 2. Audience d’introduction devant le tribunal 104 3. Instruction de la procédure au fond 105 4. Jugement et les voies de recours 106 5. Transcription 107 § 3. Les mesures provisoires de la procédure en divorce 108 A. La nature des mesures provisoires 108 B. Les règles de procédure 109 C. Le contenu des mesures provisoires 110 1. Les mesures provisoires relatives aux époux 110 2. Les mesures provisoires relatives aux enfants 112 § 4. Les effets du divorce 113 A. Dissolution du mariage 113 B. Effets quant à la personne des ex-époux 113 1. Fin des obligations découlant du mariage 113 2. Pension alimentaire après divorce 113 C. Effets du divorce quant aux biens des époux 121 1. Point de départ 121

2. Effets quant aux avantages matrimoniaux et aux institutions contractuelles 121 3. Liquidation et partage 121