schoelcher-colonies etrangeres et haiti

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Scheolcher, Colonies etrangères et Haïti

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Schoelcher, Victor. Colonies trangres et Hati, rsultats de l'mancipation anglaise, par Victor Schoelcher [. 1843.

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COLONIES TRANGRES ET HATI.

Imp. de Ch. Duriez,

Sfnlif.

COLONIES TRANGRES ET HATIRSULTATS DE L'MANCIPATION PARVICTOR SCHOELCHER.

ANGLAISE;

La servitude ne peut pas plus se regler humainement que l'assassinat.

Ilomt 0econ>.Colonies Danoises, Hati de VIsite, Goup-d'ceil surl'Etatdela Question Du Droit d'Affranchissement.

PARISPAGNERRE, RUE DE SEINE, DITEUR, 14 bis.

4843

COLONIES DANOISES

COL. TR. Il.

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COLONIES DANOISES.

SAINT-THOMAS ET SAINTE-CROIX. DECEMIIRB 1840.

d'esclaves disent et reptent sans cesse possesseurs et qu'elle qu'ils ne s'opposent pas l'abolition en elle-mme obtiendrait leur concours si l'on amenait ce grand changement Nous avons object que par des voies lentes et progressives. les possesseurs d'esclaves voulaient tromper le monde politoutique et se trompaient eux-mmes qu'ils rpugneraient jours tout ce qui pourrait modifier le sort des ngres, et qu'ils haraient quiconque porterait la main l'intgrit de leur pouvoir absolu. On peut voir, dans notre livre sur les Colonies franaises, avec quelle passion les croles franais ont repouss les plus timides tentatives, et quelle aversion leur inspirent les magisdit dans la premire partie de West-Indies cet ouvrage ce qu'aux les hommes pacifiques assez coupables pour prcher l'vangile aux esclaves eurent souffrir de la part des blancs; on sait que dans les tats du Nous avons un seul mot favorable la race opamricaine, prime est puni par la loi de l'exil, et par le peuple, de la mort ou des traitemens les plus ignominieux. Sud de l'Union Ici, l'preuve n'est pas moins dcisive. Un homme ferme et sage, revtu d'un pouvoir presque absolu, aid par les lumires commandant de son gouvernement, M. Pierre von Scholten, trats abolitionistes.

Les

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COIOMES DANOISES.

gnral des les danoises, y poursuit depuis treize ans l'oeuvre de l'mancipation par voie de modifications graduelles. Jamais il n'usa de violence c'est l'une aprs l'autre et avec rserve que, favoris par le petit espace et la petite population sur lesquels il agit, on l'a vu successivement introduire ses rformes. Elles touchent aux droits des matres, il est vrai, mais d'une manire modre; et que faire sans y toucher? Eh bien, ce gouverneur tout puissant auquel il a fallu tant de force sur luimme pour se contenir ainsi et ne rien brusquer dans l'application de ses gnreux dsirs les colons danois ne lui pardonnent pas sa piti pour les noirs! Mais que veulent donc les possesseurs d'esclaves, et quelle mesure mancipatrice trouvera grce devant eux Dans les les anglaises, ils accusent l'apprentissage qu'on leur a donn A la Guadeloupe et la Martinique, ils demandent que l'on prpare avec rserve le jour de la libert voil qu' SainteCroix et Saint-Thomas, un homme calme et dvou entreprend cette initiation ncessaire, indispensable, s'il faut les en croire, la scurit de leur avenir, et cet homme est en butte leur colre autant que le pourrait tre un abolitioniste absolu les moins passionns le reprsentent comme un ambitieux qui cherche se faire un nom aux dpens de leur fortune et de leur vie et plus il met d'nergique persvrance dans le travail de la prparation, plus ces ingrats le chargent de leur implacable haine. Ainsi chaque ile que nous visitons est un point dans la question et devient comme une preuve, une dmonstration des ides mises dans notre prcdent ouvrage. L'examen des possessions danoises nous donnera une certitude nouvelle qu'il ne faut pas plus esprer l'assentiment des matres une mesure transitoire qu' une rforme spontane; qu'ils sont de mauvaise foiaveceux-mmes lorsqu'ils demandent delentes modifications l'esclavage, et qu'une mancipation instantane est, de tous les moyens de librer les captifs noirs, la fois le plus gnreux et le moins dangereux.

SAINTTHOMAS ET SAINTECROIX.

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Le Danemarck possde, dans l'archipel des Antilles, trois petites les qui font partie des nombreux groupes d'lots appels tles Vierges.-Saint-Thomas, Sainte-Croixet Saint-Jean, aux Danois; Saint-Eustache, aux Hollandais, et Tortola, aux Anglais, sont les seuls de ces rochers qui soient habits, et l'on peut dire par consquent qui soient habitables.-Les possessions danoises se touchent, et leur population toute entire ne monte pas au-del de 43,163 mes, rparties de la manire suivante

Saint-Thomas n'a pas plus de 22 habitations. Toute son importance est dans la franchise de son port, sorte de talisman qui en a fait un vaste entrept o l'Europe envoie ses marchandises, et dans lequel la cte ferme et les Antilles viennent s'approvisionner. Aussi la balance commerciale de Saint-Thomas est-elle anne commune, de dix millions de dollars (50 millions de francs). Si l'on ne savait que c'est aussi par la leve des prohibitions que Cuba a commenc l're de prosprit o elle marche, ce mouvement de 50 millions opr sur un petit rocher attesterait l'influence que peut exercer la libert du commerce sur la fortune d'un tat. Sainte-Croix est un Ilot plat o l'on ne trouve pas un pouce de terrain en friche, et sur lequel on compte 142 habitations sucrires et 19 vivrires, toutes si admirablement cultives et bordes de si beaux arbres que les routes semblent des alles de parcs. Pour cela, Sainte-Croix est justement appele le jardin des Antilles, 1 Nous retrouvonsici comme partoutdans lesAnUlesle nombie des femmes celuides hommes. dpassant

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COLONIES DASOlsEi).

La question de l'abolition de l'esclavage est fort avance dans les colonies danoises. Le Danemarck, qui a eu successivement deux reines protestantes et abolitionistespar principes religieux, n'a cess depuis longtemps d'essayer en faveur des esclaves tout ce qu'il tait possible de faire sans les affranchir et de la sorte a toujours tenu les matres en haleine veillant sur leurs actes et protgeant les ngres avec un soin jaloux. Pour tout dire en un seul mot, la condition des esclaves est aussi douce ici que le peut comporter la servitude. Les restrictions mises la puissance du matre, restrictions qu'un gouvernement absolu pouvait seul imposer, sont telles que pour notre compte, indpendamment de l'horreur que nous inspire l'esclavage, nous aimerions bien mieux employer des ouvriers libres que de possder des hommes aussi peu esclaves. Une ordonnance localedu 7 mai 1838 et un dit royal du 1" mai dernier donnent une ide parfaitement exacte du rgime des ateliers, car l'une et l'autre sont svrement observs. Nous nous bornerons donc les traduire. Au nom de Sa Majest royale de Danemarck Peter-Carl-Frdrick von Scholten, Major-gnral chambellan, chevalier grande-croix de Dannebrog et Dannebrogsniau, grand-officier de la Lgiond'Ilonneur et chevalier de l'ordre franais pour le mrite militaire, gouverneur-gnral des les danoises dans les Antilles, Fait savoir Aprs un mr examen des causes du mcontentement qui se manifeste parfois sur quelques habitations, malgr les amliorations qui ont t graduellement introduites dans la position des laboureurs, je suis convaincu qu'une grande partie de ce mcontentement provient des actes arbitraires qui se commettent en ce qui concerne les heures de travail et la coupe de l'herbe aprs ces heures. Lorsque la quantit d'herbe ncessaire pour le btail a t fixe, si l'habitation ne la peut fournir, les laboureurs sont forcs d'empieter sur les.

SAINTTHOMAS ET SAINTE-CROIX

T

proprits voisines pour prendre ce qu'ils ne parviennent pas trouver chez eux. De telles choses sont illgales et blmables. Elles produisent de mauvais sentimens parmi les laboureurs de la proprit dont on viole ainsi les limites, elles engendrent la discorde, dtruisent la paix et le bon ordre, en un mot, elles touchent au bien d'autrui. Il Afin de faire cesser ces abus et d'introduire une rgle gnrale dans toutes les coloniessur ce point et sur d'autres, je considre qu'il est de mon devoir, jusqu' ce que le bon plaisir de Sa Majest soit connu, d'ordonner ce qui suit: Art. 1". Les heures de travail pour les laboureurs sur toutes les habitations, durant les jours ouvrables et les jours de fte qui n'ont pas t considrs comme tels jusqu'icipar les habitans, commenceront au lever du soleilet cesseront au coucher, except dans certains cas qui sont mentionns ci-aprs, avec les intervalles ordinaires de repos c'est dire de sept huit heures pour le djener et de midi deux heures pour le diner. CI L'ordre de ces heures s'annoncera au son de la cloche sur quelques habitations dans chaque quartier, et sera rpt par toutes les autres. On nommera prochainement les habitations qui doivent servir de guide On sonnera le matin une demi-heure avant le lever du soleil, afin que l'appel puisse tre fait au champ et le travail commenc au lever du soleil. Le djener est fix sept heures, la reprise des travaux sept heures trois quarts. Le dlner, de midi une heure trois quarts, et enfin la cessation des travaux au coucher du soleil. CI L'ouvrage des champs doit tre fait, y compris la coupe des herbes, durant les heures stipules. Aprs le coucher du soleil, on ne doit faire d'autre labeur que ceux de l'curie, des 1 Laduredu travailn'est pluslussea 1 arbitraire du matre, for cementil est oblig par ce moyen, de se renfermerdansles limites de la loi

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COLONIES DANOISES.

veilles de garde et des soins aux malades. On ne peut se dispenser de ces obligations ni aprs les heures de travail ni les jours de fte. Durant la rcolte s'il se trouvait aprs le coucher du soleil de la paille de canne parpille autour des tablissemens, et qu'il ft ncessaire de la ramasser, il sera permis d'employer l'atelier le faire, afin de prvenir les risques d'incendie et pour mieux conserver le chauffage; mais ceci ne peut prendre beaucoup de temps. Lorsquela cloche sonne midi et au coucher du soleil, l'atelier ne doit pas se disperser; il viendra aux tablissemens avec le commandeur, afin d'apporter le bois ou l'herbe qui auront t demands. Comme la fabrication du sucre ne peut tre interrompue lorsqu'elle est commence et doit tre continue jusqu' ce que le jus de la canne soit bouilli une exception la ponctuelle observation des heures de repos et de cessationde travail est invitable. En consquence, les laboureurs occups doivent continuer leur travail aussi longtemps qu'il sera ncessaire; mais le moulin ne sera mis en mouvement qu'au lever du soleil et cessera au coucher. a Lorsque les circonstances rendent la prsence des enfans indispensable pour fournir de la canne au moulin durant les heures du djener ou du dner, il est permis de ne leur accorder que le temps indispensable pour manger, c'est dire un quart d'heure pour djener et une demi-heure pour dner. On devra toutefois les renvoyer dans l'aprs-midi une heure plus tt, afinde compenser le temps qu'ils ont donn en plus le matin. Les laboureurs doivent faire tout ouvrage qu'on leur commande mme celui qui n'est pas mentionn ici mais s'ils considrent qu'on prend leur temps illgalement, deux d'entre eux peuvent venir porter plainte au gouverneur-gnral, et le propritaire est tenu de le leur permettre'. Le gouverneur-gnral La violencen'est presque plus possible,puisquela victimepeut d'une manirerelle enaller vorterplainte immdiatement.

ET SAINTECROIX. SAfNTTIIOMAS

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ordonnera que le cas soit attentivement examin par la police. Les directeurs, propritaires ouadministrateurs, s'ils sontcoupables, seront responsables des consquences de leurs ordres, et si les laboureurs se sont plaints injustement, ils seront punis de mme. 2. La paix et l'ordre doivent tre observs aussi bien audehors que sur l'habitation. Si quelques laboureurs, durant les heures de repos, quittent la proprit et occasionnent du trouble dans les chemins ou ailleurs, les chefs ont droit de les rappeler toute heure pour les garder sur l'habitation et les empcher d'en sortir. Ma circulaire du 16 janvier 1837, de mme que les autres rglemens qui ont t publis concernant l'ouvrage volontaire fait par les ouvriers les jours de fte, restent en vigueur. Pour ce qui concerne la coupe des herbes, dont on a dj parl, les propritaires ou administrateurs sont invits faire observer aux laboureurs qu'ils ne peuvent, ni le dimanche ni aucun autre jour, couper de l'herbe que sur leur propre habitation. Pour infraction cette rgle, non-seulement le dlinquant sera puni, mais les propritaires, directeurs ou administrateurs respectifs seront responsables, s'il est prouv que cela s'est fait par suite d'un manque d'herbes chez eux. 3. Aussitt que le mdecin de l'habitation ou la sagefemme dclarent qu'une femme est enceinte, elle doit tre immdiatement transfre de la grande la petite bande', ou elle demeurera jusqu'aux deux derniers mois de sa grossesse. Depuis ce temps jusqu' son accouchement elle doit tre em1 Danstoutesles colonies,a quelquenationqu'ellesappartiennent, les atelierssont divisesen deux bandes,appelees cheznousla grande et la petitebande. Lapremierefaitles grosouvrages creuserlestrous de cannes,planter, epailler,couper, etc. La seconde, compose des enfans, des individusvaltudinairesou couvalescens,ramasseles de la petitea feuilles,nettoieles champs,etc. Onpas,e gnralement la grandebande,hommes et femmes, vers 1agie de seizeanq

DANOISES. CO1.ON1LS ploye a des ouvrages lgers pres des bLunens.Comme de coutume, aprs la dlivrance, elle sera exempte pendant les sept premires semaines de tout labeur, et pendant les trois premires, on doit lui donner une garde-malade pour elle et son enfant. A l'expiration des sept semaines, elle est de nouveau place dans la grande bande. Les heures de travail pour les femmes, durant une anne aprs leurs couches, sont fixes depuis huit heures du matin jusqu' cinq de l'aprs-midi, avec trois heures de repos, savoir de onze deux. Durant l'anne suivante, aprs le sevrage des enfans, on ne les fera pas sortir avant djener mais, tous autres gards, elles doivent se conformer aux heures prescrites la grande bande et tre prsentes l'appel de la liste. On doit autant que possible sevrer les enfans un an, a moins que le mdecin ne soit d'avis qu'il y ait ncessit de nourrir plus longtemps. Aux heures d'ouvrage, les enfans doivent tre l'infirmerie ou dans toute autre place convenable, sous l'inspection d'une femme de confiance. 4. Le commandeur de chaque habitation sucriere sera nomm par le propritaire ou administrateur, et sera prsent l'officier de police de la juridiction, qui enregistrera son nom sur un livre tenu cet effet. Ces hommes seront regards comme appartenant la police, et veilleront au maintien du bon ordre sur l'habitation. Si un changement de commandeur est jug utile par le proprietaire ou l'administrateur, le commandeur renvoy et son successeur seront prsents au commissaire de police qui annulera la nomination du premier et enregistrera celle du second, sans que le proprietaire ait aucun compte rendre de sa dcision. Pour rendre le commandeur plus imposant, on devrait' lui donner un uniforme, compose d'une veste rouge collet vert, et pour lui inspirer plus de zle dans l'exercice de ses 10 1 Ici ce n est pasun ordre, c eit une pioposition

SAINT THOMAS ET SAINTE CROIX.

il

functtons, on devrait lui accorder une gourde par mois independamment des rations ordinaires. Il 5. Le chtiment avec les verges de tamarin ou autres sur le corps nu est aboli l'avenir sur toutes les habitations. Les propritaires ou administrateurs sont autoriss, dans les cas o le chtiment corporel serait ncessaire, l'infliger avec une corde qui sera obtenue au bureau de policepour une modique somme. a Un homme recevra douze coups et une femme six, les hommes sur les paules et les femmes comme auparavant, mais sur leurs vtemens. Ces dernires devront tre soumises ce chtiment aussi peu que possible. Dans tous les cas, les hommes ni les femmes ne doivent tre chtis plus de deux fois par semaine Aux champs, les commandeurs feront usage dornavant d'une canne de trois pieds de long et d'un pouce et demi de circonfrence avec laquelle il leur est permis, pour conserver l'ordre, de frapper deux coups, mais cela jamais plus de deux fois par jour. II est aussi permis aux propritaires et administrateurs d'ordonner une punition sur l'habitation qui n'excdera pas quarante-huit heures de prison solitaire, au pain et l'eau, ou huit jours de rclusion durant les heures de repos; mais lorsque la faute est de nature demander une punition plus svre, le coupable sera envoy au bureau de police Il Chaque punition doit tre exactement mentionnee dans le journal de l'habitation a, et nul chtiment ne peut tre inflig sur les routes et dans les champs, sauf ce qui est permis 1 Laloi le nombrede coupsa 29, franaise, en fixantsimplement n'a pare en rien aux inconveniens du chtiment personnel.Lematre donne29 coupsen une fois,maisil recommence deux heuresapres et il est toujoursdansla loi. 1 Unchtiment excessif devientainsi presqu'impossible. Vousreflechissez avantd'ordonnerun chtimentdont voustres obligede rendre compteNousmme.

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COLONIES DANOISES.

au commandeur Toutes les punitions seront mlhgces au coutraire prs des tablissemens l'heure du djener et en prsence de tout l'atelier'. Le propritaire ou l'administrateur doit tre prsent et ne s'en pas rapporter l'conome qui ordonne la punition Les rglemens ci-dessus auront immediatement force de de loi, et toute transgression sera punie conformment l'dit de sa gracieuse majest, en date du 22 novembre 1834, par lequel le gouverneur-gnral est autoris imposer une amende aux propritaires, administrateurs et conomes, et mme les dpossder de la direction de la proprit. Donn Sainte-Croix, le 7 mai 1838,P. V. Scholten.

l'dit man du cabinet de Copenhague. Voyons maintenant n Attendu que le feu roi, notre prdcesseur Frdricl. de mmoire bnie, avait par divers rglemens et spcialement par 1834 au gouverneur royal du 22 novembre nral des les danoises dans les Antilles, pris des mesures son rescrit assurer aux gpour

ngres esclaves dans lesdites les une protection contre les mauvais traitemens et pour rendre plus aise l'acleurs quisition de leur libert quand ils peuvent indemniser attendu dans le susdit matres que les mesures ordonnes mises en application et que royal dcret ont t graduellement a dmontr qu'elles avaient t bien calcules pour l'exprience l'objet en vue, nous voulons, pour obtenir une plus grande certitude de leur stricte observation, qu'elles soient proclames comme formant une partie des lois du pays. En consquence, suit ART. 1er. Toute personne non libre aura droit sa libert, nous ordonnons et commandons ce qui

C'est c'est mettre un paralyser les violences de l'emportement, frein naturel et simple aux punitions infligees dans un premier mouve ment de colere. L'atelier e>>t temoin et peut deposer si la loi a ete violee Chaque nouvelle formalite egt, on le conoit, nne enhave de phx

SAINTTHOMAS ET SAINTE-CROIX.

t3

condition que sa valeur entire soit paye son matre par elle-mme ou par une autre personne qui l'aiderait cet effet'. 2. Quand un esclave dsirera tre tranfr un autre matre qui donnera au propritaire une pleine compensation, ledit propritaire sera oblig de le vendre s'il ne peut prsenter de causes lgitimes pour son refus; dans ce dernier cas, l'affaire sera porte par-devant la cour de police et ensuite soumise la dcision de notre gouverneur-gnral. Lorsqu'un jugement de cette nature aura forc un matre de cder son esclave, et qu'il rsultera de cette immdiate sparation un dommage pour le matre celui-ci pourra solliciter du gouverneur-gnral un dlai durant lequel l'esclave restera son service; mais pendant ce temps le matre n'aura plus droit d'infliger aucune punition et devra si l'esclave se rend coupable de quelquefaute, en rfrer au tribunal de police. 3. Si l'esclave a t maltrait, on ne permettra dans aucun cas au matre de refuser de s'en dfaire car le matre, outre d'autres peines, peut tre condamn la confiscationde son esclave. De plus, le gouverneur-gnral doit veiller ce que l'esclave en question obtienne un autre matre moyennant la compensation la plus avantageuse, si toutefois personne ne dsire acheter l'esclave au prix fix par le propritaire. 4. Dans chacun des cas mentionns aux articles 1 et 2, qui ordonnent la cession d'un esclave, la valeur de cet esclave doit tre fixe par une estimation lgale, de manire indemniser le matre en proportion de l'usage qu'il pouvait faire de l'esclave. Comme rgle pour dterminer cette valeur, les arbitres suivront le tarif de l'valuation des esclaves en proportion de leur ge qui est maintenant en vigueur, ou celui qui aprs consultation avec le conseil des notables, pourra tre publi par notre gouverneur-gnral. 1 C'estledroitde rachatforcequi a constamment ete repousse par les crolesfranais..

U

COLONIES DANOISES.

Chaque fois qu'une deviation est faite au prix fixe par le tarif, il faut quel'on spcifiedans l'acte d'estimation sur quelles qualits ou imperfections comme sant, force et talent de l'esclave est fonde cette deviation L'estimation doit tre faite par des personnes impartiales, nommes cet effet par le tribunal de police, lequel, conformment l'ordonnance du 10 octobre 1766, articles 3 et 4, aura fait signifier un moisd'avance chaque partie intresse d'avoir se prsenter au tribunal. Ladite sommation sera insre dans les deux journaux qui sont publies aux les. Pour les citations, elles seront faites gratis par le magistrat de police aucun frais de cour ne doit tre pay, mais l'avertissement dans les gazettes doit tre pay par la partie qui demande la sparation. Il 5. Chaque partie qui se croit lesee dans ses intrts par une expertise faite d'aprs l'art. 4, peut demander une autre expertise par un nombre double d arbitres qui seront nomms par le tribunal de police. Il 6. Dans le cas o le ngre est hypothqu, le dtenteur de l'hypothque aura droit de perception pour sa crance sur le prix de rachat, et cela dans l'ordre de priorit cependant si c'est un ngre d'habitation qui a et hypothqu avec la proprit, le propritaire de l'habitation, en dposant le prix d'achat dans notre trsor aura un dlai d'un an pour fournir un autre ngre sur lequelle droit d'hypothque sera transfr. Mais si dans le dlai de ladite anne nul autre ngre n'a t fourni, la somme dpose sera remise aux ayants-droit d'hypothques. Si le ngre procur est de valeur infrieure celui qui a t vendu il sera tenu compte de la diffrence entre la somme qui a t reue pour le ngre vendu et celle paye pour le ngre mis en sa place. 7. Dans l'estimation du ngre qui, aux termes de l'art. 6, est mis la place d'un autre on doit se conformer aux rgles contenues dans les articles 4 et 5 seulement la sommation dont on parle dans l'article 4 est inutile.

FT SAINTECROIX. SAINTTHOMAS

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Le mdecm du roi qui doit visiter le ngre recevra avant l'expertise en question, pour l'acte d'inspection, 2 Ral D. W. C. pays par la partie l'instance de laquelle l'autre ngre a t chang. Cette somme doit tre donne en mme temps que le prix d'achat et sera rembourse si l'acte n'a pas lieu. 8. Dans tous les cas o, conformment l'art. 6, un autre esclave est procur l'officier de police, aprs que la transaction aura eu lieu, rdigera un procs-verbal de toutes les circonstances relatives l'affaire, lequel procs-verbal sera joint au registre des hypothques, et cela gratis. 9. Les esclaves jouiront du droit de proprit sur tout ce qu'ils peuvent prouver avoir acquis par don, achat, hritage ou labeur personnel', mais ilsne pourront acqurir d'esclaves. La possession d'armes et de munitions, de bateaux, etc. leur est strictement interdite, et de plus ils ne peuvent possder aucun animal qui pourrait occasionner une perte ou un dommage au propritaire, sauf la permission spciale de celui-ci. Quand un matre permet son ngre de garder un cheval, il doit obtenir la sanction du gouverneur-gnral. ci 10. Jusqu' ce que des banques d'pargnes puissent tre tablies dans les les, il sera permis aux esclaves de dposer dans notre trsor toute somme d'argent qu'ils auront obtenue par leur labeur ou tout autre moyen lgal; ces dpts, jusqu' nouvel ordre, on accordera un intrt de six pour cent par an. Aucun dpt ne sera reu de moindre valeur que 2 Ral. D. W. C. par chaque apport. Al'gard des directions plusparticulires en ce qui concerne ces dpts, notre gouverneur-gnral fera des rglemens dont les principaux points seront bass sur les rgles observes dans les banques d'pargnes du royaume de Danemarck. 11. Le chtiment avec une branche de tamarin ou de tout autre arbre sur le corps nu est aboli sur toutes les habitations. 1 C'estle droit de le droit de peculeconstamment repoussecomme rachatpar les croles franais.

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COLONIES DANOISES

est jugencessaire, lesmatres corporelle Quandune punition doiventemployer pour ceteffetune corde greursouconomes qu'ils se procurerontau bureau de police, moyennantune somme modique.Ils peuvent en infligerdouze coups un hommeet huit une femme,maisriende plus. L'emprisonnement au pain et l'eau pour quarante-huit heures, pas davantage peut aussitre ordonn.La rclusion pendantles heures libres peut aussiavoirlieu, maispas pour plusde huit jours Comme, danstouslescas, on ne doitavoirrecoursauchrarementpossible enverslesfemmes quele plus timentcorporel de mme,en ce qui regardela punitiondela prisonau pain et l'eau on se conformera au vudesarticles7 et 8 de l'ordonnancedu 12juin 1816, afficheavecle placard du 18 octobre1820. De plus, si le droitde punir les ngres de la maniresusdite tait souvent et durement exerc,on devrasesoumettreaux restrictions subsquentes quefixeranotre gouverneur-gnral. D'un autre ct, lorsquedes offensescommisesdemandent une punitionplusforte, on doiten avertirle magistratde police qui jugera l'affaire, et dans le cas ola sentencedu tribunalde policeexcderaitvingt-cinq coupsde corde pour un hommeet douzepour une femme,ou quatorzejours d'emprisonnementdansla maisondes pauvres, elle serait soumise la sanctiondu gouverneur-gnral ASaint-Thomas et SaintJean nanmoins dans les cas qui n'admettentpas de ddu gouverneurde ces les suffit lai, l'approbation La magistrature localedoitveiller ce que les prisonssur les diffrentes habitations soient de telle nature qu'ellespuissent tre employes sansrisqued'tre prjudiciables la sant des prisonniers. Il 12. Tout propritaired'esclaves rsidant la campagne, C'est unelimitation audroit d emprisonnement. impose Legouverneur reside a Sainte-Croix. general

SAINT THOMAS ET SaINTE-CROIX.

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ou son charg de pouvoirs, tiendra un journal vis et autoris par le gouverneur-gnral dans lequel sera enregistre toute punition inflige un ngre; l'Age de la personne punie et la nature de l'offense doivent y figurer. Un registre vis et autoris par le gouverneur-gnral sera aussi tenu sur chaque habitation, et contiendra les noms, ge, religion, accroissement ou diminution des ngres. Le registre et le journal seront toujours ouverts l'inspeclion des ofliciersde justice. Toute transgression l'gard de ces rglemens sera punie d'une amende de 50 200 Ral. D. W. C. Si l'offense tait souvent rpte et en outre accompagne de circonstances qui fissent souponner quelqu'abus de pouvoir, le propritaire compromis perdrait ses droits de commander des esclaves; de sorte que si le coupable est un conome ou un greur, il sera congdi, et si c'est le propritaire, il sera oblig de cder la direction une personne autorise cet effet par la magistrature. Enfin, notre gouverneur-gnral est dans l'obligation de vrifier ou de faire vrifier par des personnes de son choix, au moins une fois par an les divers registres qui doivent lui tre transmis immdiatement aprs la demande en inspection. De plus, notre gouverneur-gnral doit, soit personnellement, soit par dputs, inspecter les habitations et tout ce qui concerne le traitement des ngres. Il est bien entendu d'ailleurs qu'aucune dpense ne sera impose aux proprietaires de ces habitations. 13. De mme, dans tous les actes d'arbitrage sus-mentionns, aucun droit n'est payer au magistrat de police pour nommer les arbitres, certifier l'acte ou le transcrire, pour lequel objet on peut, Sainte-Croix, se servir de papier libre. Les arbitres ne sont pas rtribus. Il Tous les diffrens entre les esclaves et les matres toutes les plaintes que les ngres portent contre les greurs ou autres personnes auxquelles la direction des esclaves est confie, seCOL. ETR. Il. 2

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COLORES DANOISES.

ront jugs et dcids par le tribunal de police sans fiais et sans rtribution. A ces prsentes, tous ceux qu'elles concernent doivent se conformer humblement. Donn en notre royale rsidence de la ville de Copenhague, le le, mai 1840. Sous notre sceau royal CHRISTIAN, roi.

Bien que dans l'edit qu'on vient de lire la plus grande punition prononce contre le matre, pour tous lesexcs qu'il pourrait commettre, soit d'tre dclar inhabile possder des esclaves l'esprit d'une pareille loi, nous n'avons pas besoin de le faire remarquer, indique que le Danemarck est aussi avanc qu'aucune nation du monde dans celte question d'ordre moral et humanitaire. Le cabinet de Copenhague s'est toujours distingu par la genrosit de ses tendances abolitionistes, et Christian VIII ne fait que suivre noblement aujourd hui en montant sur le trne les vieillestraditions de ses prdcesseurs. Les hommes occups de la dlivrance des pauvres captifs noirs ne l'ont pas oubli. Lorsque la convention dcrta, en 1794, l'abolition de la traite, le gouvernement absolu mais eclair du bon peuple Danois eut la gloire d'tre le premier a nous imiter. La mme anne, il fixa dix ans l'abolition de la traite dans toutes ses possessionsd'outre-mer, et bien avant l'Angleterre, le le, janvier 1804, la traite avait lgalement cess dans les les danoises. Un tel acte qu'il soit d Christian VII ou ceux qui gouvernaient sous son nom lorsque la raison l'abandonnait, sulfit pour honorer le rgne de ce prince malheureux et plein de lumires. Les colons de Sainte Croix et de Samt-Thomas, il faut leur rendre cette justice se montrent plus raisonnables que les ntres. Ils dtestent, la vrit, l'homme qui est le principal auteur des lois en faveur des esclaves, mais ils acceptent leur sort et ne se rvoltent plus contre des progrs qui ne laissent pas

SAINTTHOMAS ET MAINTE CROIX.

IV

que d'attaquer leurs droits de matres; ils voient dans ce qui arrive une irrsistible ncessit des temps, et la consquence pour ainsi dire force des vices de leur proprit. Ils ne se font plus illusionet s'attendent tre dpossds avant peu. Ceux de Saint-Thomas disent qu'il faut leur payer les esclaves et la terre, parce que tous les bons ngres descendront en ville o, tant laborieux, ils peuvent facilement gagner une gourde 5 fr.) par jour. Ceux de Sainte-Croix s'accommoderaient de l'mancipation peut-tre mme sans indemnit, si on rendait une loi qui empcht pendant cinq ans les mancips d'abandonner l'le, et qui dtermint le plus haut prix des gages qu'un laboureur pt exiger. Ces bonnes dispositions des maitres ne sont pas spontanes, elles tiennent une circonstance particulire qui rend ici la rforme d'une application moins diflicileque partout ailleurs. Sur les cent soixante-uneproprits deSainte-Croix,il y en a quatrevingt-une appartenant des anglais qui ont pu se faire l'ide de l'mancipation par ce qui s'est pass chez leurs compatriotes des West-Indies, et quarante-six appartenant des franais, hollandais et amricains, qui ne peuvent avoir la voix bien haute. Etrangers tablis chez autrui, ils doivent se conformer sans murmure aux lois du pays qu'ils ont adopt. Outre cela, la couronne du Danemarck, par suite de prts hypothcaires faits des habitans qui n'ont pu la rembourser, est devenue propritaire de seize sucreries; il ne reste donc que dix-huit habitations dont les matres auraient le droit de se plaindre comme on peut le faire chez soi, mais ils sont en trop petit nombre pour former, commechez nous, un corps de rsistance. Le gouvernement se trouve donc avoir une majorit acquise ses mesures; rien ne gne ses rformes prsentes ni ses plans ultrieurs, et sa marche lente, prcise, continue vers l'affranchissement gnral est assure. De plus, l'inverse de ce qui arrive en France, la couronne est la premire donner l'exemple et sacrifier ses intrts pour adoucir plus particulirement le sort des esclaves qui lui

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COLONIES DANOISES.

appartiennent; elle impose ses fermiers des conditions speciales de nourriture, de traitement et de logement. Indiquons les principales. Tout ngre au-dessus de dix ans doit tre mis en possession d'un jardin. Les ngres ont eux le samedi tout entier, except l'poque de la rcolte, o ils n'en jouissent qu' partir de midi. A part la ration de harengs, tout ngre au-dessus de quinze ans aura six quarters (environ deux kilog. et demi) de farine par semaine; si cet ge ils sont employs au moulin, ils auront ration entire. De six dix ans trois quarters et de deux six deux quarters. A la Noel il leur sera donn quatre livres de lard, quatre quarters de farine de bl et un quarter de sucre. Pour rechange, chaque anne douze yards (aunes de bambo vingt-quatre yards de brown et deux bonnets Les plus jeunes en proportion. Le preneur bail s'engage ensuite mstruire immdiatement le mdecin choisi par la couronne sitt qu'un cultivateur est malade, et le traiter ses frais, se chargeant galement des honoraires du mdecin. Il est stipul encore que les ngres ne pourront tre lous ni prts sans la permission de la couronne. Enfin le gouvernement garde le droit d'inspection permanente. Les cases doivent tre hautes, ares, planchies, bties en maonnerie, couvertes en tuiles et construitestoutes sur des mesures fixesd'avance par le rglement. Dix-huit pieds de long, douze de large; division en deux pices; murs de dix-sept pouces. (Chacune de ces maisons est estime 400 fr.). Entoures d'un petit jardin, elles doivent avoir aussi une cuisine spare pour chasser de l'intrieur ces foyers qui, dans toutes les colonies indistinctement, empestent les demeures des esclaves. L'exemple tait bon donner, car ici les cases ngres sont Etoffe delaine. Grosse toilebrune appeleecolettedansnoscolonies et en Hatti

SAI.NTTHOMAS LT SAINTk CROIX

S*

comme celles de nos !les, obscures, prives d'air, et pourvue de portes si basses qu'il faut se plier en deux pour y entrer. Les matres danois pensent s'excuser en disant comme les ntres, que les esclaves prfrent cela, ils ajoutent mme que les noirs ne seraient pas contens si on leur donnait de plus beaux gites, et ils le croient rellement. Ils approprient le caractre du ngre sa misre, tant ils ont besoin de se la cacher eux-mmes. Nos lecteurs, qui se rappellent le luxe des affranchis anglais, savent ce qu'il faut penser de la prdilection des Africains pour les logemens enfums et pour la nudit. Il y a ainsi plusieurs choses aux colonies que l'on est trs surpris de voir passes en forme de vrits reues. En mme temps que les croles prtent au ngre ce grand loignement pour la lumire dans sa maison, tous vous disent que jamais il ne se met l'ombre, qu'il cherche l'ardeur brlante du midi, et que mme pour se reposer et dormir il choisit le grand soleil. L'unanimit d'une telle opinion chez les gens du pays vous disposerait croire qu'ils ne se trompent pas, et pourtant, observez les ngres, vous les trouverez l'ombre comme les blancs si en chemin ils s'arrtent, ce sera toujours au pied d'un arbre qui les protge contre les rayons solaires. Nous en avons fait faire la remarque vingt croles qui en sont convenus, et entre autres au bon et aimable M. Jumonville Douville, dans les courses o il a bien voulu nous diriger de la Pointe au Moule et du Moule au Franois (Guadeloupe). Il en est du got des ngres pour l'obscurit comme de leur got pour le grand soleil. Les nouvelles cases que l'on a bties aux les anglaises depuis l'mancipation ont des portes hauteur d'homme et des jalousies aux fentres. Malgr la mansutude du rgime intrieur des habitations, nous n'avons pas remarqu que les esclaves Danois fussent beaucoup plus avancs que les ntres. Il est vrai que si les hommes politiques s'attachent rfrner la puissance tyrannique des matres, les hommes d'glise, qui certes n'eus-

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COLONIES DANOISES. sent jamais trouv ici les obstacles qu'ils rencontrent chez nous, ne paraissent pas fort occups de la moralisation des noirs. Cinq cultes librement professs et ayant temples ouverts se partagent cependant la population des les danoises. Le Luthrianisme, religion officielle je veux dire celle du gouvernement, dont les ministres portent le costume du temps de leur fondateur: juste-au-corps noir, grande fraise et longues doubles manches, compte. 6,399 adeptes.

On pourrait penser que la diversit de ces cultes aurait tourn au profit de la morale, et que, pareillement ce qui se passe dans les colonies anglaises entre les Methodistes et les Baptistes, ils s'exciteraient aux bonnes uvres par une sainte mulation. Malheureusement ces religions sont dj vieilles elles ont perdu la foidu progrs et l'ardeur de la propagande. Les Anglais ont longtemps pos-edeSaintThomas LeHollandais ont aussipossde1ile

ET SAINTE CROIX. SAINTTHOMAS

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C'est toujours, hlas l'antique et dsolante histoire des gens qui ont fait leur chemin ils trouvent que tout est pour le mieux dans le monde. Nous ne voudrions pas jeter le blme sur une association qui fut la premire s'occuper du soulagement et de l'instruction des esclaves; qui a rendu autrefois dans les Antilles, et que nous avons vue rendre encore Antigue d'minens et de rels services, mais nous sommes forc de le dire les frres Moraves eux-mmes, dont nous avons visit tous les tablismens, sauf celui de la ville de West End ( Sainte-Croix), ont t loin de nous offrir quelque chose de satisfaisant. Les ministres Moraves sont des hommes du peuple, des ouvriers, des forgerons, des cordonniers, des laboureurs des chaudronniers ils prchent l'aprs-diner et ils font des souliers et des pioches le matin. Ce sont l des prdicateurs vraiment utiles ils enseignent par l'exemple et ces murs laborieuses, qui les mettent plus au niveau d'hommes condamns au travail forc, ont d ncessairement gagner la confiance des ngres*et donner leur parole une grande influence. Mais pourquoi ces ouvriers chrtiens, ces missionnaires d'une religion devenue par ses perfectionnemens la religion de la fraternit et de l'galit, pourquoi persistent-ils avoir eux-mmes des esclaves comme partie indispensable de leurs tablissemens? Pourquoi ont-ils des esclaves qui les servent table, et qu'ils utilisent leur profit dans les ateliers? IJ y a quelque chose de bien grave dans l'accusation que nous portons icicontre les Moravistes, mais nous ne sommes pas sans moyen de justification. A la station de Fredensthal, nous avons trouv vingt-huit ngres eux appartenant. Ils leur prchent deux fois par jours, mais ils ne les sortent pas de la misre ils leur accordent des leons de bonne direction de soi-mme, mais ils ne leur donnent en change de leurs peines, ni de bonnes maisons, ni de bons lits, ni de bonnes habitudes. Nous avons visit lescases ngres des frres Moraves, et nous le disons avec regret, il n'estpas d'habitations franaises o ellessoient plasmau-

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vaises, plus grossires, plus audacieusement marquees au sceau de toutes les misres de la servitude. C'est le plus grand nombre que celles o il n'y a pas de lit, o le pauvre locataire n'a pour se coucher qu'un banc de bois dur et troit Il y a un triste et choquant contraste entre ces misrables niches et les maisons larges, spacieuses, fraches o se retirent les ministres. On peut approuver les Moravistes d'ouvrir des coles pour les esclaves, quoique les planteurs ne leur en envoyent pas un seul, mais on ne saurait trop les blmer de ne pas mieux traiter les leurs propres. Ce qu'on observe chez les frres-unis nous confirme plus que jamais dans cette opinion qu'il n'y a qu'un seul bien possible faire des esclaves, c'est de leur donner la libert. Aussi, selon nous, ce qui devrait fixer l'attention des hommes dvous, absorber tout leur zle, exciter toute l'ardeur de leur charit, ce serait de prcher non pas les esclaves, mais les matres, et de convertir ceux-ci l'abolition rude entreprise qui ne serait peut-tre pas vaine avec du courage et du talent, et que rien du moins ne viendrait contrarier. Pourquoi encore les frres Moraves abandonnent-ils les affranchis, ces ngres libres qui ont un besoin si direct et si immdiat de la mne morale? Pourquoi ne vont-ils pas eux ? Pourquoi ne les attirent-ils pas en leur offrant un peu de terre o ils pourraient btir une cabane et apprendre, sous leur direction, les soins de la proprit et les bonheurs d'une vie rgulire? Pourquoi, au lieu d'acheter des esclaves n'emploient-ils pas dans leurs fermes des mancips, afin que ceuxci donnent aux autres l'exemple du travail dans la libert? Les frres Moraves prchent leurs esclaves auxquels leur parole n'est bonne rien puisque ces malheureux ont les bras et les poings lis, et ils ne s'occupent pas de combattre et de vaincre dans l'esprit des matres ces vieilles maximes de droit divin qui les attachent la servitude, et dans celui des affranchis ce prjug contre l'agriculture qui les enchame l'oisivet. Nous faisons erreur, peut-tre, mais nous doutons que

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ce sort l un moyen de servir utilement la bonne cause de la dlivrance des captifs. Si jamais on fait une histoire de l'mancipation des esclaves dans les colonies de l'Europe moderne si l'on crit ce beau livre que la postrit lira avec effroi et attendrissement, on n'y inscrira pas les frres Moraves de Sainte-Croixet de SaintThomas mais il est un homme qui devra y occuper une place minente, nous voulons dire le gnral Von Scholten. Depuis treize ans qu'il est gouverneur des Antilles Danoises il s'est constamment employ changer la mauvaise fortune des ngres il s'est considr, dans la haute place qu'il occupe, comme le pre de ces pauvres cratures humaines auxquelles le destin a retir les droits de l'homme, et c'est lui, second par la gnrosit de l'administration mtropolitaine, qu'elles doivent les avantages dont elles jouissent dans leur malheur. Il a devanc les temps, et dj dans tous les actes mans de son cabinet, comme on a pu le remarquer dans l'ordonnance que nous avons traduite plus haut, les esclaves ne sont plus dsigns que sous le nom de laboureurs. Non content de cette belle loi il ne tolre pas le hideux spectacle que l'on voit aux encans de nos colonies. Un esclave peut encore tre vendu ici la crie, mais de nom seulement il n'est plus permis de le prsenter sur la place du march. Ceux qui veulent enchrir ont t forcs, pour le voir, d'aller d'avance chez le vendeur. A tous ces bienfaits, le gnral Scholtenveut ajouter celui de l'ducation. Nous regardons comme impossible ou dangereux d'instruire des esclaves; mais notre point de vue rvolutionnaire nous ne louons pas moins un tel projet de tout notre coeur. Huit belles coles sont dj construites sur divers points de la surface de Sainte-Croix, et n'attendent plusque des matres demands la congrgation Morave. Le vieux gnral-gouverneur, avec un zlevraiment apostolique, a fait lui-mme dernierement un voyage en Suisse pour s'assurer de ces professeurs dans lesquels il a confiance. Il espre amener tous les jours ou tous les deux jours l'coleles esclavesau-dessous de huit ans

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Nous doutons qu'il y russisse, moins d employer son pouvoir discrditionnaire. Les colons crient fort la tyrannie, et disent qu'il leur est d une indemnit pour la violence faite leur proprit legale dans ces enfans soustraits leur pouvoir direct; mais la partie morale du projet excite bien plus encore leur rsistance. Ils en expliquent tout le danger pour eux ils n'ont pas oublie que les Lacdmoniens dfendaient leurs ilotes de reciter mme de beaux vers; ils sentent que l'ouverture d'une cole pour les enfans des ateliers est le coup de grce indirectement donn la servitude car l'instinct de la conservation leur dit qu'en instruisant un esclave, on ne peut obtenir d'autre rsultat que d'en faire un rebelle. Assurment ces objections des croles ne sont pas sans valeur; mais elles se reprsentent avec un poids gal chaque rforme transitoire, et elles servent mettre en vidence le vice capital des prtendus moyens de prparation. Il faut toutefois passer outre en fermant courageusement l'oreille des plaintes jusqu' un certain point lgitimes, autrement rien ne se pourrait faire. Dans cette affreuse question on se heurte chaque pas contre un droit tabli odieux, ou contre des amendemens vexatoires. L'arbitraire ne saurait se corriger que par l'arbitraire, c'est la juste punition de sa raison d'tre. M. Von Scholten s'occupe aussi trs activement d'une amelioration que nous regardons, celle-l, comme utile et conforme en partie l'quit. Les planteurs danois, de mme que les ntres, donnent leurs esclaves un jardin et un jour pour remplacer l'ordinaire. Le gnral veut faire de cette concession une loi formelle; il veut que le samedi, comme le dimanche, appartienne l'esclave d'une manire exclusive sans que le matre soit dispens de fournir l'ordinaire. Cet ordinaire, dit-il, n'est pas suffisant, car il ne consiste qu'en viande ou poisson sal et farine. Il faut ces objets de premire necessit un assaisonnement indislensable; o le ngre le prendra-t-il? -Dans son jardin? Mais le jardin si vous ne lui donnez pas un

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jour pour le cultiver, qu'en pourra-t-il tirer?-Qu'il le cultive ses heures ?-Non, ces heures sont lui, tout entires, sans partage; vous ne pouvez puisque vous prenez son travail de la semaine l'obliger travailler encore le dimanche pour manger. Vous lui devez la nourriture complte. Tels sont exactement les termes de la grande discussion aujourd'hui pendante entre le gouverneur et les planteurs danois. En principe, le gouverneur a raison en fait un jour tout entier pour le sel et le poivre nous semble beaucoup. Par bonheur nous n'avons plus dj nous occuper de pareilles choses; nous n'avons pas disputer quelques heures pour les esclaves franais. Il ne nous reste qu' tomber d'accord sur les moyens les plus prompts et les moins dangereux de les manciper. Une mesure parfaite, due toute entire au gnral, et qui a eu les meilleurs rsultats', est la permission accorde par une ordonnance qui date de 1828, tous les esclaves, de venir, soit individuellement, soit en corps, se plaindre directement lui, lorsqu'ils ont ou croient avoir sujet de le faire. La porte du palais leur est toujours ouverte. Beaucoup de torts ont t rpars, beaucoup d'autres mme ont t prvenus par la crainte qu'on ne portt la rclamation immdiatement au gouverneur. Il est fcheux que tant d'amliorations soient introduites par des voies despotiques, car on pourrait ainsi faire le mal de mme que le bien. Quelqu'abaisssque nous soyons, nous franais modernes, comme citoyens et hommes libres, rien ne nous etonne plus que de voir les formes administratives des Pour assurer la mesure dont nous gouvernemens absolus. venons de parler, et pour rendre rel le recours qu'elle ouvrait aux ngres, il a suffi que le gouverneur publit la circulaire que voici Le gouverneur-gnral donne savoir aux habitans, que quand un laboureur s'adressera dornavant lui, soit en lui portant une plainte, soit en le priant d'intercder en sa faveur il sera renvoye a l'habitation avec un billet conu en ces Le porteur de ceci, ngre N'V, alyartenant t'ha termes

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bitation NN, est par la presente renvoy conformment a ma circulaire du 2 aot 1828. Blows Munde, le Sign, V. Scholten. Si l'esclave n'a point commis une faute assez grave pour que le propritaire ou administrateur de l'habitation ne puisse penser pouvoir lui faire grce, le pardon sera accord au ngre qui montrera ce billet. Dans le cas contraire le ngre sera renvoy avec son billet au tribunal de police qui dcidera de l'affaire. II est expressment dfendu par les prsentes, tout propritaire ou administrateur, d'infliger aucune punition un esclave qui s'est adress l'autorit en chef et qui est renvoy muni du billet en question, pour telle offense que ce soit. Toute punition, quand elle sera ncessaire, aura lieu dans ce cas par ordre du tribunal de police. Cette circulaire sera lue et signe par tous propritaires et administrateurs d'habitation, afin qu'ils n'en ignorent, et servira de rgle fixe et sans exception. Sainte-Croix, 2 aot 1828. Sign, Peter Von Scholtiw. Les potentats de l'Orient ne font pas mieux. Pierre Scholten subit', comme tous les hommes, l'influence des murs despotiques dans lesquelles il a t lev. Combien de fois n'avons-nous pas rpt que l'on esperatt en vain apporter une amlioration efficace dans la servitude, moins de toucher la proprit du matre d'une manire plus irritante encore que ne le ferait l'mancipation immdiate et spontane. Le lecteur jugera sile gnral Von Scholten, malgr son esprit de justice et de bont, a pu viter recueil. Quoiqu'il en soit, il en a fait assez pour mriter la haine des possesseurs d'esclaves. Ceux-ci le reprsentent comme un despote brutal et grossier. Une fois dchaine, leur colre ne s'arrte pas si peu et, suivant eux les crimes de M. Von

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Schoiten ont augment mesure qu'il faisait davantage pour ses protgs. Horrible rapport que la mchancet humaine n'explique que trop bien. Aussi aprs la dernire loi du mois de mai, le gnral a-t-il t dnonc, non pas dans les colonies danoises, o sa censure est souveraine, mais dans les journaux trangers, comme ayant commis toutes sortes d'actions abominables, et (afin sans doute de le punir par o il avait pch) comme ayant particip lui-mme la traite en prenant un intrt sur quelques ngriers C'est la gloire de tous ceux qui se dvouent la destruction d'un abus d'tre traits en ennemis par les gostes qui protilent de l'abus. Heureusement, M. Von Scholten est un homme rsolu, connaissant bien ce qu'il a fait, ce qui lui reste faire, et n'ayant pas commenc sans savoir quoi il s'exposait. On peut esprer que ce ferme vieillard ne se dcouragera pas et ne cdera rien dans la crainte d'tre abattu par l'intrigue. Nous avouons notre entire sympathie pour lui, car nous l'avons vu, ddaigneux de la calomnie, dtermin achever son uvre. Il souffre des mensonges des matres, mais il s'en console par l'amour des esclaves. Quant la traite, nous ne voulons pas croire que M. Von Scholten y ait eu aucune part; ses adversaires, en le disant, ne l'ont jamais prouv; mais c'est une chose trop vraie que depuis mme qu'il est gouverneur, elle s'est faite dans les lles danoises. Saint-Thomas fut longtemps un entrept de ngres, o Cuba et Puerto-Rico venaient s'approvisionner d'esclaves comme de toute autre marchandise. Les autorits s'en dfendent beaucoup et soutiennent que depuis 1792les les danoises sont fermes aux ngriers, ce point qu'on ne pourrait peuttre pas trouver cent Africains dans les trois possessions du Danemarck. Elles font surtout valoir pour raison que la traite tait contraire aux vrais intrts du Danemarck. Il y a quinze ans, disent-elles, avant qu'on introduisit de nouveaux esclaves Puerto-Rico, la colonie espagnole achetait du sucre SaintThomas. Depms non-seulementelle n'en achte plus, mais

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COLONIES DANOISES

ses produits envahissent les marchs d'Amrique ou les Danois ont cess de trouver pour les leurs un dbouche avantageux. Quoi qu'on en puisse dire, et malgr les dispositionsbienveillantes du gouvernement en faveur des esclaves, il est malheureusement notoire que le commerce de Saint-Thomas, profitant des franchises du port et s'inquitant assez peu de son agriculture, s'est adonn l'infme trafic tacitement tolr mais il n'est pas moins certain qu'il y a quatre ans la mtropole a envoy des ordres svres parfaitement observs, et que depuis lors les ngriers ne souillent plus Saint-Thomas. Le Danemarck, on en peut clairement juger par cette rsolution et par les lois que nous avons rapportes en commenant, dsire que l'esclavage ait un terme; s'il parait prfrer les moyens transitoires, c'est qu'ils lui pargnent une indemnit que l'tat de son treaor ne lui permet pas de payer. Il n'a pas, que nous pensions, de plan dtermin pour atteindre son but, et tout en prparant avec persvrance les voies un aussi grave vnement politique il hsite encore. Quoique l'mancipation anglaise n'ait pas eu d'influence directe sur les dcrets de la cour de Copenhague, comme l'abolition est dans sa volont aussi bien que dans la force des choses, on peut croire que l'mancipation franaise determinerait celle des les danoises. Le Danemarck, avanc comme il l'est, ne voudrait pas rester longtemps en arrire des deux grands empires avec lesquels il a toujours t de niveau sur ces nobles ides. La France, quoi qu'on fasse, tient une si haute place dans le monde par la constante moralit des inspirations de son peuple, qu'en delivrant ses ngres elle entranerait presqu'aussitt la delivrance de tous ceux de l'archipel Amricain. Lorsqu'on rflchit, en effet, il est impossible de ne pas reconnatre que le sort des esclaves des Antillesest aujourd'hui forcment attach la rsolution que notre pays adoptera pour les siens. Les 800,000 ngres anglais sont libres, le Dane-

SAINT THOMAS FT SAIMF CROIX.

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marck attend que le vote du Palais-Bourbon prononce la samte parole de libert pourla rpter, et quand les Antillesfranaises, anglaises et danoises seront affranchies, que restera-t-il au milieu des mers de l'Amerique? Les colonies hollandaises Maiselles n'ont pas 20,000 esclaves sur leurs 35,000 habitans, et des 4,000ngres enferms dans la partie hollandaisede SaintMartin quels sont ceux qui resteront en servitude le jour o les esclavesde la partie franaise seront mancip! ? La Sude ne pourrait davantage rsister l'entranement des grandes puissances et dlivrerait sans beaucoup de peine les 4,000 noirs qui se trouvent encore sur son petit rocher de Saint-Barthlemy. Il ne restera donc plus que Puerto-Rico et Cuba, mais les 500,000 Africains que renferment ces deux les ne mettraient-ils pas tout feu et sang plutt que de rester esclaves au milieu de ces cris de joie et d'indpendance que tous les vents de l'Archipel leur apporteraient ? Les decrets de la France au sujet de l'affranchissement auront donc une influenceuniverselle. Il est permis de dire queles destines de la race noire sont liesjusqu' un certain point la dcision qu'elle va prendre. Nospuissans rivaux l'ont reconnu eux-mmes: L'abolition de l'esclavagepar la France, a dit l'antislavery societyde Leeds, dans une adresse du 28 fvrier 1842, la Societ franaise', l'abolition de l'esclavage par la France n'a pas seulement de l'importance pour la France elle-mme ni mme pour l'Europe et les Indes-Occidentales, elle en a pour les intrts de l'humanit dans toutes les parties du monde. La France, en mancipant les ngres, abolira virtuellement la servitude dans les colonies du Danemarck, de la Sude, de la Hollande et de l'Espagne, et moins prochainement, mais non moins srement, dans les grandes rgions du Nouveau-Monde o elle rgne encore. Combien sont vastes les intrts qui attendent la dcision de votre nation et de votre gouvernement sur cette noble question d'humanit et de justice. Je 1 oir il19des de cettederniresociete. publications

52 COLONltSDANOISES. SAINTTHOMAS FT SAINTECROIX

vous en supplie, s'est cri M. Scoble', s'adressant aux Franais avecune chaleureuse loquence; je vous en supplie, retirez vos 250,000 esclavesde l'horrible conditiono ils ont t placs par la cupidit ou par la tyrannie de nos semblables Je suis ardent vous demander cet effort, parce que je crois que votre exemple sera plus puissant que le ntre sur les peuples qui ont des ilotes. Ils vous suivront alors qu'ils auront refus de nous suivre. Lorsque la France donnera la libert ses ngres, son exemple sera irrsistible. L'Espagne, la Hollande, le Brsil et surtout les tats-Unis en reconnatront promptement la puissance et l'imiteront par amour du bien ou par la crainte du mal. La grande nation refusera-t-elle longtemps encore de mriter cette gloire nouvelle en versant tant de bienfaits sur le monde? 1 Voirno 19des de la societefranaisepour l'abolition publications de l'esclavage.

COLONIES DANOISES.TABLE ANALYTIQUE.

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TABLE ANALYTIQUEDES MATIRES CONTENUES DANS LES COLONIES DANOISES.

SAINT-THOMASLes possesseurs d'esclaves

ET SAINTE-CROIX.

d affranchissement sous aucune forme, des les danoises, 4.-Saint-Thomas 5.3.-Population port libre. Sainte-Croix, dans les colonies du Danemarck. Condition des esclaves. Question de l'abolition Ordonnance du gouverneur du 7 mai 1858, 6. Edit royal du 1" mai 1840, 1L. Le cabinet de Copenhague s'est toujours distingu par la gnrosit de ses avant tendances abolitiomstes. peu, 18. -Rgime esclaves croles, 21.-Lea Moraves tre dposseds danois s'attendent des habitations de la couronne, 30. Une erreur des abandonns Les frre par les diffrons cultes, 22. C'est aux mattres et aux affranchis qu'il faut Le gouverneur Peter von Scholten, II ne d sous le nom de laboureurs dans tous les actes des colons l'instruction des esclaves. Toute Le samedi du l'esclave, outre l'oidtnaire, de s'adresser directement l'autorit 27. - Haine des colons contre le Les colons

ne veulent

prcher signe dj plus les esclaves que officiels. Ecoles, 25. -Rsistance rforme transitoire a des dangers. 26 Permission Pouvoir accorde absolu supeneure, gouverneur mancipation l'archipel

ont des esclaves, 23. la parole de vrit, 24.

aux esclaves du gouverneur La traite

29. abolitioniste, des lies franaises amricain, 30

ne se fait plus Samt Thomas. L'determinerait celle des tics danoises et de tout

COL. ETR Il

3

HATI.

HATI.

INTRODUCTION.

EXTERMINATION DES PREMIERS IIABITArS

DE L'iLE.

Haiti mauvais

ce nom seul rsume

I abolition disent

tout le mal que les ennemis de de la race africaine, en rveillant l'ide du

On usage que les Haitiens ont fait de l'indpendance. a tir des embarras et des malheurs de leur position un argument l'appui de ce qu'on appelle l'incapacit des noirs tre rien dans ce grave dbat; les excs, les crimes de l'affranchissement des ngres Saint-Domingue, nous les dirons tous; mais auparavant nous devons notre de raconter d'autres excs, d'aud'abolitioniste, tres crimes qui ont prcd ceux des esclaves qui les exet qui certainement les pliquent, qui les justifient peut-tre, ont produits. Le 5 dcembre 1492, Christophe Colomb, aprs avoir dcouvert San Salvador, Santa-Maria de la Conception, Ferdinanda, isabella et Cuba, aperut les montagnes d'une le nouvelle. Les Indiens dans de Cuba qu'il avait pris bord la dsignaient tout la fois sous le nom de Bohio et d'Hati. Le 6, il jeta l'ancre un port form par un petit cap qu'il appela Satnt-Nicolas, patron du jour de son arrive. Le 12 il prit solennellement possession de l'le au nom de Leurs Altesses Ferdinand conscience libres. Nous n'luderons

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HAIT!,

et Isabelle et trouvant quelque ressemblance entre cette contre et les belles ctes d'Andalousie, il la nomma Fspanola. Hati (en indien, terre montagneuse tait, au moment de la decouverte, divis en cinq grands tats, indpendans l'un de l'autre et rgis par des chefs qui portaient le titre de caciques. Les habitans, comme ceux de Cuba, de la Jamaique et de Puerto-Rico, n'taient point de la race des Carabes qui possdaient les petites Antilles et n'avaient rien des murs guerrires et cruelles de ces taciturnes sauvages. Colomb, dans son journal, dit, en parlant des indignes d'Haiti Ils sont si aimans, si doux, si paisibles, que je puis assurer Vos Altesses qu'il n'y a point dans l'univers une meilleure race ni un meilleur pays. Ils aiment leurs voisins comme eux-mmes. Leur langage est affable et gracieux, et ils ont toujours le sourire sur les lvres. Ils sont nus, il est vrai mais leurs manires sont remplies de dcenceet decandeur'. Las Casas, en faisant remarquer cette nudit totale, dit que ces Indiens semblaient vivre dans l'innocence primitive de nos premiers parens avant que leur chute et introduit le pch dans le monde. Colomb ajoute, dans une lettre crite au mimstre des finances, don Luis San Angel Lorsqueles naturels se furent enhardis et que leur terreur fut dissipe, ils disposaient si gnreusement de tout ce qu'ils possdaient, qu'il faut en avoir t tmoin pour le croire. Si quelque chose leur tait demand, ils ne disaient jamais non et le donnaient aussitt. Je n'ai pu parvenir comprendre s'ils connaissaient les distinctionsde la proprit; mais je crois plutt que ce que l'un possde tous les autres le par-' tagent, notamment pour tout ce qui tient la nourriture'. n L'amiral essuya, le 24 dcembre, une tempte dans la baie d'Acul, o il se trouvait l'ancre; un de ses vaisseaux toucha et il fallut le dcharger. Les Indiens aussitt s'empressrent 1 llisloiiadcl inuranli par son fil-ri nl)iee< dc' \warrelc Viagn rie/osEspnnniri, inmM". ( ollcciion

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aider les mai ins. Jamais, dans aucune contre civilisce, dit don Diego Colomb, dans l'histoire de son pre, jamais les devoirs si vants de l'hospitalit ne furent remplis plus scrupuleusement que par ce sauvage (il parle du cacique Guarionex). Les effets apports des vaisseaux furent dposs prs de sa demeure, et une garde arme les entoura toute la nuit jusqu' ce qu'on eut pu prparer des maisons pour les recevoir. Mais cette prcaution semblait inutile, pas un Indien ne parut tent un seul instant de profiter du malheur des trangers. Quoiqu'ils vissent ce qui, leurs yeux, devait tre des trsors inestimables jets ple-mle sur la cte, il n'y eut pas la moindre tentative de pillage, et en transportant les effets des vaisseaux terre, ils n'eurent pas mme l'ide do s'approprier la plus lgre bagatelle. Au contraire, leurs actions et leurs gestes exprimaient une vive piti, et voir leur douleur, on aurait suppos que le dsastre qui venait d'arriver les avait frapps eux-mmes', Tous les historiens espagnolsqui parlent des naturels d'Hati s'accordent les reprsenter comme vivant dans un tat de simplicit admirable, doucement gouverns par des caciques exempts d'ambilion, avec des gots borns, des habitudes d'une frugalit extraordinaire, dlivrs, grce leur simplicit, des soucis et des fatigues continuelles que l'homme civilis s'inflige lui-mme pour satisfaire ses besoins artiticiels, ignorant l'art de s'entretuer et indiffrens aux choses pour lesquelles la plupart des hommes se tourmentent. Jamais on ne remarquait chez eux la moindre trace de gne ou d'inquitude. La nature, qui les nourrissait presque sans qu'ils eussent prendre aucune peine les avait rendus paresseux et imprvoyans toute espce de travail leur tait charge, maisils connaissaient peine le tien et le mien. Tranquilles, heureux, bons, leurs jours coulaient dans un doux loisir; ils passaient leur vie entire couchs sous de frais ombrages parfums, raHtstoria del Amzranle,cite par M. VV. Irving

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lisant l'innocence, la paix et le bonheur dont l'imagination des potes a par l'ge d'or. Tel tait ce peuple destin mourir bientt dans les excs de travail auxquels la civilisation allait les condamner pour cultiver du sucre Les matelots du btiment naufrag qui restrent assez longtemps terre au milieu des naturels, furent ravis par l'existence facile qu'ils leur voyaient mener; elle leur semblait un rve agrable, et beaucoup d'entr'eux, faisant un retour sur eux-mmes comparant ce tableau avec celui de leurs entreprises laborieuses, pnibles, agites, vinrent, sduits et captivs, demander l'amiral la permission de rester dans l'le'. Colomb, ferme et austre demeurait insensible ces illusions de quelques hommes qui voulaient se reposer; il songeait au but, l'or Les naturels ayant remarqu que les Espagnols aimaient beaucoup l'or, en donnrent une assez grande quantit contre des babioles europennes, et des grelots qui les charmaient par-dessus tout. Ils dirent que ce mtal se trouvait peu de distance dans une province appele Cibao. Christophe Colomb, en faisant son immortel voyage, cherchait l'Inde et les richesses qu'il comptait y trouver, d'aprs les rapports de Marco Polo et de John Mandeville.Lorsqu'il aborda aux Antilles,il se crut trs fermement dans les Indes. L'esprit toujours proccup de ses lectures, en atteignant Cubail avait pens tre arriv au pays riche et civilis de Cipango, mentionn par les voyageurs qui lui servaient de guide. La pauvret des indignes l'avait vite dsabus; mais sitt que les habitans d'Hati lui parlrent de Cibao, tromp par ses dsirs autant que par une certaine analogie de nom, il ne fit aucun doute d'avoir trouv cette fois Cipango'. La persuasion o Christophe demeura jusqu a sa mort qu'il avait atteint l'extrmit est de l'Inde, explique le titre d'In1 N'a\arrcte,tome 1er,introduction. Journalde Colomb dansNa\arrte. Hulona delAmirante

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diens donn encore aujourd'hui aux habitans des Antilleset de l'Amrique. Ce titre attestera ternellement que Colombn'avait point devin l'Amrique comme on l'a dit, et qu'il ignora la relle immensit de sa dcouverte. Il ne parait pas que l'amiral ait song se diriger tout de suite vers Cipango; il lui tardait d'aller recueillir en Europe la gloire due son heureuse entreprise, mais le dsir tmoign par plusieurs hommes de son quipage lui suggra l'ide de jeter en Ilaiti les fondemens d'une coloniefuture.-Ceux qui resteraient pourraient reconnatre le pays, pntrer dans l'intrieur, apprendre la langue, dcouvrir les mines et amasser de l'or. Pendant ce temps l il irait en Espagne, d'o il ramnerait des colonisateurs. A peine eut-il conu ce projet qu'il le mit excution. Il choisitun emplacement au sud de l'ile, et les naturels l'aidrent avec la plus grande joie. Ces infortuns voyaient dans les Espagnols des amis propres les dfendre contre les incursions que les farouchesCaraibesdes lesdu Vent faisaientquelquefoischez eux. Ils ne savaient pas que les hommes blancs taient plus atrocement cruels que les Carabes rouges, et ils travaillrent leur propre perte. Siactivefut leur coopration, qu'en dix jours une petite forteresse fut acheve et baptise du nom de la Natividad. Aprsl'avoir arme et y avoirtabli trente-neuf hommes pris dans les plus sages de ceux qui s'offraient demeurer, Christophe remonta sur ses petits vaisseaux le 3 janvier 1493, traversa de nouveau l'Ocan, celte fois l'me satisfaite et glorieuse', et le 15 mars, aprs de longues contrarits de mer, il rentrait Palos, n'ayant pas mis tout--fait sept mois et demi accomplir la plus grande de toutes les entreprises maritimes Colomb, son retour, gota toutes les joiesdu triomphe. Bientt une seconde expdition se prpara. L'exaltation des esprits tait porte au dernier degr les descriptions exagres de l'amiral, qui devaient amener des dceptions si amres, excitaient un enthousiasme universel. Les moins hardis voulaient se prcipiter sur cette terre promise o les ruisseaux rou-

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laient l'or, o les bois produisaient des pices et des parfums, o les ctes taient semes de perles. Le nombre des gens qui s'embarqurent montait, au moment de mettre la voile, quinze cents. La flotte compose de trois grands vaisseaux et de quatorze caravelles appareilla aux acclamations universelles le 25 septembre 1493. L'amiral dcouvrit en chemin la Dominique,lVlarie-Galande, la Guadeloupe, Mont-Serrat, Saint-Christophe,Antigue, SainteCroix, Puerto-Rico, et, le 29 novembre 1493,jeta l'ancre la Natividad. Des hommes qu'il avait laisses l, il n'en retrouva pas un. Ils s'taient diviss, entretus presque tous eux-mmes et le cacique Caonabo tant venu attaquer le fort dsarm, l'avait dtruit aprs avoir extermin tout ce qui restait d'Espagnols, pour les punir de la conduite violenteet criminelle qu'ils avaient tenue envers les indignes! L'emplacement de la Nativit fut reconnu peu favorable; Colomb vint se fixer dix lieues environ de Monte-Christe, et y traa le plan d'une ville qui fut la premire cit chrtienne fonde dans le Nouveau-Monde. Il lui donna le nom d'Isabella, en mmoire de sa protectrice. Quel coup pour ceux qui l'avaient suivi Quelchangement de fortune Beaucoup de cavalleros, gens de marque, s'taient embarqus leurs frais, esprant trouver faire dans les tats du grand Khan, sultan de l'Inde, des prouesses guerrires comparables celles des croisades ou de la guerre de Grenade. D'autres taient venus chercher les trsors et le luxe merveilleux de l'le tant vante de Cipango; et ils se voyaient tous condamns btir de leurs mains leurs maisons de bois sur une plage presque dserte! Bientt les provisions commencrent s'puiser. Les Espagnols qui n'taient pas encore accoutums aux alimens du pays et qui n'avaient pas voulu se donner la peine de cultiver des grams, se trouvrent la veille de la famine. La mort svissait dej parmi les plus decourages Le mecontentement

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tait au comble, les plaintes s'exprimaient haute voix. Dans cette extrmit, l'amiral prit des mesures nergiques; il obligea tout le monde sans exception au travail. Ces jeunes et fiers hidalgos qui taient partis comme allant la croisade furent forcs d'ouvrir la terre de leurs mains, et prirent, tus par la fivre et le dsespoir, en maudissant le jour o ils avaient cru les trompeurs rapports du gnois. Combienla perte de ces cavaliers ne dut-elle pas exciter contre Colombde puissantes familles en Espagne, qui ne virent dans leurs fils morts misrablement, que les victimes de mensonges avancs pour soutenir son ambition L'amiral comprit le tort que ces malheurs allaient faire son crdit en Europe, et ne pouvant envoyer les richesses qu'il avait promises, il voulut les remplacer par. par des esclaves Colomb etait un homme profondement religieux, les noms seuls qu'il donne ses dcouvertes l'indiquent assez; mais pour lui comme pour tous ses contemporains, lesdroits primitifs que l'homme tient de la nature n'taient pas plus respectables l'gard des payens que pour les nations antiques l'gard des trangers. Ds la premire lettre o il annona sa dcouverte au roi et la reme, il leur dit Si Vos Altesses le jugeaient propos, on pourrait amener tous les indignes en Espagne'! Dansl'numration des biens du Nouveau-Monde qu'il fait au ministre don Luis de San Angel, il cite ct des richesses mtalliques et vgtales, du mastic semblable celui de l'le de Chio, des pices et de l'aloes, les esclaves dont on pourra charger des navires entiers en prenant ceux qui sont Idoltres', Il est triste d'avoir le dire, Colombn'tait pas grand jusqu' dpasser la sauvage barbarie de son sicle, et pour accorder son avarice avec ses vifs instincts de religion, il prten1 Histoirede lcrGcographac du nouvau conlinnt, tnmc ..cet Collection de Nav.tricte t'oncler.

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dait convertir ses victimes. Il y a tant de folie dans la tte des plus nobles et des meilleurs hommes, que Christophe a bien pu croire comme mille autres que l'esclavage tait un moyen de sauver des infidlesde la damnation. Quelle humiliante excuse pour la raison humaine d'tre oblig de confesser que ceux qui furent si criminels croyaient obir leur conscience en n'coutant que leur cupidit! Conformment celte doctrine lorsque Colomb renvoya le 2 fvrier 1494, douze des vaisseaux qui l'avaient amene pour la seconde fois en Haiti, il les chargea d'hommes, de femmes, d'enfans pris dans les iles Carabes et arrachs pour toujours au sol natal. Antonio de Torrs, commandant de cette flotle tait porteur d'une lettre en date du 30 janvier 1494, o l'amiral, entr'autres explications tendant mettre en vidence les avantages de sa decouverte, annonait ces Carabes et ne proposait rien de moins que la traite des Indiens. Il voulaitqu'on les changet titie d'esclaves contre des ttes de btail qui seraient fournies par des marchands la colonie. Ces changes se feraient avec rgularit les navires porteurs du btail ne pourraient dbarquer qu' l'ile Isabella, o les captifs caraibes seraient prts tre enlevs. Un droit serait peru sur chaque esclave pour le trsor royal. De cette manire, la colonie fonde Espanolase trouverait pourvue d'animaux domestiques de toute espce sans qu'il en coutt rien. Lesinsulaires paisibles seraient dlivrs de leurs cruels voisins, le trsor royal s'enrichirait considrablement, et un grand nombre d'mes seraient sauvees de la perdition'. L'anne suivante, par le retour de quatre caravelles qui taient venues apporter des provisions, Colombexpdia encore cinq cents Indiens. Pour procurer mes souverains, ecrivaitil, un profit immdiat et les indemniser des dpenses que la naissante colonie fait peser sur le tresor royal, j'envoie ces Indiens qui pourront tre vendus Seville. Les cinq cents Indiens que 1 on voit partir ici n'taient pas 1 Collection de \a\amele, tomeiPr

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des Carabes, ils appartenaient la race de ces affectueux insulaires qui avaient reu Colomb avec une touchante hospitalit, et qui, soulevs par les excs dont ils taient dj victimes, venaient d'tre faits prisonniers! Mais la violationde tous les droits de l'humanit la servitude impose des hommes doux et bons, la lchet de l'abus de la force contre des tres faibles et inoffensifs, ne sont pas les seules taches qui souilleront la mmoire de Colomb. Il fut le premier les asservir et le premier aussi lis faire dchirer par des chiens sanguinaires c'est lui, il n'est que trop certain, qui introduisit cet abominable usage. Le 5 mai 1494, en abordant la Jamaique il lance un chien contre les indignes qui veulent s'opposer son dbarquement. Le 24 mars 1495, dans le combat qu'il livre avec son frre don Barthelemy au caciqueManicaotex, dans la Vega d'Espanola il emmne vingt chiens perros corsos dresss cet usage. Ces limiers, dit M. W. Irving, en racontant la bataille qui eut lieu se jetrent avec furie sur les Indiens, les prirent la gorge, les etranglrent et les mirent en pices. Les sauvages, qui ne connaissaient aucune espce de quadrupdes grands et feroces, furent frapps d'horreur lorsqu'ils se virent attaqus par ces animaux altrs de sang ils croyaient chaque instant voir aussi les chevaux s'lancer sur eux pour les dvorer'. )1 Les ntres, dit Pierre Martyr, se servent du concours des chiens dans les combats contre ces nations nues les chiens se jettent avec rage sur elles comme sur de froces sangliers ou des cerfs agiles. Pierre Martyr ne cache pas que les Espagnols livraient aussi la dent des chiens, les indignes qu'ils ju geaient coupables Ainsi, cet homme qui se considrait comme un agent di1 H8gotre de ChristopheColomb. Dans les petitesgravuies qui ornentla premirepage de l'editiond'Herrera publieeen 1601 Ma entreles indigneset lesLspagnolsou ceux drid, onvoitun combat ciont deschiensqui se lancentsur les Indiens Oceern Dcade Ill, liv ler

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rectement employe par la Providence, comme recevant d'en haut des impulsions et des conseils pour dcouvrir un nouveau monde, afin d'en amener leshabi ans dans le sein de l'glise , ne se croyait pas interdit de livrer aux chiens et la servitude ceux qui osaient repousser les violences dont il avait pay leurs naifs bienfaits L'horrible emploi des chiens se perpetua et finit par tre d'un usage ordinaire. Les Espagnols nous apprend Las Casas, ayant remarqu qu' leur approche beaucoup d'Indiens se retiraient dans les bois et sur les montagnes, s'appliqurent dresser des lvriers ardens au carnage pour faire la chasse aux fuyards, et ces animaux devinrent si adroits dans ce cruel exercice et tellement froces, qu'en un moment ils avaient mis en pices et dvor un Indien. Le nombre des naturels qui perirent de cette manire est incalculable'. Toutle monde sait qu'encore aujourd'hui, les colons de la Havane emploient des chiens pour aller la chasse des ngres marrons Reprenons. Malgrle triste tat de lavilleIsabella, Christophe ne pouvait se laisser arrter dans les grands dessemsde dcouvertes dont son esprit tait possed, et qui devaient tre pour lui, esprait-il de nouvelles sources de gloire et de richesses. Le 24 avril 1494, il remit ses ordres avec ses pleins pouvoirs une junte, et, prenant trois caravelles, il s'embarqua de nouveau, afin de retourner Cuba. Nous n'avons pas le suivre dans cette expdition, o il montra tant de gme et de courage, et d'o il revint le 26 septembre, persuade que la plus grande des Antillestait la pointe du continent asiatique ou indien, erreur qui ne fut dissipequ'en 1508, deux ans aprs sa mort. Espaclola, durant son absence, tait devenue le thetre de discordes violentes entre les Espagnols, et d'injustices plus cruelles que jamais contre les naturels Ceux-ci essayrent en1 OEuvresdeLas Casas ditespar 1lorente; 1vol. Premierme la relationdes cruauts commises moire, contenant par lesEspagnols conqurantde l'Amraque.Art.1

I VTRODl CTION

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core de se rvolter. Christophe marcha lui-mme sur eux le 24 mars 1495, et il n'eut pas de peine soumettre une masse d hommes nus n'ayant pour toute arme dfensive et offensive que des flches. C'est la suile de cette expedition que l'amiral imposa pour la premiere fois un tribut rgulier aux pauvres Indiens. Il est facile de pntrer la cause de cette exaction. L'enthousiasme qu'avait inspir la dcouvertede Christophe tomba tout--coup au retour des caravelles du second voyage. Il tait persuad, et il avait persuad tout le monde qu'il allait en Orient, au pays de la soie, de l'ivoire, des perles, des pierres fines, de l'or, de l'argent, des pices et des aromates, tout prs du paradis terrestre. Au lieu de cela il n'avait dcouvert en dfinitive que des contres pauvres et presque dpourvues de ce mtal que l'on dsirait avidement, peuples de sauvages nus et misrables. Plus on attendait de richesses, et plus on ressentit de froideur quand on ne vit rien arriver. Colomb voulait avant tout raliser les promesses qu'il avait faites d'envoyer de l'or, beaucoup d'or; il esprait de la sorte imposer silence aux envieux qui ne manquaient pas de faire remarquer l'avare Ferdinand que les dcouvertesdu gnois, loin d'tre d'aucun profit d la couronne, lui taient onreuses. Les Indiens devaient tenir l'imprudente parole que l'amiral avait donne. Chaque naturel au-dessus de quatorze ans fut condamn apporter tous les trois mois une petite sonnette de Flandre pleine de poudre d'or Ces grelots sonores, fait observer M. W. Irwing, qui avaient fascinles naturels, devinrent une sorte de mesure qui leur rappelait sans cesse l'origine de tous leurs maux. Dans les districts loigns des mines, la capitation fut de vingt-cinq livres de coton payables aussi trimestriellement. Tout lndien, enpayant ce tribut, recevait pourquittance une mdaille de cuivre qu'il tait tenu de porter son cou, et 1 Lavaleurd' peupres 75Fr.de nosjours. W Irving

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ceux qu'on trouvait depourvus de cette pice taient arrts et punis. -Ce fut l le commencement des malheurs sous lesquels ils devaient succomber. A partir de ce moment, le desespoir s'empara de ces pauvres sauvages, dont l'existence calme et insouciante jusqu'alors se changea en un long martyr. Pour viter le tribut, ils s'enfuyaient au fond des bois, cherchaient un asyle sur le sommet des montagnes les plus escarpes, se cachaient dans les cavernes o les inquietudes et la faim en turent dj des milliers. Mais n'anticipons pas. Le 10 avril 1495, fut rendue en Espagne une cdule royale dans laquelle on aperoit distinctement la volont de former une colonie agricole. Tous ceux qui partiront sans paie et leurs frais recevront des vivres pendant un an leur arrive, et des terres en proprit. De tout l'or qu'ils parviendront ramasser, un tiers est pour eux, les deux autres tiers la couronne. Malgr de telles offres, les rapports que l'on faisait sur la dtresse d'Espanola empchaient les honntes gens de s'y rendre, et l'ile ne recevait gure que des hommes perdus, qui couraient les chances du Nouveau-Monde, parce qu'il ne leur en restait plus aucune dans l'ancien. Ces emigrs avec leurs mauvaises murs, ne pouvaient supporter les rglemens svres que l'amiral cherchait tablir. Ils considraient tout acte de rpression comme une tentative de tyrannie. Leurs plaintes taient portes jusqu'au pied du trne par les ennemis de Christophe, et il fut inform qu'on venait d'envoyer un nomm Aguado pour le surveiller. Il rsolut alors d'aller lui-mme la cour pour relever son crdit, en faisant valoir l'importance du continent qu'il croyait avoir dcouvert Cuba. Avant de partir, il donna ordre son frre dontBarlhelemy, qui tait venu le joindre et qu'il avait nomm adelantado lieude construire une forteresse l'emboutenant-gouverneur, chure de l'Ozama dans l'est de l'lie. Il avait reconnu que la position d'Isabella tait malsame il voulait transporter autre part le sige de la colonie Le quartier de 1est, qui venait d'tre visit, avait d'abord paru assez riche en mines, et comme les

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explorateurs croyaient y avoir remarque des traces de vieilles excavations, son imagination toujours active s'tait exalte de nouveau il avait conjectur qu'Hati tait l'ancien Ophir de la Bible, et il voulait fonder la nouvelle cit prs de la source des trsors. C'est le fort construit par l'adelantado et appel Santo-Domingo, qui fut l'origine de la ville de ce nom. Saint-Domingue n'est donc pas, comme on le croit gnralement, la premire ville qui ait t btie en Amrique. Les Indiens avaient vu Isabella aux environs du port de hlonle-Christe plus d'un an avant l'rection du fort de San Domingo. Aprs avoir transfr son autorit a son frre, Christophe mit la voile le 10 mars 1496, et longtemps retenu par des vents contraires, ce ne fut que le 11 juin qu'il atteignit Cadix. Pendant le sjour de Colomben Espagne s'agitait une question que lui-mme, ainsi qu'on l'a vu plus haut, avait fait surgir. Lorsque la premire cargaison de cinq cents Hatiens, expedis en 1495, tait arrive, le gouvernement, fort accoutum a des ventes semblables, avait enjoint l'voque Fonseca, surintendant des affaires des Indes, ude faire l'opration en Andalousie, parce qu'elle y serait plus lucrative que partout ailleurs. Maistrois jours aprs, Isabelle, saisie de scrupule sur la lgitimit de l'esclavage des hommes rouges, avait rvoqu l'ordre. Deux mois s'coulrent sans qu'elle ft fixe sur un tel doute, et on la voit demander des casuistes, par une lettre du 16 avril 1495 si l'on peut en bonne consciencevendre des Indiens. La rponse des saints personnages fut, selon toute apparence, bien cruelle, car l'amiral crivit son frre don Barthelemy, au mois de juillet 1496, d'envoyer en Espagne ceux des caciques et de leurs sujets qui auraient pris part la mort de quelques colous, cette raison tant regarde comme suffisante par les jurisconsultes et les thologiens les plus habiles pour les vendre comme esclaves. C'est par suite de cet ordre que l'adelantado fit une nouvelle expdition de tiois cenls insulaires avec trois caciques qui arCOL. hTR. Il. 4

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Les ngriers, dans l'argot rivrent Cadix en octobre 1496 que les voleurs inventent toujours pour changer leurs horribles ides, appellent aujourd'hui leurs victimes des billes d'bne. Le commandant de cetteexpdition, Pedro Alonzo Nino, assur probablement de se dfaire des Indiens d'une manire trs avantageuse, crivit avec une impitoyable hyperbole qu'il avait bord une forte quantit de barres d'or'. Colomb se laissait trop dominer par l'ardeur d'imagination qui est un de ses traits saillans il n'tait pas assez matre de lui; il ne se contenta pas firement d'avoir dcouvert un monde, il voulut le rendre immdiatement profitable, et pour arriver ce but, tous les moyens lui parurent bons. Ainsi s'explique le cruel empressement que cet homme bienveillant mettait prendre l'opinion des thologiens qui lgitimaient la servitude des Indiens. Ainsi s'explique encore une faute capitale qu'il commit lorsqu'il fut enfin autoris entreprendre un troisime voyage.-Voyant que malgr les pouvoirs qu'il avait d'accorder des terres tous ceux qui voudraient migrer Espanola, personne ne se prsentait, il fit une proposition qui atteste elle seule du reste jusqu'o tait pousse la raction publique contre sa dcouverte et ses projets. Cette proposition, malheureusement adopte plus tard par la France, lorsqu'elle fonda des colonies, consistait dporter les criminels Espanola. Tous ceux qui taient bannis ou condamns aux mines devaient tre envoys dans l'Ile. De plus, amnistie tait accorde aux malfaiteurs qui, dans un dlai fix, s'embarqueraient pour la colonie, sous la condition, pour ceux qui avaient commis des crimes entranant la peine de mort, de servir pendant deux ans, et pour ceux dont les offenses taient moins graves, de servir pendant un an'. M. W. Irwing, en rappelant ces ordonnances, fait une rflexion d'une grande sagesse et d'une haute moralit Certes, dit-il il n'est 1 La'. Casas cite pat M.\r. Imng 1 Herrera Dec. 1, Ii, 5,chap 2.

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si

pas moins rvoltant ni moins contre nature de voir une metropole se dcharger de ses vices et de ses crimes sur les colonies, qu'il leseraitde voirune m^re donner volontairementses enfans le germe d'une maladiemortelle, etl'on ne doit pass'tonner que les semences funestes si imprudemment jetes dans leur sein ne produisent que des fruits amers Aprs bien des obstacles, Christophe partit enfin, le 30 mai 1498, avec six navires. Ce fut dans ce troisime voyage qu'il dcouvrit, le 31 juillet la Trinidad et le jour suivant la terre ferme l'embouchure de l'Ornoque. Colomb, qui croyait avoir touch le continent asiatique Cuba, crut n'avoir trouv qu'une le de plus en mettant le pied sur le continent amricain. En quittant le golfe de Paria, il nomma en passant Tabago, Grenada, Marguarita et Cubana, devenue si clbre par la pche des perles, puis il gouverna sur sa colonie qu'il trouva dans une plus grande confusion que jamais Son frere, avec la violencereligieuse du XV sicle, venait de faire brler plusieurs Indiens comme sacrilges, parce qu'ils avaient bris quelquesimages catholiques. Cetacte de cruaut, l'gard d'hommes ignorans et sans culte, avait mis le comble l'irritation des indignes, dj exasprs par les abus toujours plus crians qu'ils souffraient; ils s'taient encore une fois soulevs. D'un autre ct, Roldan, ancien domestique de Colomb, que son matre avait nomm alcade, homme astucieux, pervers, et d'une grande nergie de caractre, s'tait fait un parti redoutable et ne tendait rien de moins qu' s'emparer du pouvoir. L'amiral no se sentant pas assez fort, crut devoir traiter avec Roldan et ses complices. Une des clauses de la premire convention faite pour les dcider s'embarquer, tait qu'il leur serait donn des esclaves comme il en avait t donn d'autres Quelques-uns des factieux n'ayant pas voulu partir, 1 Histoirede Christophe('olomb, U\ 12,ch. 3.

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Christophe fit avec eux un nouveau traite par lequel il leur accorda des terres et de plus des Indiens les uns libres et les autres esclaves, pour les aider les cultiver'. C'tait l violer les ordres formels qu'il avait reus de la reine de Castille.-Isabelle n'avait point t rassure par ce qu'on avait rpondu sa lettre du 16 avril 1495. mue d'une gnreuse compassion en faveur de cette race nouvelle que l'on vouait la servitude, elle tait toujours inquite. Avec l'incertitude d'une conscience mal claire, elle ne