nouvelle-france english colonies
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Robert Lahaise
Nouvelle-FranceEnglish colonies
L’impossible coexistence, 1606-1713
septentrionExtrait de la publication
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nouvelle-france – english colonies
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du même auteur
La Nouvelle-France, 1524-1760. Outremont, Lanctôt éditeur, 5e éd., 1999 [1967], 334 p. (en coll. avec Noël Vallerand).
Le Québec sous le régime anglais, 1760-1867. Outremont, Lanctôt éditeur, 5e éd., 1999 [1971], 370 p. (en coll. avec Noël Vallerand).
Civilisation et vie quotidienne en Nouvelle-France. Montréal, Guérin, 1973. 1000 dia-positives accompagnées d’un volume (207 p.) de commentaires et d’une bibliogra-phie thématique. Repris sur cédérom : Fenêtres sur l’histoire. Micro-Intel, 1995.
Les Voyages de Jacques Cartier, avec introduction, notes et commentaires. Remis en français moderne avec la collaboration de Marie Couturier, Montréal, Hurtubise HMH, « Cahiers du Québec », no 32, 1977, 158 p.
Les Édifices conventuels du Vieux Montréal. Montréal, Hurtubise HMH, « Cahiers du Québec », no 50, 1980, 600 p.
Guy Delahaye et la modernité littéraire au Québec. Montréal, Hurtubise HMH, « Cahiers du Québec », no 88, 1987, 549 p.
Guy Delahaye — Œuvres, édition critique, avec présentation, notes et variantes.Montréal, Hurtubise HMH, « Cahiers du Québec », no 92, 1988, 406 p.
Le Québec 1830-1939 — Bibliographie thématique : histoire et littérature. Montréal, Hurtubise HMH, 1990, 173 p.
George Monro Grant — Le Québec pittoresque, présentation. Montréal, Hurtubise HMH, « Cahiers du Québec », no 97, 1991, 276 p.
Civilisation traditionnelle au Québec. UQAM-COOP, 1992, 468 p.
(Dir.) Le Devoir — Reflet du Québec au xxe siècle. Montréal, Hurtubise HMH, « Cahiers du Québec », no 110, 1994, 504 p.
La Fin d’un Québec traditionnel — Du Canada à « Notre État français ». Montréal, L’Hexagone, 1994, 238 p.
Olivar Asselin — Liberté de pensée, présentation. Montréal, Typo, 1997, 153 p.
Libéralisme sans liberté, 1830-1860. Outremont, Lanctôt éditeur, 1997, 188 p.
Une histoire du Québec par sa littérature, 1914-1939. Montréal, Guérin, 1998, 767 p.
(Dir.) Québec 2000. Montréal, Hurtubise HMH, « Cahiers du Québec », no 123, 1999, 462 p.
Expansion canadienne et repli québécois, 1860-1896. Outremont, Lanctôt éditeur, 2000, 256 p.
Guy Delahaye, poète-psychiatre. Montréal, Lidec, 2000, 62 p.
Canada-Québec, entrouverture au monde, 1896-1914. Montréal, Lanctôt éditeur, 2002, 258 p.
En préparation :
La Défaite — The Conquest.
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Robert Lahaise
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L’impossible coexistence, 1606-1713
septentrion
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Illustration de la couverture : L’Amérique septentrionale ou la partie septentrionale des Indes occidentales, Coronelli, 1689. Fonds de l’éditeur.Révision : Solange DeschênesCorrection d’épreuves : France Brûlé et Sophie ImbeaultMise en pages : Folio infographieMaquette de la couverture : Gilles HermanCartes : Aska Suzuki
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Pour leur assistance soutenue, merci à Solange Deschênes, Sophie Imbeault, Josée Lalancette, Septentrionistes accomplies, à Carole Labrie, patiente défri-cheuse de mes manuscrits, à Denis Vaugeois, inlassable éditeur-historien-conseil, et merci également au géographe-historien Fernand Grenier pour ses judicieux conseils quant à la présente réédition.
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Avant-propos
Dans ma lointaine enfance, nos manuels d’histoire du Canada auraient pu se confondre avec ceux d’histoire sainte : nous n’étions
que parfaits. De 1956 à 1960, j’apprends au département d’histoire de l’Université Laval que notre passé doit s’expliquer par des sources contem-poraines aux faits étudiés et non par la bible. Mais, comme on n’arrête pas le progrès et encore moins les progressistes, durant les années 1970, des étudiants de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) me remettent des travaux sur la Nouvelle-France, en citant, cette fois, Lénine et Mao ! Si ce concept alors à la mode ne m’a guère impressionné, la fièvre nationaliste ambiante, par contre, m’a enthousiasmé, (fièvre d’ailleurs amorcée une vingtaine d’années auparavant par Maurice Richard et Félix Leclerc) ! Aussi, ai-je voulu intituler mon cours sur la guerre de Sept Ans : La Défaite — The Conquest, considérant que, lors-qu’on se fait battre, il n’y a conquest que pour le vainqueur.
Ce titre ayant été refusé par mon département, mes convictions n’en changèrent pas pour autant, ni mon cours, d’ailleurs, car mes trente-cinq années de recherches et d’enseignement en histoire et en littérature québécoises n’ont contribué qu’à m’ancrer davantage dans ce truisme. Encore d’aussi amères qu’inutiles jérémiades, gémiront certains satisfaits. Précisons que ce n’est pas se plaindre que de constater des faits. Certes, le nationalisme peut s’avérer restrictif, et l’idéal devrait sans doute résider en un vaguement socratique citoyen du monde. Sauf que… « l’idéal n’est pas de ce monde », et, en outre, l’histoire a toujours démontré que seule une nation pleinement autonome peut réellement s’épanouir. Elle néglige alors le passé litigieux pour enfin vivre en bons termes avec ses voisins. Mais pour l’instant, tel ne semblant pas notre cas, je considère qu’une
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fierté minimale jointe à la mésintelligence chronique entre anglophones et francophones m’autorise à titrer le présent essai relatif au premier de nos quatre siècles de désaccord :
NOUVELLE-FRANCE — ENGLISH COLONIES, 1606-1713L’impossible coexistence
Il ne s’agira pas là d’une histoire globalisante, mais bien uniquement des luttes continuelles ayant alors eu lieu. Il ne sera pas question non plus d’un plaidoyer pro Francia, car, comme le déclarait Louis XIV en 1702, « La colonie du Canada n’est bonne qu’autant qu’elle peut être utile au Royaume ». Il reste qu’à défaut de sentimentalité on peut généralement mieux s’entendre avec son royaume qu’avec celui qui nous vainc. Je sais fort bien que de nombreuses études existent sur ce sujet, mais l’historien Guy Frégault, venant à la rescousse, considérait que l’histoire doit sans cesse être réécrite, tant pour suivre l’évolution des mentalités que pour profiter des documents nouveaux mis à notre disposition. Et, à ce sujet, je pense tout particulièrement au maintenant indispensable Dictionnaire biographique du Canada (PUL, 15 volumes parus1), fournissant non seulement les données importantes concernant la vie de tous les person-nages ayant joué un rôle dans notre histoire, mais également une biblio-graphie révélatrice et récente pour chacun d’entre eux et souvent même pour leur époque. Et pour vivifier ces austères histoires, rien de tel que Les Textes poétiques du Canada français, 1606-1867 (Fides, 12 volumes), ainsi que de nombreuses sources de cette période nouvel-lement éditées.
J’ajoute enfin que, l’angélisme n’existant pas plus chez les franco-phones que chez les anglophones, nous constaterons que tant et aussi longtemps que nos ancêtres pourront culbuter leurs voisins, ils en pro-fiteront allégrement, tout comme ces derniers lorsque le vent tournera. Et peut-être que certains historiens prétendant qu’« il ne s’est rien passé » pourraient troquer leur négation contre « beaucoup ».
1. Dont l’orthographe sera suivie pour les noms propres.
Introduction
De 1066 à 1815, Anglais insulaires et Français continentaux s’entre-déchirent viscéralement. Depuis Waterloo — commémorée chaque
18 juin par un banquet annuel à Windsor1 —, on se contente de noter que « ce Channel, où de Douvres on aperçoit les côtes de la France, est moralement aussi profond, aussi large qu’un océan2 ». Durant la guerre de Cent Ans, on disait : « Quand les Éthiopiens deviendront blancs, les Français aimeront les Anglais3. » Les Éthiopiens ne blanchiront pas, et de Gaulle pourra déclarer que « l’ennemi héréditaire de la France n’était nullement l’Allemagne — adversaire occasionnel —, mais l’Angleterre — allié occasionnel4 ». Inutile de multiplier ces perles métropolitaines, qui se répercuteront d’ailleurs en Amérique du Nord, où « la même fatalité qui les rendit voisines dans l’ancien Monde, s’est plû à les rap-procher encore dans le nouveau, pour les mettre sans cesse aux prises l’une contre l’autre et tenir en haleine cette haine immortelle qui les a toujours divisées5 ».
* * *
1. Rapporté par François Crouzet dans la globalisante étude dirigée par François Bédarida, De Guillaume le conquérant au Marché commun — Dix siècles d’histoire franco-britannique, Paris, Albin Michel, 1979, p. 13.
2. André Siegfried, L’Âme des peuples, Paris, 1950, p. 80, cité dans Bédarida, p. 416.
3. Cité par M. Rossaro, Élisabeth Ire, Neuilly-sur-Seine, Dargaud, 1968, p. 37.4. Cité par Alain Peyrefitte, L’Empire immobile, Paris, Fayard, 1989, p. 411.5. Lettres d’un François à un Hollandois au sujet des différends survenus entre la
France et la Grande-Bretagne. Touchant leurs Possession respectives dans l’Amérique Septentrionale, [s.l.] 1755, cité par Guy Frégault, La Guerre de la Conquête, Montréal, Fides, 1955, p. 19-20.
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Mais cette « haine immortelle », quand commence-t-elle ici ? Lorsque Giovanni Caboto, au service de l’Angleterre, aurait atteint Terre-Neuve en 1497 ? Lorsque Giovanni da Verrazzano, au service de la France, prend possession en 1524 du territoire s’étendant de la Floride au Cap-Breton, alors que trois ans plus tard John Rut reprend ce même territoire au nom de l’Angleterre ? Admettons que la chicane se prépare, mais que la contestation se précisera au tout début du xviie siècle. Le 8 novembre
Floride espagnole
45º 46º
40º
34º
45º 46º
40º
34º
Limite sud de la charte anglaise
Limite sud du domaine du Sieur de Monts
Limite nord de la charte anglaise
Limite nord du domaine du Sieur de Monts
carte 1
1606 : les conflits traversent l’Atlantique
Le 8 novembre 1603, Henri IV de France concède à Pierre Du Gua de Monts les terres situées entre les 40e et 46e degrés de latitude de l’Amérique septentrionale.
Le 10 avril 1606, Jacques Ier d’Angleterre concède à la London Company et à la Plymouth Company du 34e au 45e degré. La guerre est prise !
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1603, Pierre Du Gua de Monts reçoit de Henri IV6 de France autorité sur les terres situées du 40e au 46e degré de latitude nord alors que, le 10 avril 1606, Jacques Ier d’Angleterre octroie à la London Company et à la Plymouth Company du 34e au 45e degré7. Précisons que ces conces-sions et prises de possession « sans habitation » servent souvent de pré-textes rêvés pour s’entretuer, ce qui se constate particulièrement bien avec le territoire des futurs États-Unis appartenant théoriquement en 1524 à la France, en 1525 à l’Espagne et en 1527 à l’Angleterre ! Ajoutons qu’exactement un siècle plus tard Louis XIII accordera à la Compagnie des Cent-Associés :
en toute propriété, justice et seigneurie, le fort et habitation de Québec avec tout le pays de la Nouvelle-France dite Canada, tant le long des côtes depuis la Floride […] en rangeant les côtes de la mer jusqu’au cercle arctique pour latitude, et de longitude, depuis l’Isle de Terre-Neuve […jusqu’où] ils pourront étendre et faire connaître le nom de Sa Majesté8.
Que les 4 000 Anglo-Hollandais qui s’y trouvent laissent donc la place aux 107 Français du Nord ! On peut comprendre qu’une lutte ainsi amorcée ne pouvait se terminer que par la défaite de ces derniers, laquelle surviendra en 1760, avec « paix » signée trois ans plus tard. Alors, pour-quoi, après deux siècles et demi, perpétuer ce Syndrome des plaines d’Abraham9 ? Parce que la Conquest perdure. Et si les « French Canadians are obsessed by the consequences of Wolfe’s victory on the Plains of Abraham10 », c’est que, explique Walter Stewart, « every time a French Canadian makes a rude gesture, an English Canadian somewhere wants
6. Au début du xviie siècle, Henri IV ayant envoyé Sully en ambassade en Angleterre, celui-ci écrit, à son retour : « Les Anglais nous haïssent d’une haine si forte et si générale, qu’on serait tenté de la mettre au nombre des dispositions naturelles de ce peuple ». Cité par Jacques Duquesne, Jean Bart, Paris, Seuil, 1992, p. 52-53.
7. Marcel Trudel, Le comptoir, 1604-1627, Montréal, Fides, 1966, p. 11 et 73.8. « Acte pour l’établissement de la Compagnie des Cent-Associés, 29 avril 1627 »,
dans Édits et Ordonnances, Québec, Fréchette, 1854, vol. I, p. 7.9 . Eric Schwimmer, Le Syndrome des plaines d’Abraham, Montréal, Boréal, 1995,
207 p.10. Edward M. Corbett, Quebec Confronts Canada, Baltimore, The John’s Hopkins
Press, 1967, p. 14.
introduction
Extrait de la publication
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to know who won in 175911 ». Observation d’autant plus pertinente que, précise Edward M. Corbett en 1967 — sans doute pour fêter le centième anniversaire de la Confédération —, « the debility of the French-speaking middle class in Canada became increasingly apparent under the British regime12 ». Et « voilà justement ce qui fait que… » — contrairement à la Lucinde moliéresque — les French-speaking ne sont pas restés muets. Le nationalisme a toujours et partout existé : maladif chez les impérialistes, préservatif chez les enfants de Baptiste ! Pour les petits de ce bas-monde, il demeure d’ailleurs l’unique moyen de prouver leur existence.
Certes, les Amérindiens habitaient déjà ces territoires, mais fusils et maladies en ont dépossédé cette nation fondatrice. Je laisse toutefois aux spécialistes le soin de solutionner cet accaparement-Pandore (avec Espérance subsistante…). Quant aux francophones, ayant toujours compté pour environ un vingtième de la population « blanche » durant le régime français — et du cinquantième aujourd’hui ! — ils ont dû payer le prix de leur minorisation. Force leur fut donc de s’affirmer, ce que favorisèrent aussi bien le genre d’immigrants que le nouveau monde exaltant.
De 1632 à 1759, 10 000 Français décident de s’établir ici. Ils sont pauvres, jeunes, aventuriers, dilatés par un territoire immense, entourés d’autochtones respirant la liberté, et à mille lieues de leur métropole hiérarchiquement figée. En outre, pour contrôler le seul commerce alors quelque peu rentable, la traite des fourrures13, ils s’allient à une vingtaine
11. Walter Stewart, But not in Canada, Toronto, Macmillan, 1976, p. 134.12. Corbett, op. cit., p. 15.13. Les pêcheries, davantage payantes, se feront toujours essentiellement au béné fice
des métropolitains, qui n’auront pas besoin de leurs colons pour ce commerce, contrai-rement à la traite des fourrures exigeant des Canadiens et des Amérindiens sur place. Pourtant, si les Canadiens pouvaient avoir l’expérience et les capitaux voulus pour s’adonner aux pêcheries commerciales « ce seroit la véritable mine, [… car] on peut dire que cette pesche est un Pérou et qui sy elle estoit faicte par les seuls sub- jets du Roy, elle rendroit en peu de temps ce païs cy très florissant ». Rapport de M. De Meulles au Ministre, 4 novembre 1683, CMNF, vol. I, p. 300. À compter de 1669, le secrétaire d’État à la marine sera désigné dans la correspondance uniquement sous le titre de Ministre. Pour notre période : Jean-Baptiste Colbert, 1669-1683 ; son fils Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay, 1683-1690 ; Louis Phélypeaux de Pontchartrain, 1690-1699 ; son fils Jérôme Phélypeaux de Pontchartrain, 1699-1715.
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de nations amérindiennes, et distendent inconsidérément la Nouvelle-France depuis la baie d’Hudson jusqu’au golfe du Mexique. Ce refoule-ment des colonies américaines à l’est des Appalaches détermine l’histoire nord-américaine ; lorsque lesdites colonies ambitionneront davantage, elles briseront cet encerclement : Go West, young man ! De toute façon, puisque les métropoles en guerre entraînent automatiquement leurs colonies dans le conflit, les hostilités étaient aussi fatales que le dénoue-ment. Un million et demi d’Anglo-Américains ne pourront qu’écraser 75 000 Franco-Canadiens, même si ces derniers recevaient l’appui de la très grande majorité des Amérindiens.
Un tel contexte, on s’en doute, forgera un extraordinaire esprit d’émancipation chez les Anciens Canadiens. Et c’est ainsi que quelques milliers de coureurs de bois14, miliciens et missionnaires — « nimbés de souffles d’ouragans », comme le claironnera l’unique Alfred DesRochers — se baladeront impunément à travers l’Amérique septentrionale et se différencieront de leurs métropolitains à un tel point que, constatera Bougainville, « iI semble que nous soyons d’une nation différente, ennemie même15 ». En somme : une société distincte.
Il faut comprendre que « l’air qui nourrit les Sauvages, leur exemple, ces déserts immenses, tout inspire, tout offre l’indépendance16 », et dans tous les domaines, tant religieux que civils, de telle sorte que « Les Canadiens de l’état commun sont indociles, entêtés et ne font rien qu’à leur gré et fantaisie17 », et cette rengaine revient constamment, même
14. Coureurs de bois perçus de différentes façons… : « les pittoresques coureurs de bois, ces canoéistes débauchés, paillards, épris de la sauvage nature, et qui allaient à la rencontre des Indiens jusque dans leurs retranchements les plus reculés, stimulés par la témérité et le brandy », Richard B. Morris, Histoire des États-Unis (trad.), Lausanne, Éd. Rencontre, 1968, vol. I, p. 34. Ce qui n’empêchera pas le pourtant bien orthodoxe chanoine Groulx d’être fasciné par ces aventuriers ayant bu « les philtres de la sauva-gerie ». Lionel Groulx, Histoire du Canada français, Montréal, Fides (4e éd.), 1970, vol. I, p. 305.
15. Cité par Guy Frégault, La Civilisation de la Nouvelle-France, Montréal, Fides, 2e éd., 1969, p. 212.
16. Louis-Antoine de Bougainville, « Milices du Canada », janvier 1759, RAPQ, 1923-1924, p. 29.
17. Louis Franquet, Voyages et mémoires sur le Canada, [c. 1753], Montréal, Éd. Élysée, 1974, p. 103.
introduction
Extrait de la publication
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avec « danger d’émeute »18 ! Aussi, rien d’étonnant à voir ces Canadiens qui se permettent de contester noblesse et clergé français, réagir plus que violemment face à des envahisseurs étrangers.
* * *
Frontières approximatives de la Nouvelle-France en 1712
Mobile
Détroit
Jamestown
Philadelphie New York
Boston
Québec
Vaudreuil
Éboulements
Annapolis Montréal
Châteauguay
Rimouski Sault-
Sainte-Marie Canada
Pays d’en haut
Acadie
Terre- Neuve
Labrador
Baie d’Hudson
Floride espagnole Mexique
Colonies anglaises
Louisiane
carte 2
Canada-moteur de la Nouvelle-France
La Nouvelle-France s’étend, grosso modo, depuis la baie d’Hudson jusqu’au golfe du Mexique, à l’ouest des Appalaches. Elle comprend principalement la baie
d’Hudson, Terre-Neuve, l’Acadie, la Louisiane, les Pays d’en haut, et le Canada. « Canada-moteur », parce que, de Vaudreuil-Châteauguay jusqu’aux
Éboulements-Rimouski, sa population est d’environ 85 % de l’ensemble de la Nouvelle-France, dont le gouverneur général réside à Québec.
17
18. Gustave Lanctot, Histoire du Canada, Montréal, Beauchemin, 1964, vol. III, p. 49 ; Luc de La Corne, Journal, 1761, Montréal, 1778, p. 37 ; Pierre-François-Xavier de Charlevoix, Histoire et description générale de la Nouvelle-France, [1re éd. 1744], Montréal, Élysée, 1976, vol. III, p. 79 [à l’avenir : Charlevoix, Histoire…] ; P. Kalm, Voyage…, Montréal, Tisseyre, 1977, p. 413-414, etc., etc. !
19. F.-X. Charlevoix, Histoire…, vol. II, p. 362.
Le présent travail couvre les années 1606 à 1713. L’an 1606, parce que la France et l’Angleterre transposent leur antagonisme en Amérique septentrionale en y réclamant toutes deux des territoires autour du 40e degré de latitude nord. L’an 1713, parce qu’avec le traité d’Utrecht la Nouvelle-France paie pour la faiblesse métropolitaine en risquant de se voir restreinte à son « Canada-moteur ». Ce siècle sera examiné en cinq chapitres datés politico-militairement en fonction des conflits entre Français, Anglais et leurs alliés amérindiens. Conflits interminables, car, écrit peu après ces événements le jésuite François-Xavier de Charlevoix, le peuple anglais « ne peut vivre avec nous en paix dans un même Continent19 ». Il semble bien que le peuple français non plus.
introduction
Extrait de la publication
chapitre i
Chocs inévitables, 1606-1667
Les 40e au 45e degrés de latitude nord contestés — L’Iroquoisie contrecarrée — L’Acadie : à qui ? — Les frères Kirke, 1628-1632 — Terre-Neuve — Premier grand conflit franco-iroquois, 1641-1667.
Sur un territoire deux fois grand comme celui de l’Europe, une popu-lation « blanche », inexistante en 1600, mais comprenant en 1667 quelque 4 700 Français et Canadiens ainsi que 95 000 Anglais et Hollandais, transposera les hostilités métropolitaines dès son arrivé en terre américaine.
Les 40e au 45e degrés de latitude nord contestés
Avec la Renaissance, l’Europe des grandes découvertes commence son exploitation du monde. Le Portugal et l’Espagne ouvrent le bal, bientôt suivis par la France et l’Angleterre, ce qui permettra à ces quatre impé-rialismes naissants de multiplier les accrochages et d’internationaliser leurs hostilités. Mais, le présent sujet étant déjà suffisamment vaste avec les luttes en Amérique septentrionale, revenons donc au 10 avril 1606 déjà mentionné.
Ce jour-là, Jacques Ier d’Angleterre ayant octroyé à ses sujets un territoire déjà concédé par Henri IV de France à ses ressortissants, le conflit latent pouvait s’officialiser. Précisons qu’au milieu d’environ 180 000 Amérindiens, habitant la vallée du Saint-Laurent et les Grands Lacs, on retrouve pour l’hivernement de 1606-1607 à Port-Royal… 22 Français1, et, à plus de 1500 kilomètres au sud, une centaine d’Anglais
1. Marcel Trudel, Le Comptoir, p. 486.
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à Jamestown, en Virginie2 ! Malgré ces populations surréalistement aussi infinitésimales qu’éloignées, l’hostilité viscérale a traversé l’Atlantique.
D’ailleurs, dès 1605, une expédition anglaise se rendait à la baie française (aujourd’hui baie de Fundy) et s’y antagonisait les Abénaquis de la rivière Kennebec en s’emparant de cinq des leurs qu’elle ramenait prisonniers en Angleterre3. La confédération abénaquise — comprenant, en plus des Abénaquis, les Malécites ou Etchemins, les Micmacs, les Pentagouets et les Armouchiquois4 — sera dorénavant l’indéfectible alliée en terre acadienne et gaspésienne : « It was the tie of blood5 ». À remarquer que les Français, peu nombreux et comptant beaucoup sur la traite des fourrures avec les Amérindiens, s’allieront davantage avec ces derniers que les Anglais, car ceux-ci, principalement sédentaires, commerçants et agriculteurs, auront tendance à se retirer derrière leurs fortifications pour y troquer les pelleteries6. Et c’est ainsi que les Armouchiquois « nous racontoient […] qu’ils nous aymoient bien, parce qu’ils scavoient que nous ne fermions point nos portes aux Sauvages comme les Anglais, et que nous ne les chassions pas de nostre table à coups de baston ni ne les faisions point mordre à nos chiens7 ». À cet effet, d’ailleurs, dans Hand-
2. R.B. Nye et J.E. Morpurgo, Histoire des États-Unis (trad.), Gallimard, NRF, 1961, p. 29.
3. Pour sa part, le naturaliste suédois Pehr Kalm mentionnera, près d’un siècle et demi plus tard, deux causes différentes les ayant rendus « ennemis jurés des anglais ». En premier lieu, les Anglais auraient fait haler par quelque soixante-dix Abénaquis « un bateau qu’ils chargèrent de poudre », y mirent le feu, et en tuèrent ainsi « la plupart ». Autre cause possible : Abénaquis invités par les Anglais « à un grand banquet [… où] ils avaient empoisonné la boisson ». Mais comme il précise que ces événements se sont déroulés « à une époque où ils [Abénaquis et Anglais] étaient alliés ensemble contre les Français » [Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749 (trad.), Montréal, Cercle du livre de France, 1977, p. 165-166], alliance qui fut plus qu’hésitante avant 1760, la cause traditionnelle donnée par M. Trudel et B.G. Trigger semble plus crédible.
4. Handbook of North American Indians, vol. 15 : Bruce G. Trigger Ed., Washington, Smithsonian Institution, 1978, p. 141.
5. Herbert Milton Sylvester, Indian Wars of New England, Cleveland, A.H. Clark, MCMX, vol. II, p. 186.
6. D. Peter MacLeod, Les Iroquois et la guerre de Sept Ans (trad.), Montréal, VLB, 2000, p. 183.
7. RJ, 1616, vol. III, p. 222.
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ce second tirage a été achevé d’imprimer en septembre 2007sur les presses de l’imprimerie marquis
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