schmitt - trois possibilités d'une image chrétienne de l'histoire
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-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
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UNE VUE CRITIQUE DE CARL SCHMITT SUR LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE EN 1950:
Trois possibilits d'une image chrtienne de l'histoire Author(s): Andr Doremus and Carl SchmittReviewed work(s):Source: Les tudes philosophiques, No. 3, Questions de phnomnologie (Juillet Septembre2000), pp. 405-421Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/20849351.Accessed: 31/07/2012 14:54
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tudes philosophiques.
http://www.jstor.org
http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=pufhttp://www.jstor.org/stable/20849351?origin=JSTOR-pdfhttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/stable/20849351?origin=JSTOR-pdfhttp://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=puf -
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
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NOTES ET DOCUMENTS
UNE
VUE
?
CRITIQUE?
DE
CARL
SCHMITT
SUR LA PHILOSOPHIE
DE
L'HISTOIRE
EN 1950
?Trois
possibilites
d'une
image
chretienne de
l'histoire1>2>>
L'annee
ou
parait
cet
article
est
pour
Schmitt la fin
d'une
periode
de
tran
sition
entre
sa
sortie de
prison
-
a
Nuremberg,
ou
il fut
finalement
interroge
en
qualite
de temoin
-
et
son
retour
a
Plettenberg,
sa
ville
natale. Cest
le
debut d'une nouvelle
vie,
et
pour
certains
l'objet
d'une
perplexite:
Carl
Schmittredivivus
,
a
quoi
d'autres
repondent
avec
assurance
:
arl Schmittredivi
vus,
en
effet.
Les
annees
1946-1950
ne
l'ont
vu
ni
decourage,
ni
improductif,
bien
au
contraire.
II
publie
articles
et
compte
rendus
sous
l'anonymat
dans
Universitas,
et
dans le
journal
protestant
Christ und
Welt
(avatar
de Die
Tat).
1950
est
bien l'annee de la
mort
de
sa
femme,
Duschka
Todoravic,
mais c'est
surtout
l'annee
de l'aboutissement
du
travail de
cette
parenthese
de
trois
ans,
loin de
tout
public
mais
non sans
de
tres
proches
amis,
dont
le
Pr
Joseph
Kai
ser,
son
futur
executeur
testamentaire. Dans
cette
seule
annee
paraissent
a
Cologne,
a
la
Greven
Verlag,
Ex
Captivitate
salus,
Erfahrungen
der
eit 1945
1947, etDonoso Cortes ingesamteuropaischerInterpretationquatre articles de 1920,
1927, 1929, 1944,
avec un
texte
de
presentation
de
1950);
a
Berlin,
chez
Duncker
&
Humblot,
DerNomos
derErde
im
Vb'lkerrecht
desJus
Publicum
Euro
peanum;
et
a
Tubingen
Die
Lage
der
europdischen
echtswissenschaft
le
texte
de
la
1.
Presentation
et
traduction
par
Andre
Doremus.
2. Drei
Moglichkeiten
eines christlichen Geschichtsbildes. Nous rendons ainsi
a
cet
article
son
titre
original, change
par
la redaction
de la
Revue
Universitas
en:
Drei
Stufen
histo
rischer
Sinngebung
(Universitas,
1950,
p. 927-931).
La
Revue
Arbor,
en
revanche,
donne
une
traduction de
Particle
sous
son
titre
original:
Tres
possibilidades
de
una
version cristiana de
la historia
(ArborXVIII,
1951,
237-241).
La
Revue
Universitas,
Zeitschrift ur Wissenschaft,
Kunst
und
Literatur fut
creee
en
1947
par
Serge
Maiwald,
ancien etudiant de Carl Schmitt
ne en
1916 dans
un
camp
d'internement
a
Orienburg.
C.
S. lui rend
un
hommage
exceptionnel
lors de
sa
mort
prematuree
en
fevrier 952
:
?
Zur Gedachtnis
von
Serge
Maiwald
?,
Zeitschriftur Geopolitik,
3,
7,
(1952),
447-448. Ce choix de la Revue
de
Haushofer
pour
publier
cet
hommage
se
comprend
par
reference
a
l'interet
que
S. M.
portait
a
la
geopolitique
-
en
particulier
aux
rapports
entre
Est
et
Ouest,
en
lien,
pour
lui
aussi,
aux
elements
terre et
mer.
C.
S.
n'a
publie
aucun
autre
article
dans
cette
Revue
depuis
sa
creation.
Les Etudes
philosophiques,
?
3/2000
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3/18
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7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
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Une
vue
?
critique
de Carl Schmitt
407
Schmitt
peut
etre
d'accord
sur
bien
des
points importants
du
livre,
mais
il
estime
pouvoir
les
depasser
par
la
seule
exigence
logique
du
propos
meme
de
son
auteur.
Seule
la
secularisation
du
christianisme
prete
celui-ci
a
une
theologie politique
de l'histoire
(K.
L.,
p.
193)
?
-
Schmitt
acquiesce,
mais il
prolonge
cette
observation dans le theme du
?
grand
parallele
?
(entre
notre
epoque
du
XIX
et XXe
siecle
et
les
premiers
siecles
de
notre
ere),
qui
justifie
Fexistence d'une
theologie politique
chretienne
surmontant
l'opposition
des
theses
respectives
d'une
vue
cyclique
et
d'une
vue
progressiste
de l'histoire.
L'histoire moderne
ne
peut
a
elle seule
etre
la
scene
reelle de la
destinee
humaine
(K.
L.,
p.
192)
?
-
Schmitt
naturellement
ne
peut
encore
qu'etre
d'accord; mais comment concilier une vue eschatologique quelle qu'elle soit
avec
la
conscience
historique
positive?
C'est
ici
que
Schmitt
avance
le
theme
du
katechon,
sans
doute
la
piece
maitresse
de
l'ensemble
de
sa
concep
tion.
Repense
par
lui,
le
katechon devient
l'hypothese
d'un
centre
situe hors
de l'histoire entiere
et
pourtant present
en
chacune de
ses
epoques,
capable
de retenir
et
contenir 1'?
adversaire
?,
le
mal,
qui
dans les
temps
modernes
est
la
modernite
elle-meme,
en
tant
que
dynamique aveugle
de la civilisation
technique
devoreuse de la
nature
humaine.
Enfin
si
l'esprit
moderne n'a
pas
encore
decide s'il devait
etre
chretien
ou
paien
(K.
L.,
p.
207),
Schmitt
repond
par
1'?
Epimethee
chretien
?,
qui
assure au
christianisme
sa
reelle
universalite.
On
remarquera
en
lisant
Meaning of
istory,
que
Schmitt
se
garde
d'en
relever directement l'incoherence discrete
quand
Lowith
-
estimant
que
seul
le
judaisme
est
capable
d'une
theologie politique,
tandis
que
le
christianisme,
ne
faisant
qu'annoncer
la fin
des
temps,
ne
peut
legitimement pretendre
a
une
interpretation
specifiquement
chretienne
de l'histoire
-
met
par
ailleurs
sur
le
meme
plan
judaisme
et
christianisme,
en
tant
que
comportant
tous
deux
un
abime
entre evenement
historique
et
consequences
de
la
foi
(p.
196),
d'ou il conclut
?
mais
sans
plus
parler
a
partir
d'ici
du
judaisme
(p. 197)
-
que
le
Nouveau
Testament
est,
similarly
l'Ancien,
un
?
appel
a
la
dependance
?.
Ici
Schmitt ressent un
defi
a
relever,
ou
plutot
il
se
saisit
de
l'opportunite
pour
oser
affirmer
son
propre
defi,
celui
meme
qu'il
avait
deja
magnifiquement
justifie
en
1917
dans l'article
sur
?
La
visibilite de
l'Eglise
?,
un
texte
curieusement
couramment
passe
sous
silence. Le
texte
de Lowith
est
construit
sur
un
chiasme
consistant
a
voir
la
politique juive
du
point
de
vue
religieux,
et
la
religion
chretienne
du
point
de
vue
politique.
La
distinc
tion
sur
laquelle
il
insiste
entre
la
source
historique
et
ses
consequences
pos
sibles
est
ainsi utilisee
de maniere inverse dans le
cas
du
judaisme
et
dans
celui du
christianisme.
Visiblement,
il
insiste
sur
le
cote
religieux
du
judaisme pour
sous-entendre
la
legitimite
de
sa
capacite specifique
a
une
theologie politique,
tandis
qu'il
valorise la
dimension
politique
heritee histo
riquement
du
christianisme,
pour
mieux
la lui
denier
en
se
referant
au
chris
tianisme initial
qui
n'attend
que
la
fin
du
monde.
Finalement,
les
chretiens
ne
sont
pas
un
peuple historique
pour
K.
L.;
leur
solidarite dans lemonde
entier
n'est
que
celle
de
la
foi
entre
individus
-
en
quoi
l'on
croit
presque
-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
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408
Carl Schmitt
entendre la denonciation de Pinterpretation morale du christianisme, avec
laquelle
Schmitt
ne
peut
qu'etre
d'accord,
et
alors
nous
voyons
que
Pargu
ment est
a
double
face. Seul le
peuple
juif,
parce
que
peuple
parmi
les
peu
ples,
dit
K.
L.,
est
reellement
promis
a
une
conception politique
de l'histoire
du
point
de
vue
religieux.
On
peut
facilement
penser
que
Schmitt
ici aussi
donnait
raison
a
K.
L.,
mais seulement
in
petto,
puisque
c'est
justement
la
rai
son
de
sa
lecture
politique
du christianisme
et
done
de
PEglise,
que
de les
amener
sur
le
meme
plan
d'universalite
politique,
mais dans
une
forme dif
ferente. On
peut
se
demander,
apres
relecture du livre
de
K.
L.,
et
de
Particle
de
C.
S.
ou se
situe
finalement le lieu
reel
d'ou
procede Popposition
entre
les
deux auteurs.
S'agit-il
simplement,
comme une evidence trop facile semble
rait
nous
y
conduire,
de
Popposition
entre
judaisme
et
christianisme ?
Deux
aspects
de Pattitude
de Schmitt
se
degagent
de
la lecture
du
Glossarium
qui
apportent
une
autre
evidence
au
terme
de
laquelle
une
interpretation
serieuse
du
fragment
de
la
p.
243
(23/05-49)
du Glossarium serait
la
bienve
nue1. II
est
clair
que
Schmitt
est
intimement convaincu de
la force
politique
du
judaisme
(et
sans
doute
la lui
jalouse-t-il);
mais il
est tout
aussi
clair
qu'a
ses
yeux
PEglise catholique
a
perdu
de
nos
jours
la
capacite
politique
dont
elle etait
encore
porteuse
au
siecle dernier.
Et
son
temoignage
-
j'ai
tout
fait
pour
fortifier
PEglise (Glossarium,p. 165, 16/06-48)
-
dit
assez
clairement
que
ce en
quoi
il
se
sentait
engage
c'est bien
a
fortifier
PEglise
et
non
pas
a
combattre
le
judaisme.
L'inquietude
et
le
souci
de Schmitt
sont
tout
entiers
du
cote
de
la
faiblesse
intellectuelle de
l'Eglise
catholique,
de
laquelle
dtcovlt,
par
voie
de
consequence,
e
champ
laisse
ouvert
a
toute
forme
politique
1.
Ce
fragment
important
merite d'etre cite
in
extenso:
?
La
proposition
la
plus impor
tante
de Thomas Hobbes
reste
:
Jesus
is
theChrist.
La
force d'une telle
proposition
agit,
meme
si
celle-ci,
dans le
syteme
conceptuel
de
la
construction de
pensee,
est
refoulee
au
bord,
oui,
perceptible
aussi bien
a
l'exterieur du cercle du
concept.
Ce
refoulement
est
un
evenement
analogue
a
la
"culturalisation*" du
Christ,
comme
le Grand
Inquisiteur
de
Dostoievskij
l'effectue. Hobbes
exprime
et
justifie scientifiquement,
ce
que
fait le Grand
Inquisiteur
de
Dostoievskij:
mettre hors d'etat de nuire Faction du Christ dans le domaine social et
poli
tique
;
des-anarchiser
le
christianisme,
mais
lui
laisser
a
l'arriere-plan
un
certain effet
de
legiti
mation,
et
en
tout
cas
n'y
pas
renoncer.
Un
tacticien
intelligent
ne renonce a
rien,
a
moins
que
ce ne
soit inutilisable.
En
l'occurrence,
ce
n'etait
pas
encore
le
cas.
Nous
pourrions
par
consequent
nous
demander:
qui
est
le
plus proche
du Grand
Inquisiteur
de
Dostoievskij:
l'Eglise
romaine,
ou
bien le souverain
de
Thomas Hobbes
?
Reforme
et
contre-Reforme
se
montrent
parentes
d'orientation.
Dis-moi
qui
est ton
ennemi,
et
je
te
dirai
qui
tu
es.
Hobbes
et
l'Eglise
romaine: l'ennemi
est notre
propre
question
en
tant
que
figure
?
(p.
243).
Or,
dix
pages
plus
loin,
nous
lisons
:
?Important
pour
Hobbes
et
l'epoque
de
Crom
well
:
l'abandon
conscient de la
tradition du
katechon
de
l'Empire
romain
(d'ailleurs
meme
chez
Vitoria,
plus
rien de
cela ).
Pas de troisieme
Rome
(comme
a
Moscou)
Plus
de
succes
sion
:
mais cesarisme
en
France,
jusqu'a
l'empire
de
Napoleon
Ier. n
tout
cas,
pour
Hobbes,
l'Eglise
romaine
est
le
spectre
qui siege
sur
la tombe de
YImperium
romanum.
Critique
de
Ylmpe
riumRomanum chez Bacon etHobbes : il n'etait
pas
du tout
universel,
iln'etait
pas
un Orbis ?
(p.
273).
Ces
deux
fragments
pris
ensemble
(et
ecrits
pratiquement
a
la
meme
date
que
le
texte
des
Drei
Stufen)
laissent
entrevoir
et
permettent
de
presumer
a
quel point
le
katechon
auquel
?
croit?
Schmitt
lui
est
devenu
personnel,
mais
sans
doute
aussi
dans
l'esprit
d'une tradition
plus large
que
celle
pratiquee
par
l'Eglise
romaine.
*
Verkultung
dans
le
texte
:
notre
option
semble
justifiee,
mais
reste
une
option.
-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
6/18
Une
vue
?
critique
de
Carl
Schmitt
409
d'existence
au
monde
se
suffisant
a
elle-meme
au
point
d'en
oublier
sa
propre
condition de
possibility.
On
relevera
combien
sont
pleines
d'ambivalence
sous
la
plume
de
Schmitt
et
reprises
a son
propre
compte
des
expressions
comme
?
auto
comprehension
de
l'homme?,
?analyse
critique?
et
?philosophic
de
Thistoire
?
et
encore
?
chemin
pour
l'initiation
?.
On
y
reconnaitra aisement
un
aspect
de
sa
strategic
de
pensee
certes,
mais
cela
ne
resonne
pas
dans
la
sensibilite du lecteur
comme
l'expression
d'une
grande
force de
conviction.
C'est
que
Schmitt s'offre
ici
dans
une
perspective
de
recherche,
d'interro
gation.
II
ne
fait
aucunement
partie
des
?
chercheurs de Dieu
?;
mais la
per
severance justement de sa prospection intellectuelle qui se veut refondatrice
de
l'Eglise
en
quelque
sorte est
a
la
mesure
de
sa
conviction de
l'Etre,
dont
on
ne
peut
dire le
nom.
Schmitt
ne
se
soucie
guere
de
polemiquer:
il
n'oppose
pas
une
argu
mentation
a
une
autre
argumentation;
il
place
seulement devant
son
interlo
cuteur
l'image
dont
il
attend
qu'elle
suggere
d'elle-meme
sa
capacity
a
porter
en
elle
l'achevement
surrationnel
d'une
vue
purement
rationnelle.
II
sait
que
ses
trois
themes,
tous
solidaires,
et
plus
particulierement
ceux
du
katechon
et
de
l'Epimethee
chretien,
sont
difficiles
a
accepter
pour
ce
qu'ils procedent
de la
foi,
et
comme
deja
en
1917
dans l'article
evoque
plus
haut,
il
cherche
a
en rendre l'acces
possible conceptuellement,
en
passant
par
la reconnais
sance
du
caractere
historique
de la
venue
du Christ
(cf.
ici le
passage
sur
Ponce
Pilate,
p.
146).
Le
katechon
justifie ?l'irruption
de
l'eternite dans le
temps
?,
tout
se
passant
comme
s'il
subsumait
en
lui
creation
et
redemption,
debut
et
fin
de
l'histoire,
comme
dans
la
constante
presence-absence
(du
Christ)
au
cours
du
temps
historique,
il
est
le
?
pont?
par
excellence;
il
illustre
la realite du troisieme
terme
toujours
cherche
a
tort
dans
l'equivalence
trompeuse
d'une solution definitive
au
probleme
humain;
il
justifie
l'autonomie de
chaque
grande
epoque,
analogue
a
la totalite de
l'histoire ?indefiniment
exceptionnelle?
-
seul
eclairage
decisif
pour
la
vision
politique
de
l'etat
d'exception.
La
chretiente
et
les
Grecs,
tous
deux
religieux,
sont
d'accord
sur
l'absence
de
foi
au
progres,
dit
K. L. ?
?
L'Epimethee
chretien
reconnaitra le
christianisme dans
le
monde
pre
chretien,
et
celui-ci
trouvant
son
achevement
seulement
dans
celui-la,
tout
l'atheisme moderne devient
sans
raison,
tant
que
le
monde
ne
marche
pas
sans
politique.
On
doit bien
reconnaitre
que
les
trois
themes
enonces
par
C. S.
sans
grande explication
restent
si
enigmatiques
que
leur
seule
formulation
en
ferait oublier
le
probleme
unique
auquel
ils
sont
censes
apporter
leur solu
tion conjuguee. Ce probleme, enonce brutalement
-
Comment l'homme
peut-il
avoir
encore
une
raison
d'exister
dans
un
monde dont Thistoire
aboutit infailliblement
a
la
possibility
d'une autodestruction de
la
nature
humaine
?
-,
est tout autant
celui de
K. L.
aussi. Mais
on
peut
douter,
bien
sur,
que
Lowith ait
pu
trouver
dans
cet
article
matiere
a
surmonter
sa
per
plexity
sur
l'orientation des
Temps
modernes.
D'ailleurs,
si Schmitt
pouvait
-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
7/18
410
Carl
Schmitt
dire en 1978 que ? cet article est ecrit contre Lowith?, on peut facilement
imaginer
en
retour
que
le travail
de
Lowith
paru
en
1949 visait lui-meme
le
premier
la
prevention
de
Schmitt
a une
theologie
politique
chretienne1.
Mais
la courtoisie
et
Telegance
de
la
contre-proposition,
de
part
et
d'autre,
mon
trent
que
la
Republique
des lettres
n'est
pas
tout
a
fait
inexistante,
et
peut
en
tout
cas
constituer
un
lieu
d'echanges
utiles
pour
la reflexion de
tous.
Andre
Doremus.
Trots
possibilites
a1'une
image
chretienne e thistoire
Aujourd'hui
tout
essai
de
comprehension
de soi
se
revele
etre
finale
ment
une
orientation
de soi
(Selbstvervrtung)
n
termes
de
philosophic
de
Thistoire,
ou
bien
une
perte
de
ses
propres reperes
(Selbstentortung)
ans
l'utopie.
[Tous
les
hommes
qui
planifient
et
cherchent
a
enroler les
masses
dans leurs
planifications
se
livrent
aujourd'hui
a une
forme de
philosophic
de Thistoire
quelle
qu'elle
soit.
Ils
acceptent
Texistence des
moyens
d'aneantissement
que
met
dans les mains de
tout
detenteur de
pouvoir
la
science moderne de la nature.Mais la
question
de savoir contre
quels
hom
mes ces
moyens
seront
utilises
de
fa$on
judicieuse
n'est manifestement
pas
une
question qui
releve
des sciences
de la
nature.
Elle
est
loin
de
n'etre
non
plus qu'une question
juridique
et
morale.
On
ne
la
posera
aujourd'hui,
et
il
ne
lui
sera
repondu
qu'en
termes
de
philosophic
de Thistoire.
Le marxisme
en
particulier
est
une
philosophic
de
Thistoire
a un
degre
si
pousse que
la
moindre
approche
de
cette
doctrine devient
une
explication
en
termes
de
philosophic
de Thistoire.
Les
elites
qui dirigent
et
planifient
se
construisent,
elles-memes
et
les
masses
qu'elles dirigent,
a
Taide
d'interpretations
de
phi
losophic
de
Thistoire.
Toute
propagande
de
masse
cherche
sa
justification
en estimant
qu'elle
se trouve du cote des choses
qui
viennent. Toute
croyance,
dans
les
masses,
est
seulement
la
croyance
d'etre du bon
cote tan
dis
que
Tadversaire
est
du
mauvais
cote
parce
que
temps,
avenir
et
evolution
travaillent
contre
lui. Et
meme
le
desespoir
ne
trouve
son
dernier
cri
qu'en
clamant la
menace
que
Thistoire
du
monde
risque
de
perdre
son
sens.]2
1. K. L. avait
deja
en
1935
critique
la
pensee
de
Schmitt,
dans
laquelle
il
voyait
une
forme d'occasionnalisme: Politische
Dezisionismus,
in
Internationale
Zeitschrift f.
Theorie
des
Rechts,
.
101-123
(sous
le
pseudonyme
de
Hugo
Fiala).
2.
Ce
passage que
nous
avons
mis
entre
crochets
se
retrouve
presque
litteralement dans
VIntroduction ecrite aussi en 1950, de Donoso Cortes ingesamteuropaischerInterpretation (p. 11-12).
Deux
remarques
s'imposent
ici:
1
/
1950,
c'est
deja
le
contexte
historique
de la
guerre
froide,
avec en
tout
cas a
lTiorkon
la
menace
de destructions
massives.
2
/
Par
ailleurs,
pour
C.
S.
l'actualite
politique
ne
decide
jamais
elle-meme d'un theme: elle actualise
au
contraire
ce
theme,
qui
est
toujours
une
donnee realiste
de rhistoire.
Mais
personne
n'accepte
de lire
ainsi
l'histoire;
tous
les
interpretes
restent
enfermes
dans leur lutte
et se
confondent
en
cela
:
?
Rathenau
et
Goebbels
sont
d'accord
entre
eux:
"Si
9a
ou ca
arrivait
(par
ex.
que
Guil
laume
II
ou
les Russes
entrent a
Berlin
comme
vainqueurs
par
la Porte
de
Brandebourg
(sic)),
-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
8/18
Une
vue
?
critique
de Carl
Schmitt
411
Aucun
auteur
ne nous
instruit
sur
cette
affaire
avec
plus
de
clarte
dans
la
philosophic
de Phistoire et une meilleure information sur Phistoire de
Pesprit
que
Karl
Lowith
dans
son
livre
Meaning
in
History
(1949)1.
U
nous
alors l'histoire
mondiale
aurait
perdu
son
sens.
Ah Vous
autres
bonnes
gens.
L'histoire
mondiale
a
deja
plus
d'une
fois
perdu
son
sens,
elle le
perd
continuellement,
precisement
le
sens
que
vous
lui donnez
et
attribuez..."
?
(Gloss.,
p.
268;
I
/
EK-1949).
Plus
explicite
p.
287
(30
/
XII-1949):
?
Que
signifient
es
manieres
de
parler
comme:
Alors
(c'est-a-dire
uand
cela
se
passe
autrement
que
je
pensais)
l'histoire
a
perdu
son
sens
?Ou
encore
plus
crument:
9a
ou
9a
(qui
me
semble
horrible)
st
indigne
e
laProvidence.Cela
ne
signifie
ien
d'autre
que:
nous
retirons
Dieu. Une telle
position
contre
Dieu
et
les
dieux
n'est
pas
une
trouvaille
du
xixe
siecle.
Le
grand parallele historique
au
xixyxx*
siecle,
le
ler
siecle,
la connait
deja.?
Et
Schmitt d'illustrer son
propos
en se referant a la Pharsale de Lucain:
l'epopee
de la
guerre
civile
est
pleine
de telles manifestations athees
;
et
dire
que
?
Dieu
est
du
cote
des
vainqueurs
(est)
encore
pire
que
dire
que
Dieu
est mort.
La
phrase
Causa
victrix
deisplacui
a
une
significa
tion entierement
athee,
de bas
en
haut,
et
joue
rhomme
contre
le dieu
cruel,
c'est-a-dire inhu
main:
...
Dieu
se
met
au
pas
(gleichgeschaltet)
t
est
toujours
mis
au
pas
?.
La
seule actualite
qui
ait
jamais
decide
par
elle-meme
d'un
theme
reste
pour
Schmitt
l'incarnation du Christ. Et
puisque
C.
S.
ne
reconnait
qu'une
cause
reelle
en
Dieu,
K. L.
pou
vait
paraitre
tout
a
fait fonde
a
parler
de
l'occasionnalisme de Schmitt. Pourtant c'est la
man
quer
l'essentiel de la demarche
de
celui-ci
qui
consiste
a
prendre
a
rebours
1'occasionnalisme
philosophique:
Nous
voyons
la
a
quel
point
K.
Lowith commettait
un
contresens
en
parlant
d'occasionnalisme. C'est
plutot
d'occasionalisme
a
rebours
qu'il
conviendrait de
parler
quand
nous
voyons
a
quel point
l'incarnation
est
l'unique
evenement
fondateur dans
l'histoire,
et
omnipresent:
?
A
la
place
de
decision
(Decision, ici,
et
non
pas Entscheidung), je
pourrais
dire
aussi
bien
empreinte
(Prdgung)...
Mais ils
ne
comprendraient
pas
?
(Glossarium.
p.
268;
1/9/94),
ce
qui
signifie
ue
la fidelite
u
fait
e
l'incarnation
st
fidelite
u
rejet
u
Tentateur. Aussi Schmitt
est
d'autant
plus
sensible
a
l'appreciation
irrecevable
a
ses
yeux,
que
K.
L.
porte
sur
le
Nouyeau
Testament
comme
porteur
d'un
message
de
repentance
qu'il
estime
(lui,
C.
S.)
que
l'Eglise
s'est elle-meme effectivement mise
dans
une
disposition
a
la
repentance
et
done
a
l'attente.
Ceci
ouvre
un
aper^u
sur
la
disposition
dans
laquelle
C. S.
a
pu
decider d'utiliser la situation offerte
par
l'existence du
regime
national-socialiste. En
dehors
de
cet
episode
trompeur,
il
ne
s'est
engage
dans
aucun
mouvement
concret,
mais
il etait
plein
de
comprehension
pour
son
ami
Gunther Krauss
quand
celui-ci
s'engageait
dans
l'Opus
Dei;
regrettant
seulement
que
ce ne
fat
encore
qu'une position
en
porte-a-faux.
Que
dirait-il
aujourd'hui
de
la
politique
de
repentance
de
Tfeglise
?
1.
La
date de ?1929
?
qui
figure
dans
l'original
de Universitas
est
une erreur
d'impression
evidente. Le titre entier du livre est: Meaning inHistory. The theological implications ofthephilosophy
of
istory,
London,
University
of
Chicago
Press
et
Cambridge
Univ.
Press,
1949,
Dix
editions
jusqu'en
1970. Une
premiere esquisse
avait
paru
en
1946
sous
le titre The
theological
back
ground
of
the
philosophy
of
History
(SocialResearch,
New
York,
13,
51-80).
En
1950,
paraitra
sous
le
titre
?
Christentum und
Geschichte
?
(Merkur,
4,
1241-1252),
la traduction de la
con
clusion
de
la
future edition allemande
(augmentee)
du
livre
de
1949
:
Weltgeschichte
undHeils
geschichte,
1953.
Enfin
sous
le
meme
titre
?
Christentum,
und
Geschichte
?,
paraitra
en
1955
(Numen
2,
147-155)
un
texte
different
(Conference
de
K. L.
en
1954
a
Bochum),
reproduit
ensuite
sous
le
titre
Christentum,
Geschichte
und
Philosophic,
dans la
rendition,
en
1983,
de
Weltgeschichte
nd
Heilsgeschichtep.
430-440),
dans le
t.
2
des Samtliche
Schriften,
ui
prend
lui
meme
le
meme
titre,
tout
en
comprenant
d'autres
textes,
notamment
quelques
fruits
de
son
sejour
au
Japon
pendant
la
guerre.
L'inquietude
de
K.
L.
pour
le
sens
de
l'homme
dans
l'histoire
apparait deja
dans
son
pre
mier livre,as IndividuumnddieRolledes itmenschen(1928)qui tient privilegiereMitwelt
contre
le
Umweltde.
Heiddeger; puis
dans l'etude
qu'il
consacre
a
Jacob
Burckhardt
{].
B.,
der
Mensch
in
Mitten
der
Geschichte,
edite
a
Lucerne
en
1936)*,
par
qui
il
est
fortement
marque,
et
dont,
partage
entre
judaisme
et
christianisme,
il
adopte
finalement
le
scepticisme,
tout en
reconnaissant
la
dette de
toutes
les
philosophies
de l'histoire vis-a-vis du
christianisme.
Les
deux
principaux
livres de
K.
L.,
en
plus
de celui de
1946,
resteront
Von
Hegel
t(u
ietzsche
(Europa Vlg,
Zurich,
1941
-
preface depuis
Sendai,
Japon, printemps
1939
?;
reed. New
-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
9/18
412
Carl
Schmitt
donne
une
analyse critique qui
merite reellement
ce
nom.
Partant du
pre
sent,
de
Burckhardt1,
Marx
et
Hegel,
il
remonte,
en
passant
par
les
positi
vistes
et
les hommes des
Lumieres,
et
par
Bossuet,
Vico
et
Joachim
de
Flore
jusqu'a
Augustin,
Orosius2
et
jusqu'a
la
Bible. C'est
un
chemin
qui
conduit
de
la
philosophic
de Phistoire
a
la
theologie
de
Phistoire,
et
finalement
a
Peschatologie.
Mais chez Lowith
ce
n'est
pas
un
chemin
pour
neutraliser
ce
qui
s'est
passe
jusqu'a
present
en
le
ramenant
au
niveau
de
l'actualite.
C'est,
au-dela de
tout
le
savoir
d'un
erudit,
un
chemin
pour
l'initiation.
En
suivant
ce
chemin,
l'auteur
acquiert
une
profonde
conscience
de
Phistoire
de
Pesprit,
qui
fonde
sa
superiorite
sur
les
historiens modernes
et
sur
les
philo
sophies
de Phistoire, etmeme surArnold
Toynbee
en
particulier3.
York,
1949,
Stuttgart,
1958,
trad.
Gallimard,
1969
-
par
Remi
Laureillard)
et
Niet^sches
Philo
sopbie
deremgen
Wiederkehr des
Gleichen,
Stuttgart,
1956,
trad.
Calmann-Levy,
1991.
*
Utilement
commente
par
Henning
Ritter,
in
F. A.
2.
du
2/08-97
(n?
177).
1. L'eleve de
Leopold
von
Ranke,
quelque
peu
adrnirateur de
Schopenhauer,
refusait
pour
lui-meme
l'etiquette
de
philosophe
de l'histoire.
II n'a
pas
moins
construit,
dans
ses
Weltgeschichtliche
Betrachtungen,
un
systeme
en
six formes d'interaction des trois forces de base
de la civilisation
:
la
religion,
la
politique
et
la
culture.
C'etait
la le
fruit
de
son
epoque
de
jour
naliste
a
Bale
dans
les
annees
1840,
repris
dans
les
annees
1868-1871
sous
forme de lecons
auxquelles
Nietzsche assista
avec
enthousiasme.
En
fait horrifie
par
la violence
des
conflits
religio-politiques dont il etait temoin en Suisse avant meme 1848 (qu'il avait vu venir bien
avant),
il
en
resta
fixe
dans
un
humanisme
plein
de
sagesse
qui
le
credite de
la
formule
?
Die
Macht ist
in
sich bdse?
(qu'Henning
Ritter dit
remonter
en
realite
a
Schlosser,
cf. Particle cite
dans
la
note
precedente),
que
Schmitt
ne
manque
pas
d'interpreter:
?
Les
doux neutralises
(die
lauen
Neutralisierten)
s'excitent
au
sujet
de l'atheisme
et
du
nihilisme,
mais
ne
remarquent
pas
qu'il
entre
dans
un
mot
de
Burckhardt
(fort
prise
et souvent
cite)
infiniment
plus
d'atheisme
et
de
nihilisme
que
dans
toute
Fceuvre de Bakounine.
Je
pense
a
la formule "La
puissance
est
en
soi
mauvaise".
Qui
sait
aujourd'hui
que
cette
phrase signifie
la
meme
chose
que
Dieu
est
mort
??
{Glossarium,
p.
201;
3/X-1948). Moyennant
quoi J.
B.
se
trouve
range
parmi
les
aveugles
qui
opposent
encore
droit
et
puissance
(ibid,
p.
169,24/VT-48),
tandis
que
la
seule
volonte
?
mauvaise
?
est
la volonte
?
d'impuissance,
c'est-a-dire
renoncant
a
la realisa
tion
?
{ibid,
.
139). Christoph tedingdeja
estimait
n
1930
{Das
Reich
und
die rankheit er
europdischer
ultur,
p.
338)
que
J.
B.
ignore
le domaine du
politique
-
une
reference
que
nous
ne
relevons que pour
ce
que Schmitt s'interroge
encore
apres guerre
sur
la forme d'ardeur qui
le
portait,
dans les
annees
1920/1930,
vers ce
?
Unbuch?
{Gloss.,
p.
95).
Que
J.
B. soit
rede
couvert
ou
reapprecie
au
lendemain
de chacune des deux
grandes
guerres
n'est
pas surpre
nant,
mais
la
sagesse
qu'il
porte
en sa
pensee
serait
injustement
reduite
a un
humanisme
moderne,
si Ton voulait
ignorer
quelque prolongement
ou
echo
en
lui de
E.
von
Lasaulx. Cf.
Karl
Joel,/.
B. als
Geschichtsphilosoph
(1910),
et
Richard
Winners,
Weltanschauung
und Geschicht
sauffassungj.
B.,
in
Hans Ulrich
Instinsky,
article de
Hochland,
1936,
409-424.
2. Ne
a
Tarragone (Espagne),
theologien
et
historien de
la
premiere
moitie du
Vs
siecle
(liens
avec
Augustin,
avec
Jerome, juge
ecclesiastique
au
synode
de
Jerusalem
(415)
devant
condamner
Pelage),
Paul Orose
a
surtout
laisse
une
Histoire du
monde,
ecrite
a
la demande
d'Augustin,
montrant
que
la
terre
fut
toujours
affligee
de
grandes
calamites
avant
l'abolition
du
paganisme,
a
laquelle
les Gentils attribuaient les calamites
de
l'Empire.
Cette Histoire fut
editee
pour
la
premiere
fois
en
1471
par
J.
Schlusser,
a
Vienne,
traduite
et
publiee
en
francais
en
1491, par
Claude de
Seissel,
traduite
en
anglais par
Alfred le Grand
et
editee
en
1773
par
Barrington,
reprise
enfin
en
1897 dans la serie
Antiquarian
Library.
On
la
dit utile
pour
la
geo
graphic politique,
en
particulier
pour
la
position
des
?nations
germaniques
?,
a
l'epoque
d'Albert le Grand.
3.
Schmitt
n'emboite
pas
le
pas
aux
critiques
courantes
de l'ceuvre d'Arnold
Toynbee
(1889-1975),
qui
s'attardent
a
lui
reprocher
soit
le modele
d'explication
choisi,
soit la
systematicite impossible
de
son
entreprise,
soit
tout
autre
chose
qui,
dans
celle-ci,
ne
peut
que
heurter
l'historien
positiviste,
ou en
tout
cas
specialiste
d'un domaine
particulier
a
-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
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7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
11/18
414
Carl
Schmitt
de
grandes planifications qui
sont
ordonnees
par
des hommes
a
d'autres
hommes,
des
positions
de
sens
qui
sont
par
consequent
elles-memes
a
leur
tour
partie
constituante des
grandes planifications.
Ainsi
nous
comprenons
cette
phrase
de Lowith
infiniment
pleine
de
signification: plus
loin
nous
remontons
a
partir
d'aujourd'hui
dans Phistoire de la
pensee
humaine de
Phistoire,
plus
Pidee d'une
planification
disparait1.
Une
providence
divine
que
Fhomme
peut
verifier,
ou meme
prevoir,
n'est
certainement
a
coup
sur
qu'une
planification
humaine2.
La
premiere
observation
que
nous
suggere
la
lecture de
ce
livre inhabi
tuel
concerne
le
grand parallele historique
ou se
concentre
la
comprehen
sion historique que le siecle dernier avait de lui-meme. En amenant sa
propre epoque
a un
parallele historique
avec
Tepoque
des
guerres
civiles
dans les
associations
psychologiques
et,
last but
not
least,
meme
phonetiquement,
lliorreur,
je
veux
dire des
orgies
du
metteur
en
position
(Setter),
et
la
terreur
de
la
position
des
positions
(Set^ung Set^ungen),
dans
laquelle
nous
sommes
embarques
depuis
1848
comme
dans
un
maelstrom...
Tout
ce
qu'il
y
a
de
positivement
etabli
et
pose
(ponierte
undposierte)
est
concerne
aujourd'hui
par
cette
malediction
oui,
comme
aujourd'hui,
toute
"volonte de"
quoique
ce
soit,
se
resout
dans
cette
perspective
et est
decidee dans lliistoire de
l'esprit?
(Gloss.,
p.
85-86,
19/01-48).
Apres
s'etre
interroge
sur
l'opportiinite
d'user
des
methodes
anglaises
pour
assainir,
par
Faction du
juge,?la
banqueroute
du
legislateur
?,
Schmitt
developpe
:
?Je
voudrais
expliquer
(et
je
l'ai fait dans
mes
conferences
sur
la
situation
actuelle du
droit
europeen)
la "loi"
("GesetfO
dans l'ensemble de
sa
problematique
concrete,
dans
l'integralite
existentielle
(par
donnez
ce
mot
a
la
mode,
mais il
a eu
originairement
un sens
authentique)
de
son
economie
comme
point
de
depart.?
Ce
point
de
depart
est
la
raison
de
sa
distinction
entire
legalite
et
legitimitela
justice Justitf
lus legitime
ue
toute
legalite),
t
de
son
rejet
du droitnaturel
?
justification qui
met
a
nu
finalement
le lieu de la modernite
:
?
Les hommes
ne
sont
pas
sans
Dieu,
mais
incapables
de Dieu
?
(citant
ici
Alfred
Dep,
s.j.,
?
pendu
le
2
fevrier
1945
en
meme
temps
que
notre
Popitz
?)
-
une
formule
qui
confere
un
caractere
moins
negatif qu'il
n'y
parait
a
l'observation
de Ball
en
1924,
voulant
que
Schmitt
parte
moins
?
d'une
foi bien
armee
que
des
consequences
de
la foi?.
Cependant
la
signification
de la
Set^ung
n'est
pas
epuisee
par
la,
car
elle
renvoie
immedia
tement
aussi
aux
differentes formes du
?
Ur-?
que
Schmitt
cherche
a
integrer
sans
sa
propre
perspective,
notamment aux
Urpositionen
qui
seraient celles de la nature en Dieu
(une
pensee
de
Boehme,
ou
bien de Fichte
?,
demande-t-il);
et
que
ce
soit dans
cette
perspective
que
seule
la
position (Set^ung)
determine les
fondements de
la
contemplation
(selon
Fichte
encore),
Schmitt
le
trouve
particulierement
riche
d'enseignement
pour
lui-meme
?
en
tant
qu'Epimethee
chretien
?:
voici done
que
la
notion
de
Set^ung,
qui
n'apparait
pas
avant
le len
demain de
la
guerre
-
et
souvenir
apparent
de Kant
et
de
sa
Set^ung Set^ungen,
cf.
les
travaux
d'Adickes
-,
se
chargerait
ici,
une
fois
adoptee,
d'une double
signification,
antinornique
chez
rEpimethee
chretien,
capable,
forme
audacieuse
de secularisation
encore,
de
neutraliser
Tutopie
des
temps
modernes
puisque
Tutopie
est
essentiellement la
planification
(cf.
nom
breux
textes
du Glossarium
sur
ce
theme).
A
Tepoque
des
perspectives
de
clonage
humain,
tout
ceci
prend
un
sens
singulier.
Que
par
ailleurs,
a
Toccasion de la
Setting,
la
proximite
de
Tesprit
de
Joseph Schumpeter
soit
evoquee
par
Schmitt
n'est
pas
fait
pour
surprendre.
Mais
pour
une vue
plus
complexe
du
texte, le lecteur se
reportera
a la
p.
101 du Glossarium, en date du
19/02-48.
1. K.
L.
p.
191,
debut
de la Conclusion
:
?
The farther
we
go
from
the
philosophy
of
the
eighteenth
and nineteenth centuries
to
its
original inspiration
in
biblical
faith,
the
less
do
we
find,
with the
exception
of
Joachim,
an
elaborate
plan
of
progressive history.?
Ceci
conforte Schmitt dans
son
interpretation
de
l'utopie
comme
planification:
cf.
Glossarium,
p.
46-48
(21/11-47),
83-84
(16/01/48),
94-96
(10/02/48)...
2.
Cf.
Glossarium,
.
285
(22/12/49).
-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
12/18
Une
vue
?
critique?
de Carl Schmitt
415
romaines
et
du
premier
christianisme,
ce
siecle
realisait la
remarquable
ten
tative de se
comprendre
lui-meme
historiquement
par
comparaison
avec
une
epoque
entierement
differente,
eloignee
de deux
millenaires.
En
dehors
de
toute
dialectique
hegeliano-marxiste
et
stalinienne
de
l'histoire,
nous
ne
disposons
effectivement d'aucun
autre
moyen
d'auto-comprehension
histo
rique.
Curieux
que
parmi
le
grand
nombre
d'evenements
historiques
et
d'epoques
qui
se
succedent,
ce
soit
justement
cette
epoque
du
premier
christianisme
qui,
pour
nous,
soit
si convaincante.
Curieuse
aussi la certitude
avec
laquelle
ce
parallele
se
presente
depuis
la
Revolution
frangaise,
chez des
auteurs
opposes
et
avec
des conclusions
contraires,
grace
a
quoi
ce
parallele
historique demeure lui-meme comme tel toujours comme allant de soi. Et
tout
particulierement
curieux
qu'un
phenomene
de
l'histoire
spirituelle
d'une
pareille
evidence
et
d'une telle
actualite,
comme
Test
ce
grand
paral
lele,
n'ait
ete
jusqu'ici
1'objet
d'aucune
monographic,
ni
dans
un
travail
uni
versitaire,
ni dans la libre
recherche.
Le
socialisme
commence
avec
le
Nou
veau
christianisme
e
Saint-Simon,
et
done
avec
l'appel
a
ce
grand parallele.
Jacob
Burckhardt etait
deja
fortement
marque
par
la
signification
de
celui-ci,
a
travers
Tinfluence
de
Ernst
von
Lasaulx1. Aussi
bien
la
pensee
cyclique
que
la
pensee
eschatologique
peuvent
se
servir de
ce
grand
parallele.
Tous deux
y
trouvent
la
preuve
de la fin d'un
Aeon,
la
certitude d'un
temps
revolu,
d'un
tempo
esauroto. a
pensee
cyclique
rattache a cela l'inference d'une nouvelle
periode
du
monde,
la
pensee
progressiste
conclut
a
l'intensification
en
spi
rale d'une
epoque
plus
accomplie,
mais
l'eschatologique
y
voit
la
proximite
de la fin
immediate.
Le
chretien doit elever
ce
parallele
a
l'identite,
car
pour
lui
les
evenements
qui
sont
au cceur
de l'Aeon
chretien
-
la
venue,
la
cruci
fixion
et
la
resurrection
du Fils de l'Homme
-
restent
vivants
dans
une
pre
sence
inchangee.
L'autre
observation
touche
a
la
question
de
savoir si
la foi
eschatolo
gique
et
la conscience
historique
sont
compatibles
entre
elles.
A
cette
ques
tion,
on
repond presque toujours par
la
negative.
Toutes
deux
paraissent
encore
moins
compatibles
entre
elles
que
la
pensee
cyclique
et
la
pensee
his
torique.
L'attente
de
la
fin imminente
semble
priver
toute
Phistoire de
sa
1.
Peter Ernst
von
Lasaulx
(Koblentz,
1805
-
Munich,
1861)
construit
une
Philosophic
de
Thistoire
sur
le
principe
de
Tanalogie
entre
les
grandes
epoques
: ce
qui
s'est
produit
dans le
passe
peut
toujours
se
reproduire
sous
une
autre
forme
dans
le
present;
inversement les
eve
nements
du
present
peuvent
apporter
des clefs
pour
la
comprehension
du
passe
:
cf.
Neuer
Versuch
einer
Philqsophie
der
Geschichte,
1856.
Cette
recherche
est
essentiellement
d'inspiration
chretienne: cf. Uber die
theologische rundlage
aller
System,
1856. Ce
qui
le conduit
a
etablir
un
parallele
entre
Jesus
et
Socrate,
et
a
voir dans Promethee
une
forme de
sauveur...
La
Deutsche
Allg Bibliogpaphie
e donne
pour
un
romantique
e
la
philologie classique
(cf.
Uber die
prophe
tischeKraft der menschlichen Seek in enken undDichten, 1858) qui represente avec Franz von Baa
der
le
versant
catholique
d'un
courant
largement
partage
en
Allemagne
par
les Protestants
:
cf.
le
cas
de
Kanne,
dont
Schmitt
reedite
et
preface
la
biographie
en
1918.
Naturellement
en con
flit
comme
Fr.
v.
Baader
avec
l'Eglise
(cf.
ses
rapports
avec
Dollinger),
son ceuvre
a
largement
donne
matiere
a
reflexion,
de Nietzsche
a
Heiddeger
et
a
Schmitt,
en
passant par
Burckhardt
et
Jaspers.
Le
premier
ouvrage
important
sur
E.
v.
L.
est recent:
Siegbert
Peetz,
Die
Wiederkehr
im
Unterschied: Ernst
von
L.}
KarlAlber
Vlg,
Fribourg
et
Munich, 1989,407
p.
-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
13/18
416 Carl Schmitt
signification,
et
provoque
une
paralysie eschatologique dont Phistoire offre
de
nombreux
exemples. Cependant
il
reste
aussi la
possibility
d'un
pont.
Nous avions
pour
cela
d'etonnants
exemples
dans Phistoire de
Pempire
medieval.
Le
pont
consiste
en
Pidee d'une force
qui
retient
la
fin,
et
tient
le
mal
en
echec.
C'est
le
kat-echondu
passage
tres
mysterieux
de
la
Seconde lettre
de
Paul
aux
Thessaloniciens1.
L'empire
medieval
des
empereurs
allemands
se
represente
lui-meme
historiquement
comme
kat-echon. Luther
encore
Pa
1.
Se referant
a
Griinder
{Quaritsch,
1988,
p.
230),
et
s'appuyant
sur
la
biographie
de
Peterson
par
Barbara Nichtweiss
(1992,
p.
725
sq.),
Felix
Grossheutschi
(C.
S.
und die Lebre
vom
katechon, D&H.,
1996)
fait remonter le theme du katechon chez Schmitt aux
rapports
de celui
ci
avec
E.
Peterson
avant
sa
conversion
-
tout
en
notant
que
Peterson lui-meme
ne
parle
jamais
du katechon sauf
par
une
allusion
dans Die
Kirche,
Schmitt
et
Peterson
se
sont
connus
a
Bonn de 1924
a
1928,
date du
depart
de Schmitt
pour
Berlin. n
1932,
chmitt
t
Peterson
ont
fait ensemble
le
voyage
de Rome
(fin
mars a
debut
mai).
Rupture
en
1933
quand
Schmitt
entre
au
Parti
(lermai).
Mais
en
1936
nouveau
voyage
de Schmitt
a
Rome,
ou
il
rencontre
Mussolini
(dont
il
sort tres
decu)
et...
Erik
Peterson. Liens
repris
apres
la
guerre.
F. Grossheutschi releve
avec
justesse
que
Schmitt
n'use
du
mot
katechon
que
depuis
le
texte
de
Das
Reich,
en
1942
bien
qu'll
dise
en
avoir
eu
l'idee
depuis
1932. Doit-on
imaginer
avec
F. G.
que
l'arrivee de Hitler
au
pouvoir
mettait
un
terme
a
l'angoisse
de
Schmitt devant
l'universalisme
liberaliste
(mais
pourquoi
pas
aussi devant
le
regime
de l'URSS
?),
et
done
aussi
a
la
raison d'etre du katechon
?
L'auteur
appuie
sa
presomption
sur
le
fait
que
les ennuis de
novembre
et
decembre 1936 n'auraient
pas
refroicfi
l'enthousiasme
de
Schmitt,
et
qu'en
tout
cas
on
ne
trouve
pas
trace
de katechon dans les
textes
de
politique
internationale de
Schmitt
de
1939
a
1942,
date
a
laquelle
Schmitt n'etait
pas
moins lucide
que
bien
des
officiers
supe
rieurs
sur
Tissue de
la
guerre
a
l'Est.
Quand
Schmitt
argue
de
1932,
on
peut
naturellement
se
tourner
vers
Legalite
et
Legitimite,
paru
en
juillet
1932,
et
dont la lecture
retrospectivement
est
ambigue.
Toutes
ces
donnees
historiographiques
ont
leur
importance.
Mais dans
la
vie
d'un
ecri
vain,
les themes fondamentaux n'ont
en
general
guere
de date de
naissance.
Plus
important
en
tout
cas,
pour
une
saisie
du
katechon
tel
que
Schmitt
le
comprenait,
est
de
nous
reporter
a
la
maniere
dont
celui-ci
se
refere
en
1947
a
Halberstadt
:
?
Sur le katechon:
je
crois
au
Katechon;
il
est
pour
moi
la
seule
possibilite
de
comprendre
l'histoire,
en
tant
que
chretien,
et
de
la
trouver
utile.
La
doctrine
paulinienne
secrete
n'est
pas
plus
et tout autant
secrete
que
chaque
existence
chretienne. Celui
qui
ne
sait
pas
lui-meme
in
concreto
quelque
chose du
katechon
(souligne par nous)
ne
peut pas interpreter
ce
passage.
Haimo
von
Halberstadt*
arrive
au
katechon
en
tant
qu'etant
la
source
du
katechon,
et
bien
plus
claire
que
celui-ci
(Migne
+
117,
col.
779).
Les
theologiens d'aujourd'hui
ne
savent
plus
cela,
et
ne
veulent
au
fond
meme
pas
le
savoir?
{Glossarium,
p.
63
:
19/XII-47).
a
Haimo
v.
H.
est
un
eveque
benedictin,
eleve d'Alcuin
(autour
de
840).
Le
texte
qu'evoque
Schmitt merite
en
effet d'etre lu.
Schmitt reviendra
plus
formellement
sur
cette
notion
dans
son
commentaire,
en
1958,
de la
Conference de
1943-1944
sur
l'etat du droit
en
Europe
(cf.
Verfassungsrechtliche
ufsdt^e,
1958,
p.
426-429).
Ici
apparait
clairement,
si Ton
peut
dire,
la
dimension
politico
philosophique
du katechon
schmittien,
encore
mieux
soulignee
si
Ton
veut
bien
prendre
en
compte
le
parallele
avec
les
developpements
de Rene Guenon
dans
Le
roi
du
monde
(p.
37-39,
dans
la
reedition
de
1958),
un
auteur
que
Schmitt
n'ignorait
pas
et
qui apparait
curieusement
dans
la
page
citee ci-dessus du
Glossarium,
juste
avant
lamention du
katechon:?
A
ma
connais
sance,
Rene Guenon
est
aujourd'hui
l'auteur
le
mieux informe
?
{Gloss.,
p.
63,19/XII-47).
Toutes
ces
donnees
prises
ensemble,
et
avec
elles l'histoire
politico-religieuse
du katechon
au
Moyen
Age
(cf.
H. D.
Rauch,
Das
Bild
des
Antichrist
im
Mittelalter, 1973,
550
p.),
cette
notion semble finalement
jouer,
dans
la
conception
de l'histoire du
juriste
allemand,
un
role
analogue
a
celui de la
notion
d'? eternel
retour
du
meme
?
dans la
conception
du monde de
Nietzsche:
une
notion
limite,
impossible
a
demontrer
et
necessaire
a
supposer,
bref
une
hypothese.
-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
14/18
Une
vue
?
critique
de Carl Schmitt 417
compris
ainsi,
tandis
que
Calvin
prend
un
tournant
decisif
en
tenant
pour
kat-echon
non
plus
l'empire,
mais la
predication
de la Parole de
Dieu.
L'idee
de forces
et
de
pouvoirs qui
retiennent
et
retardent
peut
etre
decelee
sous
une
forme
quelconque
chez
tout
grand
historien.
Nietzsche,
tout
en
fureur,
a
percu
justement
en
Hegel
et
dans
le
sixieme
sens
des
Allemands,
le
sens
historique,
le
grand
retardateur
sur
le chemin conduisant
a
Patheisme
ouvert.
Dans YHistoire mondiale de
I'Europe,
de
Hans
Freyer,
recemment
parue,
les forces retentrices
apparaissent
comme
des katechontes
(II,
616,
915)1.
U
est
clair
que
nous
devons
nous
garder
d'employer
ce
mot
pour
1.
Les
pages
indiquees
par
Schmitt renvoient
a
la
premiere
edition,
en
deux
volumes,
de
1948,
que
nous
n'avons
pu
trouver.
Elles
correspondent
en
tout
cas au
chap.
7
de Fedition
de
1954
en
1
vol.
Selon
Freyer,
ces
?
forces
retenantes
?
sont
localisees
a
Test,
dans
la
Russie
orthodoxe,
a
Fouest dans
l'Eglise catholique
de
Rome,
et
au
centre
dans
FAllemagne.
Weltgeschicbte
Europas*,
a
ete
ecrit selon Fauteur
en
grande
partie pendant
la
guerre;
il fait
partie
d'une litterature allemande considerable
prenant
diversement
dans
son
champ
d'observation lliistoire
mondiale,
et
dont
la
motivation
ne
procede
pas
particulierement
du
choc
recu
de la
derniere
guerre,
mais
plus profondement
et
plus
largement
de
la
conscience
de crise de
civilisation
qui
s'ouvre
vers
1880,
et
se
renouvelle
autrement
apres
1945
(cf.,
pour
l'apres-guerre,
Giinther
Moltmann,
Das
Problem der
Universalgeschichte,
in ie
Funktion
der
Geschichte
in
unserer
Zeit,
1975,135-149).
Important sociologue
d'envergure philosophique,
Hans
Freyer
(1887-1969)
a
prete
comme tant d'autres ses esperances au nouveau regime en 1933, pour comprendre assez vite
qu'il
s'agissait
d'autre chose.
II
a
pu passer
toute cette
periode
sans
s'engager
dans le
Parti,
mais
ne
s'est
pas
davantage
engage
dans
Fautre
Parti,
a
Leipzig,
apres
1945,
ou
il avait
d'abord
cru
trouver
encore
une
saine
compensation
a
ses
illusions
deques.
C'est
en
Allemagne
de
TOuest,
finalement,
qu'il
a
developpe
son
analyse
des conditions
du
monde
moderne,
toute
ideologic
mise
a
part.
S'il avait
ete
des
avant
la
premiere
guerre
convaincu de
la
capacite
du
peuple
a
fonder FEtat
(cf.
Der
Stoat,
1925,1926), reagissant
ainsi
contre
le
romantisme
poli
tique
dont
Fopposition depuis
l'exterieur
a
la
montee
technologique
ne
change
rien
a
celle-ci;
s'il
veut
s'opposer
au
pessimisme
des
Spengler,
Tonnies,
Weber
et autres
Simmel,
qui
ne
font
selon lui
que
contribuer
a
durcir
Fopposition
de la culture
a
la
civilisation,
il
entend,
apres
1945,
reprendre
deliberement
son
idee du
debut de maitriser culturellement
de
Finterieur
la
montee
technologique.
Cest
dans
cet
esprit
qu'il
a
ecrit
la
Weltgeschicbte Europas,
puis
en
1955
la
Theorie des
gegmvartigen
Zeitalters
(traduit
en
fran^ais
en
1965
chez
Payot,
Les
fondements du monde moderne, Theorie du temps resent), et en 1965 les SchweUenderZeit. Plus proche
cette
fois de Troeltsch
et
de
Schmitt
que
des souvenirs de
ses
liens
avec
le
cercle Diederich
(Die Tat),
ou avec
Stapel
(la
Fichte-GeseUschaft,
et
le
Deutsches
Vblkstum)
et
at,
il
reste
convaincu
que
la
raison
seule,
avec son
universalisme,
pas
plus
que
le
peuple
comme
tei,
comme
il Favait
cru
un
temps,
ne
peuvent
fonder
une
societe coherente
et
vivante.
A
la difference des
dog
mes
de
la
religion,
les
dogmes
de
la raison
ne
disposent
pas
de forces
liantes
et
de
preserva
tion
(haltende
Mdchte)
;
le rationalisme
a
la
maniere
du
XVIir est
incapable
de
remplir
les
fonc
tions
collectives
d'integration
et
de continuite
qu'assume
la
religion
traditionnelle
(W.
E.,
p.
883):
la base des societes
pour
Freyer
n'est
plus
le
peuple,
mais les assises
juridiques
(sus
ceptibles
d'une
dimension
internationale).
La
coloration chretienne desormais de
son
inter
pretation
de lliistoire
se
prete
sans
doute
aux
remarques
judicieuses
de
J.
Z. Muller**. Et
Arnold
Gehlen lui
fait
remarquer
a
ce
propos
que
son
christianisme
risque
de
n'etre
qu'une
religion
devenue
son
propre
substitut
(Lettre
d'A.
G.
a
H.
F.,
30 avril
1949,
citee
par
Muller,
p. 338 n.). Pourtant sa conviction semble plus
qu'une
coloration (qu'a ce titre ilpartage avec
bien
d'autres,
cf.
Muller,
p. 338),
et
Schmitt
a
raison
d'y
reconnaitre
l'effet
d'une
exigence
rationnelle
dans
la
comprehension
de
l'histoire,
et
qui prend
celle-ci telle
qu'elle
est,
en
sa
dynamique
techno-economique
qu'on
dit
volontiers
dechristianisee.
La demarche
analytique
de
Freyer
est,
pour
revenir
a
notre
texte,
d'orientation
inverse de celle
de
Kart Lowith
a
la
meme
date: decidee
a
affronter le
present,
plutot
que
de
rester sur
la
reserve
devant
le futur
prochain.
Le
paradoxe
-
si
tant
est
que
e'en
soit
reellement
un
?
apparait
clairement: d'un
-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
15/18
418
Carl Schmitt
caracteriser
par generalisation
des tendances
simplement
conservatives
ou
reactionnaires.
Nous
ne
devons
pas
1'utiliser
pour
ajouter,
avec ces
termes
de
conservateur
et
de
retardateur,
quelques exemplaires
a
la collection dil
theyenne
des
types
d'historicisme.
La
force
historique originaire
de
la
figure
d'un
kat-echon
demeure
en
depit
de
tout,
et
elle
est
capable
de
triompher
de
la
paralysie
eschatologique
survenant
sans
cela.
Notre
troisieme
remarque
se
rapporte
au
caractere
indefiniment
excep
tionnel de
la realite
historique.
Nous
nous
attachons ici
au
passage
du livre
de
Lowith
(p.
196)
ou
il
est
dit
que
le
message
du
Nouveau
Testament
n'etait
pas
un
appel
a
Faction
historique,
mais
a
la
repentance1.
Voila
bien
somme toute que Phistoire ne debute pas par un
appel
a l'action
historique.
Elle
est
plutot
une
marche
comme
a
travers
le
manque,
la faim
et
Pimpuissance qui
se
fortifie.
Mais,
pour
clarifier
notre
pensee, posons,
face
a
la
proposition
de
Lowith,
une
autre
proposition
qui
doit
ecarter toutes
les
neutralisations
philosophiques,
ethiques
et
autres,
et
osons
affirmer
ceci:
la
chretiente
n'est,
dans
le
coeurmeme
de
son
etre
(Wesenskern),
ni
une
morale,
ni
une
doctrine,
ni
un
sermon sur
la
penitence,
ni
aucune
religion
au
sens
de
la science
comparee
des
religions,
mais
un
evenement
historique
d'une
infinie
unicite,
irremplafable
et
inoccupable2.
C'est PIncarnation dans la
cote
accueil
sans
restriction
du
present
(et
du
passe
passe)
avec
le
presuppose
de forces de
retention;
de Pautre
interrogation
et
scepticisme
sur
la
capacite
fondatrice du
christianisme,
avec
reserve
ou
silence
sur
le
present
et
le
present
a
venir.
*
WeltgeschicbteEuropas
est
dediee,
comme
le
sera
deux
ans
plus
tard
Ex
Captivitate
Salus,
a
W.
Ahlmann
:
?In
Memoriam &
Wilhelm
Ahlmann
f
7
December
1944.?
**
Sur Hans
Freyer
on
lira:
Jerry
Z.
Muller,
The
other
od that
failed,
Hans
Freyer
and thedera
decali^ation of
Gennan
Conservatism,
Princeton Univ.
Press,
1987,
449
p.
Carl Schmitt
voit
dans
Freyer
une
autre
filiation de
Hegel
que
celle conduisant
a
Marx
:
cf. Die andere
Hegel-Linie.
Hans
Freyer
zum
70
Geburtstag,
in
Christ und
Welt,
n?
30,25
juillet
1957.
On
ne
doit
pas
mas
quer
combien
cette
autre
filiation
a
conduit aussi
au
N.
S.
Ceci
doit
d'autant
plus
etre
souligne
ici
que
la
passion
investie
par
Schmitt
dans
plusieurs
paragraphe
de la
Philosophie
du
droitet dans
la
Phenomenologie de Pesprit n'a guere a voir avec Pinterpretation de Hegel par Karl Larenz etal.
1.
?
...
The
message
of the
New
Testament
is
not
an
appeal
to
historical
action
but
to
repentance.
Nothing
in
the
New
Testament
warrants
a
conception
of the
new
events
that
constitued
early Christianity,
as
the
beginning
of
a
new
epoch
of secular
developments
within
a
continuous
process...
The
"meaning"
of the
history
of
this
world
is
fulfilled
against
himself
because
the
story
of
salvation,
as
embodied
in
Jesus-Christ,
reddems
and dismantels
as
it
were,
the
hopeless
history
f
theworld
?
(196
et
197).
2. La
proposition
est
presque
litteralement
reprise
d'une lettre
a
Pierre
Linn
(traducteur
avant
guerre
du
Concept,
de
politiqui)
reproduite
dans
le Glossarium
en
date
du
13/XII-49,
p.
283:
?...
Ce
que
vous
appelez
"Manieur d'idees" n'est
autre
chose
que
la desinvolture
d'une
race
spirituelle. Je
n'ai
pas
change,
il
est
vrai.
Ma
liberte
vis-a-vis des
idees
est
sans
bor
nes
parce
que
je
reste
en
contact
avec
mon
centre
inoccupable
qui
n'est
pas
une
"idee" mais
un
evenement
historique
:
Pincarnation du Fils de Dieu. Pour
moi le
christianisme n'est
pas
en
premier
lieu
une
doctrine,
ni
une
morale,
ni
meme
(excusez)
une
religion;
il
est
un
evene
ment
historique.
?*
Et
Schmitt
de
se
referer
ici,
mais
sans
citation,
a
Summa
contra
Gentiles
III,
93,
qui
ne
dit
rien
de tel.
Quant
au
credo chretien
qui
parle
de faits
historiques,
C.
S.
repond
a
K.
L.
p.
189-190.
Sur
la
reference
a
P
?incarnation
de la
Vierge
?,
on
relevera
un
glissement qui
semble
s'etre
opere
depuis
1917/1925
dans
le theme
de
Pincarnation;
Schmitt ecrit
en
1949: ?Sur les
trois
secrets,
notre
ennemi
echoue
toujours
a nouveau : sur
Pincarnation du
Fils,
sur
la
naissance
a
-
7/23/2019 Schmitt - Trois Possibilits d'Une Image Chrtienne de l'Histoire
16/18
Une
vue ?
critique
de
Carl
Schmitt
419
Vierge.
Le
credo chr