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AVRIL 1991 L A D ISTINCTION — 1 L A D ISTINCTION « Strc ˇ prst skrz krk ! » (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque) 27 avril 1991 paraît six fois par an quatrième année JAB 1000 Lausanne 9 Si vous pouvez lire ce texte, c'est que vous n'êtes pas abonné(e). Qu'attendez-vous pour le faire ? Frs 15.– au CCP 10–220 94–5 SOCIALE — POLITIQUE LITTERAIRE ARTISTIQUE — CULTURELLE CULINAIRE L A D ISTINCTION Publication bimestrielle de l'Institut pour la Promotion de la Distinction case postale 204 1000 Lausanne 9 Abonnement : Frs 15.– au CCP 10–220 94–5 Prix au n° : Fr 3.65 Collaborèrent à ce numéro: Nicolas Arnaoudov Véronique Altamont Serge-M. Bataillard Jean-Charles Bonzon Jean-Christophe Bourquin Nathalie Choquard Alain Clavien Henry Meyer Claude Pahud Séverine Rey D r Maximilian Schpotz Schüp Cédric Suillot Josette Suillot Jean-Pierre Tabin Monique Théraulaz L'index des articles et recettes parus dans La Distinction est disponible sur disquette. Mais à quoi pourrait-il servir ? La rédaction est responsable des manuscrits, tapuscrits et compuscrits (disquettes Macintosh de préférence) qui lui sont envoyés. LIBRAIRIE BASTA ! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne, Tél. 25 52 34 B A S T A ! (Publicité) Basta ! est une coopérative autogérée, alternative, Basta ! est une librairie indépendante, Basta ! est spécialisée en sciences sociales, Basta ! est ouverte sur d’autres domaines, Basta ! offre un service efficace et rapide. Basta ! offre un rabais de 10% aux étudiants, et de 5% à ses coopérateurs Conséquences de la situation Conséquences de la situation A nos lecteurs La situation internationale, et particulièrement les événements de Nouvelle-Zélande, nous obligent à pren- dre une décision que nous avions espéré retarder le plus longtemps possible. En effet, comme toute la presse, La Distinction subit un net fléchissement de ses recettes publicitaires : de nombreuses campagnes ont été annu- lées au dernier moment par nos annonceurs, parfois au mépris de la courtoisie la plus élémentaire. Nous sommes donc contraints de faire passer le prix du numéro à Frs 3.65, les abonnements restant pour l'ins- tant inchangés. Cette hausse de prix correspond toutefois à une certaine réalité : doublement du nombre de pages, amélioration très progressive de la qualité d’impression et, chose rare dans la presse helvétique, engagement de nombreux nouveaux collaborateurs compétents. Nous sommes conscients de la gêne que cette augmen- tation occasionnera pour ceux de nos lecteurs qui sé- journent dans des pays à taux de change défavorable, mais le volumineux courrier que nous recevons réguliè- rement, d’outremer et d’ailleurs, nous fait espérer que vous comprendrez l’effort que nous vous demandons aujourd’hui. LA DISTINCTION «La prairie de Solalex, notre Grütli vaudois, attirera la grande foule bien au-delà du Chablais et des Alpes vaudoises, pour trois soirées fort éc- lectiques. Aux armaillis, aux lutteurs à la culotte et aux jodleurs suc- céderont des chanteurs et musiciens contemporains, avant qu’un grand concours de composition pour cor des Alpes pose un point d’orgue à la fête.» Feuille des avis officiels du canton de Vaud, 7 décembre 1990 «Et, responsabilité du secteur so- cial oblige, [Pierre Tillmanns] a rap- pelé combien il s’intéressait aux terrains de l’aéroport de la Blécherette pour y élever de l’habi- tat.» Françoise Cottet, journaliste, in 24 Heures, 23 février 1991 «Octogénaire, deux fois veuf, il fit simplement un pas en avant. Il s’exulta pour elle, comme on s’émer- veille lorsque le mélèze montre sa petite pousse rouge.» Chanoine Gabriel Pont, naturaliste, in Le Matin, 17 février 1991 «Dire que les tâches ménagères d’aujourd’hui, en Occident, sont fas- tidieuses, c’est mettre un doigt dans l’engrenage qui mène à toutes les sortes de professions sauf deux, les- quelles sont aussi seules à se pra- tiquer le cas échéant sans salaire, celle de savant et celle d’artiste.» Jérôme Deshusses, philosophe philosophant, in Construire, 20 mars 1991 «L’Histoire est-elle décidément une science relativement exacte, dont il est écrit que les peuples ne doivent rien retenir ? Ainsi, dans le contexte médiatique entièrement nouveau qu’est celui de la guerre du Golfe, “too much” menace-t-il de rimer avec moche. Et “more” avec mort.» Jacques Mauler, polyglotte, in Nouvelle Revue de Lausanne et du Pays de Vaud, 28 janv.1991 «Bon, maintenant, parfois, on ne sait plus : j’ai vu des spectacles de danse incroyables auxquels on ne comprend rien. Personne ne bou- ge… Alors là, je me dis que tout va trop vite et que le temps manque pour la réflexion.» Pascal Auberson, musicien stupéfait, in L’Hebdo, 28 février 1991 Un lecteur de petits journaux semi-clandestins nous a fait par- venir le morceau suivant : «Les grands responsables de dé- but de l’engrenage de la désagré- gation de notre armée furent, à l’épo- que, le Conseiller Fédéral Gnägi (paix à ses cendres) et le comman- dant de corps Hirschy, à qui je voue une haine féroce pour tout le mal qu’il m’a fait à cette triste époque.» Lieutenant colonel Troyon, toujours en forme, in Justice et vérité, (on n’a pas retrouvé la date…) NOMINATIONS POUR LE GRAND PRIX DU MAIRE DE CHAMPIGNAC 1991 Les mystères de la Protection civile Défense civile, 1969, p. 40 Notre dossier en pages 4-5 “Savoir il faut nos grands hommes connaître” (1) ISE en demeure par M. Pierre Keller de participer au grand mouvement d’édification suisse des masses helvétiques, La Dis- tinction démontre que rien de ce qui est national ne lui est étranger et inaugure hic et nunc une rubrique dont le titre sus- mentionné résume l’objectif hautement patriotique. Aujourd’hui, au programme, deux grands hommes. Commençons par la biogra- phie de Gottfried Keller due à la plume de Jeanlouis Cornuz. Et disons-le tout de go : ça fait longtemps que je n’ai plus lu quelque chose d’aussi conster- nant. Une succession de petites anecdotes, entrelardées d’ex- traits de correspondance et de discours, sans fil conducteur autre que la chronologie, sans lien, sans la plus minuscule pro- blématique, tout cela suivi d’un vague résumé des œuvres prin- cipales : même aux temps triom- phants de l’histoire littéraire positiviste, on n’aurait pas osé ! Et j’oublie les tics de style… Et je n’insiste pas sur la pédan- terie : Keller ne peut pas se faire cuire un tout petit œuf au plat à déposer délicatement sur des röstis grillés dans du lard fondu sans que Cornuz y aille de ses «on pense à Rousseau qui…; on pense à Michelet lors- que…; on pense à Hugo quand tout à coup…». Franchement, Cornuz aurait mieux fait de penser à ce qu’il écrivait. Au suivant. Né à Neuchâtel en 1896, Jean Piaget est le fils d’un profes- seur de langue et littérature romane à l’Académie de cette ville. Scolarité à Neuchâtel. A 25 ans, il est nommé privat- docent (psychologie de l’enfant) à la faculté des Sciences de Genève, puis à Neuchâtel. A 34 ans, il devient professeur d’his- toire de la pensée scientifique, à Genève. Suivent des nomina- tions diverses, puis des invita- tions prestigieuses… Bref, une belle carrière d’héritier. Que son biographe règle en moins de deux pages. Car ce qui l’inté- resse, c’est le parcours intellec- tuel de Piaget. Il le rend en suivant le développement de la pensée piagétienne de manière génétique, sans en méconnaî- tre les points d’application moins connus –la passion pour la conchyologie, par exemple…– , notant les filiations admises et marquant les influences pos- sibles. Tout cela est certaine- ment passionnant, mais le lec- teur est rapidement confronté à un problème : le côté parfois très technique de certains cha- pitres. Certes, il n’y a aucune raison pour que l’intelligence génético-psychologique soit plus instantanée que d’autres. En y mettant le prix, je suis sûr que j’aurais savouré les méan- dres d’une pensée subtile. Mais le prix m’a paru un brin exces- sif : j’ai donc allègrement sauté un certain nombre de pages… A. C. Jeanlouis Cornuz Gottfried Keller, Favre, 1990, 286 p., Frs 38.– Jean-Jacques Ducret Jean Piaget Biographie et parcours intellectuel Delachaux & Niestlé, 1990, 64 p., Frs 36.– (1) Propos attribués à M. Jean-Pas- cal Delamuraz par un journaliste signant G.S. (24 Heures d’il y a quelques jours). Mais G.S. sait-il raison garder et confiance inspi- rer ? Jean Piaget à la montagne dans les années trente, alors qu'il commençait à travailler sur les Aventures des Schtroumpfs M M 23

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  • AVRIL 1991 LA DISTINCTION — 1

    LA DISTINCTION

    « Strč prst skrz krk ! »

    (Enfonce-toi le doigt dans la gorge, en tchèque)

    27 avril 1991

    paraît six fois par an

    quatrième année

    JAB 1000 Lausanne 9

    Si vous pouvez lire ce texte, c'est que vous n'êtes pas

    abonné(e). Qu'attendez-vous pour le faire ?

    Frs 15.– au CCP 10–220 94–5

    SOCIALE — POLITIQUE — LITTERAIRE

    ARTISTIQUE — CULTURELLE — CULINAIRE

    LA DISTINCTIONPublication

    bimestrielle de

    l'Institut pour la

    Promotion de la

    Distinction

    case postale 204

    1000 Lausanne 9

    Abonnement :

    Frs 15.–

    au CCP 10–220 94–5

    Prix au n° : Fr 3.65

    Collaborèrent à ce numéro:

    Nicolas Arnaoudov

    Véronique Altamont

    Serge-M. Bataillard

    Jean-Charles Bonzon

    Jean-Christophe Bourquin

    Nathalie Choquard

    Alain Clavien

    Henry Meyer

    Claude Pahud

    Séverine Rey

    D

    r

    Maximilian Schpotz

    Schüp

    Cédric Suillot

    Josette Suillot

    Jean-Pierre Tabin

    Monique Théraulaz

    L'index des articles et

    recettes parus dans La

    Distinction est disponible sur

    disquette. Mais à quoi

    pourrait-il servir ?

    La rédaction est responsable

    des manuscrits, tapuscrits et

    compuscrits (disquettes

    Macintosh de préférence) qui

    lui sont envoyés.

    LIBRAIRIE BASTA ! Petit-Rocher 4, 1003 Lausanne, Tél. 25 52 34

    B A S T A !(Publicité)

    Basta ! est une coopérative autogérée, alternative,

    Basta ! est une librairie indépendante,

    Basta ! est spécialisée en sciences sociales,

    Basta ! est ouverte sur d’autres domaines,

    Basta ! offre un service efficace et rapide.

    Basta ! offre un rabais de 10% aux étudiants,et de 5% à ses coopérateurs

    Conséquences de la situationConséquences de la situation

    A nos lecteursLa situation internationale, et particulièrement lesévénements de Nouvelle-Zélande, nous obligent à pren-dre une décision que nous avions espéré retarder le pluslongtemps possible. En effet, comme toute la presse, LaDistinction subit un net fléchissement de ses recettespublicitaires : de nombreuses campagnes ont été annu-lées au dernier moment par nos annonceurs, parfois aumépris de la courtoisie la plus élémentaire.Nous sommes donc contraints de faire passer le prix dunuméro à Frs 3.65, les abonnements restant pour l'ins-tant inchangés. Cette hausse de prix correspond toutefoisà une certaine réalité : doublement du nombre de pages,amélioration très progressive de la qualité d’impressionet, chose rare dans la presse helvétique, engagement denombreux nouveaux collaborateurs compétents.Nous sommes conscients de la gêne que cette augmen-tation occasionnera pour ceux de nos lecteurs qui sé-journent dans des pays à taux de change défavorable,mais le volumineux courrier que nous recevons réguliè-rement, d’outremer et d’ailleurs, nous fait espérer quevous comprendrez l’effort que nous vous demandonsaujourd’hui.

    LA DISTINCTION

    «La prairie de Solalex, notre Grütli

    vaudois, attirera la grande foule bien

    au-delà du Chablais et des Alpes

    vaudoises, pour trois soirées fort éc-

    lectiques. Aux armaillis, aux lutteurs

    à la culotte et aux jodleurs suc-

    céderont des chanteurs et musiciens

    contemporains, avant qu’un grand

    concours de composition pour cor

    des Alpes pose un point d’orgue à la

    fête.»

    Feuille des avis officiels du canton

    de Vaud, 7 décembre 1990

    «Et, responsabilité du secteur so-

    cial oblige, [Pierre Tillmanns] a rap-

    pelé combien il s’intéressait aux

    terrains de l’aéroport de la

    Blécherette pour y élever de l’habi-

    tat.»

    Françoise Cottet, journaliste,

    in 24 Heures, 23 février 1991

    «Octogénaire, deux fois veuf, il fit

    simplement un pas en avant. Il

    s’exulta pour elle, comme on s’émer-

    veille lorsque le mélèze montre sa

    petite pousse rouge.»

    Chanoine Gabriel Pont, naturaliste,

    in Le Matin, 17 février 1991

    «Dire que les tâches ménagères

    d’aujourd’hui, en Occident, sont fas-

    tidieuses, c’est mettre un doigt dans

    l’engrenage qui mène à toutes les

    sortes de professions sauf deux, les-

    quelles sont aussi seules à se pra-

    tiquer le cas échéant sans salaire,

    celle de savant et celle d’artiste.»

    Jérôme Deshusses,

    philosophe philosophant,

    in Construire, 20 mars 1991

    «L’Histoire est-elle décidément une

    science relativement exacte, dont il

    est écrit que les peuples ne doivent

    rien retenir ? Ainsi, dans le contexte

    médiatique entièrement nouveau

    qu’est celui de la guerre du Golfe,

    “too much” menace-t-il de rimer avec

    moche. Et “more” avec mort.»

    Jacques Mauler, polyglotte,

    in Nouvelle Revue de Lausanne

    et du Pays de Vaud, 28 janv.1991

    «Bon, maintenant, parfois, on ne

    sait plus : j’ai vu des spectacles de

    danse incroyables auxquels on ne

    comprend rien. Personne ne bou-

    ge… Alors là, je me dis que tout va

    trop vite et que le temps manque

    pour la réflexion.»

    Pascal Auberson,

    musicien stupéfait,

    in L’Hebdo, 28 février 1991

    Un lecteur de petits journaux

    semi-clandestins nous a fait par-

    venir le morceau suivant :

    «Les grands responsables de dé-

    but de l’engrenage de la désagré-

    gation de notre armée furent, à l’épo-

    que, le Conseiller Fédéral Gnägi

    (paix à ses cendres) et le comman-

    dant de corps Hirschy, à qui je voue

    une haine féroce pour tout le mal

    qu’il m’a fait à cette triste époque.»

    Lieutenant colonel Troyon,

    toujours en forme,

    in Justice et vérité,

    (on n’a pas retrouvé la date…)

    NOMINATIONS POUR LE

    GRAND PRIX DU MAIRE

    DE CHAMPIGNAC

    1991

    Les mystères de laProtection civile

    Défense civile, 1969, p. 40

    Notre dossier en pages 4-5

    “Savoir il faut nos grandshommes connaître”(1)

    ISE en demeure parM. Pierre Keller departiciper au grand

    mouvement d’édification suissedes masses helvétiques, La Dis-tinction démontre que rien dece qui est national ne lui estétranger et inaugure hic et nuncune rubrique dont le titre sus-mentionné résume l’objectifhautement patriotique.

    Aujourd’hui, au programme,deux grands hommes.

    Commençons par la biogra-phie de Gottfried Keller due àla plume de Jeanlouis Cornuz.Et disons-le tout de go : ça faitlongtemps que je n’ai plus luquelque chose d’aussi conster-nant. Une succession de petites

    anecdotes, entrelardées d’ex-traits de correspondance et dediscours, sans fil conducteurautre que la chronologie, sanslien, sans la plus minuscule pro-blématique, tout cela suivi d’unvague résumé des œuvres prin-cipales : même aux temps triom-phants de l’histoire littérairepositiviste, on n’aurait pas osé! Et j’oublie les tics de style… Etje n’insiste pas sur la pédan-terie : Keller ne peut pas sefaire cuire un tout petit œuf auplat à déposer délicatement surdes röstis grillés dans du lardfondu sans que Cornuz y aillede ses «on pense à Rousseauqui…; on pense à Michelet lors-que…; on pense à Hugo quandtout à coup…». Franchement,

    Cornuz aurait mieux fait depenser à ce qu’il écrivait.

    Au suivant.Né à Neuchâtel en 1896, Jean

    Piaget est le fils d’un profes-seur de langue et littératureromane à l’Académie de cetteville. Scolarité à Neuchâtel. A25 ans, il est nommé privat-docent (psychologie de l’enfant)à la faculté des Sciences deGenève, puis à Neuchâtel. A 34ans, il devient professeur d’his-toire de la pensée scientifique,à Genève. Suivent des nomina-tions diverses, puis des invita-tions prestigieuses… Bref, unebelle carrière d’héritier. Que sonbiographe règle en moins dedeux pages. Car ce qui l’inté-resse, c’est le parcours intellec-tuel de Piaget. Il le rend ensuivant le développement de lapensée piagétienne de manièregénétique, sans en méconnaî-tre les points d’applicationmoins connus –la passion pourla conchyologie, par exemple…–, notant les filiations admiseset marquant les influences pos-sibles. Tout cela est certaine-ment passionnant, mais le lec-teur est rapidement confrontéà un problème : le côté parfoistrès technique de certains cha-pitres. Certes, il n’y a aucuneraison pour que l’intelligencegénético-psychologique soitplus instantanée que d’autres.En y mettant le prix, je suis sûrque j’aurais savouré les méan-dres d’une pensée subtile. Maisle prix m’a paru un brin exces-sif : j’ai donc allègrement sautéun certain nombre de pages…

    A. C.

    Jeanlouis Cornuz

    Gottfried Keller,

    Favre, 1990, 286 p., Frs 38.–

    Jean-Jacques Ducret

    Jean Piaget

    Biographie et parcours intellectuel

    Delachaux & Niestlé, 1990,

    64 p., Frs 36.–

    (1) Propos attribués à M. Jean-Pas-cal Delamuraz par un journalistesignant G.S. (24 Heures d’il y aquelques jours). Mais G.S. sait-ilraison garder et confiance inspi-rer ?

    Jean Piaget à la montagne dans les années trente,

    alors qu'il commençait à travailler sur les Aventures des Schtroumpfs

    MM

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  • 2 — LA DISTINCTION AVRIL 1991

    J’ai toujours eu de la peine àm’attacher durablement à unerevue. Et encore plus à unerevue littéraire. L’enflure (ver-bale et intellectuelle) s’y trouveplus facilement que la finesse.Les tics d’écriture y deviennentvite des travers et le copinagetient le plus souvent lieu decritère de sélection…

    Il m’est pourtant plus d’unefois arrivé de saisir, chez monlibraire favori, un exemplairede [vwa] et de l’emporter pourune lecture intime. Après deuxou trois numéros acquis isolé-ment, j’en suis presque àm’abonner. Qu’est-ce qui m’afait changer d’avis, au-delà deconnivences purement géogra-phiques (1) ?

    Il me semble que les [vwa],comme ils se désignent eux-mê-mes ont réussi à réunir les élé-ments constitutifs d’une chosequ’on aurait pu croire disparueavec les échecs des communau-tés post-soixantehuitardes : unebohème littéraire.

    Tout d’abord une domicilia-tion exotique. Je ne veuxévidemment pas souligner lefait que les [vwa] habitent LaChaux-de-Fonds (il faut habi-ter Lausanne ou Genève pourcroire que rien ne pousse à cettealtitude) mais bien de la rue del’Hôtel-de-Ville, où ils logent. Ilfaut l’avoir parcourue quelque-fois, le soir à la mi-mars, pouren sentir la dimension mythi-que : encaissée, trottoirs ban-cals, bistrots presque borgnes,circulation trop forte, et dou-bles fenêtres qui font des faça-des plates…

    Ensuite, un goût prononcépour les boissons alcoolisées,au détriment du pétard «convi-vial» que de trop nombreux créa-teurs autoproclamés se croientobligés d’allumer chaque foisqu’ils se retrouvent. Tout lemonde sait qu’à part des rica-nements sporadiques plutôtniais, des regards de poissonvieux et un abrutissement gé-néral, rien ne sort de la petitefumée. La bouteille, au moins,peut rendre méchant ou,mieux,visionnaire.

    A ces qualités, finalement as-sez partagées, les [vwa] appor-tent quelques choses de plus.Angoisse devant ce que leurexistence même a engendré :invendus, contrats, notes d’im-primeur, dettes… Incompré-hension du grand public, doncressentiment, mais soulage-

    ment dans un isolement qui estaussi un peu confortable… Dou-tes sur ce qu’ils font, tempéréspar quelques sédatives subven-tions (2)… Goût du bizarre, dufarfelu ou du scandale, pimentépar le retour périodique chezeux (3)… Existence d’un père-modèle, dont on peut évidem-ment penser ce que l’on veut :Yves Velan, néo-romancier ja-dis fameux, mais aujourd’huidiscret… Conscience claire dela distance qui les (qui nous)sépare de Paris et des miroirsaux alouettes germanopratins.

    Ainsi constituée, [vwa] publiedeux numéros par an, on ytrouve du bon, du très bon(comme le numéro du prin-temps 1990, réalisé collective-ment autour du Jeu de [vwa],comportant un plateau de jeu,un dé et des pions à faire soi-même et une redoutable «par-tie encyclopédique») ou du plusdifficile, mais rien qui laisseindifférent.

    Dans une Suisse romande lit-téraire qui oscille entre le réal-ruralisme cafardeux à la qui-vous-savez et le syndromeHebdo-Poussepin (hors-de-Pa-ris-point-de-salut), voici lapreuve qu’une mise en communénergique des esprits peutchanger un paysage culturel.Etonnant, non (4) ?

    J.-C. B.

    [vwa]

    N°13, printemps 1991,

    179 p., Frs 24.–

    (1) Ben oui, c’est une revue de LaChaux-de-Fonds. J’ai passé là-haut un peu plus que mon en-fance : ça marque, mais ça ne tuepas.

    (2) [vwa] a réussi à réunir un en-semble assez curieux de sponsorsétatiques et privés, qui, ma foi,tient toujours…

    (3) Chez les flics, of course…(4) Après avoir été brièvement sou-

    mis à la tentation, je vous ai épar-gné tous les jeux de mots qu’il estpossible de faire avec [vwa].

    Entre la théorie de la relativitéet la vache qui broute dans saprairie, y a-t-il un point com-mun ? Je vous aide : ça se dé-place, c’est long, constitué deplusieurs parties reliées entreelles et c’est aussi un jeu pourpetits et grands... Mais je vousen prie, réfléchissez à loisir... jen’ai pas d’avion à prendre !

    Le train, mieux que l’horloge,ponctue nos journées. C’est luiqui renseigne le mieux sur lerapport qu’une société entre-tient avec le temps : ponctua-lité helvétique (sauf en cas d’in-terventions divines mal placées,se manifestant en général sousla forme de chute de neige),désinvolture latine (ah, la sacro-sainte sieste... que beaucoupd’entre nous leur envient), non-chalance africaine (on saitquand on part, mais jamaisquand on arrivera)... Mais si,dans la pratique, nous avonsadopté ces petits engins enva-hissants qui s’appellent desmontres, c’est bien par confort :essayez une fois de porter untrain à votre poignet...

    Les journalistes sont degrands voyageurs... Ils passentbeaucoup de temps dans diversmoyens de transport; lors deleurs reportages, ils se dépla-cent pour mener l’enquête. Quoide plus normal que de consa-crer un ouvrage à un de cesvéhicules, au train enl’occurence, dans lequel on restesuffisamment longtemps pourpouvoir observer sans con-trainte un si vivant microcosme? Excentricités, distance, dé-

    placement, lecture, discussions,repas ou boisson... autant dethèmes sur lesquels Eric Leh-mann s’est arrêté au fil de peti-tes chroniques restituant à mer-veille la saveur de chaque si-tuation. Entre réflexions et ap-profondissements se mêlent debrefs récits de voyages, là-basau loin où tout est si différent:les trains bondés en Inde, oùhommes et bagages s’entassentjusque sur les toits... Ailleurs,cet homme, tombé du wagon etqui, cherché par les autres pas-sagers, est enfin ramené, com-plètement ensanglanté.

    Idiomes et cocasseries

    Par une simple interrogationd’habitudes banales et quoti-diennes, et par le biais de re-marques incisives, Eric Leh-mann nous conte le train demanière insolite. Sans jamaisentrer dans un discours histo-rique ou technique (qui s’inté-resse à savoir qu’un des der-niers chemins de fer suisses àvoie étroite est celui qui relie LeLocle aux Brenets ?), il s’entient à esquisser une analysequi tient en même temps dujournalisme et de la sociologie.Mêlant humour et ironie, cesrécits sont imprégnés du ryth-me saccadé du roulement dutrain sur les rails. Au détourdes pages, des situations par-fois cocasses sont relatées. Ima-ginez-vous, par exemple, tran-quillement assis. Non loin devous, «un soldat attend devantla porte désespérément closedes WC. Seul son visage, un

    Notre feuilleton :

    Les apocryphes

    Dans ce numéro, nous insérons la critique

    entière ou la simple mention d'un livre,

    voire d'un auteur, qui n'existe pas, pas du

    tout ou pas encore.

    Celui ou celle qui découvre l'imposture gagne un splendide

    abonnement gratuit à La Distinction et le droit imprescriptible

    d'écrire la critique suivante. L'ouvrage de l'historien tessinois

    Marco Marcacci, Una familia sconsiderati, était une imposture,

    même si les lecteurs avides d'une traduction française ont été

    nombreux…

    Littérature romandeLittérature romandeLes revues méconnuesLes revues méconnues

    Venue d’ailleurs,une revue à déguster

    brin crispé, laisse transparaî-tre son impatience. L’ouverturede la porte ne peut que susciterle soulagement tant attendu...Mais tout son corps n’exprimeque surprise et c’est sans mots,interloqué, qu’il regarde un cou-ple sortir, désinvolte, une lueurgourmande au fond des yeux.»

    Au fil des paysages qui défi-lent, d’autres surprises nous at-tendent. Outre l’origine d’uncertain nombre d’expressionsse rapportant au chemin de fer(«remettre sur les rails» : enmusique, se dit d’une conver-sion au rock maghrébin), onapprend aussi qu’il ne faudraitjamais parler de «l’arrière-traind’un boute-en-train» : l’expres-sion est pléonastique... et, detoute manière, sans intérêtaucun. Quant à «train d’enfer»,la richesse de la langue fran-çaise, en dépit de réformes del’orthographe, et une propen-sion à tout moderniser nouspermettent de parler plus sim-plement de TGV.

    Chroniques ferroviaires auraitpu s’appeler aussi Le train-trainhelvétique... Sans entrer dansle détail des tunnels-abris P.C.

    et autres particularités folklo-riques suisses, Eric Lehmanndresse également un tableaucoloré de notre pays. Il estd’ailleurs révélateur que la pré-face de ce livre ait été rédigéepar Claude Roux, directeur gé-néral des CFF, lequel ne mâchepas ses mots : il constate eneffet que, comble de bonheur,«en Suisse, les CFF semblenttout aussi confortables que lesSBB, et même que les FFS», cequi est tout de même rassu-rant... S. R.

    Eric Lehmann

    Chroniques ferroviaires

    L’Age d’Homme, 1990,

    152 p., Frs 28.30

    La vacheet le journaliste

    Le cas Karl KrausAphoriste et viennoisAphoriste et viennois

    Les écrivains autrichiens du dé-but du siècle aimaient les apho-rismes : Arthur Schnitzler,Hugo von Hofmannsthal et KarlKraus restent parmi les plusconnus, mais pas nécessaire-ment les plus lus. Pourtant, ences périodes de logorrhée im-primée, l’aphorisme est ungenre à redécouvrir. Véritablemaïeutique, dans sa forme sou-vent concise et toujours épurée,il provoque l’esprit et favorisela méditation.

    Provocateurs, les vrais fauxaphorismes de Karl Kraus lesont sans conteste. Faux, parceque l’auteur n’a pas consignéau jour le jour ses idées, sespensées, ses impressions, maisparce qu’il a extrait de ses écrits

    antérieurs les formulations quiexpriment avec le plus de jus-tesse et d’acuité la quintessencede sa pensée.

    Pamphlétaire de génie, KarlKraus, né en 1874, débuta àvingt ans comme journaliste,après avoir tenté, en vain, dedevenir acteur. Engagé à laNeue Freie Presse (Marx y futcorrespondant à Londres), il n’yresta que deux ans avant defonder sa propre revue, Die Fac-kel (le Flambeau), dont il as-sura pratiquement seul la pu-blication jusqu’à sa mort, en1936. Une œuvre monumenta-le, un anti-journal de 30.000pages réunies en 922 numéros,où se côtoient la polémique, l’hu-mour, la satire et un brin

    d’amertume. A l’informationqu’il qualifie de futile, Kraus enrédacteur-philosophe préférerala formulation vitale et stimu-lante. Des pages caustiques, lu-cides et désabusées. Prévoyantles développements du nazisme,il écrivit en 1933, Die DritteWalpurgisnacht publiée en1952 !

    Témoin de la décadence del’empire autrichien, de la mon-tée du nazisme, Kraus pour-fend tout, sans exception. Parmiles quelque six cents pagesd’aphorismes que comportentles trois recueils, voici un choixdont l’arbitraire est incontesta-ble mais nécessaire, car seulKraus sait dire Kraus : «Ne pasavoir de pensée et pouvoir l’ex-primer - voilà qui fait le jour-naliste.», «La morale chrétienneaime par-dessus tout que le cha-grin précède la volupté, et quecelle-ci, ensuite, ne suive pas.»,«Avec des femmes, je poursuisvolontiers un monologue. Maisle dialogue avec moi-même estplus stimulant.», «Dans le dic-tionnaire, on lit que “Vénus”désigne la déesse de l’amour ouun mollusque.», «La vie est uneffort qui mériterait unemeilleure cause.», «On ne vitpas même une fois.»

    «Le philosophe (écrivait Hof-mannsthal) a une bonne posi-tion dans une période grandiosecomme dans une période misé-rable; il se détachera de l’une etde l’autre. Mais une époque quis’annule elle-même l’annuleralui aussi.» Kraus avait sa placeet ses lecteurs en ces époques

    agitées. Quant à nous, soyonsrassurés, il nous reste BHL. Ace propos, avez-vous remarquezque «Paraître a plus de lettresqu’être.» ?

    Longtemps négligé, Kraus aété fort peu traduit, aussi faut-il profiter des quelques pagesenfin accessibles aux lecteursde langue française Les recueilsd’aphorismes peuvent être lameilleure introduction à sonœuvre, comme l’écrit sontraducteur Roger Lewinter :«lemot, constamment mis en jeu, yaccède à son sens, originel etultime : d’élucider la vie.» (3)

    M. T.

    Karl Kraus

    La Littérature démolie

    précédé d’un essai de Elias Canetti

    Rivages, 1990, 164 p., Frs 15.20

    Cette grande époque

    précédé d’un essai de W. Benjamin

    Rivages, 1990, 219 p., Frs 18.30

    Dits et Contredits

    Lebovici, 1986, 198 p., Frs 24.70

    Pro Domo et Mundo

    Lebovici, 1985, 144 p., Frs 24.00

    La Nuit Venue

    Lebovici, 1986, 183 p., Frs 27.80

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  • AVRIL 1991 LA DISTINCTION — 3

    Mais qui pourra me dire où donc se trouve le milieu de l'Europe centrale ?Mais qui pourra me dire où donc se trouve le milieu de l'Europe centrale ?

    L’Est, du Nord au Sud…

    A-T-ON débaptiser laplace Rouge à Moscou,comme l’air du temps

    le suggère ? Ce serait sans fon-dement, car –qui donc le sait ?–elle s’appelle ainsi depuis leXVIIe siècle, de plus krasnaïasignifie ici plutôt belle querouge. Tout fout le camp, mêmele sens des mots (1) !

    Des exemples comme ça, vousen trouverez à foison dans legros ouvrage collectif, préfacépar Le Goff, consacré aux méta-morphoses de la mémoire enEurope de l’Est, lors de ces der-nières années. S’inspirant desinventaires bigarrés de PierreNora sur «les lieux où s’est for-mée la conscience commune desFrançais», les auteurs relatentles combats acharnés, les sur-gissements inattendus et, il fautle dire, certains errements desdifférentes mémoires accompa-gnant la liquéfaction du dis-cours unique. Un bien beau li-vre, quoiqu’un peu cher.

    Il y a, immédiat et facile, lesouvenir du kitsch socialiste. Ala Prévert : le culte de Lénine,véritable religion mortifère re-levant du paganisme taxider-mique; le musée de la police àPrague, un de ces nombreuxconservatoires sans visiteurs;la villa-mémorial de Tito dansla périphérie résidentielle deBelgrade; l’antifascisme, à lafois doctrine d’Etat et semi-amnésie, de la République dé-mocratique allemande. Toutcela ressemble bien à un inven-taire avant liquidation.

    Un autre kitsch, souvent sy-métrique : les ruines de ma-noirs polonais, cultivées commedernier symbole de la noblesselocale; l’exhumation-réinhuma-

    tion d’Imre Nagy, véritable ca-tharsis collective hongroise; lasurréaliste querelle du blasonhongrois, qui vit le Parti pro-poser le rétablissement de lacouronne; les batailles homé-riques sur les dates identitaires;les exégèses philatéliques surles timbres de la poste clandes-tine de Solidarnosc, commémo-rant une Pologne mythique. Onpeut vite glisser de là à la mani-pulation des «traditions» : desproblèmes d’identité et de dé-veloppement bien antérieurs aucommunisme ne sont plus lusqu’en termes de conflits com-munautaires et c’est la mémoirevendettiste qui s’impose, voyezla marmite balkanique. La cé-lébration institutionnaliséed’une mémoire se fait souventau détriment d’une autre : Vil-nius était une ville polono-yid-dish et ne comptait qu’environ1 % de lithuanophones dans lesannées trente, mais qui veuts’en souvenir ?

    Il y a aussi la mémoire desvictimes, le ressentiment deceux qui ont si longtemps subila botte mais n’en pensent pasmoins, qui, tels le soldat Chveïk,ont longtemps joué les niaismais n’ont rien oublié (2). Etpuis, puisque ce fut là-bas, il ya la mémoire de l’atroce : «Mononcle est mort à Auschwitz.J’étais jalouse de ma cousinecar mon père est mort à Katyn.Elle pouvait y aller, moi jen’avais aucune tombe.» dit unejeune Polonaise en route pourla forêt de Katyn 45 ans après.Significativement, le livre setermine sur un très minutieuxarticle décrivant le «camp-mu-sée» d’Auschwitz, où 29000brosses à vêtements ont été clas-sées et répertoriées (3). Le camp

    d’extermination, devenu un lieudu «sacré consensuel», fut dis-puté entre l’Etat communiste(ne comptant les morts que parnationalités) et la bureaucratiepapiste (ne craignant pas detransformer la Kommandanturen église).

    Toponymie, héraldique, sta-tuaire, philatélie, numismati-que, muséologie, hymnologie,on se croit revenu à l’âge farou-che des sciences primitives del’histoire. N’y manque que lagénéalogie : l’Almanach de Go-tha (ex-RDA), dont la publica-tion fut interrompue en 1945après deux siècles de loyauxservices, va-t-il reprendre saparution ? C. S.

    A l’Est, la mémoire retrouvée

    La Découverte, avril 1990,

    565 p., Frs 73.10

    (1) De la même eau : comment re-baptiser Kirovograd (stalinoïdeassassiné en 1934) ? AutrefoisZinovievsk, et avant Elisavetgrad:bolchévisme ou tsarisme ?

    (2) Et en Occident, que donnerait(donnera ?) une telle explosion dela parole de ceux qu’on n’inter-roge jamais ?

    (3) Autre douloureux paradoxe : lemusée-cimetière juif de Prague,lieu émouvant entre tous, fut con-servé et restauré par les nazis,pour le «Musée d’une race éteinte».

    Moscou : la Loubianka

    Le siège de la mémoire

    UR tous ceux qui coura-tent et blablatent au-jourd’hui à travers l’Eu-

    rope de l’Est, Timothy GartonAsh possède un avantage déci-sif : il en parlait avec lucidité ily a dix ans déjà. Les diverstextes de cet historien oxfordientraduits l’an passé en françaisont été publiés à partir de 1983déjà dans des revues comme,excusez du peu, The Times Li-terary Supplement ou The NewYork Review of Books.

    Ce recueil présente croquisde voyages, notes de séminai-res clandestins, récits vécus deschambardements de l’année1989, essais (sur Brecht, poèteet crapule, ou sur les films Hei-mat et Shoah, comparaison peuconvaincante) et tentatives deconceptualisation («ottomani-sation» pour parler du coupleémancipation/décadence dansl’ex-empire soviétique, ou –plusbaroque– «refolution» pour dé-signer les évolutions mêlées deréforme et de révolution). Sesanalyses ont dans l’ensembleassez bien tenu la route, même

    si on peut trouver par-ci par-làdes phrases com-me«L’Allemagne de l’Est est lepilier le plus solide de tout l’em-pire soviétique. Elle est ce quel’Europe de l’Est a pu produirede mieux comme Etat-Parti lé-niniste qui fonctionne.» Mais,il les republie, lui.

    C’est surtout pour sa compré-hension, apparemment parti-cipante, de la genèse des oppo-sitions en Europe de l’Est cesdix dernières années qu’on liraGarton Ash avec profit. Pre-nant les paroles des opposantsau sérieux, il lit et commenteles constructions conceptuellesdes Michnik, Havel et autresKonrad : morale, non-violence,auto-limitation des revendica-tions, droits de l’homme, ap-partenance à l’Europe (centra-le), primat de la société civile,libertés culturelles et artisti-ques. Il s’agit de pur idéalisme–qui s'est avéré opérant au pointd’amener les gens au pouvoir–,avec une négligence assuméepour les raisonnements pure-ment économiques ou sociolo-

    giques. Le tout agrémenté dubrin de scepticisme qui évite lesdésespoirs et les abandons,mais qui laisse un peu pantoisdevant la trajectoire des indivi-dus :«Pendant le plus clair de ladécennie, la plupart des obser-vateurs eussent affirmé que jesoutenais un perdant tandis queles responsables politiques occi-dentaux qui courtisaient assi-dûment et exclusivement les par-tis communistes au pouvoirépaulaient, en apparence, lesgagnants».

    Logiquement, l'auteur cher-che à expliquer le rôle, pournous démesuré, qu’ont joué lesécrivains, tel le dramaturge-président de Prague. S’agit-ild’un facette du caractère globa-lement «vieillot» de l’Europe del’Est ou, partie de l’ensemble,de la «confirmation de la valeurde ce que nous possédons déjà,des vieilles vérités et des modè-les éprouvés, des fondements dela démocratie libérale» ? La pre-mière hypothèse étant dé-primante et la deuxième sen-tant par trop son libéral-satis-

    fait-agaçant, on voudra croireque parfois les intellectuels peu-vent servir à quelque chose.

    Reste une question pour lesannées à venir : les principesinvoqués vont-ils résister àl’épreuve du pouvoir oun’étaient-ils que des «usages del’adversité», selon la belle for-mule de l’auteur ? Un signe : laTchécoslovaquie, apprenait-onen janvier, freine son program-me de reconversion de son in-dustrie militaire (250 000 sala-riés, surtout en Slovaquie) etentend relancer ses exporta-tions d’armes… C. S.

    Timothy Garton Ash

    La chaudière

    Europe centrale 1980-1990

    Gallimard, 1990, 441 p., Frs 49.–

    VIDEMMENT, tous leséditeurs cherchentdésespérément the spé-

    cialiste de l’Europe de l’Est (1)qui leur permettra de répondreà la très pressante demande dugranpublic. Après avoir été gavéd’images pas toujours très net-tes (dans tous les sens du terme,surtout lorsqu’elles venaient deRoumanie), le granpublic veutlire. Ou peut-être que le gran-public veut simplement avoirdans sa bibliothèque, à côté deBetty Bossi et des somptueusesreliures des éditions du Rea-ders’ Digest, de quoi montrerque, mais oui, on lit, ici (2).

    Quoiqu’il en soit, ça urge, çademande, et on peut dès lorsêtre assuré qu’on va trouver,indistinctement proposés à l’in-nocent acheteur, le meilleurcomme le pire. C’est exactementce qui m’est arrivé: en faisantconfiance à un distingué spé-cialiste, j’ai acquis un précieuxouvrage de Jacques Rupnik; etune libraire parisienne m’afourgué une abominable crotteaméricanoïde.

    Rupnik est tchèque et «l’autreEurope», il l’a vécue avant de laconnaître. Son ouvrage abordeles pays de l’ex-glacis soviéti-que sous différents angles : his-toire, sociologie, psychologie desmasses, le plus souvent avecclarté et aisance. Il montre enparticulier comment l’Europede l’Est, après 1945, s’est cons-truite en complète rupture avectoute son histoire : c’est à direvide d’Allemands. On a en effetsouvent tendance à oublier queles populations germanophonesimplantées dans les territoiresactuels de la Tchécoslovaquie,de la Russie occidentale, de laPologne ont été simplement dé-portées à l’ouest à la fin de laguerre. Accords explicites en-tre Tchèques et Soviétiquesdans le cas des Sudètes, fuitedevant l’avance russe en ce quiconcerne Dantzig et la PrusseOrientale : en quelques mois,plus d’Allemands. Bon, on neva pas trop les plaindre, ils n’ontété que déportés, n’est-ce pas,les méchants Russes n’ont pascherché une quelconque solu-tion pour en finir avec eux…Etvoici donc une Europe de l’Estavec une population et une cul-ture définitivement changées –on notera que ce sont les Alle-mands qui ont donné ici le coupd’envoi en cherchant finalementune solution pour la culture etla population juive européen-ne (3).

    Autre point fort, chez Rupnik,outre les détails sur le divorceentre gouvernants et gouver-nés, le flicage systématique desquelques opposants, le rôle desintellectuels et des étudiantsqui, comme au XIXe siècle, ontété les principaux résistants.Parmi ces rares contestataires,on découvre une forte mouvanceécologiste. L’Europe de l’Est aici une sensibilité semblable àcelle de l’ex-RFA. On me per-mettra de regretter que les si-militudes n’en soient pas res-tées là et que, toute entière oupresque, la Mitteleuropa aitsans hésitations embrassé l’éco-nomie de marché. Mais peut-être y aura-t-il un moment oùon se rendra compte là-basqu’en général, c’est plutôt l’éco-nomie de marché qui trop em-brasse et finit par baiser.

    Quelques bémols pourtant autableau d’ensemble. D’une partparce que c’est un tableau d’en-semble. A part avoir vécu sousdes régimes politiques «sem-

    blables» (et encore, on pourraits’interroger là dessus: est-ce queGomulka, Kadar, Ceaucescu etTito sont interchangeables ?)Quels sont les points communsPolonais, Bulgares, Hongrois,Tchèques et Slovaques ? La ten-tative d’explication globale estbrave, mais elle bute sur lesmêmes limites qu’un essai quitenterait de cerner les régimesdémocratiques d’Europe Occi-dentale, du Cap Nord à Malte…

    Autre point délicat, Rupnikaffirme sans autre forme deprocès que l’Europe occupée parles nazis n’était pas antisémite.Les bras m’en tombent ! Et lesoustachis d’Ante Pavelic ? Etles SS ukrainiens ? Et les Polo-nais indifférents ou complices ?Et les flics français collabos zé-lés ? Et les Hongrois massa-creurs d’enfants ? Je veux bienadmettre quelques (rares, hé-las) exceptions, mais tout demême, ce n’est pas parce quel’Allemagne assume (plus oumoins bien) le poids de ses fau-tes qu’il faut se décharger surelle des horreurs que l’antisé-mitisme européen généralisé apermises entre 1940 et 1945 (4).

    Mais, enfin, comme ce sont làles deux seuls reproches quel’on peut faire à Rupnik, le dis-tingué lecteur aura compris queça vaut plutôt la peine de l’ache-ter.

    La crétinade américanoïdeavait pourtant dès l’abord untitre peu engageant. J’auraisdû me méfier. Les sociétés del’Est sont-elles vraiment «en-tre Dieu et Marx» ? De plus, lesindications biographiques lais-sent planer un doute sur lescompétences de l’auteur: la qua-trième de couverture nous diten haut qu’il «sillonne l’Europede l’Est depuis près de dix ans…»mazette ! Mais, en bas, légèrerectification: Echikson devient«correspondant de presse enEurope depuis près de dix ans.»Bon, la différence est de taille.A l’intérieur, on découvre quele sillonneur réside à Paris, cequi est, bien entendu, lemeilleur endroit pour avoir unpoint de vue central sur la Po-logne, la RDA, la Bulgarie etd’autres contrées orientales Onapprend enfin qu’il a «passé cescinq dernière années à voyageren Europe de l’Est». Bon, engros, c’est un touriste améri-cain disposant de gros moyensfinanciers, mais il est difficilede le prendre pour un spécia-liste de quoi que ce soit (5).

    Par contre, il a vu des gens, unpeu partout, et ça donne destrucs du genre : je mangeais-justement-avec-Dienstbier-lorsque-Vaclav-est-entré. Bon,vous reproduisez ça en chan-geant les personnages pour laPologne, la Hongrie, etc… etvous avez une idée de la ma-nière dont Echikson travaille.Son bouquin, superficiel, cèdechaque fois qu’il le peut auspectaculaire et au «vécu» et ilest, de plus, abominablementtraduit (6).

    Mais, regardez bien la photod’Echikson. Mais oui, ça y est,vous le reconnaissez, c’est lui !C’est cet étudiant amerlock plu-tôt niais, aux jeans trop courtssur des godasses informes, quiétait dans la classe parallèle, àla suite d’un programmed’échange avec l’AFS et dont laseule qualité intellectuelle étaitsa précision (et sa taille) aubasket. Si les analystes du pré-sident Bouche sont aussi ferréssur le Proche-Orient que l’estce Zétazunizien-ci sur l’Europe

    de l’est, ça promet…J.-C. B.

    Jacques Rupnik

    L’autre Europe

    Crise et fin du communisme.

    Odile Jacob, 1990, 384 p., Frs 43.00

    William Echikson

    Entre Dieu et Marx

    Les sociétés de l’Est

    First, 1990, 322 p., Frs 49.00

    (1) Apparemment on commence àdire «Europe centrale»: j’ai un peude peine à me défaire de meshabitudes géographiques. Etvous, vous savez exactement com-ment s’appellent aujourd’hui laBirmanie et la Haute-Volta (oùl’on ne fabrique plus d’électri-cité) ?

    (2) On notera, dans la série «cho-quons belle-maman, tout en res-tant digne», la publication du pè-re du hard-core technologique,Sade, dans la bibliothèque de laPléïade : «Oh ! Jean-Christophe !Vous lisez ça ?!?» (C’est même plusvrai…)

    (3) Le témoignage de Marion GräfinDönhoff, journaliste de pointe, etAllemande, acceptant de revenirsur les terres de ses ancêtres jün-kers tout près de Kaliningrad, ex-Königsberg, montre qu’une im-mense rocade de populations a eulieu entre 1945 et 1949, des Rus-ses, des Polonais, des Ukrainiensprenant la place des Allemandspartis ou chassés. La GräfinDönhoff n’a pas rencontré un seulgermanophone à Kaliningrad.

    (4) Et je n’ai même pas envie deparler de l’attitude des autoritéssuisses, tellement elle me dé-goûte…

    (5) Après lecture, je me suis de-mandé avec angoisse ce que don-nerait un Echikson sur l’Europede l’ouest… Terrifiante perspec-tive.

    (6) On a ainsi droit à un «titoïsme».Créatif, non ?

    EE

    VV

    SSLes idées à l’épreuve

  • 4 — LA DISTINCTION AVRIL 1991

    De notre envoyé spécial aux abrisDe notre envoyé spécial aux abris

    ERCREDI 8h. Les 12hommes convoquésdescendent en grom-

    melant dans les abris du nou-veau théâtre. Des photos grandformat de femmes nues tout enseins et en fesses décorent ri-chement le vestibule. Les pho-tos d’hommes en érection at-tendent peut-être sagementdans une boîte scellée le jour oùnos compagnes, lors du passaged’un nuage radioactif que lesautorités n’auront pas réussi àgarder secret, seront enfin con-viées dans les abris longuementbichonnés par leurs hommes.L’administrateur de l’office in-tercommunal de protection ci-vile responsable de cet exerciceest absent; sa femme nous priede l’excuser: il a dû se rendre àun congrès, peut-être sur lescatastrophes, apparemment encatastrophe. Elle-même, qui faitcontraste avec les poupées duvestibule qui gigotent encoreun peu dans nos imaginations,le remplacera, aidée au piedlevé – il a été averti deux joursauparavant – par le responsa-ble des abris de la commune.

    Celui-ci, un pied dans le plâtre,se déplace péniblement avecdeux béquilles. Le comptablepasse sans plus attendre auxchoses sérieuses: il récolte leslivrets jaunes, menace de va-gues sanctions ceux qui l’aurontencore oublié le lendemain,prend les inscriptions au repasde midi, puis s’en va. Le res-ponsable des abris salue lesparticipants et exprime sa con-viction que le travail sera effec-tué dans une ambiance posi-tive. Il rappelle aux improbablessceptiques que les abris sontune nécessité dans une régionqui fait partie de la deuxièmezone de contamination de lacentrale nucléaire deMühleberg et qui abrite l’usinede Prochimie, véritable bombechimique à retardement… etque de toute façon, utiles oupas, il s’agit d’une loi fédéraleet il n’y a pas à discuter. Je faistout de même remarquer quedepuis la première fois où j’aiété convoqué à la protection ci-vile, l’ennemi s’est considéra-blement rapproché et s’est pourainsi dire intériorisé. Comme

    nous n’avons pas de temps àperdre, la suite le prouvera,nous n’entrons pas dans un dé-bat théorique. On nous annonceque la journée sera consacrée àpasser l’aspirateur dans les di-vers locaux de la PC puis àimprégner les sols avec un pro-duit qui devrait empêcher lebéton de s’en aller en poussière,ce qui, on en conviendra estd’assez mauvais goût, de la partdu matériau chargé de tous nosespoirs de survie. Auparavantnous sommes invités à nous ren-dre dans un autre abri, à 200mètres, pour toucher les habitsdits de travail. Derrière unetable posée en guise de comp-toir, le responsable s’enquiertpoliment de nos tailles pour lesvestes et les pantalons. Aucundes participants n’a la moindreidée sur le sujet. Chacun vadonc essayer de trouver ce quilui convient au rayon. Hélas, sicette méthode empirique réus-sit pour les vestes, elle ne con-tribue qu’à mélanger tous lespantalons. Nous sommes con-damnés à essayer de déchiffrerles indications de leurs éti-

    quettes. Au bout d’un quartd’heure, nous nous avouonsvaincus: le pantalon personna-lisé n’existe pas; résignés, nousdevons choisir entre la taille etla longueur. Affublés de vête-ments flambant neufs ou troplarges ou trop longs, nous re-tournons au premier abri où leresponsable, qui a été offrir unbain de soleil aux orteils dépas-sant de son plâtre, finit parnous rejoindre péniblement. Ilforme des groupes de trois per-sonnes pour le nettoyage desabris. Mais il constate que c’estl’heure de la pause et nous in-vite à nous rendre d’abord aucafé.

    Pause-café

    Vers 9h45, les groupes se ren-dent aux abris. Avec mes deuxco-équipiers je descends dansdans celui du collège de la Cure,le plus ancien de la commune.La première partie du travailconsiste à chercher un aspira-teur. Une des chambres sert deréserve de chaises. Une autrede dépôt de caisses de boissons.Nous décidons à la majorité destrois tiers de ne pas y toucher.Les deux autres sont occupéespar des lits. Nous nous posonsla question fondamentale de sa-voir s’il est nécessaire de lesdémonter pour nettoyer soi-gneusement le sol. Un respon-sable déniché en moins d’unquart d’heure, un exploit, s’ex-clame horrifié qu’il n’est pasquestion de toucher à la dispo-sition immuable des lits. Pen-dant que l’un de nous passel’aspirateur consciencieuse-ment, les deux autres regar-dent pensivement les jointscraquelés et les poignéesrouillées des portes de l’abri. Letravail est terminé avant 11h30.Il est temps de ramener l’aspi-rateur au concierge et de nousrendre à l’apéritif. Après unrepas bien arrosé, mes deux co-équipiers passeront toutl’après-midi à slalomer entreles lits pour imprégner le sol etstabiliser les couloirs pour undébut d’éternité.

    Repos

    Le deuxième jour, nous som-mes envoyés dans une ancienneusine de pierres fines recycléecomme local des pompiers, ca-serne militaire, entrepôt de lacommune et garage de la pro-tection civile. Il y a quelquessemaines, le feu a pris tout seuldans les combles de ce bâti-ment essentiel pour la défensedu pays. Les quelques pompiersqui n’étaient pas en promenade

    MM

    Jours tranquilles à la protection civile

    ce bel après-midi de dimancheensoleillé ont été avertis partéléphone, le toit ayant entraînédans sa chute la sirène quiaurait dû les alerter. Des bâ-ches de plastique protègent lereste du bâtiment et les enquê-teurs civils et militaires qui pré-parent le terrain pour lesconflits sans merci qui oppo-seront les assurances.

    Les barbelés et les canons quiprotègent la zone militaire of-frent aux touristes, nombreuxdans notre localité, un intéres-sant contraste avec les barriè-res en croisillons blancs et lesnains de jardins qui défendentles villas des alentours. Grâceau superbe insigne qui orne no-tre veste, triangle bleu inscritdans un carré orange, nous pou-vons pénétrer dans la zone mili-taire sans problème. En pas-sant sous la barrière rouge etblanche que la sentinelle sou-lève un peu, on se sent fier,malgré un uniforme qui n’estofficiellement qu’un habit de tra-vail, d’être associé à la grandetâche de préservation des va-leurs de la Suisse éternelle. Desrecrues dorment sur la pelouseau pied du drapeau suisse, lui-même parfaitement détendu.

    Nous sommes chargés de nousoccuper des réservoirs d’eau encaoutchouc entreposés dans ungarage. Mes deux co-équipiers,à qui l’appartenance à la com-munauté suisse alémaniquepermet moralement de pren-dre des initiatives en l’absenced’ordre précis et de travailleren l’absence de programme,vont lutter pendant deux jours,malgré l’oisiveté militaire en-vironnante, pour rendre les sacsà eau utilisables. D’entrée, ilsconstatent un total et fâcheuxmanque d’outils. Je suis doncdépêché à pied à l’autre bout dela ville auprès du plombier lo-cal afin de lui emprunter unepince plate et deux pinces àtuyaux. Pendant mon absence,mes co-équipiers ont constatéavec amertume qu’il manquaitdes joints pour fixer les robi-nets suisses aux sacs fabriquésen France. N’utiliser que desproduits suisses coûterait tropcher, nous expliquera-t-on. Jesuis envoyé pour alerter les res-ponsables qui téléphonerontavant midi pour réclamer d’ur-gence des joints au représen-tant d’une usine suisse-alle-mande.

    Au caféMes co-équipiers passent le

    début de l’après-midi à débal-ler et aligner les robinets surune grande table. Comme mon

    oisiveté porte atteinte à leurconception de la dignité hu-maine et qu’un tas de sacs pliéset entassés n’importe commentporte atteinte à leur conceptionrespectivement de la survie ducaoutchouc et de l’ordre, je suischargé de déplacer lesdits sacs,de les déplier et de les rempilerà plat. Vers 15h30, mes co-équi-piers ont terminé leur besogneet sentent poindre l’angoissedu vide. Le responsable, com-me il n’a aucun travail à nousconfier, nous suggère d’aller aucafé attendre l’heure du licen-ciement officiel de 17h.

    Le vendredi matin, les jointssont là. Pas tous. Mais enfin il ya de quoi occuper mes co-équi-piers et fournir aux responsa-bles un prétexte pour nous en-voyer les autres groupes en ren-fort. L’administrateur inter-communal fait une discrète ap-parition: le temps de nous re-mercier de notre engagementet de nous suggérer de consoli-der le rayon qui dans le garageporte les haut-parleurs de voi-ture destinés à avertir la popu-lation en cas de catastrophe qu’ilest déjà trop tard pour gagnerles abris. Après quoi il disparaîtdéfinitivement. Je déplace lessacs que j’ai soigneusementempilés hier, ils gênent les tra-vaux de consolidation du rayon.Le temps d’un demi-roman po-licier et je puis les remettre enplace. Les quelques sacs désor-mais utilisables grâce à l’entê-tement des mes co-équipiersseront transférés dans les abrislors d’un prochain cours. Rienne presse, semble-t-il.

    Libération

    Après le repas, on nous donnerendez-vous vers 15h pour lafin de l’exercice: il faut en effetl’avancer de deux heures pourdonner le temps aux responsa-bles de porter nos habits à lablanchisserie avant la ferme-ture. Mes deux co-équipiersvont encore poser frénétique-ment quelques robinets cepen-dant que tous les autres prolon-gent le café. A 15h nous nousretrouvons dans l’abri du théâ-tre. Le comptable distribue leslivrets dans lesquels sont ins-crits les trois jours de servicequi nous vaudront une rabaisde 3 dixièmes sur la taxe mili-taire de cette année, une po-chette contenant les 15 francsde solde (5 francs par jour) etl’indemnité de déplacement.Les responsables nous félicitentde l’excellent travail accompliet nous souhaitent un bon re-tour dans nos foyers.

    Sch.

    De récentes fouilles dans lessépultures du quaternaire tar-dif que l'on trouve en abondancesur le plateau pré-alpin appor-tent de nouvelles connaissan-ces sur les pratiques funèbresdes populations locales. On con-naît la maigre décoration et l'ad-mirable simplicité de ces tom-bes, qui dénotent une civilisa-tion hautement spiritualiste,réprouvant l'iconolâtrie et leluxe ostentatoire, tout orientéevers la contemplation. En outre,on sait que ces sites funérairesà plusieurs places, parfois su-perposées en grand nombrecomme dans les catacombes quesurplombe le mastaba de Mon-theron, semblent indiquer quela coutume, encore bien barba-re, était d'ensevelir avec le mort

    sa femme, ses enfants et mêmeses domestiques.La découverte il y a peu detemps d'une nécropole compre-nant un groupe de sépulturesayant échappé aux profana-teurs montre qu'au moment del'ensevelissement, les prochesprenaient soin de munir la dé-pouille du défunt d'un certainnombre d'objets sacralisés, àhaute valeur symbolique, pourlui faciliter le passage dans l'au-delà. L'analyse plus détailléede ces nombreux talismans,dans lesquels certains scienti-fiques préfèrent voir des offran-des, permettra de mieux met-tre en valeur les croyances malconnues de ces peuplades.On relève d'ores et déjà uneimportance particulière accor-

    dée au nomen de l'objet. Rivella,Corn pops, Roland Zwieback (dunom du défunt ?), Granini,Kambly, Stalden, Chocovo, Cré-mant, Baer, Gala et Gerber, cesappellations semblent résumertoute la culture de ces peuples,dans une communion qui ma-nifestement transcendait lesbarrières dialectales. Ils incar-nent leur véritable identité, àlaquelle ces hommes et ces fem-mes se raccrochaient au mo-ment de l'ultime voyage. Deuxobjets paraissent même dotésde pouvoirs magiques : un splen-dide moulin à prières en ferblanc significativement appelé«Héro» et surtout un tube d'unonguent au parfum capiteux :«Le Parfait».

    J.-C. Bon.

    «Que faut-il emporter dans l'abri ?» Illustration d'un dépliant de l'Office fédéral de la protection civile

    Etranges rites funérairesdans l'ancien bassinrhodanien supérieur

    «Aux abords de l'appareil de ventilation, il faut

    laisser suffisamment de place libre pour

    permettre le maniement de la manivelle.»

    Office fédéral de la protection civile, Manuel des

    services d'abris, édition provisoire 1978, p. 2-2.1

    Archéologie du présentArchéologie du présent

    «Pomper, pour les shadoks, à la longue,

    c'était devenu une habitude…»

    Jacques Rouxel,

    Les shadoks, 1968

  • AVRIL 1991 LA DISTINCTION — 5

    cléaire est : «En tout cas, si y aune bombe atomique qui voustombe sur la gueule, y veut pasrester grand chose...». Par con-tre, on reste saisi de stupeurface à l’énormité des moyensmatériels dont dispose la PCien regard du sentiment d’inef-ficacité et d’inadéquation quien émane.

    Un ouvrage collectif alémani-que, récemment traduit en fran-çais, permet désormais d’ap-porter certains éléments de ré-ponse aux questions que l’onest légitimement en droit de seposer face à cette institution.Sans remettre en cause la né-cessité d’organismes de secours,les auteurs se sont plutôt atta-

    chés à considérer l’idée de pro-tection civile dans une perspec-tive historique et idéologique, àen détacher les valeurs consti-tutives ainsi qu’à poser le débatsur la capacité effective de laPCi à remplir son rôle.

    Dans sa conception fondamen-tale, la PCi apparaît ainsi com-me une officine obsédée par l’im-minence d’une catastrophe,qu’elle soit endogène ou exogè-ne. Hantise du rouge à la suitede la grève générale, protectionaérienne des années 30, nucléa-rophobie des années 50, l’idéed’une protection civile fut im-posée progressivement sur labase d’une imagerie toujoursidentique : celle d’une Suissemenacée de toutes parts et dontla seule voie de salut ne réside-rait que dans un repli autisti-que sur elle-même, sous laforme d’un stockage de sa po-pulation en ses abris, aux côtésdes réserves de sucre, de riz,d’huile et de pâtes.

    Comme le signalent à justetitre les auteurs, le messagen’est bien entendu pas inno-cent: la PCi constitue de fait un«obstacle institutionnalisé à laprise de conscience par la popu-lation des véritables problèmes,de l’ampleur sans précédent desmoyens de destruction et de lagénéralisation des risques tech-niques et industriels». L’hémi-plégie mentale qui caractérisetrop souvent la doctrine de la

    PCi la conduit ainsià propager l’imaged’«une société nor-male qui résistera àtoutes les crises. Lescatastrophes, lesconflits armés, lesmenaces, l’ennemi,les risques de pani-que: tout est classé,fiché, rangé. La PCise comporte en sys-tème immunitaire :les nouvelles expé-riences se tradui-sent immédiate-ment en nouvelleslacunes phagocy-tées sans délai. [...]La PCi crée les ca-tastrophes à son image, ses si-mulations confirment notre Etatnational frappé de phtisie dansses certitudes. L’idée que cet Etatnational puisse éventuellementne pas être étranger aux gran-des catastrophes du 20e siècle etque la PCi pourrait avoir latâche de nous y préparer dépas-se l’horizon de son entendement(ce qui a toujours compliqué ladiscussion)».

    Quant à l’efficacité de la PCien situation d’urgence, les deuxaccidents de Tchernobyl et deSchweizerhalle suffisent à faireapparaître sa nette et inquié-tante inaptitude vis-à-vis de si-tuations de ce type. Dans uncas comme dans l’autre, la PCise livra à une remarquable dé-monstration d’incompétence,expliquant par la suite que lescatastrophes civiles n’étaientpas de son ressort. Pourvu queCreys-Malville se tienne tran-quille...

    Et les abris, alors ? Point n’estbesoin d’être grand chamanpour réaliser que la vie en abri,dans le cas d’une claustrationprolongée, est rigoureusementimpossible. Entreposer et en-

    La Protection civile, cette inconnueLa Protection civile, cette inconnue

    La protection civile incarne au plus au point ce que Dürrenmatt appelait

    le grotesque helvétique, qui est sans doute ce que ce petit peuple s'est

    inventé pour compenser l'absence de tragédie réelle au cours de ce

    siècle. Rédiger un bouquin sur un tel sujet sans une once d'humour,

    ennuyeux comme un cours d'instruction, c'est passer très largement à

    côté de cette dimension. Mais c'est une question de goût.

    En présentant la PCi comme un «enfant spirituel du Troisième Reich»,

    fait-on vraiment avancer la compréhension et la dénonciation du

    phénomène ou joue-t-on plutôt à «bouh-fais-moi-peur» ? De plus, à

    force de voir le fascisme partout, on oublie un peu qu'il a fait et fait

    encore de vraies victimes, à côté desquelles nos petits désagréments

    sont tout de même limités. Mais c'est une question d'opinion.

    Par contre, ce qui est choque profondément le lecteur bien intentionné,

    c'est le travail de goret littéraire qu'on lui propose. La «traduction-

    adaptation» de cet ouvrage suisse-allemand dégage, particulièrement

    dans sa partie historique, un tel fumet de français fédéral, que les yeux

    s'embuent, lorsqu'ils ne se ferment pas. Signalons au passage que la

    «protection aérienne passive» des années trente s'appelait pour tout le

    monde –même pour Ramuz– la DAP (défense aérienne passive) et

    que l'expression «démocratie concordataire» pour qualifier la Suisse

    ne veut strictement rien dire du tout.

    Dommage pour un livre utile et nécessaire. (C. S.)

    II

    Défense civile, 1969, p. 87

    NTERRUPTION des pro-grammes radio et TV. Unspeaker annonce qu’à la

    suite du crash, dans le sud de laFrance, d’un bombardier por-teur de charges nucléaires, unnuage radioactif est en train dese diriger vers la Suisse. Lapopulation est dès lors invitée àse rendre aux abris.

    Madame et Monsieur, aprèsavoir réuni quelques affaires,descendent alors dans le bun-ker situé sous leur maison, encompagnie de leurs enfants.Non loin de là, des agriculteurssont en train de recouvrirprécautionneusement leur ex-ploitation de vastes feuilles deplastique, avant de rejoindre

    l’abri communal. Chacun estd’un calme olympien. Les en-fants jouent, les adultes tapentle carton, l’oreille attentive auxbulletins périodiques délivrésà la radio par les autorités com-pétentes. Le temps passe, ponc-tué d’informations rassurantes: on contrôle parfaitement lasituation.

    Vient enfin le jour où l’on ap-prend que tout danger est écartéet que l’on peut quitter les abris.On sort, on reprend les affairescourantes. Tout s’est bien passé,chacun a rempli son rôle à laperfection, l’efficacité desmoyens mis en œuvre a été op-timale, notre protection civiles’est montrée plus qu’à la hau-teur de sa tâche.

    Toutefois, on ne peut que res-ter songeur face au synopsis dece film, tiré de l’arsenal didacti-que de la Protection Civile (PCi).En effet, nombreux sont lesmembres astreints à cette ins-titution dont l’état d’esprit, du-rant leurs jours d’instruction,suit une sinusoïdale oscillantentre franche hilarité et stu-peur. L’hilarité est effective-ment de mise lorsque, à la ques-tion de connaître une estima-tion des quantités d’armes chi-miques de par le monde, l’ons’entend répondre : «Unechiée...». Ou lorsqu’un des ar-guments avancés pour persua-der de la réalité du danger nu-

    panne, alors même qu’aucundanger extérieur ne menaçait.Enfin, dans la foulée, une sé-vère mise en garde s’imposeaux mémères à chiens : vos ro-quets, et c’est une directive fé-dérale, ne seront en aucun casadmis à vous suivre dans unabri collectif. Aucun quadru-pède, quel qu’il soit, n’est eneffet autorisé à pénétrer en ceslieux. Vous le retrouverez doncéventuellement à la sortie, gazéou vitrifié.

    Le reste, par exemple le co-pinage PCi-DMF, c’est dans lebouquin, et je préfère m’arrêterici car je pourrais bien finir parm’emporter. Dr M. S.

    Peter Hug & al.

    La protection civile en Suisse

    En Bas, 1990, 216 p., Frs 27.00

    saute aux yeux : pour nous fairecomprendre entre les lignes qu’àla suite de sa scandaleuse in-tervention et pour l’empêcherde récidiver et de ternir les fê-tes du 700e, Dürrenmatt a étéassassiné.

    Dès lors tout devient clair.Par la suite, la police politique,sachant que seuls des écrits cen-surés peuvent encore susciterl’intérêt dans un pays surin-formé, s’est empressée d’encou-rager la publication du discourspour en empêcher la lecture.Par souci d’efficacité elle char-gea même son département depropagande, Pro Helvetia, d’ac-corder un soutien à la traduc-tion française.

    Bon, je descends rapidementposter ma disquette pour LaDistinction. Si le metteur enpage ne lit pas l’article, il a unechance de passer. Il me sembleque quelqu’un me surveille surle trottoir d’en face. Lisez d’ur-gence Pour Václav Havel. Encachette. Vous saurez pourquoion a assassiné Dürrenmatt.

    Sch.

    P. S. J’apprends à l’instantqu’ils viennent d’avoir la peaude Max Frisch. Les Suisses peu-vent se célébrer en paix.

    Friedrich Dürrenmatt

    Pour Václav Havel

    Traduction de Gilbert Musy

    Zoé / l’Aube, 1991, 37 p., Frs 12.–

    AI appris seulementaprès sa mort que Dür-renmatt avait pro-

    noncé un discours retentissantlors de la remise du prixDuttweiler à Václav Havel. Jene me souvenais pas d’avoir lualors des informations à la hau-teur de l’événement. En fait il afallu attendre l’hommage deL’Hebdo pour savoir toute lavérité. Que Dürrenmatt avaitprofité de cette cérémonie, où laMigros soignait son image dé-mocratique en sponsorisant lePrésident de la Républiquetchécoslovaque, pour provoquerla Suisse officielle. Que la réac-tion avait été terrible : ni KurtFurgler ni Arnold Kollern’étaient «venus lui serrer lamain». Que «de nombreuses tê-tes de la politique et de l’écono-mie» avaient renoncé à partici-per au repas qui suivait. Quecertains avaient quitté les lieuxen signe de protestation. Qued’autres étaient partis «moinsvaillamment» en utilisant leprétexte des difficultés de cir-culation dues aux routes ennei-gées. Et quel crime de lèse Hel-vétie avait-il commis ? Il avaitosé «par son sens aigu de laparabole» comparer la Suisse àune prison. Fichtre ! Il y a bienlà de quoi pousser une tête poli-tique et/ou économique à se pri-ver d’un repas à l’œil.

    Maintenant, interrogeons-nous. Pourquoi L’Hebdo a-t-ilfait ces révélations après la mortde Dürrenmatt ? Et pourquoi a-t-il choisi précisément pour lesillustrer un extrait du discoursqui présentait les Suisses com-me prisonniers d’eux-mêmespar peur des autres ? Et unautre extrait qui montrait lesparadoxes de la commémora-tion de l’indépendance de notrepays ?

    Une fois ces trois questionsclairement posées, la réponse

    JJ ''

    Echec etDürrenmatt

    RévélationsRévélations

    «A l'occasion du débat sur le rapport dela Commission de gestion de 1982, le

    conseiller national Felix Auer a calculéle temps nécessaire au montage des litsdes abris de la commune de Füllinsdorf

    (dont l'organisme de PCi a stocké 100kilomètres de lattes de bois et 770 kilosde clous). 100 participants à la PCi ontreçu leur formation de menuisier ama-

    teur. Eh bien il leur faudrait 10 jour-nées de travail. Rapporté à toute la

    Suisse, ce matériel représente 150 000kilomètres de lattes et quelque 1200

    wagons de clous.»(La protection civile en Suisse, p. 154)

    Une sinusoïdale oscillant entre hilarité et stupeur

    «L'ennemi tente de nous endormir»

    Défense civile, 1969, p. 238

    «La famille peut survivre dans l'abri.»

    Défense civile, 1969, p. 52

    «Nous nous protégeons contre la guerre chimique.»

    Défense civile, 1969, p. 98

    tasser, à l’instarde volailles enbatterie, une po-pulation apeuréedans des block-haus souterrainsen attendant lafin d’une tempêtenucléaire ou chi-mique relève dela pure et simpleutopie. Ceci tientde l’évidence pourquiconque s’esttout simplementretrouvé un jourbloqué dans unascenseur en

  • 6 — LA DISTINCTION AVRIL 1991

    Meetingde soutien

    à la Pravda

    BeaurésultatPar centaines, le 26 octobre

    dernier, des abonnés et lecteursde la Pravda de Lausanne et duPays de Vaud, parmi lesquelson comptait bon nombre de com-munistes, ont pris part au mee-ting de soutien organisé par unComité formé du camarade IvanKlavdiovitch Rochatov, députéau Soviet de la République etpremier secrétaire du Comité,et des camarades fémininesIakova Maurerova, Daris Co-hen-Dumanova, ViatcheslavaTchapuyova, Iakov Perrine, Ed-mond Baïy, Edi Ansermetov etIvan Petrovitch Gaïardov, pre-mier secrétaire du Comité duParti de la République. Cettemanifestation dont nous avonsrendu compte par le texte etpar l’image dans nos colonnes,bénéficiait de la présence ducamarade Ivan PascalovitchDelamurazumovsky, commis-

    saire du peuple au Gosplan fé-déral.

    Grâce à la conjonction des ef-forts enthousiastes suscités encette occasion, cette manifesta-tion a obtenu un franc succès.Et c’est un montant net sensi-blement supérieur à 60 000 rou-bles qui a pu être remis hier parle premier secrétaire Rochatovau camarade Edward Debêta,premier secrétaire du Soviet destravailleurs de la Pravda deLausanne et du Pays de Vaud,au cours d’un apéritif fort sym-pathique honoré de la présencedu camarade Georgui An-dreïevitch Chevaline, ancien

    Commissaire du Peuple à l’Ar-mée rouge, qui avait été pousséjusque là sur sa petite chaiseroulante par le camarade IvanIakovitch Tseveï, premier édi-torialiste en chef de notre jour-nal, prix Gorki de la formulecreuse 1928. Le camarade Che-valine, dans une brève allocu-tion, évoqua les problèmes dela presse prolétarienne écriteface aux moyens audio-visuelsdont dispose l’impérialisme fau-teur de guerre et souligna l’im-portance des journaux du Parti,en un temps où le camarade-citoyen et la camarade-ci-toyenne doivent disposer d’or-ganes de référence et d’incita-

    Des nouvelles du PartiDes nouvelles du Parti

    Participez vous aussià la célébration

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    • les «camarillistes» qui rap-portent les discussions de laChambre. Pour Balzac, ce sontautant de rapporteurs d’uneréalité partielle sans jamaispouvoir donner au lecteur unevision d’ensemble : «Assister àune séance, c’est avoir entenduune symphonie, lire les séancesdans chaque journal, c’est en-tendre séparément la partie dechaque instrument, vous avezbeau réunir les journaux, vousn’avez jamais l’ensemble.»

    A part les journalistes pro-prement dits qui sont la partievisible de l’iceberg, Balzac dé-crit comme faisant partie d’unjournal tout un petit monde quicontribue soit habituellementsoit occasionnellement à don-ner au journal sa couleur: l’hom-me politique qui soutient teljournal et qui est soutenu parlui; le pamphlétaire pour quiBalzac a une certaine admira-tion; toutes sortes de journalis-tes opportunistes, qui expri-ment la ligne politique; le criti-que, autre grande catégorie,dont Balzac dit : «la critiqueaujourd’hui ne sert plus qu’àune seule chose: à faire vivre lecritique.»

    Finalement Balzac en vient àqualifier la presse de «maladiechronique de la France» et sedemande pourquoi les abonnés,voyant leur journaliste chan-ger la cible de leur haine politi-que, continuent néanmoins des’y abonner avec abnégation.Et de conclure : «Si la pressen’existait pas, il ne faudrait pasl’inventer.»

    N. C.

    Honoré de Balzac

    Les journalistes

    Arléa, mars 1991, 158 p., Frs 29.30

    N entre dans la lecturede ce remarquable pam-phlet sur les «Gen-

    delettres» (comme gendarmes)comme on assiste à la projectiondu Festin de Babette. Balzacnous fait redécouvrir un uni-vers qu’on croyait connaîtremais que l’acuité de son regardpermet enfin de percevoir danstoute sa richesse. Il dénonce etattaque la toute-puissance desjournalistes, qui, après la révo-lution de 1830, jouissent d’uneinfluence abusive sur les gou-vernements.

    Parmi les «Gendelettres»,Balzac distingue le genre pu-bliciste, qui comprend les sous-genres suivants :

    • le directeur-rédacteur-en-chef-propriétaire-gérant qui ac-cumule les titres de proprié-taire, épicier et spéculateur. Ilfait et défait les affaires au gréde ses ambitions; chez cesgrands manitous, Balzac dé-nonce la vanité, la cupidité maisreconnaît la lucidité de celuiqui sait exploiter sait exploiterles intelligences sans perdre devue les profits du journal.

    • les «ténors» dont les articlesse trouvent en tête d’une feuillepublique à la manière d’un édi-torial : «il paraît que faute decette nourriture, l’intelligencedes abonnés maigrirait.»

    • les spécialistes, auteurs d’ar-ticles de fond. Ils sont mal payés,ce que regrette Balzac : «Aucunefeuille n’est assez riche pour ré-tribuer le talent consciencieuxet les études sérieuses».

    • l’article de fond devenu rare,font florès les Maîtres Jacques,qui insèrent dans le journal unefoule de petits articles, «entre-filets» et faits divers davantageen fonction des exigences de lamise en page que de leur valeurpropre. Ce sont autant d’infor-mations de dernière minute dé-nonçant tel fait, tel événementselon la maxime adoptée à cetteépoque par de nombreux jour-naux : «Frappons d’abord, nousnous expliquerons après.»

    de Balzac, Honoréde Balzac, Honoré

    “Gendelettres”et autres

    tion à la réflexion, pour assu-mer toujours mieux leur mis-sion dans notre société socia-liste en voie d’achèvement. Ré-pondant au camaradeRochatov, messager de la géné-rosité des nombreux activistesprésents le 26 octobre, le cama-rade Debêta (notre photo) ex-prima la reconnaissance desouvriers et des responsables dela Pravda de Lausanne et duPays de Vaud.

    (Extrait –à peine retouché–

    de la Pravda de Lausanne et

    du Pays de Vaud

    du 7 décembre 1990)

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  • AVRIL 1991 LA DISTINCTION — 7

    NouveautésNouveautés

    Thiriet

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    Fluide Glacial, décembre 1990, 51 p., Frs 15.20

    Si vous soupçonnez déjà l’existence dugrand complot des choses contre les hu-mains, lisez Thiriet. On y trouve le dres-sage des escaliers, l’élevage des fauteuilsde bureau, la récolte des mauvaises lan-

    gues, la révolte des lames du parquet et quelques autres scènesmémorables. Le dessin n’est pas transcendant, mais il passebien. Glissements de sens et dérapages visuels foisonnent: siBoris Vian avait fait de la bande dessinée, ça ressembleraitprobablement à ces petits contes décalés. (J.-Ch. Bon.)

    L faut être parvenu à unniveau certain de connais-sance pour pouvoir com-

    mencer à sortir des conventionsrebattues qui parcourent etstructurent les savoirs. EnFrance, ce rôle est en généraldévolu aux Professeurs au Col-lège de France : ils sont souventébouriffants.

    Dans une collection qui méri-te d’être suivie de près, vient deparaître une brève, mais belle,analyse d’ethno-linguistique,qui embrasse d’un même élanHomère et Dallas. Sans tomberdans les travers délicieux duterrorisme jargonnant, tout enutilisant un langage linguisti-que précis, Florence Dupontmontre lentement, savamment,ce que les aèdes obscurs et lesanonymes créateurs américainsde soap-opera ont en commun.

    Du coup, on découvre quel’Odyssée n’est pas un «texte» etne peut donc être soumis à des«lectures». Les aèdes construi-saient leurs performances àpartir d’un catalogue presqu’in-fini de phrases toutes faites ren-dant des notions ou des si-tuations précises («L’aurore-aux-doigts-de-fée», le banquetrituellement offert à l’arrivant).L’histoire qu’ils nous racontentn’est pas une «histoire», maisun récit, sans fin, auquel lesannées et les exégètes se sontchargés de donner une queue etune tête.

    Et Dallas ? Dallas n’est paschrono-logique; les épisodes nese suivent pas et un élémentnouveau est oublié la semainesuivante. Chaque rôle y est fixéune fois pour toutes. Les sté-réotypes, («Sue-Ellen-au-super-be-break-européen» ou «leranch-blanc-aux-belles-prai-ries») structurent un mondedans lequel le téléspectateur seretrouve sans peine. Les en-jeux sont clairs, les jeux sontfaits dès le début, et pourtanton reste devant sa télé et onattend que les choses se dérou-lent comme elles doivent se dé-rouler. La retraite d’un acteurest intolérable, un courrier abo-ndant submerge les produc-teurs qui doivent rectifier, lou-voyer, remplacer… Quelle têteauraient donc fait les banque-teurs archaïques si un aède im-pudent avait laissé «Ulysse-aux-mille-ruses» se faire bouf-fer par le cyclope ? Intolérable !Qui est-ce qui m’a fichu un tou-riste pareil ! Qu’on le vire ! Pasde lettres, alors, mais peut-êtredes coups de pied au cul ?

    On pourra passer par dessusles revendications pluricultu-ralistes militantes, et provoca-trices, de Florence Dupond quiaffirme au-delà de l’isomorphis-me, l’égalité qualitative et cul-turelle de Dallas et d’Homère.Tous deux ont bien été des pro-duits éphémères, jetables, pres-que, reproductibles à l’infini.

    En français : Homère et DallasEn français : Homère et Dallas

    !"µ#$# #% &'((')!"µ#$# #% &'((')!"µ#$# #% &'((')!"µ#$# #% &'((')!"µ#$# #% &'((')II Mais l’un d’entre eux a traverséquelques siècles et continue àfasciner : l’histoire lui a donné

    raison. Contrairement à MsDupont, on nous permettra d’es-timer que ce n’est pas tout à faitpar hasard que le vieil Homèreest parvenu jusqu’à nous. Quise souviendra de Dallas danscent ans?

    Malgré ce bémol, une néces-saire lecture pour tous ceux quilisent, relisent, dégustent et re-dégustent le chant venu de loin.S’ils ignorent Dallas, ils seront,après, plus proches d’Homère.

    V. A.

    Florence Dupont

    Homère et Dallas

    Hachette, 1991, 167 p., Frs 26.90

    Homère

    Odyssée

    Traduction de Philippe Jaccottet

    (seule tolérable: évitez à tout prix

    Victor Bérard, véritable purge

    philologique)

    Pierre Ansart

    Les sociologies contemporaines

    Seuil, septembre 1990, 344 p., Frs 14.60

    Sociologie si scolaire… Les sociologies con-temporaines sont franco-françaises.Comme la guerre du Golfe et comme Jean-Luc Godard. Pierre Ansart, dans un petitopuscule à la fois scolaire et didactique,vient nous le rappeler brutalement : horsde Bourdieu, Touraine, Balandier, Boudonet Crozier il n’est point de salut. Amen.

    A part ça, un essai de systématisation et de classement qui endit plus, comme dirait l’autre, sur la position de la personne quiclasse que sur le reste. A feuilleter à la rigueur, si l’on n’a pasle temps de lire les auteurs eux-mêmes.Une sociologie pour gens pressés, stressés et superficiels.Contemporaine, quoi. (J.-P. T.)

    Déclaration de Berne

    Bibliothèque Cantonale et Universitaire

    La littérature africaine francophone

    200 suggestions de lecture

    BCU-DB, février 1991, 98 p., Frs 12.–

    Culpabilisons la moindre l'honnête lec-teur : quel est le dernier livre d'un auteurafricain que vous ayez lu ? Ne trichez pas:Camus et Brink, c'est bien mais ça ne

    compte pas ! Voici, pour compenser cette lacune impardonna-ble (–alors, vous êtes raciste même dans vos lectures ?), uneutile et très belle bibliographie commentée d'ouvrages venantde quinze pays d'Afrique, suivie d'un bref index biographiquedes auteurs. Sur deux cents ouvrages, près de 150 ont étéédités à Paris, Ça donne une idée du problème. (S.-M. B.)

    Ambroise & Eveline Navarro

    La calendriologie

    ou l’avenir révélé

    par le calendrier des postes

    Grancher, novembre 1990, 210 p., Frs 23.20

    Vous qui avez toujours rêvé de savoir dequoi serait fait demain, voire même après-demain, une nouvelle science est à votredisposition : la calendriologie. Basée sur letraditionnel calendrier des postes distri-

    bué en fin d’année par tout employé des PTT français qui serespecte, cette nouvelle méthode permet, en analysant lesdivers éléments de l’illustration de l’objet, de déterminer avecprécision les tendances générales de votre devenir.

    Dans un glossaire qui va d’Abat-jour à Zouave, nous apprenonstoutes les subtilités de cet art divinatoire. Un exemple pris auhasard : si l’illustration de votre calendrier (que vous aurezchoisi «à l’aveugle» dans le lot que votre facteur vous auraprésenté) comporte un boucher coupant de la viande tout enfaisant la conversation avec un corsaire sous le regard attendrid’un héron sur ses deux pattes, on peut en déduire que vousvivrez quelques ennuis dans votre foyer (le boucher), que vousdevriez témoigner plus de scrupules (le corsaire) sinon vouscourez à un échec dans votre entreprise (le héron).

    Cet ouvrage est le premier consacré à cette science touterécente, ceci expliquera sans doute quelques imprécisions.Mais malgré tout, on se prend à rêver que nos PTT, dans unproche avenir, investiront peut-être les bénéfices dégagés parles nouveaux tarifs postaux dans ces cadeaux de fin d’annéeaussi décoratifs qu’utiles. (J. S.)

    TOQUÉ, LE CHEF

    PAILLASSON

    Envoi:

    «Le rôle du paillasson admiratif est

    à peu près le seul dans lequel on se

    tolère d’humain à humain avec quel-

    que plaisir.»

    (Louis-Ferdinand Céline,

    Champignac posthume ?)

    Essuyez-vous les pieds. Soigneu-

    sement. Pelez les patates, sans

    vous éplucher les doigts. Ça fait

    mal et ça met du rouge là où il n’en

    faut pas. Comptez deux-trois pata-

    tes par personne, quatre si c’est

    des gros mangeurs, cinq si c’est

    des énormes mangeurs, etc.

    Râpez finement les patates, avec

    la râpe à röstis.

    Hommage à Gainsbourg:

    Tu râp’, t’écout’ un rap,

    mec, fait fuir les rapiats.

    Sûr…

    Fin d’hommage.

    Ou fin, dommage. Ou…

    Pelez et débitez environ un oignon

    par deux patates. Ou une échalote.

    Ça dépend des goûts et de vos

    dons pour les maths. Salez, poi-

    vrez.

    Mettez du papier sulfurisé et grais-

    sé sur une plaque, étendez le mé-

    lange patates-oignons (ou écha-

    lotes) dessus. Répandez des petits

    flocons de beurre çà et là.

    Enfournez au four (si), rainure su-

    périeure, 180-200 degrés, environ

    une demi-heure. Jusqu’à que ça ait

    l’allure de votre paillasson.

    Servez devant la porte.

    Le maître-coq

    Le premier juin 1938 une tor-nade s’abat sur Paris. Un arbrecasse et tombe sur un passant.Ödön von Horvath est tué surle coup. Cette mort apparaîtcomme bien dérisoire pour quel-qu’un qui s’est attaché à dé-crire et dénoncer la machinerienazie qui se met en place.

    Le ciel heureusement avaitattendu que Ödön von Horvathait terminé d’écrire Jeunessesans Dieu et Un fils de notretemps, avant de s’abattre sotte-ment sur sa tête.

    Dans le premier des deux ro-mans un professeur se débat,un peu, dans le climat de nazi-fication ambiant, de décompo-sition des valeurs humanistes.Mesurant, trop, les risques qu’ilencourt, il assiste, presque in-actif, à la naissance d’un «hom-me nouveau», déshumanisé, ra-ciste, patriote, insensible, dontle prototype est un élève de saclasse, qui possède déjà la froidecruauté criminelle d’un pois-son.

    Le second héros, le «Fils denotre temps», est un brave gar-çon, devenu soldat, content, fieret heureux de faire ce métier,qui trouve toutes ses raisons devivre dans sa nouvelle famille :l’armée. Jouissant de son aveu-gle obéissance, joyeux meur-trier par patriotisme élémen-taire, il verra pourtant son belunivers s’écrouler. Ce petit sol-dat tente de sauver son officiertant admiré, et en revient es-tropié. Cette glorieuse blessures’avèrera vaine et grotesquepuisque l’officier, ce traître, vou-lait en fait se suicider, en selançant seul contre l’ennemi.Dans une lettre à sa femme ilécrit qu’il ne supporte plus lescarnages que lui impose cettefameuse patrie. Errant, inutileparmi les civils, notre ex-sol-dat, berné, trahi, pauvre, vieuxsans avoir vécu, entrevoit sesamours gâchées, la duplicité decette nouvelle société. Il s’enira rejoindre son cher officier,par une nuit d’hiver très froide.

    C. P.

    Ödön von Horvath

    Un fils de notre temps

    10/18, février 1991, 156 p., Frs 10.50

    Ödön von Horvath

    Jeunesse sans Dieu

    10/18, février 1991, 199 p., Frs 11.20

    La mort, c’est connu, a de drô-les de manières. Alors qu’ellelaisse en paix et en vie des cra-pules internationales commeGeorges Bush, Saddam Hus-sein et autres Itzhak Shamir,cette salope s’en prend à unchic type comme Jacques Ma-nière. Il était ex-soldat, commebeaucoup de jeunes cons l’ontété, peut-être, mais il s’est heu-reusement converti en cuisi-nier, sitôt cette erreur de jeu-nesse passée. Ce bienfaiteur del’humanité a préféré placer dé-licatement, avec amour, des lé-gumes pelés, des paupiettes desole, des pigeons farcis, des frai-ses de veaux, avec tendressedans ses merveilleuses marmi-tes trouées, surplombant unesauna de vapeurs d’eau qui lesmijote avec une non-violencequi aurait ému Gandhi. Maniè-re s’est attaché à cela plutôtque de saupoudrer des contréeset des convives potentiels avecdu napalm et d’autres épicesindigestes. Accédant à l’âgeadulte, délaissant toute pano-plie guerrière, vêtu de blanc etd’un sourire à la Gabin, il seconsacra à la «daube d’oie au

    chou rouge sauce aigrelette»,au «flan au champignon desbois», au «saucisson chaud auxpommes tièdes».

    C’est à mon avis un choix quise défend : car même si JacquesManière est mort, c’est indé-niable, il laisse au moins sonbouquin, legs émouvant à l’hu-manité torturée par la gour-mandise. Tandis que les autresconnards ...

    C. P.

    Manière Jacques

    Le grand livre

    de la cuisine à la vapeur

    Livre de Poche, 1985,

    511 p., Frs 15.50

    A priori, ça pouvait passer. Unrécit solidement implanté dansla glèbe, qui, parfois, donne desi jolies histoires. Ça commenceassez bien, mais ça se gâte vite.Pourquoi les méchants, lesmauvais, les avides, les avares,les pas généreux s’appellentKarfunkelstein et Regenheim ?Parce que Vincenot est un anti-sémite puant et que son rura-lisme a un fumet vichyssois dé-testable. Et si je n’ai pas brûléson bouquin, c’est parce quenous ne faisons pas ça, nousautres.

    J.-C. B.

    Henri Vincenot

    Le Pape des escargots

    Denoël, 1987, 288 p., Frs 29.30

    Vapeurs et manque de savoir vivre Un roman puant

    Cuisine sous pressionCuisine sous pression Coup de sangCoup de sang

    GermanicaGermanica

    Nazillons dansl’œuf et vilainspetits canards

  • 8 — LA DISTINCTION AVRIL 1991

    L'Ivresse des Familles par Henry MeyerL’Affaire

    Ramuz (5)

    La Distinction se propose de publier diverses

    variations sur le texte de C.-F. Ramuz, «Viens

    te mettre à côté de moi sur le banc…», afin de

    permettre à chacun(e) de coller à la page idoine

    de son Livret de Famille la version qui lui

    convient. Toutes les suggestions, surtout les

    plus saugrenues, seront publiées.

    Proposition n° 7

    bis

    : comique-stripes

    Suite de l'adaptation du texte de Ramuz en ban-

    des dessinées par Henry Meyer.

    Proposition n° 11 : version “cho-

    chotte & pseudo-archaïsante”

    Notre correspondant dans les Balkans, le sémioti-

    cien sofiote Nicolas Arnaoudov, nous a fait parve-

    nir sa version du texte de Ramuz. Celle-ci n’est

    pas sans résonance avec la version «avenue de

    Rumine» publiée précédemment. Mais, connais-

    sant la lenteur dans l’acheminement du courrier

    chez les «bougres» et la probité foncière de notre

    collaborateur, nous ne saurions le suspecter de

    plagiat.

    ENEZ poser votre séant sur lecanapé-balançoire devantnotre gentilhommière, ô maDame. Cette prérogative ne

    saurait vous être disputée, voici bienune huitaine de lustres que nous che-vauchons de conserve.Cette vêprée, et puisque l’orbe du mondeentier s’embrase de couleurs éclatantes,et c’est aussi la vêprée de notre vie : vousavez mérité moult, voyez-vous, de voustrouver de reste et de loisir.Voilà que nos hoirs à cette heure sontétablis, çà et là, de par la vastitude desterres; et derechef nous ne sommes plusque vous et moi, comme lorsque nousentamâmes notre conjugale carrière.Ma Dame, en gardez-vous souvenance ?Pour lors nous étions destitués de tout,tout était à bâtir. Et nous nous yattelâmes, mais le défi est ardu. C’estaffaire de preux, non de pusillanimes.Il y faut de l’amour et l’amour n’est pointce qu’un vain peuple pense.Ce ne sont point seulement ces mignar-dises dont on s’affriande, ces petits pou-lets oraux dont on se flatte réciproque-ment l’ouïe, ou bien de s’étreindre aveceffusion; long est le temps de la vie, lejour des épousailles n’est qu’un jour, —c’est ensuite, il vous en souvient, c’estensuite seulement que commença la vie.L’on bâtit, c’est jeté bas; l’on rebâtit etc’est jeté bas encore. (…)

    CHARLES-FERDINAND DE LA RAMÉE

    L'Ivresse des Familles par Henry Meyer

    Proposition n° 12 : haïkaïsation

    D’un voyage en Orient, l’auteur avait rapporté le

    goût des pièces courtes. Voici trois essais peu

    connus, qu’il fit avant la version définitive.

    Haïkaï IViens te mettre à côté de moi :Quarante ans qu’on est ensemble.Ce soir, et puisqu’il fait si beau:Un petit moment de repos.Voilà que les enfants à cette heuresont casés,Comme quand on a commencé.Femme tu te souviensDe la persévérance ? (…) CHARMUZ

    Haïkaï IIViens te mettreensemble.Ce soir :repos.Voilà :on a commencé.Femme :de la persévérance ! (…) CHAUZ.

    Haïkaï IIIViensAccomplie. CHAUZ.