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10 | Mercredi 7 août 2019 | Le Quotidien Jurassien L’ÉTÉ Corps expert 3/5 Richard Pfister, un nez au service du vin FLAIR Créateur de la méthode Oenoflair qui se base sur la parfumerie pour améliorer la compréhension du vin, cet expert offre ses compétences peu communes aux quatre coins du monde des vins. Richard Pfister entraîne son nez plusieurs fois par semaine. Il est capable de reconnaître des centaines d’odeurs et de molécules olfactives. PHOTOS SABINE PAPILLOUD Pas notre œnologue parfumeur qui avoue un petit faible pour le casto- réum. «C’est une de mes fragrances préférées. Je la retrouve souvent dans le bouquet des vins vinifiés en grappes entières.» FRANCE MASSY À lire: Les parfums du vin. Sentir et comprendre le vin, par Richard Pfister, éd. Delachaux et Niestlé, 2013, 256 pa- ges. www.oenoflair.ch/fr/livre.html olympique sur les saveurs du sport. «J’ai recréé la sueur humaine à partir de certaines molécules qu’on retrou- ve dans la sueur de cheval, dans le cumin, dans les glandes anales de la civette d’Afrique ou encore du casto- réum, une sécrétion des glandes sexuelles du castor.» Vos narines se pincent, ces odeurs vous dégoûtent? Vous préférez la rose ou le litchi qui tous deux contiennent une molécule commune (l’alcool phényléthylique). tiques des cépages autochtones. Au Chili, en Russie et au Kazakhstan également. En France, la maison Bollinger m’a demandé d’entraîner ses œnologues à identifier les diffé- rents nez du bois, à reconnaître les molécules caractéristiques de ces contenants et à faire le lien avec la vi- nification. À Montpellier, je travaille avec des chercheurs pour mieux ap- préhender les différents profils aro- matiques du sauvignon blanc et des rosés, et proposer des méthodes cul- turales et des itinéraires œnologi- ques pour les atteindre. Un de mes sujets phares liés au réchauffement climatique; la vigne subit souvent un stress hydro-azoté qui procure une molécule, l’acétophénone, qui amè- ne un vieillissement prématuré du vin. En intervenant en amont, on peut y remédier en apportant des compléments au sol ou sur les feuil- les.» De la rose aux glandes sexuelles du castor Dans un autre registre, Richard Pfister a travaillé pour le Musée nées mise à profit pour apprendre le métier de parfumeur chez ce même Daniel André et à participer à la créa- tion de parfums de luxe. Aujourd’hui, Richard Pfister exer- ce en tant qu’œnologue-conseil spé- cialisé dans l’aromatique et plus spé- cifiquement sur le rôle des molécu- les aromatiques. L’œnoparfumerie Droit et élégant, 5,8 cm, il n’a rien d’un pic, le nez de Richard Pfister, encore moins d’une péninsule, et pourtant il est en train de le rendre (presque) aussi célèbre que celui du héros d’Edmond Rostand. Ses com- pétences sont requises aux quatre coins du monde des vins où il dis- pense conférences, formations et consulting olfactif. «Je forme à l’olfaction des vigne- rons, des œnologues, des cher- cheurs, des dégustateurs. Je donne aussi des cours à Changins et aux universités de Dijon et de Bordeaux. En tant que consultant, je suis appelé en Europe de l’Est où j’explore no- tamment les caractéristiques aroma- I l ne l’a pas encore assuré, mais ça ne va pas tarder. «Assurer un nez coûte très cher, mais je ne vais pas pouvoir m’y soustraire très longtemps encore», confie celui dont la protubérance faciale est le prin- cipal outil de travail. Richard Pfister, de son état œnologue et parfumeur, est un nez. Un spécialiste des fragrances, odeurs et parfums. Mais à cette spécifi- cité olfactive, le Vaudois d’origine (il vit à Semsales, dans le canton de Fri- bourg) ajoute un atout supplémentai- re: le goût. Ce fils de vigneron a commencé sa carrière par une formation d’œnolo- gue à Changins (VD). Passionné de dé- gustation et d’analyse sensorielle, il a axé sa thèse d’ingénieur sur les rela- tions possibles entre l’œnologie et la parfumerie. «J’ai eu la chance d’effec- tuer ces recherches sous la houlette de Daniel André, un parfumeur créateur de Genève, un des meilleurs parfu- meurs de Suisse.» Sa thèse primée, Ri- chard Pfister part vinifier en Espagne, chez Gramona, un des papes du cava. Un grave accident de moto le contraint à une convalescence de plusieurs an- Mouillettes et flacons contenant des odeurs étranges, comme celle des glandes anales de la civette ou du caoutchouc, autant de supports de travail pour Richard Pfister. Richard Pfister a écrit un ouvrage passionnant sur les parfums du vin via la méthode Œnoflair qu’il a développée en se basant sur les classifications utili- sées en parfumerie. Pour en savoir plus http://www.oenoflair.ch/fr/livre.html Avoir du nez L’odorat fut notre premier outil de survie. «On sentait ce qu’il fallait manger, ce qui était bon pour nous, grâce aux odeurs. On sentait le danger grâce aux odeurs. Tout notre système nerveux est relié aux odeurs. C’est pour ça qu’elles nous in- fluencent tout le temps et que nos émotions, une montée d’adrénaline, le rythme cardiaque, peuvent modifier leurs perceptions.» Ajoutez à cela le fait qu’au mo- ment où l’embryon fabrique ses récepteurs olfactifs, ceux-ci se positionnent aléa- toirement sur la surface de l’épithélium olfactif, donc que jamais deux personnes ne disposent d’un système semblable et que chaque individu a des références dif- férentes, vous comprendrez pourquoi vous ne sentez pas la même chose que vo- tre voisin. Mais tout un chacun peut affiner son odorat. Richard Pfister s’entraîne plusieurs fois par semaine avec plus de 1000 standards olfactifs qu’il s’exerce à reconnaître à l’aveugle. Il nous conseille de fourrer notre nez dans tout ce qui est à notre por- tée et de visualiser l’objet. «L’image aide à fixer l’odeur dans le cerveau.»

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  • 10 | Mercredi 7 août 2019 | Le Quotidien Jurassien

    L’ÉTÉ Corps expert 3/5Richard Pfister, un nez au service du vin� FLAIR Créateur de la méthode Oenoflair qui se base sur la parfumerie pour améliorer la compréhension du vin,cet expert offre ses compétences peu communes aux quatre coins du monde des vins.

    Richard Pfister entraîne son nez plusieurs fois par semaine. Il est capable de reconnaître des centaines d’odeurs et de molécules olfactives. PHOTOS SABINE PAPILLOUD

    Pas notre œnologue parfumeur quiavoue un petit faible pour le casto-réum. «C’est une de mes fragrancespréférées. Je la retrouve souventdans le bouquet des vins vinifiés engrappes entières.»

    FRANCE MASSY

    À lire: Les parfums du vin. Sentir etcomprendre le vin, par Richard Pfister,éd. Delachaux et Niestlé, 2013, 256 pa-ges. www.oenoflair.ch/fr/livre.html

    olympique sur les saveurs du sport.«J’ai recréé la sueur humaine à partirde certaines molécules qu’on retrou-ve dans la sueur de cheval, dans lecumin, dans les glandes anales de lacivette d’Afrique ou encore du casto-réum, une sécrétion des glandessexuelles du castor.» Vos narines sepincent, ces odeurs vous dégoûtent?Vous préférez la rose ou le litchi quitous deux contiennent une moléculecommune (l’alcool phényléthylique).

    tiques des cépages autochtones. AuChili, en Russie et au Kazakhstanégalement. En France, la maisonBollinger m’a demandé d’entraînerses œnologues à identifier les diffé-rents nez du bois, à reconnaître lesmolécules caractéristiques de cescontenants et à faire le lien avec la vi-nification. À Montpellier, je travailleavec des chercheurs pour mieux ap-préhender les différents profils aro-matiques du sauvignon blanc et desrosés, et proposer des méthodes cul-turales et des itinéraires œnologi-ques pour les atteindre. Un de messujets phares liés au réchauffementclimatique; la vigne subit souvent unstress hydro-azoté qui procure unemolécule, l’acétophénone, qui amè-ne un vieillissement prématuré duvin. En intervenant en amont, onpeut y remédier en apportant descompléments au sol ou sur les feuil-les.»

    De la rose aux glandessexuelles du castor

    Dans un autre registre, RichardPfister a travaillé pour le Musée

    nées mise à profit pour apprendre lemétier de parfumeur chez ce mêmeDaniel André et à participer à la créa-tion de parfums de luxe.

    Aujourd’hui, Richard Pfister exer-ce en tant qu’œnologue-conseil spé-cialisé dans l’aromatique et plus spé-cifiquement sur le rôle des molécu-les aromatiques.

    L’œnoparfumerieDroit et élégant, 5,8 cm, il n’a rien

    d’un pic, le nez de Richard Pfister,encore moins d’une péninsule, etpourtant il est en train de le rendre(presque) aussi célèbre que celui duhéros d’Edmond Rostand. Ses com-pétences sont requises aux quatrecoins du monde des vins où il dis-pense conférences, formations etconsulting olfactif.

    «Je forme à l’olfaction des vigne-rons, des œnologues, des cher-cheurs, des dégustateurs. Je donneaussi des cours à Changins et auxuniversités de Dijon et de Bordeaux.En tant que consultant, je suis appeléen Europe de l’Est où j’explore no-tamment les caractéristiques aroma-

    I l ne l’a pas encore assuré, maisça ne va pas tarder. «Assurer unnez coûte très cher, mais je nevais pas pouvoir m’y soustrairetrès longtemps encore», confie celuidont la protubérance faciale est le prin-cipal outil de travail. Richard Pfister, deson état œnologue et parfumeur, estun nez. Un spécialiste des fragrances,odeurs et parfums. Mais à cette spécifi-cité olfactive, le Vaudois d’origine (il vità Semsales, dans le canton de Fri-bourg) ajoute un atout supplémentai-re: le goût.

    Ce fils de vigneron a commencé sacarrière par une formation d’œnolo-gue à Changins (VD). Passionné de dé-gustation et d’analyse sensorielle, il aaxé sa thèse d’ingénieur sur les rela-tions possibles entre l’œnologie et laparfumerie. «J’ai eu la chance d’effec-tuer ces recherches sous la houlette deDaniel André, un parfumeur créateurde Genève, un des meilleurs parfu-meurs de Suisse.» Sa thèse primée, Ri-chard Pfister part vinifier en Espagne,chez Gramona, un des papes du cava.Un grave accident de moto le contraintà une convalescence de plusieurs an-

    Mouillettes et flacons contenant des odeurs étranges, comme celledes glandes anales de la civette ou du caoutchouc, autant de supports de travailpour Richard Pfister.

    Richard Pfister a écrit un ouvrage passionnant sur les parfums du vin viala méthode Œnoflair qu’il a développée en se basant sur les classifications utili-sées en parfumerie. Pour en savoir plus http://www.oenoflair.ch/fr/livre.html

    Avoir du nezL’odorat fut notre premier outil de survie. «On sentait ce qu’il fallait manger, cequi était bon pour nous, grâce aux odeurs. On sentait le danger grâce aux odeurs.Tout notre système nerveux est relié aux odeurs. C’est pour ça qu’elles nous in-fluencent tout le temps et que nos émotions, une montée d’adrénaline, le rythmecardiaque, peuvent modifier leurs perceptions.» Ajoutez à cela le fait qu’au mo-ment où l’embryon fabrique ses récepteurs olfactifs, ceux-ci se positionnent aléa-toirement sur la surface de l’épithélium olfactif, donc que jamais deux personnesne disposent d’un système semblable et que chaque individu a des références dif-férentes, vous comprendrez pourquoi vous ne sentez pas la même chose que vo-tre voisin.Mais tout un chacun peut affiner son odorat. Richard Pfister s’entraîne plusieursfois par semaine avec plus de 1000 standards olfactifs qu’il s’exerce à reconnaîtreà l’aveugle. Il nous conseille de fourrer notre nez dans tout ce qui est à notre por-tée et de visualiser l’objet. «L’image aide à fixer l’odeur dans le cerveau.»