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16 Le Nouvelliste PRÉVENTION Jeudi 25 juin 2009 bru ADRESSES UTILES MINIQUIZZ Alzheimer Suisse 024 426 06 06 www.alz.ch CETTE SEMAINE LA MALADIE D’ALZHEIMER DOSSIER SANTÉ Cette dégénérescence du tissu cérébral est souvent dépistée à cause de l’impres- sion diffuse de devenir intellectuellement moins performant. Cette page a été réalisée avec l’appui du PARTENARIAT Service cantonal de la santé publique Professeur Ghika, vu que la maladie d’Alzheimer n’est peu ou prou pas soignable, un dépistage précoce vaut-il la peine? D’un point de vue théorique, vu l’absence de traitement préventif ou curatif, on pour- rait dire que non. Du point de vue du malade lui-même, il permet déjà de situer le pro- blème et d’anticiper des me- sures qui, sinon, seraient à prendre en catastrophe. D’abord, on peut déployer plus vite un traitement médica- menteux, certes modeste et effectuer des stratégies desti- nées à améliorer sa qualité de vie et son autonomie. C’est souvent bénéfique. En outre, un dépistage précoce permet au malade lui-même et à ses proches de se préparer à ce qui va suivre. Il s’agit de régler ses affaires, de simplifier son quotidien, d’éliminer les ris- ques à domicile, d’anticiper un arrêt de la conduite avant une catastrophe, de sécuriser les opérations bancaires pour ne pas être victime d’escrocs, ou encore de rédiger des directi- ves anticipées, d’organiser les absences des proches, voire de ne pas prendre des médica- ments contre-indiqués. Une bonne préparation permet de conserver plus longtemps son autonomie ou le maintien à domicile et d’améliorer la qua- lité de vie du malade et du conjoint. La mise sur pied d’une aide à domicile, de mo- ments d’accueil temporaires susceptibles de soulager le conjoint et la famille, principa- les victimes de la maladie au long cours, et l’aide de l’Asso- ciation Alzheimer Suisse per- mettent de prolonger le séjour à domicile le plus tard possi- ble. Là, nous avons de gros re- tards à combler, ne serait-ce que dans les structures d’ac- cueil des malades, ambulatoi- res ou pas, ainsi que dans l’aide à ces proches qui assu- ment aujourd’hui d’énormes efforts, humains et financiers, pour garder un malade à domi- cile, hors institution. Existe-t-il des pistes de pré- vention contre la maladie? A l’heure actuelle non. EN CHIFFRES 90 000 MALADES DANS NOTRE PAYS AUJOURD’HUI 60 nouveaux malades chaque jour 3606 décès dus à une dé- mence en 2006, en hausse de 62% par rapport à 1996. 1% de malades avant 60-65 ans. Ensuite, l’inci- dence double tous les cinq ans. 40% des 85 ans et plus souffrent de MA. Sources: Alzheimer Suisse et Interpharma. Ligue valaisanne contre les toxicomanies BERNARD-OLIVIER SCHNEIDER Dans les pays riches comme dans les pays pauvres, la démographie ga- lope, le vieillissement des popula- tions s’emballe et paraît, pour l’heure du moins, aussi inéluctable que le passage des saisons. Comme dopé par le progrès médical, le cercle des seniors s’élargit, le bataillon des 80 ans et plus s’étoffe encore et encore. Avec au moins un dégât collatéral: le nombre des victimes de la maladie d’Alzheimer (MA) explose. En Suisse, les experts estiment qu’il y a au- jourd’hui quelque 90 000 malades, donc par extrapolation simple 3600 cas rien qu’en Valais. Les mêmes ex- perts pronostiquent 170 000 malades à l’horizon 2030! A la clé, des coûts de prise en charge progressant à l’unis- son: sept milliards l’an aujourd’hui, douze milliards dans vingt ans. Les chercheurs explorent sans relâche la piste d’un vaccin, ou celle des cellu- les souches. Hélas sans succès jusqu’ici. En France, en Alle- magne ou en Nor- vège par exemple, sortent de terre des villages entièrement dédiés aux malades d’Alzheimer: sans trafic, sans cartes de crédit, pourvus d’ap- pareils électroménagers sécurisés et simplifiés. En manque d’une straté- gie nationale ad hoc, l’Helvétie est loin d’être aussi avancée. Tour d’hori- zon avec le Prof. Joseph Ghika, cher- cheur et neurologue au CHUV à Lau- sanne et au RSV à Sion. Quelle est la définition basique de la maladie d’Alzheimer? Il s’agit d’une maladie dégénérative du tissu cérébral, touchant sélective- ment certaines populations de neu- rones initialement, avant de se géné- raliser, et générant la perte progres- sive et irréversible des fonctions mentales. Elle débute dans 90% des cas par des troubles de la mémoire des événements récents. Pour bien comprendre, il faut d’abord définir la démence. Grosso modo, une érosion de nos facultés cérébrales passe par trois stades. En premier lieu, le vieil- lissement normal. Avec l’âge, nous perdons tous certaines facultés, no- tamment la mémoire des noms. A partir de là, la médecine a établi des valeurs normales pour toute activité cognitive en fonction de l’âge et du niveau d’éducation. Dès lors qu’un patient se situe en dessous de ces normes, en général la mémoire, mais aussi d’autres fonctions intellectuel- les, il souffre d’un trouble cognitif lé- ger. C’est la deuxième catégorie: elle n’est pas anodine, puisqu’elle consti- tue un important facteur de risque de développer une démence, par exem- ple une maladie d’Alzheimer, à hau- teur de 15% par an. Troisième stade: la démence. Elle s’établit lorsque le déficit de la mémoire et d’autres troubles concomittants, par exemple du langage, des fonctions dites exé- cutives permettant de s’organiser en situation imprévue ou inhabituelle, ou de la reconnaissance visuelle en- traînent une perte d’autonomie du patient dans ses activités quotidien- nes ou ses interactions. Si cette dé- mence n’a pas d’autre cause identi- fiée dans le bilan effectué (comme une tumeur par exemple), et si elle progresse dans le temps, dans 60% des cas, il s’agit d’une maladie d’Alz- heimer, avec une fiabilité de 85% dans le diagnostic. Je précise que ce diagnostic repose sur une probabi- lité, certes haute, mais une probabi- lité tout de même. De fait, à l’heure actuelle encore, un diagnostic 100% certain ne peut être établi qu’à l’au- topsie. Comment peut-on reconnaître souffrir d’une maladie d’Alzheimer? En principe, quelque chose a changé par rapport au niveau intellectuel an- térieur, et ce changement progresse. Dans 90% des cas, il s’agit de la perte du souvenir des événements récents, des oublis. Certains patients s’en ren- dent comptent eux-mêmes. Pour d’autres, ce sont les proches qui s’en aperçoivent et le patient peut même le nier. Existe-t-il des signes précédant ces pertes de mémoire? Souvent. Avant que la mémoire ne soit touchée, on observe que le ma- lade devient apathique, qu’il se retire de ses activités dans la société – par exemple le club de jass ou qu’il n’a plus envie de lire. Il entre dans un état dépressif. Ensuite, la mémoire immé- diate est touchée. La gestion de deux ou trois activités en même temps de- vient impossible, puis la mémoire des événements récents (alors que les choses apprises anciennement sont bien rappelées). On constate fréquemment des répétitions, des oublis et des recherches incessantes d’objets, une désorientation dans le temps puis dans l’espace, une diffi- culté à manipuler les appareils ou les objets, à s’habiller, à reconnaître les gens ou les endroits: la personne dé- pend de plus en plus d’autrui pour gérer le quotidien et ne peut plus être laissée seule. Il y a ensuite apparition de troubles du comportement, géné- ralement responsables du placement en établissement médicosocial. En- fin, au stade terminal, on note des troubles moteurs (marche, etc). La maladie d’Alzheimer est progressive. Elle s’étale généralement sur une du- rée de sept à dix ans, rarement plus. Concrètement, sur quels outils s’ap- puie le médecin pour établir le diag- nostic? Dans la pratique, les choses se pas- sent souvent ainsi… Le médecin de famille procède à des tests simples, portant par exemple sur la mémori- sation à court terme de cinq ou dix mots, un test mental rapide et le des- sin d’une horloge. Suivant le résultat, le patient est envoyé dans une consultation de la mémoire ou un autre centre spécialisé de neurologie ou de gériatrie pour une série de tests supplémentaires. En nous appuyant sur le concours de l’équipe de neu- ropsychologues de la Clinique de réadaptation de la SUVA pour le bilan des fonctions intellectuelles, nous se- rons alors en mesure d’établir un «panneau» très complet des facultés cognitives de l’intéressé. Pour affiner davantage encore le diagnostic, nous pouvons procéder à une imagerie (IRM ou CT) cérébrale, permettant d’exclure une autre cause ou d’iden- tifier les zones atrophiées dans le cer- veau. On peut s’aider d’une imagerie métabolique (débit sanguin céré- bral), qui montre assez précisément les zones cérébrales qui dégénèrent. Un PET-scan serait encore plus pré- cis, mais il n’est actuellement plus remboursé par les caisses-maladie. Comment se traduit la maladie d’Alzheimer au niveau cellulaire? La maladie commence dans l’hippo- campe, à savoir une zone du cerveau stratégique pour l’acquisition de toute information dans la mémoire à court et long terme et de son rappel. La dégénérescence s’étend ensuite au système limbique et paralimbi- que, qui s’occupe de nos émotions et de nos comportements, puis les zo- nes dites associatives du cortex céré- bral responsables du langage oral et écrit, du calcul, de la reconnaissance de l’environnement, de l’utilisation manuelle, etc. Ensuite seulement, elle atteint l’ensemble du cerveau. Si l’on entre davantage dans l’échelle du petit, on observe que la maladie d’Alzheimer se traduit par un double phénomène. Grosso modo, en situa- tion normale, la machinerie céré- brale remplace constamment les protéines de structure des neurones, de leurs axones et des synapses (site de contact de deux neurones), qui se dénaturent régulièrement avec le temps. Notre cerveau dispose d’un système de «voirie» biochimique, qui élimine ces déchets et les recycle. Dans toutes les maladies neurodégé- nératives, la maladie d’Alzheimer mais aussi la maladie de Parkinson par exemple, les éboueurs sont dé- passés par une accumulation de dé- chets protéiniques non dégradables générés par un changement de leur voie de transformation. Ces déchets s’accumulent, entre autres sous la forme d’agrégats de neurofibrilles dans les neurones ou de plaques pro- ches des synapses dans la maladie d’Alzheimer. Cette accumulation de déchets finit par «tuer lentement» les cellules nerveuses dont les contacts disparaissent avant de finir par mou- rir elles-mêmes. Pourquoi cette voi- rie dégénère avec l’âge? On ne le sait pas encore, sauf dans les formes hé- réditaires qui fabriquent des protéi- nes anormales depuis la naissance et débutent par conséquent plus tôt vers 35-60 ans déjà. Au niveau de pré- disposition génique, osons cette image: mille et une perturbations fi- nes sont susceptibles de submerger la voirie cérébrale! Parfois, un malade d’Alzheimer est capable d’oublier qu’il vient de vous voir ou qu’il a mis une casserole sur le feu, tandis qu’il se rappelle très bien d’évènements survenus il y a vingt ou trente ans. Comment l’expliquez-vous? Par le fait que nous n’avons pas une seule mémoire, mais plusieurs systè- mes parallèles de mémoire. La MA fi- nira par toucher toutes les mémoires: reste que ce processus de dégénéres- cence s’étale sur une dizaine d’an- nées. NOTRE EXPERT P r Joseph Ghika Neurologue, CHUV et RSV 90 130 170 PROGRESSION INQUIÉTANTE 50 100 150 170 130 2009 2020 2030 En milliers, le nombre de cas en Suisse * * * Estimation Source: Alzheimer Suisse NEUROLOGIE Partout dans le monde, sur un tempo pandémi- que, la maladie d’Alzhei- mer gagne du terrain. Enjeu majeur de la recherche, ce fléau pèse très lourd en termes humains et économiques. La mémoire foudroyée

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16 Le NouvellistePRÉVENTION Jeudi 25 juin 2009bru

ADRESSES UTILES

MINIQUIZZ

Alzheimer Suisse024 426 06 06www.alz.ch

CETTE SEMAINE

LA MALADIE D’ALZHEIMERDOSSIERSANTÉ

Cette dégénérescence du tissu cérébralest souvent dépistée à cause de l’impres-sion diffuse de devenir intellectuellementmoins performant.

Cette pagea étéréaliséeavec l’appuidu

PARTENARIAT

Service cantonalde la santé publique

Professeur Ghika, vu que lamaladie d’Alzheimer n’estpeu ou prou pas soignable,un dépistage précoce vaut-illa peine?

D’un point de vue théorique,vu l’absence de traitementpréventif ou curatif, on pour-rait dire que non. Du point devue du malade lui-même, ilpermet déjà de situer le pro-blème et d’anticiper des me-sures qui, sinon, seraient àprendre en catastrophe.D’abord, on peut déployer plusvite un traitement médica-menteux, certes modeste eteffectuer des stratégies desti-nées à améliorer sa qualité devie et son autonomie. C’estsouvent bénéfique. En outre,un dépistage précoce permetau malade lui-même et à sesproches de se préparer à cequi va suivre. Il s’agit de réglerses affaires, de simplifier sonquotidien, d’éliminer les ris-ques à domicile, d’anticiper unarrêt de la conduite avant unecatastrophe, de sécuriser lesopérations bancaires pour nepas être victime d’escrocs, ouencore de rédiger des directi-ves anticipées, d’organiser lesabsences des proches, voirede ne pas prendre des médica-ments contre-indiqués. Unebonne préparation permet deconserver plus longtemps sonautonomie ou le maintien àdomicile et d’améliorer la qua-lité de vie du malade et duconjoint. La mise sur piedd’une aide à domicile, de mo-ments d’accueil temporairessusceptibles de soulager leconjoint et la famille, principa-les victimes de la maladie aulong cours, et l’aide de l’Asso-ciation Alzheimer Suisse per-mettent de prolonger le séjourà domicile le plus tard possi-ble. Là, nous avons de gros re-tards à combler, ne serait-ceque dans les structures d’ac-cueil des malades, ambulatoi-res ou pas, ainsi que dansl’aide à ces proches qui assu-ment aujourd’hui d’énormesefforts, humains et financiers,pour garder un malade à domi-cile, hors institution.

Existe-t-il des pistes de pré-vention contre la maladie?

A l’heure actuelle non.

EN CHIFFRES

90000MALADES DANS NOTREPAYS AUJOURD’HUI

60 nouveaux maladeschaque jour

3606 décès dus à une dé-mence en 2006, en

hausse de 62% par rapport à1996.

1% de malades avant60-65 ans. Ensuite, l’inci-

dence double tous les cinq ans.

40% des 85 ans et plussouffrent de MA.

Sources: Alzheimer Suisse et Interpharma.

Ligue valaisannecontre les toxicomanies

BERNARD-OLIVIER SCHNEIDER

Dans les pays riches comme dans lespays pauvres, la démographie ga-lope, le vieillissement des popula-tions s’emballe et paraît, pour l’heuredu moins, aussi inéluctable que lepassage des saisons. Comme dopépar le progrès médical, le cercle desseniors s’élargit, le bataillon des 80ans et plus s’étoffe encore et encore.Avec au moins un dégât collatéral: lenombre des victimes de la maladied’Alzheimer (MA) explose. En Suisse,les experts estiment qu’il y a au-jourd’hui quelque 90 000 malades,donc par extrapolation simple 3600cas rien qu’en Valais. Les mêmes ex-perts pronostiquent 170 000 maladesà l’horizon 2030! A la clé, des coûts deprise en charge progressant à l’unis-son: sept milliards l’an aujourd’hui,douze milliards dans vingt ans. Leschercheurs explorent sans relâche lapiste d’un vaccin,ou celle des cellu-les souches. Hélassans succèsjusqu’ici. EnFrance, en Alle-magne ou en Nor-vège par exemple,sortent de terredes villages entièrement dédiés auxmalades d’Alzheimer: sans trafic,sans cartes de crédit, pourvus d’ap-pareils électroménagers sécurisés etsimplifiés. En manque d’une straté-gie nationale ad hoc, l’Helvétie estloin d’être aussi avancée. Tour d’hori-zon avec le Prof. Joseph Ghika, cher-cheur et neurologue au CHUV à Lau-sanne et au RSV à Sion.

Quelle est la définition basique de lamaladie d’Alzheimer?Il s’agit d’une maladie dégénérativedu tissu cérébral, touchant sélective-ment certaines populations de neu-rones initialement, avant de se géné-raliser, et générant la perte progres-sive et irréversible des fonctionsmentales. Elle débute dans 90% descas par des troubles de la mémoiredes événements récents. Pour biencomprendre, il faut d’abord définir ladémence. Grosso modo, une érosionde nos facultés cérébrales passe partrois stades. En premier lieu, le vieil-lissement normal. Avec l’âge, nousperdons tous certaines facultés, no-tamment la mémoire des noms. Apartir de là, la médecine a établi desvaleurs normales pour toute activitécognitive en fonction de l’âge et duniveau d’éducation. Dès lors qu’unpatient se situe en dessous de cesnormes, en général la mémoire, maisaussi d’autres fonctions intellectuel-les, il souffre d’un trouble cognitif lé-ger. C’est la deuxième catégorie: ellen’est pas anodine, puisqu’elle consti-

tue un important facteur de risque dedévelopper une démence, par exem-ple une maladie d’Alzheimer, à hau-teur de 15% par an. Troisième stade:la démence. Elle s’établit lorsque ledéficit de la mémoire et d’autrestroubles concomittants, par exempledu langage, des fonctions dites exé-cutives permettant de s’organiser ensituation imprévue ou inhabituelle,ou de la reconnaissance visuelle en-traînent une perte d’autonomie dupatient dans ses activités quotidien-nes ou ses interactions. Si cette dé-mence n’a pas d’autre cause identi-fiée dans le bilan effectué (commeune tumeur par exemple), et si elleprogresse dans le temps, dans 60%des cas, il s’agit d’une maladie d’Alz-heimer, avec une fiabilité de 85%dans le diagnostic. Je précise que cediagnostic repose sur une probabi-lité, certes haute, mais une probabi-

lité tout de même. De fait, à l’heureactuelle encore, un diagnostic 100%certain ne peut être établi qu’à l’au-topsie.

Comment peut-on reconnaître souffrird’une maladie d’Alzheimer?En principe, quelque chose a changépar rapport au niveau intellectuel an-térieur, et ce changement progresse.Dans 90% des cas, il s’agit de la pertedu souvenir des événements récents,des oublis. Certains patients s’en ren-dent comptent eux-mêmes. Pourd’autres, ce sont les proches qui s’enaperçoivent et le patient peut mêmele nier.

Existe-t-il des signes précédant cespertes de mémoire?Souvent. Avant que la mémoire nesoit touchée, on observe que le ma-lade devient apathique, qu’il se retirede ses activités dans la société – parexemple le club de jass ou qu’il n’aplus envie de lire. Il entre dans un étatdépressif. Ensuite, la mémoire immé-diate est touchée. La gestion de deuxou trois activités en même temps de-vient impossible, puis la mémoiredes événements récents (alors queles choses apprises anciennementsont bien rappelées). On constatefréquemment des répétitions, desoublis et des recherches incessantesd’objets, une désorientation dans letemps puis dans l’espace, une diffi-culté à manipuler les appareils ou lesobjets, à s’habiller, à reconnaître les

gens ou les endroits: la personne dé-pend de plus en plus d’autrui pourgérer le quotidien et ne peut plus êtrelaissée seule. Il y a ensuite apparitionde troubles du comportement, géné-ralement responsables du placementen établissement médicosocial. En-fin, au stade terminal, on note destroubles moteurs (marche, etc). Lamaladie d’Alzheimer est progressive.Elle s’étale généralement sur une du-rée de sept à dix ans, rarement plus.

Concrètement, sur quels outils s’ap-puie le médecin pour établir le diag-nostic?Dans la pratique, les choses se pas-sent souvent ainsi… Le médecin defamille procède à des tests simples,portant par exemple sur la mémori-sation à court terme de cinq ou dixmots, un test mental rapide et le des-sin d’une horloge. Suivant le résultat,le patient est envoyé dans uneconsultation de la mémoire ou unautre centre spécialisé de neurologieou de gériatrie pour une série de testssupplémentaires. En nous appuyantsur le concours de l’équipe de neu-ropsychologues de la Clinique deréadaptation de la SUVA pour le bilandes fonctions intellectuelles, nous se-rons alors en mesure d’établir un«panneau» très complet des facultéscognitives de l’intéressé. Pour affinerdavantage encore le diagnostic, nouspouvons procéder à une imagerie(IRM ou CT) cérébrale, permettantd’exclure une autre cause ou d’iden-tifier les zones atrophiées dans le cer-veau. On peut s’aider d’une imageriemétabolique (débit sanguin céré-bral), qui montre assez précisémentles zones cérébrales qui dégénèrent.Un PET-scan serait encore plus pré-cis, mais il n’est actuellement plusremboursé par les caisses-maladie.

Comment se traduit la maladied’Alzheimer au niveau cellulaire?La maladie commence dans l’hippo-campe, à savoir une zone du cerveaustratégique pour l’acquisition detoute information dans la mémoire àcourt et long terme et de son rappel.La dégénérescence s’étend ensuiteau système limbique et paralimbi-que, qui s’occupe de nos émotions etde nos comportements, puis les zo-nes dites associatives du cortex céré-bral responsables du langage oral etécrit, du calcul, de la reconnaissancede l’environnement, de l’utilisationmanuelle, etc. Ensuite seulement,elle atteint l’ensemble du cerveau. Sil’on entre davantage dans l’échelledu petit, on observe que la maladied’Alzheimer se traduit par un doublephénomène. Grosso modo, en situa-tion normale, la machinerie céré-brale remplace constamment lesprotéines de structure des neurones,de leurs axones et des synapses (sitede contact de deux neurones), qui sedénaturent régulièrement avec letemps. Notre cerveau dispose d’unsystème de «voirie» biochimique, quiélimine ces déchets et les recycle.Dans toutes les maladies neurodégé-nératives, la maladie d’Alzheimermais aussi la maladie de Parkinsonpar exemple, les éboueurs sont dé-passés par une accumulation de dé-chets protéiniques non dégradablesgénérés par un changement de leurvoie de transformation. Ces déchetss’accumulent, entre autres sous laforme d’agrégats de neurofibrillesdans les neurones ou de plaques pro-ches des synapses dans la maladied’Alzheimer. Cette accumulation dedéchets finit par «tuer lentement» lescellules nerveuses dont les contactsdisparaissent avant de finir par mou-rir elles-mêmes. Pourquoi cette voi-rie dégénère avec l’âge? On ne le saitpas encore, sauf dans les formes hé-réditaires qui fabriquent des protéi-nes anormales depuis la naissance etdébutent par conséquent plus tôtvers 35-60 ans déjà. Au niveau de pré-disposition génique, osons cetteimage: mille et une perturbations fi-nes sont susceptibles de submergerla voirie cérébrale!

Parfois, un malade d’Alzheimer estcapable d’oublier qu’il vient de vousvoir ou qu’il a mis une casserole sur lefeu, tandis qu’il se rappelle très biend’évènements survenus il y a vingt outrente ans. Comment l’expliquez-vous?Par le fait que nous n’avons pas uneseule mémoire, mais plusieurs systè-mes parallèles de mémoire. La MA fi-nira par toucher toutes les mémoires:reste que ce processus de dégénéres-cence s’étale sur une dizaine d’an-nées.

NOTRE EXPERT

Pr Joseph Ghika Neurologue, CHUV et RSV

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PROGRESSION INQUIÉTANTE

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2009 2020 2030

En milliers,le nombre de casen Suisse

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NEUROLOGIE �Partout dans le monde,sur un tempo pandémi-que, la maladie d’Alzhei-mer gagne du terrain.Enjeu majeur de larecherche, ce fléau pèsetrès lourd en termeshumains et économiques.

Lamémoirefoudroyée