rosés où s'arrêtera la progression? revue française d'Œnologie

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    Alors que la 13ème  édition du Mondial du Rosé se prépare, comment se porte le vin rosé

    aujourd’hui ? Bien assure Michel Couderc du Conseil interprofessionnel des vins de Provence(CIVP) qui présentait les dernières tendances du marché à Vinisud. L’attraction est toujours

    aussi forte pour ce vin facile d’accès, vin de l’instant, du partage social, sans compromis et

    bien en phase avec les envies modernes de plaisir immédiat de la société. Tout, tout de suite,

    sans se soucier des codes, juste des arômes, de la fraîcheur et des amis. Ces “non codes”

    de consommation du rosé plaisent. Ils attirent de nouveaux consommateurs. Son caractère

    libre et décalé, la possibilité de s’en délecter dans une atmosphère conviviale sont très appréciés

    et rien aujourd’hui n’incite à penser que sa progression dans la consommation mondiale

    va ralentir. par Jacques Bertin

    Selon M. Couderc, en 2014 la consommation mondiale devins rosés a atteint 22,7 millions d’hectolitres, en haussede +20 % depuis 2002. La consommation mondiale de roséreprésente plus de 10 % de la consommation totale de vinstranquilles. Les tendances sont variables par pays. La Franceet les USA sont les principaux pays consommateurs (36 %et 14 % du total), suivis par les pays d’Europe occidentale,historiquement producteurs. Les évolutions des différentsmarchés sont contrastées. La France connaît une fortehausse de la consommation de rosé depuis 2002 (+43 %).En Allemagne et aux USA, la consommation est stagnante,tandis qu’en Espagne, Italie et au Portugal la consommationest plutôt décroissante ces dernières années. Du point de

    vue des échanges, la croissance des exportations mondialesde vins rosés (9,8 Mhl en 2014) est stimulée par une fortedemande provenant de grands pays consommateurs.Avec près de 10 millions d’hectolitres échangés, les rosésdeviennent ainsi une “locomotive” du marché mondialdes vins. Près de 40 % des vins rosés traversent une frontièreavant d’être consommés.

    où s’arrêtera la progression ?

    Tous les indicateurs au vert Globalement, les importations sont en hausse. La Francereste le plus gros importateur de rosé. Les vins importéssont des premiers prix principalement. Ils viennent en vracd’Italie, d’Espagne, mais aussi d’Afrique du Sud et serventpour les entrées de gamme en GMS, pour certaines marquesfrançaises aussi, qui leur apportent de la valeur et les reven-dent localement ou les réexportent ensuite. Une partie sertencore pour l’élaboration d’apéritifs à base de vin (ABV).L’arrivée de nouveaux pays consommateurs de vin rosétémoigne d’un intérêt grandissant pour cette couleur.Les importations mondiales de vin rosé ont presque doubléentre 2002 et 2014 (+4,1 millions d’hectolitres). Cette hausse

    est principalement portée par les pays européens et l’Amé-rique du Nord.Quatre pays exportent la majorité des volumes de vin rosééchangés dans le monde. Sur le podium, l’Espagne est lepremier exportateur mondial de vin rosé, alors que l’Italie,tout en restant au deuxième rang, se retire progressivementde certains marchés d’entrée de gamme. Elle est suivie par

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    la France. Au 4ème rang, les USA sont suivis par l’Afriquedu Sud où, après une augmentation marquée en 2013,les exportations se sont repliées en 2014, devant l’abondanterécolte espagnole. Les exportations françaises progressentet confortent le pays sur le podium des pays exportateursde vin rosé, tout en étant bien valorisées.La France est le premier producteur mondial de vin roséavec 7,6 millions d’hectolitres produits en 2014, soit 30 %de la production mondiale. Entre 2002 et 2014, la production

    de vin rosé en France a progressé de presque 50% (7,6 millionsd’hectolitres en 2014 contre 5 millions d’hectolitres en 2002).La Provence, avec environ 40 %, est la 1ère région en Franceproductrice de vin rosé AOP, élaborant près de 6 % des rosésdu monde.Selon le CIVP et Wine Intelligence France, 25 % de rosé sontdéclarés consommés en 2015, en hausse sur 2014 où lamétéo n’incitait pas à consommer du rosé. Sans surprise,ce sont les femmes qui déclarent consommer 27 % de rosé,soit 4 points de plus que les hommes, mais à égalité avecles blancs. Les jeunes sont aussi des amateurs de cettecouleur. Ils déclarent consommer 26 % de rosé, soit 3 pointsde plus que les 65 ans et plus.Petit bémol, il y a encore 11 % des consommateurs qui pensent

    que les rosés sont un mélange de rouge et de blanc. 70 %pensent que c’est faux... et le reste ne sait pas.Le pourcentage pensant que les mélanges sont possiblesa baissé lors de la polémique sur le coupage, la campagnemédiatique et le changement de législation européenne,en 2009. Puis, il est légèrement remonté et reste stabledepuis... En l’absence de communication, le doute progresse,mais tous les consommateurs ne sont pas non plus desexperts. Un sur deux ne sait pas ce que veut dire AOP.Ce n’est pas vraiment choquant qu’ils ne sachent pascomment on fait du rosé, d’autant que certains, commeen Champagne, ont le droit de mélanger du rouge et dublanc. On a aussi la possibilité de mélanger des raisins, de

    mélanger du moût. Tout cela peut induire de la confusion,d’autant que certains pays ne s’en privent pas.Concernant les attentes des consommateurs, les rosésse différencient par leurs vertus rafraîchissantes (83 %d’approbation). Comme les blancs, on les associe aussivolontiers à des vins aromatiques, sucrés-fruités, ronds etrelativement peu alcoolisés. Concernant l’image, les rosésfont l’unanimité. Ils sont de plus en plus tendance (60 %soit +10 % en 4 ans), mais sont aussi perçus comme desvins de connaisseurs (60 %, +9 % en 4 ans) ou de terroirs.Ils sont plus performants que les rouges ou les blancs,en termes de vins “tendance”. On les voit comme étantde bon rapport qualité-prix et faits pour plaire au plusgrand nombre (72 %). Pour les occasions de consommation,

    le rosé est déclaré plus approprié sur les occasions plusconviviales ou détendues (barbecues, repas sur le pouce,hors repas, etc.). Ils peuvent aussi accompagner tout lerepas, alors que rouges et blancs arrivent plutôt en têtepour les occasions spéciales. Toujours selon le CIVP et WineIntelligence, les vins rosés gagnent une part croissantedes volumes de vins tranquilles consommés en France etdans de nombreux pays, représentant près de 342 millionsde consommateurs de vin. Cette croissance est en partieportée par une population féminine et jeune. Dans le monde,l’intensité déclarée de rosé consommé progresse dans denombreux pays (+5 points en 8 ans, en moyenne). Plus on est

     jeune et plus la part de rosé dans la consommation de vin

    est élevée : plus 10 points par rapport aux tranches plus âgéesdans de nombreux pays. Dans la majorité des pays, les fem-mes déclarent consommer plus de vin rosé (en proportionde leur consommation totale) que les hommes. On compte

     jusqu’à 6 points en plus, en Allemagne ou aux Pays-Bas.Aux USA, en Russie ou encore en Australie, les hommesdéclarent accorder la même priorité aux vins rosés que

    les femmes (en pourcentage de leur consommation totalede vin). Au Brésil, les consommateurs masculins de vinsimportés (urbains aisés) déclarent même 4 points de plusque les femmes ! Les jeunes boivent plus, et de plus en plusde rosé dans de nombreux pays.Au sein des rosés, une certaine segmentation se fait jour.La montée en gamme des rosés est de plus en plus possibleet avérée. La couleur rose en général est un vecteur deconsommation, puisque l’on voit aussi que les cidres rosés,

    les ABV rosés, les bières rosées sont également à la mode.Le rosé est une des clés d’entrée dans l’univers des boissonsalcoolisées. Les jeunes consomment en intensité plus devins rosés, et il semblerait qu’ils conservent cette spécificitéen vieillissant. Ces tendances doivent encore être vérifiées,mais il semble que l’on en ait les premiers indices.En vieillissant, il y a des habitudes qui se perdent, commeboire des bouteilles de vodka en boîte de nuit, mais il sembleque boire une portion de rosé plus importante, cela reste.C’est un indicateur qui rend les professionnels optimistessur l’avenir du rosé, en France. À l’international, si l’Espagneet l’Italie se mettent aux vins rosés, cela pourrait encoredynamiser le marché. De toute façon, il n’y a pas aujourd’huide signaux faibles qui pourrait freiner cet élan de consom-

    mation de vins rosés qui concerne de plus en plus de pays.La consommation augmente, la production aussi. On sedemande jusque où le rosé va se développer ? Pour l’instant,M. Couderc ne voit pas d’indices pouvant laisser penser quela France va commencer à baisser, avec une stagnationde la consommation de rosés. On devrait voir continuerla progression. En intensité, par rapport au volume globalde consommation, les volumes de rosés augmentent.En parts de marché, le rosé monte aussi. En France, on necomprend pas pourquoi l’Italie et l’Espagne ne suivent pasle mouvement. Ils sont plutôt stables ou en baisse, alorsque les Espagnols sont des gros producteurs. Pour eux,le rosé n’est pas vraiment un vin. C’est un peu comme

    en France, il y a 40 ans. C’est une forme de sous-produit.Ils ne sont pas investis. Socialement, ce n’est pas du toutreconnu. Pourtant cela pourrait correspondre à leur modede vie méditerranéen, convenir avec ces moments deconsommation qui sont de plus en plus déstructurés,comme en France. En Italie, la place est prise. Le momentapéritif, décomplexé est occupé par le Spritz, du Proseccomélangé avec de l’Aperol, pour un rosé pétillant.En revanche, si les producteurs se mettent à travaillerles rosés, comme cela s’est fait en France, à ne plus le consi-dérer comme un sous-produit, ces pays ont du potentielet la perception de leurs consommateurs pourrait évoluer.Cela pourrait être un nouvel accélérateur de la consom-mation mondiale de rosés. Ensuite, on voit toute l’Europe

    du Nord et un bon nombre de pays qui développent leurconsommation, plus ou moins doucement, selon les pays.On voit l’émergence de nouveaux pays consommateurs :Royaume-Uni (+250 %), Suède (+750 %), Canada (+120 %),Hong-Kong (+250 %). Il y a des pays, comme la Tunisie etl’Uruguay, où les vins rosés représentent approximativementla moitié de la consommation de vins tranquilles. Il y aaussi les USA, avec une consommation globalement plutôtstable en rosé, alors que rouge et blanc augmentent.M. Couderc relève une évolution quand même : ils boiventde moins en moins de rosés sucrés et vont vers des rosésclairs, sans sucre et aromatiques, notamment de Provence.

    Une recherche active sur les rosés Les producteurs suivent la demande, cherchant à obtenir

    un vin de plus en plus qualitatif, soigné, régulier, expressif.Ils tirent le produit vers le haut et réussissent même à encréer une gamme, tant la diversité est possible, selon lesterroirs, les cépages, les techniques de vinification. Le Centredu Rosé participe largement à la connaissance scientifique

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    du rosé et Nathalie Pouzalgues en a dévoilé quelques travaux,lors d’une conférence au Sitévi. Avec Laure Cayla de l’IFVet Florent Touzet de l’ICV, ils ont donné les résultats deplusieurs études consommateurs et de leurs recherchessur le goût, les arômes, la couleur, etc., qui contribuent au

    succès du vin rosé.N. Pouzalgues s’est attachée à mieux faire comprendrele goût pour le vin rosé dont la consommation est en hausse.Le plus intéressant, c’est qu’elle augmente, malgré la dimi-nution tous vins confondus, dans les pays traditionnellementproducteurs. Et ce n’est pas qu’un simple effet de mode,puisque cela se produit depuis plus de dix ans. La perceptionde cette couleur est aussi particulière. Ce n’est pas la plusappréciée, même si elle renvoie à l’affection et au décalage.D’ailleurs, ce n’est pas vraiment une couleur au départ,avec des nuances qui vont de l’orange au violet. C’est aussiun vin différent des autres, ce qui colle bien à l’idée dedécalage, avec un fort capital de sympathie et de charme.

    Tendre, romantique, facile, de plaisir immédiat, le rosé estun vin aux codes féminins qui attire ainsi les hommes,mais qui séduit aussi les jeunes et les femmes. Il recrutesurtout de nouveaux consommateurs qui mettent le nezdans le verre et découvrent la convivialité du vin, puis selaisseront sans douter gagner par l’étendue des plaisirsde la dégustation des blancs et des rouges.Laure Cayla a présenté des travaux sur la macération desbourbes, qui peuvent représenter 10 à 20 % des volumes de

     jus en production et qui sont riches en thiols. En comparant3 modalités, elle a montré qu’une macération avec les bourbespeut être favorable à l’expression aromatique des vins etqu’elle peut aussi marquer leur typicité.La couleur du rosé varie du blanc taché au rouge pâle.

    Selon N. Pouzalgues, le rose clair et plus généralementles couleurs pâles sont les plus appréciées. La couleurdomine le choix, comme l’a montré une enquête de 2008.Un même vin a été proposé en 3 échantillons, l’un ayantété coloré en jaune et un autre en rouge : c’est toujoursle vin dont on apprécie le plus la couleur qui a été préféré.

    Sans épiloguer sur les goûts et les couleurs des consom-mateurs, iI semble y avoir un lien odeur et couleur, un peucomme si la couleur suggérait le goût. Le même vin a étéégalement présenté en 3 échantillons avec 1 g/l de sucreajouté, 4 et 7 g/l. Au final des différences significatives ont

    été observées, avec des préférences pour les vins les pluscomplémentés en sucre, estimés aussi plus aromatiques(rose, pêche). Le vin est jugé plus rond, mais égalementplus fruité, comme si le sucre agissait comme exhausteurde goût. Selon des expérimentations conduites au Centredu Rosé, il semble que la quantité de sucre résiduel estcertainement le facteur qui influence le plus l’équilibredu vin. Il a été montré que la présence de sucre augmentelogiquement la perception du gras, mais influence égalementl’intensité aromatique, la longueur en bouche et la noteglobale.Concernant l’impact des arômes sur le goût des rosés,l’importance des esters et des thiols est confirmée sur la

    variation d’expression des arômes. Beaucoup d’esters etpeu de thiols renforcent les arômes de banane et d’anis.Lorsqu’il y a beaucoup d’esters et beaucoup de thiols, voilàles fruits exotiques. Alors que peu d’esters et beaucoup dethiols mettent en avant les arômes d’agrumes et de buis.Différents composés volatils, essentiellement d’originesfermentaire et variétale, sont responsables de la composantefruitée des rosés. Les choix technologiques opérés en cavepeuvent favoriser l’une ou l’autre de ces composantes.L’élaborateur peut donc, par le choix des itinéraires, desintrants et des équipements, orienter la qualité organolep-tique des vins (équilibre, arômes et couleur) et peut ainsirépondre à des marchés différents ou créer une gamme.Si le profil gustatif et aromatique dépend avant tout du

    potentiel de la matière première, les conditions de fermen-tation (choix de la levure, température de fermentation,activateurs, etc.) peuvent moduler la révélation des différentscomposés d’arômes. Le travail des bourbes et la limitationdes apports en oxygène sont favorables à l’expression desthiols volatils.

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    Tout un univers à découvrir Florent Touzet, de l’ICV, a présenté les résultats du Panelsur les rosés de l’Institut qui permet une mise en perspectivedes vins par la dégustation. Il ne s’agit pas d’un concours,mais de provoquer un débat avec les techniciens sur lesvins préférés : les profils que ciblent les techniciens sont-ilsaussi préférés par les consommateurs ? Quels sont les itiné-raires techniques qui permettent d’obtenir ces profils ?Quels moyens les caves doivent-elles engager pour resterdans la course ? Le Panel a réuni les productions de 52 coopé-ratives et unions du secteur ICV Provence sur leurs rosés2014, conditionnés et vendus de 4,4 € à 8,3 € la bouteille.Deux dégustations ont eu lieu en avril, l’une avec 17 jurésprofessionnels et l’autre avec 18 jurés amateurs. Une troisièmedégustation s’est déroulée en janvier, sur ces mêmes vinsconservés en vinothèque, avec le jury des œnologues del’ICV. Résultat, sur les 13 vins préférés par chaque jury seuls4 sont communs aux deux jurys. 9 sont sélectionnés parchacun des jurys, sans figurer dans les vins préférés parl’autre jury. Parmi les 13 vins sélectionnés à la moyennedes deux jurys, 6 sont le fait des professionnels et 3 sontle fait des amateurs. F. Touzet remarque que la dispersiondes notations est plus grande pour le jury professionnel !

    Comme lors du Panel 2014, on trouve un merlot parmi lesvins préférés. Sinon, la majorité des vins est à base de grena-che. F. Touzet relève aussi un intérêt pour la complexité,la finesse et l’harmonie. Les profils de base thiolé/agrume/exotique sont majoritaires, mais le style amylique/fruitrouge a toujours sa place. Une pulvérisation foliaire azotéeet un travail des bourbes sont généralement associés auxprofils thiolés. Les vins sont issus de parcelles identifiées(tri ou sélection parcellaire). Il observe aussi un groupede levures “à succès”, des fermentations froides (