riet, joie et bonheur dans le traité d'al-kindi_1963_num_61!69!5192

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Simone Van Riet Joie et bonheur dans le traité d'al-Kindi sur l'art de combattre la tristesse In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 61, N°69, 1963. pp. 13-23. Citer ce document / Cite this document : Van Riet Simone. Joie et bonheur dans le traité d'al-Kindi sur l'art de combattre la tristesse. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, Tome 61, N°69, 1963. pp. 13-23. doi : 10.3406/phlou.1963.5192 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1963_num_61_69_5192

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Riet, Joie Et Bonheur Dans Le Traité d'Al-Kindi_1963

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  • Simone Van Riet

    Joie et bonheur dans le trait d'al-Kindi sur l'art de combattre latristesseIn: Revue Philosophique de Louvain. Troisime srie, Tome 61, N69, 1963. pp. 13-23.

    Citer ce document / Cite this document :

    Van Riet Simone. Joie et bonheur dans le trait d'al-Kindi sur l'art de combattre la tristesse. In: Revue Philosophique deLouvain. Troisime srie, Tome 61, N69, 1963. pp. 13-23.

    doi : 10.3406/phlou.1963.5192

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0035-3841_1963_num_61_69_5192

  • Joie et bonheur

    dans le trait d'al-Kindi

    sur l'art de combattre la tristesse r>

    II est, parmi les uvres d'al-Kindi, un court trait de morale populaire qui enseigne un savoir-faire particulier : l'art de combattre la tristesse (1). Ce trait a t dit en 1938 par MM. H. Ritter et R. Walzer (2>. M. Ritter en avait dcouvert le texte dans un manuscrit de la Bibliothque de Sainte-Sophie Constantinople, manuscrit qui contenait une trentaine d'opuscules d'al-Kindi. M. Walzer en a fait

    Dans l 'Histoire de la mdecine arabe, Paris 1876, rimpression New- York I960, t. I, p. 165, L. LECLERC cite le trait dans la liste des uvres de mdecine d'al-Kindi d'aprs Ibn Abi Ossabiah, et en traduit le titre par Moyens de combattre la tristesse . G. FluEGEL, dans Al-Kindi genannt der Philosoph der Araber, Leipzig, 1857, cite le trait dans la liste des uvres politiques d'al-Kindi d'aprs Ibn Nadim, p. 47, n 191 ; il en traduit le titre, p. 31, n 191, par Abhandlung ber die Entfernung der Traurigkeit . Dans l'dition de H. RlTTER et R. WALZER, Rome, 1938, le texte arabe porte comme titre risfila... f '1-hlati lidafi '1-ahzn , titre traduit en italien par < Epistula... intorno all'arte di allontanare le tristezze . (Pour des raisons typographiques, dans notre transcription de l'arabe, la lettre h correspond aux lettres arabes h, spirante laryngale sourde et h, spirante sonore; la lettre d correspond dal et dd, la lettre t ta et ta, la lettre s sin et sd.)

    Uno acritto morale inedito di al-Kindi, dans Memorie dell' Accademia dei Lincei, srie VI, vol. VIII, fasc. I, pp. 2-62. Une autre dition a t publie par M. M. Kaohim al TURAIHI, dans Al-Kindi, The First Arabie Philosopher, Publications of al-Maarif Library, Bagdad, 1962, pp. 110-125. Une recension de l'dition RlTTER et PRELLER a t faite en 1938 par M. PoHLENZ, Die Araber und die griechische Kultur, dans Gttingische Gelehrte Anzeigen, t. 200, 1938. pp. 409- 416; une autre par Fr. ROSENTHAL dans Orientalia, vol. IX, 1940, fasc. 1-2, pp. 182- 191. R. WALZER signale les deux recensions dans Oriens, vol. 3, 1950, p. 2, n 4; ili cite celle de Pohlenz dans son ouvrage Greek into Arabie, Oxford, 1962, p. 31. n I.

  • 14 Simone Van Riet

    une traduction italienne, avec introduction et commentaire ; il y tudie la fois les imitations arabes du trait d'al-Kindi et ses sources grco-latines (3).

    Le trait s'inscrit dans la tradition grecque par le genre littraire de la consolatio auquel il appartient, par le thme qu'il traite, VXunia, par son plan qui tablit d'abord le diagnostic, puis la thrapeutique du mal quest la tristesse (4). Les nombreuses citations d'auteurs grecs et latins Platon, Aristote, Cicron, Snque, Philon, Plutarque, Galien auxquelles le texte arabe fait cho, ne permettent cependant pas de dterminer avec prcision la source du trait d'al-Kindi : il s'agit de matriaux trop employs, trop entremls par les diverses coles philosophiques, pour qu'ils puissent servir de repres sur la route qui, travers les sicles, relie Athnes Bagdad.

    Si nous voquons ici le trait d'al-Kindi sur la tristesse, ce n'est pas pour entreprendre une nouvelle enqute sur ses sources possibles. Ce n'est pas non plus pour apprendre d'al-Kindi ce qu'est la tristesse, ft-ce pour mieux la combattre. Notre propos se rattache plus directement une atmosphre de fte : nous chercherons dgager du trait ce qu'il nous dit de la joie et du bonheur. Le thme de la joie et du bonheur doit, semble-t-il, accompagner invitablement le thme de la tristesse et inspirer, de faon explicite ou implicite, les conseils que l'on peut donner sur l'art de la combattre.

    DFINITION DE LA JOIE PAR LA TRISTESSE

    Tristesse et joie, dit le trait, s'opposent l'une l'autre et ne demeurent pas ensemble dans l'me : si on est triste, on n'est pas joyeux, et si on est joyeux, on n'est pas triste (5>. joie et tristesse, tant le contraire l'une de l'autre, reoivent par l, mme nature, mme objet. Elles ne sont pas deux passions qui pourraient exister

    R. Walzer, op. cit., a soulign les prmisses platoniciennes du trait et sa conformit, en de nombreux points, avec la doctrine acadmico-pripatticienne. De son ct, M. Pohlenz a signal la prsence de nombreux thmes stociens dans le trait d'al-Kindi, et en mme temps son caractre composite. Das Charakte- ristische der Schrift ist gerade, dass sie ebensowenig ' platonisch-peripatetisch ' wie stoisch ist. Der philosophische Synkretismus ist viel alter als der religiose , op. cit., p. 416.

    Cf. M. Pohlenz, op. cit., p. 410; voir aussi Fr. Rosenthal, op. cit., p. 182. II. 5.

  • Joie et bonheur chez al-Kindi 15

    simultanment, et dont on pourrait analyser de faon distincte les effets, effets qui leur tour, pourraient tre physiques et psychiques. La joie, souror, est l'absence de tristesse, houzn.

    Or, qu'est la tristesse ? Elle est une souffrance de l'me provoque par la perte de ce que nous aimons, ou l'absence de ce que nous dsirons (6>. Personne n'chappe aux causes de tristesse, car il n'est personne qui obtienne tout ce qu'il dsire ou vite la perte de tout ce qu'il aime : dans le monde du devenir et du provisoire o nous sommes, stabilit et dure n'existent pas (7).

    Les causes de tristesse se situent donc dans le monde de l'instable et du provisoire appel plusieurs fois globalement le monde sensible ; ce monde s'oppose le monde intelligible , o les causes de tristesse ne peuvent exister. Les causes de tristesse sont extrieures nous, et non pas en nous (8>. Mais si les causes de tristesse sont invitables, la tristesse ne l'est pas : c'est nous qui l'introduisons en nous sans ncessit

  • 16 Simone Van Riet

    un consentement de l'me toute circonstance, consentement qui la rend satisfaite, contente.

    La joie s'obtient par l'habitude. En effet, dit le trait, si nous aimons ou dtestons une chose appartenant au monde sensible, notre amour ou notre haine ne rsulte pas de la nature de cet objet, mais de nos habitudes et de la rptition (I2). La tristesse appartient la catgorie grecque ftaei et non aet, elle est par convention, non par nature (1S).

    Les hommes peuvent placer leur affection en des objets trs diffrents. La diversit mme et le caractre contradictoire de ce qui est recherch ou ha indiquent que la tristesse et la joie qui en dcoulent ne sont pas lies la nature des choses. Preuve : les attitudes du bon vivant, attach aux plaisirs de la table, du vtement, de l'amour, celle du joueur amateur de jeu de hasard, celle du brigand, celle de l'effmin ; chacun d'eux se dclare triste ou joyeux d'aprs la perte ou la possession d'objets trs diffrents (14).

    La leon que le trait d'al-Kindi dgage de ces exemples est celle-ci : il y a une route facile qui conduit l'exercice de la joie en tout ce qui se prsente nous, c'est l'habitude. Et alors que ni tristesse ni joie ne sont inhrentes aux objets sensibles, cette habitude de joie peut, elle, devenir une habitude inhrente nous, cda lzima, afin que toute notre vie soit agrable

  • Joie et bonheur chez al-Kindi 17

    L'habitude qui combat la tristesse consiste d'abord dans le fait que l'me trouve en toute circonstance son contentement. Cette attitude, rida, est encadre de deux autres. L'habitude qui s'offre comme le seul remde la tristesse rend facile l'endurance, sabr, et l'art de se consoler, saliva. L'endurance s'exerce sur ce qui nous manque, la consolation sur ce que nous perdons. Ces deux dernires attitudes sont dfinies de faon ngative, et portent sur le double aspect de ce qui peut provoquer la tristesse : perte de ce qu'on aime, privation de ce qu'on dsire. Le contentement, au contraire, est positif, et consiste accepter ce qui est, vouloir ce qui est, limiter au possible l'objet des affections et des dsirs. Endurance, consolation, contentement, runis et mis en pratique conduisent l'attitude royale de la joie, oppose l'attitude vulgaire de la tristesse.

    C'est, en effet, par l'exemple de la majest royale que al-Kindi illustre les trois attitudes qui font chec la tristesse. Les rois pleins de majest, dit-il, ne vont pas la rencontre de celui qui arrive, et n'accompagnent pas celui qui s'en va, mais ils jouissent de tout ce qui se prsente eux (17). On reconnat le symbole : celui qui va au devant de, dsire ; celui qui accompagne, regrette ; la possibilit de jouir du moment prsent lui chappe. Dans le comportement que loue notre trait, il y a possibilit de jouir de tout ce qui se prsente, parce que, au pralable, il y a refus de la tristesse qui pourrait rsulter de la privation et de la perte. Et ce refus entrane les attitudes d'endurance, sabr, et de consolation, salwa, qui encadrent l'attitude de contentement et d'acceptation, rida.

    La joie, forme de reconnaissance

    II est une forme de joie que le trait prsente de faon particulire. Elle n'est plus dfinie seulement par rapport la tristesse, elle n'est plus seulement tourne vers nous pour rendre plus agrable le cours de notre vie, elle est prsente comme un devoir de justice.

    Toutes les choses que nous possdons, dit al-Kindi, ne nous sont que prtes. Celui qui nous les a prtes a le droit de les reprendre quand il lui plat. Or, le minimum de gratitude qui est due par celui qui a reu un prt, est de le restituer quand le prteur le veut, de plein gr et avec joie '1>>.

    VIII, 3: maea ttbati iurfsin w bahjin .

  • 18 Simone Van Riet

    Les mots employs ici pour dsigner la joie expriment la srnit, la gat panouie d'un cur bien n. Eprouver de la tristesse au moment de rendre un prt serait faire preuve de peu de reconnaissance, et serait un comportement injuste

  • Joie et bonheur chez al-Kindi 19

    rha ("'. Une formule nouvelle, parallle celles qui ont t rencontres dj, se propose au terme de l'allgorie : ceux qui sont retourns au navire sans se laisser distraire par ce qui est tomb sous leurs sens... arrivent les premiers la place la plus spacieuse et la plus commode, et atteignent leur patrie dans le repos musta- rhan (Z3). Tristesse, joie ou repos, sont donc des conditions diffrentes, opposes l'une l'autre, librement choisies et dveloppes par les passagers du navire qu'est notre monde du sensible et du provisoire, mais elles se limitent la dure de notre traverse. La forme de joie qu'est le repos implique une nuance qui n'a pas encore pris place dans les composantes de la joie, et qui diffre de l'endurance dans la privation, de la capacit de se consoler des pertes subies, et de l'habitude du contentement : c'est la capacit, complmentaire de l'art d'tre content de ce qui est, de protger un certain repos intrieur contre les proccupations inutiles. Alors que les animaux se contentent de pourvoir leurs besoins et vivent exempts de proccupations, l'homme, dot de discernement, s'est mis rechercher une srie de plaisirs inutiles qui le distraient de ses intrts vritables et le font sortir de son repos en ce monde (24>.

    Bonheur et scurit

    A ct de la joie, situe dans le monde du provisoire, al-Kindi dcrit un certain bonheur stable.

    Les passagers du navire, dit al-Kindi, sont en route vers leur patrie. Cette patrie, il la dcrit comme le monde vrai, o il n'y a ni pertes ni afflictions, parce que en ce monde-l il n'y a rien qui ne soit vrai, et qu'on n'y veut rien qu'il ne faille dsirer (2S). Chacun de nous doit mener, en dehors de la vie prissable, une vie durable (26). Le monde vrai, le monde de cette vie durable, est le monde intelligible. L seulement existent la stabilit et la dure. Si nous voulons viter toute cause de tristesse, perte ou privation nous devons avoir la vision du monde intelligible, et faire driver de lui nos affections, nos possessions et nos volonts XI. 8. M X. 2. XI. 10. X. 4 I. 3.

  • 20 Simone Van Riet

    On s'attendrait ce que, aprs de* telles prcisions sur le monde intelligible, aprs une telle invitation orienter vers lui le regard et l'amour, al-Kindi situe d'un mot un certain bonheur, une certaine plnitude dont ce monde serait la patrie, et qui serait d'un autre ordre que la joie, condition optimale certes, mais lie au monde sensible et la traverse vers la patrie.

    Or rien de tel n'apparat dans le trait qui nous occupe. Le seul rsultat promis ceux qui s'orientent tout entiers vers le monde intelligible, c'est la scurit : si nous faisons cela contempler ce monde, faire driver de lui toutes nos affections , nous sommes srs, uminn, que personne ne nous ravira nos possessions et que nous ne serons pas privs de ce que nous aimons .

    On rencontre pourtant dans le texte du trait les mots heureux et malheureux . Celui dont la recherche est vaine, est malheureux, shaq ; donc celui qui dsire les choses provisoires, qui veut les possder et en faire l'objet de son amour, est malheureux, et celui dont la volont s'accomplit est heureux, sacd (29). 11 faut que nous aspirions tre heureux, et que nous nous gardions d'tre malheureux (30). Il faut pour cela que nous limitions notre volont et notre amour ce qui est possible (31).

    Le contexte o se trouvent les mots heureux et malheureux , ne permet pas de dire qu'ils introduisent dans le trait une description du bonheur en tant que possession stable d'une plnitude. Ce contexte est parallle celui qui dcrit la tristesse : dsirer les choses provisoires, vouloir les possder, sont les causes mmes de la tristesse ; limiter ses dsirs ce qui est possible, est l'une des composantes de la joie, qui n'est rien d'autre que le contraire de la tristesse.

    C'est donc ailleurs que dans les mots heureux et malheureux , qu'il faut chercher si le trait d'al-Kindi affirme l'existence de biens dont la possession entrane ncessairement plnitude. Puisque la tristesse et la joie sont prsentes comme des attitudes volontaires, librement choisies, non lies la nature des biens ou des dsirs qui en sont la cause, et s'exerant de faon exclusive dans le domaine de la vie prissable, dans le monde du sensible et du pro-

    II. 1 et VI, 8.

  • Joie et bonheur chez al-Kindi 21

    visoire, toute tristesse qui serait dclare lgitime, justifie en raison du caractre prcieux des biens mis en cause, nous indiquerait du mme coup quels biens sont source de bonheur.

    Or il y a dans le trait des indications de ce genre. Les choses qui nous sont propres, que personne ne partage avec nous, auxquelles personne ne peut porter la main, que personne ne peut possder notre place, ces choses qui sont une possession de nos mes, appartenant la catgorie des biens de l'me, min al-kjnayrt an-nafsniyya, voil les biens dont la perte peut entraner pour nous une tristesse lgitime (32). Une autre indication nous est donne dans le mme sens, mais propos de la joie conue comme forme de reconnaissance : si, au moment o nous prouvons certaines pertes, il y a pour nous cependant un devoir de reconnaissance, c'est en raison du caractre prcieux, an fus, de ce qui nous est laiss, l'me, naja. Enfin, au moment de terminer l'allgorie des passagers embarqus sur le navire et faisant voile vers la patrie, le texte prcise : si nous nous attristons, nous devons le faire parce que nous sommes spars de notre vraie demeure, mahalloun 'l-haqq et que nous nous trouvons dans une rgion qui nous carte de notre vraie patrie. Dans cette demeure vritable, ce qu'il faut dsirer se trouve l, en mme temps que celui qui dsire, sans sparation et sans perte possible (S3>.

    Par l'ensemble de ces textes, al-Kindi affirme l'existence d'un monde dont la possession entrane de soi, ncessairement, bonheur et plnitude, dont la privation doit produire la tristesse : il situe explicitement parmi les biens de cette nature, notre me, les biens de l'me, le monde de l'intelligence, monde o existent stabilit et dure.

    Joie et bonheur

    Au terme de notre analyse, une certaine ambigut apparat dans le trait d'al-Kindi, propos du thme de la joie et du bonheur. La description de la joie comme attitude volontaire, intrieure, qui nous rend contents de ce que le monde changeant nous offre, fait de la joie une attitude subjective. Le bonheur, au contraire, semble objectif, puisqu'il dpend, dans sa plnitude, de la possession de

  • 22 Simone Van Riet

    biens spirituels qui, eux, sont stables. Le trait entrelace les deux valeurs de bonheur et de joie, sans chercher liminer l'ambigut que nous signalons. A ct d'un bonheur de type platonicien, al-Kindi dcrit une joie qui, en particulier pour les attitudes d'endurance et d'acceptation, correspondrait assez bien certaines doctrines stociennes (34).

    L'allgorie du navire, par exemple, juxtapose les deux thmes : une brve comparaison entre le texte d' al-Kindi et deux autres textes, l'un platonicien, l'autre stocien, nous le montre. Un texte de S. Augustin (35) compare notre vie celle de voyageurs qui ne peuvent tre heureux que dans la patrie. Ces voyageurs sont bien obligs d'employer des moyens de transport ; s'ils prennent trop de got aux plaisirs du voyage et au mouvement du vhicule qui les porte, ils risquent d'tre privs de la patrie. Il faut donc user de ce monde terrestre et non en jouir. Une telle description de la vie terrestre, ne situant le bonheur que dans la patrie, reste dans la ligne de la doctrine platonicienne. Al-Kindi dclare lui aussi que le navire conduit les voyageurs au lieu de leur vraie rsidence, de leur patrie. Mais la mme allgorie apparat dans un texte d'Epictte : De mme que, au cours d'un voyage en mer, lorsque le navire fait escale, si tu le quittes pour faire de l'eau, tu peux, en passant, ramasser un coquillage ou un oignon, mais il faut tendre toutes tes penses vers le navire, te retourner sans cesse pour voir si le pilote ne t'appelle pas, et s'il t'appelle, il faut laisser tout l, de peur d'tre jet bord, enchan comme du btail... ainsi dans la vie, si le pilote t'appelle, cours vers le navire et quitte tout, sans te retourner

  • Joie et bonheur chez al-Kindi 23

    L'ambigut qui en rsulte dans la description de la joie et du bonheur se rattache ainsi au problme de la structure mme du trait, et confirme par une application particulire, les remarques gnrales faites dj par R. Walzer et M. 'Pohlenz sur l'absence d'unit de la composition et la diffrence de ton qui existe entre certaines parties (37).

    Notre essai ne peut dpasser les limites des matriaux que fournit un petit trait de philosophie populaire. Sans vouloir y donner d'autre enseignement que celui qui permet d'loigner la tristesse, al-Kindi trace, comme en filigrane, l'esquisse d'un enseignement sur la joie et le bonheur. D'antiques leons de sagesse grecque ont sans doute servi de base cet enseignement. A quelle cole ou quel auteur elles remontent, on peut en discuter. Mais elles nous parviennent en un message lui-mme plus que millnaire, et c'est ce message qu'il importait de faire partiellement revivre aujourd'hui.

    Simone Van RlET. Louvain.

    '"> Cf. R. Walzer, op. cit., p. 25, et M. Pohlenz, op. cit., p. 4M.

    InformationsAutres contributions de Simone Van RietVoir aussi:Simone Van Riet. Joie et bonheur dans le trait d'al-Kindi sur l'art de combattre la tristesse, Revue Philosophique de Louvain, 1963, vol. 61, n 69, pp. 13-23.

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    PlanDfinition de la joie par la tristesseLa joie, habitude du contentementLa joie, forme de reconnaissanceJoie et reposBonheur et scuritJoie et bonheur