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  • Courrier de l'Environnement de l'INRA n25 77

    represdans le paysage agricole franais

    Le tournant cologique doit reprsenter une attnuation de la dominanceconomique sur le monde.par Louis DumontPropos recueillis par Nicolas Weil, Le Monde des 23 et 24 avril 95 (*)

    N en 1911, Louis Dumont est un anthropologue et un penseur aussiimportant qu'influent. C'est aussi un homme mconnu du grandpublic. Discret, < chercheur plutt que professeur , comme il se plat le dire, ce thoricien de l'individualisme, attir dans sa jeunesse parles marges du courant surraliste, est rest isol dans l'universit.Proche des intellectuels communistes, et des milieux du cinmaavant la deuxime guerre mondiale, Louis Dumont frquente,jusqu'en 1939, le collge de sociologie de Roger Caillois et deGeorges Bataille. C'est son travail au muse de l'homme, auprs duprofesseur Rivet, qui orienta sa recherche du ct de l'anthropologie.Inspir par Marcel Mauss, il se met tudier le sanscrit tout au longde sa captivit en Allemagne. Aprs la guerre Louis Dumont setourne rsolument vers le terrain et passe plusieurs annes tudier le systme des castes en Inde. Le rsultat de ces dcenniesde travail est rassembl dans son Homo hierarchicus, le systme descastes et ses implications. A partir des annes 60, Louis Dumont setourne vers l'tude des idologies occidentales (terme qu'il fautcomprendre dans le sens de systme de croyances et de valeurs,Louis Dumont parle aussi d' ides-valeurs ). Il tudie comment, aucoeur de ces socits, s'affrontent, depuis la rvolution franaise, leprincipe nouveau de l'individualisme et la tradition hirarchique, le holisme (qui entrane la suprmatie de l'organisation sociale surl'individu). Dans l'entretien qu'il nous a accord, Louis Dumont qui aconsacre un livre l'idologie conomique, de Mandeville Marx,cherche mettre en vidence le tournant anthropologique,gnralement inaperu de la fin de ce sicle. Un tournant qui clt,d'aprs lui, l're ouverte au dix-septime sicle par Descartes et parla volont de domination de la nature. Directeur d'tudes l'cole deshautes tudes en sciences sociales, Louis Dumont est galementdocteur honoraire de l'universit de Chicago et membre tranger del'Acadmie britannique et de l'acadmie amricaine des arts et dessciences.

    Pensez-vous que notre poque voit la fin du rve cartsien,que vous appelez l' artificialisme se rendre matre etpossesseur de la nature ?

    - Mon prcdent entretien au Monde, avec ChristianDelacampagne (25 janvier 1981), se terminait sur lasuggestion d'un tournant historique cet gard : non pas find'un rve, mais inflexion du cours du progrs technique, enfonction de sa puissance mme, et complexit accrue de ce

    progrs pour obvier aux consquences destructricesinvolontaires de cette puissance. L'artificialismepromthen de la civilisation moderne est maintenantoblig de tenir compte des limites que lui impose le milieunaturel dont la prservation, en quelque sorte, estindispensable la survie de l'humanit. Il est surprenant deconstater que ce fait historique majeur d'un tournant dansl'orientation du progrs technique chappe pratiquement l'attention de nos contemporains, pourtant friands de faitsde longue dure . On a pourtant tout vu, dans le senstantt de l'affirmation de proccupations cologiques, tanttde la critique des prtentions cologiques et de laraffirmation de la suprmatie de la science. Il y a trenteans, le mot cologie ne dsignait encore que l'tude desrapports des tres vivants avec leur milieu.Aujourd'hui, est cologiste quiconque s'intresse de prsaux associations - politiques ou non - qui se sont cresautour de la dfense de l'environnement. Le dveloppementde l'cologie a t si puissant qu'il a charri beaucoup descories, des excs de nophytes, des exagrations et desaffirmations non fondes, des prjugs traditionnels habillsen nouveauts pseudoscientifques, mais, pour l'essentiel, jecrois qu'il faut dire que, dans les circonstances donnes, il at - il est - le bienvenu. Au reste, c'est vident : nonseulement la pollution est sur toutes les lvres mais desdpenses considrables sont engages partout pour arrterla dgradation du milieu et mme le restituer dans son tatnormal : on me dit, par exemple, que la mort par pollutiondes grands lacs amricains, qui avait beaucoup progress,est maintenant en chec. Des confrences internationalessont convoques pour promouvoir la dfense del'environnement au plan mondial. Un trait international abanni les gaz CFC, coupables de favoriser le trou observdans la couche d'ozone. Une confrence est runie Berlin,en avril 1995, pour mobiliser le monde contre unaccroissement de l' effet de serre qui nous menaceraitd'une surchauffe de l'atmosphre terrestre. Tout cela montrel'utilit de la prise de conscience cologique, ct de quoi

    (*) Article repris avec l'aimable autorisation du Journal.

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    les excs de l'cologisme - et mme son obscurantismeoccasionnel - psent peu.

    - Cependant le rle principal revient, bien sur, aux hommesde science ?

    - En effet : ce sont des scientifiques, sans doute proccupsd'cologie, qui ont mis et mettent en vidence les faits dedgradation du milieu, que les cologistes ont contribu faire connatre largement, ce sont les scientifiques quidemeurent seuls qualifis pour tablir ces faits, les mesureret proposer des remdes, mais on peut parier que l'agitationcologique contribue orienter l'intrt des scientifiqueseux-mmes vers certaines questions plutt que d'autres.Pourquoi faut-il, dans ces conditions, que des scientifiquessemblent refuser l'ide du tournant historique dont nousavons parl ?Une manifestation concerte, spectaculaire, a eu lieu l'occasion du grand Sommet de la terre Rio, en juin 1992.Un manifeste - labor lors d'une confrence de savants Heidelberg en avril et sign finalement par quatre centcinquante-cinq personnes, dont soixante-deux PrixNobel - a t proclam en lever de rideau au sommet deschefs d'Etat et de gouvernement assembls en vue de laprservation de la Terre. Ce manifeste associait sans douteses signatures l'effort ncessaire pour prserver notrehritage commun la Terre , mais il tait surtout consacr la dfense de la science, considre comme menace parl'idologie cologique, elle-mme dnonce comme irrationnelle . Il rclamait que seuls des critresscientifiques soient reconnus dans la prise en compte, lecontrle et la prservation des ressources naturelles (LeMonde du 1e r juin 1992). Le thme est attendu, maiscertaines expressions peuvent surprendre. Ainsi, lemot contrle parat dplac, puisqu'il s'agit au contraire,de faon prdominante, d'assurer, au nom del'environnement (qui est davantage que des ressourcesnaturelles ) le contrle des activits humaines. Voilune phrasologie qui semble bien relever de l'artificialismecartsien.

    - Est-ce qu'ici vous ne donnez pas trop de poids desdtails d'expression ? De toute faon, il ne s'agit que d'ungroupe de savants qui on a fait craindre que la science, etleurs crdits de recherche en particulier, seraient menacssi le lobby cologique prenait trop d'influence sur lesgouvernements.

    - Certes, et il n'est pas question de gnraliser, partir dessignataires de cette dclaration, l'ensemble de lacorporation savante. Mais la dclaration exprime un tatd'esprit, qui a paru acceptable un groupe assez nombreuxet assez prestigieux pour monter une oprationspectaculaire. Un paragraphe marque clairement le refusd'enregistrer le tournant historique que nous signalons ici. Ilest dit que l'cologie se doit d'tre scientifique. Or l'cologie scientifique n'est rien d'autre que leprolongement de ce progrs constant vers des conditionsmeilleures pour les gnrations futures [soulign parLouis Dumont]. Ainsi, au moment mme o cespersonnalits prennent leur compte la prservation del'environnement, elles affirment qu'il n'y a rien de chang !De plus, leur dclaration se teinte de scientisme lorsqu'elleimplique que la science rpond de ses applicationstechniques et industrielles et lorsqu'elle oublie la distinctionentre les moyens, o la science est souveraine, et les finsqui lui chappent.Cette mise en chec de l'artificialisme aveugle ou incompletpar la proccupation cologique parat importante,

    l'chelle de la longue dure culturelle, quelqu'un qui atudi la gense de l'idologie moderne . Elle fait penser, eneffet, par analogie, une sorte de progrs dialectique parrapport des dveloppements prcdents, au plan des ides-valeurs.

    - Vous avez sans doute dans l'esprit, ici, les dveloppementshistoriques que vous avez tudis dans Homo aequalis I propos de la gense des ides conomiques. Ces vues nesont pas familires tout le monde. Pourriez-vous enrappeler l'essentiel par rapport ce qui nous occupe ici ?

    - Volontiers. Cela nous intresse ici dans la mesure o laperspective conomique est, pour les modernes, unemanire importante de considrer leur rapport avec leurmilieu, qui sous-tend, pour une bonne part, leur interactionavec ce milieu. Tout d'abord, cette perspective est rcente.Karl Polanyi a montr de faon dfinitive, dans La GrandeTransformation (traduction franaise Gallimard, 1983),comment certains aspects de la vie humaine, qui jusque-l,dans toutes les cultures, se trouvaient mlangsindistinctement avec d'autres aspects, se sont vus, chez nous un certain moment, spars, dsinsrs (disembeded) dutissu social et agrgs ensemble en un sous-systmenouveau, du fait de l'mergence d'une nouvelle catgorieautonome : la catgorie conomique. On voit,historiquement, comment cette nouvelle dimension s'estmancipe de la dimension politique et de la dimensionmorale. Si maintenant nous pensons l'artificialisme prnpar Descartes, nous voyons bien qu'il suppose unemancipation semblable. Le voisinage, ou paralllisme,entre artificialisme et conomisme se peroit bien dans leconcept de production (si important qu'il englobe toutel'conomie chez Marx) qui implique, lui aussi, un rapportde supriorit avec la nature.

    - Pour ce qui est des relations histor