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  • 8/18/2019 Regard_no6_Magasine Francophone de Roumanie

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    REGARDMagazine francophone de Roumanie

    SOCIETEVacances tumultueusesà Mamaia

    ECONOMIEUn peu plus d’IDE

    CULTURE

    Les trésors del’Académie roumaine

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    VOYAGE EN ARCHITECTURE 

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    PELICAM

    Majestueux. Quand au bout du Delta, le Danuberejoint la mer Noire. Confrontation effervescente ouretrouvailles joyeuses ? Le spectacle est assourdis-sant, aveuglant. Autour, rien, ou plutôt tout : champs

    de roseaux, familles de pélicans, sur une étendueplane sans fin où se côtoient des centaines d’espècesd’oiseaux. A quelques centimètres d’une vie aquati-que insoupçonnée. Le pêcheur a légèrement ensablésa petite barque, environ deux cents mètres avantl’effusion du fleuve, magnifiquement noire. Je peuxmarcher, l’eau sensuelle embrassant mes chevilles,étourdi par tant de beauté. Retour sur terre, à SfântuGheorghe, avant de prendre le bateau pour Tulceaoù, en ce début du mois de juin, commence Pelicam,le festival du film sur l’environnement et les hom-mes. Trois jours de rencontres, de films, de fêtes, deconcerts. Trois jours d’émotions, et de réflexions.Images et témoignages troublants, on sort souventtouché de la grande salle du centre culturel Jean Bart.Même si un ou deux documentaires auront été tropengagés pour vraiment convaincre. Les participantsau festival, réalisateurs, journalistes, étudiants, asso-ciatifs, professeurs, politiques, entrepreneurs, venusde Roumanie ou d’ailleurs, montrent une mêmeenvie de s’intéresser, de faire le point. Mais il nes’agissait pas seulement d’alarmer une nouvelle foissur les dangers qui menacent la planète. La sélection judicieuse des films allait au-delà. Pelicam est aussiune grande rencontre pour parler de l’homme, desrapports merveilleux qu’il peut avoir avec son envi-ronnement, de sa sensibilité extrême, parfois. Et de laforce de la nature, au final imperceptible. Certes, defaçon générale, « pourquoi les hommes adorent-ilsdavantage les chimères abstraites que la beauté descristaux de neige ? » interroge l’auteur français SylvainTesson (Dans les forêts de Sibérie, Gallimard, 2011).Peut-être qu’un jour la contemplation simple seramieux considérée, peut-être qu’un jour les cristauxde neige n’auront effectivement pas de prix. Commela seule vision du Danube rejoignant la mer Noire.

    Laurent Couderc

    Regard 6015 juillet - 15 octobre 2013

    REGARDMagazine francophone de Roumanie

    SOCIETEVacances tumultueusesà Mamaia

    ECONOMIEUn peu plus d’IDE

    CULTURELes trésors del’Académie roumaine

       R  e  g  a  r   d   6   1   /   1   5   j   u   i   l   l  e   t  -   1   5  o  c   t  o   b  r  e   2   0   1   3

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    VOYAGE EN ARCHITECTURE 

    ISSN 1843 - 7567Illustration de couverture :

    Sorina Vasilescu (dessin) et Paul Pierret (photo, palais Cantacuzino à Floreşti, Prahova)

    RENCONTRE

    Radu Paraschivescu 4

    SOCIETE

    Vacances tumultueuses à Mamaia 8Régionalisation : l’effort incontournable 14Tout beau et flambant neuf 18

     A LA UNE

    Voyage en architecture 20

    ECONOMIE

    Un peu plus d’IDE 40Marche à l’ombre 44Vert d’inquiétude 46

    CULTURE

    Les trésors de l’Académie roumaine 54Stănescu, poète génial 56Accent roumain à Douarnenez 63

    CHRONIQUES

    Isabelle Wesselingh 17Nicolas Don 19Michael Schroeder 52Matei Martin 64Luca Niculescu 70

    3

    SOMMAIRE

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    Il a rapidement accepté l’entretien, disponible et trèsaimable au téléphone. Seule exigence : se rencontrerdans un endroit frais, Radu Paraschivescu supportant

    mal la chaleur. Nous avons donc trouvé une terrasseombragée où converser tranquillement. Et ce fut unplaisir. Radu Paraschivescu est un écrivain délicieuxà écouter, son regard sur ce qui l’entoure est d’unesensibilité rare. D’une voix douce, il a répondu à nosquestions avec sincérité et sans ambages.

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    RENCONTRE

    Regard : Vous sentez-vous mieuxaujourd’hui qu’il y a quelques années ?

    Radu Paraschivescu : Cela dépend dece que vous entendez par quelques an-nées. Je me sens plus ou moins pareilqu’il y a cinq ans, beaucoup mieux qu’ily a 15 ans, et incomparablement mieuxqu’il y a 25 ans. Personnellement etprofessionnellement, rien de particu-lier ne s’est passé récemment, d’autantque ce que je fais, ce que j’écris, n’apas grand-chose à voir avec les événe-ments de l’actualité quotidienne. Detoute façon, je ne me sens pas suff i-samment préparé pour m’exprimer surla politique, l’économie ou la finance. J’ai connu des joies, des moments demélancolie, de stupeur, comme tout lemonde. Et en général, je ne peux pasme plaindre, ce serait hypocrite de mapart. Que vous dire d’autre… j’ai dudiabète, mais cela semble s’être stabi-lisé, j’ai notamment réussi à vaincre mapassion pour les gâteaux.

    Comment comprenez-vous cette nos-talgie que certains Roumains entre-tiennent avec la période communiste ?

     Je crois que la nostalgie est liée à l’âge.On peut regretter sa jeunesse, ou un

    amour que l’on a vécu pendant cettepériode. D’autres sont prisonniers decertitudes liées au régime communiste,ils sont restés d’une certaine façonendoctrinés. Enfin il y a une caste quia perdu ses privilèges, une positionsociale. Quoi qu’il en soit, je peuxcomprendre ce sentiment de nostalgie,le temps rend les mauvais souvenirsacceptables. Un exemple, j’ai détestéle service militaire, mais aujourd’hui jeme rappelle surtout des moments très joyeux de cette parenthèse dans mavie. J’ai même publié un livre sur messouvenirs de caserne, plutôt comique.Cela aurait été impossible au momentoù je faisais mon armée, il me semblaitalors que le temps ne passait pas, que j’avais été condamné. Après plus de30 ans, on regarde tout cela différem-ment. A 50, 60 ans, on regrette sa jeu-nesse. Cette nostalgie à laquelle vousfaites allusion est, selon moi, surtoutliée au temps qui passe. Ceci étant,pour les plus démunis d’aujourd’hui,la nostalgie se base sur des élémentsconcrets, elle est en quelque sorte plusauthentique. Avant, il n’y avait pas dechômage, tout le monde travaillait, ouplutôt simulait le travail. Et les syndi-cats donnaient des oranges aux enfantspour Noël. Plus généralement, il y a

    ce fatalisme qui nous poursuit, de touttemps, on n’arrête pas de se sous-es-timer. Alors que lorsqu’on regarde laRoumanie de 1991, juste après la chutedu communisme, face à celle de 2013,on ne peut que remarquer son évolu-tion, tous les changements qui se sontproduits. Ceux qui disent le contrairesont de mauvaise foi.

      «   Je me sens plus oumoins pareil qu’il y a cinqans, beaucoup mieux qu’il y a15 ans, et incomparablementmieux qu’il y a 25 ans »

    Qu’est-ce que vous aimez en Rouma-nie ?

     J’aime ce pays d’abord parce quec’est d’ici que je viens. J’ai passé monenfance dans le Banat avant de venirà Bucarest. Plusieurs fois j’ai vouluquitter la Roumanie, sans pouvoir.Et aujourd’hui, quand je voyage,en France, en Italie ou en Espagne,avec un plaisir immense, je me rendscompte que je ne pourrais pas vivreailleurs qu’ici. J’aime cette dose d’inso-

    Romancier, traducteur, chroniqueur et également éditeurchez Humanitas, Radu Paraschivescu (52 ans) est une figuredes lettres roumaines. Sa sensibilité, son humilité et surtout

    son humour font qu’il jouit d’une place à part dans le petitmonde intellectuel bucarestois. Son dernier livre, Astăzi estemâinele de care te-ai temut ieri (Aujourd’hui est le futur quetu as craint hier), publié en 2012, transporte le lecteur dansle temps et l’espace, de l’Irlande à l’Australie, une quêtede liberté qui traite aussi de la souffrance, la solidarité, lesuccès, l’échec... Rencontre avec un homme brillant et drôlequi parle ici de son pays, de l’Europe, et d’autres choses.

    ECRIVAIN,  À L’HUMOUR TENDRE

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    RENCONTRE

    lite qui subsiste au quotidien, que toutpeut arriver à n ’importe quel moment,et aussi le caractère intemporel de cepays. Mais comme je le disais précé-demment, je ressens avant tout un lien

    fort, quelque chose qui fait que je nepourrais pas partir.

    Et ce qui vous déplait ?

     Je ne supporte pas quand certainsparlent trop fort, dans la rue, dans lemétro, où que ce soit. La pollution so-nore atteint souvent un seuil inaccep-table, je considère que c’est une formed’invasion, inconsciente peut-être,mais c’en est une. Et cela ne va pas ens’arrangeant, malheureusement. Autre

    chose… Beaucoup de Roumains nesavent pas dire « merci », ou « s’il vousplait » ; c’est également insupportable.Ou dans un restaurant, il n’est pasrare d’entendre un jeune client tutoyer

    directement un serveur qui est de 40ans son aîné, quel manque d’éduca-tion. Et de façon globale, je dirai quece qui ne me plait pas en Roumanieest que nous ne terminons jamais ceque nous commençons. Nous sommesspécialistes en projets non f inis, ou quiont échoué.

    Les éditions Humanitas où voustravaillez ont récemment édité unlivre qui connaît un grand succès, Dece este România altfel ?  (Pourquoi la

    Roumanie est-elle différente ?), del’historien Lucian Boia. Un livre trèsintéressant qui explique précisémentpourquoi le pays souffre toujours decertains comportements, de ces maux

    dont vous venez de parler. Mais il estaussi critiqué pour être un peu tropdur…

     Je suis plutôt d’accord avec le livrede Lucian Boia. C’est effectivement lapremière fois qu’un de ses livres estautant critiqué, mais aussi très apprécié.Selon moi, ces critiques ont diversesorigines. En premier lieu, certainsl’attaquent parce que c’est un livre qui aeu un immense succès ; selon eux, si unhistorien arrive à environ 40.000 exem-

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    RENCONTRE

    plaires vendus en une demie année, celaveut nécessairement dire qu’il a fait desconcessions, que c’est un livre com-mercial. D’autres ont une dent contrela maison d’édition Humanitas, pour x

    raison, et Lucian Boia en supporte lesconséquences. Une autre catégorie decritiques sont ceux qui ne veulent pasqu’on modifie la version triomphalistede l’histoire roumaine. Enfin, il y ena, moins nombreux, qui ne sont pasd’accord avec l’idée qu’un historienpuisse avoir sa propre interprétationde faits historiques, alors que selonmoi, il en a tous les droits, ou d’autre,encore, qui ne sont pas d’accord avec letitre. A mon humble avis, Lucian Boia asimplement voulu donner son diagnos-

    tic sur la Roumanie,tel un médecin, sansavoir la prétention depréconiser un quel-conque traitement.S’il avait écrit un livreplus complaisant, ilaurait certainementeu les éloges de ceuxqui restent amoureuxdes figures mythiquesde notre histoire. Jene sais pas alors siHumanitas l’auraitpublié, probablementpas. Dans ce livre, Lu-cian Boia ne fait quedéplorer un retard dela Roumanie par rap-port aux autres payseuropéens à caused’un contexte social,politique, particulier,d’un monde rural quin’a pas évolué, mêmesi Ceauşescu a essayéde muter les paysansvers la ville, ce qui futun désastre.

    Une question auchroniqueur sportif :quelle est votreanalyse de la situa-tion dans laquellese trouve actuelle-ment le club de footSteaua de Bucarest(qui a écopé d’un ande suspension avecsursis par l’UEFA,l’Union européennedes associations de

    football, suite à une affaire de pots-de-vin, ndlr) ?

    Certains disent que le club a échappéà la sanction, car il pourra continuer à

     jouer. Quoi qu’il en soit, le sélection-neur de l’époque a été condamné, il adésormais un casier. Quant à l’entraî-neur et aux joueurs actuels, ils n’ontrien à voir avec ce qui s’est passé en2008. Ce qui est plus gênant est quel’UEFA se soit contredite avec cettecondamnation mineure, la FIFA (Fédé-ration internationale de football, ndlr)de monsieur Platini a pourtant maintesfois aff irmé qu’elle ne tolèrerait aucunacte de corruption, de façon directeou indirecte. Ceci étant, le Steaua va

    devoir se plier à un contrôle continude la FIFA pendant cinq ans, ce qui estplutôt positif. Concernant le dirigeantdu Steaua (George Becali, qui purgeactuellement une peine de trois ansde prison pour diverses affaires decorruption, ndlr), il y a désormais uncordon sanitaire entre lui et moi, je neparle pas de lui, ni avec lui.

    Comment voyez-vous les pays d’Eu-rope de l’ouest, qu’en pensez-vous ?

    Difficile de répondre à cette ques-tion, cela dépend évidemment despays dont on parle, mes impressionsseront par ailleurs imprécises. En tantque touriste, on a plutôt le privilègede ne pas ressentir la crise, aller enEspagne pour se reposer pendantune semaine et y vivre en ce momentn’a rien à voir. Personnellement, jereviens toujours enchanté d’un voyageen Europe de l’ouest, car j’y vais engénéral pour profiter de ce que le paysoffre de culture, sans autre objectif. Je ne prends d’ail leurs aucune photo.Ce que je vois me suffit, et me fascine.Récemment, j’ai eu la chance d’aller enProvence et dans le Périgord, j’ai adorécette région du Périgord. Et l’Italie,quelle beauté. Il y a cependant quelquechose qui me préoccupe à chaque foisque je me trouve en Europe de l’ouest.C’est le terrorisme. J’ai la sensationque ces pays sont de moins en moins àl’abri d’un acte terroriste. Les atten-tats à Madrid ou à Londres m’ontévidemment marqué, et je ressenscomme une compassion anticipée etune certaine angoisse à l’idée que celapourrait se reproduire. J’aime telle-ment tous ces pays. La seule chose

    qui me dérange peut-être un peu estl’attitude des hommes politiques, desuniversitaires, des communicants, je lestrouve en général trop politiquementcorrects, leur discours est hypocrite, ils

    feront tout pour ne pas trop perturberl’opinion publique. Il y a cette obses-sion de tout niveler. Par exemple, onchange ou invente certains mots pourêtre sûr de ne pas heurter telle ou telleminorité, on essaie en quelque sorted’éliminer les différences. Mais celane fait que créer des frustrations. Unexemple, aux Etats-Unis, écrire le mot« noir » est devenu très périlleux, unprofesseur de littérature a même pro-posé de réviser l’œuvre de Mark Twaincar il aurait utilisé les mots « noir »

    et « esclave » de façon inappropriée.C’est ridicule.

      «   L’intégration commela perçoivent la plupart desdirigeants européens est une

      forme de dressage. Or, toutdressage porte en lui des effetsnégatifs »

    Quelle est votre approche de la pro-blématique rom, si on peut parler deproblématique ?

    C’est un sujet complexe. En premierlieu, il me semble qu’on ne cesse deleur faire la leçon, de leur dire com-ment ils devraient se comporter afinde s’intégrer. Evidemment, au seind’une société, chacun se doit de fairedes efforts, du mieux qu’il peut. Maison ne peut pas obliger une commu-nauté à s’intégrer à tout prix si lescodes de cette communauté, sa façonde vivre, diffèrent clairement. Et j’ai lasensation que les Roms se sentent bienavec la façon dont ils vivent. Tous lesefforts pour les intégrer me paraissentun peu vains. Certes, il y a des ex-ceptions, et il faut saluer le travail denombreuses associations et ONG quiluttent pour une meilleure perceptionde la communauté rom. Mais l’intégra-tion comme la perçoivent la plupartdes dirigeants européens est uneforme de dressage. Or, tout dressageporte en lui des effets négatifs.

    Propos recueillis par Laurent Couderc.Photos : Daniel Mihăilescu

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    SOCIETE

    DES GRATTE-CIEL, DES PARKINGS de sept étages, deux îles artif icielles,une promenade touristique flambantneuve... La bétonisation du littoral

    s’accélère à Mamaia, l’une des stationsbalnéaires les plus fréquentées deRoumanie, située au nord de la ville deConstanţa. Plus de 55 millions d’eurosd’investissements, dont quelque 20 mil-lions financés par des fonds européens,sont prévus dans le nouveau plan locald’urbanisme adopté au printemps enconseil municipal.

    Si ces travaux ne commenceront quel’automne prochain, la station a déjàdes allures de vaste chantier. Sous degrandes bâches blanches, les marteaux-piqueurs parviennent ainsi à couvrir lamusique assourdissante diffusée jouret nuit par les bars de plage. Au total,c’est une dizaine de discothèques, deterrasses et de parkings privés quisortiront de terre, à deux pas desbaigneurs. Pourtant, la loi roumaineinterdit toute construction dans les sta-tions balnéaires entre le 15 mai et le 15septembre. « Réjouissez-vous et remer-ciez le ciel qu’il y ait autant de chantiers,a récemment réagi Radu Mazăre, lemaire social-démocrate de Constanţa.Si on ne construisait pas, il n’y aurait pasde tourisme. Alors certes, nous avons unepolitique un peu plus relâchée envers les

    investisseurs privés qui construisent en cemoment, mais cela va permettre que tousces projets soient terminés d’ici deux ans,et non pas dans sept ans. »

    Cette urbanisation effrénée ne semblepourtant pas faire fuir les touristes. Lessoixante hôtels de la station, qui peu-vent accueillir au même moment plusde 20.000 clients, affichent quasimentcomplet tout l’été. « Tant qu’il y a du so-leil et que je peux m’éclater, je suis la plusheureuse ! », témoigne Cristina, 22 ans,

    qui bronze debout sur le sable, mainssur les hanches. « Tout est fait ici pourqu’on ne s’ennuie jamais, et c’est pourça que je viens chaque année avec mes

    amis », ajoute-t-elle. Il est vrai que lesdistractions ne manquent pas à Mamaia.Il y en a pour tous les goûts et pourtoutes les bourses. De nombreux barset discothèques attirent une clientèle jeune, mais la station abrite aussi desparcs d’attractions destinés à un publicplus familial. Les vacanciers raffolentaussi de l’étrange télécabine qui aouvert en 2004. Elle permet de longerle front de mer à 50 mètres du sol et deprofiter ainsi d’une « superbe » vue surla station. Mais la grande nouveauté cetété, c’est le défilé de chars allégoriquesorganisé deux fois par semaine par lamairie sur la promenade touristiquepavée.

    «   Nous payons déjàtoutes sortes d’impôts mais il

      faut encore que l’on finance sesdélires mégalomaniaques (dumaire Radu Mazăre, ndlr).

    Ce sont surtout ses intérêts personnels qu’il soigne danscette station »

    « Sous le communisme, il n’y avait ici quele sable et des restaurants qui fermaientà 22h », se souvient Sorina Horto-lomei, la gérante d’Aquamagic, unparc aquatique de trois hectares qui aouvert ses portes il y a dix ans… « Ons’ennuyait à mourir ! Aujourd’hui, les gens

    veulent s’amuser et profiter pleinement deleurs vacances. » Avec ses 20 toboggansde toutes les formes et de toutes lescouleurs, ses deux piscines pour enfantset ses ateliers de danse sur jets d’eauanimés par des vedettes de la télévision,

    Aquamagic a attiré l’année dernière plusde 200.000 visiteurs. « Bien que le parcne soit ouvert que de juin à septembre,l’affaire est rentable », se réjouit Sorina

    Hortolomei.

    L’afflux de touristes est en effet uneaubaine pour les 1500 agents écono-miques qui ont investi à Mamaia, maisaussi pour les 20.000 saisonniers, dont70% de jeunes, qui y travaillent chaqueété. « Je ne connais aucune zone indus-trielle en Roumanie, et encore moins de

     zone touristique, qui embauche autantde gens, tout en générant directementdes profits », se targue Radu Mazăre,qui est très impliqué dans le dévelop-pement économique de la station. « Ilfaut donc continuer à investir. Nous allonsnotamment ouvrir des bureaux à Dubaï etIstanbul pour attirer des hommes d’af-faires et des touristes qui ont beaucoupd’argent. »

    Adulé par certains pour son extrava-gance, l’édile quadragénaire va jusqu’àchanter et jouer le rôle d’un sauve-teur en mer dans un vidéoclip musicalpromotionnel sorti en mai dernier. VivaMamaia – c’est le titre de cet hymneestival – a coûté 35.000 euros et serafinancé grâce à une taxe imposée auxhôteliers et commerçants. « Ce gars-làest un tyran », s’emporte un restaura-teur qui a requis l’anonymat. « Nouspayons déjà toutes sortes d’impôts maisil faut encore que l’on finance ses déliresmégalomaniaques. Ce sont surtout sesintérêts personnels qu’il soigne dans cettestation. » 

    Difficile à croire aujourd’hui, mais avantde connaître cette effervescence étour-dissante, Mamaia a longtemps été unebande de terre sauvage coincée entre lelac Siutghiol et la mer Noire. Seuls despêcheurs grecs, des bergers roumains

    VACANCES TUMULTUEUSES à Mamaia

     Avec ses huit kilomètres de sable fin, cette station balnéaire du nord de Constanţa dispose de l’unedes plus grandes plages d’Europe. Les Roumains s’y pressent massivement chaque été. Ils sont lesmoteurs mais parfois aussi les victimes de son urbanisation effrénée. Reportage.

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    et des éleveurs de chevaux tataresprofitaient alors de ses huit kilomètresde sable fin qui en font l’une des plagesles plus longues d’Europe. Les premiè-res constructions – quelques cabines debois et un simple ponton – n’apparais-sent qu’en 1906. C’est dans l’Entre-deux-guerres que sortent de terre larésidence d’été de la famille royale, lecasino et le grand hôtel Rex, toujoursouvert aujourd’hui. Puis se concrétisentles plans pharaoniques des autoritéscommunistes...

    « Leur idée était de permettre au plusgrand nombre de passer des vacances

    bon marché à la mer », raconte ElenaIvănescu, qui a racheté en 1996 le deuxétoiles Doina. Son établissement est l’undes cinq hôtels-restaurants de 10 étagesbâtis dans les années 1960 dans le cadredu projet « 10.000 lits ». Comme ses ju-meaux imposants et unicolores, il a étéconstruit de façon à ce que les clientspuissent admirer à la fois la mer et lelac depuis leur chambre. « A l’époque,des autocars pleins à craquer achemi-naient des touristes des quatre coins dela Roumanie, se souvient l’hôtelière. A

    Mamaia, il y avait des produits étrangersintrouvables ailleurs, et c’était l’occasionde rencontrer des milliers de touristesvenus d’URSS, de Pologne, de Tchécoslo-vaquie et des pays occidentaux, comme laFrance, où le Parti communiste était trèspuissant. » 

    Après la révolution, les hôtels Doina,Aurora, Meridian, Flora et Victoria ontdonc été privatisés. Mais d’autres, plusmodernes et plus spacieux, ont poussécomme des champignons dans la sta-tion, et la concurrence est devenue deplus en plus rude. Certains ont parfaite-ment réussi leur transition économique.C’est le cas de l’hôtel Bucureşti qui aété construit il y a cinquante ans enplein milieu de la station. Coquet etde taille modeste, il a été racheté en1999 par l’ancienne gloire du footballroumain Gheorghe Hagi. Il l’a rebaptisél’hôtel Iaki. Après deux ans de ferme-ture pour travaux, c’est aujourd’hui unquatre étoiles qui propose des cham-bres luxueuses et des services haut degamme, dont un spa, une salle de sport,une piscine extérieure et une sallede conférence de 450 places. « Nous

    sommes les seuls à rester ouverts toutel’année dans la station, se félicite CristinaBaoiu, une commerciale de l’hôtel.Grâce à notre standing et à la notoriété denotre propriétaire, nous avons vu défilerde nombreuses personnalités, des sportifs,des artistes, mais aussi trois présidentsroumains ! »

    Elena Ivănescu a eu moins de chance.Elle a mis 17 ans avant de pouvoir réa-liser les premières grandes rénovationsintérieures de l’hôtel Doina. C’étaitl’hiver dernier. « Nous sommes obligés demaintenir des prix bas pour attirer les Rou-mains (25 euros en moyenne pour unechambre double, ndlr), mais nous avonsdéfinitivement perdu nos clients étrangers,regrette-t-elle. Les tour-opérateurs euro-péens ont tourné le dos à Mamaia aprèss’être fait avoir par des établissementspeu sérieux. Et puis de nombreux habituésont été refroidis par le développement

    anarchique de la station qui est, il fautbien le dire, loin d’être idéal pour passerdes vacances tranquilles. »

    Mehdi ChebanaPhoto : Mediafax

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    SOCIETE

    BEAUCOUP ONT ETE SOULAGES après l’annonce de l’UEFA (Union euro-péenne des associations de football),le 25 juin dernier : le Steaua Bucarestn’écope que d’un an de suspensionavec sursis, et d’une période souscontrôle de cinq ans. La seule équipe

    de Roumanie ayant remporté la Liguedes Champions en 1986 (contre le FCBarcelone) pourra de nouveau concou-rir pour le plus prestigieux des trophéeseuropéens.

    A l’origine de l’affaire dénommée« Valiza » : George « Gigi » Becali,patron du Steaua et homme d’affairespeu recommandable. Le 7 mai 2008,lors de la der-nière journée duchampionnat, ilavait proposé 1,7million d’eurosen liquide aux joueurs d’Univer-sitatea Cluj pourqu’ils gagnentface au CFR Cluj,concurrent directdu Steaua pour letitre cette année-là. Manœuvrequi, ajoutée àd’autres affairesde pots-de-vin, arécemment valu à« Gigi » trois ansde prison fermes.

    Le manager duSteaua, MihaiStoica, a de soncôté « explosé »après l’annonceofficielle de l’UEFA… « La périoded’essai ne compte pas vraiment, ce quicompte est que le Steaua jouera la Liguedes Champions. » De fait, M. Stoica ade quoi se réjouir : une élimination dela Ligue aurait signifié grosso modo 20millions d’euros de pertes pour le club.

    Selon le journaliste Grigore Cartianu,« le verdict de l’UEFA est équilibré, ilprend en considération tous les élémentsde l’affaire », et ne sanctionne pas vrai-ment l’équipe actuelle qui n’a rien à voiravec ce qui s’est passé.

    «   Le Steaua n’est pas à l’abri d’une suspensionultérieure ; à la moindre erreur,l’UEFA ne le ratera pas »

    « Ceci étant, il s’agit bien d’une condam-nation, la période de contrôle ne doitpas être prise à la légère », ajoute-t-il.

    A son tour, le rédacteur en chef deGazeta Sporturilor , Cătălin Tolontan,considère que « le verdict est un boncompromis. (…) Mais le Steaua n’estpas à l’abri d’une suspension ultérieure ;à la moindre erreur, l’UEFA ne le raterapas ».

    Et le Steaua sans Gigi Becali, c’est grave ?Cătălin Tolontan pense plutôt que celapourrait permettre au club d’évoluer…« Le Steaua peut aujourd’hui parfaite-ment continuer en tant qu’entreprise

    profitable du point de vue f inancier, etperformante du point de vue sportif. » 

    Grigore Cartianu considère de soncôté que tout dépendra des résultatsdu Steaua pendant la Ligue des Cham-pions : « Théoriquement, sans la domina-tion de Becali, l’équipe devrait aller mieux.Mais personnellement, je pense qu’il y a

    quand même un grand risque que ça aillemoins bien. Quand il n’y a plus de maître,on commence à se tirer dessus, et c’est cequi est en train de se passer au sein de la

    direction actuelle. Il est surtout important

    que le Steaua fasse une belle Ligue desChampions, plusieurs dizaines de millionsd’euros sont en jeu. »

    Carmen ConstantinPhoto : Mediafax

    CARTON  JAUNE

    Le premier club de foot roumain, le Steaua Bucarest, a eu chaud. Il a failli êtreexpulsé de la Ligue des Champions à cause de son patron, George Becali, accuséde pots-de-vin. L’équipe n’en reste pas moins sous haute surveillance.

    Mihai Stoica, manager du Steaua.

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    SOCIETE

    Le nouveau lycée français Anna de Nouailles, situé au numéro 160 de l’avenue Bucureşti Ploieşti, a été inauguré par le Premierministre français Jean-Marc Ayrault lors de sa visite à Bucarest les 11 et 12 juillet – à lire, l’entretien page 18 avec Alain Houille,proviseur du lycée. Photo : Mihai Barbu

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    Dans l’immense plaine agricole du Banat, les vertes collines du village de Stanciovase distinguent. Six cents âmes y habitent, vivant d’agriculture, d’artisanat et d’éle-vage, loin de l’agitation de Timişoara. Un mode de vie choisi il y a plus de dix ans parde jeunes citadins, qui forment aujourd’hui trois familles (moyenne d’âge : 35 ans).

    VIE SIMPLEIl y a treize ans, un groupe de citadins décide de changer de quotidien. Et s’installeà la campagne, à Stanciova, petit village situé à une quarantaine de kilomètres àl’est de Timişoara. Un retour aux sources réussi.

    « Comme pour sa sœur il y a dix ans,nous avons décidé de faire baptiser Ioanaà Stanciova. Nous sommes très attachés

    à cet endroit », lance Cristina Capo-tescu avec émotion sur le parvis del’église du village. Réunissant citadinset villageois, ce baptême est tout unsymbole pour les Capotescu (tout àgauche de la photo - au centre avecl’enfant, la marraine et le parrain). Bienqu’à l’origine du projet communautaire,ils n’ont pas passé le cap d’emménagerdéfinitivement dans le village. Mais ilss’impliquent beaucoup, et y organisentnotamment de nombreuses activitéspour les enfants.

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    Depuis le temps que Teodora Borghoff rénove sa maisonà Stanciova, elle connaît presque tout le monde. Besoinde lait de vache pour faire ses fromages ? C’est Maria, sonamie et voisine, qui lui en fournit. Besoin d’un agneau ? Ellesait où trouver les pâturages du berger du coin. Pourtant,

    ce n’est que cet hiver qu’elle a quitté son appartement deTimişoara et son poste au sein d’une ONG pour cultiverla terre. « Je vis entre deux mondes, raconte-t-elle, entre macommunauté et les villageois. Mais je fais partie des deux, je nesuis pas comme certains de ces citadins qui veulent bien vivre àla campagne mais sans les campagnards. »

    L’ambiance est joyeuse chezles Dudescu en cet après-

    midi d’anniversaire, surtoutlorsqu’Iris, 12 ans, (au centrede la photo) découvre soncadeau : un petit agneau…La famille Dudescu est la pre-mière à s’être installée dans levillage. La maman, Cristina (àgauche sur la photo), qui tra-vaille à l’école toute prochede Recaş, raconte le combatqui l’a tenue en haleine : « Anotre arrivée, la maternelle deStanciova était fermée. Pendantdeux ans, aidée par deux volon-

    taires, j’ai fait l’école bénévole-ment. Nous avons prouvé à lamunicipalité que le village avaitbesoin de cette maternelle etdepuis, elle a rouvert. »

    Dans leur vie d’avant, Irina étaitgraphiste, Gabriel, programmateurinformatique. Lassés de leur existencecitadine, ce jeune couple a eu envie desimplicité. Depuis deux ans, ils viventchichement de la vente des savonsqu’Irina fabrique dans sa grandemarmite rouge, et des légumes qu’ilscultivent en suivant les principes de lapermaculture *. Avec Cristina et Teo-dora, ils produisent aussi des sirops,des liqueurs et des confitures natu-relles destinés à la vente, que ce soitau sein du village ou à Timişoara. Unmodèle qui pourrait faire des émules.

    Texte et photos : Julia Beurq

    * La permaculture est un mode de production

    agricole économe en énergie.

    Plus d’infos sur : stanciova.wordpress.com

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    REGIONALISATION :

    l’effort incontournableLa régionalisation (ou décentralisation de l’Etat) est l’une des réformes administratives les plus attenduesde l’année 2013. Coordonnée par le ministre du Développement régional et vice-premier ministre LiviuDragnea, il s’agit d’un processus complexe, délicat à mettre en place et qui suscite bien des interrogations.Décryptage avec le sociologue Dumitru Sandu, également coordinateur du Conseil consultatif pour larégionalisation (CONREG).

    Regard : Quel est le but de la régiona-lisation ?

    Dumitru Sandu : On dit souvent qu’ellepermettra d’augmenter l’absorptiondes fonds européens. Mais c’est justeune partie de la réponse. La raisonprincipale de cette réforme est surtoutd’améliorer le fonctionnement de l’ad-ministration publique roumaine, car lamaigre absorption des fonds européensrésulte d’abord de la manière dont estorganisée l’administration publique. Uneorganisation plutôt mauvaise qui a des

    répercussions sur la qualité des servicespublics, la santé, l’éducation… Tout celamaintient le décalage entre les régions.

    En 1998, la Roumanie a déjà mis enplace les « régions de développement »(regiunile de dezvoltare) afin de réduireles disparités économiques, qui sesont pourtant accentuées. Commentces « nouvelles » régions pourront-el-les faire mieux ?

    En 1998, huit régions de développementont effectivement été créées, mais elles

    n’ont pas été efficaces car elles n’ont jamais eu de statut administratif, et doncaucun pouvoir réel. Cette constatationnous amène à un autre problème detaille pour la Roumanie : le manque decoopération entre les départements.Seule une nouvelle structure institu-tionnelle pourra faciliter les échangesentre les départements. Nous avonsabsolument besoin d’une matrice quiles regroupe et les lie.

    Pourquoi avoir choisi de prendre la ré-gionalisation polonaise comme modèle ?

    Le contour épais délimite les futures régionsadministratives, calquées sur les régions dedéveloppement de 1998 dont le nom est inscriten lettres minuscules. Les noms proposés pour lesfutures régions sont en lettres capitales.

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    Ce n’est pas un hasard. Nous ne pou-vions pas nous inspirer de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne, car ce sontdes sociétés totalement différentes.La Pologne ressemble beaucoup à la

    Roumanie sur différents points : hété-rogénéité de la population, disparitésentre l’est et l’ouest, écart de déve-loppement entre la capitale et le restedu pays. Le choix de la Pologne a étésimple, d’autant plus que les Polonaisont construit un modèle efficace derégionalisation.

    Sur quels principes cette régionalisa-tion se base-t-elle ?

    D’abord sur celui de la subsidiarité,

    qui consiste à placer au plus près descitoyens les services et les compétencesdont ils ont besoin, comme la santé oul’éducation. D’autre part, si les servicespublics d’une même région commen-cent à travailler ensemble, ils ne dépen-dront plus de la capitale, et le citoyenn’aura plus besoin de se rendre àBucarest pour résoudre ses problèmes.L’idée est aussi de réduire les coûts dedéplacement, de communication etd’organisation. Ceci étant, seule une ré-gionalisation bien pensée peut amenerdes effets positifs. Peu importe le nom-bre de régions que l’on dessinera, ce quicompte est avant tout la manière dontles institutions et les services publics se-ront conçus. En termes de découpage,il s’agira de garder les départements,et de rajouter un niveau entre eux etle gouvernement, c’est-à-dire la région.Les départements sont très importants,ils existent depuis longtemps et la popu-lation y est attachée, tout comme auxrégions historiques. Pour le moment, lapopulation est encore en consultation(des élections pour élire les repré-sentants des autorités régionales sontprévues en décembre de cette année,mais le programme de régionalisation adéjà pris du retard, ndlr).

    Cette régionalisation entraîne beau-coup de crispation du côté de la mino-rité hongroise…

     Je pense que la régionalisation nepourra pas résoudre les problèmesculturels et ethniques. La réponse à cespeurs est, selon moi, la suivante : ce nesont pas les régions seules qui pourrontassurer un cadre de vie optimal auxminorités, mais plutôt les régions en

    partenariat avec les départements. Carles unités territoriales les plus homo-gènes sont celles de type départemen-tal, donc les demandes des différentsgroupes culturels doivent surtout être

    prises en compte au sein même desdépartements.

    La Roumanie est-elle prête ?

    Nous n’avons pas le choix… L’idéen’est pas de savoir si le pays est prêtou pas, on a pris énormément de re-tard. Revenons rapidement à 1998. Al’époque, la création des régions a étéimaginée comme une phase de transi-tion, qui aurait dû durer maximum 10ans. Même si la Roumanie a fait des

    progrès, elle pâtit toujours d’un fortretard par rapport aux pays de l’Ouest,et plus on reportera la modernisationde l’administration, plus les problèmesrisquent de s’aggraver. De plus, pour

    mettre en place la régionalisation, ona besoin d’une volonté politique etd’une forte majorité au pouvoir, quisoutient cette proposition. C’est lecas actuellement, mais jusqu’à quand ?Enfin, si on ne décentralise pas, on nepourra pas bénéficier du programmedes fonds européens pour 2014-2020.Donc, c’est bien maintenant qu’il fauts’y mettre.

    Propos recueillis par Julia Beurq.Carte : CONREG

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    LA NOUVELLE CONSTITUTION ET LA QUESTION PERSISTANTE DE L’ETAT DE DROIT

    Le texte de la nouvelle Constitution roumaine a récemment été soumis à la Cour constitutionnelle, après avoir reçu l’avisfavorable, bien que mitigé, du Conseil législatif du Parlement roumain le 2 juillet. La nouvelle loi fondamentale a égalementété examinée les 5 et 6 juillet par une délégation de la Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus connue

    sous le nom de Commission de Venise. Cette dernière n’avait pas encore remis ses conclusions au bouclage de ce numéro.Toutefois, la plupart des modifications importantes, qui touchent aux relations de pouvoir entre les principales institutions

     ECOLOGIE ABSENTE  

    La Roumanie ne compte que trois hôtels ayant l’appellation européenne d’établis-sement écologique, a annoncé au début du mois de juillet la ministre de l’Envi-ronnement, Rovana Plumb. Il s’agit des hôtels Saturn de la station balnéaire dumême nom, du Crowne Plaza de Bucarest, ainsi que de la pension Piatra Şoimuluià Sinaia. Les autorités se sont donc fixées l’objectif de créer dix destinations éco-touristiques pour encourager plus d’hôteliers à se lancer dans cette voie. Le labelécologique garantit le respect d’un ensemble de normes définies par l’UE liées àl’économie d’eau et d’énergie, ainsi qu’au traitement des déchets.

     Jonas Mercier 

    Recensement de la population roumaine

    Selon les résultats définitifs du dernier recensement (effectué en 2011)de la population et des foyers roumains publiés par l’Institut national desstatistiques (INS) le 3 juillet, la Roumanie compte 20.121.641 habitants,dont 51,4% de femmes (10,3 millions). La population roumaine a doncbaissé de plus d’un million et demi de personnes par rapport au précédentrecensement de 2002, une tendance qui est due principalement à l’émigra-tion, selon l’INS. L’institution s’inquiète notamment du vieillissement de lapopulation, qui compte 16% d’enfants de moins de 14 ans, et seulement12% de jeunes de 15 à 24 ans, tandis que 56% des Roumains sont âgés de25 à 64 ans. L’INS rappelle que le nombre de personnes âgées rapporté à100 jeunes s’élevait à 48 en 1992, un rapport qui est passé à 80 en 2002, età 102 en 2011. Le recensement montre aussi que la population urbaine esten augmentation (54%), la plus grande ville étant Bucarest avec 1,9 milliond’habitants. F. G.

    Let’s do it, Romania !

    Le samedi 28 septembre est désormaisla journée nationale du nettoyage gé-néral, plus de mille volontaires ferontleur possible pour ramasser le plus dedéchets possible à travers tout le pays.L’appel pour y participer a été lancédès le mois d’avril, car entre juin etseptembre, les volontaires doivent déjàidentifier les zones polluées et dresserla « carte des déchets ». Il s’agit de laquatrième édition de Let’s do it Roma-nia ! (www.letsdoitromania.ro), aprèsles succès de 2010 (200.000 volontai-res et 550.000 sacs de déchets collec-tés), 2011 (500.000 volontaires et 1,3million de sacs de déchets collectés),et 2012 (650.000 volontaires et 1,6millions de sacs de déchets collectés).Let’s dot it, world ! est une initiativequi a débuté en Estonie en 2008, etqui a rassemblé depuis lors plus de 3millions de participants partout dans lemonde.

    Daniela Coman

    de l’Etat, posent problème à certainsexperts de la gouvernance et des poli-tiques publiques. Dans un communiquéassez alarmant, le collectif d’expertsExpert Forum a par exemple signalé des« dispositions dangereuses prises en moinsde deux semaines par des législateurs in-compétents ». Selon ce think tank , aucunspécialiste du droit constitutionnel n’aparticipé à la rédaction du texte, et ledébat public a soigneusement été évité.

    En substance, la révision de la Constitu-tion établirait « un équilibre des pouvoirsbiaisé, où le Parlement détient des super-pouvoirs au détriment de la Cour consti-tutionnelle et de la Cour suprême (…),et le président est relégué à des fonctions

    décoratives ».

    François GaillardPhoto : Mediafax

    Au Sénat, séance sur la révision de la Constitution, le 12 juin dernier.

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    LA CHRONIQUE D’ISABELLE WESSELINGH

    CAMPAGNES ROUMAINES ET BRODERIES DE PERLES

    « Parfois, je ne comprends pas pourquoi ma fille et mon gendre ont bâti une maison aussi grande avec deuxétages, pourquoi ils ont besoin de marbre, d’une cuisine aussi chère », m’a confié Maria qui tient une pensiondans le décor bucolique d’un village du Maramureş. La fille de Maria et son mari ont longtemps travaillé enEurope de l’ouest, comme des millions de Roumains partis à la recherche d’une vie meilleure. C’est de làqu’ils ont commencé à construire cette demeure immense dans un village de leur région natale.Aujourd’hui, la fille de Maria est revenue en Roumanie dans cette maison encore inachevée avec leur en-fant, tandis que son mari travaille en France. Ils ne se voient qu’une fois tous les trois mois quand il rentrepour quelques jours. L’argent gagné ne sert pas à acheter des billets d’avion pour voir plus souvent la

    famille mais à doter la maison de tout ce qui est considéré comme moderne et luxueux. Accumuler, bâtir,montrer une certaine réussite plutôt que d’être davantage ensemble.Comme la fille de Maria et son mari, de nombreux immigrés roumains ont construit d’immenses demeu-res de brique, parfois garnies de vitres miroirs, dans une architecture sans aucun rapport avec la traditiondes villages du Maramureş d’où ils viennent. Comme s’ils avaient honte des portails et des murs de boisde ces maisons traditionnelles qui suscitent pourtant l’admiration de touristes venus du monde entier.Comme s’ils voulaient se démarquer de ce monde rural d’où ils viennent tout en y restant si profondé-ment attachés qu’ils dépensent tout leur argent pour y bâtir une maison où ils rêvent de revenir.Durant trois ans, le photographe Petruţ Călinescu et la journaliste Ioana Hodoiu ont sillonné cette régionet saisi les bouleversements qu’a apportés l’émigration dans ces villages roumains. Ils montrent ces ma-riages où l’on arbore un costume traditionnel tout en buvant de la ţuica dans une bouteille en verre auxformes de la Tour Eiffel, ces grandes demeures debéton qui poussent dans des villages aux maisons debois. J’ai découvert leur beau projet documentaire(photo, texte, et web documentaire), Mândrie şiBeton (La f ierté et le béton, www.prideandconcrete.com) à mon retour du Maramureş, et j’ai trouvéqu’il saisissait avec une rare f inesse ces changementsqui modifient en profondeur une société.A la frontière du Maramureş, dans le village deSalva, près de Bistriţa, Virginia Linul, qui crée demagnifiques ceintures, robes et gilets brodés deperles, m’a donné une petite clé pour comprendre.« Ici, en Roumanie, il existe beaucoup de mépris pourla culture rurale. » Je me suis dit qu’au fond, tout enrestant profondément attachés à leur terre, ceuxqui en étaient partis voulaient aussi répondre aumépris qu’ils ont peut-être ressenti de la part d’unepartie de la société, en affichant ces maisons ultramodernes.Virginia Linul, elle, lutte aussi à sa façon contre lemépris en s’attachant depuis des années à valori-ser un artisanat ancestral unique. Les femmes deSalva qui travaillent avec elle ont brodé des vestons de toréador, des colliers de dentelles perlées pourune robe en organdi noir présentés lors d’un défilé de mode organisé à Bucarest par le créateur françaisPhilippe Guilet, il y a un an et demi. « Nous avons montré que cet artisanat traditionnel pouvait être appréciéà l’étranger et s’intégrer parfaitement dans une collection de mode », dit-elle. Aujourd’hui, sa petite affairepermet à de nombreuses femmes du village de travailler en exerçant leur talent. Grâce à cette image re-nouvelée et moderne pour ces broderies de perles, elle espère que des jeunes voudront aussi se lanceret reprendre le flambeau.

    Isabelle Wesselingh est chef du bureau de l’agence France-Presse à Bucarest.Photo : Mediafax

      Vieux cimetière du village de Breb, Maramureş.

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    Regard : Pour quelles raisons fallait-ildéménager le Lycée français ?

    Alain Houille : L’école déménage car,

    en premier lieu, les locaux actuelsdevenaient trop exigus pour accueillirdes élèves de plus en plus nombreux.En l’espace de 6 ans, les effectifs ontaugmenté de plus de 75%. A la rentrée2007, quelque 600 élèves fréquentaientle lycée, à la rentrée prochaine, plus de1050 élèves sont attendus. Pour moitié,ce sont de jeunes Roumains dont lesparents souhaitent qu’ils soient bilingueset partent faire des études en Franceaprès le bac. L’autre moitié comprenddes Français ou des jeunes d’autresnationalités. Jusqu’en juin 2013, le lycéeoccupait plusieurs sites dont le site prin-cipal Cristian Tell et ceux d’Herăstrău.Dès septembre 2013, les fratries serontréunies dans un lycée flambant neuf etremarquablement équipé. Ce projetn’aurait pu voir le jour sans l’engage-ment quotidien de parents bénévoles àtravers l’association de parents gestion-naires et le soutien du poste diploma-tique.

    Combien coûte une telle constructionet qui la finance ? 

    Le lycée est un établissement à gestionparentale. Les travaux, d’un coût totalde 18 millions d’euros, sont financéspresque intégralement par les parentsd’élèves, via les droits d’écolage. L’Etatfrançais, à travers l’AEFE (Agence pourl’enseignement du Français à l’étranger),délivre également une aide substantiellede 4 millions d’euros. Les parents sonttrès investis dans la vie financière del’établissement, ils en ont la responsa-bilité.

    Pouvez-vous nous donner en avant-première quelques caractéristiques

    innovantes dunouveau lycée ? 

    Concernant les

    infrastructures pé-dagogiques, ellessont à la pointedes technologiesnouvelles. Toutesles salles de classesont équipées devidéoprojecteurset d’ordinateurs.Des espacesculturels serontréservés aux élèves, avec notamment lecentre de connaissances et de culture.Les équipements sportifs, avec stadeet gymnase, sont remarquables, toutcomme les espaces de jeux extérieurspour les plus jeunes. Sans oublier la sallede spectacle pourvue de la dernièretechnologie qui pourra accueillir prèsde 180 personnes. Autre nouveauté,un service de restauration permettraaux enfants d’être demi-pensionnaires.Aujourd’hui, ils déjeunent dans la cour,au printemps et l’été, ou dans les classesdurant l’hiver. A partir de la rentrée, tousles enfants pourront manger dans unevraie cantine, d’une capacité d’accueil de350 élèves par service. Avec la sociétéfrançaise Ansamble, nous travaillons àla composition de menus équilibrés etadaptés aux goûts des Roumains et desFrançais.

    Quels sont vos projets pédagogiquespour l’année scolaire à venir ? 

    Ils sont établis autour de quatre axes.Nous voulons tout d’abord l’excellencepour nos élèves, cela passe par un suividurant toute leur scolarité pour leurpermettre d’obtenir un bac d’ensei-gnement général des séries scientifique,économique ou littéraire. En juin 2013,

    le lycée a obtenu plus de 97% de réus-site, toutes séries confondues, avec plusde 82% de mention, et 50% de mentionTrès Bien, c’est-à-dire des résultats avecplus de 16/20 de moyenne générale.C’est exceptionnel et nous devonsmettre tout en œuvre pour permettreà tous nos élèves de réussir dans lesmeilleures conditions possibles. Cesrésultats ne seraient évidemment pasenvisageables sans l’investissement detout le corps enseignant, du primaireau secondaire. Nous allons aussi, selonles directives de l’AEFE, renforcer notrepolitique d’enseignement des languesvivantes. L’anglais s’enseigne dès l’élé-mentaire au CE1 à tous les élèves, et leroumain devient obligatoire pour tousdès la petite section à la maternelle. Cepoint rejoint le troisième axe du projetpédagogique : l’ouverture à la culturedu pays d’accueil de l’établissement, quipassera, entre autres, par des actionscaritatives en direction d’associationset d’institutions roumaines. Enfin, unaccent particulier sera mis sur l’actionéco-citoyenne afin de sensibiliser les jeunes à l’écologie et la préservation del’environnement.

    Propos recueillis par Camille-Eva Pineau.Photo : Mihai Barbu

     A la rentrée, le Lycée français Anna de Noailles déménage. Cap aunord de Băneasa, où le nouveau bâtiment accueillera 1050 élèves, dela maternelle à la terminale, contre 930 aujourd’hui. Alain Houille,Proviseur depuis la rentrée 2012, présente cette toute nouvellestructure et les projets développés par l’établissement.

    TOUT BEAU ET FLAMBANT NEUF

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    LA CHRONIQUE 

    DE NICOLAS DON

    UN DRAME (TRES) POLITIQUE

    Ce dimanche de f in juin, un autocar transportant des touristes roumains s’écrase en bas d’un précipice, sur une route duMonténégro. Le bilan fait état de 18 morts. La tristesse et la compassion sont unanimes et nous nous y associons ici, natu-rellement. Dès le lendemain matin, un énorme scandale éclate à Bucarest. Le Premier ministre Victor Ponta envoie sur placed’abord son ministre des Affaires étrangères, puis deux avions militaires destinés à rapatrier les victimes. Et annonce benoîte-ment qu’il n’a été informé du drame qu’à 11h du soir, soit cinq heures après. Les partis politiques et les médias d’opposition,télévisions en tête, lui étaient tombés dessus bien avant : à l’heure de la tragédie, Victor Ponta était trop occupé à jouer aubasket, dans le cadre d’une action de promotion, nous dit-on. C’est inimaginable, s’étrangle l’ancien chef du gouvernementMihai Răzvan Ungureanu. Ponta ne savait pas, ses conseillers n’ont pas osé le déranger, selon une autre version, débattue àlongueur d’articles et d’émissions télé. En même temps, les proches du pouvoir et leurs relais médias ne cessent de vanter laremarquable eff icacité de l’action gouvernementale.Au Monténégro, on a déjà agi. La télévision annonce très vite la nouvelle. Les secours s’organisent, la population donne dusang. Les médecins renoncent à leur alphabet cyrillique et rédigent en caractères latins les bilans destinés à leurs confrèresroumains. En Roumanie, le ministre des Transports et celui du Tourisme sont muets. Victor Ponta bataille seul en premièreligne. Le président Băsescu fait profil bas, en publiant un simple message de condoléances. Les déclarations des divers res-ponsables gouvernementaux se contredisent d’heure en heure. Les parents des victimes ne reçoivent aucune informationofficielle. On ne recense aucune cellule de soutien destinée aux familles. Seule, « une psychologue s’est présentée comme volon-taire, sans être sollicitée par qui que ce soit », nous apprend l’agence de presse Mediafax.Le lendemain – jour de deuil national – le scandale continue de plus belle, sur fond de torrents de larmes, cercueils bénis pardes cortèges de popes, musiques solennelles, sanglots déchirants et images (enfin !) du lieu de l’accident. Avec de gros planssur les effets personnels des victimes, éparpillés dans l’herbe tachée de sang.A 16h30, le sujet est balayé des écrans par une décision de la Cour constitutionnelle, affectant directement la révision de laConstitution et les futures échéances électorales. Une nouvelle polémique commence, passons donc à autre chose.

    Nicolas Don est journaliste et fondateur de Telenews.ro

    ET LA SANTE ?

    Fin juin, le syndicat Sanitas et le Collègedes médecins ont décidé de lancerd’importants mouvements de grève. En

    cause : le manque de matériel dans leshôpitaux, et le montant très faible dessalaires, entre autres. Radu Spătaru, 46ans (photo), est chirurgien depuis treizeans à l’hôpital pour enfants Marie Curiede Bucarest. Depuis un an, il est aussidirecteur médical de cet hôpital public.Malgré son ancienneté, il ne toucheque 1000 euros net par mois. Et prendl’exemple d’un médecin interne quitravaille avec lui… « Il gagne 250 eurospar mois. La situation est dramatique pourles jeunes médecins, il est inacceptable

    que l’Etat ne fasse rien. » La Roumaniedépense seulement 4% de son Produitintérieur brut pour son système desanté, alors que la moyenne européen-ne est d’environ 7%.

    Texte et photo : Julia Beurq

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    VOYAGE

    EN ARCHITECTURE 

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    Regard  parle souvent d’architecture, notammentlorsque la rédaction lance un dossier spécial surune ville. Mais jusqu’à présent, nous n’avions pastraité de l’architecture en Roumanie dans sonensemble, ou plutôt dans sa variété, sa com-plexité, son désordre.

    Dans un premier temps, nous avons demandé àplusieurs architectes – la plupart professeurs àla faculté d’architecture Ion Mincu de Bucarest – de synthétiser les grandes influences qui ontmodelé les murs du pays. Avant de se penchersur le présent de l’architecture en Roumanie, sesproblématiques et ses défis.

    Certains sujets ont été traités de façon distincte,comme l’empreinte communiste, tellement etterriblement présente. Ou celui de la formationdes architectes. Il a fallu néanmoins faire deschoix, et l’impasse sur l’architecture d’intérieur,par exemple. Et il ne s’agissait pas de parler d’ur-

    banisme, là aussi dossier à part entière.

    Avec des reportages très « photographiques »,ce dossier est sans doute plus « visuel » que lesprécédents. Plusieurs pages sont consacrées àBucarest, la capitale illustrant à elle seule unegrande partie de l’évolution de l’architectureroumaine. Puis à la Transylvanie et à son histoiresaxonne, parmi d’autres lieux. Avec un coup decœur particulier pour Brăila.

    Alors beau voyage en architecture, en espérantque ces pages vous donneront aussi l’envie deparcourir le pays. L. C.

    Photo : François Gaillard (façade à Braşov)

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     A LA UNE

    Regard : Peut-on parler d’une spécifi-cité de l’architecture roumaine ?

    Horia Moldovan : Il est diff icile de

    parler de spécificité car on distinguetrois grandes directions de développe-ment de l’architecture en Roumanie,qui ont eu lieu en Transylvanie, enMoldavie et en Valachie. Entre cestrois territoires, il y a évidemment eudes échanges, mais chacun a gardé sonparcours à la fois historique et archi-tectural. Au-delà de ces trois régions,il est par ailleurs important de rappelerque la Roumanie couvre une zone qui

    a toujours été à la frontière de deuxmondes : l’Orient ottoman-islamiqueou orthodoxe-slave, et l’Occident. Onparle donc d’un pays où les inf luences,

    les cultures et les civilisations se sontmélangées, ce qui a donné des résul-tats particuliers. Sans que l’on puissetoutefois parler d’une spécificité del’architecture roumaine.

    Alors comment qualifieriez-vous lestyle brâncovenesc  * ? 

    Le style brâncovenesc est un mélanged’éléments de décors autochtones et

    venant du monde ottoman et d’élé-ments de composition, de l’objet oude l’ensemble architectural, venantdu nord italien. Il est vrai que c’est

    un style à part, résultat d’un mélanged’influences empruntées de régionstrès différentes. Il n’est cependantpas le seul qui se soit développé enRoumanie. On peut aussi indiquer, parexemple, l’architecture moldave des15ème et 16ème siècles qui, même sielle combine des inf luences d’endroitsdivers, les intègre dans un style propre.Le style brâncovenesc est donc loind’être le seul développement architec-

    Horia Moldovan, vice-doyen de la faculté d’architectureIon Mincu à Bucarest, est notamment spécialiste del’histoire de l’architecture. Dans cet entretien, il expliqueles grandes tendances qui ont marqué les bâtiments deRoumanie depuis le Moyen Age.

    CE QUE RACONTENT LES MURS 

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     A LA UNE

    tural original qui se soit répandu dansl’une des trois régions historiques de laRoumanie. Ceci étant, je vous accordequ’il a représenté l’une des sourcesles plus revisitées par les architectesroumains de la fin du 19ème siècle etdu début du 20ème dans leur quêtepour définir un style national. C’est no-tamment pour cette raison que le stylebrâncovenesc est devenu le plus connu.

    Quand peut-on dater les débuts del’architecture roumaine ? 

    Au début du Moyen Age, lorsqueapparaît la formation des premièresorganisations étatiques. On parle dela première moitié du 14ème sièclepour la Valachie, et du début de ladeuxième moitié du même siècle pourla Moldavie. De son côté, la Transylva-nie est une région un peu particulièrecar elle fut conquise par les Magyars àpartir du 10ème siècle. En 1541, elledevenait principauté autonome sousle contrôle des Turcs, et en 1699, elleest intégrée à l’empire des Habs-bourg. Du coup, depuis le début duMoyen Age, la Transylvanie regardevers l’Occident d’où elle absorbe lesprincipales influences, même si celles-cise manifestent avec quelques décala-ges, comme c’est habituel pour unezone de frontière. Pour revenir à laMoldavie et à la Valachie, il est à noterque le religieux a largement dominé lespréoccupations architecturales tout aulong du Moyen Age. L’architecture dela Moldavie s’oriente dans une pre-mière étape vers le sud orthodoxe etbyzantin, tout en étant inf luencée parla Transylvanie. C’est d’ailleurs pourcela que les exemples les plus anciens

    de l’architecture moldave combi-nent les caractéristiques orthodoxesbyzantines avec des éléments roma-no-gothiques. Dès ses débuts commeEtat médiéval, la Valachie, elle, a essayéde se tourner vers le sud et le mondeorthodoxe d’où elle espérait une aidecontre les tendances expansionnistesdes Magyars du nord des Carpates. ACurtea de Argeş (sud du pays, ndlr),l’église seigneuriale, qui est l’une desplus vieilles de Valachie, illustre parfai-tement l’influence byzantine.

    Et après le Moyen Age ? 

    Dans les régions extra-carpatiques, lesvilles ont eu une évolution très lentedu fait de la menace ottomane quipesait sur elles, même si ni la Valachieni la Moldavie n’ont été occupées parles Ottomans. L’influence de la SublimePorte s’est fait constamment ressen-tir. Ces pressions permanentes ontretardé le développement de l’urbani-sation ; il faudra attendre le début du19ème siècle pour voir une orientationdes villes de Moldavie et de Valachievers l’Occident. Les premiers signes decette ouverture vers l’Ouest se situentautour de 1830, quand les deux pro-vinces adoptent leurs règlements or-ganiques. Ces textes sont équivalentsà des Constitutions et les lois annexesmarquent le début de la modernitéurbaine. Les attitudes concernant laville ont été suivies par des projetspublics. A Bucarest, par exemple, lepremier projet important financé parl’Etat a été le Théâtre national en1845-1852 (détruit après un bom-bardement durant la Seconde Guerremondiale. Il se situait à l’endroit où se

    trouve aujourd’hui l’hôtel Novotel surCalea Victoriei, ndlr). A noter aussi laconstruction de l’université de Buca-rest à partir de 1857.

    D’où cette modernisation a-t-ellealors tiré ses principales influences ? 

    Les premiers architectes qui sontemployés dans les deux principautéspour s’occuper de projets de grandeampleur proviennent en majorité d’Eu-rope centrale. Mais à partir de 1850,des architectes roumains s’en vontétudier à Paris. Ils rentrent avec uneformation de type Beaux-arts, que l’onva retrouver dans leurs réalisations. Apartir des années 1870, la tendances’accentue; de plus en plus d’architec-tes roumains partent en France. Ducoup, l’architecture et l’urbanisationdes villes, spécialement à Bucarest,s’oriente toujours plus vers le modèlefrançais. Il y a aussi la venue d’architec-tes français qui signent les bâtimentsles plus emblématiques de la capitale :l’Athénée roumain, la Caisse d’épar-gne, le Palais de justice, etc. Cette in-fluence française se prolongera jusqu’àla première moitié du 20ème siècle.

    Propos recueillis par Jonas Mercier.Photo : Mihai Barbu

    * Le style Brâncovenesc est sans doute le style

    architectural autochtone le plus connu et le plus

    repris à l’échelle nationale. Il a été créé à la f in du

    17ème siècle par le prince de Valachie Constan-

    tin Brâncoveanu, qui lui a donné son nom. Les

    palais de Potlogi et Mogoşoaia, près de Bucarest,

    sont les exemples les plus complets de ce style

    dans le champ de l’architecture résidentielle.

    Relancer la taille de pierre

    Paul Pierret, Compagnon du Devoir tailleur de pierre, prépare actuellement la restauration du Palais Cantacuzino et de son

    domaine, dans la petite ville de Floreşti (département de Prahova). « Avec trois autres ouvriers, nous en sommes à la mise en sécurité

    du palais, car ce dernier a subi de nombreux pillages de briques, de fer, mais aussi de menuiseries et de parties de sa charpente depuis lafin du communisme. (…) Heureusement, la pierre est restée saine », assure-t-il. Inspiré à la fois du petit et du grand Trianon de Versailles,

    l’édifice (voir la photo de couverture), dessiné par Gheorghe Grigore Cantacuzino lui-même, a été construit à la mort du « Nabab »,

    entre 1913 et 1917. Selon Paul Pierret, la restauration, à l’initiative du propriétaire, ne devrait commencer que dans un an et durera

    une dizaine d’années environ. Elle aura pour but de rouvrir au public le palais et son domaine, doté d ’un bassin, d’un lac et même

    d’une cascade. Parallèlement, M. Pierret a pour projet de relancer la taille de pierre en Roumanie. Il est notamment en train de

    créer une association pour organiser des ateliers sur la confection de voûtes en pierre dès le début du mois d’août, à proximité du

    palais. « L’idée, d’ici un ou deux ans, est d’attirer des artisans du bâtiment. (…) Il y a un vrai potentiel en Roumanie, même si lorsqu’on dit

    que Bucarest est un petit Paris, on a à la fois raison et tort, explique-t-il. Il y a des éléments à base de pierre inspirés de Paris, mais il y a

    beaucoup de façades qui ont été cimentées, tandis qu’à Paris tout est en pierre naturelle. Il faut surtout se rappeler que la pierre n’est pas

    qu’un matériau de décoration, mais avant tout un matériau de construction. » François Gaillard

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     A LA UNE

    Bucarest n’est pas connue pour son homogénéité architecturale. Il y a unpeu de tout, bien que la « marque » communiste continue de s’imposer. Enquelques photographies, voici un petit aperçu des bâtiments et maisons les plus

    emblématiques de la capitale roumaine.

    DépareilléeAu cœur de Bucarest, le boulevard Ma-gheru est bordé par de nombreux édif icesqui, comme l’hôtel Ambasador (photo),ont été construits entre les années 1920 et

    1940. C’est donc un musée à ciel ouvertpour tous les amateurs d’un style archi-tectural relativement imposant, avec deslignes géométriques fortes et une rigueurdans la symétrie. Il est aussi raffiné dansle dessin des balcons et des escaliers, etsouvent même fantaisiste dans l’utilisationde formes arrondies. A ne pas confondredonc avec la banalité stylistique des barresd’immeubles construites sous le commu-nisme.

    Avec ses ouvertures aux voutes arrondies et ses motifs géométriques caractéristiques, le style brâncovenesc fait le charme de nombreuses villas et églises de la capitale roumaine. Mais s’il tient son nom de ConstantinBrâncoveanu qui régna sur la Valachie à la charnière entre les 17ème et 18ème siècles, le style a été beau-coup repris par la suite en Roumanie. Et il n’est pas rare de tomber aujourd’hui sur de pâles copies.

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     A LA UNE

    Ils sont hideux, ternes et vieillissants. Et pourtant, les blo-curi, ces barres d’immeubles construites pendant le com-munisme, sont incontournables à Bucarest. On en compteenviron 9000 dans la capitale, soit environ 700.000 appar-tements. Leur style architectural est peut-être même celui

    le plus répandu dans la ville. Erigés à partir des années1960 dans le cadre de vastes programmes immobiliers auxvisées plus fonctionnelles qu’esthétiques, ils sont toutefoisréputés pour leur solidité et leur résistance au temps quipasse.

    En matière de gigantisme architectural, il n’ya pas que le Palais du Parlement à Bucarest.Il y a aussi la Maison de la presse libre (Casapresei). Construite en seulement cinq ans(1952-1957) à l’époque du stalinien Gheor-ghe Gheorghiu-Dej, sa structure parasismi-que en forme de U est la copie, en dimen-sions réduites, notamment de l’universitéd’Etat Lomonosov, à Moscou. Un volumede 735.000 m3, une hauteur de 91,6 mètres(sans l’antenne), et à l’intérieur, des couloirsinterminables. Elle abritait la presse étatiquesous le communisme, dont le quotidien Scân-teia qui lui donna son nom pendant plusieursdécennies. Après la révolution, ce sont lesmédias démocratiques qui ont pris posses-sion des lieux.

    Ces dernières années, des dizaines de gratte-ciel sont sor-tis de terre dans des quartiers périphériques de la capitalecomme Băneasa, Colentina ou Berceni. Là-bas, il y avait dela place et le prix des terrains est devenu intéressant pourles promoteurs. La plupart de ces buildings sont de grandscomplexes résidentiels offrant des appartements neufs,spacieux, lumineux mais onéreux. Ou comment accéder àla modernité en prenant de la hauteur...

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    Une tour de 19 étages et 4 sous-solsédifiée aux abords de la cathédrale ca-tholique Saint-Joseph. L’affaire avait faitgrand bruit au moment de la construc-tion il y a sept ans. Non seulement pourdes raisons esthétiques mais surtout

    parce que les fondations de la cathé-drale ont été fragilisées. Aujourd’hui,c’est un symbole parmi d’autres d’unecapitale européenne où le patrimoinehistorique et culturel pèse assez peuface à certains projets immobiliers. ABucarest, plusieurs associations luttentcontre ces dérives. Parmi elles, SalvaţiBucureştiul ou encore l’association Rha-billage qui présentera en septembre, àl’Institut français, un guide de réhabilita-tion des vieilles maisons bucarestoises.

    Dans le vieux Bucarest, une grosse pastille rouge fixée sur une façade abiméepar le temps. C’est le signe de la vulnérabilité d’un bâtiment face aux trem-blements de terre. Au total, quelque 2500 maisons et immeubles bucarestoisprésentent eux aussi un risque sismique élevé, et plus de 300 d’entre euxs’écrouleraient en cas de très fortes secousses. En 1977, une trentaine d’édi-fices s’étaient déjà effondrés et 1391 personnes avaient péri dans un violenttremblement de terre. Depuis la tragédie, les nouvelles constructions répon-dent à des normes parasismiques très strictes. Normalement.

    Dans l’Entre-deux-guerres, Bucarest était baptisée le « petit Paris ». Et ce n’est pas un hasard. A partirde la deuxième moitié du 19ème siècle, les autorités roumaines ont fait appel à de nombreux architectesfrançais, diplômés des Beaux-arts, pour édifier quelques-uns des bâtiments les plus réussis de la capitale.Parmi eux, la Caisse des dépôts, la Banque nationale, l’Athénée roumain, le Palais de Justice de Bucarest,la Fondation universitaire Carol I, le Palais Ştirbei ou encore ici, le Palais Nifon sur Calea Victoriei, qui futbâti par Paul Gottereau. Parallèlement à la diffusion de la langue de Molière, le néoclassicisme français étaitdevenu une mode (voir entretien page 22).

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     A LA UNE

    Le quartier Unirii estsorti de terre avec

    le projet pharaoni-que de la Maison dupeuple (voir enca-dré page 29). Pourle construire, uncinquième de la villea été rasé, et 57.000familles ont été dé-racinées. L’ensembleMihai Voda, l’Institutmédico-légal MinaMinovici, les Archivesnationales ainsi que

    plusieurs églises ontété tout simplementdémolis. Aujourd’hui,Unirii est surtout unquartier résidentielqui abrite aussi diver-ses institutions, maispeine à trouver soncharme.

    Mehdi ChebanaPhotos : Mihai Barbu

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     A LA UNE

    SELON LE NOUVEAU « REGLEMENT sur la réhabilitation des bâtiments et laqualité architecturale de la ville », lesBucarestois seront désormais obli-gés d’entretenir les façades de leursbâtiments et de respecter une certaineunité. Mise en application du règlementaprès plusieurs mois de débat public :dans six mois. Ces nouvelles mesuresvont viser, dans un premier temps, la

    zone du centre-ville de la capitale, maisseulement pour les immeubles d’habi-tations ; les bâtiments du patrimoine,classés monuments historiques, sontgouvernés par d’autres normes spéci-fiques.

    « Chaque propriétaire sera obligé de réha-biliter sa façade si elle est dégradée, meten danger la population, porte préjudice àla qualité de l’environnement ou à l’aspectarchitectural de la ville. La mairie f ixera lestermes de l’exécution de la restauration,

    qui devront être strictement respectés.Tous les branchements pour l’électricité,le gaz, les télécommunications, ainsi queles climatiseurs disparaîtront de la façadeprincipale, assure l’architecte en chefde Bucarest Gheorghe Pătraşcu. Lesbalcons et les fenêtres seront alignéssur la même unité architecturale, et lacouleur des murs respectera la chroma-tique de la zone. « Ces mesures existentdepuis deux ans, après l’entrée en vigueurde la Loi sur les façades, mais grâce à cenouveau règlement, on pourra appliquerdes sanctions aux contrevenants », ajouteM. Pătraşcu. Et les amendes serontassez élevées : de 1000 lei (environ 220euros) jusqu’à 8000 lei (environ 1780euros). Théoriquement, le coût des tra-vaux sera supporté par le propriétaire,qui pourra, le cas échéant, être aidé parla mairie.

    « Facile à règlementer, difficile à appliquer »,

    affirme de son côté le président del’association Salvaţi Bucureştiul (SauvonsBucarest), Nicuşor Dan. Selon lui, lesautorités locales n’ont pas les moyensde mettre en application un tel projet,et d’appliquer des amendes non plus…« Comment répertorier tous les climati-seurs des façades ? Il y en a des centaines

    de milliers dans une ville où, l’été, il faitsouvent plus de 40 degrés… Et comment

    persuader les habitants de renoncer à cetype d’installation ? Et puis pour les mettreoù ? » Nicuşor Dan ajoute que « commedans toutes les grandes villes d’Europe,c’est surtout aux constructeurs qu’il fautdemander de procéder à ces rénovations.

    (…) Quoi qu’il en soit, le chaos architec-tural de Bucarest ne pourra être éradiquédu jour au lendemain. Et je pense que lesautorités locales n’ont ni les moyens ni lavolonté réelle de faire le ménage ».

    Daniela Coman

    FAIRE PROPRE

    Plus de climatiseurs, plus d’affiches ou de panneaux publicitaires, plus d’antennes

    ou autres installations sur les façades des immeubles… C’est la dernière promessede la mairie de Bucarest. A voir.

    ILS SONT TOUJOURS LA, MASSIFS, gris, plus ou moins bien conservés : lesblocs (blocuri). Ces immeubles d’ha-bitations, que l’on pourrait compareraux HLM français, sont partout. Dèsle début, le pouvoir communiste doitrésoudre le problème du logementdans les villes afin d’absorber le fluxtoujours plus important des travailleursvenus des campagnes. « Les immeublesconstruits dans le quartier de Drumul Ta-berei ou de Balta Albă à Bucarest sont lesmêmes qu’on faisait en périphérie de Parisdans les années 1960 », note l’architecteAlexandru Panaitescu, auteur du livre

    De la Casa Scânteii la Casa Poporului (éditions Simetria, 2012).

    Mais la comparaison s’arrête là. Dès1949, les architectes roumains devien-nent avant tout les salariés des institutsde construction dont l’Etat est le seulcommanditaire. L’appartement commu-niste type, avec sa surface maximum etla délimitation de ses pièces, est définipar actes normatifs. Et en 1968, les ca-binets d’architectes indépendants sontinterdits. L’uniformisation commence.« Dans les années 1970, on construisait35.000 appartements par an, ce qui est

    énorme, ajoute Alexandru Panaitescu.Le secteur de la construction n’était pas

    prêt, la qualité des immeubles s’en estressentie. » 

    D’AUTRES COURANTS 

    Les quatre décennies du pouvoircommuniste n’ont toutefois pas laisséque des blocs, mais aussi nombre debâtiments administratifs, autre reflet del’architecture de cette période. Dansles années 1950, le modèle soviétiques’impose, affichant comme emblèmeCasa Scânteii, à Bucarest, aujourd’hui

    Des bâtiments administratifs aux dizaines de milliers de blocs qui ponctuent lequotidien de la majorité des Roumains, le rythme effréné des constructions sousle régime de Ceauşescu a marqué au fer rouge l’aspect des villes de Roumanie.Ces quarante années de communisme ont pourtant laissé derrière elles des traces

    plus variées qu’on a tendance à le penser.

    L’EMPREINTE COMMUNISTE

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     A LA UNE

    la Maison de la presse. Cet imposantbâtiment aux lignes symétriques s’estinspiré de l’hôtel Leningrad de Moscou,et du Palais de la culture de Varsovie.

    S’en est suivie une période de dé-tachement vis-à-vis de l’influencerusse, correspondant à une relativeliberté pour les architectes roumains.Le Cirque d’Etat (Circul de Stat) sur leboulevard Ștefan cel Mare à Bucarest, oules maisons de la culture et des syndi-cats à Botoşani (nord-est) et Baia Mare(nord-ouest) sont trois exemples decette architecture plus ouverte aux in-fluences occidentales modernes. « Dansles années 1960, les architectes roumainsont cherché à reprendre la réflexion des

    courants néo-roumain et moderniste de

    l’Entre-deux-guerres qui n’étaient pas

    arrivés à maturité du fait de la SecondeGuerre mondiale, note Irina Tulbure,professeur à la faculté d’architecturede Bucarest Ion Mincu. On peut parlerà cette époque d’une spécificité de l’ar-chitecture roumaine, qui mélangeait avecun certain équilibre les courants moderne,

    traditionnel et communiste. » 

    A partir de 1971 et des premièresvisites de Nicolae Ceauşescu en Asie,une nouvelle évolution architectu-rale commence. Impressionné parles manifestations de grande ampleurorganisées par les régimes autori-taires de cette région, le Conducător  va repenser les villes roumaines. En

    construisant notamment de larges bou-

    levards destinés à accueillir les déf ilésde propagande. Bucarest souffrira alorsle plus de la mégalomanie du dictateur.Le tremblement de terre du 4 mars1977, qui détruira une bonne partie

    du vieux centre de la capitale, sera leprétexte qu’il attendait pour redessi-ner la ville à son image. Et construireson « fameux » palais.

    « Il y avait de bons architectes maisça n’a servi à rien, car un seul hommedécidait », se rappelle M. Panaitescu. Etde conclure : « On assimile généralementles courants architecturaux à une périodemais ce qui a résulté de ces années à

    Bucarest est hors du temps. » 

     Jonas Mercier 

    Casa poporului…

    Quand on approche l’édifice par les chiffres, c’est le vertige : 360.000 m2, 1100 pièces, 12 étages (et 8 autres souterrains), et un

    parking pouvant abriter plus de 20.000 voitures. Quelque 30.000 ouvriers et 700 architectes ont travaillé sur ce projet démesuré

    dirigé par l’architecte en chef Anca Petrescu, qui y a consacré sa vie. Elle garde aujourd’hui un bureau à l’intérieur même du palais,

    qui est encore loin d’être fini. « Cela fait 30 ans que j’y travaille en continu, dit-elle. Et j’espère enfin le terminer après tant d’effort . On a

    posé la première pierre en 1984. J’avais 27 ans. » Si le palais est aujourd’hui un atout touristique qui attire environ 150 visiteurs par

     jour – tout en abritant les deux Chambres du Parlement roumain – son histoire n’en reste pas moins tragique. Un cinquième de la

    ville a été rasé et 57.000 familles ont été évacuées pour laisser place à ce géant. Mihaela Cărbunaru. Photo : Mihai Barbu

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     A LA UNE

    Regard : Quels sont les principauxdéfis actuels de l’architecture enRoumanie ?

    Şerban Ţigănaş : Théoriquement,les défis de l’architecture roumainedevraient être les mêmes que ceux del’architecture en général. Malheureu-sement, il existe des nuances localesqui font que notre situation est un peudifférente du reste de l’Europe. Ici,l’architecture n’est pas vue commefaisant partie de la solution aux problè-mes de l’habitat, mais plutôt commeune fantaisie réservée aux riches. Onassimile trop souvent l’architecture àl’aspect esthétique d’un bâtiment, à cequi se voit. Or, c’est loin d’être le cas.L’architecture englobe tous les pro-blèmes liés à l’habitation. Je commen-cerai donc par dire que l’architecturen’est pas perçue comme il se doit enRoumanie. Elle ne fait pas partie de laculture de masse, reste cantonnée àune certaine élite, ce qui est selon moiune erreur. En regardant ailleurs, onvoit bien que les choses progressent làoù l’ensemble de la société comprendle besoin d’une architecture de qualité.L’architecture est en fait le résultat dela relation entre l’individu, la société,l’administration et l’architecte. C’est ceque nous construisons ensemble.

    Existe-t-il d’autres problèmes aux-quels elle se confronte ?

    Deux autres. Le premier est la manièredont elle est « négociée ». Je me réfèreavant tout à l’architecture publique.Les commandes publiques pour laconstruction de gares, de lycées, demusées, d’hôpitaux... ont ce rôle fan-tastique d’être des modèles, des pointsde référence pour les commandesdu privé. Malheureusement, ici, elles

    échouent. Il n’y a pas suff isamment deconcours d’architecture et les appelsd’offres sont avant tout dictés par leprix. Enfin, il faudrait se débarrasserde cette obsession des grands projetspour se mettre au niveau de la per-sonne. L’architecture doit être comprisecomme quelque chose qui change la vie,même si l’on parle d’une petite inter-vention. La société est la somme desattitudes de chacun, la ville est la sommedes architectures qui la constituent. Maisle mot « architecture » a disparu denotre langage. Il est pratiquement ab-sent de nos textes de lois. On y parleque de construction, de développe-ment, d’infrastructure, de bâtiment...On évite le mot « architecture » car ilparaît bizarre, trop sophistiqué. On nele comprend pas. L’architecture doitdescendre dans la rue.

    Parlons maintenant de ce qui existedéjà, du patrimoine architectural. Est-il en danger ?

    Ces dernières années, le patrimoineroumain a été bafoué. Après la pé-riode communiste, pendant laquelle laculture de la propriété a été boulever-sée, les gens n’ont pas su s’occuper dupatrimoine qu’ils ont récupéré. Idempour l’Etat, qui s’est vu obligé de gérernombre de propriétés. Et beaucoupd’erreurs ont été faites. Ce fut unepériode de transition et de confusion.Ceux qui en sont sortis vainqueurs ontété les spéculateurs. Notre patrimoinea été plus abîmé pendant ces dixdernières années que pendant toutela période communiste. Les études lemontrent. Pourquoi ? Parce que là oùles maisons sont abandonnées, où iln’existe plus de vie, la ruine s’accélère.

    Mais pourquoi un tel manque de res-pect vis-à-vis de la vieille pierre ?

    L’absence de culture pour la com-prendre d’un côté, et un effet psy-chologique de l’autre. Beaucoup de

    « L’ARCHITECTURE DOIT DESCENDRE DANS LA RUE »

    Malmenés, mal pensés, mal gérés, beaucoup de maisons etbâtiments, anciens ou en construction, souffrent d’un manque derepères et d’inspiration. Que faire ? Şerban Ţigănaş, président del’Ordre des architectes de Roumanie, donne ici quelques clés.

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     A LA UNE

    Cathédrale insensée

    Les fondations en béton armé ont déjà été coulées et le premier sous-sol est terminé. L’imposant édifice orthodoxe qui esten train de s’élever à côté de la Maison du peuple (Casa Poporului) à Bucarest devrait accueillir ses premiers croyants en 2016.

    Merveilleuse pour certains, grotesque pour d’autres, la cathédrale du Salut du peuple ( Catedrala Mântuirii Neamului Româ-nesc) est surtout l’un des projets majeurs du Bucarest d’aujourd’hui. « C’est un geste symbolique pour l’Orthodoxie roumaine qui,après la parenthèse du communisme, apparaît comme un thème redécouvert et qui a du sens , note Şerban Ţigănaş. Le problème,c’est qu’il y a un déséquilibre flagrant entre l’importance primordiale du sacré et la qualité architecturale très faible qui a été requise. »  Beaucoup d’aspects de la future cathédrale sont en effet la cible de critiques dans le rang des architectes. L’emplacement, àquelques mètres du symbole le plus marquant de la dictature de Nicolae Ceauşescu, tout d’abord. Puis son architecture, quin’est pas de la meilleure qualité. « C’est un cumul de compromis, alors que l’importance d’une telle cathédrale aurait eu besoind’une inspiration spécifique et d’un moment favorable », ponctue Şerban Ţigănaş. Et d’ajouter : « Il existe le risque que d’ici quel-ques générations, les gens pensent que cette cathédrale est contemporaine à la Maison du peuple, et qu’elle fait partie d’un mêmeensemble d’architecture monumentale. »

    Photo : Mediafax

    Roumains veulent se débarrasser dupassé. Je parle du passé proche, deces années 1980 qui sont synonymesde démolitions afin de faire placeaux grands projets de Ceauşescu, enparticulier à Bucarest. Ce désir de sedébarrasser du passé influence aussila vision qu’ont les Roumains sur leurpatrimoine. L’architecture nouvelle,même si nous ne savons pas trop ceque c’est, peut nous débarrasser dugris, de la saleté, du manque de cou-leurs qui a caractérisé ces années. Or,la vieille pierre est grise aussi, et il fautune certaine expérience pour savoir

    qu’elle est différente, et qu’un simplecoup de brosse peut lui redonnertoute sa beauté.

    Y a-t-il une prise de conscience au ni-veau des autorités ? Et des architectes ?

    Oui. Mais le problème est ailleurs. EnRoumanie, le patrimoine est l’affairede l’Etat. Il le protège en interdisant lesautres de le maltraiter. Conséquence,il impose énormément de restrictions.Peu de personnes sont aujourd’huihabilitées à rénover des bâtimentsde patrimoine. Et les architectes ne

    sont pas attirés par ce domaine carles contraintes sont trop nombreuses.L’Etat devrait encourager tous ceuxqui souhaitent rénover le patrimoine.Au lieu d’être un avantage, un bâti-ment de patrimoine est aujourd’huiun calvaire pour ses propriétaires. Ily a un problème de conception dansla protection du patrimoine, quelquesretouches dans la loi ne suff iront pas.Il nous faut une nouvelle attitude, denouveaux textes.

    Propos recueillis par Jonas Mercier.Photo : Mihai Barbu

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     A LA UNE

    A Braşov, les immeubles racontent l’histoire de la ville depuis son passé de cité médiévale. Lors de son développement, au-delàdes fortifications du début du 20ème siècle, la ville est restée en grande partie sous l’influence architecturale de l’Empire austro-hongrois. On y retrouve un riche mélange de styles « Sécession » (c’est-à-dire art nouveau), néo-classique et néo-baroque,comme si Braşov s’efforçait de rester en harmonie avec l’Empire. L’architecture moderne a eu d’autant plus de mal à s’imposerqu’elle devait se plier à certaines exigences locales, telles que les toits inclinés.

    De Braşov à Sibiu, l’architecture saxonne de Transylvanie présente demultiples facettes. Un patrimoi