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RÉFORMER OU REFORMER LES ADMINISTRATIONS PROJETÉES DES AFRIQUES ? Entre routine anti-politique et ingénierie politique contextuelle Dominique Darbon E.N.A. | Revue française d'administration publique 2003/1 - no105-106 pages 135 à 152 ISSN 0152-7401 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2003-1-page-135.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Darbon Dominique, « Réformer ou reformer les administrations projetées des Afriques ? » Entre routine anti-politique et ingénierie politique contextuelle, Revue française d'administration publique, 2003/1 no105-106, p. 135-152. DOI : 10.3917/rfap.105.0135 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour E.N.A.. © E.N.A.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 194.214.27.178 - 14/05/2013 22h16. © E.N.A. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 1 - Sorbonne - - 194.214.27.178 - 14/05/2013 22h16. © E.N.A.

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RÉFORMER OU REFORMER LES ADMINISTRATIONS PROJETÉESDES AFRIQUES ?Entre routine anti-politique et ingénierie politique contextuelleDominique Darbon E.N.A. | Revue française d'administration publique 2003/1 - no105-106pages 135 à 152

ISSN 0152-7401

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Darbon Dominique, « Réformer ou reformer les administrations projetées des Afriques ? » Entre routine anti-politique et

ingénierie politique contextuelle,

Revue française d'administration publique, 2003/1 no105-106, p. 135-152. DOI : 10.3917/rfap.105.0135

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RÉFORMER OU REFORMER LES ADMINISTRATIONSPROJETÉES DES AFRIQUES 1 ?

Entre routine anti-politique et ingénierie politique contextuelle

Dominique DARBON

Maître de conférences à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV,Directeur du Centre d’étude d’Afrique noire, Institut d’études politiques de Bordeaux

« Poscdcorb has come and gone. Organizational theories havecome and gone. Rational choice models and reinventing govern-ment projects have come and gone. What remains is the firemangoing into the building, the FBI agent pushing against bureaucra-tic stupidity, the offıce secretary who gets to work on time, refusesto pilfer offıce supplies and gives the public an honest day’s work »(Heclo) 2.

« Le début de la sagesse concrète des organisations ne consiste pasà se demander ce que font les organisations prétendument lesmeilleures...mais plutôt à se demander quels sont les besoins decette organisation particulière, compte tenu de son but, de sonhistoire et des circonstances actuelles » (Thomas) 3.

Depuis le milieu des années 1970, les États et les administrations projetés enAfriques ont été soumis à des procédures aussi intensives que contradictoires de réforme.Dans la plupart des cas, le délabrement matériel, financier et humain des appareilsadministratifs et plus généralement l’échec flagrant des pratiques administrativesproduites par des États affaiblis, s’apparentant parfois aux ghost states et aux failed

1. Le terme « projeté » est ici utilisé dans le double sens de projection pour signifier le transfertidéologique, méthodologique et instrumental qui les fondent sur le registre de l’extranéité et de projet poursouligner qu’elles continuent à se construire par anticipation de la réalisation des conditions socialessusceptibles de les produire, dans une logique développementaliste classique. Le terme « Afriques » est utiliséau pluriel pour insister sur la diversité des trajectoires de ces constructions bureaucratiques même si ce textefonctionne par généralisation. Associé au terme d’administrations projetées ce pluriel conduit à exclure du textele cas des administrations sud-africaine, zimbabwéene et botswanaise.

2. Heclo (Hugh), « The Spirit of Public Administration », Political Science and Politics, XXXV, 4,December, 2002, p. 689-694.

3. Thomas (Paul.-G), « Au-delà des mots à la mode : faire face au changement dans le secteur public »,Revue internationale de science administrative, Vol. 62, n° 1, mars 1996, p. 31.

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states, ont rendu indispensables des réformes drastiques. La montée en puissance desinstitutions financières internationales et notamment du groupe de la Banque mondialedans la gestion des affaires internationales et du développement, la diffusion desconceptions néolibérales et de leurs significations en matière de gestion bureaucratiquevia les exemples néo-zélandais, britannique et américain et l’accord général sur laphysionomie et la géométrie de l’appareil étatique tel que résumé dans « le Consensus deWashington » ou les documents produits par le service de gestion publique (PUMA) del’OCDE dans la fin des années 1990, ont consacré et légitimé les options retenues par lesplans d’ajustement structurels et les techniques liées au New Public Management.L’association de la mondialisation du marché des réformes administratives sous le coupde la montée en puissance des institutions financières internationales, du délitement descapacités gestionnaires des États africains et de la constitution de réseaux et d’epistemiccommunities incluant de nombreux leaders africains ont favorisé le formatage des« sets » de réforme sur un modèle unique très influencé par les enjeux, débats, arènes etforums du nord. Le vocabulaire spécialisé et très évolutif de la réforme sous toutes sesformes s’est profondément diffusé au point de devenir un leitmotiv dans tout documentofficiel ou étude.

Les modalités de ces réformes, leurs substrats idéologiques et leurs résultatsfurent contestés d’abord par des groupes minoritaires avant que le développementde ces critiques dans les années 1990 oblige les institutions financières internationalesà modifier très substantiellement leurs programmes 4. Dans le même temps, la né-cessité de transformer l’organisation et les modalités de gestion des administrationsen Afrique s’est imposée comme inéluctable 5. Reste qu’au-delà de ces constatsgénéraux d’impéritie et d’obligation de réformes rien n’est bien clair : d’un côtéles techniques de réforme sont très précisément répertoriées ; de l’autre, la situationd’ensemble de ces administrations est mal connue, les missions qui leur sont fixéessont définies en termes très généraux, le type de réforme à réaliser est fluctuantet varie en raison de la diversité des intervenants dans les procédures de réformeet de leurs rapports de force du moment ; enfin l’objectif global de la réformedemeure confus, hésitant entre amélioration technique de la production et de larentabilité des appareils administratifs, et transformation radicale et globale de l’or-ganisation politique et sociale. En effet, la réforme est construite autour d’un refusénoncé du politique autour duquel convergent les intérêts des responsables politiqueset administratifs locaux, des experts nationaux ou étrangers et des bailleurs defonds 6. L’incertitude est d’autant plus grande que le changement incessant desoutils, des orientations théoriques et des vocables (de l’État au marché, du publicau privé puis au partenariat public-privé...) s’inscrit dans le maintien d’une com-préhension purement développementaliste et externalisée du changement supposant

4. Gore (Charles), « The Rise and Fall of the Washington Consensus as a Paradigm for DevelopingCountries », World Development, 2000, 28, 5, p. 789-804. Stiglitz (Joseph.-E.), La grande désillusion, Paris,Fayard, 2002.

5. Farazmand (Ali) (ed), Handbook of Comparative and Development Public Administration, New York,Dekker, 1991. Dwivedi (O.-P.), Henderson (K.-M.) (eds.), Public Administration in World Perspective, IowaState University press, 1990 ; Dwivedi (O.-P.), Nef (J.), « Crisis and Continuities in Development Theory andAdministration », Public Administration and Development, 1982, 2, p. 59-77.

6. Pour cette analyse bien connue on renverra à Fergusson (James), The Anti-Politics Machine :Depoliticization and Bureaucratic Power in Lesotho, Cambridge University Press, 1990 ; Jobert (Bruno), Lemythe de la gouvernance antipolitique, Colloque AFSP Lille, 18-21 septembre 2002, TR n° 3.

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l’identification d’un deus ex machina universel 7. Les mots, les orientations et lesoutils changent mais la conception linéaire, continuiste et téléologique du changementdemeure. La réforme s’impose avant tout comme un « buzzword » qui tend à occulterles processus d’institutionnalisation que suivent des administrations africaines pourmieux se présenter comme universaliste et « scientifique » quitte à cacher l’hété-rogénéité et la dispersion des thèmes proposés sous un terme apparemment simple.Alors qu’au nord la réforme suppose une réflexion d’ensemble sur les rapportsentre société et État 8, l’implication des groupes gestionnaires centraux des institutionspubliques (core executives) et l’intervention d’acteurs érigés en contre-pouvoirs, enAfriques elle s’énonce comme une obligation impulsée par des acteurs extérieurscontraints dans leur capacité d’action par le principe de souveraineté et d’apolitismede leurs interventions et par la concurrence sauvage à laquelle ils se livrent entreeux, relayée voire initiée par des dirigeants africains qui se positionnent pour iden-tifier et capter les nouvelles opportunités ouvertes par les nouveaux processus pro-duits. La réforme telle qu’elle est mise en œuvre sur place est ainsi ramenéeà un problème de gestion et de techniques chacun cherchant à en occulter lesenjeux politiques, à la consacrer comme antipolitique. Le changement idéologiquedes années 1970 dans la zone OCDE a bien sûr conduit à des modifications im-portantes dans la conception du rôle social et économique, la perception, les mé-thodes, les procédures de l’administration mais dans la continuité d’un type degestion bureaucratique fondamentalement maintenu. En Afriques, la réforme s’ap-parente dans la quasi totalité des cas à une tentative de refonder un appareilétatico-administratif sur des bases nouvelles lui permettant d’être effectif, tout enprétendant qu’il ne s’agit que de questions de gestion 9. La réforme est victimeà la fois du phénomène de la « anti-politics machine », fondé sur les jeux stratégiquesdes décideurs du nord comme du sud, qui tendent à faire passer des réformesavant tout politiques pour des questions de gestion, à dépolitiser le changementpour le réduire dans les Afriques à une anecdote technique et ainsi en réduireles coûts politiques quitte à en vider l’impact technique. La succession ininterrompuede réformes confrontée aux tactiques de dépolitisation et au mythe développemen-taliste qui y est totalement prégnant a transformé ce qui était une politique auservice de la gestion publique en fin « en soi » 10.

Dans ce contexte d’incertitudes et de refus du politique, la réforme ne cessede se réformer hésitant en fonction des ressources disponibles pour les différentescatégories d’acteurs et des résultats des jeux précédents entre une routine antipolitiqueaux effets pervers dramatiques et une ingéniérie politique contextuelle aux résultatsconfus.

7. On renverra ici à Badie (Bertrand), Le développement politique, Paris, Économica, 5e éd., 1994,p. 207-208

8. Albertini (Jean-Benoît), Réforme administrative et réforme de l’État en France, problèmes etvariations de l’esprit de réforme de 1815 à nos jours, Paris, Économica, 2000.

9. On retrouve ici des problématiques classiques de la réforme. Rouban (Luc) et Ziller (Jacques), « Dela modernisation de l’administration à la réforme de l’État », Revue française d’administration publique, 1995,n° 75, p. 345.

10. On en trouve une bonne illustration dans Hyden (Goran), « From Bargaining to Marketing : How toReform Foreign Aid in the 1990s », CAS Copenhagen, Working papers 1994/1, March 1994, qui cherche larésolution des dévoiements dans la constitution de structures indépendantes et externes aux États, solutionqu’on retrouve par exemple dans l’OHADA.

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LA RÉFORME COMME ROUTINE ANTIPOLITIQUE 11

Les paradigmes de la boucle et du pendulum swing 12

Le bilan de 25 ans de réformes administratives en Afriques est assez accablantlorsqu’on rapproche mobilisation de techniques et de ressources humaines et financièresd’une part, et impact global sur la qualité de la gouvernance d’autre part. Sur cettepériode, les réformes proposées ont quasiment fait une boucle : on est ainsi passé d’unÉtat développementaliste omnipotent à un État maudit qu’il fallait réduire (rolling backthe state) pour obtenir, par un « leaner state », « a good governance » à coup de « bestpractices » et de « benchmarking », avant de constater la nécessité de promouvoir le« capacity building » et d’assister médusé, pour les Afriques, à la « resuscitation of thedevelopmental state » écrit V. Chibber 13 et au retour récent au « community develop-ment », vieille lune des années 1960 14. En matière de fonction publique, le balancier estparti d’une exaltation d’une avant-garde de la modernité (années 1960/70), est passé parla dénonciation des « bloated bureaucracies » remplies de fonctionnaires corrompus etinefficaces, et accusés dans l’optique du rational choice d’être les pires adversaires dudéveloppement en empêchant, par leurs tactiques et leur simple présence, le développe-ment de la libre entreprise (années 1980/90), pour revenir à la recherche d’une fonctionpublique de qualité (a robust bureaucracy) animée d’un esprit de corps dont ilconviendrait de produire ou de restaurer la compétence, les traditions bureaucratiques, etseule à même d’agir comme garante de la consécration d’un État cohérent détenteur desqualités de l’État developmental 15. On est passé avec les PAS (plans d’ajustementstructurel) d’une politique de croissance, fondée sur le modèle du trickle down effect,générée par la seule régulation du marché supposant la dérégulation et la privatisation denombreuses activités administrées et conduisant dans des États caractérisés par la grandepauvreté à accroître la marginalisation des pauvres, à l’initiative « pays pauvres trèsendettés » (PPTE/HIPC) 16 prônant une politique de croissance centrée sur la lutte contrela pauvreté et le développement des capabilities, supposant qui plus est l’existence decapacités institutionnelles et notamment administratives fortes pour assurer la prise encharge de populations dénuées de pouvoir d’achat. Bref, les orientations les pluscontradictoires, les techniques et recettes les plus hétéroclites ont été systématiquementutilisées sans que les leçons de l’échec aient été tirées — y compris lorsque les projets

11. Dans la suite du texte de nombreux termes en anglais seront utilisés pour identifier les réformesproposées. Il s’agit en les conservant de souligner l’internationalisation du vocabulaire de réformes autour determes consacrés qui souvent se suffisent à eux-mêmes, permettant ainsi aux acteurs d’éviter de poser laquestion du politique.

12. Kasfir (Nelson) in : Mawhood (Philip) (ed.), Local Government in the Third World : the Experienceof Decentralization in Tropical Africa, Pretoria, AISA, 2e éd., 1993.

13. Chibber (Vivek), « Bureaucratic Rationality and the Developmental State », American Journal ofSociology, vol. 107, n° 4, 01/2002, p. 951.

14. Cette idée de développement communautaire fortement teintée d’une vision romantique des sociétés« traditionnelles » était à la source des actions de développement de base des années 1970.

15. Evans (Peter), Embedded Autonomy : States and Industrial Transformation, Princeton UniversityPress, N.J, 1995 ; Evans (Peter), Rauch (James), « Bureaucracy and Growth : A Cross-National Analysis of theEffects of “Weberian” State Structures on Economic Growth », American Sociological Review, 1999, vol. 64,p. 748-765.

16. L’initiative PPTE a été lancée au sommet du G7 de Lyon en 1996 et consacrée au sommet du G7à Cologne en 1999. Elle consiste à lier lutte contre la pauvreté, allègement de la dette et renforcement descapacités institutionnelles orientée par les critères rassemblés dans le terme de good governance.

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sont soumis à des procédures d’évaluation comme c’est de plus en plus souvent le cas.À quelques années d’intervalle on pourra alors constater la reprise de procédures quiconnurent un échec cuisant sans que rien dans la situation concrète n’ait été modifié etn’autorise donc a priori à anticiper un résultat plus favorable. C’est le constat quedressent Perin et Attaran pour les politiques de santé, Mawhood et Kasfir ainsi que Crooket Manor pour les politiques de décentralisation, Olowu ou Darbon pour les réformes desfonctions publiques 17. On trouve alors dans la littérature en 1998 — soit près de 20 ansaprès les premiers PAS — ce type de réflexion qui peut paraître surréaliste, porté par l’undes forums de science administrative parmi les plus importants dont on admirera aupassage le sens de la litote participant de la dépolitisation : « Le manque de réussite desprogrammes de réforme administrative dans les pays africains a fait naître quelquesinquiétudes. On a réalisé l’importance de la capacité de gestion pour la réalisation réussiede toute politique (...) Une attention relativement faible a été consacrée à la question dela gestion du processus de réforme lui-même dans ces pays » 18.

Le jeu morbide de l’anti-politique

Reste alors à expliquer pourquoi cette succession d’échecs annoncés se prolonge etmême semble s’accélérer et pourquoi des velléités internationales incohérentes, contra-dictoires et changeantes dans le temps sont systématiquement répliquées 19. Périn etAttaran posent la question fondamentale à propos des politiques de santé : « Alors,comment expliquer que les politiques d’aide changent de manière si radicale voirereviennent à leur point de départ après avoir pris des options diverses ? » 20. Chaque« set » de réforme repose sur des postulats discutables mais généralement fiables ettechniquement validés ce qui exclut, sauf exception, de rechercher une explication dansleur défaillance technique intrinsèque. De même les situations sectorielles et globales quifondent la mise en place de ces réformes n’ayant pas fondamentalement changé sur les20 dernières années, rien ne permet de comprendre le changement de « sets » de réformeset surtout pas le retour à des « sets » dont l’abandon dans le passé aurait dû consacrerl’inefficacité. Deux autres pistes d’interprétation restent ouvertes.

La première soulève la question des capacités mêmes de ces organismes à mener lesréformes qu’ils manufacturent. Modéliser les réformes pour toutes les administrationsreprésente une tâche particulièrement ardue et délicate mais éventuellement gérable sides moyens matériels et intellectuels importants sont disponibles. Assurer sur le moyen

17. Mawhood (Philip), op.cit., 1993 ; Crook (Richard) & Manor (James), Democracy and Decentrali-sation in South Asia and West Africa : Participation, Accountability and Performance, Cambridge UniversityPress, 1998. Olowu (B.), « Redesigning African Civil Service Reforms », The Journal of Modern AfricanStudies, vol. 37, 1, 1999 ; Darbon (Dominique), « De l’introuvable à l’innommable : fonctionnaires etprofessionnels de l’action publique dans les Afriques », Autrepart, 2001, p. 27-42.

18. In : Corkery (Joan), Ould Daddah (Turkia), Nuallain (Colm O.), Land (Terry), La gestion de laréforme du secteur public : une étude comparative des expériences en matière de gestion de programmes deréforme des institutions administratives du gouvernement central, IISA, 1998, 57. Ce ne sont « que » quelques162 PAS appliqués dans 35 pays d’Afrique (contre 12 dans le reste du monde) qui ont été mis en œuvre depuisles années 1980.

19. Brinkerhoff (Derick W) & Brinkerhoff (Jennifer M), « Réformes de la gouvernance et Étatsdestructurés : problèmes et implications », Revue internationale de science administrative, vol. 68, 4, décembre2002, p. 583.

20. Périn (Ines) & Attaran (Amir), « Trading Ideology for Dialogue : an Opportunity to Fix InternationalAid for Health ? » The Lancet, vol. 361, April 5, 2003, p. 1217.

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et long terme le suivi intellectuel mais aussi matériel et financier des réformes partout enAfriques (et ailleurs) dans le contexte des failed states, ghost states et plus largement desadministrations projetées relève de l’impossible à ce jour, comme ne peuvent que nousen convaincre les expériences actuelles 21. Les capacités des institutions financièresinternationales et des autres organismes des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatérauxétant dépassées, le processus de réforme se bureaucratise, se transforme en opérations deroutine menées par des agents qui ont à ce point intériorisé les critères de promotion etde renouvellement des contrats dans un système anti-politique que leurs actions seconcentrent plutôt sur la réplication des normes et des prescriptions de l’organisationdont ils dépendent que sur les objectifs opérationnels. Ne pouvant pas, par leurs statuts,remettre en cause ouvertement le principe de la souveraineté des États, les structures deréformes subissent les effets des compromis politiques réalisés sur d’autres espaces(bargaining politics) et tentent alors de contourner l’obstacle en cherchant des interlo-cuteurs hors États, soit dans la société civile soit dans l’inter-étatique et le régional pourréguler l’aide 22.

La deuxième piste de la construction des « antipolitics machine » de J. Fergusson oude « l’évidemment intellectuel de l’autorité politique » telle que l’identifie B. Jobert,complète la première en déplaçant les lieux d’interprétation 23. La concentration des thinktanks, produit de nombreuses normes, notamment pratiques, des cadres d’interprétationet des méthodes dans les pays du nord, et particulièrement en matière de développementdans le groupe de la Banque mondiale (avec une concurrence secondaire du PNUD il estvrai) ; conjuguée — presque par définition — avec la faible capacité d’innovation et degestion des pays du sud, et notamment africains, elle conduit presque automatiquementà faire de la production de réformes une procédure externalisée. La réforme est pensée,construite et âprement discutée dans les think tanks seuls capables de systématiser desactions (éventuellement produites au sud), de produire des données, poser les diagnosticset de proposer des options qui seront définies par rapport aux normes qu’ils aurontconstruites comme référents universels 24. La capacité de contestation technique desanalyses menées par ces think tanks, par ailleurs très ouverts au recrutement de

21. Severino (Jean-Michel) à propos de l’initiative PPTE/HIPC (Heavily Indebted Poor Countries) posela question directe de la capacité technique des bailleurs à suivre des programmes globaux de soutieninstitutionnel pendant longtemps, in : « Les fondements stratégiques de l’aide au développement au XXIe

siècle », Critique internationale, n° 10, 2001. On pensera au coût et aux impasses liées à trois situations(Afghanistan, Kosovo et Irak) pour s’en convaincre et on lira Brinkerhoff, op. cit, 2002. Le constat a conduitau lancement d’une recherche intitulée « Understanding Reforms » sur le Global Development Network (GDN)de la Banque mondiale et au lancement de l’initiative LICUS (Low Income Countries Under Stress) àl’initiative conjointe de la Banque mondiale, du PNUD, de l’UE et de l’OCDE pour améliorer les conditionsde définition et de mise en œuvre de l’aide internationale.

22. Hyden (Goran), op. cit, 1994.23. On suggérera ici de rattacher cette analyse de Jobert (Bruno), op. cit, 2002 à celles menées par

Dezalay (Yves), Marchands de droits, la restructuration de l’ordre juridique international par les multinatio-nales du droit, Paris, Fayard, 1992 ; Dezalay (Yves) & Garth (Bryant-G.), La mondialisation des guerres depalais : la restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables et « Chicago boys », Paris,Éditions du Seuil, 2002 ; Dezalay (Yves), « Washington Consensus », Actes de la recherche en sciencessociales, 121/122, mars 1998. À titre d’exemple les dirigeants africains ont ainsi réussi à faire retomber le coûtdes révoltes du pain liées aux PAS sur les institutions financières internationales faisant oublier que les PASétaient générés par la banqueroute dans laquelle ils avaient plongé leurs États.

24. Toye (John), « Nationalising the Anti-Poverty Agenda », IDS Bulletin, vol. 30, 2, 1999, p. 6-12. Ilécrit : « Les organisations internationales, gèrent l’agenda de la lutte contre la pauvreté tout comme ellesmaîtrisent la production du diagnostic disponible. Comme ces organisations internationales ont les moyensnécessaires pour établir les évaluations de la pauvreté pour de nombreux pays pauvres et dans un laps de tempslimité et puisque ces pays n’ont pas pris en charge eux-même cette évaluation de leur propre situation, celle-ci

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spécialistes africains, par les États africains est quasi inexistante (sauf rare exceptionavec la République d’Afrique du sud) pour des raisons associant différentiels de capacitématérielle et tactiques de dépolitisation.

D’abord, sauf rares exceptions, les dirigeants africains ayant échoué à offrir à leurscitoyens des services et prestations administratifs minimum et fiables, ils ne peuventmobiliser des soutiens de leur propre population qui a opté depuis longtemps pour l’exitoption sur ces sujets. Cette incapacité à se réclamer d’une légitimité politique interne estd’autant plus forte que le marché intellectuel mondialisé a vidé le vivier d’expertsnationaux au profit des think tanks ou du nord et que les dirigeants, en s’appuyant depréférence sur l’extérieur pour consolider leur pouvoir, se sont ainsi volontairementplacés en position de ne pas pouvoir contester les normes produites. Ainsi, du côté desautorités publiques la situation d’évidement intellectuel conduit à rendre prohibitif le prixà payer pour toute critique 25 alors même que mettre en œuvre ces réformes — dontchacun peut prévoir l’échec et les effets structurellement dévastateurs — leur garantit lemaintien de leur pouvoir aussi discutable soit-il. La proposition de Mac Luhan qui notaitque réformer l’administration revient pour les acteurs qui participent à ces organisationset qui les incarnent, à accepter de saper leurs propres positions de pouvoir et de plongerdans l’incertitude est ainsi inversée. Dans bien des cas, dans ces administrations projetéesdes Afriques dont le travail d’historicité n’est pas reflété dans les systèmes normatifsformels, jouer le registre de la réforme apparaît comme une option favorable à uneconsolidation du pouvoir 26.

Ensuite, les think tanks ont une position dominante sur le marché du développement,fondée sur la scientificité, la technicité et le refus du politique 27. D’une part, ils sont lesseuls à pouvoir prétendre disposer d’un savoir scientifique global en matière dedéveloppement fondé sur le marché dominant du nord ; d’autre part, ces structures sontà la fois collecteurs d’informations, producteurs d’orientations et de normes, financiersdu développement et corps légitimant des options réformatrices, de sorte qu’ils peuventconditionner leur appui à l’acceptation de leurs référents et qu’ils s’auto-légitiment. Dansce contexte, la réforme se réduit à un exercice antipolitique, pariant sur la fiabilitéd’instruments techniques et de méthodes de gestion éprouvés au nord et postulés commeétant l’expression d’un « one best way » universel. La réforme s’inscrit donc bien enAfriques dans une perspective de catéchisme répliquant à l’envi les errances dupositivisme 28. Les normes produites sont érigées en universels tombant victimes de cettecroyance éculée mais toujours si active dans le milieu des experts en management etorganisations, notamment lorsqu’ils travaillent sur le développement, dans le « one bestway ». C’est le constat que dressent tous les travaux menés sur ces questions et que Périn

se voit définir dans sa nature et son étendue par l’extérieur selon un modèle très économiste. Cette définitionfixe à son tour les paramètres des politiques censées offrir les solutions » (p. 7).

25. Dans les années 1980/90, comme le rappelle Hyden (Goran), 1994, op.cit, p. 3, la Banque mondialecontrôlait 75 % de tous les flux de capitaux vers le continent africain, les donneurs intervenants via les facilitésorganisées par la Banque. On renverra ici à l’exemple sud-coréen étudié par Jobert (Bruno), op. cit, 2002.

26. Jouer la réforme c’est devenir le bon élève du FMI, de la Banque mondiale, de la France. C’est aussivoir sa légitimité consacrée, les ressources affluer et l’avenir assuré : la Zambie de Chiluba, l’Ouganda deMuseveni, le Ghana de Rawlings, le Mali de Konaré ont connu ces situations à certains moments.

27. De manière caricaturale, ce refus du politique s’est manifesté — et continue partiellement à semanifester — par la prédominance des économistes économètres dans la conceptualisation et la définition desréformes.

28. Hibou (Béatrice), « Banque mondiale : les méfaits du catéchisme économique », Esprit, n° 8-9,1998, p. 98-140.

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et Attaran expriment ainsi en matière de santé publique : « Notre idée est que lorsque lesdonneurs s’enthousiasment pour une nouvelle politique de santé, ils en deviennent lesprosélytes les plus zélés dans les pays pauvres, alors même que l’histoire nous enseignel’inutilité de cette approche » 29. Ce prosélytisme sera d’autant plus prégnant qu’ils’associe à la quête de rentabilité financière sur un marché très compétitif. En effet, lamerchandisation du développement institutionnel et la situation toujours plus concur-rentielle du savoir d’expertise imposent d’élaborer des produits standards vendables surun marché large et solvable pour maintenir une activité rentable. Deux tactiques sontalors automatiquement intégrées dans le processus : élaborer le produit en répliquant lesorientations du modèle légitime du moment, ce qui permet de se positionner utilementpar rapport à la demande des institutions financières internationales et d’accéder à latotalité du marché (celui — le plus juteux — des États du nord qui servent de référentspour la production de normes et pour l’évaluation des compétences des organismes ;celui des États du sud financés par des bailleurs du nord qui préféreront travailler en« famille ») ; accélérer le rythme de la production sémantique autour du terme duchangement (développement durable, genre, pauvreté, démocratisation, capacity buil-ding, capabilities, initiative privée, esprit public, etc.), l’émergence de nouveaux oud’anciens « buzzwords » — par ailleurs aux implications très intéressantes et parfoisinnovantes — venant occulter l’échec des orientations précédentes et créer de nouvellesopportunités de marchés 30. L’essoufflement rapide de produits qui ne peuvent à court oumoyen terme répondre aux demandes de meilleure gouvernance (parce qu’il s’agit deproduits de gestion qui sont offerts pour répondre à des besoins politiques) impose ainsides changements constants non pas de méthodes mais de « packaging » par déplace-ments successifs de différentes parties du projet global.

Finalement, la dépolitisation conduit à réduire la réforme à un transfert sansréflexion effective sur la transférabilité et ses significations 31. Bien sûr, toutes les étudesde réalisation des réformes parlent d’adaptation, de contexte, de nécessaires prises encharge locales voire pour certains de naturalisation, mais toutes fonctionnent toujours parrapport à ce projet que sont censées être les administrations publiques en Afriques. Il nes’agit pas de renforcer la capacité des administrations à répondre aux besoins immédiatset aux normes locales, bref aux besoins d’administration tels qu’ils s’exprimentlocalement, mais de les faire ressembler au mieux au projet d’une administration telleque définie in abstracto, telle qu’elle devrait être par référence aux normes prescritesuniversellement 32. Dans ce contexte d’administrations projetées, on réforme alors laforme, c’est-à-dire à nouveau la forme anticipée de la bureaucratie future, sans jamais

29. Op. cit, 2003, p. 1218. Voir aussi la remarquable analyse généraliste et canadienne de Thomas(Paul-G.), op. cit, 1996 notamment les trois premières pages. Pour se convaincre de l’excitation et duprosélytisme des auteurs dans la première moitié des années 1990 on lira les citations proposées par Cheung(Anthony-B.-L.), « La compréhension des réformes du secteur public : tendances mondiales et questionsdiverses », Revue internationale des sciences administratives, vol. 63, n° 4, décembre 1997, p. 1-2.

30. Ces tactiques bien connues aujourd’hui ont permis la naissance de think tanks spécialisés dans leformatage des réponses aux appels d’offres et mettant à leur service contrôle des référents sémantiques etréseaux de personnes déjà légitimées.

31. Rien de bien neuf : Mény (Yves), dir., Les politiques du mimétisme institutionnel : la greffe et le rejet,Paris, L’Harmattan, 1993.

32. On ne peut s’empêcher de faire un parallèle audacieux avec l’analyse de Gilbert (Patrick), « Desdérives du managérialisme dans le management public au nord. L’analyse du politique à la rescousse dumanagement public : ou la nécessaire hybridation de deux approches que tout, sauf l’essentiel, sépare »,Politiques et management public, vol. 20, n° 1, mars 2002, p. 6.

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poser la question du reformatage de la bureaucratie aux moyens, besoins et demandes des« administrés ». Ainsi s’installe une routine fondée sur le cercle vicieux bureaucratiqueet ses effets destructurants.

LA RÉFORME ROUTINIÈRE COMME PROCÉDUREDÉSTRUCTURANTE DES ADMINISTRATIONS PROJETÉES

La succession de ces réformes contradictoires, cycliques et non contextualisées nese réduit pas à une suite de mesures contradictoires sans effets ou ne peut s’analyseruniquement comme une politique symbolique. Les analyses qui prétendent que cesréformes sont purement « cosmetic » sont trompées par l’illusion donnée par leschangements incessants de « sets » ou par les thèses de la vacuité de l’État qui interdisentde les prendre comme des phénomènes sociaux. Chacun de ces « sets » de réforme estsusceptible de modifier, en effet, et parfois radicalement, la configuration des adminis-trations, notamment lorsqu’il est investi par des enjeux politiques locaux (Républiqued’Afrique du sud depuis la libération pour la réforme du secteur d’État, Mali sous Konarépour la décentralisation...). Les effets sont tout aussi significatifs dans les États danslesquels les dirigeants se contentent de subir et de donner le change pour optimiser oumaintenir leur accès au pouvoir. Nul ne peut ainsi contester que des changements ont eulieu à peu près dans toutes les administrations des Afriques : réduction du nombre defonctionnaires, diminution des coûts de fonctionnement des administrations, privatisa-tion, externalisation, filialisation, retour à l’équilibre comptable, développement del’initiative privée ou de formes locales de gouvernement territorial... Le bilan global estsingulièrement insatisfaisant. Encore faut-il distinguer les effets individuels de chaquetechnique de réforme qui s’approchent souvent des objectifs techniques identifiés et lesrésultats de l’enchaînement des réformes définies comme des routines anti-politiquesdont les effets pervers sont souvent plus forts que ce que chaque réforme pourraitapporter individuellement. Cet enchaînement contribue à renforcer les déviances destrajectoires bureaucratiques des pays africains et à détruire l’idée même de réforme eninterdisant à la fois la capitalisation et l’instauration d’une prévisibilité.

Chaque réforme vient contredire la précédente et obscurcir un peu plus l’objetadministration. Les réformes fonctionnent sur le principe de l’empilage de techniques,recettes et méthodes faiblement conciliables. Y. Joncour et E. Verdier écrivent à proposde la France : « Les nouvelles réformes s’empilent sur les anciennes, les derniers outilsbousculent les vieilles techniques, il y a ici ou là des lambeaux de réformes, desmorceaux d’instruments de gestion, des carcasses de projets de service qui constituent unbric-à-brac invraisemblable qu’une armée de hauts fonctionnaires, pressés jusqu’àl’enivrement par leur carrière, abandonnent sur le chemin de la modernité » 33. Cecimetière de réformes n’est pas contradictoire avec une cohérence globale des orienta-tions, une régulation des choix publics vers un ensemble limité et convergent depossibles et une capitalisation des acquis venant progressivement consacrer l’inélucta-bilité de la réforme y compris par des voies détournées ou la méthode du muddling-

33. Joncour (Yves) et Verdier (Pierre-Éric), « Plus ça change et plus c’est la même chose : la répétitionau service de la modernisation », Politique et management public, vol. 20, n° 1, mars 2002, p. 88.

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through 34, ne serait-ce que par les hauts fonctionnaires et les policy networks qui tendentà assurer la continuité des référents et des orientations 35. L’empilage dans lesadministrations projetées des Afriques fait que personne, ni les hauts fonctionnaires, niles experts et encore moins les fonctionnaires de base et les administrés, ne peuventpréciser les contours des administrations 36.

L’effet de cette succession accélérée et non gérée de réformes est d’autant plusdramatique que ces mutations incessantes interdisent toute forme d’apprentissagetechnique, de construction en terme d’intensification, de capitalisation des acquis oud’enracinement dans des administrations qui connaissent un problème de niveau decompétence et ne peuvent qu’affaiblir la constitution d’un sens du service public, d’unecontinuité. Dans des administrations marquées par le manque de leadership et lafaiblesse de la culture bureaucratique, ces mutations fragilisent la production d’unecompétence technique normalisée et apaisée et l’émergence d’un esprit de corps. Ainsi,les PAS des années 1970-1980, fondés sur les principes de la réduction de l’appareild’État et des bloated bureaucracies étaient certainement indispensables pour tenter deredresser une situation de gabegie avancée mais à défaut de se placer dans uneperspective historique ils produisirent en terme de bureaucratie un effet pervers majeur.En effet, la réduction du nombre de fonctionnaires et la diminution drastique de leursmoyens sont intervenues alors que commençaient à émerger de nouvelles générations defonctionnaires, mieux formés et professionnels, susceptibles de remplacer les générationsdes indépendances marquées par l’amateurisme. Le ritualisme si souvent décrit par lesauteurs comme une expression culturelle africaine 37, marque surtout le constat universelde la coupure entre ce que le fonctionnaire fait et sa capacité à interpréter ce qu’il faitdans un contexte aggravé par un changement constant de règles, normes, principesd’organisation, etc. qui, à défaut de gestion, ne se succèdent pas mais entrent enconcurrence voire, paradoxe du pluralisme normatif, en cohérence : cette incertitudesystématique associée à un manque de leadership démultiplie les possibilités de jeu despetits fonctionnaires selon les modèles combinés du street-level bureaucrat de Lipsky etdu fonctionnaire justicier de Warin, par exemple.

Chaque réforme produit des effets pervers de court terme qui peuvent êtreéventuellement compensés sur du long terme. Cette compensation reste cependantd’autant plus improbable que le changement systématique de « set » de réformes

34. Barouch (Gilles) et Chavas (Hervé), Où va la modernisation ? Dix années de modernisation d’Étaten France, Paris, L’Harmattan, 1993 ; Burdeau (François), Histoire de l’administration du XVIIIe au XXe siècle,Paris, Montchrestien, 1989 ; Albertini (G.), op. cit., 2000.

35. Mathiot (Pierre), Les acteurs administratifs dans la production des politiques publiques sociales.Pouvoir et marges de jeu d’une élite sectorielle, Lille, Congrès de la FNSP, TR3 ; Hassenteufel (Patrick), Lesmédecins face à l’État : une comparaison européenne, Paris, Presses de la FNSP, 1999.

36. On se convaincra de cette situation en se rappelant que, pour la plupart de ces pays, les JO ne sortentplus de manière régulière depuis plusieurs années et ne sont pas disponibles. On renverra aussi à l’analysecritique de la fabrication des statistiques dans ces pays par « best guess ».

37. Riggs (Fred-W.), Administration in Developing Countries : the Theory of Prismatic Society, Boston,Houghton Mifflin, 1964 ; Dwivedi (O.-P.) & Henderson (K.-M.) (eds.), Public Administration in WorldPerspective, Iowa State University Press, 1990, p. 14 ; pour une analyse critique de ces approches culturalistesdont Haque (Shamsul), « L’absence de contexte : une caractéristique de l’administration publique dans les paysdu tiers-monde », Revue internationale des sciences administratives, vol. 62, septembre 1996, p. 377 et s. estun bon exemple ; Darbon (Dominique), « La culture administrative en Afriques : la construction historique dessignifications du “phénomène bureaucratique” », Cadernos de estudos africanos, n° 3, Julho/Dezembro 2002,p. 67-92 ; Lieberman (Robert-C.), « Ideas, Institutions and Political Order : Explaining Political Change »,American Political Science Review, vol. 96, n° 4, December 2002, p. 697-712.

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(orientations et outils) tous les cinq à six ans, et que le non-alignement des rythmesd’innovation institutionnelle des différents organismes producteurs de réformes (concur-rence oblige), ne permettent pas de faire des paris rationnels sur le succès de la réformeet même les excluent, démobilisant tous ceux qui seraient près à prendre des risques surle futur 38. La question de la compatibilité des termes et des temporalités des différentspartenaires de la réforme pour le développement constitue un enjeu majeur. Le phasageespéré à terme de la société avec l’appareil de gestion politico-bureaucratique projeté parles réformes se construit sur du long terme (capture du paysannat, production d’unebourgeoisie capitaliste, émancipation des individus...). Or, les réformes techniques sontportées pour leur part par des acteurs dont les échéances politiques et financières sontdéfinies au mieux sur du moyen terme (environ 5 ans pour les mandats électifs ouadministratifs et souvent moins et bien moins pour les échéances budgétaires etfinancières). Il n’y a donc aucune possibilité de rencontre de ces temporalités. Changerde structures sociales et de production est un processus global à terme improbable alorsque faire fonctionner un think tank suppose, non pas de résoudre un problème social ouhumain, mais d’assurer au jour le jour une rentabilité financière en répondant avec succèsaux offres qui se présentent. Ce décalage est l’une des explications du changement rapidedes réformes et de l’ineptie flagrante a posteriori de certaines réformes pourtanttechniquement saines 39.

Enfin, chaque nouvelle vague de réforme entretient une analyse cynique del’administration. D’une part, la succession permanente de réformes valide les stratégiesdes acteurs qui se positionnent non pas vis-à-vis des réformes mais par rapport auxnouvelles opportunités de captation qui pourraient en naître. De ce bric-à-brac incertainsurgissent des effets d’aubaine nombreux 40, facilement captés par des hauts fonction-naires associés aux experts pour tirer de leur positionnement sur le marché des réformesdes ressources non négligeables. Comme le montre Cheung, alors que les paysanglophones de l’OCDE ont essentiellement privatisé pour accroître la rentabilité del’économie, les PECO ont privatisé pour créer une économie de marché et rompredéfinitivement avec le système précédent et la République populaire de Chine a vu unmoyen de renforcer l’efficacité de sa gestion et de construire un modèle bureaucratiquewebérien 41. En Afriques, la privatisation présentait le double avantage de donner lechange, c’est-à-dire de travailler dans la symbolique et d’autonomiser des intérêts parrapport à un État que l’obligation de gestion démocratique risquait de rendre moins

38. La compréhension du risque en Afriques doit intégrer deux facteurs spécifiques : l’idée d’un « nofuture » est d’autant plus élevée que le taux de contamination HIV est fort et que les soins sont peu disponibles ;le risque est d’autant plus fort que les systèmes de garantie (épargne, réseau social, revenus effectifs...) sontfaibles.

39. De même, vouloir combattre l’oisiveté et la corruption en promouvant l’État de droit etl’accountability tout en réduisant le niveau des traitements des fonctionnaires relève de l’incohérence et conduità ces situations inverses de développement de la corruption à tous les niveaux, de moonlighting, d’absentéisme.

40. Ce qui est décrit comme le « revolving door syndroma » ou syndrome de la porte à tambourcaractérisant ces pratiques de dégraissage de hauts fonctionnaires quittant la fonction publique pour êtreimmédiatement rappelés dans les structures de gestion avec des traitements supérieurs et de préférence aprèsavoir encaissé des primes de départ importantes, ou les « golden handshake tactics », consistant pour lesfonctionnaires formés disposant de marchés à l’étranger à prendre les primes pour s’expatrier à l’étranger touten touchant les primes d’accueil de ces pays par exemple dans le domaine de la santé, relève de ces effetsd’aubaine parmi les plus connus.

41. Cheung (Anthony-B.-L), op. cit.

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monopolisable 42. L’appropriation de la réforme a partiellement détourné celle-ci de sesobjectifs. Mais aussi chaque nouvelle vague confirme que les réformes sont conjonctu-relles et que finalement, pour reprendre l’expression classique, « plus ça change, plusc’est la même chose ». Il n’y a donc pas lieu d’investir dans ces changements et deprendre un risque avec son capital financier et social. Il ne s’agira pas d’investir sur lesuccès d’une réforme dont l’histoire des 25 dernières années souligne le caractèreillusoire, mais d’en tirer un maximum de profit personnel sans modifier sa positionstatutaire en attendant la prochaine donne dont la même histoire semble garantir laprochaine échéance. Plus les réformes se succèdent et sont détournées, plus s’accroît laprobabilité que les nouvelles réformes soient instrumentalisées et détournées 43.

Un exemple de réformes sans fin oscillantentre instrumentalisation, jeux d’ombres, effectivité

et instabilité institutionnelle : les réformes au Sénégal1979-1980 : Plan d’urgence de stabilisation1980-1984 : Plan de redressement économique et financier posant notamment le

principe de la compression de la masse salariale publique et du désengagement del’État

1984 : Plan d’ajustement structurel1985-1991 : Adoption du programme d’ajustement à moyen et long terme (PAMLT)

prévoyant notamment la réforme de l’État (structure, espaces d’intervention, ressour-ces humaines), la maîtrise des effectifs et de la masse salariale (réduction du nombrede fonctionnaires hors santé, armée et éducation (par des aides au départ) et lamodernisation de la gestion des ressources humaines

1986 : Programme dit de « la nouvelle politique industrielle » consacrant ledésengagement de l’État du secteur marchand (1987)

1989 : Programme de restructuration du secteur public et de l’administrationpublique posant les principes du désengagement de l’État, de la privatisation desentreprises publiques, de rationalisation et de renforcement des services de l’admi-nistration centrale et d’externalisation

1992-1993 : Rupture de négociation entre le Sénégal et la Banque mondiale liée àdes mauvais résultats économiques et financiers en dépit des réformes lancées

1993 : Plan d’urgence du gouvernement sénégalais posant notamment la réductiondrastique des salaires de la fonction publique

1994-2000 : Programme d’ajustement et de réformes structurelles (trois accordssuccessifs avec le FMI dans le cadre des facilités d’ajustement structurel renforcées)

1996-1997 : Lancement de la troisième phase de renforcement de la décentralisa-tion avec la constitution et le développement de collectivités locales régionales et lapoursuite du mouvement de municipalisation

2002 : Lancement avec l’appui des Nations Unies et de la Banque mondiale d’unprogramme de renforcement des capacités institutionnelles et de management desressources humaines dans le secteur public

42. Contamin (Bernard) et Fauré (Yves-André), La bataille des entreprises publiques en Côte d’Ivoire :l’histoire d’un ajustement interne, Paris, Karthala, 1990.

43. On renverra ici aux études menées sur la privatisation ou la décentralisation ou le renforcement desinitiatives populaires de contournement de l’État.

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LA REPOLITISATION DE L’INGÉNIERIE INSTITUTIONNELLE

L’alternative qui, en matière de réformes, oppose politique de l’illusion proposantdes techniques décalées (universelles) en attendant que la société s’adapte (changer depeuple, de culture...) et naturalisation des processus bureaucratiques (revenir aux valeursancestrales...) rend impossible toute analyse stratégique du changement dans lesadministrations projetées. Elle interdit en effet de s’inscrire dans une perspective deconstruction historique des institutions laquelle suppose, au contraire, de valoriser lesdynamiques et les pratiques sociales et de capitaliser sur elles pour réajuster enpermanence les objectifs à atteindre définis selon les critères bureaucratiques classiques

La réforme des administrations projetées : un retour à l’objet

Les réformes des administrations projetées demeurent largement incantatoires dansla mesure où, paradoxalement, elle ne posent pas la question préalable du type d’État etd’administrations auxquelles elles sont censées donner corps. Plus exactement, ellesentretiennent l’illusion d’une administration que l’on qualifiera d’ectoplasmique enpostulant qu’elles sont identiques dans leurs missions, leurs configurations et leur natureà celles des pays « modèle » du nord. Or, dans ces configurations d’administrationsprojetées, les capacités humaines et financières réellement disponibles sont très inférieu-res à ce que la coquille projetée exige. Dès lors, celle-ci ne peut être investie par un corpsadministratif cohérent et reste illusoire, ectoplasmique 44.

Le modèle de l’État rhizome, développé par Deleuze et Guattari et utilisé dans unsens métaphorique par J.-F. Bayart dans son ouvrage L’État en Afrique, ne correspondque très rarement à la réalité d’un État africain qui se rapproche bien plus de l’État mou(soft state) de Gunnar Myrdal. L’administration, dotée de tous les attributs formels de sesorigines du nord, n’a pas la capacité de donner à l’État le don d’ubiquité qu’il est censéavoir, ne serait-ce que parce qu’elle est privée, par la faiblesse des revenus publics et leurdétournement, des moyens considérables qui la caractérisent au nord. Elle ne parvient nià s’affirmer physiquement sur les différents espaces et territoires qui lui ont été conféréspar l’acte de colonisation puis de décolonisation, ni à imposer aux populations la docilitéqui en ferait des administrés voire des citoyens. Contrainte à une modestie mal assumée,l’administration doit recourir à des médiateurs, des intermédiaires qui assurent ladiffusion, la traduction et la dénaturation de ses règles et de ses normes, au risque de neplus rien contrôler des initiatives sociales et d’en être exclu, ou de fonctionner parsoubresauts. Il est ainsi illusoire de lui confier un rôle structurant voir même « simple-ment » régulateur dans une multitude de secteurs selon le modèle de son référent du nord.Au mieux elle pourra accroître son efficacité en se focalisant sur quelques fonctionsassurant la sécurité de ses administrés et la satisfaction de leurs besoins primordiaux,quitte par la suite à développer ses missions. On peut espérer qu’une catégorie vertueused’agents publics, animés de l’esprit de l’administration publique pour reprendre

44. Pour s’en convaincre on renverra aux résolutions de la 4e conférence panafricaine biennale desministres de la fonction publique, Le Cap, 04-07 mai 2003, Lettre du groupe sud, n° 2.

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l’expression d’Heclo, pourra prendre le leadership de ces missions 45. Cela suppose queles nouvelles générations de fonctionnaires ne soient pas laminées comme ce fut le casdans les années 1980 par les PAS, neutralisées par les contraintes politiques locales oudétournées par l’expansion des opportunités offertes par des marchés professionnelsglobalisés qui les poussent à s’expatrier, à prendre des postes politiques, rejoindre desorganisations internationales ou à définir leurs exigences professionnelles et de vie parrapport au nord. C’est beaucoup et manifestement trop demander aux agents les mieuxformés, irrésistiblement drainés par les offres extérieures d’emploi ou attirés par lessirènes politiques qui, loin de les marginaliser, tendent à jouer à terme comme desaccélérateurs de carrière et de réussite. Rien n’interdit l’émergence d’une catégorie demodernisateurs issus du secteur public ou/et du secteur privé, rêvant à la constructiond’une administration efficace. Encore faut-il que ces acteurs trouvent sur le marché localdes conditions de sécurité physique et matérielle suffisantes et qu’ils ne soient pas happéspar le marché global. À ce jour, si les compétences sont partiellement disponibles, pourl’essentiel ces conditions ne sont pas réunies. L’essentiel des politiques de réforme desadministrations projetées en Afriques consiste ainsi à favoriser la constitution d’unleadership suffisamment sûr de sa position pour ne pas privatiser l’administration à sonprofit, pour ne pas opter pour l’extérieur et pour accepter un remodelage des procédureset structures qu’il contrôle par les dynamiques sociales locales tout en en contrôlantl’orientation. Le défi est de taille.

La réforme comme processus de capitalisation par objectifdes usages de l’administration

Devant les déviances et les détournements des réformes, chacun y va de sesaccusations en partie fondées. Certains auteurs accuseront les catégories dominantesafricaines, et notamment la bourgeoisie bureaucratique, d’entretenir dans son intérêt lesdysfonctions du système administratif (et donc le sous-développement) et d’en tirer uneffet de rente (rent-seeking) ; d’autres auteurs considéreront que les experts internatio-naux employés par les institutions financières internationales exploitent aussi une renteen produisant des politiques économiques et des réformes dont ils connaissent l’inanitémais qui leur permettent de protéger leur marché d’emploi 46. Ces analyses excessives neprennent pas en compte la complexité des positions d’acteurs et singulièrement pas celledes responsables africains. Ceux-ci appartiennent à plusieurs « epistemic communi-ties » 47 ou réseaux internationaux de connivence qui les construisent en acteurs et enobjet de la production de réformes et leur permettent de jouer utilement sur plusieursespaces et temporalités. Revenir aux jeux d’acteurs en identifiant la démultiplication desopportunités et des contraintes qu’offre la situation de « projection » suppose deréintégrer le politique comme un enjeu prioritaire dans la définition de réformesproductrices de nouvelles régulations.

45. « Réduire l’esprit de l’administration publique à un rêve signifie qu’on n’a pas compris quelquechose d’important. L’esprit préempte les choses ultimes, dit quelque chose sur le fond réel de ce qu’est unechose », écrit Hugh Heclo, op. cit, p. 689.

46. Nazfinger (E.-Wayne) & Auvinen (Juha), « Economic Development, Inequality, War and StateViolence », World Development, 2002, vol. 30, 2, p. 153-163 ; dans l’autre sens, Dezalay (Y.), op. cit.

47. Au sens de Haas (Peter), « Introduction : Epistemic Communities and International PolicyCoordination », International Organization, vol. 46, n° 1, Winter 1992, p. 3

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La réforme suppose que les acteurs producteurs et gestionnaires de ces réformes,internes et externes, assument les choix retenus notamment lorsque derrière des réformestechniques se profilent en fait un projet de transformation radicale du système politique,du mode de régulation et de la société dans son ensemble, c’est-à-dire lorsque, commec’est le cas en Afriques, on se situe dans un contexte de réformes structurelles et non pasinduites 48. Cette participation des acteurs/objets soulève des questions politiquesmajeures : comment convaincre tous les administrés que le respect de normes officiellesde type bureaucratique leur assurera à moyen ou long terme de meilleures conditions detravail et de vie et un service meilleur et prévisible ? Comment les convaincre derenoncer à l’usage des systèmes normatifs parallèles mais dominants qu’ils maîtrisent auprofit de nouveaux systèmes dits « universels » avec lesquels ils savent ce qu’ils perdentmais ne peuvent pas maîtriser le gain éventuel et futur qu’ils pourraient faire ?Comment convaincre les élites dirigeantes qui utilisent leur contrôle de l’appareil d’Étatpour accéder aux ressources et s’y maintenir qu’il est de leur intérêt de réformer, quel’amélioration des conditions des citoyens est la condition même de leur survie politique,sanitaire ou sécuritaire 49 ? Comment convaincre ces acteurs, qui maîtrisent les règleslocales de l’échange social, qu’ils doivent en adopter de nouvelles alors que, outre lesobstacles classiques au changement bien identifiés par Kurt Lewin, l’environnement estmarqué par un pluralisme normatif puissant (légal et moral), un niveau général deformation des citoyens très limité et une faiblesse significative des instances derégulation judiciaire ?

Deux réponses sont possibles : la première est fondée sur un recours puissant— concerté et planifié sur le long terme — à la contrainte ou à l’aide internationale dela part des bailleurs et des États, solution totalement exclue à ce jour à défaut de capacitésinon de possibilité politique. Une forme adoucie de cette option passe par l’externali-sation de certaines fonctions de régulation confiées à des organismes régionauxpermettant d’échapper aux pressions des dirigeants locaux — mais que ceux-cis’efforcent de recouvrer en affaiblissant ces organisations (ainsi avec l’Organisation pourl’harmonisation du droit en Afrique, OHADA) — par le renforcement des conditionna-lités et la remise en cause de l’impunité politique. La seconde insiste sur des actions delong terme favorisant, comme le suggèrent Hyden ou Bates ainsi que de nombreux textesdes bailleurs et notamment des institutions financières internationales, l’émergence decontrepouvoirs, d’entrepreneurs privés, de concurrents et de groupes d’intérêts suscep-tibles de nouer des alliances fluctuantes ouvrant des alternatives gestionnaires ousoutenant l’empowerment et le développement des capabilities des citoyens convoquéspour prendre en charge leur développement communautaire. Elle suppose aussi ce qui estconsidéré souvent comme inacceptable par ces mêmes sources, à savoir de tolérer desattitudes et des comportements sociaux collectifs susceptibles d’imposer des distorsionssignificatives au modèle bureaucratique comme gage de sa naturalisation. Cettedeuxième option, qui tente de rompre avec la domination de modalités de relations avecl’État construites essentiellement selon les filières « exit » et de canaliser les actionsdéviantes ou de résistances pour produire un nouvel ordre politique, semble plus réaliste— bien qu’inscrite sur du long terme pour lequel par hypothèse toute planification relève

48. Albertini, op. cit., p. 154. On verra comment Chibber (Vivek), à partir d’une analyse « simple » enterme de diffusion des valeurs bureaucratiques, est rapidement conduite à poser des questions d’organisationstructurelle soulevant la question de la réforme de l’État dans son ensemble.

49. Toye (John), op. cit, p. 7.

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du pari 50. Les innombrables et versatiles stratégies croisées de réappropriation de l’Étatpar la société et de la société par l’État sont alors perçues comme construisant in situ lescompréhensions locales de la réforme. Celle-ci a bien lieu en Afriques, mais, à défaut demobiliser et de capitaliser les comportements déviants, elle s’affirme plus comme unconstat négatif de la capacité des acteurs à réformer la réforme, c’est-à-dire à lacongédier en la détournant / contournant, que comme production de normes pouvantparticiper de manière prévisible et constante à la régulation sociale de et par l’appareild’État. La repolitisation de la réforme consiste alors à convoquer ces réappropriations età capitaliser sur elles pour, dans des processus classiques de muddling-through ou degroping around, infléchir les trajectoires vers l’objectif final d’une administration fiable.Réformer est alors un processus très instable et délicat supposant d’agir dans laprofondeur de la construction historique de l’administration mais en intervenant « à lamarge », par des mesures adaptées au coup par coup, supposant des ajustements de tousles instants, des « transcodages » multiples par les différentes catégories d’acteurs avectous les risques de déviations et de perte en ligne que cela suppose dans des contextes depluralisme moral et normatif. Il s’agit donc tout d’abord de travailler non pas parimitation ou copie de « best practices » mais par émulation et adaptation à la situation àgérer de ce qui est disponible 51. Des techniques empruntant à des registres idéologiquesdifférents peuvent alors être combinées et éventuellement différenciées spacialementpour tenir compte de la diversité des environnements au sein d’une même souverai-neté 52. Rien de bien génial, rien de systématique, aucun grand plan, mais des évaluationspermanentes guidées par les seuls principes de la capitalisation sur les pratiques socialesengrangées pour l’objectif de déploiement d’une administration régie par l’effectivité,l’efficience et la good governance 53. Dans des administrations qui ont été construitescomme expression de la forme future de la société et pour contraindre les sociétés à gérer,sans capacité propre de réaliser ce projet, seul le travail d’expansion des résultats parcapitalisation des pratiques et usages est susceptible de donner à l’administration lesmoyens d’action qui renforcent sa présence. Joe Helle-Valle montre ainsi comment, bienque le mode de gestion bureaucratique (secret, traitement des dossiers dans des bâtimentsqui tendent à exclure la participation des citoyens) s’oppose à la conception d’unepolitique passant par l’accès direct et la participation de tous aux discussions — tel quemanifestée au sein du Kgotla au Botswana — rien n’interdit la diffusion tendancielle du

50. Cheru (Fatu), « New Social Movements, Democratic Struggles and Human Rights in Africa », in :Mittleman (James-H.) (eds.), Globalization : Critical Reflections, Boulder, Lynne Rienner, 1997, p. 146 ;Hyden (G.), op.cit., 1983.

51. Gow (James Iain), Learning from Others : Administrative Innovations Among Canadian Govern-ments, Toronto, IAP, 1994.

52. On pourra ainsi associer des techniques de NPM, de merchandisation des services, d’externalisationde fonctions (douanes, gestion des ports...) et des techniques bureaucratiques classiques en fonction de lacapacité financière des administrés et de l’urgence des besoins des différents espaces. De même, comme dansde nombreux programmes de développement, la contribution aux charges publiques peut prendre soit l’aspectd’un prélèvement monétaire, soit d’une participation physique à l’entretien des matériels ou des personnels.Enfin, toujours sur la base d’expériences diverses, le mode de gestion peut être différencié en fonction des typesd’organisations sociales déjà existants, voir délégué à ces structures.

53. Le modèle de la réforme à petits pas ou « Next Steps », les modèles du changement parincrementalisme, en seraient des expressions. Barouch (Gilles) et Chavas (Hervé) montrent ainsi que lamodernisation en cours en France procède par actions à la marge, par cumul d’interventions qui contribuent àfissurer les résistances et à briser le bloc administratif au profit de nombreuses entités et enjeux différenciés.Mais ils concluent — et c’est aussi la leçon à tirer du modèle britannique : « Le management aujourd’hui nepeut plus être expérimental : il lui faut se greffer sur un projet qui doit dire son nom », op. cit., p. 276.

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modèle bureaucratique 54. Comme le café dans l’empire ottoman était en fait le lieu dela délibération et du traitement des affaires publiques 55 ou comme les cerclesconstituaient au XIXe siècle en France des espaces de gestion majeurs, il existe, dans lesAfriques, des espaces spécialisés « hors-bureaux » dans lesquels sont traités selon desrituels non bureaucratiques les enjeux administratifs, soit pour confirmer soit pourcontourner la norme bureaucratique. L’enjeu, dans cet environnement d’États à faiblescapacités d’action, n’est pas tant de les occulter que de les révéler pour qu’ils deviennentdes sas d’entrée vers une forme de traitement de type bureaucratique. Les auteurs qui seconsacrent à la sociologie historique de l’État au nord 56, qui s’intéressent aux mutationsdes modalités de la gouvernance 57 ou ceux qui analysent les formes de la production desnormes européennes communautaires et leur construction aussi progressive que nonlinéaire et imprévue, variant au gré des configurations, ne cessent de souligner commentles procédures, les espaces et les acteurs intervenant dans la définition de l’actionpublique ne cessent de varier en fonction des configurations. Il ne s’agit pas de transférerdes recettes mais des procédures mettant un terme au placage direct et se plaçant ainsidans ce que P. Lascoumes appelle, à propos de situations « nord », des « politiquesd’organisation » qui favorisent le processuel sur le substantiel, et permettent l’interactiondes acteurs concernés. Cette problématique posée pour étudier la gouvernance dessociétés du nord est très proche de celles retenues pour étudier la sociologie adminis-trative dans les pays africains. Il en est de même pour les analyses menées par RenateMayntz 58 en termes de policy network qui se rapprochent considérablement des analysesutilisées au sud en termes de SASF (champs sociaux semi-autonomes) et insistentlourdement sur la confrontation et les interactions qui s’établissent entre des acteurs issusde milieux hétérogènes et porteurs de systèmes de significations différents (pluralismenormatif et moral) pour identifier un enjeu et lui proposer des traitements. Dès lors, pourreprendre l’image de Lascoumes, « chaque ajustement d’intérêts prend ainsi la formed’un puzzle où les formes et la surface de chacune d’elles varient au coup par coup » 59.Cette perspective suppose, comme le note Thomas pour le cas canadien, d’associer uneapproche en terme de planification stratégique à ce qu’on a appelé la direction par

54. Helle-Valle (Joe), « Seen from Below : Conceptions of Politics and the State in a BotswanaVillage », Africa, 72, 2, 2002, p. 179-201.

55. C’est ce que montre magistralement Lafi (Nari), Une ville au Maghreb entre ancien régime etréformes ottomanes : genèse des institutions municipales à Tripoli de Barbarie, 1795-1911, Paris, L’Harmattan2002, p. 148-152, dans son analyse historique de la constitution d’une administration municipale à Tripoli deBarbarie, lorsqu’elle s’intéresse à l’émergence et au rôle historique du « qahwa al-cheikh al-bilâd » commeespace de délibération.

56. Kiser (Edgar) & Linton (April), « The Hinges of History : State-Making and Revolt in Early ModernFrance », American Sociological Review, 2002, vol. 67, 12/2002, p. 889-910.

57. On renvoie ici à Gaudin (Jean-Claude), Gouverner par contrat : l’action publique en questions,Paris, Presses de Sciences Po, 1999 ; Lascoumes (Pierre), Valluy (J.), « Les activités publiques convention-nelles, un nouvel instrument », Sociologie du travail, vol. 38, n° 4, 1996, p. 551-573. Groux (Guy), dir.,L’action publique négociée, Paris, L’Harmattan, 2002. Et aux travaux américains conduits sur l’ADR(notamment Nader L.).

58. Mayntz (Renate), « Confronting Failures and the Problem of Governability : Some Comments on aTheoretical Paradigm », in : Kooiman (J.), ed., Modern Governance, London, Sage, 1993. On renverra aussiaux développements de Lascoumes (Pierre), « Rendre gouvernable : de la “traduction” au “transcodage”.L’analyse des processus de changement dans les réseaux d’action publique », in : CURAPP, La gouvernabilité,Paris, PUF, 1996, (note 7).

59. Lascoumes (Pierre), op. cit.

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tâtonnements « groping along » 60. On se rapprocherait ainsi de ces modèles incrémen-talistes à la Lindblom (muddling through), peu glorieux et peu susceptibles defonctionner par effets d’annonces mais plus à même de réaliser l’interaction d’acteurs etde systèmes de sens éclatés qu’impliquent des réformes confrontées à des administra-tions projetées d’États pauvres. Cela suppose que les réformes s’inscrivent dans unprocessus de long terme qui capitalise sur les pratiques sociales locales pour construireune administration historicisée, inversant ainsi le processus postulé par le modèle desadministrations projetées.

60. Thomas (Paul-G) renvoie pour cette métaphore à R. Behn, « Management by Groping Along »,Journal of Policy Analysis and Management, 7, 4, 1988, p. 643-663 ; Golden (O.), « Innovation in PublicSector Human Services Programs : the Implications of Innovation by Groping Along », Journal of PolicyAnalysis and Management, 9, 2, 1990, p. 219-248.

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