rapport 50nuances evasion fiscale

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  • 7/24/2019 Rapport 50nuances Evasion Fiscale

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    Novembre 2015 Rapport global coordonn par Eurodad

    STOP

    Cinquante nuancesdvasion fiscale au

    sein de lUnion europenne

    Comment les politiques europennes en matire de luttecontre lvasion fiscale ne sont toujours pas la hauteur des

    enjeux pour les pays en dveloppement

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    Le prsent rapport a t coordonn par Eurodad, avec descontributions dorganisations de la socit civile situespartout en Europe, y compris :

    11.11.11 (Belgique); Centre national de coopration audveloppement (CNCD-11.11.11) (Belgique); CCFD-TerreSolidaire (France);Christian Aid (Royaume-Uni); Debt andDevelopment Coalition Ireland (DDCI) (Irlande); Demnet(Hongrie); Ekvilib Institute (Slovnie); Forum Syd (Sude);Global Policy Forum (Allemagne); Glopolis (RpubliqueTchque); IBIS (Danemark); InspirAction (Espagne); Instytut

    Globalnej Odpowiedzialnosci (IGO); Oxfam France (France);Oxfam Intermn (Espagne); Re:Common (Italie); Centrefor Research on Multinational Corporations (SOMO) (Pays-Bas) et World Economy, Ecology & Development (WEED)(Allemagne).

    Nous exprimons des remerciements tout particuliers auchercheur doctorant Martin Hearson, de la London School ofEconomics and Political Science (LSE), pour avoir fourni desdonnes et apport sa prcieuse contribution aux chapitresportant sur les conventions fiscales.

    Chaque chapitre a t rdig sous la responsabilit de

    et par les partenaires nationaux du projet, et ne refltepas les opinions des autres partenaires du projet. Lechapitre concernant le Luxembourg a t rdig sous laresponsabilit de - et par Eurodad.

    Pour de plus amples informations, merci de contacter

    Eurodad :

    Rue dEdimbourg,18 26 Mundo B building (3rd floor)1050 Ixelles,Brussels, Belgium

    tel: +32 (0) 2 894 46 40

    e-fax: +32 (0) 2 791 98 09

    www.eurodad.org

    Mise en page et illustration:James Adams

    Rvision:Vicky Anning, Julia Ravenscroft et Zala Zbogar.

    Les auteurs considrent que tous les dtails de ce rapportsont factuellement exacts, la date du 5 octobre 2015.

    The report has been produced w ith the financial assistance of the EuropeanUnion and Norad. The contents of this publication are the sole responsibilityof Eurodad, and the authors of this report and can in no way be taken toreflect the views of the funders.

    Remerciements

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    Glossaire 4

    Rsum excutif 8

    Chapitre Global 10

    Recommandations 42

    Le Parlement europen 44

    La Commission europenne 48

    Chapitre France 53

    Annexe 1 58

    Rfrences 60

    Table des matires

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    4 Rapport 5 0 nuances dvasion fiscale Novembre 2015

    Glossaire

    Accord Pralable en matire de Prix de transfert (APP) voirrescrit fiscal

    Assiette Commune Consolide pour lImpt sur les Socits

    (ACCIS)

    ACCIS est une directive que la Commission europenne aprsente pour la premire fois en 2011. Elle comporte uneproposition de mise en place dun systme commun lUEpermettant de calculer au niveau europen les bnficesdes multinationales qui exercent leurs activits au sein delUE et de rpartir ensuite ces bnfices parmi les Etatsmembres sur la base dune formule qui valuerait le niveaudactivit dans chaque pays. Cette proposition ne spcifie pas

    le taux dimposition des bnfices que les Etats membresappliqueraient, une fois les bnfices diviss. Les Etatsmembres restent libre de dfinir le taux quils souhaitentappliquer.

    Bnficiaire effectif

    Terme juridique employ pour dcrire toute personne qui ale bnfice de la proprit dun actif (que ce soit un comptebancaire ou un trust ou une proprit) mais qui pourtant nedtient pas nominalement lactif car celui-ci est enregistrsous un autre nom.

    Convention fiscale

    Accord juridique entre deux pays, permettant de dterminerles rglementations fiscales transfrontalires et les moyensde coopration entre les deux juridictions. Les conventionsfiscales permettent souvent de dfinir laquelle des deux

    juridictions a le droit de taxer les activits transfrontalireset quel taux. Les conventions fiscales comprennentgalement des dispositions permettant dchanger desinformations fiscales entre les juridictions, mais dansle cadre du prsent rapport, les conventions qui ontuniquement trait l change dinformations (appels lesAccords dchange de renseignements fiscaux AERI) sontconsidres comme diffrentes des conventions fiscalesqui permettent de rguler la fiscalit transfrontalire. Les

    accords dchange de renseignements fiscaux ne sont doncpas inclus dans le terme convention fiscale .

    Directive anti-blanchiment

    Directive europenne rglementant les questions lies aublanchiment dargent et au financement du terrorisme,y compris par laccs public linformation sur lespropritaires effectifs des socits, des trusts et desstructures juridiques similaires. La 4e Directive anti-blanchiment (Directive 2015/849) a t adopte en mai 2015.

    Echange automatique dinformations

    Systme en vertu duquel les informations pertinentes

    concernant la richesse et les revenus dun contribuablequil sagisse dun particulier ou dune entreprise sontautomatiquement transmises par le pays o les revenussont gnrs au pays de rsidence du contribuable. Parconsquent, ladministration fiscale du pays de rsidence

    du contribuable peut avoir accs ses donnes fiscales etvrifier quil a correctement dclar ses revenus trangers.

    Entits ad hoc (special purpose entities SPE en anglais)

    Les entits ad hoc, connues dans certains pays sous le nomde vhicules ad hoc ou de vhicules vocation spcialesont des entits juridiques mises en place afin de rpondre un objectif spcifique et cibl. Les entits ad hoc sontutilises afin de faire transiter des fonds destination ou enprovenance dautres pays. Elles sont tablies dans des payso la lgislation fiscale leur est favorable.

    Erosion de la base fiscale et transfert de bnfices (en

    anglais BEPS Base erosion and profit shifting)

    Ce terme est utilis pour dcrire le transfert de bnficesimposables depuis le pays o les revenus ont t gnrsvers des pays fiscalit avantageuse, voire nulle, ce quiprovoque lrosion de lassiette dimposition des paysimpacts, et rduit de ce fait leurs revenus (voir galement Manipulation des prix de transfert ).

    Evasion fiscale :

    Activit techniquement lgale, permettant de rduire lescontributions fiscales.

    Flux financiers illicites

    Il existe deux dfinitions des flux financiers illicites. Ils

    peuvent faire rfrence des flux privs sortants noncomptabiliss, de capitaux gnrs, transfrs ou utilissde manire illgale. Dans un sens plus large, les fluxfinanciers illicites peuvent galement dfinir des dispositionsartificielles mises en place dans le but de circonvenir la loiou lesprit de la loi.

    Fraude fiscale :

    Activit illgale, permettant de ne pas payer dimpt, ou denpayer moins.

    Fuite des capitaux lie la fiscalit

    Dans le cadre du prsent rapport, la fuite de capitaux lie

    la fiscalit est dfinie comme tant un processus permettantaux dtenteurs de r ichesses, quils soient des particuliersou des entreprises, de transfrer leurs fonds et autres actifsdans des territoires fiscalit faible, plutt que dans lesbanques du pays o cette richesse est gnre. Il en rsulteque les actifs et revenus ne sont pas dclars, pour desraisons fiscales, dans le pays o la personne rside ou dansle pays o l entreprise a gnr cette richesse. Le prsentrapport ne se penche pas uniquement sur les activitsillgales lies la fraude fiscale, mais aussi sur les activitslgales qui permettent dviter de payer des impts. Ilsattache montrer lobligation morale de payer des impts

    et la responsabilit des gouvernements mettre desrglementations qui garantissent le paiement de ces impts.Ainsi, cette dfinition large des fuites de capitaux lies lafiscalit sapplique lensemble du rapport.

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    Rapport 5 0 nuances dvasion fiscale Novembre 2015 5

    Juridictions ou centres offshoreCes juridictions sont connues sous le nom de juridictions faible fiscalit, spcialises dans la fourniture de servicesprofessionnel et commerciaux aux entreprises et particuliersnon-rsidents, et dans linvestissement de fonds offshore.Souvent, ces services sont associs un certain degrdopacit. Le terme offshore peut tre utilis commesynonyme de paradis fiscal ou de juridictions secrtes.

    Lanceur dalerte

    Un lanceur dalerte est une personne qui publie ou rvledes informations confidentielles mais qui concernent desactivits ayant nui ou menac l intrt public.

    Luxleaks

    Le scandale Luxleaks (ou Luxembourg Leaks) a clat ennovembre 2014, lorsque le Consortium International desJournalistes dInvestigation (ICIJ) a rendu public plusieurscentaines de rescrits fiscaux secrets du Luxembourg. Cesinformations ont t rvles par Antoine Deltour, ex-employ de PricewaterhouseCoopers (PwC). Le dossierLuxleaks fournit des documents permettant de comprendrecomment des centaines de multinationales ont utilis lesystme du Luxembourg afin de rduire leurs impts, parfois

    jusqu moins de 1 pourcent.

    Pratiques fiscales dommageablesLes pratiques fiscales dommageables sont des pratiquesqui ont des effets ngatifs sur les bases fiscales dautrespays, comme par exemple lrosion de lassiette fiscale ou ladistorsion des dcisions dinvestissement.

    Rgimes fiscaux prfrentiels pour les revenus issus de la

    proprit intellectuelle ou patent boxes

    Un rgime fiscal prfrentiel pour les revenus issus de laproprit intellectuelle est un rgime fiscal spcifique quiinclue des exemptions fiscales pour les activits ayant trait la recherche et linnovation. Ces rgimes ont souventt identifis comme faisant partie des pratiques fiscales

    dommageables , tant donn quils ont t utiliss parles multinationales afin dviter limpt, en transfrantles bnfices des pays o les activits sont exerces versdes rgimes fiscaux favorables aux brevets dans un paystranger, o les bnfices sont trs faiblement taxs, voirepas du tout.

    Rgles sur les socits trangres contrles (SEC ) (CFC

    rules en anglais)

    Les rgles concernant les socits trangres contrlespermettent aux pays de limiter le transfert de bnficespratiqu par les multinationales en leur demandant dedclarer les bnfices raliss dans dautres juridictions, oelles ont le contrle dune autre structure dentreprise.Il existe de nombreux types de rgles SEC, qui comprennentdiffrentes dfinitions du type de juridictions et des revenusconcerns.

    Rgle gnrale anti-vitement (RGAE) (GAAR en anglais)La RGAE fait rfrence une vaste gamme de typesde rgles visant limiter lvasion fiscale par lesmultinationales dans les cas o des dtournements dergles fiscales ont t dtects. Alors que cette rgle peut,dans certains cas, tre utilise afin de prvenir lvasionfiscale, en permettant aux administrations fiscales derefuser des exemptions fiscales aux multinationales, ellene sattaque pas au problme gnralis de rduction desretenues la source dans les conventions fiscales, ni laquestion de la rpartition gnrale des droits dimpositionentre les nations.

    Reporting public pays par pays public (CBCR)Le reporting public pays par pays est une mesure qui exigedes multinationales quelles fournissent des informationsconcernant leur activit conomique, les bnfices quellesralisent, leurs impts dus et leurs impts pays, danschacun des pays o elles dtiennent des filiales, y comprisles juridictions offshore. A minima, chaque entreprisesmultinationale devrait tre tenue de rendre publique, dansson rapport annuel, les informations suivantes : une vue densemble de lentreprise (ou du groupe) : nom

    de chaque pays o elle exerce des activits et nomsde toutes ses filiales actives dans chacun des paysdactivits.

    des donnes sur la performance financire du groupedans chaque pays dactivit (comprenant les bnfices,les ventes et achats), en distinguant les transactionsintragroupes et celles qui ont t ralises avec dautrespays.

    le nombre de salaris dans chaque pays o lentrepriseexerce des activits.

    les actifs : tout patrimoine dtenu par lentreprise dans cepays, y compris sa valeur et son cot dentretien.

    les informations fiscales, c.--d. lensemble des dtails

    relatifs aux montants dus et rellement pays pourchaque impt auquel lentreprise est soumise.

    Rescrit fiscal (en anglais tax ruling)

    Un rescrit fiscal est une interprtation crite de la loi,mise par une administration fiscale destination duncontribuable. Ces rescrits peuvent tre soit contraignants,soit non-contraignants. Les rescrits fiscaux concernent unvaste ventail de dclarations crites, nombre dentre ellesne donnant pas lieu controverse. Les accords pralablesen matire de prix de transfert (APP) sont un type de rescrit,utilis par les multinationales afin dobtenir la validation deleurs mthodes de prix de transfert. Les rescrits fiscaux ontattir de plus en plus lattention, car ils sont utiliss par lesmultinationales pour obtenir une approbation juridique deleurs pratiques dvasion fiscale. Les documents divulguslors du scandale Luxleaks sont des APP.

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    SwissleaksLe scandale Swissleaks a clat en 2015 lorsque leConsortium International des Journalistes dInvestigation(ICIJ) a rvl 60 000 dossiers comprenant lidentit deplus 100 000 clients de la banque HSBC en Suisse. Cesinformations ont t obtenues grce Herv Falciani, ex-ingnieur informatique employ par la banque. Ces donnesont permis, entre autres, de rvler comment HSBC aidaitses clients crer des comptes bancaires secrets afin dedissimuler leur argent et dchapper aux autorits fiscalespartout dans le monde, et comment elle aidait des individusimpliqus dans des affaires de trafic darmes, de diamants

    de sang ou de corruption dissimuler leurs actifs acquisillgalement.

    Manipulation des prix de transfert

    Ce terme fait rfrences des changes commerciaux(de biens et de services) entre les filiales de la mmemultinationale des prix qui ne sont pas ceux du march,dans lintention de transfrer les bnfices vers des

    juridictions faible fiscalit. Les changes commerciauxentre les filiales dune mme multinationale sont suppossavoir lieu selon le principe de pleine concurrence , savoir sur la base des prix que couterait cette transaction sielle avait lieu entre deux parties sans lien de dpendance.

    Les prix de march peuvent tre difficiles tablir, enparticulier ceux qui concernent les actifs intangibles commeles services ou des droits de proprit intellectuelle.

    Transfert de bnfices voir rosion de la base fiscale ettransfert de bnfices .

    Transparence

    La transparence est une mthode permettant de garantirlaccs au public des donnes qui sont, ou peuvent tre,dintrt public.

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    Rsum excutif

    Au cours de lanne passe, les scandales rvlant lamanire dont les entreprises multinationales utilisent

    les failles du systme fiscal pour ne pas payer dimpt se

    sont succds. Aujourdhui plus que jamais, il est devenu

    vident que ce sont les citoyens du monde entier qui paient

    le prix lourd de la crise du systme fiscal international, et

    les dbats autour des multinationales et de leurs astuces

    fiscales continuent doccuper le devant de la scne. Mme

    si limpact de ces pratiques est rel dans les pays riches,

    les pays les plus durement touchs sont les plus pauvres

    du monde. Ce sont eux qui font les frais dun systme fiscal

    international quils nont pas contribu crer.

    LUE et ses Etats membres sont impliqus dans un grandnombre de scandales qui ont clat au cours de lannepasse. Les regards sont donc braqus sur les dcideurseuropens qui affirment que le problme est en passe dtrergl et que lopinion publique ne doit pas sen inquiter.Mais quest-il rellement en train de se passer ? Quel rle

    joue lUE dans ce systme fiscal international injuste ? Lesdcideurs de lUE sont-ils vraiment en train de rsoudre leproblme?

    Le prsent rapport examine pour la troisime anneconscutive le rle jou par lUE et ses pays membresdans la crise fiscale internationale. Il analyse les volutions

    et propose des solutions concrtes. Il a t rdig pardes organisations de la socit civile (OSC) de 14 paysde lUnion europenne. Les experts de chacune de cesorganisations ont tudi les engagements et les actions deleurs gouvernements en matire de transparence et de luttecontre lvasion fiscale.

    Chaque pays a t compar aux autres Etats membres delUnion europenne, sur la base de quatre sujets essentiels:la dimension juste et quitable des conventions fiscalespasses avec les pays en dveloppement ; leur volont demettre un terme aux socits crans et aux trusts ; leursoutien en faveur dune transparence accrue des activits

    conomiques et des paiements dimpts des entreprisesmultinationales ; et leur ouverture l inclusion des paysles plus pauvres dans la redfinition des normes fiscalesinternationales. Pour la premire fois, ce rapport comparegalement les positions de la Commission europenne et duParlement europen sur ces quatre points.

    Le prsent rapport couvre les politiques nationales et lespositions des gouvernements par rapport aux lgislationseuropennes existantes et venir ainsi quaux propositionsde rformes internationales.

    Le rapport dgage les tendances suivantes : Mme sil y a eu certains changements et que certaines

    chappatoires fiscales ont t supprimes, forceest de constater que le mme systme complexe etdysfonctionnel de rescrits fiscaux, de conventions fiscales,de socits dites botes aux lettres et de rgimesfiscaux prfrentiels pour les brevets (ou patentboxes ), perdure au sein de lUnion europenne.Certaines pratiques extrmement

    Il ny a toujours aucune information publiquementdisponible concernant lactivit des multinationales etleurs contributions fiscales : les citoyens europens,

    les parlementaires, les journalistes et les paysen dveloppement continuent dtre privs de cesinformations cruciales. Les promesses politiques de transparence se sont transformes en un systmecomplexe et confidentiel dchange dinformations entreadministrations fiscales de pays dvelopps, laissant lepublic et lintrt gnral sur le banc de touche. De plusen plus de pays adoptent cependant des registres debnficiaires effectifs et de propritaires rels publics oupartiellement publics, signant ainsi la f in dune certaineforme dopacit. Malheureusement, ces progrs sont mis mal par l mergence de nouveaux mcanismes visant

    dissimuler les propritaires, comme les nouveaux typesde trusts.

    Les fuites dinformations confidentielles sont devenues lapremire source dinformation publique sur les pratiquesdvasion fiscale des multinationales. Elles cotentpourtant cher aux personnes qui sont l origine de cesfuites : des lanceurs dalerte, et mme un journalisteayant rvl certaines de ces pratiques sont aujourdhuipoursuivis et risquent dtre condamns de lourdespeines de prison. Lhistoire de ces hros de la justicefiscale est une rude illustration du cot social delopacit de ce systme dimposition des socits.

    Plus de 100 pays en dveloppement sont toujours exclusdes processus de prise de dcisions sur les normes etrglementations fiscales internationales. En 2015, lorsde la confrence sur le Financement du dveloppement Addis Abeba, les pays en dveloppement ont fait de lalutte pour la dmocratie fiscale internationale leur chevalde bataille. Toutefois, lUE sest fortement oppose lacration dun organisme fiscal international et a jou unrle essentiel dans le rejet de cette mesure. Aucun Etatmembre na remis en cause cette position : la prise dedcision en matire de fiscalit internationale est doncreste entre les mains du club des pays riches quest

    lOCDE.

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    Une comparaison directe de 15 pays de lUE couverts par cerapport permet dtablir que :

    La France, qui a pendant longtemps t le pays leader surles questions de transparence fiscale au niveau europen,ne demande plus ce que les informations concernantles activits des entreprises et les impts quelles payentsoient rendues publiques. En totale contradiction avecleurs promesses dtablir plus de transparence , deplus en plus de pays de lUE se positionnent aujourdhuien faveur dune confidentialit stricte, qui permettra decontinuer dissimuler au grand public les impts payspar les multinationales.

    De nouveaux mcanismes facilitant lvasion fiscale ontt introduits cette anne et prolifrent travers l Europe.Le rgime de patent boxes (rgime dimpositionprfrentiel pour les revenus issus de brevets et dela proprit intellectuelle) semble en particulier sedvelopper : lItaliea introduit un nouveau rgime en 2015qui permet de rduire les bnfices imposer de 50 % etLIrlandeprvoit dintroduire dici la fin de lanne une patent box qui diminuerait le taux dimposition 6.25%.

    Le Danemarket la Slovniesont les pays les plusen avance en ce qui concerne la transparence despropritaires rels des socits. Non seulement ces paysont annonc lintroduction de registres publics de cespropritaires, mais ils ont galement dcid de limiterla cration dentits opaques telles que les trusts, quipeuvent offrir des solutions alternatives pour dissimulerles propritaires rels dentreprises. Mais dun autrect, un certain nombre de pays de lUE, commencerpar le Luxembourget lAllemagne, proposent toujoursune gamme diversifie doptions pour dissimuler lespropritaires rels et faire du blanchiment dargent.

    Parmi les 15 pays cibls par le rapport, lEspagneestde loin le pays le plus agressif dans la ngociation deses conventions fiscales : ce pays est parvenu rduireles taux de retenues la source pour les pays endveloppement den moyenne 5,4 points de pourcentagepar rapport aux taux en vigueur dans ces pays.

    Le Royaume-Uniet laFranceont t les deux payseuropens qui ont le plus activement bloqu la demandedes pays en dveloppement sasseoir la table desngociations et participer aux dcisions sur les rglesfiscales internationales.

    Le rapport inclue les recommandations suivantes aux Etatsmembres et lUnion europenne:

    Assurer la transparence en permettant un accs publicaux informations sur le lieu et lactivit conomique desentreprises ainsi que leur montant dimpts pays

    Eliminer les chappatoires qui permettent aux entreprisesmultinationales de diminuer leur niveau dimposition des taux effectifs trs bas, et ne pas mettre en place denouvelles chappatoires

    Explorer la possibilit dune rforme radicale du systmefiscal europen et collaborer dans le sens dune plus

    grande harmonisation fiscale Offrir aux pays en dveloppement un sige la table des

    ngociations sur les rgles fiscales internationales, etsabstenir dabaisser leurs taux dimposition dans lesconventions fiscales

    Offrir de relles opportunits aux pays en dveloppementde recevoir linformation des gouvernements europenssur les vads fiscaux qui utilisent lUnion europennepour cacher leur argent et chapper limpt

    Dmanteler les montages secrets qui permettent dedtenir des entreprises de manire anonyme et facilitent

    le blanchiment dargentLe prsent rapport inclue un tableau comparatif despolitiques nationales dans 15 pays de lUnion europenneainsi quun chapitre spcifique sur la France. Le chapitreglobal analyse de manire exhaustive lensemble despolitiques europennes de lutte contre lvasion fiscale.

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    10 Rapport 5 0 nuances dvasion fiscale Novembre 2015

    Lorsquils sont utiliss pleinement, et associs de bonnes dpenses publiques, les impts peuvent

    permettre de financer lducation de nos enfants, des

    systmes de sant dignes de ce nom et contribuer

    crer des socits plus stables, plus galitaires, plus

    dmocratiques et plus prospres. A linverse, quand les

    impts sont rgressifs et punitifs, ils peuvent contribuer

    laugmentation des ingalits et de la pauvret.1Il

    est donc ncessaire de mettre en place des systmes

    dimposition qui soient justes et quitables. Dans les pays

    en dveloppement dans lesquels le taux de pauvret est

    lev et les ingalits trs importantes, et o les services

    sociaux font particulirement dfaut, la mise en place

    de systmes dimposition efficaces et justes est dautant

    plus essentielle. Les questions fiscales ont aussi une

    dimension internationale, tant donn que les politiques

    fiscales dun pays peuvent mettre mal le recouvrement

    des impts dans dautres pays.2Le prsent rapport se

    concentre sur les aspects internationaux des systmes

    dimposition, en analysant notamment la manire dont

    lEurope peut favoriser et protger le recouvrement des

    impts dans les pays en dveloppement en adoptant des

    politiques dimposition justes et responsables en Europe.

    Ce faisant, lEurope ne contribuerait pas uniquement au

    dveloppement de certaines des rgions les plus pauvres

    du monde, elle permettrait galement de mettre un termeaux injustices lies lvasion fiscale en Europe. En bref, ce

    rapport porte sur notre besoin commun de justice fiscale.

    Ces dernires annes les dbats autour de la fiscalitont t particulirement intenses. Plusieurs rvlationsscandaleuses portant sur le manque dimpts pays par lesentreprises multinationales, et sur la responsabilit duncertain nombre de pays europens dans ces scandales, ontpermis de maintenir le sujet de lvasion fiscale sur le devantde la scne pendant toute lanne 2015. Alors que certainsde ces scandales concernent la fraude fiscale terme quidfinit des pratiques illgales plusieurs autres sont lis

    des pratiques dvasion fiscale. Il sagit du terme utilispour dcrire les pratiques qui nimpliquent pas une violationdlibre des lois fiscales, mais qui consistent davantage agir lencontre de lesprit de la loi par une planificationfiscale agressive, ce qui est dans la plupart des cas estparfaitement lgal.4Mais malgr sa lgalit, cette pratique

    courante chez les multinationales se produit souvent une silarge chelle que de nombreuses personnes la considrentprofondment immorale et devant tre combattue.5

    En rponse ces scandales, qui ont attir lattention du

    public, le monde politique a multipli les promesses :dclarations du G20,6projets de lOrganisation pour laCoopration et le Dveloppement Economique (OCDE)7, plansdaction de lUE8, annonces des gouvernements, tous ontpromis de dclarer la guerre lvasion fiscale, lampleurdu problme ne pouvant plus tre ignore. Ce rapportanalyse dans quelle mesure les actions promises ont tmises en uvre, et si les nouvelles mesures permettrontvritablement de rgler le problme.

    Vue densemble

    50,4 %de la population de neuf pays membres de lUE considre que

    taxer les riches et aider les pauvres est une caractristiqueessentielle de la dmocratie.

    87,4 %de la population de huit pays membres de lUE considre que

    tricher sur ses impts nest jamais justifiable.

    3

    Affiche dans la capitale du Ghana, rappelant aux citoyensque les petites gouttes des impts font la grandeur dunenation .12

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    Rapport 50 nu ances dvasion fiscale Novembre 2015 11

    Encadr 1

    Les entreprises sont aussi des victimes !Comment lvasion fiscale impacte les petitesentreprises europennes

    Les entreprises multinationales sont en mesure derduire leur taux dimposition effectif en transfrantune partie de leurs bnfices dans des filialessitues dans des terri toires faible fiscalit, ce queles entreprises nationales ne peuvent pas faire. Lesentreprises nationales se retrouvent donc souventdans une situation o elles sont dsavantages parrapport leurs concurrentes multinationales. Cest ceque dmontre une tude publie par la Commissioneuropenne en 2015. Cette tude sest penche sur20 pays membres de l UE et a permis de montrerque, dans tous ces pays, le taux dimposition ef fectifdes entreprises nationales tait plus lev que celuides entreprises multinationales qui ont recours aux

    techniques de planification fiscale. En moyenne,les multinationales ont un taux dimposition effectifinfrieur de 3,5 points aux entreprises nationales .Ltude montre galement que dans les trois quartsdes 20 pays tudis, le taux dimposition effectifdes petites et moyennes entreprises (PME) est pluslev que celui des entreprises multinationales, bienque presque tous les Etats membres accordent dessubventions importantes aux PME afin daugmenterleur comptitivit. Il semble donc que sattaquer auproblme de lvasion fiscale ne soit pas uniquementune question de justice ; les petites entreprises

    europennes pourraient galement en tirer profit.

    1. 2015 : une anne de scandales et de

    promesses

    Le 4 novembre 2014, tout semblait aller bien au sein delUE. Une nouvelle Commission europenne avait tnomme quatre jours plus tt, et le nouveau prsident dela Commission, Jean-Claude Juncker, semblait plutt avoirbien pris en main ses nouvelles fonctions. Mais ltat de

    Encadr 2

    Sous les feux des projecteurs : les imptspays par les multinationales

    89 % :part des PDG des grandes entreprisesproccups par la couverture mdiatique descontributions fiscales de leurs entreprises en 2014.Chiffre qui slevait 60% en 2011.

    56 % :part des entreprises europennes qui ont tconfrontes une augmentation des controverseset des questions concernant les stratgies fiscalesde leur entreprise en 2014. Lenqute souligne descarts importants en Europe, avec plus de 80% desentreprises au Royaume-Uni, au Luxembourg et enFrance indiquant avoir t davantage sous le feudes projecteurs lanne dernire, alors que ce nestpas le cas pour les entreprises dEurope centrale etorientale. Par exemple, en Rpublique Tchque, 75%des entreprises nont pas identifi dvolution de lapression du public par rapport lanne prcdente.13

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    12 Rapport 5 0 nuances dvasion fiscale Novembre 2015

    grce nallait pas durer longtemps. Le matin du 5 novembre,le Consortium International des Journalistes dInvestigation(CIJI) a en effet rendu public une mine dor : des centaines depages daccords fiscaux secrets passs entre le Luxembourget des multinationales, qui ont rvl lampleur de lvasionfiscale et de ses impacts sur lrosion des assiettes fiscalesdes autres pays.14En tant quancien Ministre des financeset ancien Premier Ministre du Luxembourg, Jean-ClaudeJuncker sest retrouv au centre du cyclone politique qui senest suivi.

    De bien des manires, ces rvlations rapidementsurnommes Luxleaks - prsageaient de lanne venir.

    2015 a en effet t marque par de multiples scandalesdvasion fiscale, auxquels des pays europens se sontquasiment chaque fois retrouvs mls. Lampleur delvasion fiscale a clat au grand jour et les responsablespolitiques ont t forcs de rpondre aux exigences dechangement des citoyens.

    A lchelle mondiale,

    133 sur 488manifestations (27%) qui ont eu lieu entre 2006 et 2013 taientlies aux questions de Justice conomique et daustrit, et les questions de justice fiscale taient au centre deleurs revendications.17

    Encadr 3

    Lanceurs dalerte : les hros de la justicefiscale

    Derrire les scandales dvasion fiscale et

    lindignation quils ont pu susci ter, se cachent deshistoires de sacrifice personnel. Ce sont des lanceursdalerte qui ont fait connatre au grand public laplupart de ces pratiques fiscales agressives etdommageables. Mais le prix quils doivent payer,pour avoir agi dans lintrt gnral, est trs lourd.Antoine Deltour le lanceur dalerte du Luxleaks est poursuivi au Luxembourg, et encourt une peinede cinq ans de prison.15Et il nest pas le seul. Deuxautres personnes lies au scandale du Luxleaks sontgalement poursuivies dont un journaliste franais,ainsi que le lanceur dalerte du Swissleaks enSuisse.16

    Encadr 4

    Lanne des scandales : lEurope lpicentre

    En lespace dun an seulement, de nombreusesnouvelles rvlations ont t divulgues concernant lescontributions fiscales des entreprises multinationales.Et de nombreuses reprises, il sest avr que les payseuropens se sont trouvs au cur des structures deplanification agressive des entreprises :

    En novembre et dcembre 2014, LuxLeaks apermis de mettre jour des accords fiscauxconfidentiels impliquant des centaines dentreprises

    multinationales au Luxembourg.18

    En fvrier 2015, Swissleaks a rendu public lesnoms de plus de 100 000 clients ayant des comptesbancaires non dclars dans une banque suisse.19

    En fvrier 2015, McDonalds sest retrouv aucur de lactualit, lorsquun rapport portant surses contributions fiscales a t publi. Ce rapportmontrait, entre autres, que McDonalds avait dclarun chiffre daffaires excdant les 3,7 milliardsdeuros dans une filiale employant 13 salaris auLuxembourg entre 2009 et 2013, et navait pay au

    Luxembourg que 16 millions deuros.20

    En juin 2015, Wal-Mart a fait la une des journaux, la suite dun rappor t qui rvlait le dtail despratiques fiscales de lentreprise. Ce rapportmontrait que Wal-Mart avait des filiales en Irlande,aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Espagne, Chypre et en Suisse, alors quil ny avait aucunmagasin Wal-Mart dans ces pays. Le rapportdtaillait galement les conomies fiscalesralises grce ces filiales europennes.21

    Dans le mme temps, deux tudes diffrentes surlindustrie minire, publies en 2015, ont montrque des entreprises de ce secteur avaient utilisdes filiales aux Pays-Bas pour diminuer leurscontributions fiscales au Malawi et en Grce.22

    1.1 Limprobable qute dune rforme de la fiscalitinternationale

    A premire vue, les dernires annes ont vu se multiplier lesnouvelles initiatives politiques visant rformer le systmefiscal international. En octobre 2015, lOCDE a rendu publicson plan daction et ses recommandations dans le cadre duprojet intitul Lutte contre lrosion de la base dimpositionet les transferts de bnfices (Base Erosion and ProfitShifting - BEPS). La Commission europenne a quant elle

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    Rapport 50 nu ances dvasion fiscale Novembre 2015 13

    propos deux paquets de mesures fiscales au cours delanne 2015. Et partout dans le monde, les gouvernementsont annonc de nombreux changements, toujours dans lemme objectif : protger leurs assiettes fiscales.

    1.2 BEPS : Rformer pour que rien ne change

    Le mot BEPS qui signifie en franais Erosion de la basefiscale et transfert de bnfices (en anglais Base erosionand profit shifiting) dsigne les pratiques parfaitementlgales que les multinationales utilisent afin dchapper leurs responsabilits fiscales. Le terme BEPS estgalement devenu synonyme du projet de rforme de lafiscalit internationale de lOCDE. En lanant ce projet en2013, lOCDE stait donne deux ans pour proposer desrecommandations et des solutions 15 problmes identifisau pralable.23Lexistence mme de ce projet montre quel point la problmatique de la fiscalit internationale estdevenue importante dans lagenda politique ces derniresannes. Toutefois, alors que le projet BEPS arrive sonterme en 2015, il apparat trs clairement quil napporterapas de rponses aux problmes auxquels les pays endveloppement sont confronts.

    Ds 2013, quand lOCDE a lanc BEPS, il y avait dj de quoisinquiter. Ce projet ne remettait en effet pas en cause lesystme fiscal promu par l OCDE, qui accorde plus de droits taxer aux pays sige des entreprises multinationales(souvent des pays de lOCDE) quaux pays dans lesquelslentreprise a ses activits (catgorie dont font partie laplupart des pays en dveloppement).24Ce systme impliqueque lorsquil y a des changes de biens et ser vices entrefiliales dun mme groupe situes dans des pays endveloppement et des pays dvelopps, ce sont ces derniersqui obtiennent plus de droits taxer les flux et donc plus derecettes fiscales.

    Cela fait longtemps que ce systme de rpartition des droits taxer est remis en question.25LOCDE elle-mme a reconnu, au dbut du projet BEPS, quun certainnombre de pays ont exprim leurs inquitudes concernant lamanire dont les normes internationales allouent les droits taxer .26Toutefois, plutt que de chercher rsoudre ceproblme, lOCDE a choisi de lignorer, en dclarant, dansle programme inaugural du BEPS en 2013, que les rformes ne sont pas directement prvues pour modifier les normesinternationales existantes concernant la rpartition des droits taxer les bnfices transfrontaliers .27

    Il sagit l dun premier lment qui montre que linitiativeBEPS de lOCDE na pas pour objectif de rellement modifierles bases du systme fiscal international: il sagit pluttdune rforme qui vise rafistoler les rgles existantes

    plutt que de rexaminer leurs fondements , comme lontexprim les reprsentants de la socit civile.28

    Deux ans aprs le dbut du projet, l impression dunerforme conue pour prserver un systme qui sert depuisdes dcennies les intrts des nations riches na fait qutrerenforce.

    Mi-2014, lOCDE elle-mme a reconnu que le programmeBEPS ne rpondait pas vraiment aux proccupations des

    pays en dveloppement, en dclarant dans un rapport auG20 que les pays en dveloppement avaient identifi uncertain nombre de problmatiques, telles que les incitationsfiscales, qui les impactent, mais qui ne sont pas couvertes parle plan daction [de BEPS] .29

    En rponse aux critiques selon lesquelles le projet BEPSntait quun club de pays riches prenant des dcisions visant promouvoir leurs propres intrts, lOCDE a annonc versla fin 2014, linclusion de 14 pays en dveloppement dansle processus, en plus des pays du G20. Mais cette annoncena rien chang lexclusion du processus de dcisionde plus de 100 pays en dveloppement. Le document quiaccompagnait cette annonce tait intitul Le projet BEPS etles pays en dveloppement : de la consultation la participation, et posait alors une vraie question : quel tait lintrtdintgrer ces pays en dveloppement un an aprs lavalidation du plan daction, et aprs que la moiti des pointscouverts par la rforme aient t dj adopts ? En fin decompte, cette tentative dintgrer au milieu du processusun petit groupe de pays en dveloppement pour rpondreaux critiques naura fait que mettre davantage encore envidence leur marginalisation bien relle dans ce projet.

    En septembre 2015, les ministres des finances du G20 ontadopt un communiqu qui appelait lOCDE laborerun cadre dici dbut 2016, qui impliquerait lensemble des

    pays et juridictions hors G20 intresss, et en particul ier lesconomies en dveloppement, sur un pied dgalit . Mais ilfaut souligner que cet appel ne signifie pas qu lavenir tousles pays seront invits participer aux processus de prisede dcisions : ils sont simplement invits participer lamise en uvre des rgles BEPS une fois quelles auront tadoptes.30

    Seuls 4 %des grandes entreprises pensent que toutes lesrecommandations BEPS seront mises en uvre dans tousles pays de lOCDE.31

    5 %des entreprises envisagent de mettre en uvre uneplanification fiscale plus conservatrice en raison du projetBEPS.32

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    1.3 Le plan daction BEPS mettra-t-il un terme lvasion fiscale ?

    En septembre 2015, les rsultats du processus BEPSont t rendus publics. Alors que laccord inclut desmesures de reporting pays par pays33pour les entreprisesmultinationales, que les organisations de la socit civiledemandent depuis longtemps, la dcision de lOCDE demaintenir ces informations confidentielles et de ne lesrendre disponibles que pour un nombre trs limit de paysest regrettable (voir encadr 8).

    Mais il ne sagit pas l du seul volet problmatique du projetBEPS. En effet, au lieu de supprimer les rgimes fiscauxprfrentiels pour la proprit intellectuelle (ou patentboxes), particulirement controverss (voir chapitre 3.4),les pays de l OCDE ont adopt des directives pour encadrerces rgimes prfrentiels et ont accept que les avantagesdont jouissaient les multinationales grce ces rgimespuissent tre maintenus tels quels jusquen 2021.34A la suitede cette dcision, les reprsentants de la socit civile ontdclar que lapproche de lOCDE allait lgitimer ces rgimes

    prfrentiels pour la proprit intellectuelle et de ce fait fournirun mcanisme lgal de transfert des bnfices, encourageantles Etats offrir ces avantages aux entreprises. Cela aura unimpact particulirement ngatif sur les pays en dveloppement,

    qui pourront tre utiliss comme plateformes de productionalors que leur assiette fiscale sera rduite par ces mcanismesde transfert des bnfices. Ces mesures devraient tre toutsimplement condamnes et limines .35Plus problmatiqueencore, avant mme la fin du projet BEPS, plusieurs pays delOCDE ont annonc avoir commenc mettre en place cesrgimes prfrentiels pour la proprit intellectuelle (voirchapitre 4 rsultats du rapport).

    En ce qui concerne les dispositions anti-abus, leprocessus BEPS est parvenu un accord quil faut saluer.

    Malheureusement, les pays en dveloppement ne pourrontutiliser ces dispositions pour lutter contre lvasionfiscale que sils ont par ailleurs accs suffisammentdinformations concernant les entreprises multinationalesqui ont des activits dans leurs pays.37Laccord ne traitepas non plus du problme des taux de retenue la sourcesystmatiquement revus la baisse dans les conventionsfiscales. (Voir chapitre 3.5 concernant les conventionsfiscales).

    Plus globalement, la socit civile sest beaucoup inquitede la non remise en cause par le projet BEPS du principe de pleine concurrence , selon lequel une entreprise

    multinationale est considre comme une agrgationdentreprises indpendantes plutt que comme uneseule entreprise.38Cest ce principe qui permet unemultinationale de dclarer des bnfices nuls dans un pays

    donn et des bnfices trs importants dans des juridictions fiscalit faible, o ils ne sont donc pas imposs.

    Un autre lment problmatique rside dans lacomplexification du systme fiscal international quentraneBEPS, en multipliant les lignes directrices extrmementtechniques et parfois contradictoires.39Cela pourraitmener laugmentation du recours des rescrits fiscauxconfidentiels (ou tax rulings) qui sont au cur du scandaleLuxleaks.40Ces rescrits sont aujourdhui la mthodecommunment utilise par les administrations fiscaleset les entreprises pour saccorder sur les rgles fiscalesqui seront appliques lentreprise. Cela implique quun

    certain nombre de dcisions essentielles concernantles contributions fiscales dont devront sacquitter lesmultinationales seront prises dans le cadre de ngociationsbilatrales confidentielles entre la multinationale etladministration fiscale concerne. Pour pallier ceproblme, lOCDE et les pays du G20 prvoient de mettreen place un systme dchange automatique dinformationsconcernant ces rescrits fiscaux,41mais beaucoup de pays endveloppement ne pourront pas se conformer aux exigencesde confidentialit, et ne pourront de ce fait pas avoir accs linformation. De manire similaire, les citoyens, lesparlementaires et les journalistes ne sauront pas commentce nouveau systme fiscal complexe sera appliqu, ni ce queles multinationales paieront rellement comme impt.

    1.4 Une rforme inclusive de la fiscalitinternationale

    Lune des vritables solutions pour les pays endveloppement consisterait initier un processus derforme de la fiscalit internationale vritablement global,au sein duquel ils auraient le droit de participer sur unpied dgalit. Une proposition a t faite en ce sens auxNations unies ds 2001, lorsquun groupe de haut niveausur les questions de financement du Dveloppement a

    propos la cration dune Organisation Internationale dela Fiscalit .49Depuis, cest un sujet de conflit rcurrentau sein des Nations unies : les pays en dveloppementont continuellement demand la cration dun organismefiscal international, qui leur permettrait de prendre partsur un pied dgalit aux dcisions concernant les normesfiscales internationales.50Mais cette proposition a tcontinuellement rejete par les pays dvelopps, et enparticulier par les Etats membres de lOCDE, selon lesquelsles dcisions concernant la fiscalit internationale devaientcontinuer dtre prises au sein de lOCDE.51A la place de cetorganisme intergouvernemental, il a t dcid de confinerle travail des Nations unies sur les problmatiques fiscales

    la cration dun comit dexperts, qui peut fournir desconseils en matire fiscale, mais qui ne peut pas prendre dedcisions intergouvernementales.52

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    Encadr 5

    Le reporting pays par pays (country by country reportingou CBCR en anglais) est une mesure qui consiste obliger les multinationales dclarer des informationsconcernant leurs activits (bnfices, chiffre daffaires,nombre demploys) et les impts quelles payent danschacun des pays ou territoires dans lesquels ellessont prsentes. Il sagit de lune des plus anciennes

    demandes des militants de la justice fiscale. QuandlOCDE a annonc, dans le cadre de son projet BEPS,que le reporting pays par pays figurerait parmi sesrecommandations, les organisations de la socit civilese sont donc rjouies. Mais les dtails de la propositionde lOCDE montrent comment le projet BEPS delOCDE a t capable de transformer de bonnes idesen mauvaises dcisions. En effet le reporting de lOCDEpose trois problmes majeurs :

    1. Taille des entreprises : BEPS recommande queseules les entreprises gnrant un chiffre daffairesde plus de 750 millions deuros soient soumises lobligation de reporting pays par pays. Selon lesestimations de lOCDE elle-mme, cela exclurait85 90% des multinationales.42Ce seuil trs levest particulirement problmatique pour les paysen dveloppement, dans lesquels interviennent denombreuses petites multinationales, qui malgrleur petite taille, ont souvent dnormes impactssur lconomie nationale. Par exemple, en SierraLeone, en 2013, les entreprises du secteur minierSierra Rutile et London Mining ont reprsent

    respectivement 3 et 10 % du Produit Intrieur Brut(PIB) national. Mais avec des chiffres daffairesrespectifs de 93 millions deuros et 226 millionsdeuros, ces deux entreprises auraient t bien ende du seuil propos par BEPS de 750 millionsdeuros, et nauraient donc pas t tenues deprsenter une dclaration pays par pays selonlOCDE . De plus, ces informations peuventintresser les citoyens des pays en dveloppementtant donn que les faibles contributions fiscalesdu secteur extractif soulvent frquemment desquestions.

    2. Accs au public : il a t dcid que les dclarationspays par pays des entreprises multinationales neseraient pas rendues publiques, mais mises ladisposition de certaines administrations fiscales.45Cette confidentialit va lencontre de lobjectif initialdu reporting pays par pays qui a toujours t dinciter

    les multinationales changer de comportement enjouant sur le risque rputationnel et leffet dissuasif,effet dont on se prive en ne rendant pas les donnespubliques. Ces donnes pourraient galement treutilises par les citoyens, les journalistes et lesparlementaires afin de forcer les entreprises et lesgouvernements rendre des comptes. Enfin, ne pasrendre ces informations publiques reprsente un pasen arrire au niveau europen, puisque les banqueseuropennes sont depuis 2013 dj obliges de rendrepublic leur reporting pays par pays.46

    3. Partage des informations : selon la proposition de

    lOCDE, les informations pays par pays doivent tretransmises au pays dans lequel la multinationalea son sige, lequel doit ensuite partager cesinformations avec dautres pays.47Mais, commela plupart des pays en dveloppement ne sont pasaujourdhui en capacits de par ticiper aux initiativesdchange automatique dinformation et quils ontbeaucoup de difficults se mettre en conformitavec les exigences de confidentialit requises, il estpeu probable quils parviennent un jour recevoirles reporting pays par pays de cette manire. Celasignifie quun pays comme la Sierra Leone ne sera pas

    en mesure daccder aux informations sur lactivitdes multinationales dans son pays, ni ne saura silentreprise dispose de filiales dans des juridictions faible fiscalit, et si elle dclare des bnficesimportants dans des pays o elle gnre trs peudactivits. Selon Richard Murphy, qui lon doit leconcept du reporting pays par pays : dans ce cas,il apparat clairement que lOCDE ne parviendrapas faire en sorte que les pays en dveloppementobtiennent les dclarations pays par pays, alorsquils ont toujours t censs en tre les plus grandsbnficiaires .48

    Comment BEPS a transform de bonnes ides en mauvaises dcisions : le cas du reporting payspar pays

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    Dans le cadre des ngociations prcdant la TroisimeConfrence sur le Financement du Dveloppement quisest tenue Addis Abeba en juillet 2015, le Groupe des 77

    (G77), qui est un groupe de ngociation reprsentant 134pays en dveloppement, a de nouveau mis le sujet l ordredu jour. Leur ngociateur a dclar : la ralit, cestquil nexiste toujours pas dorganisme international, inclusifet intergouvernemental sur les questions de cooprationfiscale internationale. Il ny a pas non plus suffisammentdattention porte aux liens que ces problmatiques

    peuvent avoir avec les questions de dveloppement. Legroupe ritre son appel [] la cration dun organismeintergouvernemental [] visant permettre tous les Etatsmembres, y compris les pays en dveloppement, davoir voixau chapitre sur les problmatiques fiscales .53Cet appel at soutenu par le Secrtaire Gnral des Nations unies,

    Ban Ki Moon, qui a recommand ltablissement dunorganisme fiscal intergouvernemental, sous lgide desNations unies.54

    Pendant la confrence sur le Financement duDveloppement dAddis Abeba, le dbat autour de lacration de cet organisme fiscal a cr istallis toutes les

    tensions. Mais les pays dvelopps ont finalement obtenugain de cause, et la proposition de crer un organismefiscal intergouvernemental sous l gide de lONU na

    pas t intgre dans le document final, le ProgrammedAction dAddis Abeba.55Des universitaires reconnusont vigoureusement critiqu cet accord. Joseph Stiglitz,laurat du prix Nobel dconomie a dnonc le fait que les pays dorigine de ceux qui pratiquent la fraude et lvasionfiscales grande chelle sont ceux qui conoivent un systmecens mettre un terme ces pratiques 56, et le ProfesseurJos Antonio Ocampo, ancien Ministre des F inances deColombie, a soulign que la domination dun petit groupede pays sur la dfinition des normes fiscales implique, enralit, que larchitecture de la gouvernance de la fiscalitinternationale na pas su sadapter la mondialisation .57

    Mais la confrence dAddis Abeba ne constitueraprobablement pas le dernier chapitre de cettehistoire. Dans leur dclaration de clture, les pays endveloppement, via le G77, ont dclar ne pas avoir changde position et rester fermement dtermins transformerle comit dexperts des Nations Unies en un comit fiscalintergouvernemental.58

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    2. Pourquoi les questions de fiscalit

    internationale sont importantes pour les pays

    en dveloppement

    De plus en plus de pays, dvelopps comme endveloppement, reconnaissent que la fiscalit est unfacteur essentiel du financement du dveloppement.59Lespays en dveloppement sont de plus en plus nombreux considrer quils ne doivent pas avoir pour objectif uniquedattirer des investisseurs trangers, mais quils doiventgalement sassurer que les investisseurs paient des impts

    et contribuent au dveloppement.Les 54 chefs dEtat de lUnion Africaine ont envoy unsignal important en ce sens en 2015, en adoptant un

    rapport sur les flux financiers illicites, et en formulant desrecommandations de poids60. Ils identifiaient notammentles pratiques de transfert de bnfices des multinationalescomme tant de loin le plus grand problme en matire desflux illicites .61

    Mais le dfi nest pas uniquement africain. Il concernelensemble des pays en dveloppement. Selon les nouvellesestimations de la Confrence des Nations Unies sur leCommerce et le Dveloppement (CNUCED) en 2015, lespays en dveloppement perdent entre 70 milliards et 120milliards de dollars cause dune seule mthode dvasionfiscale : la manipulation des prix de transfert.62Limportance

    de ces pertes est vidente si on les compare aux 193milliards deuros63que les multinationales versent en imptssur les socits dans les pays en dveloppement.64

    Encadr 6

    Evasion fiscale en Amrique Latine, en Afrique eten Europe

    Au cours de lanne passe, trois nouveaux rapportsont dmontr comment le dveloppement et la justice

    sociale sont mis mal par les pratiques dvasion fiscaledes entreprises multinationales, la fois dans les paysdvelopps mais aussi, et surtout, dans les pays endveloppement

    En Amrique Latine, le rseau LATINDADD a analys lescomptes de la mine dor de Yanacocha au Prou, la plusimportante mine dor dAmrique du Sud, qui se trouvegalement tre la troisime plus grande et plus rentablemine du monde, selon ses propritaires.74Le rapportestime que le manque gagner fiscal pourrait slever 893,4 millions deuros75sur 20 ans, de 1993 2013, enraison dune survaluation des cots et du recours

    dautres mthodes de transfert artificiel des bnfices.76

    En Afrique, les recherches menes par ActionAid ontrvl comment une mine duranium australienne auraitpotentiellement vit de payer des millions deurosdimpts au Malawi, lun des pays les plus pauvres aumonde.77Plutt que de financer ses activits au Malawipar le biais de son sige en Australie, lentreprise minirea choisi de les financer en passant par les Pays-Bas, parle biais dun prt de grande envergure. Ce prt a gnr leversement de 138,2 millions deuros78en intrts et fraisde gestion au Pays-Bas.79En raison du Trait de doubleimposition entre les Pays-Bas et le Malawi, le taux deretenue la source sur les paiements dintrts et les

    frais de gestion a t rduit de 15% 0%.80On estime quece passage du Malawi lAustralie en passant par lesPays-Bas a rduit le taux de retenue la source de 20,7

    millions deuros81

    en six ans.82

    , ce qua de son ct dmentiun porte-parole de lentreprise83. En 2014, le Malawi aannul son trait fiscal avec les Pays-Bas et un nouveautrait a t sign en avril 2015.84Bien que ce nouveau traitcomprenne des dispositions anti-abus, ces dispositionsrisquent de ne pas tre effectives, sauf si le Malawi obtientgalement accs aux informations pertinentes sur lesmultinationales qui ont des activits sur son territoire.85

    Il ny a pas que dans les pays en dveloppement que lespratiques dvasion fiscale entretiennent la pauvret et lesingalits. En Europe, une recherche mene par SOMO admontr comment la firme canadienne, Eldorado Gold,qui exploite plusieurs mines en Grce, a mis au point unestructure de financement complexe lui permettant dedlocaliser ses revenus. Afin dviter de payer des imptsen Grce et aux Pays-Bas, lentreprise utilise un rseaucomplexe de socits botes aux lettres, une structurequi est autorise par la loi nerlandaise et par les lois delUE.86Selon les estimations de SOMO, le gouvernementgrec a perdu environ 1,7 millions deuros dimpts surles socits en lespace de seulement deux annes.87Ces chiffres sont mettre en parallle avec la situationactuelle de la Grce, confronte des mesures daustritdrastiques, qui lui sont imposes par la Troka, dont faitpartie lEurogroup, prsid par les Pays-Bas.

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    Peut-tre plus choquant encore, une tude du FMI montrequen moyenne, et en part du revenu national, les pertesde revenus lies l vasion fiscale des entreprisesauxquelles font face les pays en dveloppement sont 30 %plus importantes que pour les pays de lOCDE.65Ce chiffreamne le FMI lui-mme considrer que les enjeux sontcertainement plus pressants pour les pays en dveloppementque pour les pays dvelopps .66

    En effet, en bien des points, les pays en dveloppementsont plus exposs aux impacts ngatifs de lvasion fiscaleque les pays dvelopps. Par exemple, alors que dans lespays dvelopps, seuls 3% des investissements privs

    proviennent des paradis fiscaux 67

    , ce chiffre est de21% pour les pays en dveloppement, et de 41% pour lesconomies en transition.68De mme, 10% de la richesseeuropenne est dtenue dans des comptes offshore, contre30 % de la r ichesse africaine.69

    Face ces dfis, certains pays en dveloppement ragissent.Ds 2014, ladministration fiscale kenyane est par venue rcuprer environ 210 millions deuros en remettant encause des pratiques qui permettaient aux multinationalesde transfrer leurs bnfices lextrieur du pays.70AuBangladesh, un organisme vient dtre cr pour surveillerles contributions fiscales des multinationales.71A la fin de

    lanne 2014, la Chine a quant elle gagn sa premirebataille fiscale contre une multinationale et rcupr 103millions deuros72. La Chine a depuis lors promis de mettreen place des mthodes choc contre ceux qui pratiquentlvasion fiscale.73

    Mais, en sattaquant aux multinationales, les pays endveloppement risquent de subir dnormes pressions.Il peut tre difficile, pour la plupart des pays endveloppement, de rsister la menace dune baissedes investissements trangers et de prendre le risquedapparatre comme un pays hostile linvestissement.

    Et il ne sagit pas uniquement de rsister aux pressions.Mme avec les meilleures intentions, les pays endveloppement font face aux mmes problmes que les paysriches : pour sassurer que les multinationales ne pratiquentpas lvasion fiscale, il est ncessaire de mettre en placeune coopration internationale. Ceci est particulirementvrai pour les pays en dveloppement, tant donn que lesdcisions qui les impactent le plus concernant la fiscalitdes entreprises multinationales sont prises dans les payso ces entreprises ont leur sige, cest--dire, dans bien descas, les pays europens.

    3. 2. Le rle de lEurope dans le maintien

    dun systme fiscal international injuste

    LUnion tient compte des objectifs de la coopration audveloppement dans la mise en uvre des politiques qui sontsusceptibles daffecter les pays en dveloppement.

    Trait de Lisbonne, Article 20888

    En tant que plus grande conomie au monde, accueillantde nombreuses multinationales et entretenant des lienstroits avec les pays en dveloppement, lEurope joue un

    rle central dans tous les dbats portant sur la justicefiscale internationale. Dans le pass, lEurope a pris lesdevants, en adoptant des politiques pionnires, telles quele reporting pays par pays public pour le secteur financier.Toutefois, comme lont montr de nombreux scandales(voir Encadr 6), les politiques europennes sont parfoisgalement utilises pour chapper limpt. Le paragraphesuivant analyse plusieurs aspects des politiques fiscalesinternationales de lEurope et leurs impacts sur les pays endveloppement.

    3.1 Le secret bancaire et les problmes dchangesdinformations

    La fuite dinformations bancaires de la branche suissedHSBC, la plus grosse banque dEurope, a provoqu unenorme leve de boucliers en 2015, et le secret bancaire estrevenu sur le devant de la scne publique.

    Ce que les rvlations dites Swissleaks ont mis enlumire cest un systme bancaire construit sur le principede la dissimulation et du secret absolu. Le tableau 1 montreque parmi les comptes cachs rvls par le scandale, 50000 comptes bancaires comptant pour plus 51 milliards

    Tableau 1 : Swissleaks et les pays en dveloppement les

    chiffres

    Montanttotal en

    milliardsdeuros 91

    Nb decomptes

    bancaires

    Nb declients

    Total pour

    les pays en

    dveloppement

    51,573 50,071 37,845

    Source : calculs Eurodad sur la base des donnes ICIJ. Ces donnesproviennent de la divulgation des comptes bancaires de la branche suissede HSBC, datant principalement de la priode 200620 07. Il est noter que33 pays en dveloppement ne sont pas couverts par la base de donnesSwissleaks.

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    deuros89taient lis aux pays en dveloppement. En raction

    au scandale Swissleaks, un conomiste suisse a dclar : Il est choquant de constater que dnormes banques, tellesquHSBC, ont cr un systme permettant de gnrer degigantesques profits aux dpens des citoyens ordinaires les

    plus pauvres, pire encore en aidant de nombreux millionnaires,africains notamment, chapper limpt, tout cela audtriment dune population dj trs pauvre .90

    Les informations rvles par Swissleaks concernent uneseule banque dans un seul pays, et ne font que donnerune ide de lampleur dun problme bien plus vaste. Onestime 1,85 trillions deuros95les actifs dtenus offshorepar des individus vivant en Asie, en Amrique Latine et en

    Afrique, ce qui quivaut des pertes fiscales excdant les52 milliards deuros.96De nombreux indices montrent quelimpact de ce problme est plus important dans les pays endveloppement que dans les pays dvelopps97: en effet si10% de la richesse financire de lEurope est dtenue dansdes comptes offshore, cette proportion est de 30% pour larichesse financire de l Afrique.98

    Pour mettre un terme aux effets ngatifs du secret bancairesur leurs propres assiettes fiscales, les pays dvelopps sesont mis daccord pour changer de manire automatiquedes informations bancaires. Au sein de l UE, ces changesse feront dans le cadre de la Directive dite de CooprationAdministrative (DAC), et dbuteront partir de 2017.99Unsystme similaire dchange est en train dtre dvelopp lchelle mondiale par lOCDE et le G20.100

    Ces volutions permettront damliorer considrablement lasituation actuelle, en rendant beaucoup plus difficiles, dans

    les pays qui participeront ces changes, la dissimulationde fonds sur les comptes bancaires. Toutefois, en raisonde la manire dont le systme a t conu, la plupart despays en dveloppement ne pourront probablement pas enbnficier.102

    Au milieu de lanne 2014, lOCDE a labor une feuille deroute dont lobjectif est de permettre, terme, dinclureles pays en dveloppement dans ce systme dchangeautomatique dinformations bancaires. Mais la question desavoir si les pays en dveloppement pourront faire partieintgrante de ce systme dchange nest pas rgle car leG20 insiste sur le principe de rciprocit : cest--dire que

    les pays nchangent des informations avec dautres paysque si ces derniers sont en mesure de leur transmettregalement des informations.

    Tout dabord, il nest tout simplement pas possible pourles pays en dveloppement qui ont des capacits limitesde rpondre cette exigence. Ensuite, les changes qui enrsulteraient ne seraient pas dun grand intrt pour lespays dvelopps, tant donn que les montants dtenus pardes individus trangers dans les comptes bancaires despays en dveloppement sont probablement insignifiants.103Enfin, mme si les pays en dveloppement investissaientdans les systmes et les formations ncessaires

    lchange automatique dinformations, il est peu probablequils recevraient les informations de la part du principalcentre offshore du monde, la Suisse. Le gouvernementsuisse a en effet dj annonc que la Suisse nchangerapas dinformations avec tous les pays du monde, et que lapriorit serait donne lchange dinformations avec lespays avec lesquels la Suisse entretient des liens troits surle plan politique et conomique, qui offrent leurs contribuablessuffisamment de moyens pour rgulariser leur situation, et quisont considrs comme importants et prometteurs au regard deleur potentiel pour lindustrie financire suisse .104

    Etant donn que les pays en dveloppement sont aujourdhui

    parfaitement conscients que lUE et les autres paysdvelopps ne les laisseront pas profiter des solutionsproposes pour lutter contre lvasion fiscale, certainsdentre eux sont tents de devenir eux-mmes des paradisfiscaux et de rcuprer ainsi une part des bnfices. LeKenya a ainsi annonc en avril 2015 tre proche de finaliserune lgislation qui pourrait transformer le pays en placefinancire internationale, sur le modle de la City deLondres.105

    1,85 trillions deuros :fonds dtenus offshore et provenant dAsie, dAmrique Latineet dAfrique, reprsentant une perte de revenus fiscaux de 52,6

    milliards deuros.101

    30 % :part de la richesse financire de l Afrique dtenue ltranger, correspondant 370 milliards deuros.93

    10 % :part de la richesse financire de lEurope dtenue ltranger, correspondant presque 2 trillions deuros.94

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    20 Rapport 50 nuances dvasion fiscale Novembre 2015

    3.2 Ne pas partager les informations relativesaux activits des multinationales avec les pays endveloppement

    Le manque de transparence est lorigine de nombreuxscandales dvasion fiscale impliquant des multinationales.Cest ce manque de transparence qui permet aux entreprisesde transfrer leurs bnfices partout dans le monde,sans avoir rendre des comptes. Une partie du problmerside dans le fait que les multinationales dclarent descomptes consolids, ce qui implique quelles ne donnentpas dinformations sur les impts quelles payent, lesbnfices quelles ralisent, leur chiffres daffaires et

    dautres informations essentielles dans chacun des payso elles sont prsentes. Elles dlivrent ces informations auniveau global et si ces chiffres agrgs peuvent tre utilespour avoir une vue densemble de lentreprise, ils rendentpratiquement impossible la dtection de toute planificationfiscale agressive ou de tout transfert artificiels de bnfices,qui peuvent se cacher derrire ces chiffres.

    Le reporting financier de McDonalds est un exemplede lopacit du systme de reporting financier actuel,et montre quel point il ne permet pas au public decomprendre les activits des multinationales. En 2015, unecoalition dorganisations non-gouvernementales (ONG)

    et de syndicats a montr que la chane de restaurationrapide pourrait avoir chapp un montant slevant 1milliards deuros dimpts en Europe au cours de la priode20092013. Elle aurait russi cet exploit en faisant transiterplus de 3,7 milliards deuros par une filiale au Luxembourg,employant seulement 13 salaris. Et sur ce chiffre daffairesde 3,7 milliards deuros, seulement 16 millions deurosdimpts ont t verss au Luxembourg. Ces informationsont t obtenues la suite dune recherche approfondie, caraucune de ces informations ntait contenue dans les bilansfinanciers publis par McDonalds. Dans ces bilans, il nest aucun moment fait mention de leur filiale au Luxembourg,

    malgr le rle crucial que celle-ci joue dans les activits delentreprise.107

    Le problme est encore plus important pour les pays endveloppement, qui, tant donn la taille rduite de leursmarchs, sont souvent regroups avec dautres pays ou

    3,7 milliards deurosLe chiffre daffaires de la filiale de McDonalds auLuxembourg (20092013).

    0:Nombre de fois o la filiale du Luxembourg est mentionnedans les bilians financiers de McDonalds.

    mme avec dautres rgions. Par exemple, un citoyendun pays africain aura beaucoup de difficults obtenirdes informations intressantes en consultant les bilansfinanciers de Coca Cola, tant donn que lentreprise nepublie dinformations pour aucun pays africain. En fait, ellene publie mme pas de donnes relatives lAfrique en tantque continent : elle agrge les donnes africaines cellesde lEurasie. Cet exemple est loin dtre isol et, bien sr,le fait quune entreprise consolide ses comptes nest pasune preuve dvasion fiscale, mais cela rend simplementimpossible de savoir o les entreprises exercent une activitet o elles payent leurs impts.

    Le reporting pays par pays public contribuerait grandement contrer le problme des comptes consolids, tant donnque les multinationales seraient tenues de fournir desinformations sur leurs activits dans chacun des pays oelles sont implantes.

    Cette obligation de reporting pays par pays public existe djpour les banques europennes depuis une directive de lUEadopte en 2013 (voir Encadr 8). Ces formats publics dereporting pays par pays sont beaucoup plus adapts aux paysen dveloppement que les formats confidentiels proposspar lOCDE car cela garantirait leur accs aux citoyenscomme aux autorits fiscales des pays en dveloppement.

    La Commission europenne ralise actuellement unetude dimpact qui doit venir laider dcider si oui, ounon, le reporting pays par pays public pourrait tre renduobligatoire, au niveau europen, pour tous les secteursdactivits, et pas uniquement pour le secteur bancaire. Maiscomme dans le pass, certains pays membres ont exprimde fortes rticences lgard de cette mesure, il est fortprobable quils la bloquent nouveau alors mme que celareprsenterait un progrs considrable pour les pays endveloppement.109

    Si les informations du reporting pays par pays sontuniquement transmises au pays du sige de lamultinationale, comme le propose linitiative BEPS delOCDE, il est peu probable que ces informations soientlargement partages, notamment avec les pays endveloppement, qui ont pourtant particulirement besoindavoir accs ces informations (voir chapitre 3.1 changeautomatique dinformation- sur les problmes rencontrspar les pays en dveloppement dans le cadre des changesdinformations fiscales.)

    Les recommandations de lOCDE concernant le reportingpays par pays comportent une limite supplmentairecar cette obligation de reporting ne sapplique quauxtrs grandes entreprises, qui ont un chiffre daffairesannuel consolid suprieur 750 millions deuros. LeParlement europen a fait une proposition118qui tendraitcette obligation de reporting pays par pays aux grandesentreprises telles quelles sont dfinies dans une autredirective europenne.119

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    Rapport 50 nua nces dvasion fiscale Novembre 2015 21

    Encadr 7

    la reporting pays par pays public au sein delUE : les enseignements du secteur financier

    La Directive Europenne sur les exigences de fondspropres IV a introduit en 2013 lobligation pour lesbanques bases au sein de lUE de rendre publiquesdes informations financires pays par pays. Enutilisant les donnes disponibles pour 26 banqueseuropennes , lexpert comptable Richard Murphy amontr que ces donnes publiques permettrait de

    faire une analyse du risque de pratiques de transfertsde bnfices et drosion de la base fiscale desbanques. Deux rsultats importants manent de cetteanalyse :

    Premirement, des pratiques de transferts debnfices dans des juridictions offshore et faible fiscalit semblent tre une ralit,112ce quignre potentiellement une rosion de la basedimposition dans dautres pays

    Deuximement les principales juridictions danslesquelles ces pratiquent semblent avoir lieusont, en gnral, celles quil dsigne sous le nom

    de usual suspects les suspects habituels .Les cinq principales juridictions pour lesquellesil existe des indications de sur-dclarationsde profits sont les Etats-Unis, la Belgique, leLuxembourg, lIrlande et Singapour.113

    Lanalyse des informations nouvellement publiesmontre galement comment le reporting pays parpays public contribue mettre en lumire ce qui sepasse dans les pays en dveloppement. Par exemple,en 2012, Barclays publiait ses comptes de manireconsolide, ce qui rendait impossible davoir desinformations sur ses activits dans les pays endveloppement. Aujourdhui, les comptes publis parla banque permettent aux lecteurs dapprendre, parexemple, quen 2014, 30 salaris ont gnr un chiffredaffaires de 744,36 millions deuros114au Luxembourg,o lentreprise a pay 4,9 millions deuros115dimpt,alors quau Kenya, la banque, employant 2 853salaris, a gnr un chiffre daffaire de presque200 millions de livres, et lentreprise na pay que 37millions deuros116au titre de limpt.117

    Source : calculs Eurodad 120

    Tableau 2 : nombre dentreprises cotes qui serait obliges

    de fournir un reporting pays par pays selon le seuil BEPS de

    lOCDE et selon le seuil propos par le Parlement europen

    PaysEn prenant en

    compte le seuilBEPS de l OCDE

    En prenant encompte le seuil

    propos parle Parlement

    europen

    Belgique 28 85

    RpubliqueTchque

    3 6

    Danemark 26 72

    France 154 418

    Allemagne 138 442

    Hongrie 3 14

    Irlande 36 61

    Italie 69 195

    Luxembourg 26 54

    Pays-Bas 61 110

    Pologne 29 237

    Slovnie 6 27

    Espagne 48 108

    Sude 57 223

    Royaume-Uni 262 778

    EU 28 1,053 3,396

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    22 Rapport 50 nuances dvasion fiscale Novembre 2015

    Source : Rapport UNCTAD sur les investissements mondiaux, 2015

    Figure 1: part des investissements des entreprises dans les conomies en

    dveloppement et passant par les entits ad-hoc (en pourcentage), 20002012

    Source: UNCTAD. (2015). Rapport sur lesinvestissements mondiaux.132

    0

    2

    4

    6

    8

    10

    12

    2000-2004 (average)

    2005-2009 (average)

    2010-2012

    (average)

    3.3 Les socits botes aux lettresLes socits botes aux lettres, ou entits ad-hoc, sont desentits juridiques construites pour rpondre un besoinprcis et spcifique. Elles ont habituellement peu ou pasde salaris et peu de substance conomique, mais ellessont souvent capables de grer de grandes quantits defonds, en raison des traitements fiscaux favorables quileurs sont accords dans de nombreux pays. Alors quele taux dimposition sur les entreprises est denviron 29% au Luxembourg, par exemple, les clbres socitsbotes aux lettres qui y sont installes sont uniquementassujetties un taux qui va de 0,01 % 0,05 % des actifs de

    lentreprise.121Comme la soulign lUNCTAD en 2013 : les efforts internationaux se sont concentrs principalementsur [les places financires offshore], mais les entits ad-hocsont un phnomne de bien plus grande envergure .122Lessocits botes aux lettres peuvent tre gres par ceux quelon nomme prestataires de ser vices aux socits et auxtrusts . Le Groupe dAction Financire (GAFI) dfinit cesprestataires comme tant toutes les personnes et entitsqui, sur une base professionnelle, participent la cration,

    Comme lillustre le tableau 2, avec le seuil propos parBEPS, un nombre beaucoup plus faible dentreprisesseraient concernes par cette obligation quavec le seuilpropos par le Parlement (quatre fois moins). Il faut noterque les chiffres du tableau 2 sont simplement indicatifs, carils ne concernent que les entreprises cotes, alors que lesseuils proposs par lOCDE comme ceux proposs par leParlement sappliqueront aussi aux entreprises non cotes.

    Avec le processus BEPS qui met mal les progrsconcernant le reporting pays par pays pour les pays endveloppement, il revient dsormais lUE et ses Etatsmembres de rsister et de raffirmer que la dcision de

    rendre public le reporting pays par pays pour le secteurbancaire tait la bonne, et dinsister pour que le reportingpays par pays public soit obligatoire pour lensembledes secteurs conomiques, pour un groupe plus largedentreprises que celui concern par le seuil BEPS, afin quetous les pays du monde puissent en bnficier.

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    Rapport 50 nua nces dvasion fiscale Novembre 2015 23

    Tableau 3 : part des stocks dinvestissements dentreprise

    provenant des entits ad-hoc

    Part des stocksdinvestissementsdes entreprises quitransitent par desentits ad-hoc (%)

    Monde 19

    Economies dveloppes 26

    - Europe 32

    Economies en Dveloppement 9

    - Afrique 12

    - Asie en dveloppement129 6

    - Amrique Latine & Carabes 19

    Economies en transition130 19

    ladministration et la gestion des trusts ou dautres structuresdentreprises.123Les recherches menes par les autoritset les journalistes ont dmontr que ces prestataires deservices aident les entreprises chapper limpt, voire frauder.124Ces socits botes aux lettres peuvent mmetre utilises pour des activits de blanchiment dargent,125etau moins aux Pays-Bas, nombre dentre elles ne sont pas enpossession de suff isamment dinformations concernant lesrisques lis leurs clients.126

    LEurope est une place importante dans le transit desinvestissements par le biais de socits botes aux lettres.Par exemple, le Luxembourg et les Pays Bas reprsentent

    eux deux environ un quart des stocks mondiauxdInvestissements Direct Etrangers (IDE). Le Luxembourgreprsente lui seul 54% de tous les investissementssortants de lEurope.127Dautres pays europens, telsque lAutriche, Chypre, la Hongrie et lEspagne disposentgalement de rgimes attractifs pour les entits ad-hoc.128

    Comme le montre le Tableau 3 (part des stocksdinvestissements des entreprises qui transitent par des

    Figure 2: flux dinvestissements transitant par des paradis fiscaux (en anglais

    tax havens, TH) et par des entits ad-hoc (en anglais special purpose entities,

    SPE), par rgion, 2012

    Special purpose entities (SPE)

    Tax havens (TH)

    Source : CNUCED. (2015). Rapport sur les

    investissements mondiaux. Pour la liste des paysconsidrs par la CNUCED comme des paradisfiscaux, voir p. 214, dernire note n9 du rapport.1340%

    10%

    20%

    30%

    40%

    50%

    60%

    Developedeconomies

    Developingeconomies

    Africa DevelopingAsia

    Latin America& Caribbean

    Transitioneconomies

    Source : Rapport UNCTAD sur les investissements mondiaux, 2015131

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    24 Rapport 5 0 nuances dvasion fiscale Novembre 2015

    12:nombre de pays de lUE ayant mis en place un rgime fiscalfavorable aux brevets, ou prvoyant de le faire.

    6:nombre de ces rgimes ayant t introduits au cours descinq dernires annes.135

    Source : Commission Europenne (2014) &Commission Europenne (2015).

    LItalie vient seulement dintroduire son rgimefiscal favorable aux brevets en aot 2015. En 2015,le taux qui sera appliqu aux revenus des brevetsreprsente 30% du taux normal dimpt sur lessocits (IS) et en 2016 40% de lIS. A partir de2017, le taux sera de 50% de lIS, qui est de 15,7%comme prsent dans le graphique.

    Malte ne collecte aucun impt sur les revenusde la proprit intellectuelle dans le cadre deson rgime fiscal favorable aux brevets, ce quiexplique pourquoi le taux dimposition nest pasvisible sur le schma.

    LIrlande a eu une patent box jusquen 2010,et a annonc son intention de la rintroduiredans son budget de 2016. CE nouveau rgime connu en Irlande sous le nom de rgime dedveloppement de la connaissance devraitproposer un taux dimposition de 6.25%.144

    taux dimposition effectif sur la basedes revenus des brevets dans le cadrede la patent box

    taux dimposition sur lesbnfices des entreprises

    0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40%

    Figure 3 : Taux dimpts sur les socits des entreprises compars aux taux des

    patent boxes (entre parenthse, anne dadoption de la patent box)

    Italy (2015)

    Portugal (2014)

    France (1971)

    Spain (2008)

    Hungary (2003)

    United Kingdom (2013)

    Belgium (2007)

    Luxembourg (2008)

    Netherlands (2007)

    Cyprus (2012)

    Malta (2010)

    entits ad-hoc), au niveau mondial, 19% des investissementsdes entreprises transitent par des entits ad-hoc. LEuropeest une des rgions du monde pour laquelle cette proportionest la plus leve. Ces socits botes aux lettres jouentgalement un rle important dans les investissements versles pays en dveloppement, bien que la part soit plus faiblepour ce groupe de pays que pour les pays dvelopps, avec9% dinvestissements transitant par des entits ad-hoc.

    Cependant, et de manire inquitante, le pourcentagedinvestissements vers les pays en dveloppement transitantpar les entits ad-hoc est en augmentation constante depuislan 2000 (voir Figure 1).

    Etant donn que lEurope est un centre mondialdinvestissements lis aux entits ad-hoc, et que ces entitssont souvent utilises afin de pratiquer lvasion fiscale133,lUnion Europenne a une responsabilit particulire dans larecherche de solutions aux effets ngatifs que cela induit surles bases fiscales des pays en dveloppement.

    3.4 Rgimes fiscaux prfrentiels pour les revenusissus de la proprit intellectuelle (Patent boxes)

    Un rgime fiscal prfrentiel pour les revenus issus dela proprit intellectuelle, que lon appelle en anglaisles patent boxes, est comme son nom lindique, uneforme dincitation fiscale qui accorde un traitement fiscal

    Les rgimes fiscaux prfrentielspour les revenus issus de la propritintellectuelle semblent moinsstimuler linnovation que favoriserla dlocalisation des revenus delentreprise Commission europenne139

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    Rapport 50 nu ances dvasion fiscale Novembre 2015 25

    prfrentiel sur les revenus de la proprit intellectuelle(PI).136Ces rgimes sont de plus en plus rpandus ausein de lUE, et le Royaume-Uni, la Belgique, lEspagne,le Portugal, la France, lIrlande, lItalie, les Pays-Bas,le Luxembourg, Malte, Chypre et la Hongrie ont plus oumoins rcemment adopt ou annonc la mise en place decette forme dincitation fiscale.137Dans une tude rcentela Commission europenne a quant elle a soulign queces rgimes fiscaux prfrentiels offrent de multiples

    possibilits de planification fiscale pour les entreprises tantdonn la facilit pour les entreprises dallouer une grandeproportion de leurs bnfices leurs brevets, transfrantainsi les bnfices par-del les frontires, loin du lieu dela production et dans un pays o les rgimes prfrentielspermettent de ne payer que trs peu dimpts sur lesrevenus.

    Dans une analyse statistique des impacts de ces rgimesspcifiques au sein de lUE, publie en 2015, la Commissionindique que ces rgimes ne permettent pas de favoriserlinnovation, mais que les chiffres montrent que dansla majorit des cas, lexistence dun rgime fiscal favorableaux revenus tirs de la proprit intellectuelle incite lesmultinationales transfrer le lieu denregistrement de leursbrevets sans augmenter pour autant le nombre de crateursou transfrer les activits de recherche . Ce qui amne laconclusion vidente que les impacts de ces rgimes sont

    principalement de nature fiscale .138

    Il faut noter que la prolifration de ces rgimes en Europeest remarque ltranger. Un contributeur de linfluentmagazine Forbes a crit dans un article intitul LIrlandeet le Royaume-Uni se dotent dune patent box, pourquoi pasles Etats Unis ? , que ces patent boxes peuvent rduirede manire significative lassiette dimposition relle duneentreprise , ce qui reprsente pour les entreprises unevritable aubaine . Il recommande ensuite aux dcideursamricains de sinspirer du leadership de lEurope sur laquestion et conclut larticle par la question suivante : quya-t-il que lon pourrait ne pas apprcier [dans ces rgimes]?140 Il semble que ces appels ont t entendus, tant donnquun soutien des deux partis amricains cette mesure at exprim au Congrs amricain en mai 2015. En ce quiconcerne la justice fiscale, ces rgimes soulvent pourtantune srie de questions srieuses.

    Les patent boxes posent le risque de voir les pays endveloppement utiliss comme des plateformes deproduction do les bnfices sont transfrs vers lesrgimes fiscaux favorables aux brevets situs dans les paysdvelopps.145Laccord obtenu dans le cadre du projet BEPS

    en 2015 na pas permis dabolir ces rgimes fiscaux (voirchapitre 1.3). Les inquitudes restent donc plus que jamaisjustifies.

    3.5 Conventions fiscalesEn 2015, les Nations unies ont reconnu que si lesconventions fiscales taient conues pour viter ou

    pour attnuer les effets de la double imposition , elles ontfinalement men, dans de nombreuses circonstances, une double non-imposition .146Il sagit dun rel dangerpour les pays en dveloppement, ce qui a nouveau tdmontr par un rapport d ActionAid en 2015 qui expliquela manire dont une entreprise minire australienne, ayantdes activits au Malawi, a russi rduire ses contributionsfiscales en finanant ses investissements par le biais desPays-Bas. Elle aura ainsi pu bnficier dun taux de retenue

    la source de zro, conformment aux dispositions duneconvention fiscale entre le Malawi et les Pays-Bas (voirencadr 9).147Afin dviter que les entreprises crent desfiliales dans certaines juridictions avec pour unique butde pouvoir profiter dune convention (phnomne appel treaty shopping), il est vital que les conventions passesavec les pays en dveloppement contiennent une clauseanti-abus.148Cependant, en dnonant les ef fets ngatifsdes taux rduits de retenue la source le rapport ActionAiddmontre, que le simple fait dadopter des mesures anti-abus ne suffit pas protger lassiette fiscale dun pays.

    De nombreuses conventions fiscales sont bases sur le

    modle de lOCDE, ce qui augmente les problmes lis auxconventions fiscales pour les pays en dveloppement.149Le dfi, pour les pays en dveloppement, tient au fait quensignant une convention de type OCDE, ils cdent une partiede leurs droits taxer les investissements trangers lasource, savoir dans leur pays. Le modle des Nationsunies octroie quant lui gnralement plus de droits taxeraux pays en dveloppement.150

    Au-del des dfis lis au treaty shopping et larpartition des droits taxer, les conventions fiscalespeuvent amputer lassiette fiscale des pays en

    linitiative de ngocierune convention de doubleimposition vient desmultinationales a dclar un fonctionnaire du march communpour lAfrique orientale et australe (COMESA)151

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    26 Rapport 50 nuances dvasion fiscale Novembre 2015

    Tableau 4: La diffrence entre les taux de retenue la source dans le modle de conventions fiscales de lOCDE et dans celuides Nations unies

    Taux de retenue la source

    maximal sur les dividendes

    Taux de retenue la source

    maximal sur les intrts

    Taux de retenue la source

    maximal sur les redevances

    Convention selon le

    modle de lOCDE5 15 %* 10 %

    Pas de taux de retenue lasource pour les redevances

    Convention selon le

    modle des Nations uniesPas de seuil maximum Pas de seuil maximum Pas de seuil maximum

    Source: ActionAid153*le taux le plus bas de retenue la source sapplique aux dividendes payes une entreprise trangre par une filiale dans le pays source quelle dtient plusde 25%.

    Luxembourg

    Poland

    Ireland

    Belgium

    Italy

    Hungary

    Slovenia

    Average

    France

    Czech Republic

    Denmark

    Netherlands

    Germany

    Sweden

    United Kingdom

    Spain

    Source : calculs Eurodad

    La rduction moyenne du taux inclut l es retenues la source de quatre catgories de revenus :les redevances, les intrts, les dividendes surles entreprises et sur les entreprises qualifies.Elle ne comprend pas les taux dimposition l isaux frais de services ou de gestion, en raisondu manque de donnes. La rduction moyennede taux entre les pays europens concerns parce rapport et les pays en dveloppement faitrfrence la diffrence entre les taux convenusdans les conventions, et les taux officiels envigueur dans les pays en dveloppement pourles quatre catgories de revenus. Le chiffreconcernant la rduction moyenne est unemoyenne non pondre des rductions de

    lensemble des 15 pays europens concerns parce rapport.

    Figure 4 : Rduction moyenne des taux de retenue la source dans le cadre

    des conventions fiscales passes entre 15 Etats membres de lUE et les pays en

    dveloppement

    0% 1% 2% 3% 4% 5% 6%

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    Rapport 5 0 nuances dvasion fiscale Novembre 2015 27

    dveloppement en rduisant les taux de retenue lasource. Ces taux sont souvent rduits dans le cadre dengociations entre les gouvernements. Dans un rapport de2015, les Nations unies indiquent que beaucoup de pays endveloppement dots de peu de capacits de collecte de limptse sont vu imposer des limites au recours un mcanisme decollecte de limpt relativement efficace (la retenue la source)via des conventions fiscales. Le tableau 4 montre que ceproblme est l encore li au modle de lOCDE, qui imposegnralement des taux maximum faibles pour