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Garan, Ranavalona III et Mohammed Ben Youssef Viaggiatori. Circolazioni scambi ed esilio, Anno 1, Numero 2, marzo 2018 ISSN 2532-7623 (online) – ISSN 2532–7364 (stampa) 242 Ranavalona III et Mohammed Ben Youssef : deux exils en effet de miroir dans l’Empire colonial français di Frédéric GARAN Université de la Réunion DOI 10.26337/2532-7623/GARAN Riassunto : Gli esili di Ranavalona III e di Mohammed V sembrano essere due facce della stessa medaglia. La prima passa dal Madagascar al Maghreb, mentre il secondo compie cinquant’anni più tardi un percorso simile ma in direzione opposta. Ma se Mohammed esce trionfante dall’esilio, Ranavalona III incarna invece una monarchia Merina schiacciata dal colonizzatore. L’esilio di Mohammed V è spesso evocato, quello di Ranavalona III di meno, al punto da farlo cadere nell’oblio dopo la conquista del Madagascar e l’abo- lizione della monarchia. Tuttavia, in entrambi i casi, il quotidiano, e soprat- tutto le condizioni materiali imposte dalla Francia, sono spesso ignorate. Abstract : The exiles of Ranavalona III and Mohammed V seem to respond by mirror effect. The one goes from Madagascar to the Maghreb, when the second makes a similar journey 50 years later in the opposite direction. But, if Mohammed V comes out triumphant of the exile, Ranavalona III embodies a merina monarchy crushed by the colonizer. If the use of symbolic exile at the beginning of the twentieth century the power of the colonial empire, half a century later, it represents only an anachronistic and breathless system. Mohammed V's exile is often mentioned. The one of Ranavalona III much less so, as the queen fell into oblivion after the conquest of Madagascar and the abolition of the monarchy. However, in both cases, daily life, and espe- cially the material conditions imposed by France, are often ignored. It is these two exiles that we will follow in parallel. Keywords : Madagascar, Morocco, Mohammed V, Ranavalona III, French Colonial Empire

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Garan, Ranavalona III et Mohammed Ben Youssef

Viaggiatori. Circolazioni scambi ed esilio, Anno 1, Numero 2, marzo 2018 ISSN 2532-7623 (online) – ISSN 2532–7364 (stampa)

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Ranavalona III et Mohammed Ben Youssef : deux exils en effet de miroir dans l’Empire colonial français di Frédéric GARAN Université de la Réunion

DOI 10.26337/2532-7623/GARAN

Riassunto : Gli esili di Ranavalona III e di Mohammed V sembrano essere due facce della stessa medaglia. La prima passa dal Madagascar al Maghreb, mentre il secondo compie cinquant’anni più tardi un percorso simile ma in direzione opposta. Ma se Mohammed esce trionfante dall’esilio, Ranavalona III incarna invece una monarchia Merina schiacciata dal colonizzatore. L’esilio di Mohammed V è spesso evocato, quello di Ranavalona III di meno, al punto da farlo cadere nell’oblio dopo la conquista del Madagascar e l’abo-lizione della monarchia. Tuttavia, in entrambi i casi, il quotidiano, e soprat-tutto le condizioni materiali imposte dalla Francia, sono spesso ignorate. Abstract : The exiles of Ranavalona III and Mohammed V seem to respond by mirror effect. The one goes from Madagascar to the Maghreb, when the second makes a similar journey 50 years later in the opposite direction. But, if Mohammed V comes out triumphant of the exile, Ranavalona III embodies a merina monarchy crushed by the colonizer. If the use of symbolic exile at the beginning of the twentieth century the power of the colonial empire, half a century later, it represents only an anachronistic and breathless system. Mohammed V's exile is often mentioned. The one of Ranavalona III much less so, as the queen fell into oblivion after the conquest of Madagascar and the abolition of the monarchy. However, in both cases, daily life, and espe-cially the material conditions imposed by France, are often ignored. It is these two exiles that we will follow in parallel. Keywords : Madagascar, Morocco, Mohammed V, Ranavalona III, French Colonial Empire

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Sommario: Introduction – Toujours plus loin… L’éloignement géographique, un élément essentiel – Isoler politiquement – Les conditions du retour – Con-clusion Saggio ricevuto in data 31 luglio 2017. Versione definitiva ricevuta in data 19 dicembre 2017 Introduction

Après la conquête de Madagascar…, les Colonialistes français ont aboli leur pacte avec Ranavalona III en l’expatriant à la Réunion dans le courant du mois de Janvier 1897… Et voilà qu’actuellement, après 57 ans de cet acte d’infériorité, ce bouleversant événement se renouvelle dans la destitution du Sultan Sidi Ben Youssef du Maroc. Maintenant, il est chez nous en exil avec ses femmes et enfants, destitué de son trône royal et éloigné de sa patrie dans le but de museler le peuple marocain de revendiquer leur liberté et leur indé-pendance […]. Cet état de choses nous rappelle les douloureux événements survenus à Madagascar en 1947 mais n’allons pas secouer la boue qui dort. L’indépendance nationale est une œuvre commune de tout le peuple. A l’heure actuelle, le peuple marocain est justement dans ce rude labeur, mais malgré les maintes entraves suscitées par les Impérialistes-colonialistes-fas-cistes, il parviendra à bout coûte que coûte1.

Le rapprochement opéré par le journal nationaliste mal-

gache Lalam-Baovao entre l’exil de la reine Ranavalona III et celui du sultan Mohammed Ben Youssef semble aller de soi. Il y a des similitudes géographiques. La reine, après avoir séjourné à La Réunion, est finalement envoyée en Algérie. Le sultan fait un voyage comparable dans l’autre sens. Après être passé par la Corse, il finit à Antsirabe, petite ville thermale malgache.

Dans les deux cas, il s’agit de monarques théoriquement couverts par des accords de Protectorat unilatéralement violés du

1 Traduction par la police de Majunga d’un article du Lalam-Baovao n°43 du 5 février 1954. ANOM Madagascar pm266.

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fait de véritables complots ourdis par les résidents généraux re-présentant la France. Mais, au-delà de ces éléments pouvant per-mettre d’écrire des histoires parallèles, les époques ne sont plus les mêmes. L’exil de Ranavalona III intervient après la conquête de la Grande Île, dans le cadre d’un colonialisme triomphant. Celui de Mohammed V se déroule au moment où la France cherche à maintenir son influence au Maroc, dans les affres de la décolonisation du Maghreb2. Ainsi, il est troublant que malgré des contextes très différents, la méthode semble être toujours la même…

Nous suivrons ces deux exils en parallèle. Il conviendra

tout d’abord de mettre en évidence la nécessité pour la France de contraindre ces deux monarques à un exil lointain. Cet isolement structure la vie de l’exilé, toujours en quête de contacts avec son pays : Des contacts qui seront finalement assez intenses pour le sultan du Maroc, illusoires pour la reine de Madagascar. Nous terminerons sur les modalités du retour, triomphal pour Moham-med V, ou orchestré à des fins de propagande par le colonisateur, pour les cendres de Ranavalona III.

2 La crise marocaine est très suivie par la presse coloniale à Madagascar (Tana Journal ; France-Madagascar), entre août 1953 et novembre 1955. Le choc de 1947 n’est pas loin, et les Français de Madagascar projettent leurs angois-ses sur les événements du Maroc. Pour plus de détails, voir F. GARAN, Mo-hammed V à Madagascar, histoire d’un exil (titre provisoire), en attente de publication chez Vendémiaire (collection Empires).

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Toujours plus loin… L’éloignement géographique, un élé-ment essentiel

Les monarques auxquels nous nous attachons sont tous

deux victimes d’un véritable complot colonial3. Couronnée en pleine guerre franco-malgache en 1883, le

règne de Ranavalona III s’inscrit intégralement dans le contexte des tensions avec la France. Le pouvoir réel est, depuis 1865, entre les mains du Premier ministre Rainilaiarivony qui épouse la jeune reine. En décembre 1885, l’issue de cette guerre voit la mise en place d’un « protectorat fantôme »4. Les tensions perpé-tuelles entre le Premier ministre et les résidents français sont à l’origine d’une nouvelle expédition qui aboutit à la prise de Ta-nanarive par les troupes du général Duchesne, le 30 septembre 1895. Un nouveau traité de Protectorat est imposé et Rainilaia-rivony est envoyé en exil en Algérie. Malade, il meurt à Alger quelques mois plus tard, en juillet 1896.

A Tananarive, le Résident Général Laroche tente de faire fonctionner le nouveau protectorat, mais il est confronté à la ré-volte Menalamba5. Les militaires reprochent à Laroche son in-dulgence envers Ranavalona III en qui ils voient, à tort, l’âme de la révolte. C’est dans ce contexte que Gallieni est nommé en remplacement de Laroche. En violation du traité de protectorat,

3 Nous reprenons ici le titre de l’ouvrage de S. ELLIS, Un complot colonial à Madagascar. L’affaire Rainandriamampandry, Ambozontany, Karthala-Ed, 1990. Ellis établit la volonté de Gallieni d’éliminer physiquement, pour l’exemple, deux notables merina, ce qui permet d’écarter la reine et de pro-clamer Madagascar « colonie ». 4 H. DESCHAMPS, Histoire de Madagascar, Paris, Berger-Levrault, 1960, pp 182-189. 5 Voir S. ELLIS, L’insurrection des menalamba, une révolte à Madagascar (1895-1896), Paris, Karthala, 1998.

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Gallieni impose la loi d’annexion du 6 août 1896, qui fait de Ma-dagascar une colonie. La monarchie est dès lors en sursis. Crai-gnant que l’insurrection ne cristallise en s’appuyant sur le nom de la reine, et bien que celle-ci ne joue aucun rôle, Gallieni es-time le départ de cette dernière nécessaire. Elle doit quitter nui-tamment Tananarive le 28 février 1897. Le 14 mars, l’arrivée sur l’île voisine est difficile, la reine devant faire face à l’hostilité de la population qui la considère « comme responsable de tout le sang versé, […] la guerre malgache [ayant] coûté la vie à nombre de volontaires de La Réunion »6.

Le lendemain de l’arrivée à Saint-Denis, naissait la petite princesse Marie-Louise, fille de la nièce de la reine. Cet événe-ment n’est pas anecdotique (nous pouvons d’ailleurs le mettre en parallèle avec la naissance de la petite lala Amina, fille de Mo-hammed V). Cette naissance est symboliquement l’occasion d’opérer un rapprochement avec la France, le lieutenant Durand, qui a escorté la reine depuis Tananarive, étant choisi comme par-rain. Source de joie, cette naissance porte aussi un drame, la mère de la petite Marie-Louise décédant des suites de l’accou-chement. Dès lors, la reine apparait comme la mère de la jeune princesse, qui est omniprésente sur les photographies. S’occuper de cette enfant était certainement un moyen de supporter cet exil difficile. C’est pour la propagande coloniale l’occasion de chan-ger l’image de la reine. Plus qu’une reine en exil, elle devient une mère, une femme. Il y a une sorte de normalisation de son

6 G. BABIN, L’enlèvement de Ranavalo, «L’Illustration», 3040 (1901). Cet article, écrit à l’occasion de sa venue à Paris, présente la reine de manière plutôt positive, tout en validant l’analyse de Gallieni quant à la situation à Madagascar au moment du départ en exil. Si les Réunionnais ont effective-ment participé aux opérations sur la Grande Île, ils sont loin d’en être l’élément principal. Les pertes furent très lourdes au sein du corps expédition-naire, mais surtout du fait des maladies plutôt que des combats.

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image par la vie domestique, qui permet de faire disparaitre pra-tiquement toute référence aux activités politiques passées. Tout est en place pour faire que l’ancienne souveraine devienne aux yeux des Français une reine d’opérette, ce qui sera le cas, presque au sens propre du terme, avec l’épisode d’Arcachon.

Malgré tout, la reine trouve dans la petite maison qu’on lui a attribuée à Saint-Denis une certaine sérénité. Ce n’est pas le cas de Gallieni qui, depuis Madagascar, continue à voir en Ra-navalona un danger potentiel. Il semble que pour être efficace l’exil se doive d’être lointain, et par la même occasion, définitif. Profitant de la crise de Fachoda, le gouverneur général reprend l’offensive contre la reine. Le 1er novembre 1898, il contacte le ministère des Colonies : « Je demanderai, en cas de guerre, que Ranavalo soit immédiatement éloignée de La Réunion, car son retour à Madagascar serait [le] signal [d’un] soulèvement géné-ral »7. Certes la reine est encore populaire à Madagascar, et la politique qu’avait menée son Premier ministre pouvait être qua-lifiée de pro-anglaise mais, en cette fin d’année 1898, il n’y a plus de danger. La ˮpacificationˮ a fait son œuvre et les révoltes ont été écrasées quasiment partout. Surtout, ces révoltes que l’on peut qualifier de nationalistes, sont sans le moindre lien avec l’Angleterre et la politique de l’ancien Premier ministre. Enfin, comment la reine pourrait-elle rentrer à Madagascar, sauf à ima-giner une très improbable opération anglaise sur La Réunion pour la délivrer. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, c’est ce chiffon rouge que Gallieni agite, laissant croire à son homo-

7 ANOM Série géographique Réunion, carton 414 d 4008 « Ranavalona à la Réunion », télégramme de Gallieni du 1er novembre 1898 (Merci à Claude Bavoux qui nous a transmis ce dossier).

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logue que c’est lui qui doit s’inquiéter de la présence de Rana-valona à La Réunion8. Il obtient ainsi satisfaction... Dès le 4 no-vembre, le ministère l’avait autorisé à préparer un éventuel dé-part et la décision tombe le 23 novembre 1898. Le ministre in-forme alors le gouverneur de La Réunion Que le Général Gallieni ayant appelé son attention sur le danger que pourrait présenter en cas de guerre la présence à la Réunion de la reine Ranavalo, j’ai autorisé le gouverneur de Madagascar à faire envoyer celle-ci dans une de nos autres possessions, dans le cas où son séjour à St-Denis occasionnerait des inquiétudes pour la sérénité et la défense de la Grande Île.9

Ce sera l’Algérie… On imagine la détresse de la reine en

apprenant qu’elle part pour le pays qui a déjà vu mourir son mari, le Premier ministre Rainilaiarivony. Elle quitte aussitôt La Réu-nion. Les instructions aux capitaines des navires sont formelles, pour ne « laisser Ranavalo communiquer aux diverses escales ni avec des Malgaches ni avec des personnalités de nationalité étrangère »10. Elle arrive à Marseille le 24 février 1899, avant de rejoindre Alger, où elle est installée « dans les conditions les plus favorables et les plus économiques possibles »11.

C’est une reine très affaiblie moralement et politiquement qui s’installe à Alger. Dans les mois qui suivent, Gallieni réalise un coup de maître : il autorise le retour des cendres de Rainilaia-rivony. Gallieni vient d’effectuer en métropole, de mai 1899 à juillet 1900, une tournée durant laquelle il a bien défendu les in-térêts de la colonie et obtenu un prêt pour la construction d’un

8 Ibidem, télégramme de Gallieni au Gouverneur de la Réunion, novembre 1898. 9 Ibidem, lettre du ministre au gouverneur de La Réunion, 23 novembre 1898. 10 ANOM, 6 (2) d 9, Instructions du ministère datées du 21 février 1899, cité par S. RANDRIANJA, Société et luttes anticoloniales à Madagascar (1896 à 1946), Paris, Karthala, 2001, p. 101. 11 Ibidem.

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chemin de fer. Il revient avec dans ses malles les trois premières automobiles qui circuleront à Madagascar. Dans un territoire maintenant calme, il peut pleinement incarner, dans le cadre de la mission civilisatrice, la modernité que la France apporte à Ma-dagascar. De plus, dans les semaines qui suivent son retour, il autorise que les restes mortels de Rainilairivony puissent re-joindre le tombeau familial12. Un rapatriement sans danger, l’an-cien Premier ministre n’étant pas spécialement populaire, mais qui permet au gouverneur général de s’installer dans la posture du père bienveillant pour la population malgache, attentif aux traditions, et sachant pardonner à ses anciens ennemis. Le dis-cours qu’il prononce lors de la cérémonie en octobre 1900 est très révélateur. Les choix politiques du Premier ministre sont vi-vement critiqués. La France n’a fait que défendre ses droits et, en exilant le vieux chef, elle s’est montrée « généreuse et clé-mente », lui offrant « une résidence princière » en Algérie, et le traitant « avec les plus grands égards »13. La suite est édifiante :

Et maintenant que la paix règne complètement dans l’île, le Gouvernement de la République voulut que Rainilaiarivony dormit son dernier sommeil sur la terre où il est né, dans le tombeau qu’il avait lui-même fait construire. Il a pris à sa charge tous les frais de transport des restes du Premier Ministre, et c’est le délégué de ce Gouvernement qui préside aujourd’hui à cette cérémo-nie, en présence des fonctionnaires civils et militaires de la Colonie et d’un grand nombre de colons. Et vous pouvez témoigner, Malgaches, des honneurs qui sont rendus à Rainilaiarivony, après sa mort.

Il n’est, du reste, pas un acte du Gouvernement de la République qui ne prouve que, si la France sait faire respecter ses droits quand il est nécessaire, elle sait également se montrer clémente après la victoire, et que, là où elle 12 Le convoi quitte Tamatave le 21 septembre 1900. Les cérémonies auront lieu au tombeau d’Isotry dès l’arrivée à Tananarive prévue le 5 octobre. Jour-nal officiel de Madagascar, 29 septembre 1900, p. 4823. 13 Discours du gouverneur général Gallieni, Journal officiel de Madagascar, 6 octobre 1900, pp. 4853 ss.

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plante son drapeau, elle cherche en même temps à implanter des idées de ci-vilisation et de progrès. Il y a un mois, vous assistiez à la mise en liberté des rebelles, auxquels leurs crimes eussent mérité la peine de mort. Nous nous étions contentés de les envoyer en exil à la Réunion, et nous venons de leur pardonner définiti-vement14.

Référence aux chefs menalamba exilés mais pas un mot

dans ce discours sur la reine qui vient d’être envoyée en Algérie. Ranavalona sait maintenant en son for intérieur, qu’elle ne re-verra jamais Madagascar de son vivant.

Un peu plus d’un demi-siècle plus tard, c’est également

d’un coup de force dont est victime le sultan du Maroc. Moham-med ben Youssef a pourtant été d’un loyalisme sans faille durant la Seconde Guerre mondiale, ce qui lui vaut d’être élevé au rang de Compagnon de la Libération par le général De Gaulle.

Les relations entre le Maghzen et la Résidence se dégra-dent après l’arrivée du général Juin qui considère que le sultan doit rentrer dans le rang15. Son départ en 1951 ne change rien puisqu’il impose le général Guillaume pour lui succéder, et con-tinue à tirer les ficelles au Maroc. L’objectif est de discréditer Mohammed V en s’appuyant sur Thami El Glaoui, Pacha de Marrakech, qui est supposé incarner l’intérêt de la France. Cette ligne politique que suit la Résidence conduit tout droit à la crise du 20 août 1953.

14 Ibidem. 15 Le sultan est le symbole de l’opposition à la puissance coloniale depuis le discours de Tanger, le 10 avril 1947. Pour une première approche du règne de Mohammed V, voir P. VERMEREN, Mohammed V, le père du Maroc indépendant, «L’Histoire» 307 (mars 2006), pp. 68-74. Voir également D. RIVET, Le Maroc, de Lyautey à Mohammed V, Paris, Denoël, 1999 ; ainsi que P. VERMEREN, L’Histoire du Maroc depuis l’indépendance, Paris, La Découverte, 2010.

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Avec le soutien du Président du Conseil Joseph Laniel, et surtout de son ministre des Affaires Étrangères, Georges Bidault, le complot mené par Guillaume a pour objectif d’obtenir l’abdi-cation de Mohammed V, en échange d’une retraite en France li-brement consentis, où il bénéficiera d’une haute considération.

Le prince Hassan est témoin du chantage qu’exerce le ré-sident général sur son père, en violation complète des principes du protectorat.

- Rien dans mes actes et mes paroles ne saurait justifier l’abandon d’une mis-sion dont je suis le dépositaire légitime. Si le gouvernement français consi-dère la défense de la liberté et du peuple comme un crime qui mérite châti-ment, je tiens cette défense pour une vertu digne d’honneur et de gloire… - Si vous n’abdiquez pas immédiatement de votre plein gré, j’ai mission de vous éloigner du pays afin que l’ordre soit maintenu. - Je suis le souverain légitime du Maroc. Jamais je ne trahirai la mission dont mon peuple confiant et fidèle m’a chargé. La France est forte, qu’elle agisse comme elle l’entend16.

Le sultan et ses deux fils sont alors conduits dans un avion

qui décolle pour une destination inconnue… Dès lors, c’est Ben Arafa, une créature du Pacha de Marrakech, qui devient pour la France le sultan légitime.

L’exil de Mohammed V commence, d’abord en Corse, à la grande stupéfaction du préfet qui doit l’accueillir en cette fin d’après-midi du 20 août 1953. Mohammed V pense que le pas-sage en Corse sera de courte durée. Il espère une installation ra-pide en France métropolitaine, où ses réseaux pourront jouer pour négocier avec le gouvernement français.

16 Témoignage d’Hassan II, cité par Ch. LAUVERNIER, Exil d’un roi à Mada-gascar, Mohammed V sultan du Maroc, mémoire de DEA, Université de La Réunion, 1994, p. 77.

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Le Comte Clauzel, ami du sultan et ancien conseiller ché-rifien17, est dépêché en Corse. Mohammed V lui fait part de ses protestations à transmettre à Georges Bidault, sans résultat. Vi-siblement, le gouvernement veut l’installer dans un exil contrai-gnant. C’est ce que constate le docteur Dubois-Roquebert, mé-decin personnel du sultan, qui le rejoint le 30 septembre.

A Zonza même, le fonctionnaire chargé de la surveillance de la Famille Royale et qui avait échangé ses fonctions de contrôleur civil au Maroc pour celles de geôlier, n’avait rien trouvé de mieux que d’éclairer, la nuit venue, les fenêtres de l’hôtel par de puissants projecteurs. Ce « jeu de lumière », assez sinistre, n’avait d’autre résultat que de gêner le sommeil de ceux qui s’y reposaient18.

Le sultan a cru que cette visite serait porteuse de bonne

nouvelle mais Dubois-Roquebert l’informe que l’optimisme n’est pas de mise et qu’aucun transfert en France n’est envisa-geable. Pire, le gouvernement actionne deux leviers pour faire pression sur celui qui est maintenant pour la France « l’ex-sul-tan ».

D’un côté, une campagne de presse dénonce le train de vie de Mohammed V et surévalue grossièrement sa fortune. On es-père que l’ancien sultan, afin d’obtenir un exil doré en métropole et surtout, par crainte de se voir dépossédé de ses biens, accep-tera d’abdiquer. D’autre part, le gouvernement français, prenant prétexte des tensions avec l’Espagne qui exerce le protectorat sur le nord du Maroc et qui conteste la déposition du Sultan, agite le

17 Le Comte Clauzel remplit les fonctions de Conseiller du Gouvernement chérifien, c’est-à-dire d’intermédiaire entre la Résidence générale et le Palais, d’août 1949 à octobre 1951. Jugé trop proche du Sultan, le général Juin de-manda son rappel à Paris. 18 H. DUBOIS-ROQUEBERT, Mohammed V, Hassan II, tel que je les ai connus, chapitre « L’exil à Zonza en Corse ». www.maroc-lodge.com/livre/Livre/in-dex.htm#top (Consulté en juin 2011).

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spectre d’une évasion afin de justifier la perspective d’un éloi-gnement plus radical.

En janvier 1954, Mohammed V veut voir le retour en Corse du Comte Clauzel comme un espoir. Il n’en est rien. Georges Bidault lui a confié la délicate tâche d’annoncer au sul-tan son départ pour un exil plus lointain,

En raison de l’agitation existant au Maroc et de la position prise en sa faveur par le Gouvernement espagnol [...] Il a protesté contre la mesure qui le frap-pait et contre le caractère inhumain d’une décision en vertu de laquelle sa famille était transportée d’un point à l’autre du globe comme un simple bétail. Il était injuste d’aggraver son sort sous prétexte d’une déclaration du Général Franco. L’enverrait-on au pôle sud, a t-il ajouté, la prochaine fois que la France aurait à se plaindre de l’Espagne ?19

Il informe également le sultan du chantage financier que la

France exerce.

L’inscription à son passif des frais de séjour en Corse, soit 500 000 francs de l’époque par jour, plus qu’il ne dépensait pour lui-même et sa famille lorsqu’il régnait sur le Maroc, la perspective de se voir infliger dans l’autre hémisphère des dépenses ruineuses, achevèrent d’accabler Sidi Mohammed. N’oublions pas qu’il était supposé être un invité de marque de la France... Le Sultan, vêtu d’une djellaba grise, prostré, mal rasé, paraissait sensiblement plus que les 44 ans de son âge. Depuis son arrivée en Corse, cet homme habitué à une vie active et à la pratique des sports, refusait de prendre l’air, et, à juste titre, se considérait comme un persécuté20.

Le 26 janvier 1954, Mohammed V quitte la Corse sans que

la destination finale ne soit définitivement arrêtée. Le journal

19 Témoignage du Comte Clauzel, sur le site officiel du gouvernement maro-cain, « Feu sa Majesté le Roi Mohammed V », www.mohammedV.ma (con-sulté en 2011). 20 Ibidem

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France-Madagascar titre que « L’ex-sultan du Maroc est at-tendu à Madagascar », dans le cadre de ce qui ne semble être qu’une étape pour un voyage plus lointain.

L’ancien sultan Sidi Mohammed Ben Youssef est arrivé hier matin à Brazza-ville… L’avion militaire spécial DC4 … avait fait escale à Fort Lamy à mi-nuit dans la nuit de Lundi à Mardi. Le souverain, accompagné d’une dizaine de personnes dont ses fils et ses femmes, avait pris une collation au bar de l’aérodrome dans une stricte intimité. L’avion spécial étant tombé en panne, a été remplacé par un DC4 d’Air France qui a décollé à 3 heures locales et a amené l’ex-sultan à Brazzaville. De Brazzaville, l’ex-sultan se rendra à Ma-dagascar, ou il séjournera avant de gagner sa résidence définitive qui se si-tuerait à Tahiti ou en Nouvelle Calédonie21.

Sur la même page, un autre article intitulé « les milliards

du Sultan » traduit bien l’importance des pressions financières. L’auteur appelle les agents du fisc à « se mettre en chasse » contre « un certain Mohammed Ben Youssef que la patience et la générosité françaises ont trop longtemps toléré sur le trône du sultan du Maroc ».

L’arrivée de Mohammed V met la colonie malgache en ef-fervescence. Le 27 janvier, le Haut-commissaire Robert Bargues informe ses collaborateurs que les intempéries rendent un atter-rissage sur Tananarive incertain. Dans la perspective d’un repli sur un aéroport de province, il transmet ses directives pour l’ac-cueil de l’« ex sultan » afin de respecter les ordres de Paris. Au-cun honneur ne doit lui être rendu. Il faut le placer « sous sur-veillance stricte police et garde éventuellement troupe sans com-munication avec l’extérieur »22. C’est bien un prisonnier qui est confié aux autorités françaises de Madagascar.

21 Quotidien France-Madagascar, Mercredi 27 janvier 1954, Archives de la République de Madagascar (ARM). 22 ANOM, Madagascar, PM 266, Télégramme du Haut-Commissaire à Tana-narive, aux provinces de Tuléar, Diego-Suarez et Majunga.

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Bien que l’on soit dans des contextes très différents, on ne peut qu’être troublé par la similitude des scenarii. D’abord un véritable complot faisant fi des traités ; un départ précipité et brutal destiné à briser l’exilé ; l’espoir d’un exil proche permet-tant de maintenir des contacts avec le pays ; la relégation vers une terre lointaine et la contrainte financière.

L’exil se doit d’être géographiquement lointain pour im-poser un isolement politique qui permettra à la France d’arriver à ses fins. La France a certainement développé un ˮsyndrome de l’île d’Elbeˮ qui la conduit à imaginer les exils les plus éloignés possibles. Mais, si cette politique a un sens au début du XXe siècle, en plaçant Ranavalona à trois semaines de mer de sa terre natale, comment ne pas être surpris par l’anachronisme de la me-sure, cinquante ans plus tard, alors que les « Constellations » d’Air France ne mettent plus que 22h30 pour rejoindre Tanana-rive depuis Paris.

Isoler politiquement

En Algérie, la petite Marie Louise permet une vie de fa-

mille qui est sans doute fondamentale pour l’équilibre de la reine23. Contrairement à l’impression que le Petit Journal peut donner, Ranavalona vit un exil sans faste. N’a-t-on pas donné ordre qu’il soit « le plus économique possible » ?

23 La sœur de Ranavalona, grand-mère de Marie Louise, décède en 1901. Elle est enterrée à Alger, au cimetière Saint-Eugène

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Figura 1, Ranavalona III et la princesse Marie Louise, 1901, Supplément illustré Petit Journal

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L’ensemble des biens de la souveraine a été confisqué par la France et Ranavalona vit chichement, « d’une pension préle-vée sur le budget du gouvernement de Madagascar »24.

Les distractions sont rares et la reine rêve de découvrir Pa-ris. Elle devra attendre deux ans avant de franchir la Méditerra-née et de débarquer à Marseille, le 29 mai 1901. Ce voyage lui permet d’avoir quelques contacts avec des Malgaches, comme Charles Ranaivo, étudiant en médecine, qui lui est affecté comme traducteur. Mais ce dernier, proche de Gallieni, est au-tant interprète que chargé de la surveillance de la reine durant son séjour25. Ce voyage est l’un des rares moments de l’exil où la souveraine est traitée selon son rang. Arrivée à Paris en train le 30 mai aux cris de « vive Ranavalona ! », elle est reçue un mois plus tard à l’Élysée par le président de la République Émile Loubet. Entre temps, elle a pu visiter Versailles, Fontainebleau, Notre-Dame… et a été accueilli à l’Hôtel de ville de Paris. Par-tout, la petite Marie-Louise qui est à ses côtés remporte un franc

24 Voir RANDRIANJA, Société et luttes anticoloniales à Madagascar, p. 102. 25 Charles Ranaivo fut étudiant à la Medical Missionary Academy (avant la conquête française) avant d’intégrer l’École de Médecine fondée en 1897. Il est ensuite au service particulier de Gallieni, avant de le suivre en France en mai 1899 et d’être admis à la faculté de médecine de Paris. Il est l’un des premiers malgaches à obtenir la nationalité française. Charles Ranaivo est aussi l’incarnation de ces échanges et voyages au sein de l’empire, dans un contexte autre que l’exil. Dans un cadre idéologique très différent, c’est aussi le cas le Jean Ralaimongo, figure du nationalisme malgache, qui vient en France en 1910 pour préparer son brevet élémentaire afin d’être instituteur (voir J.P. DOMINICHINI, Jean Ralaimongo ou Madagascar au seuil du natio-nalisme, «Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer», 204 (1969), pp. 236-287).

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succès. La reine est elle-même très populaire, et reçoit des pré-sents du tout Paris (dons de la comédienne Cécile Sorel, du poète François Coppée… et un saphir du bijoutier Nitzel)26.

Le lendemain de sa visite élyséenne, Ranavalona part pour Arcachon. La reine devait pour sa santé effectuer un séjour dans une station balnéaire. Pourquoi Arcachon ? On a dit que son choix s’était porté sur la ville de la côte atlantique du fait d’un petit spectacle joué en 1896, qui la mettait en scène. L’anecdote est séduisante, mais il nous parait plus raisonnable de penser que la connexion avec une représentation donnée par les élèves d’une école s’est faite une fois sur place. Un spectacle inspiré par le passage à Arcachon en décembre 1895 des soldats blessés du corps expéditionnaire à Madagascar, un contexte pas particu-lièrement favorable à la reine27. Toujours est-il que Ranavalona rencontre Mlle Roumagnac, la directrice d’école qui a imaginé cette petite pièce chantée par les enfants de l’école maternelle. L’épisode du spectacle enfantin est charmant, mais va contribuer à installer auprès des Français l’image d’une reine d’opérette… qui se confirme plus tard avec l’apparition de la photographie de Ranavalona sur des boîtes de biscuits.

26 www.7lameslamer.net/les-flamboyants-de-l-exil-3eme.html (consulté en mai 2017) 27 L’expédition de Madagascar en 1895 a été très médiatisée. Un régiment métropolitain, le 200e d’infanterie, est spécialement créé pour l’occasion, afin d’associer symboliquement la nation à cette conquête. Les pertes seront très importantes, essentiellement du fait des maladies et de l’impréparation de ce régiment à l’action outremer.

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Figura 2, Boite Biscuit LU, collection privée

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La reine a ému lors de son passage. Le 3 juillet, le conseil général de la Seine demande dans une requête « que la Reine ait liberté de séjourner où elle voudra sur le territoire de la Répu-blique »28, ce qui inclut par là-même Madagascar. Après consul-tation de ses conseillers, Gallieni, toujours en poste sur la Grande Île, s’y oppose. Cela ne l’empêchera pas, après avoir quitté ses fonctions de gouverneur général, de se donner le beau rôle dans ses relations avec la souveraine malgache. A l’occasion d’une inspection en Algérie, en 1910, il lui rend visite et note dans son journal qu’elle est « très émue, puis heureuse de me voir »29.

Le séjour métropolitain, entre Paris et Arcachon, a été une parenthèse agréable. Il faut maintenant replonger dans la vie de l’exilée à Alger la Blanche, si différente de Tananarive la Rouge, pour reprendre une opposition que l’on trouve fréquemment dans la presse de l’époque. En cette fin de mois de juillet 1901, Arcachon fait ses au revoir :

A peine est-elle dans le wagon, qu’il lui est apporté une corbeille de fleurs naturelles données par le Grand-Hôtel, et aussi des gerbes et bouquets offerts par les dames. Le train s’ébranle, la foule se découvre, on crie : Vive la reine ! Celle-ci répond : Au revoir ! Ranavalo se rend à Marseille où elle passera deux jours. Jusque-là seulement elle est accompagnée par MM. Le lieutenant Bruyères et le docteur Ranaivo, interprète, qui la quitteront à Marseille pour retourner à Paris, leur mission ayant pris fin. Ranavalo s’embarquera le 28 pour Alger, où elle retourne ha-biter sa villa : le bois de Boulogne, située à Mustapha ; dans la même pro-vince, où nous détenons un autre prisonnier illustre, Ham-Nhi, le roi de l’An-nam30.

28 Cité par RANDRIANJA, Société et luttes anticoloniales à Madagascar, p. 101. 29 M. MICHEL, Gallieni, Paris, Fayard 1989, p. 249. 30 L’avenir d’Arcachon, 2538 (28 juillet 1901), https://mcmpa-ris.wordpress.com/2015/06/16ranavalona-iii-exil-a-alger-video-mankamia-dana/ (consulté le 14 mai 2017).

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Elle n’est en effet pas la seule exilée de l’empire à Alger. Ham-Nghi31 était déjà là depuis 1888. Ils sont rejoints par Bé-hanzin32, en avril 1906.

Figura 3, Carte postale, 1906, collection privée

On ne peut cependant pas parler d’une communauté d’exi-lés. Chacun vit de son côté, dans son domaine, avec des moyens assez limités. Lorsque la situation de l’un d’eux s’améliore, les réactions sont immédiates, comme le souligne cet échange entre Paul Beau, gouverneur général de l’Indochine, Etienne Clémen-tel, ministre des Colonies, et Francis Laloë, président de la

31 Voir la thèse d’A. DABAT, Ham Nghi (1871-1944) Empereur en exil, artiste à Alger, sous la direction d’E. PARLIER-RENAULT, Université Paris-Sorbonne, décembre 2015. 32 Roi du Dahomey, Béhanzin est déporté en Martinique en mars 1894. En avril 1906, il vient pour la première fois en France. Il est ensuite envoyé à Alger, où il meurt en décembre 1906.

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Chambre à la cour d’Alger, dont la fille a épousé Ham-Nghi quelques mois plus tôt :

Mr Beau – Le Prince ne peut pas se plaindre avec la dotation que je lui ai fixée. Pdt Laloë – Il vous en est reconnaissant. Mr Beau – Cela a été de notre part une grande faute politique. Mr Clémentel – Oui, car depuis je suis assailli des réclamations de Ranavalo et de Béhanzin, ce dernier dans la misère noire. On ne s’explique pas le motif de la différence […]33.

Le regroupement des exilés facilite le travail pour la

France qui peut ainsi mieux les surveiller. C’est aussi un moyen d’exercer une pression supplémentaire, leur présence réciproque rappelant à chacun la toute puissance de la France. Les événe-ments tragiques, comme la mort de Béhanzin le 10 décembre 1906 et son enterrement sur place au cimetière Saint-Eugène, ne peuvent que confirmer le caractère irréversible de l’exil34.

L’exil algérois de Ranavalona sera entrecoupé par sept nouveaux déplacements en métropole, de 1903 à 191535. Le der-nier voyage, en juillet 1915, la conduit à Fréjus. Il redonne un

33 Retranscription d’une conversation entre P. Beau, E. Clémentel et F. Laloë. LR 21.9, Fonds Ham Nghi. Cité par A. DABAT, Exil d’empires : du trône de Huế aux collines d’Alger. Hàm Nghi (1871-1944), Master 2, sous la direction d’E. POISSON, Paris VII Diderot, 2014, p. 99. 34 Voir le compte-rendu dans «L’Illustration», 3330 (22 décembre 1906), p. 428. 35 La pension dont bénéficie la reine est prise sur le budget du gouvernement de Madagascar. « Plusieurs fois, le gouvernement général d’Algérie tenta d’intercéder en faveur de la reine, pour que sa situation financière soit amé-liorée et pour qu’elle puisse avoir quelques loisirs. Il n’obtint gain de cause qu’à partir de 1911 car la pension annuelle de Ranavalona fut sensiblement augmentée et elle fut autorisée à se rendre à Paris une fois l’an » (RANDRIA-NJA, Société et luttes anticoloniales à Madagascar, p. 102).

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rôle politique à une reine bien oubliée. Elle visite les soldats mal-gaches fraichement débarqués36. Un soutien hautement symbo-lique de la colonie à la Mère Patrie en ces temps de guerre.

Figura 4, Ranavalona visite les troupes malgaches à Fréjus, 1915, collection privée

Pouvait-elle en espérer une clémence de la France lui per-mettant de revoir Madagascar ? Nous ne le saurons jamais. La dernière reine de Madagascar meurt soudainement le 23 mai 1917, à 55 ans. Elle est enterrée aux côtés de sa sœur, au cimen-tière Saint Eugène d’Alger.

36 Déracinés comme elle, ces soldats ont pour certains été contraints. D’autres sont de vrais volontaires, comme Jean Ralaimongo, qui s’engage en 1916 par patriotisme (voir J.P. DOMENICHINI, op. cit.). Il en tirera l’espoir déçu d’une France ouvrant généreusement le droit à la citoyenneté.

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En cet été austral 1954, Mohammed V a t-il le souvenir de cette reine qui a fait un voyage en sens inverse ? Non, sans doute. Son esprit est certainement plus tourné vers Abdelkrim, le com-battant du Rif, exilé à La Réunion de 1926 à 194737.

Le sultan résidera à Antsirabe. La salubrité du climat de la station thermale doit assurer le bien-être du ˮvisiteurˮ. Moham-med V aurait certainement préféré Tananarive. Mais, la ˮVichy malgacheˮ permet d’isoler un peu plus l’exilé, de rendre sa sur-veillance plus facile et plus discrète aux yeux du monde38.

Dans l’improvisation, le Colonel Touya, Commandant des forces de gendarmerie, est chargé de l’accueil du sultan. Cet homme sera une chance pour Mohammed V, et surtout pour la France, en évitant que le scénario corse ne se reproduise, comme le souligne Jean Lacouture : Les arrivants, en dépit de leur fatigue, de leurs préventions, de leur tristesse, purent constater que l’officier auquel était confié leur sort était un honnête homme, à l’intelligence ouverte et au cœur loyal. Ici encore, le pire était évité. L’exilé retrouvait l’esprit d’une France amicale39.

Les autorités françaises espèrent que Mohammed V achè-

tera une propriété dans la campagne antsirabéenne mais, « L’ex-souverain ne voulait engager aucune activité, telle que par exemple la création et la gestion d’un domaine, qui fût de nature

37 Voir Th. MALBERT, L'exil d'Abdelkrim El-Khattabi à La Réunion : 1926-1947, Saint Denis, Orphie, 2016. 38 Les condamnations internationales à l’encontre de la politique de la France sont multiples. Voir par exemple les organisations syndicales américaines : D. STENNER, « le coup de pouce de l’Oncle Sam », Zamane mai 2013. 39 J. LACOUTURE, Cinq hommes et la France, Paris, Le Seuil, 1961, p. 234.

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à laisser supposer à ses sujets qu’il se résignait à se fixer défini-tivement dans la Grande Île. »40

La question financière est le premier problème que Mo-hammed V doit régler car la France continue à utiliser cette arme qui a déjà fait preuve de son efficacité en Corse. Ainsi,

Des articles de presse réclamaient la confiscation totale ou partielle de ses biens. Un dahir du 10 octobre 1953 les avait placés sous un régime d’admi-nistration particulier. Un administrateur avait été désigné […]. Pour l’éclairer sur sa situation financière, Sidi Mohammed […] avait d’ailleurs demandé, dans un message adressé à M. Vincent Auriol le 10 novembre 1953, qu’il lui soit possible de se défendre en justice contre les accusations dont il avait été l’objet de la part du Comité France-Afrique du Nord. L’ex-Sultan voulait pouvoir se défendre sur tous ces points et souhaitait con-fier la défense de ses intérêts à deux avocats du Barreau de Paris Me Paul Weill et Me Georges Izard41.

Ces deux hommes jouent dans les mois qui suivent un rôle

capital, évitant l’isolement du sultan grâce à leurs réseaux. Me Weill est un ami de Georges Bidault et de Pierre Mendès-France, des amitiés essentielles pour défendre les intérêts du souverain. Me Izard est pour sa part vice-président de l’association France-Maghreb, ce qui fait de lui un très bon connaisseur des affaires tunisiennes et marocaines42.

Les deux avocats obtiennent rapidement que le Docteur Dubois-Roquebert gère les liquidités du sultan, mais les biens se trouvant au Maroc restent sous contrôle d’un administrateur-sé-questre, autant dire entre les mains du gouvernement français. C’est en partie pour sauver ses biens au Maroc qu’il s’engage à 40 H. DUBOIS-ROQUEBERT, Mohammed V, Hassan II, tel que je les ai connus, chapitre « La défense des intérêts privés de Sa Majesté Mohammed V et la gestion des Liquidités Royales durant l’exil ». 41 Ibidem. 42 Voir G. IZARD, Le secret d’Antsirabe, dans «Études Méditerranéennes», 4 (1958), pp. 61-75.

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s’abstenir de toute activité politique. Il obtient également que toutes dépenses à l’hôtel des Thermes lui soient soumises avant règlement. Les dépenses pour la vie quotidienne sont évaluées de 80 000 francs par le Colonel Touya, bien loin des 500 000 francs par jour qui ont été facturés en Corse.

Figura 5, Hôtel des thermes, photographie de Frédéric Garan

La ˮnominationˮ de son geôlier est un autre sujet d’inquié-tude. Sidi Mohammed redoute l’affectation d’un officier des af-faires musulmanes comme ce fut le cas à Zonza. Cela le main-tiendrait sous le contrôle direct de la Résidence à Rabat. C’est effectivement le scénario que la France a prévu. Mohammed V s’en remet alors au colonel Touya. Ce dernier sera être persuasif auprès de son autorité de tutelle. L’argument est renforcé par le fait que Mohammed V a sollicité, le 5 février 1954, de rester à Madagascar.

Le gouvernement Laniel pense avoir gagné son pari, avec

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un ex-sultan qui « s’installe » et se coupe des affaires maro-caines. Il ne sera donc plus question d’envoyer un officier des affaires musulmanes, la mission étant confiée au colonel Touya. Mohammed V a évité le pire. Oublié également une installation à Tahiti ou en Nouvelle Calédonie. Il est officiellement placé sous le contrôle de Tananarive et non de Rabat. La France n’en a pas conscience (pas plus que Mohammed V sans doute, à ce moment) mais, dans la partie d’échec qui s’engage, la position de l’exilé vient de se renforcer considérablement.

Durant ces premiers mois à Madagascar, le fils ainé du sul-tan, le futur Hassan II, décrit son père comme très affecté par la situation, voir presque dépressif. Il faut être prudent avec un tel témoignage, à la fois épopée familiale et hagiographie de Mo-hammed V. Il ne s’agit aucunement de minimiser le poids de l’exil : il fut difficile en Corse, beaucoup plus correct à Mada-gascar, comme l’atteste la vie quotidienne que peuvent mener les enfants du sultan. Mais, ne sous-estimons pas la force de ca-ractère de Mohammed V qu’il a à maintes reprises montré depuis 1940. De plus, il est parfaitement conscient que le coup d’état du 20 août est rejeté par l’immense majorité des Marocains, et qu’il s’est retourné « contre le protectorat, désormais honni, en faveur du sultan de l'indépendance »43.

Cependant, Mohammed V sait qu’il doit être vigilant quant à l’image qu’il envoie, le gouvernement Laniel n’ayant pour seul objectif que de le décrédibiliser. Face à lui, Ben Arafa,

43 VERMEREN, L’Histoire du Maroc depuis l’indépendance, p. 17. « Une vio-lence urbaine se répand durant deux ans pendant lesquels sont commis près de 6 000 attentats par une base en déshérence, qui suscite un « contre-terro-risme » européen (on relève 761 morts marocains et 159 européens dans les villes). En août 1955, alors que l'Algérie est entrée en guerre, une nouvelle forme de résistance se fait jour avec l'émergence d'une Armée de libération marocaine (ALM) qui passe à l'action dans le Rif et le Moyen-Atlas. ».

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le sultan installé par la France, est rejeté par la population maro-caine. Victime d’une tentative d’assassinat, il vit reclus dans son palais. La presse ne tarde pas à s’en faire l’écho et Mohammed V le sait. Pour remporter cette guerre de l’image, il se doit donc d’être en toutes circonstances un monarque en exil, et non un prince en villégiature. Prisonnier, il se sait observé, épié, et a conscience que toute photographie d’un sultan paraissant trop insouciant serait utilisée par la France, et pourrait avoir un effet désastreux dans un Maroc où tensions, attentats et répressions se développent.

L’image qu’il donnera, et que transmettront tous les visi-teurs d’Antsirabe, sera donc celle d’un souverain austère, se con-sacrant à sa famille, à la religion et aux problèmes politiques de son pays, pour le bien de son peuple. A cet effet, il renonce à la pratique du tennis à Antsirabe.

L’accouchement imminent de l’une de ses épouses re-quiert la présence d’un médecin. Mohammed V demande que ce soit le Docteur Dubois-Roquebert, ce que les autorités françaises acceptent. Il débarque à Antsirabe le 4 avril 1954.

L’heureux événement dont la date ne pouvait être prévue avec précision eut lieu le 14 avril, à 13h30. Lalla Bahia, épouse de S.M. Sidi Mohammed Ben Youssef, donnait le jour à un beau bébé de sexe féminin que Sa Majesté pré-nomma Lalla Amina44.

44 DUBOIS-ROQUEBERT, Mohammed V, Hassan II, tel que je les ai connus, chapitre « Mon premier séjour auprès de S. M. Sidi Mohammed ».

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Figura 6, Mohammed V et Lala Amina, couverture du livre Mohammed Ben Youssef, tel que je l’ai vu, Max Jalade, 1956

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La petite princesse est « la joie de l’exil », pour reprendre la formule que le journaliste Max Jalade, qui suit de près Mo-hammed V à Antsirabe, met dans la bouche du sultan lorsqu’il parle sa fille. La dimension ˮpère de familleˮ devient capitale, voir même scénarisée :

L’enfant joue … puis revient en larmes. Dès lors il n’y a plus de sultan, de Commandeur des Croyants, Sidi Mohammed n’est plus qu’un homme en ba-bouches, un père affolé, inquiet, qui examine son enfant sur toutes les cou-tures… Sidi Mohammed respire enfin. [On] vient de découvrir la cause des tourments d’Amina. Elle vient de percer une dent. [L’interview peut reprendre] Puis-je demander à Votre Majesté ce qu’Elle pense de la position que vient de prendre le pacha de Marrakech ?45

Finalement, ces éléments donnent l’impression, d’une

communication bien construite. L’exil se doit d’affirmer son ca-ractère mythique. Il en est de même pour la dimension religieuse.

Mohammed V, Commandeur des Croyants, trouve dans la religion un réconfort à l’exil, et tisse des liens avec la commu-nauté musulmane d’Antsirabe, « Sa piété et sa tendresse sem-blent avoir conquis les Musulmans de la communauté como-rienne. Il se rend à la mosquée chaque vendredi, lit le Coran en arabe, mais le commente en français »46.

45 M. JALADE, Mohammed Ben Youssef tel que je l’ai vu, Paris, Rabat, 1956, pp. 116-117. 46 Ivi, p. 41.

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Figura 7, Lecture à la mosquée, in Max Jalade, Mohammed Ben Youssef tel que je l’ai vu, Paris 1956.

Cette relation entre frères d’une même religion est source de suspicions pour les autorités françaises qui sont hantées par le spectre d’un complot des musulmans de la Grande Ile pour libérer Mohammed V47. Mais, au-delà de la paranoïa du coloni-sateur, il est pour les musulmans d’Antsirabe le commandeur des croyants, comme en témoigne l’attitude de ce commerçant sy-rien qui « se mettait à genoux devant le roi, et lui embrassait les mains pour le saluer »48.

La monotonie de la vie à Antsirabe est interrompue par de courts déplacements à Tananarive, pour consulter son oculiste ou se rendre chez son tailleur. Le sultan aime se promener au

47 Voir GARAN, Mohammed V à Madagascar. 48 Témoignage de M. Francis Core, recueilli par LAUVERNIER, Exil d’un roi à Madagascar, p. 99.

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Zoma, ce qui laisse supposer une surveillance relativement souple.

Enfin, même s’ils se plaignent d’une vie qui ne leur ap-porte plus le luxe auquel ils étaient habitués au Maroc, les Princes et Princesses sont loin de mener une existence recluse. En général, leurs déplacements ne passent pas inaperçus dans les rues d’Antsirabe, particulièrement ceux des princes Moulay Hassan, Moulay Abdallah, et de leur cousin Moulay Ali. Les princes ont beaucoup d’amis, ce que ne manque pas de rappeler le Malagasy Vaovao, signalant d’ailleurs avec une certaine iro-nie que la presse métropolitaine souligne que leur départ procu-rera un certain soulagement pour la population. N’adhérant pas sans preuve à cette affirmation, le journal nationaliste s’engage à vérifier cette information sur place49.

Les princesses se rendent fréquemment au lac Andraikiba. « Elles ne dédaignent pas d’y taquiner la carpe et le black-bass »50. Le club nautique est l’un de ces endroits où la colonie a recréé un coin d’Europe. Plus encore qu’à l’hôtel des Thermes, on peut se croire dans le Massif Central. Les princesses s’y bai-gnent, quand les photographes ne sont pas trop importuns. Ceux-ci sont à leur tour traqués par la sécurité, qui redoute tout contact avec la presse.

49 Malagasy Vaovao, 6 septembre 1955, article « Tonga any Antsirabe ireo nasionalista marokana. Frantsa sa Rabat no handray an’i ben Youssef » (Les nationalistes marocains sont arrivés à Antsirabe. Qui de la France ou de Ra-bat va recevoir ben Youssef ? Traduction Lanto R.). 50 M. JALADE, Mohammed Ben Youssef tel que je l’ai vu, p. 39.

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Figura 8, Club nautique aujourd’hui, photographie de Frédéric Garan

Pour la France, le seul ˮdangerˮ véritable serait un contact avec les nationalistes malgaches51. Comme le laisse supposer l’article du Lalam-Baovao (voir introduction), les milieux natio-nalistes de la Grande île ont souhaité entrer en relation. Cepen-dant, il est quasiment certain qu’aucune rencontre n’a eu lieu, malgré la présence à Antsirabe du docteur Émile Rasakaiza, fi-gure majeure du nationalisme malgache52. La personnalité de Mohammed V, son sens de l’honneur et tout simplement son in-térêt vont dans ce sens. Il s’est engagé à n’avoir aucune action

51 N’oublions pas que Madagascar sort péniblement de l’insurrection de 1947. Les parlementaires du MDRM (Mouvement Démocratique de Rénovation Malgache) ont été condamnés en octobre 1948, dans des conditions juridi-quement inadmissibles. Les campagnes pour leur libération se succèdent au début des années 1950. 52 Le docteur Émile Rasakaiza est alors en poste à l’hôpital de Antsirabe. L’historien N. Ralison a inventorié ses papiers. Il n’a trouvé aucune référence à Mohammed V (conversation avec l’auteur).

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politique. Contacter les nationalistes malgaches ne serait pour le sultan qu’une prise de risque inutile, et même dommageable. En effet, dès son arrivée à Antsirabe, Mohammed V prend ses habi-tudes à la terrasse de l’hôtel Truchet où il lit les journaux métro-politains (ainsi que la presse malgache qui se passionne pour la crise marocaine) qui lui permettent de suivre les événements. Il dispose également à l’hôtel des Thermes d’une radio qu’il écoute quotidiennement. Il sait qu’il a le soutien de son peuple, ainsi que d’une partie de la communauté internationale. Entrer en con-tact avec les nationalistes malgaches, qui ne pourraient lui ap-porter qu’un soutien symbolique, ce serait prendre le risque d’un éloignement plus radical. Affecté par le transfert de la Corse à Madagascar, Mohammed V a tout de suite fait part de sa volonté de rester sur la Grande Ile, pour limiter les dégâts… Il n’a aucun intérêt à compromettre ce statu quo.

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Figura 9, Mohammed V à l’hôtel des thermes, in Max Jalade, op. cit

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L’exil a plongé Ranavalona dans l’isolement par rapport à la vie politique malgache. La situation est très différente pour Mohammed V. Si le processus conduisant à l’exil a été très com-parable, cela ne fait que montrer qu’en un demi-siècle, la poli-tique coloniale de la France n’a pas évolué contrairement aux moyens de transport et d’information. Mohammed V peut faci-lement savoir ce qu’il se passe au Maroc, et ses proches peuvent aisément et rapidement faire le voyage. Alors que Ranavalona est morte en exil, la possibilité d’un retour favorable pour le sul-tan est de plus en plus probable. C’est ce que nous allons voir, tout en découvrant que la question du retour se posera égale-ment, en d’autres termes pour Ranavalona.

Les conditions du retour

Dès le début de la crise marocaine, la France est en échec

puisque le général Guillaume n’a pas obtenu l’abdication de Mo-hammed V. Si les premiers mois d’exil en Corse sont des mois d’isolement dans des conditions pénibles par contre, dès l’arri-vée à Antsirabe, la situation évolue favorablement. Ben Arafa est rejeté par les Marocains et l’aura de Sidi Mohammed ne fait que grandir. Il est évident qu’aucune solution ne sera possible sans « l’ex-sultan ». Antsirabe devient de fait la capitale du Ma-roc !

En Mars 1954, le gouvernement envoie à Antsirabe M. Le-marle avec rang de ministre plénipotentiaire pour obtenir l’abdi-cation de Mohammed V contre une installation en France avec tous les honneurs. Dans ce but, le gouvernement opère un véri-table chantage sur les biens du sultan, comme nous l’avons déjà évoqué. Lemarle comprend très vite qu’il n’obtiendra rien. Il en résulte un compromis, nouvel échec pour le gouvernement La-niel. La question du statut de « l’ex-sultan » n’est pas réglée et ce que l’on appelle maintenant la « question du trône » devient

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le cœur de la crise marocaine, les nationalistes de l’Istiqlal comme du PDI en faisant un préalable à toute discussion53. Mo-hammed V est devenu incontournable, à l’inverse de ce que sou-haitaient Juin, Guillaume et Bidault. Le blocage est patent lors du remplacement du général Guillaume par Francis Lacoste, lui aussi poussé par le clan Juin. Sans instruction officielle54, sa tâche se limite à ne « rien faire qui puisse engager l’avenir » sous le gou-vernement Mendès-France55.

De son côté, Mohammed V s’est simplement engagé à ne pas avoir « d’activité politique ». Dans la pratique, s’il n’a effec-tivement plus aucune fonction officielle, il dirige la vie politique marocaine « en coulisse avec une facilité étonnante »56. Le Doc-teur Dubois-Roquebert et Maître Izard peuvent venir le voir as-sez librement, assurant ainsi le lien avec les milieux parisiens, ce que certains dénoncent : « … comment ne pas voir qu’il existe à Paris un groupe d’hommes et un groupe de journaux qui se sont donnés pour tâche … la défense de la personne et des intérêts de Mohammed Ben Youssef… »57.

Les réseaux d’Izard, Weil et Dubois-Roquebert sont im-portants. Nous avons évoqué les liens de Me Weil avec Bidault

53 Voir par exemple la conférence de presse du PDI (Parti Démocratique de l’Indépendance), ANOM, disponible en ligne : (consulté en décembre 2017) http://www.cvce.eu/obj/conference_de_presse_du_parti_democrati-que_de_l_independance_sur_la_solution_du_probleme_franco_maro-cain_paris_19_octobre_1954-fr-d2eda977-010f-4f9f-a6f4-02069dafb341.htm 54 Lacoste est nommé quelques jours avant que le gouvernement Laniel, dont Bidault est ministre des Affaires étrangères, ne soit renversé, puis remplacé par le gouvernement Pierre Mendès-France. 55 J. VALETTE, La France et l’Afrique, Tome 2 L’Afrique française du Nord 1914-1962, Paris, SEDES 1993, p. 194. 56 Ibid. p. 184. 57 Cité par J. VALETTE, La France et l’Afrique, p. 186, d’après V. AURIOL, Journal du Septennat, VII, p. 732, note 57.

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et Mendès-France. Me Izard est en relation avec François Mau-riac par le comité France-Maghreb. Dubois-Roquebert qui fré-quente lui aussi les salons parisiens, est l’ami de Lemaigre-Du-breuil, directeur de presse au Maroc. Ils gravitent autour de Pierre Clostermann, député et entrepreneur au Maroc, qui si-gnale dès août 1954 « que la chambre de commerce de Casa-blanca et le patronat français en sont venus à changer d’opinion sur la validité de l’opération du 20 août 1953 »58. En d’autres mots, il considère que la situation créée par la déposition de Mo-hammed V est néfaste aux affaires. Cela les amène à entrer en contact l’Istiqlal (ce qui sera la cause de l’assassinat de Le-maigre-Dubreuil le 11 juin 1955) et à souhaiter un retour rapide de Mohammed V.

En plus de ses avocats que le sultan rencontre pour la pre-mière fois fin avril 1954, Mohammed V reçoit la visite presti-gieuse du professeur Louis Massignon, le grand islamologue. De son côté, le général De Gaulle lui fait part de son soutien : « … je ne saurais oublier l’amitié et le loyalisme témoignés à la France à l’heure de l’épreuve par Sa Majesté Sidi Mohammed Ben Youssef ». Si Bekkaï59 est chargé de transmettre la réponse

58 Cité par J. VALETTE, La France et l’Afrique, p. 192, d’après P. JULY, Une république pour un Roi. Histoire de l’indépendence marocaine, Paris, Fa-yard, 1974, p. 81. 59 Ancien pacha de Séfrou, Si Bekkaï, « Colonel de l’Armée française, a laissé une jambe devant Sedan en 1940. Depuis la guerre, l’attachement à son Souve-rain l’a emporté chez lui sur toute autre considération et il a mieux aimé, en 1953, renoncer à son pachalik et se condamner à l’exil en même temps que Mohammed V que de couvrir sa déposition » (G. GRANDVAL, Ma mission au Maroc, Paris, Plon, 1956, p. 21). « Son rôle est déterminant. C’est un person-nage complexe. Il est bien connu de tous ses anciens camarades [de l’armée], qui ont servi au Maroc. Par eux […], il touche le secrétaire d’État chargé de l’Afrique du Nord, July ... Tous l’écoutent, notent ses propos et les rapportent aux membres du gouvernement… » (VALETTE, La France et l’Afrique, p. 187). Soutenu par Me Izard, c’est lui que Gilbert Grandval rencontre pour préparer

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du sultan : Notre majesté a été on ne peut plus sensible au sentiment exprimé par le général De Gaulle qui a su dans ce moment pénible et douloureux lui manifester sa sympathie et sa solidarité. Qu’il soit assuré de notre gratitude, nous n’attendions pas moins de son cœur généreux et de notre fraternité d’armes60.

De Gaulle réaffirme sa position auprès de Gilbert Grand-

val qui vient le consulter à la veille de sa prise de fonction au Maroc en juin 1955. Le Général estime que quelle que soit l’ap-proche de la crise marocaine, « il n’y a d’autre issue que la ré-installation de Sidi Mohammed Ben Youssef sur le trône chéri-fien »61.

La chute de Laniel et l’arrivée de Mendès-France à la tête du gouvernement français en juin 1954 pourraient ouvrir des perspectives nouvelles mais le dossier marocain n’est pas prio-ritaire pour le chef du gouvernement par rapport aux problèmes indochinois et tunisien. Plusieurs mois passent donc sans avan-cée notable. De plus, le nouveau président du Conseil est assez ignorant du dossier, ce qui explique sans doute la curieuse ini-tiative qui va suivre.

A la mi-octobre 1954, le gouvernement sollicite le docteur Dubois-Roquebert à l’occasion d’un de ses voyages à Antsirabe. La solution envisagée par le gouvernement Mendès-France est pour le moins surprenante : placer un nouveau sultan (un troi-sième !) sur le trône, mais cette fois avec l’aval de Moham-med V ! Moins surprenante fut la réponse de l’exilé qui « refusât

sa prise de fonction, puis pour préparer les négociations avec l’Istiqlal et le PDI, lui-même n’étant membre d’aucun parti. (Voir GRANDVAL, Ma mission au Ma-roc, pp. 21, 89, 98 et 100). 60 Cité par LAUVERNIER, Exil d’un roi à Madagascar, p. 115. 61 GRANDVAL, Ma mission au Maroc, p. 8.

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catégoriquement le fait de cautionner un nouveau Sultan ». Sen-tant cependant qu’il y avait une carte à jouer, il indiquât au Doc-teur Dubois-Roquebert qu’ Il était disposé à accorder son concours le plus large au Gouvernement Français afin d’étudier avec lui toute solution susceptible d’éclaircir la situation. Toutefois, avant d’entreprendre une telle étude, le Souverain posait comme condition essentielle son retour en France et cela, moins pour des raisons de convenance personnelle que pour des raisons politiques.62

Curieuse mission confiée à cet intime du sultan, et perdue

d’avance. Imaginer la nomination d’un troisième sultan est la preuve de l’échec de la politique française construite autour de Ben Arafa. Ainsi, même si la situation semble inchangée, une fois de plus, c’est l’exilé d’Antsirabe qui sort renforcé.

Dans la foulée, le gouvernement a cette fois recourt à Me Izard pour négocier, mais Pierre Mendès-France lui fait com-prendre qu’il est obligé de suivre le maréchal Juin, celui-ci l’ayant soutenu dans les affaires tunisiennes. La marge de ma-nœuvre est donc plus que réduite63.

Il en sort le Plan Izard (ou Plan du 26 décembre) accepté par le sultan64 car, sur le fond, c’est son retour qui est pro-grammé. Hélas, lorsque l’avocat rencontre le 30 décembre le 62 DUBOIS-ROQUEBERT, Mohammed V, Hassan II, tel que je les ai connus, chapitre « Ma mission officielle pour le Gouvernement Français auprès de Sa Majesté Mohammed V à Madagascar ». 63 Pour le plan Izard, voir G. IZARD, Le secret d’Antsirabe. 64 « … à la lumière des entretiens que Nous avons eus avec vous, cher maître, une possibilité de solution est apparue et nous nous sommes mis d’accord sur un plan constructif dont l’avantage réside dans le fait qu’il rassemblera autour de lui une certaine convergence d’opinions, ce qui n’était pas le cas pour les plans élaborés auparavant. Ce plan comprend : une phase de négociations officieuses et secrètes à Ma-dagascar et une phase ultérieure de négociations ouvertes, libres et finalement publiées en France. L’articulation de ce plan est la suivante :

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Président du Conseil, la situation politique française a changé et Mendès-France sait déjà son gouvernement condamné. La ques-tion marocaine passe entre les mains d’Edgar Faure, qui ne re-prend véritablement le dossier qu’en juin. Six mois perdus, six mois dramatiques si l’on considère la dégradation de la situation au Maroc65.

Pourquoi ce délai ? « Edgar Faure refusa à plusieurs re-prises d’aborder le sujet »66. Pour lui, une solution n’a de sens que si elle est « parlementairement possible », or il sait qu’au-cune majorité ne pourrait se dégager sur un changement d’orien-tation politique au Maroc. « M. Edgar Faure, selon son expres-sion, laissait donc au frigidaire le règlement de l’affaire maro-caine par des voies nouvelles ». Ce n’est qu’après l’assassinat de Lemaigre-Dubreuil qu’Edgar Faure ouvre le dossier.

I Création d’un Conseil gardien du Trône, avec possibilité pour Nous de dé-signer personnellement un de ses membres. Ce conseil aurait pour rôle d’être dépositaire, provisoirement, des attributs du souverain. II Institution d’un gouvernement marocain provisoire de négociations… Son rôle serait triple : 1°) Il aurait pour but de négocier avec le gouvernement de la République les bases d’un nouvel accord… garantissant au Maroc l’in-tégrité de sa souveraineté et admettant l’interdépendance du Maroc et de la France… 2°) … promouvoir les réformes institutionnelles en vue d’établir au Maroc un régime de monarchie constitutionnelle… 3°) [définir et défendre les droits des Français au Maroc]… » Extrait de la lettre du 26 décembre, de Mohammed à Me Izard, citée par LAUVERNIER, Exil d’un roi à Madagascar, p. 120. Fonds Paret. Maroc. Carton n°II, Archives de l’Institut d’Histoire du temps présent. Paris. 65 N’oublions pas parallèlement les bouleversements que connait l’empire du-rant cette période. Depuis le départ en exil de Mohammed V, il y a eu le traumatisme de Dien Bien Phu. Pierre Mendès-France a dû traiter les que-stions Indochinoise et Tunisienne. Depuis le 1er novembre 1954, l’Algérie est devenue le problème majeur. Autant d’éléments qui expliquent à la fois le retard dans le traitement de la crise marocaine, et la nécessité à la régler main-tenant au plus vite. 66 G. IZARD, Le secret d’Antsirabe.

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Le 29 août 1955, Me Izard porte « officiellement à la con-naissance du gouvernement » la lettre du 26 décembre. « Le plan du sultan était ainsi entre les mains du gouvernement avant la mission de Catroux ».

A Rabat, Lacoste n’a pas eu connaissance du plan. Grand-val67, qui s’apprête à le remplacer est mis « au courant des grandes lignes du plan. Il ne […] cacha pas ses réserves envers le Souverain exilé et parut assuré que ses talents personnels lui permettraient de trouver une autre issue ». Nommé résident gé-néral au Maroc le 20 juin 1955, Grandval est un homme à poigne mais il ne connaît pas l’Afrique du Nord. C’est pour cela qu’Ed-gar Faure l’a nommé, voulant limiter le jeu des coteries. L’atti-tude du président du conseil est cependant pour le moins ambi-guë. Dans sa lettre de mission, il est dit que le nouveau Résident Général Conservera toute latitude pour présenter au Gouvernement telle solution qui lui paraîtrait de nature à lever, dans des conditions acceptables, les difficultés actuelles étant entendu que le retour de Mohammed Ben Youssef sur le Trône chérifien doit être résolument écarté. Toutefois, comme nous ne pouvons faire abstraction du crédit dont Mohammed V dispose encore au Maroc… le Gou-vernement serait disposé à envisager favorablement l’installation en France du souverain exilé… dès que la question du Trône aura pu recevoir une solu-tion satisfaisante, qu’un gouvernement marocain aura été constitué et que l’apaisement sera intervenu au Maroc68.

Autant dire que la mission est impossible. Mais Grandval

n’est que le chiffon rouge que le président du conseil agite. Ed-

67 Résistant, il commande les Forces françaises de l’Intérieur de huit départe-ments de l’Est. Dans Nancy libéré, il accueille le général de Gaulle. En Sarre de 1946 à 1955, il exerce les fonctions successives de Gouverneur, Haut-commissaire et Ambassadeur. 68 GRANDVAL, Ma mission au Maroc, p. 27.

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gar Faure a un autre scénario en tête : créer une vacance du pou-voir au Maroc en obtenant le retrait de Ben Arafa sans que cela n’apparaisse comme la politique officielle du gouvernement, les députés se trouvant mis devant le fait accompli d’un retour de Mohammed V, qu’il considère comme la seule solution viable.

Ne se sachant pas ˮmanipuléˮ, Grandval se jette dans le chaudron marocain, avec un réel succès auprès des mouvements nationalistes et de la population marocaine, mais rejeté par les militaires proches de Juin, et vite détesté par les Français qui lui imputent la persistance des attentats. Grandval prend vite la me-sure du caractère incontournable de Mohammed V, pour lequel il a de la sympathie : n’est-il pas son Compagnon dans l’Ordre de la Libération et surtout le seul souverain que le peuple ac-clame, alors que ses rapports avec Ben Arafa sont peu cordiaux. Cependant, en fonctionnaire loyal, il exclut toute solution de re-tour de l’exilé, avec lequel il n’a pas de contact. Inquiet à l’ap-proche du deuxième anniversaire de l’exil, il propose au gouver-nement un plan d’action69.

Il imagine un départ de Ben Arafa librement consenti, la mise en place d’un Conseil de régence pour éviter la question d’un troisième homme dans l’immédiat, et l’annonce simultanée de grandes réformes politiques, économiques et sociales, créant un véritable électrochoc au Maroc, rendant par là même l’initia-tive à la France. La faiblesse du plan est qu’il imagine pouvoir obtenir également le consentement de Mohammed V, « la publi-cation du plan devant être précédée de consultations assez nom-breuses, dont l’une se situe à Antsirabe ». Le gouvernement doit se prononcer très vite, avant le 5 août, pour que le plan soit révélé avant le 20. 69 Les initiatives de Grandval sont commentées, et critiquées par la presse coloniale. Le 5 août, 1955, France-Madagascar titre « Dans une lettre au président du conseil, le Glaoui rejette la solution du conseil de régence qui aurait été envisagée par le Résident Grandval ».

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Edgar Faure a ce qu’il veut. Grandval peut engager les né-gociations pour le retrait de Ben Arafa, mais rien de plus pour l’instant. Le 12 août, Grandval s’oppose à Edgar Faure : « Votre politique, lui dit-il, va ramener Ben Youssef sur le Trône ». La réponse fuse : « En avez-vous jamais douté ? »70 La surprise est totale. Le Résident général s’étonne « qu’il puisse envisager la restauration de Ben Youssef, alors que le Gouvernement n’est même pas disposé à tolérer son retour en France ». Ne compre-nant toujours pas la manipulation, Grandval se contente d’insis-ter pour que l’on « renonce à la comédie qu’[il est] chargé de faire jouer à Moulay Arafa ». Meurtri par les massacres de Oued Zem71, qu’il impute à la lenteur de réaction du gouvernement, et opposé aux négociations d’Aix les bains, il préfère démissionner le 23 août 1955.

Quelques jours plus tôt, Edgar Faure, Antoine Pinay, le gé-néral Koenig72 et Gilbert Grandval avaient mis sur pied la mis-sion devant se rendre à Antsirabe. Elle est dirigée par le général Catroux (proche du comité France-Maghreb), qui entretient une vieille relation d’amicale confiance avec Mohammed V. Pinay doit l’accompagner, mais Edgar Faure choisit de ne pas exposer directement son ministre des Affaires étrangères. C’est Henri Yrissou, le directeur de cabinet de Pinay, qui se rendra à Mada-gascar.

Les discussions d’Aix les Bains s’ouvrent le 22 août 1955. Un comité de cinq ministres (Edgar Faure, Antoine Pinay, Mau-rice Schuman, Pierre July et le général Koenig) consulte de nom-breuses personnalités marocaines, pour trouver une solution à la 70 GRANDVAL, Ma mission au Maroc, p. 201. 71 « Des dizaines d’Européens sont abattus à Oued Zem [le 20 août 1955], entrainant une répression très brutale et, par contrecoup, la naissance de l’Ar-mée de libération marocaine (ALM) ». VERMEREN, L’Histoire du Maroc de-puis l’indépendance, p. 72. 72 Pinay, ministre des Affaires étrangères, et Koenig, ministre de la Défense.

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question du Trône et constituer un gouvernement marocain re-présentatif. Cela permet, comme le veut Edgar Faure, de mettre en avant que Mohammed V est incontournable. Le président du conseil a son prétexte pour négocier directement avec l’exilé d’Antsirabe, le gouvernement ne faisant que répondre aux at-tentes exprimées à Aix.

A Antsirabe, les entretiens débutent, la délégation fran-çaise étant partie en grand secret le 2 septembre. A l’entrée de l’Hôtel Thermal dont une aile est mise à Sa disposition, nous sommes reçus sur le perron par Son Altesse le Prince Moulay Hassan, souriant et détendu, qui nous conduit dans un salon vert, aux parois nues, hormis deux glaces murales, et où se tient le Roi. Assis sur un divan, portant des lunettes noires, le Roi nous accueille calmement, Il s’exprime en français, d’une voix progressivement affermie, qui traduit parfois une certaine amertume à l’évocation de l’exil. C’est dans ce cadre que nous allons nous retrouver, au long d’une semaine, pour étudier en profondeur, dans toutes leurs implications, des sujets essentiels : celui du retour du Roi en France, celui de l’évolution des relations franco-marocaines. Sur ces thèmes, sensibles et délicats, le Roi s’exprime de préférence en Arabe, la traduction rapide et pesée étant l’œuvre de Son Altesse le Prince Moulay Hassan. Au détour de chaque phrase, le Roi nous donne l’occasion d’apprécier sa finesse naturelle, la flexibilité de sa pensée, la fermeté de son caractère, son goût pour la démonstration rationnelle qui n’exclut jamais le recours à l’expression imagée73.

C’est l’effervescence à Antsirabe. Max Jalade arrive le

jour même de l’ouverture des négociations. Il a voyagé dans le même avion que la délégation marocaine, qui comprend Si Bek-kaï, Ben Slimane et Ben Hassan Driss74. Les journalistes cher-chent le scoop. La protection autour du sultan est de plus en plus stricte,

73 Témoignage de Henry Yrissou, sur le site officiel du gouvernement maro-cain, « Feu sa Majesté le Roi Mohammed V », www.mohammedV.ma. 74 Ben Slimane : ancien pacha de Fès, président du conseil du Trône en 1955 ;

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Surtout depuis que Jean Mangeot, de Paris-Match75, a été surpris dans les arbres avec son téléobjectif… Nous formons maintenant une équipe qui em-pêche de dormir le service de sécurité. De nouveaux confrères sont venus nous rejoindre… A tour de rôle nous prenons le quart, occupant nos loisirs à la visite des environs…76

Le sultan mène en parallèle les entretiens avec les deux

délégations. Cela permet aux uns et aux autres de se promener dans les rues d’Antsirabe, entretenant ainsi l’espoir des journa-listes. Le 7 septembre, les journalistes sont enfin récompensés. Le général Catroux et M. Yrissou nous reçurent en compagnie du colonel Touya… Nous entendîmes un vif éloge des pachas de Séfrou et de Fès. - Ce sont de vrais amis de la France, dit le général. Ils ont le désir, la volonté de travailler à la communauté franco-marocaine. Et, tirant sur sa pipe d’ajouter : - Naturellement, ils veulent leur indépendance et on ne peut leur donner tort77.

Les négociations progressent vite. Dans une lettre à Pinay,

le Roi se félicite Que le Gouvernement français ait décidé de sortir de l’impasse actuelle, afin de replacer les rapports entre le Maroc et la France dans leur cadre véritable, celui de l’amitié et de la confiance… Votre Directeur de Cabinet, M.Yrissou s’est constamment efforcé, en plein accord avec Notre Majesté, de rechercher les solutions aptes à assainir les rapports entre nos deux Pays et à leur assurer un avenir commun, à la mesure de leur glorieux passé.

C’est dans un climat cordial et ouvert que la délégation

française prend congé du sultan, le 9 septembre. Le soir même, 75 En août 1955, Paris-Match publie un grand article récapitulant l’ensemble de la crise marocaine. Un des intertitres résume bien l’image que l’on donnera de l’exil : « Madagascar : Devant son feu de bois l’exilé écoute à la radio les premiers coups de la guerre civile ». 76 JALADE, Mohammed Ben Youssef tel que je l’ai vu, pp. 26-27. 77 Ivi, pp. 47-48.

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le général Catroux s’adresse à la presse, faisant état du succès des négociations : [Mohammed V] a pris ses décisions délibérément et a souligné qu’il ne vou-lait pas que le sang coule à nouveau. A aucun moment, les négociations n’ont cédé à la précipitation. Il n’y a eu ni ultimatum, ni marchandages78.

Le gouvernement approuve le plan de Catroux le 12 sep-

tembre. On peut s’attendre à un déplacement rapide de Moham-med V vers la France pour finaliser officiellement l’accord. Mais il faut auparavant régler la question Ben Arafa. Cela s’avère plus délicat que prévu. Sidi Mohammed et sa famille vont donc en-core passer près de deux mois à Antsirabe.

C’est durant cette période que Max Jalade a l’occasion de rencontrer fréquemment les jeunes princes, qui finissent par le mettre en contact direct avec le sultan.

Catroux, Yrissou et Touya rentrés en France dès le 10 sep-tembre, Mohammed V ne manque cependant pas de visites. En premier lieu, ce sont les représentants du Parti Démocratique de l’Indépendance et de l’Istiqlal qui s’installent en ville. Le séjour à Antsirabe n’a plus d’exil que le nom.

Le départ de Ben Arafa n’est pas facile à obtenir. Le Glaoui et le clan Juin joue leurs dernières cartes et le nouveau Résident général va dans leur sens. Le général Boyer de Latour était Un Vieux Marocain (commandant de Goum pendant la guerre). Cet officier venait de s’acquitter en Tunisie de la mission difficile d’ouvrir les voies à l’autonomie interne, en accord avec les nationalistes. Cette activité émanci-patrice, il sembla n’avoir d’autre objectif en arrivant à Rabat que de se la faire pardonner par les cadres de l’armée et les milieux de la colonisation. Il n’eut de cesse qu’il ne rendit caducs les accords d’Antsirabe, soit en empêchant l’hôte du palais de Rabat de faire retraite, soit en suscitant la désignation par

78 JALADE, Mohammed Ben Youssef tel que je l’ai vu, p. 54.

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Moulay Arafa d’un successeur, soit en tentant de faire nommer un partisan du Glaoui comme membre du conseil du trône.79

Le 1er octobre, l’heure du dénouement semble arrivée.

« Moulay Hassan commente avec une joie qu’il a peine à conte-nir les nouvelles parvenues de Rabat. Au cours d’une nuit mou-vementée, le sultan Ben Arafa aurait accepté de se retirer à Tan-ger »80, mais tout n’est pas si simple. Les informations contra-dictoires se succèdent. Ben Arafa n’aurait pas laissé la place à un Conseil de régence, mais voudrait transmettre le trône à un troisième homme. En fait, la situation est moins catastrophique. Il a délégué à son cousin (et gendre) le « soin de s’occuper des affaires relatives à la couronne ». Le soir même, grâce à la com-plicité du prince Hassan et du colonel Touya, Max Jalade ren-contre pour la première fois Mohammed V. Nous nous connaissons depuis longtemps, dit Mohammed ben Youssef avec un sourire où perce l’ironie. J’entends souvent parler de vous par mes enfants et par le colonel. Je n’ai pas eu toujours à me louer des journalistes ; on a été très injuste envers Nous-même et les membres de ma famille. La vérité triomphe toujours. Je comprends les exigences de votre métier et je voudrais pouvoir vous aider. … Il y a deux ans que j’ai quitté le Maroc. Je ne puis donc vous donner aucune indication précise. Ce que je puis vous dire, c’est ce que je connais, ce que tout le monde connaît, des accords passés entre le général Catroux, représentant officiel du Gouvernement français, et moi-même. Je ne connais que cela. Je m’y tiens81.

Edgar Faure est dans les mêmes dispositions. Il veut en

79 LACOUTURE, Cinq hommes et la France, pp. 242-243. Pour un éclairage récent sur Boyer de la Tour, tant pour son action en Tunisie qu’au Maroc, voir D. RIVET, Un acteur incompris de la décolonisation : le général Édouard Méric (1901-1973), Saint Denis, Éditions Bouchene, 2015. 80 JALADE, Mohammed Ben Youssef tel que je l’ai vu, p. 67. 81 Ivi, p. 71.

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finir, d’autant que la majorité qui soutient les accords d’Antsi-rabe est fragile. Il obtient le 8 octobre un vote favorable de l’as-semblée. Pari gagné, mais il se sait maintenant en sursis : il faut donc régler la question marocaine au plus vite82.

Le 25 octobre, considérant que Juin ne peut plus rien pour lui et que le choix de la ˮcarteˮ Mohammed V est irréversible du côté du gouvernement, le Pacha de Marrakech, Thami El Glaoui, pivot de la conjuration du 20 août, choisit le ralliement au sultan exilé. C’était là sans doute le seul moyen pour sauver ses intérêts au Maroc.

De Paris, mon journal insiste pour que j’obtienne une déclaration de Sa Majesté. Un scoop ! Mohammed V me recevra sur la terrasse où il prend parfois ses repas. A côté du fauteuil où il est assis, le poste de radio qui l’a relié au Monde. Ses premiers mots seront pour me dire de sa voix douce : Eh bien, je crois que votre exil touche à sa fin. Je l’avoue, je fus décontenancé83.

Plus rien n’empêche maintenant le départ de Moham-

med V, qui s’était déjà vu signifier deux jours plus tôt par le co-lonel Touya la fin officielle de son exil. Le voyage pour la France est fixé au 28 octobre, le jour de la fête du Mouloud. Le sultan y voit un symbole pour les croyants : l’exil commença à l’Aïd el Kébir, elle se termine pour l’anniversaire du prophète (Mais le départ sera repoussé au 30 octobre pour raisons météorolo-giques).

Les derniers jours à Antsirabe sont consacrés aux prépara-tifs du départ. Mohammed V avait imaginé rentrer par bateau, la 82 En décembre, fait unique sous la IVe République, Faure obtient du président de la république Renée Coty la signature d’un décret de dissolution et de nou-velles élections. Il échoue… Guy Mollet prendra la présidence du conseil le 31 janvier 1956. 83 Témoignage de Max Jalade, sur le site officiel du gouvernement marocain, « Feu sa Majesté le Roi Mohammed V », www.mohammedV.ma

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durée du voyage faisant office de transition. Voyager par les airs ne lui plait guère, le mauvais souvenir des conditions du voyage à l’aller est encore présent, mais le temps presse : c’est par avion qu’il gagnera la France, avec le strict minimum (trente kilos pour chacun des membres de la famille royal), les 10 tonnes de ba-gages étant chargées en gare d’Antsirabe pour Tamatave, avant de prendre la mer. Une partie des affaires reste à Antsirabe, en-tretenant ainsi pendant quelques années le souvenir de l’exilé. Le prince Hassan laisse sa bibliothèque à la Fondation des Vieux Coloniaux, ne gardant avec lui que l’essentiel : les Mémoires d’Outre-Tombe et la Bible84. Les jouets de la petite princesse sont distribués aux enfants de la domesticité, et les machines à coudre des femmes du roi sont données pour les lépreux.

Figura 10, Mosquée vu hôtel des Thermes, photographie de Frédéric Garan

84 JALADE, Mohammed Ben Youssef tel que je l’ai vu, p. 119.

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Le sultan laissera à la population le souvenir d’un homme respectable, courtois et pieux. Le 28 octobre, comme chaque vendredi, il se rend à la mosquée. L’après-midi, il fait ses adieux aux fournisseurs, avant de retourner à la mosquée pour la célé-bration du Mouloud et faire une dernière lecture.

Max Jalade espère une interview. Mais, les accords d’Ant-sirabe sont encore informels et Mohammed V ne peut rien révé-ler officiellement. Le journaliste négocie alors une photo de fa-mille : Vous avez de moi assez de photographies clandestines pour que vous puissiez en faire de bonnes… Avant de montrer à Amina le petit oiseau qui va sortir, Ben Youssef, père de famille, tient à choisir lui-même, comme il le fait chaque matin, la robe de l’enfant. Et le voilà fouillant dans la collection que présente la gouvernante…85

Les clichés partent par avion le lendemain matin pour être

publiées par Paris-Presse, premières photos de famille prises de-puis deux ans…

85 Ivi, p. 118.

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Figura 11, Mohammed V et ses enfants, in Max Jalade, op. cit.

Le 30 octobre au petit matin, après un dernier regard sur l’hôtel des thermes, Mohammed V s’engouffre à bord d’une grosse Ford conduite par le prince Hassan.

Précédé par une jeep à flancs blancs montée par deux gendarmes, le cortège gagne à toute allure, au milieu d’un lourd nuage de poussière, le terrain d’Antsirabe. La barrière blanche, protégeant l’accès de l’hôtel des Thermes devant lequel un gendarme, en baudrier et guêtres blancs, veillait nuit et jour dans sa guérite, est levée pour la dernière fois... Les gendarmes se figent au garde à vous. Un important service d’ordre est en place le long du parcours. Tous les cent mètres, un garde malgache, en short et chéchia rouge, mousqueton à la bretelle, rectifie la position86.

Le contraste avec l’arrivée en proscrit vingt et un mois plus

tôt est saisissant. A l’aéroport, le prince Abdallah fixe sur la pel-licule toutes les étapes de l’embarquement de la famille royale. 86 Ivi, pp. 127-128.

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A Tananarive, le Haut-Commissaire André Soucadaux accueille celui qui est maintenant un auguste visiteur, et lui tient compa-gnie le temps du transit. Il est 7h20 et, avant de quitter Madagas-car, le sultan a ces mots : J’emporte un bon souvenir des gens que j’ai côtoyés, tant à Antsirabe qu’à Tananarive. J’ai apprécié leur grande courtoisie et leur grande amabilité. Ce souvenir eût été naturellement meilleur, je vous l’ai dit, si les circonstances de mon séjour avaient été autres. J’aurais préféré rentrer en France par bateau, mais les conditions de transport aujourd’hui ne sont pas celles de mon arrivée. L’avion qui m’amena était petit et non pressurisé ; ce n’est pas le cas au-jourd’hui, c’est un très bel appareil…87.

Le 31 octobre, le sultan arrive en France. Les événements

se précipitent, Edgar Faure est pressé d’en finir. Les négocia-tions qui s’engagent, aboutissent rapidement au retour triomphal de Mohammed V le 16 novembre. Deux jours plus tard, il an-nonce l’Indépendance du Maroc, qui sera effective le 2 mars 1956.

Madagascar n’est pas absente des cérémonies du 18 no-vembre. Déjà la veille au soir, Moulay Abdallah avait projeté à la famille le film tourné depuis le départ d’Antsirabe. Le jour de la fête du Trône, quelques acteurs clés de la crise sont honorés. Le Docteur Dubois-Roquebert, le Comte Clauzel, Pierre Clos-termann, et les avocats Maître Izard et Maître Weil sont décorés du Ouissam Alaouite, la plus haute distinction marocaine. S’ajoute une ˮpromotionˮ d’anciens d’Antsirabe : le médecin-commandant Cléret, médecin du sultan à Madagascar, M. Van-denboomgaerde, chef de la sécurité, et l’inspecteur Mas, qui sui-vit si souvent les pas du sultan dans les rues d’Antsirabe et de Tananarive. Le Colonel Touya, qui deviendra conseiller de Mo-hammed V, fait bien évidemment partie du groupe.

87 Ivi, pp. 132-133.

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Le 30 octobre 1938, le retour de Ranavalona III est d’une

toute autre nature. Loin d’être anecdotique, ce retour d’exil post-mortem que le pouvoir colonial feint de considérer comme une simple formalité, a pour but de souligner la bienveillance de la France pour ses sujets malgaches. Derrière le calme de façade, les enjeux sont importants, tant pour les Français que pour les Malgaches.

Ranavalona III a été enterrée à Alger en mai 1917. L’exil continue alors dans le même dénuement. La tombe est mal en-tretenue, à tel point que le préfet et le maire d’Alger contactent le gouverneur général de Madagascar en 1925, sans résultat puisqu’ils sont obligés de le relancer l’année suivante. Le gou-verneur général de l’Algérie intervient à son tour pour que la sé-pulture de « SM Ranavalona, ex-reine de Madagascar, fut entre-tenue de façon permanente avec un soin tout particulier pour évi-ter que le souvenir de la défunte souveraine ne s’efface avec les ans ». Sans enthousiasme, la colonie de Madagascar accepte de subvenir au coût de 300 francs annuel.88

Si sa mort n’a pas suscité de réaction à Madagascar, le maintien de la défunte dans une sépulture loin de la terre des ancêtres, en contradiction totale avec la tradition malgache, sus-cite des réclamations, sans que les autorités ne s’en soucient. Ainsi, en 1935, l’Opinion de Tananarive interpelle-t-il les Mal-gaches : « Peuple malgache ! Qu’attendons-nous pour l’exhuma-tion des restes mortels de notre ancienne souveraine pour les ré-inhumer à Madagascar ? »89 Le Journal convoque à cet effet Na-poléon Ier, rappelant que les Français ont obtenu des Anglais 88 Bulletin municipal officiel de la ville d’Alger, 20 octobre 1926, p. 355 (source : gallica.bnf.fr) 89 ANOM, 6(2) D 8-11, Madagascar (Gouvernement général), chemise « Transfert des restes mortels de la reine Ranavalona III », extrait L’Opinion de Tananarive du 12 juillet 1935, repris par Mongo du 6 septembre 1938.

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« conquérants » le retour de leur Empereur, mort prisonnier à Sainte-Hélène. Mais la France, sujette au syndrome de l’île d’Elbe, n’est pas prête à la mansuétude. Malgré cet appel (un parmi d’autres), le retour de la Reine ne sera pas le fait d’une initiative malgache. C’est Georges Mandel, ministre des Colo-nies qui interroge sur ce sujet le gouverneur général Cayla en juin 193890 : Il me revient que l’autorisation du retour des cendres de la reine Ranavalo à Madagascar serait appréciée des populations indigènes. On m’assure que ce geste, qui n’aurait aucune portée politique, serait interprété comme le respect que nous avons des traditions locales auxquelles les Hovas91 sont particuliè-rement attachés. Avant toute décision, je désirerai avoir votre avis sur la ques-tion92.

Pour Cayla93 qui dirige depuis des années la colonie d’une

main ferme, rien ne s’y oppose : La période de calme complet qui a suivi [à partir de 1937] et la mani-

festation loyaliste du 28 mai dernier ont créé une ambiance très favorable au retour des cendres de la Reine. Il sera facile d’éviter toute interprétation ten-dancieuse de cet évènement et de faire savoir qu’en la circonstance le Gou-vernement de la République entend témoigner sa sympathie à la population tout entière en honorant la vieille coutume de l’inhumation des morts dans la terre des ancêtres94.

90 Pour plus de détails, voir F. GARAN, Le retour des cendres de la reine Ra-navalona III à Madagascar, in J. GRÉVY (ed.), Reliques politiques, en attente de publication aux PUR. 91 Le pouvoir colonial a pour habitude d’utiliser hova pour désigner les me-rina. 92 ANOM, 6(2) D 8-11, op. cit., Lettre du Ministre des colonies au GG de Madagascar, 23 juin 1938. 93 Voir J. FREMIGACCI, État, économie et société coloniale à Madagascar (fin XIXe siècle-1940), Paris, Karthala, 2014. On se reportera en particulier au chapitre 3 « L’administration coloniale, les aspects oppressifs », pp. 55-85. 94 Ibidem, Télégramme d’État envoyé le 29 août 1938 par le GG Léon Cayla.

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Les choses vont alors très vite. Georges Mandel lance l’opération le 2 septembre, sans prévenir la famille de la défunte reine, ce qui en confirme son caractère très politique. Mongo in-forme ses lecteurs le 6 septembre en relayant le communiqué de presse du Gouvernement Général :

Les restes mortels de la reine Ranavalona III qui reposent actuellement dans le cimetière d’Alger seront prochainement transférés à Tananarive. En déci-dant cette mesure, le Gouvernement de la République a entendu marquer une fois de plus le souci que la France a toujours eu de respecter la coutume fa-miliale des Malgaches. La population tout entière, sans distinction de race et en dehors de tout esprit de caste, verra dans l’évènement annoncé un témoi-gnage des sentiments que lui porte la Mère Patrie95.

Respect de la « coutume familiale » mais sans avertir la

famille…, ce qui n’empêche pas cette dernière, maintenant au courant, d’« adresser l’expression de [sa] profonde reconnais-sance », cette décision faisant « ressortir une fois de plus l’esprit libéral empreint d’humanité de la grande nation française envers ses colonies96… ». Il n’y a donc pas de risque de contestation du côté de la famille.

Le transfert des restes mortels de la Reine s’organise très vite entre Cayla et son homologue à Alger. L’exhumation a lieu le 23 septembre 1938. Ranavalona III qui a vécu si chichement en exil, est maintenant traitée avec tous les honneurs par la Ré-publique. Le Maire et le Préfet d’Alger ainsi que le Général Ca-troux assistent aux cérémonies, en l’absence du Gouverneur Gé-néral Georges Lebeau qui n’est pas en Algérie. Quelques per-sonnalités ayant un lien avec Madagascar sont invitées : M. Dan-

95 Ivi, Lettre du GG de Madagascar au Ministre des Colonies. 96 Ivi, Lettre de « Rakotofiringa, comptable chez M. Abel Louys (Ambalavoa) et sa femme, fille de feu Ratsimamanga prince, cousine de la Reine Ranava-lona III » au GG de Madagascar.

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gerfield de Tananarive, Mme Krajewski de Tamatave, « qui as-sista S.M. la reine à ses derniers moments », et M. Delgove, « commissaire de Police Spéciale originaire de Madagascar ». Durant le trajet qui mène de la chapelle ardente au paquebot, les couronnes du gouvernement de la République, du gouvernement général de l’Algérie, de la mairie d’Alger et des « protestants d’Algérie » accompagnent le cercueil couvert du drapeau trico-lore. La chapelle installée dans le navire est également aux cou-leurs bleu/blanc/rouge. Ce n’est pas le moindre des paradoxes pour une reine exilée parce qu’ennemie de la France.

C’est cette photo du cercueil avec le drapeau tricolore que la presse coloniale Algéroise diffuse, une presse pour laquelle Ranavalona redevient une reine à part entière et qui semble ou-blier qu’elle était en exil :

Le 24 septembre a eu lieu, au cimetière de Saint-Eugène, l’exhumation des cendres de S.M. Ranavalona Manjaka III décédée à Alger en 1917, dans la résidence princière que lui avait réservée le Gouvernement français. C’est à l’instigation de M. Cayla, Gouverneur général de Madagascar que M. Mandel97, ministre des Colonies, a pris la décision de renvoyer les restes de la dernière reine de Madagascar dans son pays d’origine où ils seront accueil-lis avec une profonde émotion par le peuple malgache98.

97 Mais c’est bien à l’instigation du Ministre des Colonies que le rapatriement a été organisé. 98 ANOM, 6(2) D 8-11, op. cit., « Le transfert des cendres de Ranavalo », revue Algeria, octobre 1938.

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Figura 12, Revue Algeria, octobre 1938 (ANOM 6(2) D8-11)

L’entreprise de réhabilitation se poursuit lors du passage en métropole de la dépouille royale à l’image du long article de Pierre Mille99, dans le Petit Marseillais du 22 octobre 1938100. Certes, il n’y a pas de remise en cause du bienfondé de la poli-tique française, « l’ordre de destitution et d’exil qu’avait pris Gallieni avait été sage », mais la Reine est complètement blan-chie de toute responsabilité dans la révolte des Menalamba. Pierre Mille souligne qu’elle se logeait « fort modestement » à Paris, lorsqu’elle était autorisée à s’y rendre et qu’à Alger, si on continua « à ouvrir toutes les lettres qu’elle recevait de Mada-gascar. On n’y trouva jamais rien de compromettant […] Elle

99 Pierre Mille est grand connaisseur du monde colonial et de Madagascar (il est l’auteur du fascicule sur Madagascar dans la série « La France lointaine », édité en 1929). 100 La presse a globalement relayé l’événement. Le Figaro rapporte l’exhu-mation le 25 septembre 1938, mais en se contentant d’un entrefilet en page 3. Le contexte international, en pleine crise des Sudètes et dans l’attente des accords de Munich, n’y est pas étranger.

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avait pris l’accoutumance de la soumission, et demeura soumise jusqu’à son dernier jour ». Cette attitude exemplaire justifie que la France puisse désormais être clémente. Une nouvelle fois Na-poléon est invoqué, mais pour relativiser l’importance de l’évé-nement :

Aujourd’hui ses cendres vont regagner le sol de ses ancêtres. Ceci n’aura pas les inconvénients du retour des dépouilles de Napoléon Ier pour Louis-Phi-lippe. L’influence du souvenir de la dernière reine sur ses sujets n’a rien de comparable à celle qu’avait conservée celui du vainqueur d’Austerlitz. Elle est à cette heure absolument nulle.

Madagascar est maintenant une terre française, la page est

tournée ! Le Prolétariat malgache précise d’ailleurs qu’à Mar-seille, « un détachement de garde nationale a rendu les hon-neur »101.

C’est bien une Reine réhabilitée, intégrée au roman natio-nal de la construction de la plus Grande France, qui revient sur la terre de ses ancêtres, une terre maintenant française, d’une France qui sait se montrer magnanime. Les cérémonies s’orga-nisent donc à Madagascar autour de ce paradigme.

Cependant, ce retour pose des questions politiques, à com-mencer par s’entendre sur le statut de cette reine. En Algérie, on a célébré une alliée, un grand serviteur de la France, le drapeau tricolore couvrant son cercueil. Il n’est pas possible de faire de même à Madagascar. C’est « recouvert d’un drap rouge bordé d’or »102 que le cercueil quitte Tamatave par train spécial. Le convoi est accueilli à Tananarive par un seul coup de canon alors

101 ANOM, 6(2) D 8-11, op. cit., Le Prolétariat malgache, « organe d’unité ouvrière et de défense des intérêts généraux de Madagascar », vendredi 11 novembre 1938. 102 Ivi, Communiqué (non daté, vers 30 octobre 1938).

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que Tantely en demandait vingt-et-un103. Pour les autorités colo-niales, il n’est pas question d’accéder à cette demande qui don-nerait à la reine le rang de chef d’État.

Dans son discours officiel, Cayla présente l’exil comme ayant été formateur car il a permis à Ranavalona de s’ouvrir à la France, en lui faisant « connaitre toutes les profondeurs de l’âme française et le génie créateur de la vieille nation qui avait résolu de faire de Madagascar une des plus belles provinces de son im-mense empire »104. L’exil était nécessaire à la mission civilisa-trice et à la prise de conscience de la reine qu’il fallait qu’elle confie son pays à la France. « Elle avait vu croître et s’embellir Alger-la-Blanche […] et sans doute se plaisait-elle à imaginer l’œuvre qui se poursuivait, dans une atmosphère apaisée, à Ta-nanarive-la-Rouge et jusqu’aux confins de son pays natal »105.

Le GG insiste également sur le loyalisme des Malgaches : « Elle donne ainsi aux Malgaches, dont le loyalisme s’affirmait récemment encore d’une façon si émouvante, un nouveau témoi-gnage de sa sollicitude maternelle »106. Il fait bien référence à l’engagement des Malgaches durant la Grande Guerre, tout comme l’avait fait Le journal de Madagascar en rappelant le dernier passage en France de la reine : Les survivants du 12e Bataillon Malgache demandent notamment à ce qu’on ne les oublie pas dans les délégations au cortège, car ils gardent vivace en eux le souvenir des paroles de Ranavalona à qui ils furent présentés au moment

103 Ibidem, traduction d’un article du journal Tantely, « Transfert des restes mortels de Ranavalona III ». Porte la mention manuscrite : « Cet article présenté à la censure le 8 septembre 1938 n’est pas paru in extenso. » 104 ANOM, 6(2) D 8-11, op. cit., compte rendu officiel tapuscrit des cérémo-nies, « La translation et la ré-inhumation des cendres de Ranavalona III », page 3. 105 Ivi, page 4. 106 Ivi, page 3.

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de monter au front : Allez mes enfants, marchez pour la France et que Mada-gascar soit fière de vous. C’est en obéissant à cet ordre que ce fameux batail-lon se fit hacher héroïquement, accomplissant les prouesses que l’Histoire a enregistrées107.

L’Écho Malgache voit lui dans le retour de la reine, une

sorte de compensation pour les soldats tombés en France, qui ne retrouveront jamais la terre de leurs ancêtres. Les exils s’entre-croisent… :

Nous ne pouvons nous empêcher de penser en cette circonstance aux poilus malgaches tombés au champ d’honneur, connus et inconnus et dont les tao-lambalo se trouvent sous la terre généreuse de la France qu’ils avaient arrosée de leur sang pour la sauvegarde du droit et de la liberté. Les cendres de ces braves tirailleurs ne parviendront jamais dans le tombeau rituel au Nord du village. Nous les confions à votre garde, frères Français de la Métropole108.

Si l’opération est une réussite du côté malgache, il n’en est

pas de même du côté des colons qui ne cachent pas leur mécon-tentement :

Nous avons l’impression qu’on fait un peu trop de bruit autour du retour à Madagascar des restes mortels de l’ex-reine Hova Ranavalona III. Je ne dé-sapprouve pas la générosité du geste qui permet à la famille de l’exilée de satisfaire à ses coutumes funéraires […] Mais de là à en faire une manifesta-tion telle que celle qui se prépare je trouve qu’on exagère un peu109.

Ils ne veulent pas que l’on oublie que Ranavalona III était

avant tout une ennemie de la France et « il semblerait qu’on

107 ANOM, 6(2) D 8-11, op. cit., Le Journal de Madagascar, « Le retour des cendres de la Reine Ranavalo III à Madagascar », 14 octobre 1938. 108 ANOM, 6(2) D 8-11, op. cit., L’Écho malgache, 23 septembre 1938. 109 ANOM, 6(2) D 8-11, op. cit., Le Colon de Madagascar, « Un geste », 16 octobre 1938.

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veuille aller jusqu’à une sorte de réhabilitation qui serait le dé-saveu tacite des mesures prises par le gouvernement français le 28 Février 1897 »110.

Le succès de l’opération n’empêche pas le pouvoir d’avoir recours à des indicateurs chargés d’espionner la population. Quelques critiques remontent ainsi. D’aucuns reproches à la France une bienveillance de façade, « pour que les Malgaches soient attachés aux Français ». D’autres laissent entendre que cette générosité est tardive : « l’administration française aurait dû renvoyer Ranavalona à son pays natal avant sa mort, car même un criminel reçoit pendant son vivant une libération » 111.

Le 22 novembre 1938, Mongo publie un long article112, qui reprend à la fois l’histoire de Ranavalona III, son exil et le dé-roulement des cérémonies. L’article est sans grande originalité et très respectueux, remerciant Georges Mandel. En fait, c’est la conclusion qui est étonnante :

Ce que l’on peut dire après le compte-rendu des honneurs rendus à la Reine soit au-delà de la mer, soit à Madagascar, à la gare de Tananarive et au mo-ment de la ré-inhumation en présence des milliers d’assistants, c’est que les cloisons étanches se sont écroulées, les Malgaches et les Français ont la même patrie, ils ont les mêmes droits, tous les habitants de Madagascar sont citoyens français.

Les cérémonies devraient donc être le point de départ

d’une nouvelle concorde, de l’unité entre Malgaches et Français, dans la citoyenneté. Un message très politique, qui ne fait que reprendre ce que Jean Ralaimongo revendique depuis son retour à Madagascar, après avoir servi la France durant la Grande Guerre. 110 Ibid. 111 ANOM, 6(2) D 8-11, ibid. 112 ANOM, 6(2) D 8-11, op. cit., Traduction du journal Mongo, « Ranavalona III, d’Alger à Madagascar », 22 Novembre 1938.

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Le Prolétariat malgache avait été encore plus explicite le 11 novembre 1938 (la date n’étant pas un hasard…). Deux ar-ticles sont en parallèle : « la ré-inhumation des restes mortels de Ranavalona III à Tananarive » et « Après la ré-inhumation de Ranavalona III… ». Le premier article reprend la version offi-cielle du déroulement des cérémonies. Le deuxième se place sur un tout autre plan. Parlant des jeunes qui n’ont pas connu la mo-narchie, il les confronte à la situation actuelle. « Lorsqu’on a évoqué officiellement le souvenir de l’ancien régime malgache, ils ne pouvaient pas s’empêcher de faire d’amères réflexions sur leur statut individuel actuel qui est bien amoindri par rapport à celui des anciens sujets de Ranavalona III113 », et de poursuivre par une attaque directe du système colonial : « En effet, sous le régime bâtard actuel de l’indigénat, les habitants de l’Ile ne sont ni malgaches ni français. » Et de demander pour tous les Mal-gaches la citoyenneté française, la « naturalisation en masse » ! La loi d’annexion de 1897 est utilisée pour justifier cette reven-dication, puisqu’elle aurait dû faire de tous les Malgaches des « citoyens français de droit ». Le retour de la Reine doit être le prélude à la réparation de cette injustice. La reine retrouve un rôle politique que l’exil lui avait enlevé depuis longtemps, mais le pouvoir colonial refuse de donner cette dimension à l’évène-ment et en reste à la simple cérémonie :

Jusqu’à 23 heures on vit défiler devant lui plusieurs dizaines de milliers de Malgaches. C’est le jour suivant qu’eut lieu, dans l’après-midi, la cérémonie de la ré-inhumation. Devant la terrasse qui domine la cour du Palais et au bord de laquelle s’élè-vent les tombeaux royaux, la bière, revêtue de son linceul pourpre, était pla-cée sur un large socle entouré de gerbes de roses et d’œillets. Depuis plusieurs heures déjà le flot humain avait submergé les terre-pleins qui dominent la plaine de Mahamasina lorsque le chef de la Colonie, péné-trant à son tour dans le Rova, vint se placer au centre du carré que formaient 113 ANOM, 6(2) D 8-11, op. cit., Le Prolétariat malgache, 11 novembre 1938.

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les troupes. Et ce fut de nouveau la plainte émouvante des clairons, suivis d’une minute de recueillement114.

C’est alors que Cayla prononça son discours. Il fut suivi

par le pasteur Peyrot qui récita les prières liturgiques.

L’heure était venue de la montée vers le tombeau. Au rythme de la marche funèbre de Chopin, dix gardes indigènes, portant le cercueil sur leurs épaules, gravirent les degrés de l’escalier qui prolongeait le catafalque. Un instant après une salve de mousqueterie annonçait que Ranavalona III était entrée, comme disent les Malgaches, dans la maison froide et que le rite ancestral était accompli.

Le retour d’exil de Ranavalona a finalement été le dernier

acte politique de la monarchie malgache… depuis longtemps supplantée par un nationalisme moderne115. Conclusion

L’exil à Antsirabe a servi les intérêts de Mohammed V,

mais aussi ceux de la France qui a pu négocier avec le sultan sans être sous la pression des résidents généraux issus de la mouvance du Maréchal Juin. Les intérêts de la France ont sans doute ainsi été mieux défendus. Il est affligeant que ce bon choix ait été complètement involontaire et relève d’une politique coloniale complètement archaïque. En ce milieu du XXème siècle, le ban-nissement s’avère inutile car, si l’éloignement physique est réel, les moyens de communication comme de transport rendent ca-duques le principe même de l’exil. La politique coloniale de la France est d’un autre temps… 114 ANOM, 6(2) D 8-11, op. cit., compte rendu officiel tapuscrit des cérémo-nies, « La translation et la réinhumation des cendres de Ranavalona III », 5 pages. 115 Voir RANDRIANJA, Société et luttes anticoloniales à Madagascar.

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Alors que l’exil de Mohammed V fut un des ultimes sou-bresauts d’un système à l’agonie, il a paradoxalement favorisé l’accession à l’indépendance. De son côté, le retour de Ranava-lona fut un rendez-vous manqué, un de plus pour le régime co-lonial, qui ne saisit pas l’opportunité de l’accession à la citoyen-neté pour les Malgaches.

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Figura 13, Retour de Mohammed V à Madagascar en 1957, collection privée

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En 1957, Mohammed V revint à Madagascar, comme on

fait un pèlerinage. Bien qu’il ne se soit jamais senti proche de la culture malgache, avouant même à Catroux ne pas être passionné par le retournement des morts (contrairement à son interlocu-teur), il sait qu’entre janvier 1954 et octobre 1955, plus qu’à Ra-bat, et peut-être même plus qu’à Paris, l’histoire de son pays s’est joué à Madagascar. Un lien affectif indissoluble s’est créé, comme le rappelle en 2005 son petit fils Mohammed VI, à l’oc-casion de la visite de Marc Ravalomanana à Rabat.

Il m’est particulièrement agréable, Monsieur le Président, de recevoir en votre Excellence le magistrat suprême de la République malgache, une grande nation à laquelle tous les Marocains portent des sentiments très affectueux et de profonde estime […] A la joie de vous recevoir au Maroc, s’ajoute la résurgence de souvenirs forts et d’une émotion sincère. En effet, Madagascar a toujours été associée, pour le peuple marocain, à l’épopée héroïque de sa lutte pour sa libération. Les marques de solidarité que le peuple malgache a témoignées à mon auguste grand-père, sa majesté le roi Mohammed V et à la famille royale, ainsi que les égards dont ils ont été entourés pendant leur exil à Antsirabe, resteront à jamais gravés dans notre mémoire collective. C’est d’ailleurs avec une vive émotion que les Marocains avaient suivi la visite effectuée, en 1957, par mon auguste grand-père dans votre pays, pour exprimer au peuple malgache frère sa profonde reconnaissance pour la sollicitude dont il fit l’objet avec sa famille durant les vingt-et-un mois qu’ils passèrent à Antsirabe…116.

Cependant, sur place, il ne reste du séjour de Moham-

med V qu’une suite portant son nom à l’hôtel des thermes et une mosquée sur une petite place étonnamment clinquante, entrete-nue par le royaume chérifien. En novembre 2016, Mohammed 116 Allocution prononcée par SM le Roi Mohammed VI lors du dîner officiel offert, le 5 avril 2005 au palais royal à Rabat, en l’honneur du président de la république de Madagascar, M. Marc Ravalomanana. Site du Ministère des affaires Étrangères et de Coopération, Maroc : www.maec.gov.ma/en signet « discours royaux » le 05/04/2005.

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VI a profité du sommet de la francophonie à Antananarivo pour faire une visite à Antsirabe. Un pèlerinage rapide pour lancer les travaux d’un hôpital financé par le Maroc, qui devrait réactiver la mémoire de l’exilé auprès de la population. Par contre, de l’autre côté de notre histoire parallèle, le souvenir de la « petite reine » à Alger s’évapore inexorablement117.

Figura 14, La mosquée d’Antsirabe, entretenue par le Maroc, photographie de Frédéric Garan

117 C’est paradoxalement la maison où la reine séjourna à Fontainebleau qui porte aujourd’hui une plaque commémorative.

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Garan, Ranavalona III et Mohammed Ben Youssef

Viaggiatori. Circolazioni scambi ed esilio, Anno 1, Numero 2, marzo 2018 ISSN 2532-7623 (online) – ISSN 2532–7364 (stampa)

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