q,4((o lalgÉrie & la tunisie - la chancellerie des

62
W) Obb)/"' q,4((o L'ALGÉRIE & LA TUNISIE A TRAVERS LES AGES DEUX CONFÉRENCES- Faites dons la salle de la Société de Géographie de Paris les 2 et 27 décembre 1892 ACCOMPAGNÉES DE DEUX CARTES PAR Alexandre EOUTROUE Associé correspondant de la Société des Antiquaires de Fronce, Chargé de Missions archéologiques du Ministère de l'instruction publique et des Beaux-Arts. EflI PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR 28, BOIt EON&PABTE, 28 6' __-1893 ) -4,r Document liii II IlI Il 111111 illIIIIll 099577710-]

Upload: others

Post on 16-Jun-2022

0 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

W) Obb)/"'q,4((o

L'ALGÉRIE & LA TUNISIE

A TRAVERS LES AGES

DEUX CONFÉRENCES-Faites dons la salle de la Société de Géographie de Paris

les 2 et 27 décembre 1892

ACCOMPAGNÉES DE DEUX CARTES

PAR

Alexandre EOUTROUEAssocié correspondant de la Société des Antiquaires de Fronce,

Chargé de Missions archéologiquesdu Ministère de l'instruction publique et des Beaux-Arts.

EflI

PARIS

ERNEST LEROUX, ÉDITEUR28, BOIt EON&PABTE, 28

6' __-1893

)-4,rDocument

liii II IlI Il 111111 illIIIIll099577710-]

Page 2: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L'AEGÉRIE L TRAVERS LES AGES

CONFÉRENCE

FAITE A LA SÉANCE DE LA COMMISSION CENTRALE DE LA SOCIÉTÉ

0E GÉOOBAPIIIE DE PARIS ûu 2 DÉCEMBRE 1892

Page 3: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE

M

Séance du 2 décembre 1892

Prèsidence de M. CIJEYSSON, inspecteur généraides Ponts et Chaussées

L'ALGÉRIE À TRAVERS LES AGES

SOMMAIRE. - La Numidie; - Les Maurétanie . Césarienne, SiufienneetTingitane ; - Les Vandales et les Byzantins: - Les Invasions arabesdes vit- et 11e siècles; - Le royaume Berbère de Tlemcen; -Barberousse, la domination turque et le gouvernement des Deys; -Le Bastion de Franco; -Les Monuments; - L'Algérie contemporaine.

M i ss inuit s,

L'Algérie n'est pas un pays aussi riche en monuments quel'Egypte, la Grèce et l'Italie; elle ne possède ni les Pyramides,ni le Parthénon, ni le Colisée; ruais c'est une terre française, auclimat doux, tempéré, qui n'est pas débilitant comme celui delEgypte, ce qui tient à la nature et aux divisions de soitdivisions que je vous demande la permission de vous rappeleren quelques mots.

Le territoire de l'Algérie, vous le savez, se divise en quatrezônes parallèles à la mer Méditerranée.

Il y a d'abord la bordure montagneuse qui se trouve sur lerivage qu'on appelle le Sahel : en arabe « Sahel u veut dire« rivage u. Puis vient le Tel], c'est le mot latin « telius quia été recueilli par les Arabes et adopté par eux; il indique la

Page 4: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

4-, 'ALGI".I(IE À TRAVEIIS LES AGES

partie cultivable et fertile de l'Algérie. C'est dans le Tell quese trouvent les vallées célèbres de la Mitidja eu Algérie et dela Medjerda en Tunisie, mais c'est aussi la partie la moinssalubre du pays.

Derrière Je Tel!, viennent tes Hauts-Plateaux, d'une alti-tude de 700 à 1.200 mètres environ et où pousse l'halfa,plante employée en sparterie et pour la fabrication dupapier. Enfin, après les Hauts-Plateaux qui ont une pro-(bndeur variable, commence te Sahara, désert de sable oùtoute végétation cesse sauf dans les oasis, et où la températureest insupportable.

Eh bien, dans les trois premières zones, c'est-à-dire dansle Sahel, dans le Tell et sut' les Hauts-Plateaux, l'Européenpeut vivre sans fatigue tonte l'année. Il n'en est pas ainsi enEgypte, ni à Tripoli, ni sur toute la côte qui s'étend depuisGabès jusqu'à Alexandrie Cela tient, (l'une part, à cc quecette longue côte est à une latitude phis méridionale que cellede l'Algérie d'autre part, à ce que le Sahel, le Tell et lesHauts-Plateaux n 'y existent pas, en sorte que le désertS'avance jusque sur le bord de la mer ou à peu près.

En Egypte, il n'y a que la vallée du Nil qui soit fertilemais quelle prodigieuse fertilité l'histoire est là pourl'attester. En dehors de cette vallée et dès qu'on s'éloigne del'estuaire du Ni!, c'est toujours le désert.

C'est h cause de cette situation particulière de l'Algérie,qu'dn a justement appelé cette colonie la France d'Afrique,voulant exprimer par là qu'elle continue en quelque sorte leterritoire de la France, et qu'elle a à peu près son climat ouplus exactement celui du Sud de l'Europe.

En résumé, l'Algérie et un pays très intéressant pour desFrançais; et, bien qu'on ne puisse pas se dissimuler qu'ellen'est pas très riche en monuments, on n'y éprouve aucunedéception, même après avoir visité la Grèce, l'italie, I'Egyptcet l'Orient.

Page 5: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L'ALGÉIIIE A mArInS LES AGES 5

Tout le monde connaît aujourd'hui l'Algérie, au moins pardes lectures; aussi n'ai-je pas la pensée de vous parler deson état actuel.

Soit est moins connu, et c'est de ce passé que je vousdemande la permission de vous entretenir. Chemin faisant,nous ferons lino comparaison entre l'Algérie ancienne etl'Algérie contemporaine vous verrez que cette comparaisonn'est ni sans intérêt ni sans utilité et que, si j'avais letemps de m'étendre davantage, nous pourrions trouver quel-que chose à imiter dans l'oeuvre qui a été accomplie dans cepays par certains de nos devanciers, notamment par lesRomains.

Pour le dire tout de suite, nous aurions bien fait d'étudierplus tôt que nous ne l'avons fait tes règles que les Romainsont suivies dans le choix des emplacements de leurs villes etde leurs colonies. Nous n'aurions pas éprouvé certains déboi-res ; quantités de villages fondés il y n une quarantaine d'an-nées en Algérie et qui n'existent plus, n'auraient jamais vitjour.

Nous aurions, si nous avions fait comme les Romains,placé ces villages sur le penchant dos coteaux, et si nousavions su, comme eux, y faire affluer de l'eau potable, nousaurions évité les épidémies de fièvre et épargné bien desvies humaines. Voilà comment le présent peut tirer un ensei-gnement de l'étude du passé et c'est la meilleure justificationde l'utilité des travaux des archéologées, travaux que lesesprits superficiels sont trop enclins à considérer comme (lesimples jeux d'esprit sans intérêt pratique.

L'Algérie a conservé sur son sol des traces des différentspeuples qui s'y sont succédé et elle présente des monumentsélevés par ces peuples, dont je ferai passer tout h l'heure lesplus importants sous vos yeux. Parmi ces monuments, lesplus intéressants sont dûs à deux grandes civilisationsje

Page 6: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

6 L'ALGÉRIE A TRAVERS LES ACES

veux parler de la civilisation romaine et de la civilisationarabe.

Les monuments romains sont beaucoup plus nombreux queceux qu'on trouve en Espagne et en Gaule; niais, commela plupart d'entre eux ont été construits à des époques dedécadence, ils sont rarement d'un style pur et il en est bienpeu qui, au point de vue de l'art, puissent égaler ceux qu'onadmire en halle ou dans le Midi de la Francé.

Quant aux monuments arabes, je puis les earactérier d'unseul mot ils sont le reflet de I'Ecole andalouse. Vous verrez,en effet, que les plus beaux, qui sont presque tous réunis àTlemcen, ont été construits sous l'influence des Maures del'Andalousie, qui furent, pendant plusieurs siècles, à la tête(le la civilisation des peuples de leur race.

L'histoire de l'Algérie est moins ancienne, mais elle estaussi moins fabuleuse que celle des contrées de I'Egypte, del'Orient et de la Grèce.

A l'époque des dynasties du nouvel Empire Egyptien, c'est-à-dire vers le xv0 siècle avant Jésus-Christ, les Phéniciensont établi des comptoirs sur la côte algérienne. Plus tard, aulxŒ siècle, ils ont fondé Carthage. Je passe . très vitc, carl'Algérie n'entre véritablement dans le domaine de l'histoirequ'à la fin du-iii' siècle avant Jésus-Christ, au moment de laseconde guerre punique engagée entre Home et Carthage, etelle y entre assez longtemps après, que la Tunisie, c'est-à-dire l'ancien territoire de Carthage, y ait déjà joué un rôleimportant.- -

C'est le royaume de Numidie, auquel répond notre provincede Constantine, qui fait parler de lui le premier. La Numi-die avait pour capitale qui, Cfrt.a au ive siècle de notre ère,prit le nom de l'empereur Constantin qu'elle a depuis con-serve.

Les Numides étaient des cavaliers fort habiles et très hardis

Page 7: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L'ALCÊRIE A TRAVERS LES AGES 7les médailles antiques et des bas-reliefs de la colonne trajaneà Rome nous les représentent comme soudés à leurs chevauxqu'ils montaient sans étriers, sans selle, sans bride, sansmors et qu'ils dirigeaient seulement avec les jambes, ou peut-être avec un petit bâton qu'ils tenaient de la main droite, etencore ce bâton . n'était-il peut-être qu'un signe de cocnman-dement ?

A la fin du iii 0 siècle avant Jésus-Christ, le roi numideMassinissa, dont nous avons tous entendu parler sur les bancsdu collège, s'allie aux Romains contre Carthage. Nous avonsun monument qui remonte 'n cette époque; il est connu sous Jenom de Madracen.

PRoweTlox t . - Cette photographie est faite d'après unLedessin le Madraçen a servi très probablement de tombeau au Madraçen.roi Numide Massinissa et à quelques-uns de ses successeurs.Il affecte la forme des anciens tumulus de l'âge de pierre etrappelle vaguement celle des Pyramides d'Egypte. Il est situéà 30 kilomètres au nord de Batnah et à 90 kilomètres au sudde Constantine. Sa hauteur est de 18 mètres; l'intérieur estformé par un blocage de grosses pierres non appareillées,mais le revêtement, aujourd'hui fortement endommagé, esten bel appareil.

Un peu plus tard, pendant cinq années, Jugurtha roi deNumidie, résiste aux armées romaines. Vous savez qu'il futlivré au général romain Sylla par Bocchus, soitroi de Maurétanie. Cet évènement se passa en l'an 106 avantJésus-Christ.

Soixante ans après, Salluste, gouverna pendant deux ans laprovince de Nuinidie pour le compte de César. Salluste étaitun fonctionnaire rapace, cupide, concussionnaire ; niais c'étaiten même temps tin écrivain remarquable qui s'est immor-

1. La conférence était accompagnée de projections à la lumière oxhy-drique mi trouvera en marge l'indication des photographies projetées.

Page 8: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

8 L'ALCÛiIIE A TRAVERS LES ACES

talisé cii écrivant la guerre de Jugurtha où il hORS Q laisséune description précise du pays qu'il connaissait bien.

II dit : « La mer d'Afrique est orageuse ; les côtes offrent• peu de ports; le sol est fertile en grains, abondant en $tu-• rages, dépouillé d'arbres; les pluies et les sources y sont• rares (edo terrdque penuria aquarum). Les hommes y• sont robustes, légers h la course, durs au travail. A l'excep-• tion de ceux que moissonne le fer ou la dent des bêtes• féroces, la plupart meurent de vieillesse, car rien n'y est• plus rare que d'y étre emporté par la maladie.

Ce tableau qui nous montre l'aspect du pays à l'époque oùSalluste l'habitait est encore aujourd'hui exact dans sesgrandes lignes. Le pays aurait donc peu changé depuis prèsde deux mille ans. Les hommes que Salluste n décrits, nousles connaissons ce sont les Berbères dont le type le plus purse rencontre chez les Kabyles qui, eux aussi, sont robustes,durs au travail et en cela bien différents des peuples de racearabe proprement dite.

Un groupe Voici des Kabyles. C'est évidemment cette race quede Kabyles Salluste a décrite.a la porteLa vie humaine devait être plus longue alors en Afriquemosquée. qu'elle ne l'est aujourd'hui. D'après Salluste et d'après de

nombreuses inscriptions trouvées dans le pays, il y avait beau-coup de centenaires.

Il ne semble pas qu'on ait tiré dit livre de Salluste tout cequ'il contient; il serait très intéressant d'identifier tous leslieux dont il a parlé, de dresser l'itinéraire des marches etcontremarches des généraux romains et des troupes des roisde Numidie et de Maurétanie cela nous ferait beaucoupmieux connaftre la Numidie antique que nous ne la connais-Sons.

Ait de Salluste opposons-en un autre presqueaussi ancien, celui de Plutarque, dans lit de son vieuxtra d ucteu r A nyot , qui a tant de saveur,

Page 9: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L'ALCÉRlE A TRAVERS LES AGES 9

Dans la Vie de -Pompée, Plutarque dit« Et si dit davantage Pompée, (c'est-ii-dire que Pompée se

« dit en outre) qu'il ne fallait pas que les bêtes sauvages« même de l'Afrique (il parle de la partie qui coïncide avec la• Tunisie et la province de Constantine) dernourâssent sans• éprouver la force et la fortune des Romains; au moyen de• quoi il employa quelques jours, mais peu, à chasser aux• lions et aux éléphants. »

Donc à cette époque, soixante ans avant Jésus-Christ, il yoyait encore des éléphants dans le Nord de l'Afrique, et parconséquent, le pays devait être plus boisé, mieux arrosé etcontenir plus de pûturages qu'aujourd'hui, car sans cela leséléphants n'auraient pas pu y trouver leur subsistance. Nousavons donc bien fait d'invoquer ce, témoignage de Plutarquequi ne corrobore pas complètement celui de Salluste.

En prenant Salluste au pied de la lettre, on est amené àconclure que le climat de l'Afrique était, il y a deux milleans, identiquement ce qu'il est aujourd'hui ; tandis qu'en lisantPlutarque, il semblerait, et je crois que c'est bien là la notevraie, que l'aspect du pays s'est modifié sur d'immensesespaces et que des bois et des pâturages qui existaient jadisont disparu.

La Société de géégraphie a fait dresser deux cartes muralsl'une qui représente l'Afrique ancienne el. l'autre l'Afriqueactuelle. Sur celle qui représente l'Afrique du Nord à l'étatactuel, le trait rouge indique l'itinéraire que j'ai suivi1.

Examinons comment les Romains avaient divisé ce pays et,pour cet examen, plaçons-nous à l'époque des premiers empe-reurs romains, dans le premier siècle de l'ère chrétienne.

Nous voyons d'abord la province proconsulaire d'Afrique,ainsi nommée parce qu'elle était gouvernée par un ancien con-sul; elle correspondait à la Tunisie eteut pour capitales suc-

4. Voyez les cartes jointes à celle brochure.

Page 10: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

W,L ALCERIE A TRAVERS LES ACES

cessivement Utique et la Carthage romaine. A l 'ouest de laprovince proconsulaire était la Nurnidie, laquelle occupait lesterritoires qui forment à peu près aujourd'hui le départementde Constantine; nous avons dit qu'elle avait pour capitaleCirta, la moderne Constantine.

Puis venait une grande province connue sous le nom deMaurétanie césarienne comprenant nos départements d'Algeret d'Oran. A l'ouest de cette province s'étendait la Mauré-tanie tingitane qui comprenait une partie du Maroc actuel : elleavait pris son nom de sa capitale Tingis, aujourd'hui- Tanger.C'est SOUS l'empereur Glande, au milieu du 101 siècle de notreère, que la Maurétanie césarienne et la Maurétanie tingitanefurent séparées et formèrent deux provinces.

Sous Dioclétien, eu l'an 292, une troisième province deMaurétanie fut créée la Maurétanie sitifienne qui tira sonnom de sa capitale Sitifis, la moderne Sétif, à une quarantainede lieues à l'ouest de Constahtine. Cette province rut composéede parties prises à la Numidie et à la Maurétanie césarienne.

En l'ail 23 de notre ère, après 53 années de règne, mourutfuba II, roi de la Maurétanie césarienne, dans sa capitalede Julia coesarea dont les Arabes ont fait Cliercliel, qui estaujourd'hui un petit port situé à environ vingt lieues à l'ouestd'Alger. Juba II avait été protégé par l'empereur Auguste;c'était un écrivain et un artiste; il avait été nommé roi deMaurétanie par les Romains dont il n'était en réalité que lesimple agent. Auguste lui avait fait épouser cléopatre Séiéné,fille de la célèbre reine d'Egypte Cléopétre et du triumvirMarc-Antoine.

Vous vous demandez pourquoi je vous raconte toute cettehistoire c'est tout simplement pour vous montrer le tombeau

Tombeau que Juba Il fit élever à la reine Cléopâtre Séléné, sa femme,

de ia Ch're- et à lui-même. Il est connu sous le nom de Tombeau de laChrétienne (Khoubr-er-fioumia). •i,es Arabes lui ont donné ce

Page 11: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L'ÀLCRJE A TRAVERS LES ACES finom, bien qu'il ait été édifié avant l'introduction du christia-nisme dans cette contrée, parce qu'il est orné de quatre faussesPortes orientées à peu près aux quatre points cardinaux, etque sur chacune de ces portes, il y a un motif de décorationcomposé de deux lignes se coupant à angle droit et affectantpar suite la forme d'une croix.

Le Tombeau de la Chrétienne est dans une position magni-tique, sur une hauteur dépendant du Sahel, dominant la merde 230", tandis qu'au sud la vue s'étend sur la fertile plainede la Mitidja et sur les contreforts de l'Atlas.

C'est le plus beau monument de toute l'Algérie ses pro-portions sont colossales; il a la forme d'un cône tronquéreposant sur une base carrée et ornée de colonnes ioniquesengagées. Comme vous le voyez, il a beaucoup de ressem-blance avec le Madracen, sauf que la hase de ce dernier estcirculaire. Ces deux monuments offrent une imitation lointainedu style et de la forme des Pyramides d'Egypte ainsi que desgrands tombeaux romains, par exemple du tombeau del'empereur Adrien qui est actuellement connu à Rome sousle nom de C'hdteau Saint-Ange; mais le mausolée d'Adrienest moins grand que le Tombeau de la Chrétienne. Celui-ci

un peu plus de trente mètres de hauteur; il en a. eu plusde quarante il s'est donc affaissé d'une dizaine de mètres.Dans l'intérieur composé de larges pierres bien appareillées,en quoi il diffère du Madraçen, on u découvert, à peu prèsau centre, mie chambre qui a dû contenir au moins un sarco-phage; mais ce sarcophage n disparu, comme celui du Madra-çen et comme ceux des grandes pyramides d'Egypte, àl'exception de la troisième, celle de 2Wyeerinus, dans laquelleon trouva encore, au milieu de ce Siècle, un magnifique sar-cophage qui fit naufrage sur les côtes du Portugal avec lenavire qui le transportait en Angleterre. Tous ces grands monu-ments ont été violés dans l'antiquité.

Page 12: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

12 L'ALGÉRIE A TRAVERS LES AGES

Du début de l'ère chrétienne jusqu'à la chute de l'empireromain, c'est-à-dire pendant les quatre premiers siècles denotre ère, le pays u traversé la plus belle période de son his-toire. Les Romains l'ont colonisé lentement, patiemment; ilsont mis plus de deux siècles à faire ce que nous avons fait enmoins de soixante ans. La contrée était bien plus peupléealors qu'elle ne l'est aujourd'hui. Les Romains élevèrent beau-coup de villes, et comme je vous le disais eu commençant, ilssavaient en choisir les emplacements beaucoup mieux quenous n'avons su le faire au début de notre colonisation.

De ces villes il nous reste des monuments nombreux, etdans beaucoup d'entre elles on voit encore des aqueducs, desbains publics ou thermes, des ares de triomphe, souvent aussiun théâtre où l'on représentait les comédies antiques et unamphithéâtre dans lequel se donnaient les combats des gla-diateurs et les jeux du cirque.

Nous avons découvert, et ces chiffres vous indiqueront quelle•a été l'intensité de la colonisation du Peuple-Roi, plus de16.000 inscriptions romaines dans le Nord de l'Afrique.

Les Romains, bien entendu, n'ont pas pu coloniser ce payssans y avoir un établissement militaire important. C'est ainsique la troisième légion romaine, qui avait reçu le titre de legio

terlia Augusta, comme autrefois les régiments français portaientles noms de personnages célèbres, était cantonnée à Lain-baesis c'est le nom latin dont on a improprement fait Lambessa,il suffisait, pour le franciser, de dire Lambèse.

Cette ville était située à environ 120 kilomètres au sud-estde Constantine, ii une douzaine de kilomètres de Batnah, aupied des montagnes de l'Au?ès. Voici encore un nom arabe

l'Âuriis, sous lequel se cache l'ancienne dénomination romaineMons aurasius, la montagne dans laquelle on avait trouvé deFor (aurum). Lambèse a été une ville qui n eu, les uns disent40.000, d'autres 60.000 habitants; aujourd'hui elle en compteà peine 1.500.

Page 13: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L'ALGÉRIE A rRAvrns LES ACES 13Au début de notre colonisation, permettez-roi de rappeler

ce souvenir, un régiment français en expédition était campé àLambèse, lorsqu'on découvrit la tombe d'un officier supérieurde la troisième légion Augusta, d'un préteur si je ne me trompe.Le colonel commandant le régiment français voulut rendreles honneurs funéraires à son collègue de l'antiquité; il fitdéfiler les soldats devant sa tombe, le drapeau s'inclina et l'ontira une salve. C'est ainsi que notre armée continue la tradi-tion et donne la main à l'ancienne armée romaine d'Afriquedont M. R. Cagnat vient d'écrire la savante histoire.

C'est cette même Lambèse qui a été depuis déshonorée parles déportations politiques d'honnêtes et courageux citoyensqui n'avaient commis d'autre crime que d'oser résister au coupd'Etat du 2 décembre 1851.

On y voit un monument de grandes dimensions, le Praeto- Proetoriumricin. Je puis vous montrer cette photographie et plusieurs Lambèseautres, grâce à l'autorisation qui m'a été donnée parMM. Neurdein frères, leurs propriétaires; je tiens à les enremercier ici publiquement. Le Praetorù1in était le quartiergénéral de la légion; c'est là que demeurait le préteur,qu'avaient lieu les conseils de guerre et que s'accomplissaientles cérémonies solennelles de la vie militaire romaine. D'aprèsune inscription, ce monument a été construit en l'an 267de notre ère, quatre ans après le tremblement de terre quidétruisit celui qu'il a remplacé.

A vingt-cinq kilomètres de Lambèse on a découvert unepetite ville romaine qui n beaucoup fait parler d'elle dans cesderniers temps : Timgad, l'ancienne Titamugas.

On connaissait depuis le commencement de ce siècle son Arc dearc de triomphe qui fut élevé, croit-on, par Trajan en l'an triomphe100 de notre ère; mais depuis moins de deux ans, Tirngad a de Trajan a

TiWjad.été fouillée très intelligemment par le service des monumentshistoriques, et l'on y n mis à jour une véritable Pompéi nouvelle

2

8I

Page 14: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

14 L'ALGéRIE A TIIAVEI1S LES AGES

avec son théâtre, ses rues, son forum, etc. les fouilles se con-tinuent en ce moment,

ThéûtreLe théâtre de Timgad a été déblayé il y a quelques mois,de rrimgid. ainsi que la rite principale, la rue triomphale, h l'extrémité de

iRuclaquelle vous pouvez apercevoir l'arc de triomphe de Trajan

tic Timgad. dont je viens de vous parler. Cette ville était située à une alti-tude supérieure à 1.000 mètres au dessus du niveau de la mer,an pied du pic le pins élevé de l'Aurès, le Citélia, qui dépasse2.300 mètres et est en même temps la plus haute montagne tictoute l'Algérie.

Rien n'est mélancolique comme la vue de ces ruines dansun paysage absolument désolé, sans un arbre, sans une mai-son, sans ni habitant. C'est lit qu'on peut affirmer que l'aspectdu pays a changé, niais il faut reconnaître que la solitude danslaquelle se trouvent aujourd'hui ces ruines qui rappellent unecivilisation si raffinée, donne une impression de grandeur etde tristesse comparable à celle qu'on éprouve en face decelles de Poesturn. On n'a pas, il est vrai, la ruer devant soi;on ne contemple pas des temples grecs que le temps et lamain des hommes ne sont pas parvenus à détruire, niais lesruines de Timgad sont bien plus importantes et elles s'étagentsur le penchant d'une montagne, dominées par des pies assezélevés, dans un site extrêmement pittoresque c'est là le bijouarchéologique de l'Algérie.

Je voudrais vous montrer d'autres monuments romains.Pour cela passons de la province de Constantine dans la pro-vince d'Alger.

A défaut des ruines de C/ze;-c/zei dont je ne possède aucunephotographie, voici une vue prise h Tipasa, petite colonieromaine créée par l'empereur Claude pour des vétérans,c'est-à-dire des anciens soldats romains retirés du service.

liexèdre Tipasa était proche de Cherchel. Ce sont les ruines d'unede Tipasa. fontaine en forme d'1edxd,e, c'est-ii-dire affectant celle d'un

demi-cercle divisé en siN parties.

Page 15: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L 'ALGIIIE A TRAVERS LES ACES 15Arrivons à l'époque des Empereurs Africaine, ainsi nommés

Pal-ce qu'ils sont nés en Afrique ou qu'ils y ont reçu la pour-pre, je veux parler de Septime Sévère, Caracaila et (les Gor-dien qui régnèrent au nie siècle de notre ère; c'est l'époqueoù le pays n joui de sa plus grande prospérité.

L'Algérie et surtout la province d'Afrique, c'est-à-dire laTunisie, ont produit un grand nombre d'hommes illustresPoètes, orateurs, écrivains, martyrs, grands évêques, pères etdocteurs de l'Eglise. Il nie suffira de vous citer Apulée, Je char-tuant auteur de l'A,ze d'or, ce roman dans lequel il racontele gracieux épisode de l'Amour et Psyché, qui a été depuisimmortalisé par la peinture, la poésie, la musique et qui évoqueles noms de Raphaéi, de Corneille, de Molière, de La Fontaine,sans parler de nos auteurs contemporains.

Je vous citerai encore Tertullien, un orateur fougueux, unesorte de Bossuet latin; Saint Cyprien, évêque de Carthage,qui mourut martyr ; enfin Saint Augustin, évêque d'ifippone,aujourd'hui Bône, dans la province de Constantine.

Il y avait dans cette province une ville importante, surtoutPar sa situation à la limite des possessions romaines et dudésert c'était J'hépeste, aujourd'hui Tébessa. Elle est placéeà 200 kilomètres au sud-est de Constantine, à une altitude de1.100 mètres au dessus du niveau de la mer et à 16 kilomètresseulement de la Tunisie.

Voici un temple de Tébessa qu'on avait pris d'abord pour un Templetemple de Minerve, mais qui était plus probablement dédié à de JupiterJupiter. Ainsi que vous le voyez, il est construit sur Je même a Tebessa,plan que la Maison carrée de .)Wmes, mais il est d'une exé-cution moins parfaite. Suivant M. héron (le Villefosse, qui nsi bien étudié Tébessa, ce monument est de plus de 200 anspostérieur à la Maison carrée.

Cette projection représente un autre monument de Tébessa, Are del'arc de triomphe de Caracalla. Une inscription indique qu'il Caracallau été construit en l'an 214 de l'ère chrétienne . Il fut élevé ex a Tébessa.

Page 16: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

16 L'ALGRlE A TIIAVER5 LES ACES

testarnento, eu vertu d'une clause du testament d'un citoyenromain, né dans le pays, qui avait occupé des fonctionspubliques très importantes. II offre cette particularité assezrare qu'il est quadrifrons, c'est-à-dire qu'il présente sur sesquatre côtés identiquement la même façade, comme l'arc defanits à Home et comme l'arc de triomphe de Tripoli. En mêmetemps qu'il et à son frère Géta, cet are avait étédédié par le testateur -

il leur mère mua Domna pe090 de

Septime Sdvère, qui reçoit le titre de la mère du Camp romain:Matri Castrorum.

Empla-Ceci est le prétendu emplacement du tombeau de saintcernent pré- Augunin, à deux kilomètres de Bône, 1h ou se trouvait l'ancienne

Tombeau Jhj.'po regias (flippent'), dont il était évêque. Il y mourut ende saint l'an 430 de l'ère chrétienne, alors que la ville était assiégée

Auustin à par les Vandales. On peut. dire qu'en même temps qu'il yen-dait le dernier soupir, le pays voyait la fin de la prospérité

(Bône). dont il jouissait depuis quatre siècles. En effet, c'est à cetteépoque que commence cette série de guerres, de pillages, descènes de désolation et de meurtres, qui ont décimé la popula-tion et ont amené le pays à l'état dans lequel il était lorsquenous sommes entrés à Alger, le 5juillet 1830.

Cependant un siècle plus tard, sous l'empereur de Constan-tinople Justinien, le pays traversa une courte éclaircie. Il futconquis par ses généraux Bélisaire et l'eunuque Soldinon, quirepoussèrent pour un temps les Maures, restes de la popula-tion autochtone, et les Vandales. Mais le pays fut à la mêmeépoque décimé par des luttes religieuses, que nous avonsaujourd'hui quelque peine à comprendre, entre les donatisteset les orthodoxes.

Solomon transforma les monuments et s'en servit pour éta-blir un système de défense. Nombre de villes, Tebessa estdu nombre, furent fortifiées par lui et entourées de muraillesfaites avec des matériaux romains. Par suite de ces guerres,

Page 17: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L 'ALU.ÉiiiE A TRAVERS LES AGES 17

les anciennes villes romaines avaient déjà perdu une grandepartie de leur population.

Voici, à Tebessa, la porte qui n conservé le nom du général Porte debyzantin Solomon qui fut nié sous ses murs en l'an 543. De Solomon a

f ehessa.grands monuments furent aussi édifies ou tout au moins modi-fiés sous l'influence du style byzantin, comme par exemple, Basiliquecette vaste basilique située à t kilomètre de Tebessa et qui a byzantine àété construite presque complètement avec des matériaux lehessa.romains.

Enfin, car il faut que j'aille très vite, un siècle pins tard,au vir e siècle de notre ère, nous voyons apparaître un artdégénéré, une architecture assez étrange qui a été pratiquéepar une dynastie indigène de princes ou rois maures convertisau christianisme, lesquels régnaient dans la province d'Oran.C'est ainsi qu'entre Tiaret et Fremda au nord-est de Saïda.,on trouve une dizaine de monuments qui ont été fort bien étu-diés par M. R. (le la Blanchère, monuments qu'on appelle desD/cdar et qui ne sont autre chose que les tombeaux de cesrois indigènes.

Voici le plan d'un de ces ijedar. Dans le coin à droite, Plan et vuevous pouvez aussi apercevoir la perspective de ce petit menu- perspectived'unnient et voir ce que sont devenus, à une époque de décadence, Djedar.le tumulus pr&ustoiiqtu', les grandes Pyramides d'Egypte etle Madraçen après leurs transformations successives.

Nous en avons fini avec l'Afrique antique et nous allonsvoir paraître sur la scène du monde lait qui y a jouéun rôle extrêmement important, mais dont l'histoire n'a pasencore été écrite d'une façon définitive, parce que nous ne laconnaissons qu'imparfaitementje veux parler du peuplearabe.

Ait milieu du vii 0 siècle de notre ère, dans le premier sièclede l'hégire et dans le premier mouvement d'enthousiasme quisuivit l'établissement de la religion de Mahoniet, les Arabes

Page 18: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

18 L'ALGÉRIE A TRAVERS LES AGES

ont envahi l'Afrique du Nord et, dans J'espace de 40 ans, ilsl'ont conquise depuis la mer Rouge jusqu'à l'Océan.

Ils étaient dirigés par Sidi Oh-ba, un général très brave,très hardi, animé de ce fanatisme, de cette foi ardente quisont éclos au lendemain de la mort du Prophète. Arrêté ausud de Tanger par les flots (le l'Océan Atlantique, il y fit entrerson cheval jusqu'au poitrail, tira son sabre et déclara qu'il pre-nait possession de la mer au nom de Mahomet. il périt misé-

Oasis de rablement dans une échauffourée près d'une petite oasis situéeSidi Okba. à 20 kilomètres de Biskra et à laquelle il donna son nom. C'est

là qu'il est enterré, dans une petite mosquée qu'entourent lespalmiers de l'oasis.

Dans le premier élan de leur foi et de leur conquête, lesArabes ont élevé quelques beaux monuments clans leur styleprimitif qui s'inspire de l'ait persan et surtout de l'art byzan-tin.

L'Algérie ne possède pas de monuments arabes de cetteépoque pour en voir, il faudrait aller en Tunisie, à lagrande mosquée do Kairouan fondée par Sidi Okba; maiscela nous ferait sortir du cadre de notre sujet qui est déjàtrop vaste.

Les Arabes imposèrent aux habitants leur religion, leur cos-truie, leurs moeurs, leurs usages, quoiqu'ils fùssent peu nom-breux dans cette première invasion du vii 0 siècle; mais ilsn'imposèrent pas leur langue; et dans celle qui est encoreparlée par les Berbères tels que les Kabyles, on retrouve lalangue que parlaient les habitants du pays au moment où lesArabes l'ont envahi. Quand je dis que les Arabes ont respectéla langue berbère, il faut s'entendre, car tous les peuples quisont soumis à la loi de Mahomet voient s'introduire dans leursidiomes des mots arabes. Vous savez, en effet, que les céré-monies de la religion islamique sont extrêmement simpleselles consistent uniquement clans la lecture et la récitation du

Page 19: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L'ALGRIE A TRAVERS LES AGES 19

Coran or cette récitation doit être fluite en arabe, le Coranne devant pas être traduit. Parfois li maii ne comprend paslui-même ce qu'il dit, comme dans certains pays catholiques ilarrive que des prêtres ignorants récitent des prières latinessans en pénétrer lé sens. On comprend que cette obligation,dans laquelle se trouvent les peuples vaincus de réciter leCoran en arabe, tout en conservant leur langue nationale, udû amener l'introduction de nombreux mots arabes dans leurvocabulaire. Néanmoins, la langue berbère subsiste à l'Ecolesupérieure des Lettres d'Alger qui correspond à nos Facultésde Fiance, elle est enseignée, et une notable partie de la popu-lation de l'Algérie n'en parle pas d'autre.

Ces Berbères ont été chrétiens, beaucoup l'étaient quand lesArabes ont envahi leur pays. On en voit la preuve dans lacroix que 'es Kabyles se tatouent encore sur le front et quiest évidemment une survivance de leur foi ancienne.

Les Arabes envahirent une seconde fois l'Algérie au xlG

siècle : c'est ce qu'on appelle l'invasion ifulalienne, du nomde la tribu qui la dirigea. Elle fut beaucoup plus meur-trière que la première : on sait que les Arabes par naturesont nomades et pillards; ils arrachent les arbres et se plai-sent dans les scènes de meurtre et de destruction. C'est peut-être, à cette époque-là et ensuite sous la domination turqueque le pays a traversé les jours les plus sombres de son histoire.

Cependant, depuis la fin du xn° siècle jusqu'au xvle, c'est-à-dire pendant trois siècles, le royaume berbère établi à TIem,-cen n vu fleurir les arts: il fut détruitparle farouche Barberousse.

Le royaume de Tlemcen recevait ses architectes, ses artis-tes et ses savants, qui étaient en même temps des Marabouts,c'est-à-dire de saints personnages (car chez les Musulmans lascience est inséparable de la religion), du pays des M mires d'Es-pagne qui étaient à la tête de la civilisation des peuples de leurçace. Aussi est-ce à Tlemcen qu'on trouve les plus beaux

Page 20: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

20 L'ALGÉRIE À TI1AVER5 LES AGES

monuments mauresques de l'Algérie ils sont construitsd'après les règles de l'école Andalouse dont le palais del'Alhan?bra de Grenade est le chef-d'oeuvre.

Les marabouts Sidi. /Jou-Mddine et Sidi-el-Haiaoui, auxquelsont été élevées des mosquées dans les environs de Tlemcen,étaient venus d'Espagne, et tous les monuments élevés dans leNord de l'Afrique entre le xii 0 et le xvi 6 siècle sont le reflet,de l'art et de la civilisatisn des Maures d'Espagne.

VueCommençons par jeter les yeux sur la ville de Tlenzcen.générale de Elle est située à l'altitude de 750 mètres et n aujourd'huiTlemcen.

28.000 habitants , autrefois elle en comptait certainement 125et peut-être 150.000. Elle est dans la province d'Oran, à 24kilomètres de la frontière du Maroc; sa situation est ravissante,sur le flanc d'une petite montagne; les fleurs qui y éclosent auprintemps font de ce pays une sorte de paradis terrestre.

La porte du Voici la porte du Méchotar qui donnait accès dans le palaisMéehouar à des rois. On a supposé, non sans raison je crois, que les Espa-Tlemeen. gnols, qui ont été les maitres de Tlemcen pendant un certain

temps, ont remanié les murailles du Méchouar.La grandeCette vue représente l'intérieur de la grande mosquée deMosquée. Tlemcen; c'est une oeuvre du XHi° siècle, fort belle.IntérieurLa petite mosquée d'Abd-el-Kassem, transformée en medressé

de laou école franco-arabe, remonte au début du xiv5 siècle. Vouspouvez y admirer de charmantes arabesques en plâtre fouillé,

Kassem. qui ont la plus grande analogie avec les motifs de décorationde l'Àlhambra de Grenade.

Rempart de Les remparts de Tlemcen sont généralement des xiii 0 etTlemçen. xiv6 siècles.MosquéeL'intérieur de la mosquée de Sidi-Ha/aoui, à 300 mètres dede

SI d ' Tlemcen, achevée en 1353, offre des petites colonnes bassesHa]aoui.

en onyx surmontées d'un j oli chapiteau.MinaretAgadyr est la ville arabe qui a remplacé l'ancienne colonie

d'Agadyr. romaine de Pomaria; elle était située à 1 kilomètre de Tlemcen.

Page 21: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L'ALGÉRIE À TnAVEIIS LES AGEs 21

Il ne reste aujourd'hui de la ville que ce minaret Iù mosquéeà laquelle il appartenait a été construite en 789 et réédifiée auXII. siècle. Je ne serais pas éloigné de croire que la base duminaret appartint au premier monument ce qui est certain,c'est que cette base est construite avec des pierres romainesde grandes dimensions sur quelques-unes desquelles on peutencore lire des inscriptions.

Voici l'enceinte d'une ville ou plutôt d'un camp fortifié situé Enceinte deà 2 kilomètres de Tlemcen qu'on appellait Mansourah. Il fut deMansou.

créé et entouré du mur crénelé et fortifié que vous voyez, par ra pi-ès deun sultan du Maroc qui était venu assiéger Tlemcen en 1302.

Le Minaret de Mansourah, situé dans l'enceinte que nous Minaret devenons de voir, est le plus beau de Tlemcen et aussi le Mansourah.plus beau monument arabe de toute l'Algérie. Il peut êtrecomparé au minaret de la grande mosquée de Séville, qui estaujourd'hui la tour de la cathédrale connue sous le nom de laGiralda.

Voici le village et la mosquée de Sidi-Bou-Médine, à 2 kilo- Village etmètres de Tlemcen. C'est là que mourut ce saint personnage Mosquée deBou-venu , d'Espagne, dont je vous ai parlé. Au lendemain de sa Medinemort, le sol ayant été sanctifié par sa présence, les Arabes près deélevèrent une mosquée autour de laquelle on construisit bien- Tlemcen.tôt une école et des maisons qui formèrent le petit village quevous voyez. Ce village est dans une situation très pittoresque.

Dans l'intérieur du tombeau du marabout Sidi.Bou-Midine, Intérieurvous voyez un mélange singulier d'objets européens et arabes. du tombeau

de SIdI BouIl y a des pendules, des tableaux, des lampes, des suspen- Medinesiens; mais le tombeau est ombragé par des drapeaux autourdesquels viendraient se grouper les fanatiques musulmans lejour de la révolte. Les habitants de Tlemcen sont animésd'un fanatisme plus ardent que les autres populations de l'Algé-rie; ce qui est dû au voisinage du Maroc. Je vous rappellequ'à ce style andalou, on pourrait opposer le style arabe primitif

Page 22: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

22 L'ALGfl1E A TRAVERS LES AGES

qui l'a précédé de 3 à 4 siècles et qui est si bien représentépar les grandes mosquées de Cordoue, de Kairouan et par celled'Amrou au Caire.

Au début du xvi 0 siècle, deux frères, deux audacieux écu-meurs de mer, s'emparèrent de l'Afrique du nord depuis Tunisjusqu'à Tlemcen l'un S'appelait Baba-Â ;'oudj dont, par unesorte de calembour, nous avons fait Barberousse, et l'autreKheir cd Dyn. Ils étaient originaires de l'ancienne tic deLesbos, aujourd'hui Mitylene ou Métélin, sur les côtes de l'AsieMineure, presque à l'entrée de l'Hellcspont. Embarrassés deleurs conquêtes et ne sachant qu'en faire, ils les placèrent sousla suzeraineté du sultan de Constantinople c'est ainsi que laTunisie et l'Algérie passèrent sous le joug de la Turquie et quel'art arabe, berbère ou maure fut remplacé par l'art turc qui n'arien de séduisant et dont il est inutile que je vous montre unéchantillon.

Pour réprimer les brigandages des Barbaresques, Charles-Quint fit diverses expéditions. En 1535 il s'empara de Tunis,mais il échoua contre Alger en 1541. Les Espagnols ont cepen-dant occupé pendant quelque temps Alger, Bougie, Tlemcen etils sont restés 'n Oran pendant 120 ans en deux fois Aussin'est-il pas surprenant qu'on trouve en Algérie tant de construc-tions de style espagnol.

Le PenonA Alger, ils ont édifié- ce qu'on appelle le Peio,z pegnon),d'Alger. c'est-à-dire le fort. Sur ce fort nous avons placé un phare à

La hase duquel vous voyez une tour qui est tout ce qui reste del'ancienne forteresse. -

FortA Oran, nous trouvons des traces plus importantes du séjourSanta-Cruz des Espagnols voici le fort Santa-Cruz ui domine la mer de

- 450 mètres. -FortA côté d'Oran, à une dizaine de kilomètres, est le petit

espagnol port de Mers-el.Kebir. Je dis petit port, bien qu'en arabede 's El Mers-el-Kebir veuille dire le grand port. C'est là qu'ont

abordé tous les envahisseurs. Il est défendu par ce beau fort

Page 23: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L'ALGÉRIE A TRAVERS LES AGEs 23

espagnol dans lequel nos soldats tiennent aujourd'huigarnison.

Ait turc les soldats mercenaires ne tardèrent pas àopposer un homme qu'ils élurent parmi eux et auquel ilsdonnèrent le nom de Dey. Souvent il leur arriva de choisir lesDeys parmi des chrétiens qui s'étaient faits musulmans, et ceux-là n'étaient pas les moins féroces.

Les deys d'Alger ont concédé à la France, ou tout au moinsà une compagnie française qui portait le nom de compagnie

d'Afrique, le droit de pêcher le corail sur la côte de l'Algérie,notamment sur la côte de la province de Constantine. Pendantprès de trois siècles presque sans interruption, de 1520 à 1798,cette compagnie française s'est ainsi livrée à la pêche ducorail.

Vous pensez bien que le sort des employés et agents françaisqui étaient obligés de rester dans ce pays habité par des brigandsn'était pas enviable. Aussi la compagnie avait-elle obtenu l'auto-risation d'élever une forteresse qu'on appela, pendant les deuxderniers siècles, le Bastion de France. A défaut de sa photogra-phie, je vais vous montrer une vue de La L'aile, le dernier petit Port de laport sur la côte de l'Algérie, à une quinzaine de kilomètres de la Calle , d'frontière de la Tunisie. Le Bastion de France, qui a été Bodeoccupé par des Français soumis à toutes sortes d'avanies et France.exposés chaque jour à être massacrés, était situé à 3 kilomètresde La Calle.

Dit siècle jusqu'au jour où les Français sont entrés àAlger, cette Ville 3 été un repaire de pirates quelques chiffresseront plus éloquents que tout ce que je pourrais dire.En 1576, il y avait 25.000 esclayes chrétiens en Algérie. Unordre religieux s'était créé, les Pares de la Merci ou de laRédemption, qui parcouraient l'Europe l'escarcelle à la main,pour recueillir des aumônes qu'ils employaient à adoucir lesort des esclaves chrétiens pris et détenus par les Barbares-

Page 24: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

24 L'ALGÉRIE A TRAVERS LES ACES

ques et à les racheter quand ils le pouvaient. Le sortdes Pères de la Rédemption n'était pas non plus digne d'envie,bien qu'ils cûssent un sauf-conduit pour venir apporter leurargent qui était toujours bien reçu par los fonctionnaires dudey et par le dey lui-même.

Diverses expéditions ont été dirigées contre Alger, notam-ment par nos chefs d'escadre Duquesne, Dugay-Trouin et leduc d'Estrées. Ait de ce siècle Lord Exutousk, amiralanglais, bombarda Alger et délivra 1,642 esclaves chrétiens.Cet état de choses était l'opprobre de l'Europe, et les puis-sances européennes en étaient arrivées à payer un honteuxtribut ait en argentargent ou en nature. Et quand je dis ounature, je veux dire en munitions de guerre, en gréementsde navires, que tes Barbaresques employaient pour Qure denouveaux captifs et exercer de nouveaux pillages; cc tributétait destiné à assurer la libre circulation sur la tuer Méditer-muée et même sur l'Océan

Combien de consuls européens ont été retenus prisonniersà Alger, ont été torturés, tués, mis à la gueule des canons,envoyés comme boulets aux navires européens venus pourassiéger ce nid de pirates! Parmi les pérsonnages illustres enle-vés par les Barbaresques, on pourrait citer, outre des savantsenvoyés en mission, Michel Cervantès, l'auteur immortel (le donQuichotte, qui fut pris en revenant de Naples en Espagne etresta cinq ans prisonnier à Alger, de 1575 à 1580; puis SaintVincent-de-Paul qui convertit soit dans la premièremoitié du xvu° siècle. Régnard, notre gai poète comique pari-sien, fut enlevé par des corsaires d'Alger et envoyé à Constan-tinople où il resta deux ans. li fut racheté moyennant unerancon de 12.000 livres, sans avoir été très malheureux pen-dant sa captivité, parce qu'il savait faire la cuisine et se niéna-geait ainsi les bonnes grâces de son maître. Enfin, FrancoisArago était occupé, en 1809, à des travaux géodésiques, lorsqu'il

Page 25: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L'ALGR1E A TRAVERS LES ÂGES 25

fut retenu comme otage. Il ne fut rendu à la liberté qu'à prixd'argent.

En 1827, la patience de la France, qui se fit alors le chain-Lepion de l'Europe et de la civilisation toute entière, fut mise pavillon duà bout par le fameux coup d'éventail donné par le dey au con- d'hl à

su' de France, M. Deval... voici le pavillon en bois dit duAlger.coup d'évctaaii, où le dey se livra à cette voie de fait sur notreconsul. Il est au sommet de l'ancienne Kasbah ou citadelled'Alger dans laquelle habitait le dey. Jl avait si peu de confiancedans ses sujets qu'il était obligé de séjourner dans une véri-table forteresse. Enfin, le 5 juillet 1830, nous sommes entrésà Alger.

Il faut lire le tableau de la situation actuelle de l'Algériedans le remarquable rapport, qui est un véritable monument,que M. Burcleau a déposé cil 1891 sur le budget del'Algérie de 1892.

Actuellement, la population totalede l'Algérie estde 4.126.000habitants qui se décomposent ainsi 3.560.000 indigènes,272.000 Français, 47.000 Israélites et 219.000 étrangers, soitun Européen pour sept indigènes.

En 1878, pour vous donner une idée du développement decertaines productions du pays, il y avait 17.000 hectares devignes; en 1891, on en comptait 150.000.

Nous avons enfoui en Algérie (les sommes colossales. Depuisla conquête jusqu'au 31 décembre 1890, la France n'a pasdépensé moins de 3.902.000.000 francs en comprenant lesdépenses militaires et les dépenses de garantie pour les cheminsde fer. Encore aujourd'hui, le budget de l'Algérie ne s'équi-libre que grâce à une somme de 70 à 80 millions fourniechaque année par la Métropole. Que d'essais infructueux ont étéfaits, souvent en pure perte dans le pays, pour le coloniser! quede fautes ont été commises!

Vous savez qu'il y n en Algérie des colons étrangers eu

Page 26: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

26 L'ALC*R[E À TRÀVEJI5 LES ÀCES

nombre presque égal au nombre des Français. Ces colons com-prennent des Espagnols; des Mahonais originaires de Minorque,la petite île Baléare, dont Mahon ou Port-Mahon est la capitale;des Italiens et des Maltais.

Nous rencontrons les plus grandes difficultés pour assimilerles indigènes. Il y a des différences de race et de religion siprofondes entre eux et les Européens que cela n'est pas sur-prenant.

Parmi les indigènes, il faut distinguer les Arabes, tesBerbères et les Koulouglis. Les Arabes proprement dits, lesdescendants des envahisseurs du vii' et du xi° siècle sont peunombreux; ils sont nomades, enclins au pillage, paresseux,fiers et n'ont pas le travail en honneur. C'est une race belli-queuse, chevaleresque, muais c'est une race qui vit sous latente, se montre opposée au commerce, à la civilisation, et estimbue de ses idées religieuses jusqu'au fanatisme.

Le Berbàre, ce descendant de la race autochtone dont Sallusteparlé et que nous avons vu subsister à travers toutes les inva-

sions successives, est au contraire sédentaire; il ne campe pas,il élève des maisons et il y demeure. Il est plus facilementassimilable que l'Arabe, apprécie mieux notre civilisationparce qu'il est laborieux et n'est pas fanatique; il en a quel-quefois les apparences, mais au fond il est à peine religieux.

Quant aux Koulouglis (on désigne ainsi les fils de Turcs etd'anciennes esclaves européennes), c'est une race au teintblanc qui a dominé le pays, mais (lui est aujourd'hui déprimée,détestée des autres indigènes elle se rapproche volontiers denous et est plus assimilable que les deux autres.

J) y a aussi des Israélites. Je puis m'exprimer très libre-nient à leur égard, parce que les Juifs algériens ne ressem-bicut en rien à ceux de France. Il n'ya pas de distinctionsérieuse à établir entre les Juifs français et les autres Fran-çais en Algérie, il n'en est pas de même du tout.

Page 27: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L'ALGÉRIE A TRAVERS tR5 AGES 27

Vous savez que les Israélites algériens ont été naturalisésen bloc il y n vingt-deux ans, et que cela a profondément indis-posé les Arabes qui ne les aiment pas et ont même un pro-fond mépris pour eux. Les Juifs algériens ont-ils fait tout cequ'ils auraient pu, tout ce qu'ils auraient dû faire pour méritercet honneur de la naturalisation? Oui sans doute, en ce qui con-cerne un certain nombre d'entre eux; mais, pour la majorité,je me permets d'en douter. Ils sont demeurés sérnites, ils con-tinuent à vivre dans la société de l'Arabe, à en parler la langueet à en porter le costume, ou tout au moins un costume voisinde celui de l'indigène. Cela, comme vous le voyez, le rap-proche assez peu de- l'Européen. On se l'explique aisément,car le Juif fait ainsi plus facilement ses affaires, notammentcelles de prêts d'argent et d'usure dont se plaignent si fortles indigènes, et à juste titre.

Les productions du pays sont nombreuses et variées Jene veux même pas les indiquer, parce que l'heure me presse.Permettez-moi seulement de vous dire que l'Algérie estun pays sillonné par des routes excellentes,, où il y a denombreuses lignes de chemins de fer, ainsi que vous pouvezle voir sur la carte que vous avez sous les yeux, et des servicesde diligences publiques 'très bien installés. On y jouit d'unesécurité parfaite qui pourrait servir de modèle à bien descontrées européennes.

Dans le Tell, la terre est très fertile. Je vous ai dit qu'audébut de la colonisation, alors que les terres n'étaient pas cul-tivées, il y avait beaucoup de fièvres; mais depuis cette épo-que la culture a rendu le pays beacoup plus sain.

De toutes les colonies possédées par des puissances euro-péennes, l'Algérie est une des plus riches; c'est la plus voisinede sa métropole et une de celles où le climat est le plussalubre.

Page 28: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

28 L'ALGÛUIE A TRAVERS LÉS AGES

Panorama

Voici Alger. Deux mots seulement pour vous rappeler quelleest l'origine de son nom. Fi Djezaïr s'appelle Alger commepris des

anciens Baba-Aroadj s'appelle Barberousse. De FI Djezaïr, qui veutflots aux- dire les ibis, nous avons fait Alger. C'est qu'en effet, jus-quels elle qu'au xvi0 siècle, c'est-à-dire jusqu'à l'époque de la conquêtedoit son

nom. du pays par Barberousse et son frère Khcir-ed-Dyn, il y avaitdevant Alger des îlots c'est Kheir-ed-Dyn qui les n reliés àla terre ferme par ce môle. La vue est prise des anciens îlotsqui ont donné leur nom Alger. La ville est en amphithéâtre,tout 'e monde la connaît. Le site est enchanteur, les environssont charmants. Alger a une population de 72.000 habitants.

PanoramaDeux mots sur Oran. Depuis vingt-deux ans que j'y étaisd'Oran. venu pour la première fois, elle s'est extrêmement développée

elle a aujourd'hui 71.000 habitants. Les Espagnols y sonten majorité. Les environs d'Oran n'ont pas le charme desenvirons d'Alger ; son sol est granitique et dépouillé d'arbres.

PanoramaVoici Constantine. Cette province, contrairement à celle

ded'Oran, est très verte. Elle est boisée comme certaines partiesConstan-

F.

tine.de la rance la ville renferme environ 44.000 habitants etest entourée en partie par une gorge au fond de laquelle coule

Large le Bu,nnzei. Sur cette gorge on a jeté un pont en fer pour rom-

Rummel.U placer un pont romain on y jouit d'une vue romantique

comme diraient les Anglais. Au dessus de la gorge du Rummelqui n'a pas moins de 100 mètres de profondeur, vous voyezplaner les vautours et les corbeaux qui se nourrissent desdéjections qu'ils reçoivent de la ville : c'est eux qui font leservice de la voierie, sans aucune rétribution.

Continuons à descendre dans la province de Constantine.Voici Fi Kantara c'est ce que les Arabes appellent Founz EsSahara ou la Bouche du Désert, dénomination très juste, carquand vous avez franchi cette gorge, vous arrivez à une oasisau delà de laquelle commence immédiatement le désert.

Page 29: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

L 'ALGÉBTE A TRAVERS LÈS ACÉS 29

Les personnes qui sont allées à El-Kantara peuvent recon-Vuenaître l'ancien pont romain qui a été assez maladroitement de la gorgerestauré par Je Génie militaire. Ce pont a donné son nom à la d tara

ville, car El-Kantara est un mot arabe qui veut dire le Pont.priseCet endroit était occupé par un détachement de cavaliers du Nord.romains dépendant de la troisième légion Augusta dont lequartier général était, vous 'e savez, à Lambèse, à une quaran-taine de kilomètres an nord. El-Kantara n remplacé le CalceusHerculis (talon d'He'cuie) des Romains. J'ai déposé au Muséedu Louvre une inscription trouvée dans le pays qui nous donne lenom d'un des commandants de ce détachement, de cet escadron(Numerus) de cavaliers. Il est même assez curieux de constaterque ces cavaliers cantonnés à l'entrée du désert africain étaientdes Paimyrduiens, c'est-à-dire des hommes recrutés par lesRomains dans le désert de la Syrie, là où se trouvent encoreaujourd'hui les ruines de Palmyre, à cinq ou six jours demarche à l'est de Damas.

A 20 kilomètres plus bas qu'El-Kautara on arrive à l'oasisde Biskra, aujourd'hui très fréquentée c'est une station hiver-nale de 4.000 habitants.

Cette photographie vous montre El-Kantara vu du sud..El-Voici nue partie de l'oasis de Biskra. Kantara.

Une partieNotre domination ne s'arrête pas la j e vous rappelle qu'elle de l'Oasis

s'étend jusqu'à Ouargla, à 370 kilomètres au sud de Biskra, et de Biskra.même jusqu'à El-Coléali, à 2.550 kilomètres de Ouargla et parconséquent à 620 kilomètres de Biskra. El-Goléah est te pointle plus méridional que nous occupions actuellement en Algérieil est à 945 kilomètres do la mer.

Dans la province d'Oran, nous n'allons que jusqu'à 450kilomètres au sud de la Méditerranée, à Aïa-Sefra., niais Alu-Sefra est reliée au port d'A rzeu par une ligne de chemin defer intéressante à parcourir. Elle traverse ic Tell et s'élèvesur les Jjauts-P/a,ca,,a; jusqu'à la limite du désert. Aïn-Sefra

3

Page 30: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

30 L'ALCIII A TRAVRUS LÈS

n'est qu'à 90 kilomètres de la grande oasis marocaine deFiguig.

Les CourVoici qui vous donnera une idée du désert dans la province

lad'Oran c'est ce qu'on appelle les Cour. Ces Gour ne sont riend'Oran, autre chose que des blocs d'alluvion rouge-âtres qui ont résisté

à l'action des eaux à une époque où le Sahara était un payshumide et fortement arrosé c'est ce qu'on appelle en géologiedes tduioins, c'est-à-dire des terrains qui attestent jusqu'à quellehauteur s'élevait le sol qui a été raviné depuis par les eaux etpar les vents.

En résumé, nous ne pouvons espérer trouver en Algériela rémunération des capitaux qui y ont été enfouis par la métro-pole, mais l'Algérie fait un commerce important avec la France,ses sources de production sont nombreuses, riches, variées, etje ne puis mieux faire que de vous lire quatre lignes écritespar un Allemand qui n'est pas le premier venu c'estM. Ger/inrd Rutoifs, le grand explorateur qui a pénétré dansle centre de l'Afrique et qui, dans sa jeunesse, a servi commesoldat en Algérie dans la légion étrangère. Il a publié ccliidans un organe de géographie fort sérieux et fort savant lesZktiztheiiungen de Pete,-monn, au t. XXII, p. 250.

Quiconque dit-il, a pu voir comme moi les prodigieux tra-u vaux exécutés par les Français eu Algérie, n'éprouvera qu'un

sentiment de pitié pour ceux qui, en présence de ces oeuvresu admirables, oseraient encore prétendre que les Français neu savent pas coloniser. »

Je tiens à terminer sur ces paroles qui émanent d'un étran-ger qui ne peut être considéré comme un ami de la France, etje puis ajouter que ce témoignage est confirmé par celui d'au-tres étrangers, notamment par M. de Tcltiatc/teffÇ un Russe, etM. Grant Allen, un Anglais.(Vifs applaudissements.)

Page 31: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

II

LA TUNISIE A TRAVERS LES AGES

CONFÉRENCE

PÀlfl A LA SÙANCE ONÉRALE DE LA SOCIÉTÉ DU CLUB ALPIN FRANÇAIS

ou 27 OÛCIIMBRE 1892

Page 32: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

CLUB ALPIN FRANÇAIS

Séance du 27 décembre 1892

Présidence de M. Ernest ('ARON, Vice-Présidentde la Société

LA TUNISIE À TRAVERS LES AGES

SOMMAIRE

Carthage; - La Province romaine proconsulaire d'Afrique; - LesByzantins; - Les Arabes; , - Saint Louis; - Charlos-Quint; - LeProteel.erat français; -Les monument.s romains; —La grande Mosquéede Sidi Okba h Kairouan - Comparaison des monuments arabes del'Afrique du Nord avec ceux d'Egypte, de Syrie et d'Espagne ; -Influence artistique exercée par 'es Maures d'Espagne; - Tripoli; -Lite de Malte.

i\lEssIEuns,

Je serais bien embarrassé s'il me fallait justifier l'honneurque m'a fait la Direction centrale du Chip alpin en me char-geant de venir vous entretenir de lu Tunisie, pays de plaines,sans cimes neigeuses, que tout le monde a visité ou qui estconnu par d'abondantes lectures.

J'aurais aimé tout comme un autre à vous parler de la mon-tagne; mais j'avoue que cc plaisir n'aurait pas été pour moisalis une certaine amertume. Je compte, en effet, au nombrede mes plus nobles jouissances celles que m'ont données lesquelques ascensions que j'ai faites, et notamment celles quej'ai éprouvées le jour où, par un temps magnifique, sous un

flBLi

Page 33: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

34 LA TUNISIE A TRAVEAS LES AGES

ciel d'une pureté admirable, je suis parvenu au sommet duMont Blanc. Rien n'est beau comme l'impression causée parles grandes montagnes, et je ressens aussi vivement que quique ce soit la poésie des hantes cimes. Aussi vous comprenezla vivacité de mes regrets le jour où j'ai dù dire adieu subite-ment à toute espèce d'ascension. Depuis ce moment je ne suisjamais retourné dans les pays alpestres où je serais désormaisobligé de rester dans le fond des vallées.

Mais, si je serais mai qualifié pour vous parler de l'alpi-nisme, si la Tunisie est un pays gônéralemént plat et presquebanal à force d'avoir été visité, quelque chose cependant lerecommande à votre attention.

Le protectorat que nous exerçons en Tunisie a ouvert unvaste champ à notre activité nationale.

Ce pays a été le théâtre de grands évènements accomplispas des hommes illustres. Il a connu une prospérité que notreprotectorat lui rendra peut-être, et c'est en étudiant son passéque nous pourrons le mieux préparer son avenir, car nousapprendrons ainsi à imiter ce que nos devanciers ont fait debien et ce en quoi ils ont réussi.

Enfin, la Tunisie offre des ruines importantes de monumentsélevés par deux grandes civilisations la civilisation romaineet la civilisation arabe.

En vous parlant de toutes ces choses, un autre que moi pour-rait, à défaut de vos corps, transporter vos esprits sur deshauteurs, ce qui serait une sorte d'alpinisme intellectuel, maisje suis incapable de remplir un tel programme; je puis seu-lement essayer d'évoquer devant vous le passé, en jetant uncoup d'oeil rapide sur la suite des destinées de cette contréeprivilégiée et, chemin faisant, je vous montrerai les plus impor-tants monuments qu'on rencontre sur son sol.

En ce qui touche Tripoli et Malte par où nous finirons,comme cc ne sont pas des terres françaises, comme les souve-

Page 34: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE A TRAVE

R S LES ACES 35

nirs y sont moins grandioses que ceux de la Tunisie, comme les

monuments y sont moins nombreux et moins importants, jeme bornerai à suivre l'itinéraire du touriste et ii vous montrerl'aspect (lu pays.

Nous ne parlerons pas des premiers établissements qui ontété fondés par les Phéniciens sur la côte d'Afrique une quin-zaine de siècles avant Jésus-Christ, et arriverons de suite... au

Déluge, je veux dire à la fondation de Carthage, au ix° siècleavant notre ère.

L'histoire ne petit pas lutter avec la légende poétique quientoure la création de cette ville. Vous savez que Virgile a

raconté comment la Phénicienne Didon, fuyant Sidon sapatrie pour échapper ii la haine de sou frère qui avait faitpérir son époux, aborda en Afrique, fonda Carthage et y reçutEnée qui, en réalité, avait vécu trois ou quatre siècles avantelle. Au printemps dernier, nous avons admiré, en écoutantLes Troyens, avec quel charme Berlioz a chanté cette touchantehistoire qu'il serait cependant imprudent de soumettre auxrègles rigoureuses de la critique historique.

Nous possédons quelques rares monuments remontant à peuprès à la fondation de Carthage.

PRoJECTIoN — Voici la photographie (le deux tombeauxcreusés dans le roc, de style phénicien primitif. Ils ont ététrouvés récemment par le R. P. Delattre dans le sol de Byrsa,l'ancienne acropole ou citadelle de Carthage, qui fut d'abordune nécropole. Ces deux tombes remontent vraisemblablementait ou au vu!0 siècle avant J.-C. Elles ont quelque ana-logie avec des tombes égyptiennes de la mème époque.

La Tunisie -il joué un rôle dans l'histoire longtemps avantqu'il y fût question des contrées voisines, je veux parler de laNumidie et (le la Maurétanie, qui sont aujourd'hui l'Algérie,

1. Cette conférence était aeer.ompognée de projections à In lumière oxhydrique.On trouvera en immorge l'indication des photographies qui ont été projetées.

DeuxtombeauxCarthagi-

'loisde styleprimitif.

Page 35: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

36 LA TUNISIJC A TIIAvEH5 LES ACES

et qui n ' ont com rnencé à faire parler d'elles qu'ail moment dela seconde guerre punique, au m° siècle avant J.-C.

Rassurez-vous, je ne vous raconterai pas les guerres entreBorne et Carthage, ni lit lutte épique entre Annibal et Soi-pion je ne veux pas réveiller d'anciens souvenirs classiquesce serait vous ramener sur les bancs du collège et tout leinonde ne regrette pas le temps qu'il y a passé.

Les anciensJe préfère vous montrer ce qui reste des ports antiques deportsCarthage. En voyant ces petits lacs creusés pal' la main des

Carthage. hommes, qui furent le port de commerce et le port de guerrede l'ancienne Métropole, on il à se retracer les scènesatroces qui ont accompagné le siège et la prise de la ville parScipion l'Africain. Il faut lire le récit de ce siège dans Âien,pour animer ces lieux, pour y revoir la défense désespérée (le lapopulation (l'une grande ville luttant pied à pied, maison parmaison, et n'abandonnant celle où elle s'était retranchée qu'aumoment où elle allait être dévorée par l'incendie. Puis il fautsuivre les femmes, les enfants, les vieillards, se retirant dansles temples situés sur l'acropole de Carthage avec la femmed'Asdrubal, le général carthaginois qui avait sauvé sa vie parune honteuse capitulation ; il faut se représenter enfin cettedernière se jetant avec ses enfants dans les flammes du bûcherqu'elle avait elle-même allumé.

La Delenda C'ai'tlia.go de Caton l'Ancien avait été si bienexécutée qu'il ne reste rien de la Carthage punique. Elle futainsi détruite en l'an 146 avant J.-C. et le pays converti enprovince romaine.

La Société de géographie de Paris avait fait dresser, pouraccompagner une communication que j'ai eu l'honneur de luifaire sur l'Algérie au début de ce mois, les deux cartesmurales que vous voyez. Elles représentent le nord de l'Afrique

l'époque romaine et les mêmes contrées à l'époque actuelle1.

1. Voyez les deux cartes à la lin de cette brochure.

Page 36: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE A TflAVERS LES ÂGES 37

Ces cartes montrent quelles sont les différentes divisions dupays scion qu'on le considère au premier siècle de l'ère chré-tienne .ou à la fin du Xix° siècle. Elles montrent aussi lesnoms divers qui ont été donnés aux différentes régions. Ainsivous y voyez que la Tunisie correspond à la P,o y ncc romaine

proconsulaire d'Afrique; le département de Constantine à laproQinec de Nuniidie; et les départements d'Alger et d'Oran illa province de la Maurétanie césarienne; pendant que la partiedu Maroc, qui n été colonisée par les Romains, formait la pro-pince de la Mauréz.anie tingitane, du nom de sa capitale Tingis,

la moderne Tanger.La province proconsulaire d'Afrique, la seule qui nous occu-

pera ce soir et que nous indiquerons simplement sous le nomde Province d'Afrique, était ainsi appelée parce qu'elle étaitgouvernée pat' titi /)rOCOn.Çul, c'esta-dire par un fonctionnairequi avait été consul. Elle comprenait le territoire propre deCarthage qui eut d'abord pour capitale, non pas la ville dece nom dont il ne resta rien après la troisième guerrepunique, mais (Jiique, une ville située mi peu au nord de Car-thage. C'est à Utique que résida pendant longtemps le pro-consul.

Au sud se trouvait la région appelée la Zeugitane ayantpour ville principale Zagliouan, et la Byzacène qui avait pourcapitale une ville plus ancienne que Carthage, iTadrurnètequ'a remplacée la ville moderne de Sous-se.

Parmi les villes principales de la province d'Afrique, signa-lons Hippo-Diarritytus qui est aujourd'hui Bizerte; Vagaaujourd'hui Béja.; Sicea-Veneria, qui correspondait au Kef;Caps-a qu'à remplacée notre poste militaire actuel de Cafta, etTacapac qui est devenue Gabès.

Carthage ne tarda pas à se relever de ses ruines. Vingt-cinqans après sa destruction, le célèbre tribun Caïus Gracchus yconduisit un groupe de citoyens romains qui y fondèrent miecolonie.

Page 37: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

38 LA TUNISIE A TRAVERS LES AGES

C'est dans la province d'Afrique que se termina la lutteentre César et le parti de Pompée, dans le voisinage de la villede T/tapsus, au sud de Sousse. César y détruisit l'armée queles partisans de Pompée avaient réunie après l'assassinat deleur chef par le roi dEgypte.

Après la victoire remportée par César à Thapsus, Juba 10r

roi de Numidie, (fui avait fort bien accueilli les partisans dePompée et qui savait qu'il ne pouvait attendre aucune pitié duvainqueur, se fit égorger par lin de ses soldais pour ne pastomber vivant entre les mains de César. Au même moment,Caton se poignardait à Utique, préférant, comme l'a dit lepoète,la cause des vaincus à celle que les dieux avaient favorisée

« Victrix causa Dus piaca.it sed vicia Catoni. »La Carthage romaine relevée par Caïus Gracchus, puis par

César et par Auguste, atteignit sous les premiers empereursromains un degré de puissance considérable. Elle comptaplusieurs centaines de mille habitants et fut avec Alexan-drie la plus grande ville d'Afrique. Le pays était alors trèsriche et cinq à six fois plus peuplé qu'il ne l'est aujourd'hui.

Il y a environ 1.500.000 habitants en Tunisie, alors qu'ily en avait probablement plus de six millions pendant les pre-miers siècles de l'ère chrétienne.

L'Egypte et la province d'Afrique étaient appelées par lesRomains les provinces frumentaires parce qu'elles fournis-saient le froment nécessaire à l'Italie pour sa subsistanceaussi, chaque année attendait-on à Borne avec une anxiétéfacile à comprendre, l'arrivée de la flotte qui apportait dansle port d'Ostic, à l'embouchure du Tibre, les blés de ces deuxprovinces. Des prières publiques étaient ordonnées pourl'heureuse arrivée de ces chargements, car si la tempête lesavait engloutis, le Peuple-Roi aurait été menacé de la famineet les Empereurs auraient tremblé sur leur trône.

Le province d'Afrique a connu sa plus grande prospérité

Page 38: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE A TRAVERS LES AGES 39

sous les empereurs africains, c'est-à-dire sous Septime Sévère,Caracalla et les Gordien, au m° siècle de notre ère. A cetteépoque, il y avait à Carthage des écoles célèbres, d'où sontsortis Apnidc, l'illustre auteur du roman de l'Âne d'or, danslequel on trouve ce délicieux épisode de l'Amour et Psyché qui

été depuis célébré par tous les arts, et qui rappelle les plusglands noms de la littérature, de la peinture et de la musique,depuis Raphaél jusqu'à Corneille, Molière, Lit etparmi les contemporains, M. Ambroise Thomas et bien d'autres.

Des écoles de Carthage sont également sortis Tertu.i/ion, cefougueux docteur de l'Eglise; saint Cyprien, qui fut évêquede Carthage et martyr; saint Àn&rustin, né à Taga3tc, quifut évêque d'JTipponc. Ces deux dernières villes sont dansl'ancienne province de Numidie, aujourd'hui le département deConstantine, mais la province d'Afrique peut revendiquersaint Augustin parce qu'il professa la rhétorique à Carthage.

Un chiffre montrera combien ces contrées étaient plus peu-plées à cette époque qu'aujourd'hui. Des documents relatifs àdes conciles qui se sont tenus à Carthage aux ive et y " sièclesnous apprennent qu'on comptait alors 650 évêques dansl'Afrique du Nord, entre Tripoli et Tanger. -

Il reste en Tunisie de nombreuses ruines des monuments etdes édifices construits à l'époque romaine. Pour trouver desruines romaines plus importantes, sinon plus nombreuses quecelles qu'on rencontre en Tunisie, il faut aller en Syrie, dansle Jiauran ou désert de Syrie et dans l'Arabie Pétrée. C'estlà qu'on voit les ruines de Pa/niyrc, de ./Jaalbcck, de Djerask,de Bosra, de Kamarat et de Péua. Notez qu'elles se trouventdans des contrées qui sont aujourd'hui revenues à la barbarieet ne sont plus traversées que pur des tribus nomades aux-quelles l'étranger est obligé de payer un droit de passage pouréviter d'être pillé,

Page 39: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

40LA TUNISIE A TRAVERS LES AGES.

La présence de ces ruines immenses dans un pays aujour-d'hui pi'esque désert a besoin d'être expliquée elle Lient ansystème d'occupation militaire des Romains et à leur moded'administration. Tous ces monuments remontent au deuxième,surtout au troisième et un peu au quatrième siècle de l'èrechrétienne ils ont été élevés de l'a" 150 à l'an 330 etdatent de l'époque où l'empire romain avait son plus vastedéveloppement et où il commençait à être harcelé par lesbarbares aussi les Romains avaient-ils placé leurs troupessur leurs lignes de frontières que leur armée tout entièreétait occupée à garder. Il n'y avait pas de garnisons dans l'in-térieur de l'empire.

Les plus grands personnages de Rome, les sénateurs, lespremiers fonctionnaires, les consuls sortant de charge, étaientenvoyés pour gouverner ces provinces lointaines, par exempledans l'Arabie Pétrée. On n trouvé à Pétrit, capitale de cettecontrée où l'on ne saurait aller aujourd'hui sans danger, desinscriptions constatant que la province a été gouvernée pardes anciens consuls. Ces puissants fonctionnaires employaientleur temps ii construire les monuments magnifiques dont lamasse nous étonne.

Mais, revenons à la Tunisie je vais vous montrer quelques-unes des ruines romaines qu'on y rencontre.

TempleVoici le temple de Dougga, une petite ville qui se trouve audeNord-est du Kef. Ce temple est un des plus anciens monu-

ougga. ments romains en Afrique; il remonte peut-être au J sièclede notre ère. Dans le fronton était représentée l'Apothéosed'Auguste.

Nym-Ceci est un Ny,np/iaeunz, espèce de monument qui demandephteum une courte explication. Les villes romaines, vous le savez,

ou Temple étaient pourvues d'eau en abondance, ce qui explique leurdes Eaux aZaghouan. salubrité. Les Romains nous ont donné là des exemples que

nous (crions très bien de suivre. Voici un de leurs plus grandis

Page 40: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA l'IJNLStE À TRAVERS LES ACES 41

travaux de prise d'eau c'est le Temple des eaux ou Nyinphaeunzde Zagitouan. II est construit au pied d'une petite montagnede 1.340 mètres, l'une des plus hautes de la Tunisie et quirattache ce pays à l'alpinisme: il recevait l'eau des sources (luien découlent. Il fut élevé par l'empereur Adrien ait Siècle denotre ère. Les sources ainsi captées étaient conduites par desaqueducs que nous verrons Lotit à l'heure jusqu'à Carthage,située il kilomètres de là.

Cette vue représente une autre partie du même monument. Bassin deC'estle bassin de réception des eaux de la source de Zaghopan : réceptionl est encore utilisé aujourd'hui, car

des sourcescette source, jointe adeux ou trois autres, continue à approvisionner Tunis et ses Zaghouan.environs.

Voici quelques-uns des arcs de l'aqueduc d'Adrien ils se L'Aqueductrouvent au milieu de la plaine entre Zaghouan et Carthage. d'Adrien.Je n'ai pas besoin de vous dire que l'effet de ces arcs en rasecampagne est véritablement saisissant. Si les Romains avaientconnu le siphon, dont l'usage est aujourd'hui journalier, ilsn'auraient pas eu besoin d'élever ces grandes constructions.Actuellement l'eau de la source de Zaghouan, au lien d'êtretransportée sur ces aqueducs, court souterrainement et, à l'aidede siphons, on rachète les différences de niveaux, tandis quedans l'antiquité, l'eau coulait suivant un plan incliné, ménagépar ces grands arcs depuis la source jusqu'aux citernes oùelle venait séjourner.

Voici une des citernes de la Carthage romaine qui est Intérieurencore aujourd'hui utilisée et qui reçoit une partie des eaux'une

qui alimentent Tunis. citerne.

Nous avons vu un temple, un nymphacum et un aqueduc,Vuenous allons voir maintenant l'ampkit/tédtre (l'El Djem. Vous généralesavez que ces vastes monuments servaient aux jeux du cirque, l'A deaux combats des gladiateurs et des bêtes féroces. Cet amphi- thÇrthétre était celui de la ville de Tliysdrus, à 70 kilomètres au d'El Djem.

Page 41: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

42 LA TUNISIE À TRAVERS LES AGES

Vueextérieure

del'Amphi-théâtre.

sud d'Iiadrumète. Gordien, général romain âgé de quatre-vingts ans, y fut nommé empereur par les légions qu'il com-mandait, en l'an 238 de notre ère. Deux mois pins tard, il setua en apprenant que son fils avait péri en luttant contre unautre prétendant à l'empire.

Les dimensions de cet amphithéâtre sont considérables; ellessont intermédiaires entre celles dit de Rame et desArènes de Nimes. Le grand axe extérieur de l'amphithéâtred'El Djem a 148 mètres de longueur; celui du Colisée de Homeen a 187 et celui des Arènes de Nimes 132. Il se composede trois rangs d'arcades superposées et couronnées par unattique Nfmes n'en a que deux. Cette ruine produit un effetsaisissant quand, après avoir traversé un pays désert, onl'aperçoit tout à coup dominant un petit village arabe de deuxmille âmes. Il n'a jamais été achevé.

Voici la partie extérieurè la mieux conservée de ce monu-ment: malheureusement des gourbis arabes élevés au piedmasquent la première rangée d'ares. Il serait boit déga-ger la base et d'y faire des fouilles ; on découvrirait proba-blement des inscriptions et des morceaux de sculpture quioffriraient de l'intérêt.

Cette photographie nous montre l'intérieur de ce mêmeamphithéâtre dont nous venons de voir l'extérieur. Jl est enfort mauvais état. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il a vuune foule de sièges et de scènes de pillage.

Voici les détails de deux travées de cet amphithéâtre.Voyons maintenant quelques mausolées romains.

Ceci est le mausolée des fuies à Mai-ta,, à moitié routeentre le Kef et Kairouan, Il ressemble à un autre mausolée desJules que nous possédons à Saint-Rd,ny oit niais cedernier est plus beau que celui de Maktar, les sculptures ciisont plus fines, il est d'une meilleure époque et est mieuxconservé.

Intérieurde

l'Amphi-théâtre.

Détailde deuxtravées.

Le tombeaudes Julesà Maktar.

Page 42: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE À TRAVERS LES AGES 43

Ce tombeau est situé à Haydra, l'ancienne Ammoedara., Mausoléeprès de Tébessa, dans la province de Constantine, non loin à I.Iaydra.

Arc dede la frontière de la Tunisie. On y trouve également un arc triomphede triomphe. Ce lieu n'est plus habité; cependant, si l'on en d'Haydra,juge par les ruines, il y n eu là une ville importante.

Voici les trois temples de Steitia. Si vous y joignez un arc Les troisde triomphe de l'époque de Constantin, vous avez tout ce qui templesdereste de l'ancienne Sufjètula qui fut une grande ville h l'époque Sheilla.carthaginoise, puis h l'époque romaine, et qui devint même, àun moment, la capitale d'un vaste empire qui s'étendant deTripoli à Tanger et dont le chef, le pau'iarche Grégoire, futvaincu par les Arabes, cii 647, au moment de leur premièreInvasion.

Je dois cette photographie et plusieurs autres h la complai-sance de M. Henri Saladin, architecte, que je tiens à renier-cier ici. M. Saladin n recueilli ces photographies au coursd'une mission archéologique dont il fut chargé avec M. Cagnat,mission qui a abouti à des résultats importants.

Voici le mausolée d'Henc/tir-liz-Zaatli de basse époque, Mausoléeprobablement du iv' siècle il n'est pas beau, comme vous le d'Henchir-Ez-Zaatli.voyez; il s'élève dans un lieu qui est aujourd'hui complètementdésert.

D'après les inscriptions trouvées sur les tombeaux romains,la vie humaine était fort. longue en Afrique ii cette époque. Ily avait quantité d'octogénaires et pas mal de centenaires quiont parfois vécu jusqu'à 110 ans et plus.

Non seulement les villes étaient bien arrosées, mais la cam-pagne l'était: également. Les Romains savaient très bien amé-nager l'eau qu'ils n'abandonnaient à son courant qu'après luiavoir fut fructifier ic plus large espace de terrain possible.

Voici les restes d'un barrage romain c'est un gros mur en Restes

briques en forme d'arc de cercle destiné à retenir les eauxd'unqui ne s'écoulaient qu'après avoir séjourné et circulé dans les barrageRomain.champs qu'elles devaient féconder.

Page 43: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

N

44 LA TUNISIE A TRAVERS LES AGES

La salleLes nombreuses antiquités romaines qui ont été recueilliesPrincipale dans la province d'Afrique ont permis de former à la porte dedu 'Musée ,du 13ardo. [unis le Mu.çee du Barde, dans un palais du Bey, qui est un

ancien harem. C'est le plus beau musée de l'Afrique du Nordil fait le pins grand honneur à M. René de la Blanchère qu'onpeut considérer comme son principal organisateur.

Voici la salle principale du musée du Bardo, toute pleinede précieuses antiquités. Le parquet est couvert d'une grandemosaïque découverte dans une villa romaine, à Sousse, l'an-cienne Hadrumète, par des officiers du 4 e régiment de tirail-leurs indigènes. Cette mosaïque représente le cortège deNeptune entouré de naïades, divisé en une foule de médaillons:elle couvre une surface qui n'a pas moins de 140 mètres carrés.

Après avoir vu quelques monuments isolés, nous allons par-courir quelques-unes des villes qui ont joué un rôle historiqueh l'époque romaine.

VueVoici la moderne Béja, dans le voisinage de Tunis. C'est laénérale l'aga ou Vacca des historiens anciens. Elle est, comme toutes

(le Béja " les villes de ce pays, couronnée par une Kasbalt ou forteressequi contient une vaste salle construite à l'époque byzantine.Salluste dit que de nombreux commerçants italiens étaientinstallés dans cette ville à l'époque de la guerre de Jugur-tin, qui fit massacrer en un seul jour toute la garnisonet tous les colons romains. Ce fut une journée comme celledes V4pres siciliennes : le général romain Metellus en tira,.quelque temps après, une cruelle vengeance cela se passa100 ans avant J.-C. Il doit exister dans le soi de 13éjad'importantes ruines romaines mais, elles sont couvertes parles constructions arabes, et pour les rencontrer, il faudraitfouiller à une profondeur de 3 à4 mètres.-

Poste Le poste militaire de Gafsa remplace l'ancienne capsa, à 200militaire kilomètres au sud-ouest de Kairouan. C'était une ville impor-de Gafsa. tan te, mêmetne avaut la domination romaine. Salluste raconte

Page 44: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE A THAVEOS LES ACES

que Marins la surprit par une marche forcée qu'il avait • suhabilement dissimuler et la livra au pillage de ses soldats.

Voici Ta ville, du Kef, mot qui veut dire en arabe le rocherVueelle s'étend cri effet le long d'une paroi rocheuse couronnée gen oralepur une kasbah où un IMitai] loti d'in raut.erie d'Afrique tient du Kef.auj ourd'hui garnison. C'est la Sicca. Veneria des Romains quifut, ii l'époque carthaginoise, une grande ville oit Tapir, laVénus phénicienne, était servie par (les prêtresses impures.D'après 'e témoignage de Polybe, c'est là que les Carthagi-nois reléguèrent leurs soldats mercenaires qui s'étaient révol-tés après la première guerre punique. Gustave Flaubert ntiré du texte de Polybe un des plus saisissants chapitres deson beau roman de Salanzmb6, et M. Reyer a trouvé des accentsmusicaux qui font de la déesse Tanit une sorte de fatalité quipèse sur le sort de Carthage.

Nous en avons fini avec l'époque romaine passons vivementsur l'invasion des Vandales au y0 siècle de notre ère et sur laconquête du pays entreprise ail vi° siècle par Bélisaire et parSolomon, les généraux de Justinien empereur de Constanti-nople.

Nous avons hâte d'arriver aux Arabes. Pendant le 10r sièclede l'hégire (qui commence en 622 le jour où Mahomet s'en-fuit de La Mecque pour aller à Médine), de l'an 647ùFan 670,les Arabes ont conquis toute l'Afrique du Nord, depuis lamer Rouge jusqu'à Tanger, sous la conduite du général Sidi-Okha. Enflammé par l'enthousiasme religieux qui saisit lesArabes au. lendemain de la mort du Prophète et aussi par lasoif du pillage dans des contrées qui étaient encore riches et

Sidi-Okba voulut placer la capitale de l'empirequ'il venait de conquérir à peu près au milieu des terres qu'ilavait soumises c'est ainsi qu'il fonda Kairouan.

Mais Sidi-Okha ne véulut pas d'un sol qui eût été précé-demment habité il dédaigna de continuer l'existence d'une

Page 45: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

46 LA. TUNISIE A THAVBII5 LES ACES

des nombreuses villes romaines qui couvraient encore la con-trée il lui fallait une capitale toute neuve, élevée sur un solvierge. Suivant la légende arabe, étant arrivé dansgrande plaine couverte de ronces et d'épines et habitée pardes serpents et des bêtes malfaisantes de toute nature, il setourna aux quatre points cardinaux et, au nom du prophète, illes somma de quitter la place dans les vingt-quatre heures.Aussitôt on vit serpents, crapauds, reptiles de toute natures'acheminer vers le désert. On coupa les ronces, les épines, età la place, Kairouan s'éleva. Sidi-Okba fonda en même tempsune mosquée qui porte son nom et qui a fait de Kairouan uneville sainte, qui ne peut rivaliser avec La Mecque et Médine,'nais que les Mahométans mettent sur le même rang que Jéru-sale,» et quelques autres cités privilégiées.

Mais, pour construire sa mosquée, Sidi-Okha ne fut pasaussi difficile que pour fonder la ville il n'hésita pas à se ser-vir des magnifiques matériaux employés par les Romains etdont il dépouilla notamment Hadrumète qui était encore unegrande ville.

VueKairouan se trouve à 160 kilomètres au sud de Tunis elle ngénérale aujourd'hui 14.500 habitants et les Arabes prétendent qu'elle

deKairouan. en a eu 2 millions, mon guide disait meme 2.400.000. Ce qu'ily a de certain, c'est qu'elle a compté plusieurs centaines demille habitants. Vous jugerez de son importance an point devue religieux quand vous saurez que Kairouan compte 91 inox-

guées et 97 zaouïas les zaouïas sont de petites chapelles quicontiennent en général le tombeau d'un marabout. Cela faitdonc 188 établissements religieux dans une ville de 14.500habitants

Elle a conservé ii peu près intact son caractère arabe et ilfaut bien se garder de le lui faire perdre car, sous le prétextede lui donner de l'air et de la salubrité qui ne lui manquentpas, on lui enlèverait, comme on l'a fait trop souvent en Algé-

Page 46: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE A TRAVERS LES ACES 41rie, son cachet pittoresque qui ravit l'artiste et on remplace-rait ses petites maisons pleines d'ombre, si bien appropriéesau soleil et au climat du pays, par de grandes constructionsbanales, faites il de nos maisons de rapport et dans les-quelles on ne saurait se mettre à l'abri de la lumière et de lachaleur.

Voici l'intérieur de la grande mosquée de Sidi-OL-ba. Lescolonnes sont toutes antiques et couronnées par de très beauxchapiteaux. Ii est vrai que souvent ces chapiteaux ne s'ac-cordent pas avec les fûts des colonnes mais, pris en soi, cha-cnn d'eux est fort élégant. Ce monument est un des plus pré-cieux échantiilonsdu style arabe primitif il est sorti du soldans le premier élan de foi qui animait ce peuple, lequel estavant tout et presque exclusivement dominé et dirigé pardes idées religieuses.

Il n'est éclairé que d'un seul côté, il y règne par suite unedemi-obscurité qui est très favorable au recueillement bref;c'est une des plus magnifiques expressions artistiques du senti-ment qui élève l'homme vers la divinité. Quant à moi, toutesles fois que j'y suis entré, l'impression que j'ai éprouvée a étéprofonde. -

Le Mill rab est le sanctuaire en forme de petite abside qui,dans chaque mosquée, est dirigé du côté de La Mecque, oùtout musulman doit se placer pour adresser, ses prières leMembe,- est la chaire :il prêcher. L'un et l'autre sont, dans lagrande mosquée de Kairouan, des oeuvres d'art remarquables.Les deux petites colonnes qui supportent l'arc du Mihrabsont en marbre rouge veiné très précieux qui fut, dit-on,un présent de l'empereur de Constantinople. L'archivolte del'arc du Mihrab est décorée avec des faïences mordorées à refletsmétalliques superbes, mais les imans ou prêtres musulmansles ont barbouillées de plâtre, afin que le croyant ne fût pasdistrait par leur miroitement pendant ses prières.

Intérieurde la

grandeMosquéede SidiOkba.

Le Mihrabet le

Memberde la

Mosquéede Sidi

Okba.

Page 47: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

48 LA TUNISIE Â TRAVERS LES ÂGES

Les monuments arabes sont si peu connusconnus qu'il me paraitintéressant de comparer celui-ci avec les plus anciennes mos-quées qui ont été Construites sur le même plan.

IntérieurLa mosquée d'Amrou au Caire fut construite, comme celle

de lade Kairouan, dans le premier siècle de l'hégii'e ; mais elle nMosquéed'Amouau été réédifiée au xii' ou au xIlJc siècle sur son plan primitif.

Caire.Elle est aussi supportée par (les colonnes antiques, qui sontmoins belles toutefois que celles de la mosquée de Kairouan.

IntérieurLa mosquée de Cordoue, élevée aux vin' et xi° siècles,

de larepose sur 920 colonnes; il en manque à peu près 200 deMosquée sorte qu'elle avait près de trois fois plus de colonnes quedeCordoue. celle de Kairouan ; niais elles sont moins remarquables, et un

petit nombre d'entre elles seulement sont antiques. Elles sontmoins hautes aussi et les chapiteaux sont bien inférieurs àceux de Kairouan.

Il faut toutefois observer que les deux arcs superposés,construits en pierre alternativement rouge et blanche, quidonnent au monument tant de solidité, sont d'un plus gracieuxeffet que les arcs simples de la mosquée de Kairouan qu'on adû relier l'un à l'antre par des barres de fer.

IntérieurIi serait difficile de comparer la grande mosquée de Damas,de laqui est cependant un très beau monument, avec celle de Kai-

granderouan parce que la première est une ancienne basilique chré-Mosquee

de Damas. tienne élevée dans le siècle dû Constantin, au ive siècle denotre ère, reposant sur des colonnes romaines gigantesques.Un petit édicule que vous voyez au premier plan contient latête de saint Jean-Baptiste ; mais, comme pour beaucoup dereliques, celle-là a le privilège de se trouver dans plusieursendroits à la fois. (Hilarité.)

VueRevenons à la grande mosquée de Kairouan dont je veuxextérieure vous présenter la vue extérieure dominée par un puissant

de la minaret d'un grand effet. Du liant de ce minaret, on a uneMosquéede Sidi- vue magnifique sur la plaine immense qui s'étend autour de

Okba.la ville et souvent on y assiste à des phénomènes de mirage,

Page 48: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE A TRAVERS LES AGES 49toujours intéressants pour des hommes habitant nos Contréesbrumeuses. Ces phénomènes sont dûs aux rayons ardents dusoleil frappant la terre desséchée. Vous voyez des lacs, desétangs, j'ai pu y contempler une petite Oasis avec des palmiersqui n'existaient que dans les ondes échauffes de l'atmosphère.

Opposons ait (le Kairouan celui de la grande mos-qiede de J'unis dite Es Zcztmonna ou (le l'olivier. Ces deux mina-rets sont du nième style, bien que celui de l'unis soit p l us lourdet moins bien proportionné. En nième temps que le minai-etdo la grande mosquée, vous avez une vue général(! de la , ville(le Tunis, Prise du haut, (le la Kasbah. l'unis est extrèniementjolie avec ses petites rues tortueuses, ses bazars ou Souks sonquaitier juif et je crois être l'interprète de tons les amateursdu pittoresque endemandant, comme je l'ai fait Pour K ai rouan,qu 'on ne touche pas à la ville arabe où il est si aniusan t dese promener. Ce sera d'autant plus facile, quê la ville euro-péenne peut s'étendre du côté de la mer, dans ce qu'on appellele quartier de la Marine.

Quand nous nous sommes emparés de Kairouan en 1881, nossoldais sont immédiatement entrés dans la grande mosquéede Sidi-Okija et cette mosquée ayant été ainsi souillée par lesRouinis (c'est le nom que les Arabes donnent aux chrétiens),les Musulmans ne l'ont plus eue en aussi haute estime qu'au-paravant, si bien qu'aujourd'h tji encore les Européens peuventla visiter avec l'autorisation dit français. il n ' en estPas ainsi à Tunis où, sous prétexte de respecter la religion desindigènes (et remarquez qu'ils nous rendent en mépris le 'respectque nous manifestons ainsi pour-leur religion), nous ne pouvonsentrer dans les mosquées. Cela est regrettable, eûr les artisteset les archéologues ont intérêt ,l naître l'intirieuj' d.i cesnion u In ents, tout au moin s celui (le la grande mosquéede quirepose, dit-on, sur des colonnes empruntées aux ruines deCarthage. J'ai fait de vains effiui'ts pour lever celte interdiction,

Vilegénérale

de lagrande

Mosquéede l'unis.

Page 49: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

50 LA TUNISIE A TRAVERS LES ÂGES

Parce que j'étais à Tunis li l'époque du grand jetne du Rt'una-dan, mais il faut espérer qu'elle ne tardera pas à disparaître.

VueRevenons à Kairouan. La mosquée des Sabres a cinq cou-extérieure potes cannelées analogues à celles que "on rencontre à Cons-Mosquée tantinopie dans les premiers monuments byzantins qui ont

des sabres précédé la construction de Sainte-Sophie. Cc style a étédeapporté en Tunisie par les Byzantins, qui ont possédé le pays

Kanouan. pendant cent dix ans environ, et il s'y est conservé avec pureté.Cette mosquée des sabres nie rappelle une anecdote qui

m'a été racontée par le directeur du grand domaine de la.Enflda, qui ne compte pas moins de 120.000 hectares, Lamosquée est ainsi nommée parce qu'elle contient des sabresénormes en bois et des métiers à tisser très grossiers, surlesquels il y n des inscriptions arabes.

Or, au moment de l'expédition de 1881, un jour que 'edirecteur de la Enfida se trouvait dans son domaine, situé ii

peu près à moitié route entre l'unis et Kairouan, on luiannonça la visite d'un chef arabe accompagné de quelqueshommes. Il s'avança, et ce chef arabe venant au devant de lui,lui dit dans le plus pur français, qu'il était le fils d'un ancienministre de Napoléon HT, que je vous demande la permission(le ne pas vous nommer; qu'il avait goûté à lit monastiquedans notre pays; qu'il avait été successivement Chartreux etTrappiste; que, n'ayant pas trouvé là l'idéal qu'il avait rêvé,il s'était fait Mahométan, et qu'il était alors iman, c'esl.à-cliredesservant dans une mosquée de Kairouan.

Quelques temps après cette conversation, nos soldats sont$ entrés à Kairouan sans coup férir, et cela a été dù en grandepartie aux inscriptions gravées sur les sabres et sur lesmétiers à tisser renfermés dans cette mosquée. Ces inscriptionsannonçaient en effet que, clans un avenir prochain, la villede Kairouan tomberait entre les mains des infidèles. Voussavez quelle est la force du fatalisme oriental. Dit

Page 50: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIIt .4 THAVItIIS LES ÂGES 51

qu'on avait trouvé dans un lieu saint (les Inscriptions disantque les fournis s'empareraient de Kairouan, il était absolu-ment inutile de songer à résister c'était dciii, il fallait s'in-cliner et subir la domination étrangère que Dieu imposaitaux ci'oî/an/s pour les punir de leurs fautes.

11 est permis de supposer que le fils de l'ancien ministredont je parlais tout à l'heure n'a pas été tout à fait étranger illa confection de ces inscriptions. Depuis ce temps, l'iman estmort et il est enterré dans une petite mosquée, à une soixantaine(le kilomètres au sud de Kairouan voilà comment le corpsd'un Français est aujourd'hui vénéré comme celui du» mari-bout dans le Sud de la Tunisie.

Mais reprenons le cours des grands évènements qui se sontaccomplis dans ce pays.

En 1.270, notre roi Louis IX ayant entrepris la croisadecontre le sultan de l'unis, débarqua à Cai'thage. D'après desdocuments du temps, les ruines de cette cité étaient encoretrès importantes à cette époque l'amphithéûtre, dont il nereste aujourd'hui que des traces insignifiantes, était presqueentier. Le 25 août 1270, le roi mourut d'une maladie infec-tieuse, le jour même où débarquait soit Charles d'Anjou,roi de Sicile, contre qui, douze ans plus tard, fut dirigé lemouvement populaire des T'épies siciliennes, dans lequel presquetous les Français qui se trouvaient en Sicile furent massacrés.

Au palais des Archives nationales, nous possédons l'originaldu traité qui intervint entre Philippe-le-Hardi, fils du saint roi,et le sultan de Tunis. Aux termes de ce traité, les croisésdevaient se rembarquer après avoir reçu une indemnité deguerre. C'était justice, car si la guerre n'avait pas été arrêtéepar la mort du roi, on peut penser que cette croisadeaurait mieux réussi que la première qu'il avait entreprise,attendu que, dans presque tous les engagements qui avaient eulieu, les croisés avaient été vainqueurs. --

Page 51: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

52 LA TIiX1SIE A TRAVEITS LES ACES

En voyant saint Louis expirer sur les lieux ou avait existéCarthage et où Charies-Quint fera plus tard sa belle expédi-tion de 1535, ne dirait-on pas que ces lieux étaient en quelquesorte prédestinés i l'accomplissement de grands évènenieiits ?

LaEn 1841., le Gouvernement français n fait édifier une clin-Chapelle pelle sur le lieu oui saint Louis est mort. A I 'intérieur repose

desaint Louis le corps de M. Mathieu de Lesseps, ancien consul général de

Francea Tunis et père de M. Ferdinand de Lesseps, qui a obtenuCarthage. la concession du terrain sur lequel cette chapelle a été con-

struite.Au début du xvi 6 siècle, tin pirate turc Baba-A rondj, dont

par une sorte de calembour nous avons fait Barberousse etqui était originaire (le Mitvlène, l'ancienne Lesbos, conquitl'Afrique du Nord depuis Tunis jusqu'à Tlemcen. Un peuembarrassé de sa conquête, il l'offrit au sultan de Constan-tinople; c'est la l'origine (lu droit de suzeraineté que la SublimePorte a pendant longtemps exercé sur ce pays.

AqueducPour réprimer les actes de piraterie des Barhares4ues,espagnol Charles-Quint s'empara de l'unis en 1535les Espagnolsà l'unis, construisirent alors cet aqueduc pour amener l'eau dans la

ville.On savait que les Arabes conservaient des armes comme une

sorte de trophée dans l'intérieur de la grande mosquée de Kai-rouan, et on pensait que ces aimes pouvaient avoir appartenuà des chevaliers compagnons de saint Louis ou à des soldatsde l'armée de Charles-Quint.

Les armesM. Monlezun, chef de bataillon du quatrième régiment deconservées tirailleurs indigènes et commandant la place de Kairouan,

laclins

nia envoyé la photographie de ces armes. Il y a trois casques,grandeNo1née de des débris d'une arbalète et d'une cotte de mailles. Elles sontKairouan. pos térieures à saint Louis, postérieures nième ii l'expédition

de Charles-Quint et sont de la dernière moitié (lu xvie siècle.Elles furent portées par des combattants d'un ordre tout à

Page 52: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE A TRAVERS LES AGES 53

fait inférieur et, comme vous k voyez, c'est un bien misé-rable trophée. -

La plupart des monuments arabes de la Tunisie, de l'Algé-rie et du Maroc appartiennent à l'école andalouse.

Pour comprendre l'importance de cette école, il est néces-saire (le rappeler que les Maures ou Berbères établis enEspagne furent h la tête de la civilisation des peuples de leurrace depuis le xii 0 siècle, et qu'ils comptèrent parmi eux desartistes et des architectes qui ont élevé de fort beaux monu-ments. Je vais vous en montrer quelques-uns particulièrementintéressants pour nous parce qu'ils ont servi de modèles àceux qu'on voit dans le Nord de l'Afrique.

Voici une petite synagogue juive, qui est aujourd'hui l'église AncienneSanta. Maria la Blanca, et qui fut construite à Tolède au Synaoguexii0 siècle, après l'expulsion des Arabes de cette ville. Leur Tolède.art s'était cependant imposé à ce point à leurs vainqueurs,

il

que ceux-ci n'hésitaient pas à recourir à leurs architectes.Passons au minaret de la grande mosquée de Séville sa Le Minaret

partie supérieure est espagnole et a été ajoutée au xvi 0 siècle,de lagrandeOn lappelle la Giralda; il sert de tour a la cathédrale de SévilleMosquée

c'est tout ce qui reste de la mosquée qui devait être fort belle, de Séville.Voici, dans' le palais de l'Ailtarnbra de Grenade, la salle des La salle des

deux soeurs, de las dos Ilennanas, ainsi nommée à cause de deux soeursdeux larges dalles en marbre placées à l'entrée de la salle,,dans

le palais deEh bien, ce style architectural de la synagogue (k Tolède, l'Alhainbra.de la Gùalda et de i'Ai/tambra a été imité par les Mauresd'Afrique.

Voici, pour vous en convaincre, le minaret de Mansourah, Minaretprès de Tlemcen c'est 1e plus beau de toute l'Algérie. Vousde

M ansourahvoyez qu'il e une ressemblance très grande avec le minaret de près dehi grande mosquée de Séville que nous venons de voir, mais 'flemoen.il n'est pas, bien entendu, couronné comme la Giralda, dece clocher à jour du style de la Renaissance, que les Espagnolsont construit pour l'approprier à sa nouvelle destination.

0

Page 53: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

54 LA TUNISIE A THAVERS LES AGES

L'intérieur L'intérieur de cette petite mosquée de Tlemcen placée sousde la petite l'invocation de Sidi Abd e' Kassem, n le même mode de déco-Musquée de ration que la salle du palais de lAihambra que nous avonsSidi Abd elKassein vue. Cette décoration se compose d'arabesques en plàtre, so u -il Tlemcen. vent même en marbre ajouré, d'une extrême élégance et d'un

travail très fin.Lorsque, après la prise de Grenade en 1492, les Rois Catho-

liques Ferdinand et Isabelle chassèrent les Maures d'Espagne,ceux-ci se réfugièrent au Maroc, en Algérie et en Tunisieils apportèrent avec eux leur civilisation et leurs arts, aussiexiste-t-il encore aujourd'hui dans beaucoup de villes du Nordde l'Afrique un quartier ou des rues qui ont conservé le nomde quartier ou rue des Andalous, comme à Tunis par exemple:certaines familles prétendent même posséder encore les clefsdes maisons habitées à Grenade par leurs ancêtres.

MinaretIl y a cependant à Tunis des minarets d'une forme toutede laspéciale qui ne vient pas d'Espagne. En voici un échantillon:

Mo quée c'est la mosquée Djedid (la neuve): on c il voit une douzaine deDjedid

àsemblales à l'unis. Vous pouvez vous souvenir que, sur l'Es-planade des Invalides, à l'Exposition de 1889, M. Saladin dontje vous ai déjà parlé avait construit un minaret sur le plan decelui reproduit par cette photographie.

MinaretIl est intéressant de comparer les minarets de Séville, dede laTlemcen, de Tunis et de Kairouan avec ceux de Syrie. Voici

Fiancée un des trois minarets de la grandemosquée de Damas; il s'ap.n la grandeMosquée pelle poétiquement le minaret de la Fiancée et est fort élancé

de Damas. et Fort élégant, comme vous pouvez en juger.

L'entréeOn ne trouve pas dans l'Afrique du Nord que des imitationsde la - du style des Maures d'Andalousie : nos architectes du xviii0

Mosquée siècle y ont auss i fa i t école . vous pouvez le constater en voyantdu Barbierà Kairouan. celte porte de la mosquée du Barbier à Kairouan, dont les

chambranles paraissent empruntés à un château de l'époque deLouis XV. On croyait que le nom de cette mosquée lui venait

Page 54: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE A TRAVERS LES ACES 55

de ce qu'elle contenait le corps du barbier de Mahomet; mais.une enquête plus approfondie a établi qu'il est dû h ce que lamosquée possède une relique plus précieuse trois poils de labarbe du Prophète (hilarité), et je vous assure que 'es 1\iusul-nians, dans leur foi ardente, n'entendent pas plaisanter sur cettesainte relique. La mosquée est placée au milieu d'une sorted'Université arabe qui est une véritable école de fanatisme.

Depuis le xv, e siècle jusqu'au début du vif, Tunis a été,comme Alger, un nid de pirates et, ainsi que le disait récein-ment M. Maxime du Camp en parlant d'une autre époque etd'une autre histoire: « les annales de ce peuple n'ont été qu'unlong gémissement poussé à travers les incendies, les massacreset les ruines. n

Aussi, quand en 1881 nous nous sommes établis à Tunis,le pays était-il ruiné et dépeuplé. Notre protectorat a réveilléses anciennes gloires, il a donné une impulsion nouvelle auxforces vitales du pays. Nous y avons trouvé une terre fertile,surtout dans la vallée de la Medjerdah, et de belles forêts enKroumirie, dans la partie du pays voisine de la province deConstantine. Beaucoup de capitaux français ont afflué : ils setrouvent suffisamment rémunérés et le prix de la terre aconsidérablement augmenté de valeur depuis onze ans. Il estvrai que nous nous sommes trouvés en présence de popula-tions composées en grande majorité de Berbères, partantbien moins fanatiques que les Arabes proprement dits.

Au reste, le régime du Protectorat est plus avantageux pourla France que celui de la domination directe, ce qui n'est passuffisamment connu de tout le monde. En laissant subsisterl'autorité nominale du Bey qui couvre certains abus que nousne pourrions pas éviter à moins d'efforts disproportionnés avecle but à atteindre, nous nous bornons à un rôle de surveillance,et sommes dispensés d'administrer et de gouverner coûteuse-ment et directement le pays. Nous évitons ainsi les nombreux

Page 55: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

56 LA PUNISSE A TRAVERS LES ACES

• essais de colonisation souvent infructueux et toujours onéreuxque nous avons faits en Algérie. Les colons étrangers, faisantLuire certaines jalousies que notre occupation avait d'abordsuscitées, commencent à apprécier les bienfaits et la libéralitéde notre contrôle administratif ainsi que l'ordre que nous avonsétabli dans le pays.

Aussi je salue au passage la mémoire du dernier résidentgénéral, M. Massieault, qui avait su se faire bien venir de tous,ce qui n'est pas un mince mérite je vous assure, et qui alaissé d'unanimes regrets, aussi bien dans les colonies étran-gères, que chez les Français et les indigènes. (Vifs applaudis-sements.)-

Mais l'un des hommes qui ont le plus travaillé à faireaimer notre pays a été le cardinal Lavigerie. Toutes les oeuvresqu'il n entreprises ne lui survivront certes pas, mais c'était unhomme de caractère et d'autorité en même temps qu'unhomme d'action, une sorte de manieur d'hommes, qui s'hii p0-

sait, savait inspirer toutes les confiances et tous les dévoue-monts, et qui a parfaitement réussi dans l'oeuvre d'humanitéet de civilisation qu'il avait entreprise au profit de la Fiance,car c'était un excellent patriote. (Applaudissements répétés.)

IntérieurVoici la cathédrale de Carthage où repose le cardinal Lavi-de lagerie elle se trouve à côté de la chapelle de Saint-Louis que

Cathédrale je vous ai montrée tout à l'heure. Connaissant la vénérationdeCarthage. qu'ont les Arabes pour les hommes revêtus d'un caractère reli-

gieux, ainsi que le respect, je puis dire l'enthousiasme qu'ilsavaient pour le cardinal, je n'ai pas été surpris de lire dansles journaux que, le jour de son enterrement, les cordons detroupes ont été à diverses reprises rompus par les indigènesqui venaient déposer des placets sur le cercueil de celui qu'ilsconsidéraient à l'égal d'un de leurs plus grands inaralouls,d'un de leurs plus grands saints.

Nous en avons fini avec Tunis nous, allons nous diriger vers

Page 56: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE A TRAVERS LES AGES 57

Tripoli, par mer bien entendu et non par terre, ce qui seraitbeaucoup trop long.

Nous abordons à Sousse, l'ancienne Hadrumète qui ne de Soussecompte plus aujourd'hui que 15.000 Cimes. D'après Salluste, prise de la

Hadrumète était une colonie phénicienne plus ancienne quemer.

Carthage. Scipion y a débarqué; Annibal eu est parti, ruyantla haine des Romains et l'ingratitude de ces concitoyens je croisque César y aborda aussi, ainsi que Bélisaire

Sousse a été très longtemps un nid de pirates. Ses remparts rempartssont dominés par un haut minaret qui couronne la Kasbah, de Sousse.transformée en caserne et occupée par le quatrième régimentde tirailleurs indigènes. Du haut de ce minaret on a une vueprestigieuse sur les toits blancs des maisons, sur Tes cou-poles blanches (ce que les Arabes appellent des Koubbas),sur les murailles qui resplendissent au soleil d'Afrique. Audelà s'étend la nier, et je vous assure qu'en rentrant en France,nos villes et nos vieilles forteresses noircies, enfumées, qu'onvoit sous un ciel relativement bas, paraissent tristes et ternesJe n'entends certes pas dire du mal de notre beau pays deFrance.....mais son soleil ne peut pas rR1iliscr avec le soleild'Orient, un grand magicien qui illumine tout, qui jette despaillettes d'or sur des haillons et donne de l'éclat à de simplesmurailles blanchies à la chaux, comme celles des villes de la

Tunisie, qui seraient du reste incapables de résister au Canon.-

Sfax est la seconde ville de la Régence avec une trentaine deVuemille habitants. Ses murailles sarrasines sont, comme k Sousse, de Sfax.d'un fort joli eflet.

Voici l'Oued ou ruisseau de Gabès, à 3 kilomètres de cette L'Ouedville qui a remplacé l'ancienne colonie romaine de Tacapae. de Gabès.

Gabès se trouve au sud de la Tunisie, au fond de ce que lesanciens appelaient la petite Syrie. C'est par là que le comman-dant Roudaire voulait introduire la merdans les Chotts, c'est-à-dire dans les fonds marécageux placés au dessous du niveau

Page 57: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

58 LA TUNISIE A TRAVERS LES AGES

de la Méditerranée. II espérait par ce moyen fertiliser ledésert et y amener des pluies bienfaisantes qui auraient changéle climat. On s'est arrêté à temps, croyez-niai, car aujour-d'hui on a reconnu que l'entreprise était impraticable et qu'onaurait enfoui des sommes immenses pour un résultat problé-matique, ou tout au moins fort médiocre.

FortVoici un fort sarrazin dans file de Djerba, à une faibleSarrazm distance à l'est de Gabès, et qui n'est étoinée de la côte quedans 1 lie

de Djerba. .de quelques centaines de mètres. Les Romains avaient mêmerelié l'île au rivage par un pont dont on voit encore les traces.

Cette île est carrée c'est 111e des Lotophages dont Homèreet Hérodote ont parlé. Ses habitants se nourrissaient dufruit du lotus qui faisait-oublier leur patrie à ceux qui enmangeaient.

On s'est beaucoup demandé ce qu'était ce fruit. Est-ce lefruit de la fleur de lotus qui a disparu de l'Egypte et qu'onretrouve encore dans les anciens tombeaux de l'époque dosPharaons? est-ce le fruit du palmier? est-ce celui du pistachier?du jujubier? Je n'en shis rien; mais ce devait être un fruit déli-

- cieux pour que ceux qui en mangeaient oubliAssent subite-ment leur pays, comme le raconte Ulysse.

A l'époque romaine, tes hauts fonctionnaires et les richesnégociants de la Zeugitane et de la Byzacène avaient de magni-fiques villas dans cette fie. Aujourd'hui elle est habitée par unepopulation berbère très industrieuse , surtout très commer-çante, les Djerbi, qu'on rencontre partout en Tunisie. Ils pro-fessent un rite religieux spécial qu'il serait trop long de vousfaire connaître. On l'appelle le cinquième, parce que ses adhé-rents n'appartiennent à aucune des quatre grandes sectesauxquelles se rattachent les autres Musulmans du Nord del'Afrique.

Nous voici à Tripoli. Nous irons vite parce que les souve-.nirs historiques sont ici moins grandioses que dans l'ancienne

Page 58: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE A TRAVERS LES AGES 59

province d'Afrique, et parce que nous ne sommes plus en terrefrançaise. On reconnaît, avant même d'avoir débarqué, qu'onSc trouve dans un pays soumis aux Turcs, en voyant la formedes minarets qui ressemblent à ceux des mosquées de Constan-tinople on le reconnaît aussi aux soldats déguenillés qu'onrencontre dans les rues.

Le nom (le Tripoli, qui veut dire les trois pilles en greccomme vous le savez, vient de ce que cette ville commandait àtrois autres Œa, Sab,a.ia et Leptis Magna, assez éloignéeslune de l'autre. Leptis Magna est la patrie de Septime Sévère.

A cent mètres de la douane de Tripoli OÙ l'on débarque, se Arc (levoit un arc de triomphe romain en marbre blanc d'un beau triomphetravail. Il a été élevé en l'an 164 de notre ère, époque où l'art Marc-

romain n'était pas encore tombé en décadence, par un préteur,Aurèle

en l'honneur de Marc-Aurèle etde Lucius lTe,us associés à l'em.dans-. une rue depire. Ce remarquable monument a été transforme en un magasin Tripoli.

de futailles occupé par un Maltais qui m'en n ouvert la porte.Il est quadiifrons, c'est-à-dire qu'il a quatre faces toutes

semblables, comme l'arc de fonus à Rome, et comme l'are deCaracalla à Tébessa. Si Tripoli tombait entre les mains d'unepuissance civilisée, tin (le SOS premiers soins devrait être dedégager ce monument qui est aujourd'hui enfoui aux deux tiersde sa hauteur.

Voici le marc/id au pain, à la porte de Tripoli. C'est une de Le Marchéces scènes orientales pleines de mouvement et d'éclat où le au pain.soleil joue le principal rôle et qui ravissent les yeux du touriste.

A 300 mètres de la Méditerranée commence l'oasis de Tri . L'Oasispoli qui s'étend sur une profondeur d'environ trois kilomètres de Impoli.et aboutit au désert.

Nous arrivons, à lit de l'oasis, à une petite chapelle arabeL'entréeavec un dôme blanc (une koubba), que le sable commence à du désert.envahir. C'est le commencement du désert, et c'est par lbque le brave commandant Monteil est arrivé, il y u quelquesjours. revenant du Soudan et du lac. Tchad.

Page 59: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

60 LA TUNISIE A TRAVERS LES ÂGES

LIte de Malte a 13 kilomètres de largeur et 27 de longueur.C'est un rocher calcaire, aride, presque sans verdure, maisdans une situation magnifique au milieu de la mer Méditerranée.Toutes les constructions sont en belle pierre très abondante dansFile, tuai s qui ne laisse pas que d'avoir aile belle apparence.

Deux mots sur les chevaliers de Malte. L'ordre des ChevaliersHospitaliers tic Saint-Jean-de-Jérusalem avait été créé lors (le].a croisade. Ils furent chassés de Jérusalem cilen même temps que les croisés, et se réfugièrent successive-ment à Saint-Jean-d'Acre, puisdans l'île de Chypre et ild'où le Sultan Solimin1 I, le contemporain (le François Jflr, deCharles-Quint et de Flenri VIII, les expulsa en 1522.

Huit ans après. Charles-Quint qui régnait sur l'fle de Maltecomme roi d'Aragon l'offrit aux.Cheya/iers de Saint-Jean-de-Rhodes, qui prirent alors le nom de Chevaliers de Malte; ils yséjournèrent jusqu'en juin 1798, où Bonaparte s'étant emparéde l'Ue qu'il avait trouvée sur son chemin en allant en Egypte,détruisit l'ordre des chevaliers. Ce fut une Faute politique qu'il.a dû regretter plus tard.

PortEn 1800, à la suite de l'échec final de l'expédition d'Egypte,de lales Anglais ont pris Malteils l'ont conservée et je

assure qu'ils ne la rendront pas. ils ont du reste fait de Lataille à LiValette. Valette, sa capitale, une fort belle ville, et ses ports multiples

qui s'enfoncent dans les terres comme les tentacules d'unepieuvre ont été fortifiés d'une façon formidable.

Ruines'Malte est l'ancienne MeUte., qui fut une colonie phénicienneet romaine. On a trouvé ii la pointe orientale (le l'île ces

Molles ruines connues sous le nom d'liagiar Kint (lue l'on croit phéni-

Kim.ciennes. Elles sont d'une très haute antiquité, prohabl eaientdu xi° ou xir siècle avant J-C.

RueVoici la Strada di Sema Lucia ii La Valette, ville de 70.000Sauta Lu cia Anies, située sur nu sol inégal cl montueux, ainsi que vous pou-

a La

\Taltevez le voir par les escaliers qui occupent le milieu de cette rocpittoresque.

Page 60: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

LA TUNISIE A TDA\'ItBS LES ACES 61

Le palais du gouverneur de Malte est l'ancien palais des La Sallegrands maîtres de l'ordre des Chevaliers. La salle ou Sc réunit du Conseil

le conseil qui assiste le gouverneur et est composé de fonction- le palais dunaires anglais et de quelques députés élus par les Maltais, est gouvernent-décorée de magnifiques tapisseries des Gobelins, d'après les de Malte.cartons de Leblond, qui ont été données par Louis XIV.

L'ordre était fort riche et avait élevé de belles constructions. TombeauPlusieurs des grands maîtres ont été français et parmi les plus d'un prince

- de Reliait.illustres i1 faut citer La Valette, qui a donne soit a la cap!-tale de l'île, au xvi 0 siècle. Un prince de la maison de Rohandont voici le tombeau dans l'église Saint-Jean qui sert de cathé-drale, n été l'avant-dernier grand maître il est mort le 17juillet 1797.

Dans cette même église de Saint-Jean, voici le tombeau du Tombeau. du comte de

comte tic Beauj olais, frère du roi Lou is-Philippe, mort de con-

-IBeaujolats

somption à Malte en 1808. Ce tombeau a été sculpté par Pra-dier en 1843.

Enfin, les Maltaises ont la tête et les épaules couvertes parUneune sorte de capuchon qu'on appelle faidetta, qui ne manque Malt;selivecpas d'une certaine grAce, et qu'elles manient comme les Espa- faldetia.gno] es savent jouer de l'éventail, en se couvrant et se décou-vrant le visage cl en s'exposant ou s'abritant des rayons dusoleil.

Fil cette revue rapide quoique trop longue, desdestinées de la Tunisie et de l'Algérie, j'éprouve le besoind'adresser mon témoignage de reconnaissance et d'admirationaux savants et artistes fiançais épigraphistes, archéologues,géographes, architectes, dont les noms sont trop peu connusdu grand public et qui, depuis 40 ans, ont étudié patiemmentl'histoire, les antiquités, les inscriptions et les monuments deces contrées que nous avons tant d'intérêt à bien connaître.Leurs travaux font honneur à la science française. Je veux parlerde Léon Bénie,-, Victor Guérin, Vivien tic Saint-Martin, Tissot,

Page 61: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

62 LÀ TUNISIE A TRAVERS Lits AGES

Henri Duveyrier, qui ne sont plus; et dût leur modestie ensouffrir, je tiens à ajouter à leurs noms ceux des savants quenous avons le bonheur de voir parmi nous MM. le docteurIlainy, Héron de Viliefosse, Philippe Berger, le R. P. Delaure,Cagnat, Saladin, J?rnile Màsqueray, René de la Blanc/s ère,Babe Ion, Salornon Reinach.

En résumé, la Tunisie forme avec l'Algérie sa voisine, unecolonie magnifique qu'il nous sera facile de mettre en vuleur ennous inspirant parfois (le l'exemple que nous ont donné lesRomains, ses anciens maîtres. Il est vrai que ceux-ci n'ont paseu affaire à des populations aussi rebelles à la civilisation, aussifanatiques et aussi difficiles à assimiler que les Arabes.Cette considération m'excusera, je l'espère, de vous avoirentretenu si longtemps du passé d'un pays dont on ne considèregénéralement que l'état présent. (Salve d'applaudissements.)

Page 62: q,4((o LALGÉRIE & LA TUNISIE - La Chancellerie des

TABLE

I. - L'Algérie à travers les Ages ...................1

11. - Là Tunisie à travers les âges .................31

4

MCON, PROTAT FRtRES, IMPRIMEURS