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P ro A sile la revue de France Terre d’Asile 50 F semestriel - Octobre 2001 N° 5 http://www.france-terre-asile.org Réfugiés, insertion professionnelle Difficultés et enjeux Dossier central :

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ProAsilel a r e v u e d e France Terre d’Asi le

50 F semestriel - Octobre 2001 N° 5

http://www.france-terre-asile.org

Réfugiés, insertion professionnelleDifficultés et enjeux

Dossier central :

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France Terre d’AsileAssociation régie par la loi du 1er juillet 1901Et reconnue de bienfaisance par arrêté préfectoral du 19 février 1993

FONDATEURS :Abbé GLASBERGDocteur Gérold de WANGENPasteur Jacques BEAUMONT

Président : Jacques RIBSSecrétaire générale : Paulette DECRAENETrésorier : Patrick RIVIERE

AUTRES MEMBRES DU CONSEIL D’ADMINISTRATIONJean-Pierre BAYOUMEU, Georges DAGHER, PauletteDECRAENE, Hervé DUPONT-MONOD, Patrice FINEL,Dominique GAUTHIER-ELIGOULACHVILI, Michel GUILBAUD,André GUYS, José KAGABO, Raymond-François LE BRIS,Patricia MAHOT, Luc MAINGUY, Pierre MEALHIE, AlainMICHEAU, Jeanne-Marie PARLY, Nicole QUESTIAUX, JacquesRIBS, Patrick RIVIERE, Jacques ROYER, Jean-FrançoisSABOUL, Jean-Luc SAURON, Philippe TEXIER, FrédéricTIBERGHIEN, Sylviane de WANGEN, Philippe WAQUET,Iradj ZIAI.

COMITÉ D'HONNEUR :José BIDEGAIN, Aimé CÉSAIRE, Jacques CHATAGNER, SimoneCINO DEL DUCA, Francis CRÉMIEUX, André ESSEL, Roger ETCHEGARAY, Gérard FROMANGER, Maurice GRIMAUD,Stéphane HESSEL, Georges HOURDIN, Ivor JACKSON, FrançoisJACOB, Gilbert JAEGER, Jean LACOUTURE, René LENOIR, Claude LUSSAN, Gabriel MATAGRIN, AlexandreMINKOWSKI, Théodore MONOD, Gérard MOREAU, LouisNEEL, Joe NORDMANN, Olivier PHILIP, Edgard PISANI, REZA,Paul RICŒUR, André ROUSSEL, Bernard STASI, Jacques STEWART, Évelyne SULLEROT, Germaine TILLION, Cécile VALETTE-ELUARD.

Directeur général :Pierre HENRY

Directeur de publication : Jacques RIBSRédacteur en chef : Pierre HENRYRédacteur en chef adjoint et secrétariat de rédaction : Anne POUSSONMaquette : Roland RIOU/NBC Impression : Imprimerie Expressions2Photo de couverture : Pierre TREVEL

Commission paritaire n° 65091Supplément au Courrier.

France Terre d’Asile25, rue Ganneron75018 Paristél. 01.53.04.39.99fax. 01.53.04.02.40e-mail. [email protected]://www.france-terre-asile.org so

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e1 Editorial par Jacques Ribs, (Président de FTDA)

3 La parole à...Frédéric Tiberghien (Maître des requêtes au Conseil d’Etat)

4 Actualités

6 Droit et jurisprudencesAgnès Hurwitz (Chercheur à l’université de Oxford)

La notion de pays tiers sûr dans le contexte de l’élargissement

8 Santé-social-IntégrationMartine Lussier (Psychologue)Deuil et exil

11 InternationalPierre Henry (Directeur Général de France Terre d’Asile)

Frontières extérieures : l’Europe sans voix et sans projet

13 Dossier centralRéfugiés, insertion professionnelle - difficultés et enjeux

41 InternationalIsabelle Hoferlin (Coordinatrice de Social Alert)

Quel avenir pour la Colombie ?Casimir Monel (Enseignant haïtien engagé dans l’opposition)Haïti : la démocratie n’est pas au rendez-vous !

46 Ethique et humanismeGérard Moussu (Sociologue, chercheur à l’IRTS d’Aquitaine)

L’éthique dans le travail social

49 Perspectives historiquesJérôme Beliard (Professeur agrégé d’histoire)

Le retour des réfugiés allemands dans leur pays,après la deuxième guerre mondiale

53 Livres...

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1PROASILE la revue de France Terre d’Asile

EDITO

L’avis de la CNCDH, une utopie rationnelle et réaliste

L’avis de la CNCDH, que j’annonçais dans mon précédent éditorial, a été adopté à l’unanimité le 7 juillet et aussitôt transmis auPremier Ministre. Les ministères concernés ont trois mois pour faire connaître leurs réponses .

Elles seront à suivre avec le plus grand intérêt, car l’avis rendu, prenant acte du dysfonctionnement quasiment complet, que ce soit auplan structurel ou conjoncturel, du système actuel, propose de modifier de fond en comble l’existant. Ce document, audacieux dans sespropositions, véritable révolution, pouvant paraître utopique tant il est éloigné de celui-ci, est infiniment plus proche des réalités et aété élaboré par des spécialistes, excellents connaisseurs du terrain et des juristes ayant une expérience approfondie de ce droit spécifique,mais aussi de l’organisation de l’Etat, également nombreux au sein de l’Assemblée plénière de la CNCDH.

Le principe de base en est que le droit d’asile, se différenciant en cela des flux migratoires, est un droit de l’homme fondamental garantipar l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention de Genève et la Charte européenne des droitsfondamentaux.

A partir de cela, l’idée centrale de l’étude a été celle de la rationalisation d’un état de droit particulièrement anarchique, parfois kafkaïenpour les intéressés, afin de parvenir à une simplification administrative, à un raccourcissement considérable des délais afin de permettreaux demandeurs d’asile de jouir pleinement des doits qui se déduisent pour eux de la Convention de Genève et de la Déclarationuniverselle des Droits de l’Homme.

Au plan des procédures, en abolissant en amont le filtre absurde que l’on entend imposer, moyennant sanctions, à des transporteurs incapablesde juger en matière d’asile, il est proposé qu’un seul organisme soit compétent de la frontière, dés lors que la personne se présente commedemandeur d’asile, jusqu’à la décision statuant sur l’asile. La CNCDH demande, comme elle l’avait déjà dit en 1998, de faire de cet organismeune autorité administrative indépendante ne connaissant la tutelle d’aucun ministère ce qui apporterait simplification, rapidité et cohérence.Bien entendu, devant cet organisme les règles de procédures devraient être parfaitement respectueuses du contradictoire et de l’égalitédes armes, ce qui n’est guère le cas actuellement. La notion d’autorité administrative indépendante nationale permettrait en outre defaire l’économie d’un degré de juridiction, hâtant d’autant la solution des litiges.

Au niveau du fond, il est demandé mettre en place, par voie législative, un dispositif qui permette de répondre aux critères de laConvention de Genève posés par le HCR, mais aussi que soit créé une protection complémentaire permettant qu’un statut équivalent austatut conventionnel puisse être accordé par l’organisme nouveau à tous ceux qui, exclus de celui-ci, peuvent néanmoins craindre pourleur vie, leur liberté ou d’être exposés à la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans le pays qu’ils ont fui. Il s’yajouterait l’obligation de délivrer un titre de séjour de trois ans à tous ceux qui, n’étant pas éligibles aux deux types de protection précédents,seraient néanmoins inexpulsables à raison des conditions régnant dans leur pays d’origine et disparaîtrait du même coup l’asile territorialaccordé discrétionnairement par le Ministre de l’Intérieur.

Il serait ainsi rendu compte d’une manière beaucoup plus exacte de la véritable situation de ceux qui demandent l’asile et ne l’obtiennentpas à raison du malthusianisme de la législation et de la jurisprudence actuelle et cela ferait diminuer corrélativement le nombre desclandestins avec les dramatiques conséquences individuelles et au plan de l’intérêt général que l’on sait.

Tout cela devrait s’accompagner d’une politique migratoire digne de ce nom et adaptée à la situation économique actuelle de l’Unioneuropéenne, ce qui contribuerait à dégonfler le nombre de ceux des demandeurs d’asile qui ne sont que des migrants économiques.

La politique d’accueil des demandeurs d’asile devrait être entièrement revue par un élargissement considérable des facultés d’hébergementpour que tous ceux qui le souhaitent puisse en bénéficier et que cesse l’embolisation actuelle du DNA créant à son tour celle du dispositifmis en place par la loi sur l’exclusion. Il devrait s’y ajouter le rétablissement du droit au travail et surtout qu’existe au bénéfice de tousles demandeurs d’asile, quelles que soient leurs conditions matérielles de vie, un accompagnement social digne de ce nom leur permettantde s’intégrer pleinement à notre société, l’hébergement d’urgence ne devant plus être que totalement exceptionnel. Il est clair que la fluiditécréée par les mesures proposées plus haut au niveau des demandes d’asile ne pourra que se répercuter sur le DNA.

Au plan européen, il est demandé au gouvernement de se faire le porte-parole de ces propositions avec un dynamisme tout particulier.

Tel est l’avis de la CNCDH, ce document de soixante-six pages étant ici outrageusement résumé pour satisfaire aux exigences de la pagination.Mais le document complet peut être consulté sur le site Internet de la CNCDH.

En réalité, vous l’avez compris, tout se tient ici et, si l’on veut être efficace, seule une réforme d’ensemble peut être utilement envisagée,s’imposant aux différents ministères et donc procédant de décisions prises au plus haut niveau gouvernemental. On peut même sedemander si, dans ces conditions, il ne serait pas nécessaire de désigner un délégué interministériel chargé d’élaborer la réforme et dela mettre en oeuvre.

Il s’agit d’un chantier d’une importance capitale. Il reste à tous ceux qui ont à cœur de défendre le droit d’asile dans ce pays à se mobiliserdans les mois qui viennent pour qu’il aboutisse.

Jacques RIBSPrésident de France Terre d’Asile

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2PROASILE la revue de France Terre d’Asile

La Parole à :N°1 : « La loi contre la précarité et l’exclusion sous l’angle des de-mandeurs d’asile » René Lenoir, ancien Président de l’UNIOPSS

N°2 : « Task force de l’Union européenne pour la reconstructiondu Kosovo » Roy Dikinson, conseiller politique

N°3 : Description des grands axes de la Présidence françaisePierre Moscovici, ministre délégué aux Affaires européennes

N°4 : « 50ème anniversaire de la Convention de Genève – Des ini-tiatives pour redynamiser le système de protection internationale »Manuel Jordao, délégué du HCR section française

Droit et jurisprudence :N°1 : « L’asile territorial », Julien Laferrière, professeur de droit à l’uni-versité Paris sud, Président de l’ANAFE, vice Président de FranceTerre d’Asile« Droits des réfugiés et respect de l’ordre public », Xavier Créach,délégation française du HCNUR, chargé de liaison auprès de l’OFPRAet de la CRR

N°2 : « L’appartenance à un groupe social comme motif de re-connaissance de la qualité de réfugié », Sharzad Tadjbakhsh, divi-sion de la protection internationale, HCR« La protection temporaire », Frédéric Tiberghien, maître des re-quêtes au Conseil d’Etat, membre du Conseil d’administration deFrance Terre d’Asile

N°3 : « Le mécanisme de l’exclusion de la qualité de réfugié »,DenisAlland, professeur à l’université Paris II (Panthéon Assas)« La jurisprudence, élément moteur de l’affirmation du droit d’asileet des réfugiés(1988–1999) », Frédéric Tiberghien

N°4 : « Bilan de la Présidence française de l’Union européenne »,Anne Pousson, chargée de veille juridique à France Terre d’Asile

Santé – social – intégrationN°1 : « les médecins réfugiés et exilés, une élite déclassée », ClaireHatzfeld, Secrétaire Générale de l’Association d’Accueil aux Médecinset Personnels de Santé Réfugiés en France (AMPSRF) et Jean MichelLestang, administrateur de l’AMPSRF« Etat sanitaire des CADA et des CPH, les maladies dominantes »,Docteur René Knockaert, médecin conseil d’ASIRE

N°2 : « La CMU : sa réussite dépend de l’engagement citoyen desacteurs concernés », Docteur Michèle Mézard, mouvement ATDquart monde, secrétariat santé« Ce que manger veut dire, une approche de l’alimentation dans lescultures africaines », Ferdinand Ezembe, psychologue« Les réfugiés kurdes en France, intégration et modes de vie »,Shirin Mosheni, chercheur en ethnographie

N°3 : « Exil et traumatisme psychologique », Pierre Duterte, Directeurmédical, et Daniel Irago, psychologue « Les demandeurs d’asile et la couverture maladie universelle –Comment intégrer le système de santé ? », Didier Maille, responsabledu service social du COMEDE et Arnaud Veisse, médecin coordi-nateur du COMEDE (Comité médical pour les Exilés)

N°4 : « le regroupement familial – de l’efficacité d’un droit »François Hoche, Directeur du Service social d’aide aux émigrants(SSAE)« La prise en charge des patients turcs en médecine générale »,Michel About, médecin, psychothérapeute

DOSSIER CENTRAL :N°1 : « Les modèles d’intégration en Europe »

N°2 : « L’enfance et l’exil », Armelle Crozet

N°3 : « Femmes réfugiées », Armelle Crozet et Pierre Henry

N°4 : « Actes du colloque sur les mineurs isolés demandeurs d’asile »

International :N°1 : « Les tsiganes aujourd’hui, des images, une réalité, et un fa-rouche désir de vivre », Alain Reyniers, ethnologue, professeur à l’uni-versité de Louvain, Directeur de la revue « Etudes Tsiganes »« L’harmonisation des procédures d’asile à l’ordre du jour euro-péen », Ophélia Field, Conseil européen pour les réfugiés et les exi-lés (CERE)

N°2: « L’éclatement de la Yougoslavie et les origines du conflit » Hans Stark, chercheur à l’Institut français des relations internatio-nales (IFRI)« Les formes de protection complémentaires au statut de réfugié »,Gilbert Jaeger, ancien Directeur de la protection au HCR

N°3 : « L’honneur du journalisme », Jacobo Machover

N°4 : « Les filières de traite des êtres humains », Christian Amiard(Directeur de l’Office central pour la répression de la traite desêtres humains), Philippe Boudin (membre de la plate forme contrela traite des êtres humains), Claude Boucher (Présidente du Busdes femmes)

Ethique et humanisme :N°1 : « La déclaration de 1948, René Cassin et le Droit d’asile »,Marc Agi, membre de la Commission Nationale consultative desDroits de l’Homme, Directeur de l’Arche de la Fraternité, Fondationinternationale des Droits de l’Homme« Les enjeux du droit d’asile au regard de l’histoire », Gérard Noiriel,Professeur des hautes études en sciences sociales (EHESS)

N°2 : « Laïcité et “différences“, questions de principe », HenriPenaruiz, agrégé de philosophie« protéger les populations civiles dans la guerre, une responsabi-lité morale, juridique et politique », Jacky Mamou, Président deMédecins du Monde

N°3 : « L’efficacité de la justice pénale internationale dépend de lavolonté politique des Etats », William Bourdon, Secrétaire Généralde la Fédération Internationale des Droits de l’Homme

N°4 : « L’Islam en questions », ouvrage de Alain Gresh et TariqRamadan« Le Ramadan, sens et symboles », Dalil Boubakeur, recteur de la mos-quée de Paris

Perspectives historiques :N°1 : « Quatre années avec les réfugiés », Maurice Grimaud, anciendélégué général pour la France de l’Organisation Internationalepour les Réfugiés, membre du Comité d’honneur de FTDA

N°2 : « Les réfugiés et leur protection en Grèce antique », JérômeBéliard, agrégé d’histoire

N°3 : « L’expulsion des juifs d’Espagne – De l’émergence d’un pro-cessus d’exclusion à la naissance d’une diaspora », Jérôme Béliard

N°4 : « L’exil des nobles et l’accueil des révolutionnaires à l’époquede la révolution française », Michel Vovelle, historien spécialiste dela Révolution française

PRO ASILE – Articles déjà parus

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3PROASILE la revue de France Terre d’Asile

LA PAROLE À. . .

« Pro asile » a demandé à Frédéric Tiberghien* de résumer, pour ses lecteurs, sous formed’interview, le contenu d’un article publié dans la Revue Internationale et Stratégique (n° 41de 2001) et consacré à un bilan des droits de l’homme depuis la Chute du Mur de Berlin sousle titre « La place de l’homme dans la société internationale ».

Depuis quand et pourquoi assiste t-on à un retour au premier plan de la thématique des droitsde l’homme ?Celui-ci date de la fin des années 70, lorsque le président Carters’est avisé de moraliser la politique étrangère des Etats-Unis et d’uti-liser les droits de l’homme pour reprendre le dessus dans la lutte idéo-logique qui opposait alors les Etats-Unis à l’URSS et ébranler la su-prématie du communisme.En un sens, la thématique des droits de l’homme anticipe et marque legrand retour de l’Occident au premier plan de l’histoire mondiale,après l’effondrement de l’URSS. L’Europe, en marche vers l’union mo-nétaire et politique, a surmonté son complexe de culpabilité hérité del’époque de la décolonisation. Les Etats-Unis sortent grands vain-queurs de la guerre froide sur les plans stratégique, militaire, écono-mique, scientifique, technique et culturel et deviennent l’hyper puis-sance tant décriée. Ensemble, Etats-Unis et Europe souhaitent imposerau monde les clés de leur succès : le pluripartisme et les électionslibres comme fondement de la démocratie politique, l’importance dela propriété privée et le rôle du marché, la place de la société civilecomme rempart contre la tyrannie, le respect des droits de l’homme ….Tout ceci était déjà en germe dans la Charte des Nations-Unies, dontle programme avait été stérilisé pendant quarante ans par le conflit Est-Ouest.

Les droits de l’homme sont-ils aujourd’hui universels ?Pas encore. Ils sont universalisables, selon la belle formule deP. Bouchet.Depuis le Chute du Mur de Berlin, les conventions internationalesrelatives aux droits de l’homme recueillent davantage de signatures. Par exemple, la Convention de Genève sur les réfugiés a étésignée par de nombreux pays depuis 1989.Dans les années 90, un débat sur le relativisme culturel a tenté de fairereconnaître des spécificités régionales en matière de droits de l’hommepour récuser les standards mondiaux. L’Europe elle même n’est pas à l’abride ce provincialisme, contraire à l’esprit des conventions sur les droitsde l’homme à vocation universelle.Quand on regarde ce qu’a fait l’Union Européenne dans les années 90en matière d’asile et de réfugiés, on s’aperçoit qu’elle a voulu s’isoler dureste du monde en bâtissant une « forteresse Europe » visant à décou-rager les mouvements massifs de population. Et pour y arriver, elle n’apas hésité à adopter des concepts et un droit contraires à la Conventionde Genève. Le protocole Aznar, inclus dans le traité d’Amsterdam,illustre ce recul de l’universalisme des droits de l’homme.

Les droits de l’homme englobent-ils seulement lesdroits civils et politiques ou incluent-ils les droitséconomiques et sociaux ?La Chute du Mur de Berlin a entraîné la réunification des droits del’homme : désormais ceux-ci incluent à la fois les droits civils et po-litiques et les droits économiques et sociaux. Ceci est visible dans le droitpositif des Etats, dans les prises de position des ONG, dans le droit etles relations internationales et dans la pensée propre au développementet à la coopération. L’échec de la Charte des droits fondamentaux del’Union Européenne vient surtout de ce qu’un petit nombre d’Etats li-béraux en Europe ne souhaitaient pas officialiser cette unité retrouvéedes droits économiques et sociaux avec les droits civils et politiques.

Le contenu des droits de l’homme est-il resté identique ?L’une des principales caractéristiques de la dernière décennie estd’avoir englobé dans la problématique des droits de l’homme desthèmes nouveaux comme la protection de l’environnement par l’in-termédiaire de la protection des droits des générations futures, de la luttecontre la délinquance financière ou la criminalisation des Etats. Parailleurs, l’émergence de concepts et de pratiques nouveaux commecelle de patrimoine commun de l’humanité (qui englobe aussi bien laprotection des biens publics pour les économistes que des notions ju-ridiques comme l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité) ou dedevoir d’ingérence en cas de menace de violation massive des droitsde l’homme montre que beaucoup de chemin a été parcouru.En Europe même, à l’occasion de la crise autrichienne en 2000, lesEtats Membres ont insisté sur le fait que la construction européenneimpliquait, au delà de la prospérité économique et sociale, le respectd’une même conception des droits de l’homme. Un mécanisme de sur-veillance et de prévention à cet égard est à l’étude.

Les droits de l’homme se sont également spécifiés.N’englobent-ils pas trop de choses ?La dernière décennie a également vu une spécification croissantedes droits de l’homme, en particulier au profit … des femmes et desenfants. Ceci traduit la montée en puissance de la conception anglo-saxonne de « l’affirmative action » contraire à notre tradition juridique: les minorités ont besoin d’un régime juridique positif pour être pro-tégées. La protection des minorités culturelles et de la diversité cul-turelle figure désormais sur l’agenda et notre pays devra s’y adapter.Souvenons-nous que la reconnaissance du peuple corse a été bloquéeen 1991 … par le Conseil Constitutionnel.

Qui sont les acteurs sur la scène des droits de l’homme ?Ces évolutions sont dues, pour l’essentiel, à l’irruption de la sociétécivile sur la scène internationale (ONG, syndicats, etc …) mais aussi aupoids croissant des médias lors des crises humanitaires. L’inaction desgouvernements est désormais plus difficile à justifier aux yeux del’opinion.

Les violations des droits de l’homme sont-elles davantage sanctionnées ?Oui. Des évolutions énormes se sont produites. Chez nous, le primatdu droit international et du droit européen ne fait plus question. LaFrance a accepté d’être condamnée par la Cour de Strasbourg et de s’exé-cuter.Le contrôle juridictionnel sur l’application des conventions inter-nationales a gagné en étendue et en profondeur. Je songe par exempleaux articles 3, 6 et 8 de la CEDH et à leur implication sur le droit desétrangers et demandeurs d’asile.Enfin et surtout, l’émergence d’une justice pénale internationale etles premières condamnations par le TPR confirment que l’ère de l’im-punité des dirigeants politiques est close. Désormais, ceux-ci savent qu’ilsauront des comptes à rendre en cas de violation massive des droits del’homme. L’ascension du pouvoir juridictionnel donne davantage de cré-dibilité au respect des droits de l’homme.

* Maître des requêtes au Conseil d’Etat.

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ActualitésFévrier 2001

L’arrivée massive des kurdessur le territoire français

Les quelques 900 kurdes naufragés de l’EastSea sur la côte d’Azur dans la nuit du ven-dredi 16 au samedi 17 février se sont vus re-connaître le statut de demandeur d’asile,l’OFPRA à charge de décider de leur oc-troyer ou non le statut de réfugié « à l’issued’un examen individuel approfondi ». Al’heure actuelle, un peu moins de cent dos-siers seulement sont en cours de traite-ment à l’OFPRA. Le plus grand nombre desautres naufragés est supposé avoir quitté laFrance pour rejoindre l’Allemagne où lacommunauté kurde est plus implantée qu’enFrance (plusieurs se sont fait intercepter àla frontière franco-allemande) et d’autresdestinations inconnues.

Les Roms de Hongrie

Deux familles Rom de nationalité hongroisese sont vues reconnaître le statut de réfu-gié par l’OFPRA. Ces familles appartiennentà un groupe d’une cinquantaine de Romsarrivés huit mois auparavant à Strasbourg.

Mars 2001

La protection temporaire desvictimes de prostitution

A l’occasion du jour international de lafemme le 8 mars dernier, le commissaireeuropéen responsable des domaines de lajustice et des affaires intérieures, AntonioVittorino, a annoncé l’intention de l’insti-tution de proposer que les Etats membresgarantissent "l’asile temporaire " auxfemmes attirées en Europe par de faussespromesses d’embauche, puis forcées à laprostitution. La condition pour l’octroi decette protection est leur coopération avecles autorités afin d’identifier et poursuivreles responsables de leur situation. LaCommission européenne a proposé unepeine de prison de six ans minimum pour lespersonnes coupables d’exploiter des femmesdans l’optique de les obliger à se prostituer,et de dix ans pour les cas particulièrementgraves. Une proposition parallèle concer-nant l’exploitation sexuelle des enfants mi-neurs vient compléter la première.

Avril 2001

Proposition de Directive relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile

dans les Etats membres

Reprenant les conclusions de la Présidencefrançaise sur le sujet, cette proposition trèsattendue a été adoptée par les institutionseuropéennes de Bruxelles en date du 3-04-2001. Destinée à dégager des normes mi-nimales sur les conditions d’accueil des de-mandeurs d’asile dans l’Union européennequi « suffisent en principe à leur assurer unniveau de vie digne », cette proposition pré-voit dans un premier temps les conditionsd’accueil qui doivent être assurées, en prin-cipe, à toutes les étapes de la procédured’asile. Elle fixe ensuite les exigences mini-males que les Etats membres sont tenus derespecter dans le cadre de leurs conditionsd’accueil (conditions matérielles et soinsmédicaux), laissant néanmoins à chaqueEtat une grande marge de manœuvre dansl’application de ces normes minimales, etsurtout dans la possibilité d’appliquer ounon les dispositions de la directive aux re-quérants de protections autres que cellerelevant de la Convention de Genève. L’accèsau marché du travail au bout de six mois deprocédure est au goût du jour. Enfin, la pro-position comprend des règles relatives à lalimitation ou au retrait du bénéfice detoutes conditions d’accueil ou de certainesd’entre elles, ainsi que la possibilité d’unréexamen par une juridiction de la décisionlimitant ou retirant ce bénéfice.

Mai 2001

Des demandeurs d’asile géorgiensdevant la Cour européenne de

droits de l’Homme

Par une décision du 31 mai 2001, la Cour eu-ropéenne des droits de l’Homme a déclaréirrecevable la requête de six familles de na-tionalité géorgienne appartenant à la mi-norité religieuse des yézidies à qui les au-torités allemandes avaient refusé lareconnaissance du statut de réfugié. Lesrequérants alléguaient qu’un renvoi vers laGéorgie les exposait à des risques de trai-tements inhumains contraires à l’article 3 dela Convention européenne des droits del’Homme. La Cour a déclaré que les sourcesavancées par les autorités et juridictionsallemandes pour justifier l’absence de per-sécutions de la communauté religieuse desyézidies montraient que leur situation n’était

pas plus grave que celle des autresGéorgiens et qu’elle n’était pas le résultatd’une politique répressive menée par lesautorités géorgiennes.

Juillet 2001

La CNCDH appelle à une révisioncomplète de la politique nationale

d’asile

La Commission Nationale Consultative desDroits de l’Homme dénonce dans son avisadopté en Assemblée plénière le 7 juillet etproposé au Premier Ministre le 9 juillet2001, les nombreuses carences en matièrede respect des droits fondamentaux, et ap-pelle à une révision radicale de la politiquenationale d’asile.

La CNCDH se prononce d’abord en faveur dela création d’une autorité administrativetotalement indépendante dans le cadre desa compétence et dotée d’une large auto-nomie budgétaire, qui serait habilitée tantà statuer sur le droit d’entrée sur le territoire,qu’à décider de l’octroi ou du refus du sta-tut de réfugié aux demandeurs d’asile.Ce système permettrait une réduction desdélais d’instruction des dossiers. Associé àplusieurs autres recommandations desti-nées à diminuer la durée de traitement desdemandes d’asile à tous les stades de la pro-cédure, il contribuerait au raccourcissementsignificatif des délais de traitement, lequelconstitue selon la Commission Nationale «la pierre angulaire de toute politique efficacede droit d’asile sur tous les plans ».

A ces revendications s’ajoutent celles tropsouvent préconisées mais pas assez enten-dues du respect ou du renforcement de la ga-rantie du traitement de la demande, des ga-ranties de procédure, d’information, de l’accèseffectif à une assistance juridique ainsi qu’àdes interprètes formés et indépendants, ouencore de l’octroi d’un droit d’appel assortid’un effet suspensif pour tout déboutéconfronté à une mesure de refoulement.La CNCDH a également souhaité formulerdes recommandations sur les conditions devie des demandeurs d’asile, sans faire dedistinction entre demandeurs d’asileconventionnel ou territorial. Elle préconiseainsi le rétablissement de l’autorisation detravail six mois après la date du dépôt de lademande d’asile. Pour l’hébergement, desplaces supplémentaires en centres d’accueilspécifiques doivent être créées afin qu’ilsoit possible d’en proposer à tous les de-mandeurs. Quant à l’accompagnement so-cial, la Commission propose le dévelop-pement de « plates-formes » où lesétrangers trouveraient aide et conseilsjuridiques.

4PROASILE la revue de France Terre d’Asile

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ActualitésEnfin, dénonçant l’interprétation restrictivede la Convention de Genève de 1951, laCNCDH prône la garantie du statut de ré-fugié à toute personne capable de prouverque « sa vie ou sa liberté est menacée dansson pays d’origine », et propose en tout étatde cause l’octroi de plein droit d’un titre deséjour aux demandeurs déboutés dont lerapatriement est temporairement suspendu.

Protection temporaire

La Commission a adopté le 20 juillet laDirective 2001/55/CE relative à des normesminimales pour l'octroi d'une protectiontemporaire en cas d'afflux massif de per-sonnes déplacées et à des mesures tendantà assurer un équilibre entre les effortsconsentis par les États membres pour ac-cueillir ces personnes et supporter les consé-quences de cet accueil

Modification du système DUBLIN

Devant le manque de garanties de l’unité fa-miliale, les difficultés de preuves, la lon-gueur des procédures – particulièrementpénalisante pour les demandeurs déjà enpartie insérés dans un Etat – et le faiblepourcentage d’effectivité des transferts desdemandeurs auxquels est confrontée l’ap-plication de la Convention de Dublin desti-née à éviter les demandes multiples et « lamise en orbite » des demandeurs, laCommission européenne a proposé le 26juillet dernier un Règlement « établissantles critères et mécanismes de déterminationde l’Etat membre responsable de l’examend’une demande d’asile », visant à modifierladite Convention. Cette proposition reposesur les mêmes principes que la Conventionqu’elle modifie, c’est à dire sur l’idée que,dans un espace où la libre circulation despersonnes est assurée conformément auxdispositions du Traité, chaque Etat membreest responsable vis à vis de tous les autresde son action en matière d’entrée et de sé-jour des ressortissants de pays tiers et doiten assumer les conséquences dans un es-prit de solidarité et de loyale coopération. Les principaux critères d’attribution de laresponsabilité et leur présentation dans unordre hiérarchique reflètent cette approchegénérale en faisant peser la responsabilitésur l’Etat membre qui a pris la plus grandepart dans l’entrée ou le séjour du deman-deur d’asile sur les territoires des Etatsmembres, soit en lui attribuant un visa ouun titre de séjour, soit en étant défaillantdans le contrôle de ses frontières, soit en-core en permettant l’entrée sans visa.Toutefois, de nouveaux critères ont étéajoutés :D’une part, le critère visant à protéger l’unitéfamiliale est renforcé notamment par unemesure protectrice des mineurs.D’autre part, le groupe de critères visant àtirer les conséquences de la défaillance d’un

Etat membre en matière de lutte contrel’immigration clandestine.De manière générale, les délais de procéduresont réduits, et la coopération loyale et ef-ficace entre Etats membres est renforcée.

La Belgique assure la présidence del’Union européenne durant les sixprochains mois.

Août 2001

Australie : une politique d’immi-gration austère :

Le 26 août dernier, le cargo norvégienTampa, alerté par les services de secoursaustraliens, repère un bateau indonésien endétresse à 150 km de l’île australienne deChrismas, et embarque près de 460 clan-destins, Afghans pour la plupart d’entreeux. Il se voit alors opposer par l’Australiel’interdiction formelle de pénétrer dansses eaux territoriales. Trois jours plus tard,les commandos d’élite australiens mon-tent à bord, après que le Tampa eu péné-tré dans les eaux territoriales australienneset alors que les clandestins avaient en-tamé une grève de la faim et menaçaientde se jeter par-dessus bord. Le HautCommissariat aux Réfugiés (HCR) appellel’Australie, la Norvège et l’Indonésie à dis-cuter, ce qui amène le Premier ministreaustralien, John Howard, à annoncer le1er septembre le transfert des réfugiés enPaouasie-Nouvelle Guinée en vue de lestransporter vers l’île de Nauru et laNouvelle Zélande, qui acceptaient de lesrecevoir et d’examiner leurs demandesd’asile. Les personnes auxquelles la qua-lité de réfugié serait reconnue seraientalors envoyées vers des pays d’accueil par-ticipant au programme du HCR, l’Australie,la Nouvelle Zélande et la Norvège pro-mettant de recueillir une partie de ces im-migrants. La société internationalecondamne le coup de force de l’Australie,qualifié par de nombreux Etats partiescomme elle à la Convention de Genève de1951 de violation flagrante de cette der-nière, notamment de son principe de non-refoulement. L’avocat Eric Vadarlis et leConseil d’Etat du Victoria pour les libertésciviles (VCLL) déposent une plainte accu-sant Canberra de détenir illégalement dansles eaux territoriales australiennes les de-mandeurs d’asile. Débouté dans un pre-mier temps, les plaignants obtiennent fi-nalement gain de cause devant tribunal deMelbourne, dont la décision du 11 sep-tembre ordonne que les demandeurs blo-qués pendant plus d’une semaine à borddu Tampa soient renvoyés sur le territoireaustralien. La Cour « doit protéger la po-

pulation contre toute détention sans au-torité légale », a commenté le juge fédéralTony North. Le gouvernement de JohnHoward a fait appel du jugement.

Septembre 2001

Sangatte :

Peu après la demande en août dernier duministre britannique de l’intérieur, DavidBlunkett, au gouvernement français defermer le centre d’hébergement d’urgencede Sangatte près de Calais, la sociétéEurotunnel a fait un recours en référé vi-sant à obtenir la suspension de l’arrêtépréfectoral de septembre 1999 autorisantl’ouverture du dit centre, invoquant l’ur-gence de « rétablir des conditions nor-males d’exploitation ». Selon la société, lamultiplication des tentatives de passagede clandestins qui perturbe le trafic estdirectement liée à la présence de ce han-gar où ils sont rassemblés, à 4 kilomètresseulement de l'entrée du tunnel.

Le tribunal administratif de Lille a rejetéce recours mardi 11 septembre, arguantque la situation n’était « pas directementliée à l’arrêté de réquisition », mais que « laprotection du site pouvait [néanmoins] êtrerenforcée par des moyens de police ennombre suffisant ».

Le ministère de l’emploi et de lasolidarité annonce le renforcementprochain des structures d’accueil

des demandeurs d’asile

A la suite de la visite de la Coordination del’accueil des familles demandeuses d’asile(CAFDA) le 1er octobre dernier, la ministrede l’emploi et de la solidarité, ElisabethGuigou, a annoncé son intention de ren-forcer le dispositif national d’accueil desdemandeurs d’asile. Pour cela, la ministre asollicité à différentes préfectures la mise àdisposition de locaux libres destinés à êtrereconvertis en centres d’accueil d’urgence.En outre, son objectif est de créer cinquantenouveaux centres d’accueil pour deman-deurs d’asile (CADA) et de mieux répartirl’offre sur le territoire. Les départements dela Seine-Maritime, de la Mayenne et duMaine-et-Loire pourraient voir la construc-tion des prochains CADA.

5PROASILE la revue de France Terre d’Asile

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6PROASILE la revue de France Terre d’Asile

DROIT ET JURISPRUDENCES

La notion controversée de pays tiers sûrEntretien avec Agnès HURWITZ*

Comment la notion de pays tiers sûr est-elleapparue et a-t-elle été légitimée ?

Cette notion est apparue dans les pays scandinaves, puis aété intégrée dans les législations de nombreux pays, non seu-lement en Europe mais également au Canada, aux EtatsUnis, en Australie et en Afrique du Sud 1 . Son utilisationa été justifiée par l’impossibilité de gérer les mouvementsirréguliers de réfugiés.

Beaucoup d’Etats membres fondent la légitimité de cette no-tion sur l’article 31 de la Convention de Genève de 1951,selon lequel les Etats parties ne peuvent imposer de sanc-tion aux réfugiés illégaux arrivés directement du pays d’ori-gine sur leur territoire ; a contrario, la sanction, tel que lerefoulement, n’est pas interdite lorsque le demandeurconcerné a transité par un pays tiers.

Je pense que l’émergence de la notion n’aurait pas pu êtreempêchée car la pratique n’est pas clairement contraire auxdispositions de la Convention de Genève. Toutefois, cette pra-tique reste dangereuse car elle peut entraîner le refoulementindirect du demandeur d’asile vers son pays d’origine, ce quiabouti à une violation indirecte du principe de non refou-lement consacré par l’article 33 de ladite Convention. Toutdépend de l’application que font les Etats de la notion. Actuellement, il n’existe pas d’interdiction explicite de lanotion de pays tiers sûr en droit international public.

Comment éviter les dangers liés à l’application decette notion ?

Il faudrait absolument éviter l’application de cette notionde manière unilatérale, et assurer une meilleure coopérationentre Etats. Les accords de réadmission constituent un moyen de mettreen œuvre la notion de pays tiers sûr, mais ne sont pas l’ex-pression d’un véritable consentement de l’Etat tiers à assu-rer la protection de réfugiés, à la différence de la Conventionde Dublin – même si l’application pratique de cette dernièrereste discutable – à la base de laquelle il existe un enga-gement clair des Etats d’examiner la demande d’asile.

Que pensez-vous de l’officialisation de la définitionde pays tiers sûr dans la législation communautairepar l’introduction d’une annexe dans la propositionde Directive relative aux conditions minimalescommunes de procédure d’asile 2 ?

Je ne m’étonne pas de cette officialisation, mais de la manièredont elle est proposée. Pourquoi la définition a-t-elle été in-troduite en annexe, et non pas dans le corps de la proposi-tion de Directive ? Le problème de la notion étudiée reste le manque de protection.En effet, même si le principe de non refoulement est théori-quement un principe coutumier consacré par le droit interna-tional public, et lie par conséquent les Etats, les Etats non par-ties à la Convention de Genève, offrent généralement desgaranties de protection beaucoup plus limitées pour les réfu-giés. Or de nombreux d’accords de réadmission sont néan-moins conclus avec ces Etats. Ainsi, des pays du Moyen Orientcomme la Jordanie, l’Egypte, la Syrie, l’Arabie Saoudite et la plu-part des pays d’Asie Centrale et Orientale ne sont pas parties àla Convention de Genève et plusieurs d’entre eux sont pourtantparties à des accords bilatéraux de réadmissions. Le problèmene se pose pas dans ces termes pour les pays d’Afrique puisquela plupart est partie à la Convention de l’OUA (Organisationde l’Union Africaine) de 1969 et à celle de Genève.A mon avis, renvoyer un demandeur d’asile vers un Etat tiersnon partie à la Convention de Genève devrait être considérécomme illégal, même si certains experts affirment que la qua-lité de principe coutumier du droit international reconnu à lanotion de pays tiers sûr suffit à le rendre acceptable. Mais envertu du principe d’exécution de bonne foi des traités, je penseque les Etats parties à la Convention de Genève n’exécuteraientpas de bonne foi les obligations de cette dernière s’ils ren-voyaient un demandeur d’asile vers un Etat non partie. J’estime la proposition de Directive relative aux conditionsminimales communes de procédure d’asile globalement sa-tisfaisante en ce qui concerne les garanties procédurales. Undes principes que je considère comme essentiel dans l’op-tique de la protection des réfugiés est l’étude des dossiers au« cas par cas » , notamment avant le renvoi éventuel vers unpays tiers sûr. Selon ce postulat, si le demandeur d’asile faitvaloir que pour des raisons tout à fait spécifiques à son cas,il ne sera pas protégé dans le pays tiers sûr, ses argumentsdoivent être examinés. L’introduction de ce principe dans untexte de droit communautaire s’avère extrêmement impor-tant lorsque l’on sait que des pays comme l’Allemagne ap-pliquent le renvoi dans le pays tiers sûr de manière tout àfait abstraite. Ainsi, si le pays est dans la liste des pays tierssûr, le demandeur y est automatiquement renvoyé, sans au-cun examen supplémentaire de son dossier. Cette pratiquese base sur une conception très abstraite de l’idée deconfiance mutuelle entre Etats membres fondée notammentsur la ratification par ces Etats de la Convention européennedes droits de l’Homme. Or, selon Rosemary Byrne, « si les

* Chercheur en droit international des refugiés au « Refugee StudiesCentre » à l'Université d'Oxford

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7PROASILE la revue de France Terre d’Asile

DROIT ET JURISPRUDENCES

Etats parties à la CEDH respectaient effectivement tous laConvention, il n’y aurait aucun cas devant le greffe de laCour », ce qui démontre bien le non-sens et la dangerositéd’une conception abstraite. Quant à la définition de pays tiers sûr en elle-même, ellediffère peu de celle posée par la résolution de 1992, si cen’est qu’elle est un peu plus détaillée. La principale dis-tinction réside dans le fait que la résolution n’est pas ju-ridiquement contraignante par sa nature même 3.

L’élargissement aura-t-il selon vous une influencesut la définition de la notion ?

Je ne pense pas que l’élargissement changera grand choseà la définition de la notion.Les Etats en voie d’adhérer à l’Union européenne devien-dront a priori parties à la Convention de Dublin. Il faut considérer ce qui suit comme des hypothèses, dansla mesure où l’on ne sait pas encore quels instrumentscommunautaires seront en vigueur à ce moment là. Trèspossible qu’à ce moment là, les Directives d’harmonisa-tion minimale de la procédure et de la définition du sta-tut de réfugié soient adoptées, ce qui devrait en principeaméliorer la situation actuelle quant à l’application de laConvention de Dublin. Cependant, les Etats membres res-tent libres de considérer des pays tiers tels que l’Ukraineou la Belarus comme des pays tiers sûrs. Le problème du« partage du fardeau » ne peut se régler qu’à travers la co-opération internationale.Je ne défends pas la notion de pays tiers sûr, mais jepense qu’elle n’a pour l’instant pas vocation à disparaîtreou à être limitée dans son application, du fait d’une sortede consensus au niveau des Etats sur ce concept. La seule manière dont on aurait pu éviter l’expansion duprincipe aurait été l’expression claire d’une opposition desEtats. Or seule la Turquie s’est opposée de manièreconstante à la notion devant le Comité exécutif du HCR,en invoquant le déséquilibre injuste et ingérable qu’elleengendrerait en faisant peser toutes les obligations sur lespays de premier asile. Ces derniers étant en effet liés parle principe de non refoulement, ils se retrouvent théori-quement dans l’obligation d’accueillir, et de protéger ungrand nombre de demandeurs d’asile sans véritable co-opération internationale. Aucun accord n’existe en lamatière au niveau des relations inter-étatiques. Donc né-cessité d’une réelle coopération entre Etats. Pas de prin-cipe international prévoyant un partage équitable, une cléde répartition, mais à travers les transferts financiers à des-tination du HCR, il existe un système de partage du far-deau financier. Cela se fait également au niveau de l’Unioneuropéenne dans le cadre de la Convention de Lomé,d’allouer des fonds humanitaires d’urgence dans le casd’afflux massifs dans les pays ACP (Afrique, Caraïbes,Pacifique). Par contre, le partage des personnes est net-tement moins aisé en pratique. On pourrait penser que lepartage du fardeau pose un problème spécifique en droitdes réfugiés, et qu’il fonctionne bien dans les autres do-maines. Or on se rend compte que le problème du « par-tage du fardeau » est généralisé.

Quelques mots sur les pays d’origine sûr ? Sans oublier le très controversé protocole Aznar..

Le concept du pays d’origine sûr est, à mon avis, contraireà la Convention de Genève, puisque cette dernière inter-dit les discriminations fondées sur la nationalité.

L’universalité du droit de demander l’asile est remise encause. De plus, comment peut-on oser affirmer que lesEtats membres seront des pays d’origine sûr « éternelle-ment » ? Par ailleurs, on ne connaît pas la véritable va-leur juridique de cet instrument.

Ce protocole s’avère également dangereux par rapport àl’élargissement futur, voir imminent de l’Union euro-péenne à des pays comme la Roumanie ou la Hongrie 4,dans lesquels la situation des droits de l’Homme n’estpas toujours satisfaisante.

Certains spécialistes pensent que le concept pourrait êtremaintenu dans la législation sous la forme d’une pré-somption simple; présomption que font de toute façon lesmagistrats de manière implicite.En outre, ce protocole pourrait donner des idées à d’autresorganisations internationales (je pense à la suggestiond’appliquer un principe similaire au niveau del’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), qui avait été faitepar un fonctionnaire égyptien). Cela scandalise les euro-péens…mais ils font la même chose, et ne peuvent être sûrsde ne subir aucune crise – interne ou externe – dansl’avenir! Une telle application de la notion de pays d’ori-gine sûr met donc en danger de l’institution même del’asile.

A mon avis, la question de savoir si le ressortissant d’unEtat membre peut demander l’asile dans un autre Etatmembre devrait relever de la citoyenneté européenne, etn’aurait jamais du passer par le concept de pays tiers sûr.Je peux comprendre l’idée selon laquelle une personnene peut pas demander l’asile dans un autre Etat membred’une confédération 5 ou d’un Etat fédéral lorsqu’elle enpossède la citoyenneté. Mais à ce moment là, cette idée nepeut s’appliquer à l’Union européenne que si cette dernières’oriente vers une union politique renforcée basée sur unecitoyenneté européenne forte.

1 Selon la législation américaine, la notion de pays tiers sûr doit être miseen œuvre par le biais d’accords avec des Etats tiers (aucun en pratique)2 COM (2000) 5783 Des Etats tels que le Royaume Uni ou encore le Danemark se sont toutefoisinspirés de cette Résolution pour modifier leurs législations4 Récemment, des familles Roms venues de Hongrie se sont vues reconnaîtrele statut de réfugié au sens de la Convention de Genève par la France.5 Un citoyen américain, par exemple, ne peut demander l’asile dans un desEtats composant la confédération des Etats Unis.

Parcours de Agnès Hurwitz :Diplômée de droit de l'Université de Bruxelles - Master en droit inter-national de l'Université de Cambridge - Thèse de doctorat en cours àl'Université de Oxford. Actuellement chercheur en droit international desréfugiés et protection internationale des droits de l'Homme au RefugeeStudies Centre de l'Université de Oxford.

Publications:Book Review: B.S. Chimni, International Refugee Law, A Reader, (2000,Sage Pub., New Delhi/Thousand Oaks/London), (2000) 12 InternationalJournal of Refugee Law, pp.699-702.Book Review: C. Joppke, Immigration and the Nation-State, the UnitedStates, Germany and Great Britain, (1999, OUP, Oxford). LinacreJournal No.4 (December 2000), pp.160-164.« The Schengen Practice and Case Law in Belgium », (2000) 2 TheEuropean Journal of Migration and Law, pp.37-48.« The 1990 Dublin Convention: A Comprehensive Assessment », (1999)11 International Journal of Refugee Law, pp. 646-677.« L’application pratique de la Convention de Dublin: Premières expé-riences », Asyl (Revue suisse de la pratique et du droit d’asile), 1999-2, pp.3-7.

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8PROASILE la revue de France Terre d’Asile

SANTE-SOCIAL-INTEGRATION

Les effets psychologiques de l’exilPar Martine LUSSIER*

L’expression « travail de deuil » est devenue d’un usage très répandu dans le langagecourant mais aussi dans le langage scientifique, sans que l’on sache toujours très bience que l’on veut signifier par là. La rédaction d’une thèse a été l’occasion de réfléchirà ce qu’il aurait de commun et de différent entre la perte d’un être cher et la perte dela patrie ; ce travail s’est fondé sur des entretiens de recherche avec des hommes ayantobtenu le statut de réfugié politique. Examinons plus avant ce qu’il peut y avoir de commun dans ces deux situations. A unniveau général, nous trouvons trois caractéristiques communes au deuil et à l’exil, quijustifieraient le rapprochement des situations : il s’agit d’une perte qui suscite unsentiment de douleur et oblige à un renoncement.

La perteComme pour un décès, la perte de la patrie est une perteinvolontaire, subie. La perte de la patrie est une perte im-portante car le pays est un élément constitutif de notreidentité sociale, alors que la mort d’un parent touche plu-tôt à notre identité personnelle. La patrie et les parents fontl’objet d’un investissement affectif et ils appartiennent aumême univers symbolique comme en témoigne le vocabu-laire : symbolisme du père dans la patrie (patrie dérive depater) mais aussi de la mère puisque l’on parle de la mère-patrie et de la langue maternelle.

Mais en perdant sa patrie, l’exilé est exposé à une multi-plicité de pertes : perte d’une activité professionnelle, quiimplique aussi la perte de moyens matériels et d’un statutsocial ; perte de la famille et du réseau social ; perte de lalangue, perte d’une matrice culturelle ; la perte de la languecorrespond à la perte de l’univers maternel et d’un code dereconnaissance ; elle peut nourrir un vif sentiment d’im-puissance et d’exclusion. Selon les cas, toutes ces pertesne sont pas cumulées : on peut, par exemple, émigrer dansun pays de même langue ou bien conserver des moyens ma-tériels. Mais l’anomie (perte des normes de référence) quirésulte de l’exil met à nu la personne ; les effets de chocet de dévalorisation que suscitent ces pertes multiples se-ront donc plus ou moins importants. D’emblée, nous voyons

que la perte de la patrie pour cause d’exil présente des dif-ficultés psychiques plus nombreuses qu’un deuil, non pastant par chaque perte en soi, dont certaines peuvent êtresurmontées, que par l’accumulation des pertes. Le deuil neprovoque pas une telle anomie, même s’il peut impliquerparfois une dévalorisation du statut social (veuves, orphe-lins). Le caractère social des pertes provoquées par l’exil vaporter atteinte à l’affiliation (identité sociale) alors que,dans le deuil, c’est la filiation (identité personnelle) qui estconcernée.

En outre, il y a deux pertes liées à l’exil qui ne peuvent êtresurmontées. Quitter sa patrie, c’est perdre un environne-ment que décrit bien T. Nathan ; émigrer, c’est « perdrel’enveloppe de lieux, de sons, d’odeurs, de sensations detoutes sortes qui constituent les premières empreintes surlesquelles s’est établi le codage du fonctionnement psy-chique. Si le psychisme sait habituellement se rendre in-dépendant de ces sensations, de ces feed-back permanentssur lesquels il s’était autrefois constitué, c’est aussi à condi-tion de continuer à baigner en leur sein. Je deviens indé-pendant du cadre culturel originaire et peux percevoir lemonde à condition sans doute de l’avoir intégré, mais aussià condition de l’avoir sous les yeux, à le percevoir en tantque forme » (1988). Ce constat pose la question du degréd’autonomie des fonctions psychiques par rapport aux struc-

* Docteur en psychologie - Chargée de cours à l’Université Paris V

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9PROASILE la revue de France Terre d’Asile

SANTE-SOCIAL-INTÉGRATION

tures externes ; on sait que c’est la sensorialité qui sus-cite la nostalgie la plus vive, en particulier les sensa-tions olfactives et sonores (surtout pré-verbales) ; il enest ainsi de la nourriture (qui est associée à la mère) ; lapermanence de cette expérience sensible maintient lanotion d’identité et l’illusion de complétude. La difficultépour certains à s’affranchir de cet univers sensible ex-plique en partie la reconstitution de quartiers dans les paysd’accueil : Quartier chinois à Paris, Little Italy à NewYork, quartier turc à Berlin, etc., avec le risque de ghet-toïsation.

L’autre perte qui ne peut être compensée est celle dutemps. Cette perte de temps n’est pas perçue immédiate-ment, mais seulement quand le plus aigu des difficultésmatérielles est surmonté. L’exil implique un arrêt voireune cassure dans le déroulement d’une vie (recommen-cer de zéro, disent les exilés), soit par ce qui le précède,soit par ce qui suit : les lois discriminatoires, la clan-destinité, l’emprisonnement sont autant d’emprises vio-lentes sur une vie ; une fois l’exil advenu, il y a encoreperte de temps car, ainsi que nous venons de le voir,l’exil implique presque dans tous les cas une régressionprofessionnelle et sociale ; en France, la législation ac-tuelle interdit aux demandeurs d’asile de travailler tantqu’ils n’ont pas obtenu leur statut : cette interdiction estvécue comme une régression, une infantilisation tou-jours mal supportées. Pour l’exilé, l’avenir est encore plusincertain, le passé peut avoir perdu son sens et le pré-sent est précaire. Nous voyons donc apparaître la tem-poralité ; mais peut-être plus que la finitude comme élé-ment structurant de l’humaine condition, particulièrementactivée par le deuil, ici c’est la cassure dans le déploie-ment d’une vie, dans la continuité de l’être et cette cas-sure résulte de la volonté d’autrui : il ne s’agit pas de laNécessité naturelle, autre différence d’avec le deuil.

En effet, la perte de la patrie, le départ en exil est tou-jours lié à la violence ; actuellement, s’il existe tou-jours une violence d’Etat pour des motifs politiques ouethniques (en Afrique, par exemple), la violence à l’en-contre des individus résulte aussi assez souvent de lacarence d’un Etat à réguler la violence (violences in-dividuelles ou organisées, mafias) de sorte que les ci-toyens n’y sont plus en sécurité. L’exil résulte d’un actepunitif posé par un tiers dans la réalité extérieure ; lapersonne exilée est l’objet d’une expulsion ou, s’il n’ya pas d’expulsion, les conditions de vie sont telles qu’iln’y a pas d’autre solution pour assurer sa survie ; s’yajoute l’interdiction (de fait ou de droit) de revenirdans le pays. L’exil est un bannissement, il peut êtreune mort civile et il a toujours une dimension puni-tive explicite ou implicite.

La douleurL’exil a inspiré au poète latin Ovide un ensemble de poèmespoignants, pathétiques, doloristes dirais-je, les Tristes ;Ovide n’est qu’un témoin parmi tant d’autres de cette souf-france qui a pour ainsi dire donné naissance à un genre

littéraire, la littérature d’exil : « Les mots ne suffiraientpas à dire ce que j’ai souffert. La matière déborderait mesforces ». La douleur s’associe d’abord à l’impossibilité duretour, c’est-à-dire à la perte d’un espace, d’un environ-nement. Nous avons un peu oublié que la perte ou la sé-paration de la terre d’origine a été la cause d’une patho-logie qui reçut son nom en 1688 de J. Hofer, médecinsuisse : la nostalgie ; il nous faut faire un effort pour per-cevoir la dimension pathologique de nost-algie ; les troublesphysiques résultaient du mal psychique et le dépérisse-ment pouvait aller jusqu'à la mort ; le premier cas est ce-lui d’un étudiant de Bâle, qui était originaire de Berne !Elle était très répandue au XIXe siècle ; elle s’observaiten particulier au cours des campagnes militaires ou bienencore chez de très jeunes filles, originaires de la cam-pagne, placées à la ville ; les médecins militaires savaientque, parfois, seul le retour pouvait empêcher la mort desmalheureux soldats; certains médecins pratiquaient unesorte de psychothérapie en faisant parler la langue dupays, où l’on retrouve la sensorialité ; mais l’utilisationde la sensorialité pouvait aussi provoquer une aggrava-tion des troubles; ainsi, nous savons qu’il était interdit dejouer le Ranz des vaches dans les troupes de mercenairessuisses car cet air provoquait des dépressions et des épi-démies de suicide. La nostalgie comme maladie psychia-trique a disparu avec la transformation massive des moyensde communication (transports, téléphones portables, té-lévisions satellitaires) mais peut-être ne savons-nous plusen percevoir les signes discrets.

Ici, à la différence du deuil, c’est l’espace plus que letemps qui est sollicité. Plus que la finitude et l’inaccomplidu deuil comme source de douleur, c’est l’impossible re-tour, vécu comme plus insupportable encore puisque l’es-pace est un milieu neutre et docile qui s’offre à toutesles allées et venues, à tous les allers et retours, à toutesles réversibilités alors que le temps est irréversible. Maisle nostalgique comme l’exilé oublient l’interférence dutemps et de l’espace et que « l’irréversibilité temporelle em-pêche le retour spatial de se plier exactement sur sonpoint de départ » (Jankélévitch). D’où les déceptions, dou-loureuses encore, lorsqu’un retour s’effectue : les re-trouvailles ne peuvent que signer une perte, le tempsayant transformé les images primordiales. Au-delà de laperte d’un environnement sensoriel, de la perte d’un ter-roir, ce que recherche le nostalgique, c’est le premier ob-jet d’attachement, à savoir la mère ; J. Hofer disait déjà(1688) que ces malades ne savaient pas oublier le lait deleur mère ; tous les exilés que j’ai rencontrés ont placéla famille au premier rang des pertes.

Le renoncementDans le deuil comme en exil, il faut renoncer à la jouis-sance d’un objet qui comblait des besoins ou des désirs.L’usage courant de l’expression « faire son deuil » si-gnifie renoncer. Mais que veut dire renoncer ? Au sensgénéral, renoncer, c’est abandonner l’usage, la jouis-sance de quelque chose, avec une notion de volontéconsciente, d’un mouvement actif. Le renoncement est

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10PROASILE la revue de France Terre d’Asile

une étape dans un processus psychique de changementet de séparation, donc d’adaptation ; c’est un mécanismeconstamment à l’œuvre mais qui n’a fait l’objet d’aucuneréflexion théorique. Dans les situations de deuil et d’exil,le renoncement n’a pas de singularité propre; il est sim-plement sollicité de manière plus importante ; c’est unedifférence quantitative, non qualitative.

On pourrait considérer que la perte d’un être cher est del’ordre de la privation et l’exil de l’ordre de la frustrationpuisqu’une autorité a imposé le départ et que le pays existetoujours ; il s’agit donc plus d’une problématique de sé-paration que de perte. Mais il est plus facile de renoncerà quelque chose (quelqu’un) qui n’existe plus qu’à quelquechose qui existe toujours ; le sentiment de frustration peutêtre ainsi entretenu et entraver le travail psychique né-cessaire à l’intégration. En outre, le pays d’origine abritele plus souvent à la fois la famille aimée et les persécu-teurs détestés, d’où une ambivalence possible qui com-plique le renoncement. Le renoncement, qui est le pointcommun entre le deuil et l’exil, sera facilité par la re-connaissance de la personne dans la continuité de sonexistence.

L’atteinte identitaire« Accepter de devenir un autre

pour devenir quelqu’un »J. Semprun

Il résulte de tout ce qui précède que les circonstances et lespertes multiples qui accompagnent l’exil produisent uneatteinte majeure à l’identité. L’identité sociale de la per-sonne est gravement perturbée ; l’exil provoque une ano-mie, une perte des repères identificatoires qui implique uneatteinte narcissique : il ne s’agit pas de la mort de l’autremais bien d’une expérience qui a à voir avec la mort de soi. L’individu qui n’est plus en mesure de conserver sa placedans le groupe, est atteint dans son double statut : en tantqu’il est lui-même sa propre fin et en tant que membred’un ensemble. L’identité primaire, liée à la première édu-cation où la mère joue un rôle prépondérant en transmet-tant tout un système de valeurs et de références, est dé-stabilisée ; c’est là que prend place la sensorialité ; elle semanifeste concrètement dans la nourriture, le climat maisaussi la langue ; la langue a un double statut : elle appar-tient à l’univers sensoriel mais elle est aussi le support del’abstraction, de la représentation ; elle réunit donc un prin-

cipe maternel et un principe paternel ; la perte de la languematernelle et le sentiment d’exclusion qui peut apparaîtrechez ceux qui parlent mal ou pas la langue du pays d’ac-cueil peuvent induire un sentiment de dépossession dou-loureux voire de confusion.L’identité sociale est aussi touchée. L’exilé éprouve un sen-timent de dévalorisation ; il est l’Etranger, individu dé-nudé de son identité mais habillé de stéréotypes ; cette re-présentation de l’altérité et du dénuement donc del’impuissance suscite toujours des réactions intenses, qu’ellessoient positives ou négatives ; c’est l’image que véhiculentvolontiers les média. Cette dévalorisation est accentuée enFrance par l’interdiction faite aux demandeurs d’asile detravailler ; ils ne peuvent donc être autonomes. Cette si-tuation est toujours évoquée avec un sentiment de dou-leur voire de révolte ; elle est vécue comme une infanti-lisation , qui met à mal leur statut d’adulte, de parent.Mais l’exilé va aussi faire l’expérience du soutien du so-cius qui va l’aider dans l’apprentissage de l’hétéronomie,l’intégration ; il s’incarne dans les rencontres avec tousles intervenants français chargés de les aider ; certaines deces rencontres, par le respect de la personne qui s’y ma-nifeste, s’avèrent salvatrices et contribuent à restaurerl’identité sociale : redevenir Monsieur N. ou Monsieur D.avec une histoire, une personnalité et non un exilé. Les ren-contres avec des personnes du même pays d’origine peu-vent être ambivalentes ; en effet, l’exilé peut rencontrer desreprésentants du pays persécuteur ou des personnes aussiexilées mais qui vont être les témoins de la « chute » so-ciale. Enfin, il ne faut pas oublier le soutien qu’apporte lareligion.

Il résulte des deux éléments précédents ce que j’appelle lamort symbolique de soi ; ce sentiment est renforcé par lefait que l’exilé manque aux autres, comme s’il était « dis-paru » pour les autres : l’exilé a perdu la place et la fonc-tion qu’il occupait auprès des proches et de la famille. Ledisparu est l’exilé lui-même ; il est à la fois le sujet de laperte et la personne perdue, problématique qui n’existe pasdans le deuil.

Une dernière remarque : si ces entretiens avaient eu lieu avecdes femmes, nous pouvons faire l’hypothèse que les ob-servations relatives à l’identité auraient été différentes ; eneffet, la plupart du temps, les femmes arrivant en Francefont l’expérience d’un meilleur statut social, d’une protec-tion réelle et plus grande de leurs droits. Les effets néga-tifs de l’exil sur l’identité sont donc vraisemblablementmieux compensés pour les femmes.

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11PROASILE la revue de France Terre d’Asile

INTERNATIONAL

INTERNATIONAL

Ceuta/Tarifa/SangatteL’Europe sans voix et sans projetPar Pierre HENRY*

On le sait, la presse en a parlé. On le sait et les gou-vernements européens ne font que s’en attrister.Nous savons que, régulièrement, des corps d’hommeset de femmes fuyant la guerre, la pauvreté, viennents’échouer sur les plages à ambre solaire de Tarifa,au sud de l’Espagne. Nous savons que ces cadavresrejetés par la mer, furieuse à cet endroit du détroitde Gibraltar, se comptent par dizaines. Encore nes’agit-il là que d’une comptabilité officielle. Nousconnaissons aussi le sort des rescapés de ces voyagesà hauts risques qui conduisent - c’est le plus courtchemin- de l’Afrique à une Europe rêvée - à cet el-dorado que l’on peut toucher du bout des yeux de-puis les côtes marocaines. Nous savons que le piedposé sur le territoire espagnol, la voie est toute tra-cée pour les Marocains : afin d’éviter l’expulsion,le retour à la case départ en vertu de l’accord de ré-admission hispano-marocain signé en 1992, ilscourent vers les montagnes andalouses toutesproches où la faim, le froid auront raison des plusfaibles et où les plus forts se nourriront d’espoir d’untravail clandestin comme journalier agricole. Noussavons que le sort de leurs autres compagnons d’in-fortune, Guinéens, Mauritaniens, Nigérians, SierraLéonais, Algériens, n’est pas moins enviable : ils selaissent choir sur le sable et attendent la police es-pagnole. Elle leur remet, après un délai de 24 à 48heures, un avis d’expulsion exécutable sous quinzejours. Laissés complètement démunis sur le territoireibérique, ils n’ont plus qu’à s’imaginer un avenir,ailleurs, plus au nord en Europe. Un avenir de clan-destin, de sans-papiers. Un avenir de misère.

Depuis le début de l’année, trois mille Africains etMaghrébins ont réussi le passage. Nous savonsaussi qu’une mer devenue un peu plus pacifique avecle retour des beaux jours permettra à cent, deuxcents d’entre eux d’accoster quotidiennement enEspagne, au péril de leur vie.

Et comment ne pas évoquer le parallèle évidentavec les événements qui se déroulent sur notrepropre territoire, à la porte de sortie de l’Union eu-ropéenne que constitue le centre d’hébergement etd’accueil d’urgence humanitaire de Sangatte ? Rixeset vies risquées se succèdent dans un décor composéd’un logement comprenant moitié moins de placesqu’il ne compte d’immigrants, situé non loin depassages - sur-contrôlés dans l’optique d’une po-litique « tolérance zéro » - vers la mythique GrandeBretagne, mais vers lesquels tant de personnes serisquent au péril de leurs vies.

L’Europe sait tout cela. Mais l’Europe reste sansvoix. Pauvre Espagne, à qui a été dévolu depuis1997, et la suppression des frontières intérieures,logiquement synonyme de libre circulation pour lesEuropéens, et le rôle de garde frontière. L’implacableConvention de Dublin, posant les règles de déter-mination de l’Etat membre responsable du traitementd’une demande d’asile, ne facilite pas la tâche del’Espagne qui, en tant que pays de premier accueil,est tantôt considérée comme un simple lieu de tran-sit, tantôt submergée par de nombreuses demandesde reprise en charge des dossiers de demandeursd’asile entrés dans l’Union européenne par le ter-ritoire espagnol, sur le fondement de laditeConvention. La situation injuste que subit l’Espagnede par sa position géographique, tout comme laGrèce, l’Italie et même le Portugal, n’est malheu-reusement compensée par aucun mécanisme de par-tage du fardeau, dont la mise en place relèveraitpourtant de la logique la plus élémentaire.

A Bruxelles, sous la conduite du CommissaireVittorino, en charge des politiques d’asile et d’im-migration en Europe, des directives et des recom-mandations d’apparence généreuses sont éditées :reconnaissance de l’échec des politiques d’immi-

* Directeur Général de France Terre d’Asile

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gration zéro et des écarts de développement Nord-Sud,analyse des causes de migrations, rappel de la volontéeuropéenne de respecter le droit d’asile... Mais rienn’y fait : l’Europe peine à définir son projet et unevéritable politique Nord-Sud tout autant qu’euro-méditerranéenne.

Peut-on considérer comme politique euro-méditerra-néenne, le financement à Ceuta, enclave espagnoleen territoire marocain, d’un centre pudiquement ap-pelé de transit ? Est-ce une ébauche de politiqueNord-Sud que d’y permettre l’entassement permanentde quatre cents personnes, ni immigrés ni réfugiés,sans droit, et de les faire attendre pendant huit oudix mois un hypothétique visa d’entrée en Espagne, oul’accès à une procédure d’asile aussi aléatoire que dis-crétionnaire ? Faible Espagne où le nombre de statutsde réfugiés accordés en 1998 et 1999 ne dépasse pastrois cents par année. Il est cependant vrai que Ceutal’Espagnole, protégée de l’Afrique par de hauts mursgrillagés que l’on croirait importés de la guerre froide,fait des envieux. Côté Maroc, ils sont là, par cen-taines, dans le plus complet dénuement, à guetter lafaille, le défaut de surveillance qui leur permettra dese glisser dans l’enceinte de la ville. Une ville, un mur: une image, suffisamment forte, qui symbolise le pas-sage de l’affrontement Est-Ouest vers l’affrontementNord-Sud. Mais l’affrontement, n’est-ce pas juste-ment cela que nous voulions éviter dans les années 80avec la promesse faite par la France de porter à 1 %de son produit intérieur brut l’aide au développementdes pays les plus pauvres ?

Vingt ans après ces déclarations de bonnes inten-tions, le constat est amer : l’aide de la France a di-minué de manière constante pour atteindre aujourd’hui 0,39 %. Et pourtant, notre pays reste le premier do-nateur en Europe. C’est dire ! Au-delà des éternellesrodomontades et nostalgies historiques teintées d’exo-tisme sur l’avenir commun de la Méditerranée, quellepourrait être la perspective de développement propo-sée par la Communauté européenne ?

Romano Prodi, le président de la Commission euro-péenne, écrivait, il y a quelques mois : « La politiquede l’immigration ne peut être dictée par l’urgence,mais être conçue dans une optique à long terme, enpensant à cet ensemble intégré de près de neuf centsmillions d’habitants que nous devons construire ».Pourtant, depuis 1986, dans des apparentements ter-ribles, la communauté n’aborde la question des mi-grations que sous l’angle répressif et dans la même en-ceinte que la lutte contre la grande criminalité.L’Europe regarde vers l’Est. Cela est nécessaire pourla stabilité du vieux continent, mais cela ne sauraitconstituer une fuite, la négation d’une partie de sonhistoire avec le Sud.

En refusant aujourd’hui d’organiser la demande de cir-culation émanant du Sud comme de l’Est, l’Unioneuropéenne favorise par là-même la constitution de ré-seaux mafieux, entretient la confusion entre droitd’asile et migration économique. Si nous disons quel’asile, droit de l’homme fondamental, est dans les paysdu sud de l’Union totalement bafoué, cela ne revientpas à désigner un bouc émissaire par trop commode.C’est un constat amer qui doit amener l’Europe àmettre en place une vraie logique de protection sur l’en-semble de son territoire.

Quant au co-développement, les réponses, même si ellessont difficiles à mettre en oeuvre, sont connues.

Nous savons que l’amélioration de la qualité de viedans les pays du Sud est une des conditions à la sta-bilisation des migrations.

La diminution de la croissance démographique en estune des clefs. Partout où le statut de la femme pro-gresse, où des espaces d’autonomie et de liberté sontconquis, des progrès économiques sont visibles.Développement de micro-projets de nature à fixer lespopulations, projets d’éducation à la santé, à la for-mation, mise en place de migrations alternées où ledemandeur est forcément reconnu comme acteur du dé-veloppement de son pays, valorisation de l’épargne àdestination du pays d’origine par la création d’outilsspécialisés, micro crédits, sont quelques-unes despistes de travail possibles. Pour l’heure, il est urgentque l’opinion publique européenne, que les respon-sables politiques prennent toute la dimension dudrame qui se joue à Tarifa, à Ceuta, mais aussi enItalie ou en Grèce.

Or, ce n’est pas simplement en interrogeant, en in-terpellant ces pays que nous pouvons agir. Les gravesatteintes aux droits de l’Homme qui se déroulent ànotre initiative aux frontières externes de l’Europenous interpellent sur le modèle européen que nousvoulons construire. Seule une conférence internatio-nale euro-méditerranéenne réunissant l’ensemble desacteurs associatifs et institutionnels des deux rives estde nature à relever le défi d’un développement équi-libré et de la mise en place d’une logique de protec-tion. Il convient de s’y atteler sans tarder.

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13PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Réfugiés, insertion professionnelle

difficultés et enjeux

Incluse dans ce dossier une synthèse du

GUIDE DE RECONNAISSANCE DES DIPLÔMES ET DE LA VALIDATION DES ACQUIS DES RESSORTISSANTS EUROPEENS ET NON EUROPEENS EN EUROPE

Rédigé par Chirine MOHSENI

Sous la direction de :Fatiha MLATI

Ahmed CHTAIBAT

Avec la participation de :Pascal LANG

Eric METRA

Publié par FRANCE TERRE D’ASILE mi octobre

Avec le soutien de l’Union Européenne

Projet coordonné par l’OCIV (Belgique) en collaboration avec le Conseil Portugais pour les Réfugiés,

le Conseil Grec pour les Réfugiés, France Terre d’Asile, OMEGA (Autriche), PSEau (France) et RETAS (Angleterre)

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14PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Dans le champ de la précarité et de l’exclusion les représentations sociales jouent un rôle de légitimation des inégalités.Parmi les causes de la précarité, certaines renvoient à la sphère publique (absence d’offres de travail), d’autres à la sphè-re privée (situation familiale), ou encore au déficit de formation initiale. Il arrive fréquemment que ces causes soientétroitement mêlées. L’occultation de l’origine structurelle des parcours singuliers des populations précaires étrangères – et notamment réfu-giées – par les services publics et privés en charge de leur insertion produit deux phénomènes également préjudiciables auxusagers : leur victimisation (justification de l’infantilisation et de l’assistanat) ; la personnalisation et la focalisation parles usagers de l’échec individuel sur des responsables immédiats et externes (la stratégie du bouc émissaire).Les politiques d’insertion sont censées transcender ces éléments afin de réparer les déficits initiaux. En réalité, elles serventsouvent de soupape sociale et de simple maintien, à la surface des populations sans lien social fort, c’est-à-dire le plus sou-vent sans travail. Le travail, dans sa conceptualisation, est le résultat d’une construction mettant en question le statut et la protection, l’ac-quisition et la distribution de revenus, la liberté de création, la transformation de la nature. S’il est contraint, il est éga-lement rêve.

Un arbitrage constant est effectué entre travail aliéné et travail libéré. Il est à la fois ce dont on doit s’affranchir (réduc-tion du temps de travail) et cette activité qui permet de faire œuvre commune et de s’attirer sinon la reconnaissance, dumoins de trouver sa place dans un rapport au monde constant. Qu’on le regrette ou non, l’exercice d’un travail est aujour-d’hui la condition d’appartenance sociale, un facteur d’identité. Pour tous ceux, qui au quotidien, ont choisi d’écouter, d’orienter et de conseiller les réfugiés dans leur parcours d’inser-tion, sans forcément se soumettre à une logique utilitariste et mécanique, les outils publics semblent souvent se contredi-re, se superposer sans logique apparente.Le défi est pourtant clair, l’enjeu de taille : il s’agit d’intégrer à la société française des personnes aux cultures et aux par-cours parfois très éloignés des normes de la société d’accueil. C’est ainsi que se forment des citoyens conscients de leursdroits et devoirs au sein de la communauté nationale. L’enjeu est majeur puisqu’il s’agit de la cohérence d’une société et de sa capacité à bien vivre ensemble au-delà de ses par-ticularismes culturels et religieux qui répondent de la sphère privée.L’objectif du dossier piloté par Fatiha Mlati, avec la collaboration d’Anne Pousson, est de rendre visible les difficultés ren-contrées dans l’accès à l’emploi pour les populations précaires, ici, les réfugiés. Elles sont nommées aujourd’hui sous levocable de « périphériques » : apprentissage de la langue, accès au logement, à la santé, exercice des droits réels, valida-tion des acquis et reconnaissance des diplômes. Le bilan de l’activité de notre structure Conseil Emploi Réfugiés Formation est lumineux quant à la visibilité des difficul-tés rencontrées par les réfugiés et la réponse que nous y apportons. Ces difficultés sont encore accrues par le simple fait derésider en Ile-de-France et d’avoir à se confronter à une offre de logement social insuffisante.L’analyse de Nourredine Boubaker sur le déficit de formation linguistique, tant dans son offre que par son aspect quali-tatif, rejoint la question, au-delà des réfugiés, de l’apprentissage de la langue pour les primo-arrivants demandeurs d’asi-le. A l’évidence, comment ne pas souscrire à « un réel droit à l’apprentissage » de la langue du pays d’accueil pour les popu-lations étrangères ? Apparemment, seuls les pouvoirs publics semblent avoir des difficultés à en comprendre l’intérêt pournotre pays.Il convient de ne pas raisonner aujourd’hui avec des images correspondant à l’accueil des populations réfugiées de la findes années 1970. Le monde a changé, la chute du mur de Berlin a soulevé le couvercle ethnique et a jeté sur les routes del’exil des populations civiles. La proportion de réfugiés non francophone au niveau de formation initial peu élevé est trèsimportant. Cependant, il reste que nombre d’entre eux peuvent faire valoir une expérience professionnelle et/ou une for-mation diplômée acquise dans leur pays d’origine. Les procédures en œuvre actuellement pour la validation des acquis enEurope et notamment pour les populations étrangères sont complexes lorsqu’elles ne sont pas inexistantes. L’objectif duguide dont nous publions dans ce numéro une synthèse est de fournir aux conseillers d’insertion, au service public de l’em-ploi, aux usagers, un outil utile et rapide pour se repérer dans le maquis des procédures européennes. On prendra égale-ment connaissance avec intérêt du CD Rom à destination des professionnels de l’insertion que nous avons conçu en par-tenariat avec des ONG européennes. Simon Whul, Bernard Gruyer et Patrick Auber viennent utilement conclure ce dos-sier avec des éclairages experts.Mais la réalité est en dernière analyse toujours là pour nous rappeler que si nous connaissons les causes de la paupérisa-tion, quelle que soit l’intelligence des dispositifs d’action sociale mis en place, ces derniers ne peuvent apporter seuls unesolution.

Pierre HENRYDirecteur de France Terre d’Asile

Insertion professionnelle : difficultés et enjeux

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15PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Cette exigence vaut encore plus pour lapopulation réfugiée, handicapée par l’ab-sence de maîtrise de la langue française etdes dispositions sociales et culturelles quicommandent l’accès à l’emploi. Même siles réfugiés ne constituent pas une popu-lation homogène susceptible d’être l’ob-jet d’une approche uniforme en matièred’orientation et de formation profession-nelle, un trait commun rassemble laquasi totalité des réfugiés statutaires :ceux qui arrivent avec des compétencesdirectement mobilisables sur le marchédu travail en Europe constituent désor-mais une infime minorité.

Leur insertion professionnelle impliquegénéralement plusieurs étapes compre-nant des actions d’apprentissage de lalangue du pays d’accueil, d’adaptationsocioprofessionnelle et de développe-ment des compétences professionnelles.Toutefois, la mise en œuvre cohérente deces étapes implique un accompagnementavec les personnes et les différentes struc-tures concernées.

La difficulté de se projeter dans un par-cours d’insertion est rendue encore pluscomplexe par la multiplicité des struc-tures et des dispositifs par lesquels transi-te ce public. Comparé aux autres deman-deurs d’emploi nationaux ou d’origineimmigrée, il manque cruellement d’in-formations pertinentes sur les règlesrégissant notre système de formation etsur les normes socioculturelles quiconditionnent l’accès à l’emploi.

Face à cette complexité, beaucoup deréfugiés, notamment les non franco-phones et ceux ayant un faible niveauscolaire et de qualification, se trouventdésorientés et n’arrivent à saisir ni le sensni la cohérence des actions dont ils béné-ficient. Cette situation conduit certains àn’avoir pour stratégie que la recherched’allocations diverses et le recours au sec-teur informel.

L’accès à la formation de ce public resteassez chaotique, malgré l’importance del’offre susceptible de répondre auxbesoins de formation que nous avons purecueillir sur le terrain. Ces élémentsmontrent que le passage entre les dispo-sitifs spécifiques et les formations quali-fiantes de droit commun est probléma-tique pour nombre de réfugiés.

1.1. Pour un accompagnementpersonnalisé des réfugiés eninsertion

L’observation de leur trajectoire pro-fessionnelle montre que les formationssuivies ne s’inscrivent pas dans un par-cours de progression et les emplois quileurs sont proposés sont souvent sansperspective d’évolution et sans lienavec leur formation.

Ces constats expliquent pourquoi lescassures observées dans les trajectoiresd’insertion des réfugiés sont sourced’un grand gâchis : déperdition desacquis de formations, absence de senset d’enjeu pour la personne bénéficiai-re, installation durable dans une situa-tion de demandeur de stages sansaucun lien avec des objectifs ou desprojets viables.

L’accompagnement des réfugiés primo-arrivants statutaires en insertion se jus-tifie aussi par les difficultés périphé-riques auxquelles est confronté cepublic récemment accueilli. En effet,outre la question de l’emploi, les réfu-giés doivent trouver en même tempsdes solutions pour leurs problèmes delogement, de santé, d’adaptation socialeet culturelle vis-à-vis d’une société trèsdifférente de celle qu’ils ont fuit.

C’est à cause du cumul de ces difficul-tés périphériques, impossibles à traiterpar les structures de formation et lesservices publics de l’emploi, que les

actions de formation ne sont pas sui-vies dans de bonnes conditions, entraî-nant dans de nombreux cas absentéis-me et abandon.

Enfin, ces trajectoires montrent quecertains réfugiés sont exclus des actionsd’insertion auxquelles ils ont pleine-ment droit. Cette difficulté d’accès s’ex-plique par leur manque d’informationet leur difficulté à communiquer leursattentes et leurs projets.

1.2 : La création du ConseilEmploi Réfugiés Formation,une volonté de rendre le droiteffectif

L’ouverture d’un espace-ressource d’in-formation et d’orientation des réfugiésen Ile-de-France constitue une tentatived’amélioration de la prise en charge dela question de l’intégration profession-nelle des réfugiés.

Cette démarche d’optimisation des dis-positifs publics actuels permet par letravail de repérage des difficultés et desbesoins, d’améliorer les conditions d’ac-cès et de suivi des actions d’insertion.

Cette action repose sur notre convic-tion que la défense du droit d’asile n’estpas concevable sans un contenu socialet économique. Il s’agit donc égalementde poser et de tenter de résoudre laquestion sociale de l’intégration pourceux qui ont vocation à demeurer dura-blement sur notre territoire. Notre pra-tique s’ordonne autour de deux fonc-tions essentielles pour réussir le pari del’intégration par l’emploi, le partenariatet l’accompagnement.En effet, ce public fragilisé, doit êtreaccompagné, et non pas simplementêtre orienté. L’orientation étant une

Les difficultés d’insertion des réfugiés statutairesPar Fatiha MLATI*

Les expériences en matière d’insertion sociale et professionnelle des jeunes et des adultes, accumuléesces dernières décennies, mettent en évidence la nécessité d’un suivi personnalisé et d’une coordinationdes actions par les acteurs institutionnels

* Responsable du CERF (Conseil Emploi RéfugiéFormation)

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donnée travaillée dans le temps. Elledoit être un soutien méthodologique,économique, psychologique et socialcontinu.

1.3. : La reconnaissance de laqualité de réfugié, une étaperécognitive paradoxalement mar-quée par l’entrée dans un nou-veau système de précarité

Nous avons accueilli entre le 1er décembre1999 et le 31 décembre 2000, quelques 500réfugiés statutaires qui ont souhaité unaccompagnement socioprofessionnel.Nous ne comptabilisons pas ici lesdemandes non fondées tels que celles pro-venant de réfugiés de plus de cinq ans ; depersonnes en situation irrégulière…

400 réfugiés soit près de 90% ont bénéficiéd’une telle prestation et ont signé uncontrat d’accompagnement. Ce contratd’accompagnement a été construit autourd’un objectif d’insertion sociale, écono-mique et professionnelle.

273 évaluations linguistiques ont été pra-tiquées. Celle-ci est mise en place lorsquele réfugié ne maîtrise pas la langue fran-çaise à l’oral mais également lorsque cedernier envisage, dans le cadre de sonparcours, de se reclasser dans un secteurqui nécessite la maîtrise écrite de lalangue.

Au courant de l’année 2000, nousavons connu différentes vagues denationalités. Lors des 6 premiers mois,nous avons reçu un grand nombre depersonnes d’origine Sri Lankaise.Ce public était plutôt de bas niveau dequalification avec de gros besoins enformation spécifique (Français/Langue/Etrangère).La médiatisation de notre activité, aentraîné une modification de la typolo-gie du public accueilli. Aujourd’hui ori-

ginaire du continent africain, masculin,chef de famille, la population franco-phone, située dans la tranche d’âge des35-40 ans, avec des besoins en formationqualifiante ou proche de l’employabilité.

Aujourd’hui, les candidats provenantd’Europe de l’Est et du Maghreb repré-sentent une proportion non négligeablede l’effectif total recensé. Ces derniers ontdes profils similaires voire supérieur en

termes de niveau de formation initiale par rapport au public réfugié provenantd’Afrique Noire.

Indépendamment des origines cultu-relles et des potentiels détenus par lescandidats quant à leur possibleemployabilité – qui démontre l’hétéro-généité de notre public, celui ci possèdeun dénominateur commun : l’exclusionsociale.

Figure 3 – Ressources financières

Un public vivant de différentssubsides et « mal logé »

Celle-ci se décline par un recours quasiautomatique au revenu minimumd’insertion qui est devenu « un rite depassage » pour tout réfugié. En effet,rare sont les réfugiés qui trouvent un

emploi sans avoir recours à la prise encharge par l’aide sociale alors que pourtout citoyen national, le revenu mini-mum d’insertion est le dernier subsidepour le maintien à la surface.

De la même façon, la prise en chargeen hébergement d’urgence ou par destiers représente 63,6 % des candida-tures. Cette précarité par rapport aulogement est accentuée sur Paris où lespossibilités d’accès au logement socialsont rares.

Cette donnée déstabilise singulière-ment l’accompagnement puisqu’elleimplique une grande mobilité de notrepublic. Notre première démarche seradonc une négociation quasi systéma-tique du maintien d’une prise en char-ge durable de l’hébergement d’urgen-ce, afin de pouvoir construire un réelparcours d’insertion, sans risque derupture de l’accompagnement pourdes facteurs périphériques.

Autres* : autres soutiens financiers (famille, organisations caritatives, bourses etc.)

Figure 4 – Situation vis à vis du logement

Figure 1 – Origine Géographique

Figure 2 – Niveau d’instruction

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1. 4. : Une méthode d’accompa-gnement favorisant la connexionavec le droit commun

Les parcours d’insertion co-construitsse déclinent à travers différents typesde besoins, qui sont traités sous l’anglede trois types de prestations :

L’orientation vers des dispositifsspécifiques soit l’intégration enMission Locale, la reconnaissance de laqualité de travailleur handicapé par lesservices de la COTOREP corollaire àun accompagnement vers l’emploidélivré par des structures spécialisées(OIP), la validation des acquis par lerecours aux différents modules d’éva-luation des compétences et des capaci-tés professionnelles délivrés parnotamment par les Services Publics del’Emploi ou les organismes habilitéscomme l’AFPA.

L’entrée en formation qualifiante ouspécifique par le travail sur le projetprofessionnel, la co-validation de

celui-ci avec le référent social du béné-ficiaire dans le cadre du contrat d’in-sertion, la prospection d’une forma-tion, le co-suivi et le post-suivi avecl’organisme de formation partenaire.

L’accès au marché du travail soit laconstruction du curriculum vitae, dela lettre de motivation, la préparationà l’entretien d’embauche, la mise enadéquation du projet personnel avecles besoins des entreprises, la négocia-tion avec l’entreprise d’accueil et lepost suivi à 6 mois.

Ces éléments ne laissent pas transpa-raître l’ensemble des rouages qui com-posent l’accompagnement que nousdélivrons : résolution des problèmespériphériques (garde d’enfant, prise encharge des transports, aide d’urgence),accompagnement dans le travail dedeuil, accompagnement dans le pro-cessus de réadaptation et interventionsous la forme d’une écoute à visée édu-cative.

Le public réfugié n’est pas « difficile » àtraiter à l’instar d’autres publics dontle processus de déqualification et d’en-lisement dans l’exclusion est générépar la perte d’un statut socioécono-mique.

Il cumule des difficultés causées par ladéfaillance du système d’accueil : loge-ment, ressources, formation linguis-tique et surtout par le manque d’infor-mation et de coordination sur les pos-sibilités offertes par le droit commun. L’exil est un acte subi, accompagné de

violences parfois physiques, toujourssymboliques. Il devient avec la recon-naissance de la qualité de réfugié unlevier générant une mobilisation duréfugié par rapport à son devenir et àson intégration dans la société d’ac-cueil.Il est préjudiciable que le droit com-mun omette cette caractéristique en nefacilitant pas un processus d’intégra-tion dynamique et en assimilant cepublic à d’autres catégories de popula-tions marginalisées.Les difficultés que nous rencontronsdans l’exercice de notre mission, révè-

lent des dysfonctionnements ou desdéfaillances dans l’accès au droit. Ilsdémontrent également le « gâchis »humain et financier d’un système « attentiste » qui ferme la porte à l’ap-prentissage de la langue pendant l’exa-men de la demande de reconnaissancedu statut de réfugié.

1. 5. : Les difficultés d’accès auxdroits sociaux, à l’apprentissagede la langue et l’accès au loge-ment fragilisent la constructiondes parcours d’insertion

La déconnexion entre droit au séjour et accès aux

droits sociaux

L’accès à la formation qualifiante se faitmajoritairement grâce aux droits géné-rés par le statut de bénéficiaire duRevenu Minimum d’Insertion.

Néanmoins, l’accès au dispositif deformation professionnel n’est pasimmédiat. En effet, la reconnaissancede la qualité de réfugié n’est pas syno-nyme d’un accès direct aux droitssociaux.

Nous constatons une déconnexionentre le temps de l’obtention de la pro-tection (services de l’OFPRA), le droitau séjour (Service des étrangers au seindes préfectures) et l’accès au revenuminimum d’insertion (centres instruc-teurs du RMI en liaison avec les CAF).De plus, lorsque le droit au séjour estacté (possession de la carte de réfugiéet du récépissé de 6 mois) la mécon-naissance de la législation concernantl’ouverture du RMI 1. par les acteursdes services de droit commun com-plique la tâche et retarde le dépôt de lademande.

Insertion par l’emploi et maîtrise de la langue

Ceux qui peuvent prétendre à un accèsrapide à un premier emploi sont ceuxqui maîtrisent la langue et qui possè-dent une expérience professionnelleconfirmée dans des secteurs d’activitéstandardisés (par exemple : grutier,tourneur, peintre…)

Démarches effectuées pour la résolution des problèmes périphériques

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La non-maîtrise de la langue est unfrein prépondérant pour l’accès à l’em-ploi. Cette recherche ne peut avoir desens si le candidat n’est pas en mesured’assurer des échanges portant sur dessituations courantes.

Souvent, cette non-maîtrise de lalangue les prive de toute évolution pro-fessionnelle tangible (rappelons quenous recevons majoritairement unpublic masculin âgé de 35 à 45 ans).

Un dispositif spécifique en panne

L’un des événements marquant dupremier semestre 2001 concerne la « disparition » totale des stages inten-sifs rémunérés de Français LangueEtrangère (FLE) en direction des nonfrancophones ayant un niveau granddébutant.

Si l’employabilité des candidats ayantun niveau faux-débutant est del’ordre du possible, elle est enrevanche mal aisée pour les grandsdébutants.

Les candidats âgés de moins de 26 anssont orientés vers les Missions Localesqui en assurent un accompagnementcomplet. Toutefois, concernant lepublic réfugié n’ayant aucune maîtrisedu français et nécessitant une forma-tion en FLE, il est important de signa-ler les problèmes liés à l’accès à cesformations. En effet, les jeunes titu-laires d’un titre de séjour, dont ladurée de validité ne dépasse pas troismois, ne sont pas admis à ces forma-tions en raison des contraintes derenouvellement du dossier de finance-ment auprès des services du CNASEA.

Ainsi, les candidats traversent delongues périodes d’attente sans res-source, sans travail, car nonemployables, et bien souvent hébergéspar des tiers 2. Ils doivent se contenterdu ticket mobilité 3 au plus. Les réfé-rents des Missions Locales ne font pastoujours appel au FAJ 4 pour deman-der une subvention pour les candidatsconcernés.

L’accès au logement : absence de solutions durables

Le diagnostic social, linguistique, pro-fessionnel établi suite aux premiersentretiens, nous permet de constaterune extrême fragilité de notre publicconcernant le logement. Le taux deprécarité lié au logement en 2000 avoi-sinait les 64%. Cet indicateur a aug-menté de 7 points en 2001. Accueild’urgence, hôtel social, structure d’hé-bergement provisoire, logement chezun tiers ou location dans des condi-tions d’insalubrité demeurent le lotd’une grande partie de nos bénéfi-ciaires.

Le traitement de cette question va sefaire en fonction des possibilités et del’organisation de chaque départementsur cette question. Ainsi, même si leurinsertion professionnelle est stabiliséesoit par la mise en emploi ou l’acquisi-tion d’une formation, les problèmes demaintien dans un logement restententiers.

La question de l’insertion par le loge-ment est l’un des volets de l’accompa-gnement les plus complexes à résoudre.C’est la première demande formuléepar toute personne qui se présente dansla structure.

L’une des raisons majeures de cette dif-ficulté est liée au fait que l’accès aulogement social est subordonné auxressources et donc à l’emploi. Notreintervention se limite aux situationsd’urgence sociale afin de pouvoirasseoir l’accompagnement. Dans cecadre le SSAE est un partenaire quiapporte une aide précieuse en assurantle paiement des deux premiers mois deloyer au réfugié ou en l’orientant surun foyer, le temps de l’obtention duRMI.

Au-delà de cette aide d’urgence, l’ac-compagnement se limite à l’orientationdes personnes vers les municipalitésqui enregistrent la demande de loge-ment. Ainsi, par exemple, sur le dépar-tement de la Seine-Saint Denis, l’en-semble de nos bénéficiaires possède unnuméro d’enregistrement sur le plandépartemental.

Dans le cas où le candidat bénéficieraitd’un premier emploi et s’il est âgé demoins de 30 ans, ce dernier est orientévers le GNOSSAL5, organisme qui s’en-gage en qualité de garant auprès dupropriétaire du logement que le candi-dat aura trouvé. Le problème de garan-tie auprès du bailleur est ainsi résolu.

Mais, au-delà de ces quelquesdémarches, nous ne disposons pas deréelles solutions. Cette question récur-rente motive notre volonté d’améliorernotre prestation et nous incite à sollici-ter un conventionnement ALT 6 . Mais,il est à noter deux difficultés supplé-mentaires.

D’une part, le dispositif ALT n’est pasaccompagné de moyens nécessaires ausuivi social, ce qui a pour effet, la miseà l’écart des personnes en situation trèsprécaire. D’autre part, la prise en char-ge ALT par l’avantage économique qu’ilprocure aux personnes qui en bénéfi-cient, incite certaines d’entre elles àeffectuer une équation simple : le coûtde la rémunération du travail salarié,les dépenses induites que le travailengendre dans la phase d’autonomisa-tion comparée à la logique d’assistancecumulant : ALT et Revenu Minimumd’Insertion.

1 Circulaire DSS/DIRMI N° 93-05 du 26 mars 1993relative à la détermination de l’allocation de revenuminimum d’insertion (paragraphe I – alinéa1.2.2.1.).3 Procédure soutien à la mobilité par le paiementdu titre de transport dans le cadre du contrat d’in-sertion RMI et dans l’accompagnement des jeunesen difficultés effectuée par les Missions Locales.4 Fonds d’Action Jeunes.5 Groupement National des Organismes Sanitaireset Sociaux pour l’Aide au Logement 6 Allocation Logement Temporaire

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Chacun s’accorde à re-connaître l’apprentissagede la langue françaisecomme une nécessité dif-ficilement contournablepour tout immigré dési-reux de vivre normale-ment en France et s’y ins-taller durablement.

Qui pourrait en effet sérieu-sement contester que, parceque le français est la languequi symbolise l’unité natio-nale par delà la diversité des ter-ritoires et des appartenances- langue mise en partage pourque trouve à se réaliser le liensocial - son acquisition, ga-rante de l’autonomie du par-cours individuel et social, faitincontestablement figure de né-cessité - et s’impose mêmecomme un devoir - pour tousceux qui ont choisi de restersur notre territoire ?

Une nécessité, une obligation,un devoir, mais aucunementun droit, c’est à dire un égal ac-cès théorique à l’exercice de cedroit. Nous en sommes bienéloignés. Apprendre le françaisn’est assurément pas un pro-blème pour les non franco-phones de milieux sociaux-culturels favorisés, il en vatout autrement pour les autres.

Sans aborder ni les aspectsculturels, ni la question durapport au savoir, qui carac-térisent souvent les couchessociales défavorisées, l’expé-rience indique que les possi-bilités d’apprendre relèventde l’aléatoire et dépendentfortement de l’offre de for-mation présente ou non aupied de la tour ou dans le vil-lage. Malgré l’action des bé-névoles et les efforts associa-

tifs, l’offre de qualité demeuretrès largement insuffisante etinaccessible. Sans sous - esti-mer l’importance de l’effortpersonnel, nous ne sommespas loin de penser que les obs-tacles à l’apprentissage de lalangue constituent peut-être,la première des discrimina-tions, celle, en tous cas qui in-terdit la possibilité d’accéderà la citoyenneté. Ne pasconnaître la langue constitue,à l’évidence, un grave handi-cap qui fragilise les personneset les maintient en situation dedépendance et de vulnérabi-lité. Ne pas parler la langue, nepouvoir ni communiquer, nicomprendre, c’est être désarméet ne pas pouvoir se défendre,c’est d’un point de vue stric-tement symbolique, ne pasexister. Il nous faut prendre collecti-vement conscience de ces en-jeux. Il nous faut comprendreque les associations et avecelles le cortège des bénévolesqui ont porté cette question ets’y sont parfois essoufflés ont,sans doute possible, de façoncertes, empirique ou dispersée,contribué à l’émergence d’unbesoin vital que la bonne vo-lonté, le dévouement, la gé-nérosité ne suffisent pas à sa-tisfaire. Il nous faut tirer lesenseignements de ce constat etréfléchir à la démocratisationde l’accès à la langue françaisepour tous. Sait-on, par exempleque les femmes sont les prin-cipales victimes de rejet deleur demande de naturalisationpour défaut d’assimilation lin-guistique ? Elles sont près de70 % dans cette situation, lesfemmes originaires duMaghreb sont les plus tou-chés (87% d’entre elles) alorsqu’elles résident en France de-

puis plus de 10 ans. Quandon connaît le rôle joué par cesfemmes dans les processusd’intégration, on ne peut qu’êtreinterpellé. Cet amer constatdonne la mesure des limitesdes dispositifs en place et doitnous inciter à les renforcer.

L’hypothèse d’un droit nou-veau mérite alors d’être posée: celui d’un droit à part entièreà une formation linguistiquede qualité.

Un rapide retour en arrièrepermet de conforter l’analyse,de mieux cerner le problème,et surtout de mieux saisir la dy-namique qui s’est enclenchée,d’en comprendre le sens.

Dans les années 70, l’alphabé-tisation fut initiée et portée es-sentiellement par les courantscaritatifs et militants. Au delàde la langue, il s’agissait d’ex-primer une solidarité active,quelques années après la dé-colonisation. C’était avant toutune affaire de militants, unequestion politique largement in-fluencée par l’éducation po-pulaire. La gestion des publicsétait clairement différenciée.L’évolution vers la formationprofessionnelle continue marqueune étape importante. Un autremodèle se met en place, il s’ac-compagne d’une restructura-tion du secteur et, crise oblige,d’une nette inflexion en di-rection de l’emploi. De nou-veaux financements publicssont possibles, le caractère mi-litant subsiste, mais il cohabitedorénavant avec des forma-teurs professionnels. Les an-nées de crise accentuent la ten-dance, la professionnalisationest en marche, rendue nécessairepar le traitement social du chô-

mage. Pour les populations mi-grantes, l’accès le plus souventhypothétique à l’emploi l’em-porte sur l’aspect purementlinguistique, on assiste à unevéritable désectorisation et uneperte de spécificité. L’immigrédisparaît derrière le bas niveaude qualification, le BNQ, commeon dit.

L’émergence de la problé-matique illettrisme ne faitqu’ajouter à la confusion et àla perte de visibilité des dif-férents publics. On est bienloin des idéaux de l’éduca-tion permanente des années1970, la spécificité des mi-grants est de moins en moinsprise en compte, le déplace-ment vers le public de basniveau patent.

Les formations linguistiquesse retrouvent très largement en-globées dans la problématiquede la formation profession-nelle, elles en épousent lesmodalités, bénéficient parfoisdes avantages…mais aussi descontraintes qui y sont liées.N’y a t il pas lieu de s’interrogersur la prégnance de la logiqueemploi et d’une conceptionutilitariste des formations lin-guistiques ? Apprendre lalangue ne permet pas seule-ment d’accéder à l’emploimais aussi à la citoyenneté, àla culture du pays d’accueil, etd’en maîtriser les codes.

De toutes les réformes enga-gées par le FAS ( le fonds d’ac-tion sociale créé par le GénéralDe Gaule en 58) qui finance« l’Alpha » depuis 4O ans, laplus significative a été cellede 1995. Il nous semble ce-pendant qu’un élément dé-terminant n’a pas suffisam-

L’APPRENTISSAGE DE LA LANGUE Entre logique humanitaire et lente émergence d’un droit ?Par Nourredine BOUBAKER*

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ment été explicité, c’est le pas-sage d’une logique de forma-tion exclusivement régie parl’offre à la logique de com-mande publique. Et pourtant,nous touchons là une questionimportante – pourquoi passe-t-on de l’une à l’autre ?Risquons nous à proposerune interprétation.

Nous pensons d’abord que lepassage à la commande pu-blique marque les limites etl’essoufflement du « modèle »précédent qui reposait essen-tiellement sur la mobilisationdu tissu associatif. L’offre de for-mation émanait d’abord duterrain, c’était la résultante despropositions des associationssur un territoire. C’était, commeon l’a vu, la logique militantequi prévalait, ses limites ap-parurent au fil du temps avecla montée du chômage et l’évo-lution vers la formation pro-fessionnelle.

La logique de la commandepublique marque bel et bienune rupture, une inversionde tendance : dorénavant, c’estl’Etat, ce sont les pouvoirs pu-blics qui passent commandeet sélectionnent les opérateursà l’issue d’une procédure demise en concurrence. Les pres-tations linguistiques sont ainsi« reconnues », leur nécessitéest, en quelque sorte, renfor-cée mais en même temps la res-ponsabilité publique est misen lumière.

La démarche de la commandepublique, forgée au début desannées 1990, concerne en faitl’ensemble de la formationprofessionnelle. Dans un do-cument préparatoire à la tableronde organisée par leSecrétariat d’Etat aux Droits desFemmes et à la FormationProfessionnelle sur la profes-sionnalisation de l’offre deformation et des relations entreles utilisateurs et les orga-nismes, on peut lire à propos

des difficultés rencontrées : « les critiques le plus souvent for-mulées portent sur les incerti-tudes du conventionnement(délai de paiement, démarragedes actions avant que laConvention ne soit signée, ab-sence de garanties plurian-nuelles…) sur les problèmesdu prix (faiblesse des barèmesau regard de l’accroissementdes exigences de qualité, prix im-posés, référence à l’heure - sta-giaire plutôt qu’à l’heure -groupe, la journée ou la pres-tation globale, différences detarifs entre les prestataires pourles mêmes actions sur le mêmeterritoire,…) sur la non maî-trise du recrutement par les or-ganismes (inadéquation desprofils des stagiaires, absencedes stagiaires, encouragementau maintien des stagiaires enformation…), sur la non priseen compte de l’innovation pé-dagogique (modulation, indi-vidualisation, ouverture desformations, accompagnementdes stagiaires pendant les pé-riodes en entreprise,…) ».

On le voit on ne peut plusclairement, la formation dansson ensemble est confrontéeà une évolution qui cham-boule les référentiels des mé-tiers existants de la profes-sion. Toute la profession estinterpellée dans ses moyens,ses méthodes, sa pédagogie,ses objectifs, ses valeurs.

La logique de commande pu-blique déclenche une profes-sionnalisation de la demandeet de l’offre. La commandepublique est de plus en plus exi-geante, elle implique une vé-ritable obligation de résultat.Il est alors évident que seuls lesorganismes performants etprofessionnels peuvent s’adap-ter, faut il le regretter ? L’optiquequalitative doit être à tout prixaffirmée, avec elle, l’exigencede résultat. C’est la seule façonde tirer vers le haut les for-mations linguistiques et d’at-

tirer les meilleurs spécialistes.Bien sûr, toutes les associa-tions ne peuvent pas se re-convertir, ce n’est du reste passouhaitable. Il en est de leur rôlecomme de celui du FAS : ini-tier et couvrir des besoinsnouveaux ou non, pour quele droit commun s’en saisisseet assume pleinement ses res-ponsabilités. En la matière, lanotion de droit commun mé-riterait, à l’évidence, d’être re-précisé alors que les finan-ceurs potentiels ont assezsouvent tendance à se dé-fausser sur le seul FAS dont lesfonds, malgré l’importancedes sommes consacrées à cedomaine, ne couvrent qu’unefaible partie des besoins iden-tifiés.Le temps est venu que les for-mations linguistiques soientreconnues comme formationprofessionnelle à part entière,le temps est venu aussi pourqu’un réel droit à l’appren-tissage de la langue du paysd’accueil soit consacré. Nousavons tous, tant à y gagner.

L’hypothèse du droit se trouvetotalement confortée par cer-tains travaux conduits àl’échelle européenne, confir-mant ainsi que nombre dequestions posées ne trouve-ront pas de réponses dans leseul cadre hexagonal, mais àl’échelle européenne.

La Charte Sociale Européenne(révisée en 1998), qui engagetous les pays signataires, af-firme « le droit pour toute per-sonne à des moyens appropriésde formation professionnelle ».Elle précise dans son article19 intitulé « droits des tra-vailleurs migrants et de leursfamilles à la protection et àl’assistance » : « En vue d’assurerl’exercice effectif du droit destravailleurs migrants et de leursfamilles à la protection et à l’as-sistance sur tout le territoire detoute autre Partie, les partiess’engagent : »… alinéa 11 « à

favoriser et à faciliter l’ensei-gnement de la langue natio-nale de l’Etat d’accueil ou, s’ily en a plusieurs, de l’une d’entreelles, aux travailleurs migrantset aux membres de leurs fa-milles ».

La Charte Sociale conforte,après les avoir étendus, lesdroits dits économiques etsociaux. Et même si ces droitslà ne pas encore considéréscomme des droits fonda-mentaux au même titre queles droits civils et politiques,par exemple, il s’agit là d’uneavancée notoire et d’une op-portunité que nous suggé-rons de saisir pour faire re-connaître, à part entière, ledroit à l’apprentissage de lalangue.

Cette perspective n’est pas ir-réaliste, déjà des débats ontlieu à propos des droits so-ciaux définissant ceux-cicomme des « droits créances »,c’est à dire des obligationsconcrètes et opposables à unEtat. Certains évoquent desdroits de « l’égalité concrète ».

Ce sont précisément les prin-cipes qui inspirent nos orien-tations en matière d’intégra-tion. La voie juridique eteuropéenne mérite d’être sé-rieusement investie. Puissecette contribution, qui n’engageque son auteur, à titre per-sonnel, contribuer à faire avan-cer la réflexion dans ce sens. A un moment où la questiondes discriminations racialesémergent enfin, grâce à un en-gagement sans faille des pou-voirs publics, il n’est pas in-différent que la question dela langue soit ainsi posée.

* Direction de la Formation EmploiFonds d’Action Sociale

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Evolution historique :

Le principal obstacle à la libre circu-lation résulte de la multiplicité deslégislations existantes. Les institu-tions communautaires sont doncintervenues afin de faciliter la recon-naissance des qualifications profes-sionnelles par un Etat membre aubénéfice d’un autre Etat membre. Cette intervention s’avérait néces-saire pour pouvoir accéder à cesactivités réglementées.1 Les institu-tions communautaires ont basél’adoption d’instruments juridiquesà cet effet sur le titre III du traitéd’Amsterdam.2

Dans un premier temps, laCommission a adopté une approchesectorielle de la reconnaissance desqualifications professionnelles. Ontainsi été adoptées plusieursDirectives concernant des activitésdans les domaines commercial,industriel et artisanal. Elles recon-naissent l’exercice effectif par le res-sortissant d’un Etat membre dansun autre Etat membre pendant unedurée déterminée de la professionconcernée comme preuve suffisantedes ses connaissances et aptitudes àexercer cette profession dansl’Union européenne.

En matière de reconnaissancemutuelle des diplômes à des finsprofessionnelles3 , une distinctionest faite selon que la reconnaissanceest fondée ou non sur une harmoni-sation des conditions de formation.

� Lorsque les conditions de forma-tion sont harmonisées, la recon-naissance des diplômes est automa-tique. 6 Directives ont été adoptéesdans le domaine de la santé4 .

� En cas d’absence d’harmonisation,des Directives5 posent des critèrescommuns « a minima », qui laissentaux Etats membres un certain pou-voir d’appréciation de la valeur dudiplôme.L’inconvénient de ces Directivessectorielles est la lenteur de leuradoption du fait du niveau d’har-monisation élevé des conditionsexigées. La Commission a doncdéfini une nouvelle approche par lebiais du système général de recon-naissance - plus modeste quant auniveau d’harmonisation – destiné àaccélérer le processus d’harmonisa-tion, et par là même, la libre circula-tion des personnes et services.

De ce système résulte deuxDirectives :

- la Directive du 21-12-1988relative à un système général dereconnaissance des diplômes d’en-seignement supérieur sanctionnantdes formations professionnellesd’une durée minimale de trois ans.

- La Directive du 18-06-1992relative à un système général desformations professionnelles, sanc-tionnant les diplômes à « Bac = 1 ». La Directive du 7-06-1999, adoptéeconjointement par le Conseil desministres et le Parlement européen,complète ces deux Directives en ins-tituant un mécanisme de reconnais-sance des diplômes pour les activi-tés professionnelles couvertes parles Directives sectorielles, en vue desimplifier et clarifier le système.

La faiblesse de ce système généralréside dans sa complexité, et la tropgrande marge de manœuvre laissée

aux Etats membres dans la recon-naissance des diplômes et qualifica-tions professionnelles.

La simplification du systèmede reconnaissance des qualifi-cations professionnelles :l’ini-tiative SLIM

Récemment, une initiative impor-tante a été prise dans le cadre du pr-gramme SLIM6 , sur la base de laCommunication de la Commissioneuropéenne « De nouveaux marchéseuropéens de travail ouverts et ac-cessibles à tous »7 , présentée auConseil européen de Stockholm.

Dans l’optique de faciliter et déve-lopper la libre circulation des tra-vailleurs et des prestations de servi-ce, cette réforme a pour objectif latransparence, la flexibilité et l’uni-formité du système de reconnais-sance afin de faciliter l’adoption denouvelles Directives sectorielles oud’autres instruments flexibles, etdonc de faciliter la reconnaissanceautomatique ou peu conditionnéedes qualifications professionnelles. Elle devrait également inclure lajurisprudence de la Cour de Justicedes Communautés Européennes(CJCE° dans la législation commu-nautaire. Ainsi seraient notammentintégrés les principes posés par lesarrêts HYELENS8 et VLASSO-POULOU9 , lesquels interdisentrespectivement des Etats membresde ne pas définir les conditions de

Les orientations de la Commission européenne en matièrede reconnaissance des qualifications professionnelles

Par Anne POUSSON*

* Chargée de la veille documentaire sur lesquestions européennes à France Terre d’Asile.Propos recueillis auprès de l’unité chargéedes professions réglementées de la DirectionGénérale « Marché Intérieur » de laCommission Européenne.

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qualification en des termes pure-ment nationaux, et d’apprécier sub-jectivement les connaissances dumigrant. La CJCE exige égalementle respect d’un délai raisonnable (nepouvant dépasser 4 mois) pour trai-ter la demande de reconnaissance, àlaquelle une possibilité de recoursdoit être assortie. Sa décision d’obli-ger les Etats membres à accorder lebénéfice de l’équivalence desdiplômes à des fins professionnelleslorsqu’ils ont reconnu l’équivalencede ce diplôme à des fins acadé-miques et que le migrant a passéavec succès l’examen professionnelrequis pour les nationaux, a aussifait jurisprudence.

Un questionnaire concernant lareconnaissance des qualificationsprofessionnelles a été adressé le 21mai dernier par la Commission auxEtats membres, afin de recueillirleurs avis sur le futur système, envue d’élaborer une propositiondans le courant du printemps 2002.

La place des étrangers res-sortissants de pays tiersdans le futur système :

Bien que les ressortissants de paystiers ne font pas partie des bénéfi-ciaires du système de reconnaissan-ce – réservé pour l’heure auxcitoyens de l’Union européenne – ilspourraient toutefois entrer dansson champ d’application lorsque laproposition de Directive du Conseilrelative au « statut des ressortissantsde pays tiers résidents de longuedurée »10 sur le territoire del’Union entrera en vigueur. En effet, son article 12 relatif à l’éga-lité de traitement stipule que « lerésident de longue durée bénéficiede l’égalité de traitement avec lesnationaux en matière de :

- conditions d’accès à un emploisalarié et à une activité indépendan-te, lorsque ces activités ne partici-

pent pas, même à titre occasionnel,à l’exercice de l’autorité publique,ainsi que des conditions d’emploi etde travail, y compris les conditionsde licenciement et de rémunération(…)- « reconnaissance des diplômes,

certificats et autres titres, délivréspar une autorité compétente ».Cette assimilation des ressortissantsde pays tiers résidents de longuedurée aux nationaux revient donc àleur reconnaître les mêmes droitsque les citoyens nationaux enmatière de reconnaissance acadé-mique des diplômes, et les mêmesdroits que les citoyens européens enmatière de reconnaissance des qua-lifications professionnelles.Les Directives sectorielles, géné-rales, ainsi que le système à venirseraient par conséquent applicablesdès l’entrée en vigueur de laDirective pré citée, aux réfugiés sta-tutaires résidant régulièrement surle territoire d’un Etat membre del’Union européenne depuis 5 ans, cequi constituerait une grande avan-cée dans le domaine. La précarité dela situation des demandeurs d’asileles excluent (logiquement) duchamp d’application de la proposi-tion de Directive, mais le tempsqu’ils ont passé sur le territoire del’Etat membre auprès duquel ils ontdéposé leur demande de reconnais-sance du statut de réfugié selon laConvention de Genève de 1951 estcomptabilisé dans leur durée derésidence, une fois qu’ils ont obtenule statut de réfugié.

Les professions non régle-mentées et la reconnaissan-ce des diplômes à des finsacadémiques :

Ces deux matières, sur lesquelles tra-vaillent les Directions générales cul-ture et éducation d’une part, etemploi d’autre part, relèvent princi-palement du pouvoir discrétionnairedes Etats membres. La Commission

se contente de faciliter la coordina-tion entre les systèmes très différentsd’un Etat membre à l’autre. Ainsi, lesdeux Directions Générales pré citéesont mis en œuvre le programme « Task Force », qui a pour objectif derendre l’économie européenne plusdynamique et performante, et de cla-rifier l’information concernant lesdifférentes formations et certifica-tions existant dans les Etatsmembres. La déclaration de Bologne relative àl’éducation, adoptée lors d’une ren-contre entre Etats membres, établitdeux niveaux universitaires – deux etcinq ans après le Baccalauréat – afinde clarifier le système et de promou-voir la transparence des qualifica-tions individuelles.

1 Professions dont l’accès est subordonné à la pos-session d’un diplôme.2 Le titre III du traité d’Amsterdam, intitulé « libre circulation des personnes, services etcapitaux », comprend les articles 39 à 42 relatifs à lalibre circulation des travailleurs, les articles 43 à 48 concer-nant le droit d’établissement, et les articles 49 à 55 re-latifs à la libre prestation de services. 3 A ne pas confondre avec la recon-naissance des diplômes à des fins académiques.4 Directive du 16 juin 1975 concernantle diplôme de médecin généraliste.Directive du 25 juin 1977 relative aux infirmiersdes soins généraux.Directive du 25 juillet 1978 concernant les chirur-giens dentistes.Directive du 18 décembre 1978 relative aux vétéri-naires.Directive du 21 janvier 1980 concernant les sagesfemmes.Directive du 24 septembre 1985 relative aux phar-maciens (liberté d’établissement uniquement).5 Par exemple, le Directive du 10 juin1985 relative aux diplômes d’architectes6 Ce programme vise à simplifier lalégislation relative au Marché Intérieur7 COM (2001) 116 8 15 octobre 19879 7 mai 199110 COM (2001) 127

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23PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Cependant cette mobilité ter-ritoriale offerte aux ressortis-sants des pays de la CEE n’étaitliée qu’à la mobilité profes-sionnelle1. Les traités deMaastricht (entré en vigueurle ler nombre 1993), etd’Amsterdam (ler mai 1999)apportent une nouvelle di-mension à la liberté de circu-lation en l’élargissant à tous lescitoyens de l’Union euro-péenne2 . Selon ces traités,étudiants, retraités oumembres de famille sont au-torisés à la libre circulation etd’établissement dans tous lesEtats membres. Nous pas-sons « d’une approche es-sentiellement économiqueet utilitariste à une recon-naissance des droits des per-sonnes »3. L’exercice du droit à la mobi-lité est souvent lié à la recon-naissance d’un diplôme ac-quis dans le pays d’origine oudans un autre pays européen.Cette reconnaissance, ainsi quela validation des acquis, sont deséléments clés pour toute per-sonne qui souhaite mettre envaleur ses diplômes et ses ex-périences acquises en dehors dessystèmes institutionnels, et ceafin de mieux s’intégrer aumarché de l’emploi dans unautre pays. Des initiatives com-munautaires ont été prisespour harmoniser les systèmesde reconnaissance des diplômeset de validation des acquis dansl’espace de l’Union à traversun référentiel commun. Endépit de ces mesures, à l’heure

actuelle le taux de mobilité desressortissants européens à l’in-térieur de l’Union reste faible. En effet, ces systèmes de re-connaissance, malgré les ef-forts de l’Union pour les sim-plifier, restent très complexes.La méconnaissance par les pos-tulants, des procédures rela-tives à la reconnaissance des di-plômes et à la validation desacquis ainsi que la disparitéde ces procédures suivant les ins-titutions, le pays d’accueil, et lanationalité, freinent l’accès desétrangers au système nationald’emploi et de formation. Parailleurs, la méconnaissance descodes socio-culturels qui ré-gissent l’accès à l’emploi et à laformation de la société d’accueils’ajoute souvent à ces difficul-tés techniques.

Comment rendre plus ac-cessible les informationsconcernant les systèmes de re-connaissance ? De quelle ma-nière procéder pour facili-ter l’accès à l’éducation et àl’emploi pour les ressortissantsnon communautaires, et plusparticulièrement pour lesréfugiés statutaires ? Quellessont les démarches à suivrepour effectuer une demandede reconnaissance ? A quifaut-il s’adresser ?

L’orientation professionnelleet l’accompagnement péda-gogique des ressortissantsnon communautaires pour-raient-ils faciliter ces tâches.

Pourquoi ce guide ?

Pour répondre à une partiede ces questions il nous aparu utile de faire un étatdes lieux des systèmes et desprocédures de reconnais-sance des diplômes et de va-lidation des acquis des res-sortissants communautaireset non communautaires dansles 15 pays de l’Union. Cet état des lieux se présentesous la forme d’un guide quiest, avant tout, un outil pra-tique à l’usage de toute per-sonne souhaitant faire re-connaître ses diplômes et sesexpériences professionnellesdans un des pays de l’UE. Ilréunit, sous forme de ficheset de tableaux synthétiques,toutes les informations re-latives à la reconnaissancedes diplômes, la validationdes acquis, les conditionsd’admission dans l’ensei-gnement supérieur, d’accès àl’emploi, ainsi qu’un grandnombre d’adresses utiles.Ce guide présente le systèmede reconnaissance des di-plômes et de validation desacquis des ressortissantscommunautaires et noncommunautaires dans cha-cun des pays de l’UE, puis faitun constat sur la politiquemenée par la Commissioneuropéenne pour harmoni-ser ces systèmes de recon-naissance et de validation.

Afin de faciliter la compa-raison des différents systèmes

le cadre de présentation pourtous les pays est identique.

Ce travail est complété par :

- un glossaire présentant lesdéfinitions des principauxtermes techniques utilisésdans ce guide ;

- une bibliographie qui cite lessources et les références uti-lisées pour ce travail pourpermettre au lecteur intéresséd’approfondir sa connais-sance de tel ou tel sujet ;

- les coordonnées (postalesou Internet) des principauxorganismes qui traitent desquestions de reconnaissancede diplôme et de validationdes acquis.

A qui s’adresse ce guide ?

Ce guide s’adresse à tous lesressortissants communau-taires et non communau-taires qui veulent travaillerou poursuivre des étudesdans un des pays de l’UE,mais aussi aux conseillersd’orientation qui sont ame-nés à les accompagner dansleurs démarches.

Guide de reconnaissance des diplômes et de la validation des acquis des ressortissants européens

et non européens en Europe*Depuis le traité de Rome, signé le 25 mars 1957, les droits communautaires en matière de « liberté de circulation » des citoyens européens ont beaucoup évolué. Ce traité a mis en placeun système permettant la mobilité des travailleurs communautaires à la recherche d’emploi.

* Rédigé par Chirine MOHSENIsous la direction de Fatiha Mlati etAhmed Chaibat avec la participa-tion de Pascal Lang et Eric Metra,avec le soutien de l’UnionEuropéenne.

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v Le constat

Les systèmes de reconnais-sance de diplômes et de va-lidation des acquis des dif-férents pays étudiés présententdes particularités. Pour lesdécrire nous avons assembléces pays en cinq groupes ;cette classification est basée surla proximité géographiqueet les similitudes culturelles.

� Pays germaniques :l’Allemagne et l’Autriche

Validation des acquis : Dansces deux pays la question del’évaluation et la reconnais-sance des « acquis expérien-tiels »4 n’a pas fait l’objetd’une grande attention. Celas’explique, en partie, par l’exis-tence d’un système dual quise caractérise par une com-binaison de l’apprentissagel’école/entreprise.

Conditions d’admission àl’université : En Allemagne,pour l’accès à l’universitél’admission des étrangers noncommunautaires est subor-donnée à un examen d’étuded’aptitude. En règle général,dans les universités il n’y apas de numerus clausus saufpour certains domaines (mé-decine, architecture, phar-macie, etc.) où l’accès est trèssélectif. En Autriche, dans certainesdisciplines (par ex. méde-cine, psychologie, pharma-cie, vétérinaire) il n'y a guèrede places disponibles pourdes ressortissants non com-munautaires.

� Pays anglophones :Royaume-Uni et Irlande

Validation des acquis : AuRoyaume-Uni et en Irlandel’apprentissage effectué horsdes établissements d’ensei-gnement est globalement re-connu comme un parcoursaussi valide que les parcours

formels d’acquisition de com-pétences. L’approche de cespays est basée sur le systèmeNVQ (National VocationalQualification ). Dans ce sys-tème l’accent est mis sur l’ap-prentissage professionnel surle lieu de travail.Conditions d’admission àl’université : L’admission àl’université, au Royaume-Uni, est très sélective. Chaqueétablissement se réserve ledroit d’évaluer les études pré-cédentes de chaque candi-dat, qu’il soit britannique ouétranger.En Irlande, les universitéssélectionnent les étudiantsselon leurs propres critèresd’admission.

� Pays méditerranéens :Italie, Espagne, Portugal,Grèce et France

Validation des acquis :Dansles quatre pays, Italie, Espagne,Portugal et Grèce, depuisune dizaine d’année, des dis-positions ont été prises pouraméliorer le système nationalde certification profession-nelle et les validations desexpériences professionnelles.

• Espagne :Conditions d’admission àl’université : Les étrangers ycompris les Européens doiventpasser un examen (la selec-tividad). Chaque année, leConseil universitaire, un or-gane national, détermine, encollaboration avec les uni-versités, le nombre de placesdisponibles dans chaque éta-blissement d'enseignementsupérieur.

• Grèce :Conditions d’admission àl’université : L’accès à l’uni-versité pour tous les candidatsest subordonné à la réussited’un examen d’entrée. Il y aun numerus clausus danstous les départements.

• Italie :Conditions d’admission àl’université : Un numerusclausus pour certaines filières(médecine, études dentaires,etc.) a été instauré au niveaunational. Certaines univer-sités appliquent un quota deplaces aux étudiants de paystiers, défini par chaque uni-versité. Les citoyens de l’Unionne sont pas soumis à ce quota.

• Portugal :Conditions d’admission àl’université : Pour l’admis-sion à l’université, tous lescandidats qu’ils soient Portugaisou étrangers passent un testd'aptitude général (Prova deAferiçaõ ) dans chaque matière.Les étudiants doivent en outreavoir réussi les épreuves spé-cifiques dans certaines ma-tières (provas específicas). Unnumerus clausus est appliquéà toutes les études universi-taires. Chaque établissementréserve un nombre relative-ment limité de places aux can-didats étrangers en fonctionde sa capacité et du nombrede candidats portugais.

• France :Validation des acquis : EnFrance, les premières initia-tives prises en 1985, suiviespar la loi de 1992 sur la vali-dation des acquis profession-nels et la loi de modernisa-tion sociale en 2001,témoignent de l’intérêt crois-sant du gouvernement pour lesacquis « expérientiels ».Toutefois, malgré ces avan-cées, le point de référence de-meure encore le système d’en-seignement formel. Conditions d’admission àl’université : Pour entrer àl'université, les étrangers 5,dans le cadre de la procédurede pré-inscription, doivent seprésenter à un examen afinde prouver leur connaissancedu français. Il n’y a pas de nu-merus clausus pour accéderaux universités, mais les can-

didats sont admis dans les li-mites des capacités d'accueilde chaque établissement. Lesgrandes écoles appliquent unnumerus clausus dans tousles cas.

� Pays nordiques :

• Danemark :Validation des acquis : Lesystème de validation des ac-quis au Danemark est prochedu système dual. Ce systèmepeut être comparé aux ap-proches allemande et autri-chienne ; toutefois, il accordebeaucoup plus d’importanceque ces deux pays à l’ap-prentissage non formel.Conditions d’admission àl’université : Un numerusclausus est appliqué à toutes lesdisciplines. Les places sont di-visées en deux contingents ;le 1er contingent est réservéaux candidats qui ont obtenuune note moyenne élevée àleur examen ; le 2ème contin-gent aux candidats dont lanote moyenne à l'examen étaitmoins élevée. Les étrangers, ycompris les Européens, sontpris en compte par ce 2ème

contingent.

• Finlande :Validation des acquis :L’approche finlandaise sur lavalidation des acquis profes-sionnels est comparée aux « NVQ ». Cependant elle estmoins structurée et moinscontrôlée au niveau central.Conditions d’admission àl’université : Pour l’admis-sion à l’université, toutes lesdisciplines sont soumises àun numerus clausus.

• Suède :Validation des acquis : Lesinitiatives suédoises pour lareconnaissance des acquisont été destinées davantage àdes groupes spécifiques (im-migrés, personnes handica-pées, chômeurs, etc.). Cesdernières années, la Suède a

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16PROASILE la revue de France Terre d’Asile

25PROASILE la revue de France Terre d’Asile

pris des initiatives pour élar-gir ces mesures à l’ensemblede la population. Conditions d’admission àl’université : L’accès à l’uni-versité est assez sélectif et laconcurrence est vive (en par-ticulier en économie, archi-tecture, médecine, étudesdentaires).

� Pays du Bénélux :

• Pays-Bas:Validation des acquis :L’apprentissage effectué horsdes établissements institu-tionnels est globalement re-connu comme un parcoursaussi valide et important queles parcours institutionnels.Conditions d’admission àl’université : L’admission àl’université est soumise à unexamen. Il y a un numerusclausus dans certains do-maines (médecine, étudesvétérinaires, etc.).

• Luxembourg:Validation des acquis : AuLuxembourg, la validationdes acquis « expérientiels »est très peu développée.Conditions d’admission àl’université : Les possibili-tés d’études sont très peunombreuses. Pas de numerusclausus sauf pour les futursenseignants. A l’exceptionde l’Institut supérieur d’étudeset de recherches pédago-giques (ISERP), dont l’ad-mission est soumise à la réus-site des épreuves linguistiquesen luxembourgeois, françaiset allemand ; en règle géné-rale, aucun examen n’est im-posé pour l’entrée à l’uni-versité.

• Belgique :Validation des acquis : EnBelgique, on constate ces der-nières années un intérêt crois-sant pour les questions liéesà l’évaluation et à la recon-naissance des acquis profes-sionnels.

Conditions d’admission àl’université : Les candidatsétrangers doivent réussir lesmêmes examens d'entrée queles étudiants belges. LaBelgique n'applique pas denumerus clausus ni de sys-tème de quota. Toutefois cer-taines universités (notammentde sciences appliquées ) ap-pliquent une sélection pourl’admission des candidats. Unexamen d'entrée est organisépour certaines branches (mé-decine, pharmacie, etc.). Il fautnoter que les établissementsd'enseignement supérieur sontlibres d'imposer des condi-tions d'admission en plus desconditions réglementairesfixées dans certains domaines.

Malgré la diversité des sys-tèmes de reconnaissance desdiplômes et de la validationdes acquis de ces pays nousavons relevé les points com-muns suivants :

n Les 15 pays de l’Uniontrouvent nécessaire l’élabo-ration d’un système de ré-férentiels et de normes pourfaciliter la procédure des re-connaissances de diplômeset de validation des acquis ;

nOn note, dans la majoritédes pays de l’UE, une évolu-tion marquée vers une auto-nomie de plus en plus grandedes universités ;

n L’admission dans les uni-versités devient de plus enplus sélective, en particulierpour les étrangers non com-munautaires ( examens sup-plémentaires, test de langue,etc.) ;

n Les systèmes de la vali-dation des acquis profes-sionnels sont très variés d’unpays à l’autre. Par exemple,le système britannique desNVQ (National VocationalQualification) est basé sur lescompétences ; dans ce sys-

tème l’accent est mis da-vantage sur l’apprentissageprofessionnel. Tandis qu’enFrance, malgré les nouvellesavancées apportées par la loide la « modernisation so-ciale », le point de référencedemeure encore le systèmed’enseignement et de forma-tion formels. Cependant, mal-gré ces divergences, dans tousles pays nous constatons uneévolution et un intérêt crois-sant pour les validations desacquis professionnels et « ex-périentiels ».

v À la recherche d’un système

référent commun

En fait, l’étude des systèmesde reconnaissance et de lavalidation des acquis des res-sortissants communautaireset non communautaires enEurope montre leur extrêmecomplexité et diversité. Cettecomplexité est de nature àdécourager la mobilité despersonnes à l’intérieur del’UE. Afin de faciliter la librecirculation des personnes,des communautaires ont étéprises pour harmoniser lessystèmes de reconnaissancedes diplômes et de valida-tion des acquis.

Ces procédures de recon-naissance varient selon quel’on souhaite exercer un em-ploi ou reprendre des études.

• 1 - Pour poursuivre desétudes : Reconnaissanceacadémique.L’accès à l’université nécessiteune demande de reconnais-sance académique. Cette re-connaissance - qui n’est pasautomatique - consiste à ac-corder l’équivalence à un di-plôme délivré dans un autrepays pour permettre à unepersonne d'entreprendre oude poursuivre des études dansun autre Etat membre.

En raison de la diversité descursus et des diplômes dansles Etats de l’UE, l’applicationde la reconnaissance acadé-mique est parfois difficile.Bien que les pays membres del'Union européenne et lesautres Etats membres de l’EEE(Espace économique euro-péen) 6 se soient entendus surle principe d’une reconnais-sance mutuelle des diplômes,il n’existe pas de dispositionscommunautaires imposantla reconnaissance mutuelledes diplômes.

Des mesures communes afind’encourager la mobilitédes étudiants

q Les conventions del’Europe et les accords bila-téraux :Le Conseil de l’Europe etl’UNESCO- « région Europe »ont décidé de remplacer lesconventions universitairesexistantes 7 par une seuleconvention commune. Aprèsdes préparatifs de plusieursannées cette nouvelle conven-tion commune a été adoptéelors de la conférence diplo-matique du Conseil del’Europe et de l’UNESCO enavril 1997 à Lisbonne. Cetteconvention s’intéresse à lareconnaissance des qualifi-cations pour l’accès à l’en-seignement supérieur, à celledes périodes d’études et àcelles des qualifications sanc-tionnant un cycle d’étudescomplet.

q Les programmes com-munautaires L’Union européenne a misen place une série de pro-grammes communautairespour faciliter les échangesuniversitaires à l’intérieurde l’UE. Parmi les plus im-portants nous pouvons ci-ter Socrates et Leonardo.Dans le cadre de Socratesdes centres d’informationNARIC (National Academic

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26PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Recognition InformationCentres) ont été créés. Cescentres, implantés dans cha-cun des Etats de l’Union, ontpour vocation d’informer etde conseiller les candidatset les institutions sur l’équi-valence des diplômes et lesprocédures de reconnais-sance académique et pro-fessionnelle.

• 1 - Pour avoir accès à l’emploi :

Des mesures communau-taires ont été prises pour fa-ciliter l’accès à l’emploi detous les ressortissants euro-péens à l’intérieur de l’espaceeuropéen.Les règles communautairesapplicables à la libre circu-lation énoncent que tout ci-toyen ayant la nationalitéd’un des quinze pays de l’UEou d’un pays de l’Espace éco-nomique européen (EEE) a ledroit de chercher un emploiet de travailler dans un autrepays de l’UE ou de l’EEE.L’accent est mis sur l’égalitéde traitement avec les natio-naux dans les conditions d’ac-cès à l’emploi. A l’exceptionde certains emplois du secteurpublic qui restent réservésaux nationaux, l’accès à tousles emplois est en principelibre aux ressortissants del’UE et de l’EEE. Toutefois,les conditions d’accès diffè-rent selon les métiers.

Les métiers réglementés né-cessitent impérativement undiplôme, un certificat ou unequalification particulière.Pour exercer ces métiers unereconnaissance profession-nelle s’impose, alors que pourles métiers non réglementésaucune reconnaissance pro-fessionnelle n’est exigée. Dansce dernier cas, l’appréciationdu niveau professionnel oudu diplôme du candidat ap-partient à l’employeur.

• 2.1 - Reconnaissanceprofessionnelle : accèsaux métiers réglementés

Pour les métiers réglementés,il faut distinguer deux sortesde reconnaissance :

� Une reconnaissance auto-matique pour les métiers quisont couverts par une direc-tive sectorielle.Sept professions (médecinsgénéralistes et spécialistes,infirmiers en soins généraux,dentistes, sages-femmes, vé-térinaires, pharmaciens etarchitectes) sont couvertespar cette directive. Pour exer-cer une de ces professions,le postulant bénéficie d'unereconnaissance automatiquelui permettant de travaillerdans un autre Etat membre.

� Une reconnaissance nonautomatique pour les mé-tiers qui sont couverts par leSystème Général. 8

Dans ce cadre, la reconnais-sance est garantie globale-ment par deux directives gé-nérales, l’une pour lesdiplômes de niveau Bac + 3et au-delà ( directive 89/48CEE), l’autre pour les di-plômes allant jusqu’au ni-veau Bac + 2 (directive 92/51CEE).

La Procédure

Le Système Général n'est pasun système de reconnais-sance automatique. Chaquedemande est examinée in-dividuellement par l'auto-rité compétente de chaqueprofession. Le postulant doitadresser sa demande à l’au-torité nationale compétentede la profession concernéedu pays dans lequel il souhaites’installer. Celle-ci a 4 moispour répondre. En cas dedifférence importante dans ladurée ou le contenu de laformation, elle peut impo-

ser au candidat soit uneépreuve d’aptitude, soit uneformation complémentaire,ou bien exiger une expérienceprofessionnelle de plusieursannées. La connaissance de lalangue du pays d’accueil, bienqu’elle ne soit pas imposée parles règlements communau-taires, est nécessaire pouravoir accès à l’emploi.

Sont concernés par ce sys-tème de reconnaissance mu-tuelle le secteur juridique,fiscal et comptable (avocat,expert comptable etc.), lesecteur paramédical (kiné-sithérapeute, aide-soignant,etc.), le secteur technique(ingénieur, ambulancier,etc.) et enfin le secteur socio-culturel (instituteur, ensei-gnant, etc.).

Conditions d’accès

Pour exercer un métier ré-glementé sous le système gé-néral les conditions suivantesdoivent être réunies :

•Le postulant doit avoir la na-tionalité d’un Etat membre ;

• Si la profession qu’il sou-haite exercer n’est pas régle-mentée dans l’Etat membred’origine, il peut être tenude prouver avoir exercé laprofession en question pen-dant au moins 2 ans dansl’Etat membre d’origine.

• Le candidat doit exercer lemême métier dans le paysd’accueil ;

• Il devait être pleinementqualifié dans son pays (Etatmembre ) d’origine et avoirobtenu son diplôme dansun Etat membre.

• Si le candidat n’a pas suivitoute ou une partie de sa for-mation dans un des paysmembres de l’Union, il serasoumis aux conditions sui-vantes : ses qualifications pro-fessionnelles doivent avoirété reconnues dans un Etat

membre ; il devra avoir exercécette profession pendant 3 ans (ou 2 ans dans certainscas) dans un Etat membreet posséder un certificat, dé-livré par cet Etat membre,attestant qu’il a effectivementexercé cette profession.

Les difficultés pourmettre en application

le système de reconnaissance professionnelle

En principe, le dispositif dereconnaissance profession-nelle donne le droit à chaqueressortissant européen des’inscrire auprès de l’ordredu métier reconnu et d’exer-cer son métier dans n’im-porte quel pays membre del’UE. L’accès aux emplois ré-glementés demeure néan-moins difficile notammentpour les raisons suivantes :

• Les professions réglemen-tées ne sont pas les mêmesdans tous les pays, chaquepays possède sa propre défi-nition des professions régle-mentées ;

• Les procédures de re-connaissance sont souventcomplexes et longues.

• Des mesures compensa-toires (stage d’adaptation,examen, nécessité d’une ex-périence professionnelle…)sont exigées pour certainesprofessions (par exemple laprofession d’avocat). Ces me-sures érigées comme des bar-rières protectionnistes sontsouvent utilisées par lesConseil de l’Ordre d’une pro-fession pour décourager lesressortissants étrangers.

• Des documents (origi-nauxdes diplômes ou pho-tocopie certifiée, attestation,etc.) sont souvent exigéscomme preuve de la qualifi-cation du candidat lors d’unedemande de reconnaissanceprofessionnelle. De ce fait,les personnes qui ne peuvent

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16PROASILE la revue de France Terre d’Asile

27PROASILE la revue de France Terre d’Asile

les fournir sont exclues dece système et ne peuvent avoiraccès aux emplois réglementés.C’est le cas de la plupart desréfugiés qui ont dû fuir leurpays d’origine en laissant der-rière eux tous leurs diplômeset papiers d’identité.

• Origine nationale des di-plômes : malgré les mesuresprises pour harmoniser letraitement des diplômes ac-quis dans un pays non-com-munautaire (voir ci-dessus,conditions d’accès aux mé-tiers réglementés ), les Etatsmembres restent libres d’ac-corder ou non l’accès à laprofession réglementée auxtitulaires de ces diplômesmême si le diplôme en ques-tion a été reconnu par unautre Etat membre.

•2.2 - Validation des acquisprofessionnels : nouvellevoie d’accès à l’emploi età la formation

La validation des acquis pro-fessionnels permet à l’indi-vidu de faire valoir les com-pétences acquises dans sonparcours « expérientiel ».Négliger ces acquis « est frus-trant pour la personne qui doitapprendre ce qu’il sait déjà à tra-vers ses acquis extra-scolaires ;et de plus répéter des savoirsdéjà acquis constitue une pertede temps et de ressources ».9

La validation des acquis fa-vorise la mobilité profession-nelle des salariés et la pro-motion sociale. En outre elleoffre une chance aux per-sonnes qui ne possèdent pasun diplôme équivalent au di-plôme requis pour accéder àl’université ou au marché del’emploi. Ce système de vali-dation est surtout reconnupour faciliter l’accès à la for-mation des populations endifficulté et favoriser ainsi leurintégration. Au premier abord, les diversesapproches nationales en ma-tière de validation des acquis

diffèrent considérablementd’un pays à l’autre. Certainspays pour des raisons socio-culturelles et historiques ontdes expériences plus avancéesque d’autres sur ce sujet. Parexemple, au Royaume-Uni,l’apprentissage extra-scolaireest reconnu comme un par-cours aussi valide que lesparcours formels d’acquisi-tion de compétences.Toutefois, depuis quelquesannées, la plupart des Etatsmembres de l’Union euro-péenne ont mis l’accent surle rôle crucial de la validationdes acquis professionnels pourrépondre aux besoins de l’éco-nomie en termes de mobilité.Dans l’ensemble des 15 paysde l’UE, des initiatives ont étéprises pour répondre aux be-soins de ces populations ; ainsila mise en place d’un systèmed’évaluation et d’orientationprofessionnelle est proposéepar la majorité d’entre eux. La communauté européennea encouragé ces initiatives.Le livre blanc de laCommission européenne « Enseigner et apprendre :vers la société cognitive »(1995) avait mis l’accent surla validation des acquis nonformels, et avait proposé l’idéed’une approche européennecommune dans le domaine del’identification, de l’évaluationet de la reconnaissance desacquis non formels. Par lasuite, la mise en œuvre desprogrammes tels queLeonardo a contribué à l’évo-lution des systèmes de vali-dation des acquis « expé-rientiels ».

v Libre circulation et installation, un des

enjeux de la reconnaissance desdiplômes et de la

validation des acquis

L’objectif essentiel du sys-tème de reconnaissance des

diplômes et de validation desacquis est de favoriser la librecirculation des personnes encontribuant à créer les condi-tions qui permettent l’éga-lité d’accès à l’emploi.Cependant ces dispositions re-latives à la liberté de circula-tion et d’installation au seinde l’UE ne concernent queles ressortissants de l’Union.Dans le cadre de la conven-tion de Schengen, les étran-gers non communautaires,notamment les réfugiés sta-tutaires, sont autorisés à cir-culer à l’intérieur du terri-toire Schengen dans la limitede trois mois ; mais cetteconvention ne leur accorde nile droit de travailler ni celuide s’installer au delà de 3 mois. Au regard de la libre circula-tion des personnes en Europe,on peut classer les différentespersonnes qui cohabitentdans l’UE selon les statutssuivants : « au premier rang,les citoyens de l’UE, qui jouis-sent de la libre circulation ;les suivent de près les étrangersmembres de la famille d’unressortissant de l’UE, dont lerégime de circulation est ali-gné sur celui des communau-taires ; puis les ressortissants desEtats tiers résidant dans unEtat membre, qui peuvent sedéplacer librement à l’inté-rieur de l’espace Schengen,mais dans une période limi-tée ; enfin les non commu-nautaires qui ne résident passur le territoire de l’UE, dontle droit de circuler est subor-donné à une déclaration d’en-trée sur le territoire de chaqueEtat Schengen dont ils fran-chissent la frontière » 10 .A ces difficultés de circula-tion et d’installation des res-sortissants non communau-taires, il faut ajouter lesproblèmes de reconnaissancede leurs diplômes et de leursqualifications. Comme nousl’avons déjà indiqué, les di-rectives communautaires sur

la reconnaissance profes-sionnelle ne couvrent que lesressortissants de l’UE.

v Peut-on parlerd’une égalité des chances

au sein de l’espace européen ?

Ces inégalités entre les res-sortissants communautaireset les non communautairesont été à maintes reprisessoulignées par les ONG etles associations qui sont encontact avec les populationsétrangères, en particulier lesréfugiés. La Commission européennea, elle aussi, mis l’accent sur« la nécessité d’assurer un trai-tement équitable aux ressor-tissants de pays tiers résidant lé-galement sur le territoire desEtats membres » 11 pour fa-voriser leur intégration à la so-ciété. La Commission notequ’ « actuellement, les res-sortissants des pays tiers ti-tulaires d’un titre de séjourlégal n’ont pas le droit de sé-jour dans un autre Etatmembre ». Pour changer cetétat qu’elle qualifie de dis-criminatoire, elle proposed’accorder à ces ressortis-sants un droit de séjour leurpermettant de s’installer dansn’importe quel Etat membreafin de suivre une formationou d’exercer un emploi. Dansl’article 12 de cette directive,elle soulève la question de lareconnaissance des diplômeset des conditions d’accès àl’emploi pour établir l’éga-lité de traitement des rési-dents étrangers de longuedurée avec les citoyens del’Union. Ces étrangers « doi-vent pouvoir bénéficier de la re-connaissance des diplômes dansles mêmes conditions que les ci-toyens de l’Union ». Ces propositions arrivent à unmoment où le marché de l’em-ploi est en pleine mutation et

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28PROASILE la revue de France Terre d’Asile

1 Pour avoir plus d’informations consulter: Claire Rodier, « Les grandes étapes dela construction de l’espace européen :de Rome à Amsterdam en passant parSchengen », in : Plein Droit, n° 49, avril2001, GISTI, pp. 36-41.2 Voir l’article 8A du traité deMaastricht, devenu l’article 18 après letraité d’Amsterdam.3 Claire Rodier, op. cit., p. 37.4 Par « acquis de l’expérience », nousentendons les compétences acquises, parune personne, dans sa vie quotidienne etprofessionnelle. Par exemple dans l’expé-rience canadienne, les femmes exigeaientla reconnaissance des « acquis expérien-tiels » issus du travail ménager et dubénévolat (voir Mehdi Farzad ; SaeedPaivandi. Reconnaissance et validation desacquis en formation.Paris : éd. Anthropos,2000, p. 3). Le terme « acquis de l’expé-rience » ou acquis « expérientiel » estemployé par opposition aux acquisitions

que le besoin d’une maind’œuvre, qualifiée ou non, sefait ressentir. La Commissioneuropéenne souligne d’ailleursl’intérêt économique de sespropositions : « l’évolution dumarché de l’emploi au seinde l’Union européenne faitapparaître des pénuries demain-d’œuvre dans certainssecteurs de l’économie ».Selonla Commission européenne,la mobilité des ressortissantsde pays tiers qui sont rési-dents de longue durée, « peutdonc faciliter une meilleureutilisation de la main-d’œuvreexistante dans les différentsEtats membres » . L’application de ces propo-sitions pourraient amélio-rer la situation sociale et éco-nomique des ressortissantsnon communautaires.Cependant, à l’heure actuelleleur mise en œuvre paraîtassez difficile, et malgré toutdes inégalités de traitementsentre les ressortissants com-munautaires et les ressortis-sants non communautairesrestent en vigueur. En fait,le rapprochement des pra-tiques nationales en ce quiconcerne la politique mi-gratoire s’avère difficile ; cha-cun des Etats membres semontrant très attaché à sasouveraineté lorsqu’il s’agit demaîtriser les flux migratoires.Les facteurs géographiques,historiques et sociologiquespropres à chaque pays en-traînent aussi des approchesdifférentes.

v En guise de conclusion

Les travaux de préparationde ce guide nous ont permisde constater que parallèle-ment aux mesures commu-nautaires visant à faciliter l’ac-cès à l’éducation et à l’emploide tous les ressortissants com-munautaires dans l’espaceeuropéen, chaque Etat a en-visagé des dispositions pour

protéger et valoriser son sys-tème d’éducation et de for-mation. Par exemple, malgréles conventions européennessur l’équivalence des diplômesmenant à l’admission aux uni-versités, celles-ci agissent d’unefaçon autonome et appliquentdes politiques d’admission deplus en plus sélectives vis-à-visdes étrangers . Le numerusclausus à l’entrée de certainesdisciplines n’a pas unique-ment pour fonction d’adap-ter le nombre d’étudiants auxcapacités de formation uni-versitaire, mais a aussi et sur-tout pour but de limiter lenombre des personnes en-trant dans la profession. Malgré les enjeux écono-miques soulignés par laCommission européenne, lespréférences nationales sonttoujours en vigueur et lespratiques de reconnaissancedes diplômes étrangers res-tent très variées d’un pays àl’autre, et même à l’intérieurd’un pays d’un établissementà un autre. Ces politiquesprotectionnistes contrarientles mesures prises par laCommission européennepour ouvrir l’accès des sys-tèmes d’éducation et de for-mation aux étrangers, et ceafin d’encourager la mobilitégéographique à l’intérieurde l’Espace européen. La situation des étrangersnon communautaires est en-core plus délicate que celledes autres étrangers. La sé-lection pour l’entrée à l’uni-versité ou l’accès au marchédu travail est plus stricte ;leurs diplômes et leurs qua-lifications sont souvent sous-évalués par la plupart desinstitutions.Ces inégalités de traitement,rendent plus difficile l’inté-gration des ressortissantsnon communautaires au sys-tème national d’emploi etde formation de chaque Etatmembre, et illustrent le fosséqui sépare le droit de la pra-

tique. La plupart des étudesmenées sur l’intégration desréfugiés en Europe citent lespoints suivants comme re-présentant les obstacles lesplus importants à une inté-gration réussie:

� L’insuffisante maîtrise dela langue du pays d’accueil ;

� La méconnaissance des sys-tèmes d’éducation et de for-mation du pays d’accueil ;

� L’absence d’informationssur le monde du travail dupays d’accueil ;

� Et enfin l’accès difficile à lareconnaissance des diplômeset des qualifications aux étran-gers.

Quelques recommandations

Nous pensons que les dis-positions suivantes pour-raient aider les ressortissantsnon communautaires à mieuxvaloriser leur qualificationet leurs diplômes lors desprocédures de reconnais-sance des diplômes et de va-lidation des expériences pro-fessionnelles :

� Simplifier les procéduresde reconnaissance des di-plômes et de la validationdes acquis ;

� Les diplômes et les expé-riences validés dans un paysmembre doivent être recon-nus automatiquement dansl’ensemble de l’UE ;

� Mieux informer les étran-gers sur les procédures de re-connaissance des diplômes etde validation des acquis afinqu’ils aient connaissance despossibilités qui leurs sont offerteset qu’ils ignorent parfois ;

� Renseigner davantage lesconseillers d’orientation surles procédures de reconnais-sance des diplômes et de vali-dation des acquis afin qu’ilspuissent mieux aider et orien-ter des personnes concernéesdans leur démarche ;

� Informer les étrangers surla société d’accueil et la si-tuation du marché de l’em-ploi ;

� Rassembler des renseigne-ments sur les systèmes d’édu-cation et de formation despays d’origine des étrangersà l’attention des établisse-ments de l’éducation natio-nale, mais aussi établir despoints contacts pour la re-connaissance professionnelle.Ces informations pourraientaider ces institutions à mieuxcomparer la formation sui-vie par le candidat par rap-port à celle dispensée dansl’Etat membre d’accueil ;

� Valoriser davantage les ac-quis « expérientiels » et dé-velopper des systèmes de va-lidation de ces acquis. Cesystème de validation pour-raient être un recours pourdes personnes qui ne peuventpas prouver leur qualifica-tion par des documents of-ficiels demandés dans la pro-cédure de reconnaissance desdiplômes ;

� Et enfin, réduire les res-trictions en termes de pré-férences nationales et ouvrirles procédures de recon-naissance des diplômes à tousles étrangers.

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16PROASILE la revue de France Terre d’Asile

29PROASILE la revue de France Terre d’Asile

résultant de formation académiques.(Voir Jacques Aubert et Patrick Gilbert,Reconnaissance et validation des acquis.Paris : PUF, Coll. Que sais-je ?, 1994, p.12).5 A l’exception des citoyens des pays où lalangue officielleest le français, les étudiantsallemands détenteurs de l'AllgemeineHochschulreife (diplôme général d'aptitu-de à suivre l'enseignement supérieur), lesétudiants qui possèdent le baccalauréatfranco-allemand et les étudiants quidétiennent le DALF (diplôme approfondide langue française).6 L’Espace économique européen(EEE)créé le 2 mai 1992 par le traité dePorto regroupe les 15 pays de l’UE et laNorvège, l’Islande, le Liechtenstein.7 L’accès aux établissements universi-taires (11 décembre 1953) ; la reconnais-sance académique des qualifications uni-versitaires (15 décembre 1959) ; la conven-tion de l’UNESCO sur la reconnaissancedes études et des diplômes relatifs à l’ensei-gnement supérieur adoptée en 1976 pourles Etats arabes et européens du bassinméditerranéen, et en 1979 pour les Etats dela « région Europe ». Cette dernièreconvention est en vigueur en Belgique, auDanemark, en Italie, aux Pays-Bas, auPortugal, en Espagne et au Royaume-Uni.8Référence : Guide pour l’utilisateur du sys-tème général de reconnaissance des quali-fications professionnelles / Commissioneuropéenne, Direction générale XV.9 Mehdi Farzad ; Saeed Paivandi.Reconnaissance et validation des acquisen formation, op.cit. 2000, p.2.10 Claire Rodier, op.cit., p. 40.11 Commission des Communautéseuropéennes. Proposition de Directivedu Conseil relative au statut des ressor-tissants de pays tiers résidents de longuedurée. Bruxelles, le 13/03/2001 COM(2001) 127 final.

12 Cet organisme d’échange universi-taires donne toutes les informations surles établissements allemands, les forma-tions offertes, les diplômes préparés, lesprogrammes d’échange et les possibili-tés d’équivalence. Un service d’informa-tion et de documentation est ouvert aupublic. Le DAAD délivre aussi diversesbourses (cours de langues, études,recherche…).

13 Sur l’accès aux métiers réglemen-tés pour les ressortissants de l’UE et lareconnaissance professionnelle, voir : lapartie du guide sur les systèmes commu-nautaires dans l’UE ; A la recherche d’unsystème référent commun.

Quelques extraits du guideAdmission des étrangers à l’université en Allemagne :

procédure

u A qui adresser sa demande ? (Voir 3. Quelques adresses utiles) – A l’établissement de l’université de son choix : service d’accueil des étudiants étrangers

(Akademisches Auslandsamat-AAA

– Au Réseau NARIC : kmk

– A la DAAD 12

– Au ministère de l’Education national de chaque Land

– ZVS. Pour certaines filières aux procédures d’admission centralisées.

u Quels documents fournir ?- La photocopie certifiée conforme du diplôme ou de la formation

- La photocopie certifiée des cours et des relevés de notesÈ Les documents ci-dessus nécessiteront une traduction assermentée dès lors qu’il nes’agira pas de documents écrits en anglais, français, espagnol, portugais, italien ou dansl’une des langues de l’Europe de l’Est.

- Une photocopie du passeport

- Un permis de séjour

- Un curriculum vitae

u Un test linguistique peut-il être imposé ?En principe, un test linguistique (DSH) devra être passé, sauf pour les étudiants étrangersqui ont obtenu leur baccalauréat en Allemagne ou dans un établissement scolaire allemandreconnu à l’étranger ou qui ont déjà obtenu certains diplômes de langue du Goethe Institutou le diplôme de langue de la Kultusministerkonferenz (kmk) Stufe II.

u Une sélection est-elle opérée ?Certaines filières à Numerus clausus ou saturées appliquent une sélection.Ainsi, en architecture, gestion, psychologie, médecine, vétérinaire, agro-alimentaire ou biolo-gie, ce sont les ZVS (voir 3. Quelques adresses utiles) qui centralisent les demandes et statuentsur l’admission en fonction des résultats scolaires.

u Un examen d’aptitude peut-il être imposé ?– Pour certains étudiants non ressortissants de l’UE (voir la liste en annexe 1) dont le certifi-cat de fin d’études secondaires n’est pas reconnu, un examen s’imposera : il s’agit duFeststellungsprüfung.Les conditions d’admission à cet examen varient selon les pays (voir la liste en annexe 1).Deplus, avant de passer le Feststellungsprüfung, les candidats doivent absolument suivre les coursde préparation du collège d'enseignement propédeutique (préparatoires) (Studienkolleg).

– Pour les candidats titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur et désirant pour-suivre leur formation universitaire en Allemagne, leurs diplômes et titres d’études supérieuresne pourront être reconnus en Allemagne que lorsque le candidat aura satisfait au passage d’unexamen de contrôle des connaissances et à la délivrance des attestations de succès à des courscomplémentaires.Pour les étudiants ressortissants de l’Union européenne, cet examen ne sera nécessaire qu’à par-tir du Doctorat.

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30

RessortissantsUE NON UE

Métiers Autres pays européens Pays tiers

Métiers réglementés L’accès est autorisé sous L’accès n’est autorisé que dans L’accès n’est autorisé que danscertaines conditions 13. des cas exceptionnels ou dans des cas exceptionnels ou dans

le cadre d’accords bilatéraux à le cadre d’accords bilatéraux.l’exception de certains payscomme, la Norvège, l’Islande,le Liechtenstein, où l’accès est autorisé selon les règles communautaires

Métiers non Egalité de traitements avec L’embauche pour l'exercice L’embauche pour l'exercice réglementés les nationaux. d'une profession est de la seule d'une profession est de la seule

compétence du futur employeur. compétence du futur employeur.

Secteur public Egalité des traitements avec Ils ne pourront accéder à la Ils ne pourront accéder à lales nationaux à l’exception fonction publique que dans des fonction publique que dans des de certains emplois. cas exceptionnels et avec l'accord cas exceptionnels et avec l'accord

des autorités compétentes. des autorités compétentes.

Permis de séjourÈ séjour inférieur à 3 mois : Les ressortissants de l’EEE, de Obligation de disposer d’uneaucun permis n’est nécessaire. Monaco, d’Andorre, du Sainte- autorisation de séjour valant

Siège bénéficient des mêmes autorisation de travail.È séjour de plus de 3 mois : avantages que ceux de l’Union. permis de séjour indispensable. Les autres ressortissants sontLa carte de séjour dont peuvent soumis à l’obligation de bénéficier tous les citoyens de l’autorisation de séjour valant l’union est délivrée sur présenta- autorisation de travail.tion de divers justificatifs.

Tableau récapitulatif sur l’accès des étrangers à l’emploi en France

BON DE COMMANDE

Je souhaite recevoir ................ exemplaire(s) au prix de 50 F. l’unité. (frais de port inclus).

NOM :...........................................................................................................................................PRÉNOM :...................................................................................................................................ADRESSE :....................................................................................................................................

Réglement par chèque bancaire ou postal à l’ordre de France Terre d’Asile ou virement postal sur le compte N° 30041 0000 1 1069564A020 21.

à retourner à France terre d’Asile – 25, rue Ganneron – 75018 PARISou envoyer par fax : 01.53.04.02.40

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16PROASILE la revue de France Terre d’Asile

31PROASILE la revue de France Terre d’Asile

La formation des conseillers d’insertion des réfugiés :le projet Reflect

Par Ahmed CHTAIBAT*

La mise en œuvre de ces projets européens enfaveur des réfugiés a été aussi une occasion pources organisations de confronter leurs pra-tiques en matière d’intégration profession-nelle des réfugiés et de développer des ac-tions communes.

Cette année, France Terre d’asile contribue enpartenariat avec des organisations anglaise,hollandaise et tchèque,1 à un projet dénomméReflect ( Refugee Flexible Learning CommonTraining ), et consistant à la production dansle courant de l’été 2001 d’un CD- ROM àl’usage des conseillers emploi – formation desréfugiés dans les quatre pays. Cet outil pré-sentera de manière interactive un référentielen deux parties qui traduit leurs activités et leursfonctions en termes de compétences :

La première partie analyse les compétencescommunes à ces conseillers dans les 4 pays, abs-traction faite du contexte institutionnel. Cescompétences d’ordre relationnel et pédagogiquesont requises pour la conduite méthodique destâches d’information, d’orientation et de suivides réfugiés. Elles constituent le cœur de l’ac-tivité de terrain du conseiller emploi – for-mation.

La deuxième partie s’attache à l’exercice deces compétences génériques dans le cadre dessystèmes emploi – formation nationaux, cequi implique une bonne connaissance des op-

portunités offertes par l’environnement so-cio-économique et des partenaires, la capacitéà développer des relations de partenariat avecles différents acteurs du système. Cette connais-sance de l’environnement, des dispositifs etdes outils d’insertion légitiment son actionaux yeux des usagers comme des commandi-taires.

Le conseiller emploi – formation des réfu-giés exerce son activité au sein d’un centred’hébergement, d’un centre de formation,d’une agence pour l’emploi ou auprès d’uneassociation. Il est toujours au centre d’un ré-seau relationnel dense et complexe au seinduquel il doit constamment :

1. assurer une fonction de médiateurentre les réfugiés et les acteurs publics et pri-vés du système emploi – formation de la so-ciété d’accueil.

2. élaborer des stratégies réfléchies d’in-tervention sur l’offre et la demande d’inser-tion dans le but d’optimiser les parcours d’ac-cès à l’emploi des réfugiés.

Conçu comme un outil d’auto formation desconseiller emploi – formation, ce CD ROMcontient aussi quantités d’informations rela-tives aux conventions internationales en matière

d’asile et d’intégration des réfugiés au sein del’union européenne et aux dispositifs et outilsd’insertion professionnelle dans les quatre pays(sources bibliographiques, sites Internet..).

A l’image des travailleurs sociaux intervenantauprès des réfugiés, les conseillers emploi – for-mation s’interrogent sur leur savoir faire ac-quis au fil des années et sur le sens de leur mis-sion. Certes, l’hétérogénéité des parcoursprofessionnels reflète la richesse des motiva-tions et des compétences mobilisées pour ac-compagner les réfugiés vers l’emploi, mais celasignifie aussi que les qualifications requisespour accéder à ce métier ne sont encore ni clai-rement définies, ni pleinement reconnues.

A cet égard, le projet Reflect constitue un es-sai de définition commune de l’identité pro-fessionnelle des conseillers chargés de l’in-sertion des réfugiés.

* Responsable du Réseau d’Accueil

Remerciements à Naji RACHIDI du PôleInsertion de Créteil, Eric METRA et AhmedKOURCHI du CERF pour leur collaboration auprojet.

1 Il s’agit respectivement du World University Service(WUS ) , University Assistance Fund (UAF )etOrganizace Pro Pomoc Uprchlikum (OPU).

Reflect est un programme interactif d’auto-formation pour les personnes qui souhai-tent développer leurs compétences deconseil aux réfugiés en acquérant laconnaissance de leurs besoins en matièred’éducation et d’emploi. De plus, c’est unmoyen utile pour les personnes qui tra-vaillent déjà sur les problèmes des réfugiés.Il peut également être utilisé pour desrecherches plus poussées concernant ledéveloppement des structures proposées etmises en place pour les réfugiés en Europe.

Depuis 3 ans, France Terre d’Asile a mené en partenariat avec des ONG nationales et européennes plusieursprojets d’intégration professionnelle des réfugiés. Le caractère essentiel du travail dans le processus d’intégrationau sein de nos sociétés et la nécessité de donner un contenu économique et social à la protection accordée auxréfugiés que nous accueillons justifient cette implication.

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32

Insertion sociale et Insertion professionnelledes réfugiés :

la nécessaire mutualisation des compétencesPar Ahmed CHTAIBAT

I - Quel accompagnement professionnel des réfugiés ?

L’intervention du conseiller emploi - formation porte es-sentiellement sur la situation de la personne qui le consulteau regard de sa qualification et de son employabilité. Iltente d’y parvenir en favorisant la prise de conscience dece dernier de ses atouts et de ses faiblesses et en lui ap-portant un soutien psychologique et méthodologique dansle cadre d’un parcours d’insertion à visée professionnelle.

Pour ce faire, le conseiller procède à un diagnostic mé-thodique et global de la situation du réfugié. Ce diagnos-tic sert à identifier les freins à l’insertion de l’usager. Dansle cas des réfugiés ayant récemment obtenu leur statut,ces freins sont généralement liés à :

1. des écarts entre les compétences effectivement dé-tenues par les réfugiés et celles exigées par la marché dutravail. La formation, sous toutes ses formes, est géné-ralement la réponse appropriée à ce type de difficultés.

2. des difficultés d’orientation liées à des représentationsde la formation et de l’emploi en décalage par rapportaux réalités de la société d’accueil. Ces dissonances co-gnitives sont souvent le reflet de la façon dont le réfugiénégocie sa relation avec la société d’accueil.

3. des problèmes périphériques à la formation et à l’em-ploi au sens strict mais en lien avec les conditions psy-chologiques, culturelles et économiques dans lesquelles

se déroule leur accueil au sein de la société d’accueil. Il n’existe pas de solutions - standard à ces difficultés.La réponse pertinente est celle qui d’une part identi-fie de manière précise les effets de ces obstacles et d’autrepart prend en considération la façon dont le réfugié sereprésente lui même sa problématique d’insertion.

Croire que le réfugié qui vient voir le conseiller emploi –formation sait toujours ce qu’il veut et que la prestationd’accompagnement consiste à répondre à la demande ex-plicite est une illusion. Le conseiller emploi – formationdoit toujours se prémunir contre le risque de se trouverpoussé à sortir de son propre champs d’intervention ets’aventurer dans des terrains comme l’aide psychologique.Son travail s’apparentera alors à une sorte de thérapie sau-vage, en réalité un lieu de déplacement nié de part et d’autreavec les conséquences qui peuvent être extrêmement pré-judiciables pour l’un et l’autre.

Agir pour lever les obstacles à l’insertion relève parconséquent d’une véritable stratégie d’intervention.Lorsque certains freins identifiés sont périphériquespar rapport à la question de l’emploi et de la for-mation, le conseiller doit affiner son diagnostic enen répondant aux questions suivantes :

1. Comment repérer ces difficultés personnelles, so-ciales et psychologiques, et mesurer leurs effets sur larecherche de formation et d’emploi ?

La prise en compte par le conseiller emploi – formation de la situation globale des réfugiés ayant

obtenu récemment leur statut permet d'améliorer sensiblement les résultats de leur parcours

d’intégration et par conséquent de celui des membres de leurs familles. Inversement, ne pas prendre

en compte les handicaps provoqués par la situation de l’exil, amène le plus souvent à investir à perte

dans des actions de formation ou de recherche d’emploi dont l'efficacité est bien moindre que ce que

l'on pourrait en attendre. Ceci dit, l’exigence de la prise en compte de la situation globale des réfugiés

ne saurait se confondre avec une prise en charge de l’ensemble des problèmes qu’ils rencontrent durant

le processus de leur installation au sein de la société d’accueil

* Responsable du Réseau d’Accueil

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16PROASILE la revue de France Terre d’Asile

33PROASILE la revue de France Terre d’Asile

2. Comment faire prendre conscience au réfugié que cesdifficultés sont des obstacles qui doivent être levés ?

3. Ces obstacles justifient – il ou non l’appel à un ser-vice spécialisé ? Quand traiter ces difficultés : en amont,pendant ou en aval des actions d’insertion ?

4. Comment et avec quels moyens, puis je orchestrer lesinterventions des travailleurs sociaux pour lever cesobstacles ?

II - Travailler en relais : oui mais comment ?

De manière pragmatique, le travail en relais avec d’autrespartenaires s’impose de lui même au conseiller emploi –formation. Celui ci a intérêt à mobiliser d’autres acteursde l’insertion sociale et professionnelle que se soit pourvalider ses hypothèses de travail ou pour bénéficier d’uncertain nombre de compétences qui lui font défaut.

Pour les réfugiés, le travail en relais avec les familiariseavec les institutions et les travailleurs sociaux qualifiéspour résoudre les difficultés qu’ils rencontrent. La miseen relation des réfugiés avec les partenaires rend possibledes apprentissages sociaux cruciaux pour la réussite deleur intégration sociale et professionnelle. Les interactionsqui ont lieu au cours de cette mise en relation favorisentl’appropriation de l’environnement et le développementde l’autonomie.

Cette démarche permet en même temps de casser la ten-tation de dépendance qui peut s’instaurer entre un ré-fugié et un conseiller emploi – formation « hyper puis-sant »puisqu’il prend en charge la globalité de la situationdu réfugié.

Ceci dit, l’efficacité d’un travail en relais n’est jamais ga-rantie à priori. La qualité du travail en relais implique quele conseiller emploi – formation ait bien identifié le be-soin et repéré le partenaire le plus approprié pour inter-venir.

Or, il arrive que ce besoin soit complexe et multidimen-sionnel. De plus, les différents acteurs de l’insertion sontsouvent imbriqués dans des dispositifs à logiques contra-dictoires voire concurrentes.

Un exemple d’objectifs contradictoires ? le conseiller em-ploi – formation du centre d’accueil des réfugiés travailleavec une personne en vue d’un accès rapide à l’emploiafin qu’elle ait les ressources suffisantes pour avoir un lo-gement autonome mais la formation linguistique délivréepar l’organisme de formation à ce réfugié est sans viséeprofessionnelle, voire non rémunérée.

Le travail en réseau doit reposer sur une stratégie réflé-chie et partagée entre partenaires. Que ce soit pour don-ner un sens a un réseau déjà en place ou pour le dévelop-per, cette stratégie ne peut faire l’économie d’uneinterrogation commune portant sur les points suivants :

1. Se connaître mutuellement : structure et acteurs

2. Identifier les enjeux de chaque partenaire

3. Identifier les logiques d’action et les responsabilitésdes partenaires

4. Expliciter les domaines de compétences et lesconditions d’interventions

5. Elaborer collectivement les circuits de circulation del’information

6. Elaborer des modes d’articulations des interventions.

En somme, l’identité professionnelle que s’attribue leconseiller emploi - formation, celle que lui attribuent sespartenaires, ses ressources internes et externes jouent unrôle décisif dans le sens que le conseiller emploi – forma-tion souhaite donner à sa mission d’accompagnement desréfugiés vers la formation et l’emploi.

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34PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Quelle est la fonctionpremière des politiquesd’insertion ?

Je fonde ma réponse surma définition large des po-litiques d’insertion, la-quelle englobe politiquesd’emploi, politiques so-ciales, les 35 heures,…etc.,autrement dit, toutes les in-terventions directes sur lemarché du travail.

A mon avis, bien que lacréation d’emploi puisse ré-sulter de la mise en œuvredes politiques d’insertion,ce n’est pas leur fonction es-sentielle.

Je pense que le rôle essen-tiel des politiques publiquesd’insertion consiste à inté-grer des personnes qui nepeuvent pas naturellements’intégrer, autrement dit ence qui concerne la France,les moins qualifiés. EnFrance, des raisons structu-relles du système productiffont que les risques pour lesmoins qualifiés d’être auchômage sont plus impor-tants que dans beaucoupd’autres Etats industriali-sés. Il s’agit d’inverser la ten-dance, et de faire en sorteque les moins qualifiés puis-sent se raccrocher aumonde de l’emploi, c’est àdire non seulement aumonde du travail, mais demanière plus générale aumonde de l’entreprise.

Pourquoi les personnes lesmoins qualifiées au regardde notre système de produc-

tion seraient-elles confron-tées en France à des difficul-tés particulières, au regarddes autres pays développés ?

Deux causes importantesfont qu’en France, les moinsqualifiés sont confrontés àdes difficultés particulières :Contrairement à ce que l’onentend souvent, l’utilisationdes nouvelles technologiesdans le monde du travail nesupprime pas plus d’emploisqu’elles n’en créent. Parcontre, de nombreusesétudes montrent que, dansles pays développés en gé-néral, les technologies de lacommunication et de l’in-formation sont intrinsèque-ment défavorables aux per-sonnes les moins qualifiées,contrairement à la périodeprécédente du taylorisme,qui « consommait » beau-coup de travailleurs nonqualifiés. Et pour cause, laplupart des chefs d’entre-prise pensent qu’une per-sonne qualifiée retirerabeaucoup plus d’un ordina-teur qu’une personne nonqualifiée. En effet, il ne s’agitpas seulement de manipu-ler les nouvelles technolo-gies, mais de créer le maxi-mum à l’aide de ces derniers.Les conséquences concrètesde ce raisonnement sont fla-grantes aux Etats Unis, oùles non qualifiés sont moinspayés, ou encore en France,où ils se retrouvent souventau chômage, à moins d’oc-cuper des postes précaires.

Cette réelle difficulté pourles personnes non qualifiées

se combine en France avecune conception un peu tay-lorienne de la production etde l’économie. En France,contrairement à des payscomme l’Allemagne et leJapon qui essayent de réduireles hiérarchies et préfèrentles fonctions horizontalesaux postes extrêmement ri-gides ou encore à uneconception de grande divi-sion du travail, il existe uneséparation très importanteentre l’apprentissage et la « mise à l’emploi ».

Je pense que l’on peut trou-ver des solutions construc-tives à ces problèmes dansla conception interactivesur laquelle se basent lesdeux pays sus cités enexemple. Dans le cadre decette conception, les jeunesen formation apprennentde l’entreprise, qui elle-même s’adapte en fonctionde l’évolution de la forma-tion et des jeunes. Cetteproblématique d’échangeégalitaire, qui correspond àcelle de l’apprentissage dualen Allemagne, est totale-ment en phase avec uneconjoncture évolutive,contrairement à la concep-tion de subordination del’apprentissage à l’entre-prise.

J’estime par conséquent cesystème interactif, qui com-mence par une connexiondirecte avec l’entreprise, plus« intelligent » que le systèmetaylorien et plus conformeà la période actuelle.

Evidemment, je parle d’in-teractivité multiple, d’unehorizontalité dans la for-mation, c’est à dire l’inser-tion des travailleurs en ap-prentissage dans l’activitéde plusieurs secteurs de plu-sieurs entreprises, afind’éviter le lien de subordi-nation entre l’entreprise etla personne en formation.

Quelles sont les mesuresd’insertion les plus adé-quates à ce que vousnommez l’interactivité ?

Il existe trois grandes caté-gories de mesures :

� le pôle formatif :

Ce pôle concerne les sys-tèmes qui séparent la for-mation de l’intégration ausein de l’entreprise. Cessystèmes conduisent à unepolitique de surqualifica-tion très défavorable auxmoins qualifiés. En effet,pour contourner la rigiditédu système français, les en-treprises adoptent deuxtypes d’attitudes : elles em-bauchent soit les plus qua-lifiés, soit les moins quali-fiés sous contrats précaires.

Selon les termes de PhilippeZarifian, ces « organisationsqualifiées » se basent sur « l’élite », contrairementaux « organisations quali-fiantes » dont l’objectif estde qualifier le plus de per-

Les politiques publiques d’insertion en france

Entretien avec Simon WHUL

* Professeur associé de sociologieà l’université de Marne la Vallée

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16PROASILE la revue de France Terre d’Asile

35PROASILE la revue de France Terre d’Asile

sonnes possibles. Ce typede système s’avère donc trèscritiquable.

� Le pôle « utilité sociale » :

Ce pôle englobe tout ce quiconcerne les contrats « Emploi Solidarité » (CES).Ces contrats ne sont pascréateurs d’emploi, et par-ticipent à mon avis très peuà l’intégration des moinsqualifiés. Ces emplois tem-poraires à mi-temps ne rè-glent en définitif pas lesproblèmes d’insertion.Je ne comprends pas les em-plois-jeunes dans cette ca-tégorie mais je les estime unpeu à part, car ils ne concer-nent pas les moins qualifiés.

� Le pôle économique :

Il peut apporter plus d’in-teraction. En effet, il ne suf-fit pas d’adapter les per-sonnes à l’entreprise, maisil faut également faire bou-ger les organisations du tra-vail pour obtenir une véri-table interaction. Si le pôleéconomique était massive-ment utilisé pour les publicsen difficulté, notamment lecontrat de qualification, lesconditions seraient plus fa-vorables. Malheureusement,le contrat de qualificationest assez peu exploité. Il estle plus souvent utilisé pardes jeunes qui auraient detoutes façons réussi à s’in-sérer dans le monde du tra-vail sans avoir recours auxmesures d’insertion.L’exploitation du rôle d’in-sertion du contrat de quali-fication est donc loin d’êtreoptimale. Ce pôle mesemble le plus adapté à ladéfinition que je donne à lapolitique d’insertion.

L’insertion des étran-gers requiert-elle desmesures particulières,eu regard à l’appré-hension que suscitentces derniers auprès desemployeurs ?

Le contact direct avec l’en-treprise constitue toujoursune meilleure approche quela formation en dehors del’entreprise, qui plus estpour les publics issus del’immigration, souventconfrontés à une méfiancegénéralisée.

En effet, les appréhensionssont moins difficiles à sur-monter à ce moment là quelors de la recherche d’em-ploi. Par expérience, j’ai vuen contrat qualification lesdites appréhensions tomberen quelques jours à comp-ter de la mise en contact dutravailleur étranger avecl’entreprise. On constatedonc encore une fois l’effi-cacité de l’interactivité.

L’ « économie solidaire »,dont vous faites mentiondans l’ouvrage « l’exclu-sion-l’état des savoirs »,est-elle adaptée à une in-sertion « interactive » ?

« L’économie solidaire »n’est pas destinée à résoudreles problèmes de l’emploimais à être mise en œuvreen aval. Dans ma proposi-tion, l’économie solidairecompléterait un systèmed’économie souple s’inspi-rant du modèle germaniqueune fois les problèmesd’emploi des jeunes et despersonnes en difficulté ré-solus. J’entends par « éco-nomie solidaire » une mu-tualisation des logiques defonctionnement du service

public, du privé et éven-tuellement du bénévolat. Engénéral, dans le fonction-nement de la société, lestrois logiques sont cloison-nées, chacune à ses règles.

Or chacune ne peut ré-pondre à tous les besoins dela société mais sont com-plémentaires.

De manière générale, lespays qui s’adaptent le mieuxaux fluctuations perpétuellesde l’économie sont en géné-ral ceux qui ont une sou-plesse suffisante. J’entendspar souplesse, non pas laflexibilité liée aux licencie-ments ou emplois précaires,mais la souplesse due à unecertaine qualité de travail.

Dans les années 80, deuxpays étaient toujours citésen exemple – l’Allemagne etle Japon – car les flexibilitéinterne, qualité des organi-sations de travail et adapta-tion aux marchés dévelop-pés par ces pays ne sefaisaient non pas par des li-cenciements et recrutementscomme dans les pays dits « ultra libéraux », mais parune souplesse dans la qualitéde l’organisation du travail.

Il est vrai qu’actuellement,ces deux pays modèlesconnaissent des problèmesde fonctionnement, mais ilfaut éviter d’en tirer desconclusions trop hâtivestelles que la remise en causede leurs politiques d’emploi.

En effet, ces dysfonctionne-ments s’expliquent toutsimplement par l’absorptionde l’Allemagne de l’Est ence qui concerne la RFA, etles retours quelque peu né-fastes de la « bulle spécula-tive » sur l’économie réelledu Japon. Ces deux pays

réussissent donc finalementà faire face à leurs difficultéssans heurts majeurs.

Propos recueillis par Fatiha MLATI

et Anne POUSSON

1 Simon Whul a participé à l’ouvrage

« L’exclusion – l’état des savoirs » ; co

écrit sous la direction de Serge

Paugam ; éditions la découverte,

Chapitre 43 « politiques de l’emploi et

politiques d’insertion ».

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36PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Mutation et non criseBernard GRUYER*

Les 20 à 25 dernières années demutations sociales et écono-miques qui se sont traduites parles phénomènes de précarisationet d‘exclusion ne doivent pas êtreimmédiatement oubliées à causede la reprise de l’emploi.

Plusieurs raisons doivent nous inci-ter à tirer les enseignements de cettepériode :

- la reprise de l’emploi peut être àla fois de courte durée et créatrice deprécarité,

- Les dégâts sociaux, voire socié-taux causés par la dérégulation so-ciale de la période 75-2000 sont pro-fonds et dureront de toute manièreassez longtemps.

Il nous paraît donc illusoire de pen-ser que la reprise de l’emploi à elleseule pourrait conduire à un retour àla régulation des 30 glorieuses. Lesfractures sont profondes et peut êtreprémonitoires d’une société qui estentrée dans un cycle de mutationspermanentes.

Dans tous les cas, plusieurs mythesse sont écroulés durant ces dernièresannées :

Premièrement celui du « progrès »entendu comme progrès matériel etéconomique seul vecteur de nos rêveset nos destins tant individuels quecollectifs. « La société du plus vautmieux », selon l’expression critiquede A. GORZ 1.

Autre mythe largement écorné quecelui du travail, ou plutôt de l’emploicomme principal voir unique vecteurd’intégration.

Travail, emploi et revenus

D’abord quelques précisions métho-dologiques :

Le travail, c’est ce que possède enpropre le travailleur. Sur le pseudo « marché du travail », le travailleurvend son travail, il est l’offreur.Dans la période récente, nousavions donc trop de travail et man-quions d’emploi. Soit une situationparticulière, généralement la sala-riat qui est une construction juri-dico-économique qui permet auxtravailleurs d’extérioriser ce qu’ilsont en eux, c’est à dire le potentielou la capacité à travailler.

D’autres mots existent en françaispour évoquer des phénomènes trèsproches du travail : activité, ouvrage,jeu, création. Ces termes se réfèrent àl’activité productrice humaine maissont plus éloignés de la situation detype emploi. Le mot travail lui mêmevient du latin tripalium (instrumentde torture) ; dans le langage popu-laire on utilise les mots turbin (mo-ment où l’on turbine comme unemachine), le chagrin (sans commen-taire), on allait à la mine ou la tôlepour désigner l’usine ou l’atelier.

Voilà donc des travailleurs bien « masochistes » qui, privés de leurtorture, de leur chagrin et libérés deleur enfermement se retrouvent sur lapente dangereuse de l’exclusion. Lesrevenus de compensations (alloca-tions diverses et minima sociaux) nefaisant qu’amortir la chute.

Tout ceci nous renvoie à un ques-tionnement plus aigu sur la notionde travail, et finalement pourquoitravaillons nous ?

A notre sens nous pouvons distin-guer au moins 3 pôles de retenus :

Le pôle 1 est clairement utilitaristeet se réfère à la seule dimensionmatérielle.

Le pôle 2 est partagé entre l’utili-taire (le revenu dans le temps), etdes sentiments de sécurité et d’as-surance.

Le pôle 3 est par contre essentielle-ment subjectif et ne se réfère que trèspeu à la philosophie utilitariste.

Chaque travailleur selon ses pen-chants, ses ressources, ses contrainteset ses opportunités, compose un re-venu global dans lequel il arbitre lepoids de ces différents revenus.Pourtant notre regard porte princi-palement sur le pôle 1 et à unmoindre degré sur le pôle 2. Les re-présentations utilitaristes dominentles autres éléments plus subjectifs etsymboliques, le pôle 3 est très sou-

* Socio-économiste, consultant, Directeurdu cabinet ABER.

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37PROASILE la revue de France Terre d’Asile

vent minoré dans l’analyse de notrepropension à travailler.

Du travail à la question de l’insertion

Ce détour par la question du travailnous renvoie directement à l’inser-tion.

Puisque l’exclusion et la précaritéviennent des dysfonctionnementsdu « Grand Intégrateur » (pour re-prendre l’expression d’Yves Barel)moderne qu’est le « travail » ou plu-tôt l’emploi, il faut et il suffit de re-créer de l’emploi pour réinsérer.

Puisque le principal revenu issu dutravail est de type utilitariste, d’abordsous forme de monnaie et en secondsous forme de sécurité, il faut et ilsuffit d’ouvrir des droits à un revenude compensation pour gérer la filed’attente du retour à l’emploi.

Nous aboutissons ainsi à une visionassez mécanique de l’insertion où leprécaire et l’exclu pourraient êtreinsérés comme l’on insère « unepièce mécanique dans un moteur ».Cette vision utilitariste et mécanistede l’insertion nous a trop souventpermis l’économie d’une réflexionsur ce que signifie insérer.

Ainsi l’essentiel de l’effort collectifporte sur les moyens monétairespour le versement d’une allocationet les moyens humains (fonction pu-blique ou para publique) pour gé-rer la file d’attente. Le tout organiséet codifié dans une logique instru-mentale où les procédures et le dis-positif descendants obscurcissent lesfondamentaux de l’insertion.

Pourtant, l’écoute des personnes endifficultés fait presque toujours res-sortir les éléments positifs quandune situation d’insertion est bienconstruite. Ils parlent de dignité et defierté, d’écoute, de parole, de rup-ture et de solitude, de reprise deconfiance en soi, de capacités re-trouvées à « agir sa vie ».

En clair, ils nous parlent avant toutdu pôle 3, celui de la subjectivité, ce-lui de la reconstruction d’un sujetet de la dimension de la relation auxautres.

Des situations d’insertion bienconstruites

Il n’existe pas à proprement parler derecettes, mais plutôt des éléments ba-siques que l’on retrouve dans toutesles expériences réunies :

- Partir d’une situation concrète oùles personnes vont FAIRE. C’est à direpartir du geste pour aller progressive-ment vers l’abstraction, le savoir etnon l’inverse. Eviter toutes situationsqui raviveraient un « échec social »souvent en amont des problèmes d’in-sertion.

- Utiliser le plus possible une orga-nisation du transfert des compétencesde type compagnonnage. La mise enplace de binôme – personne en dé-but de parcours travaillant avec uneautre déjà bien avancée dans son par-cours – est souvent très efficace.

- Organiser les situations en fonc-tion de difficultés progressives

- Réintroduire de la règle en l’ados-sant aux situations réelles et non pasde la règle pour la règle. Démontrerl’utilité et le bien-fondé de la règle, lafaire valider par le groupe.

- Les meilleurs encadrants d’inser-tion ne sont pas forcément lesmeilleurs techniciens de l’activité choi-sie. Ils doivent combiner des compé-tences techniques, pédagogiques et so-ciales. Des personnes ayant suivi unparcours identique sont souvent detrès bons encadrants.

- Plus que dans toutes les situationsde travail, la règle du « zéro mépris» doit être appliquée. Il est impor-tant d’aller au delà en valorisant cequi est fait.

- Si les situations d’insertion doi-vent être basées sur des situationsconcrètes, elles doivent aussi être leplus chargée possible en symboliquepositive. Ce sont ces symboliques quipermettront de travailler sur le désir defaire, le sens de l’action et finalementl’énorme énergie que les personnesdoivent mobiliser pour sortir de leursdifficultés.

- Réinsérer, c’est aussi accompagnerune personne pour qu’elle se reposi-tionne dans le collectif, dans l’échange.Si l’emploi permet l’accès à l’échangeéconomique, n’oublions pas que leséchanges sociaux, à minima sont aussiimportants.

En deçà (au sens d’infrastructure) del’échange marchand, si l’on suit lestravaux de Marcel Mauss 2, préexistel’échange de réciprocité. Donc favo-riser les échanges de réciprocité dansle groupe et à l’extérieur du groupeest essentiel pour casser l’image et lescomportements de l’assisté.Etre « bénéficiaire de », c’est être enpermanence inféodé car l’on ne peutrendre.Permettre aux personnes de se re-positionner dans le cycle du don 3

sert à la fois à les réinsérer au sensfort du terme, et à les accompagnervers une dignité retrouvée.

Bibliographie : co auteur avec BernardSaint Germain et Bernard Brunet de l’ou-vrage « La lutte contre l’exclusion dansles territoires ruraux », Documentationfrançaise, collection Pratiques de l’inter-communalité.

1 Référence bibliographique : André GORZ

« Misères du présent – Richesses du possible »,

édition Galilée-19972 Référence bibliographique : Marcel Mauss,

« sociologie et anthropologie », édition PUF,

collection Quadrige.3 Sur le thème du Don, plusieurs numéros de

la revue du MAUSS et particulièrement les

articles de Alain Caillé, peuvent être consultés

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38PROASILE la revue de France Terre d’Asile

La lutte et la détermination de l’Etat pourfaire régresser les attitudes discrimina-toires dans le domaine de l’emploi se sontappuyées sur les travaux de laCommission nationale consultative desdroits de l’homme, par ceux du HautConseil à l’Intégration et enfin par le rap-port de Monsieur Jean-Michel BELOR-GEY sur l’adéquation de nos structuresadministratives à la lutte contre les dis-criminations.

Le 11 mai 1999, la table ronde l’Etat etl’ensemble des partenaires sociaux, per-met de constater la progression du phé-nomène discriminatoire dans la sphèreéconomique.

Dans le même temps, cinq grandes orien-tations ont été proposées par l’Etat pourcombattre la discrimination au travail.Cette politique approuvée par tous a étéconfirmée et élargie depuis.

Première orientation : mieux comprendre et connaître lespratiques discriminatoires : créa-tion d’un « groupe d’étude sur lesdiscriminations »

Toutes les études menées ces dernièresannées montrent que les pratiques dis-criminatoires touchent également ceuxqui ont la nationalité Française, qui sontstigmatisés parce qu’ils « ont l’air »…

La création d’un observatoire d’analyseapparaissait donc nécessaire. Sous laforme d’un groupement d’intérêt public,le « groupe d’étude sur les discrimina-tions » (GIP-GED) a pour but de les étu-dier, réelles ou supposées, pour mieuxles comprendre et les combattre. Sonchamp d’action couvre l’emploi, le loge-ment, les services publics, l’éducation etl’ensemble de la vie sociale du pays.

Au delà des membres fondateurs* quiont signé la convention constitutive duGIP le 15 avril 1999, le GIP a été ouvertfin janvier 2000 à d’autres ministères, ad-ministrations ou instances publiques(DOM-TOM, santé, économie et fi-nances, INSEE, agriculture, DGEFP,

Médiateur de la République, CILPI) et àd’autres partenaires, notamment le pa-tronat et les syndicats, les grandes asso-ciations de lutte contre le racisme, l’an-tisémitisme et la discrimination.

Le directeur de la Population et des mi-grations a été élu président du conseild’administration.Un conseil d’orientation a également étémis en place, composé le 17 membresnommés pour trois ans, qui sont pour laplupart des chercheurs et des universi-taires. Bientôt des experts de terrainpourront les rejoindre dans leur groupede travail.

Deuxième orientation : mobiliser et renforcer la formationde tous les acteurs publics et pri-vés à la lutte contre les discrimi-nations

La formation des acteurs est une préoc-cupation particulièrement importantedans la mesure où le racisme et les dis-criminations se nourrissent de peurs etd’ignorances.

1) Former et sensibiliser les agentsdu service public de l’emploi à laprévention et au traitement des dis-criminations raciales

Cette action concernera les agents del’ANPE, de l’AFPA, des services décon-centrés du Ministère de l’Emploi et de laSolidarité et du réseau s’accueil desjeunes.

ANPE :

� Participation accrue des agents del’ANPE au programme de formationd’acteurs de l’insertion professionnelledu FAS

� Formation des agents en trois modules(déontologie, prise et traitement del’offre, traitement de la demande) dis-pensées lors du recrutement ou d’unepromotion.

AFPA� Formation dans les 280 établissements,d’une personne-ressource, chargéed’intervenir comme médiateur dansles situations de ségrégation raciale àl’encontre du bénéficiaire de l’AFPA.

Réseau des missions locales et des PAIO :

Module de formation destiné au per-sonnel des missions locales et des PAIO,afin de lutter contre la discriminationraciale et mise en œuvre de programmesprioritaires d’accompagnement desjeunes vers l’emploi (Emploi-jeunes, par-rainage, TRACE…).

Services déconcentrés du travail (DR-TEFP, DDTEFP, inspection du travail) :– En formation initiale, mise en placed’un module d’une semaine, destinéaux élèves inspecteurs du travail,contre les discriminations.

– En formation continue, organisationles 8 et 9 mars 2000 d’un séminairede travail, réunissant 150 personnesdu service public de l’emploi.Egalement, la mise au point de stra-tégies et de formations sur la mé-thodologie de contrôle des agents del’inspection du travail

En juillet 2001, un projet a été déposédans le cadre du programme européenEQUAL pour mener au cours des pro-chaines années une action concertée desensibilisation sur l’ensemble des com-posantes du service public de l’emploi.Il sera développé avec le Portugal.

2) Former les militants syndicaux

Il s’agit de renforcer la formation des mi-litants des confédérations syndicales à lacompréhension des différences cultu-relles. Pour cela un programme d’actionset de sensibilisation est mis en place parles pouvoirs publics en concertation avecles centrales syndicales et pouvant s’ap-puyer sur le soutien du FAS.

Programme de lutte contre les discriminations dans le monde du travail :

bilan des actions mises en œuvrePatrick AUBER*

* Direction Emploi Formation – Ministère del’Emploi et de la Solidarité

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39PROASILE la revue de France Terre d’Asile

3) Sensibiliser et former le salariésdes entreprises

L’objet est d’aider les salariés des entre-prises à prendre en compte l’égalité deschances, la diversité du personnel et de laclientèle. Ces actions s’adresseront à ceuxqui ont une responsabilité dans le do-maine de l’embauche et de la carrière,ou de l’accueil et du suivi des personnesnouvellement arrivées.

L’Etat apportera son appui et son sou-tien financier au travers du FSE, en par-ticulier par la conclusion de conventionsavec des branches professionnelles, desOPCA, des chambres consulaires, desgrandes entreprises.

Troisième orientation : développer le parrainage des jeunesvers l’emploiLe parrainage est une démarche d’ac-compagnement personnalisé, durant larecherche d’emploi et pendant les pre-mières semaines de travail. Cela concernedes jeunes rencontrant des difficultésd’insertion professionnelle.Cette démarche, réalisée par des béné-voles, des salariés d’entreprises ou desnouveaux retraités, donne d’excellentsrésultats et lutte efficacement contre lesdiscriminations (16000 jeunes par an,contre 10000 en 1998). Elle vient égale-ment en appui aux mesures du PNAE(Plan National d’Action pour l’Emploi),et du programmes TRACE, NouveauDépart.Pour aides au développement du par-rainage, une charte nationale et deschartes régionales sont signées avec desreprésentants du monde économique etsocial.

Quatrième orientation : inscrire la lutte contre les discri-minations dans les contrats de ville

Les personnes étrangères ou issues del’immigration représentent près de 40%des populations urbaines. Les comitésinterministériels à la ville de juin et dé-cembre 1998 ont inscrit ce thème parmiles prochains contrats de ville :

- dans le mandat de négociation, donnéaux préfets pour la conclusion desnouveaux contrats de ville, l’inser-tion professionnelle des immigrés etla lutte contre les discriminations ontconstitué des priorités.

-Sur les conclusions du rapport parle-mentaire Rodriguo-Bourguignon (juin1999), un guide méthodologique vient

d’être réalisé, pour servir de support dansles opérations de formation et d’accom-pagnement des acteurs locaux, de façonà faciliter la mise en place de plans terri-toriaux de lutte contre les discrimina-tions sur le marché du travail.

Cinquième orientation :envisager les modifications légis-latives de nature à donner unemeilleure efficacité à la lutte contreles discriminations raciales

L’arsenal juridique français est, dans unelarge mesure, efficace pour lutter contrele racisme et les discriminations.

Toutefois, quelques aménagements juri-diques ont été proposés aux partenairessociaux, à la lumière des propositions durapport présenté par Monsieur Jean-Michel BELORGEY et intégrés dans uneproposition de loi votée par l’AssembléeNationale le 3 avril 2001 et par le Sénatle 25 juin 2001. � L’aménagement de la charge de lapreuve, la possibilité pour les syndi-cats de saisir la justice à la place desvictimes,

� le renforcement des pouvoirs de l’ins-pection du travail,

� le suivi de ce thème par la commis-sion nationale de la négociation col-lective.

Ces dispositions tiennent égalementcompte des prescriptions contenues dansles directives européennes et notammentcelle du 29 juin 2000 sur l’égalité de trai-tement entre les personnes sans distinc-tion de race ou d’origine ethnique. C’estainsi que la notion de discrimination in-directe, définie par cette directive, est in-troduite dans le code du travail.

Enfin, et indépendamment des travauxde la table ronde, il a été décidé d’abor-der dans le débat public, la question desdiscriminations légales fondées sur le cri-tère juridique de la nationalité (étant pré-cisé que cela ne concerne pas la fonctionpublique). Pour l’examen de cette ques-tion, trois actions ont été retenues par leministère de l’emploi et de la solidarité :

�Une action de repérage des professionsprivées y compris des professions li-bérales, qui sont fermées aux étran-gers. Une convention d’étude a été éta-blie en juillet 1999 entre le ministèreet Bernard Brunhes Consultants. Ellenous a démontré fin novembre de lamême année que plus de 1.2 millionsd’emplois privés étaient soumis à desconditions de nationalité ou de di-plômes français ;

� Une étude des statuts et conventionscollectives de grandes entreprises etétablissements publics, dans le do-maine industriel et des transports quicontiennent une clause de nationalité(ex : EDF-GDF, SNCF, AIR-France,…).Un groupe de travail interministériels’est réuni à partir de novembre 1999,sous la présidence de la Direction dela Population et des Migrations(DPM), afin de formuler des propo-sitions concrètes tendant à supprimerles clauses de nationalité existantes ;

� Une étude conduite par la Direction dela Sécurité Sociale montre que la trèsgrande majorité des emplois sont ou-verts aux étrangers. C’est ainsi que sur untotal d’environ 170000 emplois, moinsde 3000 sont fermés aux étrangers.

Le GIP-GED s’est appuyé sur l’ensemblede ces travaux pour en approfondir lesconclusions su travers d’un groupe detravail qui a préconisé en mars 2000, l’ou-verture aux étrangers sur l’ensemble desemplois publics et privés, à conditionqu’ils ne contribuent pas à l’exercice dela souveraineté ou ne comportent pasl’utilisation directe ou indirecte de pré-rogatives de puissance publique.

Enfin, le premier ministre a réuni le 18mars 2000 aux assises de la citoyennetéet de la lutte contre les discriminations,1000 personnes, dont 700 jeunes qui ontpu exposer les problèmes qu’ils rencon-trent, notamment dans l’accès à l’emploi.

De nouvelles mesures vont renforcer lapolitique mise en place depuis 1998 :

� Création le 16 mai 2000 d’un numérod’appel gratuit (le 114) à destinationdes victimes de discriminations. Il ren-voie la solution des cas vers les secré-tariats permanents des CODAC, les-quels doivent recontacter les personnesdans les 15 jours et assurer le traite-ment des signalements. Début 2001,Ce numéro d’appel a été rattaché auGIP-GED. Il produira également unrapport annuel sur les discriminationsraciales en France et les moyens de lescombattre. Le GIP en conséquencechange de dénomination pour devenirle Groupe d’Etude et de Lutte contreles Discriminations (GIP-GELD) ;

� Sanction dans le code pénal des dis-criminations à l’encontre des stagiaireslycéens et étudiants ;

�Mise en place de 5000 formations ré-munérées pour préparer les concoursde la fonction publique ;

� Décision de principe sur l’ouverturedes emplois actuellement fermés auxétrangers dans le secteur privé et dansles établissements publics, sous réserved’un examen au cas par cas.

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POUR LA RECONNAISSANCE D'UN VERITABLE DROITA L'APPRENTISSAGE DE LA LANGUE FRANCAISE

A TOUS LES MIGRANTS

La connaissance de la langue française est primordiale pour tous les migrants désireux de vivreen France et de mener à bien leur projet d'installation dans notre pays.Ce n'est pas seulement une condition nécessaire et indispensable pour parvenir à accéder le mieuxet le plus rapidement possible à une élémentaire autonomie, c'est aussi et surtout une conditionde l'épanouissement personnel et familial, culturel et professionnel.Ne pas connaître la langue du pays constitue un grave handicap qui fragilise les personnes, lesrendant dépendantes et donc plus vulnérables.Pouvoir apprendre la langue, c'est se donner les moyens de communiquer, de parler, d'échanger,de comprendre, de se défendre, de se confronter à une autre culture et à d'autres codes, c'estpouvoir choisir de s'ouvrir à d'autres et ne pas être contraint au repli sur soi ou entre membresd'une seule et même communauté.Apprendre la langue française, c'est le moyen d'accéder à la citoyenneté, sans pour autant renoncerà sa culture et à sa propre langue.Nous pensons que les freins à l'apprentissage du français constituent la première des discriminations.Force est de reconnaître, dans notre pays, le caractère aléatoire de l'accès à cet apprentissage. Si,pour les migrants appartenant à des catégories sociales favorisées, les moyens financiers, lecapital culturel et les réseaux personnels permettent cet accès de façon relativement aisée, pourles autres, l'offre de qualité demeure très largement insuffisante et inaccessible malgré l'ampleurdu bénévolat, les efforts des associations et, parfois, la volonté politique.Sans sous-estimer l'effort personnel que nécessite l'apprentissage linguistique, nous pensons queles pouvoirs publics se doivent de tout mettre en oeuvre pour démocratiser son accès et ouvrir unvéritable « droit à l'apprentissage du français ». Nous avons tous, tout à y gagner.Les formations linguistiques doivent être pleinement reconnues au titre de la formationprofessionnelle, elles doivent aussi être accessibles à tous ceux et celles qui le souhaitent.

II revient aux pouvoirs publics de reconnaître le DROIT A L'APPRENTISSAGE DE LA LANGUEFRANCAISE, DE LE DEFINIR ET DE L'ORGANISER EN CONCERTATION AVEC TOUS LESPARTENAIRES CONCERNES.Paris, le 12 juillet 2001

Ce texte est à l'initiative de la Fédération des AEFTI (association pour l'enseignement et laformation des travailleurs immigrés et leurs familles) qui fête, cette année, ses trente ansd'existence, un parcours jalonné par les luttes pour l'égalité des droits, le droit à la formationpour tous, un parcours riche en pratiques et expériences en matière de formation linguistique.Ce texte a été élaboré à la suite du séminaire du 15 juin 2001 réunissant des associations,des institutions et des syndicats.II vise à créer une dynamique autour d'un collectif d'associations et de personnalités afin demodifier la perception et le comportement des acteurs et des systèmes en matière d'accès àla langue, condition première de lutte contre les discriminations et de promotion de lacitoyenneté, ce dans un contexte social économique et culturel en permanente mutation.

Pour tout contactJean Bellanger - Kamel JendoubiFédération AEFTI - 16 rue de Valmy - 93100 Montreuiltél : 01 42 87 02 20 - Télécopie: 01 48 57 58 85 - E-mail : aeftifd aol.com

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41PROASILE la revue de France Terre d’Asile

INTERNATIONAL

Quels sont les acteurs en présence ?

Différents acteurs et divers intérêts entrent en lignede compte :

Tout d’abord, l’Etat, traditionnellement chargé de ga-rantir l’Etat de Droit, et donc de disposer notammentd’un système judiciaire efficace, révèle de graves la-cunes. Le pays est confronté à un grave problèmed’impunité, ainsi qu’à l’utilisation massive des forcesarmées sur l’ensemble du territoire national.Tout au long du mandat de M. Pastrana, chef du gou-vernement, les tortures, assassinats et « disparitions »se sont multipliés. Les dirigeants sociaux et politiques(défenseurs des Droits de l’Homme, membres d’ONG,syndicalistes, journalistes, personnel du système ju-diciaire), sont continuellement persécutés, laissanttransparaître l’impuissance du gouvernement. Auxvictimes de violation des Droits de l’Homme s’ajou-tent plus de 2 Millions de personnes déplacées par lamenace et la force.

Les élections gouvernementales de l’année pro-chaine laisseraient-elles poindre une lueur d’es-poir ?

Les forces de la guérilla : Les FARC (Forces ArméesRévolutionnaires de Colombie) et l’ELN (Armée deLibération Nationale). Ces forces sont indépendantesde l’Etat. Les objectifs que se sont fixés les forces dela guérilla ne justifient aucune violation des Droitsde l’Homme ; la justice sociale peut être à notre avispromue uniquement à l’aide de mesures pacifiques.Les FARC – les plus nombreuses – sont accusées denarco guérilla. Protectrices des champs de cultures decoca et des trafiquants de drogues, elles tirent de cesactivités une grande source de profit. Constituent éga-lement une importante source de revenus les rançons

exigées lors des nombreux kidnapping qu’elles com-manditent, ainsi que les impôts prélevés dans certainsvillages. La structure para militaire, née au travers de mesurescréant des groupes armés chargés de défendre les in-térêts des propriétaires terriens, a évoluée, utilisantdes moyens d’une extrême violence. Il existe actuel-lement différents groupes de paramilitaires au soldede différents acteurs. Les paramilitaires sont auteursdes principales violations des Droits de l’Homme enColombie (selon des statistiques récentes, on parle deplus de 80% des violations perpétrées). Le gouvernement prétend mener une politique fron-tale de lutte contre les atrocités commises par les pa-ramilitaires, mais on constate dans la réalité que laplupart des violations restent sous le couvert de l’im-punité. Aujourd’hui, plusieurs rapports d’Organisationsde défense des Droits de l’Homme démentent les dis-cours officiels dans lesquels l’Etat colombien nie sys-tématiquement tout lien avec les paramilitaires. Ces derniers défendent également les intérêts écono-miques de multinationales et de particuliers. Ainsi, lesparamilitaires effectuent souvent le « sale boulot » enpénétrant des régions riches d’intérêts économiquesparticuliers, décimant les villages et repoussant les po-pulations. Ces violations se déroulent en toute impu-nité, laissant les civils seules victimes.

La situation semble d’une telle complexitéque l’on voit difficilement quelle en estl’origine…

Un élément, trop rarement analysé joue un grand rôlede déclencheur et de maintien de la situation catas-trophique actuelle de violence en Colombie. Derrièretout cela, malgré les énormes ressources de la

* Coordinatrice de « Social Alert ».1

Entretien avec Isabelle HOFERLIN*

Quel avenir pour la Colombie ?

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42PROASILE la revue de France Terre d’Asile

Colombie, la pauvreté et les écarts sociaux considé-rables entre pauvres et riches ont beaucoup d’impor-tance. Il existe un décalage inacceptable entre lagrande richesse du pays et le peu de moyens de lamajorité des habitants. Selon des statistiques de l’Institut National d’EtudesSociales, en 1997, les 10% les plus riches de la po-pulation colombienne possédaient 58.4% du RevenuNational, tandis que les 10% les plus pauvres ne bé-néficiaient même pas de 0.3% de ce même Revenu,alors qu’en 1992, les 10% les plus riches de la popu-lation possédaient 33% du Revenu National. Ces sta-tistiques montrent bien la dégradation de la situation,laquelle s’explique en grande partie par la mise enœuvre de politiques néo libérales axées sur trois motsd’ordre : privatisation, ouverture et flexibilité. Aucunservice social minimal n’est garanti.

Beaucoup de dirigeants sociaux se sont opposés etcontinuent de s’opposer à ces mesures, et ont été et res-tent victimes de vio-lences (par exemple,dans les années1990, lors de la pri-vatisation des télé-communications, unegrève massive a étéorganisée par les or-ganisations syndi-cales, ce qui a valu la prison à plusieurs dirigeants so-ciaux accusés de terrorisme, alors que le droit de grèveest garanti dans la législation colombienne).

La majorité de la population travaille dans les sec-teurs informels, créant leur propre « entreprise » ouau travers d’activités autonomes pour réussir à ra-mener quelque argent à leur famille. Les enfants tra-vaillent également, cherchant à trouver le service àrendre qui pourrait leur apporter un peu d’argent.L’évolution de cette situation déplorable dépend engrande partie de la volonté de l’Etat en matière depolitiques sociale et de l’emploi. Pour attaquer le pro-blème à sa source, il faudrait que l’Etat garantisse untravail décent aux parents, une éducation et des soinsde qualité pour tous, etc. Un discours bien sûr éloi-gné des postulats néolibéraux, selon lesquels la maininvisible du marché doit tout réglementer, selon les-quels le meilleur Etat est celui qui exerce une fonc-tion minimale, le meilleur syndicat est celui qui n’existepas, et le meilleur syndicaliste, celui qui se tait oudisparaît…

Le problème de la production de coca s’explique engrande partie dans ce contexte de politiques néolibé-rales, qui prônent d’une part le désinvestissement del’Etat en matière de crédit rural, d’assistance tech-nique, de subvention aux petits paysans en général,et d’autre part, l’ouverture des frontières et l’entrée deproduits alimentaires importés, ce qui a entraîné laruine du secteur agricole. Certains paysans se sontdonc « rabattus » sur la production de coca, beaucoupplus rentable que celle des autres produits agricoles,

mais au combien plus néfastes en fin de compte poureux, leur communauté et l’ensemble du pays. Dans ce contexte, il faut bien entendu faire la diffé-rence entre les petits producteurs, qui essaient péni-blement de vivre de leurs cultures, et les trafiquants,qui seuls s’enrichissent véritablement avec l’argentde la drogue.

Quelles solutions envisager pour une situationaussi obscure ?

Le gouvernement de Pastrana a tenté de mener des né-gociations de paix avec les deux forces en présence,en commençant avec les FARC, puis l’ELN. Cependant,la violence a continué malgré le processus de paix.Pastrana a présenté un plan de « développement »pour le pays, sous le nom de « plan Colombie ». Orce plan a été présenté comme un plan militaire delutte contre le trafic de drogue aux Etats Unis, et

comme un plan socialà l’Union européenne.Social Alert a alorscommencé une actionde lobbying avec desdizaines d’associationscolombiennes, euro-péennes et améri-caines, afin que les

gouvernements ne se prononcent pas en faveur de ceplan. Une aide a malheureusement déjà été octroyéeaux Etats Unis, qui se chiffre en milliers de dollars,et qui se traduit par une aide directe au travers dematériel militaire, appui militaire. L’Union européenne,quant à elle, s’est prononcée clairement contre le « plan Colombie », mais en faveur d’un plan alterna-tif d’aide à la Colombie. Des aides ont été promisesrécemment, mais pour l’instant, aucun Fonds européensne semblent avoir été envoyés en Colombie.

La situation s’avère critique, quasiment de guerre.

Cependant, il s’agit de ne pas céder au pessimisme,mais de croire aux solutions en se basant sur les pointspositifs et les opportunités à saisir:D’une part, un espoir est mis dans les prochaines élec-tions de 2002. D’autre part, il existe des communautés de paix n’as-pirant qu’à vivre dans la paix, le travail et la tran-quillité.Les leaders sociaux également, notamment le syndi-cat CGTD de Colombie, dont le Secrétaire Général estl’une des personnes les plus menacées de mort enColombie depuis des années, continuent la lutte mal-gré les persécutions car ils savent que le travail so-cial qu’il peuvent mener au jour le jour contribueraau moins à améliorer la situation des travailleurs co-lombiens.

L’aide extérieure ne peut être la seule réponse, elle nesuffira pas. La Colombie doit également se donner lesmoyens de résoudre ses problèmes internes.

Il existe un décalageinacceptable entre

la grande richesse du payset le peu de moyens

de la majorité des habitants.

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La solution doit venir de l’intérieur, soutenue par uneaide extérieure significative. Elle dépend en grandepartie d’une volonté politique forte, dans un pays oùles gens n’aspirent qu’au travail et à la tranquillité,et où la société civile se montre très active. La volontéde la population, la persistance des acteurs sociaux,l’aspiration majoritaire à la paix doivent constituerle socle du processus de pacification.

Le gouvernement a essayé d’adopter des mesurescontre la violence à l’encontre les défenseursdes Droits de l’Homme notamment : Commentse fait il que la législation, déjà si pauvre, soitsi peu appliquée ? Est ce une impuissance ouune volonté du gouvernement de laisser les actesdes paramilitaires impunis ?

L’inefficacité du système judiciaire etl’incapacité du gouvernement à maîtri-ser la crise colombienne jouent un grandrôle. A cela s’ajoutent la corruption àtous les niveaux – étatique et privés, etla défense d’intérêts spécifiques.Certaines mesures ont été adoptées, maisce sont plus des mesures ponctuelles quede fonds, qui traitent le problème à labase. En effet, de nouvelles structuresapparaissent pour lutter contre les Droits de l’Homme,mais en pratique, la violence ne cesse de croître (plusde 60 dirigeants syndicaux ont été assassinés depuisle début de l’année, sans compter des dizaines de per-sonnes déplacées ou disparues).

Un autre exemple de mesure inappliquée est la me-sure prévoyant que les paramilitaires auteurs de crimessoient jugés devant une Cour civile. Les résultats sontassez maigres par rapport au nombre de cas dénon-cés en Colombie.

Il faut souligner que l’Etat colombien lui même est au-teur de certaines violations des Droits de l’Homme,par l’intermédiaire de certains de ses agents. Une loicondamnant les auteurs de violations au sein du gou-vernement a été adoptée, mais, malgré quelques ar-restations, aucune condamnation n’a été prononcée.

Comment une coalition comme la votre peutelle donc intervenir sans prendre partie, afind’aider aux pourparlers en vue du rétablissementde la paix ? En effet, il n’existe pas deux forcesen présence mais plusieurs dont ungouvernement « faible », dans lesquelless’imbrique les problèmes du trafic de drogue,de corruption, de violence décuplée…

L’interlocuteur est le gouvernement co-lombien. En effet, même inefficace, c’estla structure démocratique représentantofficiellement la population colom-bienne, et chargée de défendre l’Etat deDroit et d’appliquer la justice.

Seule une culture de la paix et de lajustice, pourrait contrer la culture de laviolence et de la corruption, qui signi-fie un travail sur le long terme. Afin de

construire un avenir sur des bases saines, il s’agiraitnotamment d’éduquer les enfants à croire à la paix,renforcer les acteurs sociaux et permettre qu’ils agis-sent sans menace, donner un emploi décent aux pèreset mères de famille colombiens. d’apprendre d’autresmoyens d’expression et de survie que la violence. Lemanque d’éducation et la pauvreté des familles, lechômage, les discriminations raciale et sociale en-traînent la violence. Il faudrait donc mettre tous enœuvre pour sortir de ce « cercle vicieux ».

Propos recueillis par Anne POUSSON

un espoirest mis dans les

prochainesélectionsde 2002.

1 - Social Alert est une coalition internationale chargée de la défense des droits économiques, sociaux et culturels dont les membres sont les suivants :

– Pax Christi International (PCI)– Jeunesse Ouvrière Chrétienne Internationale (JOCI)– Confédération Mondiale du Travail (CMT)– Wereldsolidariteit – Solidarité Mondiale (WSM)– Mouvement Mondial des Travailleurs Chrétiens (MMTC) observateurs

579, chaussée de Haecht1031 Bruxelles

Belgique00 32 2 2463607

E-mail : [email protected]

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44PROASILE la revue de France Terre d’Asile

En octobre 1994, ce fut à grands renforts de publi-cité que les médias du monde entier ont couvertl’événement « opération retour à la démocratie enHAITI », qui marquait le rétablissement au pouvoirdu Parti LAVALAS de Jean Bertrand ARISTIDE, quifut un président démocratiquement élu, mais ren-versé 7 mois après par un sanglant coup d’Etat mi-litaire. Les protagonistes internationaux de ce retourau pouvoir, tels que l’Administration CLINTON,l’Organisation des Etats Américains (OEA) etl’Organisation des Nations Unies (ONU), affichaientce jour là leur autosatisfaction et paraissaient assu-rés que cet acte annonçait de manière irréversiblela rentrée d’Haïti dans le cercle des Nations démo-cratiques.

Cependant, malgré l’euphorie du moment, quelquesrares secteurs haïtiens et des républicains au congrèsaméricain, invitaient à ne pas confondre le retour deJ.B. ARISTIDE au pouvoir avec le retour à la démo-cratie. En effet, durant sa courte présidence, M ARIS-TIDE ne s’était pas comporté de manière démocra-tique, à l’instar des militaires haïtiens qui l’avaientrenversé. Aujourd’hui, 7 ans après, le résultat de cetteopération est extrêmement lourde de conséquences,et le désenchantement apparaît profond, y comprisdans les rangs de l’OEA et l’ONU. Un bref panoramaconcernant les droits de l’homme, la politique et le so-cial nous permettra de faire le jour sur le comporte-ment du parti LAVALAS au pouvoir :

1) Droits de l’homme

Sur le plan des droits de l’homme, le bilan est effa-rant : un sénateur, trois députés, une avocate, MmeMireille DUROCHER BERTIN, des journalistes, no-tamment Jean DOMINIQUE, des hommes d’église telsque le Père Jean PIERRE-LOUIS et le pasteur LEROY,des commerçants, et de nombreux citoyens paisiblesont été assassinés. De récents événements sanglantsse réalisent au nom de la politique « tolérance zéro »

mise en œuvre par J.B. ARISTIDE, revenu au pouvoirdepuis cinq mois pour remplacer son ami PREVAL.Cette politique « tolérance zéro » prône en réalité l’éli-mination physique et sans aucune forme de procèsde toute personne désignée comme zenglendos ou vo-leur. Dernièrement, un homme a été déchiqueté à coupde machette à Cabaret, et son cadavre fut brûlé parune bande qui a délibérément agi au nom de la po-litique dite « tolérance zéro » . En fait, le forfait re-proché à cet homme est d’avoir aidé une famille haï-tienne à bénéficier d’un visa américain. Quelquestemps auparavant, deux jeunes avaient connu le mêmesort dans la ville d’Arcahaie. Selon le maire de la ville,ils sont des inconnus dans la zone. Bref, on ne peutpas enregistrer un mois en Haïti sans l’évocation depareilles scènes de violence dans une ville de pro-vince ou dans la capitale. Le Wall Street journal dansson édition du 6 juillet 2001, a rapporté que, selon unmembre du Service américain d’Intelligence et de lasurveillance contre le trafic de la drogue dans la ré-gion des Caraïbes, « la violence et l’impunité ont at-teint un niveau si élevé en Haïti que même les baronsde la drogue de la Colombie sont en train d’aban-donner ce pays ».

2) Politique

Depuis les élections législatives contestées de mai2000, et la présidentielle de novembre 2000, l’OEAs’affaire à trouver une solution à la crise politiquepost électorale haïtienne. Le secrétaire général del’OEA, César GAVIRIA, ainsi que son assistant MrLuigi EINAUDI, semblent de plus en plus empêtrésdans une série d’hésitations concernant la questionhaïtienne. En juin lors de leur rencontre au COSTARICA, ils avaient contre toute attente totalement en-dossé le plan de J.B. ARISTIDE en mettant de côtétoute revendication des Partis de l’opposition, de la

Haïti - la démocratie n’est pas au rendez-vous !Par Casimir MONEL*

* Enseignant haïtien engagé dans l’opposition, ancien candidat à ladéputation en 2000

INTERNATIONAL

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45PROASILE la revue de France Terre d’Asile

société civile, et différents secteurs des églises catho-liques et protestantes. Leur approche avait déclenchéune série de réactions négatives, tant en Haïti qu’auxEtats Unis, à un point tel que Wall Street Journal avaittaxé de honteuse l’approche de cette institution parrapport à la crise haïtienne. L’OEA tente d’obtenirquelques légères concessions de J.B.ARISTIDE en ma-tière de démocratie contre la promesse d’aides étran-gères. Malgré une multitude de tentatives de dialogue,aucun accord n’a vu le jour jusqu’à présent entre leParti LAVALAS et l’opposition.

3) Social

Sur le plan social, le pays s’enfonce dans une mi-sère effroyable doublée d’une déstructuration totalede tout système administratif, judiciaire et écono-mique. Confrontés à des dégradations systématiquesde leurs conditions de vie, les haïtiens sont forcés de

reprendre le chemin de la mer pour se rendre à Miamiou aux Bahamas. Récemment, l’Agence Reuter a rap-porté qu’un bateau haïtien de 15 passagers mais entransportant 93 a fait naufrage non loin de l’île desBahamas. Des requins ont dévoré 11 d’entre eux. « Ils risquent leur vie sur les mers ouvertes à causedu manque de nourriture, de travail et d’argent enHaïti », a déclaré le pasteur d’une église des Bahamas.La même semaine, une patrouille de la garde côteaméricaine a sauvé en pleine mer 183 réfugiés haï-tiens qui étaient sur un bateau en bois de 40 piedsde long. Une semaine plus tard, un équipage de 25autres haïtiens fut récupéré par des marines au largedes Bahamas, 4 d’entre eux furent retrouvés morts.

Enfin, l’opération « retour à la démocratie »en Haïti est tout simplement un échec qui invite à la réflexion tant les haïtiens que lesétrangers.

Cette politique « tolérance zéro » prône en réalitél’élimination physique et sans aucune forme

de procès de toute personne désignée comme zenglendos ou voleur.

Du 27 novembre au 15 décembre

Vernissage le 28 novembre à 18H30

MJC Les Hauts de Belleville43/45 rue du Borrego75 020 PARIS

M° Télégraphe

les jeunes mineurs isolés accueillis par France terre d’Asileà Boissy Saint Léger

« galeries portes ouvertes / mairie de Paris » « mois d

e la photo »

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46PROASILE la revue de France Terre d’Asile

ETHIQUE ET HUMANISME

Entre normes et stratégies :la question de l’éthique dans le travail socialPar Gérard MOUSSU*

Rationnel : dans la mesure où,comme pour l'école ou la santé, ons'interroge sur les effets résultant d'uneallocation de moyens toujours plusimportante affectée à l'action socialedepuis vingt ans. La vogue de l'éva-luation des politiques publiques a desrépercussions en cascade sur les ef-fets des choix techniques réalisés danstel ou tel secteur : internat ou familled'accueil, aide à domicile ou place-ment spécialisé, prévention spécialiséeou médiation culturelle, type d'ac-compagnement social pour le RMI.Pour chacune de ces modalités de trai-tement social d'un problème, se posela question de la mesure des effets deschoix opérés.

Éthique : du fait d'un souci de plusen plus affirmé, développé par denombreux professionnels, de confron-ter les conceptions sous-jacentes àleurs pratiques à l'aune d'un regardphilosophique dégagé d'enjeux poli-tiques immédiats.

Politique : un des effets de la dé-centralisation a été, notamment, derapprocher les techniciens des éluset de provoquer une réflexion sur lesenjeux politiques du travail social,ceci dans une perspective moins « marquée » idéologiquement que cen'était le cas dans les années 1970 oùl'influence de la sociologie critiqueempêchait toute analyse socio-poli-tique du travail social qui ne soit pas

caractérisée par les conceptions ducontrôle social et du quadrillage so-cial. Durant les années 1990, on a vu sedévelopper un ensemble de travauxqui relevaient du deuxième type d'ap-proche: le souci éthique a remplacé lacritique radicale des années 1970. Acet égard, les références théoriques leplus souvent citées sont révélatricesde ce mouvement d'idées. Les années1970 vont être dominées par la socio-logie critique et la psychanalyse ; M. Foucault et F. Guattari en sont alorsles référents emblématiques. La dé-cennie quatre-vingt verra le courant« Bourdieusien » s'imposer puis parta-ger son influence avec un question-nement de nature philosophique où P. Ricœur et J. Rawls vont s'imposerprogressivement comme les référencesdominantes implicites1

Le propos qui suit consiste à définirles prémisses d'une analyse du travailsocial à travers le questionnementéthique:

• dans un premier temps, il s'agitd'analyser les raisons qui expliquentl’émergence de l’intérêt pour l’éthique;

• dans un second temps, j'exposeraibrièvement quelques perspectives sous-jacentes à une nouvelle compréhen-sion du travail social, notamment lerapport entre l'éthique réflexive et lafonction politique du travail social.

L'origine de l'intérêt pour l'éthique

La « demande » d'éthique naît des mu-tations sociales et culturelles qui ontaffecté les sociétés industrielles depuistrente ans. A une période marquée parla confiance dans l'avenir -- les TrenteGlorieuses - succède une période ca-ractérisée par l'incertitude, les risquesmajeurs dérivant de choix technolo-giques (nucléaire, biologique, alimen-taire..) les « dégâts du progrès » et la so-ciété du risque remplacent le bonheurprogrammé pour la fin du XXè siècle.

L'affaiblissement des idéologies et durôle intégrateur des grands discourspolitiques et religieux cède la placeà une inquiétude sur le devenir desindividus plongés dans une « accélé-ration de l'histoire » et confrontés àl'exigence d'accomplissement de soiet de performance2 . Ce processus de« désenchantement du monde » et desécularisation accompagne la mon-tée du chômage et la déstructurationdes modes de vie ouvrière durant lesannées 1970 et 19803.

Ces phénomènes, largement décritset analysés par les sciences sociales,provoquent une montée des incerti-tudes et des attentes en matière d'ac-

* Sociologue, responsable du pôle animation- perfectionnement - recherche, IRTSd'Aquitaine.

Les domaines d'activité qui relèvent du travail social sont légitimement questionnés, et cela demanière renouvelée depuis une dizaine d'années, par des approches critiques de type rationnel, éthique ou politique.

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47PROASILE la revue de France Terre d’Asile

ETHIQUE ET HUMANISME

tion sociale. L'Etat-providence nes'efface pas - bien au contraire -mais étend son filet récupérateuraux « normaux sunumeraires »comme l'indique R. Castel. Dans lemême temps, on assiste à la substi-tution des valeurs caritatives qui ca-ractérisaient le travail social depuissa création par des préoccupationsoù le sujet, puis le citoyen sont pla-cés comme « cibles » des références.Le renouvellement des réflexionsconcernant la déontologie profes-sionnelle se traduit alors par une re-cherche de valeurs de référence par-tagées par les travailleurs sociaux.

L'éthique connaît aussi un regaind'intérêt dans de nombreux secteursde la vie sociale l'économie, l'en-treprise, le sport, la médecine, lascience, la politique, les médias.Aucun secteur n'est à l'écart d'uneinterrogation portant sur les finali-tés des activités et des modalitésmises en oeuvre pour les atteindre,avec le risque de confondre une dé-marche indispensable « d'éthiqueréflexive » avec une dérive recher-chant le politiquement ou morale-ment correct.

Le travail social n'échappe pas à cemouvement d'interrogation des pra-tiques à propos du signalement desfamilles, de la tentation de « péna-liser » des comportements familiauxsous la forme de suspension de ver-sement d'allocations, de la confi-dentialité des informations trans-mises aux travailleurs sociaux et dusecret professionnel, de la dénon-ciation de la maltraitance, de l'ac-compagnement social de publicsprécaires.

Ces situations entraînent des ré-ponses sociales qui reposent sur desconvictions, des valeurs et pas uni-quement des dimensions techniques,rationnelles et légales4. C'est à ceniveau que l'interrogation éthiqueet politique surgit et se manifeste.

Ethique et fonction politique du travail social

Qu'il s'agisse d'aide individualiséedispensée à des personnes déficientesmentales ou physiques, d'interven-

tions éducatives auprès d'adolescentsdans les quartiers ou dans les fa-milles, d'actions collectives dans deszones de pauvreté ou d'accompa-gnement de familles en difficulté,dans tous les cas le travailleur so-cial fait reposer son action sur deuxprincipes complémentaires de jus-tice et de solidarité.

Alors que l'un, nous rappelle J. Habermas, postule l'égal respectet l'égalité des droits pour chaqueindividu, l'autre exige empathie etassistance pour le bien-être du pro-chain5. La professionnalisation destravailleurs sociaux rencontre cettequestion éthique quels que soient leschoix théoriques imposés par les pro-grammes de formation et les attentesdes employeurs. Ces choix combi-nent une logique de rationalisation(principe d'efficacité) et une logiquede la subjectivité (résultat de l'im-plication personnelle de tout inter-venant social).

L'acte professionnel du travailleursocial résulte donc d'une tensionentre un principe d'efficacité et unprincipe « moral » défi comme une « intuition qui nous informe sur laquestion de savoir comment nous de-vons nous comporter au mieux afinde contrecarrer l'extrême vulnérabi-lité de la personne, en la protégeantet en l'épargnant »6. La questionéthique se superpose alors à la fonc-tion politique du travail social si l'onconsidère que l'organisation de lavie sociale en vue d'une « viemeilleure » est au coeur de la dé-marche professionnelle des interve-nants sociaux. Posé ainsi, le rapportqui s'établit entre l'éthique, le poli-tique et le travail social renvoie à laproblématique du sujet définie parA. Touraine dans ses derniers ou-vrages7.

Pour A. Touraine, « le sujet ne se dé-finit pas par des institutions ou desidéologies, mais à la fois dans les rap-ports sociaux et dans la consciencede soi8, dans l'affirmation du Je qui s 'oppose à tous les rôles dont est faitle soi » ; ou encore, dans son dernierouvrage: « Le sujet est ce qu 'il y a deplus faible, de plus intermittent Il n 'est pas un ensemble de rôles sociaux mais plutôt un effort pour sedésocialiser sans se perdre en se

recréant dans le non social »9.Les deux définitions caractérisent uneposition qui, nous semble t'il, rejointla position éthique du travail socialévoquée précédemment :

Dans certaines circonstances la po-sition éthique vers laquelle tendreconsiste à soutenir « le caractère nonsocial de ce qui résiste au pouvoirsocial, au nom de la liberté; de 1'égalité, des droits de l'Homme,fondements nécessaires d'une so-ciété démocratique ». Dans ce casprécis, le travailleur social doit pou-voir être en mesure de s'affranchird'une logique de l'intégration so-ciale et utilitariste que certains s'at-tendent à lui voir appliquer.

C'est en soutenant cette recherched'une distance avec les institutionsintégratrices que l'on peut aider letravailleur social à créer cet espaceoù le sujet peut exister et se détacherdes contraintes instituées.

Cependant, cette conception sup-pose que l'on reconnaisse aux pra-ticiens de l'action sociale une capa-cité de « distance critique etd'auto-réflexion » propre aux mé-tiers de la relation10. L'intérêt es-sentiel de cette disposition profes-sionnelle, qui repose sur unecapacité de mise à distance de soidans son expérience, consiste à enfaire bénéficier les « usagers » ou lessujets de l'action sociale.

C'est ainsi, par exemple, que des as-sistants sociaux pourront mieux gé-rer des situations de violence po-tentielle s'ils se détachent de ladimension intégratrice et normali-satrice, associée à leur fonction, ouque des éducateurs de rue, confron-tés à des jeunes aux comportementsprovocateurs, seront en mesure dedissocier des logiques d'affirmationde soi ou de reconnaissance identi-taire, des logiques de destruction desoi ou d'autrui qui ne peuvent êtreacceptées. Ou bien encore lorsqu'unéducateur, accompagnant des per-sonnes déficientes mentales dansdes démarches visant à faciliter leurparticipation à la vie sociale, refusede céder à certaines contraintes nor-malisatrices qui conduisent à gom-mer des particularités afin de faci-liter à tout prix l'intégration.

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48PROASILE la revue de France Terre d’Asile

À chacun de ces exemples, emprun-tés à la réalité quotidienne et diver-sifiée du travail social, peut s'appli-quer le principe éthique qui consisteà faire advenir le sujet là où l'on at-tend un individu normé ou intégré.Il s'agit donc, pour le travailleur so-cial, d'être en mesure de résister auxpressions que font peser sur lui toutesles institutions qui n'ont pour repré-sentation de la vie sociale idéale quel'intégration au groupe ou à une « communauté » le plus souvent ima-ginaire. On perçoit les limites desconceptions relatives au travail so-cial qui consistent à faciliter l'inté-gration ou le rapprochement de com-portements considérés commeinadaptés avec des normes commu-nément admises.

Les travailleurs sociaux -- et cela n'estpas nouveau, mais il faut insister surcette définition dynamique de leurfonction -- doivent participer pleine-ment à la création de nouvelles confi-gurations institutionnelles créatricesde liens sociaux. Cela suppose d'aban-donner les représentations des publicssujets de l'action sociale qui renvoientaux conceptions invalidantes des ca-pacités transformées en incapacités,inadaptations, défauts d'intégrationou de socialisation. Il ne s'agit pas denier la réalité de certaines situationsoù prédominent les effets des carenceséducatives ou les déficiences résul-tant de pathologies diverses, maisd'affirmer la nécessité de replacer l'ac-tion du travailleur social dans uneperspective qui le dégage d'influencesnormatives, qu'elles soient d'originepsychanalytique (aujourd'hui les plusefficaces et les plus redoutables) oupolitique (avec le regain du conser-vatisme républicain).

Le travail social peut-il se passer de normes ?

La définition de l'action sociale quidécoule des réflexions précédentessoulève de nombreuses questions àcommencer par celle qui taraude lesobservateurs de « la perte des repèressociaux » : le travail social peut-il s'inscrire dans une logique de re-construction et de restauration du liensocial en s'affranchissant de l'exi-gence d'intégration sociale contraireà le « statement» du sujet?

Cette représentation place le travailleursocial en position d'expert qui peut etdoit évaluer le niveau de « besoin » despopulations dont il a la charge, afinde déterminer le type d'aide ou d'ac-compagnement qui sera le plus effi-cace ou le moins inadéquat.

Quelle que soit la conception idéolo-gique sous-jacente à ces représenta-tions, il apparaît nettement que le tra-vail social est toujours inscrit dansune logique où le rapprochementd'une situation donnée avec les « normes communément admises »dans une société donnée est inévi-table. Mais la confrontation avec unenorme à imposer résulte toujours d'uneinterprétation où la part d'ajustementavec la règle ou la loi est plus oumoins rendue possible par le contexteorganisationnel dans lequel elles s'ex-priment. Sauf dans les cas où la margede l'acteur est quasi inexistante dufait d'un contrôle « serré », les « sys-tèmes d'action concrets », pour re-prendre la formule de Crozier etPriedberg, permettent aux agents so-ciaux d'adapter la règle au plus prèsdes intérêts des populations.

Pour autant, les travailleurs sociauxpeuvent orienter leur action en vue defaciliter l'intégration sociale des pu-blics mais également en référence àdes principes ou des « impératifs inté-rieurs »11 tels que le respect de l'autre,la dignité, la solidarité, dans ce cas,le travail social fait appel à une stra-tégie de la conflictualité qui permet àl'acteur de se définir au sein de rap-ports sociaux marqués par la domi-nation. Mais celle-ci constitue égale-ment un principe de résistance sur labase duquel peut se développer ce queTouraine nomme l'affirmation posi-tive de soi12.

En reprenant cette perspective qui ren-verse le postulat habituel du travailsocial, c'est lorsque l'individu refusel'intégration sociale qu'il crée ainsiune forme de conflictualité lui per-mettant de se transformer en sujet.Autrement dit, la protestation, le re-fus, la colère doivent être considéréscomme des points d'appui permettantà l'individu de mettre en question lesnormes qui le contraignent à « s'in-tégrer » d'une façon qu'il rejette.

C'est ainsi qu'une recherche menéerécemment auprès d'allocataires per-

cevant le RMI montre que certains,parmi ceux rencontrés, refusent vi-goureusement tout rapport avec letravailleur social dès lors qu'il est vécucomme obligation de se soumettre àun regard porté sur son existence.C'est lorsque ce refus se concrétisepar une mise à distance de la normeintégratrice que l'individu se mobi-lise le plus activement. Le travailleursocial représente alors un effet re-poussoir qui, paradoxalement, favo-rise une meilleure mobilisation desressources de l'individu13.

Tout l'art du travailleur social est ainside pouvoir s'affranchir des contraintesnormalisatrices afin de préserver unespace où la réaction sociale du sujetse manifeste. Dans ce cas de figure,l'accompagnement social n'est passynonyme de dévoilement de la dé-pendance mais confirme le sujet dansses possibilités d'affirmation de soi.Ces dispositions à agir s'inscriventdans une action professionnelle quifait appel à une réflexion associantle souci éthique à l'efficacité poli-tique, renouvelant ainsi la définitiondu travail social.

1 Cf notamment de Paul RICŒUR. Soi-même commeun autre, Paris, Gallimard, 1990 et John RAWLS,Théorie de la justice, Paris, éd. du Seuil, 1997.2 Cf. Alain EHRENBERG. L'individu incertain, Paris,Hachette Littérature, 1999.3 Sur les effets de ces processus sur la constructiondes identités, on peut consulter C. DUBAR. La crisedes identités, Paris, PUE 2000. Concernant lesconséquences de la modernité sur les choix desindividus et la cohésion sociale, on consultera: DaniloMARTUCCFLLI, Dominations ordinaires, Paris, Balland,2001 et Jean-Claude KAIJFMANN, Ego pour unesociologie de I individu, Paris, Nathan, 2001.4 Le raisonnement de type axiologique s'imposeselon la terminologie empruntée à Max WEBER etrenouvelée par Raymond BOUDON, Le sens desvaleurs, Paris, PUF, 1999 (Coll. Quadrige).5 Jùrgen HABERMAS. De l'éthique de la discussion,Paris, Ed. du Cerf, 1992. p. 26 Ibid., p. 197 Alain TOURAINE. Critiques de la modernité,Pourrons-nous vivre ensemble? La recherche desoi -. dialogue sur le sujet, publiés aux EditionsFayard, respectivement en1992, 1997,20008 Critiques de la modernité, (op.cit.) p. 3349 La recherche de soi, (op.cit.) p. 8110 Suivant la conception développée par FrançoisDUBET in Patrick PHARO, Louis QUERE (dr.). Lesformes de l'action, Ed. de I'EHESS, 1990, p. 17111 Selon la formule d'Alain TOURAINE dans Larecherche de soi (op. cil.), p. 105.12 Ibid. p.144.13 Cf. Recherche sur les trappes d'inactivité et lesstratégies des acteurs réalisée pour le Commissariatgénéral au Plan par A. VERETOUT sous la directionde François DUBET.

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PERSPECTIVES HISTORIQUES

L’Allemagne et les réfugiés d’origine allemande depuis 1945par Jérôme BELIARD*

La période 1945-1950 est celle de la plus grande migration de population de l'histoirecontemporaine. L'Europe libérée de la barbarie nazie voit ses routes se couvrirde convois de prisonniers libérés, de déportés et de réfugiés rentrant dans leurs pays, mais aussi de personnes déplacées suite aux modifications de frontières issues de la conférence de Potsdam. Parmi elles, près de 16 millions d'Allemands, disséminés dans toute l'Europe centrale et orientale depuis des générations. Entamé dès 1944, le vaste transfert de ces familles vers l'Allemagne actuelle n'est pas encore terminé aujourd'hui.

I- L'expulsion de 1945.

L’arrivée des réfugiés allemands d’Europe de l’Est dé-bute dès la fin de l’année 1944, avec les populationsfuyant la progression de l’Armée Rouge (Flüchtlinge).Parmi cette première vague de quelques trois mil-lions de personnes figuraient deux types de fa-milles : certaines avaient été installées par le ré-gime nazi dans le cadre de la politique degermanisation des territoires polonais conquis pen-dant la guerre ; mais l'essentiel des fuyards étaitconstitué d'Allemands de Prusse orientale, de Silésieet de Poméranie, installés sur ces terres depuis leMoyen Age et espérant fortement rejoindre leurfoyer une fois la guerre terminée.

C’était sans compter sur les décisions prises par les al-liés lors des deux grandes conférences de Yalta (février1945), puis de Potsdam (17 juillet - 2 août 1945), depriver l’Allemagne d’une grande partie de son terri-toire. Dès la conférence de Yalta, Staline avait exprimésa volonté de déposséder l’Allemagne de tous ses ter-ritoires situés à l’est de la ligne formée par l’Oder et laNeisse occidentale au profit de la Pologne et de l'URSS.Ce déplacement de la Pologne de 200 km vers l’ouestconcernait alors près de 24% du territoire allemand de1937 et 9,6 millions d’Allemands. Or, avant même queles Alliés se soient concertés sur ce point, les Soviétiqueset les autorités provisoires polonaises installées parl’Armée Rouge avaient préparé la prise en charge deces territoires et l’expulsion des habitants.

Placé à Potsdam « devant le fait accompli » selonune formule du président américain Truman, lesOccidentaux acceptèrent le sort réservé à la Prusseorientale, et décidèrent de reporter la délimitationfinale de la frontière polonaise occidentale au fu-tur traité de paix. La Pologne se voyait donc confierprovisoirement l’administration des territoires à l’estde la ligne Oder-Neisse, tandis qu'elle annexait of-ficiellement une partie de la Prusse orientale, la ré-gion de Königsberg (patrie de Kant et aujourd'huiKaliningrad) revenant à l'URSS. La conférence dePotsdam légalisait ainsi de fait le déracinement despopulations allemandes d'Europe de l'Est.

Dès lors se posait la question du sort des popula-tions allemandes situées sur ces territoires. Laconférence décida dans l'article XIII des accordsqu’il y aurait lieu de « procéder au transfert enAllemagne des populations allemandes restant enPologne, en Tchécoslovaquie et en Hongrie... cestransferts [devaient] être effectués de façon ordon-née et humaine ». Sur la base de cette résolution,l’Etat polonais organisa le transfert de ses mino-rités allemandes. Il y ajouta aussitôt celui des po-pulations allemandes vivant à l’est de la ligneOder-Neisse, plaçant à nouveau les Occidentauxdevant le fait accompli, puisque ces territoires nelui étaient confiés que provisoirement.

* Agrégé d’Histoire - Professeur en section européenne allemandau Lycée Jean Rostand de Chantilly.

PERSPECIVES HISTORIQUES

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A l’exode des réfugiés fuyant devant l’Armée Rougeallait donc succéder l’arrivée en masse des expulsés(Heimatvertriebene). 9,6 millions d'Allemands furentainsi contraints de quitter les anciens territoires duReich de 1937, auxquels s'ajoutèrent près de 5 mil-lions de personnes issues des minorités allemandesde Tchécoslovaquie, Hongrie et Pologne mais ausside Yougoslavie, Roumanie ou Bulgarie, sans que cespays n’aient été juridiquement autorisés à expulserleurs minorités allemandes.

Malgré les recommandations des accords de Potsdam,la mise en oeuvre de ce gigantesque transfert de po-pulation fut particulièrement difficile et meurtrière. Les transferts s'effectuèrent souvent dans des condi-tions déplorables, par train de marchandise dans lemeilleur des cas, le plus souvent dans de longs convoisde piétons, poussant dans des charrettes de fortune unmaigre bagage. Les Allemands des Sudètes parexemple, communauté la plus nombreuse, furent pourla plupart contraints de fuir en une journée, empor-tant un bagage de 50 kg maximum et une sommed'argent de 500 marks.A ces tristes conditions de départ s'ajoutait la ran-cœur des populations autochtones. Le décret polonaisd'expulsion de 1946 qui stipulait que les Allemandspouvaient partir en emportant avec eux tout ce qu'ilspouvaient, le reste demeurant à libre disposition desPolonais, déclencha une vaste vague de pillage. Denombreux Polonais profitèrent du chaos ambiant pourinvestir ou piller les maisons allemandes encore ha-bitées, se vengeant ainsi des atrocités subies sous ladomination nazie. Il en était de même enTchécoslovaquie comme l'a rappelé le présidenttchèque, Vaclav Havel dans un discours de 1990 : « six ans de rage nazie ont suffi pour que nous nouslaissions infecter par le germe du mal [....] au pointd'accepter - dans un emportement juste , mais aussiexcessif,- le principe de culpabilité collective. Au lieude juger ceux qui s'étaient rendus coupables de tra-hison envers leur Etat, nous les avons expulsés dupays, usant ainsi d'une punition inconnue de notre sys-tème juridique. Ce n'était pas une punition c'étaitune vengeance [...] ainsi sous le prétexte d’exercerune justice “historique“ nous avons condamné denombreux innocents particulièrement des femmes etdes enfants I ».Cette vengeance s’exerça même pour les plus mal-heureux jusqu'à la déportation plus à l'est et à l'em-prisonnement dans des camps de travail à la morta-lité élevée. Finalement sur les 16,5 millions d'Allemands vivanthors des frontières de l'actuelle Allemagne, MichelHubert estime que 2,6 millions seulement restèrentsur place, alors que 2,2 millions trouvèrent la mort oufurent portés disparus sans que les puissances occi-dentales aient pu ni arrêter cet exode massif ni mêmeavoir sur lui une influence quelconque II. Décidée par les alliés mais exécutée par d'autres, cetteexpulsion dramatique envoyait donc 11,7 millions demigrants vers l'Allemagne dévastée, qui dut les accueillir, pour la plupart, entre 1944 et 1950.

II- L'accueil difficile des réfugiés (de 1945 au milieu des années 50).

L'Organisation Internationale des Réfugiés se déclaraexceptionnellement incompétente dans le cas des ré-fugiés allemands. Le HCR qui lui succéda en 1951 nefut pas d'un plus grand secours, dans la mesure où lesréfugiés se trouvaient exclus du mandat de l'orga-nisme des Nations Unies, puisque étant accueillis dansun pays dont ils disposaient déjà de la nationalité.L'Allemagne ne pouvait donc compter que sur elle-même et sur les puissances alliées qui l'occupaient :les Etats-Unis, le Royaume Uni, la France et l'URSS.Les premières mésententes entre les grandes puis-sances d'une part, l'inexistence d'un état et d'un gou-vernement allemand d'autre part, compliquaient sin-gulièrement la mise en place d'une politique cohérented’accueil des réfugiés. Celle-ci ne put donc se mettreen place qu'à l'échelle locale, celle des zones d'occu-pation tout d'abord, puis celle des Länder jusqu'en1949, date de la création de la RFA.

La politique des alliés était de diriger principalementles réfugiés vers les zones de faible densité. Mais lecommandant en chef français refusa d'admettre desréfugiés dans sa zone, la France n'ayant pas été si-gnataire des accords de Potsdam.On les concentra donc essentiellement en Basse Saxe,en Bavière et dans le Schleswig-Holstein. Le calvairedes familles séparées lors du transfert fut donc en-core accentué une fois arrivé en Allemagne. Cela n'allapas sans entraîner un mécontentement important chezles réfugiés allemands qui ressentaient un sentimentd'injustice profonde puisque « les engagements so-lennels pris par les signataires de la Charte del'Atlantique ne s'appliquaient pas aux Allemands nià l'Allemagne » comme le rappelle une publicationdu Ministère fédéral des Expulsés, Réfugiés et Sinistrésde guerre de 1960 III. Ainsi les puissances occiden-tales n'hésitaient pas, dans le cas de réfugiés alle-mands, à renier leurs principes et à participer acti-vement à une vaste opération de « nettoyageethnique » avant l'heure, de territoires essentielle-ment peuplés d'Allemands.Le cas de la Bavière est particulièrement bien connuet on peut se baser sur celui-ci pour essayer de cer-ner l'organisation de l’accueil des réfugiés de 1945à 1950 IV.Très tôt après la fin de la guerre, les expulsés desSudètes ont été remis aux autorités en Allemagne,qui les ont parqués dans des camps de regroupementafin de les recenser et de leur faire passer une visitemédicale. L'étape suivante était le camp de transitdans lesquels les réfugiés attendaient un logement àla campagne, dans la mesure où les villes étaient engrande partie détruites et n'offraient guère de possi-bilité de logement.

La force d'occupation américaine tenta au maximumde disséminer les réfugiés dans le but d'éviter de créerdes ghettos et des poches de contestation qui auraientpu devenir dangereuses.

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Installer les réfugiés dans les campagnes bavaroisesne fut pas chose aisée. L'hébergement fut rendu toutd'abord obligatoire par les Américains : toute famillesans enfant de plus de 14 ans fut mise en demeurede laisser à la disposition des réfugiés une pièce, chauf-fée si possible, avec accès aux toilettes et à la cuisineainsi qu'un minimum d'équipement de base (meubles,lits, couvertures). Les familles convaincues de parti-cipation active au régime nazi étaient quant à elles « condamnées » à ne conserver qu'une pièce pour elle!

Les autorités bavaroises renaissantes prirent elles aussides mesures pour faciliter l'accueil de ce flux de po-pulation. Dès 1945 une loi définissait plus précisémentles réfugiés, les obligeait à se faire connaître des au-torités, désignait ceux qui pouvaient bénéficier d'uneaide et délivrait des cartes permettant l'obtention deravitaillement. Un service de recherche des personnesdisparues et de recomposition de famille fut égale-ment mis sur pied.

Une des priorités était de fournir aux nouveaux arri-vants une tenue correcte afin d'éviter une trop grandemarginalisation des familles au sein de la commu-nauté bavaroise. Des mesures de discrimination posi-tive furent décidées, assurant la priorité aux réfugiéspour certains emplois de l'administration qui subis-sait au même moment les contrecoups de la dénazifi-cation. Pour intégrer économiquement ces populations,le gouvernement bavarois décida de se porter garantdes réfugiés désirant obtenir un crédit bancaire afin decréer une entreprise, leur permettant ainsi de mettrefin aux accusations fréquentes de « parasites de la so-ciété ».

Enfin en 1949 une aide financière d'urgence leur futaccordée au niveau national. Cette somme, bien quene pouvant couvrir l'intégralité des biens perdus parles familles, eut un impact psychologique très im-portant parmi la communauté des réfugiés, qui voyaitainsi sa cause reconnue par l'Etat, avec la même an-née la création d'un Ministère des Expulsés, Réfugiéset Victimes de guerre.

III - L'intégration et ses limites jusqu’à nos jours.

Il va sans dire que nombre de ces mesures furent as-sez mal accueillies par la population locale, qui de-vait faire face à ses propres difficultés. Formant 17%de la population totale de l'Allemagne de l'Ouest aupremier octobre 1951, les réfugiés représentaient 30%des chômeurs allemands en 1952. L'intégration de cesfamilles d'ouvriers qualifiés, d'industriels et de mar-chands dans des zones rurales et conservatrices, au par-ticularisme fort, fut assez difficile, les réfugiés étantsouvent considérés comme des étrangers. La situa-tion des Prussiens, protestants, arrivant dans uneBavière catholique, était encore plus délicate.Finalement le choix allié d'installer les réfugiés dans

les zones peu denses s'avéra être une erreur, puisqueces zones agricoles ne nécessitaient pas forcément demain d’œuvre, tandis que la région de la Ruhr man-quait de bras pour relancer ses industries. A partir de1949, la RFA entama donc une nouvelle politique detransfert de Bavière et de Schleswig-Holstein versl'ouest ; au total près d'un million de personnes futà nouveau déplacé entre 1949 et 1959.

L'intégration se fit donc essentiellement grâce à la po-litique volontariste du gouvernement de RFA, poli-tique facilitée par le « miracle économique », auquelles nouveaux arrivants participaient largement V. Deplus, l’abaissement du « rideau de fer » sur les anciensterritoires de l’Est interdisait le retour au pays à brèveéchéance, et augmentait dans la communauté des ré-fugiés le désir d‘une intégration économique rapide.

L'attitude des réfugiés, et celle du gouvernement al-lemand, est restée cependant ambiguë pendant long-temps. La « Charte des expulsés allemands » promul-guée en 1950 devant des membres du gouvernementfédéral, l'atteste : « nous renonçons à la vengeance etaux représailles [...] nous nous sentons appelés à exi-ger que le droit au pays natal soit reconnu et réalisécomme l'un de ces droits fondamentaux de l'huma-nité [...] tant que ce droit ne sera pas réalisé pournous , nous ne voulons tout de même pas être condam-nés à l'oisiveté ni nous tenir à l'écart. »

Si la revendication d 'une intégration économique etsociale y est bien présente, l'espoir du retour reste pro-fondément ancré, et avec lui le refus d'une assimila-tion morale totale.

La non-reconnaissance par la RFA, au moment de sacréation, de la frontière orientale de la Pologne, contri-bua à maintenir parmi les réfugiés l'espoir d'un re-tour. En 1960 le Ministère fédéral des Expulsés,Réfugiés et Sinistrés de guerre écrivait encore dans unede ses brochures : « on a fait beaucoup pour les ex-pulsés, mais cette aide ne sera jamais qu'un palliatif[...] tant qu'on ne leur permettra pas [...] de regagnerleur pays d'origine. Tel est l'objectif immuable de tousles efforts allemands » VI!

La période d'expulsion terminée, l'Allemagne a conti-nué jusqu'en 1987 à accueillir annuellement 20 à 30 000 personnes rapatriées (Aussiedler). Mais dès1969, W. Brandt mit fin au Ministère des réfugiés, té-moignant ainsi de l’œuvre d'intégration accomplie. Pour autant intégration ne signifie pas assimilation. Lesnombreuses Landsmannschaften, associations cultu-relles perpétuant le souvenir et le folklore de ces com-munautés, ont longtemps été encouragées par l'étatouest-allemand. Elles subsistent encore aujourd'hui etjouent un rôle culturel actif, après avoir un momenttenter de jouer un rôle politique.VII

La Réunification du 03 octobre 1990 a semble-t-il dé-finitivement réglé la question du retour des réfugiésdans les territoires de l'Est, la nouvelle Allemagne

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ayant reconnu la frontière occidentale de la Pologne.Mais l'histoire des réfugiés d'Europe de l'Est ne s'ar-rête pas avec celle de la division de l'Allemagne. Aucontraire, l'ouverture progressive des frontières sousl'ère Gorbatchev, et plus encore la mort de l'URSS en1991 ont entraîné un nouveau flux de migrants versl'Allemagne. Au total ce sont plus de 2,8 millionsd'Allemands de souche qui sont arrivés en Allemagneentre 1987 et 2000.

La conception allemande de la Nation (laKulturnation) fait que le droit allemand reconnaîtencore à ces populations l'accès à la nationalité. Illeur suffit de prouver l'existence d'un ancêtre de na-tionalité allemande (deutsche Staatsangehörigkeit)où encore pour les cas les plus difficiles d'attesters'être déclaré « allemands » dans leur pays d'origine(deutsche Volkszugehörigkeit) et ce « dans la me-sure où cela peut être confirmer par certains signescomme la langue, l'éducation ou la culture » (pa-ragraphe 6 de la loi fédérale sur les expulsés et ré-fugiés).La grande majorité de ces rapatriés tardifs(Spätaussiedler) est aujourd'hui constituée des des-cendants d'Allemands de l'ex-URSS déportés par Stalinependant la guerre. Ils ont pour la plupart largement

oublié (ou n'ont jamais appris) la langue allemande.Dans une Allemagne en proie au doute face aux dif-ficultés liées à la réunification, leur intégration est unnouveau défi lancé à un pays qui, en près de 60 ans,aura accueilli plus de 14 millions de réfugiés.

I Vaclav Havel, Sur la responsabilité collective, Esprit, juin 1990 p.5.II M. Hubert, Les expulsés d’Europe centrale et la migration versl’Allemagne de l’Ouest, 1944-1949, in H. Ménudier, L’Allemagne occupée, 1945-1949, Publication de l’Institut Allemand d’Asnières, Asnières, 1989, p 151.III Au service des Expulsés, Réfugiés, Immigrés..., Publication duMinistère, Bonn, 1960, p. 3.IV Sur ce point voir Bernard Poloni, L'intégration des réfugiés en RFA,l'exemple de la Bavière, in L'Allemagne 1945-1955, de la capitulation àla division, G. Krebs et G. Schneilin (dir.), Publication de l'institut allemandd'Asnières, Asnières, 1996, p 33-60.V « Le fardeau initial était devenu - et cette remarque vaut pourl'ensemble de la République fédérale - un atout considérable sur la voiedu redressement et de la modernisation » note B. Poloni, ibid. ., p. 57).VI Au service des Expulsés, Réfugiés, Immigrés..., Publication du Ministère,Bonn, 1960, p.3.VII Sur ce point voir A. Grosser, L'Allemagne de notre temps, Fayard, Paris,1970, p 339.

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L’EUROPE ET LE DROIT D’ASILEDaphné Bouteillet-Paquet

Editions l’Harmattan – collection Logiques Juridiques

Issu de la thèse de doctorat de droit public soutenue par Daphné Bouteillet-Paquet le 26 février2000 à l’Université Paris I sous la direction du professeur Brigitte Stern, cet ouvrage donne au lecteurune vision globale des défis posés par la mise en place d’un espace de « liberté, de sécurité et dejustice » dans une Europe en pleine mutation, à travers l’étude des sources du droit d’asile, de l’émergenced’une politique européenne en matière d’asile et de ses conséquences sur les pays d’Europecentrale. Après avoir travaillé au sein du service juridique de France Terre d’Asile, Daphné Bouteillet-paquet occupe un poste de chercheur à l’Université Libre de Bruxelles depuis janvier 2001.

DROIT HUMANITAIRETextes introduits et commentés par Mario BETTATI,Professeur de droit international à l’université Paris II, vice-président de la Commission nationaleconsultative des droits de l’Homme et expert consultant à l’ONU.

Editions Essais, collection PointsMars 2000

« Le droit humanitaire est au cœur de l’actualité. Génocide, crimes de guerre ou crimes contrel’humanité sont désormais poursuivis par les juges nationaux : Barbie, Papon, Pinochet…ou par lejuge international : Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie ou pour le Rwanda et, bientôt, Courpénale internationale.La protection des victimes commence par la connaissance de leurs droits. Les médias, les ONG et l’ONUs’y réfèrent de plus en plus fréquemment.Mario Bettati met à la disposition des lecteurs l’essentiel des textes : normes relatives à la conduitedes hostilités (droit de La Haye), règles de protection des personnes au pouvoir de l’ennemi (droit deGenève) et mise en œuvre de ces droits (droit de New York). Il en fait un commentaire informé et clair,appuyé sur des exemples récents. »

DICTIONNAIRE PRATIQUE DU DROIT HUMANITAIREFrançoise BOUCHET-SAULNIERDocteur en droit, responsable juridique de Médecins sans frontières et directeur de recherche àla Fondation Médecins sans frontières.

Editions La découverte, 2000

« Médecins sans frontières a conçu un ouvrage de référence pour baliser le champ de l’actionhumanitaire à l’attention des praticiens des relations internationales et de l’action humanitaire(ONG, organisations internationales, etc.), des journalistes, des étudiants et professionnels du droit,mais aussi des citoyens désireux de connaître les enjeux et les moyens d’un droit situé aux portesdes sociétés en crise.De « accords spéciaux » à « zones de sécurité », ce dictionnaire propose la définition et l’analyse deplus de 300 termes.Les articles de ce dictionnaire proposent une définition précise de chaque terme, des droits qui y sontattachés, un exposé des problèmes concrets rencontrés dans chaque type de situation, les schémasde violation les plus fréquents et des conseils pratiques pour garantir le respect de ces droits. Cetteprésentation est complétée par des renvois aux notions voisines, une bibliographie succincte, et lescoordonnées des différentes organisations présentées.A la fin de l’ouvrage, une liste mise à jour en 1998 fait le point, pays par pays, de l’état dessignatures de 23 principales conventions ou instruments internationaux relatifs au droit humanitaire,aux droits de l’Homme, au droit des réfugiés, au droit pénal international.Des index alphabétiques et thématiques, qui combinent l’emploi de termes juridiques précis et de motsdu vocabulaire courant, rendent cet outil accessible à tous. »

LIVRES. . .

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