avis de la cncdh sur le projet de loi renseignement

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1 Avis sur le projet de loi relatif au renseignement dans sa version enregistrée le 1 er avril 2015 à la Présidence de l’Assemblée nationale 1 (Assemblée plénière 16 avril 2015 ‐ Adoption : unanimité) 1. Le 19 mars 2015, un projet de loi relatif au renseignement a été adopté en Conseil des ministres. LExposé des motifs du projet précise qu’il est aujourd’hui nécessaire « de définir, dans la loi les principes et les finalités de la politique publique du renseignement, prérogative de l’Etat, pour reconnaître sa contribution à la sécurité nationale et à la défense des intérêts fondamentaux de la nation. Il reste surtout à encadrer l’utilisation des techniques de recueil de renseignement pour renforcer la protection des libertés individuelles tout en sécurisant l’action des services spécialisés » 2 . En dépit de la récente création d’un code de la sécurité intérieure (CSI) 3 , un rapport parlementaire a constaté de nombreuses lacunes et l’extrême dispersion des textes régissant la matière, avant d’insister fortement sur la nécessité de créer un cadre juridique protecteur pour régir l’organisation, et l’activité des services de renseignement 4 . Ce rapport évoque un « risque permanent » de condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CESDH) garantissant le droit au respect de la vie privée et imposant que les ingérences dans l’exercice de ce droit reposent sur une base légale solide 5 . Dans ces conditions, si la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) peut aisément comprendre, eu égard au principe de prééminence du droit inhérent à la démocratie, qu’il soit aujourd’hui nécessaire de légiférer pour encadrer strictement le recueil du renseignement, cela ne doit en aucun cas, vu le caractère sensible de la matière au regard de la protection des droits et libertés fondamentaux, se faire dans l’urgence et la précipitation. Un travail législatif de qualité suppose de consacrer à l’élaboration de la loi un temps suffisant et une méthode. 1 Le présent avis porte sur le projet de loi adopté par la Commission des lois (…) et enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1 er avril 2015 sous le numéro 2697. 2 Exposé des motifs du projet de loi relatif au renseignement, p. 4. 3 Voir P. Mbongo et X. Latour, Sécurité, libertés et légistique. Autour du code de la sécurité intérieure, L’Harmattan 2012. Voir également E. Lepic, Droit de la sécurité intérieure, Gualino 2014. 4 J.‐J. Urvoas et P. Verchère, Rapport d’information n° 1022 déposé par la commission des lois (…) en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, Assemblée nationale, 14 mai 2013, p. 13 et s. 5 Ibid., pp. 29‐32. Voir également Etude d’impact, pp. 20‐26 et 47 ; Assemblée nationale, Rapport n° 2697 fait au nom de la Commission des lois (…) par M. Jean‐Jacques Urvoas, Paris le 2 avril 2015, pp. 22‐25.

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Avis de la CNCDH sur le projet de loi renseignement

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    Avis sur le projet de loi relatif au renseignement dans sa version

    enregistre le 1er avril 2015 la Prsidence

    de lAssemble nationale1

    (Assemble plnire 16 avril 2015 Adoption : unanimit)

    1. Le 19 mars 2015, un projet de loi relatif au renseignement a t adopt en Conseil des ministres. LExpos des motifs du projet prcise quil est aujourdhui ncessaire de dfinir, dans la loi les principes et les finalits de la politique publique du renseignement, prrogative de lEtat, pour reconnatre sa contribution la scurit nationale et la dfense des intrts fondamentaux de la nation. Il reste surtout encadrer lutilisation des techniques de recueil de renseignement pour renforcer la protection des liberts individuelles tout en scurisant laction des services spcialiss 2. En dpit de la rcente cration dun code de la scurit intrieure (CSI)3, un rapport parlementaire a constat de nombreuses lacunes et lextrme dispersion des textes rgissant la matire, avant dinsister fortement sur la ncessit de crer un cadre juridique protecteur pour rgir lorganisation, et lactivit des services de renseignement4. Ce rapport voque un risque permanent de condamnation de la France par la Cour europenne des droits de lhomme sur le fondement de larticle 8 de la Convention europenne des droits de lhomme (CESDH) garantissant le droit au respect de la vie prive et imposant que les ingrences dans lexercice de ce droit reposent sur une base lgale solide5. Dans ces conditions, si la Commission nationale consultative des droits de lhomme (CNCDH) peut aisment comprendre, eu gard au principe de prminence du droit inhrent la dmocratie, quil soit aujourdhui ncessaire de lgifrer pour encadrer strictement le recueil du renseignement, cela ne doit en aucun cas, vu le caractre sensible de la matire au regard de la protection des droits et liberts fondamentaux, se faire dans lurgence et la prcipitation. Un travail lgislatif de qualit suppose de consacrer llaboration de la loi un temps suffisant et une mthode.

    1 Le prsent avis porte sur le projet de loi adopt par la Commission des lois () et enregistr la Prsidence de lAssemble nationale le 1er avril 2015 sous le numro 2697. 2 Expos des motifs du projet de loi relatif au renseignement, p. 4. 3 Voir P. Mbongo et X. Latour, Scurit, liberts et lgistique. Autour du code de la scurit intrieure, LHarmattan 2012. Voir galement E. Lepic, Droit de la scurit intrieure, Gualino 2014. 4 J.J. Urvoas et P. Verchre, Rapport dinformation n 1022 dpos par la commission des lois () en conclusion des travaux dune mission dinformation sur lvaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, Assemble nationale, 14 mai 2013, p. 13 et s. 5 Ibid., pp. 2932. Voir galement Etude dimpact, pp. 2026 et 47 ; Assemble nationale, Rapport n 2697 fait au nom de la Commission des lois () par M. JeanJacques Urvoas, Paris le 2 avril 2015, pp. 2225.

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    Celleci devrait favoriser un dialogue constructif avec toutes les composantes de la socit pour clairer durablement les politiques publiques venir. Elle devrait galement rpondre au souci d'aborder publiquement et en toute srnit un sujet dont la gravit exclut quil soit trait dans l'motion.

    2. Pourtant, le passage en conseil des ministres du projet intervient peine deux mois aprs

    la survenance des crimes terroristes, entre les 7 et 9 janvier 2015, et quelques jours seulement avant la tenue dlections cantonales dont la campagne a t marque par une forte prsence du populisme et de lextrmisme6. Le projet de loi relatif au renseignement a galement t labor quelques mois aprs lentre en vigueur de la loi n 20141353 du 13 novembre 2014 renforant les dispositions relatives la lutte contre le terrorisme conscutive laffaire Nemmouche, et peu aprs deux autres lois conscutives, elles, laffaire Merah : la loi n 20121432 du 21 dcembre 2012 sur la Scurit et la lutte contre le terrorisme et la loi n 20131168 du 18 dcembre 2013 relative la programmation militaire pour les annes 2014 2019 et portant diverses dispositions concernant la dfense et la scurit nationale. Il est utile de rappeler que cette dernire loi comprend un trs grand nombre de dispositions relatives au renseignement7. La CNCDH ne peut, une fois de plus, que dplorer cette prolifration de textes lgislatifs, relevant davantage de lopportunit politique que du travail lgislatif rflchi. Elle rappelle limportance dune politique pnale et de scurit pense, cohrente, stable et lisible, dont la qualit ne se mesure pas son degr de ractivit aux faits divers ou aux circonstances du moment8. Lempilement des rformes dans les domaines du champ pnal et de la scurit intrieure (plus de 25 lois adoptes entre 1999 et 20149) rvle malheureusement lextrme segmentation des sujets traits et, trop souvent, une absence de rflexion densemble10.

    6 Voir P. Birnbaum, Sur un nouveau moment antismite. Jour de colre , Fayard 2015 ; L. Bouvet, Linscurit culturelle, Fayard 2015 ; P. Muzny (dir.), Les dmocraties face lextrmisme, Institut Universitaire Varenne 2014. 7 Pour une prsentation des dispositions de la loi de programmation militaire de 2013 relatives au renseignement, voir E. Lepic, op. cit., pp. 366372. 8 CNCDH 15 avril 2010, Avis sur llaboration des lois, en ligne sur : www.cncdh.fr, 39. 9 1999 : loi n 99515 du 23 juin 1999 renforant lefficacit de la procdure pnale ; loi n 99929 du 10 novembre 1999 portant rforme du code de justice militaire et du code de procdure pnale ; 2000 : loi n 2000516 du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes ; loi n 2000647 du 10 juillet 2000 tendant prciser la dfinition des dlits nonintentionnels ; loi n 20001354 du 30 dcembre 2000 tendant faciliter lindemnisation des condamns reconnus innocents et portant diverses dispositions de coordination en matire de procdure pnale ; 2001 : loi n 20011062 du 15 novembre 2001 relative la scurit quotidienne ; 2002 : loi n 2002307 du 4 mars 2002 compltant la loi du 15 juin 2000 ; loi n 20021094 du 29 aot 2002 dorientation et de programmation pour la scurit intrieure ; loi n 20021138 du 9 septembre 2002 dorientation et de programmation pour la justice ; 2003 : loi n 2003239 du 18 mars 2003 pour la scurit intrieure ; loi n 2003495 du 12 juin 2003 renforant la lutte contre la violence routire ; 2004 : loi n 2004204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux volutions de la criminalit ; loi n 2004811 du 13 aot 2004 de modernisation de la scurit civile ; 2005 : loi n 200567 du 28 janvier 2005 tendant conforter la confiance et la protection du consommateur ; loi n20051549 du 12 dcembre 2005 relative au traitement de la rcidive des infractions pnales ; 2006 : loi n 200664 du 23 janvier 2006 relative la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives la scurit et aux contrles frontaliers ; loi n 2006399 du 4 avril 2006 relative la prvention et la rpression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs ; 2007 : loi n 2007297 du 5 mars 2007 relative la prvention de la dlinquance ; loi n 20071198 du 10 aot 2007 renforant la lutte contre la rcidive des majeurs et des mineurs ; 2010 : loi n 2010201 du 2 mars 2010 renforant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes charges d'une mission de service public ; loi n 2010242 du 10 mars 2010 tendant amoindrir le risque de rcidive criminelle et portant diverses dispositions de procdure pnale ; 2011 : loi n 2011266 du 14 mars 2011 relative la lutte contre la prolifration des armes de destruction massive et de leurs vecteurs ; loi n 2011267 du 14 mars 2011 dorientation et de programmation pour la performance de la scurit intrieure ; loi n 2011392 du 14 avril 2011 relative la garde vue ; loi n 2011

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    3. Par ailleurs, le Gouvernement a, le 19 mars 2015, engag la procdure acclre. De ce

    fait, la CNCDH a t contrainte de prendre connaissance du projet de loi dans la plus grande prcipitation avant son audition par la Commission des lois de lAssemble nationale le 25 mars 2015. Nayant pu adopter un avis dans un temps aussi court, elle a d se contenter de formuler des remarques sur certaines dispositions du projet de loi par la voie dune note de sa prsidente. Dans ces conditions, la CNCDH ne peut que rappeler une nouvelle fois sa ferme opposition la mise en uvre de cette procdure dans une matire aussi sensible pour les droits et liberts que le renseignement. La rforme constitutionnelle de 2008 a certes entran une diminution du temps parlementaire consacr lexamen des projets de loi ce qui, en pratique, conduit le Gouvernement mettre en uvre plus frquemment la procdure acclre. Cependant celleci ne permet pas un fonctionnement normal du Parlement, ds lors quelle restreint considrablement le temps de rflexion et de maturation ncessaire au dbat dmocratique, et nuit, par ricochet, la qualit de la loi11. Pour la CNCDH, cette procdure prsente certes un intrt dans des circonstances exceptionnelles justifiant ladoption dune loi en urgence, mais de nombreux textes dont le caractre urgent nest pas avr et portant sur des sujets touchant aux droits et liberts fondamentaux sont malheureusement adopts selon cette procdure12.

    4. A cela sajoute que llaboration un rythme effrn de projets de loi ne permet pas une

    valuation complte et rigoureuse du droit en vigueur, afin que soit tabli un bilan de la pertinence et de lefficacit des mesures existantes13. Depuis la rvision constitutionnelle de 2008, ces textes doivent en effet tre accompagns dune tude dite dimpact dfiniss[ant] les objectifs poursuivis par le projet de loi, recens[ant] les options possibles en dehors de l'intervention de rgles de droit nouvelles et expos[ant] les motifs du recours une nouvelle lgislation 14. La CNCDH insiste sur limportance quelle attache cette valuation en relevant la pauvret de lEtude dimpact accompagnant le projet de loi relatif au renseignement15. Ce document dveloppe trop peu les modalits techniques du recueil du renseignement, ainsi que leurs incidences pratiques et conomiques (par exemple en matire de surveillance internationale, de mise en uvre dun dispositif de surveillance algorithmique ou dutilisation dun dispositif de proximit16). Il est en outre parfois trop succinct sur les raisons dune modification du

    939 du 10 aot 2011 relative la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pnale et au jugement des mineurs ; 2012 : loi n 2012409 du 27 mars 2012 relative lexcution des peines ; loi n 20121432 du 21 dcembre 2012 sur la scurit et la lutte contre le terrorisme ; 2013 : loi n 20131168 du 18 dcembre 2013 relative la programmation militaire pour les annes 2014 2019 et portant diverses dispositions concernant la dfense et la scurit nationale ; 2014 : loi n 20141353 du 13 novembre 2014 renforant les dispositions relatives la lutte contre le terrorisme. 10 CNCDH 15 avril 2010, Avis sur llaboration des lois, op. cit., 1415 ; CNCDH 27 mars 2014, Avis sur le projet de loi relatif la prvention de la rcidive et lindividualisation des peines, JORF du 12 avril 2014, texte n 48, 86. 11 Dans ce sens CNCDH 15 avril 2010, Avis sur llaboration des lois, op. cit., 39. 12 A titre indicatif, tel a notamment t le cas de la loi n 200664 du 23 janvier 2006 relative la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives la scurit et aux contrles frontaliers, de la loi n 20071198 du 10 aot 2007 renforant la lutte contre la rcidive des majeurs et des mineurs, de la loi n 2008174 du 25 fvrier 2008 relative la rtention de sret et la dclaration d'irresponsabilit pnale pour cause de trouble mental, de la loi n 20121432 du 21 dcembre 2012 sur la scurit et la lutte contre le terrorisme ou encore de la loi n 20141353 du 13 novembre 2014 renforant les dispositions relatives la lutte contre le terrorisme. 13 CNCDH 15 avril 2010, Avis sur llaboration des lois, op. cit., 1213. 14 Article 8 de la loi organique n2009403 du 15 avril 2009 relative l'application des articles 341, 39 et 44 de la Constitution. 15 A plusieurs reprises, lEtude dimpact ne procde aucun examen en profondeur, aprs avoir voqu, sans en justifier, les difficults dune valuation (voir notamment Etude dimpact, pp. 64 et 73). 16 Etude dimpact, pp. 68, 7173.

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    droit existant (par exemple en ce qui concerne lallongement des dlais de conservation des interceptions des correspondances enregistres ou des donnes de connexion17), quand il ne procde pas par simple affirmation en sexonrant de toute rfrence documentaire (notamment lorsquest voqu lintrt de la captation des donnes informatiques18). La CNCDH avait dj dress des constats similaires propos de lEtude dimpact qui accompagnait le projet de loi renforant les dispositions relatives la lutte contre le terrorisme19. Pourtant, une valuation complte et rigoureuse contribuerait amliorer la qualit de la loi. Au lieu de cela, la succession des rformes, sans un tel travail, rend le droit trop souvent imprcis, voire indchiffrable et contradictoire20. Sagissant tout particulirement de la lgislation relative au terrorisme, la doctrine la plus autorise a relev ses faiblesses rdactionnelles, sources dambigits et de redondances21. Dans un domaine aussi sensible pour le droit au respect de la vie prive que le renseignement, la CNCDH se doit de rappeler avec force que toute ingrence dans ce droit doit se fonder, comme lexige la Cour europenne des droits de lhomme, sur une loi dune prcision particulire , cestdire des rgles claires et dtailles22. A cet gard, le Hautcommissariat des Nations unies aux droits de lhomme affirme trs justement quune loi qui est accessible mais dont les effets ne sont pas prvisibles, ne conviendra pas. De par leur caractre secret, les pouvoirs de surveillance spcifique prsentent un risque plus lev dexercice arbitraire du pouvoir discrtionnaire lequel risque exige en retour que la rglementation applicable au pouvoir discrtionnaire soit plus prcise et quun contrle additionnel soit mis en place 23.

    5. Plus fondamentalement, le consensus dont font lobjet les enjeux scuritaires et la lutte

    contre le terrorisme24 nuit un dbat de qualit : tout se passe comme si la simple invocation dune plus grande efficacit pouvait justifier ladoption, sans aucune discussion, des mesures les plus attentatoires aux liberts25. Dans le contexte actuel marqu par des annes de drive scuritaire26, la CNCDH se doit de raffirmer avec force que les Etats ne sauraient prendre, au nom dintrts considrs juste titre comme primordiaux (notamment : la lutte contre le terrorisme ou la sauvegarde des intrts fondamentaux de la Nation), nimporte quelle mesure27. La plus grande victoire des ennemis des droits de lhomme 28 (terroristes ou autres) serait de mettre en pril ltat de droit29 par lmergence et la consolidation dun tat prtendu de scurit qui se lgitimerait par ladoption de mesures de plus en plus svres et de plus en plus

    17 Ibid., pp. 5253. 18 Ibid., p. 66. 19 CNCDH 25 septembre 2014, Avis sur le projet de loi renforant les dispositions relatives la lutte contre le terrorisme, JORF n 0231 du 5 octobre 2014, texte n 45, 4. 20 Dans ce sens CNCDH 15 avril 2010, Avis sur llaboration des lois, op. cit., 1017. 21 J. Alix, Terrorisme et droit pnal. Etude critique des incriminations terroristes, Dalloz 2010 ; J. Alix, Rprimer la participation au terrorisme , RSC 2014, p. 849 et s. ; Y. Mayaud, La politique dincrimination du terrorisme la lumire de la lgislation rcente , AJ Pnal 2013, p. 443 et s. 22 Cour EDH 31 mai 2005, Vetter c. France, req. n 59842/00, 26. 23 Nations unies (Assemble gnrale), Conseil des droits de lhomme, Le droit la vie prive lre du numrique, Rapport du HautCommissariat des Nations unies aux droits de lhomme, A/HRC/27/37, 30 juin 2014, n 29, p. 11. 24 Voir P. Berthelet, Crimes et chtiments dans lEtat de scurit. Trait de criminologie politique, EPU 2015, p. 652 et s. 25 CNCDH 20 dcembre 2012, Avis sur la loi relative la scurit et la lutte contre le terrorisme, en ligne sur www.cncdh.fr. 26 CNCDH 27 mars 2014, Avis sur le projet de loi relatif la prvention de la rcidive et lindividualisation des peines, op. cit., 86. 27 CNCDH 25 septembre 2014, Avis sur le projet de loi renforant les dispositions relatives la lutte contre le terrorisme, op. cit., 5. 28 Voir D. Hoeges, Die Menschenrechte und ihre Feinde. Deutsche Profile zwischen Kaiserreich und Bundesrepublik, Machiaveli Edition 2013. 29 Dans ce sens voir C. Lazerges, Ddoublement de la procdure pnale et garantie des droits fondamentaux, Mlanges Bernard Bouloc, Dalloz 2007, p. 573 et s.

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    attentatoires aux droits et liberts fondamentaux30. Le prsent projet de loi sinscrit clairement dans cette volution en lgalisant le recueil du renseignement par le biais de techniques extrmement intrusives dont certaines, nous le verrons, permettent une surveillance de masse. Dans sa rsolution 68/167 adopte le 18 dcembre 2013, lAssemble gnrale des Nations unies se dclare profondment proccupe par lincidence nfaste que la surveillance ou linterception des communications, y compris en dehors du territoire national, ainsi que la collecte des donnes personnelles, notamment grande chelle, peuvent avoir sur lexercice et la jouissance des droits de lhomme , non sans avoir not que si le souci de la scurit publique peut justifier la collecte et la protection de certaines donnes sensibles, il ne dispense pas les Etats de respecter pleinement les obligations que leur impose le droit international des droits de lhomme 31. La CNCDH soutient cet effort constant pour raisonner la raison dEtat 32, faute de quoi les dmocraties ruineraient les principes qui les fondent et font leur force33.

    6. A linstar de la Cour de Justice de lUnion europenne34 et de la Cour europenne des

    droits de lhomme35, la CNCDH estime que le droit au respect de la vie prive constitue un rempart contre les possibles drives de ltat prtendu de scurit. Elle se doit de rappeler son profond attachement aux articles 7 et 8 paragraphe 1 de la Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne, ainsi qu larticle 8 de la Convention europenne des droits de lhomme ainsi rdigs :

    Article 7 de la Charte : Toute personne a droit au respect de sa vie prive et familiale, de son domicile et de ses communications . Article 8 paragraphe 1 de la Charte : Toute personne a droit la protection des donnes caractre personnel la concernant .

    Article 8 de la CESDH : Toute personne a droit au respect de sa vie prive et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingrence d'une autorit publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingrence est prvue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une socit dmocratique, est ncessaire la scurit nationale, la sret publique, au bientre conomique du pays, la dfense de l'ordre et la prvention des infractions pnales, la protection de la sant ou de la morale, ou la protection des droits et liberts d'autrui .

    7. La Cour de Strasbourg affirme solennellement en se fondant sur ce dernier texte que :

    Caractristique de ltat policier, le pouvoir de surveiller en secret les citoyens nest tolrable daprs la Convention que dans la mesure strictement ncessaire la sauvegarde des institutions dmocratiques 36 avant de souligner que les tats contractants ne disposent pas pour autant dune latitude illimite pour assujettir des mesures de surveillance secrte les personnes soumises leur juridiction. Consciente du danger () de saper, voire de dtruire, la dmocratie au motif de la dfendre, elle

    30 Voir P. Berthelet, op. cit., p. 652 et s. Voir galement J. Follorou, Dmocraties sous contrle. La victoire posthume dOussama Ben Laden, CNRS ditions 2014. 31 Assemble gnrale des Nations unies (68me Session) 18 dcembre 2013, Rsolution n 68/167 sur le droit la vie prive lre du numrique, A/RES/68/167, p. 2. 32 Voir M. DelmasMarty (dir.), Raisonner la raison dEtat, PUF 1989. 33 Dans ce sens E. Decaux, Terrorisme et droit international des droits de lhomme, in : H. Laurens et M. DelmasMarty (dir.), Terrorismes. Histoire et droit, CNRS Editions 2010, p. 304. 34 Voir surtout CJUE (Grande chambre) 8 avril 2014, Digital Rights Ireland Ltd c. Minister for Communications, Marine and Natural Ressources & autres, n C293/12 et C594/12. 35 Voir notamment Cour EDH 6 septembre 1978, Klass et autres c. Allemagne, req. n 5029/71. 36 Ibid., 42.

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    affirme quils ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre lespionnage et le terrorisme, nimporte quelle mesure juge par eux approprie () Quel que soit le systme de surveillance retenu, la Cour doit se convaincre de lexistence de garanties adquates et suffisantes contre les abus. 37. Pour la CNCDH ces garanties exigent :

    la prohibition de la surveillance de masse (I.) ; la clart et la prvisibilit de la loi (II.) ; le contrle effectif des techniques de renseignement (III.) ; le strict respect de la sparation des pouvoirs (IV.).

    I. PROHIBER LA SURVEILLANCE DE MASSE

    8. Le projet de loi comprend plusieurs dispositions relatives au recueil des donnes de connexion et aux interceptions des correspondances mises par la voie lectronique. Sur le fondement de larticle 8 de la CESDH, la Cour europenne des droits de lhomme estime que la fouille et la saisie de donnes lectroniques sanalysent en une ingrence dans le droit des requrants au respect de leur correspondance 38. Une telle ingrence doit imprativement poursuivre un objectif de dfense dun intrt lgitime. Comme lindique larticle 8 alina 2 de la CESDH dj mentionn, elle doit constituer une mesure qui, dans une socit dmocratique, est ncessaire la scurit nationale, la sret publique, au bientre conomique du pays, la dfense de l'ordre et la prvention des infractions pnales, la protection de la sant ou de la morale, ou la protection des droits et liberts d'autrui . Plusieurs dispositions du projet de loi ne rpondent pas ces exigences, ds lors quelles lgalisent audel des pratiques de surveillance ponctuelles et cibles ( targeted surveillance ), le recours des pratiques de surveillance permanente et gnrale ( dragnet surveillance )39 rendant la dfense dun intrt lgitime illusoire.

    A. PROHIBER LE RECUEIL GENERALISE ET INDIFFERENCIE DES DONNEES DE

    CONNEXION

    9. A titre liminaire, il doit tre prcis que les donnes de connexion ne portent pas sur le contenu des communications. De manire gnrale, ce sont les informations produites ou ncessites par lutilisation des rseaux de communications lectroniques, quil sagisse des communications tlphoniques ou des connexions au rseau internet (donnes de trafic, de localisation, de facturation, etc.)40. Les oprateurs disposent ainsi de deux catgories de donnes se rapportant aux utilisateurs de leurs rseaux : celles, administratives, relatives leurs clients quils traitent dans le cadre de leur relation commerciale (les nom, prnom, adresse, mode de paiement de labonnement, etc.) et celles, techniques, relatives aux communications mises par leurs clients sur leurs rseaux (numros de tlphone appelant et appel, date et dure de lappel ou de la connexion, identifiant de lappareil utilis par leurs clients, etc.)41. Ainsi que le prcise trs justement la Cour de justice de lUnion europenne, ces donnes, prises dans leur ensemble, sont susceptibles de permettre de tirer des conclusions trs prcises concernant la personne dont les donnes ont t conserves, telles que les habitudes de la vie quotidienne, les lieux de sjour permanents ou temporaires, les dplacements journaliers ou autres, les activits exerces, les relations sociales de ces personnes et les

    37 Ibid., 4950. 38 Cour EDH 16 octobre 2007, Wieser et Bicos Beteiligungen Gmbh c. Autriche, req. n 74336/01, 45. 39 Sur cette distinction, voir S.Y. Laurent, Libert et scurit dans un monde anomique de donnes , in : CNCIS, 22me rapport dactivit. Annes 20132014, La documentation franaise 2015, p. 16. 40 G. Mathias et A.C. Lorrain, Donnes de connexion : un tat des lieux ou une premire tentative de dmlage de la toile lgislative , RLDI n 11 (dcembre 2005), p. 334. 41 Ibid.

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    milieux sociaux frquents par cellesci 42. Plusieurs dispositions du projet de loi autorisent la collecte massive de donnes de connexion et permettent ainsi des agrgations dinformations ( mtadonnes ) qui vont bien audel de ce que lon obtient en accdant au seul contenu dune communication prive43.

    1. Prohiber la surveillance massive dcoulant du recueil en temps rel sur les

    rseaux des oprateurs

    10. Le nouvel alina premier de larticle L. 8513 du CSI rglemente, pour les seuls besoins de la prvention du terrorisme, le recueil des informations et documents mentionns larticle L. 8511 traits par les prestataires techniques de linternet et relatifs des personnes pralablement identifies comme prsentant une menace . Ce mme texte ajoute que ce recueil peut tre opr en temps rel sur les rseaux des oprateurs . Tout dabord, en se rfrant aux informations et documents mentionns larticle L. 8511 , le nouveau texte est relatif aux seules donnes techniques de connexion44 et non au contenu des correspondances (contenu des courriels, des SMS, etc.). Eu gard aux exigences de clart, daccessibilit et de prcision de la loi, il aurait t souhaitable que le nouvel article L. 8513 du CSI exclue explicitement de son champ dapplication les donnes de contenu relatives aux correspondances. Ensuite, la CNCDH exprime ses plus vives inquitudes lgard de ces modalits de recueil des donnes (en temps rel sur les rseaux des oprateurs et leur insu) qui sont extrmement intrusives ds lors quen pratique, elles donneront lieu une aspiration massive des donnes par le biais de procds technologiques tels que des sondes45. Enfin, la collecte des donnes concerne un ensemble de personnes pralablement identifies comme prsentant une menace . A cet gard, la CNCDH relve le caractre extrmement vague de ce critre, dont la mise en uvre reposera vraisemblablement sur un diagnostic de dangerosit et un pronostic de passage lacte terroriste par dfinition alatoires46. Dans ces conditions, le primtre exact des personnes concernes par le recueil des donnes de connexion nest pas clairement dfini.

    2. Prohiber la surveillance massive dcoulant de la mise en uvre dun dispositif algorithmique

    11. Un nouvel article L. 8514 du CSI prvoit, pour les seuls besoins de la prvention du terrorisme, la possibilit de recourir un dispositif destin dtecter une menace terroriste, sur la seule base de traitements automatiss et sans procder lidentification de personnes dtermines. En dautres termes, il sagit de reprer, par le biais dun algorithme, une succession suspecte de donnes de connexion anonymes et plus prcisment de dtecter des signaux dits faibles de prparation dun acte de

    42 CJUE (Grande chambre) 8 avril 2014, Digital Rights Ireland Ltd c. Minister for Communications, Marine and Natural Ressources & autres, op. cit., 27. 43 Nations unies (Assemble gnrale), Conseil des droits de lhomme, Le droit la vie prive lre du numrique, op. cit., n 19, p. 7. 44 Les donnes numres larticle L. 8511 du CSI sont les suivantes : les informations ou documents traits ou conservs par les rseaux ou services de communications lectroniques des prestataires techniques, y compris les donnes techniques relatives lidentification des numros dabonnement ou de connexion des services de communications lectroniques, au recensement de lensemble des numros dabonnement ou de connexion dune personne dsigne, la localisation des quipements terminaux utiliss, ainsi quaux communications dun abonn portant sur la liste des numros appels et appelants, la dure et la date des communications 45 Dans ce sens CNIL, Dlibration n 2015078 du 5 mars 2015 portant avis sur un projet de loi relatif au renseignement. Demande davis n 15005319, en ligne sur www.cnil.fr, pp. 89. 46 Voir CNCDH 27 mars 2014, Avis sur le projet de loi relatif la prvention de la rcidive et lindividualisation des peines, op. cit., 10. Sur la notion de dangerosit et ses drives, voir G. GiudicelliDelage et C. Lazerges (dir.), La dangerosit saisie par le droit pnal, PUF 2011.

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    terrorisme. Comme lindique utilement la CNIL, ceuxci sentendent de tendances, de modus operandi, ou encore de traces qui risquent dtre illisibles ou non dtectables isolment, mais qui, rapportes un ensemble de personnes, mettent en vidence des occurrences rvlatrices de certains comportements 47. Aprs passage en Commission des lois, le nouvel article L. 8514 du CSI prcise que les informations et documents susceptibles dtre traits sont ceux de larticle L. 8511 du mme code. Il ajoute que le dispositif algorithmique est destin tre utilis sans procder au recueil dautres donnes que celles qui rpondent aux critres de conception des traitements automatiss . La CNCDH ne peut que sen fliciter ds lors quelle avait recommand au lgislateur, lors de son audition du 25 mars 2015, de fixer le primtre exact des donnes susceptibles dtre traites et, le cas chant, collectes dans le cadre du nouveau texte. Toutefois, la CNCDH stonne de voir prcis dans le nouvel article L. 8541 du CSI que la mise en uvre du traitement automatis aura lieu sans procder lidentification des personnes auxquelles ces informations et documents se rapportent . La possibilit de lever lanonymat48 montre que le dispositif porte en ralit sur des donnes directement ou indirectement identifiantes et ne pouvant, pour cette raison, tre considres comme anonymes49. Enfin, quant la technologie employe, le recours un dispositif algorithmique suppose la dfinition pralable de critres de recherche et de slection dont la fiabilit et la pertinence ne sont pas assures dans les nouvelles dispositions50, qui se contentent, un peu trop facilement, dun avis, voire de recommandations, de la Commission nationale de contrle des techniques de renseignement (voir infra)51. Dans ces conditions, rien dans le texte ne permet de garantir avec certitude que les donnes brutes relatives des personnes totalement trangres la prparation dactes de terrorisme ne seront pas dtectes et, le cas chant, collectes puis conserves52. Au regard de ce qui prcde, la rdaction du nouvel article L. 8514 est, pour la CNCDH, insuffisamment protectrice.

    3. Prohiber la surveillance massive dcoulant de la mise en uvre dun dispositif

    de proximit ( IMSICatcher )

    12. Un nouvel article L. 8517 I. du CSI53 prvoyait, dans la version du projet de loi adopte en Conseil des ministres, le recueil des donnes techniques de connexion et de celles

    47 CNIL, Dlibration n 2015078 du 5 mars 2015, op. cit., p. 9. 48 Article L. 8514 alina 2 nouveau du CSI : Si une telle menace est ainsi rvle, le Premier ministre ou lune des personnes dlgues par lui peut dcider, aprs avis de la Commission nationale de contrle des techniques de renseignement dans les conditions prvues au chapitre Ier du titre II du prsent livre, de procder lidentification des personnes concernes et au recueil des informations ou documents affrents. Leur exploitation seffectue alors dans les conditions prvues au chapitre II du mme titre . 49 CNIL, Dlibration n 2015078 du 5 mars 2015, op. cit., p. 9 ; Commission de rflexion et de propositions sur le droit et les liberts lge numrique (Assemble nationale), Recommandation sur le projet de loi relatif au renseignement en cours dexamen au Parlement, en ligne sur www.assembleenationale.fr, 4. 50 Conseil national du numrique, Renseignement : le Conseil national du numrique sinquite dune extension du champ de la surveillance et invite renforcer les garanties et les moyens du contrle dmocratique , en ligne sur : www.cnumerique.fr. Monsieur Nitot souligne que le dispositif algorithmique a dmontr son extrme inefficacit aux EtatsUnis en dpit dinvestissements astronomiques. 51 Article L. 8514 alina 3 nouveau du CSI : La Commission nationale de contrle des techniques de renseignement met un avis sur le dispositif et les critres des traitements automatiss mentionns au premier alina du prsent article. Elle dispose dun accs permanent ceuxci, est informe de toute modification apporte et peut mettre des recommandations. Lorsquelle estime que les suites donnes ses avis ou ses recommandations sont insuffisantes, elle peut faire application de larticle L. 8216 . 52 Voir dans ce sens Commission de rflexion et de propositions sur le droit et les liberts lge numrique (Assemble nationale), op. cit., 4. Voir galement S.Y. Laurent, op. cit., p. 16, qui prcise que ce type de technologie brouille la notion de suspect du fait de llargissement de la surveillance. 53 Article L. 8571 I. nouveau du CSI : Pour la prvention des atteintes aux intrts publics mentionns larticle L. 8113, peuvent tre directement recueillies, au moyen dun dispositif technique de proximit mis en uvre par un service autoris le dtenir en vertu des dispositions du 1 de larticle 2263 du code pnal :

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    relatives la localisation des quipements terminaux partir dun dispositif technique de proximit . La Commission des lois de lAssemble nationale a supprim ce texte et consacr dans un nouvel article L. 8515 du CSI la possibilit pour les services de renseignement de collecter des donnes de connexion partir dun appareil ou dun dispositif technique mentionn au 1 de larticle 2263 du code pnal54. Demble, la CNCDH regrette profondment limprcision des nouvelles dispositions quant aux dispositifs techniques destins tre mis en uvre pour le recueil des donnes de connexion. Ce dfaut de qualit de la loi vaut habilitation pour les services de renseignement recourir aux technologies les plus intrusives, existantes ou venir. La prvisibilit du primtre de la loi est rduite nant. Plus concrtement, le nouvel article L. 8515 du CSI est destin lgaliser le recours la technologie dite de lIMSIcatching , qui permet de capter, par le biais dune fausse antenne relais, les donnes de connexion de toutes les personnes dtenant un priphrique lectronique (tlphone cellulaire, ordinateur, tablette, etc.) dans une zone gographique dtermine. Ainsi, les donnes relatives des personnes trangres la mission de renseignement se trouvant dans le primtre daction de lIMSIcatcher sont invitablement interceptes leur insu55.

    13. Sagissant du primtre des donnes pouvant tre collectes, la version initiale du texte le limitait trs strictement aux donnes de connexion strictement ncessaires lidentification dun quipement terminal ou au numro dabonnement de son utilisateur , ainsi quaux donnes techniques relatives la localisation des quipements terminaux utiliss . En renvoyant larticle L. 8511 du CSI la version adopte en Commission des lois tend considrablement le champ des donnes pouvant tre recueillies. A cela sajoute que la mise en uvre du dispositif peut tre autorise pour une dure de quatre mois renouvelable. Aussi, le nombre des donnes pouvant tre recueillies durant une telle priode estil considrable, ce qui pose indniablement problme lorsquelles sont relatives des personnes trangres la mission de renseignement.

    14. Par ailleurs, le texte adopt en Commission des lois dispose quun service du Premier ministre centralise les informations ou documents recueillis, qui sont dtruits ds quil apparat quils ne sont pas en rapport avec lautorisation de mise en uvre, dans un dlai maximal de trente jours . En pratique, labsence de rapport entre les donnes collectes et la mission de renseignement peut trs bien apparatre plusieurs mois aprs lautorisation de mise en uvre de la technique de renseignement. Ainsi, des personnes totalement trangres aux finalits de larticle L. 8113 du CSI aurontelles t surveilles, sans fondement lgal, durant une longue priode. Pour la CNCDH, les nouvelles dispositions ne les protgent pas suffisamment contre les risques inhrents la diffusion, la divulgation ou la dperdition des donnes les concernant. Le droit la protection des donnes personnelles nest donc pas garanti.

    1 Les donnes techniques de connexion strictement ncessaires lidentification dun quipement terminal ou du numro dabonnement de son utilisateur ; 2 Les donnes techniques relatives la localisation des quipements terminaux utiliss . 54 Le recueil des informations ou documents mentionns larticle L. 8511 peut galement tre autoris au moyen dun appareil ou dun dispositif technique mentionn au 1 de larticle 2263 du code pnal, qui fait lobjet dune inscription dans un registre spcial tenu la disposition de la Commission de contrle des techniques de renseignement et qui ne peut tre mis en uvre que par des agents individuellement dsigns et dment habilits. Un service du Premier ministre centralise les informations ou documents recueillis, qui sont dtruits ds quil apparat quils ne sont pas en rapport avec lautorisation de mise en uvre, dans un dlai maximal de trente jours . 55 Voir CNCDH 25 septembre 2014, Avis sur le projet de loi renforant les dispositions relatives la lutte contre le terrorisme, op. cit., 31 ; CNIL, Dlibration n 2015078 du 5 mars 2015, op. cit., p. 10.

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    15. Au regard de ce qui prcde, le projet de loi lgalise la possibilit dune collecte systmatique, gnralise et indiffrencie de donnes de connexion. De ce fait, la caractrisation dun intrt lgitime justifiant une ingrence dans lexercice du droit la vie prive est totalement illusoire. La CNCDH y voit une violation flagrante de larticle 8 de la CESDH.

    B. PROHIBER LE RECUEIL GENERALISE ET INDIFFERENCIE DES CORRESPONDANCES EMISES PAR LA VOIE ELECTRONIQUE

    16. En premier lieu, aux termes du nouvel article L. 8521 du CSI, les interceptions de correspondances mises par la voie des communications lectroniques peuvent tre autorises, ds lors quelles sont susceptibles de rvler des renseignements entrant dans les finalits mentionnes larticle L. 8114 (la scurit nationale, la prvention du terrorisme, la prvention de la criminalit et de la dlinquance organises, etc.). La CNCDH se doit dexprimer ses plus vives rserves lgard de ces nouvelles dispositions qui omettent le caractre exceptionnel du recours cette technique de renseignement. Surtout, le nouveau texte tend la possibilit dintercepter les correspondances lentourage de la personne initialement surveille, cestdire son univers relationnel. Le nouvel alina 1er de larticle L. 8521 dispose en effet : Lorsque une ou plusieurs personnes appartenant lentourage de la personne vise par lautorisation sont susceptibles de jouer un rle dintermdiaire, volontaire ou non, pour le compte de celleci ou de fournir des informations au titre de la finalit faisant lobjet de lautorisation, celleci peut tre accorde galement pour ces personnes . En voquant le caractre involontaire du rle dintermdiaire, sans donner davantage de prcisions, le nouveau texte ne fixe aucune limite stricte quant au primtre des personnes pouvant faire lobjet dune interception de correspondance. Son application permet, par un effet de raction en chane, linterception de correspondances mises entre des personnes qui ne sont pas en relation directe et immdiate avec les activits supposes dlictueuses de la personne surveille56. Pour la CNCDH, la mise en uvre des nouvelles dispositions aboutira en pratique autoriser la surveillance indiffrencie du contenu des communications lectroniques de personnes trangres la mission de renseignement. A cela sajoute que, selon ce mme article L. 8521 du CSI, lautorisation du recours une interception de correspondances mises par la voie de communications lectroniques vaut autorisation de recueil des informations ou documents mentionns larticle L. 8511 . En bref, lautorisation dune interception emporte le recueil des donnes de connexion. Il y a, cet endroit, une confusion fcheuse entre le recueil des donnes de contenu et le recueil des donnes de connexion, alors mme que leurs enjeux, leurs rgimes juridiques et les dispositifs techniques y affrents sont diffrents57. Il en rsulte quaudel des donnes de contenu, ce sont les donnes de connexion de personnes trangres la mission de renseignement qui pourront donc tre recueillies.

    17. En second lieu, il ressort de la lettre du nouvel article L. 8521 que les interceptions de scurit peuvent tre ralises par le biais dun dispositif de proximit58. Est donc rendue possible, par le biais de la technologie de IMSIcatching , la surveillance de la totalit des correspondances lectroniques mises et reues par toutes les personnes prsentes dans la zone gographique couverte par le dispositif. Pour la CNCDH, la mise en uvre de cette technologie aboutira invitablement intercepter en masse des correspondances mises ou reues par des personnes sans lien avec les motifs dintrt gnral justifiant le recours une technique de surveillance. Par ailleurs, le texte prcise certes que les

    56 Dans un tel cas de figure, la CJUE caractrise une atteinte disproportionne au droit la vie prive (voir CJUE (Grande chambre) 8 avril 2014, Digital Rights Ireland Ltd c. Minister for Communications, Marine and Natural Ressources & autres, op. cit., 5859). 57 Dans le mme sens, voir CNIL, Dlibration n 2015078 du 5 mars 2015, op. cit., p. 5. 58 Voir Assemble nationale, Rapport n 2697, op. cit., p. 65.

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    correspondances interceptes par cet appareil ou ce dispositif technique sont dtruites ds quil apparat quelles sont sans lien avec lautorisation dlivre . Mais si cela apparat de nombreux mois aprs la mise en uvre de la technique de renseignement, les personnes concernes auront t surveilles sans fondement lgal et sans tre protges contre les risques inhrents la diffusion, la dperdition ou la divulgation des renseignements collects. Comme prcdemment, la CNCDH y voit une atteinte au droit la protection des donnes personnelles.

    18. Au regard de ce qui prcde, comme pour le recueil des donnes de connexion, le projet de loi lgalise la possibilit de recourir des interceptions de correspondances lectroniques de manire systmatique, gnralise et indiffrencie. De ce fait, la caractrisation dun intrt lgitime justifiant une ingrence dans lexercice du droit la vie prive est totalement illusoire. La CNCDH y voit nouveau une violation flagrante de larticle 8 de la CESDH.

    C. PROTEGER LES PERSONNES AYANT UN STATUT SPECIFIQUE

    19. Lors de son audition devant la Commission des lois, la CNCDH a relev que la version du

    projet adopte en Conseil des ministres ne prvoyait aucune disposition spcifique en ce qui concerne les personnes ayant un statut ou exerant une profession imposant une protection spcifique, comme notamment les magistrats, les avocats, les parlementaires, les mdecins ou encore les journalistes59. A cet gard, la CNCDH estime que les personnes astreintes un secret professionnel doivent faire lobjet dun rgime juridique particulier60. Sagissant plus spcifiquement des journalistes, elle rappelle une nouvelle fois61, que la libert dexpression, garantie par larticle 10 de la CESDH, constitue lun des fondements essentiels dune socit dmocratique62. En effet, la presse a un rle indispensable de chien de garde en dmocratie 63 ; or sans protection du secret des sources par lEtat, son aptitude fournir des informations prcises et fiables pourrait sen trouver amoindrie 64. Ainsi, la protection du secret des sources est lune des pierres angulaires de la libert de la presse () 65 car elle garantit le droit linformation du public sur des questions dintrt gnral. Par consquent, la CNCDH regrette que le projet de loi ne comprenne aucune disposition gnrale relative la protection du secret des sources et restreignant la mise en uvre des techniques de renseignement lgard des journalistes.

    20. Elle se doit nanmoins de noter une amlioration dans le texte adopt en Commission des

    lois. Un nouvel article L. 8215 alina 3 du CSI interdit en effet de recourir la procdure durgence, ds lors que le recueil du renseignement porte sur un membre dune des professions ou sur le titulaire dun des mandats mentionns aux articles 561, 562 et 1007 du code de procdure pnale (avocats, magistrats, entreprises de presse ou de communication audiovisuelle et parlementaires). Pour la CNCDH, ces dispositions ne devraient pas tre cantonnes la seule procdure durgence. Elle recommande leur extension tous les cas dautorisation de recours une technique de renseignement. A

    59 Dans le mme sens, voir CNIL, Dlibration n 2015078 du 5 mars 2015, op. cit., p. 7 ; Commission de rflexion et de propositions sur le droit et les liberts lge numrique (Assemble nationale), op. cit., 4 ; DDD 2 avril 2015, Avis n 1504, pp. 35. 60 Dans ce sens CJUE (Grande chambre) 8 avril 2014, Digital Rights Ireland Ltd c. Minister for Communications, Marine and Natural Ressources & autres, op. cit., 58. 61 CNCDH 25 avril 2013, Avis sur la rforme de la protection du secret des sources, JORF n 0134 du 12 juin 2013, texte n 90. 62 Voir notamment Cour EDH, 28 juin 2012, Ressiot & autres c. France, req. n 15054/07 et 15066/07. 63 Cour EDH, 27 mars 1996, Goodwin c. RoyaumeUni, req. n 17488/90. 64 Ibid. 65 Ibid.

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    dfaut, la surveillance gnralise de ces personnes sera lgalise, au mpris des principes dmocratiques les plus lmentaires.

    D. EXCLURE LADMINISTRATION PENITENTIAIRE DE LA COMMUNAUTE DU

    RENSEIGNEMENT

    21. Un nouvel article L. 811466 ouvre la possibilit de dsigner par dcret en Conseil dEtat le bureau du renseignement de ladministration pnitentiaire, afin que celuici puisse recourir aux techniques de recueil du renseignement dans les conditions fixes par le code de la scurit intrieure. Lintgration potentielle de ladministration pnitentiaire dans la communaut du renseignement a t dcide en Commission des lois67, sans que cela ne donne pralablement lieu expertise. A cet gard, la CNCDH pense quune telle option est de nature bouleverser le rle dvolu au renseignement pnitentiaire charg aujourd'hui de recueillir et d'analyser les informations utiles la scurit des tablissements 68. Elle conduirait en effet faire voluer le mtier des surveillants pour crer un corps de professionnels du renseignement autoriss mobiliser, sur le fondement des finalits dfinies larticle L. 8113 du CSI (prvention du terrorisme, prvention de la criminalit organise, intrts conomiques, industriels et scientifiques majeurs de la France, etc.), des techniques particulirement intrusives, dont la mise en uvre ne sera ainsi plus destine au seul maintien de la scurit dans les tablissements pnitentiaires69. De plus, une telle volution brouillerait la nature des missions confres au service public pnitentiaire qui doit principalement contribuer linsertion ou la rinsertion des personnes qui lui sont confies par lautorit judiciaire, la prvention de la rcidive et la scurit publique dans le respect des intrts de la socit, des droits des victimes et des droits des personnes dtenues (article 2 de la loi n 20091436 du 24 novembre 2009 pnitentiaire). Pour toutes ces raisons, la CNCDH recommande dexclure ladministration pnitentiaire de la communaut du renseignement.

    22. Par ailleurs, la CNCDH a, dans son avis du 25 septembre 2014 relatif au projet de loi

    renforant les dispositions relatives la lutte contre le terrorisme, exprim son opposition lemploi par ladministration pnitentiaire de technologies telles que lIMSIcatching . A partir dun tel procd, les donnes techniques de connexion de personnes non dtenues prsentes dans ou proximit de ltablissement pnitentiaire (riverains, avocats, magistrats et autres personnels de justice, agents de ladministration pnitentiaire, journalistes, parlementaires, etc.) seront systmatiquement recueillies70. En labsence de dispositions protgeant les personnes ayant un statut spcifique et celles trangres la mission de renseignement, la CNCDH y voit un risque datteinte grave larticle 8 de la CESDH.

    23. En conclusion, les nouvelles dispositions bouleversent la politique du renseignement, ainsi

    que la conception du travail, des missions et des mesures de surveillance. Il ne sagit plus seulement daccder aux donnes utiles concernant une personne identifie comme

    66 Article L. 8114 nouveau du CSI : Un dcret en Conseil dtat, pris aprs avis de la Commission nationale de contrle des techniques de renseignement, dsigne ceux des services, autres que les services spcialiss de renseignement, relevant des ministres de la dfense, de la justice et de lintrieur ainsi que des ministres chargs de lconomie, du budget ou des douanes, qui peuvent tre galement autoriss recourir aux techniques mentionnes au titre V du prsent livre dans les conditions prvues au mme livre. Il prcise notamment, pour chaque service, celles des finalits mentionnes larticle L. 8113 et des techniques qui peuvent donner lieu autorisation . 67 Voir Assemble nationale, Rapport n 2697, op. cit., p. 53. 68 Article 2 de larrt du 9 juillet 2008 fixant lorganisation en sousdirections de ladministration pnitentiaire (NOR : JUSG0816354A). 69 Voir OIP, Insertion de la pnitentiaire dans la communaut du renseignement ? Une drive dangereuse, en ligne sur : www.oip.org. 70 Voir CNCDH 25 septembre 2014, Avis sur le projet de loi renforant les dispositions relatives la lutte contre le terrorisme, op. cit., 31.

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    devant faire lobjet dune surveillance particulire, mais de permettre de collecter de manire systmatique, gnralise et indiffrencie un volume important de donnes, qui peuvent, le cas chant, tre relatives des personnes totalement trangres la mission de renseignement. La CNCDH formulera trois remarques partir de ce constat. Tout dabord, lEtat va tre confront au problme du stockage de masse des donnes : du fait de leur volume, le traitement des informations collectes sera toujours en retard par rapport au flux de collecte, ce qui entranera un stockage extensif de donnes personnelles non analyses dont le cot pourrait se chiffrer en milliards71. Le silence de lEtude dimpact sur cette question et ses implications en termes de respect des droits et liberts fondamentaux est fort regrettable. Ensuite, il savre que dans le cadre de la surveillance de masse, la recherche technique a du mal distinguer les cibles domestiques des cibles trangres72. Le risque dun tat panoptique est donc prendre au srieux et un contrle efficace des oprations de recueil du renseignement est essentiel. Enfin, la collecte massive de donnes implique un traitement en masse de cellesci. Plus les donnes collectes sont massives, plus il devient indispensable de renforcer les capacits humaines et techniques dexploitation du renseignement73. Aussi, la dfinition pralable et la mise en uvre de mthodes rigoureuses de tri, danalyse et de traitement du renseignement savretelle indispensable74, comme le contrle et lvaluation indpendante de ces mthodes. L encore, lEtude dimpact est lacunaire.

    II. GARANTIR LA CLARTE ET LA PREVISIBILITE DE LA LOI

    24. A titre liminaire, il doit tre rappel que sur le fondement de larticle 8 de la CESDH, la Cour de Strasbourg estime que les mesures de surveillance doivent () se fonder sur une loi dune prcision particulire ; lexistence de rgles claires et dtailles apparat indispensable, dautant que les procds techniques utilisables ne cessent de se perfectionner 75. Plusieurs dispositions du projet de loi ne satisfont pas ces exigences.

    1. Rappeler solennellement le droit la protection des donnes personnelles

    25. Le projet de loi prvoit dintgrer dans le code de la scurit intrieure un article L. 811

    1 ainsi rdig : Le respect de la vie prive, dans toutes ses composantes, notamment le secret des correspondances et linviolabilit du domicile, sont garantis par la loi. Il ne peut y tre port atteinte que par lautorit publique, dans les seuls cas de ncessit dintrt public prvus par la loi, dans les limites fixes par celleci et dans le respect du principe de proportionnalit . La CNCDH ne peut que saluer ce rappel du droit au respect de la vie prive dans le code de la scurit intrieure. Ces nouvelles dispositions, de par leur prsence dans ce code, remplissent indniablement une fonction symbolique et pdagogique forte. Nanmoins, il simpose galement de rappeler le droit la

    71 J.C. Cousseran et P. Hayez, Renseigner les dmocraties, renseigner en dmocratie, Odile Jacob 2015, p. 94. Ces auteurs prcisent utilement que le centre de stockage de Bluffdale (Utah) a t financ hauteur de 2 milliards de dollars amricains. 72 Ibid., p. 94. 73 Voir le Livre blanc dfense et scurit nationale 2013, Paris 2013, p. 137. 74 Voir J.C. Cousseran et P. Hayez, op. cit., pp. 97132. Ces deux auteurs prcisent que la rouverture du champ du renseignement appelle une attention renouvele aux mthodes, aux procdures et aux structures de lanalyse (p. 132). 75 Cour EDH 31 mai 2005, Vetter c. France, req. n 59842/00, 26. Voir dj Cour EDH 24 avril 1990, Kruslin et Huvig c. France, Srie A n 176A et B, 3233. Pour plus de dtails, voir M.A. Granger, Constitution et scurit intrieure. Essai de modlisation juridique, LGDJ 2011, pp. 259288 ; R. KoeringJoulin, De lart de faire lconomie dune loi ( propos de larrt Kruslin et de ses suites) , Rec. Dalloz du 26 juillet 1990, pp. 187189.

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    protection des donnes personnelles76. Celuici est certes une composante essentielle du droit au respect de la vie prive77, mais il va bien audel de ce dernier droit (article 8 de la Charte des droits fondamentaux). A ce propos, la CNCDH rappelle que le traitement des donnes caractre personnel collectes dans le cadre de la mise en uvre des techniques de renseignement doit tre, en vertu de la Charte des droits fondamentaux de lUE, loyal (article 8 paragraphe 2) et soumis au contrle dune autorit indpendante (article 8 paragraphe 3). Il relve plus prcisment de la loi n 7817 du 6 janvier 1978 relative linformatique, aux fichiers et aux liberts. En consquence, la CNCDH appelle les pouvoirs publics accorder une extrme attention aux avis et recommandations de la CNIL afin de garantir le respect le plus strict des dispositions de la loi prcite.

    2. Revoir les motifs dintrt public autorisant le recours aux techniques de

    renseignement

    26. Le nouvel article L. 8113 du CSI numre limitativement les motifs dintrt public pour lesquels peut tre autoris le recueil du renseignement78. En labsence de dfinition prcise et restrictive de ces motifs, le champ du recours aux techniques de renseignement savre potentiellement illimit, alors quil doit imprativement demeurer exceptionnel79. A ce propos, il convient de relever le caractre particulirement flou de la notion dintrts majeurs de la politique trangre 80. Il en est de mme de la rfrence aux intrts conomiques, industriels et scientifiques majeurs de la France .

    27. Parmi ces motifs figure galement la prvention de la criminalit et de la dlinquance organise (article L. 8113, 6 nouveau du CSI)81. Cellesci reposent sur la notion

    76 Dans ce sens CNIL, Dlibration n 2015078 du 5 mars 2015, op. cit., p. 3 ; Commission de rflexion et de propositions sur le droit et les liberts lge numrique (Assemble nationale), op. cit., 2. 77 Cour EDH 26 mars 1987, Lander c. Sude, Srie A n 116, 48 propos dun fichier secret de la police utilis en cas de candidature dune personne un emploi important pour la scurit nationale. La Cour juge que la mmorisation ou la communication de donnes caractre personnel constituent une atteinte au droit au respect de la vie prive (article 8 de la CESDH). Pour plus de dtails, voir F. Sudre, Droit europen et international des droits de lhomme, PUF 2012, n 296, pp. 531533. 78 Article L. 8113 nouveau du CSI : Les services spcialiss de renseignement peuvent, dans lexercice de leurs missions, recourir aux techniques mentionnes au titre V du prsent livre pour le recueil des renseignements relatifs la dfense et la promotion des intrts publics suivants : 1 Lindpendance nationale, lintgrit du territoire et la dfense nationale ; 2 Les intrts majeurs de la politique trangre et la prvention de toute forme dingrence trangre ; 3 Les intrts conomiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ; 4 La prvention du terrorisme ; 5 La prvention des atteintes la forme rpublicaine des institutions, des violences collectives de nature porter atteinte la scurit nationale ou de la reconstitution ou dactions tendant au maintien de groupements dissous en application de larticle L. 2121 ; 6 La prvention de la criminalit et de la dlinquance organises ; 7 (Supprim) 8 (nouveau) La prvention de la prolifration des armes de destruction massive . 79 Dans ce sens CNCIS, 22me rapport dactivit, op. cit., p. 124. Voir galement B. Warusfel, Pour un approfondissement du cadre juridique des interception de scurit , in : CNCIS, 21me rapport dactivit. Annes 20122013, La documentation franaise 2014, pp. 2021, qui propose une dfinition prcise des motifs lgaux resserre autour de la notion de scurit intrieure . 80 Dans ce sens Union Syndicale des Magistrats, Observations de lUSM sur le projet de loi relatif au renseignement, Paris le 26 mars 2015, p. 7. 81 Remarquons que la CNCIS procde, ce jour, un contrle trs strict du recours ce motif lgal. Elle le rserve des agissements dune gravit certaine, souvent tendus par la recherche dun avantage financier ou matriel et mens par de vritables structures organises composes de plus de deux acteurs, participant dune entente pralable caractrisant une prmditation criminelle et cartant de ce fait la commission fortuite dune infraction la faveur de la circonstance aggravante de runion (CNCIS, 22me rapport dactivit, op. cit. p. 121).

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    extrmement floue de bande organise critique par la CNCDH82 et par la doctrine la plus autorise83 tant sur le plan juridique que sur le plan criminologique. De plus, le rgime de la criminalit et de la dlinquance organise est tentaculaire car la liste des infractions qui en relve est vaste, fluctuante et peu cohrente (voir les articles 70673 et 70674 du code de procdure pnale)84. En dfinitive, ces articles ne dfinissent pas un comportement incrimin, mais dsignent un inventaire d'infractions dont le seul point commun est d'tre commises en bande organise sans que l'on sache exactement ce qu'est une bande organise85. Dans ces conditions, lexigence de clart et de prcision de la loi nest pas remplie. La CNCDH recommande donc la suppression des nouvelles dispositions.

    28. Aux termes du projet de loi adopt en Conseil des ministres, un autre motif rsidait dans

    la prvention des violences collectives de nature porter gravement atteinte la paix publique (article L. 8113, 7 du CSI). Lors de son audition du 25 mars 2015, la CNCDH a exprim ses plus vives rserves lendroit de ce texte. En raison du caractre extrmement vague de la formulation retenue, la CNCDH a craint que ces nouvelles dispositions ne conduisent en pratique une surveillance systmatique et gnralise des mouvements sociaux. Elle a affirm y voir une atteinte disproportionne au droit de manifester (article 11 de la CESDH), ainsi quune violation des exigences de clart et de prcision de la loi. Par consquent, la CNCDH ne peut quapprouver la suppression de ce motif dintrt gnral par la Commission des lois. Elle est cependant totalement oppose lintroduction dans le code de la scurit intrieure dun motif dintrt gnral relatif la prvention des atteintes la forme rpublicaine des institutions ou des violences collectives de nature porter atteinte la scurit nationale . Cette rdaction imprcise encourt les mmes griefs que ceux exposs lencontre du motif supprim et permettra daboutir au mme rsultat, savoir la surveillance massive des mouvements sociaux. La CNCDH recommande en consquence la suppression des nouvelles dispositions.

    3. Affirmer clairement le principe de subsidiarit

    29. Le Conseil dEtat, se fondant sur le principe de proportionnalit, a certes estim quaux

    termes du projet de loi, le recours lutilisation dune technique de surveillance a lieu si et seulement si les renseignements ne peuvent tre recueillis par dautres moyens86. Mais il convient nanmoins de relever que cela nest prvu que dans des rgles spciales87. Le projet de loi ne contient malheureusement aucune disposition gnrale consacrant un principe de subsidiarit, en vertu duquel les mesures les plus intrusives ne doivent tre mises en uvre, qu dfaut defficacit de mesures moins intrusives dont lutilisation

    82 CNCDH 27 mars 2003, Avis sur lavantprojet portant adaptation des moyens de la justice aux volutions de la criminalit, en ligne sur : www.cncdh.fr. 83 Voir B. de Lamy, La loi n 2004204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux volutions de la criminalit (Crime organis Efficacit et diversification de la rponse pnale) , Rec. Dalloz 2004, pp. 19121913 ; B. De Lamy, Lavance de la conception matrielle de la lgalit criminelle , Rec. Dalloz 2004, p. 2756 ; C. Lazerges, Le Conseil constitutionnel acteur de la politique criminelle. A propos de la dcision 2004492 DC du 2 mars 2004 , RSC 2004, p. 725. 84 B. de Lamy, La loi n 2004204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux volutions de la criminalit (Crime organis Efficacit et diversification de la rponse pnale) , Rec. Dalloz 2004, pp. 19121913. 85 C. Lazerges, La drive de la procdure pnale , RSC 2003, p. 644. Article 13271 du code pnal : Constitue une bande organise au sens de la loi tout groupement form ou toute entente tablie en vue de la prparation, caractrise par un ou plusieurs faits matriels, d'une ou de plusieurs infractions . 86 Conseil dEtat, Assemble gnrale, session du 12 mars 2015, Extrait du registre des dlibrations. Avis sur un projet de loi relatif au renseignement, n 389.754, 7. 87 Seules des dispositions relatives des techniques de renseignement spcifiques conditionnent le recours cellesci au fait que les renseignements ne peuvent tre recueillis par un autre moyen lgalement autoris (voir les articles L. 8531 et L. 8532 nouveaux du CSI).

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    permet de produire un rsultat quivalent. La CNCDH recommande instamment une amlioration du projet de loi sur ce point.

    4. Encadrer le rgime de la surveillance internationale

    30. Un nouvel article L. 8541 du CSI rglemente les mesures de surveillance internationale

    dans le cadre dun rgime drogatoire qui ne prvoit quune autorisation du Premier ministre sans avis pralable de la CNCTR dont le contrle a posteriori se cantonne la formulation dobservations ou de recommandations. Sagissant des techniques de renseignement destines tre utilises, la version du texte adopte en Conseil des ministres voquait successivement la surveillance et le contrle des transmissions qui sont mises ou reues ltranger (alina 1er) puis linterception des communications concernes et lexploitation ultrieure des correspondances (alina 2). Lors de son audition du 25 mars dernier, la CNCDH a attir lattention du rapporteur sur le dfaut de clart de cette rdaction. La Commission des lois a modifi ces dispositions qui prcisent dornavant que la mesure est destine la surveillance et au contrle des communications mises ou reues ltranger. La CNCDH ne peut que saluer cette amlioration. Quant la procdure relative la surveillance internationale, il na cependant pas t mis fin au caractre peu explicite du nouvel article L. 8541 du CSI88. LEtude dimpact napporte au demeurant que peu dinformations ce sujet89 et il est renvoy un dcret en Conseil dEtat non publi (pris aprs avis de la CNCTR) pour fixer, en tant que besoin les modalits concrtes de mise en uvre de la mesure et du contrle des communications. En raison de ces imprcisions, il y a lieu de craindre que les techniques de renseignement mises en uvre dans le cadre de la surveillance internationale ne soient dpourvues de base lgale, en violation de larticle 8 de la CESDH.

    5. Encadrer le recueil des donnes informatiques

    31. Un nouvel article L. 8531 du CSI permet la captation, la transmission et lenregistrement de donnes informatiques transitant par un systme automatis de donnes ou contenues dans un tel systme . A ce propos, la CNCDH relve que la nature exacte des donnes informatiques vises par ces nouvelles dispositions, ainsi que les dispositifs techniques destins tre mis en uvre90, ne sont pas prciss. Cela nuit la clart et la prvisibilit du texte91. Comme prcdemment, il est port atteinte larticle 8 de la CESDH.

    III. GARANTIR UN CONTRLE EFFECTIF DU RENSEIGNEMENT

    A. RENFORCER LE RLE DE LA COMMISSION NATIONALE DE CONTRLE DES TECHNIQUES DE RENSEIGNEMENT

    32. Le projet de loi instaure une autorit administrative indpendante (AAI) dnomme

    Commission nationale de contrle des techniques de renseignement (CNCTR)92. Ainsi

    88 Dans ce sens CNIL, Dlibration n 2015078 du 5 mars 2015, op. cit., p. 8. 89 Etude dimpact, p. 68, qui voque un rgime spcifique aux interceptions de communications lectroniques mises ou reues ltranger. 90 Il peut sagir notamment de lenregistrement des frappes de clavier, de copies dcran, etc. 91 Dans ce sens CNIL, Dlibration n 2015078 du 5 mars 2015, op. cit., p. 7. 92 Voir L. Gautier (dir.), Le renseignement en France : quelles perspectives ? Etude ralise par le groupe Orion, Fondation Jean Jaurs, avril 2012, qui soutient la cration dune AAI en matire de renseignement pour veiller lquilibre ncessaire entre les impratifs de scurit et la garantie des liberts individuelles. Voir galement J.J. Urvoas, Contrler les services : ode la Commission nationale de contrle des interceptions de scurit , in : CNCIS, 21me rapport dactivit, op. cit., pp. 1216.

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    que le prcise trs justement le Conseil dEtat dans son avis sur le projet de loi, ds lors que cette Commission constitue lune des garanties essentielles entourant la mise en uvre des techniques de renseignement (), sa composition, ses missions et ses rgles dontologiques doivent tre dfinies de manire garantir leffectivit de son contrle 93. En tant que AAI, il va de soi que la CNCTR ne reoit en cette qualit ni ordre ni instruction daucune autorit (article L. 8321 nouveau du CSI)94. Il va galement de soi que lindpendance de la Commission doit tre garantie dans son fonctionnement, sa composition et les moyens qui lui sont allous pour mener bien sa mission. A cet gard, la CNCDH se doit dexprimer ses plus vives rserves lendroit de plusieurs des nouvelles dispositions figurant dans le code de la scurit intrieure sous un Livre VIII. / Titre III. consacr la CNCTR.

    1. Amliorer la composition de la CNCTR

    33. Pour ce qui est de la composition de la CNCTR, un nouvel article L. 8311 du CSI prvoit

    dy faire siger neuf membres (deux dputs, deux snateurs, deux membres du Conseil dEtat, deux magistrats de la Cour de cassation et une personnalit qualifie)95. Si la CNCDH se flicite de la dsignation des dputs et snateurs par leurs assembles respectives, elle regrette quaucune validation par les commissions des lois ne soit prvue. En outre et surtout, la composition retenue comprend quatre parlementaires dont la disponibilit ne peut, en raison des contraintes dcoulant de lexercice de leur mandat, tre garantie. A cet gard, il faut avoir lesprit que le dernier alina de larticle L. 8213 du CSI dispose quen labsence davis rendu par le prsident, ou par le membre de la commission dsign par lui, dans le dlai de vingtquatre heures ou, si elle a t saisie, par la commission dans le dlai de trois jours ouvrables, lavis est rput rendu. Dans ce dernier cas de figure, qui est relatif lhypothse o il existe une incertitude quant la validit dune demande de recours une technique de renseignement, il est craindre que la CNCTR ne puisse pas toujours se runir facilement dans les trois jours ouvrables. Pour la CNCDH, les rgles de composition de la nouvelle AAI ne garantissent donc pas leffectivit de la mission de contrle que la loi lui confre.

    34. Par ailleurs, les nouvelles dispositions prvoient que les membres de la Cour de cassation et du Conseil dEtat sont proposs par des chefs de leurs juridictions respectives. En ltat actuel du texte, au demeurant peu explicite, il semblerait que leur dsignation soit ensuite ralise par lexcutif, avant leur nomination par dcret du Premier ministre. Pour la CNCDH, lindpendance et limpartialit de la nouvelle AAI ne sont pas garanties dans le nouvel article L. 8311 du CSI, ds lors que le projet de loi attribue corrlativement au Premier ministre une comptence de principe pour autoriser la mise en uvre dune technique de renseignement (article L. 8214 nouveau du CSI). En consquence, elle recommande que lassemble gnrale de la Cour de cassation et celle

    93 Conseil dEtat, Assemble gnrale, Avis sur un projet de loi relatif au renseignement, op. cit., 6 et 9. 94 Article L. 8321 nouveau du CSI : Dans lexercice de leurs attributions les membres de la commission ne reoivent dinstruction daucune autorit . 95 Article L. 8311 nouveau du CSI : La Commission nationale de contrle des techniques de renseignement est une autorit administrative indpendante. Elle est compose de neuf membres : 1 Deux dputs et deux snateurs, dsigns respectivement pour la dure de la lgislature par le prsident de lAssemble nationale et aprs chaque renouvellement partiel du Snat par le prsident du Snat, de manire assurer une reprsentation pluraliste du Parlement ; 2 Deux membres ou anciens membres du Conseil dtat, dun grade au moins gal celui de conseiller dtat, nomms sur proposition du viceprsident du Conseil dtat ; 3 Deux magistrats ou anciens magistrats hors hirarchie de la Cour de cassation, nomms sur proposition conjointe du Premier prsident et du Procureur gnral de la Cour de cassation ; 4 Une personnalit qualifie pour sa connaissance en matire de communications lectroniques, nomme sur proposition du prsident de lAutorit de rgulation des communications lectroniques et des postes .

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    du Conseil dEtat dsignent les magistrats, avant leur nomination par dcret du Prsident de la Rpublique, comme cest dj le cas pour le Prsident de la CNCTR96.

    35. Au regard de ce qui prcde, la CNCDH invite instamment, linstar du Conseil dEtat,

    adopter une composition resserre de cinq personnalits indpendantes et disponibles et une prsence temps plein et permettant une prsence suffisante parmi les membres de la commission comme au sein de ses services, de personnes possdant les qualifications idoines en matire de rseaux de communication et de protection des donnes personnelles 97. Cette option permet de prserver le secret de la dfense nationale (moins les membres en seront nombreux, moins le risque de divulgation dinformations sera lev) tout en rendant paralllement le contrle de la nouvelle AAI pleinement effectif. En raison de la complexit des missions attribues la CNCTR, la CNCDH pense quil est particulirement indispensable de recourir au service de magistrats dtachs et de personnes qualifies disposant dune expertise technique suffisante et de formations rgulires dans ce domaine98.

    2. Garantir le principe de collgialit

    36. Sagissant des modalits de dlivrance de lavis rendu par la CNCTR, un nouvel article L.

    8213 alina 1er du CSI99 prvoit assez paradoxalement quun avis favorable une demande de mise en uvre dune technique de renseignement est rendu par un seul de ses membres. Sil est prvu que ce dernier doit avoir la qualit de magistrat100, il convient nanmoins de relever que les membres issus du Conseil dEtat et de la Cour de cassation ninterviennent pas la CNCTR dans le cadre de leurs fonctions juridictionnelles. En revanche, lorsque la validit de la demande de mise en uvre dune technique de renseignement nest pas certaine , les nouvelles dispositions exigent la runion de la CNCTR, qui se prononce la majorit absolue101. Autrement dit, la collgialit est prvue, non pas dans lhypothse o un avis favorable une atteinte au droit au respect de la vie prive est rendu, mais uniquement dans celle o le membre de la CNCTR estime que la licit de cette atteinte est incertaine.

    37. La Commission des lois a organis une relative symtrie des rgles de fonctionnement en

    compltant larticle L. 8213 par un deuxime alina ainsi rdig : Pour les cas o la commission nest pas runie, les autres membres sont informs dans un dlai de vingtquatre heures de lavis rendu par le prsident ou par le membre concern. Si deux membres au moins lui en font la demande, le prsident runit la commission, qui statue dans un dlai de trois jours ouvrables suivant lavis initial . Sil est dsormais possible de revenir sur un avis favorable la mise en uvre dune technique de renseignement

    96 Article L. 8311 alina 7 nouveau du CSI : Le prsident de la commission est nomm par dcret du prsident de la Rpublique parmi les membres nomms par le viceprsident du Conseil dtat ou ceux nomms conjointement par le Premier prsident et le Procureur gnral de la Cour de cassation . 97 Conseil dEtat, Assemble gnrale, Avis sur un projet de loi relatif au renseignement, op. cit., 9. 98 Dans ce sens Conseil national du numrique, op. cit. : La technique aura toujours une avance sur le droit. Si le Code fait la Loi, alors il est crucial de doter les autorits de contrle de larges pouvoirs denqute et dune expertise technique suffisante , relve Benot Thieulin, Prsident du CNNum. 99 Article L. 8213 alina 1er nouveau du CSI : La demande est communique au prsident ou, dfaut, lun des membres de la Commission nationale de contrle des techniques de renseignement parmi ceux mentionns aux 2 et 3 de larticle L. 8311, qui rend un avis au Premier ministre dans un dlai de vingtquatre heures sauf lorsquil estime que la validit de la demande au regard du prsent livre nest pas certaine et quil dcide de runir la commission. Celleci rend alors son avis dans un dlai de trois jours ouvrables . 100 Voir sur ce point Assemble nationale, Rapport n 2697, op. cit., pp. 5455 et 59. 101 Article L. 8323 nouveau du CSI : La Commission nationale de contrle des techniques de renseignement tablit son rglement intrieur. Elle ne peut valablement dlibrer que si au moins quatre membres sont prsents. En cas de partage gal des voix, la voix du prsident est prpondrante .

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    rendu par une seule personne, les nouvelles dispositions ne gnralisent pas la collgialit au stade de la formulation dun tel avis favorable.

    38. Pour la CNCDH ces nouvelles dispositions, combines celles relatives la composition

    de la CNCTR (voir supra), ne garantissent pas lapparence dindpendance et dimpartialit de cette dernire. En consquence, la CNCDH recommande une symtrie totale des rgles de fonctionnement par un recours systmatique la collgialit, ce qui suppose, au pralable, une amlioration des rgles de composition de la nouvelle AAI.

    3. Renforcer les prrogatives de la CNCTR

    39. Pour la CNCDH, il est indniable que le renforcement des prrogatives de la CNCTR

    constitue lune des garanties essentielles entourant le recours aux techniques de renseignement et le contrle de cellesci102. LEtude dimpact souligne dans ce sens que les pouvoirs de la CNCTR doivent tre largis pour permettre cette AAI de constituer un contrepoids efficace au Gouvernement dans lutilisation des techniques de renseignement 103.

    40. Pour autant, la CNCDH regrette que la CNCTR ne dispose que dun pouvoir de

    recommandation ne liant pas le Premier ministre. Seul un avis pralable et conforme constituerait une vritable garantie104, dautant que si le Premier ministre ne donne pas suite aux recommandations de la Commission ou lorsque les suites sont insuffisantes, la CNCTR ne dispose que de la facult de saisir le Conseil dEtat aprs dlibration (article L. 8216 alina 3 du CSI105), cestdire la majorit simple106. Pour la CNCDH, cela montre bien que le pouvoir de dcision du Premier ministre est exerc sous le seul contrle du Conseil dEtat107.

    41. La CNCDH regrette galement que les nouvelles dispositions ne prvoient pas le recueil

    pralable de lavis de cette AAI : en cas de recours aux mesures de surveillance internationale, dont le contrle a

    posteriori est limit la simple formulation de recommandations et dobservations (article L. 8541 nouveau du CSI) ;

    en cas durgence lie une menace imminente ou un risque trs lev de ne pouvoir effectuer lopration ultrieurement , puisque dans ce cas lautorisation de recourir une technique de renseignement est donne par le chef de service ou la personne spcialement dlgue par lui charge den informer sans dlai et par tout moyen le ministre comptent, le Premier ministre et la CNCTR (article L. 8215 nouveau du CSI108).

    102 Conseil dEtat, Assemble gnrale, Avis sur un projet de loi relatif au renseignement, op. cit., 6 et 9. 103 Etude dimpact, p. 54. 104 Dans ce sens Union Syndicale des Magistrats, Observations de lUSM sur le projet de loi relatif au renseignement, op. cit., p. 11. Comp. B. Warusfel, op. cit., p. 21 qui propose de confrer la CNCIS un pouvoir dautorisation. 105 Article L. 8216 alina 3 du CSI : Lorsque le Premier ministre ne donne pas suite ses recommandations ou lorsquelle estime que les suites qui y sont donnes sont insuffisantes, la commission peut dcider, aprs dlibration, de saisir la formation de jugement spcialise mentionne au titre IV du prsent livre . 106 Voir Assemble nationale, Rapport n 2697, op. cit., p. 60. 107 Dans ce sens Union Syndicale des Magistrats, Observations de lUSM sur le projet de loi relatif au renseignement, op. cit., p. 17. 108 Article L. 8215 nouveau du CSI : En cas durgence lie une menace imminente ou un risque trs lev de ne pouvoir effectuer lopration ultrieurement, et par drogation aux articles L. 8211 L. 8214, le chef de service ou la personne spcialement dlgue par lui peut autoriser de manire exceptionnelle la mise en uvre dune technique de recueil de renseignement mentionne au titre V du prsent livre. Il en informe sans dlai et par tout moyen le ministre comptent et le Premier ministre ou lune des personnes par eux dlgues ainsi que la Commission nationale de contrle des techniques de renseignement qui peut alors agir dans les conditions prvues larticle L. 8216.

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    La CNCDH est oppose cette juxtaposition de rgimes juridiques distincts se passant du contrle pralable de la CNCTR109. Elle exprime ses plus vives inquitudes lgard des nouvelles dispositions qui habilitent les services de renseignement procder, seuls et pendant 24 heures, une golocalisation, la collecte de donnes de connexion, la sonorisation de certains lieux ou vhicules, la captation dimages et de donnes informatiques, ou encore linterception de communications. La mise en uvre de ces techniques dpend au demeurant de critres alternatifs extrmement vagues (lurgence lie lexistence dune menace imminente ou le risque lev de ne pouvoir effectuer lopration ultrieurement). Aussi les services de renseignement pourrontils, dans la majorit des cas, directement recourir ces mesures sans avis de la CNCTR ni autorisation pralable du Premier ministre et ce, pendant une dure relativement longue. Plus fondamentalement, il convient galement de rappeler que, dans un important arrt, la chambre criminelle de la Cour de cassation a dcid quil se dduit de larticle 8 de la CESDH que la technique dite de golocalisation constitue une ingrence dans la vie prive dont la gravit ncessite quelle soit excute sous le contrle dun juge 110. Il en est plus forte raison de mme sagissant des autres techniques de renseignement numres plus haut. Dans ces conditions, la CNCDH affirme sa plus vive opposition aux dispositions contenues dans larticle L. 8215 du CSI.

    42. Enfin, si le contrle de la CNCTR a toute sa pertinence pour le recours des techniques

    cibles sur des personnes pralablement identifies, la CNCDH craint que sa porte ne soit trs fortement attnue dans le cadre des techniques de renseignement permettant une surveillance de masse111. A cet gard, elle se doit de formuler plusieurs observations. Premirement, il nest pas clairement tabli que la CNCTR sera en mesure de faire face au flux des demandes individuelles qui lui seront adresses en vertu des nouveaux articles L. 8212 et L. 8213 du CSI, mme si en vertu dun nouvel article L. 8324 du CSI la commission dispose des moyens humains et techniques ncessaires laccomplissement de sa mission ainsi que des crdits correspondants, dans des conditions fixes par la loi de finances . En effet, lEtude dimpact, qui se contente dvoquer une augmentation des moyens de lAAI112, ne comprend malheureusement aucune analyse dtaille ni aucune projection documente et chiffre. Deuximement, le projet de loi et lEtude dimpact sont totalement silencieux sur les modalits du contrle des technologies employes pour recueillir le renseignement. A titre dexemple, la CNCDH se demande comment la CNCTR pourra vrifier si lutilisation du dispositif algorithmique est ralise conformment aux missions et critres prdfinis (voir le nouvel article L. 8514 alina 3 du CSI113). La composition de lAAI retenue dans le projet de loi ne lui permettra pas de mener bien cette mission.

    Le Premier ministre peut ordonner tout moment que la mise en uvre de la technique concerne soit interrompue et les renseignements collects dtruits. Le chef de service ou la personne spcialement dlgue par lui fait parvenir, dans un dlai maximal de 24 heures, tous les lments de motivation au Premier ministre ainsi qu la Commission nationale de contrle des techniques de renseignement afin de justifier sa dcision. Le prsent article nest pas applicable lorsque lintroduction prvue larticle L. 8532 du prsent code concerne un lieu priv usage dhabitation ou que la mise en uvre dune technique de recueil de renseignement porte sur un membre dune des professions ou sur le titulaire dun des mandats mentionns aux articles 561, 562 et 1007 du code de procdure pnale . 109 Voir CNCIS, 22me rapport dactivit, op. cit., pp. 103104, qui plaide pour une unification du cadre lgal du recueil des renseignements. 110 Cass. crim. 22 octobre 2013, n 1381945. Voir galement Cass. crim 22 novembre 2011, n 1184.308 ; Cass. crim. 6 janvier 2015, n 1484.822. 111 Dans ce sens voir galement CNIL, Dlibration n 2015078 du 5 mars 2015, op. cit., p. 10. 112 Etude dimpact, p. 56. 113 Article L. 8514 alina 3 nouveau du CSI : La Commission nationale de contrle des techniques de renseignement met un avis sur le dispositif et les critres des traitements automatiss mentionns au premier alina du prsent article. Elle dispose dun accs permanent ceuxci, est informe de toute

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    Troisimement, la CNCDH estime que les moyens de recueil du renseignement devront tre confis un service technique neutre qui nest pas en charge de lexploitation du renseignement114. Lefficacit du contrle de la CNCTR en dpend. Quatrimement, des dispositions spciales (voir les articles L. 8515 et L. 8521 du CSI examins plus haut) donnent comptence au Premier ministre pour procder la centralisation des donnes de connexion et celle des correspondances interceptes. Pour la CNCDH, il aurait t prfrable quune disposition gnrale prvoie cela pour chaque catgorie de donnes collectes, lactuelle rdaction de larticle L. 8221 du CSI tant insuffisamment explicite115. En effet, il ne faudrait pas que cette centralisation soit exclue en dehors des cas prvus par les textes spcifiques. De plus et surtout, il est regrettable que lExpos des motifs et lEtude dimpact passent sous silence la question cruciale des modalits concrtes de la centralisation des donnes brutes, notamment le lieu de leur stockage qui doit imprativement tre un lieu neutre. Pourtant, de lorganisation de cette centralisation dpendra lorganisation dun contrle effectif du respect du cadre lgal116. Cinquimement, si la CNCTR se voit reconnatre un droit daccs permanent aux renseignements collects (article L. 8332, 2 nouveau du CSI)117, les nouvelles dispositions doivent, pour la CNCDH, tre interprtes dans le sens dun accs permanent aux donnes brutes collectes118. Cela tant, ni le projet de loi ni lEtude dimpact nexplicitent les modalits concrtes de laccs de la CNCTR ces donnes brutes. Au vu de leur masse, seul un accs certes permanent, mais encore gnralis et immdiat, lui permettrait de mener bien sa mission de contrle. Siximement, toujours en raison de limportance quantitative des donnes susceptibles dtre collectes, il apparat indispensable de fixer des critres de pertinence (et de non pertinence) de cellesci. A dfaut, on peut lgitimement douter que la CNCTR soit facilement en mesure de dterminer rapidement si les donnes qui lui sont remises sont pertinentes ou pas. La Commission ne pourra pas plus contrler si les donnes sans lien avec la mission de renseignement ont t dtruites conformment aux dispositions des articles L. 8515 et L. 8521 du CSI. Dans ces conditions, la CNCDH craint que lAAI ne puisse remplir efficacement et promptement sa mission de contrle.

    43. Au regard de ce qui prcde, le contrle de la nouvelle AAI risque fortement de ne pas

    tre effectif. La CNCDH estime que les nouvelles dispositions, faute dorganiser un contrle suffisant des techniques de renseignement, sont susceptibles de porter une atteinte grave larticle 8 de la CESDH.

    B. REDUIRE LES DUREES DE CONSERVATION DES DONNEES ET RENSEIGNEMENTS

    COLLECTES

    modification apporte et peut mettre des recommandations. Lorsquelle estime que les suites donnes ses avis ou ses recommandations sont insuffisantes, elle peut faire application de larticle L. 8216 . 114 CNCIS, 22me rapport dactivit, op. cit., p. 88, qui prcise utilement propos du GIC quil offre une sparation claire et prcise entre lautorit qui demande la ralisation dune interception, lautorit de contrle et lautorit de dcision (le Premier ministre). 115 Cet article dispose que le Premier ministre dfinit les modalits de la centralisation des renseignements , sans prciser sil sagit des donnes brutes collectes, des transcriptions ou des analyses. 116 Conseil dEtat, Assemble gnrale, Avis sur un projet de loi relatif au renseignement, op. cit., 6. 117 Article L. 8332, 2 du CSI : Les ministres, les autorits publiques, les agents publics prennent toutes mesures utiles pour faciliter laction de la commission. Pour laccomplissement de sa mission, la commission : () 2 Dispose dun accs permanent aux relevs, registres, renseignements collects, transcriptions et extractions mentionns au prsent livre . 118 La version du projet de loi adopte en Conseil des ministres voquait explicitement un droit daccs aux donnes collectes .

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    44. Un nouvel article L. 8222 du CSI fixe les dures maximales de conservation des donnes collectes119. Sagissant des interceptions de scurit, le nouvel article L. 8221 du CSI fait passer de 10 jours potentiellement un an le dlai de conservation des correspondances enregistres120. En ltat actuel du texte, la brivet du dlai impose la transcription rapide de cellesci, afin que la Commission nationale de contrle des interceptions de scurit (CNCIS) puisse immdiatement remplir sa mission de contrle, en confrontant le contenu des enregistrements celui de leur transcription. Du fait de laugmentation du dlai prvue par le projet de loi, des enregistrements pourront demeurer de nombreux mois sans transcription, ce qui entrane un risque non ngligeable de dperdition, voire de divulgation du renseignement. Cet allongement du dlai aura surtout pour consquence fcheuse de retarder le contrle de la nouvelle CNCTR et de le rendre ainsi quasiment inefficace. En pratique, des personnes pourraient tre surveilles pendant de nombreuses heures, sans que cela soit justifi au regard des dispositions du code de la scurit intrieure et sans que la nouvelle Commission puisse recommander promptement quil soit mis fin, tout aussi promptement, linterception. Par voie de consquence, les nouvelles dispositions sont de nature porter une atteinte disproportionne au droit la vie prive garanti larticle 8 de la CESDH. La CNCDH recommande instamment le maintien 10 jours de la dure de conservation des correspondances enregistres121.

    45. Le mme article L. 8222 du CSI fait passer de 3 5 ans la dure maximale de

    conservation des donnes de connexion. LEtude dimpact est totalement silencieuse sur les raisons de cette modification, alors pourtant que la Cour de justice de lUnion europenne exige que des critres objectifs soient tablis afin de garantir que la dure de conservation soit limite au strict ncessaire122. A cela sajoute quaudel du risque de dperdition et de divulgation inhrent cette longue dure de conservation, il est indniable que celleci pose problme au vu de la sensibilit des donnes concernes, notamment du fait de leur collecte systmatique, indiffrencie et gnralise123. La CNCDH y voit un risque non ngligeable de violation du droit au respect de la vie prive et recommande en consquence un abaissement de la dure de conservation des donnes de connexion.

    46. Par ailleurs, le deuxime alina de larticle L. 8222 du CSI dispose : En cas de stricte

    ncessit, pour les seuls besoins de lanalyse technique, ceux des renseignements collects qui contiennent des lments de cyberattaque ou qui sont chiffrs, ainsi que les donnes dchiffres associes ces dernires, peuvent tre conservs audel de la dure mentionne au premier alina du prsent I, lexclusion de tou