prince de danemark - maison de l'orient et de la

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PRIX 50 CENTIMES MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS RUE AUBER, 3, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15 A LA LIBRAIRIE NOUVELLE PRIX 5 0 CENTIMES PRINCE DE DANEMARK . DRAME EN VERS, EN CINQ ACTES ET HUIT PARTIES MM. ALEXANDRE DUMAS ET PAUL MEURICE REPRÉSENTÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS, A PARIS, SUR LE THÉÂTRE-HISTORIQUE, LE 15 DÉCEMBRE 184T ET REPRIS AU THÉÂTRE DE LA GAITÉ, LE 30 NOVEMBRE 1867 DISTRIBUTION D E L A PIECE ThĂ©ltre-Hiatonque. HAMLET MM. ROOTIÉRE. LE FANTOME du pire d'Haralct CLAUDIUS, roi de Danemark .... T0L0N1US, chambellan. LAERTE, son (ils 110RATI0 MARCELLUS GUILDENSTERN ROSENCRANTZ C RETTE. GEORCES. B ARRÉ. R OSKT. P EUPIN. ALEXANDRE. LINGÉ. ARMAND. ThĂ©Ăątre de la Galte. M">E J UDITH. MM. BRÉMONT. LATOUCHE. ALEXANDRE. CH. L EMAITRE. DALBA. JOUANNY. GASPARD. H ENRY. ThĂ©Ure-Ηί torique. PREM1F.II FOSSOYEUR MM. BOILEAU. DEUXIÈME FOSSOYEUR CASTEL. U N C O M É D I E N . — L E PROLOGUE. GOIVZAGUE BEIULIED. L U C I A N U S . UN MOINE BONNET. GERTRUUE, reine de Danemark..MM" P AYRE. OPIIELIE P ERSO*. BAPTISTA, reine de thĂ©Ăątre RACINE. ThĂ©Stre de la CillĂ© MM. COLLEDILLE. MALLET. J OLIAN. R EYKSRS. M""· F. GÉNAT. ]. C LARENC*. VERDIER. Droit» de reprĂ©sentation, do roiroduction et do traduction rĂšMrré· — ACTE PREMIER. PREMIERE PARTIE. La salle du trĂŽne au chĂąteau royal d'Elseneur. SCÈNE I. LE ROI, LA REINE, prenant place sur le trĂŽne, IIAMLET, POLONIUS, TOUTE LA COUR. Vive le roi ! COURTISANS. LE ROI, saluant. Messieurs, merci. COURTISANS. Vive lareƓef LA REINE. Dieu vous garde, messieurs! LE ROI. Je pliais sous la peine Dont m'accabla la mort d'un frĂšro bien-aimĂ© : Mais, aujourd'hui, mon front Ă  vos cris ranimĂ© Se relĂšve, et, malgrĂ© co coup qui le foudroie, S'Ă©claircit aux rayons de la publique joie ; Car tout chagrin, si grand qu'il soit au cƓur blessĂ© A son terme ici-bas par la raison fixĂ© ! J'ai donc, d'un cƓur joyeux, et qui pourtant soupire Pour rĂ©gner avec moi sur co puissant empire, Par votre avis, — avis pour moi plein de douceur ! Choisi celle qui fut autrefois notre sƓur. Maintenant que ma main Ă  la sienne est unie Et que cette union par le prĂȘtre est bĂ©nie, Nous vous remercions, et, si quelqu'un de vous RĂ©clame grĂące ou droit, qu'il s'approche de nous. A tout juste dĂ©sir la carriĂšre est ouverte.

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Page 1: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

P R I X 5 0 C E N T I M E S

MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS R U E A U B E R , 3 , E T B O U L E V A R D D E S I T A L I E N S , 1 5

A L A L I B R A I R I E N O U V E L L E

P R I X 5 0 C E N T I M E S

P R I N C E D E D A N E M A R K . DRAME EN VERS, EN CINQ ACTES ET HUIT PARTIES

MM. ALEXANDRE DUMAS ET PAUL M E U R I C E R E P R É S E N T É P O U R L A P R E M I È R E F O I S , A P A R I S , S U R L E T H É Â T R E - H I S T O R I Q U E , L E 1 5 D É C E M B R E 1 8 4 T

E T R E P R I S A U T H É Â T R E D E L A G A I T É , L E 3 0 N O V E M B R E 1 8 6 7

D I S T R I B U T I O N D E L A P I E C E Thé l t r e -Hia tonque .

H A M L E T M M . ROOTIÉRE.

LE FANTOME du pire d'Haralct CLAUDIUS, roi de Danemark. . . . T0L0N1US, chambellan. LAERTE, son (ils 1 1 0 R A T I 0 MARCELLUS GUILDENSTERN ROSENCRANTZ

C R E T T E . GEORCES . B A R R É . R O S K T . P E U P I N . A LEXANDRE . LINGÉ. ARMAND.

ThĂ©Ăą t r e de la Galte. M">E J U D I T H . M M . BRÉMONT.

LATOUCHE. A LEXANDRE . CH . L E M A I T R E . D A L B A . JOUANNY. GASPARD. H E N R Y .

ThĂ©Ure-Ηί torique. P R E M 1 F . I I F O S S O Y E U R M M . BOILEAU. D E U X I È M E F O S S O Y E U R CASTEL. U N C O M É D I E N . — L E P R O L O G U E .

G O I V Z A G U E BEIULIED . L U C I A N U S . U N M O I N E BONNET. G E R T R U U E , reine de Danemark..MM" P A Y R E . O P I I E L I E P E R S O * . B A P T I S T A , reine de théùtre RACINE .

ThéStre de la Cillé M M . C O L L E D I L L E .

M A L L E T .

J O L I A N . R E Y K S R S .

M " " · F . GÉNAT.

] . C L A R E N C * . VERDIER.

Droit» de r ep rĂ© sen ta t i on , do r o i r o d u c t i o n et do t r aduc t ion r Ăš M r r Ă© · —

ACTE PREMIER.

P R E M I E R E P A R T I E .

La salle du trĂŽne au chĂąteau royal d 'Elseneur .

SCÈNE I.

LE ROI, LA REINE, prenant place sur le trĂŽne, IIAMLET, POLONIUS, T O U T E L A C O U R .

Vive le roi ! C O U R T I S A N S .

LE ROI, saluant. Messieurs, merci.

C O U R T I S A N S .

Vive lareƓef

L A R E I N E .

Dieu vous garde, messieurs! L E R O I .

Je pliais sous la peine Dont m'accabla la mort d'un frĂšro bien-aimĂ© : Mais, aujourd'hui, mon front Ă  vos cris ranimĂ© Se relĂšve, et, malgrĂ© co coup qui le foudroie, S'Ă©claircit aux rayons de la publique joie ; Car tout chagrin, si grand qu'il soit au cƓur blessĂ© A son terme ici-bas par la raison fixĂ© ! J'ai donc, d'un cƓur joyeux, et qui pourtant soupire Pour rĂ©gner avec moi sur co puissant empire, Par votre avis, — avis pour moi plein de douceur ! Choisi celle qui fut autrefois notre sƓur. Maintenant que ma main Ă  la sienne est unie Et que cette union par le prĂȘtre est bĂ©nie, Nous vous remercions, e t , si quelqu'un de vous RĂ©clame grĂące ou droit, qu'il s'approche de nous. A tout juste dĂ©sir la carriĂšre est ouverte.

Page 2: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

a IIAMLET.

TOLOMUs, s'avançant. Sire!

L E noi. Ah! Polonius ! c'est toi!

P O L O N I U S .

Mon fils Laërte Sire, arrive de France...

L E R O I .

11 est le bien venu C'est un cƓ- noble et franc, un peu vif, mais connu, S'il no revient du moins toi qu'il partit naguùre, Pour un bon compagnon — en araour comme en guerre. Dis-lui que nous aurons grand plaisir à le voir.

F O L O N I Û S .

Oh ! sirel LE ROI, descendant les degrés du trÎne. Et qu'au souper nous l'attendrons ce soir.

Sapprochant d'JJamlet, qui, pĂąle et vĂȘtu de deuil, s'est tenu jus-que-lĂ  Ă  l'Ă©cart.

Maintenant, cher Hamlet, pourquoi cet air morose, Mon cousin et mon fils ?

H A M L E T .

Sire, laissons la chose Telle qu'il plut Ă  Dieu do la faire : jo suis Plus que votre cousin et moins que votre fils, Vous le savez.

LA R E I N E .

Hasrlet ! H A M L E T .

Que voulez-vous, ma mĂšre? L A R E I N E .

Je veux une douleur moins sombre et moins amĂšro. Que tes regards, sur nous tournĂ©s avec amour, Ne soient point, depuis l'heure oĂč naĂźt l'aube du jour Jusqu'Ă  celle oĂč des cieux le crĂ©puscule tombe, OccupĂ©s Ă  chercher Ă  tes pieds une tombe ! HĂ©las ! c'est une loi de la fatalitĂ© Que chacun de nos pas mĂšne Ă  l'Ă©ternitĂ©

H A M L E T .

Ce que vous dites lĂ , personne ne l'ignore! L A R E I N E .

S'il en est donc ainsi, pourquoi paraßtre encore Si triste, si souffrant et si chargé d'ennuis?

H A M L E T .

Oh! je ne parais pas, moi, madame, — je suis! Mon cƓur, je vous le dis, ignore toute feinte : Ce n'est pas la couleur dont cette Ă©toffe est teinte, Co n'est point la pĂąleur de mon front soucieux, Ce ne sont pas les pleurs qui coulent de mes yeux Qui peuvent tĂ©moigner, croyez le bien, madame! De l'incessant chagrin qui gĂ©mit dans mon Ăąme! Non, je sais Ă  prĂ©sent que deuil, larmes, pĂąleur, Peuvent n'ĂȘtre qu'un masque Ă  jouer la douleur.

L B R O I .

Hamlet, soyez certain que, le premier, je loue D'aussi profonds regrets ; mais je crois, je l'avoue, Que ces funĂšbres soins qu'au pĂšre doit son fils Au delĂ  du devoir vous les avez remplis. Il est temps de rĂȘver un avenir prospĂšre : Celui que vous pleurez perdit aussi son pĂšre, Qui, lui-mĂȘme, frappĂ© par un coup plus ancien, Dans un jour de douleur avait perdu le sien. Le devoir filial sans doute veut, en somme, Un tribut de regrets ; mais ce n'est pas d'un homme, Ce n'est pas d'un chrĂ©tien de se dĂ©battre ainsi Sous la mais, du Seigneur !

H A M L E T .

Sire, merci! merci! L A R E I N E .

Hamlet, je joins mes vƓux aux vƓux de votre pùre. H A M L E T .

Jo vous obĂ©irai, — si jo le puis, ma mĂšre. L E R O I .

Ainsi devait rĂ©pondre un fils tendre et soumis. Nous vous remercions, Hamlet! —Et vous, amis, Vous avez entendu quelle bonne promesse Le prince nous a faite : ainsi plus de tristesso ! Venez, la table vide attend nos chants joyeux, Que la fanfare est prĂȘte Ă  reporter aux cieux,

Sortent le roi et la reine, et derriĂšre eux courtisans et garda.

SCENE IX.

HAMLET, seul.

HĂ©las! si cette chair voulait, dĂ©composĂ©e, Se dissoudre en vapeur, ou se fondre en rosĂ©e! Et si l'accord pouvait se rĂ©tabir un peu Entre le suicide et la foudre de Dieu ! Seigneur ! Seigneur ! Seigneur ! qu'elle est lourde, infĂ©conde, Et qu'elle a do dĂ©goĂ»ts la tĂąche do ce monde ! Fi de la vie ! oh ! ti ! jardin Ă  l'abandon, Plein de ronce et d'oubli, de deuil et de chardon! En venir lĂ  ! Quoi ! mort depuis deux mois Ă  peine Ce roi, qui diffĂ©rait du roi qui nous malmĂšne Autant que d'un satyre Apollon dieu du jour ! Ce doux roi, pour ma mĂšre Ă©pris d'un tel amour Qu'il allait s'alarmant si la briso au passage D'un souffle un peu trop rudo atteignait son visage ! Mort ! — Oh ! non ! — Ciel et terre 1 il est mort cependant I Oui, leur amour semblait chaque jour plus ardent, Plus avide ! Et, voyez ! en ur.· mois ! chose infĂąme ! N'y pensons plus! Ton nom, fragilitĂ©, c'est femme! Un mois ! A-t-elle usĂ© seulement les souliers Qu'elle avait quand, pleurant ses pleurs vile oubliĂ©s ! Elle a suivi lĂč-bas le corps du pauvre pĂšre? Quoi ! cette NiobĂ© n'a plus de pleurs! MisĂšre! Un animal enfin , sans raison et sans voix, EĂ»t gardĂ© sa tristesse Ă  coup sĂ»r plus d'un mois ! Honte et terreur ! courir si vite Ă  l'adultĂšre !

Voyant entrer quelqu'un. Mais brise-toi, mon cƓur, ma langue se doit taire!

S C È N E I I I .

HAMLET, HORATIO, MARCELLUS, BERNARDO.

H O R A T I O .

Salut, seigneur ! H A M L E T , l'apercevant, avec joie et surprise.

Que vois-je ? Horatio ! c'est toi ! H O R A T I O .

Arrivé d'hier soir de Wittenberg. I I A M L E T .

Eh! quoi! Sans me l'avoir appris ! Enfin ! c'est toi ! Je t'aime, Je t'aime, Horatio ! vieil ami — de vingt ans ! Car nous avons grandi cĂŽte Ă  cĂŽte. Heureux temps ! Mais qui t'amĂšne ici ? quel projet mĂ©ritoire ? Tu ne nous quitteras pas qu'expert dans l'art de boire!

H O R A T I O .

J'Ă©tais venu pour voir, monseigneur, 13 convoi Do votre pĂšre.

Page 3: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

20 IIAMLET.

F1AMLET.

Ami, tu te moques de moi I Dis que c Ă©tait p o u r v o i r les n o c e s do ma merci

H O R A T I O .

Noces bien promptes ! U A M L E T .

Oui, calcul de mĂ©nagĂšre I Les restes refroidis du fenĂšbre repas Au banquet nuptial ont pu fournir des plats. — Que n'ai-je, avant lo jour ou l'illusion tombe, Rejoint mon plus mortel ennemi dans la tombe! Ah ! mou pĂšre ! Ah ! je crois toujours le voir venir !

HOIUTIO. Comment I

H A M L E T .

Avec les yeux de l'ñme, — en souvenir! H O R A T I O .

Je l'ai connu co prince, Ăąme sereine et bonuo.

H A M L E T .

Tu ne retrouveras, va 1 son ùme à personne 1 HORATIO. · aprÚs avoir consulté des yeux Marcellus et Bcrnardo.

Monseigneur, je l'ai vu cette nuit-ci, je croi. HAMLET, tressaillant.

Tu l'as vu ! qui ? H O R A T I O .

Le roijl votre pĂšre! U A M L 3 T .

Le roi ? Mon pĂšre ?

H O R A T I O .

Calmez-vous ! Oui, c'Ă©tait lui, vous dis-jel Montrant Marcellus et Bcrnardo.

Ils peuvent attester comme moi le prodige. H A M L E T ·

Parlai pour Dieul j'Ă©coute. H O R A T I O .

A minuit, lundi soir, Sur l'Esplanade, Ă  l'heure oĂč tout est calme et noir, Bernardo, Marcellus Ă©tant en sentinelle Ont vu leur apparaĂźtre une Ombre solennelle. l!n guerrier tout armĂ©, majestueux et lent A passĂ© tout prĂšs d'eux, et de son sceptre blanc Il eĂ»t pu les toucher ! — Pas grave, aspect austĂšre. Et c'Ă©taient bien les traits, le pas de votre pĂšre I Eux, frappĂ©s de terreur, immobiles et froids, L'oeil fixe, regardaient, — mais sans souffle et sans voix I J'arrive,— ils me font part du secret d'Ă©pouvante, Et j'ai voulu veiller prĂšs d'eux la nuit suivante 1

U A M L E T .

Eh! bien? H O R A T I O .

Ils disaient vrai ! l'Esprit est revenu, Le mĂȘme, Ă  la mĂȘme heure, et jo l'ai reconnu. C'Ă©tait bien votre pĂšre !

U A M L E T .

0 secrets effroyables ! H O R A T I O .

C'Ă©tait lui I mes deux mains no sont pas pl-us semblables. U A M L E T .

Et cela se passait ? H O R A T I O ,

Sur l'esplanade, hier. H A M L E T .

Tous n'avez rien dit Ă  ce spectre si fier?

H O R A T I O .

Si fait 1 moi j'osai dire : « Illusion, arrĂȘte '; » Et, si la voix te sert encore d'interprĂšte, » Si tu peux profĂ©rer quelque son, parle-moi ÎŻ » S'il faut, pour abrĂ©ger la peine oĂč je te voi M lit gagner mou salut, faire du bien sur terre, » Parle-moi! Si tu sais quelque effrayant mystĂšre » Funeste Ă  ce pays qui fut heureux par toi, » S'il est temps d'Ă©viter un malheur, parle-moi ! »

H A M L E T .

Et qu'a répondu l'Ombre ? H O R A T I O .

Oh ! rien ! toujours muette i Il m'a semblĂ© pourtant qu'elle levait la tĂȘte, Et qu'elle allait parler... mais lo coq matinal A jetĂ© son chant clair, et, prompte h ce signal, Elle s'est Ă©chappĂ©e et n'est plus revenue I

H A M L E T .

MystĂšre Ă©trange 1 H O R A T I O , vivement.

Oui, mais vérité reconnuo 1 Songez-y, monseigneur ! et nous avons pensé Que vous deviez savoir ce qui s'était passé.

H A M L E T , à part. Ο mon cƓur 1 voilà bien d'autres sujets d'alarmes !

A Bernardo et Ă  Marcellus. Gardez-vous ce soir ?

M A R C E L L U S .

Oui. H A M L E T .

Le spectre Ă©tait en armes? H O R A T I O .

Oui. H A M L E T .

Do la tĂȘto aux pieds ? H O R A T I O .

De pied en cap. H A M L E T .

Or donc, Vous n'avez pas pu voir son visage ?

H O R A T I O .

Pardon ! La visiÚre du casque était levée.

H A M L E T .

Et l'Ombre Avait l'air menaçant ?

H O R A T I O .

Non pas menaçant, — sjmbre. H A M L E T .

Uouge ou pĂąle? H O R A T I O .

TrĂšs-pĂąle. H A M L E T .

Et l'Ɠil fixĂ© sur vous? H O R A T I O .

Constamment. H A M L E T .

Si j'avais été là ! H O R A T I O .

Comme nous, Vous eussiez frissonne !

IIAMLET.

Je lo crois, et sans peine J Et l'Esprit est resté?...

noRATio. Le temps, s? us perdre haleine,

Page 4: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

20 IIAMLET.

De compter jusqu'Ă  cent. M A R C E L L U S .

Plus longtemps, compagnon. H O R A T I O .

Tas lorsque je l'ai vu ! H A M L E T .

La barbe noire ? H O R A T I O .

Non, Comme de son vivant, Ă©paisse et blanchissante.

H A M L E T .

3e veillerai ce soir, et, s'il sa représente I... H O R A T I O .

Soyez sûr qu'il viendra ! H A M L E T .

S'il prend le front sacré Du pÚre que je pleure, oh ! je lui parlerai !

H O R A T I O .

Prince 1 H A M L E T .

Je descendrai jusqu'au fond du mystÚre I Oui ! dût l'enfer béant m'ordonner de me taire 1 Oui ! dussé-je sortir des mornes entretiens, La barbe et les cheveux aussi blancs que les siens !

H O R A T I O .

Songez 1... H A M L E T .

Et vous, amis, quelque événement sombre Qu'amÚne cette nuit, quo paraisse ou non l'Ombre, Qu'elle parle ou se taise, au nom de l'amitié, Gardez-moi ce secret dont vous portez moitié.

H O R A T I O .

Prince, comptez sur nous. H A M L E T .

Je saurai reconnaĂźtre Votre zĂšle. C'est bien! A minuit ! J'y veux ĂȘtre.

H O R A T I O .

Nos devoirs, monseigneur. H A M L E T .

Eh ! non, pas de devoir ! Votre amitiĂ© 1 la mienne est Ă  vous! — A eu soir.

Sortent Horatio, Bernardo el Marcellus.

S C 3 Ï V E I V .

HAMLET, seul. Le spectre de mon pĂšre en armes ! doute ! abĂźme ! Est-ce que tout ceci cachcrait quelque crime ? Oh ! quand sera-t-il nuit! Jusque-lĂ , paix, mon cƓur ! -On cache les forfaits; mais le destin moqueur, Fussent-ils enfouis sous la terre oĂč nous sommes, Les traĂźne tout honteux aux yeux surpris des hommes, Et nous montre, une nuit, quelque spectre sanglant, Le poison dans la main, ou le poignard au flanc I

S C E K T E V .

HAMLET, OPHÉLIE.

H A M L E T , à part. Ophélie !

O P H É L I E , voulant se retirer. Oh ! pardon !

H A M L E T , quittant son air sombre. Pardon d'ĂȘtre jolie,

Et de me rendre fou d'amour, chÚre Ophélie? Est-ce cela ?

O P H É L I E .

Non, mais do venir, monseigneur, Vous deranger, alors que peut-ĂȘtre...

H A M L E T .

En honneur! Vous avez l'a, madame, une terreur Ă©trange. — Quelle nouvelle aux cieux, dites-moi, mon bel ango?

O P H É L I E .

Monseigneur, je cherchais... H A M L E T .

Que ce soit tel ou tel, Celui que vous cherchez est un heureux mortel. Pourquoi n'est-ce point moi?

» O P H É L I E .

Seigneur, c'Ă©tait mon frĂšre, De Franco revenu tout exprĂšs pour distraire Votre ennui.

H A M L E T .

Mon ennui ! Je suis gai, sur ma foi ! Mais c'est peut-ĂȘtre aussi parce quo je vous voi.

O P H É L I E .

Vous plaisantez toujours, monseigneur! H A M L E T .

Sur mon ùmel Je n'ai point l'esprit fait à plaisanter, madame. Je dis ce que je pense et sens ce que je dis. Les damnés quelquefois lÚvent du Paradis 1 C'est un tourment de plus.

O P H É L I E .

Si je pouvais vous croiro! H A M L E T .

Croyez-vous que l'aveugle errant dans la nuit noire DĂ©sire un pur rayon de l'astre radieux Dont la sublime flamme Ă©tincelle Ă  nos yeux? Croyez-vous, haletant, quand le nageur succombe Et se sent engloutir dans son humide tombe, Croyez-vous qu'il dĂ©sire un rivage enchantĂ©, Par le printemps, la vie et la joie habitĂ©? — Moi, je suis cet aveugle Ă  la dĂ©marche errante, Moi, je suis ce nageur Ă  l'haleine mourante, Et pour moi, votre amour, rayon doux et vermeil, Serait plus que la vie et plus que le soleil.

O P H É L I E , joyeuse. Oh ! monseigneur Hamlet, voyez, je vous Ă©coute D'un visage joyeux ! — mais le doute ! le douto !

H A M L E T .

Je croyais que tout ange avait ce don vainqueur De suivre la parole au plus profond du cƓur. Mais, puisque votre esprit dans le doute s'arrĂȘte, Ce que je vous disais, eh! bien, je le rĂ©pĂšte, Et, si vous soupçonniez de trahison Hamlet...

Il s'assied, Ă  une table et Ă©crit rapidement quelques lignes> Regardez son front pĂąle, et lisez ce billet.

Il remet le billet à Ophélie, la salue el sort.

S C 3 2 S Z V I .

OPHÉLIE, seule et lisant.

« Doutez qu'au firmament l'Ă©toile soit de flamme, » Doutez que dans les cieux marche l'astre du jour , » La sainte vĂ©ritĂ©, doutez-en dans votre Ăąme ! » Doutez de tout enfin, niais ηυÎș de mon amour !

Page 5: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

IIAMLET.

S C E I S E V I I .

0PHÉL1E, LAERTE, puis, POLONIUS.

O P H É L I E , apercevant Laerte et cachant le billet. lion frùre I

L A E R T E .

Qu'avez-vous, et quelle est cette lettre Que vous cachez, ma sƓur ?

O P H É L I E .

Oh ! monsieur parle en maĂźtro Ce me semble !

L A E R T E .

Non pas ! non, je parle en ami Qui ne sait ce que c'est que d'aimer Ă  demi, Et qui tremble toujours que sa sƓur adorĂ©e Ne perde une des fleurs dont sa tĂšte est parĂ©e. Dites, lorsque j'entrai, quelqu'un sortait d'ici?

O P H É L I E .

Je vous rĂ©pondrai franc, si vous parlez ainsi. Celui-lĂ  qui sortait c'est le prince lui-mĂȘme.

L A E R T E .

Et que vous disait-il ? O P H É L I E .

11 me disait — qu'il m'aime. L A E R T E .

Et vous, vous avez cru?... O P H É L I E .

L'aurore croit au jour, Et la fleur Ă  la brise, et la femme Ă  l'amour.

Entre Polonius, qui reste d'abord Ă  l'Ă©cart. L A E R T E .

Ah 1 pauvre enfant, hélas ! ignorante et crédule ! Un prince, sachez-le, no se fait pas scrupule De jurer ses grands dieux qu'il aime et va mourir Si d'un amour pareil ou ne veut le guérir. Puis, le prince guéri, le prince et sa parole, Ainsi qu'une vapeur, tout fuit et tout s'envolo !

P O L O N I U S , s'avançant. Que lui dis-tu donc là ?

L A E R T E .

Rien , — seulement qu'Ilamlet, Tout prince qu'il se dit, tout mon maĂźtre qu'il est, Si par hasard ma sƓur Ă©tait par lui trompĂ©e, Verrait bien qu'au fourreau ne tient pas mon Ă©pĂ©e 1

O P H É L I E .

Mon frĂšre I L A E R T E .

C'est ainsi ! P O L O N I U S .

Qu'est-ce donc que j'entends? Au fait, je m'aperçois que depuis quelque temps Le prince autour do toi tourne, plus qu'à ton ùge Ne devrait le permettre une personne sage.

O P H É L I E , avec joie. Le prince ! vous croyez ?

P O L O N I U S .

C'est bien, nous narlerons De tout cela demain : puis, aprĂšs... nous verrons, Car, ce soir, il nous faut, Laerte, Ă  l'instant mĂȘme, Nous rendre auprĂšs du roi qui nous attend.

O P H É L I E , à part. 11 m'aime!

L A E R T E .

A demain donc, ma sƓur ! Mon pĂšre, me voilĂ . P O L O N I U S , Ă  OphĂ©lie.

Eh ! bien ? vous n'allez point, j'espĂšre, rester lĂ  !

Dans votre appartement, allons, belle amoureuse, Rentrez !

Il sort avec Laerte. O P H É L I E .

R m'aime ! il m'aime I oh! que je suis heureuse Îč

D E U X I E M E P A R T I E .

Plate-forme devant le chĂąteau. La nuit .

S C E N E ĂŻ .

MARCELLUS veillant, HAMLET et HORATIO entrant L'OMBRE.

H O R A T I O .

Le vent est Ăąpre, et coupe en sifflant le visage. H A M L E T .

Est-il minuit ? H O R A T I O .

BientĂŽt H A M L E T .

C'est l'heure. Fanfares et bruit d'orgie dans le chĂąteau

H O R A T I O .

Quel tapage t H A M L E T .

A force de flambeaux, de coupes et de bruit, Le roi veut défier le silence et la nuit !

Une horloge lointaine sonne minuit. H O R A T I O .

Ecoutez, monseigneur ! H A M L E T .

Qu'est-ce encor? H O R A T I O .

Minuit soi Le spectre va venir, sans doute.

H A M L E T .

Je frissonne 1 H O R A T I O .

Regardez, monseigneur. H A M L E T .

Quoi? H O R A T I O .

Le spectre ! H A M L E T .

OĂč? H O R A T I O , montrant du, doigt l'Ombre qui paraĂźt au douziĂšme coup.

LĂ  1 lĂ  1 H A U L E T .

Anges du ciel, Ă  moi ! le voilĂ  I le voilĂ  ! A l'Ombre.

Que tu sois protĂ©gĂ© par un pouvoir cĂ©leste Ou vomi par l'enfer, que dans un but funeste, Ou que par charitĂ© tu viennes m'appeler, La forme oĂč lu parais m'oblige Ă  te parler.

Tirant son Ă©pĂ©e pour l'adjuration. PĂšre, Hamlet, majestĂ©, roi, Danois, je t'adjure ! Le doute est trop affreux ! rĂ©ponds, sombre figuro. EnfermĂ© dans la mort, pourquoi ton corps bĂ©nit A-t il fait Ă©clater sa prison de granit? Comment, ouvrant pour toi ses lourds battams do pie La tombe, oĂč se ferma sans rĂ©veil ta paupiĂšre, T'a-t-elle rejetĂ©, bĂ©ante, parmi nous ?

Page 6: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

IIAMLET.

Qu'est-ce que tout ceci? Pourquoi, spectre jaloux, Aux rayons de la lune et couvert d'une armure, Fuis-tu la nuit hideuse? et nous, fous de nature, Pourquoi nous plonges-tu daus despensers d'effroi, Qui passent do si haut nos Ăąmes en Ă©moi? RĂ©ponds! quemo veux-tu ? parle ! que dois-jefaire?

Un signe de l'Ombre. H O R A T I O .

Du doigt il vous appelle et semble avoir affaire A parler Ă  vous seul.

H A M L E T .

Oui, son geste invitanl Me montre cet endroit plus retiré.

HORATIO.

Pourtant, Restez!

H A M L E T .

Mais si je reste, alors, il va se taire. Je le suivrai!

H O R A T I O .

Seigneur ! H A M L E T .

Qu'ai-jo à perdre sur terre ? Ma vie ? ah ! jo vous dis qu'une épingle vaut mieux ! Mon ùme ? elle est la fille immortelle des cieux Tout aussi bien quo lui ! que peut·il donc contro elle? Un signe encor, j'y vais.

H O R A T I O .

Mais si sa main cruelle Du sommet de ce roc penchĂ© terriblement, Vous pousse, monseigneur, dans le gouffre Ă©cumant ; Si tout Ă  coup, prenant un visage plus sombre, Quelque aspect effrayant, surhumaiu, — oh ! si l'Ombre Saisit voire raison, vous renvoie insensĂ© ! Songez S la tĂȘte tourne, un vertige glacĂ© Vous prena, rien qu'Ă  plonger sur cette mer profonde, Rien qu'Ă  prĂȘter l'oreille au bruit sourd de cette onde ,

Nouveau signe de l'Ombre. H A M L E T .

Encore ! je te suis. n o R A T i o , le retenant.

Oh ! non ! H A M L E T .

Laissez ! H O R A T I O .

Pardon I Je ne puis !

H A M L E T .

Mon destin m'a criĂ© : — mais va donc! Et rend dans tout mon corps chaque artĂšre animĂ©e Plus forto que les nerfs du lion de NĂ©mĂ©e ! Oui, j'y vais.

Se dégageant des mains d'Horatio et de Marcellus. Lùchez-moi ! Par le ciel ! qu'un de vous

Me retienne, et j'en fais une Ombre ! Laissez-nous ! Sur le geste impérieux d'Hamlet, Horatio cl Marcellus se retirent.

S C Ï I . C E I I

IIAMLET, L'OMBRE.

H A I I L E T .

Maintenant, parle-moi. Nous sommes seuls : demeure t L ' O M B R E .

Ecoute bien.

J'Ă©coute.

L ' O M B R E .

Elle va sonner l'heure OĂč je dois retourner aux gouffres 'uliureux, Aux bĂ»chers dĂ©vorants.

H A M L E T .

Pauvre Ăąme ! c est affreux ! L ' O M B R E .

Oh ! garde ta pitié : mais grave dans ton ùme Mes révélations.

H A M L E T .

Oui, certe ! en traits de flamn e ! L ' O M B R E . Ι

Et que le mot vengeance y soit de mĂȘme Ă©crit Lorsque j'aurai parlĂ©.

H A M L E T , étonné. Comment?

L ' O M B R E .

Je suis l'Esprit De ton pĂšre ! la nuit, errant — c'est la sentence! Et consumĂ©, le jour, des feux de pĂ©nitence Jusqu'Ă  ce que la flamme ait enfin Ă©purĂ© Les fautes oĂč, vivant, jo me suis Ă©garĂ©.— Secrets de ma prison ! ah ! si je pouvais dire Co quo lĂ -bas je souffre et quel est mon martyre!... Mais vous n'ĂȘtes pas faits, mystĂšres Ă©ternels, Pour'l'oreille de l'homme et les regards charnels! — Écoute! Ă©coute 1 Ă©coute! Aimais-tu bien ton pore?

H A M L E T .

Ο ciel ! L ' O M B R E .

Tu voudras donc venger sa mort, j'espĂšre ! Un meurtre infĂąme !

H A M L E T .

Un meurtre? L ' O M B R E .

Infùme! ils le sont tous! Mais le mien, exécrable, inouï jusqu'à nous, Les dépasse en horreur !

H A M L E T .

Hùte-toi de conclure, Et la pensée aßlée aura moins prompte allnre Que ma vengeance.

L ' O M B R E .

Bien ! — On a su propager Lo bruit que jo donnais sur un banc du verger, Quand un serpent m'avait piquĂ©. — Mensonge insigne! Qui fait que le Danois Ă  ma mort se rĂ©signe. Écoute! lo dragon dont le venin mortel Tua ton pĂšre, — il a son trĂŽne !

H A M L E T .

Juste ciel 1 Ο les pressentiments de mon ñme 1 î mystùre 1 Mon oncle?

L ' O M B R E .

Oui! Ce dĂ©mon, d'inceste et d'adultĂšre, Par son esprit magique et les dons de l'enfer, Esprit et dons maudits, mais sĂ»rs de triompher ! Fit consentir ma reine Ă  ses dĂ©sirs infĂąmes. Elle que je croyais chaste parmi les femmes, — Oh! quelle chute, Hamlet! — Hamlet, de mon amour Digne comme Ă  l'autel, saint comme au premier jour, De moi qui vivais pur et la main dans la sienne, Tomber Ă  ce maudit ! prĂ©fĂ©rer Ă  la mienne Cette Ăąme de rebut ! et, folle de dĂ©sir, Demander Ă  l'inceste un monstrueux plaisir ! —

Page 7: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

H A M L E T . 7

Mais l'air frais du matin me frappe le visage, Achevons. — Je dormais donc, selon mon usego, Sur un banc du jardin d'ombrages entourĂ©, Quand ton oncle vers moi, frĂšre dĂ©naturĂ© ! Se glissa lentement, muni de jusquiame, Poison sĂ»r qui passa de ma lĂšvre h mon Ăąme !.. C'est ainsi que pendant mon sommeil, en un jour, Mon frĂšre me vola couronne, vie, amour : Et, pĂ©cheur, je mourus sans prĂȘtre ni priĂšre, Sans extrĂȘme-onction, sans regard en arriĂšre, Et comparus devant le Seigneur irritĂ©, ChargĂ© de tout le poids de mon iniquitĂ© t

H A M L E T .

Horrible! horrible 1 horrible! ĂŽ comble de l'horrible ! L ' O M B R E .

Pourras-tu le souffrir, Ă  moins d'ĂȘtre insensible? Laisseras-tu le lit royal de tes aĂŻeux

A la luxure infĂąme, Ă  l'inceste odieux?... Pourtant, quelque dessein que couve ta colĂšre, Ne vas pas te souiller du meurtre de ta mĂšre. Laisse son jugement au Dieu maĂźtre et vainqueur, Et sa peine au remord qui lui ronge le cƓur! — Adieu! Je dois partir: Ă  mes yeux se dĂ©robe Le fou pĂąle et glacĂ© des vers luisants ; c'est i'aube. Adieu, mon fils, adieu ! — Souviens-toi ! souviens-toi !

L'ombre disparaĂźt.

S C S H E m .

HAMLET, seul.

Ο lĂ©gions du ciel! sol qui tremble sous moi! Enfer toujours bĂ©ant pour l'assassin ! — Silencet Fais silence, mon cƓur! Vous, point de dĂ©faillance, Mes muscles ! prĂȘtez-moi votre plus ferme appui ! Il m'a dit : Souviens-toi ! — Pauvre chcrc Ăąme ! oh ! oui, Oui, tant que le passĂ© dans ce cƓur pourra vivre, Oui, je me souviendrai ! Soyez rayes du livro De ma mĂ©moire, vous, rĂȘves froids et mesquins, Vulgaires souvenirs, sentences des bouquins, ConquĂȘtes sans valeur do l'Ă©tude frivole, Vaines impressions d'une jeunesse folio, Soyez rayĂ©s! J'Ă©cris sans mĂ©lange insolent L'ordre seul de mon pĂšre au registre tout blanc, Et j'en efface tout! — jusqu'Ă  l'amour fĂ©conde Qui seule Ă  mes regards pouvait dorer le monde Et parfumer mon cƓur Ă  tant do maux offert, Comme fait un beau lis Ă©clos dans un dĂ©sert ! Adieu donc au bonheur, adieu, mon OphĂ©lie ! Un seul dĂ©sir me presse, un seul serment me lie. —

Tirant ses tablettes. Mes tablettes? Notons qu'on peut, la rage au sein, Sourire, et, souriant, n'ĂȘtre qu'un assassin. En Danemark, du moins, ce n'est pas choso insigno.

Il trace un mot sur ses tablettes et frappe dessus. Vous ĂȘtes lĂ , cher oncle ! A prĂ©sent ma consigne : « Adieu, mon fils, adieu. ! Souviens-toi! » J'ai jurĂ© !

S C E E f f i I V .

HAMLET, HORATIO et MARCELLUS, rentrant. H O R A T I O , appelant.

Seigneur 1 M A R C E L L U S .

Soigneur Hamlet! H A M L E T .

Et je mo souviendrai! nORATlO.

Puis-je approcher, seigneur ? I I A M L E T .

Oui, viens. Viens donc, te dis jo! Horatio et Marcellus s'approchent.

M A R C E L L U S .

Eh ! bien? H O R A T I O .

Qu'arrive-t-il, monseigneur? H A M L E T .

Un prodige ! Mais, sans plus de dĂ©tails, il serait Ă  propos De nous serrer la main et d'aller en repos Chacun h notre grĂ©; — vous, soit Ă  votre affaire, Soit Ă  votre penchant: chaque homme a, dans sa sphĂšre, Une affaire h finir, un penchant Ă  choyer! Je n'ai ni l'un ni l'autre; aussi, vais-je prier!

H O R A T I O .

Comme votre langage est Ă©trange, Ă©quivoque! H A M L E T .

Hélas ! je suis fùché, bien fùché qu'il vous choque. H O R A T I O .

Oh ! je no vois pas l'a d'offense, monseigneur. H A M L E T .

Si fait ! par saint Patrick ! j'offenso votre honneur En gardant mon secret. Mais ma voie est Ă©troite, Ne m'en veuillez donc point. Si ce quo ma main droite Vient de rĂ©soudre Ă©tait connu de l'autre main, Oui, je la trancherais moi-mĂȘme avant demain ! Maintenant, chers amis, bons compagnons de classe, Do guerre et de plaisirs, je requiers une grĂące,

H O R A T I O .

Ordonnez, monseigneur H A M L E T .

Ne révélez jamais Co qu'aujourd'hui vos yeux ont vu.

N O R A T I O et M A R C E L L U S .

Je le promets. H A M L E T .

Faites-en lo serment. H O R A T I O .

Sur l'honneur, je lo jure ! M A R C E L L U S .

Je le juro 1 H A M L E T .

Jurez sur mon épée! H O R A T I O .

Injure ! Monseigneur ! deux serments pour des cƓurs assurĂ©s !

H A M L E T .

N'importe! sur ce fer, allons, jurez. L ' O M B R E , sous terre.

Jurez ! H A M L E T .

L'cntendez-vous? H O R A T I O , tremblant. Seigneur, changeons un peu de place,

Venez ici. H A M L E T , étendant l'épée.

Posez-lh vos deux mains, de grĂące! Sur mon glaive et l'honneur, Ă  jamais vous tairex Ce que vous avez vu ?

Page 8: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

IIAMLET.

H 0 R A T I 0 .

Que veut dire ceci? Dieu profond! H A M L E T .

Oui, la terre Et le ciel, mes amis, cachent plus d'un mystĂšre Que la philosophie encor n'a pas rĂȘvĂ©. Revenons lĂ . Chacun de nous soit prĂ©servĂ© Par la grĂące ! — Ecoutez. Peut-ĂȘtre ma conduite Sera-t-elle bizarre, Ă©trange par la suite. Peut-ĂȘtre je feindrai l'Ă©garement des fous ! — En me voyant alors, messieurs, promettez-vous De ne pas secouer la tĂȘte de la sorte, Ni de croiser ainsi les bras, disant : — N'importe! JXous connaissons la cause! ou bien : Si l'on voulait Dire ce qu'on a vu! Si l'un de nous parlait! Ou bien : Feinte folie ! ou telle autre parole Laissant Ă  prĂ©sumer que vous avez un rĂȘle Dans ma vie inconnue? Oui, vous me l'assurez, Chers amis ? pas un mot ! pas un souffle !

L ' O M B R E , SOUS terre. Jurez t

H O R A T I O et M A R C E L L U S .

Nous jurons ! H A M L E T , remettant son Ă©pie au fourreau.

Calme-toi, lĂ -bas, pauvre Ăąme en peine I Ainsi, j'ai pour garant votre amitiĂ©. La mienne Se fie Ă  vous, messieurs, de tout cƓur, et, si peu Que puisse faire Hamlet, avec l'aide de Dieu, Pour prouver l'union sainte qui nous rassemble, Pauvre homme, il le fera ! Venez, rentrons ensemble, Rentrons. — Toujours le doigt sur vos lĂšvres, amis! Quelque Ă©vĂ©nement sombre Ă  nos temps est promis. Mais pourquoi le Seigneur pour servir sa colĂšre Prend-il donc un mortel? quand il a le tonnerre !

ACTE DEUXIÈME.

Wne chambre dans le chĂąteau.

S C E N E I .

POLONIUS, assis, lisant la lettre d'Hamlet, OPHÉLIE. O P H É L I E , entrant vivement.

Mon pĂšre ! P O L O N I U S .

Qu'est-ce doue? et qui vous trouble ainsi? O P H É L I E .

Oh ! si vous saviez ! P O L O N I U S .

Quoi? O P H É L I E .

Sommes nous seuls ici ? P O L O N I U S .

Oui. Qu'est-il arrivĂ© ? O P H É L I E .

J'Ă©tais en train de coudre Quand le seigneurHamlet,— mon Dieu! quel coup de foudre! Nu tĂšte, haletant et les cheveux Ă©pars, Son pourpoint dĂ©chirĂ©, tremblant, les yeux hagards, Les genoux se heurtant, et pĂąle ! — oh ! ce front pĂąle Rapportait de l'enfer quelque terreur fatale! -Dans machamVe est entrĂ©.

P O L O N I U S .

Fou par amour pour toi!

O P H É L I E .

Mon pĂšre, je ne sais, mais vraiment, je le croi ! Me serrant le poignet, il s'Ă©caile, il s'arrĂȘte, RamĂšne ainsi sa main au-dessus de ma tĂšte, Et, rĂȘveur, analyse et parcourt tous nies traits, Comme s'il eĂ»t voulu les dessiner.

P O L O N I U S .

Aprùs? O P H É L I E .

11 a gardé longtemps cette morne attitude, Ralançant son haut front avec inquiétude Et secouant mon bras. Enfin, il a poussé Un soupir si profond, que tout son corps brisé A pensé défaillir sous cet effort.

P O L O N I U S , stupéfait. C'est drÎle !

O P H É L I E .

Puis, la tĂȘte tournĂ©e ainsi vers son Ă©paule, Il est sorti, du pas d'un ĂȘtre surhumain Qui sait bien sans regard retrouver son chemin ! Et, tout fixant ses yeux sur moi d'Ă©trange sorte, Lentement, sans y voir, il a gagnĂ© la porte.

P O L O N I U S ,

Pure extase d'amour ! 'a mon tour, je le croi ! C'est bien la passion ! — je vais tout dire au roi ! — La folle passion, flĂ©au mortel des hommes, Qui se ronge elle-mĂȘme, et, tous tant que nous sommes, Du dĂ©sespoir nous pousse au sombre Ă©garement 1 Ne l'as-tu pas aussi traitĂ© trop durement?

O P H É L I E .

Je n'ai fait qu'obĂ©ir Ă  votre ordre suprĂȘme, Mon pĂšre : ce matin, vous m'avez dit vous-mĂȘme Que j'Ă©tais en danger prĂšs du seigneur Hamlet Et devais de sa part refuser tout billet, — MĂȘme en vous le montrant ! Il m'en a fait remettre Un autre, et, sans l'ouvrir, j'ai renvoyĂ© sa lettre.

P O L O N I U S .

RĂ©litre que je suis ! oh! mon Dieu ! c'est cela ! Je me suis trop pressĂ©, c'est ma faute, voila ! Pourquoi l'ai-je jugĂ© d'un coup d'Ɠil si rapide ! J'ai cru qu'il s'amusait de toi ! soupçon stupide ! Les jeunes vont chercher leur perte Ă©tourdiment, Mais, vieux, nous Ă©chouons, nous, par discernement. — Le roi ! — Sors, chĂšre enfant, je ne vais rien lui tairo.

O P H É L I E .

Cependant, ménagez votre fille, mon pÚre ! P O L O N I U S .

Oui, mais nous répondons de son royal neveu, Et le silence a plus de dangers que l'aveu.

Ophélie sort ; Polonius reste à la porte.

S C È N E I I .

LE ROI, LA REINE, GUILDENSTERN, ROSENCRANTt POLONIUS.

L E R O I .

Rosencrantz, Guildenstern, c'est Dieu qui vous envoie Pour rendre Ă  notre Hamlet la raison et la joie ! Ah ! vous no l'allez pas reconnaĂźtre aujourd'hui. Aine et visage, hĂ©las ! en lui, rien n'est plus lui. Ce qui le trouble tant, c'est la mort de son pĂšre, Pas d'autre cause ! — non, pas d'autre, je l'espĂšre ! — Vous, mes amis, enfants, vous partagiez ses jeux, Jeunes gens, ses plaisirs, ses goĂ»ls plus orageu? Restez, pour rĂ©veiller la joyeuse folie

Page 9: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

H A M L E T . Ο

Dans cet esprit qui meurt fou do mélancolie, Et découvrez le mal qui le fait dépérir, Pour qu'avertis par vous, nous le puissions guérir.

LA R E I N E .

Hamlet parle de vous, chers messieurs Ă  foute heure. Votre part dans son cƓur est toujours "la meilleure, Demeurez, aidez-nous de vos soins Ă©clairĂ©s, Et ce que tient un roi dans ses mains, vous l'aurez. Eh! bien? nous restez-vous?

R O S E N C R A N T Z .

Oh ! vous ĂȘtes la reine, Et votre volontĂ©, madame, est souveraine 1

G U I L D E N S T E R N .

Vous, madame, prier ! commandez, nous voici ! L E R O I .

Cher Guildenstern, et vous, Rosencranlz, oh! merci. LA R E I N E .

Cher Rosencrantz, et vous, Guildenstern, mille grĂąces! Que le ciel rende ici vos efforts efficaces ! Vous irez voir bientĂŽt mon Hamlet, n'est-ce pas?

G U I L D E N S T E R N .

Nous allons le trouver, madame, de ce pas ! Les deux jeunes gens sortent.

SCEKS I I I .

LE ROI, LA REINE, POLONIUS. P O L O N I U S .

A mon tour, monseigneur! une bonne nouvelle I L E R O I .

En annoncez-vous d'autre? P O L O N I U 9 .

Ah ! vous savez mon zĂšle. Je mets au mĂȘme rang, monseigneur, croyez-moi, Mes devoirs envers Dieu, mon dĂ©vouement au roi Or, Ă  moins qu'une fois mon esprit perspicace Ne se trouve en dĂ©faut, je crois, toujours sagace, Savoir h point nommĂ© pourquoi lo prince est fou.

L E R O I .

Oh ! parlez ! parlez vite ! P O L O N I U S .

Allant sans savoir oĂč, Si j'allais disserter, sire, en votre prĂ©sence Sur le pouvoir suprĂȘme et sur l'obĂ©issance, Sur la nuit, sur le jour, sur le temps, — sans nul frui» Ce serait gaspiller le temps, le jour, la nuit ! Or, la concision de l'esprit Ă©tant l'Ăąme, Je vous dirai donc, sire,— Ă©coutez-moi, madame! Qu'il faut saisir d'abord la cause do l'effet, Ou la cause plutĂŽt de cet esprit — dĂ©fait ; Car l'effet — qui dĂ©fait cet esprit — a sa cause. — Or, voici maintenant lo vrai sens de la chose : J'ai ma fille : je l'ai, car elle m'appartient ; Et la docile enfant que le devoir contient A remis co billet entre mes mains fidĂšles :

Lisant. « A mon ange Ophélie, à la reine des belles. » Reine des b 'lies! Penh! vulgaire compliment!

LA R E I N E .

Est-ce Ă©crit par Hamlet? P O L O N I U S .

Par lui-mĂȘme, oui, vraiment! Il lit.

« Doutez qu'au firmament l'étoile soit de flamme » Doutez que dans les cieux marche l'astre du jour, » La sainte vérité doutez-en dans votre ùme! s Doutez de tout enfin, mais non de mon amour!

» Mon cƓur pour moi n'est point un thĂšme S poĂ©sie, » Je ne mets pas mes pleurs en vers de fantaisie, » Mais laissez-moi vous dire humblement, simplement, » Jo vous aime d'amour, je vous aime ardemment, » Et, jusqu'Ă  ce que l'Ăąme Ă  mon corps soit ravie, » Cet Hamlet qui vous parle est Ă  vous, chĂšre viei » Hamlet! »

Montrant ta lettre. Voyez plutît. — Ma fdle avant ce jour,

M'avait appris déjà, du reste, cet amour. L E R O I .

Ophélie a donc mal accueilli son hommage? P O L O N I U S .

Comment me jugez vous? L E R O I .

Mais loyal, probe et sage P O L O N I U S .

Me jugeant donc ainsi, qu'eussiez vous dit de moi Si j'avais acceptĂ© cet amour sans effroi? Si j'avais fait mon cƓur Ă  mon honneur rebelle? Oh ! que non pas ! J'ai dit nettement Ă  la belle : Le prince Hamlet n'est pas de ta sphĂšre, bijou, Et tu vas sur-le-champ t'enfermer au verrou, Et me tout repousser, etcadeaux et grimoire! — Elle l'a fait ! et lui, pour abrĂ©ger l'histoire, La tristesse l'a pris, ensuite le dĂ©goĂ»t, Ensuite l'insomnie, et puis l'ennui de tout, Et puis le dĂ©sespoir, puis enfin la folie OĂč son cƓur naufragĂ© se dĂ©bat et s'oublie!

L E R O I Ă  LA R E I N E .

Est-ce que vous croyez ? LA R E I N E .

C'est possible es effet. P O L O N I U S .

Quand m'est-il arrivé d'avarcer quelque iau Qui so soit trouvé faux?

L E R O I .

Je no sais, Ă  vrai dire. P O L O N I U S , montrant alternatiremeni, sa tĂȘte et sesĂŽpnulet

Faites sauter ceci do dessus cela, sire, Si jo vous ai trompé ! J'irais, lorsque j'y suis, Chercher la vérité jusqu'au fond de son puits.

L E R O I .

Mais des preuves? P O L O N I U S .

Le prince en cette galerie Aime h rĂȘver. CachĂ©s par la tapisserie, Nous lui dĂ©pĂȘcherons ma fille quelque jour, Et nous Ă©couterons. S'il n'est fou par amour, Retirant Ă  l'Ă©tat son appui le plus ferme, Vous pourrez m'envoyer diriger une fermo.

L E R O I .

Soit! essayons. LA R E I N E , regardant vers la porte.

Hamlet ! toujours sombre mon Dieu ! Il s'avance en lisant.

P O L O N I U S .

Éloignez-vous un peu. Laissez-moi d'abord seul le sonder, jo vous prie, Et je vous en rendrai bon compte, je parie.

Sortent la Reine et le Ro

Page 10: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

20 IIAMLET.

ECĂ ĂŻĂŻH IV.

rOLONIUS, HAMLET, lisant.

P O L O N I U S .

Comment va monseigneur Hamlet? H A M L E T .

Bien, Dieu merci! P O L O N I U S .

Est-ce que monseigneur ne me remet pas? I I A M L E T .

Sil Vous ĂȘtes un marchand do poisson.

P O L O N I U S .

Sur ma tĂȘto! Vous vous trompez !

H A M L E T .

Tant pis ! Vous seriez plus honnĂȘte. P O L O N I U S .

rius honnĂȘte? HAMLET.

Et, mon cher, ĂȘtre honnĂȘte, aujourd'hui, C'est bien ĂȘtre triĂ© sur dix mille.

P O L O N I U S .

Hélas 1 oui, La chose est trop réelle !

n A M L E T .

Avez-vous uno fille ? POLONius, Ă  part.

Il y tient! {Haut.)

Oui, seigneur. (A part.)

Pauvre esprit qui vacille! Me croire, ah ! c'est fort drÎle ! un marchand de poisson. Le mal est sérieux. Pas l'ombre de raison ! Au fait, jo m'en souviens, dans mes jeunes années,

L'amour m'a fait passer de cruelles journées, Et mes maux quelquefois approchaient de sos maux. fjlaut.) ^ue lisiez-vous, seigneur?

HAMLET.

Des mots, des mots, des mots! POLONIUS.

Mais le sujet du livre? HAMLET,

Oh! pure calomnie! Le satirique assure, en sa pauvre ironie, Que les vieux sont ridĂ©s, que leurs cheveux sont gris, Que l'ambre coule Ă  flot de leurs yeux appauvris, Que leur esprit est faible et leur jarret dĂ©bile, — VĂ©ritĂ©s dont jo jure aussi, sansĂȘtro habilo! Mais qu'il est malsĂ©ant d'Ă©crire, selon moi; Car, enfin, vous auriez mon Ăąge, que je croi, Si vous pouviez, du temps fuyant les malĂ©fices, Marcher Ă  reculons, — comme les Ă©crevisscs.

POLONIUS, Ă  part. C'est fou! mais sa folie a du sens par lambeau. (Haut.) Venez vous changer d'air?

HAMLET.

OĂč donc ? dans mon tombeau? P O L O N i u s , Ă  part.

C ' e s t un moyen , au f a i t ! l a réponse e s t sentie ! Les fous trouvent parfois certaine répartie Que l'esprit le plus sain n'inventa pas toujours.

Quittons-le. Mais il faut, certes, qu'un de ces jour?, Par quelque circonstance habilement prévue, Entre ma fille et lui j'amÚne uno entrevue. (Haut.) Je prends trÚs humblement congé de vous, seigneur.

HAMLET.

Prenez, monsieur, prenez! je ne puis, en honneur! Vous abandonner rien d'une Ăąme plus ravie, \ part ma vie! Ă  part ma vie ! h part ma vie !

POLONIUS.

Adieu donc, monseigneur. HAMLET, Ă  part, haussant les Ă©paules.

Le vieux fou ! quel ennui ! P O L O N i u s , rencontrant Ă  la porte Rosencrants et Guildenstcri

Sans doute vous cherchez le seigneur Hamlet? H O S E N C I U N T Z .

Oui. P O L O N I U S .

Le voici. G U I L D E N S T E R N .

Dieu vous garde ! Sort Polonius.

S C È N E V .

HAMLET, GUILDENSTERN, ROSENCRANTZ.

G U I L D E N S T E R N , courant à Hamlet. Ο monseigneur!

1 0 S E N C R A N T Z .

Cher maĂźtre ! IIAMLET.

Mes bons amis ! c'est vous 1 Ah ! jo me sens renaĂźtro, Votre maint votre main ! Comment donc allez-vous?

ROSENCRANTZ.

Comme de bons vivants narguant le sort jaloux. Heureux sans bonheur lourd et sans joie importune.

GTJILDENSTERN.

Non pas brillants rubis au front de la fortune... ROSENCRANTZ.

Mais non pas humbles clous qu'ello foule du pié. HAMLET.

Vous avez sa ceinture, Î cher couple envié, Vous avez ses faveurs, sans qu'elle les chicane. A part. Ce n'est pas étonnant, c'est une courtisane ! Haut. Quoi do neuf?

ROSENCRANTZ.

Rien. G U I L D E N S T E R N .

Si fait ! le monde se fait bon, HAMLET.

Cestdonc qu'il sent sa fin ce vieux monde barbon! Mais, mon cher, la nouvelle est bien conjecturale. Uno autre question un peu moins générale : Quels griefs le destin a-t-il eus contre vous, Amis, qu'il vous envoie en prison avec nous ?

G U I L D E N S T E R N .

Comment ! quelle prison ? HAMLET.

Ce pays ! c'en est une ! ROSENCRANTZ.

Eh ! mais la terre alors ?... HAMLET.

Est la prison commune OĂč l'on entre pleurant et d'oĂč pleurant on sort ·

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Un ange en tient la clef, — c'est l'ange de la mort ! G U I L D E N S T E R N .

Nous n'envisageons pas ma foil ce pauvre monde Si tristement, seigneur !

H A M L E T .

Prison, prison profonde! Cercle de noirs cachots, de caveaux ténébreux, Dont notre Danemark est un des plus affreux 1

R O S E N C R A N T Z .

Nous ne le voyons pas ainsi. H A M L E T .

C'est fort possible · Le Danemark, pour vous, est donc un champ paisible ! Soit I chacun l'ait son bien, son mal à sa façon. Pour moi, le Danemark est pis qu'une prison.

R O S E N C R A N T Z .

Je vois I l'ambition et ses songes de flamme Laissent ce vaste Ă©tat trop Ă©troit pour votre Ăąme.

H A M L E T .

Moi ! j'aurais pour empire une coque de noix, Que je m'y trouverais, mon Dieu ! le roi des rois... Si je n'y faisais pas parfois de mauvais rĂȘves.

G U I L D E N S T E R N .

RĂȘves d'ambition sans remĂšde et sans trĂȘves! L'ombre d'un rĂȘve, au fait, c'est tout l'ambitieux, N'est-ce pas?

H A M L E T .

Mes amis, vous raisonnez au mieux, Mais no raisonnons pas, c'est bien assez de vivre 1 — Venez-vous à la cour ?

R O S E N C R A N T Z .

Tout prĂȘts Ă  vous y suivre. H A M L E T .

Et vous venez pour moi ? C U I L D E N S T E R N , avec embarras.

Monseigneur... oui. H A M L E T .

Vraiment! Ah ! pauvre que je suis, mĂȘme en remercĂźment ! Mille grĂąces, messieurs ! mais lĂ , sans hyperbole, Mille grĂąces de moi valent bien une obole ! — Ainsi, c'est de vous seuls et sans ĂȘtre poussĂ©s, Que vous m'offrez vos vƓux, vƓux dĂ©sintĂ©ressĂ©s ?

R O S E N C R A N T Z

Mais, monseigneur, sans doute ! H A M L E T .

Ainsi, c'est par pur zĂšle ? Allons! de l'abandon! Parle, toi, mon fidĂšle!

G U I L D E N S T E R N , bas Ă  Rosencrantz. Que dire ?

Haut. Monseigneur!...

H A M L E T .

Eh! mon Dieu ! rĂ©pondez ! RĂ©pondez, voilĂ  tout, que Ton vous a mandes. Oui, j'en lis dans vos yeux les aveux manifestes Que vous ne savez pas dĂ©guiser, cƓurs modestes! Je sais que c'est la reine et notre excellent roi Qui vous ont fait venir.

R O S E N C R A N T Z .

Mais, monseigneur, pourquoi? H A M L E T .

Pourquoi? —Tenez, amis, jo vais parler sans feinte, Et le secret du roi restera hors d'atteinte. — J'ai depuis quelque temps, comment, je n'en sais lieo. Perdu toute gaĂźtĂ©. Je ne fais rien de bien.

LUT. L'ennui, brouillard glacĂ©, trompe mon cƓur avide. La terre, ce jardin! me semble morue et vide. Lo ciel, ce dais d'azur, ce divin firmament, Qui sur tout notre bruit rĂšgne paisiblement, Cette voĂ»te infinie oĂč scintille l'Ă©toile, Rayon du jour cĂ©leste entrevu scus le voile! N'a plus pour mon esprit accablĂ© par le sort Que nuages de deuil et que vapeurs de mort. L'hommeestbeau! l'homme est roi des choses Ă©ternelles Son front a des rayons, et son Ăąme a des ailes! Quand l'idĂ©e ou l'amour l'Ă©clairent de leur feu, Ses actes sont d'un ange et ses pensers d'un dieu! Mais l'homme, fĂčt-il grand comme la terre entiĂšre, PoussiĂšre, voilĂ  tout, redeviendra poussiĂšre 1 L'homme ne me plaĂźt pas! — Vous riez?

G U I L D E N S T E R N .

Je pensais Que nos pauvres acteurs auraient peu do succĂšs, En ce cas...

H A M L E T .

Quels acteurs? R O S E N C R A N T Z .

Des gens que sur la route Nous avons rencontrés, et qui venaient sans doute Vous offrir leurs talents. Us manqueront leur but.

H A M L E T .

Au contraire ! Leur roi recevra mon tribut ; Le chevalier errant fera sonner sa lame; L'amoureux à bon prix soupirera sa flamme ; Le bouffon nous mettra les deux mains sur les flancs; L'amante sans pitié hachera les vers blancs, PlutÎt que de céler son ardeur sans seconde... Et je regarderai, moi, faire tout le mondo.

Bruit au dehors. G U I L D E N S T E R N .

Ah ! les comédiens, je pense, monseigneur. H A M L E T .

Qu'ils soient les bienvenus, messieurs, dans Elseneur. Je veux ĂȘtre pour eux tout plein de courtoisie, Je les ai dĂ©jĂ  vus, et leur troupe est choisie. Ne vous choquez donc point, vous ĂȘtes prĂ©venus ; Car, bien plus qu'eux encor, vous ĂȘtes bienvenus. — Mais mon oncle, mon pĂšre, et ma tante, ma mĂšre, S'abusent, quant Ă  moi, d'une Ă©trange chimĂšre.

R O S E N C R A N T Z

En quoi donc? H A M L E T .

Je suis fou, quand le vent refroidi Souffle nord-nord-ouest; mais, s'il vient du midi, On me verra toujours, tant je garde ma tĂȘte ! Distinguer un hibou d'avec une chouette.

S C E K S V I .

L E 9 P R É C É D E N T S , P O L O N I U S ,

P O L O N I U S .

Salut, messieurs! H A M L E T , Ă  part.

A bon entendeur demi-mot! Il marche à la lisiÚre encor, ce gr»nd marmoï

DĂ©clamant. Du temps que Roscius Ă©tait acteur Ă  Rome.. .

P O L O N I U S .

Les acteurs? sont ici, monseigneur H A M L E T .

Vrai? brave homme!

Page 12: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

20 IIAMLET.

Il chante. Chaque acteur, tragique ou non, Vient monté snr son ànon.

P O L O N I U S .

Monseigneur! des acteurs excellents! Comédie, Chronique, pastorale, et drame, et tragédie, Ils savent jouer tout, avec, sans unité, SénÚque et ses douleurs, Térence et sa gaßté.

H A M L E T .

C'est bien, mon vieux Jephté. P O L O N I U S .

Moi? Jephté! H A M L E T .

Sans nul doute. N'as-tu pas une fille ?

Il chante. Une fille unique et charmante,

Une fille qu'il adorait.

P O L O N I U S , Ă  part. Encor ma fille !

H A M L E T .

Écoute! Il chante.

Mais su t terre de toute chose

N'est-ce pas le ciel qui dispose ?

Et ce qui devait arriver,

Aurait-on pu s 'en préserver?

Recourir pour la fin au troisiÚme couplet Du noël si connu !

S C È N E V I I I .

L E S P R É C É D E N T S , T E S C O M É D I E N S .

U N C O M É D I E N .

Salut au prince Hamlet ! H A M L E T .

j ĂȘtes bien venus, messieurs, dans ma demeure, , par ma foi ! je veux vous entendre sur l'heure :

^ar j'ai besoin de vous. Demain, bon fauconnier, Jo prĂ©tends vous lancer, — je sais sur quel gibier. Voyons, pour commencer, Ă  toi, mon camarade. En attendant, peux-tu nous dire une tirade? Tiens, ce morceau, tu sais, que j'aimais, attends donc... C'Ă©tait dans le rĂ©cit d'ÉnĂ©as Ă  Didon.

L E C O M É D I E N .

Je sais... H A M L E T .

Encore un mot, si tu veux le permettre. L E C O M É D I E N .

Parlez 1 N'Ăštes-vous pas le seigneur et le maĂźtre ? H A M L 8 T .

Je voudrais te donner des coü.seils. L E C O M É D I E N .

Monseigneur!... H A M L E T .

Tu les suivras ? L E C O M É D I E N .

Comment ! c'est pour moi trop d'honneur! H A M L E T .

De tel acteur fameux que j'ai vu sur la scĂšne, Et dont la grosse voix m'a fait bien de la peine, Ne va pas, compagnon, imitant le travers, Comme un crieur public, beugler tes pauvres vers. Il ne faut pas non plus de ton geste rapace, Fendu comme un compas, accaparer l'espace. Reste maĂźtre de toi : jamais d'effet criard!

Garde aux troubles du cƓur la dignitĂ© de l'art, Et quand la passion entraĂźne, gronde et tonne, TĂąche que l'on admire avant que l'on s'Ă©tonne. Quel supplice d'entendre et de voir des lourdauds, Qui, mettant sans remords un amour en lambeaux, DĂ©chirent h la fois la piĂšce et vos oreilles! Tandis que le public, Ă  ces grosses merveilles, StupĂ©fait, applaudit les grands cris, les grands bras. Et siffle un noble acteur qui ne l'assourdit pas. Lo fouet Ă  ces braillards drapĂ©s en matamore Qui sur l'affreux tyran enchĂ©rissent encore ! Évite ces dĂ©fauts.

L E C O M É D I E N .

Prince, je tĂącherai. H A M L E T .

Pourtant, pas de froideur et pas d'air maniĂ©rĂ© ! Accorde habilement ton geste et ta parole, Et fais que la nature Ă©clate dans ton rĂŽle. La nature avant tout ! La scĂšne est un miroir OĂč l'homme, tel qu'il est, bien et mal, se doit voir; OĂč siĂšcles qu'on oublie et pays qu'on ignore Reprennent leur allure et viennent vivre encore. Si l'image est outrĂ©e ou le reflet pĂąli, Que le vulgaire y trouve un chef-d'Ɠuvre accompli, Un esprit Ă©clairĂ© qui vous fera la guerre, Pour vous, doit l'emporter, seul, sur tout le vulgaire» Oh! j'ai vu maint acteur dont on disait grand bien Et dont l'aspect pourtant n'avait rien de chrĂ©tien, Ni mĂȘme do paĂŻen, ni d'humain, Ă  vrai dire! Et qui, gesticulant, hurlant, comme en dĂ©lire, Semblait un pauvre essai qu'un grossier apprenti Pour singer la nature avait un jour bĂąti, Et qui tronquĂ©, manquĂ©, gauche et sans harmonie, Pour notre humanitĂ© n'Ă©tait qu'une ironie!

L E C O M É D I E N .

Ces défauts chez nous sont quelque peu réformés H A M L E T .

Qu'ils le soient tout Ă  fait : vos bouffons mal griraĂ©o Jettent parfois leur riro et leurs farces, les drĂŽles! A travers l'intĂ©rĂȘt poignant des autres rĂŽles; C'est fat et c'est stupide! et maintenant, dixi. Tu peux donc commencer quand tu voudras.

L E C O M É D I E

Merci. DĂ©clamant.

a Ah! quiconque a pu voir IlĂ©cube Ă©chevelĂ©e, » PĂąle, nu pieds, courir la ville, dĂ©solĂ©e, » Portant quelque lambeau pour diadĂšme au front, » Et pour manteau royal la guenille et l'affront, » A sans doute maudit la fortune insolente ! » Et quand Pyrrhus foula la dĂ©pouille sanglante » De Priam, un vieillard! un pĂšre ! au cri d'horreur » Que la reine a jetĂ©, les dieux avec terreur » Certe ont senti frĂ©mir leurs cƓurs sourds aux alarmes! » Et l'Ɠil ardent du jour a dĂ» verser des larmes ! »

P O L O N I U S .

Mais voyez donc! il pleure! il pĂąlit ! Oh ! cessez ! H A M L E T .

Bien ! Lo reste à plus tard. Pour le moment, assez. Λ Polonius.

Que ces comédiens, monsieur, soient, je vous prie, Traités avec honneur, et sans mesquinerie ; Car ils sont la chronique et le miroir des temps ; Et mieux vaudrait pour vous et pour vos soixante ans Avoir sur votre tombe une épitaphe infùme, Que ^'encourir, vivant, un seul instant leur blßme

Page 13: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

20 IIAMLET.

P O L O N I U S .

Rien ! ils seront. traités, mon prince, h leur valeur. ! I IA3ILET.

Beaucoup mieux! beaucoup mieux! Si chacun, par malheur, N'était jamais traité que selon ses mérites, Qui pourrait échapper aux étriviÚres, dites? Vos hÎtes sont petits, consultez votre rang, Et , plus ils sont petits, plus vous en serez grand! Emmenez-les.

P O L O N I U S , aux acteurs. Venez.

H A M L E T , retenant le comédien, bas. Attends: Prends cette baguo.

Pourriez-vous nous jouer le le Meurtre de Gonzaguel L E C O M É D I E N .

Quand? H A M L E T .

Demain. L E COMÉDIEN.

Oui, sans doute. H A M L E T .

Et pourrais-tu bien, toi, Glisser dans le récit quinzo ou vingt vers de moi'?

L E C O M É D I E N .

Oui, mon prince. H A M L E T .

C'est bien, je vais te les Ă©crire. Suis co brave seigneur, et garde-toi d'en rire.

A Rosencrantz cl Ă  Guildenstern. Adieu, jusqu'Ă  ce soir.

R O S E N C R A N T Z .

Adieu, mon cher seigneur. « A H L E T , rassemblant dans le mĂȘme geste Rosencrantz,Guildenstern

et les ComĂ©diens. Vous ĂȘtes bien venus, messieurs, dans Elseneur.

Tous sortent.

S C È N E V ï ï l .

HAMLET, seul. Seul enfin ! pauvre fou misĂ©rable et risible! N'est-ce pas monstrueux ? un acteur insensible Peut, dans un rĂŽle appris, rĂȘvo de passion, Dresser son cƓur d'avance Ă  cette Ă©motion! Contraindre aux pleurs ses yeux, Ă  la pĂąleur sa joue, FrĂ©mir, briser sa voix! puis, il dira — qu'il jouo ! El le tout, s'il vous plaĂźt, pour HĂ©cube... pour rien! Que peut lui faire IlĂ©cube, Ă  ce comĂ©dien Qui sanglotto Ă  ce nom? Oh! Dieu! mais, Ă  ma place S'il ressentait la haine ou l'horreur qui me glace, Il inonderait donc la scĂšno do ses pleurs; Il ferait tout trembler en criant ses douleurs; Il renverrait les bons tristes dans leur clĂ©mence, Les ignorants rĂȘveurs, les mĂ©chants en dĂ©mence ! Et tous croiraient avoir, dans leur rĂȘvo oublieux, La foudro Ă  leur oreille et la mort Ă  leurs yeux. Mais moi, faible, hĂ©bĂ©tĂ©, je vais, Ăąme asservie, OEil fixe et bras pendants, dans mon rĂŽle et ma vie. Et je ne trouve pas un seul cri dans mon sein Pour ce roi dĂ©trĂŽnĂ© par un vil assassin ! — Ah ! c'est qu'aussi parfois m'arrĂȘte un doute sombre. Si ce spectre chĂ©ri, ce fantĂŽme, cette ombre, Si c'Ă©tait le dĂ©mon qui me voulut gagner? Un cƓur mĂ©lancolique est facile Ă  damner! Et Saiau est bien tin! — Mais voyous .- on raconte Qu'au thĂ©Ăątre un coupable, en revoyant sa honte Sous un aspect vivante! dans un jeu parfait,

Lui-mĂȘme a quelquefois proclamĂ© son forfait! Eh ! bien? en tribunal Ă©rigeons le spectacle. Si Dieu me veut convaincre, il me doit un miracle!

ACTE TROISIÈME

P R E M I E R E P A R T I E .

La salle du premier acte. Seulement on a construit uu théùtre au fond.

s e s z r a x.

LE ROI, LA REINE, POLONIUS, OPHÉLIE, ROSENCRANTZ. GUILDENSTERN.

R O S E N C R A N T Z .

Lui-mÎme reconnaßt et sent bien son délire. L E R O I .

Maie la cause ? la cause ? G U I L D E N S T E R N .

Il ne veut pas la dire, Et ne la laisse pas soupçonner aisément. On le presse, il s'enfuit dans son égarement.

L A R E I N E .

Mais quelque passe-temps le distrairait sans doute. R O S E N C R A N T Z .

Nous avons rencontré des acteurs sur la route Dont la vue a paru dérider son ennui, Et je crois qu'ils joueront des ce soir devant lui.

P O L O N I U S .

Ce fait est vrai : voyez, dans cette galerie On a construit la scĂšne, et le prince vo>' ^rio D'ĂȘtre lĂ , monseigneur et madĂ  , ce soir.

L E R O I .

De grand cƓur! ce dĂ©sir me donne bon espoir. Se levant Ă  Rosencrantz et Ă  Guildenstern.

Vous, allez, chers messieurs, reconduire la reine. A la reine. Jo veux voir si l'amour cause vraiment sa peine; Or, Ophélie ici va, comme par hasard, Le rencontrer, et nous, cachés là, quelque part, Nous écouterons tout.

LA R E I N E .

Je sors, chÚre Ophélie. Si ta grùce charmante a produit sa folie, Si tu lui rends l'esprit par ton doux abandon, Je serai bien heureuse.

OP1IÉL1E.

Oh ! madame, et moi donc ! · La reine sort avec Rosencrantz et Guildenstern.

SCÈRÎH II .

LE ROI, POLONIUS, OPHÉLIE.

P O L O N I U S , menant Ophélie à un prie-Dieu. Agenouillez-vous là.

Au roi. Pour nous, cachons· nous, sire.

A OphĂ©lie. Pour avoir un maintien, faites semblant de lire M arrive souvent, — et ce n'est pas le mieux ! — 'Qu'avec un air dĂ©vot et des dehors pieux

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20 IIAMLET.

Nous litissonspai faire un saint dudiable mĂȘme. LE ROI, Ă  part.

Ο vĂ©ritĂ© terrible et qui crie anathĂšme Dans le fond de mon cƓur Sous son masque fardĂ©, L'affreuse courlisane a le front moins ridĂ© Que mon forfait n'est noir sous sa face hypocrite.

P O L O N I U S .

Voicile prince Ilamlet, retirons nous bien vite, Sire.

Ils se cachent.

S C È N E I I I .

POLONIUS et LE ROI, cachĂ©s, OPIIÉL1E, agenouillĂ©e au troi-siĂšme plan. HAMLET entrant par une porte du deuxiĂšme.

H A M L E T , sans voir OphĂ©lie. ...Être ou n'ĂȘtre pas, voilĂ  la question !

Que faut-il admirer ? la rĂ©signation Acceptant Ă  genoux la fortune outrageuse, Ou la force luttant sur la mer orageuse Et demandant le calme aux tempĂȘtes? — Mourir ! Dormir! et rien de plus, et puis, ne plus souffrir! Fuir ces mille tourments pour lesquels il faut naĂźtre! Mourir! Dormir! — Dormir ! qui sait? rĂȘver peut-ĂȘtre! — Peut-ĂȘtre?... ah ! tout est lĂ  ! Quels rĂȘves peupleront Le sommeil delĂ  mort, lorsque sous notre front Ne s'agiteront plus la vie et la pensĂ©e ? Doute affreux qui nous courbe Ă  l'orniĂšre tracĂ©e ! Eh ! qui supporterait tant de honte et de deuil, L'injure des puissants, l'outrage de l'orgueil, Les lenteurs de la loi, laprofonde souffrance, Que creuse dans le cƓur l'amour sans espĂ©rance, La lutte du gĂ©nie et du vulgaire Ă©pais ?... Quand un fer aiguisĂ© donne si bien la paix I Qui ne rejetterait son lourd fardeau d'alarme» Et mouillerait encor de sueurs et delarmes L'Ăąpre et rude chemin ? si l'on ne craignait pas Quelque chose, dans l'ombre, au delĂ  du trĂ©pas! Ce pays inconnu, ce monde qu'on ignore, D'oĂč n'a pu revenir nul voyageur encore, — C'estlĂ  ce qui d'horreur glace la volontĂ© ! E t , devant cette nuit, l'esprit Ă©pouvante Garde les maux rĂ©els sous lesquels il succombe De prĂ©fĂ©rence aux maux incertains de la tombe ! Puis, ardente couleur, la rĂ©solution Descend aux tons pĂąlis de la rĂ©flexion ; Puis, l'effrayant aspect troublant toutes les tĂąches, Des plus dĂ©terminĂ©s le doute fait des lĂąches !

O P H É L I E , Ă  part. Son rĂȘve plane en haut, mon amour pleure en bas. AveuglĂ© de clartĂ©s, il ne me verra pas!

H A M L E T , apercevant Ophélie. v/pnélie ! Î jadis ma vie et ma lumiÚre ! Parle de mes péchés, ange, dans ta priÚre !

O P I I É L I E , se levant et venant Ă  Hamlet. Comment vous-ĂȘtes vous portĂ© ces deux jours ci, Seigneur Hamlet?

H A M L E T .

TrĂšs-bien, OphĂ©lia, merci. opuÉLi lui tendant un Ă©crin.

J'ai lĂ  des souvenirs que je voulais vous rendie DĂ©jĂ  depuis longtemps ; veuillez donc les reprendre.

U A M L E T .

Que vous ai-;e donnĂ© ? je ne vous comprends pas. O F I I É L I E .

Hamlet! je tiens de vous tous ces présents. Hé'^s! A chacun était jointe une douce parole, Et je me crus heureuse, et je n'étais que folle ! Mon amour maintenant vous devient importun, Et ces gages si doux ont perdu leur parfum. Reprenez-les. Allez! laissez la pauvre femme; Car vous 110 m'aimez plus, Hamlet, et pour mon ùme Les plus riches présents deviennent sans valeur, Quand ce n'est que la main qui donne et non le c^eur. Reprenez-les.

H A M L E T , regardant Ophélie. Oui dà ! vertu ! délicatesse 1

O P H É L I E .

Monseigneur 1 H A M L :

Et beautĂ© ! O P H É L I E .

Que dit donc votre altesse? H A M L E T .

Je dis que je ne vis jamais auparavant Tant do dons rĂ©unis. — Entre dans un couvent.

O P H É L I E .

Dansuu couvent! Pourquoi, monseigneur? H A M L E T .

Pauvre fille! Parce qu'un sort fatal poursuit tout ce qui brille, Et qu'en ce monde ingrat le silence et la nuit Valent mille fois mieux que le jour et le bruit. Car qu'est-ce quelo bruit? qu'est-ce que la lumiĂšre? Le bruit, Ă©cho qui ment Ă  sa cause premiĂšre ! La lumiĂšre, rayon aux changeantes couleurs, Éclairant un beau jour sur dix ans de douleurs ! Entre dans un couvent !

O P H É L I E .

Monseigneur ! H A M L E T .

Pauvre fille! LĂ , du moins, pour toujours se fermera la grille Entre le monde impur et ton cƓur innocent. LĂ , du moins, tupourras, sous ton voile impuissant, Dans tos froids corridors, dans ta cellule sombro, Muette comme un marbre, et pĂąle comme une ombre, Loin du monde attristĂ© de ton pudique adieu, Fleurir, lys virginal, sous le regard de Dieu, Et te trouver un jour, pure de toute fange, Symbole de caudeur, dans la main d'un archange.

O P H É L I E .

Prier, aimer, mourir!... oui, j'ai rĂȘvĂ© souvent Que c'Ă©tait lĂ  mou sort.

H A M L E T .

Entre dans un couvent, Pauvre fille! Cela vaut mieux que d'ĂȘtre femme, Pour mentir au Seigneur d'une façon infĂąme Et faire sans pudeur de ces serments d'amour Que l'on jure Ă©ternels et qui durent un jour t Que de perpĂ©tuer notre race maudite, En donnant la lumiĂšre Ă  quelque Ăąme hypocrite, Qui se dĂ©tournera de la route du ciel Pour porter une pierre Ă  la sombre Babel Que le noir souverain des Ă©ternels abĂźmes Daus la nuit de l'enfer bĂątit avec nos crimes !

O P I I É L I E .

Voire parole, Hamlet, me pénétré d'effroiS H A M L E T .

Non ! mais la vérité! car enfin, dites-moi, Ne vaudrait-il pas mieux pour moi, pauvro et débile,

Page 15: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

IIAMLET.

Four moi dont la raison incessamment vacille, Pour moi par le destin d'avancecondamnĂ©, Ne vaudrait-il pas mieux, ou n'ĂȘtre jamais ne, Ou qu'entre les coussins de son lit adultĂšre, A l'heure oĂč je naquis, m'eĂ»t Ă©touffĂ© ma mĂšre?

O P H É L I E .

Prince 1 H A M L E T , Ă  part.

Je me trahis 1 Haut, se remettant et changeant de ton.

Votre pùre est chez vous? O P H É L I E .

Oui, monseigneur. H A M L E T .

Tirez sur lui tous les verrous. Qu'il ne fasse du moins l'insensé qu'en famille I

hausse sortie. O P H É L I E .

Oh ! sa raison s'en va de nouveau. H A M L E T , revenant.

Pauvre fille ! Ecoute : si tu veux te marier pourtant, Je te donne pour dot cet avis attristant : Sois froide comme glace et blanche comme neige, Eh! bien? la calomuieavant un mois t'assiĂšge. Entre dans un couvent !

Fausse sortie ; il revient encore. Ou, si tu tiens, ma foi !

Beaucoup au mariage, Ă©pouse un fou, crois-moi. Car un homme sensĂ© pourra voir tout do suite Quel niais fait de lui sa femaie. — Au couvent, vite ! Bonsoir.

Il sort.

S C È N E I V .

OPHELIE, LE ROI, POLONIUS, cachée.

O P H É L I E , regardant Hamlet s'Ă©loigner. Dieu tout-puissant, rendez-lui la raison !

Ο dernier hĂ©ritier d'une illustre maison ! 0 noble esprit perdu! sublime intelligence Tout Ă  coup dĂ©trĂŽnĂ©e ! A la cour Ă©lĂ©gance, Profondeur au conseil, valeur dans les combats ! L'espĂ©rance, la fleur do ces vastes Ă©tats ! Le miroir du bon goĂ»t, le type de la grĂące, Le but de tous les yeuxl tout est mort! tout s'efface ! — Et moi, moi, triste et seule avec mes maux pesants 1 Moi qui de sa tendresse ai respirĂ© l'encens ! Qui buvais de sa voix l'enivrante harmonie ! Voir comme un luth brisĂ© ce noble et fier gĂ©nie Ne plus rendre qu'un son discordant et railleur! Avoir vu sa jeunesse et sa grĂące en leur fleur, Pour voir, le jour d'aprĂšs, malheureuse OphĂ©lie! Tant d'espoir se flĂ©trir au vent de la folie!

Le roi et Polonius rentrent en scĂšne. P O L O N I U S .

Eh bien! moi, je persiste à croire, malgré tout, Qu'nne peine d'amour cause ce noir dégoût.

A Ophélie. C'est bien, va, mon enfant, tu n'as rien à nous dire : Nous avons écouté.

Ophélie sort. Au roi. Si vous m'en croyez, sire,

La ieine ici ce soir va rester avec lui Et lisi demandera compte de sou ennui En reine impérieuse autant qu'en mÚre tendre,

Et, toujours caché là, je pourrai tout entendre. L E R O I .

Soit ! Ses secrets, ainsi, par lui, je les surprends. 11 sied de surveiller la démence des grands.

Il sort avec Polonius,

D E U X I È M E P A R T I E .

MĂȘme lßécor»

s cE^ra

HAMLET, puis HORÂÎÏ& N A M L E T , à un serviteur.

Va donc de nos acteurs presser un peu le zi!e : Sort le servira-.

H O R A T I O , entrant. Mon prince !

HAMLET l'apercevant. Horatio ! te voilĂ , mon fidĂšle!

H O R A T I O .

PrĂȘt Ă  vous obĂ©ir comme c'est mon devoir. H A M L E T .

C'est toi qu'en vérité j'aime le mieux à voir. H O R A T I O .

Oh ! monseigneur ! I I A M L E T .

Allons ! crois-tu que jo te flotte? Tu n'es pas riche, ami ! Qu'une cour vile et plate Se mette Ă  deux genoux devant l'or vil et plat Et gagne bassement la grandeur et l'Ă©clat, ' C'est bien ! mais te flatter, toi de qui nul n'hĂ©rite, Toi qui pour te nourrir n'as rien que ton mĂ©rite Ăź A quoi bon? Non, vois-tu, dĂšs quo ce cƓur aimant, Libre, a pu faire un choix avec discernement, Il a mis dans ton cƓur sa plus chĂšre espĂ©rance ; Car, sans sourciller, toi, tu portes la souffrance ; Car, biens et maux, tu vois tout d'un regard hautain, Philosophe toujours plus grand que le destin 1 — Bien heureux qui maintient, ainsi fort, ainsi libre, Son sang et sa raison dans ce juste Ă©quilibre ! Certes ! je porterais ce hĂ©ros, ce vainqueur, Dans mon cƓur, comme toi, dans le cƓur do mon cƓur ! — Mais Ă©coute : ce soir, dans lo drame qu'on joue, Une scĂšne a rapport, frĂšre, jo te l'avoue, A la mort de mon pĂšre. Eh bien ! Ă  cet endroit, Fixe sur Claudius ton regard calme et froid. Tu me comprends? s'il reste indiffĂ©rent et grave, Je n'ai vu l'autre nuit q'i'un dĂ©mon quo je brave, Et mes soupçons ingrats sont plus noirs que l'enfer ! Mais si quelque terreur qu'il ne peut Ă©touffer... Enfin, comme toujours, sois pĂ©nĂ©trant et sage. Pour moi, j'aurai les yeux rivĂ©s Ă  son visage ! Puis, sur nos deux avis que nous rapprocherons, Mous pĂšserons son sort et nous prononcerons-

I I O R A T I O .

Bien! si pendant la piĂšce un Ă©clair do son a oie M'Ă©chappe !...

H A M L E T .

Ils viennent tous! allons Ă  noire drame!

Page 16: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

16 Ι ΙΑΜΙΕ΀.

SCÈNE IÏ.

LES PRÉCÉDENTS, LE ROI, LA REINE, POLONIUS, OPIIÉLIE, HOSENCRANTZ, GUILDENSTERN, MARCELLUS, COURTISANS,

UN H U I S S I E R , annonçant Le roi !

LE ROI, Ă  Hamlet. Comment se porte Hamlet, ce soir?

H A M L E T .

Ma foi! On ne peut mieux! je vis en :améléon, moi ! Oui, je me nourris d'air, de vapeur, de promesse, Aussi, voyez plutÎt, sire, comme j'engraisse.

L E R O I .

Vous parlez en Ă©nigme, et je n'y comprends rien. H A M L E T .

Ni moi non ' .us. A Polonius.

Monsieur, vous disiez, jo crois bien, Que vous aviez joué jadis la comédi A l'université?

T O L O N I U S .

Certo t et la tragédie ! On m'a dit mÎme habile entre tous les acteurs.

H A M L E T .

Que jouiez-vous? P O L O N I U S .

César ! et les conspirateurs Vingt fois au Capitole ont conjuré ma chute; Vingt foisjo fus tué par Brutus...

H A M L E T .

0 la brute 1 Tuer un pareil veau !

Au serviteur qu'il a envoyĂ©. HĂ© ! bien? tous sont-ils prĂȘts?

L E S E R V I T E U R .

Ils attendent, seigneur. LA R E I N E , Ă  Hamlet, lui montrant un siĂšge auprĂšs d'elle.

Venez donc ici prĂšs, Cher Hamlet, vous asseoir.

H A 5 I L E T .

Merci, ma bonne mĂšre, Mais un aimant plus fort m'attire.

Il montre Ophélie. P O L O N I U S , bas au roi.

E h ! bien? chimÚre? H A M L E T , à Ophélie.

Madame, laissez-moi m'asseoir h vos genoux, Et mon bonheur ici fera bien des jaloux.

Il se couche à ses pieds. O P H É L I E .

Qui vous rend donc si gai, seigneur? H A M L E T .

Qui ? moi ! O P H É L I E ,

Vous-mĂȘme. H A M L E T .

Je suis votre bouffon. Quel est le but suprĂȘme Pour l'homme? s'Ă©gayer ! Regardez l'air joyeux Qu'a ma mĂšre ce soir, et pourtant, sous ses yeux, Lo roi mon pĂšre est mort, ne voilĂ  pas — deux heures.

O P H É L I E .

Ehl mais voilĂ  deux mois !

H A M L E T .

Pauvre femme! tu pleures Deux longs mois ton Ă©poux ! Que lo diable, en ce cas, Porte s'il veut le deuil ! quant Ă  moi, je suis las De ces vĂȘtements noirs! Qu'on m'habille d'hermine/ Deux mois sans que la mort par l'oubli se termine ! Alors, par Notre-Dame ! il faut croire et je crois Que lo nom d'un hĂ©ros lui survivra six mois, Pourvu qu'il ait bĂąti cependant mainte Ă©glise. Sinon, il mourra, lui que tout immortalise! Comme feu Mardi-Gras enterrĂ© par ce chanĂź :

Il chante. Mardi Gras , T a t 'en vas t

Le rideau de la scÚne du fond s'ouvre. L'acteur représentant h Prologue paraßt.

O P H É L I E .

Chut! jo veux Ă©couter, vous ĂȘtes un mĂ©chant. L E P R O L O G U E .

» Nous réclamons de l 'assistance j> Pour les acteurs son indulgence » Pour la piÚce sa pat ience. »

Il se retire. H A M L E T .

Devise d'une bague ou prologue d'un drame? O P H É L I E .

C'est bien court, monseigneur. H A M L E T .

Comme un amour do femme. Gonzaguc et Bautista, roi et reine de théùtre, entrent sur la seconde

scÚne. GONZAGUE, sur le théùtre.

« PhĂ©bus a trente fois fait lo tour de co monde, » Semant de fleurs les prĂ©s, de perles semant l'onde, » La lune au front d'argent, blonde sƓur d'Apollon, » Trente fois a blanchi la cĂźme et le vallon, » Depuis que le destin, pour d'auircs dur et sombre, » Ne nous a fait qu'un toit, qu'un soleil et qu'une ombre.

BAUTISTA, sur le théùtre. « Puisse l'astre des nuits, puisse l'astre des jours » Mille fois de nouveau recommencer leur cours, » Avant que notre amour subisse quelque atteinte! » Mais bien souvent hélas ! je frissonne de crainte » A voir votre pùleur et votre accablement! » Les femmes, vous savez, n'aiment qu'en s'alarmant !

GONZAGUE, sur le thĂ©Ăątre. » Ah ! ta crainte a raison, ma pauvre bien-aimĂ©e » La vio en moi s'Ă©teint lentement consumĂ©e, » Je vais bientĂŽt mourir. Mais toi tu resteras » Pour ĂȘtre heureuse encor ! qui sait? dans d'autres bras!

BAUTISTA, sur le théùtre. » Un nouveau mariage ! oh ! vous blasphémez ! grùce ! » Quo vous ai-je donc fait ? moi, si vile et si basse ! » Pour qu'une femme, enfin, prenne un second époux, » Il faut que le premier soit tombé sous ses coups !

HAMLET, regardant sa mÚre à travers les branches de l'éventail qu'il a pris des mains d'Ophélie.

VoilĂ  l'absinthe ! GONZAGUE.

» Vos paroles sans doute au fond du cƓur sont prises, » Mais cette vio hĂ©las ! est pleine de surprises » Qui rompent nos desseins, ou nos desseins de feu, » D'eux-mĂȘmes pĂąlissant, s'Ă©teignent avant peu. » Vert, le fruit tient bien fort Ă  la branche qui pousse; » MĂ»r, sur les gazons mous il tombe sans secousse. » Les serments qu'on se fait dans l'oxaltatiop » Meurent du mĂ©mo coup avec la passion,

Page 17: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

H A M L E T . 17

» Et la rĂ©alitĂ© trahit toujours le rĂȘve, » Et, contraire Ă  nos vƓux, notre destin s'achĂšve, » En ce monde changeant, oĂč, sans exagĂ©rer, » Les larmes savent rire et les rires pleurer !

BAUTISTA.

» Qu'au fond du dĂ©sespoir tombent mes espĂ©rances! » Que tout dĂ©sir pour moi se traduise en souffrances ! » Que seule avec mon crime on me jette en prison ! » Que mes yeux n'aient que pleurs, ma coupe que poison I » Que j'Ă©prouve aux enfers ta vengeance jalouse,— » Si ta veuve, ĂŽ mon roi, devient jamais Ă©pouse 1

H A M L E T .

AprÚs tant d'imprécations ! G O N Z A G U E .

» Eh! bien, je te crois donc. — Mais le sommeil joyeux » Engourdit ma douleur et me ferme les yeux... » Lmsse-moi reposer un instant, bien aimĂ©e.

B A U T I S T A .

» RĂȘves d'espoir, bercez sa souffrance calmĂ©e! » Vous, ne nous rappelez qu'ensemble, ĂŽ Dieu clĂ©ment !

Elle sort laissant le roi endormi sur un banc. H A M L E T , de loin Ă  sa mĂšre.

Eh! bien? madame? LA R E I N E , Ă©mue.

Trop de protestations De la part de la reine, il me semble !

I I A M L E T .

Oh! madame^ Elle s'en souviendra.

LE ROI, qui commence à s'inquiéter. Connaissez-vous lo drame?

N'a-t-ilrien do blessant, dites? H A M L E T , l'Ă©piant.

Non, Dieu merci. Lucianus, entre sur le second théùtre.

Ah ! c'est Lucianus, frĂšre du roi, ceci ! Arrive, meurtrier Ă  l'Ɠil cave, au front jaune ! L U C I A N U S , sur le thĂ©Ăątre et tirant une fiole de sa poitrine. » Mains prĂȘtes, noirs pensers, poison sĂ»r, bon moment ! » C'est bien ! tout me seconde et nul Ɠil ne me guette ! » MĂ©lange qu'Ă  minuit, pĂąle, sombre et muette, » HĂ©cate a composĂ© d'herbe cueillie au bois, » Qu'elle a trois fois flĂ©tri, qu'elle a maudit trois fois ! » Ο venin ! ta puissance aux feux d'enfer ravie, » Tarit en un instant les sources de la vie !

Il verse le poison sur les lĂšvres de Gonzague. Hamlet, pendant les paroles de Lucianus, s'est glissĂ© rampant et en Ă©piant jusqu'Ă  sa mĂšre et au roi. Il se dresse tout Ă  coup sur ses genoux devant ‱iuxetprend la parole avec une volubilitĂ© effrayante.

H A M L E T .

Voyez ! il l'empoisonne et lui vole le trÎne. Son nom était Gonzague... Oh! tous faits avérést Le liv e italien existe. Vous verrez Comment, Gonzague mort, le meurtrier enlÚve A sa veuve...

GONZAGUE, sur le théùtre, aprÚs une courte agonie. Je meurs 1 »

Il tombe. LA R E I N E .

Ah! 1E noi, se levant épouvanté.

Dieu! LA R E I N E .

‱ Le roi se lùve ! HAM.L8T, à Horalio, se levant à son tour, ou plutît bondissant avec

un cri de joie et de triomphe. Ah ! c'est clair, maintenant !

LA R E I N E , Ă  Claudius. Qu'avez-vous? ĂŽ mon roi!

L E R O I .

Des flambeaux ! LA R E I N E .

Qu'avez-vous ? LE ROI, tout Ă©perdu.

Laissez-moi! laissez-moi I Sortons.

P O L O N I B S , sortant derriĂšre le roi. Maudite soit cette piĂšce funeste !

Tous sortent en tumulte, moins Hamlet et Iloratio.

S C E Î 3 E XIX.

HAMLET, IIORATIO, puis ROSENCRANTZ. H O R A T I O .

Eh ! bien ? qu'en dites-vous? I I A M L E T .

Le crime est manifeste, VoilĂ  ce que j'en dis ! Et toi? u'en dis-tu, toi?

H O R A T I O .

Que, si l'on peut juger le coupable Ă  l'effroi, Le coupable, cher prince, Ă©tait lh tout Ă  l'heure !

H A M L E T , apercevant Rosencrantz. Ah ! voilĂ  l'espion.

H O R A T I O .

Dois-je sortir? H A M L E T .

Demeure. Au serviteur qui vient refermer les rideaux du théùtre.

Les flĂ»tes maintenant? le drame a peu d'appas Pour sa majestĂ© ! c'est — qu'elle ne l'aime pas.

R O S E N C R A N T Z .

Mon cher seigneur, un mot. H A M L E T .

Oh ! monsieur, tout un! vre Ăź R O S E N C R A N T Z .

Le roi, monsieur... H A M L E T .

Eh! bien? R O S E N C R A N T Z .

Nous venons do 1e suivre. Il est rentré chez lui tout troublé...

H A M L E T .

Par le vin? R O S E N C R A N T Z .

Par la colĂšre ! H A M L E T .

Alors, je m'emploirais en vain A guĂ©rir sa fureur et l'accroĂźtrais peut-ĂȘtre. Allez au mĂ©decin, c'est plus prudent.

R O S E N C R A N T Z .

Cher maĂźtre, TĂąchez donc d'ordonner un peu mieux vos discours, Qui, par brusques Ă©carts, nous Ă©chappent toujours,

I I A M L E T .

Allons, voyons, parlez. R O S E N C R A N T Z .

Votre mĂšre, la reine, M'envoie auprĂšs de vous dans le trouble et la peine.

I I A M L E T , cérémonieusement. Soyez le bienvenu.

Page 18: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

20 IIAMLET.

R O S E N C R A N T Z .

Mais trĂȘve de façon ! Ce n'est pas le moment, prince. De la raisonI RĂ©pondez avec sens, et je vais tout vous dire; Sinon, excusez-moi, seigneur, je me retire.

H A M L E T .

Monsieur, je ne puis

R O S E N C R A N T Z .

Quoi? H A M L E T .

RĂ©pondre sensĂ©ment, Je suis un insensĂ© !—Mais, bien certainement, Je ferai de mon mieux et veux vous satisfaire. Vous dites donc, monsieur, que la reine ma mĂšre?...

R O S E N C R A N T Z .

De crainte et de stupeur a le cƓur tout saisi. I I A M L E T .

Par moi? Fils merveilleux ! saisir ma mĂšre ainsi ! AprĂšs cette stupeur?...

R O S E N C R A N T Z .

La reine vous demando Un moment d'entretien.

I I A M L E T .

Oh ! ma mĂšre commande, Bien qu'elle soit ma mĂšre. — OĂč m'attend-elle?

R O S E N C R A N T Z .

En bas, Dans sa chambre Ă  coucher.

H A M L E T .

Dans sa chambre ! oh I non pas! Car, lĂ , l'Ă©poux vivant viendrait peut-ĂȘtre entendre Ou l'Ă©poux mort troubler un entretien si tendre. Je vai3 attendre ici ma mĂšre. Est-ce lĂ  tout?

R O S E N C R A N T Z .

Cher prince, vous rVaimiez autrefois, et beaucoup. H A M L E T .

Et je vous aime encore, ou le diable m'emporte! R O S E N C R A N T Z .

Eh ! bien', mon bon seigneur, quelle peine si forte Vous Ă©gare l'esprit? Ah ! nous cacher vos pleurs, C'est vous ensevelir vivant dans vos douleurs.

HAMLET, apercevant les joueurs de flûte qui traversent le théùtre. Ah ! les joueurs de flûte ! Allons, qu'on m'en donne une.

R O S E N C R A N T Z .

Monseigneur, je m'en vais, si je vous importune. I I A M L E T .

Non pas ! Lui présentant la flûte.

Voudriez-vous me jouer de ceci? R O S E N C R A N T Z .

Je ne puis, monseigneur. H A M L E T .

Je vous en prie, ainsi !

R O S E N C R A N T Z

Mais je ne puis, vraiment I H A M L E T .

Mais je vous en supplie. R O S E N C R A N T Z .

Je ne sais pas jouer de la flûte. ' H A M L E T . !

Folie ! <;ons vous trompez! L

R O S E N C R A N T Z . I

Seigne»*:'!...

H A M L E T .

Bouchez avec vos doigts, Et découvrez ces trous et soufflez h la fois. Les sons vont en sortir en musique divine. Voici la flûte, allez.

R O S E N C R A N T Z

Vouloir que je devine, L'air tout entier des sons qu'on ne m'a point appris!

H A M L E T .

Ah ! je suis donc tombĂ© bien bas dans vos mĂ©pris ! Quoi! vous voulez jouer de moi, par Notre-Dame! Vous voulez pĂ©nĂ©trer les secrets de mon Ăąme! Vous n'avez pas besoin de prendre de leçons Pour tirer de mon cƓur Ă  votre grĂ© des sons, Et vous feriez vibrer mes passions, sans faute, De leurs tons les plus bas Ă  la clef la plus haute ! Quand vous ne pouvez pas Ă©veiller sous vos doigts Le concert endormi dans le fond d'un hautbois! Ah! ah ! vous pensiez donc que, me livrant sans lutte, On peut plus aisĂ©ment m'apprendro que la flĂ»te ! Allez! vous aurez beau sur mon Ăąme souffler, Instrument mal appris, je ne veux pas parler ! Bonjour, monsieur.

Il fait un mouvement pour sortir et rencontre Polonius.

S C È N E I V .

L E S P R É C É D E N T S , P O L O N I U S .

P O L O N I U S .

Seigneur, votre mĂšre s'informe... H A M L E T , prenant Polonius et le conduisant Ă  la fenĂȘtre.

Voyez donc ce nuage : il a presque la forme D'un chameau, n'est-ce pas?

P O L O N I U S .

Par la messe, en effet! Un chameau véritable ! un chameau tout à fait !

H A M L E T .

On jurerait, d'ici, que c'est une belette. P O L O N I U S .

Une belette! oui ! la belette est parfaite ! H A M L E T .

C'est tout une baleine. P O L O N I U S .

Oh ! c'est frappant, mon Dieu ! Comme c'est la baleine !

H A M L E T

Alors mon cher, adieu. A Horatio.

Il est des courtisans mĂȘme pour la folie ! Haut.

Ma mĂšre peut venir. P O L O N I U S .

C'est juste, je m'oublie

Il fait semblant de sortir et revient se caciier derriĂšre la H A M L E T .

A Horatio. A Rosencrantz. J'attends ma raÚre, ami. Voulez-vou» >ac laisser?

Horatio et Rosencrantz sortent.

Page 19: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

liAiuLfcX 19

SC23ME V .

HAMLET, seul.

f attends ! c'est simple Ă  dire, et terrible Ă  penser! Voici l'heure propice aux mystĂšres magiques OĂč, laissant leur sommeil et leurs lits lĂ©thargiques, Les morts quittent la tombe et les dĂ©mons l'enfer ! Et, la pitiĂ© quittant aussi mon cƓur de fer, Je pourrais maintenant, comme un spectre insensible, Boire du sang fumant, oser quelque Ɠuvre horrible A faire reculer le soleil do terreur ! Ma mĂšre va venir ! du calme ! Et toi, mon cƓur, Reste grand. Le courroux peut enfler ma narine, Mais l'Ăąme d'un NĂ©ron n'est point dans ma poitiino ! Je veux ĂȘtre inflexible, et non dĂ©naturĂ©. Je montrerai le fer, mais je le retiendrai. Jouez la comĂ©die, ĂŽ ma langue et mon Ăąmo ! Mais, quelque amer et dur que s'exhale mon blĂąme, Avec quelque fureur que tonne mon discours, Que la reine, ĂŽ mon Dieu! soit ma mĂšre toujours 1

SCÈNIS VI

HAMLET, LA REINE, POLONIUS, caché.

H A M I E T .

Vous désiriez me voir; que voulez-vous, ma mÚre?

LA R E I N E .

Hamlet, vous offensez gravement votre pĂšre. HAMLET.

MĂšre ! vous offensez mon pĂšre gravement. LA R E I N E .

Allons donc ! c'est un fou qui me répond, vraiment !

IIAMLET.

Allez ! c'est une impie, à coup sûr, que j'écoute !

LA R E I N E .

Qu'est-ce h dire? HAMLET. ·

PlaĂźt-il ? LA R E I N E .

Vous oubliez sans doute Qui je suis! mais je vais envoyer prÚs de vous Quelqu'un qui vous fera répondre mieux quo nous!

Elle fait un mouvement pour s'Ă©loigner. IJamlel lui barre le chemin. H A M L E T .

Restez! je me souviens, par la croix! au contraire! N'ĂȘtes-vous point la reine et la femme du frĂšre De votre Ă©poux? de plus, pour mon malheur, hĂ©las ! Ma mĂšre? rĂ©pondez.

La retenant malgré elle. Vous ne bougerez pas !

Vous ne sortirez pas! que je n'aie h votre Ăąme Offert un miroir sĂ»r oĂč vous pourrez, madame, La voir dans ses replis les plus secrets.

LA R E I N E , appelant effrayée. A moil

Veux-tu m'assassiner? au secours! P O L O N I U S , derriĂšre la tapisserie.

HolĂ ! quoi Au secours!

HAMLET, se retournant et tirant son épée. Qu'est-ce donc? un rat!

Il donne de son Ă©pie dans la tapisserie.

Mort ! Jo parie Un ducat qu'il est mort.

Il

P O L O N I U S .

Je meurs !

LA R E I N E .

Quelle furie ! Qu'as-tu fait? Ô mon Dieu !

HAMLET.

N'est-ce donc pas le roi f LA R E I N E .

Une action sanglante! HAMLET.

Oui sanglante ! et, je croi, Presque aussi criminelle, au fond, ma bonne mĂšre, Que de tuer un roi pour Ă©pouser son frĂšre!

LA R E I N E , épouvantée. Tuer un roi !

HAMLET.

Pardieu ! c'est bien ce que j'ai dit ! LA R E I N E .

HĂ©las! H A M L E T , soulevant la tapisserie.

Polonius! ah! je suis bien maudit! Celle qui portera le poids de ma folie Sera donc toi toujours, OphĂ©lie! OphĂ©lie! — Pardonnez-moi ce meurtre, ĂŽ Seigneur ! ĂŽ mon Dieu ! Et toi, pauvre indiscret, fou tĂ©mĂ©raire, adieu ! Jo t'ai pris pour plus grand que toi. Subis ta peine. De l'affaire d'autrui pourquoi fis-tu la tienne?

laisse retomber la tapisserie, remet son épée au fourreau et revient prÚs de sa mÚre.

Asseyez-vous, madame. La reine se tord les mains de désespoir.

A moi seul la rigueur ! Ne tordez pas vos mains, je vous tordrai lo cƓur ! S'il y reste, du moins, quelque fibre sensible, Si, tout bronzĂ© qu'il soit, il est encore possiblo D'y faire pĂ©nĂ©trer quelque bon sentiment.

LA R E I N E .

Pour que ta voix me parle, Hamlet, si rudement, Qu'ai-je donc fait? voyons !

H A M L E T .

Vous l'ignorez, madacr Ah ! vous avez commis une action infĂąme1. Une lĂąche action qui change avec noirceur Les vƓux du mariage en serments de joueur! Qui dĂ©tache du front de tout amour sincĂšre Sa couronne de fleurs, pour y mettre un ulcĂšre ! Une action qui fait le monde plein d'horreur ! Aussi, voyez, le ciel s'enflamme de fureur, Et l'air, tout attristĂ© d'une action si sombre, Est, comme au dernier jour, chargĂ© do brume et d'ombre !

LA R E I N E .

O malheur ! quels sont donc ces crimes, répondez, Que vous voulez punir ?

HAMLET, se levant. Ah ! vous le demandez ! Lui montrant deux portraits.

Voyez ces deux tableaux,— les portraits de deux frĂšres. Voyez ce beau visage oĂč tous les dons contraires l'our un type idĂ©al sont mĂȘlĂ©s par les dieux! Apollon a prĂȘtĂ© ses longs cheveux soyeux. Jupiter son beau front, Mars son Ɠil qui menace, Dans ce noble maintien Mercure a mis sa grĂące, Quand aux cimes des monts glisse son vol si doux!

Page 20: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

IIAMLET.

Or, cet homme parfait, il Ă©tait votre Ă©poux! Montrant le second portrait.

Cet autre est votre Ă©poux ! C'est l'Ă©pi, dans la gerb?, Par la nielle gĂątĂ©, gĂątant l'Ă©pi superbe. Vous n'aviez donc pas d'yeux, que vous avez quittĂ© Pour le fangeux marais le sommet enchantĂ© ? Ah ! vous n'aviez pas d'yeux ! et votre aveugle rage N'Ă©tait pas de l'amour; car enfin, h votro Ăąge, L'ardeur du sang se calme et cĂšde Ă  la raison ! Mais la raison peut-elle, en aucune façon, Conseiller de tomber de cet homme Ă  cet autre ? Vous vivez ! votre pouls bat ainsi que le nĂŽtre ! Donc, vous devez sentir ! mais votro sentiment Etait paralysĂ©, madame, assurĂ©ment! Est-il transport si sourd, si stupila inconstance, Que ne frappe d'abord une telle distance ? Quel dĂ©mon vous trompait et vous cachait les cieux ? Les yeux sans le toucher, le toucher sans les yeux, L'oreille sans les mains, l'odorat sans l'ouĂŻe, Tout sens, mĂŽme altĂ©rĂ©, de l'erreur inouĂŻe Averti sur-le-champ, ne s'y fĂ»t pas mĂ©pris. Honte ! ne sais-tu plus rougir sous le mĂ©pris ! 0 bĂ»chers de l'enfer ! si vos feux Ă©phĂ©mĂšres Montent brĂ»ler ainsi les veines de nos mĂšres, Aux cƓurs de leurs enfants la vertu par lambeau ! Se fondra, cire ardente, Ă  son propre flambeau; La jeune passion ne sera plus honteuse, La raison aux dĂ©sirs sert bien d'entremetteuse !

LA R E I N E .

Hamlet! tais-toi ! tu fais quo mon regard profond Se tourne vers mon ùme, et quo j'y vois au fond Des taches do péché noires et gangrenées Que n'effaceraient pas des centaines d'années !

H A M L E T .

Et lo tout pour chercher des plaisirs monstrueux Dans l'impure sueur d'un lit incestueux ! — Qu'est-ce que votre Ă©poux? un valet misĂ©rable, L'exĂ©crable CaĂŻn d'un Abel adorable ! lin roi do carnaval ! qui filouta la loi Et lo pouvoir ! Un jour, la couronne de roi Se trouve sous sa main, le traĂźtre la dĂ©croche Et, larron sans pudeur, la fourre dans sa poche !

L A R E I N E .

Assez ! assez ! H A M L E T .

Un roi de piĂšces et haillons ! L'Ombre apparaĂźt visible pour Hamlet seul.

Sauvez-moi ! cachez-moi ! célestes légions ! C'est lui !

L A R E I N E .

Qui ? lui ! H A M L E T , au spectre,

Voyons! que voulez-vous, chĂšre Ombre? L A R E I N E .

Mon fils est fou t mtilheur ! H A M L E T .

Oui, mes lenteurs sans nombre Vous irritent, le temps passe, l'Ă©motion j S'Ă©teint! je remets trop la sinistre action Que vous m'avez prescrite ? est-ce cela, mon pĂšre?

R L ' O M B R E .

Oui. Souviens-toi. Tu vas te souvenir, j'espÚre ! Je viens pour réveiller ta volonté qui dort. Mais vois ta mÚre, Hamlet, tremblante de remord,

Oh ! mets-toi donc entre elle et sa terreur do femme ? Car l'amour do ma vie anime encor mon Ăąme. Parle-lui, cher Hamlet.

H A M L E T , Ă  la reine. Madame ! qu'avez-vou

L A R E I N E .

Oh ! je vous le demande Ă  vous-mĂȘme, h genou*-

D'un avide regard pourquoi sonder l'espace? Pou.iquoi parler, rĂ©pondre h la brise qui passe' Ton Ăąme par tes yeux hagards semble jaillir, Et, soldats endormis qu'un cri fait tressaillir, Tes cheveux, frissonnant d'un soufflo de tempĂȘte, Se dressent animĂ©s et vivants sur ta tĂȘte! — Bien-aimĂ©, verse au feu bouillant de ton courroux La froide patience. — Oh ! que regardez-vous ?

H A M L E T .

Lui! lui ! c'est effrayant ! voyez comme il est pĂąlot Son aspect douloureux sur sa cause fatale Ferait pleurer le marbre.

A l'Ombre. Oh! ne regarde pas!

La plainte do tes yeux affaiblirait mon bras, Et, lo corps dĂ©faillant, l'Ăąme pleine d'alarmes, Peut-ĂȘtre, au lieu de sang je verserais des larmes.

L A R E I N E .

Mais Ă  qui parlez-vous ? H A M L E T .

LĂ  ! ne voyez-vous rien? L A R E I N E .

Non ! les objets présents, pourtant, jo les vois bien ! H A M L E T , suivant l'Ombre qui traverse le théùtre.

Et η entendez-vous rien? LA R E I N E .

Non, rien que ta parole. H A M L E T .

Mais regardez donc lĂ  ! Vcyez ! triste, il s'envolo ! C'est mon pĂšre.

LA R E I N B .

Ah! H A M L E T .

VĂȘtu comme do son vivant ! Sous lo pcrtau: tenez! encor ! Plus rien : du vent!

LA R E I N E .

Imaginations que la fiÚvre t'inspire ! FantÎmes imposteurs qu'évoque le déliro!

H A M L E T .

Le délire, madame? Ah! que votro terreur N'aillo pas s'abuser de cette douce erreur Que mon délire parlo ! oh ! non, c'est votre crime! Gardez que ce vain baume, Î mÚre, n'envenime Votre mal qu'au dehors il cicatriserait Tandis que la grangrÚne en dedans vous mordrait.

L A R E I N E .

Tu dĂ©chires mou cƓur ! H A M L E T .

Jetez en donc la fange, Et n'en gardez que l'or ! Plue de dĂ©mon dans l'ange ! DĂšs cette nuit, fuyez votre Ă©poux,—votre affront ! La vertu manque au cƓur, qu'on l'ait du moins au front Sur ce, madame, adieu ! Quand vous serez bĂ©nie, Vous pourrez mo bĂ©nir.

Montrant Polonius. Pour ce pauvre génie,

Je sens lĂ  des remords... Mais le ciel aujourd'hui

Page 21: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

HAMLET. 21

A voulu nous punir, lui par moi, moi par lui : Car je suis du grand juge instrument et victime. —Je me charge du corps, et rĂ©pondrai du crime, Et vous, madame, vous, de ce soir Ă  demain, Pour un mtre priez... La mort est en chemin!

ACTE QUATRIEME.

P R E M I E R E P A R T I E .

Le décor du second acte.

S C È N E I .

LE ROI, méditant ; plus tard, HAMLET. L E N O I . ,

Polonius tuĂ©!... Pourtant qu'avait-il fait? Cette mort me rappelle encore mon forfait, Mon horrible forfait ! vapeur noire, empestĂ©e, Qui monte jusqu'au ciel ! Ma vie ensanglantĂ©e, Sous l'anathĂšme ancien du premier meurtrier Sanglotte et se dĂ©bat... Si je pouvais prier !... Non ! mon crime est trop lourd, mon Ăąme trop dĂ©bile ! Comme entre deux devoirs je m'arrĂȘte immobile : Par lequel commencer ? et rien n'est accompli. — Mais quoi ! l'homme a le crime, et le Seigneur l'oubli ! Ma main du sang d'Abel serait encor plus noire Que le pardon divin, rosĂ©e expiatoire, Lui rendrait la blancheur de la neige des champs. Quand Dieu serait-il bon si nous n'Ă©tions mĂ©chants? Qu'est-ce que la priĂšre ? un appui dans la lutte, Qui soutient au combat, relĂšve aprĂšs la chute. Relevons donc ensemble el mon cƓur et mes yeux ! — Oui, mais avp«r~»els mots vais-je parler aux cieux? » Pardonnez-moi mon meurtre affreux ! » C'est impossible ! J'ai dans mes mains le prix de ce meurtre terrible, Cette femme, le sceptre, et la grandeur des rois Quoi ! jouir du pardon et du crime Ă  la fois? Folie ! Au poids de l'or, en ce monde, le crime AchĂšte la justico, et le juge a la primo Des profits du coupable. Oui, mais payez donc Dieu I Quand la vĂ©ritĂ© parle, osez mentir un peu ! Lorsque vos actions vous regardent en face, Essayez de nier ! non ! il faut crier grĂące ! Suis-jedonc dans l'abĂźme enfonce trop avant? Anges du ciel, voyez, je suis encor vivant! Essayez ! sauvez-moi ! FlĂ©chis, genou rebelle'! CƓur aux fibres d'acier, sois plus tendre et plus frĂšlo Que le cƓur palpitant d'un enfant nouveau nĂ© ! Et tout peut aller bien !

Il s'agenouille au prie-Dieu. — Entre Hamlet. H A M L E T , apercevant le roi, — avec plus de terreur que de joie.

Quel moment m'est donné! Il prie, et je dois tout accomplir !

Longue lutte intĂ©rieure. Il tire Ă  demi son Ă©pĂ©e, puis la laisse retomber au fourreau pour essuyer de sa main la sueur froide de son front, tire enfin brusquement son Ă©pĂ©e et s'appuie dessus chancelant, fait deux pas vers le roi, puis s'arrĂȘte, fait encore un pas et s'arrĂȘte encore, illuminĂ© par une rĂ©flexion soudaine.

Mais, j'y pense! Il irait droit au ciel ! et je le récompense Au lieu de le punir ! Voyons: un scélérat Assassine mon pÚre, et moi, moi, fils ingrat ! J'envoie au sein de Dieu le maudit ! Ma vengeanco Est alors amitié, ma colÚre indulgence !

Mon pĂšre est mort sans prĂȘtro; un grave jugement PĂšse Ă  prĂ©sent sur lui: serait-ce unchĂątimen Pour F ;i lĂąche assassin, que d'immoler l'infĂąme Quand, prĂȘt pour le voyage, il Ă©pure son Ăąme?... — Non ! non ! rentre au fourreau, mon Ă©pĂ©e, et tous deux Attendons, pour frapper un coup moins hasardeux. Et quand nous le verrons dans un accĂšs de rage, Ivre, au jeu, rĂ©pandant le blasphĂšme et l'outrage, Quand il sera coupable, et non pas repentant, Alors qu'il commettra quelque crime Ă©clatant Qui lui ferme Ă  jamais le chemin de la grĂące... Frappons ! frappons ! afin que son talon menace Les cieux, quand le damnĂ© , que son ange aura fui, Tombera dans l'enfer moins noir encor que lui! — Allons errer encor ! Toi, ta priĂšre impie Retarde peu ta mort que le d^mon Ă©pie !

Il sort. LE ROI, se relevant.

Les mots montent dans l'air, la pensée est en bas... Et les mots sans pensée à Dieu n'arrivent pas !

SCRUTE II .

LE ROI, LA REINE, puis, MARCELLUS. LA R E I N E , entrant troublée.

Sire ! l'avez-vous vu ? L E R O I .

Qui? LA R E I N E .

Dans le moment mĂȘme. Mon fils Ă©tait ici !

LE ROI, effrayĂ©. Pour quel dessein extrĂȘme ?

LA R E I N E .

Dieu seul le sait ! Hamlet, depuis hier au soir Que ce meurtre fatal pĂšse a son dĂ©sespoir, Se cache. Iloratio, cherche en vain Ă  le joindre. On l'a revu, — le jour no faisait que poindre, Sur le bord de la mer, puis, pendant le convoi, PrĂšs de l'Ă©glise. Et lit, dans l'instant, devant moi, C'est bien lui qui passait, muet, rapide et sombre! J'ai voulu l'appeler, il s'est enfui dans l'ombre ! Ah ! protĂ©gez-le, sire !

L E R O I .

Oui, mais veillons s ir lui I Hier, si j'eusse été là, j'étais mort. Aujourd'hui, Hamlet met en péril ma couronne et ma vie. Son crime , c'est à nous que l'impute l'envie ! Et Laérte, en tous lieux, va criant contre moi.

LA R E I N E .

Mon fils ! L E R O I .

Rassurez-vous cependant. A Marcellus qui entre

Ah 1 c'est toi, Marcellus, que veux-tu ?

M A R C E L L U S .

C'est la pauvre Ophélie, Sire, qui veut entrer.

L E R O I .

Qu'elle entre. M A R C E L L U S , aprĂšs une fausse sortie.

Mais j'oublie... Son pÚre et son amour en un seul jour perdus, Ont sans doute troublé ses esprits éperdus:

Page 22: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

IIAMLET.

Nous cherchons vainement un sens à sa parole, Et ses yeux égarés...

LA R E I N E .

Malheur elle aussi, folle ! L E ROÎJ

Mais de quoi parle-t-elle ? MARCELLUS.

Oh ! de son pĂšre mort, Des hommes tous mĂ©chants, — plus mĂ©chants que le sort. Elle frappe son cƓur, sanglotte, puis s'irrite, Dit sĂ©rieusement des paroles sans suite, Tient d'Ă©tranges discours, qui pourtant font rĂȘver Et qu'avec la pensĂ©e on tĂąche d'achever. Ses gestes, ses regards prĂȘtent Ă  ses mots vagues Le sens mystĂ©rieux du nuage et des vagues. On sent vivre et penser son rĂȘve tĂ©nĂ©breux, Car on le sent souffrir, — souffrir d'un mal affreux.

L E R O I .

Amenez-la-nous donc. — Ses paroles obscures Feraient faire aux mĂ©chants d'affreuses conjectures.

Marcellus sort et rentre immédiatement avec Ophélie.

S C È N E I I I .

LE ROI, LA REINE, OPHÉLIE, MARCELLUS.

O P H É L I E , entrant, les cheveux et les vĂȘtements en dĂ©sordre. La belle majestĂ© du Danemark?...

LA R E I N E .

Eh! bient Qu'avez vous, chĂšre enfant ?

O P H É L I E , chantant. L'amour sincĂšre, Ă  quels gage» Le reconnaĂźtrai-je donc? A-t-il sandales, bourdon, Et chapeau de coquillages?

LA R E I N E .

Mais elle ne dit rien, HĂ©las ! votre chanson !

O P H É L I E .

Comment? je vous supplie, f

Ecoutez : Mort en sa jeune sa i son , Ou l ' a mis au c imet iĂš re : A sa tĂȘte est une p ie r re , A ses pieds un vert gazon.

Oh! oh! Dieu! LA R E I N E .

Voyons, chĂšre OphĂ©lie I O P H É L I E .

Écoutez, Ă©coutez : Son l inceul blanc comme neige Étai t parsemĂ© de fleurs, Qu 'arrosaient avec des pleurs Les vrais amants du cortĂšge.

L E R O I .

Oh ! qu'est-ce que ceci ? A Ophélie.

Comment vous trouvez-vous, madame ? O P H É L I E .

Bien, merci! Que le Seigneur vous garde ! On dit que la chouette Était fille, autrefois, d'un boulanger. Pauvrette ! HĂ©las ! je reconnais aujourd'hui mon chemin, Mais qui pourra me dire oĂč je serai demain ? Pauvre, pauvre vieillard !

LA R E I N E .

Elle pense Ă  son pĂšre. '

O P H É L I E .

Nous n'allons plus parler de tout cela, j'espÚre ! Le sens caché? mon Dieu ! jo vais vous l'aplanir !

Voici le matin

De Saint-Valent in ,

Et je viens, m u t i n e ,

Vous dire bonjour ,

Pour ĂȘtre en ce jour

Votre Valentine I

LA R E I N E .

Pauvre enfant! O P H É L I E .

Encore un, et puis je vais finir? Bel ange adoré ,

Je t 'Ă©pouserai ,

Disiez-vous naguĂšre .

Oui , mais , en t re nous ,

L 'amant Ă  l 'Ă©poux

Fai t trop peu r , ma chĂšre.

Un officier entre et remet une dĂ©pĂȘche au roi.

LE ROI, lisant la dĂ©pĂȘche. Une Ă©meute !... Oh ! que faire?

O P H É L I E .

Attendez : tout-h-l'heure Cela s'arrangera. — Mais, malgrĂ© moi, je pleure, En songeant qu'ils l'ont mis en terre, tout transi I Mon frĂšre le saura, c'est trop juste. — Merci ! Ma voiture ? — Bonsoir. —Bonsoir, ma chĂšre damo !

Elle sort en fredonnant. LA R E I N E , Ă  Marcellus.

Surveillez-la do prĂšs, en grĂące, la pauvre Ăąme ! ÎčSuri OphĂ©lie, suivie de Marcellus.

SCÈNJ: i v .

LE ROI, LA REINE, puis, MARCELLUS.

L E R O I .

Elle a perdu son pĂšre, et c'est l'affreux poison D'une amĂšro douleur qui lui prend sa raison. Gertrude, les malheurs marchent toujours par troupe Polonius tuĂ©, le peuple qui se groupe Autour des malveillants, et murmure tout bas, Votre fils qui so cache et qu'on ne trouve pas, OphĂ©lie insensĂ©e et dont l'Ăąmo abattue Ne laisse en s'Ă©garant qu'une belle statue... Enfin, pour dernier coup qui les Ă©gale tous, LaĂ«rte furieux, rĂ©voltĂ© contre nous! —Ce billet mo l'apprend, — et que la calomnie A sans peine excitĂ© son turbulent gĂ©nie... Un seul de ces flĂ©aux pourrait donner la mort, Et tous vont nous briser sous leur commun effort!

Rumeurs au dehors. LA R E I N E .

Mon Dieu ! quel est ce bruit? L E R O I .

Holà ! quelqu'un ! mes gardes ! Qu'on défende la porte! allons! les hallebardes !

MARCELLUS, entrant précipitamment. Ohl fuyez, monseigneur! l'océan courroucé N'engloutit pas ses bords d'un flot plus insensé, Que le jeune Laërte, en sa fureur rebelle, No renverse là-bas votre garde fidÚle ! La foule voit en lui déjà son souverain. Le monde est né d'hier ! plus de lois ! plus de frein f D'histoire! de passé ! La populace crie : Prenons pour roi Laerle ! et, dans leur barbarie,

, jetant leurs bonnets, d'applaudir sans effroi,

Page 23: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

I I A M L E T . 2 3

Et do vocifĂ©rer s — vive LaĂšrtc roi ! Cris plus rapproches.

L E noi. Danois ingrats ! voyez comme leur meute aboie, Dans un joyeux Ă©lan, sur uno fausse voie 1

S C 2 K S v .

L E S P R É C É D E N T S , LAERTE, P E U P L E .

LAERTE , l'épée à la main. Le voilà donc ce roi !

au peuple. Restez en dehors, tous !

L E P E U P L E .

Non t entrons 1 L A E R T E .

Mes amis, de grĂące, laissez-nous ! L E P E U P L E .

Faisons commo il lo dit ! L A E R T E .

Merci! gardez les portes 1 au roi :

InfĂąme roi ! rends-moi mon pĂšre ! LA R E I N E .

Oh! tu t'emportes, Bon Laerte ! du calme, allons !

L A E R T E .

Du calme ! eh! quoi? Uno goutte do sang qui serait calme en moi M'appellerait bùtard et flétrirait ma mÚre !

LE R O I .

Tu regretteras l'heure ou ta révolte amÚre Contre ton souverain se dresse impudemment.

LA R E I N E .

Mon Dieu ! LE ROI, Ă  la reine.

Ne craignez rien ! un divin sacrement Marque les rois au front et sait forcer lo traĂźtre A dĂ©tourner les yeux en offensant son maĂźtre. Laerte, d'oĂč te vient ce furieux transport ?

A la reine. Laissez faire !

L A E R T E .

Je veux, moi, mon pĂšre! L E R O I .

Il est mort. LA R E I N E .

Mais ce n'est pas le roi ! LE ROI, Ă  la reine.

Paix ! qu'il parle, s'il l'oso ! L A E R T E .

Mais comment est-il mort? croit-on quo rien m'impose? Au diable les serments et la fidélité ! Aux enfers le devoir, la foi, la loyauté ! Lo dernier jour, ce monde et l'autre, peu m'importe ' Quo jo venge mon pÚre, et que Satan m'emporte 1

LA R E I N E .

Qui pourrait arrĂȘter ce dĂ©lire pervers? LAERTE.

Ma seule volontĂ©, macs non ρ m l'univers ! LE R O I .

Parce que vous votiïsz, Laerte, en votre rage, Punir un meurtrier, — faut-il, comme l'orage, Balayer devant vous, fils pieux h demi, Innocent et coupable, ami comme ennemi ?

LAERTK.

Rien que ses ennemi? ! L E R O I .

Voulez-vous les connaĂźtre, Laerte?

L A E R T E .

A ses amis tout mon sang, tout mon ĂȘtre I LE R O I .

Eh bien ? donc, ses amis, c'est la reine, c'est moi. Et son seul ennemi, — c'Ă©tait llamlet !

L \ E R T E .

Eh! quoi? Est-il possible ? Hamlet, l'assassin do mon pĂšre !

LE R O I .

Pourquoi se cache-t-il ? demandez Ă  sa mĂšre ! LA R E I N E .

Ilélas ! hélas ! c'est vrai. Mais il est ins°nsé ! Vous le savez, monsieur.

L A E R T E .

Moi ! tout ce quo je sai, C'est que mon pĂšre est mort, c'est qu'une main fatale Trancha...

Apercevant OphĂ©lie qui entre. Ma sƓur! ma sƓur! mon Dieu! comme elle est pĂąle!

SCENI3 VI .

L E S M Ê M E S , OPHÉLIE, bizarrement coiffĂ©e de (leurs et de pailles entrelacĂ©es.

O P H É L I E , à son frùre sans le reconnaütre. Bonjour, prince.

LAERTE.

Ello est folle ! — O mes pleurs enflammĂ©s, DĂ©vorez le regard dans mes yeux consumĂ©s! Oh ! va ! jo leur ferai payer cher la folie, Ma sƓur, rose do mai! bonne et tendre OphĂ©lie! Mon Dieu ! vous laissez donc s'Ă©teindre au mĂŽme vent Le souffle du vieillard et l'esprit de l'enfant! L'Ăąme qu'un amour pur exalte d'heure en heure Laisse Ă  l'objet aimĂ© sa moitiĂ© la meilleure.

ÎżÏÏ€Î­Îč,ÎčΔ, chantant. On l'enterra sans voiler son front pĂąle ! IlĂ©las! hĂ©las! trois fois hĂ©las I Et tous les cƓurs pleurentsa mort fatale. . .

Adieu, mon tourtereau ! L A E R T E .

Non, toute ta raison Ne m'animerait pas contre la trahison Autant que ce délire!

O P H É L I E .

lih! chantons! on commence. En bas I qu'on le porte en bas I Ilélas! hélas! trois fo i shé tas !

Un refrain bien trouvé, certes! c'est la romanco Du méchant intendant qui, sans pitié, vola La fille de son maßtre.

LAERTB.

Oh ! oui, tous ces riens là En disent cent fois plus que des choses sensées I

O P H É L I E , distribuant ses fleurs. Pense Ă  moi doux ami ! tiens, voici des pensĂ©es ! Et puis, du romarin, la fleur du souvenir! SĂ©parĂ©s, son parfum saura nous rĂ©unir !

L A E R T E .

Son cƓur rappelle encor sa raison disparue O P H É L I E , à la reine.

Page 24: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

IIAMLET.

Partageons entre nous, madame, cette ruĂ« : Pour vous herbe de grĂące, herbe de pleurs pour moi! Voici do l'ancolie, et du fenouil, jo croi. Et puis encor, tenez, de blanches pĂąquerettes. Je voilais vous donner aussi des violettes, Mais toutes ont pĂ©ri tristement, tristement, Lorsque mon pĂšre est mort,—mort, dit-on, saintement!

Elle chante Ă  genoux.

Le bon petit Robin, 11 fait toute ma joie 1

L A E R T E .

Tristesse, passion, rĂȘverie, enfer mĂȘme, Tout en elle devient grĂące et charme suprĂȘme !

0 P I 1 É L 1 E .

Ses cheveux blancs comme la neige Egalaient en douceur le lin 1 J 'ai vu le nnir cortÚge. Ilélas ï que Dieu protÚge Le mort et l 'enfant orphelin ï

Ainsi que tout chrĂ©tien, — c'est lĂ  mon dernier vƓu ! Le ciel soit avec vous !

Elle sort ; sur un signe du roi, la reine la suit.

S C E N E V U .

LE ROI, LAERTE. L A E R T E .

Vous lo voyez,mon Dieul Il faut que je la venge! et cet Hamlet se cache! OĂč trouver l'assassin, le meurtrier, le lĂąche? La moitiĂ© de mes jours, pour l'avoir lĂ  vivant!

L E R O I .

Ah ! que ne veniez-vous une heure auparavant L A E R T E .

Un tel crime ne peut, pour nous et pour vous-mĂȘme, Demeurer impuni, pourtant!

L E R O I .

Sa mĂšre l'aime Et ne vit qu'en son fils ! et, je ne sais pourquoi, Mais, malheur ou vertu, je vis en elle, moi ! L'Ă©toile ne se meut qu'en sa sphĂšre, et mon Ăąme Ne respire, ne sent, ne vit qu'en cette femme ! Puis, le peuple eut toujours Hamlet pour favori Et ne veut pas qu'on touche Ă  son prince chĂ©ri. Il changerait ses fers en guirlandes de fĂȘte, Et ma flĂšche, impuissante au vent de la tempĂȘte, A mon but de vengeance au lieu d'aller toucher, Retournerait vers l'arc et percerait l'archer

L A E R T E .

Mais moi, mon pĂšre est mort! mais moi, ma sƓur est folle ! Ma sƓur qui, dĂšs ce monde, avait une aurĂ©ole!

L E R O I .

LaĂ«rte. — un bon conseil, qui, si tu le suivais... L A E R T E .

Vous n'allez pas, au inoins, me conseiller la paix ! L E R O I .

Non, sois tranquille ! guerre! L A E R T E .

Oh ! oui, guerre mes telle !

L E R O I .

Si je trouve un moyen?... — ta vengeance fidĂšle, N'est-ce nas? et ne craint ni dĂ©lai, ni retard ! —

Si jo trouve un moyen de frapper sans hasard ?... L A E R T E .

Oh! dites! L E R O I .

...D'amener sous tes coups la victime, Sans que nul danssa mort puisse trouver un crime.

L A E R T E .

Soyez la tĂȘte ! allez ! mais que je sois lo bras ! Quo je sois le poignard!

L E R O I .

Eh bien ! tu le seras ! — LaĂ«rte ! on vous vantait, pendant votro voyage, En prĂ©sence d'Hamlet, d'un talent de votre Ăąge OĂč l'on vous disait maĂźtre, et ce mince agrĂ©ment A rendu plus jaloux lo prince, assurĂ©ment ! Que tous vos autres dons, — tant la jeunesse est folle !

L A E R T E .

Ce talent, quel est-il? L E R O I .

Rien qu'un ruban frivole Au chapeau d'un jeune homme, et qui lui sied pourtant! Que notre habit soit sombre et lo vĂ»tre Ă©clatant ! Nous portons lo cilice, et vous portez la soie, Vous, l'espĂ©rance, et nous, le deuil de notre joie. — Nous avions un seigneur normand, le dernier mois; Comment le nommait-on dĂ©jĂ ? Lamond, jo crois. Sa mĂ©moire de vous Ă©tait tout occupĂ©e, Mais, surtout, il vantait Ă  votre adresse Ă  l'Ă©pĂ©e. Vous foriez un assaut merveilleux entre tous, S'il s'offrait un rival un peu digne de vous, Assurait-il. Mais bah ! les escrimeurs de France, Devant vous sur-le-champ perdant tout assurance, N'avaient plus ni sang-froid, ni ruse, ni coup d'eil! Et, lĂ  dessus, Hamlet, dans son jaloux orgueil, N'eut plus, de ce moment, de souhaits et d'alarmes Que sur votre retour, pour faire un assaut d'armes! — Eh! bien? LaĂ«rte?...

L A E R T E .

Eh ! bien ? LE ROI, brusquement aprĂšs une pause.

Aimiez-vous tendrement Votre pÚre? voyons! ou votro accablement Est-il joué?

L A E R T E .

Joué! vous raillez, jo l'espÚre ! L E R O I .

Quo feriez-vous donc bien pour venger votre pĂšre? L A E R T E .

Ce que je ferais? L E R O I .

Oui. L A E R T E .

J'irais du coup mort Percer son assassin, — fĂčt-ce au pied de .'autoli

L E R O I .

Bien ! le lieu saint convient au meurtre ^xpiatoiro ! — Mais tenez, cher ami, si vous voulez m'en croire, Laissez-moi tout mener, Ă  compter d'aujourd'hui. Quand Hamlet reviendra, nous ferons devant lui Vanter votre talent, et rappeler l'estime OĂč vous tient co Français Ă  l'endroit de l'escrime. Nous amĂšnerons bien un assaut, des paris ! Hamlet, jeune, pour qui la vio a peu de prix, GĂ©nĂ©reux, confiant, ne va pas prendre garde Au fleuret σÎčÎč'οη lui donne et l'on peut par mĂ©garde, —

Page 25: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

IIAMLET.

Vous prĂ©Ăźentei, λ vous, un for non Ă©moussĂ©... Alors, vous comprenez? u:i coup bien adressĂ©, Et vous ĂȘtes payĂ© du sang de votre pĂšre 1 Qu'en dites-vous?

L A E R T E .

Je dis: — je suis prĂȘt Ă  tout faire 1 L E R O I .

Bien' — sais un poison, pour plus de sĂ»retĂ©, OĂč l'on pourra tremper ce fer dĂ©mouchetĂ© ; Et l'Ă©trange vertu do la liqueur est telle Qu'une simple piqĂ»re est la mort avec clic !

L A E R T E .

Tout est bon h ma rage! L E R O I .

11 faudrait agencer Quelque arriĂšre projet qui viendrait remplacer Notre premier essai, s'il nous manquait en route.

Réfléchissant. l 'a moment ! attendez ! oui, c'est cela ! sans doute! On engage sur vous des paris importants... <y suis! Quand vous serez échauffés, haletants,

ipoussez-le-moi ferme ! Hamlet, la chose est sûre, Va demander à boire... et, si quelque blessure

l'a déjà frappé, l'eau qu'on lui versera, fßt-il qu'y egoûter, nous en délivrera.

Apercevant la reine qui entre ĂšplorĂše. reine !

s c s r r a v i n .

L E S M Ê M E S , L A R E I N E .

L E R O I .

Oh ! qu'est-ce eocor? LA R E I N E .

Mon Ăąme est foudroyĂ©e Par un nouveau malheur ! OphĂ©lie — est noyĂ©e.

L A E R T E .

Qui ? ma sƓur ! noyĂ©e ! oĂč ? LA R E I N E .

Dans le prochain ruisseau, Un vieux saule en rĂȘvant mire au cristal de l'eau Ses rameaux Ă©plorĂ©s aux teintes monotones. C'est lĂ  qu'ayant tressĂ© de bizarres couronnes, Elle voulut suspendre au feuillage ployĂ© Son trophĂ©e odorant... Mais sous son petit piĂ© Une branche se brise, et la pauvre enfant tombe, Avec toutes ses fleurs, au noir ruisseau, sa tombe ! — — Et, d'abord, ses habits Ă©talĂ©s et flottants La soutiennent sur l'eau pendant quelques instants. On aurait dit do loin une blanche naĂŻade. Riante, elle chantait des fragments de ballade, Frappait l'onde en jouant, sans souci du danger, Et, comme un cygne, calme, elle semblait nager. Mais ce ne fut pas long ! car l'eau trempait sa robe, Et la pauvre petite au ciel bleu se dĂ©robe, Et la vague, Ă©teignant sa vie et son accord, De sa douce chanson l'entraĂźne dans la mort !

L A E R T E .

[emporte Morte ! ĂŽ Dieu! mon pauvre ange! oh! mais c'est qu'elle Mon espoir et ma vie ! elle est morte ! elle est morte !

L E R O I , bas. Morte aussi par Hamlet !

L A E R T E .

Par Hamlet ! mais je veux Que ce bras, d'un seul coup, les venge tous les deux !

D E U X I E M E P A R T I E ,

Un cimetiĂšre.

s c s r j s I.

D E U X F O S S O Y E U R S , creusant une fosse.

P R E M I E R F O S S O Y E U R .

Peut-on en terre sainte enterrer sans blasphĂšmo Celle qui va chercher son salut d'elle-mĂȘme?

D E U X I È M E F O S S O Y E U R .

Le coroner l'a dit; toi, creuse en attendant 1 P R E M I E R F O S S O Y E U R .

Elle s'est donc noyée à son corps défendant ? D E U X I È M E F O S S O Y E U R . (

La loi l'a reconnu. P R E M I E R F O S S O Y E U R .

La raison le réprouve DEUXIÈME F O S S O Y E U R .

Tu crois au suicide? P R E M I E R F O S S O Y E U R .

Et, do plus, je le prouve. Se noyer est un acte, on le peut établir ; Or, l'acte a trois degrés : agir, faire, accomplir. Ergo, c'est à dessein que se noya la belle !

D E U X I È M E F O S S O Y E U R .

Mais, mon bon fossoyeur.,., P R E M I E R F O S S O Y E U R .

Ο la tĂȘte rebelle ! Permets. Voici l'eau, bien ! voilĂ  l'homme, trĂšs-bien t Si l'homme va dans l'eau so noyer comme ui_ chien, C'est lui qui s'est noyĂ©, mon cher, il a beau dire"! Mais si c'est l'eau qui vient chercher l'homme et l'attire Alors, il ne s'est pas noyĂ© lui-mĂȘme.

D E U X I È M E F O S S O Y E U R .

Et moi Je te dis qu'aujourd'hui l'on torture la loi : Maintenant, veux-tu voir au fond de ce mystÚre? C'est qu'elle est de noblesse ! et sans honte on l'enterre En un lieu consacré.

P R E M I E R F O S S O Y E U R .

Oui, tout est pour le rang I Et l'on ne pourra pas, parce qu'on n'est pas grand, Se pendre ou se noyer! On est chrétien, en somme ! Viens, ma pioche, c'est toi qui fais le gentilhomme ! Le premier gentilhomme était un jardinier.

D E U X I È M E F O S S O Y E U R .

Un jardinier ! P R E M I E R F O S S O Y E U R .

Adam ! — tu ne pourras nier Qu'il ne soit notre tige à tous tant que nous sommes? Or, quelle arme portait ce grand-pùre des hommes? Une pioche.

DEUXIÈME F O S S O Y E U R .

C'est juste. P R E M I E R F O S S O Y E U R .

Une autre question. D E U X I È M E F O S S O Y E U R .

Laquelle ? P R E M I E R F O S S O Y E U R .

Ecoute bien. Quelle habitation Dure plus qu'un vaisseau? — qu'un palais?

D E U X I È M E F O S S O Y E U A ,

Page 26: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

20 IIAMLET.

Renux mystĂšres I Un gibet! Il survit h mille locataires.

P R E M I E R FossoĂŻEun Je vois auo le gibet te va.

DEUXIÈME F O S S O Y E U R .

Sot animal! P R E M I E R F O S S O Y E U R .

Sans doute, le gibet est pour ceux qui font mal! Et toi, tu faisais mal, et je m'en formalise ! En disant qu'un gibet dure plus qu'une Ă©glise. Or, le gibet to va.

DEUXIÈME FOSSOYEUR.

Donc, la solution?... P R E M I E R F O S S O Y E U R .

Est autre. D E U X I È M E F O S S E T E U R

Tu disais : quelle habitation Duro le plus longtemps ?

P R E M I E R F O S S E Y E U R .

Oui, trouve la réponse. J'écoute.

DEUXIÈME FOSSOYEUR.

M'y voi lĂ ! c'est . . . P R E M I E R F O S S E Y E U R .

C'est?... DEUXIÈME F O S S O Y E U R .

Bah ! j'y renonco ! P R E M I E R F O S S E Y E U R .

Va! ne tourmente pas ton cerveau sans motif! A quoi servent les coups lorsque l'Ăąne est rĂ©t if? DĂ©sormais, sans to perdre en une route fausse, Dis : le plus sĂ»r abri c'est notre Ɠuvre, — une fosse I Le jugement dernier doit seul en voir la fin ! — Et va moi, lĂ -dessus, chercher un coup de vin !

be deuxiĂšme fossoyeur sort. Hamlet et Horatio entrent.

s c s r r a i i .

HAMLET, HORATIO, PREMIER FOSSOYEUR.

PREMIER FOSSOYEUR, chantant. O femme au cƓur rebelle, Alors que tu m'aimais, Tu me disais, ma belle, Je veux t 'ĂȘtre fidĂšle. FidĂšle & tout jamais.

H A M L E T .

A-t-il le sentiment de ce qu'il fait, ce drÎle, Ou ce triste métier pour lui n'est-il qu'un rÎle? Vois donc, Horatio, co joyeux fossoyeur ! l'armi ces morts connus il marcho sans frayeur Et chante, insoucieux, lui prÚs de qui tout tombe ! Une chanson d'amour en creusant une tombe.

H O R A T I O .

L'Ă©tat qu'il fait toujours sur lui n'a plus d'effet. HAMLET.

C'est vrai : la main oisive a le tact plus parfait. PREMIER FOSSOYEUR , chantant.

J'ai tenu ma parole, Ainsi qu'au premier jour. Mais toi, femme frivole, Comme l'oiseau s'envole, Tu quittas mon amour.

Il déterre un crùne.

HAMLET.

Ce crĂąne eut une langue, et qui chantait de mĂŽme!

On le roule Ă  prĂ©sent, sans qu'il crie au blasphĂšme,, Tout comme si c'Ă©tait l'occiput de Cain. Le crĂąne que du pied mĂšne ce vil coquin Appartenait peut-ĂȘtre Ă  quelque politique, Qui jadis mena Dieu d'un doigt diplomatique. N'est-ce pas fort possible?

H O R A T I O .

Oui, sans doute, seigneur! HAMLET

Ou bien c'était le chef d'un maßtre flagorneur, D'un courtisan expert, à l'échiné flexible, Dont le front sans rougeur, aux dégoûts insensible, Etait toujours riant, pourvu que monseigneur De lui pendre un cordon au cou lui fit l'honneur. Qu'en dit mon philosophe?

H O R A T I O .

Eh ! que cela peut ĂȘtre. H A M L E T .

Maintenant, monseigneur Ver de Terre est le maßtre De co museau rongé, pauvre débris railleur Qu'avec un fer brutal caresse un fossoyeur ! Changement et leçon ! Les jours, les mois, par mille Formaient ces os... pourquoi ? pour faire un jeu de quill :! Je sens, en y songeant, frémir mes os, à moi !

L E FOSSOYEUR, chantant. Mais la mort inféconde Qu'on ne peut détourner, M'a pris faisant sa ronde, Et m'a dans l 'autre monde Envoyé promener.

Il déterre uu autre crùne.

HAMLET.

Un crĂąne encor! Serait-ce Ă  quelque homme de loi? Et pourquoi pas ? OĂč sont maintenant ses finesses, Ses clauses, ses dĂ©tours et ses dĂ©licatesses? Avec un outil sale il se laisse cogner Par un vilain rustaud sans le faire assigner, Tant il est pacifique! — HĂ©las! on le dĂ©terre, Et peut-ĂȘtre c'Ă©tait un gros propriĂ©taire, Avec titres, garants, droits, cautionnements, HypothĂšques !.. La fin de ses accroissements Et de ses sĂ»retĂ©s, c'est d'avoir, en Ă©change D'un bel et bon cerveau, de belle et bonne fange.

: fossoyeur. Combien peut-on rester en terre sans pourrir?

L E F O S S O Y E U R .

Si l'on n'est pas pourri, dam! avant de mourir... — Nos carcasses, monsieur, sont parfois gangrenĂ©es ! — Un corps peut vous durer de trois Ă  neuf annĂ©es. Par exemple, un tanneur se conserve nouf ans.

I I A M L E T .

Un tanneur! et pourquoi dure-t-il plus longtemps? L E F O S S O Y E U R .

Sa peau, par son travail rendue impermĂ©able, Ne prend pas l'eau du tout, et rien n'est dĂ©testable Comme l'eau, voyez-vous, pour nos maudits corps morts Celui-ci, qu'en bĂȘchant, voyez, j'ai mis dehors, Est lĂ  depuis vingt ans, et plus.

H A M L E T .

A qui ce crĂąne? L E F O S S O Y E U R .

Devinez! au plus fou des fous! I I A M L E T .

Que Dieu me damne, Si je puis deviner !

LB F O S S O Y E U R .

Page 27: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

H A M L E T . 2Ί

L'extravagant maudit ! Sur ma tĂȘte, un beau jour, monsieur, il rĂ©pandit Tou4· un flacon de vin du Illiin ! C'est la caboche D'Yorick, fou du roi, qui joue avec ma pioche.

HAMLET, ramassant le crĂąne. Cela?

LE F 0 S S 0 T E U R .

Certainement. H A M L E T .

Pauvre Yorick ! hĂ©las ! Je l'ai connu ! rieur, toujours prĂȘt, jamais las? Un esprit si fertile ! une verve si drĂŽle! Il m'a plus do cent fois portĂ© sur son Ă©paule, Et sa vue h prĂ©sent me fait bondir le cƓur ! OĂč donc est cette lĂšvre au sourire moqueur Que j'ai cent fois baisĂ©e? OĂč sont vos railleries, Vos chansons, vos Ă©clairs et vos espiĂšgleries Qui faisaient d'un festin un dĂ©lire entraĂźnant? Eh! quoi! pas un lazzi pour railler maintenant Votre affreuse grimace ? Eh ! quoi ? lĂšvres ni joue, Plus rien ! — Pauvre Yorick ! va faire ainsi ta moue Au miroir d'une belle, et, lĂ , dis-lui tout bas, Tandis qu'elle s'occupe Ă  doubler ses appas, Dis-lui, pauvre Yorick! dis-lui qu'elle a beau faire, Que le corps, ici bas, appartient Ă  la terre, Qu'hĂ©las ! nous sommes tous les jouets du hasard, Et qu'elle cache en vain ses rides sous le fard; Lo temps au jour fixĂ© rĂ©clamera sa dette : Le fard cache la joue, et la joue — un squelette 1 Lui rĂ©vĂ©lant ainsi l'avenir inconnu, PrĂšs de son front parĂ© va poser ton front nu, Et tu verras, bouffon, si cela la fait rire!

A Horatio. — Ami, rĂ©ponds un peu.

H O R A T I O .

Monseigneur n'a qu'Ă  dire. H A M L E T .

Penses-tu qu'Alexandre ait eu cet air boudeur, Dans son tombeau ?

H O R A T I O .

Mais oui! H A M L E T , jetant le crĂąne.

Pouah ! et cette odeur ?

H O R A T I O .

La mĂȘme absolument ! H A M L E T .

A quelle fin grossiĂšre Nous pouvons arriver ! En suivant la poussiĂšre D'Alexandre le Grand en chaque Ă©tat, — bientĂŽt, On peut la trouver crucho Ă  la main d'un rustaud.

H O R A T I O .

C'est trop subtilement envisager les choses!

H A M L E T .

Mais non ! rien que de simple en ces mĂ©tamorphoses ! Rien qu'on puisse nier! Tions : Alexandre est mort, — On le met au tombeau; — lĂ , tous en sont d'accord, 11 redevient poussiĂšre; — et sa cendre est de terre, Et la terro est argile, — et, saie plus de mystĂšre, De l'argile qui fut Alexandre le Grand Un potier peut bien faire un pot, au demeurant' L'impĂ©rieux CĂ©sar, mort, redevenu boue, Peut remplir une fente oĂč la bise se joue, Et l'argile qui tint en suspens l'univers Va plĂątrer un vieux mĂ»r rongĂ© par les hivers.

SCEOT Î I Ï

LES MÊMES, LE ROI, LA REINE, LAKRTE, UN PRÊTRE, toute la cour suivant processionncllemenl un convoi.

I IAMLET.

Mais silence ! le roi ! toute la cour ! la reine ! Quel convoi suivent-ils? Celui que l'on amĂšne D'une main violente a mis fin Ă  ses jours ; Car, point de croix, vois-tu? C'est un noble toujours! Observons.

L A E R T E , au moine. N'est-il plus d'autres cérémonies,

Dites? H A M L E T .

Laerte ! LE P R Ê T R E .

Non! L A E R T E .

Quoi! toutes sont finies? L E P R Ê T R E .

Nous ne pouvons rien faire au-de-lĂ , monseigneur. Sa mort Ă©tait suspecte, et c'est assez d'honneur ! Car, vous voyez, elle a la couronne des vierges, Les cloches de l'Ă©glise, et les fleurs et les cierges.

L A E R T E .

Ne peut-on rien de plus ? L E P R Ê T R E .

Ce serait profaner Le service des morts, monsieur, que d'entonner Un pieux Requiem et d'implorer pour elle Le repos, qui n'est faitque pour l'Ăąme fidĂšle.

L A E R T E .

Soit ! jo confie alors, dans ce suprĂȘme adieu, Son beau corps Ă  la terro et sa belle Ăąme Ă  Dieu, Pour qu'ils fassent, clĂ©ments en leurs mĂ©tamorphoses, Avec cette Ăąme un ange, avec ce corps des roses ! — OphĂ©lie ! au revoir dans des mondes meilleurs !

H A M L E T

Grand Dieu ! c'est Ophélie ! LA R E I N E , jetant des (leurs sur le cercueil.

O fleur, reçois ces fleurs! Déjà je te voyais ma fille bien-aimée, Déjà j'ornais de fleurs votre couche embaumée, Et jo no donne helas ! do fleurs qu'à ton cercueil 1 Adieu, pauvre Ophélie 1

L A E R T E .

Oh ! tombe un triple deuil Sur le lùche assassin qui causa ta folie ! Attendez. Un dernier baiser, mon Ophélio I

Aux fossoyeurs. Maintenant, enterrez la morte et le vivant, Jusqu'Ă  ce que la tombe aux astres s'Ă©levant DĂ©passe PĂ©lion et l'Olympe bleuĂątre !

H A M L E T , s'avançant. Quel est celui de qui la douleur do théùtre

Voudrait, souffrant devant un parterre de dieux, Éteindre de ses pleurs les Ă©toiles des cieux? C'est moi, qui suis Hamlet!

L A E R T E , tirant son épée. Que l'enfer ait ton ùme !

H A M L E T .

La priĂšre est impie ! Au fourreau cette lame ! Et reculez, monsieur! Je suis paisible et doux,

Page 28: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

20 IIAMLET.

Mais il est plus prudent de prendre garde Ă  vous!

LA R E I N S .

Hamlet! Hamlet t T O U S .

Messieurs ! H O R A T I O .

Seigneur ! L E R O I .

Qu'on s'interpose! I I A M L E T .

Voulez-vous donc lutter tous deux pour cette cause, Jusqu'à ce que nos yeux soient fermés à jamais?

LA R E I N E .

Pour quelle cause, ami?

H A M L E T .

Pour elle ! — je l'aimais ! Et j'Ă©gale en amour quarante mille frĂšres !

LA R E I N E .

Hamlet! mon cher Hamlet! pas d'Ă©clats tĂ©mĂ©raires! — Il est fou, cher LaĂ«rte, Ă©pargnez-le, pour Dieu!

H A M L E T .

Dis! que ferais-tu donc pour elle? dis un peu ! GĂ©mir comme un enfant ? pleurer comme une femme? Eh! bien, c'est la douleur qn'on retrouve en toute Ăąme! Combattre sur sa tombe aux yeux des spectateurs? Ainsi feraient des fous ou des gladiateurs ! Nous retirer chacun dans quelque cloĂźtre austĂšre, Et, lĂ , le front courbĂ©, l'Ɠil fixĂ© vers la terre, A chaque fois que l'un Ă  l'autre ira s'offrir, Échanger entre nous ces mots : 11 faut mourir ! — Dis, veux-tu tout cela ? ma douleur est trop fiĂšre, Pour laisser mes regrets d'un seul pas en arriĂšre t Ou n'est-ce point assez? et veux-tu, me bravant, M'offrir de t'enterrer avec elle vivant? Soit! j'y consens encor ! Tu parles de montagnes? Qu'on entasse sur nous collines et campagnes, Par millions d'arpents, jusqu'Ă  ce que le tas, A la zone torride Ă©tendant son amas, Fasse le mont Ossa petit comme un atome ! Ordonne, j'obĂ©is ! parle ! et je suis ton homme 1

LA R E I N E , Ă  LaĂ«rte. Laissez passer l'accĂšs ! et vous allez lo voir Reprendre la douceur morne du dĂ©sespoir Et ce rĂȘve attristĂ© que rien ne peut distraire.

H A M L E T , à Laërte aprÚs un silence. Pourquoi m'en voulez-vous? je vous aimais, mon f rÚre!

LA R E I N E .

Horatio, suivez de grùce tous ses pas ! Hamlet s'agenouille un instant devant la tombe et sort emmené

par Horatio. LE ROI, bas à Laërte.

Souvenez vous d'hier, et ne vous troublez pas! Allons ! du calme, ami ! BientÎt sur cette tombe Nous pourrons apporter une humaine hécatombe I

ACTE CINQUIÈME. La salle du premier et du troisiĂšme acte. — Le tliĂ©itre a Ă©tĂ© enlevĂ©.

S C È N E I .

HAMLET, HORATIO, GUILDENSTERN. H A M L E T , entrant.

Bonjour, Horatio 1 Monsieur, je suis tout vĂŽtre ! Mes donnez-moi votre main l'un et l'autre !

G U I L D E N S T E R N .

Si votre Seigneurie en avait le loisir J'aurais à l'informer, altesse, d'un désir De sa Majesté.

H A M L E T .

Bien ! ma Seigneurie est prĂȘte. On a fait ce chapeau pour vous couvrir la tĂȘte, Monsieur.

G U I L D E N S T E R N .

Non! cela m'est plus commode, en honneur! — LaĂ«rte est rĂ©cemment de retour, monseigneur. Ah! c'est un gentilhomme Ă©tonnant, admirable, Do langage charmant, et de mine adorable ! A le considĂ©rer enfin sous son vrai jour, On peut dire — qu'il est le phĂ©nix de la cour !

H A M L E T .

Oui, ce signalement, monsieur, est authentique, Au point que la mémoire avec l'arithmétique Se brouillerait bientÎt à compter ses vertus; Car c'est un cavalier, comme l'on n'en voit plus! Un esprit rare ! étrange ! unique! inimitable! Et dont son miroir seul peut offrir le semblable t

G U I L D E N S T E R N .

Comme vous l'exaltez avec conviction !

H A M L E T .

Je l'embaume, avec vous, dans l'admiration. Mais arrivons au fait dont les mots sont l'Ă©corco.

G U I L D E N S T E R N .

Depuis longtemps, seigneur, vous connaissez sa force... Jo parle de sa force aux armes seulement, OĂč nul ne le dĂ©passe, incontestablement ! Or, le roi contre lui gage six juments noires, Et lui douze poignards avec leurs accessoires, Ceinturons, baudriers, douze poignards français.

H A M L E T .

Et l'objet du pari?

G U I L D E N S T E R N .

Mais vos communs succĂšs. Le roi sur douze coups a soutenu que certe Vous ne seriez touchĂ© quo trois fois, et LaĂ«rto Gage pour neuf sur douze. Et, si vous rĂ©pondez, Leurs dĂ©bats sur-le-champ pourront ĂȘtre vidĂ©s.

I IAMLET.

Un assaut! quand sa sƓur, hier, Ă  peine succombe! Les anciens cĂ©lĂ©braient leurs jeux sur une tombe, C'est vrai ! Puisqu'aujourd'hui ce dĂ©sir est le sien, Faisons comme on faisait, monsieur, au temps ancien.

G U I L D E N S T E R N .

Vous y consentez donc, prince ? I IAMLET.

Je suis bon diable, Ft veux tout ce qu'on veut! — Ο frĂšre inconsolable ! Ton immortel chagrin est mort depuis hier! Dans cette galerie oĂč je viens prendre l 'air , Apportez les fleurets, et, si le roi s'y prĂȘte, Si LaĂ«rte persiste encore et le souhaite, Nous ferons nos efforts pour qu'il perde avec nous; Sinon, nous en serons pour la honte et les coups

G U I L D E N S T E R N .

C'est là votre réponse ? H A M L E T .

Oui, pour le sens utile. Vous pourrez l'embellir des fleurs de votre style.

6 U H . D E N S T E R M

Page 29: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

Leurs majestés vont donc veni; sous peu d'instants, Avec toute la cour.

H A M L E T .

Fort bien I je les attends. G U I L D E N S T E R N .

Mor. prince, avant l'assaut, la reine vous supplie De tendre au moins la main au frÚre d'Ophélie.

H A M L E T .

Oui, de grand cƓur, monsieur. Adieu. G U I L D E N S T E R N .

Mon dévouement Se recommande à vousl

Il sort.

SCENE IX.

HAMLET, HORATIO.

I I A M L E T .

11 a raison, vraiment, De se recommander lui-mĂȘme ! TĂšte folle ! Mannequin raide et creux de la mode frivole ! Bulle oĂč mille reflets peuvent briller souvent 1 Mais qu'on souffle dessus, que resio t-il ? du vent.

H O R A T I O .

Monseigneur, vous perdrez ce pari.

H O R A T I O .

Non, je pense. Je me suis exercĂ© pendant sa longue absence, Il me fait avantage, et je serai vainqueur... — OHL mais si tu savais quel poids j'ai sur le cƓurl Bah ! qu'importe Ăź

H O R A T I O .

Pourtant... H A M L E T .

Rien ! caprice de l'Ame! Pressentiments d'enfant Ă  troubler une femme!

H O R A T I O .

ObĂ©issez, cher prince, Ă  ce trouble secret, Je vais leur annoncer que vous n'ĂȘtes pas prĂȘt.

H A M L E T .

Non ! je suis prĂȘt pour tout, — et mĂȘme pour la tombe ! Il faut l'arrĂȘt de Dieu pour qu'un passereau ,'ombe. 11 viendra tĂŽt ou tard mon grand jour inconnu, Et, s'il n'est Ă  venir, c'est donc qu'il est venu! Demain, ce soir, que fait l'heure oĂč l'on abandonne L'avenir — qu'on n'a pas, que jamais Dieu ne donne? Etre prĂȘt ! tout est lĂ ! Marchons notre chemin.

S C È N E I I I .

L E S M Ê M E S , L E R O I , L A R E I N E , L A E R T E , G U I L D E N S T E R N ,

R O S E N C R A N T Z , C O U R T I S A N S .

LE ROI, mettant la main de Laérte dans celle d'IIamlet.

Venez, Hamlet, venez, et prenez cette main.

H A M L E T , À LaĂ«rte.

Pardonnez-moi, monsieur. L'offense faite Ă  l'homme J'en demande pardon, LaĂ«rte, au gentilhomme. Vous savez, ma raison souffre cruellement, Et ce n'Ă©tait pas moi, mais cet Ă©garement, Plus ennemi d'Hamlet que do LaĂ«rte mĂȘme, Qui blessait votre honneur, bon compagnon que j'aime. Ainsi, je vous demande excuse — devant tous,

HAMLET. 29

Et ne serais pas plus innocent, voyez-vous, Si, lançant au hasard des traits, pour mo distraire, Par dessus quelque mur, j'avais blessé mon frÚre.

L A E R T E .

Vous venez d'apaiser mon ùme, monseigneur. Mais puis-je regarder comme intact mon honneur, Et serrer cette main, si chÚre à tant de titres ? C'est ce que jugeront, s'il vous plaßt, des arbitres. Jusque-là toutefois, satisfait à moitié, Je reçois en ami vos efforts d'amitié.

I I A M L E T .

Oh ! j'en suis bien heureux! Plus de dĂ©bats contraires! Et disputons gaĂźment notre gageure en frĂšres. — Les fleurets? — Je ne puis qu'ĂȘtre votre plastron, Et vais, Ă  vos succĂšs ajoutant un fleuron, Vous servir seulement de repoussoir et d'ombre. L'Ă©toile a plus d'Ă©clat quand la nuit est plus sombre

L A E R T E .

Vous me raillez ? H A M L E T .

Non pas. L E R O I .

Guildenstern, les fleurets t A Hamlet.

Vous savez la gageure? H A M L E T .

Et j'ai mille regrets De vous la faire perdre.

L E R O I .

Oh ! je suis sans alarmes! Je vous ai vus tous deux, messieurs, faire des armes. Il est plus exercé, mais il vous rend des peints.

L A E R T E , choisissant un fleuret. Ce fleuret est trop lourd ; bon ! celui-ci l'est moins.

H A M L E T , choisissant Ă  son tour. Sont-ils tous de longueur ?

G U I L D E N S T E R N .

Oui, tous.

H A M L E T .

J'ai mon affaire. L E R O I .

Les flacons? Si mon fils touche son adversaire Dans les trois premiers coups, faites pour le fĂȘter Tirer tous les canons ! et je prĂ©tends jeter Dans ma coupe eu buvant la perle la plus belle Dont un roi puisse orner sa couronne nouvelle. Et clairons au palais, canons sur les remparts, Echos au ciel, que tout dise do toutes parts : Lo roi boit Ă  son fils ! — La reine vous regarde Allez, messieurs!

Le roi cl la reine ont pris place sur le trĂŽne.

I I A M L E T .

Laërte, en garde I L A E R T E .

Hamlet, en garde!

Ils commencent l'assaut. H A M L E T .

Touché ! L A E R T E .

Non H A M L E T , aux assistants DĂ©cidez.

G U I L D E N S T E R N .

Page 30: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

a» 11AM!,ET.

Touché 1 certainement f I Fanfares et canons.

L A E R T E .

Allons! recommençons. I

L E R O I .

Cher Ilamlet, un moment ! Je bois Ă  toi.

Il boit et jette le poison dans la coupe. Voici ta perle. Qu'on lui passe

La coupe. I IAMLET, au serviteur qui lui apporte la coupe.

Non : je veux achever cette passe. Mettez la coupe lĂ .

Assaut. Il tTouclie La'Ăčrte.

Touché ! qu'en dites-vous? L A E R T E .

Oui, touché ! j'en conviens. L E R O I .

La fortune est pour nous! Fanfares et canons.

LA R E I N E , descendant du trÎne et prenant la coupe empoisonnée

Ilamlet! ta mĂšre boita ton succĂšs !

H A M L E T .

Madamo ! Trop bonne !

LE ROI, bas Ă  la reine.

Ne bois pas, Gertrude, sur ton Ăąmo ! LA R E I N E .

Quoi ! je no boirais pas Ă  mon fils, par hasard I Pourquoi ?

Elle boit. LE ROI, bas Ă  Laerte.

C'est le poison ! Dieu juste ! il est trop tardl LA R E I N E , offrant la coupe Ă  Hamlet.

Hamlet! Ă  toi ! H A H L E T .

Merci, madame: tout Ă  l'heuro. L A E R T E , Lis au roi.

Oh ! je vais le toucher cette fois !

LE ROI, bas à Laerte. Oui ! qu'il meure ! «·

L A E R T E , Ă  part. Pourtant, je le sens lĂ , c'est un crime, mon Dieul

H A M L E T .

Λ la troisiĂšme, ami, jouez tout votre jeu; Car votre habiletĂ©, j'en ai peur, me regarde En enfant, et m'Ă©pargne.

L A E R T E .

Ah ! vous raillez ! en garde! Assaut.

G U I L D E N S T E R N .

Rien des deux parts. Hamlet lie le fleuret de Laerte et le lui fait sauter des mains, puis

le ramasse et présente le sien à Laerte. L A E R T E .

Pardon ! mais vous m'offrez, je croi, Votre fleuret?

H A M L L T , courtoisement. Sans doute, eh ! bien ?

L A E R T E , Ă  part, C'est fait do moi 1

H A M L E T .

Touché I

L A E R T E .

Mort ! L E R O I .

ArrĂȘtez le combat ! c'est Ă  peine S'ils so possĂšdent !

N A M L E T .

Non encoro! La reine tombe en défaillance

H O R A T I O .

Ociel! la reine! G U I L D E N S T E R N , courant Ă  Laerte.

Son sang coule !

H A M L E T , courant Ă  la reine.

Oh! ma mĂšre! il la faut secourir! G U I L D E N S T E R N .

Qu'as-tu? Laerte? L A E R T E , chancelant.

J'ai — que nous allons mourir ! Quo je suis à la fois assassin et victime ! Pris à mon propre piùge!

H A M L E T , penché sur la reine. Oh ! ma mÚre ! est-ce un crime ΀

L E R O I .

Non, en voyant le sang couler...

LA R E I N E .

Non, trahison! La coupe! cher Ilamlet! la coupo! du poison !

I I A M L E T .

Infamie ! oh I fermez les portes tout de suite, Et trouvons le coupable.

L A E R T B .

Il n'est pas loin ! viens vite! La reino a bu la mort, rien ne peut la sauver !

Ilamlet! je ne dois pas, non plus, me relev"", Tout secours serait vain, ma vie est condamnĂ©e! Et l'arme — est dans tes mains, regarde, empoisonnĂ©e! Et le bourreau— se meurt Ă  tes genoux, c'est moi! Mais le double assassin, — le voilĂ  ! c'est le roi !

I I A M L E T .

J'ai l'arme empoisonnĂ©e! alors, poison, ÎŽ l 'Ɠuvre! Jl frappe le roi.

G U I L D E N S T E R N .

Trahison ! LE ROI, blessé

Ah! H A M L E T , redoublant.

Meurs donc de ton venin, couleuvre!

L E R O I .

Je ne suis que blessé, mes amis ! au secours !

H A M L E T , le forçant à boire la coupe. Inceste et meurtrier ! vide ceci, toujours ! Rois, maudit! trouves-tu la perle?

L'Ombre apparaĂźt, visible pour Hamlet seulement. L'Ombre ! l'Ombre !

Viens voir tee meurtriers mourir, fantĂŽme sombre ! Aux courtisans, sur un signe de l'Ombre.

Et vous tous, laissez-nous 1 Les courtisans hésitent ; il brandit son fleuret.

Qu'un de vous fasse UB pas, Il n'en fera pas deux ! Je su;s roi, n'est-ce pas? Roi de votre existence et de leur agonie !

1

Page 31: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

IIAMLET.

L E R O I .

Mon frĂšro!

L A R E I N E .

Mon Ă©poux! L A E R T E , Ă  l'Ombre.

GrĂące ! L O M B R E .

Oui, ton sang trop prompt t'entraĂźna vers l'abĂźme, LaĂ«rte, et le Seigneur t'a puni par ton crime. Mais tu le trouveras, car il sonde les cƓurs, Moins sĂ©vĂšre lĂ -haut. LaĂ«rte, — prie et meurs !

Laerte meurt.

Pitié ! pitié ! LA R E I N E .

L O M B R E .

Ta faute Ă©tait ton amour mĂȘme, Il sied qu'entre nous cinq la piĂšce soit finie ! Sortez tous !

Intimidés, ils sortent lentement. A présent, mourants, le voyez-vous?

\

L A E R T E .

Dieu puissant ! le roi mon !

Ame trop faible, et Dieu vous aime quand on aime : Va, ton cƓur a lavĂ© sa honte avec ses pleurs : Femme ici, reine au ciel, Gertrude, — espĂšre et meursi

Gertrude me~ ' L E R O I .

Pardon ! L ' O M B R E

Pas de pardon ! Va, meurtrier nfùme! Pour tes crimes hideux, dans leurs cercles de flamme, Les enfers dévorants n'ont pas t-op de douleurs ! Va, traßtre incestueux 1 va ! - désespÚre et meurs !

Claudius meurt. ' A M L E T .

Et moi? vais-je rester» triste orphelin, sur terre, A respirer cet air in prĂ©gnĂ© do misĂšre ? TragĂ©dien choisi Har 1° courroux do Dieu, Si j'ai mal pris mon rĂŽle et mal saisi mon jeu, Si, t r e m b l a n t do mon Ɠuvre et lassĂ© sans combattre.

Pour un que t a voulais, j'en ai fait mourir quatre, — Est-ce quo Dieu sur moi fera peser son bras, Pùre? et quel chñtiment m'attend donc ?

L O M B R E .

Tu vivras 1

FIN.

Page 32: PRINCE DE DANEMARK - Maison de l'Orient et de la

EXTRAIT DU CATALOGUE DE MICHEL LÉVÏ FRÈRES ET DE LA LIBRAIRIE NOUVELLE

ƒ U V R E S COMPLÈTES D E H, DE BALZAC, NOUVELLE É D I T I O N E N 5 5 VOLUMES, COMPRENANT LES ƒ U V R E S D E J E U N E S S E

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LA COMÉDIE HUMAINE

SCÈNES DE LA VIE PRIVÉE

TOME 1. Maison du chat qui

Îielote. Le bal de Sceaux. La lourse. La Vendetta. M!i,° Ι Ί r -

miani. Double Famille. TOME 2. Paix du MĂ©nage.

Fausse MaĂźtresse. Et.de Femme. Autre Etude de Femme. Gr. BretĂšche. Albert Savarus.

TOME 3. Mém. de deux jeu-nes Mariées. Une Fille d 'Eve.

TOME 4. Femme de 30 ans. Femme abandonnée. La Gre-nadiÚre. LeMessage. Gobseck.

TOME 5. Contrai de Mariage. DĂ©but dans la Vie.

TOME 6. Modeste Mignon. TOME 7. BĂ©alrii. TOME 8. Honorine. Colonel

Cliabert. Messe Je l'Athée. L'in-terdiction. Pierre Grassou.

SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE IOME 9. Ursule Mirouet. TOMEIO. EugénieGrandet. TOME 11. Les Célibataires,

I . Pierrette. Curé de Tours. TOME 12. Les Célibataires,

II. Un Ménage de Garçon. TOME 1 3 . / . e s P a r i s i e n s e n

Province. L'illustre Gaudis-sarl. Muse du département.

TOME 14. Rivalilés. Vieille Fille. Cabinet des Antiques.

T . 15. Lys daus la vallée. TOME 16. Illusions perdues, I.

Les deux PoĂȘle». Un grand liomme do province Ă  Paris.

TOME 17. Illusions perdues, II. Grand Homme de province (2· partie). Eve et David.

SCÈNES DE LA VIE PARISIENNE TOME 1 8 . S p l e n d e u r s e t M i -

sĂšres des courtisanes. —Eslher heureuse. A combien l'amour revient aux vieillards. OĂč mĂš-nent les mauvais chemins.

T. 19. Dern. incarnation de Vautrin. Prince de la BohÚme. Hommed'aflaircs.Gaudissartll. Comédiens sans le savoir.

TOME 20. Histoire des Treize. Fcrragus. La duchesse de Lan-geais. La Fille aux yeux d'or.

TOME 21. Le PĂšre Goriot. TOME 22. CĂ©sar Birotteau. TOME 23. La Maison Nucin-

gen. Les Secrets delaprincesse de Cadignan. Les Employés. Sarrazine. Facino-Cane.

TOME 24. Lee Parents pau-vres, I . La Cousine Bette.

TOME 25. Les Parents pau-vres, I I . Le Cousin Pons. SCÈNES DE LA V IE POLITIQUE

TOME 26. Ténébreuse a f -faire. Episode sous la Terreur .

TOME 27. L'Envers de l'Hist. contempor. Mad. de là Chan-terie. L'Initié. Z. Marcas.

TOME 2S. Député d'Arcis.

SCÈNES DE LA VIE MIL ITAIRE TOME 2 9 . L e s C h o u a u s . U n e

Passion dans le Désert. SCÈNES DE LA VIE DE CAMPAGNE

T. 30. Médecin de campagne. TOME 31. Curé de village. TOME 3 2 . L e s P a y s a n s .

ÉTUDES PHILOSOPHIQUES TOME 33. Peau de chagrin. TOME 34. La Recherche de

l'absolu. JĂ©sus-Christ en Flan-dre. Mclmoth rĂ©conciliĂ©. Le Chef-d'Ɠuvre inconnu.

TOME 35. L'Enfant maudit. Gambara. Massimilla Doni.

TOME 36. Les Marana. Adieu. Le Réquisitionnaire. El Ycrdu-go. Drame au bord de la mer. L'Auberge rouge. L'Elixir de longue vie. Maßtre Cornélius.

TOME 37. Catherine de MĂ©di-cis. Martyr calviniste. Confiden-ce, des Ruggieri. Deux KĂ©ves.

TOME 38. Louis Lambert . Les Proscrits. Seraphila.

ÉTUDES ANALYTIQUES TOME 39. Phys. du mariage. TOME 40. Petites Misùres de

la vie conjugale. CONTES DROLATIQUES

TOME 41. Premier dixain. TOME42. DeuxiĂšme dixain. TOME 43. TroisiĂšme dixain.

THÉÂTRE T. 44. Vautrin, lüessources do

Quinola. Paméla Giraud. TOME45. LaMaràtre.LcFai-

seur (Mercadel). ƒUVRES DE JEUNESSE

Argow le Pirate. Le Centenaire. — La DerniĂšre FĂ©e. — Dnm Gigadas. — L'ExcommuniĂ©. — L'HĂ©ritiĂšre de Biraguc. L'IsraĂ©lite. — Jane la PĂąle. — Jean-Louis.

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Le Vicaire des Ardenues 1 vol.

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L E S PARENTS PAUVRES. —La Cousine Belle. — Le Cousin Pons.

L'Interdiction j Les Secrets de la Γ

princ. deCadignanf Le Colonel Cliabert. ) TĂ©nĂšbr. Af fa i r e . . . . ) Pierre Grassou { Sarrasine ( Esq. d'hom. d ' a f f . . . ; Rccher. de l'Absolu.) Epis, sous la Terreur j SplendeursetmisĂšr.)

des Courtisanes..! La Messe de l'AthĂ©e, j J.-Christen Flandre.) Les EmployĂ©s | Gobseck ( L E S R I V A L I T É S . — L a

Vieille Fille — Cab. des Antiques. Le Lys dans la VallĂ©e. Une Fille d'Ève I Madame Firmiani. .(

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toire contempor.. EugĂ©nie Grandet... Chef-d'Ɠuv. inconnu Ursule M i r o u e t — Fausse Maltresse... L E S CÉL IBATAIRES —

Pierrette — Le CurĂ© de Tours MĂ©nage de Garçon. . . L'Illustre Gaudissart) MuseduDĂ©partem..! La Paix du MĂ©nagei Passion d. le DĂ©sert.) Physiol. du Mariage. i Aui. Étude de femme)

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fr . La Peau de Chagrin. I El Verdugo | Louis Lambert i L'Elixirik- longue vie ( Massimilla D o i i i . . . j Gambara . . . . . ( L'Enfant maudi t . . . . Les Proscrits j Femme de treille ans ÎŻ La Grande BretĂšche. I ' BĂšatrix j . La GrenadiĂšre j La Vendetta j Une Double Famille. | ' Les Deux PoĂȘ les . . . Îč Gr. Homme de prov. I . l.aFemmcabandoun.j Eve et David j ] Facino Cane ( Albert Savarus 1 Le RĂ©quisitionnaire.? Le Message ) Le Martyr calviniste, Îč Les Ruggieri j Melmotli rĂ©conciliĂ©.. ( SĂ©raphita j Le Bal de Sceaux . . . ) '

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Méd. de campagne.) Les Adieux j Le Curé de village., j La Bourse | " Les Chouans 1 Mém. de mariées. . Mais, du Chat qui

pelote..

t'n Début dans la vie) 3 Maßlre Cornélius... j * Le Contrat de Mar . . . » Modeste Mignon. . . . » Paris marié > La DerniÚre Incarna-)

tien de Vautrin.. .? L'Auberge rouge . . . ; ITonorine ) Les Marana j THÉÂTRE COMPLET .—)

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ƒ U V R E S I L L U S T R É E S DE GEORGE S A N D

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f r . c . La Mareau Diable. —

André 1 50 Mauprat 1 00 ' Î Le Compagnon du 1 '

tour de F rance . . . » 90 ) Metella . 20) 1 La Petite Fadette. . . » 90 Le Péché de M. An-

toine 1 751 Pauline >· 501

Valentine 1 50,

f r . c . François le Champi. » 90 Les Mosaïstes . '.10 Iniliana 1 50 Les Mississipiens... . . 50 Jeanne > 'X

Le Meunier d'Angi-bault » 90

Teverino . »0 Horace. » 90 Leone Lconi » 70

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tĂša. — La VallĂ©e noire. —Visite'aux Catacombes

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Procope le G r a n d . . .

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La Comtesse de Ru- \ dolstadt. 1« partie » 90 J

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phies Histoire d'en dire Deux. 10 lilhographies.

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F . ΛΙ΀.ΕΑΙ) — Imprimerie de LACNY