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Page 1: Présentation  La famille, fin d'un drame psychique Jean-Paul Hiltenbrand

PRÉSENTATION : LA FAMILLE, FIN D'UN DRAME PSYCHIQUE ? Jean-Paul Hiltenbrand érès | La revue lacanienne 2010/3 - n° 8pages 7 à 16

ISSN 1967-2055

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-la-revue-lacanienne-2010-3-page-7.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Hiltenbrand Jean-Paul , « Présentation : La famille, fin d'un drame psychique ? » ,

La revue lacanienne, 2010/3 n° 8, p. 7-16. DOI : 10.3917/lrl.103.0007

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Distribution électronique Cairn.info pour érès.

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« … il semble nécessaire de revenir sur l’universa-lité de la thèse selon laquelle le complexe d’Œdipeest le noyau des névroses. Mais si quelqu’unrenâcle devant cette correction rien ne l’oblige à lafaire. »

Sigmund Freud, 1931

La famille, dites-vous, faudrait-il l’aimerou la haïr ? Lacan interrogé en son tempssur la famille avait répondu que c’est untroupeau d’esclaves. Ce qui est étymologi-quement exact. Depuis la patria potestasinstituée par la loi patricienne romainebeaucoup de choses ont changé. Au pointqu’avec l’évolution, nous ne savons plusaujourd’hui ce que ce terme de familledésigne de manière précise. Les nouvellesdénominations de parentalité, de mono-parentalité, d’homoparentalité ont fini parjeter le trouble dans la notion elle-même.À n’en pas douter, c’est là l’indice d’unflottement considérable sur la formeactuelle de la famille humaine et ses fonc-tions spécifiques nouvelles. Nous nesavons plus quel mot employer pour défi-nir son changement. Crise ? Mais celadésignerait un moment d’incertitudeavant une réinstauration. Mutation ?Certes, quelle serait alors cette nouvelleévolution qui se dessinerait ? Désinstitu-tionnalisation? Il est vrai que ce n’est pasle seul ensemble des dispositions symbo-

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Présentation : La famille, fin d’un drame psychique?

Jean-Paul HiltenbrandPsychanalyste

liques qui est bouleversé. Le cadre desnormes qu’elle supporte, les lois deséchanges principalement sexuels qu’ellegarantit avec ses interdits, tout cela garde-t-il encore quelque validité? Et puis quedevient la fonction éducative et d’inser-tion sociale indispensable qui était lasienne, il n’y a pas encore si longtemps?Pour user du terme allemand et freudiendu Heim qui désigne le lieu subjectif deréférence du sujet, serions-nous désor-mais heimlos, c’est-à-dire sans domicile,sans asile, sans lieu autant psychique,politique que juridique ? Car c’est celaque représentait l’entité de la famille.Dès lors, serions-nous plongés dans l’Un-heimlich, dans une inquiétante étrangeté?Concrètement le futur qui se dessine nesaurait être sans angoisse. Les délits dejeunes « sauvageons » de plus en plusjeunes, sans respect ni culpabilitéaucune, dont les médias se font chaquejour inlassablement l’écho, nous rappel-lent qu’au royaume de la famille, de labienveillante affection et des vertus del’éducation, quelque chose est pourri. Ledernier verrou et fondement de notrecivilisation aurait-il sauté ? Notre cli-nique, depuis quelque temps, précèdel’alarme générale. Ces délits précocessignent pour le moins un état d’abandonde l’enfant, lui conférant un statut plusproche de l’enfant sauvage ou de l’aban-

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donnisme 1. Ils démontrent, s’il étaitbesoin, qu’à l’enfant il est impossible deréinventer les règles humaines du vivre-ensemble et de la civilité. Disons claire-ment qu’il est vain de « soigner » desenfants et leurs symptômes dès lors quele monde adulte témoigne de son indiffé-rence démissionnaire et de son désinté-rêt. La psychanalyse ne saurait parvenir àse substituer là où certaines situationsréclameraient d’autres mesures, éduca-tives en particulier. Ce qui a été perdu ?Ce n’est pas tant l’affection des parentsqui fait défaut que l’élément structurantde l’interdit mis au centre des règles parun tiers symbolique qui régissent l’éco-nomie psychique des familles et de lasociabilité ultérieure de l’enfant.Le diagnostic d’ensemble de l’évolutionsociale générale échappe à l’analyste, bienqu’au cœur de chaque cas les causes par-ticulières de désarticulation structurale etses conséquences soient discernables. Onconviendra qu’un bilan plus large et plusample s’impose à nous. Que ce soit, ici,l’occasion de remercier les auteurs, obser-vateurs d’autres champs de spécialités etde références, d’avoir bien voulu accom-pagner nos interrogations.

*

La rupture

Si historiquement le modèle de la familleest resté stable de l’Antiquité romaine jus-qu’aux alentours de 1600, c’est en raisondu poids de la menace permanente de lamort – mort fréquente de l’enfant, mortprécoce des parents – dans sa missionessentielle de renouvellement des généra-tions futures. Menace qui a eu pour pro-

1. Nous renvoyons à la Préface de Sigmund Freud(1925) à l’ouvrage d’A. Aichhorn : Jeunesse à l’aban-don.

priété de cimenter la cohésion, d’instaurersa stabilité dans une solidarité obligatoireet qui en même temps fournissait à cha-cun des membres un statut et une fonc-tion définis tant au niveau individuel quesocial. Ce n’est que dans les siècles sui-vants que ce modèle a subi une évolutionculturelle lente avec des soubresauts etdes heurts, songeons à l’influence del’œuvre de Jean-Jacques Rousseau etd’autres, ou par exemple à l’abolition de lapatria potestas au moment de la Révolu-tion, réinstaurée de façon amendée par leCode Napoléon en 1804.C’est ainsi que marquée par le développe-ment économique, par les faits politiqueset sociaux, par l’amélioration sanitaire etla moindre mortalité des enfants, par leschangements culturels, elle a évolué defaçon insensible vers un allégement pro-gressif des contraintes traditionnelles.Selon la majorité des observateurs, surcette évolution longue s’est greffée unerupture brutale et nette dans les années1960-1965 : baisse de la nuptialité, baissede la natalité, augmentation du taux d’ac-tivité féminine, en même temps que cetterupture se traduisait par le fait que le mes-sage contenu dans le modèle ancien nepassait plus, les jeunes couples recher-chaient autre chose. L’emploi féminin, lecontrôle des naissances, grâce au traite-ment œstrogénique à partir de 1956, y ontcontribué en dissociant sexualité et repro-duction ; toutefois, de manière plus dis-crète le malaise et les symptômesengendrés par les formes traditionnelles

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n’étaient plus acceptés. La mission origi-nelle de la famille avait perdu sa perti-nence et son objet, un nouveau projet sedessinait : la vie à deux, celle de la familleconjugale avec non plus la simple quêted’amour et d’affection mais la recherched’un bonheur à deux, situation résultantde la poussée de longue date du mariagepar inclination qui au cours des deuxsiècles derniers n’a fait que s’accentuer.Mais c’était substituer un vœu de bon-heur à la finalité de la mission initiale,livrant désormais la famille au sort de l’in-stabilité émotionnelle et à sa désagréga-tion possible, comme l’ont montré leschiffres de divorces à cette même époque.

Déclin de l’institution

Cette famille, primitivement destinée àassurer la continuité des générationsfutures, se trouve à présent sous le coupd’une profonde métamorphose liée àl’évolution de la sexualité et de la relationhomme-femme pour constituer la familleconjugale, cette mutation tend à faireoublier qu’elle n’était pas une institutionauto-fondée par le désir d’un homme etd’une femme mais qu’elle avait toujoursété le produit d’une culture et de la pres-sion vitale. À ce titre loin de se présentercomme une entité stable ayant traversé demanière immuable les millénaires, aupoint de faire croire qu’elle était « natu-relle », la famille se révèle être en fin decompte un fidèle reflet des manièresdiverses du vivre-ensemble des sociétésanciennes et contemporaines et de leurévolution. En effet, le mouvement actuelde désinstitutionnalisation observé à sonpropos n’est pas un phénomène isolé, ilconcerne tout autant les institutions tradi-

tionnelles : l’État, l’Église, le politique,l’école, l’université, les entreprises, etc.La rupture, si elle a conduit à l’extinctionprogressive du modèle ancien et au déve-loppement actuel d’un grand pluralismede formes et de styles, a également eupour conséquence d’affaiblir considéra-blement son cadre institutionnel et sym-bolique. Pourtant le recentrement desadultes sur leur vie intime n’est pas leseul facteur de changement : l’irruptionde l’idéologie individualiste a profondé-ment changé les données de l’entité fami-liale, sa mission et son objet. C’est unenouvelle mutation récente qui la boule-verse là où elle sortait à peine de son évo-lution antérieure.

Individualisme et doctrine de l’œdipe

Dans ce contexte, où se situe la questionpour la psychanalyse aujourd’hui ? Elleest clinique et doctrinale à la fois. Commecela a été évoqué, les psychanalystes nesont pas moins embarrassés que la socio-logie descriptive pour dégager une notionprécise et actuelle de la famille : familleconjugale, famille fusionnelle, famille-clubde partenaires, famille-infirmerie où l’onrevient après des épreuves non surmon-tées, famille-histoire qui privilégie encorele lignage et les devoirs afférents, etc. Cesqualificatifs soulignent les modes d’expé-rience des membres mais ne rendent pascompte du rôle et de la finalité de sonfonctionnement. Si l’on suit les remar-quables commentaires de Marcel Gauchet(voir dans ce numéro de la revue), il estsaisissant de constater combien le déver-sement de l’idéologie individualiste dèsle berceau transforme fondamentalementles données primitives de la relation

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humaine. Le plus frappant est l’émer-gence d’un sujet dégagé de la dette sym-bolique, dont les relations sociales etindividuelles s’expriment dans un langaged’affects, ce qui revient à dire dans unlangage où prédomine le principe de plai-sir ou de déplaisir. Cela a pour consé-quence qu’à la servitude liée à l’Autresymbolique se substitue une servitude del’individu en quête de ses propres quali-tés, normes et valeurs auto-constituées àpartir de son expérience émotionnellepersonnelle, croit-il, alors qu’il est identi-fié à celles de l’autre, des autres, desmasses.C’est à cet endroit que nous posons laquestion : fin d’un drame psychique ?C’est-à-dire fin du drame du type œdi-pien, fin du drame subjectif tel que l’ins-tituait la structure oppressante du modèletraditionnel, réputé producteur denévroses ? Le drame œdipien n’est pasun invariant de l’humanité, il est un inva-riant de notre culture, celle monothéisteen particulier. Son déclin se confond aveccelui des Noms-du-Père, où la collusionde la fonction du père et de son autoritéavec l’hétéronomie et l’ordre transcen-dant de la religion n’est plus à faire. La« sortie de la religion » telle que l’a formu-lée Marcel Gauchet, à propos du poli-tique, entraîne les mêmes conséquencesau niveau individuel : nous ne sommesplus commandés par un En-haut qui légi-timait le principe hiérarchique qui dominait les rapports humains. Para-doxalement, et sans doute pas par hasard,la clinique féminine est venue nous ensei-gner et démontrer ce fait : à savoir que lafillette ne passe pas obligatoirement parles chicanes de l’épopée œdipienne. C’estd’ailleurs dans son article sur la féminité

que Freud est amené, en 1931, à cetterévision du point doctrinal du complexed’Œdipe comme organisateur de lanévrose en général. Lorsqu’il avait« découvert » le complexe d’Œdipe en1895, il avait à l’esprit le modèle de lafamille de type agnatique slave dont ilavait pu croire en la pérennité bien queses patients témoignaient déjà d’une déli-quescence fort avancée de la famille bourgeoise viennoise (Lacan). Malaisedans la civilisation fournira par la suiteune plus juste appréciation de la causalitédu symptôme.

Une nouvelle lisibilité de l’œdipe?

Le mythe d’Œdipe et le complexe qui enrésulte ont été tout au long de l’histoire dela doctrine psychanalytique durant unsiècle, un support incontournable de laclinique des névroses et lui ont fourni salégitimité. Le modèle structurant qu’ildétermine présente l’avantage de situerles places et fonctions respectives des pèreet mère dans leur agencement symboliqueet réel, ordonnateurs de la subjectivité del’enfant et de son insertion en tant qu’êtresexué à partir d’un interdit. Toutefois, cemodèle, tel que la tradition analytique l’atransmis, détient l’immense inconvénientd’avoir été transcrit dans le registre del’affectivité dont il a été abusé. Certes ceregistre n’est pas à nier puisque c’est ainsiqu’il se présente dans l’expérience de toutun chacun et que, de même, il s’énoncedans le roman historique ou l’épopée quelivre le patient dans sa cure. À cet endroitl’analyste se doit cependant d’opérer unécart préalable : celui dicté par la perti-nence d’une interprétation qui relève deson expérience et de son savoir. L’im-

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mense travail de Lacan, celui de sonretour à Freud, celui de la reconnaissancede la primauté de la fonction du signi-fiant chez le parlêtre et celui de l’articula-tion de l’objet-cause du désir dans sonstatut réel, symbolique et imaginaire, nesauraient à cet endroit pouvoir être tenusà l’écart de notre expérience. Ils nécessi-tent d’ouvrir une nouvelle lisibilité dumythe œdipien, celle justement imposéepar les transformations de la famillemoderne.Fin d’un drame psychique dès lors ? Eneffet oui, celui du modèle ancien mais pasdu drame individuel pour autant. Carentre les deux est intervenu un change-ment considérable du décor sociétal : rup-ture du lien social et de la relationd’altérité. Intolérance, sectarismes detoute nature, xénophobie et racisme sontles nouveaux traits de nos sociétés. Nousassistons en spectateurs impuissants à lamise en place d’un ordre paranoïaque,renforcé par le discours de la science :ségrégatif, classificatoire, sécrétant l’ex-clusion du faible, de l’anormal, de l’étran-ger, bref une tentative d’élimination detoute forme d’altérité, précipitant certainsa contrario dans un mouvement de com-munautarisme ou dans la reconstitutionde tribus, où d’ailleurs la famille repré-sente le modèle idéal à restituer. S’agi-rait-il en fin de compte de retrouver unpeu de l’Autre?

Le refus du désir de l’Autre

Si la famille a perdu son caractère d’insti-tution et sa fonction socialisante, son éro-sion s’accompagne également d’amorcesde recomposition. Ce mouvement de fondne signale pas seulement une rupture avec

la tradition, il témoigne d’une rupture auregard du champ du désir de l’Autre, cechamp qui contient tout l’affairement desdésirs des géniteurs. Autrement dit, la rup-ture porte sur le transfert primitif tel qu’ilse noue entre l’enfant et ses aînés. Unegrande part des échecs éducatifs, pédago-giques voire thérapeutiques se heurte àcette absence de transfert. Soit que cerefus porte sur le désir de l’Autre, soitqu’il porte sur le signifiant qui cause sondésir. Ce refus tend à devenir général etpousse le jeune sujet à un investissementnarcissique, moïque, autoréférencé dansson caprice singularisé. C’est à nous d’exa-miner la brisure là où elle se manifeste etexerce son incidence dans le champ de lasubjectivité. Lorsque nous scrutons lesdivers aspects de cette clinique, le dia-gnostic revient toujours sur le mêmepoint: celui du rapport du sujet au désir del’autre, de l’Autre et au discours qui en estle support. C’est particulièrement auniveau de la possibilité d’une transmis-sion que le handicap apparaît le plussévère: transmission d’un savoir, transmis-sion des règles de la civilité, transmissionde la condition morale, transmission d’unediscipline de la raison et de ses limites.Cette transmission pouvait être acceptéetant que l’homme savait qu’un jour ilaurait à prendre le monde du passé sur sesépaules, ce qui ne s’inscrit d’aucunemanière dans le projet de l’individualisme,lequel est sans histoire. En effet, si l’enfantest le produit du seul désir d’un homme etd’une femme, l’enfant de ce couple estcoupé d’avec la dimension du lignage.Autant dans l’amour que dans l’identifica-tion à ses aînés, il est en affrontementdirect avec le désir de l’Autre et son pro-jet éventuel d’excellence.

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Mais nouvelle ou ancienne, la famille resteun centre de tensions comme il en existeratoujours au sein de toute communautéhumaine. Toutefois, la spécificité, ici, estque s’y conjoint une fixation érotiqueintense et masquée, au point que Freud adû en passer par l’analyse de Massenpsycho-logie pour en saisir le mouvement derégression narcissique toujours prompt àse mettre en place. C’est au niveau desprincipes et des règles qui régissent cestensions qu’apparaît véritablement lechangement. Le refus du discours del’Autre est dicté par le mouvement de l’in-dividualisation et ce qui l’accompagne, àsavoir l’illusion d’autonomie. L’autonomieindividualiste a mauvaise presse chez lesanalystes, avec raison. Néanmoins, nousne pouvons pas ignorer un courant quidépasse l’individu lui-même. Lorsque pèreet mère campent dans la logique indivi-dualiste, ce n’est pas l’enfant, c’est eux-mêmes qui se refusent à l’acte d’autoritéde crainte de dévoyer le devenir indivi-duel de leur petit. S’étant ainsi déjugéseux-mêmes, ils éludent les tensions etconflits susceptibles de surgir. Ce mode derelation articulé selon un principe d’une a-conflictualité détermine de lourdes consé-quences. Qu’est-ce qu’était ou qu’estpeut-être encore, sous certains aspectsaujourd’hui, la famille? Le lieu de la miseen scène et de la confrontation d’un sujetavec le désir de l’Autre, de ses répercus-sions, de ses avatars, de ses réussites etses échecs tant au niveau conscient qu’in-conscient et cela dès les premiers instantsde la vie. Dans la mesure où la famillemoderne a déplacé la finalité de sa missionsur la réussite sociale individuelle et nonplus sur l’intégration dans une relationsociale d’altérité, cette famille devient

indéchiffrable selon les coordonnées œdi-piennes. Une nouvelle lecture s’impose entant que c’est le désir de l’Autre quidomine la scène et vient constituer un pôled’attributs, pôle d’attributs qui va être lelieu d’un assentiment ou d’un refus.

Répercussions subjectives d’une situation sans tiers

Trois termes essentiels dominent cettedynamique: l’inévitable procès d’identifi-cation, au sens où Freud et Lacan l’ontdéfinie et son conséquent, le transfert, lamise en place ordonnée des premiers élé-ments de la position sexuée. Ces troistermes n’étant pas du registre psycholo-gique, car l’humain est un parlêtre, ilss’instaurent selon un jeu de signifiants oùdès sa naissance l’enfant baigne dans lediscours de l’Autre qui lui dicte sa condi-tion, par exemple: « Tu es un garçon, tu esune fille », que cela s’énonce sur le modedu wanted ou de l’unwanted à son égardmontre son caractère aléatoire dont nousapprenons de la modernité technologiqueque même ce dire premier peut être l’ob-jet d’une remise en cause (cf. : l’exigencede la preuve génétique de paternité). L’ex-périence par ailleurs nous instruit, etFreud a constamment insisté sur ce pointqui concerne la mise en place de l’objet :cette dernière ne se réalise que dans unconflit et par l’agressivité qu’il engendre.C’est de là qu’il tire son prix et prend savéritable valeur inconsciente pour le sujet.En sorte que la loi interdictrice et la frus-tration qui en découle confèrent à cetobjet son statut de réel que va pouvoirendosser ultérieurement la fonction sym-bolique du manque. C’est à ce prix que lemanque prend sa signification, celle

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d’avoir été institué pas sans l’Autre.Lorsque cette frustration n’a pas eu lieu,la perte s’exerce de façon bilatérale : àsavoir du côté père et mère, où leur fonc-tion ne saurait s’établir comme réelle ousymbolique ; et du côté de l’enfant, chezlequel l’objet ne trouve pas d’assise, fauted’être intégré dans la subjectivationcomme dynamiquement associé à l’Autre.La suite l’enseigne: le désir est instable etle sujet ne parvient pas à conduire unetâche à son terme, par exemple ses études,son diplôme, sa vie à deux ou tout autreactivité exigeant de la persévérance.Aussi bien, l’éducation à visée individua-lisante implique non seulement le préa-lable de l’effacement du ou des parentsmais forclot de surcroît leur fonction degarantie que constitue le tiers Autre. Édu-cation paradoxale où le désir de l’Autre estinterdit de représentation en sa préces-sion et son autorité ! Paradoxe devenu letourment quotidien des enseignants, carcomment l’enfant saurait-il apprendretout en refusant le discours de l’Autre? Orce tiers Autre est condition autant du fon-dement dynamique de l’objet du désir quede l’investissement libidinal et narcissiquedu sujet, son Idéal du Moi, son estime desoi (Freud).Si ce qui a été considéré à tort ou à raisoncomme la cellule sociale élémentaire des-tinée à fournir à l’enfant une assise struc-turée et normalisée, la non-pérennisationde ce modèle remet par conséquent d’em-blée en cause tout le procès de la structu-ration primitive du petit de l’homme etsurtout empêche toute mise en place dusymbolique, laissant cet enfant en déshé-rence dans le champ de l’imaginaire voire,à présent, dans le virtuel. Déshérence, carsans cet Autre symbolique, que représente

justement en situation tierce le père inter-dicteur, il est en état d’abandon. Lademande de reconnaissance, aujourd’huiomniprésente et envahissant toutes lesstrates des rapports sociaux, hiérarchiquesou non, en est le témoignage le pluspatent. L’émergence du courant indivi-dualiste engendre par un retour dans leréel ce qui n’a pas pu être symbolisé : àsavoir une perte marquée dans l’économiesubjective par un interdit que la famillemoderne se refuse à infliger en raison dela nouvelle mission qu’elle s’assigne. Laconséquence en est qu’à la place de l’af-frontement à l’Autre réel, c’est à l’imagede l’autre spéculaire qu’il est confronté,c’est-à-dire au fantôme de son image nar-cissique dans son fantasme ou son désir.

Variantes cliniques et nouvelles réponses?

Pourtant nous devons reconnaître que lemodèle-type n’est pas forcément exigiblepour la structuration correcte d’un sujet etque d’autre part, ce qui a été décrit en tantque conditionné par la dialectique œdi-pienne est susceptible de s’accomplirselon d’autres voies, comme semble nousle montrer une partie de notre cliniqueactuelle. En particulier, nous pouvonsretenir de la doctrine de l’œdipe que sielle pose un cadre de lecture concevablede l’évolution du petit de l’homme, d’au-cune façon elle ne peut être tenue commeson explication univoque et ultime. La rai-son en est précisément que le parlêtreétant conditionné préalablement par le dis-cours de l’Autre et ses signifiants, ce sontces signifiants-là qui assignent au sujetvéritablement son destin, souvent au-delàdes événements particuliers de l’histoire.

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Page 10: Présentation  La famille, fin d'un drame psychique Jean-Paul Hiltenbrand

La Revue Lacanienne – n° 8

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Le dossier – La famille, fin d’un drame psychique ?

Dans cette perspective, les élaborationsrécentes de Charles Melman sur lematriarcat, à savoir qu’il existe une genèsesubjective à l’écart de la patria potestas,ouvrent une voie essentielle dans lamesure où un certain nombre de cas cli-niques se révèlent effectivement être tribu-taires de la seule hoirie signifiantematernelle. D’autres cas nous indiquent,par ailleurs, que des accrocs ou accidentssurvenus au cours de la structuration pri-mitive peuvent être réparés selon d’autresmodalités. Nous avons appris par nos curesque le manque peut être institué par leseul effet du langage et de la parole sansl’intervention d’aucune figure d’autoritéqui imposerait une forme de privation etque, plus avant, ce manque peut valoircomme équivalent de la castration. Il n’estdonc pas nécessaire de rêver à un retourau modèle autoritaire passé, une cliniqueordonnée du signifiant nous en dispense.

*Ce tracé succinct nous permet de saisir leprofond bouleversement subi par cette

entité de la famille de nos jours dont lesconséquences restent encore à évaluerdans leur ensemble. Encore n’avons-nous pas évoqué la délicate probléma-tique de la relation de la position sexuéedans l’institution subjective de l’hommemoderne et de son rapport à la famille,question trop vaste pour être traitée ici.Ce qui semble dominer est le caractèreindéterminé de ce lieu qu’est une familleen l’absence d’un tiers symbolique, d’oùsans doute le désarroi de l’hommecontemporain. La conséquence est quede la même façon l’analyste saurait demoins en moins se fier à un modèle for-mel, en raison de sa variabilité qui faitperdre la signification dernière de cetteentité. La crise qui aujourd’hui traversecette institution universelle dans ses fon-dements se répercute comme une crisede notre civilisation où le droit de lafamille, dans ses multiples aménage-ments récents, semble voué à ne pouvoirparer qu’au plus urgent des effets de sondéclin.

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