pragmatique et analyse des...

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Pragmatique et analyse des interactions Année 2010-2011, 2 ème semestre. Objectif du cours : Découvrir et apprendre à décrire les échanges qui s’élaborent entre apprenants et enseignants dans diverses situations d’enseignement/apprentissage du FLE, pour mieux comprendre ce qui se passe dans un groupe-classe précis, le sien éventuellement. Comprendre le lien entre la théorie et la réalité de la classe. Documents fournis (envoyés par mail) : 1. Les courants de la linguistique au XXème siècle, Sciences Humaines, Hors-série N° 27 Décembre 1999/Janvier 2000 Le Langage, disponible en ligne 2. Que peut-on « faire » avec du dire ?, article de C. Kerbrat-Orecchioni, dans Cahiers de linguistique française 26 / 2004, Les modèles du discours face au concept d'action 3. A Simplest Systematics for the Organization of Turn-Taking for. Conversation, article de Sacks, Schegloff & Jefferson dans Language, 50/ 1974, pp. 696-735 4. Les cultures de la conversation, article de C. Kerbrat-Orecchioni dans Sciences Humaines, Hors-série N° 27 Décembre 1999/Janvier 2000 Le Langage, disponible en ligne 5. Figures de maître, article de F. Cicurel dans Le français dans le monde 326, mars- avril 2003 6. D'un apprenant à l'autre : pour une approche ethnographique des discours de la classe, article de F. Cicurel dans Le français dans le monde 264, avril 1994 7. La classe de langue un lieu ordinaire, une interaction complexe, article de F. Cicurel, dans AILE 16/ 2002, disponible en ligne Introduction : La pragmatique étudie l’utilisation du langage dans des situations de communication, il s’agit donc de l’usage que les locuteurs font du langage en situation. Naissance de la discipline : dans les années 1950-1970, les philosophes du langage anglo- saxons – parmi lesquels on citera J. Austin, J. R. Searle, H. P. Grice – se sont intéressés au langage ordinaire. En observant le rôle du langage, ils découvrent alors que ce rôle n’est pas seulement de décrire le monde, mais aussi d’exercer une action (la théorie des actes de langage, voir ci-dessous). [pour situer la pragmatique parmi les courants de la linguistique, consultez le document (1)] L’analyse des interactions, inscrite dans le champ des sciences du langage, s’inspire en grande partie de l’interactionnisme social (ethnographie de la communication, sociologie de Goffman, ethnométhodologie, analyse conversationnelle ; voir ci-dessous). L’interaction verbale est décrite comme une action conjointe dont la réalisation exige un certain niveau d’engagement des participants, leur coordination dans la définition du contenu de message, du cadre spatio-temporel et de leurs rôles respectifs, ainsi que la coopération dans la réalisation de leurs buts – interdépendants ou communs. L’interaction verbale est définie comme une activité collective de construction du sens. [pour en savoir plus, consultez l’ouvrage de C. Kerbrat-Orecchioni Le discours en interaction, Paris : A. Colin, 2005]

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Pragmatique et analyse des interactions Année 2010-2011, 2ème semestre. Objectif du cours : Découvrir et apprendre à décrire les échanges qui s’élaborent entre apprenants et enseignants dans diverses situations d’enseignement/apprentissage du FLE, pour mieux comprendre ce qui se passe dans un groupe-classe précis, le sien éventuellement. Comprendre le lien entre la théorie et la réalité de la classe. Documents fournis (envoyés par mail) :

1. Les courants de la linguistique au XXème siècle, Sciences Humaines, Hors-série N° 27 Décembre 1999/Janvier 2000 Le Langage, disponible en ligne

2. Que peut-on « faire » avec du dire ?, article de C. Kerbrat-Orecchioni, dans Cahiers de linguistique française 26 / 2004, Les modèles du discours face au concept d'action

3. A Simplest Systematics for the Organization of Turn-Taking for. Conversation, article de Sacks, Schegloff & Jefferson dans Language, 50/ 1974, pp. 696-735

4. Les cultures de la conversation, article de C. Kerbrat-Orecchioni dans Sciences Humaines, Hors-série N° 27 Décembre 1999/Janvier 2000 Le Langage, disponible en ligne

5. Figures de maître, article de F. Cicurel dans Le français dans le monde 326, mars-avril 2003

6. D'un apprenant à l'autre : pour une approche ethnographique des discours de la classe, article de F. Cicurel dans Le français dans le monde 264, avril 1994

7. La classe de langue un lieu ordinaire, une interaction complexe, article de F. Cicurel, dans AILE 16/ 2002, disponible en ligne

Introduction : La pragmatique étudie l’utilisation du langage dans des situations de communication, il s’agit donc de l’usage que les locuteurs font du langage en situation. Naissance de la discipline : dans les années 1950-1970, les philosophes du langage anglo-saxons – parmi lesquels on citera J. Austin, J. R. Searle, H. P. Grice – se sont intéressés au langage ordinaire. En observant le rôle du langage, ils découvrent alors que ce rôle n’est pas seulement de décrire le monde, mais aussi d’exercer une action (la théorie des actes de langage, voir ci-dessous). �[pour situer la pragmatique parmi les courants de la linguistique, consultez le document (1)] L’analyse des interactions, inscrite dans le champ des sciences du langage, s’inspire en grande partie de l’interactionnisme social (ethnographie de la communication, sociologie de Goffman, ethnométhodologie, analyse conversationnelle ; voir ci-dessous). L’interaction verbale est décrite comme une action conjointe dont la réalisation exige un certain niveau d’engagement des participants, leur coordination dans la définition du contenu de message, du cadre spatio-temporel et de leurs rôles respectifs, ainsi que la coopération dans la réalisation de leurs buts – interdépendants ou communs. L’interaction verbale est définie comme une activité collective de construction du sens. �[pour en savoir plus, consultez l’ouvrage de C. Kerbrat-Orecchioni Le discours en interaction, Paris : A. Colin, 2005]

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Pour situer le domaine de l’analyse des interactions en classe de langue, rappelons tout d’abord que la classe est un terrain d’observation pluridimensionnel où se rencontrent les recherches en didactique des langues et en acquisition du langage mais aussi les sciences de l’éducation, la sociologie, la psychologie, etc. La situation didactique en tant qu’objet d’étude transversal peut être considérée sous différents angles selon la discipline : chacune l’analyse à travers un point de vue et avec des outils qui lui sont propres. Lorsque l’on s’intéresse à la classe de langue, le choix de ce que l’on peut y observer est donc extrêmement vaste : de l’organisation des rapports sociaux aux états psychologiques ou à l’inconscient individuel, du fonctionnement cognitif aux pratiques langagières ou pédagogiques, etc. Afin de situer le point de vue qui est le nôtre, on passera rapidement en revue quelques aspects de la classe de langue pouvant faire l’objet d’observations : Regard sur l’enseignant : si on place l’enseignant au coeur de l’observation, ce sont bien évidemment et avant tout les pratiques professorales qui feront l’objet d’étude. Il s’agit des actions – verbales ou non – que l’enseignant met en oeuvre dans le but de transmettre des savoirs et des savoir-faire. On notera ici particulièrement les recherches anglo-saxonnes sur le discours professoral (« teacher talk ») qui sont principalement quantitatives (par exemple, visant à mesurer « teacher talking time »). Regard sur l’apprenant : parmi les recherches qui mettent l’accent sur l’apprenant, on trouvera par exemple les études qui portent sur le développement de tel ou tel aspect langagier chez les apprenants en classe, sur les stratégies et les styles d’apprentissage, ou encore sur l’influence de tel ou tel support ou tâche d’apprentissage sur l’activité langagière de l’apprenant. On peut évoquer également les recherches sur les interactions entre paires et leur impact sur le développement langagier, sur le rôle de la motivation, ainsi que sur les profils – linguistiques, psychologiques, socioculturels, biographiques, etc. – d’apprenants. Enfin, il convient de mentionner ici l’approche interactionniste de l’acquisition langagière où les observations autour de l’apprenant portent moins sur le développement de l’aspect linguistique que sur les changements dans la manière dont il met en oeuvre des ressources conversationnelles dans l’interaction ; on observe ainsi les diverses formes d’interaction liées à l’apprentissage en classe, en mettant l’accent sur les liens possibles entre interaction et acquisition. Regard sur le cours : les observations portant sur ce qui se passe en classe de langue peuvent prendre au moins deux points de départ : un cours de langue peut être considéré d’une part comme un processus d’enseignement/apprentissage, et d’autre part comme une interaction. Dans le premier cas, on verra le cours comme une suite d’activités didactiques et/ou on appliquera une grille d’observation permettant d’analyser les pratiques de classe (p.ex. l’organisation des participants, le contenu du cours, l’activation des compétences, le type des supports utilisés, la nature des tâches, etc.). Dans le deuxième cas l’observation portera les échanges qui se produisent entre apprenants et enseignants dans une situation didactique. On conçoit alors un cours de langue comme une « interaction-cours ». L’analyse des interactions en classe de langue s’intéresse donc à cette dernière dimension. �[pour avoir une vue d’ensemble sur le domaine, consultez le document (7)]

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I. Contexte(s) Diversité des situations didactiques Toute situation d’enseignement/apprentissage d’une langue est une situation sociale, dans le sens où elle s’inscrit dans un environnement socialement et culturellement marqué et possède une organisation interne particulière avec des rapports sociaux et des logiques d’action spécifiques. L’organisation d’un cours de langue est ainsi conditionnée d’une part par les facteurs extérieurs au cadre de l’ici-maintenant, et d’autre part par les paramètres internes, concernant tous les éléments constitutifs de la situation didactique. - Variations en fonction de l’environnement langagier : contexte homoglotte (la langue cible est parlée en dehors de la classe) vs contexte hétéroglotte (la langue cible n’est pas parlée à l’extérieur de la classe). - Variations en fonction du cadre interactionnel : contexte individuel/collectif, interactions en face à face ou à distance. - Variations culturelles : on parlera ici des cultures éducatives (diversité des contrats didactiques) et linguistiques (diversité culturelle des représentations des langues, des traditions grammaticales, des « idéologies linguistiques », des usages langagiers divers, liés aux politiques linguistiques et éducatives existant ou ayant existé dans une société donnée.). Réfléchir aux conditionnements éducatifs est essentiel pour rendre compte du degré de compatibilité entre les normes régissant l’enseignement/apprentissage du français à l’étranger et celles qui ont présidé à l’élaboration des matériaux d’apprentissage utilisés. On s’interrogera également sur la (sur)valorisation de certaines procédures d’apprentissage (par l’interaction, par la mémorisation, par l’imitation des patrons, par la traduction, par le jeu, par l’écrit etc.), sur le type de relation interpersonnelle (de type vertical ou horizontal) prescrit par le contexte didactique entre maîtres et élèves, et les implications psychologiques qui en découlent (notions d’insécurité et de risque). En observant la richesse et la diversité des situations didactiques, on remarquera aussi certaines différences dans la gestion de tours de parole (quelle est la proportion de parole des apprenants et dans quels buts cette parole est donnée ?), dans les formes d’adresse (tutoiement/vouvoiement ; usage de prénom, nom de famille, ou encore d’un pseudonyme), dans les règles de vie de la classe (possibilité ou non de bouger, se déplacer, bavarder, être en retard ; obligation ou non de prendre des notes, de se lever pour saluer l’enseignant, de lever la main pour demander la parole). - Variations institutionnelles : la place de l’institution dans son milieu socioculturel, les programmes, la place occupée par la langue cible, les moyens techniques, les effectifs des classes, les modes d’évaluation, le temps à dispositions, etc. - Variations du côté des apprenants : la langue maternelle et les autres langues connues, le niveau en langue cible, les besoins d’apprentissage, les représentations de la langue et de sons apprentissage, l’expérience de l’apprentissage, les attentes, les attitudes face à la langue cible, les motivations, l’âge, les profils affectifs, culturels, interactionnels, sociaux ou cognitifs, etc. - Variations du côté de l’enseignant : la langue maternelle et les autres langues connues l’expérience professionnelle, le répertoire didactique, les connaissances linguistiques et culturelles, les croyances, principes, convictions pédagogiques, l’enthousiasme, la disponibilité, la tolérance, les représentations de la norme, la patience, etc. � [vous pouvez consulter les ouvrages suivants :

- Beacco, J.-Cl., Chiss, J.-L., Cicurel, F. & Véronique, D. (éds.), 2005, Les cultures linguistiques et éducatives dans l’enseignement des langues. PUF, Paris. - Porquier R., Py B., 2004, Apprentissage d’une langue étrangère : contextes et discours.]Paris : Didier, Coll. Credif Essais.]

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Description du contexte : le modèle SPEAKING La première description du contexte des échanges langagiers a été fournie par le courant nord-américain de l’Ethnographie de la communication, dans les années soixante, autour de Hymes (à qui l’on doit le concept de compétence de communication) et Gumperz, qui considèrent l’usage du langage comme un mode de comportement au centre de la vie sociale. Ces travaux prennent ipso facto une dimension contrastive, dont l’objectif est de dresser un tableau comparatif des pratiques discursives ; citons Gumperz : « Si un occidental rend visite en Inde à quelqu’un qui est immobile, silencieux, qui l’ignore, il risque d’être passablement choqué par un accueil aussi distant. À moins de savoir qu’il s’agit de la période de méditation « puja » que nombre d’Indiens observent chaque jour, pendant une demi-heure ou plus. Dans ce cas, il reviendra plus tard ou s’assoira silencieusement jusqu’à ce que la période de méditation soit terminée ». Cette dimension contrastive de l’analyse des comportements langagiers est bien sûr fondamentale pour la didactique des langues-cultures étrangères. En 1967, Hymes présente une grille d’analyse suffisamment générale pour commencer à observer toute situation d’interactions ; elle est constituée de huit éléments, chacun d’entre eux correspondant à chacune des lettres constituant le nom donné au modèle de description : S.P.E.A.K.I.N.G. Setting : cadre Objectif : décrire le cadre physique (lieu et temps) des échanges, et leur cadre psychologique (état d’esprit des interactants, atmosphère générale) ; pour l’observation de nos situations didactiques, il est intéressant de visualiser l’espace-classe par un schéma, et les déplacements éventuels dans cet espace par des flèches. Participants : participants Objectif : décrire toutes les personnes présentes, même si elles n’interviennent pas ; tous les éléments constitutifs du statut des participants seront recherchés et mentionnés. On n’oubliera pas d’intégrer à la description les éléments constitutifs de l’apparence, dans la mesure où ils peuvent produire des effets dans le groupe (chapeau, couleurs, parure etc.). Ends : finalités Objectif : identifier les intentions (ou buts, ou finalités) des participants dans le cadre, en les dissociant toujours des résultats obtenus, en termes d’échec ou de réussite. Les intentions respectives ne sont pas toujours explicitées, ni conjointes, ni synchrones… et les résultats visés ne sont pas toujours entièrement acquis. Il arrive aussi qu’à partir d’un objectif explicité par l’enseignant et ratifié par le groupe, les interactions s’orientent vers la réalisation d’objectifs différents. Acts : actes Objectif : décrire globalement ce que le message fait (informer, expliquer etc.) et la façon dont l’action est réalisée. Sur certains corpus par exemple, on repère une stratégie argumentative très masquée chez un enseignant qui tente d’orienter les interventions des apprenants dans le sens de sa propre thèse (qui reste pourtant toujours implicite). Key : tonalité Objectif : décrire précisément le mode d’accomplissement de l’acte ; le ton, le geste, la mimique et le regard peuvent donner une valeur affectueuse à un énoncé du type : « vieille bête va ! ».

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Instrumentalities : instruments Objectif : décrire les canaux (linguistiques et non linguistiques) de la communication et le ou les codes linguistiques utilisés, en veillant à déterminer leur hiérarchie dans une interaction donnée (distinction entre activités écrites et activités orales, verbales et non verbales, en anglais dans une classe de FLE par exemple, dans un registre particulier du français, avec support iconographique etc.). Norms : normes Objectif : rendre compte de la (non)prise en compte des normes d’interaction (attendre son tour de parole, rompre ou non le silence, ne pas interrompre etc.) et des normes d’interprétation (des conduites d’autrui), interprétation d’autant plus complexe que les interlocuteurs ne sont pas natifs de la langue utilisée et proviennent de cultures distinctes, donc différemment normées. Genre : genre Objectif : identifier les genres de discours constituant le « texte conversationnel » en cours de construction dans la classe : interrogatoire, bavardage, débat etc. en tenant compte évidemment de leur caractère simulé ou non (en amont des échanges du groupe-classe, il faudra aussi examiner les genres interactionnels utilisés comme supports didactiques). II. Structure de l’interaction Pour décrire la structure interactionnelle on s’appuiera principalement sur les recherches effectuées en analyse conversationnelle, courant issu de l’ethnométhodologie, qui a fourni le premier modèle de la description de la conversation. �[pour en savoir plus, consultez le document (3)] Caractéristiques générales La conversation a été décrite en quatorze caractéristiques (H. Sacks, E. Schegloff, G. Jefferson), dont certaines restent vraies pour les échanges d’un groupe-classe : Le changement d’interlocuteur est récurrent. Commentaire : seul le cours magistral, où les monologues de l’enseignant échappent à cette règle constitutive. En règle générale, une seule partie parle à la fois. Commentaire : les transgressions à cette règle peuvent être si fréquentes que la règle perd son caractère de généralité, que ce soit ou non en situation didactique. Les occurrences de plus d’un interlocuteur sont courantes mais brèves. Commentaire : cette assertion vient contredire la précédente et correspond à un phénomène qui peut être fréquent en situation didactique. Les transitions sans silence ni chevauchement sont communes. Avec les transitions caractérisées par un silence bref ou un léger chevauchement, elles constituent la très grande majorité des transitions. Commentaire : la fréquence, la durée, les valeurs et les effets du silence dans nos situations didactiques sont particuliers, non pas du fait qu’il y a ou non des séquences conversationnelles, mais parce que les apprenants s’expriment dans une langue étrangère en cours d’acquisition, et qu’ils sont généralement évalués. L’ordre du tour n’est pas fixé mais varie.

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Commentaire : selon le type de contexte didactique, le type d’activité et le type de support à l’apprentissage, cette caractéristique subit des variations très importantes : un contrôle de compréhension d’un texte par exemple se solde souvent par une succession de questions-réponses réglée par l’enseignant. La taille du tour n’est pas fixé mais varie. Commentaire : l’imprévisibilité à ce niveau est toujours forte en situation didactique, d’un apprenant à un autre comme chez un même apprenant ; l’importance des interventions constitue souvent un indicateur de compétence linguistique dans le groupe-classe. La longueur de la conversation n’est pas définie à l’avance Commentaire : la durée du cours est fixée par l’institution, les limitations de temps par activité sont fixées par l’enseignant et/ou le groupe, mais la durée d’une séquence conversationnelle n’est pas prévisible pour autant. Ce que les parties disent n’est pas défini à l’avance. Commentaire : l’activité en cours et son support contraignent fortement les échanges au plan thématique global, mais le contenu des interventions n’est jamais totalement prévisible, même dans le cas des fausses questions posées sur la langue par l’enseignant. La distribution des tours n’est pas définie à l’avance. Commentaire : c’est évidemment faux dans toutes les activités d’imitation de dialogues et de simulation… L’enseignant peut avoir défini l’ordre des interventions des apprenants, mais l’interaction peut en décider autrement. Le nombre des parties peut varier. Commentaire : le nombre des participants d’une situation didactique est fixe et ne peut donc varier, sauf dans les contextes où la présence n’a pas un caractère obligatoire ; même dans ce cas, les parties sont généralement connues. La parole peut être continue ou discontinue. Commentaire : on note dans les situations didactiques des interruptions de la parole liées à la concomitance du dire et du faire ; l’apprenant consulte son dictionnaire, l’enseignant écrit au tableau etc. Des techniques d’allocation de tour sont explicitement utilisées. Commentaire : l’enseignant peut attribuer la parole à un apprenant précis par divers procédés (regard, geste, interpellation par le prénom et/ou le patronyme etc.). Ce droit revient le plus souvent à l’enseignant, sauf dans les contextes d’enseignement aux adultes, et bien sûr dans les activités de sous-groupes. Un seul mot, ou une phrase, peuvent constituer le tour. Commentaire : il faut ajouter le regard, une mimique, un sourire, le rire, un geste ; l’interaction est multimodale. Il existe des mécanismes de réparation lorsque des erreurs et/ou des violations se produisent dans le système conversationnel ; par exemple, si deux parties interviennent ensemble, l’une des deux s’interrompt spontanément. Commentaire : ces mécanismes de réparation en cas de transgression des règles du système – excuse, sourire etc. – sont évidemment spontanément transférées par les interactants des situations didactiques, de leur langue-culture source à la classe, et posent le problème de l’interculturalité constitutive d’une classe de langue étrangère Tout au long de ces caractéristiques, on voit bien qu’il s’agit d’un modèle et qu’en tant que tel il est normé et révélateur de la culture d’appartenance du chercheur qui a produit le modèle : interrompre quelqu’un déclenche des excuses et/ou un accrochage verbal etc. En conversant, on apprend donc à converser et surtout on apprend quelque chose de la culture de l’autre.

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De même qu’il existe des stéréotypes actionnels, il existe des schémas d’action interactionnels, c’est-à-dire des comportements langagiers constants et culturellement marqués dans les relations interpersonnelles les plus diverses, qu’elles soient observées dans la classe ou hors de la classe. Les professionnels de FLE en France, qui travaillent depuis des années avec des enseignants et des apprenants de nationalités très diverses, observent des conduites spécifiques dans les échanges très ritualisés de salutation, d’excuse et de remerciement par exemple, mais aussi dans les stratégies mises en oeuvre pour des actes aussi différents que la requête, la plainte, la proposition, le désaccord etc., � [pour en savoir plus, consultez le document (4)] L’arrière-plan d’un interactant en FLE est donc constitué d’un ensemble disparate plus ou moins conscient de connaissances en évolution permanente : cet ensemble porte sur les langues-cultures considérées, et sur la sélection qu’il a opérée dans les représentations délivrées par tous les membres du groupe-classe, et au delà de ce groupe, par diverses micro-cultures telles que sa famille, ses amis, ses ennemis etc. En ce sens, chaque locuteur est unique, même quand les conduites langagières des uns et des autres présentent un « air de famille » évident. On notera également que même si l’interaction en classe de langue est, dans la plupart des cas, planifiée, elle n’est jamais totalement prévisible. Cette imprévisibilté alimente le sentiment d’insécurité chez les enseignants, lorsqu’ils sont par exemple non natifs de la langue enseignée, ou insuffisamment formés, ou encore peu ou pas expérimentés. Dès l’apparition des premières méthodes audio-visuelles, on a vu de nombreux enseignants éviter la fameuse phase de transposition, du fait du risque élevé qu’ils couraient alors de perdre le contrôle de la langue, des échanges et du groupe ; ils se réfugiaient dans le contrôle des activités de mémorisation pure et simple des dialogues-modèles, évitant du même coup la phase de dramatisation prévue par les concepteurs de cette méthodologie, parce qu’elle les obligeait à utiliser leur corps (mimes d’actions, cris, grimaces etc.), ce à quoi leur formation – parfois leur culture – ne les avait absolument pas préparés, sans même évoquer d’éventuelles résistances personnelles. La manière dont l’enseignant peut réagir à l’imprévu est aussi déterminée par son style, ses principes, ses convictions. Par exemple, l’enseignant peut être plus ou moins « tolérant » face au recadrage, plus ou moins « souple » lorsqu’il est amené à déplanifier son cours et modifier son programme. Niveaux hiérarchiques La structure interactionnelle peut être analysée à des différents niveaux hiérarchiques constituant l’organisation globale. Au niveau supérieur d’organisation, toute interaction se déroule de manière générale en trois étapes : étape d’ouverture – étape constitutive (corps d’interaction) – étape de clôture. Au niveau intermédiaire, l’interaction est constituée de séquences. Une séquence est un bloc d’échanges qu’on peut délimiter selon les critères de cohérence sémantique et/ou pragmatique. Les frontières d’une séquence seront donc indiquées par le changement du des échanges (pouvant parfois être décomposé en sous-thèmes ou en thèmes dérivés) et/ou par le passage d’une action à l’autre.

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Exemple : E : enseignante (française) P : polonais exD/E : allemande de l’est, avant la chute du mur de Berlin exD/O : allemand de l’ouest, avant la chute du mur de Berlin ‘ : modalité interrogative (intonation montante) // : interruption d’un locuteur par un autre Les commentaires du transcripteur sont entre parenthèses. Transcription : N. Blanc Corpus enregistré lors d’un cours d’été, dans l’année suivant la chute du mur de Berlin. Il est question des pays susceptibles de rentrer dans l’Europe. 1 – D/E : et je crois qu’on parle de réunification de l’Europe il faut bien éviter de se moquer d’autres peuples et bien de dire de dire des choses seulement contre d’autres 2 – E : mmmm (hochements de tête appuyés) 3 – D/E : même s’il y a pas ici de Russes il faut pas et je pense toujours à notre ami Polonais et je voudrais bien qu’il s’absentisse de ses pointes contre les Russes// 4 – E : qu’il s’abstienne 5 – P : quoi’ quoi’ exactement quoi’ 6 – D/E : (tournée vers E) s’abstenir’ 7 – E : qu’il s’abstienne s’abstenir 8 – D/E : qu’il s’abstienne de ses pointes parce qu’il faut respecter tous// 9 – P : c’est-à-dire’ tu peux me citer’ 10 – D/E : parce que tu as ... la manière dont tu parles de l’Union Soviétique ça ne me plaît pas trop parce que c’est un peu trop unilatéral je pense// 11 – P : je voudrais que tu me cites parce que les mots que j’ai prononcés// 12 – D/E : ce ne sont pas que des mots ce sont aussi des gestes et// 13 – P : des gestes’ quels gestes’ 14 – D/E : (silence) 15 – P : mais soyons vraiment concrets c’est des reproches alors il faut être vraiment// 16 – D/E : je sais qu’il y a des difficultés entre la Pologne et la Russie mais quand même peut-être on pourrait se calmer L’hyper-thème est l’Europe mais la séquence transcrite est une confrontation spontanée des deux protagonistes, c’est-à-dire une séquence argumentative à caractère conflictuel marqué. Ce conflit est déclenché par D/E dont le discours vise à disqualifier P sur la base de certains comportements interactionnels présentés comme répréhensibles et devant donc être modifiés. Le mouvement de réfutation amorcé en 5 par P échoue localement du fait que son interlocutrice règle alors prioritairement un problème de nature linguistique avec E (échange métalinguistique en 4-8, déclenché par une erreur de conjugaison (D/E-3), qui vient s’encastrer dans la séquence sans l’interrompre); il se poursuit jusqu’en 15, D/E ne pouvant apporter les justifications exigées par son interlocuteur. La séquence se clôt sur une longue intervention réalisant un acte de concession, puis de proposition explicite de retour au calme. Une dynamique forte caractérise la séquence argumentative conflictuelle présentée : prémisses-arguments (D/E-1-3), réfutation (P/5-9-11-13-15), échec de D/E dans le mouvement de justification (14), puis, en matière de conclusion, résolution du conflit par un mouvement de concession chez celle-là même qui a initié la séquence.

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Au niveau immédiatement inférieur à celui de la séquence, on trouvera les échanges. Un échange est une unité dialogale minimale, donc à deux constituants au moins. Dans la terminologie de l’analyse conversationnelle, un échange à deux constituants est appelé une « paire adjacente », comme par exemple : « question/réponse », « salutation/salutation », « invitation (ou offre, ou compliment)/acceptation ou refus », « reproche/ excuse ou demande d’oublier ou justification ou défit », « instruction/réception », « requête / acceptation ou refus », etc. Les deux parties d’une paire sont liées par le principe de dépendance conditionnelle : la première partie (p.ex. question) projette la deuxième (p.ex. réponse). C’est ce même principe qui permet de considérer un échange comme « coupé » ou inachevé (p.ex. absence d’une réponse). La deuxième partie peut être plus ou moins pertinente par rapport à la première : on parlera alors des répliques préférentielles (p.ex. la réponse informative à une question) et non - préférentielles (p.ex. le refus de répondre, l’affirmation d’ignorance, la mise en doute des présuppositions ou de la sincérité de la question). Dans les échanges des situations didactiques, l’échange constitué de deux interventions (échange binaire) correspond très souvent au couple dialogal question-réponse, comme si les interactants confirmaient constamment leurs statuts respectifs de questionneur-questionné, ou d’évaluateur-évalué : Exemple : Enseignant : quel est le contraire d’homogène ? Apprenant : hétérogène D’autres types d’échange sont bien sûr aussi observables (salutation/salutation, reproche/excuse, requête/acceptation, etc.). Concernant les échanges à trois constituants, dans les situations didactiques, le format d’échange ternaire le plus fréquent correspond à la succession initiation-réponse-évaluation (ou sollicitation-réponse-évaluation ; en anglais : Initiation-Response-Follow-up (IRF)) avec une variante allongée en cas de réponse jugée non satisfaisante, obligeant l’enseignant à réitérer sa requête : Exemple (a) : E : oeil ça donne quoi au pluriel’ A : yeux E : oui yeux d’accord Exemple (b) : E : oeil ça donne quoi au pluriel’ A : zoeil E : ah non un oeil deu……z ? (…… = allongement) A : zyeux E : deux yeux oui d’accord très bien On voit immédiatement que l’évaluation est susceptible de ralentir considérablement les échanges, au point que l’enseignant pourra choisir parfois, soit de la différer, soit de l’éviter. Il est fréquent aussi d’observer l’imbrication des échanges. Dans les interactions didactiques, les échanges enchâssés peuvent s’enchaîner jusqu’à ce que la réponse attendue soit fournie.

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Exemple :

P pourquoi est ce qu’on a aussi peu d’information sur l’entreprise par rapport aux en-têtes de lettre ++

Sollicitation

A parce que la XXX

P parce qu’elle est adressée….. � Proposition d’un modèle

A parce qu’elle est adressée à l’employé du mais euh

� Reprise du modèle

P AUX employés � Correction

A aux employés � Reprise

Réponse (début)

Réponse (suite)

Réponse (fin)

P oui parce qu’elle est adressée AUX employés oui (…) Evaluation L’échange peut aussi être constitué de plus de deux intervenants, tout apprenant étant censé contribuer aux échanges. C’est l’échange polygéré. Bien souvent cependant, on voit se succéder des dyades entre l’enseignant et quelques uns des apprenants, échanges dont la structure pragmatique de base peut être ramenée à l’un des types précédents, la réponse attendue par l’enseignant pouvant être (ou ne pas être) fournie par plusieurs apprenants. Enfin, on parlera de l’échange pluricodique lorsqu’on peut donner le statut d’intervention (ou de tour de parole) à une association de gestes et de mimiques. L’analyse de la vidéo montre très clairement qu’il n’est pas toujours nécessaire de verbaliser (signe de la tête et du doigt chez l’enseignant qui refuse une réponse) pour que l’acte soit réalisé et interprété par le destinataire. Celui-ci enchaîne alors sur du non verbal, ce qui autorise à parler d’intervention non verbale, mais d’intervention à part entière. De même, l’enseignant se concentre sur les signaux envoyés constamment par les apprenants, signaux sans lesquels la communication ne pourrait fonctionner. Exemple : A : (se jette sur son dictionnaire) E : pas de dictionnaire maintenant L’échange pluricodique (constitué de verbal, de non verbal, de paraverbal et de comportemental) est la règle dans les situations didactiques, toutes disciplines confondues et tous genres didactiques considérés (du cours magistral aux travaux pratiques). Tous ces types d’échange sont constitués d’interventions, c’est-à-dire des contributions des intervenants telles qu’elles apparaissent numérotées en tours de parole sur les transcriptions. Il s’agit donc du premier constituant non dialogal, en ce sens qu’il est le fait d’un seul locuteur : on parle alors de constituant monologal. Dans l’approche quantitative, le nombre de tours de parole par intervenant permet de dresser un premier constat en terme d’activité et de répartition de celle-ci à l’intérieur du groupe. On pourra ainsi voir émerger un début de profil pour chaque intervenant : le quasi-muet, le prolixe, celui qui monopolise la parole, etc. La répartition de la parole permet de visualiser immédiatement (éventuellement par un système de flèches) les dyades interactionnelles :

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– enseignant vers apprenant ; – enseignant vers groupe ; – enseignant vers sous-groupe ; – apprenant vers enseignant ; – apprenant vers groupe ; – apprenant vers sous-groupe ; – apprenant vers apprenant ; – groupe vers apprenant ; – sous-groupe vers apprenant ; – groupe vers enseignant ; – sous-groupe vers enseignant. On pourra constater ainsi des réseaux de communication préférentiels, lorsqu’on constate des empilements de dyades allant, par exemple, toujours de l’enseignant vers un même apprenant, ou encore l’existence de triades lorsque les échanges s’organisent autour de trois intervenants. Le volume des interventions permet d’affiner ce premier constat, en termes de gros et de petits parleurs, sur l’axe précédent activité/passivité. Les interventions de l’enseignant peuvent être volumineuses et se rapprocher de nos représentations du monologue. Celles des apprenants sont souvent courtes et très courtes (entre 1 et 5 mots), avec évidemment d’importantes variations dues au niveau dans la langue-cible. Une fois les phénomènes visualisés, on devra rapprocher le nombre d’interventions et le volume de ces interventions, pour s’apercevoir que celui qui parle le plus et le plus souvent n’est pas toujours celui qui en dit le plus. On considérera comme des interventions à part entière les conduites non verbales et les vocalisations (le rire par exemple) dans la mesure où elle produisent les même effets sur l’interaction que les interventions verbales, et surtout parce que l’on sait que les comportements non verbaux sont des actions : certains apprenants ont essentiellement ce type de contribution dans le groupe et ne peuvent pas être considérés pour autant comme passifs. C’est sur la base d’un constat de gesticulation et de « bruit » (émissions sonores diverses) que l’on établit souvent le profil de l’agité par exemple. On sait aussi que des expériences nord-américaines ont montré qu’en cas d’absence de mimo-gestualité et de contact oculaire chez un locuteur, son partenaire ralentissait puis s’arrêtait, préférant rompre l’interaction plutôt que de continuer à percevoir ou à ressentir un malaise. On connaît bien aussi les rappels à l’ordre conversationnel (tu m’écoutes ou quoi ?) pour les avoir pratiqués ou subis : lorsqu’on n’est pas le parleur en place, on ne peut pas pour autant être passif ; le comportement interactionnel de l’auditeur doit donc être pris en compte dans l’apprentissage de l’oral (dans les simulations par exemple). Les chevauchements (énoncés ou partie d’énoncés synchrones) feront l’objet d’une distinction immédiate entre le chevauchement coopératif et l’interruption, considérée comme un vol de tour. Cette distinction (pas toujours aisée à réaliser sur les corpus) est justifiée par la connaissance des effets produits par ces deux types de chevauchement : le premier (chevauchement coopératif) est généralement un comportement d’aide, de co-construction, dit aussi de co-énonciation, alors que le second correspond à un rapport de force dans la répartition de la parole et à un style participatif particulier : ne pas laisser l’autre parler vs l’aider à le faire, monopoliser la parole dans un groupe par exemple. Le paraverbal : les pauses (vides/pleines), les hésitations, divers « ratés » d’élocution, les amorces (énoncés inachevés et non interprétables malgré la connaissance du contexte) et les silences peuvent être comptabilisés pour chaque intervenant et constitueront un indice objectif

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de leur plus ou moins grande aisance (linguistique et/ou interactionnelle) dans l’activité en cours. Au delà de cinq secondes, une pause vide constituera un silence. La pause pleine (dernière syllabe ou voyelle allongée, euh:::) indique à l’interlocuteur que l’on n’a pas terminé son intervention et/ou qu’on a besoin d’aide, alors que la pause vide constitue pour les interlocuteurs un signal les autorisant à prendre le tour de parole. Enfin, on tiendra compte des faits de prosodie (intonation) et des vocalisations (rires, toux, raclements de gorge…). La synchronisation interactionnelle est réalisée par l’ensemble des interactants : lorsqu’ils sont parleurs, ils utilisent des phatiques (par exemple « hein ») pour capter et/ou conserver l’écoute de leurs interlocuteurs. Lorsqu’ils sont auditeurs, loin d’être passifs, ils émettent des signaux d’écoute, d’attention, d’approbation tels que hochements de tête et vocalisations (« mmm ») qui signifient qu’ils écoutent ; on appelle ces signaux des régulateurs. C’est l’ensemble des phatiques et des régulateurs qui assure la synchronisation interactionnelle. Les reprises sont extrêmement nombreuses, prennent différentes formes et remplissent différentes fonctions (voir ci-dessous). On appellera répétition une reprise littérale d’un fragment d’énoncé ou d’un énoncé complet ; on appellera reformulation la reprise non littérale. Enfin, les interventions vont contenir la plus petite unité monologale interactionnelle : l’acte de parole (beaucoup d’auteurs parlent d’acte de langage). En pragmatique (chez les philosophes du langage) depuis J. Austin, on considère qu’une phrase permet de réaliser une action de façon intentionnelle par le langage (promettre, interdire etc.). On peut donc « faire des choses » avec de la parole. Sous le terme d’acte, nous considérons à la fois ce que le locuteur a voulu accomplir et ce qu’il a effectivement réussi (ou échoué) à faire dans le contexte : l’intention et le résultat effectif. Une intervention peut contenir plus d’un acte, certaines étant très complexes. Surtout, il est difficile d’arrêter une terminologie pour ces actes : dira-t-on « reproche », « critique », ou « opposition » ? Il est donc prudent de décider de sa propre terminologie et de s’y tenir. Nous prendrons ici toujours le terme qui nous paraît le plus générique, par exemple « opposition » plutôt que « reproche » et « critique », puis nous affinerons en fonction de l’interaction (fragment complet), et des marques du cotexte (environnement textuel immédiat de l’unité discursive en cours d’analyse). � [pour en savoir plus, consultez le document (2)] Réalisation plus ou moins directe de l’acte Dans l’exemple « je ne prête jamais mon stylo, ça déforme la plume », l’interprétation de l’acte de refus repose complètement sur les capacités d’inférence (tirer une conclusion à partir de prémisses) de l’interlocuteur : on parle alors de réalisation indirecte de l’acte, ou d’acte implicite. La réalisation indirecte de l’acte peut présenter l’avantage de ménager les susceptibilités en présence ; mais elle a l’inconvénient d’être parfois ambiguë, c’est-à-dire plus ou moins difficile et longue à interpréter. L’analyse d’interactions – y compris dans les situations didactiques – a cependant montré la préférence des locuteurs pour l’indirection des actes, bien qu’ils soient plus coûteux à réaliser. C’est l’acte direct qui est marqué (c’est-à-dire marginal, et considéré comme risqué). Dans l’exemple « j’ai oublié mon stylo, tu peux me prêter le tien ? », tout le monde s’accordera sur le caractère plus explicite, plus direct, non ambigu de l’acte de requête ; « prête-moi ton stylo » serait une réalisation encore plus directe, autorisant l’identification d’un acte d’injonction plutôt que de requête ; on parlera alors du caractère injonctif de la

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requête, et l’on retiendra que dans l’usage du langage, on a le choix entre un nombre élevé de réalisations que l’analyse permet de situer sur un axe (notion de continuum et non d’oppositions binaires) direct-indirect, étroitement lié à la notion d’implicite. Cette notion a été théorisée d’abord chez les pragmaticiens-philosophes, par H.P. Grice, qui classe les requêtes formulées au moyen du marqueur « pouvoir » dans les implicitations conventionnelles : tout le monde en effet interprètera une requête, et non une demande d’information sur la capacité physique de l’interlocuteur à tendre son stylo. Cette forme de requête (avec pouvoir) est tellement conventionnalisée que les natifs du français ne la considèrent pas comme implicite. La localisation interactionnelle de l’acte Enfin, certains actes se retrouvent toujours au début de l’interaction, d’autres à la fin, d’autres encore dans le déroulement de celle-ci. Ce principe d’ordre est évident dans le cas des échanges rituels, qui permettent d’entrer en interaction et de sortir de l’interaction dans le respect des normes langagières sociales en vigueur : Salut/Salut, Bonne chance/Merci, À bientôt/On se téléphone etc. Cette notion d’ordre (là où beaucoup perçoivent du désordre!) revêt un tel caractère prescriptif dans le bon déroulement des interactions qu’il est légitime de parler d’ordonnancement, version dialogale de celle de progression dans la linguistique textuelle. Dans le déroulement de l’interaction didactique, on trouvera souvent les couples de macro-actes suivants : – requête/(non) satisfaction de la requête ; – répondre/évaluer ; – asserter/commenter ; – proposer/accepter vs refuser ; – argumenter/contre-argumenter. Exemple : Dans le corpus suivant, on identifiera et précisera les actes en tenant compte des oppositions suivantes : direct/indirect, explicite/implicite et – au plan de l’effet de l’acte – réussite/échec. Légende : E : enseignant (français) J : japonaise S : suédois H : hollandais n°1 H2 : hollandais n°2 Activité : le groupe-classe doit organiser une fête et d’abord choisir les invités. La séquence d’où est extrait le fragment porte sur la personne de Jean-Luc (absente). Transcription : S. Faury 1 – E : qu’est-ce qu’il a Jean-Luc ? 2 – J : il est pré-ten-tsieux 3 – E : il est prétentieux ? 4 – J : oui 5 – E : pourquoi vous dites ça ? pourquoi vous dites qu’il est prétentieux ? 6 – J : parce qu’il parle seulement son travail 7 – E : il parle seulement DE son travail 8 – S : de ses intrêts 9 – E : de ses intérêts ... vous connaissez Jean-Luc ? 10 – H2 : il peut arranger après la fête

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11 – S : tu tu veux inviter Jean-Luc parce qu’il peut ranger la maison après la fête ? 12 – H2 : oui parce que il n’est pas mon ami 13 – S : tu veux dire comme ça à Jean-Luc je veux inviter toi parce que tu veux ranger la maison/ 14 – H1 : non oh/ 15 – S : à la fin du fête 16 – E : à la fin DE LA fête 1 – requête directe : demande d’information (vraie question) 2 – satisfaction de la requête 3 – requête : demande indirecte de confirmation 4 – réponse : confirmation (réponse par oui à une question fermée) 5 – requête : demande de justification 6 – réponse : satisfaction de la requête (apport d’information) 7 – reformulation corrective réalisant indirectement un acte d’évaluation négative 8 – suite de la justification de l’énoncé 6 (apport d’information) 9 – reprise manifestant l’écoute et requête réalisée par une question 10 – changement d’interlocuteur et de sujet : Jen-Luc reste le thème mais le rhème change (acte implicite de proposition) 11 – demande de confirmation réalisée par une reprise 12 – confirmation suivie d’une justification 13 – S a compris, H2 a confirmé très explicitement ; l’acte ici est un acte complètement implicite de désaccord sur la proposition (énoncé 10) 14 – changement d’interlocuteur et énoncé interrompu, ne permettant que de faire l’hypothèse que H1 n’est pas d’accord sur X 15 – S continue et termine son intervention 13 16 – reformulation corrective réalisant indirectement une évaluation négative III. Aspects affectifs, relationnels et émotionnels Il n’y a pas de groupe-classe sans émotions extériorisées ; dans le courant rapide et irrégulier de l’interaction, que l’on soit l’enseignant, l’apprenant ou encore l’observateur, on perçoit une multitude d’états émotionnels sans avoir la possibilité de s’y arrêter pour l’analyser. On quitte le groupe avec des sentiments plus ou moins flous qui peuvent être verbalisés de façons diverses : ils étaient dissipés, tendus, mous, absents, réceptifs, vifs, de bonne humeur, maussades... Quant à l’enseignante, elle était impatiente, énervée, ou l’inverse... Sur quels signaux s’appuie-t-on pour faire en ces termes du langage commun le bilan d’une séquence didactique ? Comment fonctionnent ces signaux et à quoi servent-ils ? Ces signaux sont-ils univoques et que se passe-t-il en cas d’interprétation erronée de ces ensembles de signaux ? Les marqueurs de l’affectivité : définition liminaire Sous le terme « marqueurs de l’affectivité », nous regroupons en les distinguant des indices verbaux, paraverbaux et non verbaux qui assurent conjointement l’expression de l’émotion chez les interactants, dans un contexte précis. L’affectivité est à prendre dans son sens le plus large et général d’ensemble d’affects, générateur d’expression des émotions; la description de ces affects est donc centrée sur les

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émotions extériorisées et/ou inférables à partir des signaux notés sur les transcriptions et toujours en corrélation avec le contexte de leur apparition. L’universalité des émotions De nombreux travaux ont démontré l’universalité des émotions, à partir de la faculté humaine (attestée par les recherches expérimentales menées en psychologie) d’identifier une émotion d’après les expressions faciales, avec une marge d’erreur variable (très faible pour la joie, identifiée à 92 %, mais problématique pour la surprise et la peur). En revanche, pour un enseignant de FLE travaillant avec des groupes multiculturels, il est trivial de considérer que l’expression d’une émotion (plus que son identification) est soumise à une évidente variabilité (en fonction du degré d’éloignement des deux cultures considérées : culture de l’enseignant et culture de l’apprenant, par exemple). C’est cette thèse de la variabilité que nous défendrons ici. Si la notion d’émotion est universelle, si le bonheur se donne à lire plus aisément que la colère, l’expression d’une émotion est culturellement marquée, c’est-à-dire socialement contrainte : on pense aux cultures dans lesquelles une jeune fille qui rit doit se cacher la bouche, celles où l’on rit pendant les cérémonies du deuil, celles où il est considéré comme inconvenant de rire en parlant, celles où l’on ne doit pas regarder dans les yeux son interlocuteur, celles où certains sentiments doivent être masqués etc. Les différences entre les cultures porteraient davantage sur les contraintes externes à l’individu que sur les signaux eux-mêmes; si la colère est plus difficile à décoder que la joie, c’est sans doute que l’expression des sentiments « négatifs » fait l’objet d’un contrôle social beaucoup plus strict que celle des émotions « positives », qui ne présentent pas le même risque pour la cohésion du groupe. Sur ce plan de la connaissance des contraintes sociales sur l’expression des émotions (qui relève, dans la formation des enseignants de FLE, de la compétence encyclopédique), les Nords-américains Ekman et Friesen ont forgé la notion de display rules (règles spécifiques d’expression), dont l’intériorisation serait chose faite dès l’âge de trois ans. Ce réglage consiste essentiellement en procédures de contrôle étroitement liées aux paramètres contextuels au sens large (« un garçon ne pleure pas » et « une fille doit sourire »...). En ce sens, on peut considérer que la culture modèle les émotions, tout comme elle modèle la langue : les mots et expressions consacrés aux émotions dans les langues naturelles sont extrêmement variables, aux plans quantitatif (nombre de termes existants pour une émotion X, et qualitatif (dénotatif, connotatif). Ces procédures de contrôle sont telles qu’il est prudent de considérer qu’une émotion exprimée dans un groupe multiculturel est davantage un outil adaptatif, relationnel et actionnel que la « traduction » d’un état intérieur... L’interprétation des expressions de l’émotion dans ce type de groupe sera particulièrement complexe et toujours potentiellement erronée. Les émotions dites « de base » Les six émotions dites « de base » sont les suivantes : bonheur, peur, dégoût, tristesse, surprise, colère. On trouve chez d’autres auteurs neuf émotions dites élémentaires : joie, surprise, tristesse, colère, dégoût, mépris, peur, honte/timidité, culpabilité (la timidité et la culpabilité semblent être d’un ordre différent de celui des émotions). Quant à l’appréciation de l’intensité de l’émotion, elle a permis d’élaborer des systèmes de mesure des expressions faciales et vocales (p.ex. The facial action coding system (FACS), qui distingue 44 unités d’actions faciales, 8 positions de la tête et 6 positions des yeux). Les émotions des situations didactiques Dans les émotions « de base », on remarque qu’une seule d’entre elles (le bonheur) relève du bien-être, les autres du mal-être. Dans nos situations didactiques, on retrouve ce déséquilibre entre les signaux de tension vs détente, et certaines émotions (le dégoût et le mépris)

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paraissent marginales en terme de fréquence. En revanche, un ressenti fréquent et fréquemment perceptible (l’ennui) ne figure pas sous ce terme dans la typologie dominante de base, mais peut être considéré comme un sous-type de la tristesse. La peur s’extériorise le plus souvent sous des formes contrôlées et atténuées que l’on peut regrouper sous le terme d’embarras. Enfin, la surprise se prête à un classement de type binaire, de même que l’usage de la langue précise qu’elle est bonne ou mauvaise : on peut être agréablement ou désagréablement surpris. S’il s’agit d’une bonne surprise, les signaux émis ressembleront à ceux servant à l’expression du bonheur, si elle est mauvaise, il sera difficile de différencier la surprise de l’embarras ou de la colère. L’identification de cette émotion devra donc s’appuyer sur davantage d’indices contextuels-cotextuels et de signaux que celle du bonheur. Les émotions suivantes sont récurrentes sur les corpus de situations didactiques. - Satisfaction (catégorie didactique du bonheur) On tiendra compte ici de l’intensité de l’émotion exprimée, depuis les signes extérieurs les plus discrets du bien-être jusqu’aux éclats de rire, congratulations et effusions. Exemples de signaux émis : sourire, rire, posture détendue, contact oculaire, accentuation phonique, interjections, signaux de consensus, de complicité... - Ennui (catégorie didactique de la tristesse) Les enseignants le corrèlent à un comportement caractérisé par la faiblesse de l’écoute, de la concentration et de la participation aux activités ; d’où le lien étroit que l’on peut d’ores et déjà postuler entre action et émotion. Exemples de signaux émis : posture figée, évitement du contact oculaire, absence de sourire, soupirs, ton bas et descendant, gestualité auto-centrée, fréquence des silences... - Embarras (catégorie didactique de la peur) Au niveau verbal, il se traduit très souvent par l’absence de fluidité dans l’usage de la langue et l’on devra distinguer alors pour chaque contribution l’insécurité proprement linguiste de celle qui est due au type d’activité, au thème des échanges, aux relations interpersonnelles... si l’on veut remonter à la source du malaise. Exemples de signaux émis : soupirs, souffles, râclements de gorge, allongements (pauses pleines), décélération du tempo, début d’accélération de la gestualité ou au contraire de prostration, énoncés inachevés, retours en arrière, ratés d’élocution... - Contrariété (catégorie didactique de la colère) L’intensité de l’émotion ira de signaux non verbaux tels que le froncement des sourcils jusqu’a l’expression de la colère par des cris, des larmes ou des injures. On classera l’impatience dans cette catégorie : chez l’enseignant comme chez les apprenants, les signaux d’impatience sont émis lorsqu’ils n’arrivent pas à leurs fins comme ils l’entendent ; elle exprime alors un sentiment de frustration. Exemples de signaux émis : froncement de sourcils, articulation dure, intensité, mutisme, accélération du tempo, accélération de la gestualité, accentuation du contact oculaire, interruptions d’autrui, évaluations négatives, moqueries, injures... - Surprise L’expression de la surprise dans l’interaction se traduit toujours par une rupture du rythme des échanges et de la progression conversationnelle (retour en arrière, passage à un thème dérivé, parenthèse auto-centrée dans une séquence explicative...). Exemples de signaux émis : contour mélodique, ton haut, ouverture des yeux, gestualité « suspendue »... changement de sujet, interjections, bégaiement, ratés, pauses, silence... Le recours systématique au contexte pour l’interprétation de cette émotion permettra de lever les ambiguïtés et de ne pas confondre deux catégories (les confusions sont fréquentes entre la surprise et la peur dans les travaux de la psychologie expérimentale).

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On n’oubliera pas les limites de la description opérée à titre d’entraînement sur son propre groupe-classe : en dehors des problèmes d’étiquettes, une émotion ressentie peut ne pas être extériorisée et une extériorisation peut ne pas correspondre à une émotion ressentie ; l’émotion peut être masquée comme elle peut être mise en scène (on pense à E. Goffman). Il s’agit dans les deux cas d’un processus plus ou moins conscient mis en oeuvre par l’interactant à des fins stratégiques : gérer son image, gérer le groupe, gérer la relation... Il devient alors nécessaire pour l’interprétation de corréler plusieurs signaux (mimique, ton, posture) aux éléments connus du contexte, et au lieu textuel précis d’émission du signal. Émotion et personnalité Dans le contexte didactique, on connaîtra certains aspects de la personnalité des interactants, autour d’oppositions classiques telles qu’introversion/extraversion, et, en arrière-plan, les comportements communicatifs qui sont ou non valorisés dans la culture d’appartenance des apprenants. Les travaux nord-américains autour du lien personnalité/ émotion débouchent sur des types psychologiques; par exemple (Eysenck) : le coléreux (extraverti impulsif), le sanguin (extraverti stable), le mélancolique (introverti impulsif) et le flegmatique (introverti stable). Les processus d’ajustement réciproque La fonction adaptative des émotions s’avère cruciale dans le cadre de l’analyse d’interactions réelles qui prétend rendre compte de mécanismes interactionnels : plus une personne éprouve d’émotions, plus elle est capable d’identifier l’émotion d’autrui et plus vite elle le fait; ceci est très important pour rendre compte des différences observées dans les groupes entre les capacités d’ajustement des locuteurs et les modes d’ajustement à l’autre et à la situation qui sont sélectionnés par les interactants. Que faire par rapport à un individu qui ne « s’ajuste » pas à autrui dans un groupe ? Que faire quand c’est l’enseignant qui ne « s’ajuste » pas suffisamment ou suffisamment vite au groupe et/ou à chacun de ses membres ? Dans une perspective cognitive, on peut définir ce processus d’ajustement comme un système de traitement de l’information en trois temps : – réception et interprétation des signaux dans la situation ; – action déclenchée pour s’ajuster à cette situation ; – évaluation de la nouvelle situation. Par exemple : – réception : signaux de détresse envoyés par un apprenant pendant une explication dirigée vers le groupe ; – action : interruption de la séquence explicative et initiation d’un échange de type dyadique avec l’apprenant en difficulté, reprise-suite de la séquence explicative de type frontal (adressée au groupe-classe) ; – évaluation : expression de la reconnaissance réalisée par un sourire et/ou un hochement de la tête chez le bénéficiaire de l’explication, mais peut-être aussi expression de la contrariété (impatience) chez un autre apprenant, ou signes d’ennui dans le groupe. Pour l’enseignant, il s’agit donc essentiellement d’identifier et de réguler, aussi vite que les signaux – multiples – sont produits dans une situation elle-même en évolution permanente et non régulière... Les défauts d’ajustement seront potentiellement endémiques chez l’enseignant débutant, l’enseignant fatigué, dans les groupes où les attentes respectives restent disjointes etc. Un défaut dans l’interprétation des signaux se soldera par un non ajustement ou un ajustement soit insuffisamment précis, soit insuffisamment rapide : l’action décidée se soldera par un échec, ce qui amènera les interactants, soit à abandonner l’action en cours, soit à la

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modifier. Les interprétations incertaines, ou indécidables, laisseront toujours à l’enseignant une impression de malaise : qui n’est jamais sorti d’une classe avec le sentiment de n’avoir pas compris un geste d’agacement par exemple, un regard appuyé ? D’être « passé à côté »? On pourrait objecter que cette notion d’ajustement dans les interactions didactiques est ethnocentrée et appartient aux idéaux dominants actuels en occident... N’empêche qu’il est si difficile d’imaginer un échange sans procédures d’ajustement réciproque qu’il semble que le phénomène soit constitutif du dialogue lui-même : sans ajustement, on n’est pas dans le dialogue, mais au mieux dans ce que le sens commun appelle le dialogue de sourds, au pire dans une forme pathologique de l’échange. Il n’en reste pas moins que dans des contextes didactiques marqués par un système hiérarchique de type vertical, on aura bien des procédures d’ajustement, mais à sens unique (au moins de façon explicite), c’est à dire de l’apprenant vers l’enseignant. Les phénomènes d’ajustements et de non ajustements réciproques permettent parfois, sur la base de marques multiples et fonctionnant en synergie, d’inférer les attentes des uns et des autres. Le corpus suivant (constitué au début de l’affaire dite de la vache folle) est un exemple éclairant d’une non volonté d’ajustement de la part de l’enseignante, amenant à résipiscence l’apprenante anglaise (Sabina), désireuse de ne pas aborder le thème des échanges : D : Allemande H : Hollandais Da : Danoise 1 – E : ALORS qu’est-ce qui arrive à vos vaches Sabina’ 2 – (rires bruyants de trois étudiantes danoises) 3 – S : c’est exagéré (ton bas : elle estime que l’affaire est trop médiatisée) 4 – E : c’est exagéré / alors dis-nous d’abord de quoi il s’agit 5 – G : (rires) 6 – S : hum hum les veaux anglais // 7 – E : les veaux’ les vaches’ 8 – S : les vaches 9 – E : les veaux et les vaches oui 10 – S : hum hum les vaches d’origine britanique / présentes / sur le territoire français / ils sont / mauvais (voix faible) 11 – E : qu’est-ce qu’on va leur faire’ 12 – G : (rires) 13 – E : est-ce qu’on va les tuer et les manger’ 14 – S : OUAIS (ton et mimique ironiques) 15 – H : (rires) 16 – E : oui’ non’ 17 – S : c’est mal pour la santé peut-être ::: 18 – E : alors explique nous / pourquoi’ 19 – G : (rires) 20 – E : tu nous as dit / les veaux et les vaches sur le territoire français / c’est mauvais pour la santé / alors pourquoi’ 21 – S : c’est / il y a un fléau 22 – E : il y a un fléau / on peut dire un fléau / une maladie oui / (écrit le terme au tableau) un fléau c’est une maladie grave et étendue hein’ 23 – G : (silence) 24 – E : qu’est-ce qui arrive à ces vaches et à ces veaux’ ils ont / ils sont en bonne santé’ 25 – D : ils sont complètement fous * (ton très exclamatif) 26 – G : (rires)

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27 – E : ils sont complètement fous oui oui / et alors’ quel est le problème’ quel est le problème’ 28 – S : contaminé / il y a contaminé // 29 – E : il y a un risque de contamination / de qui’ / des humains / il y a un risque de contamination des humains’ alors’ est-ce que les français ont envie d’être contaminés par VOS vaches’ 30 – S : OUAIS (ton et mimique ironiques) 31 – S+Da : (échange de sourire) 32 – E : oui / bon 33 – S : hum hum (se râcle la gorge) 34 – E : oui / vas-y / explique * (ton très injonctif) 35 – S : non (voix douce, avec un petit sourire ) c’est mal 36 – E : qu’est-ce qui est mal’ 37 – G : (silence très lourd) 38 – Da : (grand rire en cascade) 39 – E : Sabina tu n’as pas compris ma question / est-ce que les français ont envie de courir un risque de contamination ‘ 40 – S : bien sûr que non * (ton très exclamatif) Outre les indications éclairantes portant sur le non verbal et le paraverbal, l’évolution du questionnement (à travers la progression thématique) pris en charge par l’enseignante indique les moments précis où les conduites langagières divergent (3/14/30/35), jusqu’à l’intervention où l’apprenante s’exécute (40), acculée qu’elle est par les glissements sémantiques et pragmatiques d’une nouvelle requête à l’autre : 1 : Alors qu’est-ce qui arrive à vos vaches Sabina’ 11 : Qu’est-ce qu’on va leur faire’ 13 : Est-ce qu’on va les tuer et les manger’ 27 : Et alors’ quel est le problème’ quel est le problème’ 29 : Alors’ est-ce que les Français ont envie d’être contaminés par vos vaches’ 39 : Est-ce que les Français ont envie de courir un risque de contamination’ La première question est ouverte et très générale, alors que la dernière est fermée et contient bien évidemment la réponse attendue (le mode de questionnement de l’enseignant sera vu de façon détaillée ci-dessous). L’exemple suivant illustre le cas inverse : Exemple « Kosovo » Transcription : J. Ivaldi, 1999 E = enseignante A = apprenante coréenne Thème : le conflit en ex-Yougoslavie (Kosovo) Activité : expression orale après l’écoute des informations Macro-acte : Tentative manquée d’attribution de la parole / = micro-pause E –1 : et la Cor/la Coréenne qu’est-ce qu’elle/qu’est-ce qu’elle/ comment est-ce qu’elle voit ça/ce conflit’ A – 2 : (rire, se tient la tête à deux mains, parle d’une toute petite voix) je suis VRAIment apolitique E – 3 : pardon’ A – 4 : je suis vraiment apolitique

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E – 5 : tu es apolitique mais là il s’agit d’une guerre... (voix très douce) tu n’as pas d’idée/tu n’as pas d’idée sur le conflit... ... alors les autres’ État émotionnel exprimé par l’enseignant : certainement une forte implication dans le sujet (ratés d’élocution), prise en compte de l’interlocutrice (acte de requête indirecte adoucie par la voix). État émotionnel exprimé par l’apprenant : volonté explicitée de ne pas s’impliquer (répétition et accentuation) pour réaliser un acte indirect de refus de répondre, et nombreux signaux de contrariété (malaise, tension, embarras...). IV. Les participants de l’interaction didactique : enseignants et apprenants Certaines conduites interactionnelles sont récurrentes dans les échanges du groupe-classe ; elles sont liées aux activités très codifiées de l’enseignement-apprentissage, aux statuts en présence, aux objectifs respectifs, à l’institution d’appartenance, elle-même liée à des structures socio-culturelles plus vastes (le système éducatif par exemple), aussi bien qu’à des contextes plus étroits mais tout aussi normés (la famille, la profession, la religion etc.). D’autres conduites apparaissent comme plus marginales du fait d’une fréquence d’apparition plus faible, mais contribuent autant que les premières à la dynamique interactionnelle. Elles s’intègrent également dans le contrat didactique local (somme variable des accords tacites liant les participants du groupe-classe), laissant la part plus belle aux sujets et rendant leurs échanges moins aisément prévisibles. Une troisième catégorie de conduites enfin est constituée par des événements peu prévisibles mais pertinents, comme si les acteurs du groupe-classe s’inscrivaient bon gré mal gré dans des scénarios pré-existants, voire prescrits (métaphore du contrat), sans pour autant s’y limiter : ouvrir une fenêtre sur sa vie privée, verbaliser ses émotions etc. On retiendra donc que les conduites langagières en classe sont plus ou moins prévisibles et qu’elles sont le fait de tous les participants dans des proportions variables. Si l’on prend une conduite langagière didactique considérée comme prototypique de l’enseignant – l’exemplification, dans le cadre d’une explication par exemple – on sait qu’elle est également le fait des apprenants moyennant certaines conditions d’effectifs, de niveau dans la langue-cible et de modalité d’apprentissage : en travail de groupe, l’exemplification est prise en charge par les apprenants du groupe ; il en va de même pour l’évaluation. À l’inverse du statut, certains rôles sont donc interchangeables. Ces conduites (exemplifier, évaluer) ne sont réservées à l’enseignant que dans le cadre d’une situation didactique de type frontal où la relation instituée est verticale, ce qui n’est pas le cas de la totalité des structures éducatives. Par ailleurs, au delà de ces types institutionnels contraignants, chacun met en oeuvre dans le cadre didactique des conduites langagières dont l’objectif n’est ni linguistique ni acquisitionnel, mais interactionnel : gérer diverses relations à autrui, cet autrui étant multiple ; présenter et protéger une image de soi-même valorisante dans le groupe-classe ; exister comme sujet à part entière dans le groupe, à travers diverses manifestations de l’affectivité (voir ci-dessus). Nous allons examiner d’abord les conduites de contrôle les plus massivement attestées chez l’enseignant, en relation directe avec le statut qui est le sien : le contrôle de la parole du groupe, le contrôle de la situation de classe, le contrôle de la langue-cible en cours d’appropriation. L’examen des contributions des apprenants nous permettra ensuite de

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distinguer quelques profils prototypiques directement induits par le mode de participation. Enfin, les conduites interactionnelles des uns et des autres montreront comment les échanges sont construits par le travail coopératif de tous les participants, faisant des interactions des événements uniques et non prévisibles, malgré le cadre fondamentalement normatif dans lequel elles s’inscrivent. L’enseignant : les conduites prototypiques � [consulter d’abord le document (5)] Nous entendons par conduites prototypiques celles qui sont le plus fréquemment actualisées dans un cadre didactique donné ; ce critère de fréquence les rend immédiatement compréhensibles, interprétables, et cohérentes dans les jugements normatifs portés sur elles. Ce jugement de cohérence subira quelques avaries chez les participants conditionnés dans des cadres éducatifs caractérisés par des conduites langagières prototypiques différentes : par exemple, ne pas prendre la parole sans y être explicitement invité, privilégier la mémorisation, ne pas regarder son interlocuteur, concevoir l’erreur de langue comme un échec etc. Le contrôle de la parole est un quasi-monopole de l’enseignant. On en rendra compte à partir de trois paramètres : le nombre de tours de parole, le volume des tours de parole et les réseaux de communication. D’une façon très générale – hors des activités de groupe – l’enseignant réalise les deux tiers des interventions du groupe, répartition parfaitement logique si l’on considère les formats d’échange les plus courants dans les activités didactiques centralisées : – question (E) – réponse (A) – évaluation (E) ; – question (E) – réponse (A) ; – question (E) – silence (Groupe) – question (E) ; – assertion (E) – commentaire (A) – évaluation (E) ; – commentaire (A) – évaluation (E) etc. Exemple : La séance d’expression orale a lieu après les congés de Noël (Collège International, Grenoble). E : enseignant (natif) US : américaine B : bosniaque (Mirza) I : italienne (Zaïra) F/A : franco-américain (enfance à New-York) B : brésilienne 1 – E : qu’est-ce qui peut me dire ce a quoi correspond l’Epiphanie’ 2 – G : (silence) 3 – E : Epiphanie d’ailleurs veut dire apparition / presentation 4 – US : c’est l’ange qui est apparu 5 – E : non ca c’est l’annonciation / le fait d’annoncer Échange N° 1 : échange ternaire du type sollicitation-réponse-évaluation. Initié par une question de E (1), précisée en 3, du fait du silence du groupe. Réponse d’un apprenant, suivie de l’évaluation de l’enseignant. 6 – B : (ronchonnement inaudible) 7 – E : eh* eh* oh oh oh* Mirza* ne ralez pas* 8 – G : (brouhaha)

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9 – E : mais non non* je plaisante* (sourit) 10 – G : (rires) Échange N° 2 : initié par le comportement d’un apprenant ; réaction verbale de E, agitation du groupe et auto-correction de E, déclenchant les rires du groupe. L’enseignant détient 100% de la parole. 11 – E : vous étiez en vacances la’ / non non ... (signe de la main pour demander le silence) vous étiez en vacances / et bien c’est grâce à la religion 12 – G : ah ben oui* 13 – E : ah ben ouais* Échange N° 3 : initié par une assertion de E, suivie de l’approbation du groupe, reprise par l’enseignant (qui reposera sa question initiale) : contrôle total. Cette répartition très inégale de la parole reste la règle dans les groupes-classes perçus comme actifs (participatifs) ; de plus, elle émerge aussi dans l’analyse des groupes d’apprenants travaillant en dehors du contrôle de l’enseignant. Elle permet alors de repérer l’apprenant qui prend provisoirement le rôle de l’enseignant, étant ainsi perçu comme l’apprenant dominant : il y a contrôle de la parole quand il y a contrôle des activités en cours. Endosser le rôle de l’enseignant, reproduire les schémas d’action didactiques, s’observe dans n’importe quelle discipline, dès la maternelle. Ainsi dans l’extrait suivant (aucun adulte n’est présent dans la classe), où deux élèves (Karine et Yonas) de l’école primaire (en France) viennent de raconter une histoire aux élèves d’une classe maternelle (5-Juliette) : 1 – Karine : alors vous allez essayer d’nous la raconter cette histoire/vous la racontez chacun 2 – Yonas : alors toi tu commences toi t’es la première/raconte l’histoire 3 – Karine : assieds-toi 4 – Yonas : raconte c’que t’as compris 5 – Juliette : c’est un p’tit enfant qui a perdu ses parents (Corpus M.O. Repellin) Une seconde comptabilisation des mots constituant les interventions de chaque membre du groupe permet de chiffrer le volume de parole de l’enseignant : si la variation est plus fréquente, d’un enseignant à l’autre autant que chez un même enseignant d’une activité à une autre, le constat précédent s’accentue ; hors travail réalisé en groupe, le volume des tours de parole de l’enseignant est le plus souvent très supérieur à celui de l’apprenant le plus participatif. Dans les travaux de groupe non contrôlés par l’enseignant, on ne constate pas un tel déséquilibre : l’apprenant dominant (contrôle de la parole et de l’activité) a souvent un volume d’intervention comparable à celui de ses co-équipiers. La maîtrise de la langue-cible est ici le principal critère explicatif. Dans l’extrait suivant, l’enseignante contrôle la compréhension d’un document sonore : 1 – E : voila euh... quelque chose d’un p’tit peu euh euh::mystérieux euh euh c’est une histoire policière radiophonique/et on en avait... on... elle était complète notre histoire’ 2 – Groupe : non* non* 3 – A1 : c’est a suivre 4 – A2 : a suivre 5 – E : voila* a suivre/on n’en avait qu’un épisode/bien/euh... combien y-avait-il de personnages dans cette histoire’ qui sont les personnages de cette histoire’ Si l’on fait abstraction des pauses vides (notées...) et des allongements (notés ::), le groupe, considéré comme un locuteur à part entière, produit deux mots, A1 trois mots, A2 deux mots et l’enseignante plus de cinquante. Évidemment la dissymétrie n’est pas toujours aussi forte,

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mais elle reste un élément essentiel du contrôle de la parole par l’enseignant. Dans l’extrait suivant en revanche, le partage de la parole, aussi bien en nombre d’interventions qu’en volume, est à l’avantage des apprenants : 1 – A1 : dans mon pays si on a une famille on reste euh... en famille... avec les parents les grands parents... c’est la grande famille et ici... euh... les vieux avec les vieux ils restent chez lui... 2 – E : chez eux* 3 – A1 : oui oui chez eux avec les chiens* 4 – A2 : c’est ça oui* 5 – A3 : oui je veux dire que c’est bien que les parents restent à la maison ...euh ... parce qu’on se retrouve à Noël et pendant les vacances c’est vraiment bien* 6 – E : donc pour vous c’est la famille qui est plus importante plutôt que le couple en lui-même’ Au plan de la répartition des rôles, on note aussi le rôle strictement didactique de l’enseignant (évaluation, contrôle de la progression thématique), alors que les apprenants situent leurs propos sur le plan de l’expression personnelle argumentée (déictiques personnels, connecteurs, jugements). Une troisième comptabilisation permet d’isoler les dyades préférentielles, voire les triades, qui se constituent dans les échanges à la fois centralisés et inégaux : certains apprenants seulement dialoguent avec l’enseignant, et l’interaction telle qu’elle se présente dans un fragment de corpus peut être constituée d’une succession de mini-dialogues entre l’enseignant et deux ou trois des apprenants, dans un cadre discursif caractérisé par l’enchaînement des questions et des réponses. La circulation de la parole suit les axes suivants : enseignant vers apprenant ou vers groupe, apprenant vers apprenant ou vers groupe, groupe vers enseignant ou vers apprenant, apprenant vers enseignant. Que l’enseignant soit ou non présent, la configuration dite « en étoile » est la plus fréquente : un locuteur est au centre des échanges (tous les échanges passent par lui). Exemple : Dans l’exemple ci-dessous (enregistré au Collège International de Grenoble), on a isolé une dyade privilégiée entre l’enseignant (E) et l’un des apprenants du groupe (A). Le groupe discute d’une exposition de meubles anciens qu’ils sont allés voir au musée. 1 – E : alors pourquoi vous n’avez pas aimé ce genre de meubles’ 2 – A : parce que j’en vois souvent chez ma grand-mère 3 – E : AAAAHHH* et c’est pas c’est pas agréable d’être chez votre grand-mère’ 4 – A : si 5 – E : alors et pourquoi vous les voy/ alors vous les voyez souvent chez votre grand-mère mais// 6 – A : ouais et chez mon arrière aussi 7 – E : et même chez votre arrière grand-mère et ça vous semble pas beau’ 8 – A : si mais... j’aime pas trop 9 – E : pourquoi’ vous n’aimez pas vraiment parce que c’est... parce que .. .n’ayez pas peur de ce que je vais dire hein euh... ne ne vous offusquez pas... ne vous choquez pas à cause de ça mais euh... ne soyez pas choqué mais... vous pensez... vous n’aimez pas vraiment ces meubles parce qu’ils sont associés à votre grand-mère ou à votre arrière grand-mère’ 10 – A : non* j’ai... j’aime pas quand c’est... quand c’est dans les musées... c’est ça que j’trouve con*

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11 – E : c’est voila c’est quand c’est quand c’est dans les musées ça ne vous plait pas/si c’est chez des particuliers chez chez des gens... ça ne vous gêne pas’ 12 – A : ouais c’est plus beau j’trouve Le contrôle de la situation L’enseignant annonce les activités et les planifie, puis les organise dans des interventions de consignes. Les modalités du travail, les problèmes de discipline et tout ce qui a trait au contrat didactique (dont l’acquisition de la langue-cible) nécessitent également des procédures régulières de contrôle. Annonce et planification : quelques énoncés exemplaires E : bien vous avez compris beaucoup de choses mais pas l’essentiel / on écoute donc a nouveau cette info E : bon on passe à autre chose maintenant E : on verra après E : alors on recommence et si vraiment vous ne comprenez pas je vous donnerai quelques mots pour vous aider E : bon on décrit les soeurs de Gilles en bas (il s’agit du bas d’un document) E : est-ce que vous pensez que la télévision a remplace le rôle des autres medias’ E : alors aujourd’hui on commence par le texte / cherchez la page cent soixante huit E : l’information suivante qu’est-ce que vous avez note’ Ces énoncés, le plus souvent assertifs, contiennent l’ensemble des verbes cognitifs correspondant aux activités passées, en cours ou à venir et permettent de structurer le temps didactique en séquences, le groupe élaborant ainsi son histoire conversationnelle didactique. L’ensemble des verbes cognitifs (comprendre, expliquer etc.), des verbes locutoires (demander, affirmer, répondre etc.) et du lexique interne (labo de langue, livre d’exercices etc.) fait parfois l’objet d’un chapitre de méthode sous l’intitulé « vocabulaire de la classe ». Modalités de travail centrées sur l’activité : 2 exemples de consigne E : donc voila alors on va jouer donc on va jouer par équipe ok’ par équipe donc une équipe Durada Renata et Manuella l’autre équipe Ulrich Marlene et Sergio d’accord’ alors Durada tu demandes à quelqu’un de cette équipe. E : alors vous travaillez deux par deux / y’en a un qui fait le garçon /un qui fait la fille / donc vous imaginez la situation et vous simulez la première rencontre / d’accord’ / vous inventez un dialogue / alors on va mélanger les garçons et les filles là / alors Irima / Félix tu viens ici / Michelle tu viens là /alors qui est-ce qui n’est pas encore mélangé ‘ vous avez tous été mélangés ‘ Oksana tu viens à la place de Su Mei pour mélanger les nationalités / toi tu vas travailler avec Bouafia . On s’aperçoit que l’énoncé de consigne, assertif et ponctué de phatiques (d’accord’ ok’) est structuré par de nombreuses occurrences des marqueurs de structuration alors et donc (renforcés par une gestualité de structuration qui ponctue l’intervention). L’activité de consigne peut représenter une séquence longue, voire plusieurs, lorsque l’activité est complexe (mettre en place une simulation par exemple). On remarque alors l’abondance des verbes cognitifs et des déictiques (personnels, temporels et spatiaux). Modalités de travail centrées sur les comportements : les énoncés à caractère disciplinaire (5 exemples) E : on se tait* Anne-Marie tu te tais* tu tu n’arrêtes pas de parler* alors réponds*

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E : mais une fois c’est l’une une fois c’est l’autre alors* tout le matin vous n’avez pas vraiment écouté ni au laboratoire ni là* alors je repose ma question à tout le monde* E : nous sommes en classe de français* (certains apprenants parlent en anglais) E : mais expliquez hein* ne dites pas seulement oui ou non* je veux que vous expliquiez* E : pour qu’il y ait discussion et pour que tout se passe bien il faut que cela soit dans le respect total euh... de des goûts et des opinions des uns et des autres sinon c’est pas possible Ces interventions se caractérisent par leur caractère injonctif, la fréquence du mode impératif et de faits prosodiques dénotant la colère, la fréquence de la négation : il s’agit toujours de rappels à l’ordre didactique ou à l’ordre interactionnel. Le contrôle des acquisitions Face, risque, menace, évitement, offense, réparation, territoire sont des notions dues au sociologue nord-américain E. Goffman. Elles trouvent des illustrations concrètes dans nos échanges quotidiens les plus ordinaires. En situation didactique, c’est au niveau de l’évaluation d’autrui que l’on observe les plus nombreuses marques de prudence chez les enseignants. En dépit des différences d’un enseignant à un autre, on constate que, d’une façon majoritaire, l’acte d’évaluer positivement est direct alors que l’acte d’évaluer négativement est indirect. De plus, l’évitement en matière d’évaluation négative est fréquent, les enseignants mettant en oeuvre des stratégies consistant à faire prendre en charge l’évaluation négative par le groupe-classe. Définissons d’abord les termes d’E. Goffman. � [l’ouvrage à consulter : Goffman E., Les rites d’interactions, Paris : Minuit, 1974] La face C’est l’image positive de soi, que l’on souhaite offrir au groupe et que l’on cherche à préserver, voire à sauver lorsqu’elle est menacée ; c’est également le souci qu’a chaque interactant de ne pas faire perdre la face à autrui. L’apprenant peut être mortifié par une évaluation négative, et il arrive aussi bien sûr que la face de l’enseignant se trouve menacée (perte du contrôle du groupe, insécurité linguistique, contestation de son autorité ou de son savoir). Le risque de perdre la face chez un enseignant inexpérimenté est évidemment élevé ; cet enseignant va développer des stratégies d’évitement (différer la réponse à une question de grammaire le mettant dans l’embarras par exemple), faire en sorte de ne pas perdre le contrôle du groupe en faisant l’impasse des activités basées sur l’expression personnelle et la créativité, combler systématiquement les silences, parlant trop et devenant directif. L’offense et la réparation Lorsque l’image positive se détériore, qu’il y a blessure narcissique chez soi-même et/ou autrui, il existe des stratégies de réparation, variables selon les individus et les cultures, qui constituent ce qu’E. Goffman appelle le « répertoire figuratif » : les énoncés d’excuse, de minimisation de la faute, de consolation, d’atténuation des jugements assertés. L’indirection de l’acte d’évaluer négativement est le procédé le plus fréquent. Les procédés réparateurs peuvent être non verbaux : c’est souvent la première fonction du sourire (ce qui ne va pas sans poser problème face à des apprenants qui associent le sourire à la moquerie...). Le territoire Il est inséparable de la face ; il est constitué des biens matériels que tout individu estime siens, c’est-à-dire qu’il considère comme un prolongement du moi (le cartable, le sac à mains, les objets personnels... voire les proches : touche pas à mon pote!). L’intrusion dans le territoire d’autrui doit être évitée, et si elle ne l’est pas, réparée. La preuve en est que dans le groupe-classe, tout individu demande la permission avant d’emprunter le stylo de son voisin ; en ne demandant pas la permission, il s’expose à une rebuffade, de même qu’en ne prêtant pas son

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stylo, on prend le risque d’être mal jugé (être perçu comme pingre). Certains propos sont également considérés comme risqués car trop personnels. Regardons sous cet angle l’intervention de l’enseignant dans l’un des fragments ci-dessus : E : pourquoi’ vous n’aimez pas vraiment parce que c’est... parce que... n’ayez pas peur de ce que je vais dire hein euh... ne ne vous offusquez pas... ne vous choquez pas à cause de ça mais euh... ne soyez pas choqué mais... vous pensez... vous n’aimez pas vraiment ces meubles parce qu’ils sont associés à votre grand-mère ou à votre arrière grand-mère’ Les marques d’embarras chez l’enseignant sont nombreuses : abondance anormale des pauses, des ratés d’élocution et des énoncés non terminés et surtout, quatre impératifs négatifs lui servant à préparer et annoncer la question qui pourrait être jugée indiscrète mais qu’il s’autorise néanmoins à poser. La mauvaise relation supposée de l’apprenant à ses aïeules fait partie du territoire privé, et l’enseignant procède à une réparation anticipée (avant l’intrusion proprement dite). Les modalités d’évaluation L’outil linguistique privilégié de l’évaluation est la reprise. On distinguera la reprise terme-à-terme (répétition) de la reformulation. La taille des reprises est très variée : d’un seul morphème à un énoncé complet. On compte au moins quatre modalités verbales d’évaluation, sachant qu’un froncement de sourcils, un mouvement de la tête et/ou du doigt peuvent parfaitement se substituer au verbal et réaliser des évaluations, négatives ou positives. - L’évaluation positive directe : c’est la plus gratifiante pour l’apprenant ; elle consiste en énoncés assertifs courts, comprenant la répétition, totale ou partielle, de l’énoncé de l’apprenant (hétéro reprise immédiate), accompagnée d’un morphème souvent accentué : oui, bien, bon, d’accord... C’est le format le plus fréquent. - L’évaluation positive indirecte : elle est réalisée par l’hétéro-reprise immédiate, sans marqueurs de consensus, de satisfaction, d’éloge verbal. Cinq exemples d’évaluation Exemple 1 : évaluation positive directe Le groupe travaille sur dès dimanche (confusion dès/des). 1 – A⁄: à partir de 2 – E : voilà* exactement* ça veut dire A PARTIR DE dimanche* 3 – A : c’est la même’ 4 –E : oui* c’est pareil / à partir de dimanche prochain / DeS dimanche prochain Exemple 2 : évaluation positive indirecte Le groupe parle de musique et travaille sur la distinction entre chanteur et compositeur. Ici, il est difficile de distinguer entre évaluation et simple expression de l’accord. 1 – E : quel est le plus riche chanteur de France’ 2 – A : euh ... 3 – E : le plus riche chanteur de France’ 4 – A : Goldman’ 5 – E : Goldman 6 – A : ah ... 7 – E⁄: Jean-jacques Goldman parce que’... (fait le geste de quelqu’un qui écrit) 8 – A : il écrit 9 – E⁄ : il écrit

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Exemple 3 : évaluation négative indirecte Le groupe discute de l’emploi et du chômage. Ce type d’évaluation est souvent réalisé par la reformulation immédiate de l’énoncé fautif de l’apprenant (hétéroreforulation), sans correction explicite ni jugement, ni marqueur négatif. C’est le format le plus fréquent. 1 – E : et tes parents qu’est-ce qu’ils font comme métier’ 2 – A : ils travaillent dans la banque 3 – E : dans une banque 4 – A : dans une banque et je pense qu’il aime 5 – E : ils aiment 6 – A : ils aiment le travail 7 – E : leur travail l Exemple 4 : évaluation négative directe Le groupe travaille sur les chiffres (support utilisé : programmes de cinéma). L’énoncé correctif de l’enseignant est souvent négatif et contient parfois la reprise de l’énoncé de l’apprenant, avec le morphème non. 1 – E : à quelle heure passe le film Kansas City’ 2 – A : seize heures et quart 3 – E : alors on ne dit pas seize heures et quart / on dit seize heures quinze ou bien quatre heures et quart / et puis Chantal’ 4 – A : euh::: dix-neuf heures 5 – E : non* pas dix-neuf heures 6 – A : ah* vingt// 7 – E : ah non Chantal* il faut absolument que tu apprennes les chiffres* Exemple 5 : absence d’évaluation Le groupe (débutant) travaille sur l’expression de l’opinion personnelle : l’enseignant n’intervient pas. Cette stratégie est régulièrement constatée et correspond à un choix didactique de l’enseignant : laisser s’exprimer les apprenants et différer ou supprimer le temps de correction. Dans cette séquence, l’enseignant s’efface. 1 – A1 : je préfère la cinéma 2 – A2 : je préfère regarde la télé à la maison 3 – A1 : mais la téléphone peut ring à la maison 4 – A3 : je préfère la télévision euh c’est plus euh facile... rester à la maison euh de non sortir Dans le fragment ci-dessous, issu d’un groupe de faux débutants, on relèvera les diverses modalités de l’évaluation chez l’enseignant. Le groupe (débutant) travaille à partir de la structure qu’est-ce que tu dois absolument faire avant lundi ? 1 – E : Peter* pose la question* 2 – A1 : qu’est-ce que tu dois actuellement faire devant lundi’ 3 – E : pas actuellement / absolument / AVANT lundi / la chaise est devant la table / avant lundi 4 – A2 : ah* je dois absolument acheter la nour::riture... parce que euh non non... parce que 5 – A3 : je ne comprends pas 6 – E : (à A3) de la nourriture / c’est tout ce qui est nécessaire pour manger / d’accord’ (sourire) 7 – A4 : pour manger 8 – E : bien... alors ... 9 – Groupe : (silence)

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10 – E : pourquoi Levi’ (il s’agit de A2) 11 – A2 : parce que c’est nécessaire pour mon santé 12 – E : d’accord / mais il n’y a rien dans ton frigidaire’ il n’y a rien ‘ 13 – A2 : non ah* oui oui je crois qu’il est empty empty 14 – E : qu’est-ce que c’est les anglophones’ 15 – A4 : vide 16 – E : il n’y a rien rien rien * 17 – A2 : il n’y a rien il n’y a rien dans mon frigidaire rien de nour // 18 – A4 : HE HASN’T GOT A FRIDGE* 19 – Groupe : ( rires ) 20 – E : en français tu peux parler * ... AH * il n’a pas de frigo * (rit) 21 – A2 : ah * avant lundi / j’achète un frigo * L’évaluation est négative directe en 3. En 12, on note l’absence de correction (mon santé) et une marque d’accord. En 14, l’évaluation est explicitement déléguée aux anglophones du groupe. En 20, l’évaluation négative d’A4 est indirecte : la faute est une entorse au contrat didactique (ils doivent parler français). Métalangage Que l’enseignement se fasse totalement ou partiellement dans la langue-cible, il entraîne de très nombreuses interventions que nous appellerons métalinguistiques. Exemples (énoncés d’enseignants) – Des : ça veut dire à partir de (définition) – Avant vs devant : AVANT lundi / la chaise est devant la table (discrimination) – Donc la c’est le sens d’interlocuteur au sens de porte-parole (lexique) – Tu as utilisé le mot anglais ... vous pouvez l’aider à trouver l’équivalent français’ (traduction) – Parce que c’est le nom d’un magasin donc il n’y a pas d’article (grammaire) – Ca c’est une expression idiomatique (lexique) – Un pilier c’est ça / pour tenir la maison / ça c’est un pilier (explication) – Un pilier de bar c’est quelqu’un qui tient le bar (définition) – Aller aux urnes qu’est-ce que ça veut dire’ (contrôle de la compréhension) Exemples (énoncés d’apprenants) L’activité métalangagière est constitutive de la plupart des activités didactiques; si elle est du ressort de la compétence de l’enseignant, elle est souvent sollicitée par l’apprenant : – C’est quoi les rois mages’ – Comment ça s’écrit’ – Excusez-moi / le prononciation c’est le même’ – What does that mean’ Exemple (dialogue) Au plan de la construction des échanges, l’activité métalangagière se présente souvent sous la formes d’échanges enchâssés, sorte de parenthèse n’interrompant pas le thème et l’activité en cours. Mais elle peut aussi caractériser des séquences entières formées de la succession d’échanges de questions-réponses. Ainsi, des dialogues entiers sont-ils métalinguistiques. 1 – A : et patate ça veut dire quoi’ 2 – E : patate’ c’est le ... je pense que c’est l’une des insultes les plus utilisées entre conducteurs d’automobiles

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Exemple (plans d’énonciation distincts) Enfin, certains énoncés de l’enseignant qui se situent sur les deux plans (monde et métalangue) peuvent sembler cocasses pour toute personne extérieure à la situation de classe, dans laquelle ils ne sont pourtant jamais problématiques! Dans l’exemple ci-dessous, il faut d’ailleurs ajouter le plan du non verbal et du comportemental, à partir duquel l’enseignant formule sa question (l’apprenant range ses affaires et se lève en regardant l’enseignant d’un air interrogateur; puis il fronce les sourcils, ce que l’enseignant attribue à la forme du verbe). E – il faut que tu t’en ailles’ / oui subjonctif leçon trois / oui tu peux y aller* Exemple (plan cognitif) On trouve aussi de très nombreuses reprises lors des activités métalangagières : l’enseignant répète l’élément exploité pour en faciliter l’acquisition et/ou le mettre en valeur pour capter l’attention du groupe; l’apprenant répète aussi l’élément mais pour se l’approprier, ou montrer qu’il se l’est approprié. Cette conduite peut d’ailleurs figurer explicitement dans le contrat didactique. E – en France l’expression avec canard c’est pour un froid de canard A – un froid de canard Questionnement et thématisation Dans le contrôle des activités qui échoie à l’enseignant, la détermination du thème des échanges et de la progression informationnelle occupe une place importante et se réalise souvent par le biais de la modalité interrogative (intonation et est-ce que), l’enseignant posant les questions et les apprenants fournissant les réponses. Chacun a intégré des normes implicites en matière de progression, et peut donc porter des jugements en la matière : ça piétine, ça va trop vite, on a sauté quelque chose etc., expressions qui rejoignent bien les travaux de la linguistique textuelle sur les règles de progression. Mais la linguistique textuelle s’interesse très rarement au texte conversationnel, et encore moins au texte conversationnel didactique. Il est donc important de montrer le lien étroit entre thématisation et progression, ce lien étant réalisé principalement par le mode de questionnement. Typologie de questions La question la plus représentée chez l’enseignant est la fausse question (ou question rhétorique), celle dont l’enseignant connaît la réponse, et qui lui sert à contrôler les acquisitions (compréhension, grammaire, orthographe etc.). Il arrive que l’enseignant pose de vraies questions, lorsque c’est l’enseignant qui manque d’information, l’apprenant est pourvoyeur. Les questions peuvent s’adresser au groupe (comme archi-locuteur), ou être personnellement adressées (par le nom, le prénom, l’indice personnel tu...) : dans ce cas, c’est l’enseignant qui sélectionne son interlocuteur ; on parlera de question-directive. Certaines questions ont, sur le plan pragmatique, une valeur impositive forte (« qu’est-ce que vous remarquez sur cette image ? », qui implique que quelque chose doit avoir été remarqué) : c’est la question-consigne. Les verbes cognitifs et locutoires y sont nombreux. D’autres, constituées de reprises, sont des évaluations déguisées : c’est la question corrective. Constituées de reprises, elles peuvent aussi servir à relancer un débat : c’est la question-relance, procédé routinisé au service de la progression thématique. Parmi ces types de questions (vraies ou fausses etc.), on distingue la question fermée (qui appelle une réponse monosyntagmatique : oui ou non) de la question ouverte, qui nécessite un effort plus important de la part de l’apprenant.

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Parmi les questions ouvertes, on distingue les simples (à focus unique) des complexes (à focus multiple) donc multifocales. Chacun de ces modes de questionnement a des incidences (plus ou moins heureuses ou malheureuses) sur les échanges, en relation avec l’objectif didactique de l’enseignant. L’objectif sera atteint vs manqué : si le contrôle des acquisitions grammaticales peut se réaliser parfaitement par le biais de fausses questions fermées à focus unique, il n’en va pas de même dans les activités d’expression orale. Exemple Après avoir travaillé sur le thème de la campagne, l’enseignant passe aux activités d’expression orale. GB : Britannique (Amanda) US : Américain 1 – E : comment elle est la vie du paysan en France en Angleterre ou aux Etats-unis ‘ Question ouverte a focus multiple 2 – G : (silence) On fait l’hypothèse que la question est trop complexe pour un traitement immédiat : objectif manqué 3 – E : elle est difficile‘ facile’ elle est comment ‘ qu’est-ce que vous en pensez ‘ Amanda ‘ Questionnement en cascade : deux questions fermées, une question ouverte simple, une question-consigne, une question-directive 4 – GB : euh c’est pas trop difficile euh parce que euh il veut faire euh qu’est-ce qu’il veut quand il veut Objectif atteint : réponse à la question (assertion et justification) 5 – E : il peut faire ce qu’il veut quand il veut ‘ Question constituée par une reformulation : question-corrective et /ou question-relance 6 – GB : oui Objectif manqué : réponse par oui a une question fermée, évaluation et/ou relance non identifiées ; GB ne situe pas sa contribution sur un plan métalinguistique et ne souhaite pas en dire davantage 7 – E : vous étés d’accord les autres’ le paysan il peut faire ce qu’il veut quand il veut ‘ c’est vrai ça ‘ Question-directive visant un changement d’interlocuteur, deux questions fermées 8 – US : non Réponse par non a une question fermée, donc apport d’information nul : objectif manqué 9 – E : non’ pourquoi’ Saut qualitatif de la question fermée à la question ouverte (fonction de relance) 10 – GB : le travail est fort Réponse à la question-relance E/5, constituée d’une justification de son opinion 11 – E : le travail est fort ‘ Question fermée constituée d’une reprise relisant une demande implicite de correction 12 – GB : difficile Objectif correctif atteint; objectif conversationnel manqué 13 – E : difficile oui L’enseignante évalue positivement la réponse, se trouvant ensuite dans l’obligation de relancer les échanges par une nouvelle question Dans ce court fragment, le mode de questionnement utilisé nous permet de penser que l’enseignant a « oublié » son objectif d’expression orale : en situant ses interventions sur un plan métalinguistique et évaluatif, il ne se donne plus les moyens de lancer la discussion qu’il avait prévue, donc d’atteindre ses objectifs (conversationnels au départ). Le mode de

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questionnement de l’enseignant est constitutif des procédures à mettre en oeuvre pour obtenir le résultat souhaité. L’omniprésence de la reprise Nous avons vu que la reprise, sous des modalités diverses, constituait l’outil linguistique le plus massivement représenté dans les corpus et remplissait différentes fonctions, tant chez l’enseignant que chez les apprenants, où elle est cependant moins massive : – didactiques : thématiser, évaluer, réglementer, organiser, relancer... – cognitives : faciliter l’accès au sens, la mémorisation, verbaliser ses difficultés... – pragmatiques : agir sur autrui, insister, modifier des comportements... Exemple : Dans l’extrait suivant, l’activité est un jeu : le portrait chinois; la question initiale est : si tu étais une fleur, qu’est-ce que tu serais ? Dans le cadre de l’appropriation de la structure si + imparfait + conditionnel. Des observateurs sont présents. Les reprises sont en gras. E : enseignant US : américain US2 : américaine O : observateur S : suédois G : groupe 1 – E : si tu étais une fleur qui serais-tu’ ... OUESS* 2 – US : euh ... c’est très difficile euh... oh* 3 – E : alors quelqu’un d’autre * 4 – US : ce ser// 5 – S : je ne sais pas le nom avec la fleur du soleil 6 – E : ah* un tournesol* la grosse fleur qui se... un tournesol... non* comment::’ on:: non* c’est pas un tournesol* non... je ne sais pas... 7 – US : ah oui* un magno:::un magnolia (rires) 8 – E : un magnolia c’est très beau (s’adressant aux observateurs) non* non* c’est pas un tournesol* comment on appelle ça’ un tourn// 9 – O : si un tournesol 10 – E : un tournesol c’est ça* (se tournant vers les apprenants) on dit aussi un soleil hein les autres’ 11 – G : (silence) 12 – S : si j’étais une fleur je serais un capriole 13 – E : comment’ un’ (regarde les observateurs d’un air interrogateur) 14 – S : (en riant) qu’est-ce qui s’appelle...’ c’est la seule fleur en français que je connais alors* 15 – G : (rires) 16 – E : mais qu’est-ce que c’est un capillaire’ ah* tu te trompes* tu penses à la lotion capillaire et tu// 17 – S : c’est quoi’ 18 – G : (rires) 19 – E : et capillaire ça veut dire pour les cheveux 20 – S : j’ai pensé c’était une fleur Rares sont les énoncés qui ne contiennent aucune reprise, condition essentielle à la cohérence. L’enseignant compte pratiquement le double des reprises de ses interlocuteurs cumulés, ayant

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précisément à charge, de par son statut, la responsabilité et le contrôle de cette cohérence. Détaillons ces procédures de contrôle. Au plan didactique • Elle assure le cadrage de l’activité (un jeu) et fixe par la répétition la structure en cours d’acquisition et le thème ponctuel (si + imparfait + conditionnel ; hyper lexème : fleur). Cette structure imposée est reprise par les apprenants. • Elle contrôle la production lexicale (domaine le plus important quantitativement) : tournesol, soleil, magnolia, capillaire... (exploration du champ sémantique par les apprenants, qui apportent les informations qu’elle reprend et/ou évalue, parfois négativement). Au plan cognitif • Elle est déstabilisée par le fait qu’il lui manque un terme : ne pas savoir, non (5 fois), appeler. • L’apprenant suédois explicite ses manques : ne pas savoir, appeler, connaître, penser. Les apprenants Si la fonction didactique de contrôle peut souvent permettre de dégager les caractéristiques essentielles des conduites langagières de l’enseignant, il est nécessaire d’avoir une approche plus pragmatique de l’apprenant, à partir de questions telles que : qu’est-ce qu’il veut faire ? Qu’est-ce qu’il réussit à faire ? Qu’est-ce qu’il échoue à faire ? Comment s’y prend-il ? Quels sont les effets de ses actions sur les interactions, le groupe, l’enseignant, lui-même et son apprentissage ? Cette approche pragmatique s’impose également pour l’enseignant dès que le caractère didactique de ses conduites n’est plus dominant. Dans ce domaine de l’action, certaines procédures sont constantes, en relation avec l’activité didactique en cours et les partenaires, et partiellement dépendantes de la compétence linguistique ; partiellement, en ce sens qu’un apprenant de faible compétence linguistique peut s’avérer un communiquant efficace, tout comme il n’est pas rare qu’un apprenant considéré comme d’un bon niveau linguistique soit incapable de communiquer... Ces procédures seront donc inégalement réparties selon ces paramètres contextuels et, d’un apprenant à un autre, selon des paramètres de nature psychologique, tels que l’activité (faible, moyenne, forte), la timidité, le caractère plus ou moins extraverti, les humeurs du moment et le climat interactionnel. Un premier classement des procédures peut être proposé en fonction de l’objectif, tel qu’on peut l’inférer d’un ensemble de conduites s’il n’a pas été explicité, ce qui est le cas le plus fréquent chez les apprenants, à l’inverse des enseignants censés expliciter systématiquement leurs objectifs et procédures. Les objectifs généraux des apprenants sont l’acquisition de la langue-culture (syntaxe, lexique, phonétique, orthographe, culture), la participation aux activités via les échanges et la gestion de la relation à autrui, l’expression du moi et le rapport à l’apprentissage, selon que l’apprenant se centre sur la langue-culture, sur lui-même, sur autrui, sur l’activité, sur l’apprentissage. Centration sur l’activité - S’effacer (absence de participation). - Réguler (affirmer sa présence et son écoute). - Organiser (l’activité). - Répondre ; (rentrer dans l’activité par oui/non/je ne sais pas...). - Commenter ; (assurer la progression par l’apport d’informations). - Proposer (initier des activités, initier des thèmes).

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Exemple Dans le cadre du réemploi du mode subjonctif, un nord-Américain et un Japonais élaborent des slogans publicitaires sur les produits de leur choix (travail en binôme). 1 – A : bon * ok * un autre produit’ 2 – J : oui* 3- A : quel produit’ 4 – J : (silence) 6 – J : ouais// 7 – A : déjà // 8 – J : ouais // 9 – A : maintenant c’est // 10 – J : c’est moi* 11 – A : oui* c’est TON responsabilité* 12 – J : (signal non verbal d’accord) 13 – A : d’accord Les profils sont très marqués : dans le cadre d’une activité conjointe, l’Américain organise, initie, propose, impose (type de leadership : type directif et activité forte), alors que le Japonais régule et manifeste son accord (type coopératif et activité faible). Centration sur l’interaction - Solliciter (adresser des requêtes...). - Contraindre (interpeller, ordonner...). - Argumenter/contre-argumenter ((dé)approuver, concéder, (s’)opposer...). -. Attaquer (critiquer, accuser, ironiser, se moquer...). - Exprimer son accord/désaccord. - Parler de soi ((dés)intérêt, (dé)motivation, fatigue, stress, joie...). - Aider (apports linguistiques, encourager autrui...). Exemple : Le groupe discute des relations hommes-femmes (groupe de douze personnes) : Eq1 : Équatorienne Eq2 : Équatorien In : Indienne It : Italienne 1 – Eq2 : l’homme doit avoir le droit de lo que... lo que... chez nous c’est différent parce que ce sont des sociétés un poco machistas hein... machistas’ (regard interrogatif vers l’équatorienne en face de lui) se dit comme ça’ 2 – Eq1 : machiste oui 3 – G : (brouhaha : vives réactions au terme machiste) 4 – Eq1 : c’est ça 5 – In : oui c’est ça 6 – Eq2 : c’est pareil hein’ pour euh pour les Napolitains (regarde l’Italienne) il sort / ils boivent... 7 – It : mais je vais te dire une chose// 8 – Eq2 : ils font rien... ils... parfois ils tapent la femme / voilà / les choses sont comme ça / je suis un homme * oh * c’est pas possible * 9 – G : (brouhaha; réactions en petits groupes) 10 – It : non* dans ma famille ça existait pas ça / moi moi // 11 – In : c’est juste en Italie comme ça’ 12 – It : non non heureusement* 13 – In : mais lui / il est italien non’

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14 – Eq2 : non je suis sud-américain 15 – Eq1 : Equateur 16 – Eq2 : Equateur 17 – In : ah d’accord* 18 – It : non / mais je pense que t’as... que tu as raison 19 – Eq2 : mais dans les sociétés latino-américaines il y a beaucoup de familles comme ça 20 – Eq1 : si / machiste / oui* L’échange aurait pu mal tourner entre l’Équatorien et l’Italienne; comme tout thème générant des stéréotypes négatifs, il est risqué. Tous les actes sont accomplis dans ce fragment au caractère conversationnel très marqué. Les protagonistes déploient une activité forte ou moyenne (nombre et volume de leurs interventions), l’Équatorien présentant un profil polémique, l’Italienne un profil conciliateur. Centration sur la langue-culture -. Demander/donner une information sur la langue-cible. -. Demander/donner des informations sur la culture de la langue-cible. -. Evaluer des énoncés en français (syntaxe, lexique, phonétique, graphie). -. Comparer des langues-cultures (source/cible, autres). Exemple A – j’y suis allé / c’est un passe compose E – oui / j’y suis allé / le y c’est quoi ‘ G – (silence) E – du point de vue grammatical ‘ A – adverbe E – oui * c’est un adverbe Dans une séquence centrée sur la langue, on remarque la pré-éminence des échanges rapides structurés sur la base de questions initiées par l’enseignant. L’activité de l’apprenant consiste à répondre, ce qui lui confère un profil responsif. Son taux d’activité sera estimé à l’aune des contenus informationnels : donne-t-il seulement la forme souhaitée (comme dans l’exemple), ou ajoute-t-il des éléments nouveaux ? Centration sur l’apprentissage -. Avoir recours à un autre code que la langue-cible. -. Recourir au dictionnaire, à la prise de notes, au dessin, à la gestualité etc. -. Expliciter ses propres procédures d’apprentissage (je comprends mieux si j’écris). -. Porter des jugements sur l’apprentissage (facile, difficile, ennuyeux, fatigant etc.). Exemple A3 : apprenante taïwanaise A1 et A2 sont anglophones 1 – E : elle a dit (elle = apprenante taiwanaise qui vient de parler d’une militante féministe de son pays) cette femme revendique l’état de fair pour ces femmes / a votre avis qu’est-ce qu’elle voulait dire’ 2 – A1 : c’est quoi’ 3 – A2 : qu’est-ce que c’est en anglais’ 4 – G : (rires) 5 – A4 : les femmes et les hommes sont dans la... égalité 6 – E : égalité / égal / égaux au pluriel / l’égalité 7 – A4 : l’égalité 8 – [Je crois qu’elle utilisait l’adjectif fair au sens de égal] 9 – A2 : O.K. 10 – A4 : aaaah* oui* aaah* fair* 11 – G : (rires)

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12 – E : voilà 13 – G : (rires) 14 – E : c’est toujours drôle quand on intègre des mots étrangers Les interlocuteurs prennent appui sur une langue véhiculaire (l’anglais, connue de tous dans ce groupe), pour gérer l’apprentissage de la langue-cible. Le thème des échanges implique la comparaison d’éléments des deux cultures (source et cible), qui servent ainsi de supports. Les profils Sur la base des observations précédentes, nous obtenons quelques types, qui se différencient par le taux d’activité (quantification de la production langagière), indice objectif de leur participation aux échanges. On peut aussi distinguer les actes (et les signaux divers servant à leur accomplissement) caractérisant chaque apprenant. La notion de profil n’est pas statique (un apprenant ne présente pas un profil et un seul dans toutes les activités au long de son apprentissage), mais évolutive : la preuve en est fournie par l’évolution de l’apprenante de l’(ex) Allemagne de l’Est du corpus « Europe » en interaction avec l’apprenant polonais (voir ci-dessus) : profil polémique marqué au début de la séquence conflictuelle, évoluant rapidement face à la stratégie de son interlocuteur, vers un profil conciliateur (explicite dans l’énoncé : « je sais qu’il y a des problèmes mais quand même peut-être on pourrait se calmer »). On doit donc toujours corréler la notion de profil avec celles de séquence, d’activité didactique, de co-énonciateur, d’arrière-plan. Les profils : Type directif Type coopératif Type polémique Type conciliateur Type responsif Type initiatif Type logique Type émotif Exemple Transcription : F. Buisson-Piotaz (1998) Activité : expression orale sous la forme d’un commentaire de texte informatif (article du journal Le Monde) : en France, un collégien (Nicolas) vient d’être renvoyé de son établissement pour avoir enfreint le règlement intérieur en portant des chaussures de basket (réservées au sport). L’enseignante est française, les intervenants sont nord-américains (l’auteur de l’article est implicitement opposé à la mesure d’exclusion). 1 – E : alors ça ce sont les faits... d’accord’... alors on peut / NOUS / (se désigne d’une main posée sur sa poitrine) faire des commentaires là-dessus / parce que les faits c’est terminé là’ oui’ 2 – G : (silence) 3 – E : est-ce qu’on a FINI de faire le résumé de texte’... oui’ 4 – G : oui 5 – E : bon / maintenant on peut COMMENTER * donc votre premier commentaire (s’adressant à A1) 6 – A1 : je pense que... les parents euh... 7 – E : oui ... (hochement de tête) 8 – A1 : ils ont signé le règlement... euh... alors... c’est écrit dans le règlement euh ... on ne peut pas porter de baskets euh... 9 – E : oui...

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10 – A1 : alors je pense que... je pense que là... que là... les parents choisissent l’école / c’est leur qui décident // 11 – E : c’est EUX qui décident oui 12 – A1 : eux qui décident... la ville / 13 – E : oui... 14 – A1 : ou va... (cherche dans le texte) 15 – E : Nicolas 16 – A1 : (hochement de tête approbatif) 17 – E : donc VOUS vous pensez... qu’ils ont SIGNE le règlement / ils doivent RESPECTER le règlement / oui / ils n’ont pas le droit de... discuter après 18 – A1 : oui / ils devaient lire avant 19 – E : oui / ils auraient du ... LIRE avant 20 – A1 : oui 21 – E : les autres’ qu’est-ce que vous en pensez de ce commentaire’ (geste dirigé vers A2 qui lève le doigt) 22 – A2 : je pense que c’est une bonne décision / il a encore ses baskets / c’est donc que les parents ont pas respecté le règlement... c’est pas bon / il doit avoir des chaussures et des baskets 23 – E : oui 24 – A2 : mais il dit qu’il n’a pas d’argent 25 – E : oui 26 – A1 : mais euh... les parents ils ne respectent pas le règlement euh on donne de l’argent pour acheter des chaussures mais... c’est pas à cause de l’argent 27 – E : oui (hochement de tête) 28 – A1 : encore ils ne veulent pas* (ton exclamatif) 29 – E : donc ... même encore oui / ils ont propose une solution et ils refusent ... oui ... et c’était de l’argent pour acheter des chaussures normales / donc VOUS (s’adressant à A1) vous pensez que... il faut respecter le règlement ... (dirigeant son regard vers la classe) les autres’ qu’est-ce que vous en pensez’ quels sont vos commentaires par rapport à ce texte’ 30 – A3 : euh euh je suis pas d’accord avec le... le règle’ (ton dubitatif) la règle... 31 – EX: (hochement de tête approbatif) 32 – A3 : mais la règle existe / je pense... alors c’est... c’est un ... je pense que c’est un sort de ... un sort d’un petit démocratie ... d’un petit gouvernement démocratique parce qu’il y avait un... un vote’ on dit comme ça’ 33 – E : (hochement de tête approbatif) 34 – A3 : euh... et c’est... il y avait un... grand majorité... alors il faut respecter les règles / s’il y a un problème euh... il faut changer les règles * (ton exclamatif) mais il faut re... respecter avant il y a un changement * (ton exclamatif) Synthèse : L’enseignante remplit d’abord (1/3/5) une fonction didactique d’organisation de l’activité, au moyen de verbes cognitifs (finir, commenter), puis d’organisation des échanges, par l’usage du connecteur donc (17/29) qui réalise une synthèse des propos des apprenants, et surtout par des questions-consignes et des questions-directives (21/29), réglant l’alternance des tours et le renouvellement des interlocuteurs. La fonction dominante (en nombre d’occurrences) est de type cognitif et pragmatique : elle régule les échanges au moyen de nombreux oui et signes non verbaux d’approbation, manifestant ainsi son écoute et sa satisfaction. Seule la reformulation de l’énoncé 10 remplit une fonction didactique d’évaluation Les apprenants :

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A1 : type responsif actif; directement sollicitée, elle exprime son opinion personnelle (je pense : 6/10) au prix d’hésitations nombreuses et s’en justifie par plusieurs arguments (signer, écrire, choisir, décider, ne pas respecter, ne pas vouloir). A2 : type directif actif; il s’associe spontanément à A1 dans un style plus impositif (termes évaluatifs, négations, donc, devoir, mais). Ses arguments sont concentrés en une seule intervention. A3 : type conciliateur actif ; il développe une argumentation personnelle (30) différente et plus complexe (32/34), aux plans sémantique (introduction d’informations nouvelles), linguistique (structuration des énoncés par mais, alors, parce que), et pragmatique (alliance partielle avec A1 et A2). Il sollicite l’aide métalinguistique de l’enseignant (32), exprime son émotion par l’intonation, et sa conviction par l’usage de l’auxiliaire modal falloir (34). Au plan pragmatique (convaincre), il est performant. On peut parler d’objectifs atteints � [pour compléter sur l’apprenant, consultez le document (6)] V. Exemples d’analyse Exemple « OUESS » Légende : E : enseignante (française) A1 : apprenant nord-américain (Ouess) A2 : apprenant nord-américain Ae : apprenante nord-américaine (Anne-Marie) S : apprenant suédois Se : apprenante suédoise H : apprenante hollandaise (Léonie) St : stagiaire (étudiante Maîtrise FLE) En capitales : accentuation phonique Commentaires du transcripteur entre parenthèses … = pause / = interruption Activité en cours Jeu dit du « portrait chinois » (à cinq minutes de la fin d’un cours de quatre heures). 1 – E : Ouess ! Si tu étais une fleur qu’est-ce que tu serais ? 2 – A1 : Si si … j’étais une fleur… euh… (froncement de sourcils, moue perplexe, rires) 3 – E : Si tu étais une fleur qu’est-ce que tu serais ?…On se tait ! Anne-Marie tu te tais tu n’arrêtes pas de parler alors réponds si tu étais une fleur qu’est-ce que tu serais ? 4 – Ae : Oh je ne sais pas je n’écoute pas ! 5 – E : Mais oui tu n’écoutes pas ! 6 – Ae : Parce qu’elle… parce qu’elle… 7 – E : Allez ! Si tu étais une fleur qui serais-tu ? 8 – Ae : Elle me demande… OK ! (geste d’abandon) C’est ma faute ! 9 – E : Elle te pose une question… c’est ta faute ! 10 – Ae : Oui mais/ 11 – E : Mais une fois c’est l’une une fois c’est l’autre alors… tout le matin vous n’avez pas vraiment écouté ni au laboratoire ni là… alors je repose ma question à tout le monde. Si tu étais une fleur qui serais-tu ?… Ouess ? 12 – A1 : Euh c’est très difficile euh … oh !

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13 – E : Alors quelqu’un d’autre ! 14 – A1 : Ce ser/ 15 – Se : je ne sais pas le nom avec la fleur du soleil 16 – E : Ah ! un tournesol ! La grosse fleur qui se… un tournesol… non ! comment… on… non ! C’est pas un tournesol… non… je ne sais pas… 17 – A1 : Ah oui ! Un magno… un magnolia (rires) 18 – E : un magnolia c’est très beau (s’adressant aux stagiaires) non ! non c’est pas un tournesol… comment on appelle ça ? Un tourn/ 19 – St : Si un tournesol 20 – E : Un tournesol c’est ça (s’adressant à Se) On dit aussi un soleil hein les autres ? 21 – G : (silence) 22 – S : Si j’étais une fleur je serais un capriole 23 – E : Comment ? Un ? (regarde les stagiaires d’un air interrogateur) 24 – S : (en riant) Qu’est-ce qui s’appelle… C’est la seule fleur en français que je connais alors ! 25 – G : (rires) 26 – S : Un capillaire 27 – E : Mais qu’est-ce que c’est un capillaire ? Ah ! tu te trompes tu penses à la lotion capillaire et tu/ 28 – S : C’est quoi ? 29 – G : (rires) 30 – E : Et capillaire ça veut dire pour les cheveux 31 – S : J’ai pensé c’était une fleur 32 – E : Tu peux prendre un mot et dire : “Tiens c’est une fleur” ! 33 – A2 : Ouais une voiture c’est une fleur une porte c’est / 34 – Ae : Ah ah ! (ton ironique) 35 – S : Mais non c’est pour soigner la tête. Mon père il avait la lotion capillaire 36 – E : Oui et bien ça veut dire la lotion qu’il se passait dans les cheveux 37 – A2 : (s’adressant à S par un signe discret) C’est quoi ? 38 – S : Je ne sais pas le mot en anglais 39 – G : (brouhaha) 40 – E : Nous sommes en classe de français ! Le groupe-classe est plurilingue et pluriculturel, l’usage de l’anglais étant réprimé dans le cadre du contrat didactique. Le type de relation qui s’instaure entre les apprenants, les apprenants et l’enseignant, l’enseignant et les stagiaires-observateurs est toujours fortement complémentaire. L’activité en cours est un jeu (le portrait chinois) dont l’objectif non explicité est syntaxique (réemploi de la structure si + imparfait + conditionnel). Les échanges sont difficiles, voire conflictuels, l’enseignante devant gérer, malgré la fatigue et la saturation (d’elle-même et du groupe), des problèmes linguistiques et des problèmes de comportement. Nous allons caractériser les conduites des uns et des autres à partir des phénomènes qualitatifs les plus saillants (discernables dès la première approche) : autoritarisme de l’enseignante, coopération vs transgression chez les apprenants. Quantification L’enseignante contrôle les échanges : elle est au centre, quels que soient ses interlocuteurs (apprenants ou stagiaires), quel que soit le thème des échanges (langue, activité ou comportement). De plus, le volume moyen de ses interventions est très supérieur à celui des autres participants . Les quatre participants-apprenants : ils répondent et/ou réagissent sous la contrainte de l’enseignant. Les dyades s’instaurent successivement entre l’enseignant et Ouess, l’enseignant

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et Anne-Marie, l’enseignant et les stagiaires, l’enseignant et le Suédois, confirmant le caractère très centralisé des échanges. Les reprises constituent un phénomène majeur chez l’enseignante (présent dans toutes ses interventions, à l’exception de 13/23/40), mineur chez les apprenants. Ces reprises remplissent diverses fonctions : de thématisation (cadrer l’activité et la réglementer), d’explicitation linguistique (expliquer, définir), de facilitation cognitive (chercher ses mots, penser tout haut). Les signaux non verbaux et prosodiques sont constants (sauf chez le Suédois) et sont toujours orientés vers des émotions négatives (colère, peur, stress...). Rires, silence et brouhaha contribuent à un climat général tendu, que nous analyserons ultérieurement. Séquentialité La première séquence est d’ordre didactique : réduite à un échange (1/2/3/), elle est constituée de trois interventions (requête, non satisfaction de la requête, réitération de la requête) et interrompue par l’irruption de la deuxième séquence, d’ordre disciplinaire, entre l’enseignante et A. Marie (3/11). Une amorce de séquence didactique, du même type que la première, apparaît de 11 à 15 ; l’intervention 15 déclenche une séquence constituée par la déstabilisation de l’enseignante et la procédure d’aide fournie par l’un des observateurs (15/21). De 22 à 36, les échanges entre E et S réalisent l’activité didactique en cours, et le fragment se termine par un échange d’ordre disciplinaire (37/40) motivé par l’usage (interdit) de l’anglais. L’alternance des séquences didactiques et des séquences disciplinaires, caractérisées au plan linguistique par de nombreuses traces d’affectivité négative, permet de parler d’échec de l’interaction et d’objectifs non atteints, malgré le mode de participation de certains apprenants. L’enseignante Ses conduites sont très marquées sur le plan affectif, aussi bien dans les échanges à caractère métalinguistique (recherche et explication de lexique), que dans ceux à caractère disciplinaire ayant pour but le respect de deux éléments du contrat didactique : écoute et usage exclusif de la langue-cible. L’inventaire des traces d’affectivité négative montre que les trois niveaux (paraverbal, non verbal, verbal) sont investis : toutes les interventions de l’enseignante (sauf 20/30/36) sont marquées : – paraverbal : accentuation, accélération ou décélération du tempo, intensité, exclamations, pauses vides... – non-verbal : gestualité d’accompagnement de la voix (donc accentuée), mimiques; – verbal : modalité injonctive (de nombreux impératifs), explicitation de la faute (c’est ta faute, se taire, ne pas arrêter de parler, ne pas écouter), connecteurs oppositifs en tête d’énoncé (5/11/27), nombreux ratés d’élocution dans les interventions de perte du contrôle lexical (15/18), moquerie envers le Suédois (32) et dernier rappel à l’ordre didactique en fin d’interaction. L’enseignante fonctionne sur le mode de l’agression verbale, mettant gravement en danger sa propre face et celle des apprenants : on peut vraisemblablement mettre ces conduites sur le compte de la fatigue de tous les participants (dernières minutes d’un cours de quatre heures). On peut également penser que la présence d’observateurs est générateur de tension, même si, dans ce fragment, ils sont sollicités par l’enseignante et lui apportent l’aide demandée. Les apprenants De même que nous avons deux types de séquence opposés au regard des objectifs poursuivis (activité didactique souhaitée, comportements didactiques souhaités), nous avons deux types d’apprenants : ceux qui rentrent dans le cadre didactique du jeu (Ouess et les Suédois), et ceux qui se tiennent à l’extérieur de l’activité et rompent le contrat didactique (Anne-Marie étant la cible nommée des attaques, les autres n’étant pas identifiables).

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Ouess : il est directement sollicité (1/3/11 : deux nominations accentuées, 6 fois le déictique personnel tu) ; incapable de répondre immédiatement (2/12), il est interrompu en 14 et réussit à fournir l’information demandée en 17, indépendamment de la séquence consacrée au tournesol. L’objectif didactique est donc atteint. La Suédoise (Se) : elle déclenche en 15 la séquence du tournesol, s’appuyant peut-être sur la forme anglaise (sun flower) pour demander une information lexicale. On peut penser ici que le vocabulaire de la botanique est au dessus de la compétence linguistique des apprenants (l’enseignant natif ayant lui-même des difficultés). On peut considérer que l’objectif didactique est atteint puisqu’elle a obtenu satisfaction à sa requête indirecte (15). Le Suédois (S) : il forme parfaitement son énoncé de réponse en 22, mais crée un nom de fleur qui n’existe pas dans la langue française (capriole). En 24, il se justifie de sa proposition, puis essaye un nouveau terme (26/capillaire), que l’enseignant définit (30). En 31, il se justifie de son erreur, déclenchant les moqueries de E, A2 et Ae : imperturbable, il fournit une explication plus précise que celle qui lui a été donnée (pour soigner la tête explique mieux lotion capillaire que pour les cheveux). Sa compétence est plus large : linguistique (nombre, volume et correction des énoncés) mais aussi interactionnelle et cognitive (répondre, apporter des informations nouvelles, se justifier, se défendre calmement, expliquer, définir). Exemple « POURQOI » Phase d’exploitation d’un texte lu précédemment ; le fragment suivant porte sur l’état de dégradation d’un quartier de Grenoble, La Villeneuve, considéré comme un quartier « difficile ». Légendes et intervenants Les commentaires du transcripteur sont entre parenthèses : ( ) Les interruptions sont signalées par une barre oblique : / Les mots accentués sont en capitales Un crochet : ], indique un bref chevauchement de parole entre deux intervenants … = pause brève Niveau du groupe : dit « intermédiaire » On a ponctué le moins possible E : enseignant (natif) Gr : Groupe-classe (10 étudiants présents ce jour-là) A : Claire, Anglaise, 28 ans, mère de famille, en France pour plusieurs années D : Anna, Polonaise, 24 ans, mariée à un Français D : Allemand, 25 ans, étudiant à l’École d’ingénieur pour un an F/C : Coréenne, 32 ans, mère de famille, mariée à un Coréen H/C : Coréen, marié, père de famille, prépare une thèse en économie Trois observateurs de la Maîtrise FLE sont présents. 1 – E : Pourquoi c’est en mauvais état ? 2 – P : Ça dépend des gens ou (inaudible) 3 – E : Pardon Anna ? J’ai…un peu plus fort 4 – P : Mais peut-être ça dépend des gens qui qui qui z’habitent dans ce quartier je sais pas. Si c’est plus abîmé ça dépend des gens comment ils ils se/ 5 – E : Alors c’est la faute des gens ? 6 – P : C’est la faute des j…mais peut-être moi je sais pas 7 – G : (rires) 8 – E : Oui oui non mais… 9 – P : Peut-être parce que comme il y a…plusieurs…sortes de gens (elle rit) c’est-à-dire il y a il y a c’est tout mélangé il y a… je critique pas les immigrés je dis pas que… mais ya tout.

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Ya les immigrés ya les gens pauvr’es. Je pense pas que… je dis pas que les gens pauvres ils abîment les choses mais… ou les gens riches je sais rien mais mais… 10 – E : Alors tu penses que les gens ne sont pas soigneux ? 11 – P : Peut-être 12 – E : Les gens ne sont pas soigneux. Ils ne font pas attention. Bon. Est-ce que c’est la seule raison ? 13 – P : Non (timidement) 14 – F/C : Non (timidement) 15 – E : Faut pas oublier qu’il y a beaucoup de monde qui habite là. Il y a combien d’habitant à la Villeneuve ? Si l’on envisage d’abord les intervenants au moyen des paramètres contextuels du modèle de description SPEAKING, les caractéristiques dominantes sont, au niveau des apprenants, la moyenne d’age relativement élevée, le niveau d’études et la professionnalisation; au niveau thématique le fait que le sujet abordé est un sujet considéré comme délicat en France (et en Europe) aujourd’hui puisqu’il touche à l’immigration et à la pauvreté; au niveau des nationalités représentées, on trouve deux ensembles géographiquement et culturellement éloignés (Europe et Extrême-Orient outre-islam); au niveau de l’activité didactique en cours enfin, on peut penser que les échanges s’orienteront vers l’expression orale dite libre. Nous allons considérer successivement la répartition de la parole, l’évolution de l’activité et du thème abordé et enfin, ce qui caractérise les conduites langagières des principaux intervenants. Quantification L’enseignant totalise un nombre d’interventions plus élevé que le total des interventions des apprenants, le déséquilibre étant moins accentué au niveau du volume des tours de parole, si on le compare avec les apprenants Allemand et Polonaise, dont les contributions peuvent être longues, contrairement aux deux Coréens, dont les tours sont toujours inférieurs à cinq mots et souvent constitués de reprises (d’éléments lus) ou de simples régulateurs. (32/33). Séquentialité À partir d’un critère thématique (de quoi ça parle ?), l’interaction complète tend à répondre à la question initiale (reprise en 27) : Pourquoi c’est en mauvais état ? Dans une première séquence (1/27), on assiste à un échange contradictoire implicite entre l’enseignante et la Polonaise (dyade 1/13), puis à un échange contradictoire explicite entre l’enseignante et l’Allemand (dyade 19/27). La réitération de la requête initiale en 27 ouvre une nouvelle séquence dominée par l’activité didactique de contrôle, menée par l’enseignante avec les apprenants Anglais et Coréens. La première séquence est donc conversationnelle (arguments/contre-arguments, pas de résolution), la seconde didactique (question/réponse/évaluation). L’enseignant Si l’on regarde les fonctions de ses énoncés, outre la thématisation (1/27), le contrôle des procédures de réponse (3/17/29) et l’évaluation métalinguistique (31/42/46) qui relèvent de la fonction enseignante, on s’aperçoit que deux sous-séquences sont particulières : la première (1/19) dans laquelle les arguments de la polonaise et ceux de l’apprenante sont anti-orientés (fréquence de la négation et des connecteurs dans les réactions de l’enseignante à l’expression de P : 8/10/12/15). Les thèses sous-jacentes sont respectivement : c’est la faute des gens vs c’est la faute du nombre ; l’argument du nombre est imposé par l’enseignante (15/19) via l’auxiliaire modal falloir , la négation, le connecteur oppositif mais. La seconde (20/27) dans laquelle l’enseignante ne contrôle plus ni quantitativement ni qualitativement les échanges avec l’apprenant Allemand, mais ne fait que réguler en manifestant son écoute (21/23/25), pour finalement donner raison à l’apprenant (27/ exactement) dans le cadre d’une énonciation

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polémique marquée par les connecteurs (mais) oppositifs et la négation (non). les thèses sous-jacentes sont respectivement : c’est la faute du nombre vs ce n’est pas la faute du nombre. L’affrontement verbal est plus bref mais plus marqué linguistiquement (5 mais, 5 négations, 2 donc), et surtout, l’enseignante se retire de la controverse dans un certain désordre verbal qui peut laisser penser qu’elle a été déstabilisée par la double opposition des deux apprenants actifs (non exactement mais c’est vrai mais pourquoi) en répétant sa question initiale, neutre (pourquoi c’est en mauvais état) et non pas sa propre reformulation de la requête en terme de faute (5 : c’est la faute des gens). On peut dire que le passage chez l’enseignante de pourquoi (question neutre) à faute (question connotativement chargée) a eu des effets pragmatiques instantanés. Dans la deuxième séquence, à caractère didactique marqué, elle est protégée par le retour à la succession d’échanges ternaires (question/réponse/évaluation) et binaires (question : réponse) : 27/28/31 avec l’Anglaise, puis 31/34/37, 38/39, 40/41/42, 44/45/46 avec le Coréen. L’ outil linguistique du retour à cette communication très contraignante est la question fermée à focus unique : on peut penser que l’enseignante ne prend plus aucun risque de perte de contrôle. Les apprenants Les petits parleurs : l’Anglaise et les Coréens se signalent par la faiblesse de leur participation et le caractère strictement didactique de celle-ci : ils répondent avec une économie maximale de termes. L’apprenante polonaise : On a vu qu’elle constituait la première dyade privilégiée avec l’enseignante : elle fait avancer l’activité en cours par l’apport d’informations, ici des arguments (2/4/6/9/), et ce malgré la réaction immédiate de E (5) à partir de laquelle il est facile d’inférer qu’il y a désaccord. La caractéristique énonciative de l’apprenante est la prudence, dans un discours auto-centré (nombreuses marques du moi) : ça dépend (neutre), je sais pas, peut-être, je critique pas, je dis pas, je pense pas, je sais rien ; on peut ajouter les signaux non verbaux (hésitations, rires, voix faible, bégaiement, énoncés inachevés, énonciation timide), qui trahissent vraisemblablement une certaine anxiété : face à l’enseignante qui s’avère d’un autre avis, face à un possible membre du groupe qu’elle pourrait choquer (on a déjà indiqué dès l’introduction que le sujet était « chaud »). La timidité affichée de l’apprenante permet à l’enseignante de marquer un avantage (15) et la controverse dans la dyade n’est pas bouclée (aucune marque de clôture). L’apprenant allemand : En désaccord également avec l’enseignant, il n’a pas du tout la même stratégie que la polonaise, étant orienté vers l’expression explicite de ce désaccord, clairement assumé bien que non auto-centré : aucune marque du moi en effet, mais un raisonnement marqué par la logique et la neutralité : c’est, ça (4), modalité toujours délocutive (ni je ni tu, mais 15 000 personnes), connecteurs logiques : mais, parce que, donc assurant exemplairement la progression de sa contre-argumentation (énoncés négatifs) : opposition aux arguments de E (mais), justification de ses propres arguments (parce que), conclusion qui doit être tirée (donc). Ce caractère de démonstration logique va déconcerter l’enseignante d’abord (21/23/25), puis l’inciter à reposer sa question initiale, après avoir utilisé des verbes se rattachant au lexique d’une certaine scientificité : nous observons, nous constatons. En terme de profil d’apprenant (dans la séquence de controverse), on a donc un profil émotif et un profil logique, face à une enseignante qui réagit « à chaud » : rapidement et empathiquement. Dans la séquence didactique, on retrouve les schémas d’action les plus standardisés, avec des apprenants coopératifs mais faiblement actifs, ce qui permet vraisemblablement au groupe de « s’économiser » au plan cognitif.